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Haro sur le mythe de la bataille

de Poitiers !
Et si la victoire de Charles Martel en 732 n'en était
pas une ?
PAR AUDREY LEVY
Publié le 21/04/2015 à 10:23 | Le Point

La légendaire bataille de Poitiers, qui opposa Charles Martel aux Arabes, a peu de sources
historiques. © bianchetti/leemage

Tout a commencé avec cette phrase "traumatisante" qu'assénait un instituteur dans


une Algérie des années 50 encore française et qu'on lui demandait même de réciter :
"En l'an 732, Charles Martel "écrasa" les Arabes à Poitiers." Cette phrase rebattue à
des générations d'élèves résonnera longtemps, obsédante, dans la tête de l'enfant.
La victoire de Charles Martel aurait, comme certains le disent, sauvé la France du
"péril musulman" ? Non, ça, "c'est ce que les Français ont appris
depuis Chateaubriand", dit Salah Guemriche, qui, devenu écrivain, s'est plongé dans
les archives pour livrer la"véritable histoire de la bataille de Poitiers" *. Ou plutôt une
histoire romancée désireuse d'en finir avec les clichés qui auréolent cette bataille de
732, nourrissant un imaginaire fantasmé.
Son nom, d'abord : Martel ne le doit pas au fait d'avoir "martelé" les Sarrasins et leur
émir Abd er-Rahman ; il le porte depuis sa naissance, en hommage à un oncle
maternel. "Ou, dira la légende, à saint Martin de Tours, patron des Pépinides, les
futurs Carolingiens", ajoute l'écrivain. Mais de là à le soupçonner d'idolâtrie pour son
surnom de "Marteau de Dieu", référence à l'arme du dieu païen Thor, vénéré par les
Francs, c'est aller loin.
Une chose est sûre, cependant : dans cette France à la fois chrétienne, arienne et
païenne, ce chef franc jouit d'une mauvaise réputation : il est connu pour avoir spolié
les biens de l'Eglise, qu'il distribuait à ses guerriers en échange de leurs services.
"De ce côté sulfureux s'entichera plus tard le XIX esiècle", dit Elisabeth Carpentier,
professeure honoraire en histoire médiévale à l'université de Poitiers.
Et tous deux de souligner l'importance que l'on a attribuée à cette bataille de 732,
présente dans nos mémoires alors que les sources manquent cruellement. Les
doutes subsistent sur le lieu, la date de la bataille, ses effectifs et les motifs : un
pillage ? Une conquête ? "Si les Arabes se sont arrêtés à Poitiers, ce n'est peut-être
pas à cause de Charles Martel, mais parce qu'ils devaient gérer un immense empire,
de l'Atlantique aux frontières de l'Inde", tempère Elisabeth Carpentier.
Résonance. Qu'importe, la France des croisades devait créer son mythe. Charles
Martel et Poitiers connaissent donc un regain de popularité : les thèmes de défense
de la chrétienté, de victoire sur l'infidèle trouvent alors toute leur résonance. Et plus
encore au XVIe siècle, lorsque l'Empire ottoman menace l'Europe. "Si l'on en a fait
au fil des siècles un mythe national, c'est pour occulter une autre bataille de Poitiers :
l'humiliante défaite de 1356, où le roi Jean le Bon fut fait prisonnier par les Anglais",
dit Salah Guemriche. Il appelle cela le "syndrome de Poitiers". Exagéré ? Sans doute
un peu.
Mais la récupération de la figure de Charles Martel et de la bataille par une idéologie
qui flirte avec les mouvements identitaires et d'extrême droite, elle, ne date pas d'hier
: elle a été ravivée au XIXe siècle avec la montée du nationalisme en France et avec
le colonialisme. "La conquête de l'Algérie a rappelé aux Français qu'ils avaient en
face d'eux les anciens combattants de Poitiers vaincus par Charles Martel", ajoute
l'historienne. Plus tard, la Seconde Guerre mondiale et la guerre d'Algérie feront
encore vibrer cette fibre nationaliste. "En quête de repères identitaires, on a fait de
cet obscur combat le symbole d'un affrontement entre deux religions et deux
civilisations, un choc des cultures entre les mondes occidental et arabo-musulman",
conclut-elle.
* "Abd er-Rahman contre Charles Martel.

La véritable histoire de la bataille de Poitiers", de Salah Guemriche 

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