Vous êtes sur la page 1sur 12

Caravelle

Le nahualisme dans Hombres de maíz de M. Á. Asturias


Marie-Louise Ollé

Citer ce document / Cite this document :

Ollé Marie-Louise. Le nahualisme dans Hombres de maíz de M. Á. Asturias. In: Caravelle, n°76-77, 2001. Hommage à
Georges Baudot. pp. 593-602;

doi : https://doi.org/10.3406/carav.2001.1336

https://www.persee.fr/doc/carav_1147-6753_2001_num_76_1_1336

Fichier pdf généré le 13/09/2018


Résumé
RÉSUMÉ- L'analyse du traitement tropique et symbolique du nahualisme dans Hombres de maíz tente
de mettre au jour les rapports texte-lecteur que forge l'écriture de M. Á Asturias. Le nahualisme est un
exemple probant d'élaboration d'un contrat de véridiction interne au texte qui fonde les conditions de la
vraisemblance. L'étude du personnage de « Correo-Coyote » permet de suivre la mise en place
progressive de sa double nature. Sa mise en parallèle avec Goyo Yic/« tacuatzin » démontre
l'importance diégétique et symbolique du motif du nahual.

Abstract
ABSTRACT- The analysis of the tropic and symbolic treatment of nahualism in Hombres de Maíz tries
to bring out the relations text-reader that M.A. Asturias's writing invents. The nahualism is a probing
example of the making up of a veridiction contract internal to the text that installs the foundations for
verisimilitude's conditions. The study of the character « Correo Coyote » enables to follow the
progressive establishment of his double nature. Its parallel establishment with Goyo Yic/ « tacuatzin »
demonstrates the diegetic and symbolic importance of the nahual motif.

Resumen
RESUMEN- El análisis de los tropos y de su sentido simbólico en el tema del nahualismo en Hombres
de maíz intenta poner de manifiesto las relaciones texto- lector, instauradas por la escritura de M. Á.
Asturias. El nahualismo es un buen ejemplo de cómo el texto elabora un « contrato de veridicción »
propio que fundamenta la verosimilitud. El estudio del personaje del Correo-Coyote permite seguir la
progresiva construcción de su doble naturaleza. Su comparación con el personaje de Goyo Yic-
Tacuatzín evidencia la importancia diegética y simbólica del motivo del nahual.
C.M.H.LB. Caravelle
n° 76-77, p. 593-602, Toulouse, 2001

Le nahualisme dans
Hombres de maíz de M. A. Asturias

par

Marie-Louise OLLÉ
Université de Toulouse-Le Mirait

Quel rôle est dévolu au « couple figurai » de la métonymie et de la


métaphore dans l'écriture de M. á. Asturias ? Pour qui aborde cette
question un premier constat s'impose : la relativité de la réalisation
tropique et la tension entre pôle figuré et pôle littéral sont deux des
aspects les plus frappants du texte asturien que les tropes saturent de leur
omniprésence. Il n'est rien de moins figé que ce texte. L'instabilité
tropique y est stratégie discursive créatrice. Nous nous proposons d'en
observer la mise en oeuvre lorsqu'il s'agit tout à la fois d'instaurer le
contrat de véridiction1 entre le texte et son lecteur pour que les
fondements de la vraisemblance soient posés et de créer les conditions de
la lecture symbolique que ce dernier est invité à faire.
C'est plus précisément l'instabilité du binôme de la similarité
métaphore-comparaison qui contribue à une mise en place — « tout en
douceur », pourrait-on dire - du contrat de véridiction. La métaphore
asturienne n'est pas un simple fait de langue mais bien un fait de discours
dépendant tout autant d'une stratégie d'énonciation que des conditions
de réception. La réception du mode et du code de communication du
texte asturien dépendra en grande partie des referents du lecteur. Dans ce
texte plus encore que dans tout autre, l'intensité de l'effet particulier que

* A. J. Greimas définit ainsi le contrat de véridiction : « le discours est ce lieu fragile où


s'inscrivent et se lisent la vérité et la fausseté, le mensonge et le secret ; ces modes de
véridiction résultent de la double contribution de l'énonciateur et de l'énonciataire, ses
différentes positions ne se fixent que sous la forme d'un équilibre plus ou moins stable
provenant d'un accord implicite entre les deux actants de la structure de la
communication. C'est cette entente tacite qui est désignée du nom de contrat de
véridiction. », dans Du sens II. Essais sémiotiques, Paris, Le Seuil, 1983, p. 105.
594 C.M.H.LB. Caravelle

toute figure opère sur le récepteur dépend du récepteur lui-même, de


l'extension du domaine de ses connaissances.
Le lecteur est-il muni d'une solide connaissance du monde culturel
mésoaméricain précolombien et de ses mythes ? Sa perception du texte et
de ses réalisations discursives se fera alors immédiatement au niveau du
symbolique, le contrat de véridiction étant un acquis externe au texte,
antérieur à sa lecture. Dans de telles conditions de réception, la
métaphore s'estompera et avec elle sa force poétique ; elle sera de l'ordre
de l'utilitaire, le simple véhicule de l'expression mythique. Il y aura de la
part de ce lecteur saisie immédiate du VOULOIR FAIRE symbolique du
texte. Mais si le récepteur est dépourvu d'une partie de l'encyclopédie
requise, ses referents ne seront à l'évidence pas les mêmes et sa perception
sera différente, cela restituera ou donnera au texte une puissance
expressive métaphorique qu'une surprésence de références culturelles
gomme dans le premier cas envisagé. L'énonciation métaphorique
caractéristique des mythes mésoaméricains aura alors un rôle capital dans
l'instauration du contrat de véridiction. Et c'est l'intratextualité, en
grande partie grâce à la force expressive des réseaux métaphoriques et
symboliques, qui médiatisera la lecture mythique du texte.
Dans cette perspective, le cas du nahualisme est particulièrement
intéressant à analyser si on considère que l'enjeu du message, et donc le
travail du texte qui tout à la fois porte et construit ce message, est
d'ouvrir le récepteur à une autre dimension. Il ne s'agit pas d'un simple
enjeu ludique mais de faire en sorte qu'une perception autre des rapports
entre les éléments constitutifs du monde s'inscrive comme acceptable,
une perception qui relève du domaine du symbole. Asturias ne pouvait
que jouer avec l'élasticité de la perception de ce phénomène culturel2
pour la mettre au service de la construction du monde et du message qui
émanent de son œuvre : la dualité des êtres et des choses et la dialectique
de dépassement à laquelle celle-ci oblige.
Le nahual est ainsi une bonne illustration de la relativité de la
perception tropique. Reposant sur une croyance fort répandue dans le
monde méso-américain, il est à la fois métaphore et symbole des
possibilités et qualités de l'être dont il est le double, animal ou végétal,
voire minéral. On peut ainsi considérer que le nahual est une réalisation
accomplie de la métaphore pure, le plus haut degré de la translation où
pôle figuré et pôle littéral semblent se confondre à l'instar de la
métaphore des « hommes-lions » analysée par A. J. Greimas3. Mais,
lorsque, comme cela se produit parfois, le personnage se métamorphose
en son nahual, nous ne sommes plus sur l'axe paradigmatique de la
similarité mais sur celui, syntagmatique, de la contiguïté car la

2 Voir A. Erice, « Reconsideración de las creencias mayas en torno al nahualismo », dans


Estudios de cultura maya, Mexico, UNAM, 1986, vol. XVI, p. 255-270.
3 A. J. Greimas, Sémantique structurale, Paris, PUF, 1986, p. 100-101.
Nahualisme chez Asturias 595

transformation juxtapose les deux éléments, homme/nahual. Asturias


explore et exploite, dans la plupart de ces textes, les possiblités
signifiantes du nahualisme mais aussi les formidables ressources de
création romanesque que celui-ci représente. Dans Hombres de maîz> le
nahual est un des motifs narratifs les plus spectaculaires.
Jouant sur le registre métaphorique et métonymique, le texte propose
une série de personnages à corps multiple : l'initié, tout à la fois
« Curandero-Venado de las Siete-rozas » et « brujo de las luciérnagas »,
María Tecún, « piedra allá y gente aquí », Goyo Yic-« tacuatzín » et
Nicho Aquino-« Correo-Coyote ». Pour que ce corps multiple qui
implique une suppression des frontières entre les espèces soit acceptable
par un lecteur non averti, il faut créer les conditions d'un pacte fictionnel
dans lequel la clause de « suspension de l'incrédulité » soit plus large. En
effet, il ne s'agit pas seulement d'un pacte fictionnel mais d'un véritable
enjeu : rendre concevable cette perception de l'être intrinsèque du
nahualisme.
qu' Asturias construit
C'est par
cettepaliers,
vraisemblance
et avecdul'appui
corps ouvert
logistique
et multiple
tropique,
des
deux personnages les plus impliqués diégétiquement : Goyo Yic-
« tacuatzín»^ et Nicho Aquino-« Correo-Coyote » Nous prendrons le
trajet de ce dernier comme exemple de cette stratégie d'écriture.
« Correo-Coyote » est le héros éponyme du dernier épisode, le plus
long, en grande partie consacré à l'aventure du courrier structurée autour
de la disparition de sa femme et de la rencontre du « viejo de las manos
tiznadas », un des avatars de l'initié. Ce dernier sera le guide du voyage
souterrain que Nicho, Correo et Coyote, entreprend et qui sera une
descente métaphorique au cœur de la connaissance.
Par le titre et dès les premières lignes, le lecteur se voit contraint
d'établir une relation entre Nicho Aquino, le courrier de San Miguel
Acatan et l'animal. Mais c'est sur un simple plan métaphorique que
s'opère cette première association par les sèmes /mouvement/ et /vélocité/
du FAIRE /courir/ qui réunit les deux termes. Reste à induire
progressivement qu'il ne s'agit pas de FAIRE mais d'ÊTRE.
Le premier recours est l'animalisation, mise en place par touches
légères car elle repose, au départ, sur des expressions lexicalisées ou des
emplois figurés courants. Il y a d'abord la chaîne sémantique qui relie,
dès le début, trotar—) caballo —» cola — > perro — > bestia — > gusano et
aboutit à « El correo, cuando eraei señor Nicho » (p. 145)5 :

4 tacuatzín : terme employé en Amérique Centrale pour désigner la sarigue. Voir aussi
l'étymologie de tacuatzín de « tacuat : comilón » et « zintli : maíz », J. L. Arrióla, Pequeño
diccionario etimológico de voces guatemaltecas.
5 Toutes les citations de Hombres de maíz renverront à l'édition suivante : ALLCA XX,
madrid, 1992, col. Archivos.
596 C.M.H.LB. Caravelle

• Se huyó la mujer del Señor Nicho, el correo, mientras él salvaba a pie


montañas, aldeas, llanuras, trotando para llegar [...] con la
correspondencia de la capital, (p. 144)
• La llamará « tecuna », « tecuna », doliéndole como matadura de caballo
el corazón y se morderá la cola, pero se la morderá solo [...] en tanto los
alemanes con comercio en la población leerán las cartas [...] traídas por
el señor Nicho, con devoción de perro, (p. 144)6
• ¡Qué de mentiras [...] después de la llegada de la bestia descalza del
correó1. [...] el señor Nicho se encogerá como gusano destripado por la
fatalidad, (p. 145)7
Au-delà du passage du mouvement {trotar/caballo) à l'immobilité
{gusano destripado) qui traduit la douleur de l'homme, c'est
l'animalisation caballo/perro qui importe, chacun des deux animaux
renvoyant au coyote du titre, le premier par l'activité, le second par
l'aspect. L'expression « morderse la cola », de tonalité populaire marquée,
est doublement reçue comme métaphore : par enchaînement
{trotar/caballo) et par adaptation des expressions réactivées, « morder el
freno », « morderse las manos » ou « comer cola »8 qui disent
respectivement l'impuissance, la colère et la déception. L'accent est mis
par cette activité sémantique sur le terme cola qui, associé au support,
perro, de la comparaison qui suit, ne peut que conduire à coyote. La
métaphore qui marque l'aboutissement de cette déshumanisation rend
effective l'animalisation de Nicho mais aussi sa réduction à une fonction,
une fonction qui tient lieu d'identité, une fonction qui est effectivement
celle qui justifie, diégétiquement et symboliquement la présence de ce
personnage : Nicho Aquino sera le messager, le relais, le passeur. La
métaphore fait place à la métonymie « el hombre-carta » (p. 184).
Le procédé de l'animalisation consiste à construire les conditions
d'une identification Nicho/coyote. Comme dans le cas du Curandero/
Venado, cela passe par faire que certains traits physiques du relais de
postes suggèrent ceux du coyote. Ainsi, on insistera, par l'image
rhétorique, sur deux détails physiques clairement connotes /coyote/: « el
bigote en dos escobillas pitudas sobre las comisuras », « caído de hombros
como botella » (p. 149).
Suivront quelques repères donnés au lecteur sur cette croyance, mais
sous l'éclairage ladino et ce, par le truchement des réflexions du Père
Valentín Urdáñez sur le nahualisme et sur Nicho lui-même — et c'est la
première remarque explicite : « este Nichón dicen que se vuelve coyote »

" Souligné par nous.


' Souligné par nous.
8 « corner cola : sufrir un desengaño », dans M. A. Morínigo, Diccionario del español de
América.
Nahualisme chez Asturias 597

(p. 156) - ou par la voix du petit peuple des muletiers : « Para mi que es
verdad que se vuelve coyote, al salir del pueblo » (p. 161).
On progresse ainsi dans la formation de cette image double où se
confondront homme et animal et qui mène à la fusion en passant par des
comparaisons et des métaphores dont le statut d'équivalent analogique
devient plus ambigu. L'ambiguïté réside dans la lecture métaphorique ou
denotative qui peut être faite de l'équivalence correo/coyote dans certains
passages. Ainsi, lors de la rencontre avec son futur guide vers le mystère
de la « gruta luminosa », « Correo-Coyote » lui confesse sa douleur du
départ de sa femme en ces termes : « me voy de mí mismo, como
resplandor de filo de machete ». Ce à quoi le narrateur ajoute, après que
le sorcier a invité Nicho à le suivre :
Al infeliz correo se le llenaron los ojos de coyote de agradecimiento. Al
fin oía de boca de cristiano lo que ansiaba escuchar la noche que entró en
su rancho y lo encontró vacío. Aquella noche que pasó aullando, como
coyote, mientras dormía como gente, (p. 181)
Puis vient le long intermède du voyage de Hilario Sacayón, parti à la
recherche de Nicho et qui, passant par la Cumbre de María Tecún, aura
l'impression qu'un étrange coyote rôde :
¿Sería o no sería coyote? Cómo dudar que era coyote si lo vio bien. Allí
estaba la duda, en que lo vio bien y vio que no era coyote, (p. 195)
Le parcours de ce personnage, incrédule avant l'étrange vision, pris de
doute dans ce passage, et enfin rempli de la certitude que là réside un
mystère, une vérité occulte, n'est-il pas la métaphore du parcours auquel
le texte invite le lecteur :
Dueño de una verdad oculta, callaba, callaba y en sus ojos, al dormirse,
juntábase la imagen del correo desaparecido [...] con el sueño que era
una especie de coyote suave, de coyote fluido, de coyote oscuridad en
cuya sombra se perdían, en cuatro patas, los dos pies del correo...
(p. 245)
Le retour au premier plan de la diégèse de Nicho Aquino, qui va
entamer son voyage initiatique dans les entrailles de la terre, s'ouvre sur la
description, non plus de « Correo-Coyote », mais du coyote-correo. Par le
jeu permanent d'alternance des perspectives externe/interne, mais surtout
des points de vue du coyote et de l'homme, se met définitivement en
place la dualité animal/humain dans une appréhension fragmentée du
corps /coyote/. C'est une silhouette qui s'esquisse avec une attention
toute particulière portée sur la zone de la motricité - c'est un corps dans
la dynamique de sa course qui nous est présenté - et sur la zone de
l'ingestion (la voracité comme signe de l'animalité). Cette appréhension
passe par une série de comparaisons et de métaphores dont la majeure
partie repose sur des sèmes qui, de façon complémentaire, vont alimenter
le pôle animal. Ce sont les sèmes /aspérité/ ou /dureté/ que l'on retrouve
598 C.M.H.LB. Caravelle

dans carne/zapote sin madurar, vello heladoIzacate, sangreImetal


amalgamado et le sème /violence/ contenu dans sangre/lava con rabia,
sangre/voracidad solar, cabeza/hacha. À ces sèmes il convient d'ajouter les
sèmes /rouge/ (zapote, rojo puro, encías de glorioso color de sandía) et /feu/
(voracidad solar, metal). La simple comparaison vue antérieurement et
portant sur Nicho, « me voy de mí mismo, como resplandor de filo de
machete », prend sa place dans le réseau métaphorique /coyote/ et la
violence qu'elle connotait trouve toute sa signification.
Ainsi, le réseau métaphorique contribue ici à la perception du
"doublet" I coyote vs correol à travers les binômes /force animale vs
fragilité humaine/ —> /animalité vs humanité/ — » /instincts vs raison/ que
confirment ces deux extraits :
• La afirmación de una cárcel de fibras musculares, tensas, rejuvenecidas,
bañadas por lava con rabia de sangre y teniendo de sangre sólo el rojo
puro, la voracidad solar de metal amalgamado que reduce a la impotencia
al suave hermano que se le agregó en busca de protección, (p. 245)
• [...] llegó a tener el alerta del instinto elemental, de su apetito feroz
guardado en el estuche de su boca hocicuda. Cadenas de salivas
relumbrantes de mares de apetitos más profundos y sensuales que la
sombra guardada en las pepitas negras de las frutas, (p. 246)
Les réflexions prêtées à Hilario Sacayón, quelque quarante pages
avant, prennent ici leur pleine fonction de prolepse en même temps
qu'elles sont une glose anticipée de cette séquence mais aussi une
orientation de lecture symbolique du nahual :
[rechazaba] el que un ser así, nacido de mujer, parido, amamantado con
leche de mujer, bañado en lágrimas de mujer, pudiera a voluntad volverse
bestia, convertirse en animal, meter su inteligencia en el cuerpo de un ser
inferior, más fuerte pero inferior, (p. 206)
Cependant, cette figure est plus positive que négative : la seconde
évocation métaphorique du coyote-correo, ajoutant la pluie (« patas de
lluvia corredora ») et le maïs9 (« dientes de mazorca de maíz blanco ») au
feu (« quemantes ojos de fuego líquido »), relie cet animal à la
symbolique de la vie.
La trajectoire de « Correo-Coyote » est, en effet, métaphore de
l'expérience initiatique dont l'aboutissement est une connaissance qui
inclut les deux pôles de l'être et de sa circonstance. Son parcours
souterrain est celui d'une double découverte, d'une prise de conscience

9 II est un des animaux qui aidèrent l'homme à découvrir le maïs. Voir R. Prieto,
« Tamizar tiempos. . . », dans l'édition de référence de Hombres de maíz, p. 630.
Nahualisme chez Asturias 599

du Mystère — « los que regresan [de las cuevas subterráneas] con vida
vuelven del misterio »— et de "la part d'ombre" de son être 10 :
Los que bajan a las cuevas subterráneas [...] van al encuentro de su
nahual, su yo-animal protector que se les presenta en vivo, tal y como
ellos lo llevan en el fondo tenebroso y húmedo de su pellejo, (p. 256)
Diégétiquement et symboliquement, il est l'instrument de la
connaissance. En cela il remplit parfaitement la fonction de courrier.
Presque au terme de sa trajectoire, on trouve l'ensemble métaphorique-
clé sur deux paliers, cosmos [I] et carne [II], dont les foyers comparants
sont correo-correspondencia et tecuna-estrella fugaz :
[I] ¡Hermano del correo es el horizonte del mar cuando se pierde al
infinito para entregar la correspondencia [...] ¡Hermano del correo, los
bólidos que llevan y traen la correspondencia de las estrellas, madrinas de
las «tecunas» y «tecunas» ellas mismas, porque después de beber espacios
con andadito de nube, se van, desaparecen, se pierden como estrellas
fugaces! ¡Hermanos del correo los vientos que traen y llevan la misiva de
las estaciones! (p. 251)
[II] La carne tiene probada la bebida de emigrar, polvo con andadito de
araña, y tarde o temprano elle también emigra commo estrella fugaz,
como la esposa fugaz escapa del esqueleto en que le tocó estar fijamente
por una vida, se va, no se queda, la carne también es «tecuna»...
(p. )n

L'analogie cosmos/correo [I] en trois temps implique une trajectoire


humaine et cosmique identique ; le comparant correspondencia prend
toute son amplitude sémantique de correspondencia-misiva (contenant et
contenu) et de correspondencia au sens de « relación entre cosas que se
corresponden ». N'est-ce pas de cela qu'il s'agit, de correspondance entre
toutes les composantes de l'univers soumises au même et unique
mouvement de la vie ? Ainsi s'inscrit, par le jeu sur la double acception
de correspondencia, la lecture directe et indirecte de ce premier ensemble.
L'évocation des saisons qui suit mène au palier [II] par le motif de la
« tecuna », dans un renversement de perspective très asturien. La parfaite
symétrie spéculaire, [I] tecuna-estrella fugaz <-> carne-estrella fugaz-tecuna
[II], est renforcée par la similarité des termes qui, en [I] et [II],
développent le thème de la fuite du temps dans une isotopie du
mouvement d'une grande densité. La métaphore nous conduit à une
première clé symbolique de la « tecuna ». Elle est symbole de la fugacité
de la vie appréhendée dans la matérialité du corps qu'implique le
comparé carne. Mais il est question du cycle des saisons et non de la vie

10 Pour une lecture psychanalytique du nahualisme, voir E.L. Hill, Miguel Ángel
Asturias. Lo ancestral en su obra literaria, New York, Eliseo Torres & sons, 1972, p. 136-
155.
1 1 Souligné par nous.
600 C.M.H.LB. Caravelle

mais d'une vie. Il s'agit de lire là une double expérience de l'être et de sa


circonstance qui peut s'inscrire ainsi : ma vie —> ma mort — > une (des)
vie(s) — > une (des) mort(s) —■> LA VIE. Mais c'est avec la réapparition de
María Tecún/ Cumbre dans les dernières séquences du roman que cette
lecture symbolique prendra toute son ampleur.
Symbole du mouvement qui permet la correspondance, il reste, en
effet, au personnage « Correo-Coyote » à remplir sa fonction de passeur :
il conduira donc María Tecún vers Goyo Yic, père et fils, en lui faisant
faire la traversée jusqu'à l'île où ils sont emprisonnés. Et l'épilogue
confirmera que la figure du passeur Nicho Aquino s'inscrit sur le pôle
contraire de Charon. Ici, il s'agit de (re)commencement et non de fin.
Le rapport que la diégèse et le traitement métaphorique établissent
entre les personnages de Nicho Aquino-« Correo-Coyote » et de Goyo
Yic-« tacuatzín-Tatacuatzín » est signe de leur complémentarité : chacun
marque une étape vers la connaissance, une forme de rapport entre l'être
et le monde. Cette lecture est en grande partie induite par l'importance
du motif du nahual dans la construction de ces deux personnages et la
similarité du traitement qui en est fait.
Cette commune condition des personnages met l'accent sur les
nombreux points qui les rapprochent : disparition de la femme aimée,
solitude et quête douloureuse de l'absente. Cette quête permet de
conduire par étapes les deux personnages à une évolution que tous deux
doivent à l'initié. Pour Goyo, c'est « el herbolario » qui, en lui rendant la
vue, crée l'événement perturbateur qui fait basculer le personnage d'une
dimension dans une autre, pourtant, leurs trajectoires semblent
diamétralement opposées. Si le parcours de Nicho est, concrètement, un
parcours qui le mène de la surface aux profondeurs de l'inframonde, et,
métaphoriquement, de l'ignorance à la connaissance, la trajectoire de
Goyo Yic prend une direction contraire. Elle s'articule autour des deux
états physiques qui divisent son parcours diégétique en deux grandes
étapes, schématisé comme suit : /aveugle vs voyant/ — >/monde intérieur
vs monde extérieur/ —> /statisme vs déplacement/ —» /intériorité vs
extériorité/. Du moins dans l'épisode dont il est l'actant car les dernières
séquences et l'épilogue qui réunissent Nicho et Goyo inversent ces deux
trajectoires.
C'est une construction antithétique qui structure la fin de leur
trajectoire, à Nicho, vieillard solitaire et malade — « Peso y soledad de
plomo... » — s'oppose, dans les dernières lignes du roman, la fourmilière
de la sphère "Goyo Yic ". Goyo, abandonné par sa femme pour être un
géniteur trop zélé, voit la fin de son parcours marquée par la récupération
de son statut de père et d'époux, à la fois le père prolifique et la mère
métaphorique que suggère le mot-valise Tatacuatzin, l'homme de maïs
Goyo Yic retourne, avec sa famille à nouveau réunie par les soins du
passeur Nicho-« Coyote », à Pisigiiilito, terme d'une trajectoire positive.
Nahualisme chez Asturias 60 1

C'est l'image de la terre d'harmonie et d'abondance, abondance de la


récolte et prolifération des hommes de maïs, proposée par l'épilogue :
Viejos, niños, hombres y mujeres, se volvían hormigas después de la
cosecha, para acarrear el maíz; hormigas, hormigas, hormigas,
hormigas... (p. 281)
La complémentarité symbolique du parcours du coyote et de la
sarigue est donc proposée au lecteur non averti au terme d'une
minutieuse élaboration du motif du nahual qui intègre la trame serrée et
complexe des réseaux métaphoriques. C'est là rejoindre le lecteur averti
qu'est R. Prieto. Ce dernier, guidé par R. Girard, pose cette
complémentarité en retournant aux références culturelles et aux sources
d'inspiration de l'auteur : « el coyote representa la antigua cultura maya ;
como símbolo desaparece de la escena mitográfica al comienzo de la
cuarta creación cuyo emblema pictorial es la zarigüeya, dios del Alba
{Popol Vuh) »12
Voilà grossièrement tracées les lignes d'approche de ce qui est une
constante de la stratégie d'écriture de M. Á Asturias : mettre un
formidable appareil tropique au service des structures profondes de la
signification. Le cas du nahualisme dans Hombres de maíz permet d'en
appréhender quelques mécanismes. Le texte travaille à la mise en place
par paliers de rapports métaphoriques et métonymiques, d'un jeu subtil
d'entrelacs entre connotation et dénotation. La cohérence interne, les
referents intratextuels ainsi forgés viennent infléchir les codes sémiotiques
préconstruits du lecteur. Texte et lecteur, dans un subtil rapport de
compétence, travaillent à l'élaboration d'un contrat de véridiction qui
pose comme vraisemblable le monde proposé. Cette collaboration crée
les conditions nécessaires à l'assomption du symbole. Est mise en
évidence, une nouvelle fois, nous semble-t-il, la part active prise par le
lecteur - pour son plus grand plaisir - dans l'acte de vie du texte asturien.

RÉSUMÉ- L'analyse du traitement tropique et symbolique du nahualisme dans


Hombres de maíz tente de mettre au jour les rapports texte-lecteur que forge
l'écriture de M. Á Asturias. Le nahualisme est un exemple probant d'élaboration
d'un contrat de véridiction interne au texte qui fonde les conditions de la
vraisemblance. L'étude du personnage de « Correo-Coyote » permet de suivre la
mise en place progressive de sa double nature. Sa mise en parallèle avec Goyo
Yic/« tacuatzin » démontre l'importance diégétique et symbolique du motif du
nahual.

12 R. Prieto, op. cit., p. 631.


602 C.M.H.LB. Caravelle

RESUMEN- El análisis de los tropos y de su sentido simbólico en el tema del


nahualismo en Hombres de maíz intenta poner de manifiesto las relaciones texto-
lector, instauradas por la escritura de M. Á. Asturias. El nahualismo es un buen
ejemplo de cómo el texto elabora un « contrato de veridicción » propio que
fundamenta la verosimilitud. El estudio del personaje del Correo-Coyote
permite seguir la progresiva construcción de su doble naturaleza. Su
comparación con el personaje de Goyo Yic-Tacuatzín evidencia la importancia
diegética y simbólica del motivo del nahual.

ABSTRACT- The analysis of the tropic and symbolic treatment of nahualism in


Hombres de Maíz tries to bring out the relations text-reader that M.A. Asturias's
writing invents. The nahualism is a probing example of the making up of a
veridiction contract internal to the text that installs the foundations for
verisimilitude's conditions. The study of the character « Correo Coyote » enables
to follow the progressive establishment of his double nature. Its parallel
establishment with Goyo Yic/ « tacuatzin » demonstrates the diegetic and
symbolic importance of the nahual motif.

MOTS-CLÉS: M. Á. Asturias, Hombres de maíz, Nahualisme, Tropes, Symboles.

Vous aimerez peut-être aussi