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Chapitre 1 : Identification de la règle de droit

La vie en société est régie par un certain nombre de règles. Pour autant, toutes les
règles ne sont pas des règles de droit. Aussi doit-on se poser la question de savoir ce
qu’est une règle de droit, ce qui la différencie des autres règles de la vie courante.
À la question « Qu'est-ce qu'une règle de droit ? » - Denys de Béchillon, un
auteur a pu répondre qu’il s’agit d’une « norme juridique ». Une norme juridique ou une
règle de droit a une vocation prescriptive, c'est à dire que la règle de droit est vouée et
destinée à prescrire des comportements.
– Soit parce qu'on interdit le comportement (vol..) soit parce qu'on l'interdit pas
(comportement positif).
– On incite certains comportements (=être généreux, ce n'est pas obligatoire mais on
incite, exemple : dons, fiscal...).
Une norme juridique car la règle de droit est produite par une autorité compétente au
sein d'un État de droit selon la procédure.

Identifier et étudier la règle de droit suppose de se pencher sur deux questions délicates et
très discutées :
– Qu’est-ce qui justifie l’existence de la règle de droit ? C’est la question des
fondements de la règle de droit (Section I).
– Qu’est-ce qui distingue la règle de droit des autres règles ? C’est la question des
caractères de la règle de droit (Section II).

Section 1 : Les fondements de la règle de droit


Envisager les fondements de la règle de droit revient à se demander :
– D’où la règle de droit tire sa légitimité ?
– Pourquoi existe-t-elle ?
– D’où tire-t-elle sa force ?
Ces questions ne reçoivent pas de réponses uniformes selon les courants de pensée.
Très schématiquement, il existe deux courants d’opinions qui cherchent à justifier
l’existence de la règle de droit :
– Il s’agit du courant idéaliste ou du droit naturel d’une part (§1)
– Le courant positiviste d’autre part (§2).

§1 : Idéalisme : la théorie du droit naturel

Ce courant s’appuie sur ce qu’il pense être la nature humaine : le droit naturel est
celui qui aurait comme fondement les caractéristiques inhérentes à l’être humain.
Autrement dit, le droit naturel (jus naturale) est l’ensemble des règles qui prennent en
considération la nature humaine et sa finalité dans le monde.
Les premières formulations du concept de droit naturel se trouvent dans les écrits des
juristes de l’école de Salamanque (XVIe siècle). Les théories ont été reprises par la suite
par Hobbes, Locke et Rousseau qui ont développé l’idée du contrat social à partir de la
notion d’état de nature. Notamment, la pensée de Rousseau va avoir une conséquence
très importante durant la Révolution Française : Contrat Social.
Du point de vue juridique, le droit naturel est une « règle considérée comme conforme à la
nature (de l’homme ou des choses) et à ce titre reconnue comme de droit idéal ». -
Gérard Cornu
La théorie du droit naturel est idéaliste en ce sens qu’elle considère que le droit
naturel exprime ce qu’il y a de plus profond dans l’être humain, de plus intrinsèquement
humain.
Cette théorie idéaliste repose sur un présupposé selon lequel il existerait un droit
absolu qui serait universel et qui représenterait le mieux la nature humaine.

Les courants idéalistes présentent en outre certains dangers car ils peuvent conduire à
certains extrémismes. Selon l’idéalisme, on pourrait même dire que si une loi est injuste,
il ne faut pas la respecter. Or, nous le verrons, les conceptions de la justice sont
multiples et peuvent être variables d’un individu à un autre. Poussée à l’extrême, la
logique idéaliste peut donc conduire au désordre, à la confusion, au chaos… ce qui,
assurément, ne permet pas la pérennité d’une société humaine. C’est la raison pour
laquelle d’ailleurs un pacte social, un contrat social est nécessaire : accepté par les
individus qui composent la société, il permet une organisation pérenne ainsi que la paix
sociale. Est-ce que la justice et de donner ce que la personne mérite ou de donner à tout
le monde également ?
Les théories idéalistes remontent en réalité à l’Antiquité grecque et notamment à
Aristote. Elles ont eu une très grande influence sur la pensée philosophique, politique
et juridique, notamment au XVIIIème siècle. Cet impact va se concrétiser en France dans
la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui aujourd’hui fait partie de
notre bloc de constitutionnalité.

À l’heure actuelle le courant idéaliste du droit naturel conserve un impact important à


travers les nombreuses conventions internationales relatives aux droits et libertés
individuels :
– Déclaration universelle des droits de l’Homme signée sous l’égide de l’ONU en
1948,
– Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ou
plus souvent appelée Convention européenne des droits de l’homme ou CEDH de
1950,
– Convention relative aux droits de l’enfant signée en 1989 sous l’égide de l’ONU.

§2 : Le courant du positivisme

Le positivisme considère qu’il n’y a que l’analyse et la connaissance de faits


vérifiés par des expériences qui peuvent expliquer le monde ou, à tout le moins, ses
phénomènes observables. Le positivisme se fonde donc principalement sur une
démarche scientifique et rejette toute métaphysique ou toute intuition pour expliquer le
monde. C’est la pensée d’Auguste Comte (1798-1857) qui a permis l’essor du
positivisme à partir du XIXème siècle et qui s’est manifesté aussi bien en médecine qu’en
sociologie, aussi bien en philosophie qu’en économie, etc… Le positivisme a également
fait son entrée dans la pensée juridique.

Le droit positif a été défini plus haut comme étant le droit applicable à un moment
donné sur un territoire donné. Pour les partisans du positivisme, le fondement de la
règle de droit réside dans le texte concret lui-même et non pas dans une
métaphysique ou un idéal. Le positivisme se scinde lui-même en deux branches : le
positivisme juridique (A) et le positivisme sociologique (B).

A) Le positivisme juridique
Le positivisme juridique veut décrire le droit tel qu’il existe dans la société. Il
n’est pas question d’envisager le droit de manière idéalisée, c’est-à-dire tel qu’il devrait
être. Le positivisme juridique s’oppose ainsi directement au courant du droit naturel.

Dès lors, selon ce courant de pensée, seul le droit positif a une valeur juridique.
Pour illustrer la différence entre la pensée jusnaturaliste et la pensée positiviste,
penchons-nous sur la justification qui serait donné dans l’un ou l’autre courant de pensée
à l’interdiction du meurtre :
– Un jusnaturaliste dira qu’il ne faut pas tuer car cela va à l’encontre du droit
naturel qui préexiste à la loi.
– Un positiviste dira qu’il ne faut pas tuer car cela est contraire à la règle de droit
édictée par une autorité légitime.

Ainsi, pour le positivisme juridique, la règle de droit s’impose et doit être


respectée parce qu’elle émane de l’État de droit et qu’elle a été produite par l’autorité
compétente et selon la procédure édictée par l’État. Cette théorie a été développée et
défendue par Hans Kelsen, juriste autrichien, dans son ouvrage « Théorie pure du droit ».

B) Le positivisme sociologique

Le positivisme sociologique ne justifie pas la règle de droit en elle-même ou parce


qu’elle émane d’un État de droit. Selon cette branche du positivisme, la règle de droit
existe et s’impose parce qu’elle reflète les préoccupations d’une société à un moment
donné.
Le droit est alors analysé comme un fait social et la règle de droit vient traduire
les aspirations du corps social. La règle de droit est justifiée par une conscience
collective, une volonté collective. C’est donc la société elle-même, le corps social lui-
même qui produit, à travers ses institutions, les règles qui lui conviennent le mieux.
Auguste Comte est à bien des égards considéré comme le fondateur de la
sociologie. Selon le positivisme sociologique, le droit est donc le reflet de l’observation
d’une réalité sociale. La règle de droit traduira cette observation et en tirera les
conséquences.

Exemple : 1975 : divorce par consentement mutuel alors qu'avant il fallait une faute grave.
Réforme législative car beaucoup du monde était favorable à cette idée.

Selon Emile Durkheim, le droit naît parce que la société subit des agressions qu’elle
doit traiter. Pour garantir la paix sociale, la société doit en effet édicter des règles qui
sont le reflet de ses valeurs : elle va ainsi punir le vol ou le meurtre par l’élaboration de
règles de droit. Le vol ou le meurtre étant en effet considérés comme des atteintes aux
valeurs sociales, il faut donc les punir.

Sans doute aucun des divers courants de pensées ne permet à lui seul de
justifier la règle de droit et notre système contemporain reflète plus ou moins chaque
courant dans ses textes mais aussi dans ses démarches de production du droit.
L’idéalisme non poussé à l’extrême n’est pas nécessairement mauvais, de même qu’il
paraît nécessaire dans une société démocratique que le droit positif soit produit par
une autorité compétente qui va traduire dans la règle les aspirations du corps social.

Section deux : les caractères de la règle du droit


Bien qu’ils puissent être discutés, on considère traditionnellement que la règle de droit
possède quatre caractères : elle est
– Obligatoire (§1),
– Générale et impersonnelle (§2),
– Permanente (§3),
– Et a une finalité sociale (§4).

§1 : Le caractère obligatoire de la règle de droit

On enseigne traditionnellement que la règle de droit est prescriptive : elle


contient un commandement qui peut être positif (il faut faire, il faut donner) ou négatif
(c’est-à-dire des interdictions : il ne faut pas faire). Ce caractère fait de la règle de droit
une norme ainsi qu’on l’a entrevu. Du reste les termes de « règle » et de « norme »
renvoient à la même idée. Le latin « norma » signifie précisément la règle, c’est-à-dire
l’outil qui permet de tracer des traits droits. Ainsi transposée à la matière juridique,
cela signifie que la règle de droit prescrit un comportement conforme à des valeurs
sociales traduites par le droit en vigueur.
Ainsi, la règle de droit ordonne, interdit, autorise, récompense ou punit. Même si la
règle de droit autorise, donne une permission ce qui se traduit par une liberté, elle reste
obligatoire car elle interdit aux tiers de porter atteinte à cette liberté.

Pour autant, est-ce que ça signifie que la sanction est un critère de la règle de droit ?
Non, la sanction de la règle de droit est un faux critère.
On fait habituellement découler de ce caractère l’idée que le droit est assorti d’une
sanction. Plus précisément, la règle de droit serait nécessairement accompagnée
d’une sanction dans le cas où elle ne serait pas respectée, sanction prévue par le droit
lui-même et assurée par l’État. Ainsi, dès lors que l’autorité constate la violation d’un droit,
elle peut requérir la force publique pour contraindre l’auteur de la violation à respecter
ce droit ou à réparer les conséquences de cette violation, au besoin par une s anction
pénale. En réalité la sanction de la règle de droit est un faux critère. En effet, certaines
obligations morales ou religieuses peuvent recevoir une sanction morale ou religieuse plus
forte là où il n’existe pas d’obligation juridique.

A l’inverse, il arrive que la violation d’une règle de droit ne soit suivie d’aucune
sanction. C’est ce que l’on appelle une question d’effectivité du droit.
Par exemple un automobiliste grille un feu rouge sans provoquer d’accident, sans
constatation de l’infraction par un agent ou un officier de la police nationale.
L’automobiliste a commis une faute en violant le Code de la route, pour autant il n’a pas
causé d’accident malgré son comportement dangereux et il n’a pas été arrêté par la
police. La violation de la règle de droit ne sera alors pas sanctionnée : la sanction pourtant
prévue par le texte de droit ne sera pas prononcée, ne sera pas effective.

L’effectivité de la règle de droit ne figure donc pas dans les conditions d’existence
de la règle de droit : pour qu’elle existe, il suffit qu’elle ait été édictée par l’autorité
compétente selon la procédure prévue par le droit. L’effectivité ne concerne en fin de
compte que sa mise en œuvre.

Un argument de logique conduit également à rejeter la sanction comme étant un


critère de la règle de droit : ainsi que l’ont relevé plusieurs auteurs, pour savoir ce qu’est le
droit, c’est-à-dire ce qui doit être sanctionné par l’autorité publique, il faudrait examiner
ce qui est effectivement sanctionné par l’autorité publique. Ceci conduit à une pure
tautologie puisque cela revient à dire que « Doit être sanctionné ce qui est sanctionné. Est
du droit, ce qui est du droit. » Il paraît donc difficile, en logique pure et en pratique de
retenir la sanction comme critère de la règle de droit.

Le caractère obligatoire permet donc d’opposer la règle de droit aux autres règles,
qu’elles soient religieuses, morales, ou simplement de savoir-vivre. La violation d’une
règle religieuse pourra entraîner une sanction émanant de Dieu ou de l’autorité religieuse,
la violation d’une règle morale pourra entraîner la réprobation sociale ou l’exclusion d’un
groupe, mais aucune de ces sanctions ne pourra être prise en charge par l’État. Il faut
toutefois préciser que, s’agissant des règles religieuses, ceci ne vaut que pour les états
laïcs comme la France : pour les états religieux, la distinction entre règle religieuse et
règle de droit n’existe pas puisque le droit découle directement de la religion.

Il existe toutefois des situations intermédiaires où une règle d’origine non-


juridique peut se transformer en règle de droit. C’est le cas de ce que l’on appelle
l’obligation naturelle. Il s’agit d’une obligation non susceptible d’exécution forcée ou
de sanction étatique, le plus souvent d’origine morale, mais qui va se transformer
en obligation juridique par la volonté du débiteur de l’obligation.

L’exemple le plus souvent cité est celui des relations alimentaires entre frères et sœurs.

En effet, il n’existe aucune obligation alimentaire d’origine juridique entre les frères et
les sœurs, contrairement à l’obligation alimentaire existant entre les parents et les enfants,
dans les deux sens d’ailleurs. L’obligation alimentaire entre frères et sœurs est donc une
obligation morale – l’ancien article 1235 alinéa 2 du Code civil parle d’obligation naturelle
(désormais articles 1101 et 1302) -, et une personne dans le besoin ne peut contraindre
juridiquement son frère ou sa sœur à lui verser une pension alimentaire. Il en va toutefois
différemment si le frère ou la sœur a volontairement payé une somme d’argent ou promis
d’en verser une à titre d’aide alimentaire. Dans ce cas, la volonté de payer a transformé
l’obligation morale en obligation civile et le bénéficiaire de la somme d’argent (le frère
ou la sœur dans le besoin) pourra demander l’exécution forcée de la promesse tandis que
celui qui aura versé la somme d’argent ne pourra pas en demander juridiquement le
remboursement.

§2 : L'impersonnalité et la généralité de la règle de droit

Deuxième critère traditionnel de la règle de droit : sa généralité. Plus précisément,


la règle de droit est générale et impersonnelle. Cela signifie qu’elle a vocation à
s’appliquer à l’ensemble des personnes composant la société, à l’ensemble des
sujets de droit, sans distinction, à condition bien sûr qu’ils soient placés dans la même
situation.
On note ainsi que nombre de règles de droit ne vise pas une personne déterminée mais
toute personne :
– On trouve souvent la formule « Quiconque… » ou encore « Toute personne… » ou
« Celui qui…) etc…
– Parfois la règle vise une catégorie socio-professionnelle (le commerçant, le salarié,
les consommateurs, les propriétaires, les époux, etc…).

A- La règle de droit est générale

La règle a un caractère général car elle a vocation à s’appliquer à toute personne


appartenant à la catégorie visée et placée dans la situation visée par la règle.
Par exemple, L’article 212 du Code civil dispose que « Les époux se doivent
mutuellement respect, fidélité, secours, assistance. ».

Cela signifie donc qu’il y a une obligation de fidélité au sein des couples mariés. Mais une
telle obligation n’existe pas entre concubins ou entre partenaires liés par un PACS.
La règle reste générale car elle ne vise pas une personne déterminée, mais
seulement les personnes ayant la qualité d’époux. De la même façon, la règle reste
générale même si elle vise une fonction occupée par une seule personne (par exemple le
Président de la République, le Premier ministre, le Président de l’Assemblée nationale,
etc…). Ici ce n’est pas la personne qui occupe la fonction qui est visée, mais la fonction
elle-même et les pouvoirs et devoirs qui y sont attachés. Elle a un caractère abstrait.

Qu'est-ce qui justifie ce caractère abstrait ?


La raison qui justifie la généralité de la règle de droit tient en la lutte contre
l’arbitraire et la discrimination individuelle. Cela ne signifie pas pour autant que la
règle de droit ne peut pas être discriminante. Au contraire, souvent le droit intervient
pour corriger des inégalités sociales en accordant plus de droits à certaines catégories
de personnes ou en faisant peser plus d’obligations sur d’autres catégories. Souvent les
deux voies sont d’ailleurs employées.

Parfois cependant la règle de droit introduit des discrimination pour des motifs
condamnables (race, sexe, religion, convictions politiques, etc...). Ce fut le cas par
exemple avec les tristement célèbres lois de Nuremberg de 1935 ou les lois de Vichy
sur le statut des juifs. La généralité de la règle de droit est une protection nécessaire
contre l’arbitraire mais elle est loin d’être suffisante.

B- La règle de droit est impersonnelle

On vient de le voir, la règle de droit doit viser des catégories, mais non des
personnes en particulier. De la même façon, la règle de droit doit régir des situations et
non pas des cas particuliers.

Par exemple : Ce n’est pas la loi qui va décider si Anakin Skywalker est présumé
être le père de Luke. C’est toutefois la loi qui fixe la règle selon laquelle tous les enfants
nés ou conçus pendant le mariage ont pour père le mari de la mère (article 312 du Code
civil). Il reviendra alors au juge, dans le cas d’une action en justice, d’appliquer la règle au
cas particulier de Luke Skywalker. Le juge rendra alors une décision en fonction de la
règle de droit et des preuves rapportées, mais il ne produira pas une règle de droit.
Le caractère général et impersonnel de la règle de droit permet de la distinguer d’autres
normes juridiques. Ainsi, une décision individuelle même émanant de l’Administration ou
du Parlement n’est pas une règle de droit.

Par exemple un permis de conduire ou un permis de construire délivrés par


l’administration n’est pas une règle de droit mais seulement une décision individuelle.
Même chose pour une loi qui ordonnerait des funérailles nationales pour un homme
d’État, ou encore une nomination par décret à une fonction publique.

Ce n’est pas règle de droit mais une disposition personnelle. Il en est de même
d’un jugement tranchant un litige particulier : il n’édicte pas une règle de droit à vocation
générale. Il répond, au contraire, à un problème particulier. Dans ces deux cas, il ne s’agit
pas d’une règle de droit mais d’une décision.
Qu'est-ce qu'un arrêté ?
Ça peut être une décision écrite d'une autorité administrative.

§3 : Le caractère permanent de la règle de droit

Troisième caractère de la règle de droit, sa permanence. Cela signifie qu’elle a une


application constante pendant la durée de son existence.

Par exemple la loi est applicable de son entrée en vigueur à son abrogation.

La règle de droit a donc vocation à durer un certain temps et exclusivement. En


effet, une même norme (par exemple la loi), ne peut régir différemment deux situations
identiques pendant la même période.
La règle de droit n’est toutefois pas éternelle, on l’a vu avec l’exemple de la loi dont
la période de « vie » ou plutôt d’efficacité est déterminée par son entrée en vigueur
(commencement) et par son abrogation (fin).

Comment se passe l'abrogation ?


Il y a trois manières d'abroger une règle de droit :
– Une loi nouvelle va proclamer explicitement que telle loi ancienne est abrogée,
– Une règle de droit nouvelle de même rang ou de supérieur va poser une solution,
règle qui est l'inverse, l'opposé de la règle ancienne,
– Lorsque la règle de droit ancienne est devenue complètement obsolète ou
dépassée.

Pendant que la règle de droit est en vigueur, elle a donc vocation à s’appliquer. Elle doit
donc être respectée par tout citoyen, y compris le juge. Si les conditions posées par la
règle sont réunies, le juge se devra donc de l’appliquer.
La permanence de la règle signifie également qu’elle s’applique avec constance et de
manière uniforme à toutes les situations qu’elle vise.

Le droit et les règles de droit est toutefois tiraillé entre deux forces, deux pôles contraires.
En premier lieu, le droit se doit d’avoir une certaine stabilité, ce qui est à la fois
condition et gage de son autorité : un droit instable, en perpétuel changement perdrait
de sa force. En effet, d’incessants changements le rendraient peu prévisible, peu sûr
et, au final, entraînerait la méfiance des citoyens là où, précisément, le droit se doit d’être
source de sécurité pour le corps social. La stabilité du système juridique, des règles
juridiques ainsi que leur prévisibilité sont des aspects importants de la sécurité
juridique. En second lieu, toutefois, le droit ne doit pas non plus être figé : le droit doit
évoluer avec la société dont il est un reflet. Les règles de droit ne sont pas le fruit du
hasard, chacune étant justifiée par telle considération sociale plus ou moins impérative.
C’est à cette condition que le corps social adhère volontairement à la règle de droit. En
effet, on remarque aisément que la règle de droit est la mise en œuvre d’un projet
politique poursuivi par la volonté dominante du corps social (J.L. Aubert). Ainsi, ce n’est
pas le droit qui modifie la société, c’est l’évolution de la société qui conduit à
modifier le droit. « Ubi Societas, ubi jus » : « Là où il y a une société, il y a du droit »

Toutefois c’est parfois le droit qui force l’évolution des mentalités : ainsi l’abolition
de la peine de mort en 1981 s’est faite malgré des sondages d’opinion qui montraient
l’hostilité d’une majorité de français à cette abolition. Il a fallu presque une vingtaine
d’années pour l’opinion se déclare très majoritairement et durablement favorable à
l’abolition intervenue en 1981.
§4- La finalité sociale de la règle de droit

Ainsi qu’il a été défini en tout début du cours, le droit est un ensemble de règles
venant régir la vie en société. L’une des fonctions du droit, pour ne pas dire sa fonction
primordiale, est d’assurer la paix sociale. Ceci suppose tout d’abord l’existence d’une
société au sens premier de « réunion d’individus ». On illustre habituellement cette idée
par l’histoire de Robinson Crusoé.
A côté de cette fonction primordiale, le droit a également vocation à établir et à
garantir la Justice et à favoriser le progrès. Bien sûr, les notions de progrès et de
Justice sont variables en fonction des époques, des civilisations, des individus. En outre le
droit est concurrencé dans cette fonction : le droit a des relations plus ou moins étroits et
ambigus avec la religion (A), la morale (B) et l’équité (C).

A- Droit et religion

La règle religieuse est issue de commandements divins et vise au salut de l’âme.


Le droit n’a pas une telle finalité puis qu’avant tout il s’occupe du temporel et des rapports
sociaux. Toutefois, droit et religion entretiennent des rapports parfois étroits, parfois
tendus.
Tout d’abord certaines règles de droit n’ont aucun lien, a priori, avec les règles religieuses
ou le salut de l’âme immortelle. On voit mal ainsi le rapport entre les règles impératives de
la garantie décennale en matière de construction immobilière et les ordres et prescriptions
religieux.

D’autres règles, au contraire, peuvent entretenir des liens très forts avec la
religion, voire même découler de règles religieuses. On peut penser aux règles qui
régissent le droit de la famille, domaine sensible, on l’a vu au moment des discussions au
moment de l’adoption la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux personnes du même
sexe. Le décalogue (les 10 commandements) inspirent directement certaines règles
comme par exemple, en droit pénal, l’incrimination d’homicide ou de vol. Par ailleurs, dans
certaines sociétés, la religion est la source principale du droit (comme dans les pays
de l’Islam) si bien que la distinction entre le droit et la religion est sinon impossible,
du moins très délicate. C’était le cas de la France sous l’ancien régime avec l’influence de
l’Église et de la religion catholique qui régissait certains pans du droit de gens comme le
droit des personnes et de la famille.

Enfin, il peut y avoir des interférences voire des oppositions totales entre les
règles de droit et les règles religieuses. C’est le cas notamment de l’admission de
l’interruption volontaire de grossesse en droit français et sa condamnation par les
différentes religions monothéistes, même en cas de danger de poursuite de la grossesse
pour la mère ou pour l’enfant. Dans un état laïc comme la France cela se traduit bien et
très clairement par la différence de fonction entre le droit d’une part et la règle religieuse
d’autre part : alors que le droit régit le corps social et que la violation des règles de droit
entraîne une sanction par le groupe social, la règle religieuse dans un État laïc ne doit
concerner que les relations de l’homme avec la divinité, la sanction de la violation de la
règle religieuse émanant de Dieu.

B- Droit et morale

Parce qu’elle s’adresse à la conscience et à la seule conscience, la morale a des


attentes plus élevées que le droit. En effet, elle a pour fonction de faire tendre
l’individu vers un idéal : la morale est essentiellement individualiste et ne concerne que
les consciences individuelles. La morale vise à perfectionner l’individu.
Le droit ne s’adresse pas aux consciences. Alors qu’une envie de meurtre est moralement
sanctionnée, le droit ne prendra en compte que le passage à l’acte pour le réprimer, fut-ce
une simple tentative. La morale s’adresse au for intérieur tandis que le droit concerne
la manifestation extérieure des pensées et leur incidence sur le groupe.

Toutefois, dans une certaine mesure, le droit s’inspire de la morale. Le droit


s’appuie nécessairement sur des considérations de justice et contient des règles qui
traduisent certaines positions morales.

On trouve nombre de règle de droit qui font référence à la morale. C’est le cas des
articles 6 et 1133 ancien du Code civil qui interdisent, sous peine de nullité, qu’un contrat
soit contraire aux bonnes mœurs. A noter toutefois que cette notion est aujourd’hui tombée
en désuétude dans le domaine contractuel à tel point que cette référence doit disparaître
du Code civil à l’occasion d’une prochaine réforme du droit commun du contrat. De la
même façon le délit d’outrage aux bonnes mœurs a disparu du Code pénal en 1994, mais
l’article 227-24 qui vise le délit de diffusion de messages pornographique est sous-tendu
par une telle idée. L’article 371-1 du Code civil relatif à l’autorité parentale dispose
encore aujourd’hui qu’elle appartient aux parents jusqu’à la majorité ou l’émancipation de
l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son
éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne.

Autre exemple : pour l’élaboration de la loi du 24 juillet 1994 relative au respect du corps
humain dite loi bioéthique, le législateur s’est appuyé sur l’avis du Conseil consultatif
national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé. Ce comité est compétent pour
donner des avis d’ordre moral sur la recherche et les pratiques scientifiques (notamment
sur la recherche en matière génétique).

C- Droit et justice

On a tendance à lier, dans le langage courant, le droit et la justice. Encore faut-il


s’accorder sur ce que l’on entend par justice.
Le dictionnaire de l’Académie française (9ème édition), donne un certain nombre de
définitions du terme de « justice » : la Justice, avec une majuscule, renvoie à l’autorité, à
l’institution comprenant l’ensemble des tribunaux, des juges, et qui est chargée de
rendre la justice.
Selon un premier sens, la justice est le principe par lequel on reconnaît ce qui est
conforme au droit. Toutefois le dictionnaire ajoute immédiatement qu’il s’agit d’une
exigence morale selon laquelle on rend à chacun ce qui lui appartient. En réalité cela
renvoie à des conceptions différentes de la justice : la justice distributive et la justice
commutative :
– La justice commutative établit une équivalence mathématique entre les choses.
Elle renvoie plutôt à l’idée d’égalité. Ainsi, selon la justice commutative telle que
décrite par Aristote, la justice commutative ignore les différences entre les
individus et donne la même part à chacun.
– La justice distributive se préoccupe au contraire de la valeur respective des
différentes personnes et de leurs mérites. La justice distributive est donc une
justice au mérite. Aristote la décrit comme une justice qui s’exerce dans la
distribution des honneurs, des richesses ou autres avantages qui peuvent être
répartis entre les membres d’une communauté politique en fonction de leur mérite.
En d’autres termes, à mérites inégaux, parts inégales.
Selon un second sens, la justice c’est « l’action de reconnaître le bon droit de quelqu’un,
de lui accorder ce qu’il est juste qu’il obtienne ». De ce point de vue, la justice renvoie à
l’idée d’équité que l’on verra en suivant. Le troisième sens prolonge le second : la justice
c’est le pouvoir de faire droit à chacun, c’est-à-dire de récompenser et de punir. On
passe ainsi de la justice en tant que vertu morale (premiers sens), à une aspiration
concrète des individus. Chacun aspire en effet à ce que son dû soit respecté et si tel n’est
pas le cas, qu’il lui soit fait justice, autrement dit qu’il soit rétabli dans son droit.

Il n’est pas impossible que le droit et la justice entrent en opposition. L’Histoire est
malheureusement jonchée de lois injustes (exemple parmi d’autres, les lois de
Nuremberg). On illustre traditionnellement cette opposition par une phrase de Goethe
selon laquelle « Mieux vaut une injustice qu’un désordre » : le droit doit assurer l’ordre
social, fut-ce au prix d’une injustice, quelque regrettable qu’elle soit.

Les rapports du droit et de la justice, quelle que soit la conception retenue, paraissent
cependant évidents : d’après ce qui vient d’être dit, le droit doit traduire dans des règles
les aspirations légitimes à la justice émanant du corps social. Ce n’est d’ailleurs que
parce que la loi sera perçue comme juste qu’elle pourra être respectée. En effet, la loi
injuste ne peut que se heurter à la résistance des consciences et de la société.

En fin de compte, selon Philippe Jestaz, la justice serait une composante


irréductible du Droit, et seule l’idée du juste permet d’avoir la paix sociale.

D- Droit et équité

L’équité renvoie à l’idée de juste traitement, autrement dit à une certaine forme de
justice. L’équité se distingue du droit en ce qu’elle recherche ce qui est dû à chacun, au-
delà de l’application des seules règles du droit en vigueur. Ainsi, l’équité permet de
corriger l’application stricte d’une règle de droit qui pourrait alors devenir injuste
dans sa mise en œuvre. Elle semble se placer davantage au moment de la
concrétisation de la règle de droit, au moment de sa mise en œuvre par le juge plus qu’au
moment de son élaboration par l’État.

Philippe Jestaz a ainsi pu définir l’équité comme étant la justice avec un « j » minuscule :
c’est la « justice discrète » des cas particuliers.

En ce sens l’équité peut s’opposer au droit. En effet, si l’équité a pour but de corriger des
inégalités, le droit doit faire régner la justice, certes, mais également la paix, l’ordre et la
sécurité. Or le juge rend ses décisions selon les règles de droit applicables au litige. Dès
lors, l’application de la règle peut s’avérer conforme au droit en vigueur, mais injuste dans
le cas particulier.

En réalité l’équité guide l’action du juge mais aussi celle du législateur.


Certains textes visent d’ailleurs directement l’équité. C’est le cas de l’ancien article 1135
(désormais article 1194) du Code civil selon lequel « Les conventions obligent non
seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l’équité, l’usage ou
la loi donnent à l’obligation d’après sa nature ». L’article 700 du code de procédure
civile permet en outre au juge de condamner une partie à payer une certaine somme qu’il
fixera dans son jugement « lorsqu’il lui paraît inéquitable de laisser à la charge de l’autre
partie » certains frais tels que les honoraires de son propre avocat. Par souci d’équité, le
juge peut accorder des délais de paiement au débiteur de bonne foi (ancien article 1244-1
du Code civil devenu 1343-5). L’article 12 du Code de procédure civile permet enfin au
juge de statuer en équité lorsque les plaideurs l’y autorisent par un accord exprès et pour
les droits dont ils ont la libre disposition.

L’équité donc n’est pas le droit, mais l’équité guide l’action du juge et des
autorités productrices des règles de droit. En ce sens l’équité est une source discrète
mais omniprésente du droit.

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