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Ce premier chapitre une notion fondamentale, au cœur du développement de la théorie financière moderne:
la rationalité des intervenants.
Les notions de rationalité et d'efficience font écho à des questions essentielles en finance. Comment se
forment les prix des actifs financiers sur les marchés ? Le prix d'un titre reflète-t-il la réalité économique
de l'entreprise émettrice ? Quel est l'impact de l'information sur le prix des titres ? Comment mesurer le
risque d'un actif financier ? Comment les intervenants opèrent-ils leurs choix d'investissements ? Peut-on
décrire ces comportements ?
C'est à ces deux dernières questions que répond ce chapitre. Plus précisément, nous consacrons une partie
à la présentation de l'hypothèse de «rationalité» généralement admise en économie. Celle-ci concerne le
comportement des investisseurs sur les marchés financiers et, plus généralement, le comportement
individuel de tout agent économique lorsqu'il est confronté à des choix risqués. Appréhender le
comportement de tels acteurs économiques n'est pas chose aisée et nous choisissons de restreindre notre
présentation à ce que l'on peut qualifier de rationalité parfaite. Il s'agit, plus précisément, d'un modèle
normatif reposant sur un certain nombre d'axiomes. Cette approche autorise alors la description de ce que
doit être le comportement d'un individu parfaitement rationnel en matière de prise de décision. Nous
décrivons le critère de sélection d'investissement retenu par ce type d'individus : la maximisation de
l'espérance d'utilité (Von Neumann et Morgenstern, 1944,1947). Cette section aborde également les notions
essentielles de risque et d'attitude face au risque et permet de comprendre comment un individu
parfaitement rationnel intègre de nouvelles informations dans son processus d'évaluation.
RATIONALITE PARFAITE
En investissant sur les marchés financiers, les individus choisissent de reporter à une date ultérieure une
partie de leur consommation présente. La décision d'investissement est prise en situation d'incertitude. En
effet, l'achat de titres financiers (obligations, actions, options) est un investissement dont .1a rentabilité
future est incertaine. A titre d'exemple, l'investissement dans une obligation peut s'avérer catastrophique si
l'entreprise émettrice dépose son bilan ; de la même façon, l'investissement dans un livret d'épargne peut
s'avérer moins rentable que prévu si le gouvernement décide d'en baisser la rémunération. De ce fait, les
actifs financiers peuvent être vus comme des vecteurs risqués de transfert de consommation.
La compréhension de la formation des prix sur les marchés financiers est de ce fait étroitement liée à la
compréhension du comportement des acteurs sur ces marchés et, plus précisément, à celle du comportement
des investisseurs face à des décisions dont les issues sont incertaines. De nombreux travaux académiques
ont dès lors tenté de construire des modèles normatifs du comportement d'un investisseur parfaitement
rationnel sur un marché financier. Cette approche est généralement opposée aux approches plus empiriques
qui tentent de mettre en lumière les mécanismes psychologiques qui sous-tendent les comportements
observés.
En théorie financière, l'investisseur est qualifié de parfaitement rationnel lorsque: 1) il agit de façon
cohérente par rapport à l'information détenue ; 2) ses décisions sont prises dans le but d'optimiser sa
satisfaction. Plus précisément, un investisseur rationnel est un investisseur capable à chaque instant de
traiter l'information reçue et de réviser ses choix et ses anticipations sur la base de cette information.
Deux aspects de son comportement peuvent alors être distingués : une fois ses anticipations réalisées, quel
critère de sélection va-t-il appliquer pour choisir un investissement ? Comment révise-t-il ses anticipations
lors de la divulgation de nouvelles informations ? Ces deux points sont successivement abordés dans les
sous-sections suivantes.
1. LOTERIES ET CHOIX D'INVESTISSEMENT
Comme nous venons de le souligner, décrire le comportement d'un investisseur rationnel sur un marché
financier revient à spécifier son processus de décision face à des choix risqués. D'un point de vue formel,
cette approche nécessite une définition des actifs financiers ; ils sont généralement décrits par des variables
aléatoires (ou loteries) dont les paiements futurs (revenus futurs de l'investisseur) sont conditionnés par
l'état de I 'économie ou plus généralement par la réalisation d'événements futurs.
-1
1.1. LOTERIES ET CHOIX RISQUES
Pour le moment, nous supposons qu'il existe un nombre fini N d'états de la nature; l'ensemble des états est
noté Ω (w1, w2, … wN) avec card (Ω) = N < +∞. P’ = (P(w1),P(w2),…. P(wN)) = (p1, p2,… PN) est le vecteur
des probabilités d'occurrence des états2. Un actif financier est alors une variable aléatoire, notée X, définie
sur Ω, à valeurs réelles.
On pose X' = (X(w1),X(w2), ….. X(wN)) =(x1, x2, …. xN) le vecteur des réalisations de cette variable
aléatoire (ou vecteur des paiements).
- Exemple 1
Soit une économie (E) à deux dates 0 et T ; le taux sans risque est supposé nul sur la période [0, T]. Il existe
dans cette économie deux types d'individus.
Les individus (A) détiennent une action X en date 0 et consomment le revenu de leur placement en date T.
Les individus (B) disposent d'une richesse certaine de 100 en date T.
Sur la base de l'ensemble des informations dont ils disposent (prévision de croissance économique, stratégie
de l'entreprise, par exemple), deux états possibles sont anticipés par les agents en date T. L'état I, qui est le
plus probable, est affecté d'une probabilité de 2/3 et l'état II est affecté d'une probabilité de 1/3. Dans l'état
I, qualifié d'état favorable, la valeur anticipée du titre X est de 150 et dans l'état II, la valeur anticipée est
de 30.
Dans cette économie, 2 états de nature sont réalisables et Ω = (w1, w2) ; Le vecteur de probabilité est P' =
(2/3, 1/3) et le vecteur de paiement associé à l'actif X est X' = (150,30).
La détention du titre X peut alors être décrite par une loterie (ou variable aléatoire) et notée L = (150 ; 2/3
; 30 ; 1/3).
Le schéma 1 en donne une illustration.
Ce jeu a une espérance infinie et les individus sont prêts à payer une somme infinie pour y participer
malgré le risque de voir « face » sortir dés le premier jet. Pour résoudre ce paradoxe, D.Bernouilli (1938)
propose de transformer les gains monétaires en satisfaction par une fonction croissante et concave
(nommée fonction d’utilité U). si la foction d’utilité est logarithmique, la satisfaction espérée (ou
espérance d’utilité, notée E(U) du joueur s’écrit :
-2
+∞ +∞
1 1
𝐸𝑈 (𝐽) = ∑ ( 𝑛 ) ∗ ln 2𝑛 = ∑ ( 𝑛 ) ∗ 𝑛 ∗ ln 2 = ln(4)
2 2
𝑛=1 𝑛=1
Dans ce cas, le joueur est prêt à payer 4 pour participer à ce jeu puisque la satisfaction moyenne qu’il en
retire est ln (4). La somme payée est finie, ce qui semble plus cohérent au regard du risque pris.
Théorème 2.
Si la relation de préférence ≥ définie sur L(Ω) satisfait les axiomes de continuité et d'indépendance, alors la
relation ≥ pe représentée par une fonction de préférence linéaire dans les probabilités et il existe un scalaire
un, associe à chacun des monétaires xn = 1, …, N tel que pour toute paire de loteries,
-3
Ce théorème (dit de l'utilité espérée) est le résultat fondamental de la théorie des choix risqués ; il est au
cœur nombreuses modélisations financières lorsque les axiomes de continuité et d'indépendance sont
vérifiés, les préférences de l'individu peuvent alors être représentées par une fonction d'utilité linéaire dans
les probabilités. Cette fonction d'utilité permet la transformation des gains monétaires en satisfaction (ou
bien-être) de l'individu. Si les actifs financiers sont décrits par des variables aléatoires, l'investisseur
rationnel confronté à un choix d'investissement sélectionne un titre (une loterie) ou un portefeuille
(combinaison de loteries) qui lui offre la plus grande satisfaction. Le théorème précédent stipule que cette
satisfaction maximale est obtenue par la combinaison de loteries dont l'espérance d'utilité est la plus
importante.
Suite de l'exemple 1
Supposons que les deux types d'individus présents sur le marché aient une fonction d'utilité logarithmique
définie en date T (UT(x)) = ln(x)). Les individus de type A qui détiennent la loterie ont alors une utilité
espérée (ou satisfaction espérée) de : E[UT(X)] = 2/3 ln (150) +1/3 ln (30) = 4,47
Ces agents préfèrent alors à X, toute autre loterie dont l'espérance d'utilité est supérieure à 4,47. On peut
remarquer qu'une satisfaction de 4,47 correspond à une somme en de 87,72 (puisque 4,47 = ln(87,72)). De
ce fait, les individus (A) sont indifférents entre la loterie X et une loterie qui offre un paiement final certain
de 87,72 quel que soit l'état de nature.
Cette dernière correspond à un titre sans risque puisque son paiement ne dépend pas de l'état de la nature
réalisé. En outre, la somme de 87,72 est appelée équivalent certain de la loterie X. L'investisseur A est prêt
à céder la loterie « risquée » contre une somme certaine supérieure ou égale à 87,72 et l'on peut remarquer
que cette somme est inférieure à l'espérance de gain de la loterie (110).
De la même façon, les individus (B) qui détiennent une richesse certaine de 100 sont prêts à acheter la
loterie X, si son prix d'achat ne dépasse pas 90,62. En effet, si ces investisseurs achètent la loterie à un prix
∏aX, leur richesse est de 100 + 150 - ∏aX dans l'état favorable et de 100 + 30 - ∏aX dans l'état défavorable.
4 Par exemple, Allais (1953), Kahncman et Tversky (1979).
Pour un prix ∏aX = 90,62 les individus (B) sont indifférents entre acheter la loterie ou conserver leur
situation initiale puisque: UT(100) = E(UT(100+X-90,62)]
Finalement, la fonction d'utilité choisie conduit à un prix d'achat inférieur à l'espérance de gain de la loterie.
Sur un tel marché, I 'échange de cette loterie ne peut avoir lieu que dans la fourchette [87,72 ; 90,62]. En
outre, si cet échange a lieu dans cet intervalle, la satisfaction de l'ensemble des agents est améliorée.
-5
En notant Ѿ la richesse aléatoire de l'individu en date T, la fonction d'utilité quadratique est de la forme
UT(W) - Ѿ - aW2. Nous supposons que la satisfaction de l'individu est croissante avec sa richesse et qu'il
présente de l'aversion au risque, ce qui est traduit par les deux contraintes suivantes :
L'espérance d'utilité de l'investisseur est finalement croissante avec l'espérance de rentabilité du portefeuille
et décroissante avec la variance de rentabilité de ce même portefeuille. L'investisseur opère alors son choix
en construisant un portefeuille dont l'espérance de rentabilité est la plus élevée pour un risque donné
(mesuré par la variance), ou un portefeuille dont le risque est le plus faible pour une espérance de rentabilité
choisie. Ce résultat a de fortes implications en termes de choix rationnel de portefeuille. Plus
particulièrement, cette fonction est au cœur du modèle d'équilibre des actifs financiers (MEDAF ou Capital
Asset Pricing Model (CAPM), Sharpe, 1964, Lintner, 1965). À l'équilibre du marché, ce modèle conduit à
:
où ȓi est la rentabilité du titre i, ȓM la rentabilité du portefeuille de marché et rf le taux sans risque. βi mesure
la tendance qu'a le titre i à varier avec le marché (nommé risque systématique par opposition au risque
spécifique lié à l'entreprise émettrice du titre). Autrement dit, la prime de risque des actions individuelles
est proportionnelle à la prime de risque de marché.
La plus ou moins grande aversion au risque des individus dépend à la fois de la concavité de leur fonction
d'utilité et de leur niveau de richesse. Deux mesures classiques de cette aversion sont utiles dans la suite.
Définition 4. Pour toute fonction d'utilité (deux fois différentiable) UT(.), on appelle coefficient d'aversion
absolue au risque (d'Arrow-Pratt) au niveau, la quantité :
L'intuition de ce coefficient est assez naturelle. Les investisseurs neutres au risque ont une fonction d'utilité
linéaire, ce qui traduit une aversion absolue égale à zéro (puisque la dérivée seconde est nulle). La plus ou
moins forte concavité de la fonction d'utilité traduit alors une aversion au risque plus ou moins marquée.
Cette concavité peut être mesurée par la dérivée seconde de la fonction d'utilité. Diviser cette dérivée
seconde par U'T (x) rend AA (x) invariante quand on opère une transformation affine de UT, c'est-à-dire
quand on passe de UT à VT= a UT + b. A titre d'exemple, un individu doté d'une fonction d'utilité
logarithmique UT (x) = In(x) présente un coefficient d'aversion absolue AA(x) =1/x . Finalement, plus La
richesse de l'individu augmente, moins il présente de l'aversion absolue au risque, ce qui est conforme à
l'intuition.
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Définition 5
Pour toute fonction d'utilité (deux fois différentiable) UT(.), on appelle coefficient d'aversion relative au
risque au niveau x, la quantité:
On peut montrer qu'une aversion relative constante avec x (fonctions d'utilité logarithmique, par exemple)
implique que l'individu confronté à un choix d'investissement consacre une proportion de richesse constante
à l'actif risqué quel que soit son niveau de richesse initiale.
Enfin, la notion de dominance stochastique de degré 1 (ou d'ordre 1) est utile dans la suite et, en particulier,
dans le chapitre 4. Cette notion permet de classer les actifs financiers en fonction de la préférence des
agents. Soient deux actifs financiers X et Y, de rentabilités aléatoires ȓx et ȓy, dont le support est un intervalle
[a, b]
Notons Fx et Fy les fonctions de répartition de ces deux variables. On définit la dominance stochastique de
l'actif X sur l'actif Y notée X ≥ DS1 Y de la façon suivante :
Definition 6.
On peut alors démontrer qu'un actif financier X domine un actif financier Y au sens de la dominance
stochastique de degré 1 si et seulement si tous les individus ayant une fonction d'utilité croissante préfèrent
X à Y. D'un point de vue intuitif, l'inégalité des fonctions de répartition traduit le fait que, pour toute
réalisation x de la rentabilité, on peut écrire :
Autrement dit, l'actif X a dans tous les cas une probabilité plus forte que le titre Y d'avoir une rentabilité
supérieure à x. Par conséquent, un agent qui préfère « plus que moins » choisira le titre X plutôt que le titre
Y.
-7
Exemple II: Soit une économie à deux dates [0, T] dans laquelle un titre X est échangé. Trois états de
nature sont possibles en date T.
1. Etat 1 (A1) « forte croissance de l'entreprise », probabilité d'occurrence 40 %, valeur du titre 150 .
2. Etat 2 (A2) « croissance moyenne de l'entreprise », probabilité d'occurrence 35 %, valeur du titre 100 .
3. Etat 3 (A3) « croissance faible de l'entreprise », probabilité d'occurrence 25 %, valeur du titre 30 .
Ce qui peut s'écrire : P(A1)=0,4 ; P(A2)=0,35 et P(A3)=0,25
Une agence de notation est présente sur le marché et son activité consiste à classer les entreprises en 2
catégories A et B. Les entreprises classées A offrent une bonne solidité financière et les entreprises classées
B présentent une solidité financière plus fragile.
Sur la base des informations passées, on sait que :
1. 85 % des enter prises à forte croissance sont notes A ;
2. 60 % des entreprises ayant une croissance moyenne sont notées B ;
3. 90 % des entreprises à faible croissance sont notées B ; Ce qui peut s'écrire :
P(B/A1) = 0,15 P(B/A2) = 0,6 P(B/A3) = 0,9
L'investisseur reçoit l'information suivante : « l'entreprise X vient d'être notée par l'agence et la note
attribuée est B ». Quelle nouvelle probabilité doit affecter l'investisseur aux différents états de nature s'il
suit la régle de Bayes ?
Nous savons que :
P(B) = P(B/A1) *P(A1) + P(B/A2) * P(A2) + P(B/A3) *P(A3)
Ce qui conduit à P(B) = 0,495 et la régle de Bayes permet alors d'écrire :
𝑃(𝐴1 |𝐵) ∗ 𝑃(𝐴1 ) 0.06
𝑃(𝐴1 |𝐵) = = = 0.120
𝑃(𝐴1 ) 0.495
L'investisseur doit donc réviser à la baisse la probabilité associée à la réalisation de l'événement « forte
croissance de l'entreprise » ; cette dernière doit baisser de 0,4 à 0,12 après l'information donnée par l'agence
de notation. On peut vérifier que P(A2/B)= 0,425 et P(A3) = 0,455.
Nous pouvons d'ores et déjà noter que, sur la base d'expériences en laboratoire, les chercheurs en économie
expérimentale et en psychologie soulignent une violation très fréquente de la règle de Bayes par les
individus. Ce point sera abordé dans le chapitre 4.
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