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Albert A nto n i o li

Développer l’esprit
d'entreprise
Du droit d’apprendre
aux devoirs d’entreprendre
Développer l’esprit d'entreprise
Albert ANTONIOLI

DEVELOPPER
L’ESPRIT D'ENTREPRISE
Du droit d'apprendre
aux devoirs d'entreprendre

L’Harmattan
© L’Harmattan, 2017
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris
http://www.editions-harmattan.fr
ISBN : 978-2-343-12751-4
EAN : 9782343127514
L’AUTEUR

Albert Antonioli est né en 1944 à Moissac. Docteur en


Sciences de l’Education et spécialiste en corrélation
formation-emploi, il a passé 11 ans au Mali. Il y a été
chargé de mettre en place des programmes de créations
d’entreprises, l’un en direction de l’artisanat, l’autre en
direction des jeunes, et le troisième en direction des
personnels licenciés des Sociétés d’Etat. Il a dirigé ce
troisième programme qui a permis de mettre en place 1488
petites entreprises ouvrant ainsi quelque 5000 emplois. Il y
a également initié un programme de création d’ "Ecoles de
base", programme dont il rend compte dans son précédent
ouvrage, "Le droit d’apprendre, une école pour tous en
Afrique" publié en 1994. Ensuite, à Djibouti, il a exécuté
sur plusieurs années des dispositifs de développement de
l’esprit d’entreprise au sein du système éducatif.
Je dois la rédaction du présent
ouvrage au Professeur Henri Desroche,
qui m’a encouragé dans ce projet, en
1993, une année avant de disparaître, et
à la mémoire de qui je rends ici un
respectueux hommage. Il m'avait fait
l'honneur de préfacer mon précédent
ouvrage "Le droit d'apprendre" en titrant
sa préface "Du droit d'apprendre aux
devoirs d'entreprendre". Grâce au
Professeur Henri Desroche, "passeur de
frontières", dont, ainsi que beaucoup
d'autres, nous avons eu le privilège de
croiser la route, nous avons pu nous
ouvrir à des univers insoupçonnés. Qu'il
reçoive ici mes remerciements
posthumes.
Je remercie mon épouse, Sarah, pour
son soutien et ses observations aussi bien
pour le développement des Ecoles de
base au Mali, que pour le "Devoir
d'entreprendre".

Je remercie également ici notre fils


Jean-Charles pour ses judicieuses
observations rédactionnelles.

Mes remerciements vont aussi à mon


ami Raymond Biré, banquier, pour ses
précieux apports techniques sur les
aspects financiers de la problématique de
l'entreprise.
"C'EST
L'ESPRIT D'ENTREPRISE
QUI CONSTRUIT
ET AMELIORE
LES BIENS DE CE MONDE".

J.M. KEYNES
PREAMBULE

Le présent ouvrage propose une méthode susceptible de


développer l'esprit d'entreprise dans la société. Jean-Louis
Servan-Schreiber1, qualifie les Etats-Unis des années 80
de "nouvelle société d'entrepreneurs" où "il s'y crée,
chaque année, six cent mille entreprises". Aussi formule-il
un objectif pour la France : "devenir un pays
d'entrepreneurs".
Un pays n'est rien sans l'entreprise, et l'entreprise n'est
rien sans l'entrepreneur. Les problèmes liés au chômage de
masse ne peuvent se résoudre sans un développement
massif de l'esprit d'entreprise depuis l’école. L’esprit
d’entreprise constitue la ressource providentielle des
nations. Le développement de l'esprit d'entreprise à l'école
est aujourd'hui unanimement reconnu, et spécialement par
l'Union Européenne, comme un dispositif irremplaçable
pour résoudre le chômage de masse.
Il est indispensable d'inscrire nommément dans les
instructions officielles de l'Education Nationale la
sensibilisation à l'esprit d'entreprise au sein du système
éducatif comme l'une des finalités essentielles de
l'éducation, au même titre qu’apprendre à lire, écrire, et
compter.

1 Servan-Schreiber (Jean-Louis) in Préface de l'ouvrage de Peter


Drucker, Les Entrepreneurs, Hachette Expansion, 1985, p.8.

15
Les pratiques de sensibilisation à l’esprit d’entreprise
ici proposées s'appuient sur un corpus d'arguments issus
des sciences humaines et en particulier de l’anthropologie.
La question liminaire consistera à interroger la
problématique de l'emploi en France. En décembre 2016
plus de six millions de personnes émargent à Pôle Emploi.
La dette publique atteint quelque € 2 000 milliards. Depuis
plusieurs décennies, afin de résoudre les problèmes du
chômage de masse, les pouvoirs publics ont imaginé et
mis en place de nombreux dispositifs. Les résultats
obtenus en soulignent les limites, voire, pour certains
d’entre eux, les incohérences.
Nous explorerons ici les relations entre créativité
d’entreprise, création d'emploi, et croissance. De
nombreux auteurs commencent à admettre que ce n'est pas
la croissance qui crée l'emploi, mais plutôt l'inverse. Et
pour créer de l'emploi il faut susciter dans la population
une propension massive à créer des petites entreprises.
En deuxième partie nous étudierons, sous plusieurs
éclairages, le personnage de l'entrepreneur. Cette étape
explorera la genèse de l’esprit d’entreprise. Nous
utiliserons à cet effet des éclairages conceptuels issus des
sciences humaines. Nous définirons ce qui fait la
spécificité de la personne de l'entrepreneur, en un mot son
"identité" et son "éthique". Puis nous expliciterons
l'attitude de l'entrepreneur.
La troisième partie orientera enfin la réflexion vers une
pédagogie de sensibilisation à l’esprit d’entreprise.
Le plaidoyer développé par le présent ouvrage est
conforme aux recommandations réitérées depuis
pratiquement le début des années 2000 par l’Union
européenne. Le développement de l'esprit d'entreprise
conditionne le désir d'entreprendre. Voire même le devoir
d'entreprendre, devoir civique, devoir citoyen. En ce sens
que chaque citoyen doit se sentir investi d'une

16
responsabilité socio-économique vis-à-vis de la créativité
d’entreprise et donc de l'emploi.
L'utopie fondatrice de cette prise de position consiste à
considérer que chaque citoyen doit, au moins une fois dans
sa vie, tenter de créer de l'emploi par la création d'une
entreprise. Quelle qu'en soit la forme ; aussi bien
entreprise d'économie privée qu'entreprise d'économie
sociale. Non que chaque citoyen doive nécessairement
devenir créateur d’entreprise. Mais chaque citoyen, y
compris parmi les représentants des pouvoirs publics, doit
être conscient d'un impératif socio-économique
prioritaire : seule la démocratisation de l'esprit d'entre-
prise, développée par le système éducatif, peut réaliser les
objectifs de développement socioéconomiques qui
s'imposent à la France d'aujourd'hui.
Ces objectifs ont pour nom : suppression du chômage
de masse, augmentation du PIB, résorption des déficits
publics, remboursement de la dette léguée sans
discernement aux générations futures, aménagement du
départ à la retraite, voire abaissement de l'âge de la
retraite, diminution du temps de travail, réduction des
impôts, et augmentation des ressources des ménages. La
France est en guerre contre elle-même. L'instruction
universelle fut hier le fer de lance du progrès
socioéconomique d'aujourd'hui. Le développement
universel de l'esprit d'entreprise sera demain le moteur
d'une société nécessairement plus démocratique et plus
civilisée.

17
CHAPITRE PREMIER

L'AMPLEUR DU DESASTRE

Au mois de décembre 2016, la France compte


officiellement 10% de chômeurs… Par ailleurs 14,3 % de
la population vit sous le seuil de pauvreté2. La dette atteint
€ 2178 milliards3. La France n'est pas la seule victime de
ces fléaux. Depuis plusieurs décennies, la plupart des pays
du monde sont contraints de recourir à l'emprunt pour faire
face aux déficits budgétaires et sociaux. Les dettes
abyssales ainsi constituées, posent aujourd’hui un
problème insoluble.
En France, afin de réduire ces catastrophiques
situations sociales et financières, les gouvernements
successifs imaginent des techniques qui se révèlent tout
aussi inefficaces les unes que les autres. Ces échecs
conduisent à un coupable gaspillage du prodigieux
potentiel de génie créatif du pays.
Pourtant le chômage de masse, la pauvreté, les
déséquilibres des budgets publics peuvent ne pas être une
fatalité. Pour échapper à la spirale infernale
dette/chômage, il est nécessaire d'abandonner les
conceptions socio-économiques actuelles. Et rechercher

2 D'après les données publiées fin avril 2017 par l'INSEE.


3 Ibid., INSEE.

19
d'autres voies. Ce qui impose en l’occurrence d'adopter
une attitude pluridisciplinaire. Notre propos nous conduira
ensuite à préconiser la création d’un million deux cent
mille entreprises supplémentaires par la mise en place de
dispositifs appropriés. Cette politique a pour but premier
de créer cinq millions d’emplois supplémentaires afin de
supprimer le chômage de masse. Ce qui aura pour effet
automatique de commencer à résorber la dette tout en
réduisant les déficits publics.

20
1- Les problématiques liées
au chômage de masse

Afin de voir s’estomper les problèmes sociaux et


économiques liés au chômage massif, le taux de chômage
ne devrait pas dépasser 5%4, comme c’était le cas au
milieu des années 70. Ce taux correspond à une situation
optimale du fonctionnement du marché du travail qui
permet la nécessaire mobilité des ressources humaines
sans bloquer le marché du travail.
Le taux officiel du chômage au mois de décembre 2016
s'élève à 10%. Mais la réalité est bien plus sombre. En
effet, comme le dénonce Thibaut de Jaegher5, la méthode
de calcul du taux de chômage utilisée par les pouvoirs
publics ne prend pas en compte la totalité des demandeurs
d’emploi. Cette méthode ne considère que les 3,5 millions
de chômeurs de la catégorie A. En toute logique, il
faudrait plutôt considérer l'ensemble des catégories A à E
émargeant à pôle emploi6. Ce qui représente 6,2 millions
de personnes. Sachant que la population active compte
28,6 millions de personnes en décembre 2016, le taux de
demandeurs d’emploi s'établit ainsi à 21,8%7 de la
population active. Donc ce n'est pas un actif sur 10 qui se

4 Ce taux correspond au "taux de flexion" du chômage, c’est-à-dire au


taux de chômage permettant la nécessaire rotation de main d’œuvre.
5 Dans Usine Nouvelle du 28 janvier 2015.
6 Et pas seulement les 3,5 millions de la catégorie A.
7 Calcul du pourcentage : 6,2/28,6x100 = 21,8%.

21
trouve en recherche d’emploi, mais au contraire deux sur
108 !
La comparaison de la courbe de croissance de la
population active (P.A.) avec celle de la population active
occupée (P.A.O.) sur 5 décennies montre une divergence à
partir de 1973.

Evolution de la population active occupée


par rapport à la population active

28,6 M

26,3 M

P.A. P.A.O.

22 M

20 M
1960 1973 2014

En France, entre 1960 et 2014, la population active


croît régulièrement de 19,9 millions à 28,6 millions. De
son côté, la population active occupée suit la courbe de la
population active jusqu'en 1973, date du premier choc
pétrolier. A partir de cette date la courbe s'infléchit. Or
cette situation est particulière à la France. En effet
l'augmentation de la population active occupée, si elle a

8 Pour la clarté de l'exposé, seuls seront cependant retenus ici les taux
officiels de chômage.

22
subi un ralentissement général dans tous les pays en 1973,
a repris quelques années plus tard dans la plupart des pays
industrialisés.
Autre changement : la population active s’est
progressivement féminisée. Selon l'INSEE, en 1962, la
population active atteint le chiffre de 19,7 millions.
Environ 6,5 millions sont des femmes contre 13,1 millions
d’hommes, soit un taux de féminisation de la population
active de 33,3%. En 2014, le taux de féminisation
atteindra 47,9% sur quelque 28,6 millions d'actifs. Ce
phénomène d'équilibration numérique entre les actifs
hommes et les actifs femmes, n'est cependant pas
responsable de l'augmentation du chômage. En effet, aux
Etats Unis, par exemple, une féminisation comparable de
la population active ne s'est pas accompagnée d'une
augmentation du chômage.
Le chômage touche plus particulièrement certaines
catégories de population. Le chômage atteint surtout la
population 15-24 ans. En croissance régulière, de 6 % en
1973, ce taux se stabilisera à 24 % à partir de 1985. Les
jeunes restent aujourd'hui au chômage pendant des mois,
voire des années avant de trouver un premier emploi.
Pourtant selon les organisations patronales un demi-
million d’offres d'emplois ne sont pas pourvues. Deux
phénomènes sont classiquement considérés comme
responsables de cette inadéquation : le niveau de
qualification des chômeurs et les difficultés liées à la
mobilité géographique. Mais ces facteurs concernent la
plupart des pays industrialisés, sans nécessairement
entraîner de chômage de masse. Et à supposer que ces
postes soient pourvus, la diminution de la population en
recherche d’emploi représenterait moins de 10% des 6,2
millions d’inscrits à Pôle Emploi. Ce qui n'aurait donc
qu'un faible impact sur la diminution du chômage.

23
La protection sociale des chômeurs, notamment le
montant des allocations chômage de certaines catégories
ou la durée d'indemnisation, sont souvent dénoncés
comme non incitatifs à une rapide reprise de l'emploi.
Mais des pays d'Europe ont une législation tout aussi
favorable aux salariés que la France et ont un taux de
chômage bien plus faible qu'en France. C'est le cas en
particulier des Pays-Bas avec un taux de 5,3%9, ou de la
Suède avec 6,8%10.
La rigidité du code français du travail, et en particulier
la législation sur le licenciement, est communément
reconnue comme un frein à l’embauche. Mais on a peine à
croire que ce frein puisse expliquer l’absence des quelque
cinq millions de postes de travail nécessaires pour
éradiquer le "chômage de masse".
De leur côté, les défaillances d'entreprises sont
fréquemment considérées comme jouant un rôle non
négligeable dans le chômage. En 2015, on a observé
63081 défaillances d'entreprises, ce qui menace 235 000
emplois pour l'année 201511. Les raisons des dépôts de
bilan, les plus fréquemment invoquées par les
confédérations patronales, sont constituées par le poids
excessif des charges et la réglementation du code du
travail12. Quoi qu'il en soit il est indispensable de renverser
le rapport création/disparition d'entreprises. C’est-à-dire
que le devoir des pouvoirs publics est avant tout de mettre
en place des dispositifs permettant d'augmenter le nombre
de créations d'entreprises.
Cependant un autre phénomène impacte l'emploi ; c'est
la difficulté des entreprises à trouver des financements

9 Les Echos, 20 avril 2017.


10 lefigaro.fr, 16 mars 2017.
11 Source : Million (Thierry), Cabinet Altares, 1er trim. 2016.
12 Ainsi que les défaillances de gestion, la concurrence, par exemple
étrangère, la rigidité du système bancaire, etc.

24
auprès des banques. Les entreprises ont des besoins
permanents de financement. D'abord pour les aider à
démarrer. Mais aussi pour appuyer leur développement ou
faire face à une conjoncture défavorable, voire éviter une
fermeture. Or les banques fondent leur décision de
financement sur des dossiers de faisabilité exclusivement
techniques. Cette approche ne prend pas en compte des
aspects subjectifs et difficilement quantifiables comme le
facteur humain, en particulier l'expérience acquise. Il est
de notoriété publique, qu'en France, un entrepreneur
victime d'un dépôt de bilan éprouve de grandes difficultés
à retrouver un financement auprès d'une banque afin de se
relancer dans une nouvelle création d'entreprise13.
Au contraire, dans certains pays, l'expérience acquise
par un entrepreneur victime d'un dépôt de bilan ne
constitue pas nécessairement un handicap pour obtenir un
financement bancaire. En 2013, une mesure vient enfin
améliorer la situation par la suppression du fichier Banque
de France dit "fichier 040". Ce dernier recensait les chefs
d’entreprise ayant fait l’objet d’une liquidation judicaire et
empêchait ces entrepreneurs d’obtenir un prêt bancaire. La
suppression dudit "fichier 040" est destinée à faciliter,
dorénavant, l’octroi de prêts bancaires à ces entrepreneurs.
Quoi qu’il en soit, difficulté majeure, les banques
préfèrent investir dans des opérations boursières au
détriment du financement de l'économie d'entreprise. A
titre d'illustration, en 2016, pour 4 des plus importantes
banques françaises, BPCE, C.A., BNP, S.G., le volume
des instruments financiers s'élève à € 2 369 milliards,
contre un volume global de crédits à l'économie de € 2 738
milliards14. Soit un rapport de 8,65 pour 10. Ce qui

13 En comparaison, un crédit bancaire à la consommation y est


consenti sans difficulté, ce qui démontre la frilosité du système
bancaire français vis-à-vis du financement de l’entreprise.
14 Rapports financiers 2016, audités, de BPCE, C.A., BNP, S.G.

25
signifie que chaque fois que ces banques prêtent 100€ à
l'économie réelle, elles affectent en même temps 86,5€ à
des opérations spéculatives sur les marchés financiers. Ces
pratiques sont évidemment préjudiciables au
développement sain de l'économie. Pourtant les risques
liés aux instruments financiers15 sont supérieurs à ceux des
prêts à l'économie réelle.
La problématique du chômage est par ailleurs
intimement liée à celle de la dette. L'Etat français
contracte chaque année quelque € 60 milliards de dettes
supplémentaires pour faire face à ses charges. Un pays qui
ne produit pas suffisamment de ressources, doit réduire ses
charges ou augmenter ses ressources. Les charges d'un
pays ne pouvant que très difficilement diminuer, les
pouvoirs publics sont contraints d'augmenter les
ressources. Ils sont alors contraints d'emprunter pour faire
face à leurs besoins de financement. Mais l'emprunt en est
venu à constituer un mode de fonctionnement habituel de
la plupart des pays du monde.
Les impératifs budgétaires poussent les pays à
augmenter inconsidérément le montant de leurs emprunts.
L'Union Européenne, à l'origine, avait fixé un plafond de
dette publique à 30% du PIB. Avec un déficit annuel
maximum de 3%. Ce qui néanmoins signifiait
implicitement que l'Union Européenne autorisait les Etats
membres à vivre à crédit avec un déficit annuel de 3%
pendant 10 ans16. Seulement la dette s'est mise à enfler
sans retenue. C'est ainsi qu'en 2015 les 28 pays de l'Union
Européenne cumulent une dette de € 12 393 milliards soit
83,5% de leur PIB17. La dette française, quant à elle, selon

15 Cf l'affaire Kerviel, l'effet pervers collatéral de la prolifération des


instruments financiers s'est également manifesté dans la crise dite des
"subprimes".
16 10 ans à 3% par an atteignent la barre des 30%...
17 Wikipédia.org.

26
l’INSEE, s'élève fin 2016 à quelque € 2 178 milliards18.
Ce qui correspond à 97% du PIB. En 2015 le service de la
dette a coûté € 44,4 milliards19. Les ménages français,
cette même année 2015, ont payé € 72,3 milliards20 en
impôts sur leurs revenus. Quelque 61% de ces impôts
correspondent au service de la dette.
Quand les Etats empruntaient aux banques centrales, le
système provoquait l’inflation. Afin d'échapper aux
risques majeurs de l'inflation, l'article 123 du Traité de
Lisbonne interdit, à partir de 2009, aux Etats membres de
se financer auprès des banques centrales (BCE et banques
nationales). Les Etats sont donc contraints d’emprunter
auprès des banques privées et autres organismes
financiers. Le résultat le plus significatif de pareille
politique intéresse ces institutions qui reçoivent chaque
année une prodigieuse manne financière !
Et comme les ressources françaises ne couvrent pas les
charges, le service de la dette s'alourdit chaque année. A
ce rythme, si aucune solution n'est trouvée, dans quelques
années, l'intégralité des sommes correspondant aux impôts
sur les revenus serviront à payer les charges de la dette.
Puis les déficits continueront d'augmenter la dette.
Fin mars 2015, la majeure partie de la dette française
est détenue par des organismes "non résidents", à hauteur
de 64,4%21. Le reste est détenu par des organismes
français, essentiellement compagnies d'assurance et
banques22. Le taux d’intérêt en 2017 est de 2,67 %23.

18 Wikipédia.org. op.cit.
19 Ibid.
20 lefigaro.fr, 4 oct. 2015.
21 lefigaro.fr, 30 sept. 2015.
22 Source AFT, cité par Le Figaro.fr MAJ 23/12/2015.
23 financespubliques.fr, 27/07/2017.

27
Les citoyens ignorent dans leur immense majorité que
leurs impôts ont essentiellement pour effet d'enrichir des
établissements financiers du monde entier. Ils n’ont
généralement pas conscience de ce qui s'apparente à un
véritable racket sur les finances publiques, de la part des
banques, des fonds de pensions, et autres organismes
financiers. Ils ne sont pas conscients qu'ils paient, entre
autres, à travers les intérêts de la dette perçus par les fonds
de pensions, une partie des pensions de retraite des
citoyens de certains pays étrangers.
De leur côté, aujourd'hui, les banques françaises
détiendraient à elles seules quelque 200 milliards de dette
publique, et encaisseraient donc, à ce titre, chaque année,
de considérables revenus financiers.
Dans la pratique, les pays sont ainsi conduits à utiliser
le procédé dit de la "cavalerie" qui oblige à emprunter
pour rembourser la dette. Parallèlement, depuis quelques
années, les banques centrales rachètent de la dette de leur
pays24. La Banque de France, aurait pour sa part racheté
pour € 313 milliards de dette française depuis 201525 !
Autre déséquilibre majeur : le déficit budgétaire
français atteint € 72 milliards en 201626. La même année
l'Allemagne affiche au contraire un excédent budgétaire de
€ 24 milliards27. L'Allemagne a bien intégré le caractère
moteur du facteur travail dans son économie. Elle parvient
même à augmenter son excédent à l'assurance chômage de
€ 4,9 milliards portant l'excédent global de cette caisse à
€ 11 milliards en fin 201628. La France au contraire

24 Ce qui conduit à s'interroger sur la pertinence actuelle de l'article


123 du traité de Lisbonne.
25 wikistrike.com, 15 Mars 2017 d’après l’Agence Reuters.
26 journaldunet.com, 17 janv. 2017.
27 lesechos.fr, 23 févr. 2017. L'Espagne affiche pour sa part un taux de
croissance de 3,2 % en 2015 et la création de 525 000 emplois.
28 Le Monde, 04 janvier 2016.

28
cumulerait un déficit de quelque € 30 milliards29 à cette
même caisse d’assurance chômage.
Il faut dire que l'atout décisif de l'Allemagne est
constitué par son industrie largement orientée vers
l'exportation. C'est grâce à sa production qu'en 2016
elle bénéficie d'un excédent commercial de
€ 252,9 milliards30, contre un déficit du commerce
extérieur de la France de € 48,1 milliards31, et qu'elle
équilibre ses comptes. Atout qui subsistera tant qu'elle
continuera de bénéficier de son avantage comparatif sur
les produits qu'elle exporte…
L'Espagne fournit un autre élément de comparaison
intéressant. Le pays était encore écrasé par un chômage de
20% en 2013. Mais depuis peu on y observe une inversion
de la courbe du chômage. Le tourisme et la construction
automobile32 sont les deux secteurs qui ont porté ce
mouvement. En même temps, les principales banques
espagnoles, en particulier Banco Santander, Banco
Sabadell, La Caixa, Banco Popular... proposent des crédits
en faveur de la création d'entreprises. Entre 2013 et 2016,
le pays affiche ainsi 1,5 million de créations d'emplois33 et
le taux de chômage est redescendu à 18%… Pour l'année
2016, l'Espagne affiche une croissance de 3,2%34, soit plus
du double de la croissance moyenne européenne.

29 Le Figaro, 28 juin 2016.


30 latribune.fr, 9 févr. 2017.
31 lemonde.fr, 7 févr. 2017.
32 En 2016, sur une production de 2,88 millions de véhicules,
l'Espagne en exporte 2,43 millions selon le Journal espagnol
Expansión du 28/03/2017.
33 433 000 en 2014 selon le journal El diario du 22 janvier 2015,
525 100 en 2015 selon le journal El País du 28 janvier 2016, et
541 700 en 2016 selon lindépendant.fr, 26 janvier 2017.
34 latribune.fr, 30 janv. 2017.

29
Ces observations liminaires montrent bien que le cœur
du problème concerne l'insuffisance du nombre de postes
de travail offerts par le système de production, c’est-à-dire
les entreprises. Plusieurs solutions ont été imaginées et
mises en œuvre en France pour tenter de résoudre ce
problème. Nous aborderons, dans le chapitre qui suit, les
différentes facettes de ces stratégies.

30
2- Des remèdes-miracles
contre
le chômage de masse ?

L'état des lieux qui vient d'être brossé met en évidence


le niveau de sinistralité de la France en 2017. Les
dispositions prises par les pouvoirs publics depuis
plusieurs décennies dans l'espoir de résoudre le problème
français du chômage massif seront examinées ci-après.
L'objectif sera d’interroger l'idée maîtresse des
conceptions contemporaines sur le traitement du chômage.
Les dispositifs de relance dits keynésiens sont employés
sans modération par les pouvoirs publics au nom du
dogme selon lequel l’investissement dans l’économie
entraîne la croissance qui elle-même crée l'emploi. Les
pouvoirs publics semblent accorder un rôle quasi magique
aux dispositifs financiers en tous genres, pour relancer
durablement la croissance. L'Etat espère que l'argent ainsi
redistribué stimulera la consommation, donc la production,
et par voie de conséquence, la création d'emploi. Face au
chômage de masse, on verra alors fleurir des recettes
miracles de toutes sortes pour faire face aux problèmes
d’emploi.
Le débat sur l'emploi est posé depuis l'antiquité. Déjà,
en Sicile, vers 140 av. J.-C., suite à l'accaparement des
terres par une minorité de grands propriétaires et à la
dureté des conditions de travail, les esclaves se révoltèrent.

31
Plus spécifiquement pour des raisons technologiques, au
début du 19ème siècle, en Europe, des émeutes ouvrières
dans le secteur textile éclatent après l'introduction de
machines qui menacent de très nombreux emplois.
D'abord à Vienne en 1819. Puis quelques années plus tard
à Lyon avec la révolte dite des Canuts pour des raisons
similaires. Certains continuent encore aujourd'hui de
considérer que le progrès technique est responsable de la
montée du chômage. Par exemple, la Commission de la
croissance et de l'emploi pour le 7° plan (1974-75)
préconisait de "ralentir la modernisation des entreprises
pour préserver l'emploi" !
Il est clair que, dans une entreprise, le progrès
technique augmente la productivité. Et si la productivité
augmente, les besoins en main d'œuvre diminuent. Mais
cette thèse ne se vérifie pas sur le plan macro-économique.
Les gains de productivité peuvent être parfois
spectaculaires. Les usines Peugeot de Mulhouse au début
des années 80 en sont l'illustration. Ces dernières ont été
robotisées pour la production de la 205. La robotisation
permit de produire 1100 voitures par jour en 1985 contre
920 en 1979. Renault fabriquait une R5 TL en 28 h. en
1980. Six ans plus tard, 20 h suffisent à construire une
Supercinq. Soit un gain de productivité de près de 30 %.
Le personnel a diminué, passant de 16500 personnes en
1979 à 13500 en 198635. Le mouvement est général. Ainsi
l'industrie française perdra un million d'emplois entre 1974
et 1984. Entre 1979 et 1984, par contre, 7 branches
industrielles sur 54 créent des emplois : les industries
agricoles et alimentaires, celles de la viande et du lait, la
boulangerie-pâtisserie, l'informatique, l'aéronautique, la
pharmacie et la presse-édition. Une estimation de l'OCDE
évaluait à 3 % au Japon, 1,5 % en Allemagne, 1 % aux

35 Les suppressions d'emplois ont été couvertes entre autres par les
programmes de préretraite.

32
Etats-Unis, 0,5 % en France et au Royaume-Uni, l'impact
de la robotisation en pertes d'emplois pour 1990.
La transformation induite par le progrès technique se
traduira par d'importantes pertes d'emplois dans certains
secteurs de l'économie. Mais elles seront compensées par
des créations d'emplois dans d'autres secteurs. L'évolution
de l'emploi depuis le début du siècle confirme cette
évolution. Effectivement en France les gains de
productivité ont détruit massivement de l'emploi dans les
secteurs primaire et secondaire. Le taux d'emploi dans
l'agriculture a subi la plus forte érosion entre 1950 et
201036, passant de 28% à 3% de la population active
totale. Les effectifs dans le secteur industriel et la
construction diminueront de moitié sur la période. Mais
ces destructions d'emplois ont été quasiment compensées
par le secteur tertiaire. Ce dernier comptera 78% de la
population active occupée en 2010, alors qu'il représentait
seulement 42% en 195037.
Une étude synthétique portant sur 7 pays entre 2008 et
201438, montre des évolutions contrastées de l’emploi (en
nombre d’heures) en fonction de la productivité.
L’Espagne perd 12% de l’emploi pour une augmentation
de sa productivité de 12%. Ce qui semble confirmer l’effet
de la productivité sur l’emploi. Mais, contre-exemple,
l’Italie, sans augmentation de productivité, perd de
l’emploi à hauteur de quelque 4%. Le Japon avec une
augmentation de productivité de 5%, perdra seulement 1%
d’emplois. En France, pour un gain de productivité de 3%,
on observera une stabilité de l’emploi. Les Etats Unis par
contre verront leur emploi progresser de 3% avec des
gains de productivité de 8%. L’Allemagne progressera

36 D'après les données de l'INSEE.


37 Ibid., INSEE.
38 Source : stratégie.gouv.fr.

33
respectivement de 5% pour l’emploi et de 4% pour la
productivité. Et le Royaume Uni gagnera 5% d’emploi
sans gain de productivité. Ces exemples illustrent
l’absence de corrélation directe entre l’emploi et la
productivité.
J. Schumpeter, au début du siècle dernier, défendait
déjà la thèse de la "destruction créatrice" qui se traduit par
deux effets opposés sur l'emploi. Selon cette thèse, dans
un premier temps, l'innovation augmente la productivité et
détruit effectivement des emplois. L'innovation rend
obsolètes d'anciennes formes de production et de
distribution. Mais elle permet de créer de nouveaux
procédés, de nouvelles machines, de nouveaux produits
etc. Ainsi la destruction d'emplois entraînée par
l'innovation se trouve compensée par la création des
emplois nécessaires à la conception et à la fabrication de
nouvelles machines. Par ailleurs des avantages collatéraux
apparaissent sous forme de nouveaux produits. Ces
nouveaux produits stimulent de leur côté la production,
donc l'emploi. Il s'ensuit donc un rééquilibrage de
l'emploi.
Une autre hypothèse de lutte contre le chômage fut
suggérée en 1977 lorsqu’un sénateur déclara :
"là où en France le travail est fait par 10
personnes, si on pouvait en mettre 11 ou 12, un
grand pas serait fait pour améliorer la situation de
l'emploi39".
Cependant quelles que soient les mesures proposées
aux entreprises pour les inciter à embaucher du personnel,
on voit mal comment un chef d'entreprise accepterait de
créer des postes supplémentaires qui ne répondraient pas à
une augmentation de la demande40.

39 Sauvy (Alfred), La machine et le chômage, Paris, Dunod, 1980.


40 La demande ne peut augmenter que par trois voies :

34
Cette hypothèse consistait techniquement à diminuer de
façon généralisée le temps de travail. Ce qui supposait que
les travailleurs acceptent de réduire leur temps de travail
sans compensation financière. Ou que les employeurs
acceptent d'augmenter les rémunérations.
Sans compter que le partage du temps de travail
suppose une importante réorganisation du travail dans les
entreprises. Techniquement, cette réorganisation est
envisageable sans trop de difficultés dans les grandes
unités sur certains postes de travail. En effet, théori-
quement, en diminuant l’horaire hebdomadaire de 39 h à
35h, quatre heures peuvent être "mises en réserve" par
poste de travail. La réduction horaire, de 4h par poste, sur
9 postes, permet donc d'ouvrir en principe un poste de
travail supplémentaire de 35 heures.
Cependant, dans les petites unités cette recette pose des
problèmes d’organisation très complexes. Par exemple
dans une entreprise possédant neuf employés41 ayant des
spécialités différentes, on voit mal comment réorganiser
les quatre heures récupérées sur chacun des neuf
employés. Difficile d'imaginer en effet comment les
heures libérées par chacun d'eux pourraient constituer un
poste de travail homogène de neuf fois quatre heures. Ce
partage exigerait en théorie l'embauche de personnels
polyvalents susceptibles d'exercer plusieurs types de
tâches pour constituer des emplois supplémentaires. Ce
qui s’avère techniquement irréaliste.
Quoi qu’il en soit il était prévisible que cette mesure
induise des effets secondaires négatifs. Dans les faits cette

1- L'injection de capitaux dans l'économie,


2- L'accès à d'importants avantages comparatifs favorisant la
compétitivité internationale,
3- La création massive de petites entreprises.
41 Dans une catégorie représentant quelque 94% des entreprises
françaises.

35
mesure ne pouvait qu'entraîner une hausse des coûts de
production et donc des prix. Ce qui ne manquerait pas de
porter atteinte à la consommation, donc à la
production…et donc à l'emploi ! Dans une conjoncture où
le problème majeur était de créer des emplois, il paraissait
donc pour le moins incongru d'envisager une
augmentation du nombre d'employés dans les entreprises
existantes.
Pourtant, les lois Aubry sur les 35 heures42 seront mises
en œuvre le 1er janvier 2000. La loi des 35 heures fut une
mesure totalement inapplicable dans 67% des entreprises,
c’est-à-dire les entreprises n’ayant pas de salariés en
dehors du patron.
Classification des entreprises en 2012
selon le nombre de salariés43
Nombre de 0 en dehors 1à9 10 à 250 et TOTAL
salariés par du patron 249 PLUS
entreprise
Nombre 2412,2 979,4 199,1 6,0 3596,7
d’entreprises
(en milliers)
Nombre 67% 27 5 1 100%
d’entreprises
(en%)
Total 94% 6

Elle n’est pratiquement pas applicable non plus dans les


entreprises 1 à 9 salariés en dehors du patron, entreprises
qui représentent 27% du parc des entreprises françaises.
En d’autres termes la mesure ne pouvait avoir d’effet que
dans une minorité d’entreprises et elle ne pouvait pas
résorber le chômage massif.

42 Les lois Aubry prendront effet le 1er janvier 2000 pour les
entreprises de plus de 20 salariés, accordant un délai de 2 ans aux
entreprises de moins de 20 salariés.
43 INSEE.

36
Dans le but de limiter les effets indésirables de cette
mesure, les pouvoirs publics prévoyaient une réduction
des charges patronales pour un montant de € 15 milliards.
Ces mesures ont été accompagnées d’une grande
souplesse dans l’organisation du travail.
Les lois Aubry n’ont évidemment pas produit les effets
attendus sur l’emploi. En particulier elles ont augmenté le
volume global des heures supplémentaires. Les salariés
travaillaient en effet en moyenne 39,5 heures par semaine
en moyenne en 2011 ! Un rapport officiel44 sur le bilan des
35 heures, reconnaît du reste des résultats "contrastés".
Cette mesure aurait en moyenne coûté à l’Etat € 12
milliards par an. Selon le même rapport, ces sommes
auraient cependant été récupérées sous forme fiscale et
aussi par la baisse des coûts du chômage… Le rapport
reconnaît en outre que l'instauration des 35 heures a
augmenté le coût du travail. Par contre, cette augmentation
a eu pour effet d’augmenter la productivité des entreprises.
Les lois Aubry, de "partage du travail", destinées à
diminuer le chômage n’ont pas tenu leurs promesses. Les
statistiques officielles attribueront pourtant aux lois Aubry
une augmentation de 350 000 emplois. Mais ce résultat est
contesté par une étude menée par Chemin et Wassmer en
200945. Cette dernière conclut en effet à une absence
d’effet positif de la réduction du temps de travail sur
l’emploi. Les 350 000 créations d’emplois attribuées aux
lois Aubry seraient alors dues à d’autres facteurs.
La durée du travail reste cependant une variable
ambigüe du chômage comme l'indiquent ces chiffres des
taux de chômage et de la durée annuelle du travail dans
quelques pays d'Europe.

44 Rapport de la Commission d’enquête parlementaire, publié le 16


décembre 2014.
45 Chemin et Wasmer in Journal of labour economics, 2009.

37
Tableau comparatif des taux de chômage et de
la durée annuelle de travail en France, Italie,
Belgique, Pays Bas et Allemagne en 201546
Pays France Italie Belgique Pays Allemagne
Bas
Chômage 10% 11,5% 8,2% 6,2% 4,2%
Durée
annuelle du 1482h 1723h 1551h 1422h 1368h
travail

Ces chiffres montrent une absence de corrélation entre


la durée moyenne annuelle du travail et le chômage, ce qui
est contraire aux hypothèses sur lesquelles reposait la loi
sur les 35h en France. La solution ne résidait donc pas
dans le partage de l'emploi existant.
Par contre le sens historique du progrès social va
nécessairement dans le sens de la réduction du temps de
travail, réduction qui constitue un progrès social. Et il est
inconcevable que l’histoire évolue vers moins de progrès.
Donc le temps de travail est naturellement amené à
diminuer. C'est du reste ce que l'on constate dans
l'ensemble des pays de l'Union Européenne. L'horaire
annuel moyen de travail y a baissé, entre 1950 et 200747,
de 2180h à 1550h.
La réduction du temps de travail restera malgré tout
longtemps considérée comme un moteur décisif de la lutte
contre le chômage. On ne peut que s'étonner des décisions
des pouvoirs publics, décisions qui ne peuvent s’expliquer
que par une vision à court terme exigeant de présenter en
toute hâte des résultats présumés positifs.

46 odce.org, 2015.
47 insee.fr, statistiques, 18 janvier 2010.

38
Les dispositifs des "emplois aidés" constituent une
autre arme imaginée par les pouvoirs publics pour lutter
contre le chômage. Le 1er juin 2015, face à l'aggravation
du chômage, le gouvernement français annonce la création
de 100 000 nouveaux emplois aidés. Pour un coût de € 700
millions. Ce qui portera l’enveloppe globale annuelle du
financement des emplois aidés à € 3,815 milliards pour un
effectif de 545 000 emplois aidés par l’Etat. L'Etat
dépense près de 4 milliards d’euros chaque année pour
"effacer" artificiellement un demi-million de personnes
des statistiques du chômage ! Cette "recette" coûte 7000€
par emploi aidé et par an.
Par des mesures artificielles, comme les emplois aidés,
l’Etat rémunère le travail. Mais ce n'est pas son rôle. Le
rôle de l’Etat n’est pas de se substituer aux entreprises
pour fournir du travail aux chômeurs. Encore une fois, son
rôle en la matière consiste à favoriser la création
d’entreprise, unique pourvoyeuse d’emploi.
La tentation protectionniste constituera une autre piste
pour certains pays en difficulté. Cette tentation se traduit
classiquement par le rétablissement des droits de douane
envers des pays présentant des faibles coûts de production.
Par contre les pays concernés seront alors fondés à mettre
en place des mesures de rétorsion.
Le souhait de relocaliser des entreprises constitue une
autre approche. Mais chaque entreprise fondera sa
décision sur un plan prévisionnel couts/bénéfices. Cette
piste ne peut donc pas constituer une politique d’emploi.
Du reste il est essentiel d'avoir constamment présent à
l'esprit que l'ensemble des pays du monde se trouve sur un
même bateau. Le meilleur moyen de maintenir ce bateau à
flot consiste à préserver la communication entre les
nations. De manière à imaginer des dispositifs gagnant-
gagnant. L'histoire du monde démontre la supériorité des
communications sur l'isolationnisme.

39
Comme le souligne N. Bouzou48, la mondialisation
favorise les échanges. L'innovation technologique permet
aux pays dits en développement d'entrer dans le débat
international. Ce faisant, ils sont de fait conduits à investir
dans la recherche scientifique et l'innovation. L'allégorie
du bateau économique mondial reste on ne peut mieux
d'actualité. La monnaie est le plus efficace ferment de la
communication. L'échange marchand reste le lubrifiant
privilégié des rouages internationaux.
Selon la théorie des avantages comparatifs de David
Ricardo, une des clés de la prospérité d'un pays consiste à
se spécialiser dans des productions pour lesquelles il
possède un "avantage comparatif" sur les autres pays. La
mondialisation des échanges constitue alors une condition
de la prospérité : l'innovation, le progrès technique, et la
liberté des échanges, loin d'être des freins à la prospérité,
constituent au contraire des conditions fondamentales du
progrès pour l'ensemble des Nations.
Dans la panoplie des remèdes gouvernementaux utilisés
en France pour lutter contre le chômage, figure
l'encouragement des grosses firmes étrangères à s'installer
en France. Cependant cette recette est à examiner en
fonction de ses effets réels.
L’observation du parc français des entreprises selon
leur taille montre que les entreprises de moins de 10
personnes représentent 94% des entreprises49. En 2012, les
243 Grandes Entreprises représentent 30% de l’emploi
total. Par ailleurs, selon la nouvelle nomenclature, 137 500
PME (entreprises de 9 à 249 salariés) totalisent 28% de
l’emploi. Le reste de l'emploi est fourni par les quelque 3
millions d'entreprises de moins de 10 salariés50. La taille

48 Bouzou (Nicolas), L'innovation sauvera le monde, Plon, 2016.


49 insee.fr.
50 insee.fr.

40
des entreprises semble donc a priori constituer un facteur
favorable pour l’emploi. En d’autres termes, plus le pays
compte de grandes entreprises et plus l’emploi est
susceptible d’augmenter. C’est cette piste que suivent les
pouvoirs publics lorsqu’ils proposent des mesures
incitatives aux entreprises étrangères pour les inviter à
s'installer en France. Sachant, précisément, que la main
d’œuvre française est recherchée pour ses niveaux de
formation et de qualification particulièrement élevés,
l'argument peut intéresser certaines entreprises étrangères.
La complexité de la réglementation française et le poids
des charges n’encouragent cependant pas les entreprises
étrangères à s'installer en France. Quoi qu'il en soit
l’installation en France de quelques grandes entreprises
étrangères permettrait de créer au mieux quelques dizaines
de milliers d’emplois, entreprises de sous-traitance
comprises. L'effet ne pourrait en être qu'insignifiant sur la
réduction du chômage. Une goutte d'eau dans l'océan des
6,2 millions d'inscrits à Pôle emploi au mois de décembre
2016.
Les pouvoirs publics restent néanmoins subjugués par
la grande entreprise à cause de son potentiel apparent de
création d'emploi. C'est oublier que la grande entreprise
n'est pas le fruit de la génération spontanée. Elle provient
d'une PME qui a grandi. Or cette PME est née du désir
d'entreprendre d'une personne de la société civile, ou d'un
groupe d'amis, d'une famille… Précisément l'objet de
notre propos, dans les chapitres qui suivent, consistera à
analyser ce processus et les conditions de sa stimulation.
On entend périodiquement resurgir la menace de taux
fiscaux rédhibitoires. Mais l'augmentation des taux de
prélèvements, tendant à devenir finalement
"confiscatoires" n'a jamais eu d'autre effet que de freiner
les investissements étrangers en France et même de faire

41
fuir les investisseurs français vers des pays plus
accueillants.
Une autre difficulté de l’emploi réside dans l’âge de
départ à la retraite. Le recul de l'âge de départ à la retraite
constitue un moyen d'équilibrer les budgets des caisses de
retraite. Mais cette mesure conduit à maintenir en poste
plusieurs centaines de milliers de "seniors". Ce qui freine
d’autant l’entrée des jeunes sur le marché de l’emploi. On
ne peut alors que s’interroger sur la cohérence d’un tel
dispositif vis-à-vis du chômage. Il serait sans doute plus
judicieux de permettre des départs en retraite progressifs,
avec diminution échelonnée de l'horaire hebdomadaire de
travail avant la retraite.
Mais la question, aujourd'hui en 2017, est ailleurs. Dans
le cas d'une retraite par répartition, comme c'est le cas en
France, les actifs occupés paient pour les retraités. Et si
l'emploi augmente, le montant global des cotisations
augmente aussi. La seule politique rationnelle consiste,
pour cette raison également, à favoriser la création
d'entreprises, seul moyen pour créer de l’emploi et
renflouer les caisses de retraite.
La lutte contre l'immigration constitue une énième
procédure, évoquée de manière récurrente, comme un
moyen de réduire le chômage. Les tentations de tous bords
en faveur de sa limitation resurgissent à intervalles
réguliers et vont jusqu'à projeter l'expulsion des
immigrés… La France reste historiquement une terre
d'immigration. Dès l'antiquité les peuples ont été attirés
par le climat tempéré et la fertilité des terres de France.
Depuis un siècle, terre d'immigration, la France a connu
des flux migratoires d'origine russe, italienne, espagnole,
portugaise, maghrébine, vietnamienne, sub-saharienne…
Aujourd'hui encore la France conserve aux yeux des
étrangers en général un pouvoir attractif pour des raisons
économiques, sociales, et culturelles. Le taux de chômage

42
des immigrés51 en France, s'élève à 17,2% en 2013, taux
important. Ils représentent même 9,7% de la population
active totale. Parmi les chômeurs immigrés 42% sont sans
diplôme, 18% détiennent un diplôme de type CAP, BEP,
ou Brevet, 23% possèdent le bac ou un BTS et 17% ont
une licence ou plus. Le débat reste ouvert sur le bilan
coût/bénéfice de cette population vis-à-vis des finances
publiques françaises. En 2012 Xavier Chojnicki conteste
l’impact négatif du chômage des immigrés sur les finances
publiques et conclut même à un impact "légèrement positif
sur le long terme52". L'immigration ne peut donc, selon
l'auteur, être considérée comme un facteur significatif de
hausse du chômage. Elle se révèlerait, au pire, un facteur
neutre sur l'emploi, et au mieux un facteur positif. Le
débat sur l'immigration pourrait avantageusement
s'enrichir de l'impact d’accueil dans des villages français,
impact souvent enrichissant, aussi bien sur le plan humain
que sur le plan économique. Du reste, dans l'histoire de
l'humanité, lors des phénomènes migratoires, on observe
que l'esprit d'entreprise des immigrés s’est exprimé très
souvent par des effets positifs sur le développement
économique des pays d'accueil.
Lors de la révocation par Louis XIV en 1685 de "l'Edit
de tolérance" qui avait été signé par Henri IV en 1598 à
Nantes, quelque deux à trois cent mille protestants français
se sont exilés plutôt que de se convertir. Or comme le note
Max Weber53 "les protestants ont montré une disposition
toute spéciale pour la rationalité économique". De fait le

51 insee.fr.
52 Chojnicki (Xavier), "Les perspectives macroéconomiques d'une
politique d'immigration active en France", in La Découverte, Regards
croisés sur l'économie, 2010/2 N° 8, pp.145-157 DOI
10.3917/rce.008.0145.
53 Weber (Max), L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme, Paris,
Plon, 1990, p. 35.

43
protestantisme s’était révélé facteur important du
développement de l'industrie française. L'exil des
protestants français s'est alors traduit par une hémorragie
économique qui a appauvri l'économie de nombreuses
régions de France. L'industrie s'est affaiblie, notamment
l'industrie textile. Mais aussi l'industrie métallurgique, les
activités commerciales, bancaires, etc.
En même temps cet exil des protestants a enrichi les
pays limitrophes où ils ont trouvé refuge, essentiellement
Allemagne, Angleterre, Hollande, Suisse. Les protestants
exilés y introduiront leurs savoir-faire et leurs capitaux. Ils
y développeront des activités économiques artisanales et
construiront des usines. En particulier Berlin "construit
son économie préindustrielle grâce à leur réserve
financière et à leur savoir-faire54". Ce faisant, ils vont
ainsi "faire la fortune de leur pays d'accueil55".
D'autres phénomènes migratoires ont pu être observés
dans l'histoire, et qui ont eu des effets similaires sur
l'économie des pays d'accueil. Dans un passé récent on a
pu en observer l'illustration spectaculaire dans l'immi-
gration cubaine massive vers la Floride lors de la prise de
pouvoir de Fidel Castro à Cuba. George Gilder56 analyse
le phénomène cubain d'immigration vers la Floride et note
que cet exode s'est traduit en 1961-62 par le départ de
200 000 cubains fuyant le régime castriste. Un tel afflux
d'immigrés sur Miami, dans le Comté de Dale, a d'abord
effrayé les autorités locales qui ont vu subitement
augmenter leur population de 20%. Or le chômage y était
déjà très important. Mais les craintes des pouvoirs publics
ont vite été infirmées. En effet les immigrés cubains se

54 Biré (Raymond), Le rôle des Huguenots français dans l'édification


de la nation allemande, Conférence du 27 février 2016, Toulon, 20p.
55 Source : "18 octobre 1685 Révocation de l'Edit de Nantes", in amis
d'hérodote.net, 2015-10-18.
56 Gilder (George), L'esprit d'entreprise, Paris, Fayard, 1985.

44
sont révélés remarquablement entrepreneurs et "ont
apporté le remède dont la ville avait besoin pour enrayer
son déclin57". Non seulement ils ont complètement
remodelé l'espace économique urbain, mais ils ont créé
massivement des emplois pour les américains eux-mêmes.
Le phénomène montre ici que le réel créateur d'emploi est
le créateur d'entreprise.
Autre axe de réflexion considéré comme facteur de
lutte contre le chômage : le niveau de formation. Pour
l'individu, il est clair que le niveau de formation est
important car il facilite l'accès à l'emploi. Le risque du
chômage diminue avec le niveau de formation. Les
catégories les moins touchées par le chômage sont les
diplômés de l'enseignement supérieur. En 2012, selon
l'INSEE le taux de chômage des chômeurs non diplômés
(17,1%) est trois fois supérieur à celui des diplômés
supérieurs à bac+2 (5,6%). L’augmentation du niveau de
formation constitue donc bien, au niveau individuel, un
atout sur le marché du travail. Quelle que soit, du reste, la
situation économique du pays, pays en plein emploi ou
pays en chômage massif.
Par contre sur le plan macro-économique cette variable
n’est pas pertinente. En effet, si effectivement un fort
niveau national de formation représente un atout pour un
pays en termes de compétitivité58, il ne crée pas
nécessairement des emplois. L'augmentation du niveau
général de formation ne réduit donc pas automatiquement
le chômage. C'est du reste ce qui s'observe en France
depuis plusieurs décennies : le niveau d'instruction ne
cesse d'augmenter, mais le chômage n'est pas freiné pour

57 Gilder (George), op.cit. p. 131.


58 Avec cette réserve toutefois qu'un fort niveau de formation des
ressources humaines entraîne actuellement en France une fuite des
cerveaux vers des contrées plus accueillantes.

45
autant. S'il n'y a pas de mouvement massif de création
d'entreprises nouvelles, le chômage ne peut pas diminuer.
L'argument électoral d'un candidat aux élections
présidentielles françaises de 2017 propose le Revenu
Universel d'Existence (RUE). Cette disposition peut
s'analyser sous deux aspects différents. Tout d'abord
l'aspect financier. Il est clair que le RUE a un coût
supérieur à celui des diverses allocations existantes. Mais
pour Rodolphe Christin59, "l'attribution d'un revenu
d'existence est la condition d'un chômage créatif et
contributif". Et il est de fait que le RUE peut faciliter la
préparation d’un projet d’entreprise. De plus un candidat à
la création d'entreprise se sentira plus sécurisé s'il sait
pouvoir compter sur une sorte de "parachute" en cas de
faillite. Et cette sécurité constitue indéniablement un
facteur d'encouragement à la création d'entreprise.
Depuis un demi-siècle, pour les pouvoirs publics, la
croissance reste le maître mot des dispositifs de lutte
contre le chômage. Pourtant ce serait plutôt l'augmentation
de l'emploi qui relancerait la croissance. C’est ce que
laisse penser un vaste mouvement de création de petites
entreprises dont les Etats Unis avaient bénéficié entre
1974 et 1984. Concrètement, "23 millions de postes de
travail60" avaient ainsi été créés sur la période61.
Dans le même temps, l’Europe n’avait pas bénéficié
d’une augmentation significative de l’emploi62. Cette

59 Christin (Rodolphe), "Après le travail", in Rodolphe Christin et al.


Le travail, et après ? Montréal Québec, Ecosociété, février 2017, p.
20.
60 Gilder (George), op.cit. pp. 53-55. Les entreprises créées furent
essentiellement des entreprises de services et d’information, largement
créatrices d’emplois.
61 Alors que les 500 plus grandes firmes perdaient quelque 3 millions
d’emplois
62 Gilder (George), ibid., p. 55.

46
observation semble effectivement confirmer que c'est bien
la création d'entreprise qui crée l'emploi, lui-même
entraînant la croissance.
Au mieux, les stratégies des pouvoirs publics pour
relancer artificiellement la croissance ne peuvent avoir
d'effet qu'à très court terme. Elles n'ont pas plus d'effet sur
le chômage qu'un feu de paille. Cependant, avec l'espoir
de réduire le chômage, les tentatives françaises de relance
continuent. Les programmes de relance se traduisent
classiquement par des injections financières dans
l’économie dans l’espoir de relancer la consommation.
Dès lors la population augmente sa consommation.
Cependant, effet pervers, l'augmentation du pouvoir
d'achat stimule aussi l'importation. Au détriment donc de
la production intérieure. En définitive les relances par la
consommation n'augmentent pas l’emploi intérieur de
manière significative. Pourtant les pouvoirs publics
s'entêtent à utiliser ces politiques keynésiennes. La
politique de la demande reste encore érigée en dogme
imprescriptible. Cette pratique conduit uniquement à
augmenter la dette publique. Sous le fallacieux espoir de
soutenir la croissance, les Etats continuent à emprunter. Et
le service de la dette représente une rente perpétuelle
versée aux banques.
A la fin de la seconde guerre mondiale, le Plan
Marshall permit de reconstruire le pays et de relancer
l'économie. Cette technique ne peut s'ériger en politique
permanente. Du reste jusque dans les années 70, l'inflation
avait pour conséquence de réduire le poids de la dette.
L'inflation ayant été jugulée, les Etats voient leur dette
augmenter sans cesse. Et les recettes ne parviennent plus à
rembourser cette dette.
La France persiste cependant à financer la croissance et
l'emploi à l'aide d'emprunts, ainsi que par des
redistributions fiscales, ou par l'augmentation de la

47
fiscalité, ou par d'autres remèdes miracles. Ces
dispositions constituent, au mieux, des mesures d'urgence,
au pire, un non sens. La boite à outils économique montre
ici sa grave carence. Aucune "recette" n'a permis de
résorber le fléau du chômage de masse. Tout porte à croire
que la seule préoccupation des pouvoirs publics concerne
finalement le traitement social du chômage. En clair :
garantir la paix sociale, ne pas troubler l'ordre public.
La gouvernance économique française présente un
caractère manichéen qui sous-entend que hors
l’économique il n’est point de salut. On attribue une
autorité excessive aux théories économiques. A ce titre
Léonidas Kalogeropoulos63 recommande aux pouvoirs
publics de mettre fin à leur dépendance vis-à-vis de
"l'establishment économique".
L'économie n'apporte rien de plus qu'un éclairage et
doit n’être considérée que comme un des volets
décisionnels, au même titre que les autres sciences. Il faut
donc s’affranchir de l'exclusif recours à l'économique,
lequel conduit le pays à l’impasse. D'autres éclairages sont
nécessaires.
En définitive, en France, toutes les politiques
économiques fondées sur la relance ont, depuis 5
décennies, échoué à réduire le chômage. Les pouvoirs
publics doivent se résoudre à considérer que la croissance
n'est pas à vendre. Elle ne s'achète pas avec des milliards
d'euros empruntés sur les marchés financiers.

63 Kalogeropoulos (Léonidas) Liberté, égalité, fraternité et esprit


d'entreprise, CentMilleMilliards, 2015. p. 74.

48
3- L’esprit d’entreprise,
fondement de la croissance

Afin d’éradiquer le chômage de masse et de relancer


durablement la croissance, les pouvoirs publics devront
aujourd’hui prendre le contre pied des errements passés.
En particulier ils devront reconsidérer la pratique des
traditionnelles politiques keynésiennes de relance. Et
aborder les problématiques du chômage massif et de la
dette d’un point de vue nouveau.
Précisément, l'argumentaire ici développé propose une
rupture paradigmatique sur la corrélation entre croissance
et emploi. Adam Smith avait posé que si la quantité de
travail augmente, "la richesse des nations64" augmente.
Seule la créativité entrepreneuriale peut entraîner le
nécessaire retournement de tendance socio-économique.
Sophie Boutillier et Dimitri Uzundis65, mentionnent les
propos d’un ministre français : "ce n'est pas la croissance
qui crée l'emploi; l'entrepreneur crée l'emploi, l'emploi
crée la croissance". Le moteur de l’économie est
l’entreprise. La prospérité dépend d'un nombre suffisant de
créations d'entreprises. Seule l’entreprise permet d'ouvrir
les postes de travail nécessaires pour résorber le chômage
de masse. Faute d'augmenter le nombre de petites

64Outre l’augmentation de la productivité.


65 Boutillier (Sophie) et Uzundis (Dimitri), L'entrepreneur, une
analyse socio-économique, Economica poche, 1995 p. 52.

49
entreprises, l'emploi offert ne pourra pas augmenter. Au
raisonnement en vigueur précédemment évoqué
"croissance = travail = emploi", comme maître mot des
politiques économiques françaises encore usitées, il est
impératif de substituer le paradigme opposé :
"Création d'entreprises = Emploi = Croissance".
Les trois défis majeurs, pauvreté, chômage, et dette, ne
peuvent être relevés sans mettre en place une politique
volontariste de création d’entreprises. La France ne
bénéficie pas d'avantage comparatif vis-à-vis de l'étranger,
comme la production industrielle pour l'Allemagne. Par
contre elle présente un avantage largement reconnu : le
niveau de compétence de sa jeunesse.
Mais faute d'augmenter le nombre d'entreprises, et
essentiellement de petites entreprises, l'emploi offert ne
peut pas augmenter. La création d’entreprise est un enjeu
vital pour le pays. Seule cette option est en mesure de
relever les défis contemporains.
En 1990, Beth Siegel66 note qu’aux Etats-Unis, les
créations d’emplois sont essentiellement à porter à l’actif
des petites entreprises.
En 1992, Hervé Novelli67 aborde la question sous un
angle novateur. Il observe une corrélation entre le nombre
d’entreprises et les emplois. Suite au démarrage de
quelque 220.000 entreprises, Hervé Novelli estime à
650.000 le nombre d'emplois créés ou maintenus par ces
entreprises. Ce qui représente en moyenne 3 emplois par
entreprise créée ou reprise.

66 Siegel (Beth) : "La création d'emplois et les initiatives locales de


développement économique : pourquoi encourager l'entrepreneuriat",
dans Entreprendre au féminin, OCDE, Paris 1990, 112 p. p.19.
67 Novelli (Hervé), "Aider les PME, défis et réalités", Les éditions
l'organisation, Paris, 1994, p.34.

50
Un raisonnement statistique un peu du même ordre est
suivi par Jean Pierre Raffarin, sous la présidence de Jaques
Chirac. Le "Rapport Raffarin" présenté au Sénat le 26
janvier 2000, compare la situation de l'emploi de plusieurs
pays à faible chômage avec la France. Il note que le
nombre d'entreprises de ces pays, rapporté à leur
population totale est largement supérieur à celui de la
France.
Ce rapport établit qu'il serait nécessaire à la France de
créer un million de PME supplémentaires pour parvenir à
la même proportion d'entreprises par rapport à la
population globale.
Afin de stimuler la création d’entreprises, le Plan
Raffarin, sous la présidence Jaques Chirac, en 2002,
consistera à baisser le capital social des SARL à 1€ afin de
stimuler la création d'entreprises. L’objectif était de "créer
un million de PME supplémentaires". Ce qui, selon
l’observation statistique d’Hervé Novelli, aurait
logiquement laissé espérer la création de quelque trois
millions d’emplois.
Sur ce même raisonnement, le schéma, ci-après, d'une
sorte d' "entonnoir de l'emploi", se fonde précisément sur
la relation statistique entre entreprise (hors fonction
publique), emploi et chômage. Il met en évidence le
nombre d’entreprises à créer pour résorber le chômage de
masse.
En France, en 2015, la population active occupée
s’élève à quelque 16,4 millions hors fonction publique68,
Le nombre d'entreprises est de 4,2 millions en comptant
les exploitations agricoles et les "auto-entreprises". La

68 Effectifs de la Fonction publique en 2015 : 5,6 millions, (sources


statistiques INSEE).

51
moyenne du nombre d’emplois par entreprise hors
fonction publique s’établit alors à 3,969.
Le rétablissement d’un marché du travail réellement
"fonctionnel", exigerait d'abaisser le taux de chômage à
5%. Ce taux correspond au chômage dit frictionnel70.
C’est-à-dire un taux qui permette une mobilité
professionnelle sans provoquer de blocage sur le marché
de l'emploi.

L'ENTONNOIR DE L'EMPLOI (en millions)

Entreprises existantes : 4,2 Salariés :16,4


Population
active hors
fonction
publique:
22,9

Entreprises à créer : 1,2 chômeurs :5

Chômage frictionnel : 1,5

Le chômage frictionnel en France représente en théorie


quelque 1,5 million de personnes. Le "plein emploi"
nécessite alors la création de 5 millions de postes de
travail supplémentaires. Sur la base de la proportion
d'emplois observée par rapport au nombre d'entreprises
existant en France, les 5 millions d'emplois à créer

69Selon la formule : 16,4 / 4,2 = 3,9


70De l'ordre de 5 % de la population active estimée à 28,6 millions de
personnes en 2014, (source INSEE).

52
nécessiteraient une augmentation du parc des entreprises
de 1,2 million d'unités.
Antonio Tajani, alors Vice Président de la Commission,
en charge de l’industrie et de l’entrepreneuriat71, déclarait
déjà le 10 janvier 2013 "plus d'entrepreneurs c'est plus
d'emplois […] si nous parvenons à libérer le potentiel
entrepreneurial de l'Europe, nous réussirons à renouer
avec la croissance".
Sans l’augmentation du parc des entreprises, il est en
effet impensable d'espérer faire surgir comme par magie
les quelque 5 millions de postes de travail nécessaires à la
résorption du chômage de masse en France.
L’axiome sarkozien du "travailler plus pour gagner
plus" s’inscrivait déjà dans cette même philosophie. Si la
quantité de travail augmente dans le pays, la richesse
augmente. En 2008 la création du régime de l'auto
entrepreneur allait ainsi dans le sens de la stimulation à la
création d'entreprises. Cette mesure avait pour ambition
d’augmenter le parc des entreprises, et réduire le chômage.
La mesure permit l'éclosion quasi immédiate de plusieurs
dizaines de milliers d'entreprises. Même si, de l’aveu
même des intéressés, les deux tiers de ces entrepreneurs
d’un nouveau type auraient créé leur entreprise sans cette
mesure. En tout état de cause, la création du statut d'auto
entrepreneur, a donné un coup de fouet à l'entrepreneuriat
en France. Déjà, après la mesure Raffarin consistant à
baisser le capital social minimum des SARL à 1€, les
créations d'entreprises avaient progressivement augmenté,
de 214882 unités pour l’année 2002 à 331736 pour l’année
2008. Mais dans l’année 2009, la France bondira à 580193
créations d'entreprises à la suite de la mise en place du
régime de l'auto-entrepreneur. Le pays passe alors en
première position européenne des créations d'entreprises !

71 Nommé président du parlement européen depuis le 17 janvier 2017.

53
Le mouvement de créations d'entreprises restera
relativement stable à plus de 520 000 créations par an
jusqu'en 2015 comme en atteste la courbe ci-après72.

Nombre de créations d’entreprises


de 2000 à 2015

Le programme Raffarin, en 2002, comme la création du


statut d'auto entrepreneur en 2008, n'ont pas produit un
résultat à la mesure des besoins. Ils ont été insuffisants
pour relancer la machine économique, réduire le chômage
de masse, et combler les déficits publics. Si le résultat ne
fut pas à la hauteur des espoirs, cette politique
correspondait cependant à une prise de conscience que
l’institution qui produit l'emploi et la richesse est
naturellement l’Entreprise. Elle seule peut réduire le
nombre de chômeurs, et entraîner la croissance à long
terme.
Cette politique, qui vise le long terme, est en opposition
avec les trop classiques dispositifs hâtifs et à court terme
d'injection de capitaux dans l'économie. En son temps le
Général De Gaulle avait pourtant donné le ton des visions
à long terme. C’est ainsi en particulier qu’il mit en œuvre
une politique énergétique susceptible d’assurer

72 Source : Agence France Entrepreneurs.

54
l’indépendance de la France pour plusieurs décennies.
Cette politique s’est traduite concrètement par la maîtrise
technologique et l’exploitation de l’énergie nucléaire.
L’exemple fournit un précieux enseignement : il est
aujourd'hui nécessaire de fonder une politique à long
terme sur l’exploitation d’une ressource de préférence
inépuisable. La ressource humaine, universelle, est
précisément inépuisable et insuffisamment exploitée. Les
pays les plus développés sont ceux où les taux de
scolarisation et les investissements dans l’enseignement
supérieur et la recherche sont les plus élevés. Il est clair
que les pays dits pudiquement "en voie de
développement", sont aussi ceux dont les taux de
scolarisation et ceux où l’enseignement supérieur et la
recherche sont les plus faibles73.
Comme l'a proclamé le président du Parlement
européen Antonio Tajani, il est de la responsabilité des
pouvoirs publics de mettre en place des dispositifs
rationnels susceptibles de stimuler la création
d’entreprises. Et le nombre d’entreprises à créer
correspond au chiffre avancé par le Rapport Raffarin,
chiffre conforme aux observations d’Hervé Novelli ainsi
qu’à "l’entonnoir de l’emploi" précédemment évoqué

73 A ce propos il est bon de rappeler que les instructions officielles de


la colonisation française avaient limité à 50% leurs objectifs de taux
de scolarisation des "peuples colonisés". Le Gouverneur général
Roume, Administrateur civil au Mali, considérait "l'instruction comme
une chose précieuse qu'on ne distribue qu'à bon escient et limitons-en
les bienfaits à des bénéficiaires qualifiés", cf. Albert Antonioli, "Le
droit d'apprendre, Une Ecole pour tous en Afrique", L'Harmattan,
Paris, 1994. Gageons que si la colonisation avait développé
massivement l'éducation en Afrique francophone, la France aurait
aujourd'hui un partenaire commercial, culturel, économique et
technologique privilégié, avec une population qui fuirait moins les
zones pauvres et les zones de non droit vers des régions plus
accueillantes comme l'Europe.

55
Dès lors l'Etat se doit de susciter les conditions de la
créativité entrepreneuriale. Il faudra envisager la gestion
de la Nation sous un angle global, qui prenne en compte
toutes les facettes de la problématique du chômage. Et
surtout accepter que le rééquilibrage du budget de l’Etat
nécessite la multiplication des créations d'entreprises.
De nombreux dispositifs techniques et financiers
existent déjà pour favoriser la création d'entreprises par
diverses catégories de populations. Cependant le Rapport
de la Cour des Comptes de 2012 sur les dispositifs de
soutien à la création d'entreprise déplore que l'ensemble
des dispositifs existants s'apparente à un "mille-feuilles
illisible, qui ne bénéficie qu'à une minorité" de candidats à
la création d'entreprise74.
Quoi qu’il en soit, il est impératif de prendre le contre-
pied des raisonnements conventionnels, exclusivement
d’ordre économique, suivis jusqu’ici par les pouvoirs
publics.
La création d'entreprise est d'abord une question de
mentalité. Tout le monde n'a pas la mentalité
d'entrepreneur. Mentalité, désir, capacité, idée,
opportunité… Le développement de l'esprit d'entreprise
dans la société civile est seul à même de développer la
créativité entrepreneuriale.
Pour J.M. Keynes "c'est l'esprit d'entreprise qui
construit et améliore les biens de ce monde… Si l’esprit
d’entreprise est vivace la richesse s’accumule… Si l’esprit
d’entreprise s’assoupit, la richesse décline...75". Cette
même idée sera reprise par G. Gilder76.

74 Cour des Comptes, op.cit. p. 11.


75 Keynes (John Maynard), A treatise on money, Londres, 1930.
Martino publishing, USA, ed. 2011, Vol. II, pp. 148,149.
76 Gilder (George), op.cit. p. 361.

56
Dans son plaidoyer en faveur de l'esprit d'entreprise,
Léonidas Kalogeropoulos souligne que l’absence d’esprit
d’entreprise est la cause de la dette et du chômage de
masse77. Il fait de l’esprit d’entreprise le moteur du
système socio-économique. Il conçoit le développement
de l'esprit d'entreprise dans la société comme un véritable
"idéal de citoyenneté78". Il demande que soit ajouté dans le
préambule de la Constitution le concept d'esprit
d'entreprise à la devise républicaine79.
Selon cette approche, il faudra ériger l'esprit
d'entreprise de la population au rang de devoir citoyen. De
même que le vote est un devoir civique, la participation à
la création d'emplois par la création d'entreprise, doit être
conçue, par chaque citoyen, à la mesure de ses moyens,
comme une sorte d'exigence éthique. Que ce soit en créant
soi-même une entreprise, ou en œuvrant à son niveau, par
exemple en adoptant une attitude "positive" en faveur du
développement de l’esprit d’entreprise. Et alors, il fera
œuvre citoyenne.
Cependant, difficulté majeure, l'impérieuse nécessité de
développer l’esprit d’entreprise n’est pas encore répandue
dans la classe politique au point d'en faire "le" programme
gouvernemental aujourd’hui prioritaire sur tous les autres.
Pourtant c'est ce concept qui a stimulé le
développement socio-économique des régions du monde
où se sont déployées les religions juive et protestante en
particulier. Religions qui ont développé une éthique
favorable à la création d'entreprises80.

77 Kalogeropoulos (Léonidas), op.cit. p. 40.


78 Ibid. p. 38.
79 Ibid. p. 59.
80 En particulier les pays du nord de l’Europe qui ont bénéficié des
influences protestantes.

57
Aujourd'hui en France, les pouvoirs publics doivent
donc considérer le développement de l'esprit d'entreprise
comme un préliminaire obligé à toute politique
économique. Et assurer une priorité absolue à la mise en
place de dispositifs aptes à développer l'esprit d'entreprise
chez le futur citoyen. Hervé Novelli le concepteur de
l’auto-entreprise, lui-même entrepreneur, puis homme
politique, soulignait : "le système éducatif a une grande
responsabilité dans la formation des mentalités81".
L'esprit d'entreprise est une mentalité particulière. Il
importe, comme le préconise par ailleurs la Cour des
Comptes, d'enrichir la panoplie existante par "la
sensibilisation des élèves à la culture entrepreneuriale dès
le collège et le lycée82".
L’esprit d’entreprise sous-tend le désir d’entreprendre.
Une entreprise ne se crée pas ex nihilo. Elle nécessite
l'apparition du désir d'entreprendre d'une personne et/ou
d'un groupe de personnes, d'un groupe d'amis.
C'est ainsi que se crée l’emploi. Et qu'un pays prospère.
Seul le développement de l’esprit d’entreprise est en
mesure de créer de l'emploi. Alors s'observe la croissance.
De l’esprit d’entreprise à la croissance

Esprit Création Création


d'entreprise d'entreprise d'emplois CROISSANCE

De plus ce sont les petites entreprises et non les


grandes, qui créent l'emploi. Georges Gilder observe que
la majorité des nouveaux emplois créés aux Etats Unis

81 Novelli (Hervé) op.cit. p. 36.


82 Cour des Comptes, op.cit. p. 17.

58
entre 1970 et 1980 l’ont été par des entreprises de moins
de 100 personnes83.
Afin de développer l'esprit d'entreprise, il est essentiel
de faire confiance à l'imagination créatrice de la
population, au génie populaire. Dès l'année 2000, pour les
plus hautes instances européennes, la problématique du
facteur humain, et de l’esprit d’entreprise, commençait à
apparaître comme un préalable fondamental au
développement économique et social. La Commission
Européenne adopte alors des dispositions concrètes en
faveur du développement de l'entreprise.
Le Conseil européen extraordinaire de Lisbonne les 23
et 24 mars 2000 recommande de poser les bases d'une
évolution de l'Union Européenne vers
- une "croissance économique durable",
- une amélioration de la compétitivité,
- et une "amélioration quantitative et qualitative de
l'emploi"
- en "investissant dans les ressources humaines".
En 2003 le préambule du "Livre vert" publié par la
Commission des Communautés Européennes précise que :
"L'Europe se doit de stimuler davantage la
dynamique de l'esprit d'entreprise", car "l'esprit
d'entreprise contribue à la création d'emplois et à
la croissance84".
Le texte demande aux pouvoirs publics des pays
membres de stimuler l'esprit d'entreprise. L'Union
Européenne reconnaît ici la corrélation entre l'esprit
d'entreprise, la création d’entreprise, l'activité, l'emploi, et
la croissance. Et ce paradigme est l'exact opposé du

83 Gilder (George), op.cit. p. 349.


84 Livre vert de la Commission des Communautés Européennes, p.6.

59
désormais désuet dogme de la relance économique, selon
lequel la croissance créerait l'emploi.
A la suite d'une conférence les 26 et 27 octobre 2006
sur le thème "Education à l'entrepreneuriat en Europe",
organisée à l'initiative de la Commission européenne,
"L'agenda d'Oslo pour la formation à l'entrepreneuriat en
Europe" définit un cadre pour l'élaboration des politiques
afin de "garantir l'appui des instances politiques, au plus
haut niveau, en faveur de la formation à
l'entrepreneuriat". Cet Agenda recommande "d'intensifier
les efforts d'encouragement de l'esprit d'entreprise dans la
société".
Le Conseil européen qui s'est réuni à Bruxelles les 13 et
14 mars 2008, a insisté sur la nécessité de "développer
l'esprit d'entreprise" et de soutenir les PME, lesquelles
sont "l'atout majeur des économies européennes". Antonio
Tajani, déclarait le 10 janvier 2013
"dans toute l’histoire économique, l’esprit
d’entreprise a été le moteur le plus puissant de la
croissance".
Il recommandait de développer l'esprit d'entreprise "dès
l'Ecole primaire" pour susciter massivement la création
d'entreprises dans toute l'Europe. Il considère que :
"l'investissement dans l'éducation à l'entrepre-
neuriat est l'un des plus rentables que l'Europe peut
faire".
En France, à l'heure de la scolarisation universelle, il
convient de mettre en place l'étape suivante, celle qui
consiste à démocratiser l'esprit d'entreprise de l'école
élémentaire à l'enseignement supérieur...
Et, précisément, en 2014, dans le cadre de l'éducation à
l'esprit d'entreprise, la DG Entreprises et industrie, et la
DG Education et culture de l'Union Européenne, ont
organisé deux évènements transnationaux consacrés à la

60
formation des enseignants à l'éducation à l'esprit
d'entreprise. A ces deux évènements ont participé quelque
170 délégués venus de pays de l'Union Européenne qui ont
mis en œuvre des dispositifs destinés à développer l'esprit
d'entreprise dans les établissements scolaires et
universitaires. Ainsi que dans les structures de formation
initiale et continue des enseignants.
L'Unité "Entrepreneuriat 2020" de la Commission
Européenne, publie à cette occasion un "Guide des
formateurs85" dont l'avant-propos annonce :
"renforcer l'éducation à l'esprit d'entreprise dans les
écoles, les établissements d'enseignement profes-
sionnel et les universités aura une incidence positive
sur le dynamisme de nos économies",
Le message est on ne peut plus clair : l'Union
Européenne émet à l'intention des pouvoirs publics
nationaux le message selon lequel c'est l'esprit d'entreprise
qui constitue le ferment du fonctionnement socio-
économique d'une société. Chaque pays doit soutenir la
mise en place de protocoles aptes à développer l'esprit
d'entreprise au sein du système éducatif.
Les 30 pays européens ayant participé à des
programmes en faveur du développement de l'esprit
d'entreprise ont présenté à cette occasion les résultats des
dispositifs qu'ils ont mis en œuvre. Le but étant d'échanger
sur les pratiques originales de chacun d'eux. Plusieurs pays
ont mis en place des actions en direction des élèves des
établissements d'enseignement et de formation à tous
niveaux depuis l'école maternelle jusqu'à l'enseignement
supérieur. En Croatie, par exemple, le Lycée Matija Antun

85Direction générale des entreprises et de l'industrie à la Commission


européenne, Guide des formateurs, Rédigé en 2013 par ICF
GHK/GHK Consulting Ltd, et publié en 2014 par l'Unité
Entrepreneuriat 2020 (ISBN 978-92-79-30914-4, dol: 102769/51368).

61
Relkavic "cherche à développer les compétences
entrepreneuriales de ses élèves86".
Certains ont ajouté des modules à la formation initiale
des enseignants et des formateurs afin de les préparer à
sensibiliser les élèves à l'esprit d'entreprise. Voire même à
inciter les élèves à créer des entreprises virtuelles et/ou des
entreprises réelles.
D'autres ont intégré à la formation continue des
enseignants l'objectif de sensibilisation des élèves à l'esprit
d'entreprise. Et à ce titre, les débats ont mis en évidence la
nécessité de faire appel à des "formateurs d'enseignants en
éducation à l'esprit d'entreprise", ainsi que la nécessité
d'élaborer des
"programmes de formation des enseignants à l'esprit
d'entreprise et des méthodes pour les futurs
enseignants87".
Ce dernier point fait l'objet d'une présentation d'une
action finlandaise fondée sur la formation d'enseignants à
l'éducation en faveur du développement de l'esprit
d'entreprise. Il y est en particulier fait mention, dans
l’enseignement supérieur, de la création à partir de 2013-
2014 d'un
"master international d'enseignement comportant un
cours obligatoire intitulé innovation pédagogique et
esprit d'entreprise88".
En Irlande du Nord, le St Mary University Collège
propose, dans le cadre de sa formation en licence en
pédagogie, un "certificat d'apprentissage de l'esprit
d'entreprise". La Belgique possède un "Centre pour la
créativité, l'innovation et l'esprit d'entreprise à l'école

86 Unité entrepreneuriat 2020, op.cit.


87 Unité entrepreneuriat 2020, op.cit.
88 Ibid.

62
supérieure Artevelde". En Croatie, Finlande, Angleterre,
Danemark, Macédoine, Pays de Galles…, certaines
universités incluent, dans leurs programmes, des modules
et/ou des méthodes de formation des enseignants à
l'éducation en faveur du développement de l'esprit
d'entreprise. Le Portugal fait état d'un programme
d'éducation à l'esprit d'entreprise dispensé par l'Institut
Polytechnique de Guardia dans le cadre de son "cursus de
licence en éducation de base".
A noter par ailleurs au Portugal la mise en place d’un
programme en direction des enfants de 3 à 12 ans intitulé
"des idées pour changer le monde". Programme initié par
un partenariat entre la faculté d'éducation de l'Institut
polytechnique de Viana do Castelo et le Centre éducatif
Alice Nabeiro.
En France, la situation reste plus contrastée. Jusqu'à
présent, le système éducatif français continue
essentiellement à formater chez les élèves un état d’esprit
de "demandeur d'emploi". Selon des sondages effectués
dans des classes de second cycle de l'enseignement public,
dans les années 90, on observait une proportion de
vocations à la création d'entreprises de l'ordre de 10%89.
Ce qui était significatif d'un état d'esprit peu enclin à la
création d'entreprise.
Il est indispensable de modifier la finalité du système
éducatif français qui a encore pour but, implicitement, de
former des employés, de la main d’œuvre, c’est à dire une
population assistée en permanence. Par l’employeur
d’abord, qui fournit les ressources de subsistance, mais
aussi par l’Etat qui prend le relais par des dispositifs
sociaux.

89 Lycée de Pamiers, Ariège,1994.

63
Le système éducatif est le lieu le plus approprié pour
développer l'esprit d'entreprise, depuis l'enseignement
élémentaire jusqu'à l'enseignement supérieur.
Conformément aux recommandations de la
Commission européenne, cette dimension doit être insérée
dans les préoccupations pédagogiques des enseignants et
apparaître en clair dans les programmes de toutes les
disciplines. Au sein du système éducatif la sensibilisation
à l'esprit d'entreprise devra être traitée en termes
d'objectifs pédagogiques. Les enseignements techniques
s'y prêtent assez naturellement. Certaines disciplines de
l’enseignement général, comme l’enseignement des
sciences économiques et de gestion peuvent également s'y
prêter.
Le moteur de la société dépend bien essentiellement
d'un nombre suffisant d'entreprises pour créer les emplois
requis et résorber intégralement le chômage de masse. Les
réflexions qui précèdent montrent l'importance centrale
occupée par l'entrepreneur dans tout dispositif de lutte
contre le chômage. Problème socio-économique, celui-ci
est naturellement à la charge des pouvoirs publics.
Les conditions de mise œuvre de cette politique
d'incitation à la créativité de petites entreprises restent en
priorité du domaine du pédagogique. Il est indispensable
d'inscrire l’esprit d’entreprise dans les finalités éducatives.
Comme le préconise depuis une vingtaine d'années la
Commission Européenne, l'école devra mettre en place des
dispositifs pérennes afin d’y développer l'esprit
d'entreprise.
La France se décidera officiellement à entériner les
recommandations de la Commission Européenne. Après le
Rapport de la Cour des comptes sur les dispositifs de
soutien à la création d'entreprise, les "Assises de
l'entrepreneuriat" seront lancées par le gouvernement
français le 14 janvier 2013. Ces assises vont déboucher sur

64
des mesures concrètes afin de "sensibiliser à la création
d'entreprise de la 6ème à la terminale", ainsi que "dans les
universités". Précisément,
"la culture économique et la sensibilisation à l'esprit
d'entreprendre seront renforcées dans le cadre de
différentes activités périscolaires90".
Une disposition spéciale concernant l'entrepreneuriat
féminin aura pour objectif d'"atteindre 40% d'entreprises
créées par des femmes à l'horizon 2017".
Cette disposition viendra renforcer la "semaine de
l'entrepreneuriat féminin" dont la 4ème édition se déroulera
du 6 au 11 mars 201791. Plusieurs dizaines de partenaires,
publics et privés, y participeront. Elle touchera, sur
l'ensemble du territoire, 197 collèges et lycées ainsi que 44
établissements d'enseignement supérieur.
Mais dès l'instant où l'entrepreneur est incité à
embaucher de la main-d'œuvre dans le but de lutter contre
le chômage, il se produit une sorte de transfert
d'attributions et de responsabilités de la part de l'Etat, vers
des acteurs privés du jeu socio-économique. Or l’Etat
semble encore se comporter en acteur externe à cette
problématique. Comme si la faillite d'entreprise ne le
concernait pas. Il est clair que l'Etat n'a pas de
responsabilité directe vis-à-vis de certaines causes de
cessation d'activité. Par contre sa responsabilité reste
clairement engagée par l'inflation de la réglementation. On
en connaît les conséquences : fuite des capitaux et des
créateurs d'entreprise à l'étranger, expatriation des
cerveaux mieux rémunérés à l'étranger, frein aux
investissements étrangers. Ce déséquilibre accentue la
faiblesse de l’entreprise française à l'international. Et

90 Source : "economie.gouv.fr".
91 Source : "semaine-entrepreneuriat-féminin.com".

65
explique en partie que la balance commerciale reste
négative.
Ce faisceau de dysfonctionnements fait que le taux de
survie à 5 ans des entreprises françaises n’est que de 52%.
L’amélioration de pérennité des entreprises nécessite de
mettre en place, par exemple, au Ministère de l'économie,
un Département de veille du réseau entrepreneurial, avec
suivi des entreprises en difficulté, et assistance technique
au profit des entreprises qui en manifesteraient le besoin.
De plus l'Etat ne partage pas le "risque d'entreprendre"
avec l'entrepreneur face à ses créanciers. Si l'on reconnaît
cette préoccupation, il peut apparaître tout à fait légitime
pour l'Etat de partager, au terme d'une sorte de "pacte
social" selon des modalités appropriées, le risque
d'entreprendre. D’autant que l’entrepreneur participe à sa
mesure à l'œuvre sociale de lutte contre le chômage.
Les fermetures d'entreprises accentuent les difficultés
de l'emploi. Or les unités de production sont porteuses
d'un inestimable potentiel de savoir faire humain. Il est
regrettable de voir disparaître ce potentiel avec les
entreprises qui cessent leur activité. Ces dernières
représentent en effet un capital unique de savoirs, de
savoir faire, et d'expérience acquise au sein de l'entreprise.
Il est essentiel de développer les dispositifs permettant de
"recycler" ces savoir faire. La réorientation technologique
des entreprises concernées, ou leur reprise par les salariés,
sont évidemment à soutenir92. Pareil dispositif nécessite
d'intervenir en amont, dès que le risque de fermeture
apparaît. Il est de la responsabilité évidente des pouvoirs
publics d'étayer les dispositifs aptes à contrer la
déperdition d'entreprises et de leur potentiel humain et
technologique. C'est tout simplement la gestion publique
des ressources humaines du pays qui est en cause ici.

92 cf. l'entreprise LIP transformée en SCOOP en 1977.

66
En cas de fermeture inévitable d'entreprise, la précieuse
richesse de savoirs et savoir-faire détenue par les
personnes licenciées reste négligée, voire ignorée. Les
dispositifs de réinsertion doivent mettre en lumière les
considérables capacités de reconversion de ces personnels
vers la création de petites unités de production.
Et surtout cesser de se débarrasser des chômeurs dans
des dispositifs de reconversion sous le fallacieux argument
de les aider à retrouver de l'emploi. Il est bien évidemment
impossible de faire entrer des chômeurs dans un espace
d'emploi déjà saturé. Espace déjà occupé par 16,4 millions
de salariés (hors fonction publique) et rémunérés par 4,2
millions d'entrepreneurs qui n'ont pas besoin de salariés
supplémentaires. La formation des chômeurs n'a jamais été
un moyen de trouver un poste de travail qui n'existe pas.
Les cycles de formation des chômeurs ne créent pas un
seul poste de travail supplémentaire. Ces dispositifs de
formation sont actuellement essentiellement des
formations parking. Ils auront par contre tout leur sens
lorsque le chômage de masse aura disparu.
Cela dit, les chômeurs créent chaque année un tiers des
nouvelles entreprises. En 2014, 26,8% des entreprises
créées l’ont été par des chômeurs dont les deux tiers
étaient des chômeurs de moins d’un an93. Dans la France
de 2017, les quelque six millions de personnes inscrites à
pôle emploi constituent un extraordinaire réservoir de
ressources humaines, d'expériences accumulées, et
d'imagination créatrice. Il est temps de redonner le pouvoir
à l'expérience et à l'imagination.
Précisément, un des candidats à l'élection présidentielle
de 2017, propose d'instaurer un "revenu universel
d'existence", mesure sociale par excellence. Malgré les
effets pervers susceptibles d’apparaître, cette mesure,

93 Source INSEE.

67
serait favorable à l'installation de petites entreprises. En
effet elle réduirait la crainte d'entreprendre". Le coût de
cette mesure serait à mettre en parallèle avec le
considérable potentiel de création de petites entreprises.
Le moteur entrepreneurial reste le seul en mesure de régler
définitivement le chômage de masse.
En outre, les pouvoirs publics devront obliger le monde
bancaire à favoriser les activités de crédit à la création-
reprise-aide en faveur de la petite et moyenne entreprise.
Les banques consacrent une part non justifiée de leurs
activités aux opérations spéculatives sur les marchés
boursiers. La pratique bancaire qui consiste à favoriser les
opérations boursières au détriment de l'économie réelle
gangrène le pays. Il est urgent aujourd'hui de contraindre
les banques à exercer leur métier historique. Ce métier
consiste à prêter à l'économie réelle, et non à s'investir de
façon inconsidérée sur les marchés financiers.
Autre mesure complémentaire de cette politique : la
suppression du Régime Social des Indépendants. Les chefs
d'entreprise doivent en toute logique pouvoir bénéficier,
comme n'importe quel autre citoyen, du même régime
social.
L'Etat devra également réduire l'imposition sur les
bénéfices des entreprises. Cet impôt est aujourd'hui
confiscatoire. A cause du poids excessif des charges, les
investissements étrangers en France sont considéra-
blement freinés. L'impôt sur la fortune, lui-même
confiscatoire, décourage également l'installation
d'entreprises en France. Enfin toujours dans cette même
préoccupation il sera inévitable de simplifier la législation
sur les entreprises.
En conclusion, inscrire dans les Instructions Officielles
de l’Education Nationale le développement de l’esprit
d’entreprise comme finalité prioritaire de l’éducation
constitue la condition absolue d’un "renouveau

68
républicain" en faveur d’une nécessaire renaissance
économique de la France. Eriger l'inversion de la spirale
infernale dette publique-chômage doit être aujourd'hui la
priorité gouvernementale absolue. Le moteur de la société
dépend d'un nombre suffisant d'entreprises pour créer les
emplois requis et résorber intégralement le chômage de
masse, casser la spirale infernale de la dette publique et
des déficits sociaux, voire stabiliser l'âge de départ à la
retraite, et renouer enfin avec la prospérité. Voilà une
ambition d'Etat.

69
CHAPITRE 2

LA PERSONNE DE
L'ENTREPRENEUR

Il est vital pour la société de renforcer le dispositif de


sensibilisation à l’esprit d’entreprise. A cet effet notre
propos consistera, ici, à étudier la personne de
l'entrepreneur afin de définir ce qui caractérise sa personne
et les conditions d'acquisition de ces caractéristiques.
Les auteurs qui se sont interrogés sur l’esprit
d’entreprise considèrent que l'entrepreneur a un état
d'esprit particulier, une mentalité particulière. Ils évoquent
la notion d'attitude, la notion de valeurs, concepts propres
à la psychosociologie. Ils mentionnent également des
particularités comme la discipline, le sens de l’initiative, la
persévérance, le sens de l'adaptation, l'écoute des autres.
En somme des thèmes éthiques. Mais ils considèrent que
ce ne sont pas des traits de personnalité. En "vingt ans de
carrière", Peter Drucker dit n’avoir "jamais rencontré une
seule personnalité d'entrepreneur94".

94 Drucker (Peter), op.cit. p. 50.

71
Afin de mettre en place des dispositifs de
sensibilisation à l'esprit d'entreprise, il importe donc en
premier lieu de formaliser ce concept.
Ce qui frappe quand on s'entretient avec un
entrepreneur sur sa vie, son histoire, c'est la fierté avec
laquelle il présente son entreprise, sa création. En d'autres
termes, c'est son identité même qu'il affiche, identité
intimement mêlée à son œuvre, l'entreprise. Tenter de
définir l'entrepreneur revient donc en premier lieu, à
s'interroger sur son identité.
Deuxième spécificité propre à l'entrepreneur : une
éthique. Cette éthique est apportée pendant son enfance
par la famille de l'entrepreneur. Et plus particulièrement
les familles observant des façons d'être spécifiques qui
conduisent à la création d'entreprise. Façons d'être qu'on
trouvera développées par certains systèmes de pensée. Ce
sera le cas entre autres de la pensée juive et de la pensée
protestante.
Enfin troisième particularité, très en rapport avec le
thème de l'identité et de l'éthique, la notion d'attitude.
Précisément, c'est l'attitude d'un individu qui détermine en
dernier ressort son comportement et la direction de sa vie
socio-économique. Et précisément l’esprit d’entreprise est
une attitude particulière qui "prédispose" à créer une
entreprise.

72
1- L'identité de l'entrepreneur

Le concept d'identité définit la façon dont l'homme se


perçoit et s'affirme. Le sentiment de sa propre identité joue
un rôle décisif dans le comportement. Comme toute
personne, l'entrepreneur a besoin d'avoir un sentiment
positif de son identité. La construction d'une identité
positive est une condition de l'équilibre psychique. Dès
lors cette recherche d'une identité positive occupe une
position centrale dans la conduite. L'identité s'exprime
selon trois modalités, l'être, le faire et l'avoir95. Elle se
constitue essentiellement selon quatre matrices : la matrice
territoriale, la matrice temporelle, la matrice affective et la
matrice esthétique.
L'homme s'identifie en première approche par son
"avoir". Très tôt, dès l'enfance, l'objet possédé est
marqueur d’identité. L'objet est investi d'attributs
symboliques. Par une sorte de phénomène d'osmose,
l'individu possesseur d'un objet, se sent investi des
attributs symboliques conférés à l'objet possédé. Il s'établit
ainsi un jeu dialectique entre le soi et l'objet possédé, le soi
attribuant valeur symbolique à l'objet, et l'objet
investissant son propriétaire de ses attributs symboliques.
L'objet possédé fait partie de mon être. La perte de mon

95 Sartre (Jean-Paul), "L'Etre et le Néant", Paris, Gallimard, 1943.

73
stylo, mon outil de travail, est une atteinte à mon intégrité.
C'est une perte subie par mon identité. Jean-Paul Sartre
examine le rapport du faire et de l'avoir en termes
d'appropriation/création. Un objet n'est véritablement mien
qu'au terme d'un processus de création, même pour un
achat :
"acheter un objet, c'est un acte symbolique qui vaut
pour créer l'objet96".
L'acte de création est cependant plus "identisant" que le
simple acte d'appropriation. Dans ma création je m'investis
totalement. Je suis alors tout dans mon avoir. Je me définis
mieux encore dans l’objet que j’ai moi-même réalisé que
dans l’objet que j’ai acquis. Je place certains de mes
attributs, symboliquement, dans l'objet que je crée. L'objet
créé s'apparente à mon être. Il est doublement signifiant. Il
est signifiant de mon identité car il est ma propriété, mais
il l'est aussi parce qu'il est une émanation de mon être, une
continuation de mon être. On comprend alors la force du
rapport intime entre l'entreprise en tant qu'objet de
création et son créateur, l'entrepreneur. L'entrepreneur
affirme son identité par son entreprise. Son entreprise
réactualise en permanence son identité.
L'objet possédé n'est par ailleurs réellement mien qu'au
terme d'un processus d'appropriation. Ce dernier s'exprime
en termes de "rituels", cheminements symboliques
destinés à consacrer - "rendre sacré" - cet objet. Aussi
l'entrepreneur consacrera-t-il son entreprise. Le rituel
d'inauguration, avec les entrepreneurs du voisinage,
accompagné du "vin d'honneur", ce qui en fait un rite
festif, consacrera aux yeux de tous l'introduction, et
l'acceptation de la nouvelle entreprise, dans un territoire, la
rue, le quartier. Tout comme le rituel festif du nouvel an.
Lequel s'apparente à un voyage temporel. On quitte, dans

96 Sartre (Jean-Paul), op.cit. p. 650-651.

74
la pénombre de la mort, l'année qui meurt, pour renaître au
douzième coup de minuit, dans une lumière scintillante et
festive. Où l'on retrouve la structure classique du rite97.
Par l'inauguration de l'entreprise, l'entrepreneur
"consacre" son entreprise – au sens de "rendre sacré",
rendre "pur", caractère spécifique du "numineux98", divin.
Mais, dans la modalité de l'avoir, il y a plus. Le
caractère symbolique de l'objet se manifeste également
dans les échanges entre l'entrepreneur et le client. Si l'objet
est attributif d'identité, alors l'échange marchand engage
un processus identificatoire fondamental pour
l'entrepreneur. La théorie du don de Marcel Mauss99
présente ici un sens particulièrement éclairant. Le don, le
cadeau, est attributif d'identité. Faire un cadeau c'est
enrichir l'identité du récipiendaire. Pour M. Mauss, le
cadeau véhicule une partie des attributs symboliques du
donateur : "accepter quelque chose de quelqu'un c'est
accepter quelque chose de son essence spirituelle, de son
âme100".
L'échange de cadeaux revient à consacrer une alliance
au terme de procédures d'identisation et de dépendance.
L'échange de cadeaux, confortant l'identité de chacun des
protagonistes scelle et sacralise une alliance valant
obligation de reconnaissance/assistance. L'échange des
cadeaux lors du rite festif du premier de l'an sacralise
l'alliance. Le cadeau reçu oblige à rendre ; refuser de
rendre reviendrait à déclarer la guerre101, le cadeau rendu
sous forme d'un autre cadeau duplique la relation
identisation-dépendance. Ainsi se produit un phénomène

97 Cazeneuve (Jean), "Rites", in Encyclopædia Universalis.


98 Eliade (Mircea), "Le sacré et le profane ", Paris, Gallimard, 1965.
99 Mauss (Marcel), "Essai sur le don" in Sociologie et Anthropologie,
Paris, PUF, 7° éd., 1980.
100 Ibid., p. 161.
101 Ibid.

75
d'identisation à l'entrepreneur par le client. Briser la loi de
l'échange revient à "refuser l'alliance et la communion102".
Le paiement de l'objet sera le terme de l'échange qui
entraînera symboliquement l'entrepreneur et le client dans
une relation de dépendance identitaire mutuelle. Relation
vitale sur le plan symbolique entre l'entrepreneur et sa
clientèle. A telle enseigne que si l'entrepreneur fait faillite,
il n'aura qu'un désir, celui de recommencer. Son identité,
fondée sur la relation d'échange, en dépend. La richesse du
rapport social constitue le fondement de ses actions car
cette richesse est fondatrice d'identité.
Comme toute personne, l'entrepreneur se définit
également par les personnes qu'il qualifie d'un déterminant
de propriété : mon épouse, mes enfants, mes amis, mes
employés, mes associés, ma clientèle, mes fournisseurs,
etc. Selon cette dimension l'homme spécifie ses groupes
d'appartenance et les attributs liés à ces groupes. La
méconnaissance de soi, par l'autre, est altération de soi
dans l'évaluation subjective de soi à travers le regard de
l'autre. D'où l'affichage d'attributs symboliques qui
définissent et spécifient le moi : la puissance de
l'automobile, le style vestimentaire, l'insigne du club
d'appartenance, la légion d'honneur, etc. Appartenant à tel
groupe, tel milieu, l'entrepreneur en possède aussi les
caractéristiques identificatoires. Il est membre d'une
nation, d'une ethnie, d'un parti politique, d'un club, adepte
d'une religion. On conçoit ainsi mieux pourquoi chez
l'entrepreneur, la dimension d'avoir selon toutes ses
modalités présente une telle importance identitaire.
Seconde modalité de l'identité : "le faire". L'homme se
définit en fonction de son faire. L'identité de l'entrepreneur
s'enracine dans l'action et dans la production d'œuvres. Ce
que je fais définit mon identité selon les modalités de

102 Mauss (Marcel), op.cit. p. 162-163.

76
réussite ou d'échec. L'entrepreneur connaît bien ces deux
dimensions, de réussite et d'échec. Ce que l'entrepreneur a
réalisé dans le passé, est pour lui source de valorisation
positive de son identité, autant même les échecs dont il a
su tirer les enseignements, que les réussites.
L'homme se définit par ses œuvres, œuvres dont il tire
reconnaissance et prestige. L'artisan ébéniste exécute ses
ouvrages de façon unique, et affirme ainsi une identité qui
le spécifie, lui, en particulier. Différent de quelque autre
ébéniste. Mais de plus l'entrepreneur affirme son identité
par des projets. Cette modalité de faire exprime un
sentiment de pouvoir, à la fois sur sa propre existence
mais aussi sur l'environnement. Le sentiment de
l’influence qu’il peut exercer sur son environnement
proche, renforce l’image positive de lui-même. En
définitive source de vie. Condition du sentiment d'exister.
Ainsi, l'entrepreneur s'identifie-t-il totalement à son
œuvre, l'entreprise.
Le troisième terme de l'identité a trait à l'être. Et cet
attribut revêt une importance capitale chez l'entrepreneur.
Deux notions spécifient l'être : le statut et les qualités.
Statut et qualités renvoient à des références s'exprimant en
systèmes de valeurs implicites et explicites.
Le statut définit l'être. La modalité d'être se révèle
dépendre d'une position dans une échelle de valeurs
intériorisée et dont le sujet a plus ou moins conscience. Le
statut constitue la place de l'individu dans la société et
dans les groupes sociaux auxquels il appartient. La
particularité de ce paramètre est d'être multiforme. Ainsi
l'entrepreneur occupe des statuts différents dans divers
groupes d'appartenance et/ou même au sein d'un même
groupe. Au sein de la famille, il est père mais aussi époux,
fils, petit-fils, oncle, neveu etc. Il appartiendra à d'autres
groupes, sportifs, corporatistes etc. où il se définira par des

77
statuts particuliers, simple membre, secrétaire général,
gardien de buts etc.
A ces statuts correspondent des attributs qui renvoient
aux concepts de droits, de pouvoirs, de devoirs. Ceux-ci
s'expriment en termes de rôles. Le chef d'entreprise aura
une position spécifique et corrélativement à cette position,
des droits, des pouvoirs, mais aussi des devoirs
spécifiques. Aux statuts sont attachés des valeurs
auxquelles l'individu adhère et/ou aspire. Les valeurs qui
définissent l'identité renvoient à une éthique. L'éthique de
l'individu ne peut varier selon les statuts. L'identité ne se
résume pas à la somme arithmétique de tous les statuts.
Elle n'est pas un conglomérat disparate. Elle exige
cohérence.
Le statut est attesté par des indicateurs, des
"marqueurs". Le statut de chef de service est attesté par la
voiture de service, par exemple. Le statut de diplômé de
telle grande école est attesté par une certification
universitaire. Celui d'homme marié ou de femme mariée
est attesté par une alliance à l'annulaire. Tous ces attributs
concourent à asseoir l'identité de la personne. Les
marqueurs d'identité sont recherchés pour l'affirmation aux
yeux d'autrui d'un certain statut social.
Mais la modalité générale d'être n'est pas conférée
seulement par l'existence de statuts et la reconnaissance
des marqueurs de statuts. Elle est également conférée par
des éléments plus intimes, abstraits, symboliques,
personnels, des qualités personnelles. Ces éléments
renvoient à des particularités individuelles. Par rapport aux
traits qui le spécifient, l'homme a besoin qu'on le
reconnaisse. Le chocolatier se veut le meilleur chocolatier
de la ville.
L'être apparaît ainsi en étroite relation avec les
modalités du faire et de l'avoir, mais aussi avec les
aspirations à paraître. La modalité du paraître et donc de

78
l'être, se révèle marqueur identificatoire de la conduite de
l'entrepreneur.
Très tôt l'enfant d'entrepreneur apprendra à s'attribuer
des spécificités, et ceci en relation avec les jugements des
parents à son propre égard. Ce sera la famille qui
contribuera le plus à la constitution de la conscience de
soi. La seconde institution sera l'école. A l'école, l'enfant
est constamment évalué et comparé aux autres. La
conscience de moi passe par l'appréhension d'une série de
particularités qu'autrui me renvoie. C'est la conscience de
cette diversité qui donne à l'homme le sentiment de ses
propres potentialités. Parallèlement la conscience de soi
est la conscience d'une unité spécifique. Cette conscience
de soi se constitue dans le dialogue avec l'environnement.
Ce dialogue permet de construire son moi propre, avec des
spécificités qui le fondent qualitativement et par
l'appréciation desquelles l'individu se situe.
La construction de l'identité de l'entrepreneur dépend
des influences exercées sur lui par la société. Les
représentations mentales, les aspirations, les systèmes de
valeurs, les normes, les modèles, les stéréotypes, les
attentes sociales voire les sanctions sociales, y jouent un
rôle déterminant. C'est dans l'interaction sociale que se
constitue l'identité individuelle.
L'image que j'ai de moi-même est le reflet de l'image
qu'autrui me renvoie de moi-même et que j'appréhende à
travers ses conduites à mon égard. Alors "tel j'apparais à
l'autre, tel je suis103". L'autre est médiateur indispensable
dans le processus d'appréhension de mon être.
L'identité se construit selon une matrice temporelle. Le
futur de soi s'exprime dans les projets et aspirations et
définissent l'horizon temporel de l'entrepreneur. Ce
concept se définit comme une projection de soi dans le

103 Sartre (Jean-Paul), op.cit.

79
futur. Il semble y avoir une forte corrélation entre l'image
que se fait le sujet de lui-même ici et maintenant, et la
projection qu'il construit en termes d'horizon temporel ;
"Evalué négativement, perçu de surcroît comme
périlleux et angoissant, le présent s'oppose à des
projets d'avenir heureux, clairs, vivants... 104".
Le chômeur, par exemple, aliéné dans son identité
actuelle, se caractérise par un horizon temporel fermé, et
une difficulté d'organiser son identité. Il ne bénéficie pas
des facteurs renforçateurs de l'identité que constitue
l'appréciation positive de l'autre à son égard.
Le futur de soi s'exprime en fonction de l'idéal du moi.
L'entrepreneur se projette selon des modalités dynamiques
de réalisation du moi à travers des projets de
transformation et/ou d'adaptation de son entreprise.
Dans certaines sociétés africaines ayant préservé leurs
traditions, l'ancêtre fondateur du lignage perpétue ses
qualités de génération en génération, qualités qui
spécifient l'identité du lignage. Les "esprits des ancêtres"
se perpétuent de génération en génération. Dans ces
sociétés, le respect des modèles identificatoires est
fondamental. Chacun y définit son identité par rapport à la
structure socioculturelle d'appartenance. Dans les sociétés
contemporaines, en particulier chez l'entrepreneur, la
filiation continue de jouer un rôle essentiel.
Les mécanismes de construction de l'identité ont pour
effet de produire chez l'individu une attitude spécifique
face à l'environnement. Même si le fils ou la fille
d'entrepreneur ne reprend pas l'entreprise familiale,
l'héritage culturel issu de ses parents tendra à déterminer
une orientation entrepreneuriale.

104H. Rodriguez-Tome : "La dimension temporelle de l'identité" in P.


Tap, op.cit. p. 150.

80
L'accès à l'identité est marqué par des étapes. Chaque
étape est séparée de la suivante par des rites de passage.
Dans les sociétés dites primitives, des rites particuliers
symbolisent et attestent le passage de l'enfance à
l'adolescence. Tant que le rite n'est pas accompli, la
transformation d'un état à un autre n'est pas reconnue
socialement. Par ailleurs le rite exorcise les violences
inhérentes aux changements de statut de la personne,
violences susceptibles d'altérer l'équilibre de l’individu et
du groupe. Le passage est attesté par un marqueur
d'identité, qui peut être une scarification ou un tatouage,
par exemple ou le port d'un attribut vestimentaire ou
esthétique particulier. Dans les sociétés contemporaines,
caractérisées par le développement de l'école, les
transformations d'identité sont attestées par un attribut
symbolique dénommé diplôme.
Le passage d'un état à un autre impose des obligations.
Le groupe développe à l'égard du néophyte des
phénomènes d'attente de rôle. Si le sujet ne répond pas à
l'attente, le groupe développe un système de sanctions-
réprobations, sortes de garde-fous, visant à faire respecter
la norme. La norme comportementale est définie par des
modèles intériorisés. Et de fait l'enfant d'entrepreneur sera
effectivement comme canalisé par les garde-fous
constitués par les normes et valeurs familiales.
Le modèle familial reste le modèle identificatoire par
excellence. Cependant les modèles normatifs sont aussi
constitués par des personnages mythiques véhiculés par
les contes, légendes, récits, romans, films etc. Les
personnages mythiques mis en scène dans ces actions sont
le produit de l'imagerie populaire et traduisent les
systèmes de valeurs des groupes sociaux. Ici apparaît une
fonction éminemment sociale de la littérature, du cinéma,
mais aussi de la tradition orale : une fonction
identificatoire. Les idéaux sociaux du moi se trouvent

81
véhiculés dans des situations virtuelles dans lesquelles
l'enfant se projette et assied son idéal du moi. Le mythe
permet à l'enfant de renforcer son identité.
Ce qui conduit à aborder la matrice affective de
l'identité. Le renforcement de l'identité sera d'autant plus
prégnant que les relations familiales gratifiantes auront
confirmé une image positive de soi. L'image que l'enfant
se fait de lui-même dépend de l'image que sa mère, son
père, les autres membres de la famille, lui renvoient.
L'équilibre de son identité dépend de la valorisation
d'identité que lui attribuent les parents. L'identité, sans
cesse confirmée, peut alors se tourner vers la recherche
d'autres êtres valorisants. Ces êtres valorisants constituent
d’autres objets d'identification. L'identification est d'une
certaine manière la recherche de soi dans l'autre
"l'identification ne peut se produire que si existent, et
sont perçus, des éléments communs entre l'enfant et son
modèle105".
L'identification est en rapport avec les systèmes de
valeurs des groupes d'appartenance et de référence, très tôt
imposés par l'environnement et intériorisés par l'enfant.
Les réactions affectives positives sont induites par la
présomption de similarité et d'adhésion à des valeurs
communes, qui définissent ce par quoi les hommes se
reconnaissent, s'acceptent et se valorisent mutuellement.
La construction de l'identité de l'entrepreneur dépendra,
comme pour toute personne, de la richesse des échanges
affectifs de son environnement pendant son enfance. Les
tendances narcissiques sont inhérentes au concept
d'identité. Le besoin d'être reconnu, valorisé, et accepté
par autrui est constitutif de ces tendances. L'enfant
apprend très jeune les mécanismes de la séduction.

105 Tap (Pierre), "L'identification est-elle une aliénation d'identité ?"


in P. Tap, 1980, op.cit. p. 237.

82
L'équilibre de la personne dépend des expériences
valorisantes d'identité.
L'entrepreneur est spécialement attaché à l'esthétique,
matrice essentielle de constitution de l'identité. L'homme
affiche ses canons de la beauté dans les objets qu'il
fabrique, ceux qu'il possède, son allure corporelle, ses
loisirs etc. L'émotion esthétique libère l'homme du réel
profane et le met en contact avec le sacré. L'entrepreneur,
comme l'artiste, est alors d'une certaine manière le
médiateur qui permet à l'homme de percevoir le sacré et
qui procure à l'homme créateur le sentiment d'un accès de
son être à l'éternité. Par la contemplation de l'œuvre,
l'homme se détache du profane prosaïque de la vie
quotidienne pour accéder au transcendant. L'homme lutte
contre la mort quand il élabore une œuvre. L'œuvre est un
produit de son être, une partie de son moi. Et cette partie
de soi-même continue d'exister après la mort. Grâce à
l'identité ainsi attestée et reconnue par autrui, l'homme
fantasme son accès à l'immortalité :
"L'objet créé est vécu comme générateur de vie106".
La production esthétique est recherche d'éternité. La
définition de soi passe par l'affirmation de choix
esthétiques par lesquels l'individu affiche des valeurs. La
création esthétique est constante dans la vie quotidienne :
la confection d'un plat cuisiné ou l'agencement mobilier
dans la vie domestique, la présentation d'un dossier ou la
finition d'un objet, la pratique du sport dans ses deux
dimensions de dépassement de soi et de culture du corps,
les choix vestimentaires, la façon de parler, de se conduire,
toute l'activité humaine est empreinte d'esthétique. C'est
par son vêtement que l'homme se définit le plus
immédiatement, qu'il affirme ses normes et modèles. Le

106 Jaques (E.), in D. Anzieu, M. Mathieu, et E. Jaques, Psychologie


du génie créateur, Paris, Dunod. 1974.

83
beau est le beau du groupe d'appartenance et/ou du groupe
de référence, avec les symboles qui y sont liés.
Le vêtement n'est pas le seul attribut exhibé pour
signifier les appartenances ou les aspirations de l'être. Les
insignes, blasons, emblèmes, bannières, signes distinctifs,
sont des attributs définissant l'identité de la personne. Ils
indiquent le niveau socio-économique et culturel, les
positions idéologiques philosophiques politiques et
religieuses.
Enfin, comme tout homme, l'entrepreneur se définit
dans et par rapport à une matrice territoriale. Cette
dernière fixe son champ d'action et les limites de cette
action. Les phénomènes d'appropriation territoriale des
animaux correspondent à ceux de l'humain. Ils posent des
jalons territoriaux. Le lionceau, dès les premiers jours de
la vie, manifeste cette fonction grâce à sa démarche
exploratoire par l'extension progressive des trajets hors de
la tanière. Au cours de son exploration, il abandonne des
marqueurs, en grande partie olfactifs, qui fixent des
"frontières". L'intrus repère ces limites. Le marquage
acquiert ainsi une fonction d'identification. Le marquage
existe également chez l'homme mais avec deux
différences. En premier lieu le marquage acquiert une
valeur esthétique. En second lieu l'appropriation du
territoire s'accompagne d'une importante activité
fantasmatique. Cette activité fantasmatique renvoie à tout
ce que symbolise inconsciemment pour l'homme l'acte de
se doter d'un territoire. M. Eliade107 propose une
interprétation de l'acte d'appropriation territoriale qui
spécifie bien la place de l'inconscient dans la relation du
territoire à l'identité. Tout d'abord le territoire est conçu
comme "espace vital". C'est à dire que sans territoire
propre, à soi, il n'y a pas de place pour exister. Le territoire

107 Eliade (Mircea), Le sacré et le profane, op.cit.

84
est donc une condition de vie. De plus, les opérations
d'appropriation territoriale ont le sens de conférer une
orientation, un centre. Sinon le monde reste chaos. Donner
un sens à un espace, c'est, pour l’entrepreneur, lui conférer
un centre, le centre géographique de son existence,
caractéristique de sa propre identité.
Par ailleurs cet espace est sacralisé. Un espace ne
devient vraiment territoire propre que s'il a été consacré au
terme de rites d'appropriation108. Par le rite, le groupe
social reconnaît un attribut symbolique à un homme, un
objet, un lieu etc., attribut reconnu et accepté par
l'ensemble des membres du groupe109. Dès lors les rites
d'appropriation territoriale sont des actions au terme
desquelles l'homme est reconnu comme propriétaire. La
liberté de l'autre s'arrête aux limites du territoire du moi.
Pour l'entrepreneur, son territoire sera annoncé par
l'enseigne de l'entreprise. Cette dernière affirme l'identité
de l'entreprise. En définitive le paramètre territorial de
l'identité renvoie à des mécanismes archaïques qui
délimitent symboliquement la zone territoriale d'existence
du moi. Il renvoie à des processus symboliques
d'appropriation donc d'affirmation de soi. Il est constitutif
de l'identité de l'entrepreneur.
Dans les sociétés primitives l'appropriation territoriale
est consacrée par une conduite rituelle. Elle se concrétise
par exemple par la construction d'un autel, d'un temple.
Dans les sociétés contemporaines, elle se traduit par un
rituel dont l'officiant, le grand-prêtre-notaire, témoigne par
un acte notarié du droit d'usage/propriété, et confère une
dimension identificatoire. Le rite, instrument de
transformation ontologique, catalyse la construction de
l'identité. Il consacre le passage temporel d'un état

108 Eliade (Mircea), Le sacré et le profane, op.cit.


109 Cazeneuve (Jean): Sociologie du rite, Paris, PUF, 1971.

85
ontologique à l'autre. Il y avait le temps d'avant, et il y
aura le temps d'après. Le rite marque la construction
spatio-temporelle de l'être d'un état ontologique à l'état
suivant.
De ce fait le rite acquiert valeur méthodologique
fondamentale dans toute transformation de soi. Les rites
de passage des sociétés primitives constituent de véritables
méthodes pédagogiques. Le passage du statut d'enfant au
statut d'adulte est consacré par un rite festif qui consacre la
transformation ontologique des nouveaux adultes. Mais
par ailleurs, la fête prépare les générations suivantes
d'enfants à l'idée de cette transformation ontologique qu'ils
vivront lorsque le temps du rite viendra pour eux. Ces
mécanismes constituent précisément les fondements de
l'approche pédagogique qui sera développée dans le
troisième chapitre du présent ouvrage.

86
2- L'éthique

Plusieurs auteurs soulignent l'importance de l'éthique


chez l'entrepreneur. En particulier Léonidas
Kalogeropoulos pour qui l'esprit d'entreprise "suppose une
exigence éthique110". C'est du reste ce qui transparaît
régulièrement lorsqu'on s'entretient avec un entrepreneur.
La particularité des normes éthiques est qu’elles
s'acquièrent. Les sociétés les plus anciennes ont très tôt
compris que la vie en société exigeait de tous les membres
du groupe le respect de règles de vie communes, une
éthique. Les religions ont précisément joué un rôle
pédagogique fondamental pour inculquer l'éthique.
Sapiens a commencé à se sédentariser, vers 10-15 mille
ans av. J.-C. dans une région située au nord de l'actuel
Irak, alors habitée par le peuple Sumer. Ce peuple aurait
découvert l'intérêt nutritionnel d'une graminée sauvage,
l'épeautre. La récolte s'y faisait à une certaine période de
l'année, et la conservation des surplus dans des locaux
construits à cet effet, aurait alors entraîné la
sédentarisation de ce peuple.
Puis vers le V millénaire av. J.-C., les sumériens se
déplaceront vers le sud, dans les grandes plaines, plus
fertiles, de la Mésopotamie, entre le tigre et l'Euphrate.
Des recherches archéologiques effectuées au cours du XXe

110 Kalogeropoulos (Léonidas), op.cit. p. 29.

87
siècle ont mis en lumière l'évolution de ce peuple. Au
cours des V et IV millénaires av. J.-C., le peuple sumérien
invente l'irrigation à l'aide de digues. Il maîtrise
l'agriculture, invente le semoir, la pioche, la charrue, la
roue... Les sumériens cultivent l'orge, le millet, le blé. Le
climat et la fertilité des terres permettent plusieurs récoltes
par an. Ce peuple utilise la brique et crée des villes.
D'importantes agglomérations apparaissent. Par exemple
la ville d' "Our" ("Ur") aurait compté de l'ordre de 34000
habitants au V millénaire av. J.-C.
L'apparition d'un mode de vie en vaste communauté
entraîne un attachement à l'ordre. Des codes de vie en
commun se mettront alors en place. Et ainsi naîtra l'état
d'esprit de communauté.
La civilisation sumérienne était polythéiste. Son
panthéon comporte de nombreux dieux qui se classent
selon une hiérarchie dominée par un dieu principal. Les
dieux sont perçus comme possédant les caractères des
humains, avec des qualités et des défauts. Ils se marient,
ont des enfants, peuvent mourir. Chaque dieu est
spécialisé dans la maîtrise d'un phénomène naturel,
comme la pluie, le vent, l'eau, l'orage… Ils sont parés de
pouvoirs surhumains et dirigent le fonctionnement du
monde. Ce fut la première civilisation connue à ce jour,
ayant construit des temples (Ziggourats). Les sumériens
aspiraient à la vie éternelle dans l'au-delà.
Les sumériens inventent un système de comptabilité
pour gérer les récoltes. Il y a quelque 5000 ans, Sumer
invente la première monnaie connue, le grain d'orge.
Des contrats apparaissent. Ces derniers sont
matérialisés par des rouleaux sculptés qui s'impriment sur
des tablettes d'argile. Le peuple sumérien invente le
système hexadécimal111.

111 D'où l'heure de 60mn et le cercle de 360 degrés

88
Par ailleurs, "toute coopération humaine à grande
échelle […] s'enracine dans des mythes communs, […]
des histoires que les gens inventent et se racontent les uns
aux autres112". Et à partir du 3ème millénaire avant notre
ère le peuple Sumer invente l'écriture sur des tablettes
d'argile. Dès lors, la mythologie sumérienne, après s'être
transmise de génération en génération par tradition orale,
se transmet désormais sous forme écrite. Le peule Sumer
grave alors les récits mythiques sur les tablettes d'argile.
La civilisation sumérienne produit une exceptionnelle
littérature comprenant entre autres "des mythes et des
épopées", des proverbes, des fables, et des essais113. Ainsi
qu'un recueil de pratiques agricoles et même un code de
lois, antérieur donc au code d'Hammourabi. Et, fait
remarquable, ce code substituait des amendes aux
châtiments corporels.
Les mythes véhiculent l'éthique des peuples, sous
forme d’allégories. L'un des mythes majeurs de la
mythologie sumérienne, vers la fin du III millénaire av.
J.-C., est constitué par l'épopée de Gilgamesh, roi de la
cité d'Uruk. Le récit montre l'opiniâtreté du héros en quête
d'immortalité, dans sa progression vers le but qu'il s'est
fixé. Ainsi que sa bravoure, son courage, sa persévérance,
et en définitive sa gloire.
Les œuvres sumériennes prônent une éthique
rigoureuse. L'exigence éthique porte sur des valeurs
universelles telles que la vertu, la dignité, l'humilité, la
vérité, la sagesse, l'honnêteté, la justice, la liberté, la
fidélité, l'amitié, la bravoure, le courage, la pureté, la
créativité… Les sumériens condamnaient le meurtre, le

112 Harari (Yuval Noham), Sapiens, Paris, Albin Michel, 2015, pp. 39-
40.
113 Kramer (Samuel Noah), L'histoire commence à Summer, Paris,
Flammarion, 2015, p.12.

89
viol, la "méchanceté", la violence, l'arrogance, la
perversion…
Les héros mythiques constituent des modèles éthiques.
La trace des mythes sumériens restera à jamais conservée,
gravée sur des milliers de tablettes d'argile. Sumer
inventera l'Ecole. Et ce sera dès lors aussi par l'Ecole que
l'éthique se transmettra.
Fort de ses inventions agricoles majeures, le peuple
sumérien parvient à produire jusqu'à 3 récoltes par an.
Mais les remontées de sel sur des sols agricoles trop
abondamment irrigués pendant des siècles dégradent
définitivement les sols. L'infertilité des sols, le
réchauffement climatique, et les sécheresses entraînent des
famines. La suprématie sumérienne n'eut qu'un temps et le
peuple sumérien se dispersa alors dans toutes les
directions vers des contrées moins inhospitalières. Et il y
répand ses mythes. Les grandes civilisations de l'antiquité
se nourriront de la culture sumérienne. Même après sa
disparition, ses mythes persisteront.
Les civilisations de l’antiquité ont utilisé le récit
mythique comme instrument pédagogique primordial pour
transmettre l'éthique des peuples. L'interdiction du viol est
déjà mentionnée dans la mythologie sumérienne. Le mythe
intitulé "Innana et Shukallituda ou le péché mortel du
jardinier", gravé sur une tablette d'argile il y a quelque
cinq millénaires, rapporte l'histoire d'un viol. Un nommé
Shukallituda possède un jardin. La déesse Innana pénètre
dans ce jardin et s'y endort. Lorsque la déesse s'éveille,
elle s'aperçoit que, pendant son sommeil, elle a été abusée
par le jardinier. En représailles, elle transforme en sang
"toute l'eau de la contrée114".

114 Kramer (Samuel Noah), op.cit. p. 97. On peut noter au passage,


comme le souligne l'auteur, que le thème de l'eau transformée en sang,
sera repris bien plus tard dans le livre de l'exode, comme sanction
divine.

90
Les récits de la bible fourniront eux aussi leurs
enseignements éthiques. Notamment sous forme de
paraboles, récits allégoriques porteurs de règles et de
valeurs.
La mythologie égyptienne utilisera le même procédé.
Le cœur du défunt est pesé afin de vérifier s'il n'est pas
entaché de péchés. Auquel cas il pourra rejoindre le
royaume des morts. Sinon son âme sera perdue.
Les civilisations amérindiennes également avaient leurs
mythes qui avaient pour effet de dispenser une éthique. Le
peuple aztèque apprend à ne pas succomber aux attraits de
l'arbre de la tentation sous peine de terribles sanctions
divines. La déesse des fleurs, Xochiquetzal, transgressa
l’interdit : elle cueillit une jolie fleur blanche à l'arbre de la
tentation. Elle s'attira ainsi les foudres du dieu suprême et
fut chassée du paradis.
La civilisation grecque de son côté, enseigne des
valeurs fondamentales à travers des récits mythiques
comme l'Iliade. La vie de son héros mythique, Ulysse,
symbolise les valeurs de courage, de persévérance, de
fidélité.
Pour le peuple hébreu, la religion a joué un rôle majeur
dans le développement d'une mentalité particulière :
l'esprit d'entreprise. Analyser comment s'est construite
l'éthique juive au cours des siècles présente un intérêt
heuristique déterminant pour notre propos. On trouve dans
la longue histoire du peuple hébreu les facteurs qui ont
conduit ce peuple vers un développement exceptionnel de
l'esprit d'entreprise. L'esprit d'entreprise se caractérise
essentiellement par une éthique spécifique. L’éthique
développe une disposition d’esprit, une attitude
particulière, qui influence la conduite de manière décisive.

91
Et la religion juive, précisément, a développé une éthique
favorable à la création d'entreprise115.
L'histoire de la pensée juive permet de comprendre, à
travers toutes les étapes de sa construction, pourquoi le
peuple juif est devenu un peuple d'entrepreneurs. Dès les
toutes premières étapes de son histoire, ce peuple a inscrit
la liberté, comme dans ses gènes. Abraham, au 18ème siècle
av J.-C. reçoit l'ordre divin de fonder un peuple qui sera
chargé de diffuser la bonne parole selon laquelle tout
d'abord il n'existe qu'un seul dieu : Yaveh. Dieu ordonne
également à Abraham de "croître et se multiplier". Mais
aussi de s'enrichir afin de mieux le servir116.
Pendant plusieurs siècles le peuple juif se construira en
suivant les préceptes religieux. Sur le plan économique, il
pratiquera la solidarité entre ses membres et, en
particulier, le prêt sans intérêt aux autres juifs. Par contre
les juifs pourront pratiquer le prêt à intérêt aux non juifs.
Ce sera du reste un des moteurs de l'enrichissement de
nombreux juifs. Les premières banques, seront créées au
6ème siècle av. J.-C. en Mésopotamie, entre autres par des
juifs.
Au 12ème siècle av. J.-C. sur instruction divine, Moïse
guide le peuple hébreu hors d'Egypte pour échapper à
l'esclavage. Au cours du voyage, tout travail humiliant
sera interdit. En d'autres termes pour le peuple juif le
précepte de l'indépendance est l’un des fondements de son
éthique. Et cette indépendance se traduira par l'exercice
d'activités rémunératrices comme le commerce ou

115 Le peuple juif héritera entre autres d'un grand nombre d'aspects de
la mythologie sumérienne. C'est ainsi que l'on trouvera dans l'ancien
testament des ressemblances frappantes avec des thèmes majeurs de la
culture sumérienne comme la transformation de l'eau en sang, l'au-
delà, la résurrection, la vie éternelle…
116 L'argent apparaît comme un fondement essentiel de négociation. Il
permet d'éviter la violence et la guerre.

92
l'artisanat. Le peuple de l'exode emportera avec lui ses
savoir faire. Les artisans de tous ordres, scribes, artistes,
tisserands, maçons, etc.
"étaient de véritables maîtres, capables de bâtir des
empires, détenteurs d'une tradition millénaire. Ils
avaient emporté avec eux les secrets de l'art
égyptien117".
Partout où ils s'installeront ils véhiculeront, avec leurs
préceptes religieux, leurs arts, et leurs métiers, ainsi que
leur état d'esprit dont une caractéristique essentielle est
l’indépendance, précisément cette caractéristique qui est
également une caractéristique essentielle de ce qu'on
appelle aujourd'hui l'esprit d'entreprise.
Le protestantisme également constitue un modèle de
développement éthique conforme à l'esprit d'entreprise.
L’approche sociologique de Max Weber118 étudie la
corrélation entre le protestantisme et le développement
capitaliste. L’auteur souligne que l’appartenance
confessionnelle est une conséquence des conditions
économiques. Le protestantisme est né dans les régions
d’Europe les plus riches. C’est la bourgeoisie qui a
développé la "Réforme" religieuse en Europe du Nord. Le
protestantisme s’est présenté comme une sorte de
"révolution religieuse" en opposition au catholicisme,
lequel était jugé trop indulgent aux yeux des réformateurs.
Et le protestantisme, qui prônait un puritanisme exigeant,
s’est opposé à l’insuffisance de rigueur du catholicisme.
Le puritanisme protestant exige l’observance de règles
éthiques strictes.

117 Sabbah (Messod et Roger), Les secrets de l'exode. L'origine


égyptienne des hébreux. Paris, Librairie Générale Française, 2015, p.
117.
118 Weber (Max), L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme,
Paris, Plon, 1990.

93
Conformément aux valeurs qu’ils défendaient, les
protestants élevaient leurs enfants dans le respect de ces
valeurs. En outre ils ont "dé-diabolisé" l’argent. Ils ont
considéré que la réussite professionnelle répondait à la
volonté divine. Et en particulier la réussite dans les
affaires n’était pas répréhensible. Au contraire elle
confirmait que les personnes qui réussissaient sur terre
dans leurs entreprises faisaient partie des "élus".
Aussi orientaient-ils leurs enfants vers des études plus
techniques qui conduisaient aux professions industrielles
et commerciales. Ces enseignements accordaient une large
place aux enseignements des langues vivantes, des
mathématiques et des sciences. Selon les protestants, les
orientations professionnelles sont déterminées par
"des particularités mentales que conditionne […] le
type d’éducation […] de la communauté ou du
milieu familial119".
La forme d’éducation inculquée par les protestants à
leurs enfants a déterminé des attitudes spécifiquement
différentes des attitudes développées par les familles
catholiques.
Selon Max Weber, le protestantisme, et en particulier le
calvinisme, a largement stimulé "l’esprit des affaires".
Outre une "piété intense", le calviniste, en particulier, se
caractérise par un "éthos" particulièrement exigeant. Il ne
faut pas "violer les règles" de cette éthique. Au rang des
valeurs prônées par le protestantisme on mentionne des
qualités telles que : la discipline, la vérité, l’honnêteté, la
bonne foi, l’humilité, l’abnégation, "l’esprit de travail"...
Cette éthique recommande plusieurs règles de
conduite : être un "homme scrupuleux", manifester du sang
froid, ainsi que d'autres qualités telles que l’audace, la
sobriété, la perspicacité, le dévouement à la tâche,

119 Weber (Max), op.cit. p. 34.

94
l’innovation, l’application au travail. Respectant un mode
de vie "ascétique", observant un "style de vie cultivé et
contrôlé méthodiquement", exigeant de "s’adonner à son
métier, […] moyen ascétique par excellence", rejeter
"l’ostentation", éviter "les dépenses inutiles"…
Pour Max Weber cette éthique est contraire aux
pratiques des "spéculateurs", "aventuriers", "risque-tout".
L’éthique développe une disposition d’esprit, une attitude
spécifique, qui influence la conduite de manière décisive.
La pensée religieuse des sociétés du passé semble avoir
mis en place une sorte d’infrastructure mentale,
intellectuelle et morale, qui, transmise de génération en
génération, perdure encore chez l’homme areligieux des
sociétés contemporaines. Cette infrastructure constitue le
fondement des modes de pensée, de comportement, et
d’action de l’homme contemporain.
Les modes de pensée de l’homme religieux des sociétés
primitives se caractérisaient par une distinction essentielle
entre la sphère du profane et la sphère du sacré. La sphère
sacrée est la sphère du "numineux120", du divin, pur. La
sphère du sacré transcende le profane.
Les tables contemporaines de la loi s’appellent
aujourd’hui code civil, code de la route. Ces nouveaux
codes, "profanes", définissent les limites du comportement
individuel et collectif dans le respect de l’humain. Mais
"le profane n’est qu’une nouvelle manifestation de la
même structure constitutive de l’homme qui,
auparavant, se manifestait par des expressions
sacrées121".
Les obligations que posent ces codes sont tout aussi
intangibles que les lois divines des religions. Pour

120 Eliade (Mircea), Le sacré et le profane, Paris, Gallimard, Folio


Essais, éd. 2013.
121 Eliade (Mircea), Le sacré et le profane, op.cit. p. 13.

95
l’homme areligieux des sociétés contemporaines, non
croyant, l’artiste, le peintre, l’écrivain, l’inventeur,
l’œuvre participe aussi du sacré. Sans le savoir, l’homme
areligieux des sociétés contemporaines réitère dans sa
création, la sacralité de l’homme religieux. Il n'en perçoit
pas le sens religieux. Pratiquant ces actes, il entre dans la
plénitude et la "pureté" de sa création. La création
d’entreprise, comme toute création de lieu de vie,
"présuppose un choix existentiel : le choix de l’univers
que l’on est prêt à assumer en créant122".
La création d’entreprise, par l’installation sur un lieu,
par essence "profane" pour son créateur, revient à
transformer le "chaos" en un lieu organisé. En
l’occurrence, ici, son entreprise. C’est alors qu’on perçoit
mieux les particularités de l’esprit d’entreprise.
Créateur de son entreprise, l’entrepreneur s’épanouit
dans son œuvre, et cet épanouissement possède toutes les
particularités du sacré. Elle lui confère alors la "plénitude
de l’être" apportée par la mise en œuvre de son entreprise.
Alors la création d’entreprise se vit comme un changement
de nature. Une véritable transmutation ontologique "d’un
mode d’être à un autre123". Et cette transmutation trouve
ses racines dans un modèle transcendant inscrit au profond
de son être au cours de son enfance, et valorisé par le
milieu de vie. Tout comme "l’ancêtre mythique" des
peuples religieux constitue le modèle identificatoire de
base.
Cette "soif ontologique" du créateur d’entreprise des
sociétés contemporaines se définit comme un besoin
irrépressible, vital, de créer son lieu de vie professionnelle,
espace-temps sacré de son existence, espace-temps
assimilable structurellement à celui de l’homme religieux

122 Ibid., p. 36.


123 Ibid., p. 60.

96
créant son espace-temps de vie, son habitat. Tout comme
le ressent l’homme religieux lorsqu’il bâtit sa maison, la
couvre du toit et y introduit le foyer. A cette occasion,
comme dans toute sacralisation, l’homme contemporain se
livre à des activités festives, en l'occurrence pendre la
crémaillère, exactement comme un rite destiné à "rendre
sacrée" sa maison, son œuvre. De même le créateur
d’entreprise construit un espace "qualitativement différent"
de l’espace qui l’entoure. Pour lui, cet espace est "sacré".
Comme un espace sacré religieux. C’est pour
l’entrepreneur un espace exceptionnel, affecté
symboliquement de caractères de pureté, pérennité,
efficacité, puissance.
Pour l’homme religieux, l’espace sacré est délimité par
des frontières, tels les murs de l’église, du temple, de la
mosquée… Chez l’homme des sociétés contemporaines,
afficher l’enseigne de l’entreprise s’apparente à une
"théophanie", symbolisant la présence d’un espace
"sacré", c’est le symbole de l’entreprise mais aussi la
"marque" de sa sacralité. Le "logo" affiché au fronton des
entreprises peut s’analyser symboliquement comme
l’annonce du "sanctuaire". C’est un symbole de
préservation de la sacralité du lieu. C’est aussi l'indication
selon laquelle lorsqu’on pénètre dans l’entreprise on doit
en respecter les normes et les valeurs. C’est enfin un
symbole destiné à repousser toute agression ou
dégradation susceptible d’altérer la "pureté" du lieu. Les
portes des greniers en pays dogon sont sculptées de
personnages levant les mains, signifiant l’interdiction de
"profaner" le lieu. En d’autres termes préserver l’état de
pureté du lieu de vie face à une éventuelle agression
porteuse de "chaos". Car hors les limites du lieu "sacré"
s’ouvre l’espace "profane", l’espace du "chaos".
Le parallèle entre le lieu sacré de l’homme religieux et
le siège de l’entreprise est très signifiant. Le passé de

97
l’humanité inscrit des substructures mentales inaliénables
dans l’esprit de l’homme contemporain. C’est, "même
dans les sociétés les plus industrialisées124", sur cette
substructure, que s’inscrit toute action humaine, toute
création, toute entreprise.
Les ancêtres mythiques de l’antiquité, créateurs de
l’univers, véhiculaient les valeurs et les interdits de
l’humanité. Ils envoyaient sur terre des cataclysmes pour
punir l’homme de ses mauvaises actions. Parallèlement,
les mythes et légendes de la tradition orale continueront à
diffuser les normes et les modèles de conduite, enseignant
les scénarii des luttes symboliques entre le bien et le mal,
et la victoire du bien sur le mal. Dans la religion
catholique, l'éthique est rappelée par les "paraboles" à
travers les offices religieux.
Au moyen âge, la chanson de geste servira de matrice
identificatoire. Elle portera les épopées des chevaliers
comme des exemples de loyauté, force, et bravoure, luttant
contre les traitres et les "félons". La chanson de Roland,
chevalier doté d’une force surhumaine et d’un courage
exemplaire, aidé de son invincible épée Durandal "capable
de fendre le rocher", servira de modèle identificatoire de
force, courage, honneur, fidélité...
L’apparition de l’imprimerie au 15ème siècle a été un
formidable catalyseur de progrès. La multiplication rapide
des livres débouchera sur la renaissance et la révolution
scientifique. Elle favorisera la généralisation de l'école, et
stimulera la production littéraire, en particulier à travers le
roman.
Les livres s’adresseront peu à peu à l’enfant. Les fables
de La Fontaine constitueront une avancée décisive dans la
littérature adaptée aux enfants. Les fables y présentent des
récits où la morale est explicite. Les contes de Perrault, et

124 Eliade (Mircea), op.cit. p. 50

98
autres contes pour enfants, enseigneront des règles de
conduite. "Le petit chaperon rouge", par une allégorie,
enseigne aux petites filles la prudence contre de dangereux
prédateurs. L'utilisation de l'allégorie inscrit le message
dans l’inconscient. Robinson Crusoé, Les voyages de
Gulliver, formatent les normes et modèles de la vie sociale
tout en servant de modèle identificatoire aux jeunes. Ils
jouent dans l’imaginaire collectif le même rôle que les
"héros mythiques" de l’antiquité. Ils transmettent tout un
système de valeurs et impriment une matrice
comportementale dans l’esprit des jeunes, tout comme le
faisaient les récits mythiques de la tradition orale dans les
sociétés primitives.
Maintenant les sagas de ces "héros mythiques" sont
véhiculées par les médias. Le cinéma mettra en scène une
histoire dans laquelle le "héros" engendrera chez le
spectateur un phénomène d’identification. Le spectateur
aura
"le sentiment d’être personnellement entraîné dans
une action paradigmatique125"
qui l’identifie au personnage central. Ce dernier jouera en
quelque sorte le rôle d’ "ancêtre mythique". L’enfant
entrera dans le personnage de Zorro, puissant défenseur de
la justice, Les trois mousquetaires, Arsène Lupin, Jean
Valjean, Spiderman, puis plus tard Harry Potter pourront
constituer autant de personnages d’identification pour des
enfants d'âges et de milieux différents.
Des "héros mythiques" apparaîtront dans le domaine
entrepreneurial. Henri Ford, tour à tour employé et chef
d’entreprise, Louis Renault, d’origine juive, fils
d’entrepreneur du secteur textile, John D. Rockefeller,

125Eliade (Mircea), Aspects du Mythe, Gallimard, Folio essais, éd.


2011, p.227.

99
protestant, qui construisit sa fortune grâce aux raffineries
de pétrole, deviendront des sortes de héros légendaires.
Les entrepreneurs mythiques contemporains s’appelle-
ront Bill Gates, issu d’une famille protestante, créateur du
logiciel d’exploitation Windows qui équipe la quasi-
totalité des ordinateurs du monde, ou Steve Jobs
l’inventeur d’Apple. Plus récemment encore, Mark
Zuckerberg, crée les réseaux sociaux. Minh Le et Jess
Cliffe, inventent "Counter Strike", le plus célèbre jeu
d’action multi joueurs de l’histoire du jeu vidéo, par lequel
le spectateur entre en scène et devient même l’acteur, le
"héros".
Le "héros mythique" constitue ainsi toujours le
fondement éthique qui continue de construire l'architecture
mentale des jeunes.

100
3- L'attitude

Les études sur l'entrepreneur concluent à l’inexistence


d’un profil type d'entrepreneur. Il n’existe pas de gène
entrepreneurial. L’esprit d’entreprise se construit peu à
peu au cours de la vie.
Les personnes qui créent des entreprises ont une
attitude particulière, un état mental spécial, face à leur
insertion dans le milieu. L'attitude d'une personne est une
"prédisposition" qui oriente de façon quasi certaine le
comportement de l'individu. Et cette prédisposition
s'acquiert.
La probabilité de créer une entreprise dépend de la
disposition d’esprit d’une personne. C'est-à-dire de son
attitude dans une situation déterminée. De la même
manière, une position physique prédispose à agir d’une
certaine manière. L’exemple du boxeur illustre bien cette
notion de prédisposition. Si son bras est replié vers lui-
même, face à son adversaire, son bras pourra se détendre,
conditionnant son poing à frapper efficacement le visage
de l'adversaire. De même pour la création d’entreprise, la
probabilité, pour une personne, de créer une entreprise,
augmente si sa disposition d’esprit l’y prépare. Alors la
création d’entreprise se produira à l’occasion de
circonstances favorables, ou ressenties comme telles par le
créateur. La probabilité du passage à l'acte de créer une

101
entreprise augmente d'autant plus que l'attitude de la
personne concernée y est plus favorable.
L'attitude, elle-même, est déterminée par un ensemble
de facteurs : les normes, les modèles, les valeurs, les
représentations, les préjugés, les stéréotypes, les
croyances, le niveau d'information, ainsi que les
expériences acquises par les individus au cours de leur vie.

Les facteurs constitutifs de l’attitude et leur


influence sur la conduite
MODELES, NORMES, VALEURS, STEREOTYPES, PREJUGES, CROYANCES,
REPRESENTATIONS MENTALES, EXPERIENCES, INFORMATIONS

ATTITUDES

CONDUITES

Cependant de nombreux freins s'opposent à l'extension


de l'esprit d'entreprise dans la société. Bernard Surlemont
et Paul Kearney, analysent les freins au développement de
l'esprit d'entreprise en Belgique. Ils considèrent que le
système éducatif, à travers l'attitude des enseignants en
particulier, développe des préjugés négatifs vis-à-vis de
l'entrepreneuriat :
"les enseignants nourrissent en général
d'importants préjugés à l'égard de l'économie de

102
marché, du monde des affaires et de
l'entrepreneuriat... 126".
Et selon leurs analyses, les parents eux-mêmes
semblent conforter une attitude négative. De ce fait, les
auteurs considèrent souhaitable de mettre en place des
dispositifs susceptibles de lutter contre les "préjugés" et
les "stéréotypes" sur l'entrepreneuriat.
De même dans la société française, il est permis de
s'interroger sur la prégnance d'une idéologie frappant
l'entrepreneur du sceau de l'opprobre, quasiment au même
titre que le vol, le meurtre, le viol...
Les représentations mentales que se font les individus
sur tel ou tel thème, peuvent ainsi constituer des freins
insurmontables à la construction de l'esprit d'entreprise. Ce
sera le cas par exemple pour des personnes qui considèrent
l'entrepreneur comme un individu d'une nature différente
du commun des mortels. L'illustration en est fournie par
cette remarque : "je croyais que les entrepreneurs c'étaient
des gens spéciaux" dira un élève de classe de seconde
après avoir interviewé un entrepreneur. Entrepreneur qu'il
considérait certainement comme un individu appartenant à
sorte de "confrérie" au sein de laquelle on serait admis au
terme d'un mystérieux rituel "initiatique". C’est-à-dire que
l'impétrant doit être accepté par ses pairs, au terme d'un
processus de "trans-formation". Ce qui fait penser aux
corporations médiévales des métiers. Ou encore aux
Compagnons du tour de France. L'élève semblait ici
considérer confusément la personne de l'entrepreneur
comme étant d'une nature ontologique différente du
commun des mortels. Sorte d'hominidé doté de
particularités qui le distinguent des autres.

126 Surlemont (Bernard) et Kearney (Paul), "Petites entreprises et


entrepreneuriat", in Pédagogie et esprit d'entreprise, De Boeck,
Bruxelles, 2009, p 107.

103
Précisément, ce stéréotype est intéressant à plus d'un
titre. Le préjugé sur la nature "spéciale" de l'entrepreneur
constituera alors une sorte de barrière. D'un côté de la
barrière, les "entrepreneurs", et, de l'autre côté, les
salariés. Et la frontière entre ces deux "peuples" est
étanche. Pour "passer la frontière" il faut un "passeur"
selon la théorie d’Henri Desroche127. En l'occurrence, ici,
la frontière est constituée par les déterminants des
attitudes. Ces déterminants constituent ce que l'on pourrait
qualifier de "frontières mentales des attitudes".
La particularité des attitudes est qu'elles s'acquièrent,
essentiellement pendant l'enfance et l'adolescence par une
sorte d'imprégnation. Le jeune fils d'entrepreneur
deviendra entrepreneur à son tour, parce que, depuis son
plus jeune âge, le modèle parental s'inscrit en lui. Ce
modèle constitue une sorte de norme. Les normes varient
selon les groupes, pays, religions, groupes de référence,
groupes d'appartenance. Par exemple, dans un groupe de
voleurs, la norme consiste à cambrioler. Dans une équipe
de football, la norme est l'esprit d'équipe. Pour un fils
d'entrepreneur, la norme consistera généralement à
reprendre l'entreprise familiale, ou à créer soi-même une
entreprise.
Aujourd'hui l’école française développe indubitable-
ment chez les jeunes une mentalité opposée à l'esprit
d'entreprise. Le système éducatif diffuse une norme
d'orientation socioprofessionnelle qui a explicitement pour
finalité de "donner un métier". Sous-entendu sous le statut
d’employé. La liste de ces métiers comprend des activités
comme secrétaire, médecin, comptable, architecte, maçon,
avocat, plombier, coiffeur, etc. Et dans cette liste le seul

127 Henri Desroche, Fondateur de l'Université Coopérative


Internationale, lui-même "passeur de frontières", à travers un grand
nombre de structures associatives, permit à un nombre impressionnant
d' "impétrants" de traverser leurs propres "frontières".

104
"métier" absent est celui de créateur d’entreprise. Les
élèves n'ont d'autre choix, implicitement, que de s'orienter
vers une activité salariée…
En matière d'esprit d'entreprise, "l'hypertrophie de
l'Etat-providence français" est un stéréotype largement
répandu chez les étrangers vis-à-vis de la société
française128. Cette hypertrophie se caractérise par
l'omnipotence de l'Etat. L'Etat est implicitement
pourvoyeur des moyens d'existence de l'ensemble des
citoyens. Et cette vision formate évidemment l'attitude des
jeunes français vers une mentalité de demandeurs
d'emploi.
Au contraire, dans des pays moins assistés, les jeunes
ont plus le sentiment que leur avenir dépend de chacun
d'eux, individuellement. Et que s'ils veulent s'insérer dans
la société, il est de leur responsabilité de créer leur propre
moyen d'existence. En créant, par exemple, leur propre
activité plutôt que d'espérer une hypothétique embauche.
L'attitude déterminant largement les conduites, elle
s'exprime par des degrés d'attirance ou de répulsion vis-à-
vis des personnes, des objets, et des projets. On peut
pronostiquer que les sujets immédiatement favorables,
pourront, à l'occasion d'un concours de circonstances
favorable, passer pus rapidement à la création d'entreprise
que dans le cas contraire.

128 A telle enseigne qu’en France même, il est communément admis


que les aides fournies aux personnes sans emploi peuvent représenter
des ressources équivalentes, voire supérieures à celles d’un salarié. Et
le montant de ces aides découragerait la recherche d’emploi. Mais ce
stéréotype est évidemment simpliste. En effet si des personnes ne
cherchent pas d’emploi, c’est par ce qu’il n’y a pas d’emploi
disponible. Il manque toujours, en 2017, cinq millions de postes de
travail pour faire disparaître le chômage de masse.

105
ATTITUDE
REFRACTAIRE FAVORABLE

Pour les sujets placés entre les deux attitudes extrêmes,


en cas de stimulation de l'esprit d'entreprise, la
transformation d'état d'esprit se développera, le cas
échéant, avec une probabilité d’autant plus importante que
l’attitude sera plus favorable.
On peut penser que la probabilité d’une création
augmente d’autant plus pour les personnes les moins
réfractaires au départ. Pour les sujets les plus réfractaires,
il y a fort à penser que la création d'entreprise ne devienne
que très difficilement une opportunité envisageable.
Il est évident qu’aujourd’hui il ne faut pas espérer
qu’un quelconque mouvement de pensée tel qu’une
religion, comme le fit le protestantisme, puisse encourager
à une "vocation" générale en faveur de la création
d’entreprise. Il est tout aussi improbable que les pouvoirs
publics puissent trouver la "baguette magique" qui
permettrait de faire baisser le chômage. En 2017, en
France, on ne sait pas encore sortir du modèle de l’Etat
Providence omnipotent. Les hommes et les femmes
politiques ne considèrent malheureusement pas encore que
le développement de l'esprit d'entreprise soit la condition
fondatrice de la société de demain, qui sera dès lors une
société sans chômage.
Dans une économie libérale, les pouvoirs publics
doivent comprendre qu’il faut placer les citoyens en
position de créer eux-mêmes des emplois par le biais de la
création d’entreprise. En dehors du créateur d’entreprise,
personne ne crée de l’emploi. L'heure est donc à la mise en
place des dispositifs susceptibles de développer l'esprit
d'entreprise des jeunes. Ce qui revient à modifier les
attitudes de la jeunesse. A la lumière des enseignements
sur la personne de l’entrepreneur, le chapitre suivant
définira des pratiques appropriées, destinées à développer
massivement l'esprit d'entreprise au sein du système
éducatif.
106
CHAPITRE 3

SENSIBILISATION
A L'ESPRIT D'ENTREPRISE
au sein du système éducatif

En 2017, Il est littéralement vital pour la France


d'augmenter le nombre de postes de travail. Et comme il a
été plaidé précédemment, la seule alternative possible de
création d'emplois est d'inciter la jeunesse à s'orienter vers
la création d'entreprises. Cet objectif est irréductible. Il ne
peut être atteint que par le développement massif de
l'esprit d'entreprise chez l'ensemble de la population
scolaire. Afin de leur donner le désir de créer des
entreprises.
D'autant que c'est à eux que reviendra, de fait, la charge
de rembourser la dette que la génération présente a
inconsidérément contractée. On comprend alors que
l'objectif de développer l'esprit d'entreprise doive être
considéré par chaque citoyen comme un devoir civique.
Léonidas Kalogeropoulos demande même d'ajouter ce
mot d'ordre au triptyque de la constitution française aux
côtés de liberté l'égalité et fraternité, afin de fonder un

107
"socle consensuel pour un renouveau du mérite
républicain129".
De nombreux dispositifs existent actuellement en
France afin d'encourager la création d'entreprises. Ces
dispositifs concernent des populations cibles spécifiques,
en particulier les personnels licenciés à la suite de
compressions de personnel ou après des fermetures
d'entreprise. Mais également des jeunes sans emploi,
jeunes de quartiers défavorisés, femmes, jeunes diplômés,
etc. Ces dispositifs, sont gérés par des organismes publics,
des organismes privés, et des associations : Pôle emploi,
ANCE, incubateurs d'entreprises, pépinières
d'entreprise…. Tous ces dispositifs proposent des appuis
techniques et/ou financiers pour aider à créer des
entreprises. Cependant ils ne parviennent pas à susciter
suffisamment d'entreprises pour résorber le chômage de
masse.
Certains dispositifs s'adresseront plus particulièrement
aux élèves afin de les inciter à la création d'entreprises. Le
mot de Jean-Pierre Chevènement "apprendre à
entreprendre" donne le ton. Ce sera d'abord le cas de
programmes de préparation technique à la création
d'entreprise. En particulier des programmes dits de juniors
entreprises, de mini-entreprises ou même, plus
spécifiquement dans l'enseignement supérieur, de start-up.
Depuis quelques années, certaines pratiques auront en
outre pour objectif de sensibiliser les élèves à l'esprit
d'entreprise. Mais, gérées sans un support scientifique
adéquat, elles ne pouvaient pas espérer des résultats
massifs sur l’ensemble de la population scolaire. Il
s'avérait donc nécessaire de partir d'un corpus théorique,
essentiellement d'ordre psychosociologique et anthropo-
logique, voire d'épistémologie génétique, afin de

129 Kalogeropoulos (Léonidas), op.cit. (sous-titre de l’ouvrage).

108
construire une pratique efficiente. L'exploration de ce
substrat scientifique a fait l'objet du chapitre précédent.
Le présent chapitre consistera en premier lieu à brosser
un rapide tableau des pratiques qui utilisaient de manière
empirique l'argument de développer l'esprit d'entreprise au
sein du système éducatif. En second lieu sera détaillée une
méthode qui s'appuie sur les apports théoriques
précédemment explorés. Cette méthode ouvre de réelles
perspectives de généralisation de l'esprit d'entreprise à
l’ensemble de la population scolarisée.

109
1- Préparer à l'entrepreneuriat
au sein du système éducatif

Des dispositifs de sensibilisation à l'entrepreneuriat se


sont mis en place à partir des années 90 au sein du système
éducatif. La majeure partie de ces dispositifs sont fondés
sur la préparation de projets d'entreprises, virtuelles et/ou
réelles. Dans des Grandes Ecoles ou les universités on
trouvera de nombreux programmes dits de "start-up".
Cette approche trouve sa justification dans le fait que
l'élève, confronté à la réalité de préparation d'un projet
d'entreprise, se trouve impliqué dans une situation en
grandeur réelle (ou virtuelle dans le cas de juniors ou mini
entreprises). L'élève acquiert ainsi des savoir-faire et des
connaissances en gestion de projet de création d'entreprise.
Ces pratiques le préparent concrètement à
l'entrepreneuriat.
On peut légitimement attendre de pareilles approches,
qu'elles favorisent le désir d'entreprendre chez certains
élèves. Le fait de "jouer" à la création d'entreprise, est
susceptible d'imprimer dans l'esprit de l'élève une
orientation socioprofessionnelle future vers l'entrepre-
neuriat. Soit qu'il s'investisse d'emblée dans la création
d'entreprise au sortir du système éducatif, soit qu'il
commence son parcours socio professionnel en tant

111
qu'employé et qu'à l'occasion d'une situation favorable,
ultérieurement, il s'oriente vers la création d'entreprise.
L'ouvrage de Lucy Tanguy130 fait le point sur le
tournant politique de l'Ecole française au début des années
1980. L'auteur justifie la responsabilité de l'Ecole vis-à-vis
de la jeunesse par référence au discours de Jules Ferry du
31 mars 1881 qui précisait que "l'enseignement de
l'enfance" était "matière de l'Etat" et que "les intérêts
intellectuels de l'enfance sont sous le contrôle et la
surveillance de l'Etat". En d'autres termes l'éducation
scolaire a une dimension éminemment politique. Et à ce
titre l'Etat se trouve légitimé à orienter la formation des
jeunes en fonction de l'intérêt supérieur de la Nation.
Précisément, l'Etat a pris des dispositions en vue de
déléguer à des organismes paritaires Ecole-Entreprise,
sous contrôle de l'Etat, des dispositifs éducatifs "destinés à
concourir au développement économique et social". Le
patronat deviendra le partenaire privilégié de l'Ecole
française pour mettre en place des dispositifs qui
conduiront à mettre "l'apprenant" très tôt au contact de
l'Entreprise.
Ces dispositifs se traduiront essentiellement par la mise
en place de filières professionnelles où l'apprenant sera
mis en situation d'apprendre des savoir-faire propres à un
métier et conformes aux attentes des employeurs. Selon
cette dernière acception, l'objectif consiste explicitement à
préparer les jeunes à acquérir les dispositions répondant
aux besoins du patronat. Ce sont alors les besoins des
entreprises en main d'œuvre qualifiée qui déterminent la
mise en place de dispositifs d'apprentissage.

130 Tanguy (Lucy), Enseigner l'esprit d'entreprise à l'école, Le


tournant politique des années 1980-2000 en France, Paris, La dispute,
2015, 221 p.

112
Peu à peu cependant, la notion d'esprit d'entreprise
apparaîtra comme un objectif éducatif souhaitable. Mais
une première lecture de l'objectif de sensibilisation à
l'esprit d'entreprise assigné à l'éducation par les pouvoirs
publics restera ambigüe. Le concept restera encore
longtemps utilisé comme justificatif à l'établissement de
partenariats école-entreprise. Sous couvert desquels ces
partenariats école-entreprise continueront de conforter
l'entreprise comme interlocuteur privilégié de l'école. Le
patronat y verra avant tout un moyen d'orienter la
formation en fonction de ses besoins en main-d'œuvre
qualifiée. Ce faisant, le dispositif conduit à une sorte de
"pilotage des institutions éducatives" déterminé par les
"besoins du marché" pour reprendre les expressions de
Lucy Tanguy131. Ce qui perpétue l'objectif de faire
acquérir des aptitudes purement techniques correspondant
aux besoins du patronat. Le système éducatif, formant de
fait essentiellement en fonction des besoins en main
d'œuvre qualifiée, développe en réalité chez les élèves des
mentalités d'employé et non d'entrepreneur.
Et même, sous couvert de développer nommément
l'esprit d'entreprise, certains dispositifs se contenteront par
exemple de placer des élèves de classes de troisième des
collèges, en stages d'observation dans des entreprises.
Pendant leur stage, les élèves sont invités à accomplir
certaines tâches. Ils sont donc utilisés de fait comme main
d'œuvre. L'élève est placé en situation d'exécutant. Il est
principalement en contact avec les salariés de l'entreprise.
Ces derniers constituent naturellement des modèles
d'attitudes de salarié. Or ce type d'attitude est opposé au
type d'attitude correspondant à l'esprit d'entreprise. Ces
stages en entreprises n'incitent donc pas spécifiquement à
acquérir une mentalité d'entreprendre.

131 Tanguy (Lucy), op.cit. p. 188.

113
La deuxième lecture du concept de sensibilisation à
l'esprit d'entreprise prévoit au contraire de démocratiser
l'esprit d'entreprise. Cette "démocratisation" constitue le
préalable à la création massive d'entreprises par les élèves
à un certain moment de leur vie active. Si l'on veut
préparer la jeunesse à entreprendre, il est nécessaire
d'adopter des procédures spécifiques.
Des structures comme "Entreprendre pour apprendre"
interviendront "au moyen de réalisation de projets
personnels". Concrètement ils servent à "enseigner
l'entreprise au moyen de la création de mini-
entreprises132". Cette structure réalise des "salons de mini-
entreprises" dans des académies ayant mis en œuvre ce
type de programme. Ces actions concourent explicitement
à "diffuser les théories du management à l'école133". Le
dispositif "Entreprendre pour apprendre" mobilise en
2012-2013 un nombre très significatif de partenaires,
établissements, associations, enseignants… Ce dispositif
aura à son actif plusieurs mini-entreprises et start up.
L'auteur souligne l'implication importante des jeunes,
des enseignants, et des bénévoles. Ces dispositifs
concourent à enseigner des techniques de création
d'entreprise. Et ils produisent un effet de sensibilisation
pertinent, même s'ils ne conduisent pas nécessairement à
créer une entreprise. Ni à œuvrer pour généraliser
massivement l'esprit d'entreprise parmi les élèves d'un
établissement.
De plus il permet de confronter, en grandeur réelle ou
quasi-réelle, un certain nombre de jeunes à la
problématique de la création d'entreprise. Pour les élèves,
les effets s'apparentent à ceux des jeux de rôles. Les
participants à ces expériences, directement impliqués ou

132 Tanguy (Lucy), op.cit. p 31.


133 ibid., p. 41

114
associés à leur montage, ont enregistré une série
d'informations nouvelles pour eux. Et cela permet
nécessairement de concevoir de manière différente la
problématique de l'insertion socioprofessionnelle des
jeunes. En particulier ils ont pu lever le voile sur
d'éventuels stéréotypes concernant l'entrepreneur,
stéréotypes qu'ils n'auraient peut-être jamais eu l'occasion
de dépasser par ailleurs. Il est probable que de nombreux
acteurs de ces jeux de rôles auront pu perdre certains
préjugés qu'ils pouvaient nourrir à l'encontre de la réalité
de la création d'entreprise. Il est probable également que
certains élèves auront pris goût à l'expérience, et que cet
intérêt pourra le cas échéant servir de ferment à
l'implication dans une ultérieure création d'entreprise. Le
désir d'entreprendre pourra donc être enclenché chez
certains. En toute occurrence, l'avenir ne sera plus tout à
fait le même que ce qu'il aurait été sans cette expérience.
Par ailleurs cette pratique va nécessairement susciter un
débat auprès de toutes les personnes impliquées. Et même
au-delà, vers la société civile par l'intermédiaire des
parents d'élèves, des médias, etc. L'ouverture d'un débat
sur le thème de l'esprit entreprise est d'un apport
inestimable au regard de la création d'entreprise. Donc le
fait que le résultat en termes de créations effectives de
mini-entreprises ou de start-up puisse apparaître
numériquement faible, n'enlève rien à l'intérêt de cette
pratique.
Ces actions ne peuvent avoir cependant qu'une portée
numérique limitée. En effet elles ne modifient pas
radicalement la mentalité de l'ensemble de la population
scolaire. Or c'est l'ensemble de la population scolaire qu'il
est nécessaire de "reformater". Et procéder à une véritable
révolution des mentalités. Concrètement au lieu de
produire des "demandeurs d'emplois", l'école doit se

115
résoudre à produire massivement des "donneurs
d'emplois". En un mot des entrepreneurs.
Il est de la responsabilité des pouvoirs publics d'être au
clair sur la finalité de l'éducation. Et sur la définition des
objectifs à atteindre. Mais aussi sur les méthodes à mettre
en œuvre afin de réaliser ces objectifs.
Cela dit, la mise en place d'une politique éducative
fondée sur le développement de l'esprit d'entreprise sera
susceptible de soulever des réticences philosophiques,
idéologiques, techniques, sociales, en particulier parmi le
corps enseignant français. Jusqu'à quel point le système
éducatif est-il en effet légitimé à influencer de quelque
manière que ce soit l'orientation socioprofessionnelle des
élèves qui lui sont confiés ? Qui plus est le système
éducatif peut-il concevoir comme légitime une finalité
éducative fondée sur le développement massif d'un état
d'esprit qui fait penser à l'esprit capitaliste ? Cette question
soulève a contrario une interrogation majeure : l’Etat-
providence peut-il se perpétuer indéfiniment en l’état sans
transformation radicale des mentalités ? Ou bien l’Etat est-
il légitimé à attendre du citoyen une contribution
technique à la Nation ? Ce qui implique de la part des
citoyens une conscience claire de leur responsabilité
socio-économique dans la société. Autre difficulté,
purement technique : comment intégrer dans les
programmes scolaires des activités de sensibilisation à
l'esprit d'entreprise ? Au collège et au lycée
d'enseignement général, la sensibilisation à l'esprit
d'entreprise n'entre dans aucune discipline sans des
aménagements spécifiques. Certaines disciplines peuvent
inclure sans trop de difficulté des activités relatives à
l'entrepreneuriat. C'est le cas en particulier dans les
enseignements de gestion, de comptabilité, ou même dans
des formations techniques d'une manière générale. Ainsi
que, d'une manière moins immédiate, dans certaines

116
sections de lycée. Mais on voit mal a priori comment
l'enseignement des mathématiques, du français, ou des
langues, par exemple pourraient inclure des modules du
type sensibilisation à l'esprit d'entreprise.
De plus il existe une autre difficulté, propre au patronat.
Le patronat, peut considérer en effet que l'éventualité du
développement important de l'esprit d'entreprise constitue
un risque de concurrence pour les entreprises existantes.
Crainte légitime. Sauf que les nouvelles générations n'ont
pas nécessairement pour ambition d'imiter leurs
prédécesseurs. Et si des jeunes créent un restaurant par
exemple, ce sera de préférence selon un concept différent
du restaurant existant à côté duquel ils vont s'installer.
Concept qui s'adressera à une clientèle différente. Il se
crée de ce fait, sur le site, un pôle d'attraction
supplémentaire. Paradoxalement, loin de représenter une
concurrence, le nouvel établissement peut donc au
contraire constituer un attrait supplémentaire. C'est ce qui
s'observera précisément dans certains quartiers, comme
par exemple le quartier latin à Paris.
Par-delà ces difficultés, il reste inévitable d'augmenter
l'offre d'emploi. Et cette offre ne peut augmenter que par
la multiplication des PME. Le développement de l'esprit
d'entreprise au sein du système éducatif est
incontournable. On est alors conduit à s'interroger sur les
méthodes aptes à susciter ce tournant. Précisément,
l'approche ci-après préconisée a pour ambition, sinon de
généraliser le développement de l'esprit d'entreprise dans
toute la population, du moins de toucher un maximum de
personnes. En vue de démocratiser le "désir
d'entreprendre". L'objectif de sensibilisation à l'esprit
d'entreprise implique de déterminer techniquement
comment faire acquérir aux élèves les caractéristiques de
l'esprit d'entreprise.

117
2- Développer l'esprit d'entreprise.

METHODOLOGIE

L'esprit d'entreprise n'est pas inné. A la naissance, ce


qui est inné chez le nouveau-né se limite à quelques
fonctions physiologiques comme la respiration ou la
digestion, et à un nombre limité de réactions réflexes
comme la succion, la déglutition, le réflexe palpébral, le
réflexe d'orientation oculaire, le réflexe palmaire, le
réflexe plantaire… Ainsi qu'à quelques "connaissances" ou
"reconnaissances", comme la voix de la mère, ou son
odeur.
L'épistémologie génétique enseigne comment se
forment les tout premiers apprentissages. Ces derniers
concernent par exemple la coordination oculo-faciale
(orientation des yeux vers la lumière et mouvement de la
tête du même côté). L'apprentissage de l'accommodation
visuelle se fera progressivement. Tout comme la
préhension manuelle, qui se mettra en place peu à peu par
essais et erreurs. Le nourrisson apprendra d'abord à tendre
la main dans la direction de l'objet à saisir. Il apprendra
également à apprécier la bonne distance pour refermer la
main sur l'objet. Et peu à peu son geste se fera plus précis.
Jusqu'à parvenir à la préhension sans hésitation.
L'apprentissage des premiers mots durera plusieurs
mois, après les premières vocalises. L'apprentissage de la

119
station debout sera également très complexe. En effet elle
met à contribution la vision, les fonctions de l'équilibre, le
contrôle des muscles des jambes et du dos.
Pendant cette période de la toute petite enfance, l'amour
de la mère, du père, des frères et sœurs, ainsi que de
l'entourage du nourrisson, les échanges affectifs, les
caresses, les contacts, constituent les catalyseurs des
apprentissages sensori-moteurs élémentaires de l'enfant.
Tout ce qui sera acquis ultérieurement par le cerveau
humain dépendra de la richesse des tout premiers échanges
du nouveau-né avec son entourage. Tous les savoirs et
savoir-faire acquis depuis la tendre enfance et pendant
l'enfance, seront fonction de la richesse affective de
l'entourage. Richesse affective, amour, estime, admiration,
sont les fondements de l'acquisition du savoir, du savoir-
faire, du savoir-être. Les échanges affectifs sont les
catalyseurs des phénomènes osmotiques entre l'enfant et
l'entourage, phénomènes osmotiques au terme desquels
filtrent les modèles comportementaux depuis l'entourage
de l'enfant vers l'enfant lui-même.
C'est ce qui explique que l'acquisition de l'esprit
d'entreprise, comme de l'acquisition de tout savoir, savoir-
faire et savoir être, nécessite une relation réciproque
d'estime, d’écoute, de respect, entre le détenteur de l'esprit
d'entreprise et son interlocuteur, écolier, collégien, lycéen,
étudiant… Ces sentiments sont les catalyseurs du
phénomène de "contagion" de l'esprit d'entreprise, depuis
l'entrepreneur vers l'enfant, l'élève ou l'étudiant. Dans une
famille d'entrepreneur, l'esprit d'entreprise "semé" au
quotidien dans l'esprit de l'enfant se comportera comme
une graine, qui germera à l'âge adulte. Mais aussi dans
d'autres situations, par exemple lorsque l'enfant ou
l'adolescent sera en contact avec un entrepreneur, ami de
la famille. Si un contact privilégié s'établit entre eux, on
peut présumer que des circonstances favorables pourront

120
ultérieurement déclencher plus facilement un désir
d'entreprendre.
Une question se pose pour le cas de certaines familles
idéologiquement hostiles à l'entreprise. Il est clair que,
dans ces cas, toute opération de développement d'esprit
d'entreprise soit susceptible de se heurter à des résistances.
Cependant, à l'adolescence, ces freins s'estompent. En
effet l'adolescence est le temps où le jeune tend à remettre
en cause les points de vue de son entourage. Il découvre
que les raisonnements des parents, mis en place en un
temps historique donné, tendent à se perpétuer tels quels et
certains finissent par être obsolètes, voire totalement
inadaptés aux nouvelles conditions de vie. Aux yeux
même de l'adolescent. Dès lors ce dernier tend à percevoir
l'inadéquation entre les philosophies parfois surannées des
parents et les particularités de la nouvelle société.
L'esprit d'entreprise est un état d'esprit. C'est une
attitude, produit d’un système de valeurs, de normes. Dans
les familles d'entrepreneurs, cette attitude est
naturellement issue de la famille. C'est l'entourage de
l’enfant depuis son plus jeune âge qui lui inculque, par
osmose, les fondements de l'esprit d'entreprise. Tout
comme dans une famille de mineurs, on est mineur de père
en fils. Dans une famille d'agriculteurs ou d'éleveurs on
devient agriculteur ou éleveur. Et le fils d'entrepreneur
tendra le plus souvent à devenir entrepreneur lui-même.
Par ce qu'il bénéficie, conformément au concept de
"Reproduction" analysé dans "Les héritiers" par Bourdieu
et Passeron, au-delà du patrimoine financier, de tout le
patrimoine culturel issu du milieu parental. Dans les
familles protestantes, comme dans les familles juives, les
fondements religieux constituent le ferment de l'esprit
d'entreprise. La culture entrepreneuriale est inscrite dans
les préceptes religieux.

121
Le peuple juif lui-même s'est construit sur des
préceptes, en particulier par les injonctions d'Abraham qui
préconise l'exode pour échapper à l'esclavage, accéder
ainsi à la liberté, et rechercher l'enrichissement,
enrichissement lui-même gage de liberté. Depuis l'exode,
le précepte de l'indépendance constitue le fil directeur de
la conduite socio-économique. Les particularités de l'esprit
d'entreprise s’apprennent, aussi bien par les préceptes
religieux que par imprégnation familiale.
Le peuple Sumer, il y a 5000 ans, savait déjà "profiler"
l'état d'esprit de sa jeunesse par des préceptes et par les
récits de héros mythiques gravés sur des tablettes d'argile.
La religion catholique, bien que pour d'autres finalités,
utilise elle-même la parabole, l'exemple éthique, comme
procédé pédagogique.
De même, l'état d'esprit de l'ascension sociale pourra
être un but. Alors la famille donnera à l'enfant l'ambition
de suivre un autre chemin que le sien. Les "idoles"
constitueront des modèles. L'admiration du héros
mythique qui se constitue au cours de l'enfance, laisse des
traces indélébiles.
Si les particularités de la mentalité d'entrepreneur
s'acquièrent, alors l'école peut inculquer un état d'esprit, en
l'occurrence, ici, l'état d'esprit de l'entrepreneuriat. Aussi,
afin de donner aux jeunes le désir de créer une entreprise,
il faut les placer en situation d'acquérir les composantes de
l'attitude de créateur d'entreprise. C'est en mettant en
contact l'élève avec la personne de l'entrepreneur, suivant
des modalités appropriées, que, comme par osmose, les
modèles pourront diffuser vers l'élève. Afin d'inculquer
l'esprit d'entreprise, la méthode de suscitation consiste à
donner la parole aux chefs d'entreprise, pour qu'ils
entraînent, derrière eux, d'autres jeunes, dans la création
d'activités économiques. Concrètement, il est nécessaire de

122
mettre en contact l'élève avec la personne de
l'entrepreneur.
Dès lors que le système éducatif généralisera la
méthode, on pourra légitimement attendre un mouvement
massif de créations d'entreprises. Et par voie de
conséquence, massivement, des créations d'emplois.
Dans la pratique, les lycéens, par binômes de
préférence, sont invités à rencontrer un entrepreneur de
leur choix. De préférence un entrepreneur qu’ils
connaissent déjà, ou qui leur a été conseillé par un proche,
signifiant proximité sociale, prémisse d’échange, voire,
symboliquement, d’alliance.
Ils sont munis d'une grille d'entretien, qui comporte
entre autres les thèmes suivants : le moment à partir
duquel l'entrepreneur a eu dans l'idée de créer une
entreprise, les personnes qui l'ont influencé, encouragé, les
évènements qui ont servi de déclencheur, en résumé
comment il en est venu à créer son entreprise. Ces récits
de vie sont enregistrés afin d'être retranscrits
ultérieurement134.
L'entretien entre deux élèves et un adulte, entrepreneur,
est un moment particulier. L'entrepreneur est
naturellement conduit à dévoiler certains aspects
personnels de lui-même. L'entretien avec l'entrepreneur a
pour effet premier de faire tomber le masque. De
démystifier l'entrepreneur et de modifier les
représentations que se font les élèves des valeurs de
l'entrepreneur, de son parcours de vie, de son mode de vie.
Par ailleurs l’échange entraîne modification mutuelle
d'attitude. La "distance sociale" entre les acteurs de cet
entretien se réduit.
Lors de son contact avec l'entrepreneur, ce dernier
exprime une histoire, son histoire. Comme pour un film ou

134 Avec l’autorisation des intéressés.

123
un roman, le spectateur subit une nécessaire identification
au "héros" de l'histoire. D'autant plus qu'ici le héros est un
héros de chair et d'os.
Dans la culture de tous les peuples le héros est objet
d'identification. Dans les sociétés primitives, le conteur du
mythe fait entrer l’auditeur dans le temps sacré du mythe.
Le spectateur subit alors une véritable transformation
ontologique. Ecoutant le récit, l’auditeur se projette dans
le mythe, il vit le mythe. Il n'est alors plus spectateur, il
s’assimile lui-même virtuellement au héros mythique. Il
est partie intégrante de la scène. Le mythe ne se déroule
pas en extériorité par rapport à lui. Il en ressent toutes les
émotions, comme la peur, la joie, la colère. Et il adopte
également les attitudes du "héros mythique".
On retrouve le même processus d'identification avec le
roman imprimé, puis le film. Et, même avec les jeux
vidéo, dont en particulier le mythique "Counter Strike" où
le spectateur devient lui-même le "héros". Mais le substrat
en reste le même : un personnage héroïque, paré de
qualités valorisantes, en un lieu et un temps donnés,
adopte des comportements exemplaires. Les processus
d'identification au héros provoquent l'intériorisation des
modèles de comportement de ce héros, et, par suite, les
normes et les valeurs qui en constituent l'éthique.
Avec le cinéma, l'identification au héros sera si
prégnante qu'à la sortie de la séance, l'enfant continuera à
être le héros et tracera virtuellement, dans l'espace, le "Z"
de Zorro, à l'aide d'une épée imaginaire.
Il en est de même pour l'adolescent qui écoute le récit
de création d'une entreprise par l'auteur même de la
création. Ecoutant le récit, l'adolescent est entraîné dans
l'espace-temps de la création de l'entreprise, un espace
temps passé mais réel, quasi-mythique, quasi sacré. Sacré
comme l'est pour l'auteur lui-même la création de son
entreprise. Car l'entreprise qui a été créée, l'a été comme

124
enfantée. Donc considérée par son créateur comme sacrée.
L'adolescent qui reçoit le récit est entraîné dans le sacré de
la création. Il naît d'une certaine manière une communauté
d'émotions, communauté d'attitudes avec le narrateur,
l'entrepreneur. Et cet espace-temps vécu par l'adolescent,
le temps du récit, restera dans sa mémoire un moment
unique de sa vie.
Chaque société génère ses "héros mythiques", modèles
identificatoires des jeunes, modèles sportifs, artistiques,
technologiques, voire entrepreneuriaux. Les mythes
modernes s'insèrent dans l'imaginaire collectif et fondent
de nouvelles éthiques, celles qui formeront le socle des
sociétés de demain. Parmi les nouveaux héros mythiques,
on trouvera les chefs d'entreprise contemporains qui ont
"réussi" et dont l'image s'est imposée dans l'imaginaire
collectif pour avoir engendré des œuvres remarquables
comme les Mark Zukerberg et autre Bill Gates.
L’humanité fonctionne toujours sur les mêmes
"schémes". La "liturgie" reste toujours la même. Le mode
pédagogique demeure le même. Seul le héros mythique et
les évènements changent. Les "histoires" formatent les
systèmes de valeurs et les modèles comportementaux des
hommes depuis leur plus jeune âge. Les "histoires"
impriment définitivement les normes comportementales
dans l’esprit de l’enfant, conformément à la "pédagogie du
modèle".
Il est essentiel d’imprimer ces "schèmes" dans l’esprit
de l’enfant le plus tôt possible. C’est ce qui se passe, au
sein des familles ; les modèles parentaux sont transmis aux
enfants. Le premier héros mythique de la fillette est sa
mère. Dont elle adoptera les comportements : elle donnera
le biberon à sa poupée, elle l'habillera, la déshabillera, lui
fera sa toilette, la coiffera, lui parlera, la caressera,
l'embrassera... Le héros mythique du jeune garçon est
d'abord son père. Puis de nouveaux héros apparaîtront

125
avec l'âge, Harry Potter ou tout autre héros pourra être
objet d'identification. De même tel Zinédine Zidane ou
autres héros du sport, du cinéma, de la musique, de la
conquête spatiale, de la politique pourront devenir idoles,
héros mythiques. Porteurs de valeurs, les héros entraînent
assimilation de ces valeurs chez les spectateurs.
Dans le cas présent, l'entrepreneur entraîne l'élève dans
son propre univers. Cette procédure produit immanqua-
blement chez l'élève une identification au personnage de
l'entrepreneur. L'identification entraîne à son tour adhésion
aux normes et valeurs de l'entrepreneur, en un mot à son
éthique. Ce qui a un effet déterminant sur l'attitude de
l'élève. L’attitude des élèves concernés est alors influencée
en faveur de la création d'entreprise. C'est à dire à l'esprit
d'entreprise.
Le récit de la création d’entreprise relate les rituels de
la création. Synonymes de transformation ontologique.
L’auditeur du récit, subissant l’identification au "héros",
vit une mutation d’identité, mutation ontologique. Et cette
transformation, virtuelle, n’en laisse pas moins, dans
l’esprit de l’élève, la trace indélébile du cheminement vers
la création d’entreprise.
Mais il y a plus : invitant l'élève dans son univers, lui
révélant des éléments personnels de sa vie, l'entrepreneur
se confie à l'élève. En un mot il lui offre sa confiance.
Conformément à la théorie de Marcel Mauss sur le don, il
établit implicitement alliance avec l'élève. Ce dernier se
trouve alors entraîné dans l'échange.
Par ailleurs le récit de l’entrepreneur sera repris dans
une publication qui regroupera l’ensemble des
témoignages des entrepreneurs. Ce faisant, la participation
de l’élève à la publication du témoignage de l’entrepreneur
prend valeur de contre-don. Ayant reçu de l'entrepreneur,
l’élève lui offre en retour une vitrine sous la forme d'une
publication de son message. L'alliance ainsi scellée

126
signifiera implicitement acceptation réciproque des
normes et valeurs des deux interlocuteurs.
L’élève se trouve personnellement investi d'un mandat
vis-à-vis des traits éthiques qu'il a relevés. Il en est, de fait
le messager. Il les emporte et leur donne vie. Il témoigne.
L’élève devient ainsi "apôtre".
Comme par contagion, l'effet se propage, depuis les
élèves jusqu'aux personnes avec lesquelles ils sont en
contact. L'élève apparaît aux yeux d'autrui comme "allié"
des acteurs dont il porte la voix. Se faisant le porte-parole
de valeurs éthiques spécifiques, il est perçu comme
affichant son adhésion à ces valeurs. Il se trouve comme
investi aux yeux d'autrui des traits éthiques dont il s'est fait
porte parole. Autrui lui renvoie le reflet d'une identité
spécifique. Et comme l'identité se construit par l'image que
l'autre nous renvoie de nous-mêmes, ce phénomène est
fondateur d'identité. Le processus d'acquisition de l'esprit
d'entreprise se trouve renforcé.
Face à l'entrepreneur, l’élève s'imprègne de son éthique.
L’élève est inévitablement conduit à modifier sa vision de
l'entrepreneur, de sa place dans la société, et en fin de
compte de la société dans son ensemble. Surtout l’élève ne
peut plus dorénavant considérer que la société se divise en
deux "castes" : les employeurs d'un côté et les employés
de l'autre135. L’élève prend ainsi conscience que la
personne de l'entrepreneur est une personne comme les
autres. Et c'est bien en définitive un des objectifs
recherchés par cette méthode : modifier les points de vue
des élèves sur la personne de l'entrepreneur. Alors un
certain nombre d'élèves pourront penser qu'il ne leur serait
peut-être pas impossible, eux-mêmes, de créer une
entreprise.

135 Avec la spécificité du système des castes : l'appartenance à une


caste est définitive et comme héréditaire.

127
Et on peut légitimement attendre que l'esprit
d'entreprise souffle sur la jeune génération. Puis déclenche
le désir d'entreprendre. Voire le devoir d'entreprendre.
Les entretiens qui ont été enregistrés, sont retranscrits
intégralement, mot à mot, analysés, découpés par thèmes
selon une grille constituée par les élèves eux-mêmes.
Ainsi, le message, après avoir été entendu une première
fois, sera comme "réentendu" plusieurs fois de suite au
cours de sa retranscription. Cette pratique réactualise le
"temps sacré" du récit. Peu à peu le "héros" du récit,
l’entrepreneur devient une sorte de "héros mythique". Ce
faisant, les élèves s'en imprègnent plus profondément, ce
qui renforce l'impact des messages dans l'esprit des élèves.
De plus, la transcription du récit, puis son traitement
entraîne, d'une certaine manière, dans l'esprit de l'élève, un
effet qui s’apparente à l’effet publicitaire.
Les extraits de ces entretiens font ensuite l'objet d'un
regroupement avec les découpages thématiques réalisés
par les autres binômes à partir des discours qu'ils ont eux-
mêmes recueillis. Tous ces extraits, seront ensuite publiés
sous forme d'un fascicule. Ce fascicule comprend en outre
des communications et/ou articles produits par des
personnes s'intéressant à la question de l'esprit
d'entreprise, enseignants, personnalités. Le document ainsi
construit, mentionnant les noms des différents
partenaires136 du dispositif, est destiné à être offert à tous
ces partenaires.
Les élèves ayant recueilli et traité le matériau de base et
construit ce message, sont co-auteurs de la publication. Ils
sont particulièrement intéressés à la confection du
fascicule dans la mesure où cet ouvrage mentionne leur
nom en tant que co-auteur d'un message. L'un des effets

136 Ou les initiales seulement selon le choix des entrepreneurs


concernés.

128
attendus de l'ensemble du dispositif consiste en la capacité
de diffusion du message à partir des élèves. Ils deviennent,
littéralement, les "porte-parole" des entrepreneurs
interviewés. Ils sont vecteurs, dans la société civile, de la
parole des entrepreneurs. En tant que co-auteurs du
fascicule leur nom est implicitement associé aux normes et
valeurs sélectionnées comme significatives, à travers les
propos dont ils sont les récipiendaires, en un mot à
l'éthique des entrepreneurs.
Construisant une œuvre, fascicule, l'élève réalise un
acte identitaire. De même que l'artiste se construit à travers
l'œuvre qu'il construit, l'identité de l'élève se construit à
travers la production de son ouvrage. Ayant réalisé une
œuvre collective, l'œuvre inscrit dans l’identité de l’élève
un élément de définition de soi qui le construit au même
titre qu'un artiste est construit par son œuvre. L'artisan
compagnon construit son "chef d'œuvre" au terme de son
apprentissage, définissant explicitement son identité à
travers son œuvre maîtresse. L'élève se définit, et est
défini en retour, par autrui, par les pairs, par les autres
membres de la société civile, à travers l'œuvre qu'il réalise.
Il est définitivement paré des caractéristiques, des valeurs,
en un mot, de l'éthique ainsi véhiculée. Ouvrage reconnu,
accepté, et valorisé. Devenant acte fondateur de soi. Aux
yeux d'autrui mais aussi à ses propres yeux. Le sentiment
que l'élève aura de sa propre identité sera d'une certaine
manière le fruit de ce débat entre l'image qu'il affiche et
l'image qui lui est renvoyée par le regard d'autrui. Le
message de l'entrepreneur, porté par les élèves, conforte de
manière décisive une transformation ontologique.
La transformation se trouve renforcée par des
dispositifs complémentaires. Une exposition sous forme
de planches portant la teneur du fascicule est également
préparée. Ces planches sont fixées sur des panneaux
répartis dans l'ensemble des parties communes de

129
l'établissement scolaire. Les planches portent les noms des
élèves qui ont collecté et transcrit chaque entretien. Les
élèves se sentent ainsi doublement valorisés pour avoir
réalisé une production "adulte".
Un reportage vidéo est confectionné par un groupe
d'élèves. Une équipe de volontaires met en place un
scénario, repère des entrepreneurs et des représentants des
organismes intéressés par l'opération, acceptant d'être
interrogés et filmés en vue d'élaborer un reportage. Les
prises de vue et le montage sont réalisés par le même
groupe. Avec l'aide de spécialistes le cas échéant. Le
reportage est destiné à tourner en boucle au centre de
l'exposition. Des copies du reportage sont offertes aux
différents protagonistes du reportage, les personnes qui ont
été filmées et les personnes qui ont contribué à ce
reportage.
L'opération se conclut par une manifestation publique
de type forum, par exemple une journée porte ouverte,
organisée au sein de l'établissement scolaire. Ce forum
met en valeur les travaux des élèves à leurs propres yeux.
Mais aussi à ceux de leurs camarades de classe et des
élèves des autres classes. Et enfin à l'ensemble des
professeurs et du personnel de l'établissement, à
l'ensemble des parents qui se déplaceront, aux
personnalités politiques et administratives locales, aux
représentants des organisations patronales, des organismes
consulaires, de la presse. Aux yeux de tous, cette
manifestation confère autorité au concept d' "esprit
d'entreprise".
Au cours de cette journée porte ouverte, des
entrepreneurs sont invités dans des classes qui n'ont pas
participé aux opérations d'interview des entrepreneurs. Il
leur est proposé de répondre aux questions des élèves, et à
leur expliquer comment ils ont été conduits à créer leur
entreprise. Cette technique est utilisée par certaines

130
structures, en particulier l'association "100 000
entrepreneurs". Cette dernière propose même un guide à
l'usage des entrepreneurs qui acceptent d'intervenir dans
des classes de l'enseignement secondaire.
Enfin un service d'accueil est organisé à l'intention des
visiteurs, parents d'élèves, personnalités du monde
politique et économique, mais aussi représentants des
divers organismes intéressés au dispositif. Les élèves
revêtus d’un t-shirt à l'emblème du forum "esprit
d'entreprise" reçoivent les visiteurs et les guident le cas
échéant. L’emblème du Forum, porté par les élèves,
s’apparente à un marqueur, au même titre qu’une
scarification marquant la transformation ontologique du
jeune des sociétés primitives à l’issue de son rituel d’accès
au statut d’adulte.
Le forum sur l'esprit d'entreprise est organisé pour
conférer à l'opération toute son importance, aux yeux de la
société civile, mais surtout aux yeux des élèves. L'objectif
est de sensibiliser toutes les parties prenantes sur la
nécessité de l'esprit d'entreprise dans la société. En
particulier auprès des parents d'élèves, afin de faire entrer
la problématique dans les sujets de conversation au sein de
la famille. Mais également en direction de l'ensemble du
corps enseignant de l'établissement. Enfin les médias sont
sollicités afin de porter le débat dans la société civile. A
l'occasion du forum sur l'esprit d'entreprise, le débat est
ainsi rendu public. Alors le message acquiert une audience
massive. De ce fait le forum introduira nécessairement le
débat sur les grandes questions socio-économiques et
philosophiques de la Nation.
Cette manifestation s'apparente à une fête, marquée par
une sorte de cérémonial, quasiment un rituel. Tout comme
un rite, elle se déroule dans un temps "hors du temps". Le
temps habituel, le temps scolaire, avec ses codes du
quotidien profane est occulté. Le temps des cours disparaît

131
temporairement à cette occasion. A travers leurs
réalisations les élèves apportent la preuve de compétences
nouvelles. Le lendemain, les élèves retrouveront le temps
habituel. Mais leur statut, aux yeux d'autrui, et à leurs
propres yeux, aura changé. En un mot, par rapport au
temps d'avant, après avoir affiché leurs réalisations aux
yeux de tous, ils ont définitivement changé de nature.
De même, dans une société primitive, à l'occasion des
rites de passage, les jeunes d'une classe d'âge changent de
nature après avoir réalisé les exploits rituels, exploits des
ancêtres mythiques. Ils afficheront fièrement les
scarifications, tatouages, attributs vestimentaires
spécifiques. Ces "marqueurs" symbolisent leur victoire à
des épreuves de mutation et par là même leur accès à l'âge
adulte et à des compétences nouvelles. L'appartenance
irréversible au statut d'adulte confirme leur transformation
ontologique.
On retrouvait encore au siècle dernier dans nos écoles
le rite des fêtes de fin d'année. Cette fête perdure dans les
grandes écoles avec déclaration publique du classement de
sortie. La transformation ontologique des élèves
s'apparente aux rites de passage des sociétés primitives.
Par le rite, ils sont symboliquement investis d'un statut
ontologique spécifique qui donne à leur parole autorité aux
yeux d'autrui et à leurs yeux.
Cette fête, qui possède les caractéristiques du rite fait
penser à la fête du nouvel an. Cette dernière célèbre le
passage d'une année à l'autre, la mort d'une année et la
renaissance d'une nouvelle année, elle signifie le passage
d'un état à un autre avec transformation de l'être. Tout
comme le rite du baptême, qui signifie mort de l'être impur
plongé dans l'eau, puis la renaissance après purification
par l'eau. Le changement de temps, du passé au futur,
marqué par une journée "hors du temps" entraîne mort
symbolique de l'être ancien et renaissance d'un être

132
nouveau. Comme le passage d'une année à l'autre se
manifeste symboliquement par la prise de résolutions
actant la transmutation ontologique de l'être en un être
nouveau. Ici la transmutation ontologique se trouve actée
par une sorte d’imprégnation de type "osmotique" de traits
identitaires et éthiques répertoriés par les élèves.
Autre être, être nouveau où l'esprit d'entreprise est une
disposition mentale grâce à laquelle on n'a plus le même
rapport à l'environnement. La sensibilisation à l'esprit
d'entreprise produit une mutation d’identité chez l'élève.
Les adolescents, en recherche d'idéal, de nouveaux
modèles, sont particulièrement perméables à des
changements d'attitude.
Le concept d'esprit d'entreprise aura changé le rapport
au monde des élèves. A la faveur d'un éventuel concours
favorable de circonstances, l'esprit d'entreprise pourra, le
cas échéant, s'exprimer, produisant un véritable "passage à
l'acte" de créer une entreprise.
Cela dit, rien n'empêchera l'adolescent, devenu adulte,
de naviguer entre création d'entreprise et emploi salarié.
Car on peut fort bien imaginer la possibilité d'une vie
professionnelle s'organisant en alternance de statuts, chef
d'entreprise et salarié. Un salarié peut devenir chef
d'entreprise et vice-versa.
De fait, la création d'entreprise doit être considérée
comme un devoir civique. Soit en créant soi-même une
entreprise, soit en œuvrant pour favoriser la création
d'entreprise.
C'est cette richesse, ce cadeau, que l'entrepreneur se
doit d'offrir aux adolescents. Car c'est le terreau de la
création future d'entreprise pour l'individu comme pour la
société. Ce don de la société à l'individu entraîne le contre-
don du récipiendaire devenu adulte, en retour, à la société.
Un devoir citoyen. Sous forme, en l'occurrence, d'une
création d'entreprise. Avec son corollaire : des créations

133
d'emplois. Afin que la création d'emploi cesse enfin d'être
le problème majeur d'un pays.

134
CONCLUSION

Les gouvernements français qui se sont succédé depuis


des décennies, n'ont fait que tenter de gérer la pénurie. Les
seules politiques suivies ont consisté à prélever des
budgets sur tel ou tel poste pour les affecter à tel ou tel
autre. Ou à s’endetter follement. Aucune politique
économique n'a dépassé le stade de la gestion au jour le
jour. Les pouvoirs publics ne font que parer au plus pressé.
Ils interviennent comme pour éteindre un incendie.
Les fondements de cette administration au quotidien
n'ont jamais été remis en question. Le résultat de pareille
pratique s'exprime par un chiffre effarant au compteur de
la dette publique. Le 29 mai 2017, le compteur atteint
€ 2 211 milliards et enregistre un rythme d'augmentation
de un million d'euros chaque heure.
La première condition pour échapper à la spirale
infernale dette/chômage consiste à revenir aux
fondamentaux de l'économie. Et ces fondamentaux restent
les mêmes depuis des millénaires : aucune société ne peut
subsister sans mettre en place des systèmes de production
susceptibles de couvrir ses charges. Aujourd'hui il apparaît
de plus en plus évident que c'est du côté de la créativité
entrepreneuriale des jeunes générations qu'il faut se
tourner. Justement, l'Union Européenne a formalisé cet
objectif en préconisant à tous les pays membres de
développer l'esprit d'entreprise. Ce n'est qu'en suscitant la

135
création de plusieurs centaines de milliers de petites
entreprises que chaque pays créera l'emploi et la richesse.
La France doit pour sa part créer 5 millions d’emplois. La
Nation ne peut le faire qu’en créant 1,2 million de petites
entreprises supplémentaires. Ce qui représente une
augmentation de 25% du potentiel entrepreneurial et donc
d’emploi. Et par voie de conséquence une augmentation
proportionnelle du PIB, des versements aux caisses de
chômage, de retraite, de sécurité sociale, et au budget de
l’Etat.
Le présent ouvrage suggère une méthode permettant de
développer l'esprit d'entreprise dans la Nation. Cette
méthode est assise sur un argumentaire scientifique qui en
fonde l'efficacité. Chaque établissement scolaire, du
collège à l'Université, a le devoir de la mettre en œuvre
selon ses modalités propres. L'urgence économique et
sociale impose de se plier aux impératifs de
démocratisation de l'esprit d'entreprise. Aujourd'hui il
s'avère impératif de faire du devoir d'entreprendre un pilier
de l'éducation.
A cet effet les pouvoirs publics doivent insérer dans les
Instructions Officielles de l’Education Nationale le
développement de l’esprit d’entreprise comme l'une des
finalités prioritaires de l'éducation.

6 Août 2017

136
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l’assurance-chômage sont pleines à craquer.
lemonde.fr, 7 févr. 2017, Le déficit commercial de la France
s’est dégradé en 2016.

140
lesechos.fr, 23 févr. 2017 L'Allemagne a enregistré l'an dernier
un excédent budgétaire
lindépendant.fr, 26 janvier 2017, Espagne: le chômage tombe à
18,6% fin 2016, le nombre de chômeurs au plus bas depuis 7
ans.
odce.org, 2015.
semaine-entrepreneuriat-féminin.com.
stratégie.gouv.fr.
wikistrike.com, 15 Mars 2017 Effrayant ! La BCE n’existe déjà
plus ! L’euro est déjà mort !

141
TABLE DES MATIERES

Préambule 15

Chapitre premier : L’ampleur du désastre 19


1- Les problématiques liées au chômage de masse 21
2- Des remèdes-miracles contre le chômage ? 31
3- L’esprit d’entreprise, fondement de la croissance 49

Chapitre deux : La personne de l’entrepreneur 71


1- L’identité de l’entrepreneur 73
2- L’éthique 87
3- L’attitude 101

Chapitre trois : sensibilisation à l’esprit


d’entreprise au sein du système éducatif 107
1-Préparer à l’entrepreneuriat au sein du système éducatif 111
2- Développer l’esprit d’entreprise, méthodologie 119

Conclusion 135

Bibliographie 137

Table des matières 143


économie et Entreprise
aux éditions L’Harmattan

Dernières parutions

Mondialisation, accords commerciaux régionaux


et intégration de l’Afrique
Sous la direction de Cécile Bastidon, Ochozias Gbaguidi, Azzedine
Ghoufrane, Ahmed Silem
Ce livre porte sur le phénomène du multilatéralisme qui caractérise le système
commercial administré par l’OMC issu du traité de Marrakech (15 avril 1994).
La mondialisation se double d’accords de libre-échange bilatéraux et régionaux
en Afrique. Compte tenu des difficultés rencontrées pour arriver à un accord dans
le cadre des négociations du cycle de Doha, ce régionalisme s’accompagne d’un
plurilatéralisme qui est sans doute sous-optimal par rapport au multilatéralisme
traditionnel.
(19.00 euros, 170 p.)
ISBN : 978-2-343-11849-9, ISBN EBOOK : 978-2-14-003477-0

L’entreprise – Pour mieux la connaître


Bersinger Sylvain
Ce livre vise à présenter le monde de l’entreprise sous ses différents aspects,
principalement à destination d’un public d’étudiants. Écrits dans un langage
simple, parsemé d’exemples et de schémas, il se veut accessible aux débutants qui
souhaitent découvrir ce monde fascinant qu’est celui de l’entreprise.
(22.50 euros, 220 p.)
ISBN : 978-2-343-11792-8, ISBN EBOOK : 978-2-14-003481-7

Histoire d’un entretien d’embauche réussi


Récit d’une démarche efficace avec les bons outils et la bonne posture
Ramirez Morales Gabriel
De nos jours, le chômage reste élevé et les postes fragiles. Ainsi, la posture de
la personne devient un enjeu majeur dans la recherche d’emploi. Cet ouvrage
nous permet d’accompagner Claude, sans emploi depuis plusieurs mois. Nous
allons apprendre avec lui à trouver la bonne posture, la meilleure stratégie
comportementale afin d’intégrer au plus tôt le monde d’exigence qu’est
l’entreprise.
(17.50 euros, 164 p.)
ISBN : 978-2-343-11781-2, ISBN EBOOK : 978-2-14-003389-6
Politique du travail
La fierté professionnelle
Tertrais Laurent
L’ampleur du chômage nous aurait-elle fait oublier le travail lui-même ? La
course à l’emploi et à la productivité a pris le pas sur une approche positive
de l’activité. On valorise peu les métiers, le goût pour le travail bien fait et la
performance collective. La précarité et l’intensification de l’activité nous font
paradoxalement oublier que le travail est en soi un objet public. Parlons de nos
identités professionnelles. Donnons alors des moyens contre la solitude. Misons
sur la politique éducative et la qualité des parcours dès l’enfance.
(Coll. Questions contemporaines, 15.00 euros, 130 p.)
ISBN : 978-2-343-11501-6, ISBN EBOOK : 978-2-14-003422-0

Les espaces du travail


Prévention et santé au travail
Salignac Philippe
En éclairant la théorie par des exemples concrets rencontrés durant son activité
professionnelle, l’auteur montre comment l’espace en lui-même et les pratiques
spatiales associées peuvent être révélateurs des tensions et des enjeux qui traversent
toute entreprise. À partir de situations vécues, il révèle l’importance des spécificités
du fonctionnement collectif et étudie leurs effets sur la santé au travail.
(Coll. Sciences et Société, 25.00 euros, 236 p.)
ISBN : 978-2-343-11469-9, ISBN EBOOK : 978-2-14-003407-7

Les prix agricoles


Nouveau dialogue sur le commerce des bleds
Boussard Jean-Marc
Dans tous les systèmes économiques, les prix servent de messagers entre les
producteurs et les consommateurs, informant les premiers des désirs des seconds,
et ces derniers de la difficulté de produire. Dans le secteur agroalimentaire, ni les
consommateurs ni les producteurs ne peuvent s’adapter facilement aux variations
de prix. Voici proposées quelques solutions pour rationaliser le commerce de
produits agricoles, sans rien perdre des avantages liés aux échanges mais en
évitant les gaspillages associés à l’instabilité des prix.
(Coll. L’esprit économique, série Le Monde en Questions, 21.00 euros, 194 p.)
ISBN : 978-2-343-11246-6, ISBN EBOOK : 978-2-14-003101-4

L’autonomie financière des autorités indépendantes


Palma-Amalric Valérie - Préface de Vincent Dussart
(Prix de thèse de la Société française de finances publiques)
Les autorités indépendantes occupent une place considérable dans le fonctionnement
des institutions de la Ve République, mais soulèvent de nombreuses questions.
À l’heure où les parlementaires discutent d’une proposition de loi portant statut
général des autorités administratives et publiques indépendantes, cette étude
interroge l’ampleur et la portée de leur autonomie financière apportant des éléments
relatifs au financement, au personnel et à la gestion.
(Coll. Finances publiques, 49.00 euros, 622 p.)
ISBN : 978-2-343-11595-5, ISBN EBOOK : 978-2-14-003299-8
Les dynamiques d’émergence dans un monde
en perpétuelle mutation
Schulders Guy - Préface de Phillip LeBel
L’auteur de cet ouvrage pose des questions difficiles sur les enjeux d’un monde
nouvellement reformaté, dont aucun pays ne maîtrise plus vraiment ni les
rythmes, ni les orientations. Comment les pays en difficulté des continents
africain, latino-américain ou du Sud-Est asiatique font-ils évoluer leur processus
de croissance vers une dynamique de développement, puis d’émergence ? Quel
rôle les BRICS, en particulier la Chine, l’Inde et le Brésil, jouent-ils dans la mise
en œuvre des nombreuses synergies avec les autres pays du monde, riches comme
pauvres ?
(25.00 euros, 236 p.)
ISBN : 978-2-343-11250-3, ISBN EBOOK : 978-2-14-003251-6

La gestion planifiée
Logiques, fondements et perspectives
Amedzro St-Hilaire Walter
Quels sont les liens entre la gestion planifiée et la dynamique des affaires ? Quels
sont les facteurs économiques et gestionnaires qui influencent l’interconnexion
entre la logique planifiée et la productivité des entreprises ? L’auteur tente ici
d’identifier le rôle de l’optimisation des affaires dans l’opérationnalisation de la
gestion planifiée et de comprendre comment, au niveau des entreprises et des
organisations, l’efficacité décisionnelle oriente les stratégies planifiées.
(Coll. Dynamiques d’entreprises, 26.00 euros, 260 p.)
ISBN : 978-2-343-11402-6, ISBN EBOOK : 978-2-14-003131-1

Comprendre et pratiquer la bourse


Zamble - Bi B. Emmanuel - Préface de Stefan Nalletamby
Cet ouvrage définit la bourse des valeurs, décrit son organisation ainsi que
son fonctionnement et présente les produits financiers, notamment les actions,
les obligations, les OPCVM et les produits dérivés. Il expose les techniques
d’évaluation de société ou d’emprunt obligatoire dans le cadre d’une introduction
en bourse, décrit le mécanisme de dénouement des transactions et présente un
répertoire des bourses des valeurs d’Afrique et des principales bourses hors
Afrique. Afin de faciliter la compréhension, chaque section s’achève sur des
exemples pratiques ou des exercices corrigés.
(Harmattan Côte-d’Ivoire, 24.50 euros, 228 p.)
ISBN : 978-2-343-11492-7, ISBN EBOOK : 978-2-14-003260-8

Et s’il fallait tout changer ?


Hébert Michel
Un jour ou l’autre, votre entreprise sera confrontée à un changement brutal auquel
elle n’était pas préparée. Il va falloir bousculer toutes nos façons de réfléchir,
d’organiser, et inventer de nouvelles façons de travailler. Tout est à revoir, tout
devient adaptatif : la vie, la stratégie, le long terme. Rien ne sert de traiter ce
monde avec l’état d’esprit d’hier.
(23.50 euros, 230 p.)
ISBN : 978-2-343-10596-3, ISBN EBOOK : 978-2-14-003313-1
L’identité des marchés financiers
Conseils aux épargnants actifs
Gallot Philippe
Le premier objectif de ce livre est d’inciter les épargnants à s’intéresser aux
principaux mouvements des marchés financiers. Ces derniers sont en effet
porteurs d’enseignements potentiels dignes d’intérêt : ils offrent des opportunités
d’investissements conséquentes. Dans le même temps, une mise en garde s’impose
aux épargnants et aux investisseurs car manipulations et dérives sévissent sur ces
marchés dont il ne faut pas minimiser les risques intrinsèques.
(29.00 euros, 278 p.)
ISBN : 978-2-343-11503-0, ISBN EBOOK : 978-2-14-003324-7

Décider à l’international
Est-ce une question de distance ?
Moalla Emna
Cet ouvrage s’interroge sur le rôle de la distance dans les décisions de
développement à l’international des entreprises, et examine notamment l’impact
de la distance sur le choix de mode d’entrée à l’étranger. Il étudie les différentes
dimensions de la distance (culturelle, administrative, géographique, économique)
en s’appuyant sur un échantillon de 203 opérations de rapprochement effectuées
par des entreprises françaises avec des partenaires localisés dans le monde entier.
(Coll. Entreprises et Management, 30.00 euros, 288 p.)
ISBN : 978-2-343-08938-6, ISBN EBOOK : 978-2-14-003179-3

Choisir pour réussir


La psychanalyse adaptée aux problématiques professionnelles
De Queylar Axel
Se développer dans son travail nécessite de quitter la dépendance au profit de la
liberté. Cette recherche d’autonomie permet de s’épanouir en étant davantage
soi-même. Des entraves personnelles ou extérieures peuvent gêner ce processus
et il devient important de les surmonter. Se sentir libre dans ses choix permet
d’avancer en confiance. Cet ouvrage est donc un levier de compréhension
et un outil pratique. Il s’adresse à toute personne souhaitant améliorer son
positionnement professionnel.
(22.00 euros, 232 p.)
ISBN : 978-2-343-11636-5, ISBN EBOOK : 978-2-14-003216-5
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Via Degli Artisti 15; 10124 Torino
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1053 Budapest

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185, avenue Nyangwe 67, av. E. P. Lumumba
Commune de Lingwala Bât. – Congo Pharmacie (Bib. Nat.)
Kinshasa, R.D. Congo BP2874 Brazzaville
(00243) 998697603 ou (00243) 999229662 harmattan.congo@yahoo.fr

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Almamya Rue KA 028, en face Rue 73, Porte 536, Niamakoro,
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(00224) 657 20 85 08 / 664 28 91 96 poudiougopaul@yahoo.fr
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Résidence Karl / cité des arts
Abidjan-Cocody 03 BP 1588 Abidjan 03
(00225) 05 77 87 31
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L’HARMATTAN
L’H ARMATTAN SÉNÉGAL
SÉNÉGAL
10 VDN en face Mermoz, après le pont de Fann
« Villa Rose », rue de Diourbel X G, Point E
BP 45034 Dakar Fann
33BP825
45034
98 58Dakar
/ 33 FANN
860 9858
(00221) 33 825 98 58
senharmattan@gmail.com / 77 242 25 08
/ senlibraire@gmail.com
www.harmattansenegal.com
Développer l’esprit d'entreprise

Après avoir œuvré en faveur de la scolarisation universelle


pour les pays en développement, l’auteur du présent
ouvrage propose ici une méthode pour développer l’esprit
d’entreprise comme arme contre l’infernale spirale dette-
chômage de masse.
Ces deux fléaux sont le résultat des politiques économiques
et éducatives inconsidérées menées depuis plusieurs
décennies. L’Union européenne préconise aux systèmes
éducatifs des Etats membres de développer massivement
l’esprit d’entreprise au sein de leurs systèmes éducatifs afin
d’inverser cette tendance.
Aujourd’hui, en France, le temps est venu d’insérer dans les
Instructions Officielles de l’Education Nationale l’obligation
de développer l’esprit d’entreprise comme une finalité
éducative fondamentale, au même titre que lire écrire et
compter.
Le présent ouvrage décrit une méthode de sensibilisation à
l’esprit d’entreprise dont chaque volet est minutieusement
relié à des fondements scientifiques qui se trouvent ici
détaillés.

Albert Antonioli, docteur en sciences de l’éducation, spécialiste en


corrélation formation emploi, livre ici une méthode pour développer l’esprit
d’entreprise. Depuis sa toute première expérience empirique en 1980, il n’a
cessé de l’enrichir, tant en France qu’à l’étranger.

Illustration de couverture :
© Olena Mashurenko - 123RF

ISBN : 978-2-343-12751-4
16,50 €

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