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Estelle Louët
in Jean-Yves Chagnon, 45 commentaires de textes en psychopathologie
psychanalytique
2012 | pages 35 à 43
ISBN 9782100578146
© Dunod | Téléchargé le 24/10/2021 sur www.cairn.info via Haute École Léonard de Vinci (IP: 193.190.75.181)
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DOI 10.3917/dunod.chagn.2012.02.0035
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/quarante-cinq-commentaires-de-textes-en-
psychopath---page-35.htm
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SIGMUND FREUD,
« Deuil et mélancolie » (1917),
Œuvres complètes, Psychanalyse,
vol. XIII (1914-1915), Paris, PUF,
3e éd. corrigée, 2005, 261-2801
« Après que le rêve nous a servi de prototype normal des troubles d’âme
narcissiques, nous allons tenter d’éclairer l’essence de la mélancolie en la
comparant avec l’affect normal du deuil. […] L’ombre de l’objet tomba ainsi
sur le moi qui pu alors être jugé par une instance particulière comme un
objet, comme l’objet délaissé. […] Nous ne sommes pas sans savoir déjà que
l’interrelation des problèmes animiques embrouillés nous oblige à interrompre
chaque investigation sans qu’elle soit achevée, jusqu’à ce que les résultats
d’une autre puissent lui venir en aide. »
Si ce texte écrit en 1915, publié en 1917, est le point d’orgue des considérations
de Freud sur le deuil et la mélancolie, il n’apparaît pas ex nihilo dans l’œuvre
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de l’homme, du citoyen et du penseur. La maturation métapsychologique freu-
dienne est indissociable des crises traversées, à l’échelle individuelle ou de
nations entières.
Freud a vécu d’intenses moments de dépression qu’il confie à son ami Fliess,
comme en mars 1900 où il dit traverser une « crise intérieure profonde » le lais-
sant « intérieurement très appauvri ». En cette période tourmentée, agitée par la
guerre, le penseur rejoint le simple « citoyen du monde de la culture » (1915).
Ses écrits se font poétiques pour tenter de sublimer une désillusion nourrie par
la nostalgie d’une époque à jamais révolue.
C’est dans ce contexte qu’en mars 1915, Freud entreprend l’écriture d’un
recueil d’articles destiné à clarifier et approfondir « les hypothèses théoriques
sur lesquelles un système psychanalytique pourrait être fondé » (lettre Freud
276F, 4 mai 1915, p. 384). Dans cette lettre, Freud annonce l’achèvement de cinq
traités, dont celui sur la mélancolie, que l’on regroupe habituellement sous le
nom de « Métapsychologie ». La modélisation de Freud du deuil et de la mélan-
colie est indissociable des avancées de son plus fidèle disciple, K. Abraham, qui
ouvre la voie avec son étude de la folie maniaco-dépressive et des états voisins,
présentée le 11 septembre 1911 au IIIe Congrès de psychanalyse. Les échanges
entre Abraham et Freud vont constituer les plus grandes avancées sur la question
maniaco-dépressive, la correspondance entre les deux hommes attestant ce que
le maître doit à l’élève. La lecture des Manuscrits témoigne cependant de l’inté-
rêt précoce de Freud pour la question, écrits portant en gésines les découvertes
de Deuil et mélancolie. Le Manuscrit G est entièrement consacré à la mélancolie,
on y trouve les termes majeurs de deuil, de perte et de douleur, qui constitue-
ront l’armature conceptuelle soutenant l’édifice théorique de 1915. L’accent y
Sigmund Freud 37
est mis sur la dimension économique, la mélancolie étant assimilée à une perte
de libido, préfigurant les développements de 1914 avec l’introduction du nar-
cissisme.
Le modèle s’enrichit en 1915 des points de vue dynamique et économique,
celui topique, relégué au second plan, porte néanmoins les germes prometteurs
d’une topique en devenir, avec le futur surmoi.
2. Résumé du texte
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différant que par l’absence d’auto-reproches dans le deuil – qui autorise le rap-
prochement, ainsi que les circonstances présidant à leur apparition : « la perte
d’une personne aimée ou d’une abstraction venue à sa place, comme la patrie,
la liberté, un idéal, etc. » (p. 263-264). Pourtant, si les points de rencontres sont
incontestables, au processus normal du deuil se substitue celui pathologique de
la mélancolie.
Le deuil sert d’étalon pour mesurer le « travail » engagé suite à la perte. Travail
lent et douloureux, opérant un détachement progressif de la libido de l’objet
perdu vers un objet substitutif. Détachement et déplacement sont les tâches
ordonnées par le principe de réalité en dépit des résistances, car « l’homme
n’abandonne pas volontiers une position libidinale, pas même lorsqu’un subs-
titut lui fait déjà signe » (p. 265). Après un temps de rébellion qui maintient
l’existence psychique de l’objet perdu, parfois jusqu’à la psychose hallucinatoire
de désir, le moi se trouve de nouveau libre et sans inhibition. Il n’en va pas de
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C’est une fois de plus l’énigme clinique qui transcende le génie freudien :
si d’incapacités en auto-accusations le mélancolique se confond en indignité,
manquent les accords de la honte à la proclamer ! Le paradoxe se dissipe si l’on
considère que les reproches ne sont en fait pas adressés au moi propre, mais à
l’objet perdu. L’aversion morale à l’égard du moi du mélancolique dissimule des
plaintes « portées contre » l’objet déceptif (p. 269).
Le processus est le suivant : à l’origine, une déception de la part d’un objet qui
va ébranler la relation et entraver l’issue normale du deuil. Alors que le détache-
ment s’opère, la libido n’est pas déplacée sur un objet substitutif, mais se retire
dans le moi. Les secousses viennent mettre au jour la fragilité de l’investissement,
que dévoile la célérité avec laquelle la libido libre est ramenée sur le moi, libido
utilisée pour instaurer une identification du moi à l’objet abandonné, « l’ombre
de l’objet tomba ainsi sur le moi qui put alors être jugé par une instance particu-
lière comme un objet, comme l’objet délaissé » (p. 270). L’identification narcis-
sique à l’objet – aimé, décevant et haï –, s’est ainsi substituée à l’investissement
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d’amour, faisant faire l’économie d’un renoncement à l’objet dont l’abandon
n’a pu être consenti. Freud rappelle dans ces lignes le caractère ambivalentiel
de l’identification, stade préliminaire à tout choix d’objet, le sujet « voudrait
s’incorporer cet objet et cela, conformément à la phase orale ou cannibalique du
développement de la libido, par la voie de la dévoration » (p. 270), propositions
qui font écho à celles de son plus fidèle ami, Abraham.
Le rôle accordé à l’ambivalence conduit à considérer les points de rencontres
avec la névrose obsessionnelle ; dans cette dernière, la litanie des auto-accu-
sations à la disparition d’un être cher masque des vœux coupables, illustrant
le conflit d’ambivalence lorsqu’il ne s’accompagne pas de régression. Chez le
mélancolique, alors que l’amour pour l’objet doit perdurer, il trouve refuge dans
l’identification narcissique, la haine se déchaînant désormais contre l’objet subs-
titutif. L’investissement libidinal a ainsi subi une double transformation « sous
l’influence du conflit d’ambivalence » en régressant à l’identification et en étant
« reporté au stade du sadisme » (p. 272).
Sur le devant de la scène, la mélancolie, subie, est torture de l’âme, sa souf-
france, son étendard ; dans les coulisses, la torture se décline en une forme
active, toute nourrie du sadisme « indubitablement riche en jouissance », et de
la haine du sujet à l’encontre de l’objet déceptif (p. 272). De honte il ne peut
être question, les tourmenteurs ne sont pas là où on les croyait ! La haine peut se
déchaîner au grand jour, la vengeance prenant le masque de l’autopunition. De
régression (à l’identification) en régression (au stade sadique), l’investissement
d’amour du mélancolique révèle les dérives d’un érotisme anal « arraché à ses
liaisons et régressivement transformé » (ibid., p. 273), permettant de comprendre
le recours si fréquent au suicide.
Sigmund Freud 39
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de ses gratifications narcissiques, ou partager le sort de l’objet et le suivre dans
la tombe. La rupture avec l’objet n’est consommée qu’au prix d’un lent travail,
l’énergie se trouve alors dissipée.
Le deuil et la mélancolie se retrouvent autour du point de vue économique,
à savoir la nécessité de procéder en détail à un laborieux travail de détache-
ment de la libido de l’objet perdu ; mais dans la mélancolie, l’ambivalence vient
compliquer l’opération de détachement. Celle-ci doit s’exercer sur chaque point
d’attache à l’objet en de multiples combats singuliers opposant à l’amour, la
haine. Si le lieu du combat est l’inconscient dans le deuil comme dans la mélan-
colie, chez le mélancolique la voie vers la conscience est barrée, les représen-
tations étant condamnées à demeurer dans les limbes du « royaume des traces
mnésiques de chose », lieu de leur geôle (p. 278). Les combats, livrés dans
l’inconscient, ne se dévoileront qu’à l’issue de la mélancolie alors que la libido se
retire dans le moi, sauvegardant mais à quel prix, l’amour pour l’objet ; le conflit
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peut apparaître au grand jour, travesti sous les traits d’un combat entre le moi et
l’instance critique qui déchaîne sa haine sur un moi avili. La multitude des luttes
menées dans l’inconscient, une à une « relâche la fixation de la libido à l’objet,
en dévalorisant celui-ci, en l’abaissant, et même, pour ainsi dire, en l’abattant »
(p. 279). L’épuisement de la fureur, ou l’abandon de l’objet désormais dépourvu
de toute valeur, offrent une issue au moi, qui se glorifie de sa supériorité sur
l’objet. Mais alors que Freud pensait pouvoir attribuer à l’ambivalence la condi-
tion économique à l’éclosion de toute manie, il se voit contraint d’y renoncer.
Des trois conditions favorisant la mélancolie – la perte d’objet, l’ambivalence, la
régression de la libido dans le moi –, seule la dernière peut offrir les conditions
d’un triomphe maniaque. L’accumulation de l’investissement, libre à l’issue de
40 45 commentaires de textes fondamentaux en psychopathologie…
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s’oppose à une autre et la critique en la prenant pour objet, est le précur-
seur de ce qui deviendra, avec la seconde topique, le surmoi.
• La scission entre la critique du moi et le moi modifié par identification,
venant remplacer dans la mélancolie le conflit entre le moi et la personne
aimée, préfigure la notion de clivage, qui prendra, après le tournant des
années vingt, l’importance que l’on sait.
• Freud accorde à l’identification narcissique un rôle essentiel dans la mélanco-
lie, insistant sur sa composante orale, cannibalique, et son caractère émi-
nemment ambivalent.
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trépas s’il ne parvient pas à se défendre de son tyran (1923, p. 296) ; le virage
maniaque constitue l’ultime défense face à la pulsion de mort, elle est un hymne
à la vie, même si elle peut parfois conduire à la mort. Dans la lignée de Freud,
A. Green voit en la réduction à néant du surmoi omnipotent, une possible
réponse aux questions économiques. Suivons-le : dans la mélancolie, le surmoi
maltraite le moi comme lui-même aurait aimé maltraiter l’objet. Le moi et le sur-
moi y trouvant tous deux satisfaction. Dans sa boulimie, le maniaque a absorbé
l’omnipotence attribuée à l’objet et avalé le surmoi « né de l’introjection de
l’objet », le surmoi est ainsi « réduit à néant par le moi omnipotent » (Green,
1973, p. 165).
Freud reprendra dans « Le moi et le ça » les raisons du revirement dans la
manie comme échappatoire face à la destruction retranchée dans le surmoi fai-
sant « rage contre le moi » (1923, p. 293, p. 298). C’est dans l’« Addenda », au
chapitre consacré l’angoisse au deuil et la douleur, que Freud annonce la réso-
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objets » (p. 329). C’est donc un leurre qui rassure le moi du maniaque, qui, dans
sa boulimie d’objets, ne craint ainsi plus de les perdre, il y en a tant d’autres !
L’omnipotence et le sadisme, mobilisés par une telle réussite, se paient cepen-
dant au prix fort, alors que les objets qui devaient être restaurés se transforment
de nouveau en persécuteurs, mobilisant inlassablement les défenses paranoïdes
et maniaques. Les positions kleiniennes s’écartent ainsi de celles de Freud qui ne
donne à la manie qu’une seule fonction, celle de lutter contre la mélancolie.
Alors que les derniers écrits traitant la question, semblent avoir découvert les
ressorts du processus mélancolique, éclairé à la lumière de la seconde topique
et de l’action sadique du surmoi, mais aussi de l’économie de la douleur, Freud
formule pourtant une nouvelle fois en 1933 la non-résolution de l’énigme ! C’est
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la fin du processus lui-même, qu’il soit de deuil ou de mélancolie, qui conserve
une part de mystère ; car si Freud évoque l’idée d’un épuisement pulsionnel, on
comprend au fond assez mal ce qui détermine l’issue de l’une et l’autre, et encore
moins ce qui fait que pour certains seulement, l’état de manie succède à la stu-
peur mélancolique ! On ne peut éviter alors d’interroger la composante organique
d’une telle affection, qui ne dispense d’ailleurs pas d’interroger conjointement
ses incidences sur les modalités de distribution libidinale ! L’introduction du
narcissisme est un apport considérable pour la compréhension du processus, il
permet à Freud de séparer la mélancolie qu’il désigne comme « psychonévrose
narcissique », la distinguant dès lors des autres psychoses ; alors que les pre-
mières résultent d’un conflit entre le surmoi et le moi, les secondes sont issues
du conflit entre le moi et le monde extérieur ; voilà de quoi alimenter le débat
encore très actuel sur la nature psychotique ou non d’une affection qui a perdu
son patronyme de psychose, pour prendre celui de trouble bipolaire !
Pour approfondir
Chabert C. et al. (2005). Figures de la dépression, Paris, Dunod.
Ebtinger R. (1976). « Le dialogue Abraham-Freud sur la mélancolie », Confrontations psy-
chiatriques, n° 14, 159-204.
Freud S., Abraham K. Correspondance complète 1907-1925, Gallimard, coll. « Connaissance
de l’inconscient », 2006.
Sigmund Freud 43
Freud S. (1914). « Pour introduire le narcissisme », in trad. fr. Œuvres complètes. Psycha-
nalyse, vol. XI (1911-1913). Paris, PUF, 3e éd. corrigée 2005, 214-245.
Freud S. (1915). « Actuelles sur la guerre et la mort », in trad. fr. Œuvres complètes. Psy-
chanalyse, vol. XIII (1914-1915), Paris, PUF, 3e éd. corrigée, 2005, 127-157.
Freud S. (1921). « Psychologie des masses et analyse du moi », in trad. fr. Œuvres
complètes. Psychanalyse, vol. XVI (1921-1923), Paris, PUF, 2e éd. 2003, 1-83.
Green A. (1973). Le Discours vivant, Paris, PUF, 3e éd. 2001.
Klein M. (1934). « Contribution à l’étude de la psychogenèse des états maniaco-
dépressifs », in Essais de psychanalyse (1921-1945), Paris, Payot, 1968, 311-340.
Klein M. (1940). « Le deuil et ses rapports avec les états maniaco-dépressifs », in Essais de
psychanalyse, Paris, Payot, 1968, 341-369.
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