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su f
bulaire trouve ses racines dans Hollywood (le patrimoine). Alain Corneau
Il n‘a jamais réalisé de blockbuster (gros carton au box— MC Solaar
LRLNS
C distlMLE
Robert De Niro dans Taxi Driver (1976). « Un film dont le matériau est l‘énergie nerveuse, agressive, bagarreuse. »
»— ration à quiconque fait moins de comme La Vallée de la peur, de Raoul compagner. Lorsque John Hinckley tire
cent millions de dollars de recettes, a Walsh, ou Une question de vie ou de sur le président Reagan par amour pour
rendu hommage en 1990 à l‘« un des mort, de Michael Powell, ont été res— la Jodie Foster de Taxi Driver, c‘est Scor—
deux plus grands cinéastes américains taurés, puis redécouverts. Il a « patron— sese qu‘on blâme. A la fin des années 80,
en exercice ». Lui, modeste : « Si vous né », en 1995, la ressortie américaine La Dernière Tentation du Christ, d‘après
commencez comme ça, on n‘ira pas de Belle de jour, de Buñuel, qui a connu le célèbre roman de Nikos Kazantzæ—
très loin ! Que voulez—vous que je vous un succès public inattendu. Dès la fin kis, est attaqué, boycotté, tout juste si
réponde : ”Qui est l‘autre ?” » Pour de l‘entretien qui suit, il partait pour le réalisateur n‘est pas excommunié. Il
l‘instant, on laissera cette chaise libre... Washington continuer à plaider la cause lui faudra attendre Les Affranchis, en
Il a enseigné le cinéma à l‘université du cinéma auprès du Congrès. 1990, pour reprendre pied...
de New York (Oliver Stone fut un de En l‘espace de trois ans, Mean Streets Situés sur Park Avenue, les bureaux
ses élèves). Il a touché à tout, à la fic— (1973) puis Taxi Driver (1976) l‘ont ca— de Scorsese sont gigantesques mais
tion mais aussi au documentaire (The tapulté dans le peloton de tête des jeu— encombrés, partout, de boîtes et de
Last Waltz), à la télé (Amazing Stories, nes cinéastes de la génération post— bobines de films. Dans chaque pièce,
une série produite par Spielberg), au Woodstock, iconoclastes qui allaient, près du téléphone, un inhalateur pour
vidéo—clip (Bad, de Michael Jackson), c‘est sûr, révolutionner l‘industrie, et se asthmatique côtoie une paire de lunet—
au théâtre (The Act, avec Liza Minnel— nommaient George Lucas, Francis Cop— tes. Dans la bibliothèque, les scénarios
1i), à la pub (Armani). Il a fait du mon— pola et Brian De Palma. Mais l‘échec de ses films, reliés, sont rangés par ordre
tage (Woodstock), de la production (Les de New York New York fait de Scorsese chronologique. Un peu plus loin sont
Arnaqueurs, de Stephen Frears), il a quasiment un paria. De ce musical, qui archivées les collections complètes de
même fait l‘acteur une vingtaine de se voulait « typiquement hollywoo— revues de cinéma du monde entier. Les
fois. Ses deux prestations les plus no— dien », il avait fait un sombre reflet de murs sont tapissés d‘affiches. On passe
tables : le client parano dans le taxi sa vie privée (« C‘est Godard qui m‘ a fait devant le mur italien (Paisa, La Dolce
conduit par Robert De Niro (« Là, c‘est mettre le doigt dessus. Lui—même avait Vita, Divorce à l‘italienne), on contourne
lui qui me dirigeait ») ; Van Gogh dans vécu une situation similaire avec Anna le panneau Orson Welles (Le Criminel,
un des Rêves de Kurosawa. Karina »). D‘ailleurs, à cette époque de Voyage au pays de la peur), on salue
Il mène combat pour la restauration sa vie, tout va trop vite. Il manque d‘en un Fritz Lang (Espions sur la Tamise) et
et la conservation des films. Sur ce plan— mourir... Raging Bull va cristalliser cette deux Hitchcock (L‘Ombre d‘un doute,
là, c‘est un militant. Grâce à la fon— expérience — et la purge. En partie. La Maison du Dr Edwardes), on entre
dation qu‘il a créée en 1990, des films La controverse ne cessera de l‘ac— dans la salle des ordinateurs. Toute la
NLLYVN
l‘énorme énergie qu‘il dégage. Son rire, m‘avait demandé de jouer dans son film
tonitruant, est juste un poil plus haut sur le maccartisme, La Liste noire. A
perché que celui de Richard Widmark cette époque—là, la barbe se portait rare—
PROD DB
dans Le Carrefour de la mort, et le souri— ment. Quand je l‘ai eu rasée,je me suis
re, identique : carnassier. Scorsese parle regardé dans une glace et... « hello ! », Sur le plateau des Affranchis (1990). La
de manière saccadée, à cette allure re—
HSHSYOIS
j‘avais l‘impression de me retrouver. « famille » autour de Mamma Scorsese.
cord qui lui a valu les surnoms de « Ma—
chine Gun Marty » et de « Motor—Mouth TRA : Selon la rumeur, vous en aviez TRA : Passion spirituelle autant que
Marty ». Il jure qu‘il s‘est calmé, qu‘il surtout assez de ressembler à Charles physique...
a ralenti le débit. On fait mine de le Manson. M.S. : J‘ai toujours été attiré par ce qui,
croire, mais il n‘est toujours pas repas— M.S. : [Il éclate de rire.] Tom Gries dans notre nature, relève de la spiri—
sé sous la barre des 300 mots—minute... m‘en avait proposé le rôle dans Helter tualité. Dans Little Italy, cette partie
A chaque question, il répond d‘une Skelter... Il m‘avait aussi dit : « Tu de— du Lower East Side de Manhattan où
phrase qu‘il ne finit pas, car il est capa— vras te raser le crâne. » Là, j‘ai calé. j‘ai grandi, je voyais que les disputes,
ble de faire une incidente d‘une bonne les discussions, les conflits se réglaient
dizaine de minutes sur l‘histoire du TRA : Votre nouveau film, Kundun, qui par la violence ou par la menace de
cinéma, ou sur la sienne propre. Ce qui raconte la vie du dalaï—lama, surprend violence. Puis j‘allais à l‘église, où
revient souvent au même. Il revoit sans par son ton, que certains jugent très j‘entendais parler de compassion,
cesse des films dans sa salle de projec— éloigné de vos derniers films... Est—ce d‘amour, de compréhension. Cette dua—
tion ou des scènes par—ci par—là grâce le deuxième volet d‘un diptyque amorcé lité, présente en chacun de nous, m‘a
aux magnétoscopes installés dans tou— avec La Dernière Tentation du Christ ? toujours fasciné. En préparant La Der—
tes les pièces. Ses proches et ses moins M.S. : Dans la mesure où les deux per— nière Tentation, je me suis aperçu que
proches ont depuis longtemps pris le sonnages suivent le même genre d‘iti— ce qui m‘empêchait d‘avoir une vision
pli : dès que vous mettez la main sur néraire, une évolution spirituelle sur un claire de la spiritualité, c‘était précisé—
un film inédit, très ancien, méconnu, arrière—plan historico—politique, oui. ment la religion.
américain, français, russe, albanais, chi— Reste que moi, je suis catholique, je me Avec Kundun, la question ne se posait
nois ou comorien, vous en faites « une situe à l‘intérieur des rituels, du dogme, pas. Il ne s‘agissait pas de faire un film
copie pour Marty ». Trois jours plus des questions, de la texture même de de propagande, ni une épopée histo—
tard, il vous en fera l‘analyse la plus l‘Église catholique. Dans La Dernière rique, ni une bio filmée au sens habituel
sensible et la plus intelligente. Tentation, j‘essayais de concilier à la du terme. Mais bien plutôt un portrait
Les piles de votre magnéto tombent fois. l‘essence divine de Jésus et son côté spirituel du dalaï—lama. Le vrai sujet,
en panne ? Il ne convoque ni secrétaire humain. Ce qui était, d‘ailleurs, le pro— c‘est l‘épreuve qu‘il subit à cause de ses
ni assistant, il déplace chaises, fauteuils pos du roman de Nikos Kazantzékis. convictions spirituelles, et qu‘il l®
et sofa, regarde sous le bureau, finit par
en trouver une, dans un placard à télé
qu‘il n‘a pas ouvert depuis cinq ans.
Puis il remet tout exactement à sa place.
Un soupçon dandy, un rien bordélique
mais parfaitement organisé. Durant
notre entretien, il n‘y aura pas un seul
coup de téléphone, personne n‘entrera
dans la pièce — le privilège est réservé
à Thelma Schoonmaker—Powell, der—
nière épouse du réalisateur Michael
Powell, chef monteuse de Scorsese
depuis Raging Bull, qui travaille à un
documentaire sur le cinéma italien, le
deuxième volet de ces Mémoires de
cinéphile que Scorsese a entrepris avec
le formidable Voyage de Martin Scor—
e
tion ». Moi, c‘est un autre problème : il
arrive qu‘on s‘embrasse dans mes films,
oome
mais après, je ne sais plus comment fil—
mer. Voilà. Au passage, je me suis tou—
jours demandé comment faisaient
utm
NLLIVN
et la restauration des films. J‘y étais allé Je peux encore citer Kon Ichikawa, TRA : Vous avez déjà des critères de ju—
avec mon vieil ami Michael Powell et Shohei Imamura, Godard, évidemment, gement ?
Thelma... Et c‘est ce jour—là, précisé— tous ces cinéastes proprement extraor— M.S. : Disons que j‘ai une vision précise
ment, que j‘ai appris que Raging Bull dinaires qui m‘ont carrément formé ! de ce qui me paraît important dans et
était sacré meilleur film de la décen— Alors, quand Mean Streets a été sélec— pour le cinéma. Je suis déterminé à en—
nie ! J‘ai eu comme le sentiment de tionné puis présenté au festival de New courager de jeunes cinéastes — ce qui
HSHSYOIS
boucler une boucle... York en 1973, ça a été le plus beau jour n‘a rien à voir avec leur âge biologi—
de ma vie ! que —, à encourager non pas forcément
TRA : La semaine dernière, encore, un style mais un élan. Je veux entendre
c‘était un hommage du Lincoln Center. TRA : Et maintenant, président du jury de nouvelles voix, percevoir de nou—
M.S. : Là, c‘est spécial. Quand j‘étais à Cannes... velles approches, voir quelles limites
étudiant, je ne ratais pas une projec— M.S. : J‘ai fait une seule fois partie d‘un tel ou tel tente de repousser.
tion de leur festival de New York. Ça a jury, en 1960, pour un festival de films
été mon école. Tout ce que j‘avais en de fin d‘études... Ça m‘intrigue de me TRA : Vous percevez des changements
moi, qui brûlait de sortir, des films retrouver avec des jurés qui auront des dans le cinéma actuel ?
comme Prima della rivoluzione, de idées différentes, parfois opposées aux M.S. : Au début des années 1990, je ne
Bertolucci, et Accatone, de Pasolini, miennes. Mais je serai très ouvert, sinon, comprenais pas où allait le cinéma. Je
me hurlaient que « c‘était possible » ! ce n‘est pas la peine d‘y aller. n‘avais même plus envie de voir de nou—
veaux films et encore moins d‘en pro—
duire. Pendant un temps, je me suis
réfugié dans le passé, je revoyais les
films de 1949 à 1952... Depuis trois
ans environ, j‘ai recommencé à aller au
cinéma. Je ne sais toujours pas où ça
va, mais je trouve formidable de voir
tant de cinéastes essayer de bousculer
péome
HSHSYODIS NILLYVN
grimper d‘un cran avec l‘arrivée du pre— de chahut, Scorsese est renvoyé du cuz
CATS/KIPA
cinéma, William Freese—Greene, retra— réalisateurs ; mais tous les réalisateurs
cée dans La Boîte magique, de John ne restent pas non plus cinéphiles. Ni CINEMA éuo
FF
Boulting, lui offre de nouvelles clés : historien ni spécialiste, Martin Scor—
« Ces films qui m‘avaient captivé depuis sese se considère comme un éternel
que j‘avais des souvenirs, je comprenais étudiant. Tels les peintres qui appre—
soudain comment on les fabriquait. [...] naient des maîtres en observant leurs
Le fait de voir cet homme souffrir pour tableaux, il « élargit [s]a palette ». Il
inventer une incroyable machine qui continue à voir et revoir une quantité
allait ouvrir de nouveaux horizons à astronomique de films, grands ou petits,
l‘esprit et à l‘âme de l‘humanité laissa qui ont jalonné l‘histoire du cinéma.
en moi une marque indélébile. » « Il y a encore tant à apprendre » est
Scorsese raconte volontiers que, dès une de ses phrases préférées... ®
l‘enfance, il a pris l‘habitude de faire Isabelle Danel
ses devoirs en regardant les films à la té—
(1) Sources : aux éd. Cahiers du cinéma, Voyage de
lé. Il continuera étant lycéen puis étu— Martin Scorsese à travers le cinéma américain ; Ca—
diant. Et encore aujourd‘hui, un poste hiers du cinéma n° 500 (mars 1996), et sa réédition
de poche, revue et augmentée, Mes plaisirs de ci—
est en permanence allumé dans sa salle néphile. Aux éd. Rivages : Martin Scorsese par Mi—
de montage. « J‘ai grandi avec les films. chel Cieutat. En vidéo : Voyage de Martin Scorsese à
Et j‘ai autant appris à la télé qu‘en sal— travers le cinéma américain, Arte éditions.