Vous êtes sur la page 1sur 3

Études rurales

Amos Rapoport, Pour une anthropologie de la maison.


Edith Beaudoux-Kovats

Citer ce document / Cite this document :

Beaudoux-Kovats Edith. Amos Rapoport, Pour une anthropologie de la maison.. In: Études rurales, n°57, 1975. pp. 109-110;

https://www.persee.fr/doc/rural_0014-2182_1975_num_57_1_1973_t1_0109_0000_1

Fichier pdf généré le 31/03/2018


COMPTES RENDUS

Amos Rapoport, Pour une


anthropologie de la maison. Paris, Dunod,
1972, 207 p., bibl., ill. (Aspects de
l'urbanisme).

Dans ce petit livre dense et bien documenté, A. Rapoport part en guerre contre
toutes les explications unilatérales du phénomène de « l'habiter ». Constatant la faible
importance numérique du bâtiment de style, créé pour et par une élite, l'auteur se
penche sur l'habitat populaire ou « veraaculaire », cadre de vie de la majorité des peuples,
porteur d'une tradition régulatrice, d'une certaine éthique aussi, où le respect de la
nature et de l'environnement bâti semble avoir un sens.
Il n'est pas inutile de souligner que les auteurs auxquels se réfère A. Rapoport du
point de vue socio-anthropologique sont L. Mumford pour qui l'homme était un créateur
de symboles avant d'être celui des techniques, R. Redfield et sa typologie « folk/urbaine »
et Ruth Benedict qui insistait sur le fait que chaque société mène une sélection dans
l'importance accordée à telle ou telle institution culturelle. Nous reviendrons plus loin
sur les limites qu'impliquent ces cadres analytiques de la société.
Passant en revue les différentes théories sur la forme de la maison, théories qui
invoquent tour à tour l'adaptation au climat, les contraintes dues aux matériaux et aux
connaissances techniques, la nature du site, les besoins liés à l'économie ou au rôle de
la stratégie militaire, enfin l'importance de phénomènes religieux, Rapoport les écarte une
à une en montrant, preuves à l'appui, leur insuffisance. Pour lui il ne saurait y avoir
une explication unilatérale de la forme de l'habitat et il critique en particulier les théories
du déterminisme physique. L'immense variété des solutions et des formes que nous
constatons laisse penser que l'environnement physique fournit des possibilités ou des
limitations à l'intérieur desquelles chaque société opère un choix qui n'est pas le résultat
d'une cause unique, « mais la conséquence de toute une série de facteurs socio-culturels
considérés dans leur extension la plus large ; [...] ce qui décide finalement de la forme
d'une habitation et modèle les espaces et leur relation, c'est la vision qu'un peuple
a de la vie idéale » (p. 65), et qui se traduit aussi dans ses institutions économiques,
sociales et religieuses. Chaque société opère un choix spécifique quant aux normes et
aux formes de ses institutions ; elle interprète de manière culturelle des « besoins
fondamentaux » tels que la nécessité de s'abriter, de se nourrir, d'avoir des relations sociales ;
elle donne sa propre définition du temps, de la pauvreté, de l'intimité, du niveau sonore
toléré ; elle définit le statut de la femme et des enfants ; à tout cela correspondent
différentes formes d'habitat et différentes dispositions de l'intérieur du cadre habité. De
multiples solutions sont donc possibles et même dans les conditions écologiques les
plus sévères un choix existe et rien n'est inévitable.
A. Rapoport ne sous-estime pourtant pas l'importance des facteurs climatiques et
techniques ni la disponibilité ou rareté des matériaux, mais pour lui ce sont là des données
qui modifient la forme et non la déterminent. Il tente de définir une échelle de degré
de contrainte (criticality) de ces facteurs et avance l'idée que plus ce degré de contrainte

Études rurales, 1975, 57, jfonr.-mars, pp. 109-133.


110 COMPTES RENDUS

est faible plus les facteurs socio-culturels et religieux peuvent agir, mais même dans
les cas extrêmes ceux-ci joueront toujours un rôle essentiel. La forme de l'habitat est
donc le résultat de l'opération de plusieurs forces qui se combinent car « l'homme
construit peut-être pour dominer son environnement mais c'est autant l'environnement
interne, social et religieux que l'environnement physique qu'il domine » (p. 83). L'auteur
fournit de nombreux exemples à l'appui de ses thèses, exemples ayant trait tant à la
forme de la maison qu'à sa disposition interne (on pourrait aussi citer en ce sens l'analyse
faite par L. Bernot de la maison marma), ainsi qu'à la disposition des maisons les unes
par rapport aux autres.
L'auteur, ayant ainsi défini les facteurs essentiels, examine ensuite les « conditions
modifiantes » — climat, matériaux disponibles, connaissances technologiques — , pour
souligner la connaissance qu'ont les sociétés traditionnelles de leur environnement et
le degré d'efficacité, voire de raffinement technique et d'harmonie, auquel bon nombre
d'entre elles arrivent. Il en vient ainsi, dans une courte conclusion, à poser un regard
quelque peu désenchanté sur les constructions des sociétés industrielles occidentales
(l'habitat paysan faisant partie de l'ensemble traditionnel) et il constate que nous aurions
bien des leçons à tirer de l'habitat populaire. Nous nous trouvons devant un éventail de
choix excessif et nos réponses en matière d'habitat sont de plus en plus liées aux
fluctuations de la mode, au besoin de prestige, à l'influence des mass media, à une manière
conquérante de concevoir notre environnement naturel.
Le livre de A. Rapoport est enrichissant dans la mesure où il met en évidence la
complexité des déterminants du mode d'habiter et où il fait bien sentir que l'habitat,
cadre visible, est porteur d'une infinité d'invisibles, sociaux et symboliques, qu'il s'agit
de découvrir pour comprendre celui-là. Il ne néglige pas non plus les effets sur l'habitat
traditionnel de la colonisation et des valeurs qu'elle véhicule (prestige du toit de tôle,
idéal pavillonnaire occidental) ainsi que l'influence qu'a pu avoir le bâtiment de style
sur l'habitat traditionnel (influence du baroque germanique sur les fermes autrichiennes
et suisses). Mais son ouvrage a néanmoins un certain nombre de faiblesses. La première
tient à son adhésion aux théories de Redfield dont le schématisme des typologies a déjà
été trop critiqué pour que nous y revenions ; cela entraîne chez l'auteur l'emploi de
certains concepts (conception du monde, caractère national) flous et assez inopérants.
Enfin, il nous semble que sa position soit trop idéaliste : les choix socio-culturels
n'existent pas en soi, mais font partie d'un tout où l'organisation économique, les rapports
de production et de pouvoir jouent un rôle fondamental. Le fait que la maison d'un chef
de village soit plus grande, plus ornée, qu'elle soit construite collectivement a une
signification qui dépasse le culturel, le symbolique. Le fait qu'un habitat comme la « case »
guadeloupéenne constitue depuis plus de trois siècles un modèle quasi unique et toujours
vivace, ne peut être expliqué par la seule volonté de construire un environnement idéal
mais renvoie directement à la persistance d'un mode de production et à la nécessité
pour un prolétariat rural de compléter ses maigres revenus par une économie d'auto-
subsistance.
Cela dit, ce livre n'en constitue pas moins une excellente introduction au phénomène
de l'habiter, aidé en cela par de nombreux croquis et par une bonne bibliographie
thématique. Regrettons simplement le caractère parfois laborieux de la traduction et le
caractère approximatif du titre français (titre original : House Form and Culture).

Edith Beaudoux-Kovats

Vous aimerez peut-être aussi