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Phénomène de Raynaud : primaire ou secondaire - Quand et


comment pousser les investigations ? | Journal | Cardiologie
Pratique

E. DIOT, Service de Médecine Interne, CHU Bretonneau, Tours

Le phénomène de Raynaud est l’acrosyndrome le plus f réquent. Il est retrouvé dans 4 % de la population et
touche essentiellement le sexe f éminin.
La distinction entre maladie et syndrome de Raynaud est essentielle. La maladie de Raynaud ne bénéf icie
que de mesures symptomatiques alors que la prise en charge du syndrome de Raynaud est spécif ique à
chaque étiologie. La démarche diagnostique se f era en plusieurs étapes.

Le phénomène de Raynaud (PR) est la conséquence d’un vasospasme des artères distales des
quatre extrémités, principalement les mains. Ce vasospasme peut survenir sur des artères saines, on parle
alors de maladie de Raynaud ou phénomène de Raynaud primaire. Les artères peuvent être
pathologiques, on parle alors de syndrome de Raynaud ou phénomène de Raynaud secondaire. Première
étape : reconnaître le phénomène de Raynaud

Le diagnostic est évident


Le PR est caractérisé par un arrêt épisodique de la circulation digitale survenant au f roid à partir d’une
température « seuil » individuelle. Le diagnostic repose en règle sur l’interrogatoire et se
déroule typiquement en trois phases successives :
- phase syncopale, marquée par le caractère exsangue d’un ou plusieurs doigts f roids et blancs, de durée
de quelques minutes à un quart d’heure (figure 1) ;
- phase d’asphyxie, marquée par une coloration cyanique des téguments, associée à des douleurs
pulsatiles des extrémités concernées durant quelques minutes ;
- phase hyperhémique où les doigts deviennent « rouge vif » avec apparition de sensation de cuisson des
téguments.

Figure 1. Phase syncopale du phénomène de Raynaud.

Le diagnostic est moins évident


Le PR peut être atypique :
• dans la présentation : prédominance de l’une ou l’autre
des phases, ou survenue de plusieurs stades de f açon
simultanée dans des territoires dif f érents. Certaines f ormes
sont incomplètes, mais la phase syncopale est indispensable au
diagnostic ;
• dans la localisation : dans la grande majorité des cas, les
extrémités ; mains ou pieds, sont intéressées ; plus rarement le
nez, les oreilles ou la langue peuvent être touchés ;
• dans les circonstances de survenue : les f acteurs déclenchants sont dominés par l’exposition ou le
contact direct au f roid. D’autres f acteurs tels que le stress, les émotions ou les contrariétés sont
possibles.
Le diagnostic de phénomène de Raynaud ne présente, en règle générale, pas de dif f icultés. Il peut être
af f irmé par la clinique, mais l’interrogatoire joue un rôle primordial.

La phase syncopale est indispensable au diagnostic.


Il f aut le distinguer des autres acrosyndromes
Il f aut le distinguer de :
• l’acrocyanose, lorsque la phase cyanique est prédominante. Ce phénomène, toujours idiopathique, se
caractérise par un aspect f roid, cyanique, indolore et permanent avec hypersudation des extrémités,
s’accentuant au f roid (figure 2) ;
• l’érythermalgie est f acile à distinguer de la phase hyperhémique. Caractérisée par une sensation de
brûlure avec rougeur et augmentation de la chaleur locale, elle ne survient qu’à l’exposition à la chaleur
(figure 3).

Si le diagnostic de PR est facile dans sa forme complète, il peut être litigieux dans les
formes incomplètes.

Figure 2. Acrocyanose.
Figure 3. Érythermalgie.
Deuxième étape : l’enquête de débrouillage

Cette enquête a pour but de rechercher des indices af in de déterminer le caractère primaire ou secondaire
du PR. Elle repose sur des données d’interrogatoire et d’examen attentif s.
L’interrogatoire précise :

• L’âge de survenue : au-delà de 35-40 ans, il oriente vers un PR secondaire. Cependant, plus le délai
entre la date de survenue des troubles et la motivation de la consultation est long, meilleur est le pronostic
f onctionnel.
• Le sexe : la survenue des troubles chez une f emme jeune ayant des antécédents f amiliaux identiques
milite pour un PR primaire ; ces mêmes troubles survenant chez un homme de plus de 40 ans orientent vers
une étiologie organique.
• La crise : si la durée est supérieure à 15 minutes, touchant les pouces, avec une phase
cyanique presqu’exclusive, l’orientation se f era vers un PR secondaire.
• La consommation de médicaments : prise d’ergot de seigle, de bêtabloquants par voie orale, sans
oublier les collyres et les sprays pour les vasoconstricteurs, une chimiothérapie (bléomycine, vincristine),
etc.
• La prise de toxiques : tabac et drogues illicites (cocaïne, cannabis), qui interviennent surtout comme
f acteurs aggravants.
• L’activité professionnelle, en tenant compte aussi des activités antérieures, des conditions
d’exercice précises, des activités sportives et des hobbies, à la recherche de traumatisme direct ou
indirect de l’éminence hypothénar, ou thénar à moindre f réquence. On demandera quelle est la main
dominante, susceptible d’induire un syndrome du marteau. L’exposition aux vibrations sera aussi
recherchée, le PR est alors volontiers associé ou précédé de dysesthésies.
• L’unilatéralité du PR durant plus de 2 ans d’évolution plaide pour une cause locorégionale : déf ilé
cervico-thoracique, anévrysme des arcades palmaires ou vibrations intenses et chroniques à prédominance
unilatérale telles celles des tronçonneuses.
L’examen clinique
Il recherche tout particulièrement :
• des troubles trophiques : principalement chez la f emme, à la recherche des signes pouvant évoquer une
connectivite dominée par la sclérodermie systémique. Les mains et les pieds peuvent être le siège d’une
inf iltration ou d’une sclérose cutanée (figure 4), de cicatrices pulpaires déprimées (figure 5), de
télangiectasies, d’hémorragies péri-unguéales (figure 6), de calcinose sous-cutanée, de
gonf lement articulaire, voire d’ulcère digital ischémique pouvant être quasi concomitant de l’apparition du
PR. Au niveau du visage, on recherchera une sclérose de la peau (figure 7), des télangiectasies, des traces
de photosensibilisation ;
• l’abolition d’un ou plusieurs pouls, essentiellement chez l’homme tabagique, évoquera une maladie de
Buerger ;
• la présence de souf f les vasculaires et/ou cardiaques ;
• une masse pulsatile expansive, témoin d’un anévrysme artériel ou veineux ;

Figure 4. Acrosclérose.

Figure 5. Cicatrices pulpaires déprimées.

Figure 6. Hémorragies péri-unguéales.


Figure 7. Sclérose du visage.

• la manœuvre d’Allen : elle permet une cartographie de la vascularisation de la main. La


technique consiste à observer la recoloration des doigts après occlusion manuelle des artères du
poignet. À la levée de la compression, les mains et les doigts vont se recolorer en quelques secondes. En
cas de sténose ou d’oblitération artérielle, on assistera à un retard de coloration dans les zones
hypoperf usées, ce qui permettra aussi une approche topographique des lésions (souf f rance digitale
seule, territoire radial ou cubital, uni- ou bilatéral) (figure 8) ;

La manœuvre d’Allen permet une cartographie de la vascularisation de la main.

Figure 8. Manœuvre d’Allen.


• la manœuvre du chandelier ou manœuvre de Ross : consiste à f aire maintenir les bras en abduction à
90° en légère rétropulsion en demandant au patient de réaliser des mouvements de f lexion-extension des
doigts. En cas de compression du pédicule vasculonerveux par un déf ilé cervicothoracique, apparaît en
quelques secondes une décoloration d’une ou deux mains, associée ou non à des paresthésies.
Les examens complémentaires
Dans cette enquête initiale, ils doivent être simples et perf ormants. Les données cliniques peuvent orienter
d’emblée vers une étiologie. La stratégie des explorations complémentaires en découlera. Le PR qui ne
répond pas à une étiologie particulière peut apparaître primaire. Cependant, les données cliniques sont
insuf f isantes pour af f irmer ce caractère. La réalisation de deux examens complémentaires est
indispensable avant de conclure :
• la capillaroscopie périunguéale : elle correspond à l’étude in vivo des capillaires en microscopie optique.
C’est une technique simple, rapide, indolore et reproductible. Elle af f irme le caractère normal des capillaires
ou peut mettre en évidence des anomalies s’intégrant dans le cadre d’une micro-angiopathie
organique (hémorragies, raréf action capillaire, œdème, mégacapillaires) traduisant toujours une
pathologie organique au premier rang desquelles la sclérodermie systémique (figure 9) ;
• le bilan immunologique : la recherche d’anticorps antinucléaires doit reposer sur des techniques f iables
d’immunof luorescence sur cellules Hep-2.

Figure 9. Capillaroscopie péri-unguéale : aspect normal et mégacapillaires de sclérodermie


systémique.

Orientation diagnostique
À l’issue de ce bilan simple, trois situations se présentent :
• le PR est cliniquement d’allure primaire, la capillaroscopie est normale, la recherche de
f acteurs antinucléaires négative : il peut être conclu à un PR primaire et le suivi n’est pas utile, sauf en cas
de modif ication du tableau clinique dont le patient doit être inf ormé ;
• le PR est cliniquement d’allure primaire, mais un ou les deux examens complémentaires sont anormaux :
une micro-angiopathie organique, principalement une sclérodermie systémique débutante, ne peut être
écartée. Un suivi annuel, clinique, capillaroscopique et immunologique est proposé : 40 % de patients
développeront une sclérodermie systémique dans les 10 ans ;
• le PR s’intègre dans une connectivite, principalement une sclérodermie systémique débutante, lorsque la
capillaroscopie met en évidence des éléments de microangiopathie organique et qu’il existe une auto-
immunité.
À l’issue du bilan clinique et complémentaire minimal, le caractère primaire ou secondaire du PR est, en
règle, déterminé (tableau 1).
En présence d’un PR secondaire, une enquête étiologique spécialisée sera mise en route.
Troisième étape : l’enquête étiologique spécialisée

Cette troisième étape s’appuiera sur le caractère uni- ou bilatéral du PR.


Le PR est bilatéral
• Les causes iatrogènes et toxiques
Certains médicaments sont connus pour aggraver, voire déclencher un vasospasme (par voie orale
ou oculaire [collyres]). Il s’agit des bêtabloquants, des dérivés de l’ergot de seigle, de la
bléomycine, cyclosporine, interf éron alpha. Les toxiques sont l’arsenic, le chlorure de vinyle et les drogues
(cannabis, cocaïne, amphétamines).
• Les connectivites
La recherche d’une collagénose est impérative devant tout PR d’apparition récente. Parmi les connectivites,
la sclérodermie systémique est la pathologie la plus f réquente. Le PR est présent dans 98 % des cas. Il f aut
rechercher des signes cliniques évocateurs, à savoir une sclérodactylie, des cicatrices pulpaires déprimées,
des télangiectasies, d’une atteinte du visage. Les autres connectivites sont moins pourvoyeuses de PR ; il
s’agit du lupus érythémateux systémique, qu’il soit ou non associé à un syndrome des antiphospholipides
ou une cryoglobulinémie, du syndrome de Sharp, de la dermatopolymyosite caractérisée par un aspect de «
main de manucure » (figure 10).

Le PR est présent dans 98 % des cas de sclérodermie systémique.

Figure 10. Dermatomyosite : aspect de « main de manucure


».

• Les artériopathies des membres supérieurs


La maladie de Buerger est évoquée chez le sujet jeune (moins
de 40 ans), f umeur. L‘atteinte vasculaire est uniquement distale
avec mise en évidence de la disparition des pouls tibiaux
postérieurs, pédieux ou radio-cubitaux. Elle touche volontiers
les 4 extrémités. L’évolution se f ait rapidement vers des
nécroses digitales souvent multiples (figure 11). L’association à
des thromboses veineuses superf icielles et un érythème
noueux est classique. L’intoxication au cannabis est un f acteur
aggravant. Le diagnostic repose sur l’opacif ication vasculaire qui retrouve un réseau proximal
normal associé à un aspect typique de thromboses suspendues en distalité avec reprise par des
artères musculaires héliciles dites « en queue de cochon ».
L’artériopathie digitale de surcharge se voit chez des sujets plus âgés, tabagiques eux aussi,
présentant d’autres stigmates de l’athérome. Enf in, une cardiopathie emboligène est à citer.

Figure 11. Nécroses digitales de maladie de Buerger.

• Les vascularites
La maladie de Takayasu est évoquée chez la f emme jeune devant une asymétrie tensionnelle, en
présence de souf f le sous-clavier et ou en l’absence de pouls distaux. Les vascularites systémiques
(périartérite noueuse, granulomatose avec polyangéite, polyangéite microscopique, syndrome de Churg
et Strauss) s’accompagnent volontiers d’un PR. Le tableau est bruyant, dominé par une altération de
l’état général, des signes généraux et un syndrome inf lammatoire f ranc. Citons la cryoglobulinémie, la
cryof ibrinogénémie et le syndrome des agglutinines f roides.
• Les causes hématologiques
Le myélome est le plus souvent rencontré ; il f aut aussi évoquer les syndromes lympho-prolif ératif s et les
tumeurs solides.
• Les causes endocriniennes
Classiquement l’hypothyroïdie est décrite en association à un PR ; le dosage de la T SH sera systématique.
Le PR est parf ois rapporté au cours de l’acromégalie.
Le PR est unilatéral
• Les causes traumatiques professionnelles
Elles sont à rechercher systématiquement et posent parf ois le problème du reclassement
prof essionnel. Elles sont reconnues comme maladie prof essionnelle inscrites au tableau n° 69.

Les causes professionnelles sont à rechercher systématiquement et posent parfois le problème


du reclassement professionnel.

Le syndrome des vibrations est lié à la manipulation d’objets vibrants. Il est responsable d’un
PR volontiers accompagné de dysesthésies dans le cadre d’un syndrome du canal carpien associé.
• Le syndrome du marteau hypothénar est évoqué en présence d’un PR touchant le troisième, quatrième
ou cinquième doigt de la main dominante chez un patient exposé prof essionnellement aux traumatismes
directs ou indirects de l’éminence hypothénar (bâtiment, menuiserie…). La manœuvre de Allen conf irme
directs ou indirects de l’éminence hypothénar (bâtiment, menuiserie…). La manœuvre de Allen conf irme
le territoire de souf f rance vasculaire appuyé par l’échodoppler, l’angiographie ou l’angio-scanner,
voire l’angio-IRM, permettant alors de visualiser le thrombus ou l’anévrysme de l’artère ulnaire au niveau du
canal de Guyon (figure 12). Un marteau thénar, responsable de troubles vasomoteurs des premier et
deuxième doigts est beaucoup plus rare.

Figure 12. Artériographie : thrombose ulnaire dans le cadre d’un syndrome du


marteau hypothénar.

• Le syndrome du défilé thoraco-brachial sera évoqué lorsque les lésions ischémiques


sont accompagnées de troubles sensitif s des doigts et en présence d’un souf f le vasculaire sur le trajet
de l’artère sous-clavière, retrouvé en position anatomique ou sensibilisé par la manœuvre posturale
du chandelier. Il sera précisé par l’examen Doppler et conf irmé par l’opacif ication vasculaire qui retrouve une
thrombose ou un anévrysme.
• Le syndrome du canal carpien : il existe une compression du nerf médian au niveau du
poignet, responsable d’un PR localisé à l’index et au majeur. Le diagnostic se f ait par la réalisation d’un
électromyogramme montrant une souf f rance du nerf médian.
Points à retenir

• Le phénomène de Raynaud est de diagnostic clinique.


• Il est, dans la grande majorité des cas, primaire.
• Le caractère primaire ne sera retenu qu’après deux ans de recul si l’enquête initiale est négative.
• Cette enquête repose essentiellement sur l’interrogatoire et l’examen clinique. Elle associe la réalisation
initiale d’une capillaroscopie et d’une recherche de f acteurs antinucléaires.
• L’enquête étiologique du PR secondaire sera guidée par le caractère uni- ou bilatéral de
la symptomatologie.
"Publié dans Dermatologie Pratique"

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