Vous êtes sur la page 1sur 204

s P SPRIT

COLLECTION DlRIGÉE R. LE SENNE


DE

OEUVRES DE PIlILOSOPHES CONTE1,IPORATNS


ABIÉ a l'Etre. Consentement
de l'Esprit.
HENRI GOUIIlER' Le 'I'héiltre et l'Existence.
JEAN GUITTON; Essai sur l'amour humain.
L'Existence temporelle.
LACIIIEZE-REY; Le IIiIoi, le Monde et Dieu.
LAVELLE: La Présence totale. - De l'Etre. - De l'Acte. -
Du Temps et de l'Éternité. - De rAma humaine.
LAVIGNE : L'lnquiétude humaine.
LE SENNE: Obstacla et Valeur.
I\ÜCGREGOR: Les frontiéres de la Morale et de la Religion.
lVIARCEL: Etre el Avoir. - Homo Viator. - Le Mystére
de l"Etre (2 voL).
MINKOWSKI: Vars une Cosmologia.
lVIOROT-SlR: La Pensé e N égative. - Philosophie el Mystique.
NÉDONCELLE: Vers une Philosophie de l"amour. - La Ré··
ciprocité des Consciences. - De la fidéiité.
NOGuÉ: La Signification du Sensible.
PALIARD: Théoreme de,la Connaissance.
PRADlNES : Esprit de la Religion.
RICOEUR: Philosophie de la Volonté.
RUYER : Le Monde des Valeurs.
SClIUWER : La signification métaphysique du suicide.
WALDER : L'Existence profonde.
TRADUCl'IONS
BERIlIAEFF: Cinq Méditations sur l'Existence. - Esprit et
Réalité. - De l'Esclavage et de la Liberté de ]'Homme.-
Essai da Métaphysique Eschatologique. - Le Sena de
l'Histoire.
: Alciphron ou le Pensa-Menn.
BRENTAl'iO : Psychologie du point de vue empirique.
ECKIIART : Traites st Sermons.
FICHTE: La Destmation de ¡'Ramma. - Initiation a la vis
bisnheureuse.
HARTMANN : Les Principes d'une métaphysique de la connais-
sance, 2 vol. in-S.
F. HEGEL: Phénoménologie de l'Esprit, 2 vol. in-8.
- Esthétique, 4 vol in-S.
,onnO,",'UHW : Crainte et TrembJement.

ROYCE : Philosophie du Loyalisme.


SCHELER: Le Sens de la Souffrance. - La situation de l'hom-
me dans le monde. - Mort et Survie. - La Pudeur.
SCIACCA : Le probleme de Dieu et de la Religion dans
la philosophle eontemporaine.
WHITEHEAD: Le Devenir de la Religion.
HISTOlRE DE LA PIIlLOSOPlIIE
J. BECK : La Méthode synthétique d'Hameliu-.
B~RGER : Le Cogito de Husserl.
DUMÉRY : La Phílosophie de l'acHon.
GIÍRARD: La Métaphysíque de Paul Decoster.
GUITTON : Pascal el Leibniz
GUEROULT: Descartes salon l'ordre des raisona (2 y(
: Gsnese et structure de la Phénuuénologie
DU AUTEUR

La Réciprocité des consciences. Essai sur la nature de


la personne (Aubier).
La Personne humaine et la nature (presses Universitaires
de France).
Vas une Philosophie de l'amour (Aubier).
lntroduction a l' esthétique (Presses Universitaires de
France).

I 05C991
I
DE

ÉL
PHILOSOPHIE DE ES R T
COLLECTION DIRIGÉE PAR L. LAVELLE El' Ro SENNE

MAURICE

I I

AUBIER
ÉDITIONS MONTAIGNE, 13, QUA! CONT!, PARUl
Copyright 1953 by Éditions Montaigne
Droits de reproduction interdits pour tous pays.
AVANT-PROPOS

Ces pages ne sont ni une complete de la


fidélité ni un recueil de recettes pour résoudre les ca:;; de
conscience embarrassants. n suffirait a l'auteur y
trouvat un premier essai de description
logique el un effor! de lucidité morale.
Le chapitre initial est destiné a fixer quelques notions
de base. Pour ne pas en aHonger la rédaction, je n al
pas eraint de luí laisser un aspeet peut-etre un peu
austere et des subdivisions apparentes. Les
suivan!s montreront que mon dessein n'était pas d'en
rester a une définition purement a priori de la fidélité.
Puisqu'un avant-propos doit prévenir les contresens,
je dirai enfin qu'en cherchant a quelles conditions une
fidélité intégrale est possible j'ai suspendu cette fidélité
a un ordre transcendant, mais n'ai pas voulu démontrer
l'existence de cet ordre. Ayant suivi aiHeurs, a mes
risgues et périls, un chemin vers l'absolu 1, je n'ai pas
cru nécessaire de recommencer id la meme tentative.

l. La récipl'ocité des consciences, pp. 87-125.


CHAPITRE PREMIER

LES ÉLÉMENTS FORMELS DE LA

1. EMPLOIS DIFFÉRENTS DU MOT FIDÉLITÉ.

Nous parlons de la fidélité en des cas tres différents.


Nous disons par exemple qu'Emmanuel Kant était fidele
a sa promenade quotidienne, que Rodrigue était fidele
a I'honneur, et aussi qu'il était fidele a Chim?me; que
le chien esl un animal fideIe a son maltre; que la France
restera fidele a ses engagements; et que M. le Curé est
content des fideles de sa paroisse. n est évident que
nous avons dans ceHe énumération parcouru des formes
diverses el meme disparates de fidélité : tanto! il s'agit
de choses, tantOt il s'agit d'idées, tantot enfin il s'agit de
personnes qui sont l'objet de la fidélité. Et du coté du
sujet, la diversité existe ausai puisque l'etre fideIe peut
etre un homme ou un animal. L'acte enfin de la fidélité
est surement autre quand il s'agit d'une routine ou
d'une exaltation hérolque ou d'un effort volontaire.
Laissan! de coté le cas du chien, bornons-nous a la
fidélité que peut connaltre et manifester l'homme. Nous
aurons peut-etre plus tard a interroger les comportements
de la nature pour y saisir les ébauches de la fidélité
humaine et éclairer indirectement notre propre psycho-
logie. Mais essayons d'abord et pour le moment de savoir
quelle es! la structure commune aux formes de fidélité
7
8 RÉFLEXIONS SUR LA FWÉUTÉ

se rencontrent dans humaine,


que soH leur que BoH
en enes toutes des éléments
sont-ils P

2. - FmÉLITÉ ET FOI EN UNE VALEUR.

n semble tou! d'abord que la fidélité, comme


son étymologie, comporte une foi. Et je prends le nlOt
au sen s de croyance. Cette croyance peut etre raisonnée
ou non, selon les cas; mais on n'est pas fidele si on
n'est pas convaincu et si, tristement ou gaiement, on
n'adhere pas a sa conviction comme a quelque chose
de ferme. Maintenant, que croit-onP On croit y a
une valeur, c'est-a-dire une excellence a préférer OU,
si l'on veut, une préférence qu'il van! la peine d'avoir.
Si nous nons en tenons (comme il le faut dan s ce
chapitre) a une définition générale, nous ne pouvons
préjuger la nature de eette valeur; nous devons Nre
prets a admettre qu'elle peut etre tout a faH hétérog?me
a d'autres valeurs selon les caso En particulier, HOUS
devons nous interdire de penser que les valeurs concretes
de la fidélité soient toujours des valeurs nobles. I,e
bandit a ses baremes d'appréciation et peut entreprendre
de s 'y tenir aussi bien que le saint tíent a sa sainteté.
II y a une fidélité au mal, a la laideur, a l'infidélité
meme. Et toutes ces especes de croyancespratiques se
présentent d'abord comme aussi concevables les unes
que les autres, bien que la réflexion ou l'expérience
sincere doive ensuite montrer la disparité de leurs ser-
vices et de leuT destino
Nous voici donc pour commencer devant la muHitudé
des aUachements qui sollicitent la multitude des hommes.
D'emblée, nous pouvons toutefois y apercevoir un ordre,
cal' le mécanisme de la valeur se dédouble en quelqlle
ÉLÉlII:ENTS F'ORlII:ELS DE LA FmÉUTÉ 9
sorte au sein de toute fidélité et luí une élémen.
faire structure, il y a la valeur que la conscience
saisit comme un ou dans un que cet
se rapporte directement ou non a l'etre du (ainsi
je peux etre fidele a a la géométrie, a un
mauvais exemple, a une mode budesque, a un style de
vie aristocratique, etc ... ). Dans tous les cas, j'estimerai
que les valeurs dont je fais choix sont dignes d' etre
adoptées : je crée ces valeurs ou au contraire je les
regois, mais elles me paraissent, par définition, avolr du
prix,
Ensuite, il y a la fidélité a la fidélité meme, considérée
non comme une simple maxime de vie mais comme une
retalion de la conscience avec elle-meme dans le temps.
Saint Augustin raconte que son ami Alypius ne vonlait
pas aller au cirque. Mais il se laissa entrainer un jour;
et d'un seul coup, il devint un adepte passionné de ces
sortes de spectacles. Au fond, c'est a sa propre nature
qu'i! résistait el c'est elle qu'il a suivie : il s'est épris
de son acte meme des le premier acte, bien plus que
du combat des gladiateurs. Dans cet exemple, il ne
s'agit plus, comme tout a l'heure, d'un tableau de
valeurs a contempler, mais d'une valeur vécue et tout a
falt inhérente a la fidélité meme puisqu'elle en est le
cceu!' el la vie. Cet aspect intérieur de la fidélité ne
dépend, a la limite, que de lui-meme et a cet égard
ne peut varíer. Sous la diversité des valeurs objectí.
vement choisies, on trouve toujours la disposition
commune qui est d'etre fideIe. C'est la part subjective
de la valeur, ceHe quí exprime l'apport de nos tendances
et leur autonomie.
Pourtant, la fidélité a la fidélité, meme si elle était
pure, ne nous affranchírait jamais du regne des valeurs
objectives et de ses lois. Cal' la fidélité ne peut se déve-
10 RÉFLEXIONS SUR LA FmÉUTÉ

M'''''cm<",j,- qu'en eomme valeur


Choisissons-nous de la eombattre eomme
Don Juan ou André GideP VOlei que l'ineonstance elle-
meme devient de notre euUe. C'est l'indice
y a un lien intime entre la fidélité el la foi en la
eonstanee. Tel est maintenant le poin! a éclaireir.

3. - CONSTANCE DE LA VALIlUR ET CONSTANCE DE ¡,A FOl.

1) Constance de la valeur a laquelle on croit. - Je ne


peux etre fidele si n'ai pas foi en la eonsta,nee d'une
valeur. Non seulement done je erois en une valeur, mais
je erois qu'elle est éterneUe. A tort ou a raison, selon
que je suis un sage ou un fou, je veux l'éternité de la
valeur que .i' ai adoptée.
Ce trait de la fidélité est d'autant plus frappant qu'il
se reneontre dans des eonditions tres dissemblables.
Examinons par exemple le sens d'une expression teUe
que eeHe-ei: « s'attaeher a une cause perdue)l. Par
son earaetere extreme, elle paralt illustrer for! bien la
volonté pathétique d'éterniser la valeur. Et elle le faH.
Mais eHe-meme se prete au moins a trois interprétations.
Je peux eroire d'abord que la valeur dont je fais
profession d'affirmer l'empire aura toujours des droits
sur la réalité, meme si la réalité se débat contre son
empire ; ainsi les partísans d'un régime politique périmé
restent persuadés la plupart du temps que ee régime
peut seul sauver le pays. En ce cas, on croit a la constance
de la valeur pour le réel.
Ensuite, on peut croire plus modestement que cer-
taines valeurs son! d'une application caduque et que
leur aceomplissement meme n'a qu'une valeur transi-
toire: ainsi l'admirateur de l' Aneien Régime
admettre, eomme Chateaubriand dans les Mémoires
d'oufre-lombe, que ce régime a définitivement disparu
ÉLÉMENTS lFORMELS DE LA lFIDÉUTÉ

el que vouloir y revenir est


il peut aimer la valeur dans le
pour cette valeur dont l'excel-
lence au-dessus de toute vie et indépendamment de toute
réalisation.
Enfin, il se n'aecorde meme pas a la valeur
une eonstance et eroie a la mort de
eertaines valeurs comme valeurs; mais ir déeide de
s'attacher quand meme a elles el il fait de son évaluation
une il se fait l'avocat d'une cause totalement
perdue, sur terre et dans les cieux. n n'en est pas moins
amené a fabriquer une eonstance de la valeur avee sa
liberté meme et a déeider que, pour lui, eette valeur
sera perpéluelle. Ce serait, par exemple, le cas d'un
ivrogne intelligent, qui reconnaltrait non seulement
l'impossibilité de perpétuer l'état d'ivresse, mais meme
la déficienee de l'ivresse en soí, et qui eependant ehoisi-
raít de lui rendre un eulte.
Le simple examen des formes que peut prendre la
eonstance psychologique des valeurs ne suffit pas a déter-
miner leur nature, mais il montre n'y a pas de
fidélité qui ne reeonnaisse ou ne confere a la valeur
une permanenee. Nous tenons, autant que faire se peut,
a l'éterniser, serait-ce en la fixant par un artifice.
N'est-ce pas déja l'indice de l'appel transcendant qui se
cache sous le mécanisme psychologique de l'évaluation?
2) Constance de la croyance meme en la valeur. -
Nous venons de constater que la fidélité ne peut se
produire en un instan! sans vouloir se reproduire dans
les autres instants et sans se reconnaltre une valeur
a elle-meme. Non seulement la conscience fidele a done
foi en l'éternité de certaines valeurs mais leur éclat
rejaillit sur elle et fait naltre en elle une volonté de les
imiter. Cette soH d'éternité qu'elle a aujourd'hui, la
12 RÉFLEXIONS SUR LA FmÉLITÉ

conscienee voudrait la garder demain ene á


mainíenir su foí et les de sa elle-meme y
VaHa oblige 11 considérer uussitot un tres
gros probleme : celui du rapport de la eonscienee et du
temps dans la fidélité.
u) Retard de la jidélité. - La fidélité en un eertain
sens n'est jamais Elle commenee au Mt
au seeond instan! de la eonseienee, s'il ratifie le""A'AHH-"

Et elle ne s'acheve jamais absolument, cal' ríen ne la


limite dans le temps a venir: taní qu'un lendemain est
possible pour moí, je ne peux me targuer d'etre parvenu
a etre fidele. Sous eet aspect, la fidélité se glisse eonti-
nuellement dans un temps qui la déborde. Elle est plus
étroite que lui, puisqu'eUe est précédée par une eonseienee
initiale ou elle ne peut se loger; mais dans ce eommen-
cement qui n'est pas ene, iI y a eu quelque chose qui
lui a fourni son objet. En outre, elle se eonstitue par
degrés sueeessifs, elle se forme jour apres jour et
aequiert dans eette eroissanee son rapport avee elle-
meme; enfin, elle reste toujours a distanee de son idéal,
paree que la eonscienee ou elle grandit a toujours la
perspeetive d'un avenir devant elle.
b) Ambition totale de la jidélité. - En un autre sens,
la fidélité condense le eontenu du temps et lui impose
son ordre, cal' elle eherehe a etre, des ses débuts,
maltresse de toute sa durée. Pour etre pure et parfaite,
ene doit envahir profondément la eonscienee, pénét1'er
toutes les tendanees, ne laisser aucune chane e d'avenir
a ce qui la eontredit en nous ou ho1's de nous. Des la
premiere analyse, elle révele done en son essenee quelque
ehose d'impérieux et de fanatique. Elle est un défi. Et,
des 101's, il est peut-etre inévitable qu'une lutte l'attendc
et qu'une trahison la menaee.
e) La jidélité est une épreuve: e' est la mison du
ÉLÉMENTS FORMELS DE LA FIDÉLITÉ

contraste entre son refard et son ambition. - n y a aÍnsi


un double mouvement en elle: d'une part, elle se veut
c'est-a-dire de régir par avance dans
son propos toute la série docile des instants
d'autre part, ceHe série meme doit vérifier le propos;
la suite des instants doit en montrer, 8'il y a la
docilité. Dans la la continuité est
voulue activement par le Bujet; dans la seconde, elle
l'entoure et le recouvre, eHe est subie finalement par luí
et elle proclamera de fa90n objective la puissance ou
l'impuissance de son vouloir initial. Disons encore:
dans le premier cas, le moi prétend se soumettre
I'avenir, dans le second, il se soumet au jugement de
l'avenir. Mais dans les deux cas, il luí faut un avenir
el la fidélité n'existe que si l'écoulement continuel du
devenir manifeste une attitude stable de l' esprit. Cal' la
continuité nécessaire a la conscience fidele signifie que
la conscience est a la fois continue dan s ses dispositions
et eontinuelIe dans son proeessus. Elle suppose, en outre,
une distinetion entre le pro pos et l'événement, une sorte
de fi88ure mystérieu8e au sein meme de la eonscienee,
sans que eette fissure puisse etre eonsidérée a priori
eomme une eonsolidation eertaine ou comme une dislo-
cation probable de la fidélité meme. Bref, la fidélité est
une continuité contingente: elle est un drame. Aussi la
volonté constante y est-elle toujours melée d'incertitude,
d'humilité et d'angoisse 1.

I. Notre époque, si fertile en situations dramatiques, nous aura


valu des documents étonnants sur ce point. J'en signale deux
guí sont d'un exceptionnel intéret pour les phénoménologues,
indépendamment de toute autre considération : A German of
the Resistance; The last letters of Count Helmuth von Moltke.
Oxford University Press, 1948. Et le discours-testament de
l' Aubé Jean Long-Che-tche dans Eglise vivante, 1951, 1. In,
RÉFLEXIONS SUR LA :FIDÉLITÉ

3) se subordonne a la constance
de la valeur, .- l'éternité que la conscience
fidele aUribue a la valeur ave e la continuité doit
vouloir pour elle-meme. Il en résulte une constatation
curieuse : e'est que la fidélité se subordonne a la valeur
de son objet, cet objet serait-il la valeur de la fidélité
meme, qui semble eréée par elle.
a) Contraste entre la situation chrol101ogique de l' acte
fid¿Ze et ¡'étemisme de sa visée axiologique. - En effet,
nOUE l'avons déja noté, la conscience ne peut jamais
unifier completement la double représentation qu'eUe a
du temps de la fidélité : par un aspect, la fidélité s'insinue
dans un temps qui la précede; par un autre, elle veut
ramasser dans sa décision le temps qui suivra sa décision.
Mais, disions-nous, qu'elle s'enveloppe dan s le temps
ou qu'elle essaie de l'envelopper, elle a besoin du temps :
aussi la perpétuité qu'elle souhaite ne peut-elle cOIncider
avec une éternité don! elle se sait exclue et elle l' avoue
par le dédoublement de sa relation au temps. Au
contraire, la valeur qu'elle prend pour objet est consi-
dérée par la conseience eomme une regle universellement
valable qui traverse tou! l'ordre du temps et le domine
absolument: elle appartient a un domaine éternel
et s'irradie dans l'entiere perpétuité des siecles. La
conscience juge que la valeur la précede, l'accompagne
et la suit et que le temps meme est totalement suspendu
a la valeur. Serait-elle inappUcable, utopique et uchro-
nique, la valeur a une dignité a laquen~ la conscience
se heurte partout et toujours.
b) Ceci reste vrai de la valeur de la fidélité, qui semble
procéder chronologiquement de l'acte fidele, mais qui

nO 3, pp. 303 et suiv. - Le héros qui ne tremble pas n'est pas


un héros.
ÉLÉMENTS FORMELS DE LA FIDÉLITÉ 15
Meme la valem de

a un est
et constante aux moments ou l'on sait
qu'on ne peut l'atteindre et l'incarner. Elle es! voulue
« a Jamais » eHe est voulue el dans ce voeu iI y a
l'affirmation d'un droít Iui est
reconnu.
e) Et cecí resterait encore vrai dans la visée des contre-
valeurs qui exprime une révolte contre les valeurs trans-
cendantes et étemelles. eeHe nécessité psychologique
confirme la remarque que nous avons déja faite en faveur
d'un appel mystérieux de la transcendance jusque dans
les contre-valeurs les plus odieuses; ear eHes rendent
fatalement hommage 11 la transcendanee, serait-ce en la
niant ou en la retournant.

4. - FIDÉLITÉ ET PRATIQUE.

1) La croyance est un commencement d' exécution,


car eHe met en train la eonduite conformément a la
valeur. Puisqu'elle implique un voeu de constance, elle
constitue toujours quelque chose de plus qu'une simple
vue de l'esprit. n arrive que la conformité de la conduite
11 la valeur se réduise, par suite de cireonstances hostiles
ou de division du vouloir, a un mínimum de fidélité
quí n'est. plus que le maintien de la croyance, - j'allais
dire la foi morte et sans les oeuvres, pour reprendre
une expression théologique et lui donner iei une appli-
cation plus large. L'enfant prodigue peut, dan s ses éga-
rements, garder la conviction qu'il a tort et ne garder
que cela. Mais n'est-ce pas suffisant pour qu'i! cesse
d'etre alors tout a fait un enfant prodigueP Le mínimum
de la fidélité pratique consiste peut-etre a ne pas nier
RÉFLEXIONS SUR LA FmÉLITÉ

le de la valeu!' et, en ce sens, le eonsentement


de est un aete de fidélité 1.
2) Mais la jidélité exige la présence toiale de la valeur
dans la condllite. n est évident que la eroyance pratique
tend a envahir et a régler tout le comportement ou du
moins a ne ríen souffrir dans les ressorts de la conduite
lui fas se bref a devenir la d'une
croyance. Nous constatons une fois encore la force
d'expansion de la fidélité, son caractere en quelque sorte
totalitaire. Et pour tout dire, ce n' est pas seulement le
Bujet qu'elle veut pénétrer en entier, e'est par lui et au
del a de luí l'univers tout entier dessujets. Totalitaire
en nous, elle est missionnaire a travers nous, car elle
cherche une approbation qui n'a pas de limite. Meme
si une valeur me plait sans concept, elle me plait « uni-
versellement » quand je lui suis fidele. Meme si je veux
la garder pour mOl ou ne la crois bonne que pour moi,
je veux que tout le monde le reconnaisse et m' approuve.
Ainsi apparalt une autre notion, ceHe de présence.
Etre fidele, c'est se vouloir a proximité de la valeur,
c'est-a-dire en tirer tous les corollaires pratiques pour
la faire descendre en nous et nous faire participer a
eHe. La conformité de la conduite ave e la valeur signifie
avant tout que nous voulons etre et agir de telle sorte
que nous puissions toujours apercevoir la valeur et
croire en sa constance.
3) C'est pourqlloi le rapport de la jidélité a la valeur
ne pent se rédllire a la proximité matérielle. La fidélité
con cerne d'abord rilme; elle ne peut done s'exprimer

l. Ainsi pensait B. Constant : offrir sa bonne volonté a Dieu


et « ne rien nier)) lui semblait l'attitude qu'il faut toUjOUI'B
garder vis-a-vis de la religion, meme quand on est accablé de
doutes. La meme disponibilité respectueuse s 'impose en tout
domaine axiologique.
ÉLÉMENTS FORMELS DE LA HDÉLITÉ

ou se satisfaire mainüen
d'un contacto on d'une vicinité
spatiale n' est pas la
physiquement a coté de des années
et lui etre mentalement infidele ou indifférenL La fidélité
veu! certes, en beaucoup de cas, une géogra-
mais iI est cas 011 elle exige l'éloigne-
ment : « Si tu m'aimes, quitte-moi... ))
En est-il de meme du rapport de la fidélité avec le
temps? Oui, en ce sens que le voeu de ne
s'enclore dans un instan! ni meme dans le maintien
et la répétition - d'ailleurs chimériques - de cet instan!
en tant que te!. Mais nous sentons tout de suite qu'il y a
une affinité plus entiere entre la fidélité et le (par
exemple par le souvenir) qu'entre la fidélité el la pré-
sen ce spatiale. n en résulte meme une situabon si
complexe et importante que nous aurons a lui consacrer
un chapitre spécial dans le cours de cette étude l.
4) Le rapport de la jldélité avec la valeur n' est pas
toujours l'éductible 11 un rapport d'imitation. En effet,
l'imitation de la valeur par le sujet est a tout le moins
rendue indirecte et médiate par le !ait que certaines
fidélités vont a des contre-valeurs : le sujet peut inverser
le jeu normal de la valeur et se servir d'elle pour créer
une contre-valeur. Ainsi y a-t-il des haines tenaces,
des fidélités hostiles dans lesquelles on maintient une
valeur face a soi pour pouvoir la combattre ou la déjester.
En ce cas, on intercale entre la valeur et l'ac!e une
nouvelle valeur, ceHe de l/a révolte contre la premierc.
Ce qu'on aime, ce qu'on imite, c'est la révolte, ce n'est
pas du tout la valeur de fond qu'on repousse et main-
tient a la fois. Ceci explique que le diable soit fidele a

1. Chapitre IV : L 'organisation psychologique de la fidélité.


2
RÉlFLEXJ:ONS SUR LA lFmÉUTÉ

Dieu son infidélité etre


ou donne au moL
En outre, 'si les valeurs d'action etre imité es
et assimilées par la conduite, ce est la conditíon de
la moralité et de l'immoralité, elles sont médiatrices entre
le sujet et d'autres valeurs qui ne directement
etre agies. Ainsi les valeurs de beauté et de vérité ne
sont-elles pas immédiatement comme le
sont les valeurs éthiques qui sont des modeles de compor-
tement.
D'ou ce probleme: comment une actlon s'accorde-
t-elle avec de telles valeurs ~ Et pourquoi disons-nous
qu'elle le faH ou ne le fait pas? Tant qu'il s'agissait de
valeurs morales, la réponse semblait facile, malgré les
conflits de devoirs el les cas de conscience, cal' il existe
par hypothese une affinité entre l'action humaine et elles.
Etre fidele a la vertu de patience, e'est faire deseendre
le comportement typique de la patience dans notre
conduite de chaque jour. Mais quand il s'agit de res ter
fidele a la beauté de la « Victoire de Samothraee », par
exemple, qu'est-ce que cela veut dire, surtout si l'on n'e8t
pas sculpteur P n ne peut etre question de faire passer
une statue dans une action. Autant pourrait-on en dire
de la vérité : la géométrie d'Euclide n' est pas un geste.
e'est encore ce qui fait que la conformité de l'action avec
la valeur morale peut preter a déduction, tandis que
}'harmonie du sujet avec les autres valeurs est plus
subtile : affaire de gout ou de tact plus que de raison-
nement.
5) Le vrai rappart de la fidélité avee la valear, e' est
le serviee qae le sajet affre a la valear, e' est-a-dire
l'affrande. Puisqu'il ne s'agit pas toujours entre le sujet
et la valeur d'un rapport d'imitation ni a fartiari d'assi-
milation ou d',identification, il faut reconnaltre que la
É:LÉMEl'lTS FORMELS DE "9

extérieure au
Celui-ci valeur
maniere aura
un don mais
valeur stimulera au
donne a eHe. Tel est
ave e le monde des
valeurs et e' est peut-etre aussi le essentiel cal' il
révele la transcendanee de la valeur.
6) Ce don suppose que la valeur est liée a l' étre. Au
le sujet traite la valeur comme un etre vivant avec
lequel i1 peut entrer en . mais iI ne
d'elle ou la résorber pour la mieux honorer,
cal' ce serait le sur moyen de la tuer et de la fail'e
disparaltre. La visée possessive n'a meme pas de sens en
la cireonstanee, puisque le vraí que nous avons
.avee la en définitive, l'offraude de notre
aetivitB. Si la valeur est alors traitée oomme un
n'est-ce pas la preuve s'adosse fatalement a un
eíre?
La valeur morale nous a paru direetement imi-
table, mais e'esí qu'elIe des sine notre etre idéal. Elle est
au fond moi-meme en taní que je suis le porteur virtuel
d'une eonduite. Comme j'aperQois la valeur per meme-
tipsum ou sub specie meiipsius, je ne songe pas spéeia-
Jement a face a moL Ma tentation serait
plutOt de l'enfoncer en moí, de lui conférer une imma-
nence telle que je croirais - faussement - pouvoir
l'expliquer sans résidu par l'autonomie de ma monade.
Au contraire, les acUres valeurs, esthétiques ou logi-
ques, se détachent davantage de moi et se posent sur
d'autres etres que moÍ : quand on objective ainsi le culte
rendu par fidélité, on parle d'une « cause» et d'un
« loyalisme a cette cause », formules qui peuvent certes
20 RÉFLEXIONS SUR LA FmÉLlTÉ

a un idéal mais en tant COl1cerne


d'autres etl'es que nous, non en tane que nous rentl'ons
dans l'intimité absolue de notre
pel'sonnel : cal' ce sel'ait un langage bien solennel en la
cil'constance et que pel'sonne ne songe alol'S a
Ainsi contemplées en d' autres etres que ces vale';l's
sont, comme disent les les « tertiaires »
des choses et se a moi ave e une
accrue : la heauté de la « Victoi1'e de Samothl'ace» est
con tenue poUl' ainsi dil'e dans ce bloc de pierre, la vé1'ité
d'Euclide est dans sa géomét1'ie.
Nous nous apercevons alol's que la présence de la
valeur, quelle qu'elle soit, est, en dépit des apparences,
toujours liée non seulement a l'etl'e en géné1'al, mais a la
présence de certains etres concret8 : moÍ-meme 8'i1 s'agit
des valeu1's morales; aut1'ui ou la nature s'il s'agit des
autre8 valeu1's ... Nous comprenons des 10rs que le p1'o-
bleme de la fidélité p1'atique n' est pas de déréaliser le
monde, de le dissoud1'e elans l'imaginaire, mais de
s'assurer les présences ontologiques auxquelles est liée
toute valeur. Etre fideJe a une valeur, c'e8t, dan s la pra-
tique, etre fidele a un et1'e.

5. - FmÉLITÉ AUX ETRES ou « VALEURS VIVANTES ».


n s'agit done de s'attacher a des etres et de garder
leur p1'ésence dans la mesure ou elle dépend de nous.
1) Diversité des caso J\Ilais ce que nous appelons ainsi
des « etres » reconvre en 1'éali té bien eles formes d' etre
différentes : il peut s'agi1' en effet, comme nons le
disions au début de ce chap1tre, d'etre fidele soit a des
choses, soit a des et1'es intelligibles (idées pures, struc-
tures jurieliques ou institutionnelles, etc ... ), soit enfin
fa des personnes. Ces t1'018 gl'onpes, ai-je besoin de le
dire, sont eux-memes désignés de fayon approximative
ÉLÉMENTS ib'ORMELS DE LA FmÉUTÉ 2

des subdiv.isions de toute


n'avons pas ieí intén3t a

2) Présence des choses et des idées. Nous pourrons


meme d'ordinaire faire abstraction de la fidélité aux
choscs et aux etres intelligibles dans notre enquete, car
elles supposent radicalement une fidélité
aux personnes. Etre fidele a une maison en tant que
a un systeme d'idées en tant que systeme n'est
d' ailleurs pas facHe a définir. Quelle présenee cherehe.
t-on en ee casP Une présence en quelque sorte matérielle
et passive : la eontinuité d'une pereeption Ol! l'objet est
inerte, ne peut se fermer ni s'ouvrir, se eaeher ni se
donner. L' objet auquel on est fidele rayonne sans doute
quelque ehose, est un reflet de valeur, puisqu'on s'y
attaehe; mais iI n'a pas d'initiative. Etre présent pour
lui, e'est etre maintenu par nons dans le ehamp de notre
inspeetion, sans résistanee ni offrande de sa part. Le
eonquérir, e'est au fond nous eonquéri1' et nous main-
teni1' a son eontad; ee n'est jamais luí guí nous éehappe
quand il nous éehappe; e'esí nous qui nous éehappons.
En particulier, e'est notre eorps quí nous vaut alors
eette déeeption el qui est signe de notre impuissance.
3) Pl'ésence des pel'sonnes aux personnes. Au eontraire,
la présence d'un et1'e vivant et personnel est un cas
beaueoup plus intéres8' t a étudier. La fidélité a cet
et1'e suppose un éer ""dge possible de valeurs. En la
fidélité a la personne se réeapitulent tous les problemes
de la fidélité aux ehoses ou aux idées; mais toute une
série nouvelle de deseriptions phénoménologiques s'y
ajoute, ear de la fidélité élémentaire nous pouvons monter
a des formes de fidélité pleinement 1'éeiproques.
a
a) Fidélité l'essence muelte d'autrui. Au degré infé-
rien1', la fidélité a une personne consiste a t¡'attaeher a
22 RÉFLEXIONS SUR LA FIDÉLlTÉ

conune une ne pilS dela de


son etre initial. La est comme rivée a la pure
VUHG.Hv,· elle rayonne, mais

croirait-on : je
bas age, a un malade dans le
coma, a un vieillard inconscienL.. On en trouverait
d'autres soldat inconnu
pour son chef ou la d'un amour malheu-
reme CeUe forme de fidélité est la émouvante parce
et est a elle-meme sa

b) Fidélité qui provoque la collaboralion d'autrui.


Puis vient la fidélité qui m'assme la présence d'autrui
médiatement par la réponse donne aux valcurs
que je lui propose. le dialogue proprement dit
commence : la rencontre de deux etres a été l'occasion,
ou plut(¡t la cause, d'une ceuvre en commun, et c'est
par lem fidélité a ceUe ceuvre qu'ils sont fideles l'un a
l'autre. Ainsi dans le travail en équipe : tous 80nt uni8
par le buí qu'ils servent.
c) Fidélité directement réciproque et personnelle.
il arrive que la fidélité d autrui s'aceompagne de la
fidélité d'autrui dans une pleine et direete réciprocité.
Ceci a pom conséquenee évidente de cimenter la fidélité
de chacun et de la rendre moins contingente, sans qu'il
faille s 'exagérer eependant la séemité de l'allianee, qui
reste iei-bas toujours libre et, par suite, fragUe.
d) Communicalion et communion des personnes par
la jidélité. Un eas privilégié de eeUe fidélité interper-
sonnelle double est donné par le sehéma familial ou
pere et mere sont liés par la fidélité qui les dirige vers
l'enfant. leí, la fidélité se reeourbe pour ainsi dire sur
elle-meme, d'une toute autre fayon que tout a l'heure.
Dans l'équipe, deux pers()nnes ne s'unissent que par le
FORMELS DE LA

culte d'une n'est pas une personne, mais


un travaiL

Dans la famille, la valeur se trouve domiciliée et


comme identifiée dan s l'enfant. Elle est une personne :
aussi la communion interpersonnelle des parents est-elle
beaucoup plus complete. Tout cela n'est pas une jonglerie
avec des abstractions, mais un faít d'expérience. Que de
fois les conjoints sont cimentés par les enfants! Le
« pour lui )) a sauvé leur fidélité conjugale.

eette différence ne va pas jusqu'a constituer une triade


proprement dite de réciprocité, c'est-a-dire un état OU
le troisieme etre se retourne adéquatement vers les
deux premiers comme ils se tournent vers lui, cal' il y a
sen s unique dans la tl'iade humaine et si paríois le sens
des fleches se renvel'se, ce n'est jamais, semble-t-il, au
point d'aboutir a une cil'cumincession complete.
24 RÉFLEXIONS SUR LA FmÉUTÉ

6, FmÉuTÉ ET A~,IOUR,

Pour
dans les
personnes était synonyme d'amour des personncs, Mais
si cette affirmation est vraie en son principe, il faut se
garder de la durór et de méconnaltre les concurrences,
les haines le cireuit et les
développements de la fidélité, n est possible en effeí de
rechercher la présence d'un parten aire pour lutter contre
lui et y a-t-il dans l'amour humain
quelque survivance de combat ou de compétition, Au
fond des amitiés inséparables, il y a une inimitié
compensée qui est comme l'un des moteurs de l'amitié
meme; elle sert a son renouveau, Iui épargne l'ennui et
la stagnation, et permet a la fidélité aimante d'etre une
vertu,
Ayant a déterminer la structure de la fidélité, nous
nous en étions tenu a une forme vide qui doit convenir
aussi bien au phénomene des « chers ennemis)), de
« l'inimitié héréditaire)), - qu'a celui eles « amitiés a
toute épreuve )), Pourtant, on nous accorelera sans eloute
sans eliscussion, d'une part, que la fidélité n'est jamais
en fait un genre sans especes el, de l'autre, qu'elle
s'exprime au mieux dans un amour directement inter-
personneL C'est la qu'elle nalt et s'épanouit le plus
volontiers, Et ses termes concrets influent sur sa structure.
Isoler entierement la forme et le contenu de la fidélité
serait bien artificiel. Commode pour l'analyse, la des-
cripLion formelle est trop abslraite et nous devons clore
ce chapitre préliminaire en reconnaissant id le point de
suture de la phénoménologie de la fidélité a vec sa philo-
sophie, .
ÉLÉMENTS FORMELS DE LA FIDÉUTÉ

7. - CONCLUSION DU CHA1'ITRE.

Ramassant maintenant les éléments successifs que HOUS


avons nous pouvons proposer la définition
suivante de la fidélité: c'est la croyance active a la
constance d'une va1eur.
Ou encore, en insi8tant sur l'idée de c'est
une disposition a garder la de la valeur dans la
mesure oil eette présence dépend de la conscience.
Ou enfin, remarquant le lien de la valeur avec l' etre
qui en est le porteur et de ce faH, devient une
« valeur vivante )) : c'esl la disposiíion éL garder la
sence d'un etre en tant qu'il est lui-meme déposiiaire
de la valeur et dans la mesure oil cette présence dépend
de notre eonsentement. n ne s'agit plus tant, sous cet
aspect, de la valeur épinglée sur un etre que de l'etre
qui a une valeur et qni, en définitive, en est le fon-
demento
CHAPITRE H

L'ENGAGEMENT

1. - J'appelle ENGAGEMENT AU SENS OBJECTIF une


situation qui oblige un etre a prendre des attitudes d' OU
dépendront son existence ou la valeur de son existence.
n est faciJe de constater que tout etre vivant est
« engagé» en ce sens-la. n se trouve devant des situa-
tions que Jaspers appelle situations-limites, telles que
la lutte, la mort, etc ... , ainsi nommées par lui en raison
de leur caractere constant et inévitable. En outre, le
vivant traverse toutes sor tes d'autres situations éphémeres
ou contingentes dontla variété est imprévisible. Et
toutes ces situations le situent lui.meme, lui posent pour
ainsi di re une question a laquelle il doit donner une
réponse; mais l'acte, provoqué par la situation, n'y est
cependant pas contenu et la dépasse.
Les situations sont plus ou moins contraignantes : les
unes invitent a répondre, les autres imposent de le faire.
On peut aussi les classer d'apres la diversité des réponses
qu'elles permettent ou montrer au contraire que certaines
nous engagent sur une voie unique ou il n'est possible
de répondre que par oui ou non. Enfin, le classement
peut encore se faire selon la proximité temporelle ou le
délai possible de la réplique. Ces différentes perspectives
donnent lieu a des combinaisons et a des correspondances
qui constituent le". esp~ces de l'engagement. En tout cas,
26
L'ENGAGEMENT l3IOLOGIQUE

dans l'idée de situation est a la fois que


l'essentiel e'est l'etre vivant lui-meme a de
sItuatlon que par a un 2) que
l' etre vivant subit les soUicitations d 'un milieu et d'un
destino
eré e un n s'ouvre sur un avenir
incertain, Non seulement au sens oil tout enchainement
de meme pour la matiere met en cause la
stabilité d'une forme d'etre dans le
sens nouveau, propre au vivant et
tion de la Un vivant
certaine mesure, réformer la lui pose,
c'est-a-dire, en somme, la supprimer. Cette initiative
n'est cependant ni fatale, ni fatalement heureuse et c'est
précisément parce que le meilleur et le pire sont possibles
que se distingue d 'une réaction physico-

L'engagement objectif, paree que le


milieu n'es! ni seul ni principal, concerne le sujet et
l'enserre des le premier moment de son existence. Vivre,
c'esí etre engagé a vine, c'esí etre embarqué - avant
de s'engager soi-meme. L'existence est ainsi d'abord
une obligation un sort qu'il faut subir, un acte
qP' au fond du vivant meme, est voulu par un autre
qU\ luí.
:M!ls sauf au premier instant, a l'heure de la nais-
sance, l'engagement objectif n'en comporte pas moins
une histoire du vivant. Celui-ci es! obligé d'avancer sur
sa route tant vit; et puisqu'il avance il traIne avec
luí son passé et en ramasse la valeur dans sa situation
présente. Tous ses instants antérieurs - dMaites, VIC-
t011'es, hauts et bas de l'adaptation déja réalisée - sont
présents dans l' épreuve présente.
On peut meme se demander si l'individu vivant est
nÉFLEXIONG SUR LA FmÉLITÉ

de naissance absolue :
mOll'lent d 'une
le rattache [{ tout le
que dans l'instant il rencontre encore cet
llnive1's qui, tout entier, le provoque a agir sur un
de l'espace. Par cet aspect, l'aventure du vivant est au
fond d'l'l1 drame le
vivant mais trouve en luí son expression.

2. - J'appelle ENGAGEMENT AU GENS SUBJECTIF l'acte


par un cire crée lui-meme la situation l'engage.
Tout etre vivant est aussi engagé en ce sens puisqu'il
a une intériorité et qu'il ne 1'e90it pas seulement le
monde mais s'y accomplit et lui ajoute sa nouveauté.
Etre engagé (objectivement) conduit a s'engag'er (subjec-
tivement). L'existence n'est jamais une pure passivité,
elle a un dedans et son acte ne se réduit pas a l'existence
qu'elle subit mais pose aussitot l'existence qu'elle fait.
Ainsi le monde contraint-il ses habitsnts a chacun
leur monde pour eux-memcs. Autant di re que la nature
se fragmente et dévore ses fragments; mais ce n'est pas
une division stérile, c'es! une négation créatrice qui
individualise le vivant, le fait etre et ainsi multiplie
soudain les natures.
L'effet premier et en quelque sorte substantiel de
l'eng'agement objectif est une forme d'engagement sub-
jectíf quí intériorise l'etre. La fidélité primordiale est
dans le rapport constant qui résulte de ce double enga-
gement et ceUe fidélité primordiale n'est pas libre. n ne
dépend pas du vivant qu'il ne soit pas une initiative et
cette nécessité meme entralne sa fidélité la plus radicale,
qui est la fidélité a l'existence. Elle l'accompagne jusqu'1t
son derniel' acte qui est l'acte de mourír. La fidélité
primordiale est une rers~vérance de h~ vie dans le
L'ENGAGEMENT BIOLOGIQUE

elle se le
chose
d'extérieur et
se réalise dan s l'engagement subjectif est un consen·
tement heureux en son principe, une cOlncidence avec
Boí dan s la posítion de soi.

3. - L'ENGAGEi\1ENT SUBJEUTIF S'EXPRIME PAR L'HABI-


TUDE, c'est-a-dire par la constitution de signaux et la
fidélité qui en résulte.
L'habitude crée une situation nouvelle s'ajoute a
la situation originelle du vivant et qui provient de
meme s'il ne sait pas qu'il existe, il devient par la le
point de départ partiel de son acte. n a acquis une
seconde nature qui est a la fois la conséquence de son
eng'agement primitif et la source de son engagement
nouveau.
L'habitude dont nous parlons ne suppose pas que le
vivant crée ex nihilo la situation qui l'engage, comme
si luí seul et son passé suffisaient a rendre compte de
son comportement. Elle ne suppose pas davantage que
l'acte habituel soH jamais une répétition pure et simple,
meme si le milieu ne change pas et n 'exige pas le chan-
geme'lt. n s'agit d'une exis qui laisse aux actes une
can re partiellement imprévisibJe mais qui constitue
néa moins une fidélité du comportement, c'est-a-dire
une constan ce au moins globale du comportement, bref
une stabilité des tendances ou instinds.
01', chaque tendance est liée a des valeurs biologiques
auxquelles le vivant est sensible et se livre des qu'appa-
raH l'excitant approprié. L'excitant devient, pour la
conscience vivante, le porteur de cette valeur; il devient
en quelque sorte cette valeur meme (ainsi la vue de la
nourriture déclenche toute une attitude motrice, repré-
30 RÉFLEXIONS SUR LA

la mesure oil le vivi'.nt est


cause de l'établissement de ces y a
c'est·a-dire constitution de
condense toute 1'histoire
opération, deux bien
analysées, par exemple,
l° L'excitcmt ten(~ a Ainsi
de faim cede
n en résulte une orientation de
la fidélité vers les choses extérieures ou
valorisés.
2° Le moyen tend 11 se transformer en fin : l'excitant
est recherché pour lui-meme, puisque tout se condense
dans le signal qu'il constitue. Par la, l'habitude ou
fidélité biologique dépasse son bui et devenir un
entralnement routinier, une exigence biologiquement
nuisible : au lieu d'intégrer l'etre vivant, elle peut le
dissoeier et le tuero
1\1ais il résulte de ces faits que la fidélité signalétique,
eeUe s'exprime par l'habitude, tend a etre une
fidélité aux choses. Au niveau OU nous considérons
l'engagement, il n'implique done aueune image de soi
et d'autres soi; iI se contente d'une soumission a des
qualités ont une puissance ou valeur de déclenche-
mento Puisque l'habitude est indispensable au monde
vivant et que l'homme est un animal, nous devons etre
prets a reeonnaltre que de l'amibe a nous-memes, la
fidélité s'exprime d'abord de fayon quasí inconsciente,
dans un réseau d'habitudes. C'est une enveloppe univer-
selle OU, si ron préfere, une assise premiere de toute
fidélité humaine que la fidélité aux signaux et le
souvent aux signaux constitués par des objets inanimés
(le biberon pour l'enfant; la meme chaise a la meme
rangée ehoisie par l'étudiant dans la salle de cours; le
L'ENGAGEMENT BWLOGIQUE 31

blbelot sur la etc ... ). la


e' est moins eeUe et super-
fieieHe que les motivations et oceasionnelle-
ment sur la

[r. - A TRAVERS LA FIDÉLITÉ SIGNAI.ÉTIQUE, LES ANIMAUX


SUPÉRIEURS SONT CAPABLES D'ARRIVER PARFOIS A DES ACTES
DE FIDÉUTÉ INDIVIDUELLE OU INTERINDIVIDUELLE.

a) n est évident qu'il 11e peut y avoir de fidélité a sa


propre individualilé que s'il y a individualité. Or, eeHe
derniere notion n'es! pas facile a cerner dans l'ensemble
du monde vivant. Pour le biologisíe, iI a indivi.
dualité que s'iJ y a distinction du germen el du soma,
semble-t-il, el si l'etre vivan! eonsidéré vient d'un muf
distinGt. En ce sens, les hetres, le crocus sativus, se
perpétuant paI: rejetons ou bouturage (multiplication
végétative) ne eonstituent seul individu a travers
tous les rejetons, meme s'il y a eu bourgeonnement,
e'est-a-dire conslruction d'un ensemble a partir d'une
tres petite portion de tissu. On peut Bstimer que eeUe
notion d'individualité est bien restreinte et ne faít pas
l'aff? ~ du philosophe. Mais la question est oiseuse
pui -iue la génération agame ne se reneontre plus dans
le monde animal a psyehisme un peu élevé, e'est-a-dire
chez les vertébrés et meme ehez les arthropodes et les
mollusques. Or, en parlant de fidélité individuelle ou
interindividuelle, nous ne pouvons songer qu'a des
espeees animales a psyehisme développé l.
n fauí done faire aUention de ne pas eonfondre le fait

1. Voir L. BOUNOURE, Reproduct!On sexuelle el histoire natu-


relle du sexe. Paris, 1947, pp. 14'17.
RÉFLEXIONS SUH LA FWÉLlTÉ

ou méme
avec l'attachement au « soi »
le SOl, cal' en toute hypothese on ne pourrait dire le moi
d'un animal); cal' le soí est quelque chose de biologi-
quement plus compliqué et plus spécialisé que l' etre
vivant . e'est une réalité suppose des
senlat.ions différentes et quasi réflexives. Le vivant infé-
rieur est simplement traversé par les ímpératifs d 'une
espece qui le dépasse et luí commande paríois sa suppl'es-
sion (peul-etre méme sans aucune utilité, comme la
phalene qui se jeUe dans la flamme); H abandonne ou
prend sa forme avec la meme mystérieuse facilité; a vrai
dire, i1 existe a peine et son engagement objectif fait
a peine éclore un engagement subjectif : il n'est que la
respiration passagere de la vie, son lieu de passage sans
résistance et sans lendemain. Au contraire, l' animal
supérieur a une image de lui-meme et un aUachement
a sa particularité en tant qu'il est cet animal ci et non
pas seulement un exemplaire de l'espece. C'est alors et
alors seulement qu'il peut etre fidele a son étl'e et aux
valeurs de cel etl'e.
n faut se gardel' de tombel' dans une psychologie
anthropomorphique et romantique meme en ce qui
concerne les animaux tels que les chimpanzés, les
éléphants, etc ... Quant aux animaux domestiques et au
plus mystérieux de tous, le chien, il faut commencer
par remarquer qu'ils imitent l'homme et ne seraient
pas ce qu'ils sont sans lui. Mais, apres toutes ces l'éserves,
comment ne pas relenir cel'taines observations dignes
de foi? Ce qu'on a écrit de plus étl'ange sur « !'a.me des
beies)) est peut-étre un témoignage qu'a repl'oduit
Spencer sur la sensibilité de certains chiens aux valeurs
morales. L'animal qui faít l'objet de cette observation
r,'ENGAGEl\1ENT BIOLOGIQUE 33

de avait
conscience d'une sorte de
Ínférieurs a ltlÍ-meme. n n'ét'\it pas
ment d'un devoir utilitaire, comme c'est si souvent
cas chez les animaux domestiques, mais par le
désintéressé de vies étrangeres a la sienne : ainsi s mter-
disait-il de mordre, meme pour se défendre cOlltre
d'autres chiens, et bien qu'il ne fút pas capon 1.
b) Des réflexions analogues sont a faire sur la jidélité
a « autrui» chez les animaux. Il ne faut pourtant pas
s'imaginer que des qu'il y a société animale il y a fata-
]ement un attachement interindividuel. Celuí-ci n'est
possible qu'i't un niveau élevé de l'écheUe et ne se ren-
contre, en somme, qu'assez sporadi0""~
Pour éclairer et situer le probleme, voyons par
exemple ce que dit Fr. Picard dans son étude sur les
Phénomenes sociaux chez les animaux 2. n propose
d'abord quelques distinctions. La foule est un rassem-
blement ou les animaux sont différents les uns des
t autres et rapprochés par les ressources d'un meme milieu
( (par exemple, les différents insectes d'une prairie);
l'association suppose au contraire interattraction des
~ participants (ainsi, au degré le plus simple, le rassem-
blement des coccinelles; au-dessus, les groupements
roordonnés et synchronisés : criquets migrateurs, cer-
tains oiseaux s'envoIent ou s'abattent tous a la fois);
la société proprement dite ou peuplade suppose en outre
une subordination a des individus conducteurs et une

1. Cette observation circonstanciée, qui sernble avoir été faite


avec une excellente rnéthode, se trouve dans le volume Justice,
being Part IV of the Principies of Ethics, London 1891, Appen-
dice D, Conscience in Animals, pp. 277-286 (Dans l'édition
ultérieure des Principies 01 Ethics, p. 451 et suiv.).
2. Paris, 1933, pp. 62-66.
3
34' RÉFLEXIONS SUR LA

certaine du groupe lui-meme n


pas d'intrus.
L'auteur propose ensulte biocénose les
groupes dans lesquels il y a non seulement interaUrac-
tion mais interdépendance, que les participants soien!
de la meme espece ou d'especes différentes. Il en donne
pour 1.'Os sociétés familiales formées par les
abeilles ou les fourmis; ceUe biocénose se
sur ce appelle une société (ex. les fourmilieres avec
les animaux qu'elles attirent). Les sociétés humaines sont
pour lui de ce dernier type complexe; mais l'homme
a des commensaux sans attraction réciproque tels que
les rats et les mouches.
Si nous nous demandons maintenant ou apparalt dan s
ce tableau la possibilité d'une fidélité interindividuelle,
nous constatons que ce n'est peut-etre nulle parí: car la
vie collective peut se dérouler icÍ grace a une simple
fidélité signalétique : le socius n'est pas per¡;;u en lui-
meme mais comme porteur d'un message anonyme -
tout au moins peut-il en etre ainsi : le líen de la vie
sociale et de la vie interindividuelle ne semble pas néces-
saire. Mais si la vie interindividuelle se développe, ce ne
peut etre que dans une vie sociale assez évoluée et
complexe : telles sont les deux conclusions qui se déga-
gent des faits.
Reste done a savoir si l'on trouve des faits de fidélité
interindividuelle dans csrtaines sociétés animales et, pour
ainsi dire, a l' ombre de ces sociétés. leí, la réponse doit
etre prudente mais positive et il convient de distinguer
deux cas :
Relations inter-animales. Elles peuvent s' établir sous
forme d'amitiés ou de hargnes persistantes entre indi-
vidus d'espece différente (chien et chat) ou de la meme
espece (certains chiens se déteslent fidelement sans raison
L 'ENGAGEMENT BlOLOGIQUE

ou s'assemblent {( paree que paree que e'était


moi »)... Mais le eas le étudier est évidem-
ment fournÍ par la animal e ehez les oiseaux
ou eertains Bornons-nous a des oiseaux.
Dans le Traité de Zoologie de P .-R. Grassé 1, on lit que
« la des oiseaux sont monogames », de
es indissoluble chez certains chez eygnes
fe et les souvent pour une saison de repro-
des jeunes de la derniere nichée,
pour une nichée ou meme seulement
l'éclosion des oeufs (canards). La polygamie ou la
sont done moins fréquentes (f' .es rencontre
: ex. du paon) et elles Ament soit d'un
lS
excédent d'un des deux sexes, soit secondairement de
e, l'abandon de la nichée par l'un des progéniteurs.
la La ou il y a mariage durable, iI faut distinguer des
le unions ou :l y a vie commune continue (cygnes, oies) et
li- d'autres ou la vie commune est intermittente (cigognes).
Ce dernier cas nous montre qu'il faut etre prudent dans
le l'interprétation psychologique de la fidélité cal' « il est
s- possible que ... l'aHachement au nid occupé année apres
le
année soit une cause déterminante ). Enfin, toutes les
et espe","s présentent des variations individuelles.
a- Si l'on osait, apres une breve enquete, tirer une
conclusion générale, ce serait sans doute cene-ci : la
té fidélité interindividuelle qui est accessible Ea l'animal
11'
semble indécise, souvent saisonniere, toujours capable
lit
de démenti, souvent aussi explicable par d'autres motifs
el' et valeurs que l'attachement Ea un socias (meme l'amour
maternel est en grande partie signalétique chez l'animal :
lIS
la mere ne s'intéresse pas au petit en tant est teZ
li- petit, mais en tant est le petit).
le
m
I. Paris 1950, t. XV, p. 5l~2.
36 REFLEXIONS SUR LA FIDÉLITÉ

Relations de l' animal al' homme, La.


transcender par son les
or, ehose e'est aussi cette fidélité
sorte de grace, élEwe l'animal au-dessus de ses et
incohérences habituels en le rendant eapabIe de stabilités
étonnantes. I.es exemples pourraient etre pris
de ó'u eheval et de bien d'autres
sauvages (qu'on lise sur ce les récits
teurs, de ehasseurs de betes fauves). Mais
privilégié, le plus troublant, semble etre celui
chez lequel la fidélité devient un sentiment
qui cristallise autour de lui toutes les facultés affectives
et motrices de la Mte, si bien qu'il est la fidélité meme.
On songe a la ,juste remarque de Bergson sur la tendance
de l'animal qui s'identifie en chaque es pece avec une
qualité en quelque sorte pure : ruse du renard, cruauté
du fauve, etc." 1.
Que représente, il est vrai, cette qualité dominante?
n yace qu'on pourrait appeler la théorie anglaise de
la fidéJité canine; ainsi le Flush de V, Woolf prete a
l'animal une animula vagula, blandula, digne d'etre
humaine et meme plus fine que bien des humains ... Et
il Y a la théorie allemande, teUe qu'elle s'affirme dans
les méthodes de dressage au chien policier; le grand
principe en est que le maltre ne doit jamais battre son
chien; il est celui qui donne la nourriture : si la bCte

1. Une idée VOlsme est déja contenue dans un passage attri-


bué au comique grec Philémon. Elle y est exprimée de fayon
saisissante et excessive : « Si vous rassemblez des milliers el des
milliers de renards, vous ne venez qu'une seule nature répandm;
en eux tous. Mais chez nous autres hommes, autant de personnes
font juste autant de caracteres. )) A. MElNEKE, Fragmenta Comi-
corum gnecomm, édit., min., Berlín 1847, voL JI, Incel'tarum
Fabulamm fragmenta, nI, p. 840.
L'ENGAGEMENT BIOLOGIQUE

a autre '1ne le maltre


es! Fidéli té
tI;
bon eonditionnement des réflexesP n semble
ne
sans témérité trouver la seconde explication un peu
et
courte et c1'oi1'e au myste1'e animal sur ce point, a condi-
~és
tíon de ne pas tomber dans la sensiblerie et la crédulité.
'os
Le chien semble trouver dans l'irradiation de l'homme
une individualité qui le soulcve au-dessus de sa propre
nature : il est devant nous comme nous serions devant
un ange ou un messager céleste qui nous
~n,
une révélation et un salut. son culte du toi "ans-
lt,
cendant s' éleve presque a la découverte ou a la f, .,mation
res
d'un moi nouveau, quasi humain; tout au moins semble-
le.
t-il pressentir cela dans sa conscience de bete et s'accro-
Ice
cher 11 l'homme comme a sa planche de salut, au point
.ne
de délaisser ses congéneres. Les Anglais, qui aiment a
lIté
spéculer sur ces f"its, sont paríois tentés de croire que,
par une audacÍeuse assomption, l'animal pourrait aussi
te?
participer proportionnellement a notre immortalité l.
de
Ce qui est sur, c'est que le chien, comme tous les
~ a
animaux domestiques, est soustrait sinon 11 sa famille,
.tre
du moins a son clan de bete et adopté par l'homme, qui
Et
remplace des 101'8 son milieu naturel.
lns
Ces remarques ne seraient pas aussi valables pour le
md
,on chat, qui garde son indépendance et le fait sentir, et qui
s'aUache moins a son maUre. Mais le chat semble avoir
Icte
une so1'te de conscience des devoirs du maltre qui l'a
adopté 2. n y a des constances, des 10is de son univers,
ttri- p. ex. la présence de son maí'tre dans la maison. Si
yon
celui-ci s'absente ou est injuste, le chat en est dérangé
des
.du6
l. Ainsi C. LEw¡s : Le probleme de la souffrance, París 1950,
lnes
)mi-
pp. I82- 1 90.
2. Le correspondant de Spencer signale le comportement ana-
"um ¡ogue d'un poney. Ouv. cité, p. 283.
38 RÉFLEXIONS SUR LA FmÉLITÉ

dans son ordre. n semble done avolr eertaine notion


de la sans que ce soit évidemment la
mai" il est diffieile de dire s'il ressent l'absence
de son maitre comme un désordre en soi ou ,,'i! en est
gené par suite d'une fidélité di te a son
maltre. Le fait que le maltre n'est pas faíalement celui
donne la =!.ourriture et que l'animal s'aUache a lui
autant la personne le nourrit a la prou-
verait que la fidélité du chat lui-meme a chose
de tres bien n'ait pas le caractere
absolu el souvent perpétuel de la fidélité eanine.

5. - L'ANIJ;fAL N'OFFRE CEPENDANT PAS L'EXEMPLE


n'ENGAGEMENT SANS DÉGAGEl\1ENT ET SA FIDÉLITÉ INDlVI-
DUELLE N'EST JAMAIS ABSOLUMENT SURE.

Les niveaux de la vie animale montrent qu'en un sens,


ceHe-ei tend sous ses formes supérieures vers un déga-
gement et une autonomie progressive, c'est-a-dire ver s
ee peut sembler une ínfidélíté croissante envers le
milieu, une libération de plus en plus large a l'égard de
tout ce n'est pas le Bujet lui-meme.
Consultons, pour nous en assurer, le tableau dressé
par Meyer dans l'Encyclopédie franyaise 1. n distingue
dans les proeédés d'inlégration le méeanisme humoral.
hormonal-nerveux, trois ordres d'aetivité orga- e
nique :
- Activité proprioceptive ou végétative, dont les
coordinations et régulations mettent en jeu les méea-
nismes distingués plus haut. Cette aetivité se corrige
parfois en dépassant le but, quand il y a variation du
milieu intérieur.
- Activité de relatíon. Ce ne 80nt plus seulement

I. T. IV, 4-24-6.
L'ENGAGEMENT BIOLOGIQUE

ion des centres


tice mais ils ont la
nce tition des excitations :
est
son acti'vité autonome : du réflexe simple, nous
jluÍ passons au réflexe conditionné. A la pointe monde
lui mais dans la ligne de son accomplissement
'ou- biologique, l'homme se donnera a cet égard un temps
LOse pour ses prévisions, une image de lui-meme et de
tere l'univers. Il achevera le mouvement de
l'affranchira de la dépendance étroite du milieu, soít
par la création d'un milieu artificiel, soH par la trans-
PLE
formation des milieux naturels.
IIVI-
On le voit par ce tableau, il est dífficile a l' animal
d'accompagner l'homme jusqu'aux dernieres formes
Bns, d'auto-libération 1. Mais s'íl ne peut créer avec la meme
§ga- complexité un milieu artificiel, l'animal passe néanmoins
ver s son temps a transformer son milieu naturel et il est
s le tout occupé a secouer - vainement pour finir - son
1 de esclavage. Le salut pour lui serait en ce sens la réussite
de son infidélité au milieu et a l' espace. e' est le but
'essé vers lequel il se dirige dans l'animalité supérieure et il
19ue ne faut pas s'étonner qu'il en résulte une menace perpé-
)ral. tuelle pour ses fidélités, cal' elles sont en somme spéci.
rga- fiques et naturelles chez lui, bien loin d'etre libres.

les
éca- lo Le langage intellectuel, en particulier, est inaccessible
aux betes. Les dernieres découvertes de F. von Fritsch ont révélé
'rige
qu 'une abeille indique a ses compagnes par des danses appro-
l du
priées la distance et la direction des fleurs a butiner. Mais cet
admirable code de signaux, qui suppose comme le langage une
nent société, n'est pas un langage: fixe en son contenu, iI se
rapporte a une seule situation et se transmet unilatéralement.
Voír E. BENVENISTE, Communication animale et langage
humain, dan s Diogene, novembre 1952, pp. ¡-8.
40 nÉFLEXIONS srn LA FIDÉLITÉ

VoBa osdHe entre des


par des défaillances non
moins étonnanlcs, En un sens, vivre c'esl sans
cesse davaníage puisqu' on crée des situations qui enga-
gent; mais le vivant ne montre jamais de continuité
logique et absolue entre ses actes d'engagement; il pro-
cede par par sauts par refontes,
Non seulement il se dégage sans cesse du milieu exté-
ríenr, ou dll moins vise a le faire; mais iI se détache de
lui-meme comme on le voit des le stade embryonnaire,
ou il y a deslruction de strnctures périmées et nouvelle
construction appropriée a un nouveau déve1oppement.
eette 10i des essais el ajustements est la 10i de la vie qui
gémit dans l'esclavage et si elle voulait s'y dérober en
gardant les fonctions ou structures périmées, elle pro-
voquerait des troubles graves. Malheur a la grenouille
qui garde des formes de tétard!
L'animal n'ayant pas d'autre 10i que ceHe-la, il faut
toujours se méfier de lui. On 'dolt aussi se défier de
l'infidélité humaine, certes, Mais la défaillance de
l'homme comporte un choix libre en príncipe, et
l'homme peut choisir d'etre cohérent, tandis que la
trahison de l'animaJ est d'un autre ordre, plus passif :
iI s'agit d'une incohérence fonciere. On ne saH jamais
ce qui peut entrer dans une tete de bete, ce qu'elle va
faire l.
Si l'animal donne de la sécurité - comme les jeunes
enfants - ce n'est pas paree qu'iJ est plus sur que
l'homme, mais paree que nous le dominons mieux qu'un

1. Cf. Le Mystere animal, par COLETTE et E. JALOUX, Paris


1939, p. 11: « L'animal est presque toujours discontinu.))
J. DELMONT, Vingt ans autour du monde. La capture des grands
fauves et des pachydermes, Paris 1933, p. 94-95, sur les infidé-
lité s de 1'instinct maternel.
L'ENGAGEMENT BIOLOGIQUE

;s humain et ne le laissons pas Nous


le tenons, en , par la nourriture et aussi
LS dans le cas du chíen comme du fauve -- par le « pres-
l- ) du maUre et la 80rte d'adoration peut
.é [¡ l'esclave. La vie en luí comme partout n'en esi pas
)- moins une décision toujours équlvoque et une lutte
l. malheureuse pour la découverte des valeurs
c'est-[¡-dire pour la personnalité meme qui le dépasse et
le le fuit.

le
t.
Ji
n
)-

le

It
le
le
et
la

is
ra

es
le
m

~is
»
ds
lé-
CHAPITRE m

DE LA FIDÉUTÉ ANIMALE
A L'ENG,A9EMENT PERSONNEL

I. II, FAUT SE DÉGAGER DE LA NATURE POUR S'ENGAGER


PERSONNELLEMENT, C'EST-A-DIRE I,IBREMENT.

Etre nous-meme, e'est en un eertain sens nous dégager


eompletement de la situation naturelle qui nous est
faite par la vie physique. Le Cogito de Descartes exprime
ave e justesse ce faH : l'avi'mement de la personne est en
quelque sorte une abolition de la nature, pour la raison
que e'est l'entrée dans un ordre nouveau. Qu'on l'appelle
ordre de la raison ou intuition du moi, toute la philoso-
phie traditionnelle y a vu, sous une forme ou sous une
autre, une nouveauté spécifique. Descartes n'a fait que
pousser a l'extreme - trop loin peut-etre a d'autres
égards - la distinetion entre l'homme el la nature.
Pascal ne parlera pas autrement. Le roseau pensant n' est
plus un roseau, paree que penser e'est se rattaeher au
monde des esprits et non plus se eonfondre avee l'ordre
de la matiere. Un monde qui est notre voeation, sinon
notre ceuvre, se substitue a une nature qui n'est que
notre bereeau ou notre ehamp d'aetion.
Ne nous le dissimulons done pas : la fidélité personnelle
eommenee par une infidélité biologique, e'est-a-dire par
une rupture ave e des exigen ces qui seraient purement
43
VERS LA FmÉLITÉ PERSONNELLE

vitales. Mais ce n'est pas a dire que abandonne


la ou meme se passer d'elle"
et que son
relEwera d'une nouvelle
approuve la soit la
ou cherche a en réduire certaines manifestations.
sera fidele a la vie parfois, souvent
mais il ne le sera que par fidélité au dictamen de
Et l'esprit ne nous est accessible que par une
participation personnelle, ce que nous affirmons de
nous l'affirmons de la personne meme.

:ER 2. 11, N'y A PAlO NON PLUS DE FWÉLITÉ PERSONNELLE SANS UNE
INCARNATWN POSSIBLE DES VALEURS ULTIMES DONT L'ANI-
MAL EST FINALEMENT INCAPAIlLE.
ser
est Nous avons parléprécédemment d'une sensibilité
me biologique aux valeurs" n iallait entendre surtout par la
en des valeurs de plaisir ou d'intéret : tene nourriture, lelle
,on iníensité optima de chaleur, etc. L'animal e8t, en outre,
:Ile aUaché a un certain luxe qualitatif dont on ne voit pas
so- bien l'utilité et qui lui est pourtant cher : tel plumage,
me tel site, etc. n
semble mettre son plaisir dans la recherche
[ue d'un style de vie qui lui parait préférable pour lui-meme.
res Les fabIes de La Fontaine nous fourniraient, sous forme
re. sans doule romancée, les zones d'insertion qui semblent
est convenir a certaines valeurs dans le monde animal:
au e'est au !ion qu'elles attribuent la fierté ou la magnani-
1re mité, au loup l'indépendance, etc... Ces valeurs non
on utilitaires semblent se rapporter a une activité de jeu
fue est commeune ébauche de la liberté; et elles semblent
s'ordonner tout autour d'une valeur supérieure qui,
:He selon la pénétrante remarque de Scheler, seraÍt la
lar « noblesse » (Nietzsche dirait peut-etre la volonté de puis-
mí sance et saint Jean la superbia v itce , pour autant que ces
RÉFLEXIONS SUR LA FIDÉUTÉ

notiollS "oní a la limilc de l'ólan


Faul.il a11e1' hau! sensibilité
animale aux ,'aleurs ultimes ou lelles que le
beau, le bien, le vraiP Nous avons reconnu que c'était
paríois le cas, au moins chez l'animal domestique; nous
avons concédé un rudíment de sensibilité morale au
chien, non seulement paree adore son mais
surtout paree que, s 'il fauí en croire certains
observateurs, il aurait parfois un sentiment d'oughlness
désintéréssé. Ne s'ensuit-il pas aussit6t un probleme de
frontieres tres embarrassantP Sommes-nous en droit de
trace1' une ligne de démarcation comme nous l'avons
fait entre les betes et l'homme si nous trouvons chez les
betes une te11e sensibilité P
La réponse est que d'une part ces cas.limites constituent
une 80rte de « 8urnature» en l'animal, indulte en lui
par le rayonnement humain, ce qui réduit l'objection.
Et, d'autre part, il faudrait distinguer la sensibilité aux
valeurs abso1ue8, dont est paríois capable l'animal, de
l'incarnation de ces valeurs, dont il est incapable. Seul
l'homme peut accomplir les valeurs en question dans
un art moral, esthétique ou scientifique. Seul ir peut
donner a la recherche de ces valeurs une expression
systématique, si bien qu'elles se réalisent ici-bas par lui
an lien d'etre simplement posées sur ce monde. eeHe
amvre, e'esí la vie meme du sujet humain en tant qu'elle
est éthique, esthétique ou scientifique: nOU8 édifions
notre personnalité par notre fidélité aux valeurs, nous
sculptons notre sta tu e intérieure graee a elles. Et en
out re eette amvre a une expression extérieure en tant
que nous eréons des civilisations ou des arts proprement
dits.
L'animal sensible aux valeurs ultimes l'esí pour ainsi
dire sans saisir leur portée et sans parvenir non plus a
VERS .LA FIDÉLUÉ PERSONNELLE 45
l'extreme le mol eL le tOl
~V'.JH'OJ~.Aussi sa np"('p'nTl n' est-elle
« frémíssement tres faíble», de la
nature, selon l'expression de
détache les formes de toute fin utilitaire et se complaí't en
il n'apen;:oit pas leur nécessité ni leur universalité.
La preuve en est ne pas d'un espace et
d'un intelligibles OU il objective l'univers sensible;
il n'imagine pas le passé et l'avenir ni l'en soí des
choses et leurs correspondan ces avec un symbolisme
semblable a celui de l'homme. Dans sa Psychologie des
animaux, IVI. Guillaume le note bien: « le progres se
fait toujours dans le sens ou les relations critiques ne
sont plus seulemellt celles de l'organisme avec les choses,
mais celles des choses entre elles 1 ll.
Cela ne veut pas dire que ranimal ne saisit pas de
généralités et L. Verlaine a raison de réagir brutalement
contre les sottises qui s 'impriment souvent a cet égard 2.
lVIeme l'organisme élémentaire est apte a cette saisie :
ce n'est pas telle chaise que perQoit l'animal mais bien
« any chair ll. Mais ce qui manque a l'animal, c'cs!
quelque chose de tres proche en apparence de la géné-
ralité des percepts et de tres différent en réalité : a
savoir l'aptitude a l'universel entendu comme un mélange
d'intimilé et de distance. Il faudrait qu'il put a la fois
poser pleinement la natUl'e comme extériorité et s'arra-
cher a elle par la liberté, bref poser et transcender le
non moi. C'est cela qu'il ne peut faire et que lui
interdit la réalisation des valeurs ultimes. C'est cela
aussi qui l'empeche par conséquent d'entrer dans le

1 Paris, 1940, p. 203.


2. Voir sa contribution a la Sernaine de Synthese sur La sen-
sibilité dans l'homme et l'animal. Paris I94.3, p. 164.
RÉFLJEXIONS SUR LA FIDÉLITÉ

royaume des fidélités humaines< iI semble y entrer,


il ne s' en Tend pas un voyageur viole
une frontiere sans s'en nc>r{',~v,.n', el circule inconsciem-
ment dans un pays

3. L'JENGAGJEMENT JEST PERSONNEL QUAND LA SITUATION QUI


ENGAGE OU PAR LAQUELLE ON S'ENGAGE RÉVELE UNE RELA-
TION DU Mm EMPIRIQUE AVEC LE MOl mÉAL<

a) Líen de la conscience personnelle et de l' appe! a la


perjectíon. La valeu!' immanente El tout
humain comporte toujours la voeation El une
parfaite. Nous eherehons El etre parfaitement nous-memes,
bien que nous le eherehions obscurément et avec tiédeur
dans eertaines de nos démarches empiriques, ou nous
n'avons apparemment soue! ni de nüus ni de la per-
fect¡on. J\'lais des que nous nous engageüns, nous sümmes
au fond saisis par l'attrait de notre pure essence, c'est-a-
di re de l'état le plus de nüire existence. Ce qui
earaetérise l'etre humain qui s'engage, ce n'est done pas
seulement qu'il ait provoqué une situation d'ou dépendent
son existenee et la valeur de son e'est eneore
la conseienee de eette initiative, la lueidité avee laquelle
il aeeepte eette condition el la fait sienne. Quand il
s'agissait de l'animal, nous disions que s'il es! plongé
paríois dans l' objet valorisant ou dévalorisant, il ne
peut s'en détacher et, par suite, il n'a pas pleinement
conseience que c'est un objet. Mais l'homme, s'étant
dégagé de cet objet, se dégage du meme eoup comme
sujet; il peut des 10rs se eonnaltre, mesurer ses actes
par rapport El lui-meme et El la distance ou il est de sa
períeetion.
b) Transcription de cel appel dans les notions de moi
positíj et de moi idéal. L'homme n'en reste d'ailleurs pas
a un Erlebnis subjectif de sa subjeetivité mais entraJ:né
VERS FWÉLITÉ PERSONNELLE

par le mouvement habitud a


le l'animal et lui-méme
0.- comme n en moi et en
moi idéal tente de considérer comme des objets. Le
procédé réflexif est sans doute une conséquence de notre
DI étre et non son príncipe: nous n'avons pas 11 identifier
A- comme on le faÍt trop souvent personne et réflexion.
l\1ais c'est grace a notre objectivation que nous traduisons
la notre spontanéité intime dans un symbole animal, d'ail-
o.t leurs transcendé; c'est grace a elle que nous personnali-
té sons notre nature et que nous pouvons transmuer le
~s ,
monde sensible en monde spiritueL La valeur était
11"
l'unique élément invisible de la visée animale;
IlS
nant, il y en a d'autres, et d'abord cet objet qui est le
r- moi, lui-méme dédoublé. C'est lui qui porte la valeur,
es c'est en lui qu'elle s'insere et se réalise.
a- A vrai dire, tout un cortege de représentations serait
ui nécessaire pour exprimer correctement le rapport de la
as valeur et du moL Quand nous parlons de moi positij et
at de moi idéal, la distinction reste schématique et recouvre
re des idées multiples. S'agit-il du moi positij? Nous pouvons
le désigner ainsi soit l'acte primordial de notre subjectivité,
il le faH perpétuel de notre affirmation de nous-meme, bref
notre réalité agissante : ou bien, ce qui es! tout différent,
H~
notre action empiriquement terminée, notre oeuvre
at passée, qu'eIle soit ou non conforme a notre élan le plus
nt foncier. En d'autres termes, sous le meme mot de moi
le positif, nous confondons volontiers ce que Bergson eUt
es appelé la personnalité profonde et la cOIlScience de sur-
sa face, le {( tout faií »; ou ce que Blondel aurait dissocié
en volonté voulante et en volonté voulue. Il serait donc
oi bon a tout le moins de distinguer le moi positif propre-
as ment dit qui est la source et le moi empirique, toujours
lé partiel et passé.
48 RÉFLEXIONS SUR LA FIDÉLlTÉ

Nous tournons-nous maintenant vers le moi idéal? n


au moins l1'ois choses : ou bien
a devenir ce que nous sommes, a nous
personnaliser parfaitement, et la représentation que nous
nous faisons de cet appel, c'est-a-dire notre moi de
valeul'; ou bien, en second lieu, l'anticipation que nous
nous donnons 0e notre etrc a instant pour agir
consciemment, mais cette fois le moi idéal n'est qu'une
sorte de cadre ou de moyen constant de la volonté;
indépendamment de tout contenu, il se réduit a un
rouage psychologique qui est l'anticipation jormelle de
soi, pratiquée par le criminel autant que par le saint.
Enfin, en troisieme líeu, le moi idéal sera entendu
comme la réalisation partielle ou totale du mol de valeur
dans les actes historiques que nous aurons posés; iI
équivaut a la valeur du moi dans la mesure Ol! elle est
accomplie. A ce moment et dans cette mesure, le moi
idéal revient se confondre avec le moi positif qu'il
valorise.
Mais le circuit et les distinctions renaitraient san s doute
aussitüt si nous poursuivions l'analyse; car la personne
ne peut se mettre tout entiere dans une tache finie ni
par conséquent dans une représentation finie d'elle-meme.
En se considérant comme objet, il. travers les notions de
moi positij ct de moi id.éal avec leurs subdivisions, elle
s'oblige done ponr ainsi di re a s'apercevoir successive-
ment, a s'accomplir progressivement, en un mot a ne
se considérer qu'en partie.
c) D' oú le risque de tOllt engagement et la nécessité
d.'une joí en toute jidélité personnelle. Des maintenant,
nous pouvons constater une conséquence redoutable de
tout engagement personnel: c'est 'lu'au plan de la
pure objectivité, on ne sait pas bien ce qu'on fait,
ne peut meme jamais, par hypothese, le savoir.
VEns LA FmÉUTÉ PEnsoNNELLE

n du est c'est
engag er }'avenir el que l'avenir nou~
31
18
mais radicalement encore, paree que c'est
18
de tout soi-meme avec un aspect de Boí-meme. Le moí
le idéal se construit est par a distance du
15
moi a été réalisé; il est en outre un
ir essai tatonnant pou!" trouver la vocation ou valeur la
te
nous est donnée. C'est une mimésis;
nous sommes comme un qui ne peut voir le·
.n modele essayant de le reproduire : condition pleine
le d'essais et inhérente a toute vie morale. L'enga-
t. personnel est a priori; c'est toujours plus ou
lu moins comme si on signait un cheque san8 savoir s'il
U'
y a encore une provision.
iI L'action mOl'ale est une aventure; elle serait meme une
st folie s'il avait pas en elle la foi que nous aurons
oi toujours de quoi atteindre natre perfection, c' est-a-dire
'il notre meilleur moi, bien qu'il semble reculer sans cesse.
Nous devons croire en lui sans l' étreindre, etre fidele
te a la patrie dans l'exil perpétuel. Nous devons croire en
le second lieu que si le moi de valeur n'est pas une illusion
ni en soi, il n'est. pas non plus fatalement une utopie
e. dans les images melées et fragmentaires que nous nous
:le en faisons; croire enfin que nous obtiendrons la force
le d'aller vers lui davantage, en recevant la grace des
e- moyens et non seulement la lumiere du but. Tout ce
o.e
faisceau de croyances est rationnel ou plutOt raisonnable;
mais c'est la rationalité compatible avec l'état d'un etre
:té est « embarqué)) et qui n' est « ni ange ni bete )).
tt, Non pas la rationalité d'une universelle déduction qui
de supprimerait la foi; mais la rationalité de la foi en
nous-meme imposée par la réflexion sur l'état Ol! nous
sommes et dont nous ne pouvons moralement ni meme
physiquement réussir a nous évader. L'engagement sub-
4
50 RÉFLEXIONS SUR FmÉUTÉ

est un consentement et d'abord un


consentement El notre etre.
lHais ceUe remarque terminale doit nous
de ne pas exagérer tragique de notre condition
humaine, cal' bien que nous ne puissions pas etre
fidele sans nous engager et que nous ne puissions nous
engager sans un acte de foi, nous ne sommes pas
totalement exilé de Hous-meme et de notre valeul'.
L'engagement personnel comporte des risques, mais le
don de soi EL la valeur peut jamais Ctre aussi désastreux
que dans l'ordre vital, paree que le moi est chez lui
dans la vie personnelle; c'est sa propre valeur
saisit, elle n' est pas aliénée mais perpétuellement inté-
grable El notre acLe; l'écart qui subsiste entre les notions
ou se réfracte le sujet quand il peme son action n'em-
peche pas le sujet d'etre immanent [\ toutes ses pensées
et a toutes ses actions.

4. LA FIDÉUTÉ MORALE DE L'ENGAGEMENT S'EXPlUl\'!E PAR


UNE PROMESSE INTÉRIEURE.

Etre fideIe, c'est, en un sens radical, promettre. Mais


que promet-onP On se promet EL soi-meme, on s'engage
3. atleindre la plus haute valeur du moL
a) Aspect novateur de la promesse. Aussi serait-on
tenté de dire : la promesse radicale que se fait alors le
sujet, c'est d'etl'e libre. Et, a certains égards, il n'y a
rien d'autre en effet dans l'engagement primordial du
moi que d' échapper a tout esclavage, a toute aliénation,
pour vivre plus pres de sa propre essence, pour etre
purement soi. Cal' on ne peut devenir ce que l'on est
si l'on ne se renouvelle pas sans cesse el si l'on n'invenle
pas au milieu des circonstances et des sollicitations qui
en émanent une fayon originale et imprévue d'etre soi.
VERS LA FmÉLITÉ PERSONNELLE

.n La eomme dit G, es! « eréatriee)), cHe


est aussi libératriee, Elle a el par
re Buite a inventer Ulle de moi-mcme que rien
m d'autre que moi-meme ne m'offriL Les sollieitations
['c
extérieures ne me pas, elles me tentent et
llS me feraient abdiqueL Ce que je moralement,
as e'est d'abord d'etre un sursaut devant une
L
serait étrangere a mes problemes et
le me d'exister ou de mettre ma marque
IX
sur les événements qul me poussent a agiL Ce que je
ui e'est d'etre digne de mol, ce quí équívaut a une
'H promesse de libération et de rénovation intérieures.
é- Auosi ne puis-je me tourner vers l'idéal que j'ai de
:lS
moi-meme que par une orientation de moi-meme et non
n- par une fixation dans un aete mécanisé. n me faut
es acquérir un esprit et non pas m'enfermer dans la
1ettr6,
Cette promesse que je me fais d'observer un certain
de vie est une réponse a ma vocation mais en
tant qu'elle est Berufung et non pas simplement Beruf,
a plus forte raison n'est-ce pas l'invite d'un geste
stéréotypé. En termes scolastiques, disons que s'i1 faut
un corps El ma liberté morale, elle le trouvera au niveau
de l'habitus et non pas de l'acttLs. C'est pourquoi la
m promesse qui contribue a créer cet habitus a quelque
le chose de polyvalent : par exemple une meme générosité
a doit pouvoir s'exprimer dans le pardon des injures, la
iu recherche d u vrai, l' en tr' aide financiere, etc ... , elle doi t
n, devenir un « trait de caractere » et faire tache d'huile.
re Elle ne peut eire quitte envers elle-meme si elle se
:st réduit a une observance déterminée dont on peut se
le libérer par un acte particulier et parfaitement prévu.
ui La vertu de l'engagement moral ne peut s'emprisonner
l1. dans des contours immuables. Cette vérité banale est
RÉFLEXIONS SUR LA FWÉLlTÉ

aussi bien par la sagesse


maque que par la des taleI1ts de
b) conservateur de la promesse.
liberté d'allures est par
promesse meme. Dire : je m'engage 11. etre
refuser de se rendre libre sans loi. Dire:
cette orieutation me mime a mon meiHeur moi,
c'est avouer y a une orientation. Et l'orientation
deux axes de référence : l'idéal le cadre
du non-m?Í. Cette double fixité par 11.
je fais le et me situe m'amlme 11. considérer
conservateur de la promesse.
Le mot n'e8t pas fort, cal', nous l'avons dit précé-
il a de fidélité que seconde. Un
moment vécu précede la promesse el lui offre toujours
son modele. La promesse donc toujours
moment privilégié de valeur a précédé le moment de
l'engagement et qu'en lui s'est matérialisé pour ainsi
dire l'idéal que je Dans la promesse, je suis
de prime abord tourné vers demain; en réalité, je ne le
fais que dans la nostalgie . cal' je suis convaincu
que certaines expérienees dont j'ai re~u la graee et véeu
la perfeetion méritent de res ter.
n faudrait eiter lel une page fondamentale de
Eliot avait 1'etenu l'attention de R. Fernandez
dans son Une de la Pel'sonnalité. Tulliver,
l'hérOlne du Mill on the Floss, est en proie a une tentation
grave; eUe est sur le point de ehanger l' orientation de
sa vie; a10r8 su1'git en elle le souvenir des moments
passés ont été les sommets moraux d'elle-meme.
Elle se reporte a eux, elle se suspend 11. eux eomme a sa
supreme lumiere. C'est tout cela qu'elle va quitter si
elle cede. C'est tout cela qu'elle va maintenir si elle
résiste et si elle sauve l'unité de son et1'e, peut-etre
VERS LA FIDÉLITÉ PERSONNELLE

faudrait.il dire I'unicité de son etre. « Si le ne


HOUS He pas, ou done résider le devoir ))
Ce maintien du e'est en réalité le moyen pour
elle d'etre de ne pas etre une femme
Ce y a de tragiqne dans un tel
exclut tout autre chemin pour aller
rnent. Je dois repasser par cet échelon du
peux le renier sans me renier : tout fntur doit
inclure ce haut.lieu de jadis. Et il valeur
vitale digne de concurrencer cette valeur morale. n
la vie plutot que de s'abandonner. Ce est
aÍnsi en cause, c'est bien plus événement histo-
rique, c'est ma vocation a la t.otalité el elle est
nique.
Si nous cherchons pourquoi le passé ainsi ce
caractere sacré et d'initial devient final, nous ne pouvons
certes emire que ce soit a cause du fait qu'il est ancien,
ou qu'il est constitué en existenee. Le fait d'avoir été ne
peut eonférer a luí seul un droit de demeurer. Aussi
bien tont passé n' est-il pas respeetable, toute détermÍ-
nation n'est-elle pas louable. n ne s'agit pas non
de régression infantile. Hetourner a un moment périmé
pour s'emprisonner dans ses eontours serait aux anti-
podes du vceu 'iniérieur qui est vraiment personnel. Si

I. G. ELIOT, The Mil! on the Floss. London, 1902, p. 412. Et


encore: « It seems right to me sometimes that we should
follow our strongest feeling; but then such feelings continually
come aceras s the ties that all our former life has made for us
-the ties that have made others dependent on us-and would
cut them in two )) (p. 390). Deux thames voisins commandent
dans le livre tonte la logique de la conscience : eclui du sommet
antérieur qui devient condition de 1'unité future, celuí de
l'attente d'autrui 11 ne jamais décevoir. « Faithfulness and
constancy ... mean renouneing whatever is opposed to the
reliance others have in us )) (p. 413).
G4 :nÉFLEXIONS su:n LA FIDÉUTÉ

done la peri'onne ,,'attache ainsi á ce a été, c'est.


pour d'anires
y avail !loyan, c'est-a-dire nne
lui-memeo
Question de contenu, dira-t-on
contenu est a un niveau. Ce
niveau ou, si l'on la valenr, OU,
encore, les conditions
a l'appel de la valeur et
venue.
En plus de quoi il y a encore un autre motif possible
la richesse ou fécondité spirituelle du moment
Maggie Tulliver ne veut pas garder sculement la npl'{'.'>TI_
hon du meilleur mais l'oeuvre de ce moi,
tecture qui s'édifiait grace a lui. Ce que nous
appelé le « style de vie» comporte en effet ces
éléments : une obéissance et une construction, un
et une réponse, un don et un travail.
c) Visée éternelle de la promesse. La promesse
implique la foi en une stabilité de soí dans la
choisie. Cette foi est elle-meme multiple. Elle
la permanence de la valeur du moi qui a été
J'ai été honnete, généreux, etc ... et cette valeur
aujourd'hui comme hiel' attribut constant de mon
idéal, elle est inéliminable; meme si j'essaie de
arracher, je n'y parviendrai pas et c'est pourquoi
toute chute je me condamne moi-meme, c'est moi
suis mon juge e1; mon bouneau.
En outl'e, la foi de la promesse suppose que je
toujours rejoindre la valear. Dans la mesure ou je ne
pourrais plus, je m'estimerais perdu, mais, en
meme, je ne pourrais plus me sentir coupable a
de maintenant sur ce point, je ne pourrais plus
promettre, je serais exilé de la vie morale. Ni la
VERS LA FmÉLITÉ PERSONNELLE 55

l'homme ni la
se croirait
ne sont pou!' autant. n est meme
que nous ne puissions pas échapper totalement sur
terre au spectre mcnayant de la perdition, mais il ne peul
non plus nous paralyser totalement. Eire c'est
avolr une chance de salut et dans ceUe chance il y a
la foi que nous pouvons toujours nous élever OH etre
élevés vers la valeur.
Appuyée sur ceUe double foi, la fidélité de la promesse
consistera dans une décision est de maintenir la
décision présente en faveur de la valeur du moí. L'imma-
nence de la décision a la décision équivaut id a une exi-
gence de perpétuité. Dans le choix meme, il y a done
encore une volonté qui dépasse totalement l'instantané.
Si la liberté s'expliquait dans l'instant et n'avait besoin
que de lui, elle serait capriee et infidélité. Ce qui en faH
une liberté véritable, e'est donc qu'elle veut une perma-
nenee. AHons plus loín : la loi que veut le choix et
poursuit obseurément, c'est la suppression du choix ou du
moins d'une certaine forme de ehoix. Je m'engage envers
mon idéal, je lui dorme ma liberté, veut dire : je cherehe
par mon libre ehoix a faire montre d'une liberté qui ne
comportera plus de dMaillance; je veux une liberté
bonne qui grandit du coté de sa transcendance et ne peut
plus la quitter. Je ne me choi8is pas pour avoir a
choisir encore de la meme maniere entre l'exil et la patrie,
mais pour n'avoir plus a le faire, paree que ma seule
tache sera d'inventer le mieux dans le bien. n ya
ainsi une liaison entre la fidélité et la liberté; l'une ne
peut se passer de l' autre et c' est ee qui donne a la
liberté sa forme finale qui est a l'abri des variations de
l'instant.
56 RÉFLEXIONS SUR LA FIDÉLITÉ

LE l\USTERE DE LA PROlVIESSE S'EXPRIME DANS l.,E VOEU


PERSONNEL.

le projet, la promesse et le voeu. Un


projet n'engage qu'une réussite objective; on ne se met
pas soi-meme en lui, on renonce donc a lui sans honte.
n est neutre pon:- nous, est indifféren t. au
nel. La promesse, meme ceHe se fait
ajoute au projet un tenne de réféfence
meme. C'est notre consisiance est désormais en
cause; le jugement qui eonviendra a noire acte ne se
fera plus seulement d'apres sa réussite extérieure, c'e8t-;\-
dire d'apres la conformHé de l'événement et de la
structure prévue. Ainsi le recordman échoue dans
une épreuve sportive se sent honteux (bien qu 'il ne se
sente pas coupable). Pourtant, si les circonstances chan-
gent, si meme les goUts évoluent, il n'y a pas de
déshonneur a changer soi-meme et a modifier en consé-.
quence le cortege de ses promesses. S'obstiner montrerait'
meme un faux amour-propre, un faux point d'honneur.
La sagesse est alors de renoncer a ce qu' on « s' étai t
promis de faire». C'est ainsi qu'un orage ehangera
l'emploi du temps d'un cultivateur, une jambe cassée la
carriere d'un danseur, une évolution des sentiments le
genre d'études auquel on entendait se livrer ...
Mais si la promesse a un caractere moral, ou plus
exactement si elle se situe radicalement au creur
nous-meme, en dessous des zones d'équivaIence légitime,
elle n'a plus seulement les caracteres communs a tout ce:
qui nous exprime psychologiquement : iI s' ajoute
un voeu. Non seulement alors elle contient une
de projets objeclifs, non seulement elle met en
le sujet, mais elle met aussi en cause quelque
de plus que le sujeto Elle implique un don de soi a
VERS LA FIDÉLlTÉ PERSONNELLE

une nous faH entrer dans


domaine sacré. Dans le mol vceu, il y a la racine 'vovere,
se vovere : vouer, dévouer. La sagcsse de
n' est valable désormais : une sagesse
nouvelle s'installe qui prétend adapter l'acte futur au
vouloir idéal et non pas le vouloir idéal a l'acte futuro
n ne suffit pas de dire avec les 8tolcien8 que ces deux
sagesses son! sur des plans différents (ainsi que le
une distinction abrupte entre « ce dépend
de nous» el « ce ne dépend pas de nous »). Ce
serait commode! Les sagesse8 se heurlent, elles
obéissent a des principes différents et posent des pro-
blemes de conciliation épineux.
n ne s'agit pas pour ¡'instant d'examiner le vceu de
religion, qui s'adresse a un Toí transcendant et qui
s'entoure d'autre par! d'une série de matérialisations
3 sociales ou physiques. Nous nous contenterons d'exami-
ner la structure mínima du vceu intime en tant que ce
t vceu est inséparable de l'engagement personnel. n n'a en
effet ríen de public, bien que sans lui le vceu public
n'ait plus de justification morale. n n'est peut-etre
meme pas entíerement proféré dans la plupart des cas,
mais seulement implicite dan~ le rassemblement d'énergie
avee lequel nous nous orientons vers la valeur la plus
haute de nous-meme. J'en reste donc pour !'instant
au moi ídéal comme moyen de trouver ma singularité
et d'universaliser eette singularité. J'en reste au mystere
immanent de mon essenee sans chercher a discerner ce
qui se eache derriere ()u au-dessus d'elle.
Dans l'enceinte de la conscience wlitaire, le don inté-
rieur du voeu n'est pas fatalement pUl', il est au contraire
énigmatique; il oscille entre t1'01s formes ou il passe par
trois étapes que la réflexion doit élncider et que VOl e! :
a) Etape magique du vceu. Ce qui donne au saeré
58 RÉFLEXIONS SUR LA FmÉUTÉ

SR c'est d'anéantissemenL On
se voue et on s' env011te dans l' offrande il y
a en elle un instinct de la par ambivalence
est aussi un instinct de domination. Car ceUe entrée de
soi-meme dans le goutIre tout puissant est une volonté
de s 'identifier a la toute de la faire passer
soL Pacte OU le dévot et son idole
tour a tour et 1'un par l'aut1'e de
n y a une fayon de vouloi1' le moi idéal est
magique. On la reconnalt a ee que le vc:eu se fixe dans un
rite et donne lieu a un eulte fétichiste. Des 101'8, 1'expres-
8ion du vc:eu est importante que le vc:eu meme :
ce n'est plus l'esprit d'obéissance O" de bonté ou de
pauvreté, etc ... qu'on cherche, c'est un embleme ou un
symbole de ces vertus qu'on érige en absolu et dans
lesquels on se projette. En meme temps que le signe
se substitue a l'objet, le fini se substitue a l'infini et
le moi s'englouiit tout vivant dans eeHe limite; il y a,
par surcrolt, raidissement de la viséc éternelle en instan-
tanéité paralysée, comme si nous pouvions enclore notre
essence idéalc dans un moment en la vidant de toute

1. Chez les Grecs le V02U est offrande (doT'ophoria), souvent


offrande anticipée et action de graces (euché). Mais il pcut
prendre une forme consécratoire, la kathosiosis. De meme, chez
les Romains, la devoiio se distingue du votum en général;
elle est « un pacte d'une nature particuliere, par lequel les
divinités souterraines sont invitées a prendre elles-memes,
e 'est-a-dire a détruire, ce que I 'auteur du vceu a le dé sir mais
non le pouvoir ou le droit de leur donner» (art. Devotio du
Dictionnaire des Antiquités de Daremberg et Saglio). C'est
ainsi quc Décius s 'immole rituellement pour emporter la vic-
toire. Il faudrait, pour comprendre le V02U magique, plonger
plus profondément encore dans les couches sombres des reli-
g-ions : sacrifices viv:mts : Iphigénie, Jephté. '. ct aussi {( pactes
avec le diable», vceu de Faust.
VERS FIDÉLITÉ PERSONNELLE

5a libre n bien haul que 'es!' la


terrible dévialion de la conscience : le voeu en sa
source est el. s'ij faut reconnaltre une valeur a
la répétition d'un geste, a la schématisation d'une con-
c'est a cause de certaines nécessités pédagogiques
. mais ces nécessités memes doivent etre subor-
données a du voeu, c'esl-a-dire doivent contribuer
a la fécondité d'une attitude . sinon le voeu ne
serait pas justifié.
n y a dans la conception magique du voeu un intense
sentiment du sacré sous son espece inquiétante, cal'
c'est un sacré qui annonce l'escIavage de soí a soi-meme
et en définitive le suicide du moÍ pou!' la gloire du moL
lI1ais ce sentiment du sacré est maladif et il y a une
pathologie du sacré dans l'humanité tout autant
anatomie et une physiologie normales du sacré, si l'on
ainsi s' exprimer. n pourrai t sembler que la concep-
tion magique du voeu transforme le sujet et son idéal
en choses inertes: c'est vrai dans UD certain sens; mais
il serait plus juste de dire qu 'iI cherche a les confondre
impatiemment : le moi empirique devient le moí idéal.
Si le geste particulier est matérialisé, ce n'est pas tout;
iI est ensuile divinisé et c'est plus grave.
b) Etape instrumentale du voeu. J'appelle ainsi une
autre conception du mystere de la promesse ou le
rapport du moí et de la valeur est dangereusement
assimilé a une relation de propriété matérieIle. Se vouer
a la vie morale, c'est alors se mettre a la disposiLion de
eeHe valeur, devenir pour elle un instrument de réali-
sation. Cela implique certes un don de soi tres honorable :
nous sommes la chose de la valeur, nous renonyons a
nous identifier a elle magiquement, nous reconnaissons
sa transcendanee et ne cherchons pas a entrer fraudu-
leusement dan s le sanctuaire de notre ame. Cette étape
60 RÉFLEXIONS SUR LA FmÉLITÉ

est done nettement du


de vue de la réflexion Nous apprenons par elle
le renoncement n'est un suicide. Mais nm 3
confondons encore le renoncement avec un de ses
Ersiitze nous le mettons au service d'un idéal
que nous considérons comIne un de
et meme comme 1'ne sode de
et abuser de sa
candeur dans
impersonnel. CeUe peu nalve
le moí idéal dans une zone
laisse échapper ce y avait
la magie et ate au renoncement la
reconcilier avec nous-meme. C'est
tion)) qui fait de la valeur un
instrument tend a stériliser l'élan
la vie l'éelle de nos instincts, a ne
empire théorique sur eux.
e) Etape de l'unification morale par le voeu. A
troisieme étape, le don de soi a la valeur par la promesse
respecte le mystere de notre etre mais luí de
s'unifier sans se détruire. Le vceu est encore une dévotion
(se vovere), une offrande d'un vouloir a la la
plus sacrée de lui-meme el par suite un envahissement
progressif de tout notre etre par la conviction que nous
sommes appelés a la vie sacrée. Mais nous cessons de
nous considérer comme des choses entre les mains de
la puissance sacrée; nous cessons aussi de nous confondre
avec elle par une immolation magique. Nous vivons et
nous mourons au contraire en elle pour qu'elle nous
rende cohérenís et qu'enfin elle nous change en nOU8-
meme.
Cal' la vraie morale n'est pas autre chose qu'une
religíon vue provisoirement du coté de la conférée
VERS FIDÉLI'fÉ PERSONNELLE

a l'hornme. C'est
consiste alans le
voeu a la prornesse
ment « nurnineux» de la prornesse, l'ame
le la réalité sous-tend l'action.
Ce que le voeu ainsi nous c'est que
notre liberté n'est pas alifférente de notre valeur
le moi sait se rejoindre
a une médiation inflníe. Le voeu est l'affirmation
constante de ceUe foi a la il done la
de la conscience
fidelernent a mon eesenee, je ne suís
je suis arrivé au bul en espéranee, meme si je
ne saie pas eomment et par m'est donnée.
Ce était division du moi pour la conscienee perdue
devienl dualité fonctionnelle el moyen de progres
pou!' la eonseienee Le voeu est l' aete réitéré
de la foi

6. LA FIDÉUTÉ MORALE OJ3LIGE ENCORE A LIER LA V ALEUR


DU MOl A CELLE D'AU'fRES CONSCIENCES PERSONNELLES.

n serait bien illusoire de s 'imaginer que le moi peut


se séparer d'autrui pour définir son idéal. D'autres
conscienees sont en effet liées a la valeur de ma
conseienee.
Elles peuvent l'etre a titre encore accidentel, en eréant
la situation extérieure sera pour moi une oeeasion
de me valoriser. Par le eadre de la famille,
eelui de la et meme le défi que me lance un
perséeuteur provoquent pou!' moi un régime de vie
matérielle entraine ma réplique. Si bien que me
e'est en un eertain sen s vouJoir les eonseienees
qui m'ont mis dans l'état OU je suis. Le eas du « pro-
chain » au sens évangélique est a placer lui.meme dans
RÉFLEX.IONS SUR LA FmÉUTÉ

eeUe : le hon Samaritain


80n malade et il ne le verra
ment mais 8ans le eonnaltre
tardo Tous ces cas
encore bien superficiel entre les consciences, el paríois
transitoire.
Mais autrui I\tre intimement le moyen oa
l'objet cln mouvement par leguel je me valorise. Je ne
peux a10rs me vouloir sans le vouloir et vice versa : iI y
a réeiproeité des conscienees. Elles sont l'une pour
l'aulre bien mieux qu'une cause oeeasionnelle de leur
développement. Cal' nous nous assoeions un I\tre par
une 801'te de suture spi1'ituelle. M, Le Senne a employé
pour exprimer eeUe solidarité et eeHe influenee mutueUe
l'image des « freres siamois ». Nous ne nous constituons
plus seul; en étant fidele a nous-meme, nous le sommes
aussi d'emblée a un autre etre que le notre ; il contribue
a faire notre intimité et notre idéal propres.
Encore formons-nous tous ensemble un réseau de
consciences dont le líen associatif peut ctre plus ou
moins immédiat. Supposons que Pi erre ait pour ami s
Paul, Jean, Jacques, Albert. Paul aura parmi les siens
Pierre, mais tous les amis de Paul ne sont pas les amis
de f'ljerre; iI en est d'autre's qu'il ne connalt pas
directement ; Armand, Daniel, Joseph ... tous les amis
de nos amis n'étant pas nos amis.

mJerre ~aull!
A-¡b--"e-rt--¡I
0-\

IJacques I
VERS LA FIDÉUTÉ PERSONNELLE 63

Si maintenant nous cherchons sont les amis


par nous pouvons retrouver
leurs amis des amis de Piene.
1-------.
: Armand :
'---- _:... -\~

®~n~

On voit par la la complexité des dyades et la variété


des triades, etc ... indirectes et imparfaites qui
s'y constituer : bref 1(0) cheminement subtil - et d'ai1-
leurs mouvant - des influences réciproques, qui devien-
nent rapidement insaisissables dans un groupe étendu
OD. les communications sont faciles. n est plus aisé de
les teconnaltre dans un groupe restreint, p. ex. dan s
une classe d' élEwes internes Ol:! l' on peut a10rs assez
bien saisir comment « se forme » chaque enfant dans le
jeu pourtant compliqué des influence8 exercées par ses
amiti.és. Je laisse pour l'instant de coté, bien entendu,
les influences mas si ves subies par le groupe en tant
que groupe et ne m'attache qu'aux relations interperson-
nelles, plus fines et souvent plus profondes; elles sont
électives, mais tres vi te le choix subit le choc en retour
de sa propre fidélité, qui lui revient sous forme d'in-
fluences répercutées et multipliées, comme un son que
modifierait par retour une cascade d'échos. TOllS réagis-
sent sur la constitution de tOU3 par leurs divers
enchainement dyadiques, dont nous n'avons schéma-
tísé plus haut que les distributions les plus évidentes et
les plus grossieres.
64 RÉJFLEXIONS SUR LA JFIDÉLITÉ

Faisant abstraetion de l'enehevetrement


le toi ieléal eomme sur le moi que pour
nous ¿tre fidele a auirui? Elle veut elire a la
fois : l° Je eompte sur tol pour me valoriser; 2° Je me
mets a ton sen-ice. Et bien que nous nous aUaehions
alors a l'idéal elu toi et du moi que nous entrevoyons -
non sans illusions el tiHonnements - e'est aux person-
nalités en ce ont de positif que nous nous
attaehons, en tant que cette meme - s'agirait-il
d'un ami coupable - est inséparable de de
transcendance. Maís la fidéliié au toi comporte done, par
le fait meme, le souhait d'une fidélité du ioi a la valeur
que j'entrevois en lui pour lui el que mon amitlé me
fait découvrir avec lui.
Ces aspects de la réciprocité des consciences nous
mettent en possession de tout ce qui nous est nécessaire
pour étudler dans le chapitre suivant l' organisation
psychologique de la fidélité. Nous avons eompris
le mol solitaire dont nous allons examiner les
n'est isolé que pour les eommodités de l'étude. Le s
ontologique de la fidélité est tel que de toutes
nos acles psychologiques sont prévenus, entourés,
sés par un ensemble de 10is qui nous rattaehent
monde des eonscienees : nous infléchissons et in
dans une eertaine mesure notre destin, mais au s
d'une destinée n'est jamais entierement notre
exclusive.
CHAPITRE IV

DE LA

l. LES CAUSES QUI RENDENT INDISPENSABLE CETTE ORGANI-


SATION.

L'homme engagé est tourné ven l'avenir, mais la


promesse qu'il s'est faite ou qu'il a faite aux autres
reste indéterminée et a long terme. n doit la monnayer
en résolutions déterminées et a court terme qui seront
le moyen de rendre sa décision effective. Voila pourquoi
il faut organiser la fidélité.
De fa90n plus précise, disons que deux causes obligent
a le faire : a) d' abord, la situation biologique de l' homme,
la perle d'univel'salité qui I'ésulte pour le moi de l' exi-
gence vitale d' épal'pillement. - La vie est succession,
présence qui chasse d'autres présences; la matérialité
est oubli, elle esi le privm~ge insolent du hic et nunc;
et la stabilité des tendances, quand elle s'établit, ne
réussit pas a vaincre notre éparpillement, elle n'aboutit
qu'a un compromiso Vine, c'est etre plongé dans une
nécessaire infidélité aux choses, a soi, a autrui. Ce theme
a été définitivement exploré par Platon et le néoplato-
nisme qui ont représenté la vie comme une chute dans
la multiplicité. Plotin esi plus séverc encore que Platon :
il regarde le temps non comme une entité intermédiaire
mais comme le mal meme.
A l'extreme opposé, les évolutionnistes et vitalistes
modernes voient dans cette multiplicité qui efface ses
5
pas au fur et a mesure de son chose
d'absolument fondamental pour le
C'est l'attitude trouve chez les darwiniens aussi
bien que chez Nietzsche ou dans Croce et
l'absolu devient limité et instantané.
Entre ces deux positions, une troisieme est conce-
vable, qui consent a la succession sans la glorifier.
n est a la vie d'oublier el d'aller de
l'avant, elle ne peut pour une part que se sauver et
grandir par ce dégagemenl. Ainsi, apres un deuil, sur-
vivre c'est choisir l'oubli de préférence au suicide. Et
iI faut bien le faire pour vivre ...
Mais la vie réclame poudant la continuité de sentimenLs
qu'elle ne peut se donner. La survie est honteuse et
11esse fatalement l'ame. Elle porte aUeinte a la fidélité,
du moins a la fidélité a soi et a autl'ui. Cal' l' ol'ganisation
de la fidélité aux choses est plus facile, gl'ace a la consti-
tution de l'ordre juridique et aux re1ations de propriété.
Quand les choses sont maniables· el quand la société
est calme, le propriétaire résont presque parfaitement le
probleme de la fldélité aux choses paree qu'il peut
compter sur la présence de ses biens. n est vrai qu'une
lllenace subsiste encore; les bien s immeubles l'immobi-
lisent et lui retirent sa liberté; ils l'enracÍnent. Les biens
meubles se fragmentent et s'égarent...
La blessure de rame par l'inconstance de la vie est
un theme banal de la littérature. Elle a donné lieu a
d'innombrables ceuvres littéraires surtout a propos de
l'amour, paree que dans ce sentiment les rythmes
viLaux des sens et les intermittences du cceur viennent
singulierement démentlr la promesse de l'ame. Une
guerre comme ecHe de 1914 011 de 1939 a prouvé que
dans bien des cas deux ans de sépanliion entre conjoints
étaient le chiffre critique de la fidélité conjugale et cette
ORGANISA'I'ION PSYGHOLOGIf,1UE DE LA

moyenne n'es! pas a de humain.


b) Ensuite - et e'est
mOl'ale elle-meme accroit
il l'univel'salité se manijeste dans la
devoil's el l'exéculion de chaque devoir. La
vic élhique se Inenace donc elle-meme. - L'exigence
ne m'imposerait que peu de fidélités; la
routine également. A l'encontre de la passion et de
l'intégration morale de mon etre m'impose
des quantités de fidélités professionnelles, amicales, etc ...
Poul' mon devoir envers le.s meilleul's moments
de mon passé et spécialement envers les rencontres
personnelles que j'y ai faites, je serais obligé d'avoir
vies. Je devl'ais suivre mille pistes a la fois pour ne
négliger personne. Le probleme est d'autant plus grave
que la fidélité ne concerne pas seulement le passé mais
l'avenir: etre fidele a quelqu'un, a un enfant, par
exemple, c'est favoriser ses possibilités, c'esí travailler
a son épanouissement.
Je me tl'ouve donc devant un pl'obleme de justice
distributive intél'ieure. Comment faire a chacun sa place P
Comment parvenir a une fidélité pure, qui concilie a la
fois mon attachement particulier et mon élan univel'sel?
Ou si l'on pl'éfere, comment concilier toutes ces exigences
d'universalité qui semblent violemment incompatibles)!
y a-t-il un l'espect des valeurs saH~ massacre d'autl'es
valeul's?

2. UNE FAUSSE SOLUTION ; LA FIDÉLITÉ PASSIONNELLE.

On hésite a y voir meme un essai de solution, cal' la


passion en est plutot le refus. e'est une jidélité exclusive,
refuse la conciliation universelle. La passion, ce
sel'ait Josué arretant le soleil et délaissant le combat
pour adorer rastre devenu immobile.
nÉFLEXIONS SUR LA FIDÉI,ITÉ

deux formes:
d' une d' é/re
réalisée et contl'e les 10Ís
inexorables de C'est la
banale.
b) elle aussi elre nous rive a une
forme d' e/re irl'éalisée, tel
l'aUlOur
n'a
moins ne trouver ce contacto
Dans les deux cas, la les objets étrange1'S
a sa visée; elle meme son objeto cal' elle est une
éternité une anti.cipation fautive de l'absolu.
Les différentes passions 80nt une révolte contre l'espace
et le grace a je vrux accompli1' une
symbiose : etre toujours avec l'objet de ma passion,
pres de poul' l'aimer ou le hall' ou l'anéantil' ... mais
etre toujours lié a lui et lui a moL Le désil' absolu de
symbiose est de l' élan fidele, mais ici on
veut le satisfaire sans passer par autre chose que ce
désir meme et c'est tout le drame. Le passionné n'entend
pas consulter « l'autre)), attendre S:l grace; il
de Dieu si c'est la passion pOUi' un dieu.
Des 101's, la échoue et est meme toujours
un peu ridicule dans l'échec parce qu'elle était grande
dans son élan. de J'absolu par la vie,
c'est l'acte passionné et « violent » de la vie, l'int1'usion
en elle de l'esprit au niveau et sous la forme de déchaine-
ment vital. D'ou l'impatience, la paralysie et l'encom-
brement accompagnent la fidélité passionnelle. T
anticipation est caricature, elle prétend faire équi-
valoi1' l'émotion éternisée a une action et
nous dispenser de celle-ci par ceHe-la
ORGANISATION PSYGHOLOGIQUE DE LA FIDÉLlTÉ

,
- CARACTERE GÉNÉRAJL DE ORGl.. N"J[SATION PSYCHOLO-
GIQUE DE LA FIDÉUTÉ.

La véritable de la
donc par une autre méthode que
nelle. Elle sera un de
Non seulement il faut trouver moyen de remonter 1eurs
courants mais il faut les utiliser l'un contre
l'autre : concentration spatiale contre
concentration temporelle contre
tia1e.
n ne s'agit plus de supprimer la nécessité naturelle
et par conséquent de vouloir supprimer l'espace ou
abolir le comme ferait la passion, ce serait
incompatible avec l'existence dans ce monde et avec
l'reuvre de l'esprit dans la nature. n s'agit plutOt de
sauver l'espace et le temps, de les convertir au service
de l'esprit autant que c'est possible, soit par aména-
gement direct, soit par aménagement indirecto La fidélité
est spatiale, paree qu'elle a besoin de prouver par une
manifestation sensible son propos intime; elle est histo-
rique surtout et, pour s'affirmer, ne peut se passer du
temps. eomme le disait saint Thomas, la constance est
une victolre sur les obstades extérieurs, la persévérance
est une victoire sur le temps lui-meme. 01', ce sont
précisément les deux aspects de la fidélité qui corres-
pondent a l'espace et au temps.
4. - L'AMÉNAGEMENT DIRECT DE L'ESPACE ET DU TEMPS
A
SE FAIT PAR LA DISTRIBUTION DES TACHES.

La fidélité essaie ainsi de se donner des pourcentages


de présence qui correspondent a ses objets préférés. Elle
s'efforce en outre, d'une maniere générale, de gagner du
temps et de diminuer les distances pour y loger le plus
grand nombre possible de causes.
nÉFLEXIONR SUR Flmh,IT¡:;

Dans eeUe derniere actiü.n


ment intéressaníe a étudier. L'un des buís des techni-
ques, le les dis-
tances. n ne
s'accompag'ne Les moyens de communica-
tíon, les reeords de vitesse, la concentration de la
planete - fout ce que se a mettre en évidence le
P. Teilhard de Chardin - est évidemment destiné a
provoquer, comme il le montre, un resserrement des
consciences humaines dans une sorte de foyer Ol! la
distan ce géographique est vaincue et oi! les distan ces qui
restent possibles ne 80nt plus que morales. n y a une
dispersion croissante des humains qni est Iiée a Ieur
multiplication sur la terre; mais iI y a, en sens inverse
et simultané, une amp1ification de la présence perQue
grace aux techniques. L'absence est vaincue ici moins
par des moyens moraux que dans l'ordre physique ou
ene s'était produite. n faut vaincre l'espace directement
dans l'espace meme, c'est-a-dire le rendre transmetteur.
de présence alors qu'il dispersait de prime abord les
consciences. On s'y emploie d'ailleurs par la rus e assez
souvent : ce qu'on se procure, c'est un filon de présence
physique, qui suflit a la reconstruction mentale : lettres,
téléphone, télévision ne nous donnent pas la présence
tolale de l'etre physique d'autrui, mais ce grace a quoi.
nous sommes assurés de sa proximité mentale. Il y a la
un mystere de la perception que les psychologues sont
unanimes a noter, mais que les philosophes n'ont pas
suflisamment exploré. Ce n'est pas seulement le passage
de la partie au tout qui s'accomplit, mais la régéné-
rescence de la matiere par l'esprit sans que l'esprit
puisse cependant se passer d'un apport matériel míni-
mum.
Enfin, en taní qu'il s'agit d'un effort technique pour
ORGANISATION PSYCnOLOGIQUE DE LA FIDÉLlTl~ 71:

de
dans l'élan de la clvilisation humaine une ouverture a
de un besoin obscur de totalité
inclusive tout a fait contra1re a la fermeture de la
sur un petit nombre ¿'etres privilégiés. Chacun de nous
esi invité a avoir plus d'amis que jamais, a ne pas
s 'enfermer dan s un cercle étroit de relations ... En ce sens,
le progres technique universalise la conscience.
Dans le temps, l'aménagement de la fidélité et de ses
s'accomplit aussi par une répartition des taches.
On se faH un emploi du temps, c'est-a-dire qu'on classe
les objets de fidélité d'apres leur importance et qu'on
accorde en principe aux plus importants le plus de
De telle heure a telle heure, je consacre mon
temps a mon corps, a mon esprit, a mes amis, a ma
famille, a ma profession, etc ... Chaque etre doit recevoir
la quantité et la qualité d'action qui correspondent a sa
place dans l'ensemble de mes obligations de fidélité.
Je donne beaucoup a l'un, peu a 1'autre, paree que
l' ordre de mes valeurs semble l' exiger.
« Cuique suum ... )) Les etres que j'aime vraiment, je
trouverai toujours le temps de leur consacrer du temps.
S'excuser d'avoi1' tardé a répondre a une leUre ou
d'avoir négligé de faire une visite, n'est-ce pas di re
équivalemment a aut1'ui: vous n'etes pas pour moi
l'essentieI, vous venez seulement en seconde ou en troi-
sieme u1'gence... Aussi, les excuses sont-elles 1'essenties
comme de mauvais prétextes par les proches pa1'ents et
les amis intimes. Les amoureux y discernent meme ave e
angoisse le signe avant-coureu1' d'nne désaffection. Un
test théoriquement simple serait le suivant : si quelqu'un
savalt qu'il a seulement une minute de vie, a qui et a
quoi penserait-ilP Henri IV répondait que son avant-
derniere pensée irait a sa maltresse et sa de1'niere a Dieu.
RÉFLEXIONS SUR LA FIDÉUTÉ

Le propos était mÍ-sérieux ma18 la


est terrible.
Et elle est test ne vaut rien.
Cal' au moment personne ne songe a ce
lui tient le plus a camI'. Dans un accident on
ne pense d'ordinail"e qu'a trouver UIle issue el non pas
a se remémorer sa fanlille ou a faire un acte de contri-
tion. Le soldat qni meurt en faisant sauter un pont
ponr sauver une armée sera attentif a la meche qu'il
doit aHume!', non a l'armée que son geste aura sauvée.
Ainsi la vie impose ce paradoxe que l'on ne penser
a la valeur pour laquelle on meurt.
A plus forte raison sera-t-on distrait de l'essentiel
quand il n'y a pas urgence. Je suis obligé de donner
la plus grande partie de mon temps a des choses et
a des etres qui ne sont pas pour moi ce y a de plus
important. La nécessité naturelle a meme d'ordinaire
un bareme inversement proportionnel au souhait de
l'esprit. Celui-ci se promet souvent de compenser l'en-
combrement de son « espace présent)) par le souvenir
secret des « absents )); c' est-a -dire qu' on se réfugie dans
le temps pour échapper aux esclavages de l'espace. Plus
précisément, puisqu'on ne peut accorder une place a
l'objet de la fidélité dans les gestes visibles que ron est
en train de faire, on honore eet objet dans le fond de
son eceur tout en faisant des gestes qui lui sont étran-
gers. CeHe re traite au fond du cceur, ce secret,
e'est ce qu'on peut appeler une évasion de l'espace et
un refuge dans le temps. Mais le temps n'est pas un
refuge sur. n est lui aussi réclamé par les ennemis de
la fidélité et vendu a eux pour que nous puissions vivre.
Ses exigences sont loin de répondre a nos préférenees
personnelles. Si au total nous aeeeptons la répartition
des taches que HOUS conseille l'utilité biologique, c'est
ORGANISATION PSYCHOLOGIQUE DE LA FmÉLITÉ

paree qu 'entre deux maux il faut choisir le moindre el


nous par El des travaux insi~
huit heures par , nous sauvons encore mieux
nos préférenees au long eour,; que si nous faisions
autrement. Nous eonsidérons done en ce cas nos oeeupa-
tions eomme un moyen pour une - nos esclavages
comme un instrument de relative liberté. Mais e'est a
coup súr un pis-aller : le moyen de boueher le but
et d'en détourner; l'esclavage n'est ceries pas la méthode
revée de libération.
Si done on ne pouvait etre fidele et le montrer que
le nombre d'heures ou de gestes consacré a un
objet de fidélité, si ron ne pouvait se servir du temps
que par un remplissage direct, il faudrait conclure a un
échec rapide et considérable de nos vceux les plus pro-
fonds. Personne !le peut faire cOIncider son horaire et
ses valeurs, malgré les progres techniques et les efforts
méíhodiques pour le raccourcissement des distances et
l'aménagement du temps. Mais nous n'abandonnons pas,
semble-t-il, la volonté de faire reculer au maximum les
limites du possible puisque tout le progres technique est
une luIte contre la dispersion spatiale et une « lutte contre
la montre ».

5. - LA FIDÉLITÉ RECOURT SURTOUT A UN AMÉNAGEMENT


INDIRECT DES PRÉSENCES.

Elle le faH par une série de procédés dont voici quel-


ques exemples :
a) Compensation en qualité des pertes spatio-tempo-
relles. Ainsi l'artisan dira a un client qui est un ami:
« Je soignerai votre commande », c'est-a-dire: je ne
peux vous donner en quantité plus qu'aux autres clients,
je ne peux vous faire de cadeau (il me faut vivre et le
c'est de l'argent); mais je ferai un effort spécial
d'aUention
prouver mon de me souvenir fidelement
que vous eles un ami. un enfant ne
aller voir ses souvent, cherchera du moins a
etre aussi aimabJe et généreux que possible pendant son
séjour ehez eux. n raehetera en qualité la quantité qu'il
ne peut donner et ne Cludra pas que son sentiment soH
jugé d'apres le nombre de jours ou d'heures re8-
treint ou il peut s'exprimer.
b) Inveniion d'iniensités oa qualités symboliques. Ce
eas differe du préeédent paree qu'on ne se contente pas
des formes expressives ordinaires, on en erée de no u-
velles, affeetées nommément aux objets de la fidélité.
Ainsi en est-il de t.outes les fetes, iustituées « pour que
ga marque ». On ne peut faire tout; on fait done peu de
ehose par rapport a l'infini du vceu, mais on veut que
ce peu de chose soit a part, qu'il devienne dépositaire
de l'infini. Aussi ce peu de ehose, par sa destination
meme, doit-il apparaltre eomme un luxe; il doit etre
disproportionné ou ne pas etre. Nous sommes ieí dans
la eatégorie du eadeau, ave e toutes ses variations, depuis
le eadeau utile jusqu'a eelui qui ne l'est presque plus.
JI y a ainsi une sorte de liturgie deg fidélités, avee ses
doubles de Ir. c1asse, ses semi-doubles et ses simples ...
La liturgie meme est une invention de fidélités ordon-
nées, de eadeaux ou offrandes faites a Dieu et aux saints,
afin qu'aueun aspeet ne soít négligé. Et dans le temps
ordinaire se des sine done eomme une broderie le temps
liturgique, partiel et luxueux a la fois par rapport au
temps profane. Celui-ei, du point de vue de la dévotion,
risquera meme de paraitre un temps perdu.
Pour en res ter a des exemples simples, la fidélité
amieale et interhumaine du eadeau signifiera qu'on se
souvient paree qu'on veut faire plaisir : un plaisir double,
ORGANISATION PSYCHOLOGIQUE DE LA FmÉUTÉ

la fois l!1at6rieHc du
récurrcncc du sentiment dc flue
ce cadeau une bolte de
choco1ats , c'est par suite
inventer un sur une analogie : la
du cacleau est expressive de qualilés ou de nuances
clan s la fidélité de le des
codifié en certains cas, p. ex. dans le
; mais ce est le plus curieux dans celte
c'cst que je mets ma présence dans le cadeau,
une présence dé tachable, expédiée par la poste et
est moi encore. J'ai expédié le chocolat par la poste:
je suis un bon fils, un bon parrain. un bon ami. J'ai
fai t mon devoir.
c) Im'enlion de purs symboles. Dans cette catégo1'ie-
limite, nous pouvons placer les offrandes inutBes, les
cadeaux délestés de toute matérialité : protestations ver-
bales, vc:eux de nouvel an ou de fetc. De nouveau, c'est
vers un systeme que tend a évolue1' la série des manifes-
tations de ce genre. Nous constatons comme tout a
l'heure la tendance institutionnelle et rituelle des expres-
sions de la fidélité, qui forment un monde a part, avec
Jeur rythme propre. Ce monde est fait des maquettes que
nos gestes réels ne peuvent exécute1'. Je ne peux vivre
effectivement ponr vous, ou meme tout simplement aller
vous dire honjour. Mais voici ma Christmas card : elle
ost le sacrement de ma présence; elle atteste que je pen-
serais toujours a vous si je le pouvais; puisqu'elle couvre
toute la distan ce de temps qui s'étend d'un Noel a
1'aut1'e, elle atteste meme que d'uIIe certaine maniere
je pense toujours a vous, en elle et grace a elle, puis-
qu'elle demeure.
Un symbolisme de ce genre est encore plus frappant
dans le cierge qui brtde ou la veilleuse allumée devant
RÉFLEXIONS SUR LA FWÉLITÉ

sainte, dans la couronne de


avec les lTIots : (\
en f:ice d'un autre
je
fleurs devant la je la
couronne sur le tombeau... doublement
abstrait : c'est une 8LioSUrance de s'adresse
;l une assurance de il y a des deux
catés. On pour rendre durable cette co-présence
symbolique et en faire un monde a est censé
subsister que nous vaquons, l'esprit aux
affaires de chaque jour.
d) Recours a des substituts chargés d'exécuíer la tache
symbolique. Ces agents peuvent etre vivants ou automa-
tiques. Mais le légat sera d'autant plus expressif de
fidélité réelle qu'il sera vivant et de celui quí
délegue. Ainsi le mari charge sa femme d'écrire a
la famille parce qu'il esí trop occupé est moins désinvolte
que celuí recourt El son secrétaire. A plus forte
raison sera-t-on offusqué s'il se conlente d'envoyer sa
carte ou une circulaire ou s 'il charge une fois PQur
toutes sa banque d'expédier des étrennes a date fixe El tel
ou tel protégé. Le substituí automatique est un alibi :
on le reS8ent déja - et peut-etre a tort - quand la leUre
d'un ami est tapée par lui a la machine au lieu d'etre
entierement de sa main ... Le comble arrive quand non
seulement le geste est en dehors, transfusé dans un
appareil extérieur a la conscience, mais quand n· faut
que le bénéficiaire le déclenche lui-meme : tout se passe
alors comme le renouvellement des abonnements a un
journal, qui suppose plus souvent la vigilance du tréso-
riel' que l'aftachement de l'abonné.
ORGANISATION PSYCHOLOGI(HJE DE LA FIDÉUTÉ 77

6, - mSTRIBUTION DES PIDÉLITÉS SE PAIT EN OUTRE


SUR IlIFFÉRENTS PLANS.

nous avons considéré


de la fidélité comme un efíort pour conci-
ller dans un meme ensemble un certain nombre de
désirs ou de valeurs. Mais l'encombrement menace vite
la meme si elle recourt aux indi-
rects de la symbollsation. Aussi essaiera-t-elle de consti-
tuer des ensembles el non un ensemble. C'est ce
a l'invention des de fidélité,
Grace a eux les rivalités s'apaisent, les jalousie8 sont
Je distingue les sentimen ts ou les dévoue-
ments qui me sollicitent en les rapportant a des univers
distincts. Je me refuse a les additionner ou a les sous-
traire, je déclare que ceHc opération n'a pas de sens. Je
vous aime sur le plan de la parenté, _ .. de l'amour - de
l'amitié, etc ... Je refuse de comparer; les intensités sont
théoriquement illimitées sans heurt p08sible. Et je
redistribue dans chaque catégorie le monde de mes
objets de valeur selon le procédé signalé au paragraphe
précédent : dans le monde de la parenté, ma mere vient
avant mes cousins, etc ... J'ai des ami s intimes auxquels
je manifeste plus souvent ma présence qu'aux ami s
plus lointains, etc ... Mais une mere ou un cousin n'ont
pas a etre comparés avec une épouse ou un ami. Ce
sont des mondes différents. n faut bien comprendre
ne s'agit plus d'une distribution partielle : le fait meme
que ces différents plans 80nt incomparables lem donne
la possibilité (théorique) d'etre chacun un plan de fidélité
tolale. Ce n'est pas seulement la famille qui est ainsi
conciliée avec l'amour électiJ. La coexistence paisible
des absolus essaie d'aller jusqu'a la relation interper-
sonneHe la plus relative en apparence : la relation pro-
SUR LA

surLout
pou!' un dévouement
sacrifice de la vie le
le médecin) ou enl,raluanl une de
confidence totale (le directeur de conscience, l' éduca-
teur). Bref, i1 y a tentative : a) de multiplier les
b) de lem Iais:sel' il. un caractere Lotal
a sa maniere, cal' le heurl de ce," totalités est rendu
impossible par une convention initiale. Des conflit
se on le conjure par la création d'un spécial.
Le glis§ement le plus curieux est celui de l'amour a
l'amitié. La femme honnete qui éconduit un amoureux
paree qu'elle ne peut ou ne veut l'aimer, luí dit assez
souvent et parfois avec sincérité : « Nous serons amis,
profondément amis, mais ... ». Dans cet exemple, nous
voyons meme que la fidélité (et la réciprocíté) essaient
de subsíster le plus longtemps possible ~mtre humains,
le plan de J'un s'adaptant il. un plan différent de l'autre
de fayon a éviter la rupture et a garder tout de meme
une transparence totale, une sorte de don plénier des
consciences. Ce trait (meme s'il désespere ou irrite
l'amoureux éconduít) est en soí touchanl. La conscience,
par ces procédés, tend a aimer beaucoup d' etres,a leur
faire a chacun une place centrale, sans tomber dans
des situations impossibles a maintenir. Elle évite l'erreur
de Don Juan, guí ne résout pas le probleme, puisqu'il
est vi te encombré et doít lacher ses conquetes précé-
dentes, les forces humaines ayant des limites.
Nous constatons, en bref, l'ingéniosité avec laquelle
la distinclion des plans de fidélité essaie de résoudre le
probleme de l'amour universel. n y a toujours moyen
d'ajouter une catégorie nouvelle ponr accueillir sans
saturation de nouveaux attachement~. Les pauvres, les
ORGANISAnON PSYCHOLOGI(jUE 79
etc.
geure et sans
des éléments en cause.
A de ce moment, est
mentaL Le « )) de fidélité est une création pure de
l'esp1'it, ir n'a pas cette base sensible quí était encore
nécessai1'e a l'invention du cadeau, par exemple, au
moins lorsque le cadeau n'était pas devenu pu1'ement
rituel ou symbolique. Le chateau intérieur la fidélité
devient des 101's aérien : iI est exposé a un danger grave,
de ne consister un édifice de mots. L~
salsme guette les sentiments qui s'aflinent. 11 est la
tentation de la vie spirituelle.

7. - L'OPÉRATION SE COMPLETE PAR LES INDICES DE


PROFONDEUR 9UI SONT ATTRIBUÉS AUX DIFFÉRENTS PLANS
DE FmÉLuÉ.

La solution préeédente suppose une distribution hori-


zontaJe des groupes de fidélilé dans la conscience. On
les compLe avee des nombres eardinaux, on refuse de
comparer un ordre de ildélité avee un autre; ils sont,
dit-on, sans eommune mesure. 01' il est clair qu'on ne
peut s'en tenir a ce propos, pour les raisons déja données
plus haut : exiguité du temps, exigences de la vie, et
peut-etre aussi parce qu'a la limite, l'essai d'absolutisme
plural n'est pas sérieux : c'est une évasion s'il réussit;
et c'est une hypocrisie s'il ne réussit pas. On as signe,
au moins dans certa.ins cas, un nombre ordinal a tel ou
tel groupe, on lui donne le droit de paraitre davantage
sur la scene de la conscience. C'est un retou!' au bareme
primitif : l'importance de la valeur correspond en prin-
cipe au degré de la conscience en entretient.
Seulement, il ne s' agit plus d' acles de conscience succes-
8ifs, mais de pl'ésences psychiques supeT'posées; les cou-
80 RÉFLEXIONS SUR LA FmÉUTÉ

ches de ne soni pas les


ressemblent a de l'in-
elles n'en sont pas. Ce enfauít au fond
de soí, c'est peut-etre ce a quoi l'on tient le
dispersion superficielle est
bio-sociale, mais la pudeur accepte ceHe díspersion
imprime a l'intimité un prix beaucoup Elle
vient au secours de ce ne
une plus-value. Le chateau intérieur n 'est
aérien, i1 est invisible, i1 se dérobe au regard.
Le type de langage inspiré par cette situation est alors
celui-ci : Je n'ai pas la possibilité de vous témoigner
mes sentiments comme je le voudrais, mais vous savez
que vous etes au fond de mon etre malgré tout. Les
devoirs quotidiens m'empechent de penser a vous sou-
vent, mais il reste la conscience profonde, vous y avez
autant de place que vous pouvez le souhaiter. - Et il est
certain que nous tenons enfouis au fond de nous des
choses et des etres qui sont essentiels pour nous, bien
que nous ne puissions plus nous en occuper ou ne
consentions plus a le faire. Ils sont devenus peut-etre
la trame canstitutive de notre etre et c'est pourquoi ils
sont si rarement l'objet d'une pemée distincte comme
les formes neuves maÍs encore étrangeres que nous
percevons. C'est ainsi que nous gardons en nous les idées
maltresses re<;ues de nos éducateurs et le souvenir meme
de ces éducateurs.
n
y aurait, bien entendu, des cas multiples a distin-
guer. Paríois - et c'est ce que nous venons de suggérer
- la présence est enfouie mais paisible et acceptée.
Aucun drame ne se produit ni en nous, ni avec personne
a ce sujet. D'autres fois, le drame est inévitable. Tantot
nous cherchons a oublier une présence qui ne nous
lache pas : nous voudrions recommencer notre vie a
ORGANISATION lPSYCnOLOGIQUE DE :LA J<'IDÉLITÉ 8r

mais nous 1'e8tons fidcle nous (ce n


pas seulemcnt nafre enfanee nous rcvienl par
c'esl aussi te11e ordonnance de la vie adulle
nous détermine et Hons hanle aH moment OÜ nous
eomplions nous en etre débarrassé). TantOt HOUS ehe1'-
ehon8 au eontraire a maintenir en nous une
qui s' évade et nous essayons de l' ancrer dans ce He
de nous-meme qui est la meilleure, la fidele, mais
aussi la plus d¡serete el la plus abandonnée par
I'attenlion superfieielle : « Vous savez bien qu'il ne faut
pas me juger sur de vaines apparences; vous savez
fond vous m'etes tres eher; rien n'a changé et ne ehan-
gera jamais, etc ... »
Tout ce brassage esl compliqué par le faH que la
conscience profonde ressemble a cerlains égards a l'in-
conscient, bien qu'elle en soit le pole opposé. Mais nous
avons la conviction bien fondée que la eonseienee claire
de notre etre banal ne peut définir la personne, cal' elle
est a mi-ehemin entre l'éclat dense de not1'e ame qui
nous éblouit el l'obseurité de l'íneonscient psychique
est a la périphérie de nous-meme. La clarté banale
de ]a eonseienee ordinaire n'atteint souvent de nous-
meme qu'une reglOn sans intéret: l'unpleasant self
dont parle Nettleship. La personnalité comporte une
eonseience du moi qui ne peut rester au centre de son
etre paree qu'elle doit se eonsiruire, se déplacer, se
rythmer grace a ses objels, done se déeentrer et se
déléguer dans une so1'te de non-moi relaiif.
Il est par suite tout a fait légitime de penser qu'une
fidélité profonde peut etre diserete et ne pas oecuper
l'avant-scene tapageuse 011 se reglent les bagatelles et 011
s'aceomplissent aussi les enfantiUages. Ce
s'étale dans l'avant-scene est agi et non agissant; les
vrais 1'essort8 sont caehés derriere, si bien que la vraie
6
RÉFLEXlONS SUR LA

fidélHé meme un cedain oubli de sudace, Ce


doit me falTe vine ne doit pas gener le déroulemenl de
ma vie. Aussi sommes-nous paríois substantielle-
ment présent dans nos « ames virtuelles)), comme dit
Et. Souriau, que dans notre ame apparemment réelle.
Néanmoins, qui ne voit le péril d'un pareil ensevelis-
sementP n expose f: un oubli effectif et 11 un coma
déJoyal du cGeur. Pour savoir ce qui en est des décIa-
rations officielles du moi, pour savoir s'il est ce qu'il
Cl'oit etre, jI faudra l'appui de certains signes. En voió
qui seront instructifs ;
l° L'épreuve de la durée. Si la mise en veilleuse n'es!
suivie d'aucune reviviscence du souvenir clair, c'est tout
de meme la preuve que la fidélité en cause est bien
morte, ou hien qu'un harrage anormal s'est interposé.
La psychanalyse a dit des choses décisives en particulier
sur le passé mal refoulé qui revient en trouhle-fete e~ se
travestit; mais tout ne se conserve pas et ce qui ne
remonte jamais finit par se dissoudre.
2° L'épreuve de la cohésion des attitudes. Si quelqu'un
est réellement fidele a une valenr, meme s'il n'y pense
jamais, il la respecte toujours. n ne fera rien contre
elle, quoi qu'il luí en collle. Cet hommage négatif est
le dernier signe qui en manifeste secretement la vitalité.
Mais on remar quera que certaines explosions de colere
ou de haine contre une valeur montrent qu'on n'a pu
totalement l'expulser de soi. Si ces animosités mani.
festent une infidélité grave et paríois perverse, elles sont
cependant moins rédhihitoires a certains égards que
1'indifférence.
3° L'épreuve du choco n y a des circonstances OU
l'équilibre de la vie psychique est rompu par suite d'un
danger, d'un changement de situation ou tout simple-
ment d'une honne place a prendre. Alors les masques
ORGANISATION PSYCnOLOGIQUE DE LA FIDlÉLITÉ 83

le fond de l' etre On voit ce que nous


valons el non pas ce que nous voudriol1S ou
etre. Ce fut le des camps de concen-
tration que de dénuder d'un seu] coup l'etre moral et de
laisser apparaitre les raisons de viv1'e effectives de
chacun. En dehors de ces dislocalions générales des
il y a des circonstances limitées OU nos
attachements p1'ofonds sont dircctement visés et atteints ;
ainsi une insulte contre un et1'e aimé, qui agit comme
un coup de stylet et touche nos cordes les sensibles.
Dans ce cas encore, véritable du sujet se trahit.
L'observateu1', dans le premier cas, sera renseigné grace
a une 1'upture massive des habitudes de comportement
el au désarroi qui s'ensuit. Dans le second cas, il pro-
fitera, au contraire, d'une sorte d'expérimentation limi-
tée, comme le serait une opération de chirurgie.

*
**
'Ious ces procédés ou subterfuges expérimentaux d~ la
nature prouvent que l'etre humain ne peut exécuter son
vam de fidélité avec les seuIes ressources de son ingénio-
si té privée. n n'e8t sans doute pas besoin d'une 10ngue
démonstration pour conclure : l' organisation psycholo-
gique ne suffit pas a assurer le développement intégral de
la fidéliié. L'individu doit chercher un secours contre
lui-meme; il lui manque un garde-fou contre ses défail-
lances et meme ceHes-ci ne sont-e11e8 souvent ni évita-
bIes, ni coupables. C'est pourquoi il essaiera de trouver
un appui au dehors el spécialement un soutien social.
n proférera sa promesse, il la soumettra a l'analyse,
au controle et aux sanctions de ses semblables. Il se fera
des auxiliaires sociaux non seulement pour exprimer sa
fidélité, mais pour la consolider et la fixer dans une
structure quasi matérielle.
CHAPlTRE V

LES AUXILIAIRES SOCIAUX DE LA


FlDELE

Dans le chapitre précédent, nous n'avons pas parlé


de l'organisation de la fidélité d'autrui, cal' il cst trop
évident qu'au point de yue psychologique elle nous
échappe la plupart du temps. Nous n'avons que trois
moyens de l'obtenir :
l° La contrainte extérieure; mais elle détruit ce que
nOU8 cherchon8, a savoir un libre hommage, et elle
contredit donc l'élan spirituel de la fidélité.
2° La technique de la séduction; mais elle est faci-
lement immorale et rejoint alors la contrainte sous forme
de ruse.
3° La force de l'exemple qui suscite et maintient une
adhésion aimante; mais non s abandonnons alors tout
calcul et n'avons plus affaire a un (\ moyen )). En outre,
l'exemple est onéreux, et son rayonnement reste incer-
tain.
n faudrait donc trouver autre chose pour prolonger
le vreu de fidélité dans un groupe humain. C'est la
80urce sans doute, ou du moins l'une des sources de
l'organisation sociale de la fidélité, en particulier de son
organisation juridiqne par la loi, c'est-a-dire par une
intériorisation de la contrainte qui en change l'esprit
84
A UXILIAIRES SOCIAUX DE J"A VOLONTÉ FIDELE 85

'elle élablit un de droils les indi~


viclns. La est ainsi médial.riee entre la el,
l'amonI'. Elle sembie résoudre le
Une antre source de l'organisalion sociaJe esl la néces.
sité de rendre moins précaire l'Or¡2'allisation psycholo-
gique de la ji,délité aalLirui. De nouveau, c'es!. l'inven-
tion de la loi sauver le mieux la visée
morale. Car le systeme de droits qu'établit la loi est
par son antre face un systeme de devoirs : ce nous
protege contre les défaillances d' autrui nous protege du
meme coup contre les notres. La justice objec~ivée dans
le réseau des obligations el des sanctions légales est done
médiatrice entre la faiblesse et la perfeetion; elle nous
stabilise et HOUS donne enfin une personnalité prévisible,
une logique de eomportement dont nous ne serions
peut-etre pas capable sans elle.
Dans la mesure 01'1 le slatut juridique engendre ou
favorise un rnonde de contrats, il donne a l'organisation
sociale de la fidéJité son expression la plus adéquate, La
promesse proférée a une affinité immédiate pou!' le
contrat; elle s'y prolonge el y acquiert sa solidité. C'est
dire quel sera le centre de nolre investigation dans ce
chapitre 1.
Mais l'inlervention d'un tel auxiliaire modifie brus-
quement la situalion analysée jusc¡u'a présent. Nous
voici maintenant dans un domaine de droit qui a ses
fins a lui. Des déviations el des contrefa<;ons nous
1. Nous laisserons de coté l'examen dcs traditions ou cou-
tumes qui sont la forme « communautairc )J de la loi, plus cha~
leureuse et vécue que sa forme « sociétaire Jl. Le secours que
la volonté [¡dele tire de la Gemeinschaft n'est pas négligeable,
mais nous I 'avons signalé el. le signalerons achaque instant dan s
le cours de notre étudc. Il parait indispensable en re van che de
traiter a parí le rapport artificiel el rationnel de la Gesellscha¡t
rlans le contrat.
86 RÉFLEXIONS SUR LA FIDÉLITÉ

Nous pouvons reeourir par devoir mais


anssi ponr tourner le devoir. Nous pouvons de
la fidélité morale dans la cOllsLance c'est-a-dire
les devoirs et les droits spirituels pour vivre dans
un tout antre régime qui esi celui des devoirs et des
droits selon le code. On arrive en particulier a cette
diffieulté que l' des peut etre animé de
désirs moralement eontraires a eeux de l'autre et que
la soumission au droit devient ambigue. Ne va-t-elle
meme pas tuer la vraie fielélitéP OIl n'établit un regle-
ment que si l'amour ele l'orelre est en baisse; on ne
s'engage par écrit ou elevant témoins que si l'on est
traitre en puissanee. Toute transeription jurielique ele
la fielélilé est done ele nature équivoque : elle est signe
d'une eorruption aussi souvent que d'une eroissanee.
La question est done eelle-ei : elans quelle mesure les
auxiliaires soeiaux de la fidélité pourront-ils aider la
fidélité morale P Dans quelle mesure la laisseront-ils insa-
tisfaite, indépendamment meme des utilisations perverses
auxquelJes nous venons de faire allusion P VoBa ce que
nous examinerons sur un exemple, limité mais privi-
Jégié : eelui du contrato

l. - ANATOMIE DU CONTRAT.

Nous ne définirons pas le contrat « un engagement


réciproque )), ce qui serait imprécis et ambigu, mais
plutOt, eomme le faít le Code civil: « une conventiol1
par laquelle une ou plusieurs personnes s'engagent envers
une ou plnsieurs antres a donner, a faire ou a ne pas
faire quelqne ehose )J. On peut eneore dire : « l'acte par
lequel une pe1'sonne donne a une autre droit sur son
opération )) 1. Le eontrat le plus earactéristique est évi-
I. Code civil, titre nI, LIOI. J. DEFROIDMONT, La science da
droit positif. Paris 1033, p. 288.
AUXILIAIRES SOCIAUX DE LA VOLONTÉ FIDELE

distinguer
a) Des contrats onéreux et bilatéraux (synallagmati-
ques), qui se subdivisent eux-memes en contrats nommés
(vente, louag'e) et innommés (d'une des quatre classes :
do ut do ut facias, facio ut des, ut
facias) .
b) Des contrats gratuits et unilatéraux (promesse,
donation).
Cela dit, on remar quera les points suivants :
l° Tout contrat suppose deux consciences ou deux
gl'oupes de conscience qui s'unissent 1. A cet égard, il est
certainement disposé a servir l'engagement moral,
puisque la valorisation du moi est lié e si souvent, comme
nous l'avons vu, a une réciprocité eles consciences. Le
contrat implique une complémentarité eles personnes et
une libre initiative qui reconnalt ce He complémentarité,
JI appartient done bien a la volonté de rendre plus large
el plus durable la fidélité ele chacun.
2° Mais tout contrat est un moyen. Il est tres impor-
tant de constater qu'il est tout entier dans la zone des
moyens et jamais dans celle des fins. n ne peut donc
exprimer tout l' ordre ele la fielélité et il peut etre utilisé
en eles sens moralement opposés.
3° C'est elire 11 peu pres la meme ch0se que d'affirmer
son caractere conditionnel. n 1'est en ele multiples sens :
el'abord parce qu'il est souvent temporaire : apres l'exé-
cution des clauses, iI se détruit; ensuite, paree que les
obligations des clauses s'enchalnent (surtout dans le
contrat bilatéral d'acheteur et de vendeur : je paie a la

L Au moins par des délégués ou une majorité, dans le cas du


contrat collectif.
88 l'\~FLE:XWNS SUR LA FIDÉLITlÍ

livraison de la trente
d'avance ... 8elon
paree
eas
4° C'est un iransfel't d'avoir. Toujours il y a un objet
a transférer dans un eontrat: quelque ehose qui se
délaehe des vouloirs et est face a eux comme un fait
de nature, ne serait-ee que paree faut objeetiver
le don de soj dans une parole ou un aspect limité. de
soi -meme ex. dans une promesse de mariag'e).
Ce n'esl pas fatalement un échange d'avoirs récipro-
ques (nous l'avons dit en eommenyant) ni un troe (dans
la vente avee prix, il y a référenee a une tieree ehose, le
prix affieiel, la monnaie ... ). La variété des contrats est
innombrable an moins dans son contenu puisqu'elJe peut
recouvrir tant d'objets naturels. Mais il y a dans la forme
quelque chose de eommun, qui est un avoir el son
transferí, plulot qU'Ull etre pur; une ehose et non un
geste purement personnel.
5° Le eonlrat se faít avec gage. Ce n'esl pas seulement
son contenu qui e8t une chose ou comporte une chose;
c'est encore le gage qui s'élablit a eoté de la personne,
meme 8'i1 en procede. Au minimum, ce gage, e'est ma
paroJe dans le eontrat privé (( Vous avez ma parole ... ))).
Plus généralement, e'est :
a) Tantot un acompte;
b) TalltOt un enjeu Ol! une quoLe-part d'enjeu (dans
les eontrats aléatoires : jeu, assuranee, rente víagere);
e) TanLot une eompensatíon pour le eas de défaillanee
(gage en vue de (( saisie )), Mont-de-Piété).
Dans tous les eas, le gage exprime symboliquement
mon vouloir - e'est-a-dire l'avenir dans le présent. Mais
rnon vouJoir, sinon mon aele extérieur a venir, ne peut
jamais s'exprimer dans le gage que de fayon imparfaite ;
AUXILIAIRES SOCIAUX DE LA VOLONTÉ FIDELE

en ce sens, tout gage es! done et a natU1'8

6° Un tres du gage, c' est la clause


des sanctions qu'on peut prévoir en cas de défaillance
coupable du contractant. Dans le contrat cette
clause prend une place considérable.
7° on peut dire que le contrat est devant
une auiorité. C'est évident dans le contrat puhEc, pour
lequel iI faut la présence d'un fonctionnaire, d'un man-
dataire et d'un dépositaire, sous l'égide d'une législation
et avec un acte authen tique. C' est encore vrai dans le
contrat privé: chacundes contractants y est autorité
pour l'autre, ou plus exactement est témoin de ]'autre
devant un tiers fictif qui a aulorité et qui est l'ordre
meme, quasi impersonnel, de la conscience ou de la
justice. Ainsi les contractants se dédoublent-ils et s' effa-
cent-ils ensemble devant la majestéde l'idée commune.
Cette idée n'est cependant pas un Dieu vivant, ou du
moins ne 1'est plus dans le monde lalcisé d'aujourd'hui.
Les attaches du contrat avec une divinité qui le fonde
ou le surveille semblent s'etre dissoutes dans beaucoup
de cas et dans la mesure meme OU les pouvoirs pubIics
sont intervenus dans le contrat 1. La ou elles demeurent
(par exemple dans le mariage religieux), le contrat est
beaucoup plus qu'un contrato

l. La loi des XII Tables chez les Romains marque le passag'e


du droit juré et sacré (jllsjurandum) au droit régi par la loi et
les sanctions juridiques (jus). Voir les remarques d'A. MAGDE'
LAIN. Essai SUI' les origines de la sponsio.: Paris, I943, pp. 15fl,
185, 209. Il est vrai que les causes profondes du changoment no
venaient pas ordinairement de 1'Etat lui-meme. En Grece, notam-
mcnt, si I'on en croit Huvelin, c'cst le commerce qui a dégagé
tres tot le contrat de son appareil magique ou religieux.
90 B.ÉFLEXIONS SUR LA

2. - IMPUISSANCE J)U CONTRAT A CONSOLWER PARFAITE-


MENT LA CONSCIENCE QUI S'ENGAGE MOB.ALEl\IENT.

Le droit coníractuel essaie de projeter la fidélité dans


une détermination extérieure qui la conserve el la pro.
tegeo Il est médiateur entre la force de la nature et la
sainteté de la volonté fidele, mais ne réussit pas a traduire
au dehors tout l'élan cal' le contrat est grevé
de conditions multiples.
ID Précal'ité de fait du contrato Ecartons tout de
suite le cas de la lésion dans la genese du contrat, qui
évidemment pouna le rendre nul (art. I674 du Code
civil). n reste que rationnellement l' obligation cesse :
quand les clauses sont exécutées; quand il y a violation
par autrui (dénonciation des traités, résiliations, resci-
sions diverses ... ); quand des circonstances importantes
ont changé : pacta sunt servanda REBUS SIC STANTIBUS.
Le premier cas ne donne pas lieu a discussion. Le
deuxieme déja n'est pas entierement clair si l'on quitte
le point de vue strictement juridique (suis-je dispensé par
exemple d'etre fidele a un ami si celui-ci me devient
infidele ou déloyalP Meme d'ailleurs au point de vue
juridique, la 10i autorise-t-elle l'adultere d'un époux sous
prétexte que son conjoint en a été coupable le premier P
Non, sans doute, et c'est une prenve de plus que le
mariage est au fond autre chose qu'un contrat ordinaire).
Mais c'est le troisieme cas qui est imprécis et dange-
reux. Sans la clausule rebus sic stantibus, il n'y a pas de
contrat; avec cette clausule, le contrat durera-t-il encore
longtemps P Le juriste voudrait pouvoir supprimer la
clausule; mais la vie l'introduit ou la réintroduit fatale-
ment. Tout l'ordre contractuel est fait pour limiter le ris-
que, mais il reste lui-meme soumis au risgue, quand bien
meme la bonne volonté des contractants serait entiere.
AUXILIAIRES SOCIAUX DE LA VOLONTÉ FlDELE \)1

Le cas de force ou de circonstances forlui Les


148 du a contraint le El
admeUre eles délais d'exécution 1
Les guerres récentes out eu, par ~,uite des bouJeverse-
ments qu'elles ont entrainés, une conséqnence bien
nette : la multiplication des moratoires, En jurisprudence
administrative, OH en ~st venu [l ten ir compte de
en plus de l'imprévision; certains ~ervices pubIics ont
été antorisés a relever 1eurs tarifs malgré des engage-
ments antérieurs. n y a sans doute encore des hésita-
tions : la S. N. C. F. par exemple ne surimpose pas de
taxes aux cartes de demi-tarif quand elle augmente entre
temps le prix des biUets. Mais en regle générale, tout
se passe comme si l' on admettait ,a co té de la lésion
dans la genese des contrats, une lésion dan8 l'exécution
qui aurait les memes effets; ou plus exactement, comme
si l'on voulait éliminer le risque du contrat. Des que
ce risque apparalt, le contrat est dénoncé ...
On voit entre queIs dangers inverses navigue la société
moderne : ou bien maintenir coute que coúte le contrat
primitif et en périr, ou bien établir une 80rte d'échelle
mobile ave e révisions incessantes qui introduit l'anarchie
et finalement ne profite qu 'a la mauvaise foi des féodaux.
Des qu'une secousse profonde (telle la guerre) renel
impossible de 8'en tenir a la premiere attitude, on risque
de passer a l'autre extreme, ce qui e8t une loi étrange
des paroxysmes en matiere de fielélité. Il semble qu' en
ces questions-lil., l'adaptation équilibrée soit extreme-
ment ditliciJe.
L'anarchie entl'alne la tyrannie. Pour sortir d'embarras,
ce n'est pas le bon sens et la mesure qui se présentent,
mais le dirigisme coniraciuel. n s'appuie sur le recours
a l'équité dans l'interprétation des volontés contractantes
(art. II35) mais l'Eta~ en es!, venu a preter a celles-ci
RÉFLEXIONS SUR LA I,'mÉUTÉ

del' « effets )) d'elles, p. . nous sommes


tenus pour de la sécurité des gens que nOU8
ou des clicnts que nous accueillons 1 L' es~or
de ce dirigisme met tout le monde d'accol'cl par la
tyrannie, mais i1 prouve que les contrats ne peuvent
impunément s'écarter de l'intéret général el qu'ils
exigent un el" l'indivídu a des insH-
tutions ..
En apparence, certes, le conlrat se heurte a l'institu-
tion, c'est-a-dire a un organisme juridiquement considéré
de structure autoritaire et réalisant un~ ídée sociale -
ou si l'on préfere, groupant des intérCts. On a pu étudier
le rapport Du Statut au Controt pour montrer que l'insti-
tution précede et engendre l'ordl'e contractuel, si bien
que le contrat ne dcvrait pas etre considéré comme « une
invention de l'individualisme juridique )) mais « comme
une institution objective )) (teHes sont les exp1'essions de
Davy dans La Fui jUl'ée). Mais l'o1'dre cont1'actuel, a son
tour, tend ve1's l'institution el crée l'institution sous une
forme de plus en plus variée qu' ignorait la structure
spontanée de la communauté primitive. Qu'on song'e
a la multitude des groupements ou mécanismes dus a la
civilisation et qui ont modifié les statuts naturcls (insti-
tutions-personnes tclles que les corps constitués suppo-
sant des groupes permanents de membres ou telles que
les simples établissements- par exemple un hopital -
qui n'on! pas ce groupe permanent pour perpétuer la
fondatiQn; - instítutions-choses que sont les assu-
rances sociales, les casiers judiciaires, etc.).
Institutions et contrats sont des contraires quí ne
peuvent se passer l'un de l'autre et conduisent l'un a

I. Voir sur ces points J. LUCIEN BRUN, Morale et Contrat, Le


Puy, 1942, p. 2¡-25,
AUXILIAIRES SOUIAUX DE LA VOLONTB FIDELE

l'autre. et a mesure de ce
-<J\U fUf le contrat
n se d 'un statut ct jI contribue 11 en
un autre sera ou devralt etre libé-
rateur el plus civilisé 1.
2° Incapacité pou/' le contl'at d' égalel' le voeu de la
fi.délilé morale.
Sans cloute l' engagement moral el le contrat sont-ils
en affinité, cal' : a) un contrat immoral est nul (p. ex.
esclavage); b) le contra! et l'engagement moral ont en
commun de résulter d'une initiative, d'ajouler quelque
chose de neuf et de surérogatoire par rapport a un ordre
d'abord donné ou imposé; c) tous deux sont des déci-
sions canalisées. On s'engage dans une route. Choisir,
c'esl sacrifier; d) ils ont en commun d'etre des actes de
liberté qui semblent supprimer la liberté, la dépasser en
l'orientant vers un état; e) ils font naltre une obligation,
fine du vouloir. Cette obligation a un début, eHe procede
de la volonté, c'es! un devoir postérieur a elle.
Mais le contrat ne dépasse pas l'avoir et n'exprime pas
l'etre du moi qui s'engage. L'effort pour transvaser l'acte
dan s l'opération extérieure, l'agent dans le droit, la
personne dans les choses, ne peut completement réussir.
Malgré sa ductilité morale, le contrat a lIne forme étroite;
iI suppose une priorité de l'avoir sur l'etre, de l'obliga-
tion littérale sur l'aspiration spirituelle, de la fidélité
closc sur la fidélité créatrice et de l'intéret sur le don
inconditionnel a la valeur moraIe. Si le contrat arrete
le moi moral, iI le tue : l'identité personnelle qu'il peut
favoriser (( Je suis l'homme qui exécute ses contrats,

1. Le degré de civilisation ne se mesure pas en ce cas d'apres


la pureté de la Gemeinschaft ou celle de la Gesellschaft,. mais
d'apres leur qualité et leur osmose. On ne saurait trop répéter
que ces notions rendues célebres par Tonnies son! extremement
confuses et dangereuses.
RÉFLEXIONS SUR LA FmÉLITÉ

je suis le le subordonné
caricature de
résulterait d'une fidélité a
la vocation totale. On pourrait certes distinguer les degrés
suivants : - je suis l'homme qui ai exécuté mes
contrats, - qui exécute mes contrats, - qui suis disposé
a exécuter mes contraigo Mais bien que (( l'homme
contractuel » ait une attitude plus onverte 8'il se donne
un avenir, toujours il est l'homme qui ne se reconnalt
fidele que dans la mesure 011 il e3t contractuel, c'est
dire au fond qu'il n'estpas vraiment et spontanément
fidele. A cet égard, le contrat est l'inverse de la fidélité,
il apparalt dans la mesure 011 elle disparalt.
Est-ce a dire que la valeur morale du contrat se vol a-
tiliseP Non pas, cal' c'est anssi un auxiliaire et une
expression de la fidélité intérieure. lVIais l' ordre contrac-
tuel est un simple auxiliail'e de l'ordre moral. n maté.
rialise j'acte et par la donne consistance a l'intention.
Nous nous déléguons dans une parole, nous devenons
des gens sur qui on peut compter. Etre « reliable » juri-
diquement, comme disent les Anglais, c'esl tout de meme
s'entralner a l'etre moralement: vérité absolument
méconnue aujourd'hui.
Devan t la précari té et les an tinomies de l' ordre
contractuel, nous prenons conscience d'une part du
caractere partiel de cet ordre et d'autre part de l'esprit
de fidélité morale qui doit l'animer. En fait, on ne peut
sauver le droiL que par une exhorlation morale a « la
fidélité contractuelle chez le débiteur », avec «( souplesse
constitutionnelle chez le créancier )) l.
Dire que le veritable salut du droit, c'est la force
de la contrainte n'est pas exact; cal' on tourne le code

1. LUClEN BRUN, p. 35.


AUXILIAIRES SOCIAUX DE LA FIDELE

a17ec
une nécessi té
des métiers, constances morales d'un
groupe, etc ... ) procede d'un esprit; elle le maintient
certes aussi, mais jamais au point d'etre a des
dislocations possibles.
édifier tont l'ordre moral sur la
notion d'alliance, comme le fait paríois Roussean, on
oublie ce qui 171ent d'etre dit. Ou bien alors comme pour
A. Neher dans son li17re sur Amos, iI s'agit d'une Berith
Ol! l'alliance est 17éhicuIe d'une transcendance : l'un des
deux contractants est Dieu lui-meme; c'est lui qui crée
Israe.l et lui donne sa 17ocation 1. Nous sommes aussilót
dan s une tout autre perspective que ceUe de la juridiction
humaine, cal' le rapport n' est plus juridique ni inter-
humain. Nous sommes au terme éthico-religieux de la
fidélité.
Si Israel n'~tait ici, de fa¡;on saisissante, le peuple qui
révele aux autres peuples le secret religieux de leur
condition, serait-il sage de faire des contrats pour etre
fidele? Oui sans doute, mais dans une mesure tres
réduite ; iI faudrait ne s'engag·er gu'a court terme et
pour des objets a la fois tres stables el peu essentiels.
Sinon, nous risquerions trop souvent de nous exposer
a des intempéries que nous sommes trop faibles pour
braver impunément. La sagesse sans transcendance nous
conseillerait ce qui fut en somme l'attitude d'Epicure et
d'une partie importante de son école devant la vie
sociale ; une prudence qui se lie au minimum.

1. A. NÉHER, Amos. Contribution a l'étude du prophétisme.


Paris, 1950. La justice n'esL qu'obéissance a la berith.
CHAPITRE VI

LE TERME LA

Insatisfaite dans l'ordre social, la volonté d'etre fidele


doit essayer de s'affirmer et de s'accomplir plus haut
que terreo Elle se raUachera done EL un ordre transcendant.
Mais elle peut le faire de bien des manieres. Nous
examinerons d'abord le revetement magique qu'elle
peut prendre el qui s'exprime au mieux dans le serment.
Puis nous analyserons l'orientation religieuse et meme
mystique en laquelle elle trouve enfin, semble-t-il, la
possibilité de s'achever et de s'égaler a elle-meme.

l. LA STRUCTURE MAGIQUE DE LA FIDÉLITÉ.

l. Distinction du serment et du contrat. - Pendant


longtemps, les deux actes se sont accompagnés et supplé-
mentés pour ainsi dire : a Rome, la sponsio s'accom-
pagne d'imprécations et la stipulatio elle-meme meIe au
marché qui est conclu un vestige de serment et de sanc-
tíon sacrale : rupture d'un fétu de paille ou peut-ctre
échange d'un lingot allongé l. Ailleurs, on échangera
une motte de terre ou une branche d'arbre 2. Ces remises

l. Voir une bibliographie sommaire de la question dans


A. Cuvillier, Manuel de sociologie. Paris, I950, t. JI, pp. 483
et 537.
2. « En Anjou comme en Alsace, la coutume exigeait que l'on
blit ensemble : res rata fiat! C' est de eette parole solennelle que
96
LE TEBME ÉTHICO-nELIGIEUX DE LA FIDÉUTÉ 97

des « simulacrcs» de
qui dépasse la vie et
son! entourées de formules dont la fixité n' est pas due
a un intéret juridique mais a une significaiion religieuseo
JI n'en reste pas moins que les deux aspects devraient
diverger: le contrat se tourne davantage vers ce qui est
pos!tif, dé terminable et sanctionnable par les hommes;
iI est Iale. Le sermen! au contraire oriente la fidélité
ver s un monde invisible et déroutant, qui menace sans
se montrer. PclT suite, le contrat fait naltre un état
d'esprit cynique ou nous cherchons a minimiser nos
obligations et nos gages, tandis que le serment conduit
a des syntheses et a des majorations : iI est facHement
romantique et menteur. Rien n'est plus conditionné
sinon conditionnel qu'un contrat; ríen n' est plus absolu
qu'un serment. Hérode en a fait l'expérience avec Salomé.
n pourrait sembler que le désir d'assurer la fidélité
'de l'exécutíon domine le systeme au contrat tandis que
ce]ui de prouver la sincérité de l'engagement est au
centre du serment. Ce ne serait toutefois qu'une vue
approximative, cal' il y a au fone! deux especes bien
tranchées de serments; l'une ne vise en effet qu'a la

~ertaine liqucur célebre tirerait son nom)) (J. LUCJEN-BRUN,


brochure citée, p. 5, toutes réserves faite s sur la prétendue éty-
mologie du ratafia ... ) Le dlner d'affaires OU l'on trinque pour
finir est toujours en usage. Et il y a aussi le pacte plus élé-
mentaire des gens simples qui topent la et crachenL. Ces formes
mineures du contrat-serment ont une survíe étonnamment
durable.
Je ne dís rien du pollateh des Indiens de la Colombie britan-
nique, étudié si brillamment par G. Davy, cal' eet « ensemble de
prestations agonistiques » ajouterait encare a 1'analyse un autre
élément, qui est le défi. Mais c'est aU8si une 80rte de contrat
sacré : 1'obligation de donner y entralne celle d 'accepter et de
rendre. Et !'élément sacré qui entoure le contrat ne se réduit pas
en ce cas :\ nn serment.
98 RÉFLEXIONS SUR LA FmÉLlTÉ

d'une affirmation mais l'autre est une


promesse et, en ce cas, le serment trahit autant que
le contrat une d'avenir. il
s'y prend d'une autre maniere. C'est pourquoi, en parti.
cuIier, si tous deux font intervenir I'autorité d'un témoin,
ce témoin n'est pas le meme ou n'a pas les memes
fonctions, comme la du serment va
nous le montrer tout de suite.
2. Essai de phénoménologie du sel'ment. - M. Chas-
taing l'a tenL_. "l un article remarquable (Joumal
de Psychologie normale et pathologique, t.
janv.-mars 1940-I941, n° 1-3, pp .. 47-68). Il voil dans
le sermen tune ma térialisa tion de l' esprit qui existe
dans la mesure meme oil les individus ne sont pas
translucides. « Le serment nalt d'une situation oil l'itme
se désanime et oil la pensée se transforme en secret au
fond d'une bolte. On comprend que le Nouveau Testa-
ment le condamne)) (p. 5r). Examinant surtout le
serment-promesse, il le considere comme une mise en
gage qui assure l'exécution d'une clause indépendam.
ment du temps el des sentiments ; on est prisonnier de
sa parole. Le Corse qui jure de venger sa famille ne
s'engage pas a hall' personnellement la victime; le
conscrit qui avant de partir pour la caserne jure d'épouse1'
sa p1'omise au retour ne prétend pas qu'il ne l'oubliera
pas une fois ou l'autre dans l'intervalle; mais quelles que
soient les variations de 1eur8 états d'i\.me, ces hommes se
sont liés. lIs sont des 101's tranquilles avec 1eur conscience.
Le serment est objectif, ir est meme un objet el cet
objet est garanti. Comme il est difficile de se porter
garant de sa pl'opre promesse, on fait intervenir les
autres et Dieu meme. On prend pour l'éférence les etres
qu'on ne peut induire en erreur san;; etre un monstre et
qui peuvent témoigner qu'on n'est pas un monstre.
LE TERiI'IE ÉTIUCO-RELWIEUX DE LA FIDÉLITÉ 99

Bien on mel, gage ces ctres les nobles ou


les :mr la tHe de sa mere
ou de ses ellfanLs". A la
d'imprécations virtueUes, ce
de contrat avec des puissances invisibles et, par leur
truchement, avec les spectateurs. Aussi ne peut-on s'éva-
del' du serment niant l'avoir fajt : c'est l'attitude
du Elle est vouée d'emblée au mensonge;
el elle est bien abjecte que la simple faiblesse ...
Mais ne le voitP la perspective du serment n'a ríen
a faire avec un cerlain nombre de notions Iui
associe parfois bien a tort : elle fait abstraction de la
personne, de l'eng·agement intérieur, de la fidélité, et
aussi, comme nous l'avons déja dít, du temps concret.
Le serment exprime en quelque sorte la vie physique de
l'esprit.
Ce résumé laisse évidemmer,t éehapper un grand
nombre de remarques tres fines qui émaillent les pages
de M. Chastaing. Mais le sehéma seul en faH deviner
l'intéret. Peut-etre, il est vrai, l'auteur exagere-t-il la
matérialisation de l'esprit dans le serment. La « foi
jurée» n'es! pas « aussi contradictoire qu'un cercle
carré », comme il est dit p. 63. On ne jure pas unique-
ment pour se décharger et pour abdiquer, mais pour
donner un tuteur a une volonté frele. M. Chastaing
est d'ailleurs obligé d'exclure de sa définition du serment
tont ce quí n'cst pas purement impersonnel et matériel;
il refuse par exemple de se servir du mot pour Philémon
et Baueis ou a fOT'tiori pour les VCllUX de religion. Il a
sluement raison de dis tinguer des aetes hétérogenes;
mais dans l'usage courant, le mol garde une frange
d'indétermination qu'il faut bien reconnaltre et il peut
s'appliquer a autre chose qu'a « la vie physique de
l'esprit. ».
100 nÉFLEXIONS sun LA FIDÉUT¡'::

lUeme si l'on était d'aeeord avec ]VI,


ramener le serment a sa forme
se demander si eeHe implique une désanimation
de l'esprit. J'y verrais plutélt un risque fou, une aventure
qui ne consiste pas tellement a transformcr ma parole
en chose que ma parole en offrande a des puissanees
invisibles. Nous avons eu l'oecasion de toucher a
cette question : le matérialisme gueUe la pensée
beaucoup plus que la pensée magique. Le serment me
jette dans les péripéties' ~~ vie daugereuse : il affronte
a la fois un monde visible et un monde transcendant l.
En le proférant, je me mets dans une situatlon qui fera
de moi un damné ou un triomphatcur. La magie est
prométhéenne par essence et matéri:lliste par accident
ou par apparence. Quand on recourt a elle et qu'on
jure, c'est d'ailleurs pour créer ou con:solider une
promesse et, par la, une fidélité. Il Y a quelque chose
de touchant dans une telle erreur : on ne se borne pas
a défier l'uoivers, mais on renverse aussi le défi et on
se l'adresse désormais a soi~meme au nom de l'univers.
n y a done bien une substance commune de la fidélité
et du serment; ce qui choque le moraliste en celui~ci,
c'est plutot la prétention de coupel' la fidélité de son

l. Le parjul'e aRome devait etfe puni de mort ou tenu pou!'


sacré au sens primitif, c 'est~a~dirc pour maudit. Sa vie est due
aux dieux; il faut le livrer prt, deditio a l'ennemi. Qu'on relise
plutot les vieilles formules imprécatoircs du foedns rornain
contre le violateur dcs traítés : « ••• ut eum ita Juppiter feriat
quemadmodum a fetialibus porCllS feriatllr ... Si sciens fallor,
tum me Dispitcr salva urbe arccque bonis ciciat ut cgo huno
lapielem ... )) Et pour élargir l'enquete au del a ele Romc, qu'on
relise surtout les spowlai homériques dans 1'Iliade, n, 3, 292'
301; ou enfin le sacrifice de l' Atlantide dans le Critias de Pla-
ton. Ces texte" sont rasscmhlés daos A. lV!.~GDELAIN, Essai sur les
origines de /0 ,~ponsio. Paris, 19 1,.1, pp. 2,'1-25,60,67.
:LE TETIME ÉTIHCO-REUGIEU;¡: DE LA FIDÉLITl¡ 101

con lextc moral


011 force une I1eur dans un Le serment n'cst pas
a la mais i 1 en fait un absolu
et ne choisit pas les objets d'apres un critere moraL
n n 'en pas davantage les garants : il les inter-
pelle, les compromet dans son acte, les lance ave e luí
dans l'aventure.
n seralt bon aussl de s'altarder un peu plus au serment
déelaratif, qui !le promet ríen mais se contente d'etre
une volonté émouv,:nte et quasi désespérée de faire con-
naltre le fond de son etre. n est tres vrai de dire avec
M. Chastaing que « le serment n'a aucun sens en dehors
d'une duplicité possible» (p. 52) et que « tout secret
est suspect)) (p. 51). Mais c'est précisément paree que
la communication est si rare, si menacéc, que le serment
a lieu. L'étudier, c'est étudier un chapitre de la sincérité
ou du moins une invention de la síncérité aux abois
qui cherche tragiquement a se dissocier de la duplicité
el n'y parvient pas d'une maniere absolument convain-
cante, mais n'aura rien épargné pour y anivel'. n peut
a10rs y avoir, dans l'attestation de celuí qui jure, a la
fois une entreprise violente pour mettre en pleine lumiere
ce qu'il pense et une affirmation publique des valeurs
qu'il tient pour supremes et agíssantes. A cet égard
encore, le serment essaie de renforcer l' écorce de notre
etre spirituel. n devient la cuirasse d'une conscience
attaquée au dehors, comme il peut etre le durcissement
héroi'que d'une volonté qui s'affel'mit en se compro-
mettant devant tous.
3. Les diverses fonctíons du témoin. - Témoigner peut
vouloir di re professer ce qu'on est au dedans ou atte"ter
ce qu'on voit du dehors. n ya done un témoin-confesseur
et un témoin-spectateur. 01' je ne peux, dans le serment,
garantir mon aveu en disant simplement que j 'en suis
lO?, RÉFI"EXIONS SUR LA FJDÉUTÉ

le Testis urms, testis nullus. D'oú un effort


au que je SUlS pour moi.meme
un de moi-meme soít :mtre que moL Dans
le contrat, ce témoin n'a besoin d'attester que ma
lation; dans le serment, son role est bien complet;
íl doit garantir mes intentions.
1) C'est sa preL ~re fonction est d'etre un
témoin voyant : il sonde les r:urs et les reins. Puisque
Dieu voit tout, le serment Sb réfere instinctivement a
I,ui pour attester la sincérité de celui qui jure et il doit
&tre proféré en présence de Dieu ou des choses de Dieu l.
2) C'est aussi un témoin-archiviste, qui enregistre tout
et qui est capable de se souvenir de tout. n est hors du
temps, a ¡'abri des variations; iI proferera le passó dans
l'avenir. Son autorité vient aussi de la.
3) En m'engageant devant lui, je lui reconnais en
outre le droit de me rappeler a la fidélité : c'est un
témoin-M entor.
4) Bien plus, iI devra éventuellement interpréter ma

l. Ainsi en était-il déja chez les pa'icns : « Le trait es sen-


ticl dc la phénoménologie du scrment est de mettrc l'affirmation
en contact ave e la Substanee saerée » E. BENVENISTE. L'expres-
sion du serment dans la Grece aneienne, dans Revue de l'histoire
des religions, t. 134 (IgL¡S), p. SI. D'ou aussi le désir de matéria-
liser ecHe présence auguste : par exemple, au moyen age, en
touehant le livre des évangiles ou en étendant la main au-dessus
d'eux, comme si l'on jurait mieux per Deum en jurant per
evangelia. Par une apparente anomalie, le serment du sacre des
roí s fait intervenir la res sacra, a la fin du xn· siecle, au moment
meme ou le droit se contente de formes verbales. Sur ce pro-
bleme, voir M. DAVID. Le serment du sacre du IX e au xv· siecle,
dans la Revue du Moyen Age latin, t. VI (1g50), pp. 176,264 et
suiv. L 'évolution des gestes qui engagent serait riche en ensei-
gnements, mais le phénoménologue dépend iei de 1'historien et
doit se garder d 'intcrpréter trop vite les faits qu 'iI eroit aper-
eevoir.
LE TERME ÉTHICO-RELIGIEUX DE LA FWÉLITÉ 103

conduite et la sanctionner, C'est un


ou
5) n est meme tenu de l'acheter mes défaillances par
le fait que je le prends a témoin : « Que Dieu me fas se
que Dicu me damne si j e mens". », Le témoin
est vengeur,
De toutes ces fonctions, la plupart pourront subsister
dans la conception religieuse de la fidélité, Seul le
cinquieme point, qui lie Dieu a mon imprécation, est
spécifiquement magique et corrompt pour ainsi dire
tout le reste. A ce moment, en efíet, je ne m'engage plus,
j'engage Dieu et je dispose de lui.
Si le serment consiste a s'engager devant quelqu'un,
et normalement devant la plus grande des autorités,
ceHe de Dieu, il ne s'ensuit pas que l'etre devant lequel
on s'engage ne puisse etre en memc temps celui envers
lequel on s'engage. Cette identification se produit Jans
les vceux de religion dont nous parlerons bientOt; meme
sur le plan humain elle est possible, Ainsi quand on
dit a quelqu'un : « tu en es témoin, je te l'ai promis ... »,
le parten aire assure alors deux roles 1. Et, par une sou-
daine conséquence, quand je m'adresse ainsi a quelqu'un,
si je lui offre ma foi, j'exige en retour la sienne : je Iui
demande d'espérer en mol, d'aimer mon ame - puisque
je Iui demande de me faire confiance comme j'ai
confiance qu'il conservera s'0n attitude envers moL Par
tous ces traits, le témoin dans le serment est bien diffé-
rent de ce qu'il est dans un pnr contrat, ou l'autorité
qui enregistre se sépare d'ordinaire des contl'actants

1. C'était le cas, par exemple, du serment militaire chez


les Romains, du moins au début, quand ii était échangé spon-
tanément et entre pairs (TITE~LIVE, XXII, 38). Les tribuns
l'ayant rendu obligatoire, le sacramentum se dévalua; il ne
signifia plus que le service militaire.
RÉFLEXIONfJ SUR LA FmÉUTlí

el leur est indifférenteLe contrat a pour sommet la


le serment se meut dans l'amour 011 la haine.

2. LA STRUCTUHE MYSTIQUE DE LA FIDÉLITÉ.

Essayons maintenant de dégager la foi en la transceu-


dance de la gangue magique s'y ajoute dans le
serment et discernons Pl1 sen s 'urrait se concevoir
un achevement religieux de la fidél> spirituelle. Faute
d'un meilleur mot, nous pouvons ileme appeler cet
achevement mystique, car ir s'accompagne d'une cons-
cience de l'unité que toutes choses re!;oivent en Dieu.
L Dans la perspective mystique, les jidélités humaines
rel}oivent la possibilité de s'identifier a l' amour de Dieu.
- La foi religieuse révele en efiet a 1'homme que c' est
Dieu lui-meme EL qui n011S devons etre fideles EL travers
toutes les autres fidélités. Les valeurs poursuivies par la
fidélité, les objets auxquels elle s'applique convergent
vers un ter me supreme qui les eng'lobe et les sauve.
Dieu devient a la fois l'inspirateur de l'ordre éthique et
l'objet meme de cet ordre : n'esl valable que la fidélité
qu'il approuve, qui est compatible avec son amour.
Puisqu'il est la volonté créatrice de l'ordre bon, vouloir
le bien des etres ou voulair Dieu s'identifient a la limite.
Les causes apparemment incompatibles pourront des
101'8 se réconcilier par en haut, sans difficulté dialectique,
s'il est entendu que ces causes peuvent se rattacher a
Dieu et a son vouloir. L' ame religieuse passe au dela
de~ philosophies et des discussiom parce qu'elle a la
foi en Dieu et que sur toutes choses elle voit le signe
de Dieu ou le signe de la Bete. Elle dispose d'une
pierre de touche qui lui permet de s' orienter dans l'uni-
vers et d'y organiser définitivement un ordre pratique
des fidélités. Nous ignorons beaucoup de choses, nous
ne pouvons presque rien faire; nous sommes en faillite
LE TERME l~TlUCO-RELIGIEUX !lE LA FWÉLITé lolí

de notre saVOlr et de notre vouloir.


HOUS 80yon8 la foi nou:;
enseigne de Dieu. Smtout si c'es! la foi
révélée, elle apporte au croyant les promesses de salut
universel. Elle comporte toujours plus ou moins le
double élément d'interrogation el de réponse, d'invo-
cation anxieuse et de méthode inspirée; mais la synthese
de ces oppositions est l'affirmation d'une réalité trans-
eendante qui nous accable seulement pour nous élever.
En s'abandonnant a Dieu, la foi est done eertaine de
s' en remettre a un Etre eapable de résoudre nos difficultés
et de suppléer nos insuffisanees. n n'est que d'agir selon
ses commandements et son esprit pour que, tels des
aveugles guidés par la main, nOU5 soyons surs du ehemin.
Le eroyant confie a Dieu non seulement son propre
destin mais eelui des valeurs et d.es etres qu'il veut
servir: c'est peut-etre ceUe secondo offrande quí est la plus
d¡fficile, cal' nous répugnons souvent beaucoup pIusa
admeUre la Providence au dehors qu'au dedans de nous.
Pourtant, sans cette conviction, nos consciences ne sont
pas en paix et ne savent jamais pour finir ou mettre les
hiérarchies exactes de la fidélité. La foi et la priere sont
les seuls moyens de ne pas désespérer du monde pour
luí et pour nous; elles sont ensuite le meilleur moyen de
gagner du terrain sur l'inconnaissable ou l'impraticable
et d'en faire reculer les limites.
Ce saut en Dieu, contrairement aux prévisions de
¡"euerbach, n'est pas un renoncement aux taches finies,
puisqu'il les fait mieux discerner et assumer. Ce serait
un contresens de penser que la foi véritable en Dieu se
substitue aux créatures et le culte de Dieu au cuIte des
valeurs. Non, ce qui a lieu est tout autre. Dieu ne se
substitue pas; il n'est me me pas le représentant idéal,
l'Etre vicariant qui nous rendrait quittes envers le :reste.
nÉFLEXIONS SUR LA FWÉLITÉ

n est celui illumine du declans créatures et


au sein des valeurs comme un vivant
et inaccessible de leur unité. Nous ne pouvons aller vers
Lui que par les taches terrestres; il n' est pas incom pa tibIe
avec elles puisqu'il les fondeo n nous impose meme la
fidélité a la matiere, mais iI est ce qui diminue l' opacité
de la matiere pour nous et finalement pour ellp-meme.
La polarisation divine faít que sans mettre notr, c:entre
en la matiere OH en nous ou en quoi que ce SO; sans
pouvoir non plus apercevoir direclement le Centre Divin
comme un objet parmi les objet;:, nous voyons les
objets s'illuminer des que nous les regardons avec les
yeux de la foi. En eux et dans les événements de leur
histoire, nous lisons une intimation métahistorique, un
sens métaphysique.
Ainsi la foi aimante en Dieu soutient la fidélité sous
toutes ses formes harmonieuses, c'est-a-dire morales, el
leur permet de faire enfin une totalité actuelle. Cela
n'est vrai évidemment que dans la mesure 011 la foi
ne se trompe pas. Mais il nous suffit de prouver ici
que si elle a raison elle es! aussit6t une vertu opérante
et une puissance d'actualisation. S'il y a un Dieu, a
plus forte raison une Révélation surnalurelle de ce Dieu,
ceux qui croient en lui peuvent seuh donner a la problé-
matique de la fidélité toute son ampleur et toute sa
solution. Loin d'etre une évasion, leur état d'ame est le
seul moyen concret d'acquérir a la fois un repos et
une stimulation dan s l'organisatioll de la fidélité sur
terreo Cette solutlon en effet ne dispense de rien mais
donne a tout un sens qui n'est d'ailleurs pas perceptible
comme une chose, mais comme un éclairage, ni comme
un appoint de force, mais comme une source de réali-
sation. Si indirects que paraissent cette connaissance et
ce secours de la foi, Hs font apparaltre en meme temps
LE TERlVlE ÉTIHCO-RELIGIEUX DE LA FWÉLITÉ 107

la réali té des etres,


eux et la de
nous relie a eux.
2. Par suite, Z'ordre des fldélités devient absolu. -
Loin d'etre moins exigeant, l'appel des fidélités terres-
tres devient au eontraire saeré des ce momento Il s'impose
a notre aetion avee une autorité renforeée. La dignité
de ehaque etre devient infinie paree que nous eomprenons
qu'il n'est pas voué a l'anéantissement mais
vouloir divin le sousirait aux apparenees et peut lui
réserver un salut mystérieux, lié il notre attitude de
fidélité envers lui. Le fanleau des fidélités n'est done
pas allégé par la foí en Dieu, iI est meme terriblement
aeeru en un eertain sens, puisque les événemenLs sont
ehiffrés, porteurs d'un « sérieux incompréhensible)) et
non plus futiles comme ils le parabsent de prime abord
pour un esprit mondain.
Mais eorrélativement, la foi en Dieu s 'offre pour pro-
muer de par Dieu les forees d'une exéeution plus satis-
fa¡sante. « Nous faisons nos vc:eux paree que le héros
idéal dans nos ec:eurs nous murmure qu'ils peuvent
etre aeeomplis si nous sommes fidMes a ce qu'il y a
de meilleur en nous 1. » Dieu exige plus de nous mais
il offre plus aussi : son exemple, sa présenee sont avec
nous, en nous. L'homme fidele sait qu'ayant tout fait
avec docilité, Dieu pourvoira an reste. n y a une paix
pour les bonnes volontés. La Providence est la, mais elle
ne 1'e8t que pour qui exécute sa volonté : nous n'avons
le droit de nous reposer en elle que si nous agissons
pour elle. Sínon, elle condamnerait notre far niente. Je
n'ai le droit de dire : « tout s'arrangera)) que si je dis
en meme temps : « Je dois tout !aire avec Dieu pour

1. M. e d'ARCY, Mind and heart of love, p. 325.


!O8 RÉFLEXIONS SUR LA FIIlÉLITÉ

que ~a " , Cc'rHme le fai t observer


Gabriel &Uf Dieu pour me

sauver des menacenl mil fidélilé que si la


foi ne se hemte pas en moí a une complicité cynique
avec mes échecs éventuels.
Simultanément, la mise en absolu aura consisté en ce
que: l° la m'est : j 'ai 1
de réaliser un ordre de fidélité universelle; 2 j peux
Ú

tout en CeluÍ qui me fortifie. Car il fera tout si je onne


tout : c'est la promesse que j'aperyo;s dans l'insLnt ou
je fais tout de mon mieux. Kierkegaal'd a profondément
peryu, dans Crainte et Tremblenwnt, la restitution qui
est faite a Abraham. C'est ce qu'il appelle « l'absmdité
de la foi )).
3. II s'ensuit également une nouvelle forme de la
présence. C'est l'expérience religieuse - et spécialement
myslique -- qui porte a son épanouissement le sentiment
de présence complexe dont nous n'avons que l'ébauche
au niveau des autres expérlences humaines et c' est elle
qui est de nature a fournir la solution psychologique du
probleme des fidélités muHiples.
La limite psychologique impo~ée a l'organisation
éthique des fidélités provient en effet, nous l'avons vu,
de l'impossibilité de faire coexister les fidélités. Nous
sommes successifs, éparpillés, incapables de garder tout
et tous en nous; nous sommes humiliés sans cesse par
la distribution de nos actes. L'organisation psycho-
logique et sociale don! nous avons repéré quelques
procédés typiques consiste a lutter contre l'exclusion
des absents par la présence latente des absents, soít
qu'il y aH re tour périodique des participations, soit qu'il
y ait étagement de lems formes.
L'idéal mystique est autre. n consistera a trouver
moyen de faire coexister les absents dans la conscience
LE TERME ÉTIHCO-RELIGIEUX DE LA FWÉUTlí la!)

c'est-a-dire dilate la comcience et fait passer


les latences 1\ }'acte. n il fait fusion-
ner les La conscience n'alterne et ne
divise plus, elle esi partont et elle fait éclore sans cesse
les bou[ons de toutes les fleurs. L'ébauche humaine
de cet état d'ame se trouve dans 1ps vies inspirées par
un amour. Quelqu'un qui agit pour une cause
supérieure la porte toujours dans sa conscience, non
avec effort mais spontanément. Il la respire, il en vit,
meme qand il casse du bois ou faít la vaisselle ou
est absorbé par une recherche technique. A vrai dire,
rien ne peut l'aLsorber exclusivement pendant qu'il
agit ni t1'ouble1' la pure p1'ésence dont i1 est rempli :
quelque chose chante en lui et c'est pourquoi son t1'avail
périphérique, matériel, loin d'etre haelé, est bien mieux
fait. On comprend fort hien que les m)'stiques aíent eu
1'ecours a la métaphore du ma1'iage ~pirituel pour expri-
mer analogiquement cet état OD. la présence n'est plus
une passion exaspérante mais une sorte de bonheu1'
combIé qui laisse le vouloi1' a ses !:l.ches ordinaires et
en décuple meme l'eñicacité. La plupart des etres humains
n'éprouvent inchoativement un état de ce genre qu'au
déLut de leur ma1'iage, qualld une source semble jaillir
au fond de leul' caeur sans l'inquiélude ou les soucis
d'équilihration qui aceompagnent d'ordinaire les aut1'es
pllases de l' amour.
Cette expérience eesse quand n faut « penser}) a
¡'aimé : se le représenter eomme un ohjet, c'est déja
perdre une partie de la pl'ésence radieuse el des co-
p1'ésenees qui l'entourenL Ponr le mystique, ce n'est
plus remer Dieu ni penser avee Dieu en plénitude :
en ce sens il faut que « Dieu disparaisse)) pour etre
atteint. C'est pourquoi quand on eompte les fidélités,
leur ttme a fui. La qllestion de l'épouse inquiete:
lIO RÉFLEXIONS SUR LA l"mÉLITÉ

« Peuses-tu El moi tu es El tes )) est


stupide : a un etre aimé par
e' es t prouver l' oubliaít son
souvenir ou qu'il devient lancinant el passionné. n
en est a fortiori de meme pour la priere mystique qui
respire en Dieu; le quiétisme n'a pas en tort de percevoir
cette unité mais de croire qu'on y
demeurer toujours, sans éclipse. La vraie présen , est
interrompue par des épreuves et des déserts; mais ( and
elle a lieu, elle envahit tout. Elle porte au maxihlUm
l'attitude humaine El trouver un monde dans un autre --
a etre all in all sans se laisser arreter par les étroi tesses
de l'activité inférieure malS en la rendant plus vive et
plus efficace.
Seulement, c'est en Dieu qu'elle s'accomplit. Ou si
1'on préfere, c'est a l'occasion des taches mondaines et
en elle que la foi intensifiée apporte la présence de Dieu
et de lous en lui. Qu'une Lelle irradiation reste souvent
crépusculaire el implicite, c'est trop certain. Et par
suite de cet éclat qui éblouit ou qui disparalt alterna-
tivement, elle est exposée El une foule de dangers:
l'amour de Dieu souffre de la trahison, mais i1 sert
parfois El l'entretenir quand la fidélité religieuse est mal
con9ue. Malgré ces blessures ou ces déformations, une
contemplatlon sincere peut mener mieux que toute autre
voie a la tldélité absolue dont nom n'avons, id-bas,
qu'une promesse et un gage visibles. La mission humaine
ne s'accomplit que dans cet hérolsme mystique, si
rares que soient les exemples purs el équilibrés. Cal' c'est
en elle vraiment que devient possible ~a « présence
totale ».
Insistons-y enfin: elle ne renvoie pas du tout les
fidélités mondaines dans l'inconscient. Elle est au
contraire un COlllmencement de tran.3formation profonde
LE TERME DE LA FIDÉLlTÉ III

de la conscience. C'est l.'éfol.'me de stl.'ucture la


rend accueillante el lui aux
fHieres étroites de l'aUention ordinail'e. C'est vraiment
une torsion de nos facultés, comme dirait Bergson, mais
elle arrive en nous par une 80rte de grace et ne s' explique
pas comme le résultat d'un effort.
4. L'autonomie de la conscience est une I'écom-
pense plntót qn'nn príncipe premier. -- Quand l'homme
a trouvé l'unité possible en Dieu, il devient libre. n
esi en efiet libéré, du moins en espérance, des entraves
substantielJes que pourrait lui apporter le monde. Et
cette libéralion se tradllit par une auíonomie. L'homme
peut se donner sa loi, dominer son destin, etre sur que
les causes morales pour lesquelles il a vécu sont conciliées
et sauvées dans son vouloir le plus profond.
Cette victoire morale, Kant a bien vu qu'elle prenait
forme d'autoI1omie et qu'elle impliquait la présence
d'une certaine foÍ. Mais en coupant le devoir, et la foi
au devoir, de tout líen antécédent avec Dieu, il a compro.
mis le sens et le succes de sa doctrine de la personne,
bien que la personne s'accomplisse, selon lui, par la
fidélité de l'agent a la raison. n est en effet impossible
que le vouloir profond de l'agent soit efficace et que la
fidélité absolue soit possible si ce vouloir n'esl pas reconnu
pour divin en son origine.
En outre, l'erreur de Kant a été de tenir pour le
moteur de la vie morale une auíonomie qui en est le
fruit au lien d'en etre le principe premier. Bien ne com-
menee dans la solitude de l'autocréation comme le voudra
Fichte a la suite de Kant; mais tout fiuit sinon dans la
soli lude du moins dans l'autocréation comme l'avaient
aflirmé, des l'antiquité, les stolciens el, a 1eur suite, les
philosophes chrétíens. En d'autres termes, la fidélité a
soi-meme n'e8t pas le fondement de la vie mora1e, mais
II2 RÉFLEXWNS SUR LA FWÉUTÉ

elle en est l'aboutissement le moi s'est Ouvert


a [out. Et pour en venir a eette il
faul n'avoir exclu ni le monde, ni grike.
L'autonomie n'est jamais une lndépendance radicale et
elle ne précede pas la fidélité comme une condition; elle
la sui! au contraire comme une récompense. n est
et impraticable psychologi-
quement d'isoler la pcrsonnalité morale et de l'ento1're1'
d'un manchon eomme l'a fail le kantisme, pUlS en
faire so1'tir tout un o1'dre de préceptes et d'exécuti 18
par vOle quasi déductive. Sans doute le but est-Íl bien
de nous faire parvenir a ceUe recréalion de toutes choses
en nous.: mais on ne l'atteint qu'en maintenant les
contacts et les principes bannis par le kantismc. Sinon
la fidélité a laquelle on parvient est vide. On ne peut
éviter, d'une part, les obslacles ou les aides empiriques
qu'elle regoit de l'expérienee; d'autre part, le principe
divin qui l'inspire et la fait arriver a son terme malgré
les insuffisanees ou les eontrariétés de son mouvement.
5. Le niveau habitucl de la pl'ésence « mystique »
n' est pas celui d'une vision intuiiive, OU, ce q1.Ú reoient
au meme, d'une synthese purement a priori. - Devant
le probleme de la cohabitation, dans la vie psychique,
de plusieurs fidélités, voici les directions possibles Ol:!
l'on peut s'engagm' :
1) L'élection d'une présence avec rejet des autres.
Bref, on choisít une fidélité liée a une immense trahison.
C'est la « soluLion » de la vie se10n la nature, celle
qu'adopte ayer enthousíasme le « primaire )) de Heymans,
c'est-a-dire l'homme qui vit dans le présent el ne garde
pas ses impressions au fond de lui. Sa 'vie est sen,blable
a une mélodie sans continuité, [\ une sorte de pot-
pourri.
2) La juxtaposi!ion - soit snccessive, BOit simultanée -
LE TERME ÉTUICO-RELIGIEUX DE LA FIDÉLITÉ 1 ~

8e10n tous les artifices et sociaux que


nous avons été conduits a
n y a ici un certain sOlici de fidélité mais il
se solde par un échec partiel. IJ faut compartimente!' et
colmater son ame; c'est un ave u de dispersion.
3) La polyphonie : c'est-a-dire que chaque objet de
fidélité persiste et rejaillit sur les autres, de meme qu'il
bénéficie des autre~ : ils se donnen! un relief mutuel.
Chaque valeur et chaque elre deviennent réciproquement
moyen et fin.
C'est ce que l'expérience nous montre dans la présence
complexe dont nous padioas plus haut. On pourrait luí
appliquer le ver s fameux de Victor Rugo sur l'amour
d'une mere: tous les enfants se le partagent et chacun
l'a tout entier. La famille fait éclore certains de ces
sentiments qui nous aident a comprendre l'élan compré-
hensif de l'amour mystique, capable d'assumer plusieurs
choses en meme temps et de participer déja a la totalité
de Dieu. C'est une fidélité absolue paree qu'elle est
greffée sur l'absolu; faule d'unité simple, elle s'exprime
par une ha1'monie dynamique.
4) Enfin, le cont1'epoint ou la fugue: c'est-a-di1'e l'uni-
vers enelos clans la monade;une fugue Ol! chaque foís
le theme engendrerait de nouveaux themes en se repre-
nant, bref se créerait lui-meme en inventant tout le
reste. Parvenue a cet état, notre fidélité a une cause
contiendrait toutes les autres causes.
De ces quatre états, le premier (choix exclusif) est
animal; le second (juxtaposition) est naturel; le troÍsieme
(polyphonie) est spirituel; le quatrieme (fugue mona-
dique) est divino
n ne faut pas se hilter de dire que l'implication mona-
dique, étant divine, n'est possible qu'a Dieu. Leibniz a
bien vu que dans la création aussi tout se tient; en une
8
cause, 011 devrait trouver aussitol toutes les
autrcs. Mais ecHe a fruit
ultime de la fidélité cst équivalente a ce
appelle la vision intuitive du paradis. Psyehologiquement,
elle n'est pas possible a l'homme ici-bas. n est vito
al'reté par le poids de la nature. Sa conscience claire ne
sai! pas ton8 les etres en un seul mais seulement
par un seul.
Aussi ne peut-il arriver a une présence qui contienne
toutes les présences que d'une maniere épisodique, el
préeisémen 1, en Uieu : éLauehes d'une cité divine, d'un
paradis retrouvé qui n'est accessible que par la foL
La fidélité dans la vlsion ou synthese totale est au-dessus
de nos moyens directs. Mais la charité enrobée dans la
foi el l'espérance est possible. Et elle s'exprime dans
1'état polyphonique, qui est le véritable Mal accessibJe
a l'expérience de l'homo fabe/'.
CHAPITHE VII

DEUX EXEMPLES DE
LA VIE EN RELIGION ET LA VIE FAMILIALE

I, L'ATTITUDE « POLYPHONIQUE)), CARACTÉRISTIQUE DE


L'HOMO VIATOR, REND LÉGITIME LE RECOURS A DES TECII-
NIQUES DE LA FIDÉLITÉ ET A UNE DÉLÉGATION DE LA VALEUR
SUPREME.

Le terme éthieo-religieux de la fidélité, e'est en


délinitive Dieu qui est a la fois le témoin de l'eng'agement
et sa source ainsi que sa garantie. n en est meme
toujours l'objet, paree qu'il rassemble dans son vouloir
la multitude des eréatures el que IlOUS serions débordés
par nos obligations envers elles si nous ne pouvions
les retrouver en lui.
Des 101's, le eulte de la fidélité ne devrait-il pas se
foealiser dans le eulte du dieu jaloux? La théonomie
de l' Aneien Testament aeeeptait eeUe eonséquenee. Tout
a l'opposé de l'autonomie kantienne, elle a le memc
résultat; eomme le fera Kant elle proserit les délégations
de fidélité. Yahweh ne veut pas d'images taillées, de
reflets de lui ehoisis par l'homme ou eréés par l'homme
eomme des reposoirs. I:homme esl image de Dieu mais
n'a aueun droit de faite des images de Dieu et ele
s'appuyer sur elles; iI doit ehe1'eher une fielé1ilé absolue
sans soutien en dehors elu Tres-Haut; toute alliance avee
115
IIG RÉFLEXIONS SUR LA FIDÉLIl'É

OH avcc est une de


allianee assure tout.
Ce coup de harre vers la transcendanee était
sahle au L'image n'esl toutefois pas fatale-
ment une idole. Dans la famille et dans le réside
un monde d'allianees divines. Dans le prophete et le
langage du une a
L' Aneien Testament a done réintroduit lui-meme la
perspeetive de délégations vivan tes du Tres-Haut et le
Nouveau Testament le faH bien davantage encore,
partir du Chrisl envoyé de Dieu el de l'Eglise épouse
du Christ.
Par la, la teehnique des fidélités auxiliaires redevenait
possible; on pouvait s'engager non seulement envefS
Dieu comme Jephté mais envers des hommes en qui la
foi aperyoit Dieu. Le monde entre dans le eireuit religieux
non seulement paree qu'il faut le prendre en charge,
mais paree qu'il apporte un message a l'ame du croyant.
Et }'on ne peut exclure de ee cireuit la matiere meme :
si elle ne peut tenir la plaee d'une fin en soi, du moins
est-elle une oeeasion de discipline, melle de contem-
plation, ce qui lui donne une signification éminemment
spirituelle. Aussi relrouverons-nous toutes ces présences
ou 1eur principe dans la vie monastique malgré les c10-
tures de cette vie qui semble déserler les créatures pour
aller ver s Dieu seul.

2. - LES VOEUX DE RELIGION SONl' UN EXEMPLE DE DÉLÉ-


GAl'ION MYSTIQUE; LEUR Sl'RUCl'URE El' LEUR VALEUR
DÉPENDENl' DE LA QUALIl'É DE CEl'l'E l\USTIQUE.

Un VCBU de religion est un engagement devant Dieu


el envers Dieu : il s'agira d'une vertu a observer (chas-
teté, pauvreté, obéissance), plutOt que d'un acte matériel,
en soi indifférent (p. ex. tourner une meule), qu'il fau-
LA VIll EN RELIGION ET LA VIE F AIvIILIALE 1I 7

drait
a un le vceu est
sauvé de l'immoralilé et est
spirituelle dont iI est mÉ\me en principe une émanation
directe.Par le faít qu'on s'engage devaltlt Dieu et envers
puis qu'on s'appuíe sur sa grace de fayon a
s'engager avec le vceu se
d'un engagement ou d'un
(( serment de conspirateurs ».
Mais quand tout cela est dit, la nature du vceu de
religion n'est pas encore éclaircíe, car l'engagement
est pris devant el envers des délég'ués de Dieu, aux
yeux du croyant. e'est ce quí, pour saín! par
exemple, distingue le vceu simple du vceu solennel :
celui-ci suppose une intervention active de l'Eglise, qui
re90it et con sacre ou bénit le vceu l. Encore faudrait-il
distinguer des aspects dans ceHe interveltltion, surtout
que les choses se sont compliquées depuis le moyen age
el que les vceux simples se son! eux-mÉ\mes chargés de
déterminations canoniques qui les différencient des
vceux privés. L'Eglise intervient de trois manieres:
tantól comme témoin qui enregistre la promesse faite
11 Dieu, tantOt con1me agent qui la sanetionne et lui
donne llne portée canonique (p. ex. en rendanl nuI le
mariag'e subséquent), tantót comme objet médiat de

1. Quaenam sit solemnitas votorum juxta S. Thomam docu-


menta collegit et illustravit A. SANTAMARlA. Manila, rg49. ef. le
compte rendu de A. FINILI dan s Dominican Studies, IV (lg5r),
p. 22g-233. - En Orient, « the taking of monastic vows is signi-
fiad by a mere benediction. It is a graee bestowcd on the new
monk rather than an act performed by him. Nor do they speak
of his having made his profession, but only thnt he has reeeived
the hnbit». A. SZEPTICKY, Eastern and vVestern Mentality, dans
Eastern Churches Quarterly, Wintcr Ig52, p. 357.
lIS
cal' c'est par elle
référenee a une
~urtout chms le eas d'un vceu de
mais eelui-ei n' est pas une matiere solemnisable eomme
les trois grands vceux classiques). Ces interventions, du
moins en tant q'l'elles eonstituent la « solemnité)) du
vceu, restent aceidentelles Far v~,cm,~'"
Depuis le XVI" siecle, ave e les Peres on a
il est vrai, a délerminer un faeteur inlrinseque de la
solemnité dn vceu et on l'a trouvé en général dans le
« don de soi )).
Il faut au moins eonstater que la bénédietion du
prélat suppose l'aceeptation par le sujet d'une regle
approuvée par l'Eglise. n y a done iei une spéeification
sociale : la disposltion intime du don va vers une Eglise
quj accepte le don, l'enead1'e dans une regle, et promet
en reLou1' une aide. La spécification sociale se seinde
meme, puisqu'il y a l'Eglise et la regle, elles-memes
représentées par des chefs en ehair et en os. Mais un
te1 systcme social prétend bien etresurnaiurellement
aimanté et lraversé par une transcendanee religieuse. Si
l'Eglise assume ces pouvoirs, c'est d'en haut qu'elle
estime les avoir reo;us. Si le sujet fait ses vceux, c'est
qu'il a foi en l'Eglise et en sa regle pour le conduire
a Dieu.
Qu 'il y ait done pour une telle foi des « délégués de
Dieu )) personnels (les autorités religieuses) ou non per-
50nnels (la regle), cela ne fait aueun doute. La fidélité
a Dieu s' exprimera par la fidélité aux délégués de Dieu.
Il n 'y a rien a objecter a un tel principe apres ce
que nons avons établi précédemment, surtout si l'on se
reporte El ce que nous avons appelé la « polyphonie »
des causes et la possibilité pour elles de se mettre
mutnellement en valeur. En un certain sens, le religieux
LA VIE EN RELIGION ET LA VIE FAMIUALE 10

faíl vGen d'obéissance n'est meme pas une


C'est a lons les hommes rencontre, c'e5t a lons les
événements traverse que le croyant doil demander
d'etre pour Ini un signe de Dieu. n doit etre pret en ce
sens a obéir a toul el a tous en tant qu'ils Ini. sont un
message incessant de Dien. n doit les interroger ou se
laisser par enx, sur sa fidélité a Dieu.
Mais il faut reconnaltre que toute délégation provoque
un risque et une ambiguité : la foi en l'homme
diverger de la foi en Dieu et égarer. Ce risque est
d'autant plus réel que les VCBUX du profE~s, et en parti-
culier l'obéissance, restreignent et précisent le VGeU de
fidélité a Dieu dan s les événements; ce n'est pas un esprit
qu'il s'agit d'acqué1'i1' purement et simplement, mais
une déte1'mination positive gu'il faut observe1' (les détails
de la volonté 1'églementai1'e et de l'interprétation supé-
r101'ale). Ce n'es1 pas a tous les memb1'es du Co1'ps
mystigue que s'adresse immédiatemenl la fidélité monas-
tique, mais aux supé1'ieu1's de l'ordre. Peu a peu, on
risque done de réengendrer a partir du VGeU un enga-
gement latéral qui n'est plus l'émanation de la vertu
eomme nous l'avons soutenu d'abord et qui ne s'adresse
plus a Dieu mais 11. un destinataire humain considéré
comme absolu.
Par suite, il n'est légitime de s'engager ainsi que si
le eulte de « l'image)) divine (c'est-a-dire du supél'ieur
et du reglement) ne devient pas une adoration ou si
elle ne ferme pas l'ame a d'autres « images ». Le profes
doit, comme tous les autres croyants, che1'cher Dieu en
tout et etre fidele a tous les reflets qu'il en ape1'lioit. Son
obéissance meme ne peut aller au Supé1'ieu1' et a la regle
qu'en tant qu'ils sont des reflets de la volonté divine.
La preuve en est que tout le monde doit désobéir a un
chef <¡ui commanderait des en oses immorales,
120 RÉFLEXIONS SUR LA Fml~LlTÉ

faut d'ailleurs remarquer que le v;:eu de


ne qu'une obéissance au jo/' exteme sur des
poinis déterminés dans les conslitutions. La
remise pure et simple de soi a autrui n'y est pas
quée et le droit canon prend grand soin de le dire
(e' est 1'une des raisons pou!' lesquelles aussi l' ensemble
des théolog·iens est hostile voeu d'obéissance au dime-
teu!' de conscience).
Ces limitations ne semblent pas suffisantes pour parel'
a toutes objections, dira-t-on peut-etl'e, cal' un supél'ieur
ou une regle exigent d'etre obéis, meme s'ils se trompent.
On déclare alors que l'inférieur est dégagé de toute
responsabilité devant Dieu : c'est le chef qui la porte.
Mais si l'inférieur voit et sait que son chef se trompe
a son sujetP En ce cas, il doit encare obéir. Je ne
pense pas, iI est vrai, que sa fidélité déchirante se
justifie alors par la perspective d'un profit normal de la
spiritualité, mais bien paree qu'il faut avoir la paix
socialement. Certcs, ceHe raison accidentelle devra avoir
un sens mystique : la fidélité en ce cas sera un exemple
d'immolation de soL Mais elle ne sera légitime et obE-
g·atoire que dans la mesure précise ou l'exigent a la fois
l'intéret du groupe el celuí du sujet qui a sa vocation
ver s Dieu dans ce groupe; il faut qu'il n'y ait pas moyen
de parer autrement le dommage, c'est.a-dire que la
désobéissance provoque un préjudice spirituel plus grave
encare pour tout le monde, la victime y comprise, que
l'erreur du chef. Sinon, le monachisme serait un maso-
chisme et l'obéissance un triomphe de l'esclavage.
n y a done une obéissance directement conforme au
bien et une autre qui, tout en restant requise, est indio
recte et exceptionnelle : une obéissance pour les temps
de cataclysme, comme la fidélité hérolque du médecin
dans une épidémie. n n'est pas a souhaiter que l'excep-
LA VIE EN REUGION ET LA VIE FAMILlALE 121

tion Boit Sinon la structure des institu-


Hons 8e1'o.1t vicieuse et o.normo.le. 01', les transformations
du monde moderne tenc1ent a sulJstituer de
grands groupes aux petits et a par suite,
automatiquement, les coní1its de l'intéret avec
l'intérct particulier. Dans l'ordre religieux, les commu-
naut6s noínbreuses sont de
rer o-)rcer leur discipline: d' OU des malaises occo.8ionne18
de impéro.tion d de l' obéissance; le nombre des obéis-
So.) Jes indireclement requises pour l'intéret général tend
a croitre par rapport a celles que requiert une
de valeur positivement et directement ac1aptée aux cas
individuels. Ceux-ci, d'autre part, deviennent plus diffi-
eiles a satisfaire paree qu'il y a un accroissement de
lucidité, de défiance aussi, a l'égard d'une autorité dont
les exigences ne seraient pas raisonnables.
Dans ces conditions, les congrégations quantitative-
ment nombreuses doivent assouplir sans cesse leur
répartition pour oblenir un rationabile obsequium et
éviter ce « mécontentemenl ehronique» que Berg·son
disait ette inhérent aux grands groupes. Quand eeUe
souplesse manque, le nombre des sacrifiés augmente el
aussi les risques d'indiscipline ou de médiocrité.
Peut-etre le développement de la lucidité et de l'indé-
pendan ce auta-t-il pour conséquence de multiplier les
communautés a systeme décentralisé, du genre de
1'0ratoite de Newman qui ne doit pas avoir plus d'une
dOllzaine de membres par maison et n'a guere eu, en
fait, jusqu'ici, qu'une maison l. Seulement, ce type de

n y aurait une sorte de dialectique te1'naife a considérer


l.
a ce propos: érémitisme (these), cénobitisme (antithese) et
enfin une sorte de pluralisme et de fédération de communautés
(synthcse). Mais une colonie aux liens laches, il faut le 1'econ-
12:1 míPLEXJONS sun LA FIDlíLITÉ

de graves écono-
maison coutant moins
cher, en D'ou une répercussion
sur la nature des taches memes des religieux qui ne
peuvent pas vaquer 11 une pure contemplation san s
trouver de ressources par leur h'avail 1 .
Les problemes posés par les vceux de religíon sont,
on le voit, multiples. Nous n'avons dans ce
qu'a conclure a la jmtification de príncipe de ces vceux
et a ajouter qu'ils valent ce que vaut le mystique qui les
inspire, en nous abstenant de tout panégyrique ou
dénigrement a priori devant les faits.

naltre, a toujours été difficile a maintenir ou a étendre dan s


1'histoire occidentale. Le mont Athos semble en revanehe offrir
toutes les formes, depuis la eabane isolée jusqu 'i! la grande Jaure
en passant par l'idiorythmie. Celle-ci, il est vrai, tend i! dispa-
mitre. Quant au Gouvernement de eette République, il reste
fédéraliste; mais e'est, on le sait, une république dont les
femmes sont absenLes.
Dans l'Eglise catholique en Occident, J'histoire des derniers
siecles ne montre pas seuJement un développement des sociétés
a VCBUX simples (dans le Code de droit canonique, elles sont
toutes considérées comme composées de religieux; les jésuites
ont ccssé d'etre une exeeption a cet égard); il y a en outre,
peut-ctre, une tendance a fragmenter la durée des vccux (ainsi
les Filles de Chal'ité, fondées par saint Vincent de Paul, deman-
dent chaque année l'autorisation de renouveler leurs VCBUX; elles
les renouvellent ensuite de fayon strictement privée et secrete).
n y a meme une tendance a ne plus faire de YCBUX (Sulpiciens,
Oratoriens; certaines congrégations contemporaines).
l. L'intervention du sacré rend le probleme plus aigu, mais
il n 'est pas spécial aux communautés religieuses. Depuis La
Division du Travail ele Durkheim, nous savons que la conges-
tion démographique entraine une modification immédiate des
structures et les études de Frieelmann ou de Fourastié nous
montrent qu 'au del a d 'une certaine densité, cette modification
n'cst pas bienfaisante,
LA vm EN RELIGION ET LA vm FAíllILIALE 2.3

LE YOIW HELrGlnN NON uNE Fúl


lVIAIS VNE DISCIPLINE.

Les formes du vceu ele relig'ion ont quelque chose de


contingenl. n est possible que les besoins spiriluels de
noire époque ou d'une époque a venir fassent naltre
des formes d'engagement nouvelles guant a len1' contenu,
a le' durée, a la vie commune qui en sera le cadre;
il eí cerlain que ces besoins semblent, a l'henre pré-
sent , chercher leur formule sans la trouver (en partí-
culier pour les personnes désireuses de mener une vie
religleuse dans le monde). Mais, quelle gu'en soit la
forme, le vceu de religion comportera toujours une
orientation vers Dieu el le service d'nne communauté.
En outre, il comportera aussi toujours, semble-t-il, une
c1élégation de Dieu dans certains ~tres humains (un
supérieur et aussi les pauvres a aider, les malades a
soigner, les enfants a éduquer, etc ... selon les cas) et
dans certaines regles (en tant que ces idées rectrices
expriment la vocation). Dieu, le (( supérieur » et la regle
sont essentiels a la vie religieuse et les deux derniers
doivent non seulement refléter le vouloir divin, mais
se correspondre et se refléter en quelque 80rte l'un l'autre.
Est-ce toutl> Pas encore. De la regle, il faut distinguer
la discipline projJrement dite. Elle p,st le corps que le
religieux donne a sa vie spiriluelle grace a la regle ou
idée rectrice dont il s'inspire. n n'y a pas moyen
d'achever la fidélité sans une foi religieuse; mais il n'y a
pas moyen de vivre de la foi sans qu'elle engendre une
discipline de vie. Seulement la discipline peut répondre
a des fins différentes. En voici les principales spécifi-
cations :
l° La discipline est une méthode e.1:pressive, destinée
a faire apparaltre les actes selon un certain ordre et a
RÉFLlEXIONS SUR LA FWÉLITÉ

distribuer les taches dans le et


d'observer une - nous entendons
comrne l'ensemble des príncipes directeurs d'une voca-
!ion ~ sans prendre des initiatives pour appliquer la
regle a la vie, c'est-a-dire sans adopter un de vie.
La vie religieuse ne peut etre une vie de boheme. Meme
si elle se donne du champ et laisse beaucoup
entre les poles d'une journéc, il Ini faut un mínimum
d'organisation. Ainsi comprise, elle est la premiere et
inévitable émanation de la regle intérieure donnée dans
le vceU.
2° La discipline peut etre aussi un exel'eiee. Elle est
alors moins expressive d'une poussée venue du dedans
qu'auxiliaire de eeHe ponssée; et meme le secours vlent-il
de ce qu'i! y a d'apparemment superflu et absurde dans
l'exercice. L'ascese, c'est-a-dire la gymnastique d'entre-
tí en ou d'entrainement, est appelée par un certain
nombre de faits psychologiques; par exemple, l'ob8er-
vation pr~:lUve qu'il faut se donner des objectifs un peu
plus nombreux et un peu plus difficiles que le résultat
a obten ir sous peine de re8ter undeT' the lineo n faut
done durcir sa fidélité pour ne pas la lacher. De meme,
si l'on peut constater que l'acte infidele pousse en nous
des racines de ehiendent, l'acte fidele a des racines de
primevere; si l'on veut que la vitesse acquise du bien
nous soutienne, il faudra done lui donner toujours
beaucoup d'avance sur ceHe du mal.
3° n y a encore une discipline de pénitence : elle
consiste 11 accepter la souffrance pour se purifier. La
fidélité humaine se sait infirme et défaillante : elle prend
la ero ix du pécheur pour l'unir 11 une croix purement
rédemptrice et sans péché, afin de transformer ainsi,
peu 11 peu, la premiere par la seconde : c'est le rachat
de l'infidélité par la fidélité.
LA VIE EN RELIGION ET LA vm FAMILIALE 125

4° est cal'iiative, Elle l' est 'abord


sous forme en tant qu'un pour le
service de lous, a son propre de vie la
discipline des autres, c'est-a-dire consent a exéculer des
gestes en commun (par exemple a revetír un uniforme
et a accomplir des exercices coUectifs), De meme en
sera-t-il s'il consent, en sens a différencier
ses gestes pour la communauté (ainsi que le font les
freres convers). Mais on peut compter encore dans celle
discipline tout ce qu'un individu fera contre son gré ou
en plus de son désir spontané pour ne pas se séparer
religieusement d'un autre etre humain (par exemple
quand un intellectuel décide de réciter ious les jours une
dizaine de chapelet afin de ne pas se mettre a distance
de la mentalité des gens sin pIes dans son Eglise).

4. - Fm ET DISCIPLINE CRÉENT UN NOUVEAU MILIEU VISIBLE


QUI PROLONGE LA VOLONTÉ FIDELE DAN S LE MONDE.

Toute force a un champ : en physique on parle, 8e10n


le cas, d'un champ magnétique ou d'un champ d'action
mécanique. L'homme qui fait un vreu procede, en
quelque sor1e, de' fagon analogue : il forme un nouveau
milieu par sa seule attitude. Toutefois, i1 y a entre les
forces physiques et les forcen spirituelles des différences
évidentes. En la circonstance, il faut d'abord noter que
le ce champ )) qui résulte du vam comporte une élévation
de valeur. C'est de Dieu que le religieux attend la force
qui passe par lui; c'est done une modification sanctifiante
qui doit transformer son milieu de vie.
La tendance de l'etre qui s'engage envers Dieu est
de se retirer du monde et de s'agréger A d'autres etres
qui lui ressemblent pour former une comnmnauté,
c'est-a-dire une société artificielle, .oU J'o;n met en
commun la volonté de retrait du monde el la voloIlté
HÉFLEXWNS SUR LA I,'mÉLITÉ

d'aller 11 Dieu. CeHe nous


doute d'apparenles
S d'ermites au sen s ne s'asso·
cieut pas. lVIais ces exeeptions eonfirment la au
moins en ce que l'ermite entend bien se créer un milieu
propice, un désert peuplé de présences invisibles.
Ordinairement, il y a urdo communauté visible. Les
causes de celte agrégation apres segrégahon sont multi-
pIes; il faut bien dire qu'elles soní éeonomiques autant
que psychoJogiques et spi1'ituelles. Mais nous avons vu
que la eommunauté el l'obéissance se récJament l'une
l'aut1'e, si bien que les exigenees de la vie eommune
influent en re tour sur le voeu de 1'eligíon.
A vrai di1'e, les fonetions de la (( ter1'e nouvelle))
eréée par la fidélité religieuse sont multiples. En voici
t1'ois aspeets fondamentaux :
l° Se préserve1' du mal ambiant et en fuir les oeca-
sions;
2° Trouver dans la communauté des profes un secours
pour a11e1' vers Dieu;
3° Crée1' une institution-type utile a la société profane,
soH comme base teehnique a partir de laquelle iI faudra
1'ayonner, soit eomme modele de vie sociale que la société
profane pourra imiter ou transposer.
n ne semble pas qu'une communauté religieuse puisse
sans danger abandonner l'une de ees fonctions. Meme
les contemplatifs doivent rester actifs et présents au
monde; d'abo1'd, leur retrait est encore un apostolat et
un enseignement conlme les silences dans un morceau
de musique; ensuite, ils prient pou!' le monde et croient
a la eommunion des saints; enfin on vient les visiter
et leur demander conseil. Il n'y a done pas de réclusion
absolue qui soit possible ni souhaitable.
Mais toutes les communautés ont pour vocation
LA VIE EN RELIGION ET LA vm FAl\ULIALE 27

que sur autre c'est


s' échelonnen t entre deux
extremes dont l'un serait le ghetto et I'autre la diffusion
ou la dilution du moine dans la sociéU civile. L'un el
l'autre extremes constituent des déviations défavorables.
Le « ghetto)) donne en apparence la paix, évite les
la confection d'une
valorisée; mais, en réalité, c'est la tiédeur, la sclérose,
la mort. En revanche, la dilution « dédifférencie »,
comme diraient les biologistes, et mondanise le moine
sous prétexte d' adaptation et de charité. Dans les deux
cas, le résultat se retourne contre la vie religieuse qui
manque son but véritable et l'organisme collectif est
voué alors a mourir par l'engourdissement ou la révolte
de ses membres.

5. - Du POINT DE VUE ÉTHICO-RELIGIEUX, LES PRINCIPES


DE LA FIDÉLITÉ M:ONASTlQUE IMPLIQUENT CEUX DE LA
FIDÉLUÉ LAIQUE.

Les réflexions quí précedent sur le role de la délé-


gation, de la discipline et du milieu dans la vie monas-
tique nous ont permis de rassembler toutes les formes
de matérialité qui expriment ou affermissent le vceu. 01',
si on dépouille celuí-ci de ses détails contingents, on
s'apercevra bien vite qu'il contient quelque chose
d'essentiel a l'exereÍce religieux de la fidélité dans
n'importe quel domaine d'apparence profane. Cal' le
croyant est en un certain sens un religieux dans le
monde. L'esprit du vceu déborde les couvents et doit
inspirer toute personne quí espere donner un sens
ultime el un accomplissement absolu a ses fidélités
terrestres. L'institution monastique ferait faillite sur un
point essentiel si elle n'apportait rien d'assimilable aux
engagements humains tels que les réclament la famille,
128 nÉFLEXIONS SUR LA FIDÉLITÉ

, la vie elc. . C'est la


lui avons donnée dans
certainement Ineme si elle
abord, insolite.
Le fait que le moine, en se retirant du monde, n'ait
jamais pu anéantir les délégations de valeur a, d'aut1'e
une notable ponr la
qu'il est au nOln de la pe1'fection
de condamner a priori la dévotion aux créatures. Tou!
nous oblige, au contrajre, a conclure qu'on ne sera pas
fidele a Dieu en sautant daus la stratosphere mais en
restant loyal a la terreo Une certaine incompatibilité
entre la contemplation et l'action, ou entre la consé-
cration a Dieu et le sen-ice des hommes, est des 101's une
illusion a rejeter. Les fidélités profanes n'ont rien
d'intrinseque qui doive arreter en elles l'irradiation
mystique. Autant dire que les éléments primordiaux du
probleme spirituel sont les memes des deux cOtés d'une
cloture conventuelle.

6. - L'ABONDANCE DES FORMES DE FIDÉLITÉ QUI SONT


CONTENUES DANS LA VlE FAMILIALE EN FAIT UN EXEMPLE
PRIVILÉGIÉ POUR L' ANALYSE PHÉNOMÉNOLOGIQUE.

Dans l'ordre profane, la 'lie familiale est l'exemple le


plus remarquable de fidélité que nous pouvons choisir.
n n'y a, pour ainsi dire, aucun type et aucun niveau du
loyalísme qui lui échappent.
Un foyer va-t-íl se constituer p,a,!' l'uníon de l'homme
et de la femme? C'est aussitot le rapport de la fidélité
et de l'amour qui surgit. Encore libres de tout enga"
gmnent social, les amoureux sont pourtant déja des
« promis ». L'amour, qui est a leurs yeux l'acte meme
de leur libre initiative, apparait sans doute a l'analyste
sévere comme grandement dé terminé par l'hérédité et le
LA VIE EN HELIGION ET LA vm 17 AMlLIALE I 29

milieu 1 sont les amoureux ont


cal' si soient des raisons de leur ren-
contre, ils savent du moins ce que autres
toujours et qui esí leur rencontre rreme, avec l'appel
libérateur qu'elle apporte. Amour, fidélité et liberté sont
bien a cet égard en étroite connexion. Ce sera a l'avenir
de prouver si le déterminisme 1 ou non sur
eeHe cnnnexion el en dissociera les termes. Peut-etre ne
durera-t-elle pas et dira-t-on ensuile ; nous nous étions
trom pés. Mais l' erreur n' é tai t pas dans l' amorce initiale
de I'expérience, elle était dan s la faiblesse des vouloirs
qui n'ont pas surmonté les obstacles; elle était, si I'on
préfere, dans la sous-estimation de ces obstacles. Au fond,
il n'y a d'erreur que d'exécutioll et l'utopie amoureuse
est de se croire plus capable d'amour qu'on ne l'est
vraiment.
A la différence des délégations que nous présentait la
vie monas tique, l'union de deux etres dans l'amour est
totale ; elle exige un don sans réserve; pour leur expan-
sion meme, les deux vouloirs n'en font qu'un. Jamais
un líen pareil ne lie un supérieur a ses subordonnés, ou
les subordonnés entre eux, dans un couvent; sinon, le
couvent serait monstrueux. eette condition nouvelle,
l'offrande de soi a autrui, est en revanche le propre de
l'amour 011 encore de certaines amitiés exceptionnelles.
Elle n'a rien de fatalement idolatrique : se tourner vers
les créatures n'est pas, d'apres saint Thomas, la raison
du péché, qui consiste bien pIutot a se détourner de
Dieu. Le mal n'est pas d'aimer les hommes, muis de ne
pas les aimer tellement qu'on les aime ave e Dieu et en

l. Cela soit dit sans tomber dans le romantisme de certains


généticiens ou caractérologues qui attribuent it leur science
beaucoup plus de prévision qu'elle n'est capable d'en fournir
en ce momento
9
130 RÉFLEXIONS SUR LA FmÉLlTÉ

e' est par son


l'amour humain sera ou non avec une
et il se faire que 1'infini la créa tme ne
s'atteigne qu'avec l'infini de Dieu, ou vice versa.
Nous venons, il est vrai, de toucher a un probleme
tres grave: peut-on aimer plusieurs fois avec une pléni-
tu de si absolueP c08ur n'a-t-il pas un attache-
ment électif le rend consubstantiel a un autre etre
et a celui-la seulementP Laissons de coté l'unité divine,
quí sait ctre nécessaire el, présente a l'objet humain. n
n'en restera pas moins que cet objet humain exclut
tout rival humain. On ne trouve pas deux fois le
compagnon de sa vie. L'unicité du choix ne peut se
confondre avec un égolsme a deux, cal' elle exige que
la dyade se mette au service d' autres ctres et s' ouvre a
l'univers enUel' des personnes. Mais le monisme en
amour repose soit sur une conscience tres vive des avan-
tages généraux de la monogamie indissoluble, soít sur
une foi romantique et métaphysique en l'existence, pour
chaque ame, d'une ame-s08m. La fidélité quí convient
a une telle conception est farouche; elle est diamétra-
lement opposée au donjuanisme de l'instinct vital, ou
mcme aux pluralités sans hiérarchie d'une sagesse
accueillante. Tragique, grandiose, dangereusement tendue
et austere, elle prend au sérieux notre destinée dyadique
et lui confere une dignité quí, bien au dela de la division
physique des sexes, répond toujours a l'élan premier du
sentiment amoureux l.
Vient le mariage. Faut-il répéter que ce n'es! pas un

1. On s 'en convaincra, souvent par contraste, en lisant l'essai


de M. SAUVAGE. Le cas Don Juan, París 1953, en particulier le
chapitre II, La fidélité impossible. Don Juan est prisonnier dn
tcmps el le temp'; est usure. Peut·etre M. Sauvage ne reconnalt·
elle pus suffisamnwnt que le temps est allssi concentration 0\1
LA VIE EN RELIGION ET LA VIE FAlVIILIALE 131

cont1'at comme les autresP ne }'e8t le


ni pour le sociologue, 11. 101'te
pour le Dans le Partage de Midi et le So¡üier
de satin, Claudel professe pour les droits du
le plus inso1ent respect, cal' il les sépare de l'amour
meme. En quoí il souligne brutalement la tension
et, entre un sentinlent
meurt et une obligation qui demeure. Mais si le statut
précede et entoure 11. ce point le contrat, estoce unique-
ment pour le bien des enfants ou de l'ordre social?
Claudel ne le soutiendrait certes pas. n verrait dans la
proscription crucifiante de l'adultere la condition du
salut de l'ame; iI en fel'ait, en outl'e, une condition du
salut de l'amour (j'entends l'amour de Rodrigue el de
Prouheze, non de Prouheze et du mal'Í qu'elle n'aime
pas). Poul' lui, comme pour Corneille, il est toujours
permis d'aimer, mais toujours défendu de mal aimer,

l'écupération. Il me semble surtout qu'il est ambigulté, et c'es!


pourquoi le vouloir fidele ne 8'y sauve ni ne s'y perd fatalement.
Ce n'est pas seulement dans les questions de cceur qu'un
certain monisme s 'impose et qu 'une ccrtaine pluralité est rui-
neuse. Ainsi la destruction du systeme féodal f 'esL faite par la
vassalité multiple : engagé envers plusieurs suzerains, on ne
I 'était pratiquement envers aucun a 1'heure du dan gel' . La vaS8a-
lité multiplc provenait de l'avidité : on voulait manger a tous les
rateliers (F. L. GANSHOF, Qu'est-ce que la féodalité. Bruxellcs.
NcuchaLel, 1944, p. 121). La destruction d'un foyer se fait 80U-
vcnt par un processus analogue d'avidité, puis d'impuissance,
devant des engagements incompatibles dont on finit par s'affran-
chir. Tout se passe donc comme si le dévouement huma in exi-
geait lui-memc une préférence et ne pouvait s 'universaliser
pratiquement qu'en suivant un ordrc exclusif : « avec toi et par
nous deux pour les autres JJ. Il y a en ce domaine une log'ique
des formes aussi rigoureme par ses conséquences que celle du
physicien lorsqu 'il doit opter entre un montage en série ou en
dérivation, ou grouper des éléments en surfacc OH en tension.
nÉFLEXIONS SUR LA FIDÉLITÉ

sons de l'amour meme : des


¡\ offrir ou a recevoir caeur avili par une
l'amonr manque son huI el son infini. Et de con sé-
qucnce en cet écrivain altier un
doute sur la valeur esthétique d'un amour humain qui
n' est pas contrarié.
La liUérature songe l'ctrement aux Nous
devons pour notre part y songer ¿'abordo Le statut
matrimonial est destiné a sauver ¡'amou!' a unis,
a de a lui a lui
ménager la possibilité de ressusciter s'il en est besoin.
l\Iais cet éloge du mariage 11'est-il pas el'un optimisme
conventionnelP L'usure qui résulte ele la vie en commun
n' est-elle pas une réali té quotielienne et affreuse du
mariag·eP Vous vous etes tant aimés que vous ne vouliez
plus vous quitter. Eh bien, on vous a pris au mot et
vous voici liés a jamais. Le pretre, le maire et l'opinion
publique vous ont entendus et mainienant ils vous
tíennent. Les chalnes sont bien rivées a vos poignets et
les appesantissent a jamais.
A cette protestation, il faut répondre quand meme que
l'indissolubilité est inhérente aU vaeu de l'amour. Celui-ci
n'esl pas seu1ement une grace initiale, une brise
heureuse; c'est une tache a accOlnplir et un voulo!r infini.
C'est une a::uvre a deux et elle n'est jamais achevée :
vous avez a construire votre union chaque jour, El créer
ensemble les habitudes qui la constituent au lieu d'im-
poser a votre conjDint vos préférences iSDlées. VDUS
vous etes engagés a faire chacun le bonheur d'un autre
etre dans la bonne comme dans la mauvaise fortune,
ce qui suppose que vous etes, infiniment aimables au sens
étymoJogique du mot ou que, si vous ne l'etes pas,
VDUS vous reconnaissez obligés de le devenir. CeUe meme
amabilité parfaite que vous avez vue dans votre parte-
LA vm EN RELIGION ET LA vm FAMIUAI"E r33

vous devez la revoir


la réil13taller peu moins
y soit infiniment. JI y a une
profonds et aucune logique n'est nomade. Aimer, c'est
ne plus pouvoir esquiver l'épreuve de la 10i monoga.
mique et elle est, au fond, une miséricorde pour votre
amour. Elle est la seule a avoir encore de lui
vous préiendez le déserter ou proclamer qu 'il est mort.
Elle n'est cruelle contre vous que pour lui et a cause de
vous; mais elle n'est cruelle qu'en proportion d'un
effondrement et afin de rescaper le sentiment dont elle
a88ure pour ainsi dire l'intérim dans les passes difficiles.
La loi d'indissolubilité, qui n'interdit pas aux conjoints
de se séparer, leur défend d'insulter 1eur vceu primitif
et exige que den d'irrémédiable ne le bri8e, cal' l'amour
qui a uni du dedans deux etres ne peut etre arraché
de 1eur substance ni jeté au néant.
Mais la famille n'est pas seulement la vie conjugale;
elle est aussi la vie parentale, la vie filiale, la 1'e1ation
fraternelle. Chacune de ces conditions comporte une
forme de fidélité spéciale : plus créat1'ice chez les parents,
elle est plus statutaire et conserva trice chez les enfants
qui n' ont pas choisi de naltre et de grandir la OU ils
sont. La fidélité du pere ou de la mere surplombe des
régions inconnues, elle descend gratuitement et incon-
ditlonnellernent sur les enfants; appuyée sur l'institution
conjugale, elle jaillit d'autre part d'un instinct si fort
qu'elle est peut-etre de tous les sentiments humains celui
qui a le moins besoin de contrats et de serments. La
merveilIe du foyer est de créer en retour une condition
filiale qui a p1'esque la meme constance : bien que la
sollicitude des enfants pour 1eurs parents soít moins
permanente et précise que eeUe de leurs parents pour
eux, elle est si melée a tout leur etre des ses débuts
RÉFLEXIONS SUR I,A FlDÉUTIÉ

que le statut filial se conlond presque avec 'eire


et ne le tout a falt, Pour la meme
la fidélité des fn',res el sreurs résisíe amsi a bien des
incompréhensions la dispersion des destinées ou
leur rivalité. S'agit-il enfin de la famille au sens large,
c'est-a-dire de la lignée considérée dans les aJeux ou dans
les branches latérales ¡1 La óolidarité nous atta che a
elle sug'gere déja une fidélité analogue au culte de la
pelite « patrie», s'il est vrai que la patrie est la tene
des ai:eux et des plus proches voisins.

7. - CONsmÉRÉE DU POINT DE VUE MYSTIQUE, LA VIE F AMI-


LlALE COMPORTE UNE DÉLÉGATION DE VALEURS, UNE DISCI-
PLINE SPÉCIFIQUE ET LA FORMATION D'UN MILIEU NOUVEAU,

Les trois caracléristiques de la vie monas tique que


nous avons notées plus haut existent aussi bien dans la
vie familiale. Elles y sont transposées mais rcconnais-
sables. Il y a une délégation de la valeur dans l'amour
de l'homme el de la femme : et ceUe valeur peut etre
a la hauteur du vreu mystique, c'est-a-dire supreme. La
volonté divine passe alors par l'amour exclusif d'une
créature, non pour que nous limitions cette créature
a notre besoin le plus élémentaire ou le plus égolste,
mais pour que nous accomplissions par elle et avec elle
l' reuvre la plus sérieuse et la plus féconde de notre
vocation humaine. Si 1'adultere psychologique est lui-
meme interdit flUX conjoints, ce n'est pas afin de
sacraliser une jalousie irrationnelle mais afin d'aimer
avec plus de nobles se et de servir avec plus d' efficacité
l'univers des personnes. L'horizon religieux sauve ainsi,
de fayon paradoxale, le pluralisme du creur et il est
seul a pouvoir le faire. Mais il le faít avec l'udesse. Cal'
l'amour qui conduit au mariage y trouve sa discipline;
n prend le contrat et le serment pour auxiliaires, il se
LA HE EN RELIGION ET LA VIE FA1\HLIALIl

donne onéreuse vise l' éternel dans le


Comment ici encore, et malgré des différenct'3
évidentes pour I':tre ne pas consta ter
l' analogie de situation dans la dn
moine et des conjoints? Anssi pourrions-l1ous répéter a
leur Bujet certaines des réflexions que nous avons faites
sur l' esprit et les limites de la ou plutOt sur
l' as cese qui procede de ceUe regle et s' en distin gue.
Enfin, le foyer est un milieu nouveau que la double
volonté des époux crée en s'unifiant et accueille
les enfants. Une maison est un milieu artificiel comme
un couvent; elle a ses traditions, ses taches, sa mission.
Mais elle doit I':tre aussi comme le couvent, el plus que
lui sans doute, un carrefour d'influences, un organisme
ouvert. Ne croyons pas que le statut des uns soit a
lous égards plus libéral que celui des autres : si les
membres d'un foyer sont en principe plus maltres de
leurs allées et venues que les membres d'une commu-
nauté religieuse, ils sont d'autre part attachés a la famille
par un statut physique et inamissible, tandis que les
religieux entrent a l'age adulte dans le groupe et 8'1
inserent moralement, non par le lien du sang'.

8. - L'ASSOMPTION MYSTIQUE DES FIDÉLITÉS TERRESTRES


NE RÉSULTE JAMAIS DES CADRES PSYCHOLOGIQUES OU SOCIAUX,
MAIS DE LA FOI QUI LES TRAVERSE.

En choisissant l'exemple de la vie monastique et


celui de la vie familiale pour iIlustrer le propos mystique
en ce monde, nous n'avons pas du tout voulu faire leur
phénoménologie. La description que nous en avons
donnée serait restée beaucoup trop squelettique pour un
te1 but. Mais nous avons voulu montrer selon quel esprit
la foí religieuse respecte et prólonge les déterminations
institutionneHes.
136 RÉFLEXIONS SUR loA FIDÉUTÉ

lais3ées a et [rans-
mettent tant bien que dont elles
sont mais no la créent et n'en font
pas monter le niveau, C'est pourquoi elles
des antinomies insolubles des qu'on fait abstraction de
cet esprit. n ne reste alors que l'ordre extérieur des
serments et des conlrats 01 les im!ividus débattenl
comme dans une prison. L'institution compromise par
la narcose de ses víctimes ou secouée par leur méconten ..
tement chroníque perd son équilibre; elle dovient trop
soupIe ou trop raide; elle rejoint peu a peu les soubre-
sauts de la nature ínstinctive qu'elle avait pour charge
de surmonter et de civiliser.
Cal' la nature instinctive est d'ol'dinaire incapable de
fidéIité 1, elle ne l'ésisle pas aux variations combinées
du désil' et des circonstances. L'amour de l'homme et
de la femme, par exemple, craint a juste titre l'absence;
ir sait que sans la communauté de table et de couche
la survie de toute tendresse est perpétuellement menacée.
n veut donc la présence; il l'obtient, mais voici qu'a
son tour elle devient une menace et dissout lentement
l'amour : elle fait éclore en lui les germes inattendus
de la haine ou de l'indifférence qui le tue. Nec tecum
nec sine te ...
La nature met en route. Les institutions reyoivent un
dépOt. C'est a la personne de faire son destino Elle
trouve en dehors d'elle le berceau de ses fidélités et le défi
des cireonstanees. Mai§ ce SQnt des auxiliaires ambigus.
n luí faut plus que la terre pour créer une autre terreo
1. En ligne descendante ou memo ascendante, les sentiments
tiennent. Encore y a-t-il autre chose que de l'instínct dan s l'édu-
cation d'un enfant et dan s sa gratitude future.
CHAPITRE VIH

LES DÉSASTRES DE LA FIDÉUTÉ

Epictete prétend que toute chose a deux anses, l'une


bonne, l'autre mauvaise. Nous avons jusqu'a présenl
regardé le coté lumineux et consolant de natre sujeto Le
moment est venu d'etre attentif a une contrepartie que
nous avons volontairement négligée. Peut-etre cette étude
n'est-elle pas sage au sens d'Epictete et allons-nous
Jacher la bonne anse pour la mauvaise; mais l'honneteté
intellectuelle nous y oblige. Nous examinerons done
dans ce chapitre d'une part les caricatures de la fidélité,
d'autre part les désastl'es objectifs dont elle peut eLre
la cause. Dans le premier cas, les inconvénients du
loyalisme mal compris peuvent etre évités par un
loyalisme mieux compris et il devrait suffire, par consé-
quent, de signaler le mal ponr en découvrir le remede.
En revanche la difficulté posée par le second cas est
beaucoup plus sérieuse et vaut qu'on lui consacre un
paragraphe particulier.

l. LES CARICATURES DE I,A FIDÉLITÉ.

l. La fi,déli.té pal'esseuse. - Elle consiste a répéter


les formes du passé par routine el par manque de vitalité.
01', nous avons constaté sans cesse qu'il ne faut pas
s'en tenir aux valeurs du passé mais écouter l'appel
137
.38 RÉFLEXWNS SUR I,A FmÉLnl~

de r avenir. Etre fidele une semence


n'est fidele a elle-meme devenant une
L'arret dans un événement ne nous livre jamais le type
complet d'un etre, cal' aucun apex instantané ne contient
fouí ce que nous sommes essentiellement. Ne confondons
pas davantage la source et la premiere expression chro-
nologique de cette source, l'esprit d'enfance
tuelle et l'infantilisme. Jamais ce que nous avons été
ou ce que nous avons fait n'épuise ce que nous sommes,
a moins que nous n'enfermions dans l'instant l'exigence
qui le raUache a tous les autres instants. Mais en brisant
les limites de finstant, nous ne pouvons pas conclure
que la fidélité autorise tout : ce serait un affreux contre-
sens. La fidélité integre les moments du devenir selon
un certain axe el ne l'abandonne jamais; meme ce
qu'on abandonne doit survivre, a un autre niveau et
sous une autre forme.
Spirituellement, notre avenir n' est jamais derriere
nous; iI n'y a jamais de décrépitude totale de l'ame,
bien qu'il y aH un rétrécissement inévitable de notre
carriere. Certes, le caractere naturel nous apporte un
ensemble de virtualités qui décrolt spontanément avec
l'age et c'es1 pourquoi nos tendances accusent leurs
traits et nous tyrannisent de plus en plus en vieillissant.
L' étau se ferme: aussi les conversions tardives sont·
elles rares et difficiles. Mais dans ce cadre, qui lui laisse
de moins en moins de champ, le caractere voulu peut
toujours se développer et exprimer ses initiatives. Son
role est de retarder la fermeture de l'étau et de maintenir

l. « The form of a plant is not just the shape we see before


uso It is the whole cycle from its seeding to its fading)). C'est
la « Geprligte Form die lebend si eh entwickelt)) de Goethe.
Cf. L. A. WILLOUGHBY, Unity and ContinlLity in Goethe. Oxford
1[147, p. 5.
LER lJlí~ASTnE" DE LA FIDÉLITl;

centre peut altendre


d'un etre
de , un
íntentionnelle ne tend pas moíns que l'autre vers
libre et l'unité, mais alors que le caractere naturel finirait
par clore }'avenir et par nous fixer dans une fidélilé
morte, le caracthe voulu rend toujours possible un
l'enouvellement de nous-memes. n ne se satisfait que
d'une fidélité créatrice, meme si l'affaissement biologique
en limite les manifestations.
Qui ne voit des lors que parler du caractere est ambig'uP
Sa réalité appartient a deux mondes : tantot il est le
signe d'une nature qui se distribue et se répete parmi
les hommes; tantot il est l'empreinte d'une volonté
imprévisible qui transforme les événements. Grace 11
elle, notre nature banale et passive sert elle-mcme notre
destinée unique et libre. Au point de jonction de la
nature et de la liberté, le caractere lotal est une amvre
composite qui peut res ter jusqu'a la fin un chef-d'amvre
de fidélité intelligente, paree que la vocation personnelle,
non contente d'échapper au poids de l'hérédité, du
milieu et des habitudes, les integre de son mieux a
ses propres fins et confere a leur cnchalnement sa
propre signification.
2. La jidélité intéressée. - Comme dans la fidélité
paresseuse, il s'agit d'une étroitesse : l'affirmation du
passé s'arrete au passé, la jouissance éprouvée ferme
nos yeux a tout horizon nouveau, l'éternité de la valeur
se dégrade et s'installe dans une portion de temps stabi-
lisée. Mais le motif n'est plus exactement le meme : ce
n'est pas le sommeil, c'est l'intéret qui nous rive a une
émotion ou a une institution. Nous adhérons jalousement
a l'objet de notre amour. Nous le clOturons et le sous-
trayons a l'avidité d'autrui si c'est une chose; aimi,
nÉFLEXIONS SUR LA FIDÉUTÉ

sommes-nous conservateurs pour maintenir nos


Nous d'évoluer pour
individu ; ainsi les meres abusives
leur enfant comme une source de joie élémentaire et lui
interdisent-elles toute autre connexion avec l'univers.
Bref, l'apparence de fidélité n'est que la rccherche
constante de la volupté empirique et la fidélité intércssée
eherche 1:1 eréer dans le une fidélité paresseuse.
Nous ne dépassons pas la relation du maltre et de l'esdave;
mais aIors qu'elle est paríois l'affirmation ingénue d'une
force animale, elle devient iei vicieuse, cal' elle se dissi-
mule sous une valeur de sel'vice. Elle utilise le bien pour le
ce que }'instinet n'aurait pas invenié sans la com-
plicité passionnelle de l'esprit. A cet égard, Ana-
tole France, dans l' lle des Pingouins, n' a pas tort de
célébrer eomme une délivrance « l'heureuse infidélité »
de l' amoureux ; la tyrannie le lasse, iI se guérit en étant
volage et cesse enfin d'accabler 1'&tre qu'il prété."dait
chérir,
3. La fidélité peul'euse. - Que de fois sommes-nous
fideles par peur des coups! Nous tremblons devant
l'inconnu, nous ne voulons pas courir une aventure
ou plus simplement nous désirons échapper a un fardeau
et aussitót nous déclarons que nous ne sommes pas
disponibles. La « vertu» est souvent sanvegardée exté-
rieurement par une prudence de ce genre. n s'agit
d'économiser son etre.
Rien n'e8t plus redoutable que de se mettre sur les
épaules le poids d'une existence supplémentaire. Aussi,
presque toujours le désir de rester célibataire est-il dli
a la fuite des responsabilités : on abrite sa peur derriere
la faliade des grands príncipes. Telle a peut.etre
en partie, l'attitude de Kierkegaard quand il rompít ses
fianliaiUes ave e Régine. n craignit de la rendre malheu-
LES DÉSASTRES DE LA FIDÉLITÉ

reuse; mals devlnaH anasi que


e' en serait fait de sa propre el de ses travaux.
n iallait ehoisir entre le AU'cH'Á,,~ el l'ceune littéraire.
a avee un hérolsme
eherché a se faire mépriser de Régine et a la libérer de
tout scrupule, si bien que sa eonduite n'est certes pas
ceHe d'un maís d'une ame compliqnée
et finalement tres noble.
Et certes, la critique est faeHe, maía l'art de vine esl
dífficile. Tout reius de }'aventure n'est pas coudamnable.
La vocatlon d'un etre doit etre respectée, meme si c'esí
la nolre! Il n'est pas re guia - bien au conhaire - qu'on
se mette dans une situation décevantepour tout le
monde. n n'est pas requis qu'on présume de ses forces.
La fidélité est un esprit, elle n' est pas un prurit de
générosité intempestive et n'a pas a se jeter dans n'im·
porte quelle forme. Mais la limite est bien malaisée a
tracer dans la pratique entre le devoir et l'abandon du
devoir.
4. La fidélité hypocrite. - On se donne un masque
de rcspectabilité, on se réfugie dans des médiations
verbales et des apparences sociales : el derriere eeUe
faQade, on mene une vie tout autre.
Le germe de l'hypocrisie est déja dans les altitudes
préeédentes. Mais elle est iei a l'état pur et organisée
en systeme. C'est le pharisa'isme, la vie double. BitOn
sur, e'est l'exces d'un sentiment qui a l'origine était
bon : a savoir le désir de ne pas ni el' un prineipe sous
prétexte qu'on n'a pas la force de le vine pratiquement.
L'hypocrite est souvent, au début, un homme soucieux
de ne pas corrompre autrui en Iui donnant le mauvais
exemple. Mais il glisse a l'extreme opposé et ne se
soucie plus que de lui-meme; il se faít profiteur el
cynique.
RÉFJJEXIONS SUR LA FIDÉLrrÉ

condamnable eHe ser l


de moyen habile pour tournel' la
d'un pour
les formes. Sous le ritualisme gl'andit .alors un véritable
cancel' de la Ioi morale, dont la nocivité est telle qu'il
n'est sans doute pas besoin d'y insister. L'espece la plus
pénible de est celle d'une
prédication El auLrui : Tartuffe ne se contente pas de
paraltre fidere aux « bonnes idées )), il les inculque a
son entourage, il exhorte au combat, il exige l'hérolsme
et lui-meme se libere de tout scrupule.
Est hypocrite encore l'homme vertueux malgré lui :
l'age, les dignítés, les circonstances l'obligent a se
tenir tranquille. Mais iI ne s'en rend pas toujours
compte et se croit peut-etre sincerement du cOté des
élus, si bien qu'il finit par y etre tout de bon et par
cesser d'etre bien répréhensible. n a récupéré de l'inno-
cence grace aux incapacités de sa mémoire el de son
imagination.
5. La jidélité ol'gueilleuse. - Sous ce terme, nous
pouvons désigner les faux points d'honneur. Fran<;ois de
Curel les a analysés ave e une logique crueIle dans les
Fossiles. Dans cette pieee, plus ríen ne compte que la
fidélité au code de l'honneur aristocralique : l'amour
conjugal, les sentimenls d'une mere, l'humanité la plus
élémentaire doivent etre reniés pou!' que la réputation
de la lignée soit sauve. Tous les crimes sont permis
pour atteindre ce but el si un jeune enfant doit en etre
la victime, tant pis pour lui. De te1s cas ne sont pas
chimériques : qui ne connalt de ces familles qui in ter-
disent a « I'enfant du péché)) non seulement d'etre
recueilli au foyer, mais meme, s'il vient a mourir en
has age, d'etre enterré dans le caveau des siens!
Sans aller jusqu'a ces exces, bien des consciences se
LES DÉSASTRES DE LA FIDÉLITÉ 43
raidissent dans une masochiste a cause
fictive dont leur fierté les Bien que ce
genre de
il y a encore des etres passent
acquitter les deHes de leur ])ere ou de leu!" grand-pere,
ce qui est noble et louable; ou memea faire de cette
restitution le bui de leur ce est une erreur.
J'ai connu un vieil ami qui avait banni toute autre
préoccupation que ceHe-Ia, au point de renoncer a jouer
de la musique, bien qu'il fUt musicien, du jou!" ou sa
famille fut minée. Il a lutté sans répít pour rétablir la
situation et est mort agé sans avoir payé les derniers
débiteurs. Balzac n'a pas tout dít.
Mais eette déviation n'est pas a mettre sur le plan des
précédentes, cal' elle a quelque chose de farouche et
de eornélien. Elle ne provoque plus une éeonomie avari-
deuse du débit vital, elle faít naitre des aventures extra-
ordinaires et jaillir des gerbes d'événements paree qu'eUe
est un défi lancé aux événements.
6. La jidélité catasll'ophique. - n s'agit moins ici
d'une déviation nouvelle que d'une extension de l'exem-
pIe précédent. Toute fermeté du earactere n'aboutit-elle
pas a des dramesP La fidélité es! parfois accusée d'étriquer
la vie de l'individu; mais un reproche inverse est tout
aussi eoncevable. L01n de diminuer la vitalité, certaine
rigidité de propos suscite des histoires et e'est avec ces
catastrophes-Ia que se fait l'histoire.
n en est ainsi d'abord dans l'ordre privé. Les :;rimes
passionnels ont pour cause non pas seulement l'infidélité
d'un des héros, mais l'attachement passionné el durable
de l'autre, ou meme le défi que l'amour partagé lance a
l'hostilité du monde et qui unit alors les deux amants
dans un commun suicide.
De nouveau, gardons-nous d'aBer aux extremes, mais
RÉFLEXIONS SUR LA FmÉUTÉ

remarquons que la telldance si elle pas


du coup, soumet l'homme a des tensions
ou a des oseillatlons Hien n'est
en un sens, que les stances du Cid ou de
du moins elles duraient plus longtemps. El elles durent
trop longtemps, par exemple, dans Sparkenbroke de
Charles La montrerait
facilement quels ravages provoque l'hésltation.
on trouble systématiquement la formation du
conditionné chez le chien en l'associant a un signal tantot
bIeu, tantat rouge, le malheureux animal soumis a deux
options et a deux fidélilés antithétiques devient litté-
ralement fou. Son systeme nerveux n'y résiste paso
L'ane de Buridan se contentait de mourir d'inanition
enlre le seau d'eau el une ration d'avoine : son sort
était relativement enviable. La liberté d'indifférenee est
en fait plus eruelle que les philosophes ne l'avaient
prévu. L'expérience humaine est certes plus complexe
que ceHe des chiens de Pavlov. Et si la demi-fidélité
est condamnée, la fidélité sort intaete de l'épreuve. Le
probleme moral n'en est pas moins tragique: cal' il
résulte des faits allégués que si un etre est a deroi
fidele, il sera plus désaxé que s'il n'est pas fidele du
tout. La sanetion qui aHeint les hésitants est incontesta-
blement dure.
Mais la littérature abonde aussi en exemp]es de
catastrophes dues a l'entiere fidélíté du 'héros. La Princesse
de eleves faH trois malheureux : le mari, sa ferome et
M. de Nemours; elle le fail au nom de la foi conjugale
et de la sincérité; une petite faiblesse bien dissimuJée el
non moins bien réparée aurait-elle eu tous ces mauvais
effets P Aurait-elle brisé trois existences? Le lecteur ne
peut s'empecher de se poser la question et de preter
l'oreille a ce qu'un humour faeile ferait entendre en
I.ES DÉ SASTRES DE LA FlDÉLITÉ

l' occurrence. sous ses apparences


Mme de a-t-elle écrit l'un des livres
conrosifs tomber entre les mains de la
jeunesse. heureux que la jeunesse ne le lise
.. ) Un proces analogue pourrait etre fait au Soulier
de Satin, de Claudel : les répercussions du duo amoureux
sont lcí et vertu de Prouhcze
ébranle des empires. Les spectateurs de la piece retirent
de ceHe tension gigantes que des impressions souvent fort
variables: je sais des ménages y ont retrouvé la
fralcheur de leur tendresse et d' autres a
d'une épreuve si prolongée devient rapidement
rabIe ... Mais il faut faire la part de l'affabulation litté.
raire et ne pas perdre son calme a cause des volubilités
de l'imagination : en réalité, l'infidélíté produit plus
de drames que la fidélité morale et détient, sans conteste,
le record des destructions 1.
Du moins voit-on que le reproche habitueIlement
lancé aux ames 10yales est assez vain : il n' est pas du
tout évident qu'elles soient étriquées, qu'elles manquent
de courage ou que leur activité ne les entralne a aucune
aventure. Une vraie fidélité n'est pas stérile. Elle oblige
a prendre des initiatives. Dans la piece de Claudel que
nons venons de citer, don Ramire se sent indigne de
son chef don Rodrigue, du seul faH de n'etre pas aU¿
au dela des consignes reQues, tandis que Prouheze
accomplit la mission que le Roi lui a confiée en épousant
don Camille, bien que le Roi ne le luí demande paso n
arrive, dans les crises sondaines, qu'il faille prendre des

1. De meme le mensonge est-il incomparablement plus nocif


que la sincérité, bien qu 'il soH nécessaire de savoir porter seul
le poids de ses fautes en attendant d 'avoir rendu passible de
part et d 'autre une transparence qui est indispensable a la per-
fectian de 1'amouI'.
10
mesures en apparence, aux ordres regus, Héri~
ter d'un c' est bousculer la en tout
se contenter d'elle. Aussi est-on
dans les grande décisions : ce n' est pas a
la consigne mais a l'intelligence de la consigneet,
en a l'intelligence devant la consigne.
n arrive auos! que la fi(lélité soít en meme une
aventure et une elle dévore ceiui
la Elle exalte alors du meme coup la vie et la
mort. Ne semble-t-il pas, en ce cas, que la
extreme soit en affinité avec le suicide, tandis que
l'extreme infidélité le serait davantage avec l'homicide?
Mais toutes les fa¡;ons de se meurtrir n'ont pas la meme
valeur et n'appellent pas le meme jugement ... Perdre
la vie pour une grande cause n'est pas la meme chose
que perdre l'esprit pour une petite passion. Certaines
formes d'auto-critique rehaussent noire personnalité;
certaines autres l'avilissent, la tuent et l'enterrent,
qu'elles soient dues a l'exces d'un amour, a la tyrannie
d'un partí politique ou a la panique devant une autorité
ecclésiastique. Le sacrifice physique est souvent moins
discutable que celui de l'intelligence; et le sacrifice de
l'intelligence 1'est moins que celui de l'ame, a laquelle
il n'est jamais permis de renoncer. Ce que lE) loyalisme
n' a j amais El détruire mais doit toujours respecter et
faire grandir, c' est la liberté de notre con8cience morale
'et la dignité de notre personne.
7. Conclusions. - J'en proposerais deux. D'abord, la
fidélité est melée de motifs impurs en sont souvent
l'écume la plus colorée. La routine, l'intéret ou le fana-
ti8me inintelligent peuvent y masquer la volonté pro-
fonde d'unité to!ale. Or celle-ci est seule respectable.
Mais elle ne se réaliser en un instant et ce reíard
suffit a donner un visage disgracieux ou facile a
LES DÉSASTRES DE LA FIDÉUTÉ

elle esL vouée une


vouée a échec

et par
par le dehors. Elle
alors que, vue du dedans, elle aura une
faite ou une terrible. Boubouroche est
el ne s'endoute pas; les fredaiiIles de sa femme font
rire paree que nous le avee des yeux
indifférents l. Mais le sort de Boubouroehe ei de sa
H-'ÁH"'"'-'. véeu pareux ou conlpris par un sym-
pathique, est atroce. n justifie a sa maniere la loi
énoneée par ; « Le loyalisme n'est exalté
a son niveau le plus élevé sans la douleur ... H cherche
chosed'essentiellement surhumain 2. »

2. LE CONFLIT DES CAUSES.

l. Le confiit des causes n' est pas seulement da d la


p,zuralité introduite dans l' expérience par ¡' espace .e.t le
.temps. - Nous l'avons, certes, maintes fois signalé
dans leschapitres précédents, les causes ne peuvent
se loger toutes dans l'espace et le temps accessibles á la
conscience immédiate. Mais la réflexion imite a son tour
l' espaceet le temps; elle organise le groupe des causes
lointaines et celuí des causes prochaines; elle se dévoue
aux causesdu passé, ,du présent ou de l'avenicr. Celles-ci

1. Eneore le genre comique n'est-il pas homoglme et faudrait-


il mettre a part l'humour 'luí nous oppose a nous-rneme sans
cette eruauté. Grimm disait de Voltaire qu'il a manqué ses
comédies paree qu'il n'a jamais eonnu « la différence du ridi-
eule qu'on se donne a soi-meme et du ridicule qu'on re90it
des autres». C'est eette derniere forme, note Sainte-Beuve,
'luí est le vrai eomique.
2. J. ROYCE, Philosophie du loyalisme. Trad. de J. Morot-Sir,
Paris, 1946, p. 164.
RÉFLEXIONS SUB. LA FlDÉLITÉ

sont dans le cas de conscience OU


doit concilier ses devoirs de et de
chacun telle conciliation esi des
aísées. Etre fidele a l'un de ces groupes de devoirs,
c'est porter vite aUeinte aux autres. Non 8eulement
groupe cherche a détruire les autres - cas banal
mais le le l'avenir veulent
chacun dans la construction des deux autres, ce
déforme plus subtilement l'ensemble des réali8ations
temporelles. Nous avons vu a quelles conditions couteuses
l'équilibre se rétablit: chaque forme doit etre active
dans les autres et par elles, de telle 80rte que l'avenir
garde un primat pratique en toute créalure, l'avenir du
passé y compris. Cal' c'esl par l'avenir que nous tenon8
aux mamelles célestes et son importance est le signe
de notre dépendance autant que de notre grandeur.
Mais le conflit des causes, tel que nous allons le consí-
dérer maintenant, n'est plus spatio-temporel; il est dú
a leur diversité intrinseque et s'exprime dans le heurt
de leurs prétentions a priori. Et la question est de savoir
si elles sont incompatibles paree qu'elles dégradent les
valeurs dans une détermination terrestre ou paree que
les vaJeurs memes sont incapables d'harmonie finale.
2. Les cas de conscience expriment sauvent natre
ignorance ou natre jaiblesse plut6t qu'uh désaccord des
valeurs memes. - Engendrer toutes les causes dans
une cause serait jouir de la présence tolale : teHe n'est
pas notre condition; notre conduite ne se hausse pas
d'ordinaire a ce style « fugué)). Voila pourquoi nous
nous trouvons devant une multitude de causes qui se
combattent.
En certains cas, leur rivalité est, pour ainsi
horizontale : ainsi quand un adolescent doit choisir entre
une carriere scientifique et une carriere artistique qui
LES DÉSASTRES DE LA FIDÉUTÉ

moino vivre pour autre chose. Tout


au en pourrons-nous a notre
spécialisation le respecí des autres spécialisations. Sachant
ce en coute une
nous rendons mieux hommage
nous n'avons paso
D'autres fois, le conHit est en 80rte vertical :
« Laisse la tes filets et suis-moL )) Un devoir nouveau
survient qui bouleverse tout notre systeme de valeurs el
oblige a le refondre. Ainsi surgissent les exigences
austeres elu devoir civique ou de l'absolu religieux dans
le cadre paisible de la vie privée, ou inversement ceHes
ele la conscience intime et de la « loi non écrite )) contre
les abus du pouvoir.
Ce sont les cas de conscience classiques. Si l'on
classer les devoirs et affirmer : ils sont au meme niveau,
ils sont a des niveaux différents, - on se donne aussitot
un príncipe de solution el tout s'arrange. Dans cette
hypothese, la réflexion peut décider de quel cOté est
le maxímum de rendement moral. Elle s'ingénie a
sacrifier le moins de bien possible. Les moralistes ont
depuis longtemps codifié les regles qui permettent de
se tirer d'affaire avec la moindre casse, en intégrant le
plus possible les causes les moíns « étendues)) ou les
moins « élevées)) dans les causes réputées plus larges
ou supérieures.
Mais ils n'éliminent pas tout scandale et doivent
souvent se réfugier dans des compensations invisibles.
SOlt l'exemple d'un chef qui doit condamner son fils
coupable. n ne peut ni dispenser son fils de la punition
ni se dispenser de son amour paternel et il ne Iui reste
150 RÉFLEXIONS SUR FmÉLITÉ

dane esthTler, par


que la valeur la pour luí n'est pas d'etre
chef mais d' I'\tre en tant esl le
chef en exercice (ne serait-ce que le chef de rayon d 'un
grand magasin ou l'employé d'assurer le bon
ordre dane le il doit désavouer et
fils S'il ne le pas
au moins se désister et ne pas
qu'un autre rendra a sa n y a done des causes
meme si elles sont moins et n'ont pas
de primauté, garderont une c'e8t-a-dire un
droít de passage temporairement Te1 "o~ le
paradoxe; et le seul moyen de l'atténuer est que le
se comporte de telle faQon que le meilleur moi du fils
soit obligé de dlFe: « Tu as raison et j 'approuve ta
décision; j'agirais comme toí El la place, cal' j'ai perQu
dans ton role El la foi8 ta justice et ton amour. J' avals
besoin que tu accomplisses ton mandat contre mais,
plus encore, que tu souffres de le faire et que eeHe
souffranee réintegre la sandion dans l'amour que tu
me portes. ))
Oli est alors le eonflit des valeurs íl Le désaccord n' est
pas en eHes, mais dans les causes les
C'est la méditation des valeurs qui fait discerner l'ordre
des causes, c'est elle aussi qui détruit 1eur opposition
brutale : en nous imposant la distinction de la primauté
et de la priorité, elle intercale entre les deux devoirs
une nouvelle valeu!' qui est la souffrance rédemptrice et
qui sauve de l'anéantissement la cause vaincue.
3. Aa liea de croire que les valears se heurfent, il
est pratiqaement préférable de chercher l'anité des éva-
laatíons. - Une antinomie semble inhérente a la valeu!',
cal' le cu,lte de la valeur provoque de terribles conflits
de causes. Fichte a posé l'existence de l' Ansioss comme
LES DÉSASTRES DE LA FmÉUTÉ

le différencie e~
on ne voit pas que eet obstade néces-
saire favorise 1'e8sor de la meme s'il
d'elle, C'est paree que j'aí a servir la
valeur en mOl que j'entrerai en conflit avec d'autres
moi. Les autres individus ont aussi la eonvietlon
ont une valeur a affirmer et voBa comment nos évalua-
t10ns nous meneront a la guerreo L'élément
dévaste toute l'organisation morale. De meme que les
individus, la famme doit sa
ses devoirs. Mais la famiIe n'existe que dans les familles
et l'aspiration morale de eh acune (servir un
élever les enfants) pouna provoquer la rivalité de toutes
et leur désunion. De meme et surtout, les nations entre-
ront en discorde par le patriotisme de leurs citoyens : il
n'y a de guerre que si des deux cOtés de la frontiere
on croit qu'une valeur sacrée est en C'est le service
de cette meme valeur qui met le feu aux : les
ennemis ne le sont que par leur dévotion a un meme
príncipe.
n est bien difficile de soutenir que la valeur n' est pas
responsable de ces chocs. Et pourtant, e' est
l'évaluation qui l'esL Le mal provient de ce que les
évaluations sont séparées et ne peuvent etre que partielles
pour commencer. Ce n'est pas la division de l'espace
et du temps qui explique entierement ceHe mystérieuse
disparité des regards humains. Mais si nos évaluations
commencent mal, pourquoi ne pourraient-elles finir bien~
Ne pourraient-elles etre unifiées et, si oui, a quelles
conditions?

3. L'UNIFICATION DES CAUSES EST-ELLE POSSIBLE?

I. Le point de vue de Royce. - Sa réponse consiste a


dire : om, l'unification est possible si mon adversaire
RÉFLEXIONS SUR LA FIDÉUTÉ

et nlOi nous prenons que nous servons le


meme idéal. Et iI n'exclut pas le cas, je suppose, ou le
conHit serait intérieur a une meme conscience :
l'adversaire c'cs! encore comme dan a le « malheu-
reux homme » de saínt Paul. Sa pensée est bien résumée
dans le passage suivant : « Voila une profonde blessul'e,
mais c' est un elll1emi me la faire.
Penser en ces termes, e'est illuminer les ténebres du
conflit avec ce qlli peut quelquefois etre
qu'une victoire cal' en honorant a de tels
moments l'ennemi loyalement dangereux, nous commen-
Qons a apprendre que tous les gens loyaux sont en
esprit en train de servir, meme a leur in8u,la cause
universelle. A coup sur, quand les hommes ont suffisam-
ment appris ceUe leQon, Hs cessent de se combattre.
Majs pendant que vous livrez les derniers combats, si
vous ne pouvez aimer voüe ennemi, c'est une beBe chose
que d' etre capable de vous réjouir en constatant son
loyalisme 1.» Bref, la bonne cause finit toujours par
unir. Nous 80rtirons des conflits si nous persévérons a
la servir, cal' au-dessus des objectifs immédiats, nous
apercevronsde plus en plus l' objet ultime de notre idéal
qui est le loyalisme meme. Le salut est d' etre « loyal au
loyalisme ».
eette réponse est belle. Mais suffit-elle P Que faire si
l'ennemi ne veut pas etre 10yaP Que faire devant la
ruptul'e unilatérale du contrat, dans la « morale de l' état
de guerre», comme s'exprime Renouvier, c'est-a-dire
dans le cas oú l'adversaire ne veut pas rejoindre le
paradis perdu? Royce ne peut que répondre : agíssez
comme si votre partenaire devait redcvenir loyal et faites

1. Philosophie du lo:yalisme, trad. J. MOROT-SIR. Paris r946,


p. r66 0
LES DÉSASTRES DE LA FIUÉLITÉ 53

le devienne. e'es!. stricte adhésion il la


de est de traiter autrui
comme une fin el non pas comme un moyen, comme
un associé et non pas comme un réprouvé. Nous n'avons
pas a nier un tel précepte d'aclion, mais nous
le sentiment y aurait autre chose a dire el. que
des restent souhaitables. ne tient pas
compte des contingences de ce monde; ou bien atten-
drait-il de la lutte meme la révélation nécessaire de
l'idéalP Ce serait prendre un allié bien suspect et faire
trop confiance au déterminisme de l'évolution naturelle.
2. Le point de vue de R. Le Senne. - Dans son Traité
de Morale, M. Le Senne ne se satisfait pas de Royce. n
estime que sa réponse ne suffit plus quand les aretes
des causes en présence sont trop dures. En outre, il
craint que l'élément négatif introduit par Royce dans
la détermination de la cause ne fasse surgir des loyalismes
indéfiniment contradictoires. Leur conciliation serait
impossible puisqu'ils résulteraient d'une disposition des
eh oses qui serait étrangere a l'activité du sujet 1.
M. Le Senne préfere done suivre une autre ligne,
moins objective, ceHe de la vocation personnelle. Il
transpose Royce plus qu'il ne le rejelte; en préférant la
perspective du sujet a ceHe des notions, il espere rendre
moins brutal le henrt des causes. Toutefois, des anti-
nomles subsisteront sans cesse dans la conscience et
devront sans cesse y etre dépassées. La vie morale est
dia1ectique : elle n'atteint jamais la sérénité absolue; son
drame est un développement qui est Iondé sur le courage
et l'invention.
Des 10rs, les conflits de devoirs, 10in de nous surprendre

1. Traité de Morale Générale. París 1942, p. 65lr. On remar,


quera l'influence de Fiehte sUr la morale de Royee,
154 RÉFLEXIONS SUR LA FIDÉUTÉ

comme des sont la maliere par


dOlt s' exercer l' effort moral. « Ces devoirs
sont soumis lit un ctevoir est d'en
inventer la composition la
teur veut di re faut surtout essayer de changer la
situation qui cause la perplexité; il ne se borne pas lit
un moyen terme ou lit un
bien insiste sur les solutions « élégantes )).
n y a en somme une double invention lit effectuer : l'une
est intellectuelle et l'autTe pratique. n faut de
nation et du courage, un don qui se miHe lit une vertu;
et, pour unifier les deux, le devoÍr est d'inventer une
solution inédite dan s toute la mesure du Cet
art d'inventer ressemble lit une gráce el comporte lit la
limite une sorte de finesse al'tistique 2. Il convient enfin
de se rappeler que pour M. Le Senne, les valeurs de
vérité, d'amour, etc ... sont lit coordonner plutOt
hiérarchiser. Cene quí vient en tete de ma liste des
valeurs n'aura probablement pas en fait la meme place
sur la liste du voisin : si je Iui donnais un rang privilégié,
je déchainerais la guerreo avec cette réserve, la
vie morale comprend toujours l'obstacle et la valeur.
Et c'est pourquoi elle doit etre une ingéniosité courageuse.
Cet ensemble de considérations ajoute a la synthese
de Royce des éléments de solution appréciables. Mais

1. Ibid., p. 260.
2. M. Le Senne reprend un exemple de Royee : la réplique
du speaker de la Chambre des Communes au roí Charles 1, quí
lui demandait les noms des députés de l'opposition afin de les
faire arreter : « Sire, je suis le Président de eette Chambre et
comme tel je n'ai ni d'yeux pour voir, ni de langue pour
parler, sauf suivant les eommandements de ceUe Chambre; et
je demande humblement pardon a Votre Majesté si ces paroles
sont la seule réponse que je puisse donner a Votre Majesté )) (cité
p. 823).
LES DÉSASTRlIlS DE LA lFIllÉLlTÉ 155

eSI-ce encore suffisantP n y a un Jnoment ou


le courage 80nt par les c1rcon8-
tances el ou la mo1'ale ne détruire a elle seuIe
ni le mal du monde ni le mal ,de
Abraham doit immoler
ce doit el sa dét1'esse est sans remede
L'acuité des conflits est telle que la décision
meme S'il y a une issue,
dans l'effort humain mais dans une into1'-
vention qui le dépasse ou dans une reponse
au secours de son attente. La seuIe
la conscience est alors la foi.
3. Le point de vue de G. Maree! et de Claudel. - Telle
es! sans doute la raison pour laquelle Gabriel Marcel
associe a juste titre la fidélité a la foi en une v"'"oc'v,,'"
« Je dirai d'une parí que la foí s'est éclairée pour moi
a du moment OU j'ai pensé directement la fidélité;
et d'autre que la fidélité s'est éclairée a mes yeux a
partir du toi, a partir de la présence elle-meme 1nter-
prétée en fonction du toi l. » 1'expérience inlersubjective
pourrait illustrer au simple niveau humain la vérité de
ces réflexions. Au lendemain de la guerre, les ménages
désunís par une trop longue séparation et par des
infidélités intermédiaires ont rarement retrouvé leur
assiette; mais s'ils l'ont faH, c'est par un acte de foi
réciproque. Rien n'est possible tant que chaque époux
en reste a ces deux affirmations désolées : « impossible
pour moi de faire revivre mon ancien moi; impossible
pour mon conjoint de faire revivre le sien». Mais cette
reviviscence a lieu quand chacun peut faire confiance a
l'autre et dire : « n est capable de faire revivre en moi
ce qui s'y était anéanti. » Quand les deux actes de foÍ

1. Du refus a l'invocation, Paris 1\)40, p. I\)4.


156 IHíFJoEXIONS SUR loA FIDÉLlTÉ

se ou l'un des deux faít renaltre 1


la est virtuellement Le salut d'autrui el
le míen sont aequis du meme coup.
Gabriel Mareel se défie des forees humaines laissées a
elles seules. Aussi faÍt-il fond sur une foi qui a son
d'attaehe ultime en Dieu : {( n s'agira de savolr eomment
EL partir de eeHe Fidélité absolue que nous pouvons bien
appeler simplement la FOl, les autres fidélités deviennent
possibles, comment e'est en elle el sans doute en elle
seule qu' elles trouvent de quoi les garantir 1. )) Si nos
promesses ne se suspendaient pas EL un « Toí absolu))
elles seraient meme malhonnetes, cal' nous ne pouvons
nous engager a avoir toujours des sentiments identiques
EL ceux d'aujourd'hui; nous savons trop bien que nofre
nature est inconstante.
Quel Dieu sera eapable de soutenir toutes les fidélités?
Et quelle consécration faudra-t-U recevoir pour pousser
a son extreme limite le programme d'un humanisme
cohérent? A cette question que G. Marcel ne se pose pas
sans une hésitation de philosophe, Claudel répond avec
les certitudes d'un eatholidsme avoué et qui releve tous
les défis. Le premier de ces auteurs nous imposait en
philosophe une foí d'ordre nafurel; le second nous établit
d'emblée dans la foi théologique. Le Soulier de Satin,
que nous prendrons encore pour référence, est la charte
d'un fidélisrne intégral dont je n'ai pas id a juger les
mérites ou les défauts littéraires mais qui est un objet
captivant d'analyse pour l'amateur de phénoménologie
religieuse. Tous les cas y sont prévus. Les conflits de
l'amitié et de l'amour y voisinent avec eeux du loyalisme
aux institutions et leur infligent des complieations mulo
tiples. La lerre en COIlcurrence avee le del, le heurt

¡. Da retas a ¡'invocation, Paria 1940, p. 2IS.


LES Dti:SASTRES DE LA FIDÉLITÉ

des 'intrication des causes font songer une


maehine irnmense a mille raisons de se
e de res ter en panne. Mais ce est absurde sans la
foi se et s'illumine dans la communion des
saints : ce dogme est aussi indispensable a Claudel que
l'air a un oiseau. La Providence catholique résout et
résout seule Ene nous est comme la
seute réalité invisible qui soit a la de la vitalité
visible. « Ce n'est pas nous
elle est rien il s
a n011S y enfoncer par-dessus les
oreilles 1.» Elle faH converger vers le bien meme la
sottise des pédants, la cruauté des rOls et les péchés de
tout le monde. Le jésuite naufragé ne perd pas sa vie
en vain car il sauve son frere Rodrigue et il le sait ou
l'espere. Balthazar meurt en sauvant ceHe aime
sans espoir, et il ne le sait meme paso Dona Prouheze
sauve par une fidélité bien plus subtile encore le Maure
qu'elle déteste. Don Léopold Auguste rivé a ses routines
de cuistre, Almagro aux confins de la révolte, l' Actrice
elle aussi faussement fidele ont leur partition dans
l'ammense orehestre, ou le hasard et le diable ne
réussissent qu'a embellir la symphonie ultime. Le postulat
de ceHe géniale piece baroqlle est que toutes les fidélHés
s'aceordent en haut et all bout du compte, du moins
pour qui a la foi et ne gaehe pas la graee.
n est inévitable que eette assurance, moins diserete-
ment proposée que dans le théatre et la philosophie
d'un Gabriel Mareel, paraisse insolente aux non-ehrétiens
qu'elle rudoie sans pitié. Elle ne s'éearte eependant pas
de l'esprit marcellien sur un point essentiel : cal' elle
réserve le bonheur pour l'au-dela: « .. .l'homme sait

1. Le Sou!ier de Satin, Paris 1947, p. 203.


r58 RÉFLEXIONSSUR LA FIDÉLITÉ

bien n'a pas été fait pour etre


pas d'ordre au monde soit
i1 a pas de roi que toutesses
a pas de
bouger l. )) Rassurez-vous done el ne craignez pas que
les religions soient l'opium du peuple. Enes ne
p~ ~ fu
conscience.
La philosophie aussi la paix, faute de bonheur,
et la procure a sa maniere. Sans doute! Mais
rience du philosophe est ceHe desa propre
dont il mel réflexivement lasource :el les conditions
suprernes en Dieu, tandis que l'expérience du théologien
est tout autre : le faitsur lequel elle prétend prendre
appui est la .fidélitéde Dieu meme, tellequ'elle est
contenue dans une révélatkm historique. Et c'est ce
donne aux réponses religieuses leur caractere distinctif :
elles transmettent la bonne nouvelie 'oomme une impul-
sion d'en haut, non comme une sagesse dont l'homme
aurait la cIé et ferait la mesure. C'est pourquoi les
deux états d'esprit ne peuvent seconfondre, meme s'ils
se completentet s'ils trouvent une forme de passage
dans la foi philosophiquerequise par la fidélité.

1. Le Soulier de Satin, p. 204.


CHAPITRE IX

DE

n y a des apologistes de l'infidélité et les conflits de


causes ne sont pas les seules raisons de leur attitude.
Nous nous ferions la partie trop facile si nous ne les
écoutions. Les écouter, puis les discuter, sera donc
l'objet de ce chapitre finaL Toutefois, ce n'en sera pas
le seul objet. Car apres avoir examiné l'infidélité a un
etre ou a une valeur et les revendications auxquelles elle
dorme lieu, il faut se tourner vers une antre forme
d'expérienee : l'infidélité d'nn etre a notre égard. Je
n'ajouterai pas l'infidélité d'ufie valeur, cal' e'est nons
qui abandonnons la valenr, ce n'est pas elle qui com-
menee. La natnre hnmaine est ainsi faite que nous
réclamons volontiers le droit de nous émanciper mais
que nons nous répandons en doléanees devant l'émanci-
pation d'autrul. Le philosophe ne peut en rester acette
attitude et doit essayer d'aller au fond de la question.

I. - INFIDÉLITÉ A UN ÉTRE OU A UNE VALEUR.

1. Il Y a des dégagemenls libérateurs dont la légitimité


n' est guere contest(];ble. - Toute eroissanee biologique
oblige l'etre vivant a rompre avee son milieu el ses
antéeédents. Tót ou tard, l'enfant doit s'affranehir de
ses parents et de ses édueateurs, élargir le cercle de ses
159
I60 RéFLEXIONS SUR LA FwéuTé

attachements el celte loi est inexorable pour le


cceur que pour Moliere a écrÜ la-dessus l'Ecole
des : rien ne sert de vouIoir a la
elle s' affirme al' encontre des ruses
ou de la force qui la briment. Un cas analogue est celui
des disciples s'affranchissent de lems luaitres:
Aristote a mis de
Platon el peut-etre a-t-il eu tort de
vite, mais enfin il fallait que son geme
son génie s'es! affirmé. Plus pres de nous, la seuIe
branche féconde de l'hégélianisme a été celle des enfants
terribles: Feuerbach, Marx, et plus tard Croce ou
Bradley. Les autres n'ont fait que commenter le maltre
stérilement, meUre ses idées en ordre, faire un bon travail
de scoliaste : ils se sont enfermés dans la vérité - ou
l'erreur - de leurs professems. Seuls les infideIes sem-
bIent créatems.
Si nous passons a 1'histoire des civilisations, n'est.ce
pas bien pire? Nous constatons que la naissance d'un
ordre nouveau est toujours due aux barbares; et, comme
toutes les naissances, elle esi affreuse. Apres coup, les
représentants de la tradition amon! charge de baptiser
l'enfant. Mais il ne faut pas confondre les roles. Le
ministre de l'esprit ne fait rien en ce domaine de bioIo-
giquement neuf; sa fonction est de restaurer la continuité
civilisatrice et, pour ainsi dire, de peigner les cheveux
hirsutes des novateurs.
Plus troublante encore est la situation OU le dévelop-
pement moral lui-meme parait soumis a une loi d'oppo-
sition libératrice et ou il double de ses soubresauts les
soubresauts de la vie. Socrate boit la cigue, le Christ
esi crucifié : fideles a leur message intériem, ils sont
condamnés comme traltres aux lois de leur cité. Et pour
prendre des cas moins éblouissants par leur caractere
r/EXPÉHHlNCE DE L 'INFIDÉLITÉ

de
nlté moyenne, je
par Marillier . un
obligations de son clan, transporter sa femme enceinte
hors du village afin qu'elle accouche en plein confor-
mément a un rite stupíde et tyrannique. Mais il se trouve
que le froid est iniense et que la tombe : en obéis-
sant aux tabous de la tradition religieuse, l'homme va
faire mour!r sa femme. Comment douter trans-
gressant la 10í, il n'ait raisonP C'est par de telles
désobéissances que la morale se dégage de la
tion. Comment douter néanmoins que le débat intérieur
ne puisse etre dechirant P
Prenons un dernier exemple de dégagement salutaire.
Bien des fois, une conversion morale entraJ:ne des
ruptures qui ne sont pas seulement pénibles pour le
convertí, mais pour ceux qu'il quitte, et meme dange-
reuses et dommageables pour eux. Se séparer d'un ami
pour échapper a sa mauvaise influence, quitter une
maltresse qui dissout votre vie, c'est peut-etre enfoncer
davantage ces &tres dans leur mal. Mais on ne se sent
pas assez fort pour remorquer des noyés. Et on les
1ache. Parfois, ce sont des innocents qui patissent de
cet abandon, paree que le converti éprouve le besoin de
refaire sa vie a neuf. Il veut tourner la page, comme on
dit familierement, et bri8er avec toutes les associations
qui, de pres ou de loin, lui rappelleraient un passé dont
iI ne sent que trop encore les sortileges. Franyois d' Assise
s'enfuit dans les bois el laisse tout, son pere y compris,
pour etre a sa nouveUe vie.
2. Toulefois, un dégagemenl n' esl créafeur que par la

richesse vitale ou spirituelle dont il est l'expression par-


lielle. - E8t-ee eependant l'infidélité qui aura été
créatrice P N' est·ce pas pluto!. la vitalité ou la moralité
11
RÉFLEXIONS SUR LA FIDÉLITÉ

Elles pOUl' une dans le


et, pour une autre, dans un
nouveau. L'adolescent n'a 11 réclamer
que dans la mesure Ol! il en a besoin pour devenir un
homme el en assumer les responsabilités. Aristote ne
doit s'affranchir de Platon que p'il a quelque chose
d'inédit 11 ... Dans lous les cas de ce genTe,
la individualiste
la fois innocents et cruels, mais ce qui la
tivement c'est la valeur neuve qui advient par elle.
le novateul' n'a pas conscience de ses
ingratitudes. Un dlrecteur d'entreprise, un biHisseur
d'empire, et peut-etre plus généralement un chef, seraient
des monstres s'ils n'étaient abondamment pourvus de
graces d'aveuglement. Quand le novateur saH en
revanche ce qu'il brise, il n'a 11') droit d'aller de l'avant
que si un devoir abso1u l'y contra1nt comme le sauvage
de Marillier. La fantaisie, l'amour de l'hypothese ou
de « l'expérience pour voir» n'autorisent rien en ce
domaine. On dit sans doute que le progres de la morale
dans les institutions s'accomplit par la désobéissance.
Quand il y a beaucoup d'infractions, la loi change.
Treason doth never prosper; what's the reason?
For if it prosper, none call dare it treason ...

Mais ir faudrait distinguer. D'une part, il y a les


évolutions spontanées, Ql! l'indiscipline est aveugle et
se débarrasse confusément de tout ce qui la gene:
tabous périmés ou traditions raisonnables. Si le bien
sort de cette libération désordonnée, ce ne peut etre
que par hasard et exceptionnellement. D'autre part, il y a
les infléchissements réfléchis el les triages voulus par
de grandes personnalités morales. CeUes-ci n'ont jamais
méprisé les cadres qu' elles réformaient; elles ont au
¡,'EXPÉRlENCE DE L'INFmÉLnÉ 163

contr81il~e cherché a les sauvcr: Socrate s'est laissé


condamner que de fuir et de se souslraire au
tribunal de son pays. Jésus a fait
et il a oifert au une de rénovation
déclan¡tion de guerre a mort. Ni l'un ni
l'autre n'ont été infideles a leur en étant fideles
a, lem mission. La rüanjere de se n'est pas du
tout chez eux ce est chez des etres
ils ce semblent abandonner et ne
demanden! pas El créatrice
avoir. ils
condamnent un ils fut
a l' origine de
usagers ne pouvaient le savon.
Reste des « lachages )} individuels qu' auto-
risent certaines conversions. Ce ne sont pas des attitudes
idéales, mais des pis-aBers : entre deux infidélités, on
doi t ch01sir la moindre. n serai t mieux d' etre
assez fort pour ne pas se détourner d'un ancien complice.
Mais El quoi servirait de faire deux victimes P Le converti
doit souvent s'élaigner, mais pour mieux: servir autrui.
n n'est jamais sans devoir envers Iui et il y a roille
manieres, fussent-elles silencieuses, de ne pas laisser
confondre l'adieu du courage eí celui de la liicheté. Ces
principes généraux ne suffisent certes pas El résoudre
les difficullés concretes, mais s'il nous est de
faire souffrir pour le guérir, il ne l' esi pas
de le faire déchoir sous prétexte de nous réhabiliter.
3. Quelques arguments pour une apologie du parjure.
- Thales, l'un des sept sages de la Grece, passe pour
aVOlr dit : « Fais des promesses, la faute n'es1 pas Ioin. ))
L'avertissement est d'autant remarquable que le
meme sage conseillait 11 ses disciples d'etre fideles :
« Souviens-toi de Les amis, qu'ils soient absents ou pré-
SUB. LA FIDÉLlTÉ

la promesse cst que


Périandre décidait hardiment
les mauvais que tu as
toL » La vie sociale ne se maintenir sans
engagements absolus, mais la vie personnelle ne se
développer dans le respect absolu des engagcments.
La forme la la banale de l'infidélité
systématique repose sur le droit au libre
de la personnalité. C'esí ce motif qu'on a fait valoir
par exemple en France pour critiquer l'indissolubilité
du mariage. En 1792, la 10í du 20 septembre institue le
divorce comme une conséquence de «.la liberté indivi-
dueIle, dont un engagement indissoluble serait la perle ».
Supprimé en 18r6 par la Restauration, il est rétabli par
la 10i Naquet en 1884 mais n'est déclaré admissible que
pour des causes déterminées telles que l'adultere, les
sévices et injure8 graves, etc ... et non pas a la suite d'un
simple consentement mutuel. Une variante de l'argu-
ment de 1792 nous est offerte par les romantiques : la
forte personnalité est au-dessus des 10is. C'est ainsi que
Grethe a abandonné Frédérique Brion, apres lu! avoir,
en fait, donné un enfanl. tes biographes du grand
homme 80nt souvent d'avis que s'i1 avai! épousé la pelite
Alsacienne, iI aurait enterré son génie encore trop peu
mur pour l'éprenve matrimoniale. La chaine - disons
la chalnette - que la servante au grand cren!', Cluistiane
Vulplus, réussit a lui passer autour du cou en 1788,
aurait été un boulet en I77!.
L'argument peut prendre une forme moins aristocra-

l. Ces apophtegmes sont apocryphes. En revanche on peut


ten ir pour probablement historique la réponse de Socrate a un
interlocuteur qui hésitait a se marier : « Quoi que tu fasses, tu
t'en repentiras.)) La lucidité et ¡'ironie de ce propos sont
prcsquc une marque d 'authenticité.
r/llXPliHIENCll m: L'INFIDÉUTÉ 165
consiste dénoncer les
Nous nons Gommes mais les
circonstances ont et nons avec elles. Nous ne
pouvons vOlr le monde sons le meme
paysage ancien a dlsparu et, ce est
l'cen aussi est altéré. Nous nons apereevons alors que
nons nons sommes a faux et que nons avons
été : nons ne savions pas ce que nons étions en
réalité ou ce que nous deviendrions au terme de quelques
années. Les grands aignillages se déeident trop tol :
se marier, Ol! a forte raison entrer dans les ordres,
e'est snrimposer El la nature une fixation artifieieIle.
L'objection n'est pas seulement qu'on s'est trompé, ce
qui ne lui laisserait qu'une valeur subjective. Elle est
qu'on devait se tromper : l'égarement était fataL Peut-
etre meme revetait-iJ les couleurs fallacieuses d'un devoir
de conscience. Cal' l'appareil social a ajonté ses effets
au mirage de la jeunesse. Tout nous a poussé vers le
piege, sans qu'il y ait líeu d'aceuser personne en parti-
euUer. C'est la vie quí est coupable de ceUe gigantesque
escroquerie sur les destinées. Or un contra! doní les
eonditions sont intrinsequement mouvantes n'oblige
plus.
AlIant plus loin, cerrains réclameront leur libératíon
au nom de leur vérltable intéret moraL C'est pour
échapper a une déchéance intime qu'ils briseront leurs
liens. Ainsi arrive-t-il qu'un mari séparé de sa femme
divoree et se remarie paree qu'il veut stabiliser mora-
lement 8a conduite au lieu d'etre voué a des unions pass a-
geres et multiples qui le dégradent. En outre, il alle-
guera que le mariage se faH avec plus de réflexion la
seconde fois que la premiere et qu'il a souvent des
chances d'etre mieux réussL C'est aussí pour des motifs
éthiqnes que Luther s'est mis a precher le mariage des
166 RÉFLEXIONS SUR FIDÉLITÉ

moines les tirer de miseres secretes


l'etre la de leurs vreux,
des sennents et des contrats
est nécessaire a des sociétés et la crise
subissent de nos jours en apporte elle-meme la preuve,
- I~es soeiaux ils
un engagemem des individus dans le groupe;
chan¡<;etnt~nt doit se faire dans un sens marque
un progres de la vie Est-ce a dire
que le des civilisations se mesure par 1'e880r des
serments et des eontratsP Les soeiologues de l'éeole fran-
9aise l'ont soutenu en ce regarde les eontrats. Mais
le rég'ime contraetuel n'est pas une fin en soi, e'est un
moyen, Si l'esprit de fidélité grandissait, on n'aurait
pas besoin de multiplier les pactes, au contraire. Hs sont
done a mi-hauteur entre une soéiété tyrannique
étouffe la liberté des individus et une société sainte qui
n'a plus a les réglementer. des que la société contrae-
tuelle perd son niveau, elle entraine dans Sil. chute ce
qui restait de serments et elle ne retombe dans la
tyrannie qu'en passant par l'anarchie.
Sómmes-nous aujourd'hui dans ce casP Nous assistons
a des dissociations sinistres du crédit. Les contrats et les
serments proliferent mais se dévaluent. !ls n'ont plus
de portée et personne né les prend au sérieux. Le phé·
nomene est d'une te11e ampleur a la fin des civilisatioli.s
que le respect intégral des lois, óu a jortiori de la
parole donnée, y entralne presque automatiquement la
ruine privée. De nos jours, par exemple, les lois fisoales,
qui exigent tant de déclarations faites sur l'honneur,
semblent une marge de mensonge et majorer
en conséquence le nombre ou le bareme des
Les amnistíes elles·memes en deviennent scandaleuses.
En de l'injustice morale, la mor! du serment
I,'EXPÉRIENCE DE L'INFIDÉLITÉ

la sens
des contrats suppose de
Un individualisme se
une défense contre 'envahissement de
la vie pnvee par les inslitutions, mais se donne le
masque de l'obéissance et s'adapte a toutes les variations
du central. Notre monde et mécanisé
favorise l'effacement du caractere : l'homme nouveau est
un étrange capable de de
de tous les renversements que
les circonstances lui conseilleront. D'ou le peu fond
qu' on peut faire sur lui et incite ses chefs El le
traite!' comme un esclave, Nous sommes menacés par
l'incohérence, comme oes chiens-Ioups dont le regard
change d'un seul coup el mordent leur maltre apres
avoir risqué de se faire tuer pour lui.
Ces réflexions un peu alarmistes ne signifient pas que
la nature humaine ait empiré au xx· siecle, mais que
nos structures sociales ne sont plus ceHes du passé et
que certains auxiliaires font alors défaut a l'efforl
moral des individus. L'hérolsme d'un Régulus est certes
toujours possible de nos jours et se rencontreralt sans
doute ohez des officiers. lVIais l'exemple d'un 8ire de
Coucy se retrouverait- il encore P lVIarié a une fine
d'Edouard lB d' Angleterre, il écrit El celui-ci : ee La guerre
entre voUs et le roí de France, mon naturel et souverain
seigneur, est la chose du monde qui me déplait le
Je voudrais bien l'amender. Le roi de France m'a requis
que je le serve et que j'acquitte mon devoir comme j'y
suis tenu. Ainsi que vous le savez, je ne dois pas lui
désúbéir 1, » L'attitude de Jean de GraiUy, le captal de

1. I-Jisioire du Moyen Age de Glotz, t. VII, 1, par J. CAL~IETTE


et E, DEPREZ. Paris, 1937, pp. 221-222.
JGS HÉFLEXION3 Eren LA FID¡'::LITÉ

Buch, est cxtraonljnail'e. Féal du roi d' An-


íl a Du Guesclin et fut baUu par Iui
en 1364 a Cocherel, Ol! jI fuI fait Ivlah;
Charles V le tralla amiealement et lui rendit sa liberté
apres quelques échanges de bon8 proeédés. La-dessus,
le roi d' I.anya son vassal et lui
son serment d'allég·eance. De honteux de s'etre
laissé neutraliser eontre l'honneur, rendit aussitOt a
Charles V la seigneurie de Nemours en avait reyue
et reprit les armes eontre la Franee. Vietime de son
loyalisme, il mourut captif a la Bastillc, dont il inaugura
les b:J.timents. De tenes aventures ont pour nous un
caractere areha"ique paree que l'homme-lige a disparu
de notre horizon politiqueo Nous nous donnons a une
idée OH a un parti, non a un individuo Les événements
que nous avons traversés en 1940 ont été, malgré quel-
ques ressemblanees superfieielles, tres différents a eet
égard de eeux qu'ont véeus les eontemporains de la
Guerre de Cent ans. C'est la fidélité a une eertaine
eoneeption de la vie sociale ou nationale qui a entrainé
l'obéissanee ou la désobéissanee a certains hommes.
L'aeuité des problemes est venue de la eomplieation des
données ou de la rapidité de 1eur évolution. Mais ee
rythmc meme des eas de eonscience, si 1'on peut ainsi
s'exprimer, a essoufTIé la masse des eitoyens et n'a pas
profité a la eonseienee, sauf en des minorités extremement
tendues. En outre, et abstraetion faite de la guerre, le ser-
ment s'cst désaeralisé dans le monde illoderne; les eontrats
80n1. en inflation et l'ingérenee de l'Etat menace minutieu-
sement la vie privée. Tous ees faeteurs tendent 11. faire de
la majorité des individus des inseetes falots ou hypoerites.
5. Le parjure est, d'autl'e part, contraire a l'unificaiion
de la persorme. - L'équilibre eolleetif n'esl pas le seul
a souffrir de eeHe erise. Finalement, c'est du point de
L'EXPÉRIENCE DE L'INFlm5uTÉ

vue de té esl
tableo Avec lui. íl devient d 'unifier l' existence.
Une bJes'lue incurable resle au C02ur de a
rompu un eng'agement grave. On dira peut-etre que c'est
un jugement bien sévere et prele a
d'humains plus de complexité intérieure n'en ont.
C'est a voil'. Le nombre des Hres « cassés » est eonsidé-
rabIe. L'exemple de Cosima Wagner est symbolique :
eette femme, a tant d'égards heureuse et admirable,
a eu son agonie troublée par le souvenir d'Hans von
Bülow; elle est morte en lui demandant pardon de
l'avoir abandonné pour sUlvre Wagner. Comment eroire
que l'expression du dernier moment n'ait pas brusque-
ment laissé apparaltre un désarroi ehronique et plus ou
moins inavoué P
La psychanalyse nous révelerait bien des traumatismes
de ce genre. Nous nous imaginons toujours que le
remords doH etre chaud. C'est une erreur. Sans doute
est-il d'ahord émotif et faeilement disproportionné. Mais
le malaise irrationnel qu'il provoque est vi te combattu
par une teehnique de la diseulpation : nous eherchons
une diversion, nous rejetons sur autrui ou sur les
circonstances les responsabilités de notre aete. L' échec
de ces manceuvres se traduit quelquefois par une crise
de larmes 011 le C02ur « se brise »; mais, le plus souvent,
le remords devient froid, logique; il est refoulé sous des
rires ou des sourires, il ravage alors l'ineonscient et
iI compromet la cohésion ou l' essor de la personnalité
profonde. Sartre l'a bien compris et il essaie stolquement
de rejeter au dehors l'angoisse spirituelle. Son héros
compare les remords a un essaim de mouches qui le
harcelent sans fin et don! il {aut bien s'accornmoder l.
ny
l. Nietzsche était plus aptimiste : « a une vale lente et
grndnelle paur arriver au vice et a la canaillerie saus tautes
17 0 RÉFLEXIONS SUR LA FWÉLITÉ

Mais un les mouches devenir méchantes


et il est rare ame divisée par le centre ne finisse
pas par éclater. C'est sans doute le theme de
d'un enfer a huis-clos, a été aussi par
}' existentialisme. Celui-ci fait écho aux sen ten ces de
réprobation que fulminait naguere
« nombre des élus »
énergique de notre siecle,
salauds ».
Fort dira-t-on peut-etre, mais la fission na
etre intime si la transgression n'a été que
Et ce point doit etre concédé. Un etre normal n'est pas
désaxé par une erreur d'opinion, ou par une oífense
contre une pure formalité, mais par l'abandon d'un
engagement qui lui avait tenu El coeur, ou encore par
une désobéissance dont les Guites font chavirer tout son
horizon intérieur. Aussi n'est-il pas déshonorant de faire
ce qu'on peut pour se libérer d'une erreur ou pour se
faire relever d'un voeu qui fut une erreur. Dans certains
cas-limites et exceptionnels, il n'y a meme pas a contre-
dire le divorcé invoque son propre intéret moral
pour fonder un nouveau foyer et échapper ainsi a la
boheme. Mais si ce dernier peut avolr raison du point
de vue particulier, l'i.l-t-il encore au point de vue de
l'exemple et du bien collectífP D'un etré humain on
..(l.ttend une fidélité héro'ique paree qu'on aUend l'amour
exemplaire. Et c'est dans l'ordre privé qu'on juge sur-
tout sa fidélité, paree qu'elle 8'y manifeste plus persono
nellement et ave e moin8 de faeteurs intellectuels que

leurs formes. Au bout de eeUe voie, oelui qui la suit a été


completement abandonné par ,l'essaim de mouches de la mau-
vais e conscience et, bien que d'une seélératesse parfaite, il
garde cependant son innocence. )) Le voyageur et son ombre,
Opinions et sentenees melées. Paris, 1902, p. 56.
n d'un enga-
g'ement maia ¡'¡ autrui et cela
tout, S'il exécute son il aura d'autant
d'autorité morale ponr avertir les antres et ponr
faire qu'ils ne se pas ou se moins,
S 'i! n' a pas la force de se sacrifier par amour,
avoue sa choisisse entre deux fautes celle
lui semblera la H"UH1U' mais ne se pose pas
en modele.
n y a peu d'individuE
l'autre
de conclure : j'aurais dti suivre une autre vOle, CeUe
impression se produit queUe que soit la voie et
la tentation du conditionnel passé est la plus stérile de
toutes. Ene ne peut conduire qu'a une défaillance. Mais
le danger d'ajouter a la défaillance un sophisme est
particum~rement sérieux, dans le domaine que nous
venons de prendre pour exemple, quand l'opinion
ou la législation enregistrent l'incapacité pra-
tique ou se trouvent beaucoup d'individus de parvenir
a la monogamie indissoluble. Le groupe se taille alors
une morale a sa mesure (l'Européen garde sa femme
légitime et lui adj oint une maitresse, tandis que l' Amé-
r1ca1n préfere divorcer), Il en résulte des étagements et
un ptobleme de pédagogie coUective, mals rien ne vient
changer les remarques de fond que nous avons faites sur
l'idéal lui-meme et sur ses droits,
6. Prise en son prínoipe, la révolte oontre la ji,délité
éihieo-religíeuse suppose une fausse conceptíon de la
liberté. - A la racine de l'anti-fidélisme peut se trouver
une consoienoe aigue de la relativité. Jadis, F. Paulhan
avait .éorit ¡lne Morale de l'll'onie qui mettait
de finesse, de distinotion et de profondeur au service de
la trahison. Elle n'était pas sans panmté avec la maxime
renanienne in les
de nomadisme que Nourritures
terrestres. Ton8 ces auteurs,
tent la marque d'une époque métaphysiquement
pour laquelle les víeux dogmatismes sont morts. Nous
préférons aujourd'hui un relativisme en hauteur
des valenrs telles que la révolte contre
un monde incohérent et absurde. Au lieu de
butíner, nous voulons construire, dussions-nous en
comme Prométhée. Maís derriere foutes ces
une meme conviction s'exprime: c'est que l'homme
n'es! Iui-meme que s'il est libre et que sa liberté consiste
a s'arracher a ses causes. Nous ne nous créons nous-
meme qn'en llDUS retournant contre l'univers et son
príncipe, pour nous placer a part de tout etre dans un
etre qui procede tout entier de nous. Allons brntalement
au bout de ]'idée : nous prétendons n'etre autonDme
qu'en étant coupable. C'est le péché qui nous isole,
c'est lui qui nous restitue a notre pure et exclusive
causalité intérieure.
Aucun theme n'a connu une fortune plus durable que
celui-Ia. A. Camus ou Bataille ont remis en honneur la
liberté récessive ou luciférienne, Nietzsche, Byron et
bien d'autres avaient tenté des aventures analogues
avant eux. De siecle en siecle, e'est sans doute a l'anti-
quité qu'il Taudralt remonter pour trouver la source de
eeUe idée. Les tragiques grecs ont en efíeí écrit paríois
que l'homme conquiert son etre au détriment de Zeus
et les stolciens déclaraient que seul le mal en nous ne
vient pas de la divinité. Mais e'est saínt Augustin qui
a donné au principe le plus de relief : dans le De Libero
arbitr'io, ou il entreprend de dégager Dieu de touí mal,
il semble ne laisser a l'homme que la liberté de s'amoin-
dril'. Les polémiques ultérieures eontre le pélagianisme
L 'EXPÉIUENCE DE L 'INFWÉUTÉ

1
n 0nl pu que durcir son dont le concHc
la fameuse formule: nemo habet
de suo nisi mendacium et Le est de
nous seul et non de la c'est-a-dire de la libéralité
divine se répand en nous. Ainsi sans doule s'est
accrédité dans la tradition spirituelle de l'Occident le
sentiment ohscur que procure le maximum
d'autonomie. te satanisme littéraire s'est greffé sur une
cODviction héritée des théologiens. Pour etre moi, pour
et1'e par moi seul, je refuse1'ai toute vassalité, je serai
rebelle et traltre a dussé-je mon indé-
pendance au prix de ma sécurité; je vivrai dangereu-
¡,ement comme une bete traquée par les décrets du ciel
et les puissances de la terreo « Uhomme, déclare Camus,
est la seule créature qui refuse d'etre ce qu'elle esto La
question est de savoir si ce refus ne peut l'amener qu'a
la destruction des autres et de lui-meme, si toute révolte
doit s'achever en justification du meurtre universel, ou
si, au contraire, sans prétention a une impossible inno-
cence, elle peut découvrir le principe d'une culpabilíté
raisonnable 1. »
Mais s'agit-il d'un commentaire indirect de saint
Augustin ou d'un contresens P La polémique manichéenne
ou pélagienne a déterminé le succes théologique de for-
mules qui deviennent fausses des qu'on les détache de
leur contexte historique. Si utiles qu'elles aient été a un
moment, elles ne peuvent faire oublier l'ensemble d'une
doctrine tout a fait incompatible avec les postulats de
l'infidélisme moderne. Saint Augustin pla9ait au-dessus
de la liberté qui peut pécher une liberté plus libre encore
et qui exclut toute possibilité de chule, c'est-a-dire toule
atleinte -a ]'autonomie vérilable. Loin de croire que le

I. L'hoIHme l'évol.té. P¡¡ris, 195r, p. 22.


RÉFLEXIONS SUR LA FWÉLITÉ

mal moral moí d'etre


meme, il en faisait constamment une aliénation de sol.
Dans les par la volonté
est une hésitation ou une division
ne parvient a s'unifier; en
des facultés, par lequel nous nous éveillons a notre vie
est sanó ces se déclaré bon COIncide
avec la volonté créatrice de Dieu : ista omnia Dei mei
dona sunt .' et bona sunt et haec omnia ego 1
e'es! que l'essence de la liberté humaine ne réside
pas dans la capacité qu'elle a de se
mais dans un ensemble qU! déborde ceUe capacité. Elle a
en définitive trois aspects inséparables. D'abord, elle est
l'acte par lequel nous nous affirmons en consentant a
notre etre; ensuite, elle e3t la réplique que nous donnons
a cette premiere position de nous-meme et qui peut
jusqu'a un certain point nous aliéner; enfin, elle est
la valeur reste lmmanente a toutes nos décisions
pour nous y rappeler notre vocation. Impossible done
de tenir l'infidélité éthico-religieuse pour un commen-
cement ou un terme absolus. La liberté du mal n'est
qu'une phase dans un processus bien plus large. Aussi
la revolte ne réussit-elle pas a nous rendre plus auto-
nomes que la fidélité, bien au eontraire. La bonne action
est a nous et n011S donne 1t nous-meme mieux que ne
le fait la mauvaise. Et la volonté luciférienne, loín de
se passer du modele divin, l'imite tout comme le faH
la volonté obéissante, puisqu'eIle installe Dieu au ereur

1. Livre 1, 2o-3r. Cí. livre H, chapo VI : perverse te imitantu/'


omnes qui longe se a te faciunt ... sed etiam sic te imitando,
indicant creatorem te esse omnis creaturae; et ideo non esse
quo a te omnino recedatur. e 'est un contrescns de s 'imaginer
que pour lui la nouveauté ne se trouve que dans le péché ou
meme principalement dan s le péché.
I..'EXPÉRIENCE DE L'INFmÉUTÉ

meme de sa révoltc
Sans doute vcut-elle se sub8tituer a
8ans s'en mais la
cherche a exclme la guette ensuite dans les consé-
quences de son acte, cal' nul ne a la
di alee tique de ses fautes. Pour valori8er celles-ci, je suis
conlraint de les dont je
m'affranchir. Le repentir, en ce a de
n'est pas aut1'e chose que le début d'une récupération.
En ce sens, assume1' pleinement la de son
c'est se convertir.
L'expérience de l'infidélité a l'etre ou a la valeur ne
peut se terminer que par un hommage a la vertu. Cette
conclusion est bien celle qu'illust1'ent la des
destinées visibles. Au bout de quelques années, les
grands infideles sentent s'éveiller en eux la nostalgie de
l'enfant prodigue, dont ils croyaient d'abord qu'ils
8eraient a jamais préservés. Peut.etre ne cederont-ils pas
a cette sollicitation et résisleront-ils aux courbes ren-
trantes. Mais ils auront a101'8 El choisir entre l'aveu d'un
échec et l'humiliation d'une pénitence. Ce justifie
expérimentalement la fidélité aux promesses, meme si
elles ont été des e1'reurs, c'est surtout le fait que la
rupture ne paie paso Elle brise en nous quelque chose
de tres profond; d'abord on ne s'en apel'{;oit pas, mais
chaque année qui passe augmente la faille et finit souvent
par la rendre intolérable. n est rare, par exemple, que
l'abandon du sacerdoce, le divorce, etc ... n'engendrent
pas la conviction silencie\lse d'et1'e chassé d'un para.dis
anté1'ieur ou tout n 'était que {( luxe, ordre et volupté 1 )).

I. Dans la mesure, bien entendu, OU l'acte posé d'abord n'a


pas été accidentel et étranger au vouloir. Toutes les législations
prévoient des cas de nullité, quand l'e1'reur de la personne ou
¡'erreu1' sur la personne ont été trop flagrantes ou, a plus forte
nÉFLEXIONS SUR LA FmÉl.lTf;

Les la conscience de
chaí'nes pesantes dominer et meme s par
ovnV",Y"OT'

surtout si }'on s'était a la


d' OU l' on est sorti et si les biens
nouveaux qu'on a obtenus compensent apparemment
les maux dont on est débarrassé, Mais les pretres captifs
de leurs voeux et les mal assortis se
dire que meme s'ils se sont jadis, ils se trom-
peraient bien plus encore en s'imaginant faire labIe rase
de lenr passé, Celui-ci lem remontera a la gorge s'ils
essaient de le biffer. On ne se sépare pas
de luÍ, Tüt ou tard, la fidélité se venge et si nous étions
sinceres nous en conviendrions saIlS disr.ussion, Ce sont
malheureusement la des vérités qu'on découvre tard,
dans la deuxieme moitié de l'existence, quand on a en
le temps de s'observer et d'observer antrui, c'est-a-dire
d'assister a un certain nombre de bHise8 simples ou
doubles, Un mauvais aiguillage favorise souvent des
fautes morales, mais on ne corrige pas les fautes en
déraillant; on ne les corrige qu'avec de la patience et
en réacquérant péniblement une innocence,
Nous découvrons d'ordinaire le bien apres avoir passé
par le mal et fait l'expérience de l'infidélité, au moins
80U8 la forme d'une faute de surprise ou de faiblesse,

raison, quand il y a eu contrainte matérielle, En outre, si le lien


rompu n 'avait pas de racines psychologiques el n 'était que
d'ordre social, la conscience qui s'en évade serait moins grave-
ment tourmcntée qui si elle était allée a l'encontre d'un idéal
intérieur, e 'est pourquoi bien dcs divorcés qui s 'étaient mariés
sans amour n'ont guere le repentir de s'etre remariés par amour,
surtout s'ils n'avaient pas d'enfants du premier lit. Lenr seul
malaise vient de 1enr premier échec qui, meme reconnu par la
¡oi, les classc dan s une minorité non exemplaire, S 'ils sont chré-
tiens, le malaise est plus profond paree qu'i1s ont faH fi d'un
,~:1crement et de la charité hérolque qn'iI peut exige!',
L'EXl?ÉRIENCE DE L'INFIDÉUTÉ

La route es! ceHe échoit a la des


directe et continue est un destin
y aurait a ne pas tirer
de nos faux pas si L'issue
n'est pas en arriere dans le regret stérile ou le remords.
Elle est en avant dans la réflexion et la générosité. En
un sens, le n'a pas a son mais
a en assumer courageusement les conclusions et a se
laisser transformer par elles, comme l'a compris O. Wilde
dans la 011 il a écrit son De Profundis. Ce
reste dans ce livre vient de ce ne dis-
pas l'amour du péché qu'on va commettre et
celui du péché qu'on veut réparer. Au fond, on ne peut
aimer son péehé passé comme on l'a aimé jadis, mais
prendre position devant la dialeetique 011 il nous a
engagés; et e' est alors que la faute peut devenir une
heureuse faute, c'est-a-dire un retournement de l'infidé-
Jité en fidélité.

2. - INFIDÉuTÉ D'AUTRUI.

L La souffrance qu'apporte l'infidélité d'autrui mesure


d'ordinaire l'amour que nous avons pour lui. - Quand
nous apprenons l'existenee d'une félonie, nous pouvons
souffr!r pour nous-memes, ou pour le félon, ou pour la
cause qu'il a reniée. Ces trois formes de chagrin peuvent
s'additionner, mais il n'est pas fatal que nous les ressen-
tions ensemble ni surtout que la premiere entraine les
deux autres.
Si la personne de l'infidele nous est ineonnue ou
indifférente, nous souffrirons d'abord et avant tout pour
la cause a laquelle il a fail tort et pour la valeur relative
a ceUe cause. L'émotion dominante sera la mélaneolie
ou, si la cause nous tient a eceur, le dépit, l'inqui6tude,
12
RÉFLIlXIONS SUR LA FIDÉLlTÉ

le Nous ne pas exactement de meme


devant le meurtre de César par ou la
de Sedan par ou la nouvelle que le trésorier de
noire banque vient de avec la
ces expériences auront une en commun :
bien que nous n'ayon8 éprouvé aucun sentiment préalable
a l' égard du traltre, notre attitude envers lui ne pourra
etre . son le faít sortir de la
foule et entrer dans notre monde affectif. Nous
1'erons pour lui de la colere, du mépris, une haine mor-
telle; ou, ce est plus rare, de la pitié. Bref, le choc
que nous aura donné le crime engenc1rel'a, selon sa
qualité propre, une gamme d'émo~ions variées devant
le crimine!. Si la cause est étrang'el'e a nos intérets
matériels, peut-etre y aura-t-il plus de noblesse et meme
d'objectivité dans les réactions de ce type que dans nos
peines de camr.
Venons-en au cceur. Supposons que l'amitié ou l'amour
pour un individu aient préexisté a sa traltrise : il est
évident que noire douleur sera centrée sur le rapport
interpersonnel et non pas sur une cause en soi, distincte
du coupable et de nous. Le déshonneur des parents qui
ont a déplorer les fredaines d'un enfant est de ceUe
espece : ils sont affectés d'abord par la conduite du
coupable; mais ils peuvent en meme temps, el en un
sens qui normalement devrait rester secondaire, souffrir
du mal qui est faií a la famille ou a d'autres groupements
lésés par la défaillance du prodigue. Le rapport inter-
individuel vient d'abord, la cause vient ensuite.
Supposons en fin que nous soyons non seulement liés
a l'infideIe, mais objet direct de son reniement : alors
la détresse épl'ouvée est exclusivement interpersonnelle
et le souci de la cause lésée disparalt tout a fait 11.
l'arriere-plan. Deux etres el deux etres seulement comp-
lL 'EXPÉHIENCE DE 179
tent désormais : l'auLre et nous, somInes aux
avec Iui. Victimes d'un HOUS sommes en
a deux souffrances alterneront : tantot nous
sur nous, tantot nous serons inconsolables
du mal que l'infidele se sera fait a lui-meme et de la
souillure moraJe aura contractée. le
d'un te1 désarroi est le l'amour
bafoué. L'abandon résuIte d'un pUl' oubli ou d'une
pure désaffection est encore l'elativement tolérable pour
en est la victime. lVIais si le partenaire ailleurs
sa flamme et nous la jalousie nous envahira et
nous subme-rgera : sa torture est la plus atroce que le
coeur puisse subir. Tant qu'elle se réduisait a une
inquiétude légere, elle n'était qu'une précaution de
l'amour; elle le tenait en éveil, ses taquineries étaient
stimulantes. lVIais des qu'elle est motivée et qu'elle repose
sur une triste certitude, elle devient furieuse et sans
issue. Aussi engendre-t-elle une sorte de folie ou toutes
les réactions sont possibles.
JI faut insister sur l'indétermination de ses consé-
quences, c'est-a-dil'e sur le falt que la détresse de l'amour
trompé peut engendrer les plus grands biens et les plus
grands maux. D'une certaine maniere, l'expérience de
la déréliction permet plus que toute auLre de participer
a l'absolu. C'est dans le dépouillement complet et
absurde, quand le moi est rendu a sa nudité native, que
l'immanence de notre etre en Dieu se découvre avec
nelteté et que l'amour apparalt en son essence de sacri-
fice et de rédemption. C'est pourquoi une saison dans
renfer du coeur peut conduire aux plus hauts sommets
spirituels, a eondition que l'organisme et le psychisme
ne soient pas disloqués par une épreuve si rude. n ne
faut done pas di re que la profondeur de la blessure reQue
engendre fatalement une colere vengeresse contre autrui
180 RÉFLEXIONS SUR

contre les crimes


neIs soient presque 8uite d'un abandono
que soit sa réaction devant.la celui
liTe en sa souffrance le degré d'amour
a pour son bourreau. C'est la disons
meme la jalousie, est le thermometre le sensible
de l'attachement a autruL Mala si la véhémence de la
douleur mesure l'intensité du elle n'en
pas la n s'agir d'une
égolste ou ailliction généreuse. Les deux motifs
coexistent sana doute toujours un certain
cal' l'amour véritable ne peut exclure de son vom ni la
perfection du tal ni ceUe du moL Mais nous pouvons
viser ¡¡ aimer autrui avant tout pour lui ou avant tout
pour nous, c'est·¡¡-dire nous vouloir pour lui ou le
vouloir pour nous. Et ces options psychologiques ont
d'immédiates conséquences morales.
La souffrance de l'abandon livre encore un autre ren-
seignement : elle nous apprend jusqu'¡¡ quel point un
etre était ou non entré dans notre vie. Que l'on se
console vHe ou qu'on ne se console jamais, le test est
instructif. En dépit des apparences, tout n'e8t pas
unilatéral dans une te11e information. Ce n'est pas sur
le mOl seul qu'elle nous éclaire, mai8 sur le tOl et le moi,
bref sur la communauté de fait qu'ils formaient ensemble
et qui avait cousu leurs etres dan s une sorte de sym-
biose. On peut se croire aimé plus qu'on ne l'est réelle-
ment; et pourtant l'infidélité du partenaire ne serait
pas ressentie comme une trahison s'il n'y avait pas en
de sa part un don initial el une espérance finale. C'est
cet amour passé et cel avenir radieux que la catastrophe
présente es! venue détruire. Mais la est de
savolr si la destruction d'un líen existentiel pent jamais
etre totale, si le souvenir n'est pas une vie éternelle et
L'EXPÉRIENCE DE L'XNFIDÉUTÉ 181

une de l'élan ne reste pas poso


sible l.

7. ne tout a
sanction. Comment guérir l'infidélité
elle est guérissable? Le réflexe de défense est
le traltre par la force. Tant que
nous ne sommes pas melés au
nous nous contentons volontiers d'une remise en ordre
et les traltres son t
se respecte. Concevrait-on un
film ou un roman s' écartent de eette regle PElle
s'impose meme aux manuels d'histoire pour le bacca-
lauréaL Son caractere artificiel est hélas trop visible.
Mais si le triomphe du loyalisme était une vérité expé-
rimentale, il serait néanmoÍns incomplet : ce n'est pas
une compensation extérieure quí suffit : il faut la conver-
sÍon du délinquant. La contrainte peut-elle la procurer?
n seralt édifiant de répondre non a cette question.
Mais les faits sont troublants. Punir, c'est paríois
redresser du dedans et faire naltre une ame. Les éduca-
teurs quí ne sont pas pourris d'utopisme le concederont

1. Etre fidele a autrui malgré son infidélité est dans la logique


du camr et peut devenir un signe de vertu. Mais un tout autre
rapport peut s'établir de fayon paradoxale entre deux 1\t1'es :
il consiste alo1's a etre fidele a autrui paree qu'il est dévoyé et
infidele, ce qui est une perve1'sion de l'ordre interpersonnel.
Quand cette anomalie est réciproque, la vo1upté qu'on y trouv.e
devient une complicité tres capiteuse. Elle ne 1'éunit pou1'tant
que des moi mutilés, auxquels elle inte1'dit de g1'andir et de
cOlncider avec 1eur subjeetivité la plus profonde. Aussi est-elle
plus instable encore, plus décevante et souvent plus meurt1'iere
que 1'infidélité solitaire, a laquelle elle ajoute une nouvelle
conlradiction et dont elle suit avec plus de peine la dialectique
de conversion.
r.ÉFLEXIONS sur. LA FIDÉrXr{;

sans hésiter,
femme obtiennent Non
senlement la force se fait admirer des faíbles que la
douceu!.' n'avait pas convaíncns, mais la force au service
de la justice se fait révérer et chérir.
Les résultats de l'intimidation sont toutefois
incertains : il en 80rt de révoltes que
Les représailles doivent toujours faire
serrés et de mllres réflexions; sinon elles sont
la démesure et tournent mal. La maliee de leur
les rend suspeetes a priori. Une sanction n'est
en définitive, que si elle est pédagogique, e 'est-a-dire
inspirée par le déslr d'amender le coupable et de le
conduire a une auto-critique. Encore doit-¡l y venir par
les chemins de la liberté : le ehoe de la force ne se
justifie que s'jl est dirigé par l'amour et s'i! se contente
de supprimer ce qui genait l'autonomie dn
Des que nous voulons corriger l'infidele lui-meme et
non pas simplement ex alter une cause a ses dépens,
nous sommes tenus a un emploi tres discret el subor-
donné de la eontrainte. Peu nous importe qu'i! se
conforme comme un perroquet a notre opinion : c' est
une personnalité que nous voulons convertir et non pas
un robot que nous voulons entendre. Autan! dire que
la sanction est incapable par elle-meme d'aUeindre le buí
que nous visons : elle ne le fait que dans la vertu de la
justice et de l' amour. Kant et Fiehte ont établi d' emblée
l'importance de eet élément moral dans leur philosophie
du droit et ce n'est pas d'une contrainte quelconque
qu'ils font l' éloge. Mais ils ont été tres sensibles aux
bons effets eivilisateurs autoritaire
obten ir. n est permis de penser qu 'ils ont a10r8 oublié
les titres non moins partiels mais non moins réels d 'un
prince débonnaire. lIs ont sures timé en tout cas la
L'EXPÉRIENCE DE L'INFmÉLITÉ

du bien dans la volonté rebeHe sous la

En outre, ce que et la rééducation violente


n'obtiendront c'est l'effacement du cou-
pable dans la conscience de la victime. L 'infidele ne sera
lavé de sa traltrise tant ne sera pas par.
donné. Et c 'e8t pourquoi la contrainte est si
dans sa direction et dans ses conséquences, tant
n'est pas l'expression d'un amour ou. déja le

3. Le parelon hUl"iaín est íncapable luí aussí ele guérir


entierement l'infielélíté el'autrui et ses ravages. - Un
etre m'a offensé, m'a peut-etre trahi. Je déclare que
je lui pardonne. Qu'est-ce a dil'eP je lui promets d'abord
de ne pas me venger : je ne lui rendrai pas deux yeux
pour un ceil, ni meme ceil pour oeíl. J'abandonnerai
jusqu'a l'idée d'une sanction juste a son égard. Si j'aí
déja pris des sanctions, je ne les renouvellerai plus :
nous serons amis comme devant. Bien plus, je subirai
sans broncher et sans récriminer les éclaboussures de la
faute. L'éducation des jeunes enfants offre a ce propos
des exemples adoucisdu drame quí se joue plus tragi-
quement dans la vie des adultes. Le bambin a désobéi,
il a joué trop pres du piano, il a cassé le vas e de Sevre8.
On lui pardonne : c'est-a-dire d'ordinaire, qu'apres lui
avoir donné une fessée, on luí promet de ne pas lui en
donner une seconde s'il promet de son coté qu'il se
sOllviendra de la premiere. Un marchandage rapide a été
conclu : le pere courroucé a sévi; l'enfant battu a sentí
montel' en luí le repentir et l'imploration que favorise
la souffrance. Des engagements ont été pris : le coupable
ne recommencera plus et il donne pour gage une l'ecru-
descence de gentillesse; le justicier pl'omet la levée des
sanctions et iI donne pour gage la bonne humeur avec
184 RÉFLEXIONS SUR LA FmÉLITÉ

du Oil
financíere.
meme dans un sketch si l' essentiel
est auíre chose. Je j'oublie. Et
il faut que cet oublí soít volontaire. Absoudre une
c'est l'oublier expres est faute et non pas
a la suite d'une la réduirait a erreur
puís a une bref a un enchalnement déterminé
oil toute se volatiliserait l. Je sais done que
tu es coupable, mais je le nie, je décide de le nier pour
toi en l'oubliant pour moL « Je ne t'en veux pas))
signifie que tu es toujours l'objet de mon amour comme
si tu n'avais rien faiL Tu m'as été infideIe, je t'aime
comme si tu étais resté fidele. Et je ne te pardonne
vraiment que si j'arrive a effacer de mes propres
réactions intimes la présence de ta faute. Tu m'obliges
a cette générosité et je t' oblige par elle. Encore y
deux degrés dans l'absolution : je te l'accorde paree que
tu es redevenu fidele ou de telle sorte que tu le rede-
viennes. Dans le premier cas, tu me demandes pardon,
tu me déclares que tu détestes ta faute mais que, sans
notre réconciliation, elle te submerge et t'empeche de
te réunifier; dans le second, tu ne me dis rien, tu es
encore infidele, mais je suis pret a pardonner, je vais
au-devant de toi par générosité et si tu crois etre gai
dans ta faute, je veux t'aider par ma fidélité tenace a
devenir triste en elle, c'est-a-dire a ne plus te servir
d'elle comme d'un masque pour te séparer de ton etre
antérieurement innocent; je veux t' offrir les chances

L V. JANKELEVITCH, La Mauvaise conscience, Paris, 1939,


p. 136. - L'offenseur n'a pas le meme devoir de « ne plus y
penser »; il doit res ter contrit, sauf si une contrition trop pro-
longée devenait un moyen de nourrir la tentation, ou si elle
atlristait le pardonneur.
L 'lEXPÉRIENClE DlE L 'INFIDÉLITÉ 185

'une cxistencc D::H1S 'un et


que ni ton etre ni le mien ne seront
sans le maintien de leur mutueBe.
Tu ne peux pas sauver seu1 1. innocence
eí je ne peux assurer seul le succes de mon existence.
Tel est le double aveu contenu dans le et dans
le Refuser le ou se
refuser au pardon serait retirer son amour et
d'un coup le sens de deux vies. Aussi y a-t-il une
solennité tacite dans l'instant OU il va des cendre comme
une sur le et OU il
hésite encore. Pendant ce bref éclair de
consciences arretent 1eur cours et le cÍel luÍ-meme aUend
ce guí adviendra.
Mais qu'adviendra-t-ilP Le pardon peut se refuser.
Celui quí le refuse peut meme opposer a l'infidele
repentant une fin de non recevoir si absolue qu'elle
devient a son tour une infidélité a l'amour ancien. Le
effet d'une faute est qu'elle peut germer et se repro-
duire, grace a la vengeance, dans retre meme quí en
a été la víctime. La sÍtuation s'est renversée : on ne veut
meme plus le repentir du coupable, on le juge incapable
de laver sa faute, on ne veut qu'elle puisse etre
rachetée. n aura beau supplier, on lui fermera sa porte
et son cceur. Peut-etre les ponts ne sont-ils cependant
brÍsés qu'en surface et est-Íl impossible d'anéantir la
communion dont la haine invertit l'expression. Mais de
telles désunions montrent a qnel point la réciprocité
des consciences dans l'amonr est contingente id-bas;
si la fidélité est fragile, elle 1'est bien plus encore apres
la fracture, quand iI faut raccommoder les destins.
Le pardon humain a d'autres limites que celle-la.
Meme s'il est demandé, accordé et accepté sans réticence,
il ne peut supprimer les traces du passé. La volonté géné-
186 nÚFLEXIONS SUR LA FIDÉLITÉ

reuse au dela de ses forces : est-elle


sure d'etre suivie par l'instinct el. par les habitudes?
Est-elle sure de
commune que les
ils puiseront la force de se recréer chacun,
reparaltre~ Et puis, les conséquenees de l'infidélité ont
pu rayonner bien au dei a des aeteurs immédiats ciD:
drame; qui les arrctera désormais P L 'un des héros de
Dostolevski s' écric: « Me pardonnes-tu pour tous, toi
seul; pour les autres, me pardonnes-tu 1 p)) n faudrait
que le pardonneur soH le délégué du cosmos tout entie1'.
VOlla bien des charges sur ses épaules fléchissent.
4. L'implication finale da repentil' et da pal'don est
métaphysique. - Ce n'est pas seulement autrui qui
nous demander pardon ou a qui nous devons demander
pardon. Nous sommes tous infideles a notre vocation
intime et c'est notre plus haute conscience fauí
fléchir. Spinoza croyait que la pénitence n'est pas une
vertu et qu'elle nous rend doublement misérables ou
impuissants 2. Plus avisé, Hegel a essayé de réintégrer
le repentir et le pardon dans la sagcsse philosophique.
Pour lui, la pénitencc est une disposition virile qui
aperyoit le caractere inachevé du passé et le transforme
en le rebonifiant; elle ne consiste pas a éviter le chali.
ment, qui doit bien avoir lieu, ni a retirer de 1'action la
conscience, mais a nous réconcilicr avec le destin par
l'amour. La Phénoménologie nous décrit la conscience
mauvaise qui se confesse de son hypocrisie a la conscience
jugeante. Or, celle-ci it son tour devient mauvaise et

l. Cité par P. EVDOMIKOFF, Dostoievski et le probleme da


mal. Lyon 1\)42, p. 136.
2. Poenítentia virtus non est, sive ex ratione non oritufi
sed is qucm fa dí poenitet bis miser seu impotens est (Ethique,
IV, 54).
L'EXPÉRIENCE DE L'INFIDÉUTÉ

nous arretons en
et met. le devoir en
de le mettre en Il fau!' dOlle passer par cette
conscience mais en « briser le cceur dur». n fauí
dépasser le moralisme et se pardonner au nom de la
conscience absolue. « Les bIes sures de se gué-
rissent sans laisser de cicatrice. Le faH n'est pas
rissable, mais l'esprit le réabsorbe en soi-meme l. »
Mais Hegel, et beaucoup d'autres a sa suite, ne sont-ils
pas optimistes a l'exces quand ils proclament ainsi la
d'anéantir l'infidélité par un acUf et
joyeuxP On dirait qu'ils ont peur de passer pour des
fauteurs de découragement et qu'ils prennent le partí
d'atténuer le malheur de la conscience fautive. Comme
si l'irrévocable n'étaÍt qu'un aspect spécieux du moi
passé! Comme si, meme inachevé en moi, ce passé était
malléable et liquidable a mon gré! Comme s'il m'appar-
tcnait de me réinnocenter ou de réinnocenter toialement
un autre etre humain ... Faisons crédit tant que nous
le voudrons a la foi humaine et aux bienfaits du risque.
Acceptons de nous remettre entre les mains d'autrui ou
de nous abandonner a notre conscience la plus haute en
espérant qu'ils seront assez forts pour surmonter l'infi-
délité commise : ni la souffrance ni l'action ne peuvent
purifier le sang mauvais qui court dans mes veines ni
m'assu1'e1' que la contingence de mes décisions ou leur
rencontre avec autrui se1'ont 1'éparatrices. Je ne vis pas
dans un monde rationaliste mais dans la jungle 011 cer-
taines innocences sont définitivement mortes. Autrui et
moi-meme formons un cycle de rapports qu'aucune

L HEGEL, Phénoménologie. París 1942, t. n, p. 197. ef.


V. JANKELÉVITCH, La mauvaise conscience, p. 158: « Heureuse
la mauvaise conscience, cal' son malheur n'est qu'une feinte,
une rus e profondc de la vico )}
188 RÉFLEXIONS SUR LA FIDÉLITÉ

a ne édulcorer et ont dans


leur succes ou leur échec chose de définitif.
a pas un Diell et parce
revivifier par le dedans le centre nos
etres, nous sommes L'expérience de l'infidélité
(sans oublier l'infidélité par omission) ne montre
que le etre a la
se produise surtout dans la conscience le
plus besoin l. Seul un Etre a d' autres moyens que
les notres parce est le créaleur de nos
nous rendre le paradis; seuI, il nous le restitner
sans nous retirer notre identité personneHe.
n y a plus grave. Les conséquences de
puisqu'elles se détachent de ragent et de son partenaire,
portent jusqu'aux limites extremes de l'espace et du
temps notre perdition. Tout ce que la faute a contenu
de malice ou de faiblesse ou de malheur virtuel filtrera
a travers l'acte commis et ne pourra jamais etre
rattrapé ni rebonifié par le coupable. Prenons un
exemple. Si je lance une planche Ea un naufragé et
qu'une vague malencontreuse la lui assene sur la tete,
je serai certes innocent de sa mort; j'aurai du regret,
du désespoir peut-etre, je n'aurai aucun remol'ds. Mais
si a la conjuration des cil'constances se meIe une once de
mauvais vouloir, ce mince appoint de méchanceté suffit

1. e 'est-a-dire dans la conscience légere et fantaisiste que


Heymans appellerait « primaire)) et opposel'ait au caractere
secondaire ou retentif. J'évite cependant de rapprocher systé-
matiquement la secondarité et la fidélité, d'abord pour ne pas
trop liel' la vocation morale a une forme psychologique préfa-
briquée; ensuite et surtout, paree que la distinction d'Heymans
nc comporte pas de degrés et est trop schématique. Il est grand
temps pour les caractérologues de s'apercevoir que nous sommes
lous primaires et secondaires a certains égards.
L'EXPÉ1UENCE DE L'INFIDÉLITÉ

pour que l'événement me condamne et que


la dans les meme
de en résulteront fin des
siecles. il y a en toute chute moral e une
et nous sommes tous maudits.
Le seul faH d'avoir déclenché le mal, si petit soit-il, peut
avoir des sUltes incalculables. Le bien que nous faisons
a, il est luí ausSl ses extensions et proliférations
cosmiques, mais il ne peut compenser le pas
bonheur ne peut consoler d'un malheur. Com-
ment, par une si
la personne en a souffert est morte? Il y a des
absolues. Si un rédempteur divin n'assume pas la charge
de maltriser tous les événements, si ce n'est pas Lui
me pardonne activement mes infidélités et les
corrige par sa providence finale, de nouveau j'en arrive
a la conclusion de tout a l'heure : je suis moralement
damné. Si je prétends me passer du pardon d'un Dieu
transcendant et rester optimiste, confiant en la toute-
puissance de mon repentir, je dois réaliser une rédemp-
tlon cosmique : il me faut avoir l'efficacité d'un Homme-
Dieu. C'est une prétention folle, a la fois inévitable et
irréalisable. Mais elle m'éclaire sur un dernier aspect
de mon exigence : je retrouve une transcendance divine
dans le besoin moral d'un médiateur qui soít plus moi-
meme que mol. Telle est la signification ultime du
repentir humain et du pardon de Dieu. Telle est la
condition que pose l'expérience de l'infidélité a la vic-
toire de la fidéli té.
CONCLUSION

L' ACCOMPLlSSEMENT DE LA PERSONNE


PAR LA

A de Gabriel Mareel, nous avons souvent


constaté la présence de la foi dans la fidélité. Mais ce
mot n'est pas- clair et il ne sera pas superflu d'en fixer
pOUl' finir quelques traits. La foi affirme un absolu qui
s'enfonce dans la nuit. Non pas qu'elle soit fatalement
déraisonnable : elle peut au contraire etre exigée par
une réflexion rigomeuse. Mais elle se porte toujoms
vers un objet que les sens n'atteignent pas et dont
l'intelligence meme ne faií pas le tour. Lé. distinction
marcellienne entre le probleme dont nous dominons les
données et le mystere dont nous sommes nous-meme
une donnée, reste a cet égard des plus valables. Est objet
de foi la réalité que nous ne pouvons juger sans nous
compromettre et qui nous enveloppe toujours quand
nous la jugeons. Personne ne peut vivre en homme sans
chercher a unifier son etre; personne ne peut unifier
son etre sans faire un acte de foi, c'est-a-dire sans choisir
un principe qui oriente et complete ses désirs au dela
de lem particularité et de lem incohérence. Le besoin
d'absolu et d'universalité est a l'origine de la foi ainsi
comprise, qui devanee notre etre et nous faH aimer ce
que nous avons a devenir ou ce par quoi nous pouvons
191
RÉFLEXWNS SUR LA FIDÉLITÉ

le devenic Le n' es! pas de savoir si un homme


se passer de mais il est de déterminer
comment la croyance aura le de sagesse; il n'esl
pas non de dosel' les cal' l'assentiment
de la foi unifiante ne peut étre acte une
décision de l'esprit exprime la direction résultante
de l' esprit et le centre de se reeonnalt.
C'est pourquoi encare il est vain de que
l'aspeet intellectuel de la foí pourra se détacher tout a
faít de son aspect pratique ou affeetif : le est
icí générateur de confiance; l'ordre normal de la foÍ est
qu'on se donne totalement a ce qu'on affirme et
y cherche appui sans se l'epl'endre 1.
Faut-il craindre que, dan s ces conditions, la foi ne
soH mauvaise foiP Oui, certes et elle l'est nécessairement
si ron veut dire par la que notre conscience est impar-
faite. Nous avons a traversel' un infiní pour nous
rejoindre : aussi notre fidélité a nous-méme nous oblige-
t-elle a d'incessantes extensions, conversions et décou-
vertes. Nous sommes délogés de nos positions antérieures
et contraints de songer a la prochaine étape dans l'acte
m6me par lequel nous nous installons. Mais le strabisme
de la mauvaise foi est autre chose, si ron veut dire que
le fond de notre personne est double et que la diversité
des étapes vicie la simplicité de notre essence. En cette
acception radicale, la mauvaise foi ne se confond pas
avec l'imperfection de la foi, elle pervertit ou détruit la
foi. Rien n'oblige a la croire nécessaire, tout suggere en
rcvanche qu'elle n'est meme pas tout a fait possible;

L Cela est déja vrai de la fides rituelle et quasi rnagique


du jusjurandum romain. Cette racine tres humble de la foi
spirituelle montre en outre que la foi ne peut sans doute se
détacher jamais de toute fixation matérielle.
FmÉLITÉ ACCOMPLIT LA PERSONNE

des données el passages est


avec l'unité du bul et l'honneleté mou-
vement. Nous ne sommes pas condamnés a l'infidélité
mais a une série de dégagemcnts vitaux ont
pour effet de nous tirer vers l'infini. La bonne foi
de la vie ne faut pas se limiter ni
forme contl'e une antre, n'est
arrivé a l'aehevement de soi-meme. Mais la vie
de la bonne foi qu'il faut intégrer les formes de son
devenir plus purement a soj-meme, au líeu
de s'éearteler et de se dissoudre eomme le suggererait
une duplieilé veritable.
La dispersion de l'espaee el du temps est certes une
condition de la fidélité terrestre. Si la vie ne nous
éparpillait pas, la fidélité n'aurait pas a devaneer par
la foi le tenne final qu'elJe affirme et auquel elle se
consacre. Mais le role de la fidélité esi précisément
d'inverser le temps pour accomplir la personne. Au
mouvement de dérive que nous impose la nature, elle
substitue la eontinuité éternelle et l'initiative irrempla-
gable que nous propose notre vocation. Ou plutOt, elle
transforme l<es rythmes. D'un événement qui nous
emporle, elle dégage un souvenir qui demeure; d'un
obstade nous arrete, elle fait un tremplin qui nous
éleve. Ene a pour fonctíon, en somme, de sauver la
reneont1'e spatiale dans notre durée et, en ce sens, de
temporaliser l'espace; puis, de ramas ser notre histoire
dans une valeur permanente et d'éterniser ainsi le temps.
La fidélité qui accomplit la personne la rend logique.
l\'lais la logique personnellc n' est pas réductible a l' étale-
ment d'idées anonymes. Nous n'advenons pas a la
perfection de nous-memes sans la raison objective, nous
ne nous achevons pas non plus dans eette raison. Aussi
semble-t-il que la conscience humaine soit toujours en
13
nÉFLEXIONS sun LA FIDÉLITÉ

affinilé ilyeC cal' le ne d'une


convertir inlégralement en objet, et il d'autre
susciter sans cesse de nouvelles senes d'objets ou de
perspectives sur les objets. La logigue personnelle de la
fidélité n'est eependant pas opposée a la logigue imperson-
neHe des idées, puisqu'elle l'exige et l'englobe. n est
de dire 18. en et
e'est pourguoi encore le principe guí la guide n'est
pas seulement la rai80n mais la foi.

'"'"'"
n nous a semhlé que la fidélité transcendait non seule-
ment les horizons de la eonscience empirique, mais aussi
ceux d'une monade idéaJement fermée sur elle-meme.
La foi que la méthode réflexive nous a conduits a adopter
est dirigée vers autrui, en gui nous trouvons une sorte
de grace pour nous accomplir el avec lequel nous avons
une réciprocité de destino Pour finir, c'est a un Dieu que
nous avons suspendu la fidélité, cal' il est seul capable
de soutenil' la pl'étention de nos vceux et d'épanouil' le
réseau de nos personnes. La foi dont nous avions parlé
devient désormais non seulement mystérieuse, mais
re1igieuse. Elle est ouverte a ce que les théologies
ehrétiennes désignent par cet acte quand elles en font
une adhésion a la par01e de Dieu, cal' elle s'attend déja a
eette parole.
Mais a tous les niveaux intersubjectifs 011 J'on peut
eonsidérer la foi, elle implique un dépassement de
l'expérienee yitale quí colore la fidélité meme. L'indiyidu
qui est aux prises ayec la nature et ayec les hommes
ne peut dans l'épreuve immédiate du Dasein perceyoir
la totalité de son etre. n ne saisit de son esprit que ce
qui lui est indispemaLle pour agir ou pour souffrir dans
LA FWÉUTÉ ACCOMPLIT LA PERSONNE

son zones de lui-meme lui


pas a ceux l'aiment.
lIs soní. les miroirs de son ame et ils dénombrent en
lui des ressources qu'il ignore, des raisons d'espérer ou
de vivre méconnalt. Encore ne le font-ils que paree
qu'ils ne sont pas immergés dans ses sensations, c'est-a-
dire paree ne sont pas au contact de son état
physique, tan di s que lui-meme n'est pas au contact de
son état moral. L'absence est ainsi, en des sens divers,
une condition de l'entr'aide; elle est, en meme temps,
indispensable a la plus belle forme de l' objectivité, ceHe
qui n'excluí pas mais appelle l'amour.
01' ce que nous venons de décrire s'applique aussitOt
a la fidélité. C'est en croyant a l'autorité d'autres etres
que j'unifierai mon etre; c'est en me remettant a leur
perceptíon et a leur exigence que je serai digne de ma
vocation. Croire en eux, me perdre en eux, c'est me
trouver. Etre fidele a 1em fidélité, e' est le seu1 moyen
que j 'aie de faire aboutir ma personne dans ma conscience
et de leur offrir en retour le meme service lumineux.
En tout amour qui contemple ou agit se combinent
ainsi une foi et une perception, une absence et une
présence. Si de cet exemple humain nous passons mainte-
nant au terme éthico-religieux de la fidélité, les memes
conclusions se dcssinent en un style tout nouveau. Dieu
est le sujet apparemment le plus détaché de moi paree
qu'il est le plus invisible pour ma sensibilité vitale,
mais il est en réalité celui qui crée toute ma valeur
absolue. Absent pour mes yeux d'aveugle, silencieux
pour mes oreilles de chaír, il lit et proclame sans cesse
en moi des grandeurs que j 'ignore et que je découvrirai
par lui seu!. La fidélité que je lui voue est l'aveu de
mon insuffisance propre et de sa grace efficace. Elle
n'est pourtanl. qu'un autre nom de ma libre croissance.
SUR LA FWÉUTÉ

MOTI sera mon aulonomie, Et la que


j 'édifie en ell e est absolue,
la foi fidele choisit sinceremenl ses elle
est loin de savoir que les valeurs elle s'altachc
ont cet arriere-fond humaÍn et divin, Aussi peut-elle se
monnayer en obligations de détail dont elle les
l'elatifs, Sous eeHe forme
des degrés de probabilité et n'est plus une adhésion
totale, Mais des qu'elle se ressaisit comme un
elle est un acte de fermeté, une orientatlon
respiration de l'etre personneL Elle doil aJors apprendl'e
a épeler le nom de ses cl'éditeurs et le nom meme
nous donnenL Cal' les valeurs cncore anonynles de la
fidélité sont déja les déléguées de Dieu et des hommes
dans notre for intime, La dignité du devoir lui vient
de ce qu'il est la présence voilée de toutes les consciences
en une seule. Le noyau de conscience qui accompagne
notre moi comporte toujours la vocation de devenir
toutes choses et de s'illuminer dans une réciprocité
universelle des personnes. Entre ce but et notre condi-
tion présente, la fidélité est médiatrice, Elle est une foí
qui dure et qui se mue déja en présence totale.
Elle nous enseigne surtout a etre universels en accli.
matant nos acles passés dans nos actes fulurs, de fayon
a découvnr de plus en plus dans notre avenir l'antécé-
den ce éternelle de notre essencc, Une lelle invite nous
plonge dans un purgatoil'e; cal' nous avons a reconnaltl'e
pl'ogressivement poul' nOtres les visages abolis que nous
avons quittés, a faire coexister les personnages hostiles,
a acquérir une consonance qui ne s'accomplit pas sans
que le i'epentir se me le pel'pétuellement a l'initiative
créatrice, L'ambition de la fidélité est de récupérer
meme les traltrises commises au dedans ou subíes au
dehors. Le pardon sous cette forme extreme s'appelle
I"A FIDÉLITÉ ACCOMPLIT LA PERSONNE 197
CJe~¡' eH iouL ,~
1"

tout conservero alnSl une fois


nos Mais
[out SI tout nc lui était
d'unc constance divine l'art de nous donner les uns
aux autres en nous rendant adéquats a nous-memes?

"""
la fidéli té a une significa tíon
En accomplissant r ordre elle contribue
a la connaissance de notre etre absolu et devient un
élément de cet et1'C< Par elle peuvent se réconcilie1' deux
conceptíons du monde quí semblent également plausibles
et qui s 'excluraient sans elle. Dans la premiere de ces
deux perspectives, la création n' est qu 'une série d' étapes
dont la plus récente efface et déréalise les précédentes :
le présent, l'instable présent, compte seu1; le reste est
faH de fantomes< Dans la seconde perspective, au con-
traire, la réalité comporte une série de niveaux sont
éternels, bien qu'ils soient inégalement actuels ou
d'inégale valeur; et tous se rassemblent dans une forme
suffisan te.
Ainsi, l'esprit qui se cherche dans les choses s'apparalt-
il tantOt multiple et tantot un, sans jamais pouvoir
s'arreter dans 1'une de ces deux représentations. Tout
se passe comme si le Créateur hésitait entre la fécondité
qui oublie et 1'intellig<ence qui contient. La nature et
l'humanité meme se partagent entre ces deux obédiences
ennemies. Les philosophes n'échappent pas a l'antinomie,
puisque leur caractere influe sur leur pensée et y fait
prédominer l'une ou l'autre conception, selon qu'ils
sont plus mobiles ou plus rétentifs.
Mais qui sait si le sens de la création ne serait pas
RÉFLEXIONS SUR LA FWÉLITÉ

découvert, ou par une :sagesse


les sagesses et confondralt avec
fidélité meme P Dans eeUe ceUe-cl auraH pour
fonctlon de faire converger le et l'un. Ene
restituerait l' etre invisible aux visages sans etre, elle
rendrait un visage visible a l'eire sans visage. Elle n'est
en eHet ni l'esprit ni la lettre mais le moyen de
rendre explicite un élan qui est forme et source de
formes. Sous son regne, le príncipe fugace quí s'agíte en
nous nous empecherait, certes, de nous complaire dans
un résultat finí, et l'indigence perpétuelle des choses nous
servirait a nous créer de nouveau sans cesse. Mais a l'et1'e
indigent et fugace, la fidélité apporterait en revanche un
salut; grace a elle, les étapes du monde en deviendraient
les niveaux, et l'aventure subsisterait éternellement sans
1'end1'e l' éternité ambigue.
L'histoi1'e co'incidera avec la valeur si la fidélité le
veut et se veut a l'infini. En l'homme, et par lui dans
la te1'1'e qui l'entou1'e, une troisieme création ne résorbe.
t-e11e pas déja la dualité crééeP Cependant, son avenement
reste libre; et, de ce seul chef, la g'loire cosmique de
la fidélité n'est encore qu'un reve pour nous. Du moins
estoce un reve qui vant la peine d' agir. Cal' l' espoir qni
l'a fait naltre serait digne de répondre a l'ambition
d'nn Dien.
A Calmette J., 167.
Camus A., 172, 17 3 .
Abraham, lO8, 155. Caractere, 36, 137-139, 188,
Absolu, 5, 65-66, 107,197-198. 197·
AlIianee, 95. Casuistique, 148- 150.
Amour, 24, 128-130; 178 suiv.; Causes ou déterminations de
et mariage, 130-133. la valeur; leurs conflits, 1[17
Animal, ses fidélités 31 -38; son et suiv.; leur unification,
individualité aequise, 36-37. 151-158; cause perdue, ro-
Arey (d') !VI. C., lO7. lI.
Aristote, 160, 162. Charles 1, 15A.
Augustin (saint), 9, I72-q{r. Charles V, 168.
Autonomie, 39, lII-II2, 193; Chastaing !VI., g8- ro 1.
et théonomie, u5. Chateaubriand, ro.
Claudel P., 131, r!¡5, 155-158.
B Colette, 40.
Conscience et inconscient,
Balzac, 143. 80-81.
Bataille M., 172. Constant B., 16.
Benveniste E., 39, lO2. Contrat, son anatomie, 85-go;
Bergson, 36, A7, lII, 12I. fonctions et limites, go-g5,
Blondel M., A7. 166 suiv.; et serments, g6.
Bounoure L., 3I. Corneille, 131.
Bradley F. H., 160. Coucy (Sire de), 167.
Bülow (von H.), 169. Croce B., 66, 160.
Buytendijk, A5. Curel (de) F., 142.
Byron, 172. Cuvillier A., 96.

C D
Cadeau, sa phénoménologie, Daremberg et Sag'lio, 58.
74-7 6 . David H., 102.
200

Davy G., 9 2 , 91' ) !~3-46; et.


Décius, 58. a autrui ou d'autrui, 6(1:
Defroidmont J., 86. orgRnisation
Dégagcment biologiquc, 42 el 65-83; ses plans, 77-79 et
suiv.; moral, 159 el suiv. suiv.; índices de
Delmont J., 40. deur, 7!¡-82; ses
Deprez E., 167. sociaux, 84-96; son tArme
42, éthico-religieux, 96-II4; sa
Divorce, 131-133, 16!1 et suiv,; structure mystique, lO{¡; ses
170-171; 175- 1 76 . délégations, II5-137; ses ca-
Dosto'iewski, 186. ricatures, 137-147: ses con-
Durkheim. E., 122. flits, r47-158; et infidélité,
159-18g; et
197- 1 g8.
E Finili A., 117.
Foi, en la valeur, 8; sa cons-
Edouarel lB, 167. tance, 11; et pra tique, 15-
Eliot G., 53. 16; et rationalité, 49, 133,
Engagement objectif, 26-.28; 193-1g/¡; et mystique, lO/¡-
subjectif, 28 et suiv.; per- lO7, 135; chrétienne, 155-
sonnel, 46-50. 158; et mauvaise foi, 192;
Epictete, 137. et risque, /¡8; lien avec la
Epicure, 95. fidélité, 8, rg2-Ig/¡ et pas-
Espace, son aménagement sim.
technique, 70; et tempora- Franee A., 1[¡0.
lité, 193. FranQois d' Assise, 161.
Euclide, 18. Fritsch (von , 39.
Evdomikoff P., 186.

G
F
Ganshof H. F., dI.
Famille, 23; 128-135.
Gentile G., 66.
Féodalité, 131; 167-168.
Fernandez R., 52. Gide A., 10, 172.
Feuerbach, lO5, 160. Gcethe, 138, l6/¡.
Fichte, III, 150, 153, 182. Grailly (ele ,167-168.
Fidélité, définition formelle, Grassé P. R., 35.
7- 25 ; foi et fidélité, 8-lO, II- Grimm, l[¡7.
12; 191 - 1 95; fidélité signalé- Guesclin (du), 168.
tique, 30-33; animale, 32- Guillaume P., {¡5.
201

H
Le Sennc 1 ,

Hegel, 186-187. Lewis C. S., 37.


Henri IV, jI. Liberté, 52 el suiv., 61;
Hérode, 97. 17 5.
Heymans, 188. r3.
Homero, 100.
Hugo V., II3.
Huvelin, 89.

A., 89, 100.

Imitat.ion, 17-18. Magie, 57 et suiy.; 89, IOO,


Infidélité biologique 42-!¡3, I03,19 2 ,
65; moral e , a un etre ou a Mareel G" 01, r55-158, 1\)2,
une yaleur, r59 el suiy.; Marillier, 16r-162.
d'aulrui, 177 et suiv., r8r. Marx K" r60,
Institutions d'apres Hauriou, lIíeineke A., 36.
Meyer, 38.
92 .
Iphigénie, 58. Moi ponlif ct idéal, [¡6-[¡g; De
valeut' el valeu1' du moi,
ibid,
J Moliere, 160.
Moltke H. van, r3.
Jaloux E., 40.
Margan Ch., 1 M.
Janet P., 30.
JankeleYiteh V., r8!1, 187.
Jaspers, 2g. N
Jean (saint), 43.
Jephté, 58, lI6. Naquet, 16[¡,
Jésus, r60-r63.
Nehef A" g5,
Josué, 67.
Nettleship R., 81.
Newman J. H., r2I.
K Nietzsche, [¡3, 66, 16g, 17 2 .

Kant, 7, IIl, U!I, r53, r82.


Kierkegaard, lO8, r[lo, 14I. P

L Pardan, sa nature et ses im-


plications, 183-18g.
Lafayette (Mme de), 145. Parjure, 100 el suiv.; 16[¡. 17 5
La Fontaine, 43. el suiv.
202 RÉFLEXIONS SUR LA FIDÉUTÉ

Pascal, lb. Scrmellt, analOlníe el fone-


Passion, 67-69. tions, ()6-103; mort du ser-
Paul (saínt), 152. meni, 166 el suíy.
Paulhan F., I7I. Socrate, 160, 163, 164_
Pavlov, 144. Sourían E., 82.
Périandre, 164. Speneer H., 32,33,37_
Personne, 191-1g8; sa loo'i-lO Spinoza, 186.
que, 133, 193-1gll. Szepticky A., 117.
Philémon, 36.
Picard F., 33-3!1.
Platon, 65, 100, 160, 162. T
Plotin, 65.
Présence, 16, 108-no; ses ni- Teilhard de Chardin P., 70.
veaux, II2-II4. Temps, 12-15; 17; role du
Promesse, son aspeet créateur, passé, 52-54; aménagement
50-52; conservateur, 52-54; direet du tcmps, 67, 71; in-
son éternisme, 54-55; et pro- direet, 73 et suiv.; eomme
jet, 56; el voeu, 56-57. épreuve, 82-83; son inver-
sion par la fidélité, 193-197;
et valeur, 1g8.
R
Thales, 163.
Thomas (saint), 6g, II7, 12g.
Réciprocité, 21-23; 61-64, 194- Tite-Live, 103.
197- T6nnies F., 93.
Régulus, 167.
Relígion, vie de - et vie pro-
fane, 127-128. v
Remords, 169, 186.
Renouvier, 152. Valeur, foi en sa eonstance et
Rousseau, 95. constanee de sa foi, 10- 1 2,
Royce J., 147, 151-153, 154. 54; ses formes, 19; et etre,
19-22; valeurs vivantes, 20-
22; ultimes, 43-46; valeur
s du moi et moi de valeur, 47-
48; délégations, II5-137; ses
Sainte-Beuve, 147. conflits, 150-151; eL histoire,
Sanetion, r81 et suiv. Ig8.
Santamaria A., 117. Verlaine L., 45.
Sartre J. P., 169. Vineent de Pau! (saínt), 122.
Sauvage M., do, 13r. Voeation, 46-50, 57.
Scheler M., 43. Voeu personnel, 56; étape rna-
INDEX 203

59; instrumcntak, w
unifiante, 60-61;
nBUX de religion, I15-¡22; Wagner C., ¡5g.
et discipline, 123; et milieu, Wilde O., 177.
125. WilIoughby C. A. o ¡38.
Voltaire, r47. Woolf, :)6.
TABLE DES
Pagcs.

AVANT-PROPOS ••.••••••••••••••••••••••••••••• 5
PREMIER. - Les éléments formeIs de la
fidélité 7
n. - L'engagement biolog·ique....... 26
nI. - De la fidélité animale a l'engage-
ment personnel..................... . . . . . . . . . 42
IV. - L'organisation psychologique de
la fidélité. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
V. - Les auxiliaires sociaux de la
volonté fidele................................ 84
VI. - Le éthico-religieux de la
fidélité ..................................... 06
VIL - Deux exemples de délégation
axiologique : la vie en religion et la vie familiale. II5
VIno - Les désastres de la fidélité... ... 137
IX. - L'expérience de l'infidélité..... 159
CONCLUSION. - L'accomplissement de la personne
par la fidélité............................... 191

Vous aimerez peut-être aussi