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Luc S. Ogasawara
Luc S. Ogasawara
Oui, si le fondateur de la psychanalyse est Freud, je dis que Lacan en est le refondateur. C’est
que tout son enseignement est destiné à fonder la psychanalyse de façon pure, c’est-à-dire non
empirique et non métaphysique, et ce pour déterminer ce qu’est l’ « être psychanalyste » (je
barre le mot « être » comme Lacan barre le mot « sujet » pour inventer son mathème $ suivant
l’exemple de Heidegger qui barre le mot « Sein » (être) pour écrire « Sein » [ cf. Zur
Seinsfrage ] dans l’intention de « détruire l’histoire de l’ontologie » [ cf. Sein und Zeit ] ),
pour autant que cet « être psychanalyste » que Lacan appelle « désir de l’analyste » est l’alpha
et l’oméga de la psychanalyse, c’est-à-dire la condition de la possibilité de la psychanalyse et
ce qui naîtra à la fin de l’expérience analytique.
Comme presque tous les lacaniens sérieux dans le monde qui ont, disons, moins de 70 ans
aujourd’hui, j’ai tout appris de Jacques-Alain Miller en ce qui concerne comment lire Lacan.
À l’époque où j’étais étudiant du troisième cycle du Département de Psychanalyse de
l’Université de Paris VIII, c’est-à-dire en 1986-1988, Jacques-Alain Miller appelait sa
méthodologie « à la Champollion » d’après le nom de celui qui avait réussi le premier au
déchiffrage des hiéroglyphes. Et il nous montrait et démontrait comment pratiquer cette
méthodologie de déchiffrage des textes lacaniens dans toutes les occasions où il nous parlait,
c’est-à-dire dans ses cours, dans ses séminaires et dans ses exposés faits dans des réunions
diverses. Comme c’était fascinant et convainquant !
Donc, en ce qui concerne comment lire Lacan, je me reconnais volontiers disciple fidèle de
Jacques-Alain Miller. Mais, en ce qui concerne l’interprétation de l’enseignement de Lacan, je
me suis écarté de lui. Pourquoi ? À cause de sa conception du « dernier enseignement de
Lacan » dont il dit que cela a commencé au Séminaire XX (1972-1973) Encore.
Vous seriez certainement étonnés d’entendre une telle critique contre lui, puisque maintenant
tout le monde croit que son Lacan – le Lacan présenté par Jacques-Alain Miller – est le vrai
Lacan. Mais non. Je vous en donne un exemple – un exemple d’erreurs pas anodin du tout.
Dans la séance du 31 janvier 2001 de son cours intitulé « Le lieu et le lien » (2000-2001),
Jacques-Alain Miller dit ceci :
Je retrouve ça, que j’avais souligné, il n’y a pas longtemps, dans Encore, chapitre VIII,
page 85, la phrase qui dit que « le réel ne saurait s’inscrire que d’une impasse de la
formalisation ». Cela pourrait faire croire que l’on va ailleurs par là, que l’on sort par là
du symbolique. Mais, tel que je m’efforce de vous y amener pas à pas, cela veut dire tout
autre chose.
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Vous avez dit « le dernier enseignement de Lacan » ?
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Dans cette définition-là du réel qui donnerait la clé de la fin de l’analyse, le symbolique
domine, le réel entendu ainsi est conditionné par la mise en forme, par la formalisation
de la signifiance, par la formalisation du rapport signifiant/signifié, et la formalisation
algorithmique du signifiant et du signifié.
Est-ce que cela permet de dire que l’on accède au réel par cette voie ? Est-ce que même
ça permet de dire que par cette voie on accède au réel à partir du symbolique ?
C’est là que l’on s’aperçoit que, dans Encore, dans le mouvement même où il définit le
réel par l’impasse de la formalisation, Lacan dit – ce qui ne trouve sa place que
maintenant – que par là « le réel accède au symbolique ». Il ne dit pas du tout que par la
voie de l’impasse le symbolique accède au réel. Il dit bizarrement, parce que rien ne
l’explique, que c’est bien plutôt par là que « le réel accède au symbolique ».
Vous le lirez, page 86 : « les limites, les points d’impasse, de sans-issue, qui montrent le
réel accédant au symbolique ».
Eh bien, ce n’est pas la même chose que de dire que ça montre le symbolique accédant
au réel. C’est déjà impliquer que ça constitue en fait une réduction symbolisante du réel.
Certes, dans le texte établi par Jacques-Alain Miller du Séminaire Encore, il est écrit à la page
86 (la séance du 20 mars 1973) : « les limites, les points d’impasse, de sans-issue, qui
montrent le réel accédant au symbolique ».
D’abord, Lacan dit que « le réel ne saurait s’inscrire d’une impasse de la formalisation » – il
s’agit de la formalisation de la logique symbolique où un système propositionnel est écrit de
symboles ou de signes sans aucun sens. Et puis, il compare ce système symbolique à un
réseau (ce mot « réseau » est omis dans le texte millérien) et à la toile d’araignée. Un rets et
une toile d’araignée, c’est une structure qui peut attraper et retenir en elle un objet de
convoitise (un objet a, un ἄγαλμα). Et Lacan dit enfin que cette toile d’araignée se supporte
« en ce point opaque, de cet étrange être – les par-êtres [ para-être, c’est-à-dire παρουσία ] –
de la surface elle-même, celle qui nous permet le dessin qui la trace de ces écrits qui sont,
enfin, le seul point où nous trouvions saisissables ces limites, ces points d’impasse, de sans-
issue, qui – le réel – le font entendre comme s’accédant du symbolique à son point le plus
extrême ». On peut vérifier ce que Lacan dit effectivement en écoutant l’enregistrement
sonore du Séminaire Encore publié dans le site de notre ami Patrick Valas :
http://www.valas.fr/IMG/mp3/09_encore-73-03-20.mp3
Ainsi Lacan nous évoque l’image d’une structure ou d’une topologie de la surface qui
comporte comme son noyau une localité ex-time et ex-sistente du réel en tant qu’impossible.
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Ainsi, nous pouvons constater que Jacques-Alain Miller fait dire à Lacan tout le contraire de
ce qu’il a effectivement dit. Et cette lecture erronée du Séminaire Encore est assez grave
puisque c’est à partir de là qu’il construit sa conception du « dernier enseignement de Lacan ».
En plus, aussi dans son cours « Le lieu et le lien », Jacques-Alain Miller est allé jusqu’à dire
ceci : que le réel dont il s’agit dans la topologie du nœud borroméen n’est qu’un « faux réel ».
Mais non. Il n’y a pas de « faux réel » dans l’enseignement de Lacan. Seulement il nous faut y
distinguer deux définitions du réel : 1) le réel en tant que ce qui revient toujours à la même
place, c’est-à-dire ce qui ne cesse pas de s’écrire, c’est-à-dire le nécessaire ; 2) le réel en tant
que ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire, c’est-à-dire l’impossible.
Et ces deux définitions du réel trouvent leurs places dans les quatre discours : le réel en tant
qu’impossible se situe dans la place de la production (en bas à droite), tandis que le réel en
tant que nécessaire dans la place de l’autre (en haut à droite).
D’ailleurs, la place de l’agent (en haut à gauche) est celle de l’imaginaire en tant que
consistance, et la place de la vérité (en bas à gauche) celle du symbolique en tant que trou ou
différence.
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Cette structure tétradique, nous pouvons la retrouver dès le premier paragraphe de la première
page du premier article des Écrits de Lacan, Le séminaire sur « La Lettre volée » (p.11) :
C’est-à-dire la structure dont il s’agit dans l’enseignement de Lacan est tétradique, non pas
triadique, comme nous le montre clairement le nœud borroméen à quatre ronds de ficelle
présenté dans le Séminaire XXIII (1975-1976) Le sinthome.
Ce nœud-là consiste dans le rond du réel R (l’ex-sistence), celui du symbolique S (le trou ou
la différence), celui de l’imaginaire I (la consistance) et celui du sinthome Σ (la nodalité ou la
nomination) qui noue les trois autres de façon borroméenne.
L’ex-sistence est la définition que Lacan nous donne dans le Séminaire XXII (1974-1975)
R.S.I. du réel en tant que ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire, c’est-à-dire l’impossible,
tandis la nodalité (ce terme étant utilisé par Lacan dans le Séminaire XXI [1973-1974] Les
non-dupes errent) et la nomination (ce terme étant utilisé par Lacan dans le Séminaire XXII
[1974-1975] R.S.I. et dans le Séminaire XXIII [1975-1976] Le sinthome) sont les définitions
du réel en tant que ce qui ne cesse pas de s’écrire, c’est-à-dire le nécessaire.
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Dans son cours intitulé La clinique lacanienne (1981-1982), Jacques-Alain Miller nous parle
du point et du levier d’Archimède dont Lacan se servait pour ébranler la psychanalyse qui
avait l’air d’être une théorie bien établie qu’on appelait ego psychology. Cette remarque est
très juste. On peut en énumérer beaucoup : le stade du miroir (Henri Wallon), l’anthropologie
et la linguistique structurales (Saussure, Lévi-Strauss et Jakobson), diverses créations
artistiques de littérature et de beaux-arts, la logique mathématique, les topologies de surfaces
closes et de nœud borroméen, les théologies chrétienne et judaïque (surtout la mystique et la
théologie apophatique) et la philosophie, surtout Hegel et... Heidegger.
En effet, Lacan cite maintes fois le nom de Heidegger et sa terminologie (par exemple,
comme nous l’avons vu, l’ex-sistence). Il l’a invité dans sa maison de campagne à
Guitrancourt au mois d’août en 1955, lors de la première visite du philosophe en France pour
une conférence à Cerisy-la-Salle, et il l’a visité au mois d’avril en 1975, un an avant la mort
de Heidegger, à Fribourg-en-Brisgau. Que Lacan porte un grand intérêt à son Denken, cela
n’est que trop évident. Et pourtant, Jacques-Alain Miller ne veut pas reconnaître ce fait-là,
peut-être parce qu’il le déteste à cause de son antisémitisme qu’on a de nouveau constaté dans
ses « cahiers noirs » et à cause de la tonalité fondamentale de mystique de son penser
(puisque Jacques-Alain Miller veut toujours être claire).
Quoi qu’il en soit, je dirai ceci : que le point d’Archimède le plus important pour Lacan, c’est
le penser de Heidegger, et ce pour fonder de façon pure la psychanalyse. Sur quoi ? Sur le trou
de l’être (das durchgekreuzte Sein : Sein, Seyn) que je nomme « trou apophatico-
ontologique » (l’ontologie aphophatique d’après la théologie apophatique).
Je suppose que c’est à partir du Sein (das durchgekreuzte Sein) qu’on peut trouver dans le
texte de Heidegger intitulé Zur Seinsfrage [ De la question de l’être ] (1955) que Lacan a
inventé son mathème du sujet barré $ que nous trouvons pour la première fois dans son
Séminaire V (1957-1958) Les formations de l’inconscient.
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Le trou fondamental du sujet $, nous pouvons le retrouver dans le hiatus irrationalis dont
Fichte traite dans les cours qu’il a faits en 1804-1805 de l’épistémologie (Wissenschaftslehre)
et dont Lacan se sert pour le titre d’un poème qu’il a composé en 1929, et aussi bien dans ce
que Hegel appelle dans sa Phénoménologie de l’esprit (1807) Trennung des Wissens und der
Wahrheit (la séparation du savoir et de la vérité), laquelle expression Lacan reprend sous la
forme de « division entre le savoir et la vérité » (Écrits, p.856). Si nous situons le hiatus
irrationalis dans le schéma de l’aliénation que Lacan nous présente dans le Séminaire XIII
(1965-1966) L’objet de la psychanalyse, ce serait comme ceci :
Dans cette structure de l’aliénation, l’objet a forme le bord du hiatus irrationalis (le trou
apophatico-ontologique), ce qui nous permet de dire, comme Lacan le fait, que l’objet a se
présente lui-même comme un trou.
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À propos, le lecteur est invité de ne pas confondre la localité de la vérité dans ce schéma de
l’aliénation avec la place de la vérité dans les quatre discours. Dans ce schéma-là, Lacan
appelle vérité le réel en tant que ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire, tandis que la place de
la vérité dans les quatre discours est la place de quelque chose d’idéal et d’a priori qui obture
le trou apophatico-ontologique, c’est-à-dire qu’elle est la place du signifiant maître S1 dans ce
schéma de l’aliénation.
Par cette transformation, le sujet $ qui est refoulé par le signifiant maître S1 dans la place de
ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire (l’impossible) va surgir dans la place de ce qui ne cesse
par de s’écrire (le nécessaire), tandis que le signifiant maître S1 à la place de la vérité va être
forclos de là dans la place de ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire (l’impossible).
Nous pouvons voir là le sujet $ surgir comme un trou béant dans la structure de la séparation
qui correspond à la structure du discours de l’analyste. C’est-à-dire : le trou du sujet $ qui est
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refoulé dans la place de l’impossible par le signifiant maître S1 qui a obturé le trou
apophatico-ontologique, va surgir dans la place du bord du trou (la place de l’autre dans les
quatre discours), ce qui nous permet de dire, tout comme au sujet du a dans la place de l’autre
dans le discours de l’université, que le sujet $ se présente comme un trou béant.
Et Lacan avance encore d’un pas de plus pour formaliser l’amour en tant que sublimation du
désir (cf. Séminaire X [1962-1963] L’angoisse) et en tant que c’est l’amour-sublimation qui
détermine la fin de l’analyse.
Le trou du sujet $ qui vient béer dans la structure de la séparation, n’est pas encore le signe de
l’amour-sublimation. Si l’amour est ce qui supplée au non-rapport sexuel (cf. la séance du 16
janvier 1973 du Séminaire XX Encore), l’amour-sublimation devrait être l’amour-nodalité qui
supplée au trou du non-rapport.
Alors, qu’est-ce que Lacan fait dans ses tout derniers Séminaires, c’est-à-dire le Séminaire
XXIV (1976-1977) L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre et le Séminaire XXV
(1977-1978) Le moment de conclure ?
Notons ceci : que le titre du Séminaire XXIV composé de fragments de lalangue veut dire que
« l’insuccès de l’Unbewusst c’est l’amour », c’est-à-dire que « l’insuccès de l’inconscient
c’est l’amour » (donc c’est le seul de tous ses Séminaires qui comporte dans son titre, quoique
d’une façon déguisée, le mot amour) et que le Séminaire XXV est celui qui conclut le
précédent.
Et la conclusion en est ceci : que le nœud de trèfle que Lacan est arrivé à obtenir à partir du
bord de la bande de Möbius (c’est-à-dire le trou du sujet $) dans les dernières trois séances du
Séminaire XXV, c’est le signe de l’amour-nodalité en tant que « le signifiant nouveau qui
n’aurait aucune espèce de sens » qu’il cherche à obtenir dans la dernière séance du Séminaire
XXIV. Si Lacan dit dans la première séance de son Séminaire Encore que « la jouissance de
l’Autre – du corps de l’Autre qui Le symbolise – n’est pas le signe de l’amour » (cf. la séance
du 21 novembre 1972), le nœud de trèfle qu’il redécouvre comme ce qui supplée au trou du
non-rapport sexuel, c’est le signe de l’amour-sublimation-nodalité.
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Si l’on appelle « dernier enseignement de Lacan » son enseignement de ces six années entre le
Séminaire XX et le Séminaire XXV (pour le moment, je n’y inclus pas le Séminaire XXVI
[1978-1979] La topologie et le temps, puisque Lacan n’a pas pu le faire comme il aurait voulu
le faire à cause de son mauvais état de santé ; j’imagine qu’il aurait souhaité le dédier à
Heidegger parce que le titre « La topologie et le temps » nous rappelle celui de « Sein und
Zeit » par l’intermédiaire du terme heideggérien « Topologie des Seins »), je dirai que le
thème central en est l’amour-sublimation-nodalité qui supplée au trou du non-rapport sexuel
pour autant que c’est cet amour-là qui détermine la fin de l’analyse. Ce nœud de trèfle du
sujet $, c’est la formalisation de de l’ « être psychanalyste ».
Pour terminer le présent article, j’y ajouterai une autre remarque critique contre Jacques-Alain
Miller à partir de la conférence Habeas corpus qu’il a faite à Rio de Janeiro, le 28 avril 2016,
lors de la clôture du dixième congrès de l’Association Mondiale de Psychanalyse. Le texte en
est publié dans La Cause du Désir no 94 (2016). Dans cette conférence de trentaine de
minutes, nous pouvons voir une sorte de synthèse finale de l’interprétation de l’enseignement
de Lacan par Jacques-Alain Miller, puisqu’elle a été faite 5 ans après l’arrêt de L’Orientation
lacanienne, ce cours magistral qu’il faisait à partir de l’année académique 1981-1982 jusqu’à
l’année 2010-2011.
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enseignement de Lacan repose sur cette thèse implicite : « l’inconscient relève du corps
parlant ». Par là, le binarisme de l’inconscient et de la pulsion qu’impliquait son enseignement
antérieur – la séparation de la technique de déchiffrement de l’inconscient et de la théorie des
pulsions – disparaît dans son dernier enseignement.
D’abord, que veut dire « le logique pur » dans la proposition : « l’inconscient relève du
logique pur, autrement dit du signifiant » ? Jacques-Alain Miller y voit automatiquement la
logique formelle. Mais Lacan dit « le logique pur », non pas « la logique pure ».
J’y vois une allusion à l’article de Heidegger Logos (1951) que Lacan a lui-même traduit en
français. Il l’a fait avant tous les autres heideggériens. Et il publie sa traduction du Logos dans
le volume I de La Psychanalyse (1956) avec son Rapport de Rome où se trouve aussi une
référence explicite à Heidegger au sujet de la mort.
Ici, puisque nous n’avons pas besoin de détailler cet article dans son ensemble, j’en cite
seulement un passage (GA 7, pp.225-226) :
Der Λόγος legt ins Anwesen vor und legt das Anwesendes ins Anwesen nieder, d.h.
zurück. An-wesen besagt jedoch : hervorgekommen im Unverborgenen währen. insofern
der Λόγος das Vorliegende als ein solches vorliegen läßt, entbirgt er das Anwesende in
sein Anwesen. Das Entbergen aber ist die Ἀλήθεια. Diese und der Λόγος sind das Selbe.
Das λέγειν läßt ἀλήθεια, Unverborgenes als solches vorliegen. Alles Entbergen enthebt
Anwesendes der Verborgenheit. Das Entbergen braucht die Verborgenheit. Die Ἀ-Λήθεια
ruht in der Λήθη, schöpft aus dieser, legt vor, was durch diese hinterlegt bleibt. Der
Λόγος ist in sich zumal ein Entbergen und Verbergen. Er ist die Ἀλήθεια. Die
Unverborgenheit braucht die Verborgenheit, die Λήθη, als ihre Rücklage, aus der das
Entbergen gleichsam schöpft. Der Λόγος, die lesende Lege, hat in sich den entbergend-
bergenden Charakter.
Le Λόγος promeut dans l’être de la présence, et reposant aussi ce qui est présent dans
l’être de la présence, il l’y reconduit. S’ap-présenter veut dire pourtant : une fois surgi
durer dans le dévoilement. Pour autant que le Λόγος laisse se présenter ce qui se présente
comme tel, il révèle ce qui est présent dans l’être de sa présence. Mais le fait de révéler
est l’Ἀλήθεια. Celle-ci et le Λόγος sont la même chose. Le λέγειν laisse se présenter
ἀλήθεια, ce qui est dévoilé comme tel. Tout ce qui est de révéler délivre ce qui est
présent du voilement. Le fait de révéler a besoin du voilement. L’Ἀ-Λήθεια repose dans
la Λήθη, puise en elle, produit ce qui par son travers est relégué. Le Λόγος est en soi à la
fois une révélation et un recel. Il est l’Ἀλήθεια. Le dévoilement a besoin du voilement, la
Λήθη, comme de la réserve dans laquelle la révélation puisse en quelque sorte puiser. Le
Λόγος, le lais où se lit ce qui s’élit, a en soi le caractère de ce qui sauvegarde en révélant.
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Heidegger voit donc dans le Λόγος héraclitien la structure phénoménologique de la vérité qui,
en tant qu’Ἀ-Λήθεια, à la fois se révèle et se recèle, et qui se révèle à partir du recel.
Et quand Lacan dit que « l’inconscient relève du logique pur, autrement dit du signifiant », ce
signifiant n’est rien d’autre que le Λόγος héraclitien, c’est-à-dire le trou du sujet $ qui enfin se
révèle désaliéné.
Si Freud dit que le noyau de notre être consiste dans le désir inconscient, cela veut dire, du
point de vue topologique, que l’inconscient est le trou archéologique et irréductible du sujet
$ qui bée au centre de notre existence, et que le désir inconscient est ce trou du sujet $ même.
Dans la dialectique du désir, le trou du sujet-désir $ est obturé par le signifiant maître S1 qui
par là le refoule (Urverdrängung, archirefoulement) dans la localité de ce qui ne cesse pas de
ne pas s’écrire.
Cette structure où le signifiant S1 (le surmoi) représente le sujet-désir $ (le ça) pour l’autre
signifiant S2 (le moi), c’est la structure de l’aliénation, puisque le sujet-désir $ est à la fois
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représenté et dominé par le désir de l’Autre S1 qui lui impose son impératif catégorique :
« Jouis ! ».
Passons au deuxième problème : le corps. Jacques-Alain Miller appelle notre attention sur la
dernière phrase de Lacan dans la séance du 15 mai 1973 : « Le réel, c’est le mystère du corps
parlant, c’est le mystère de l’inconscient ». C’est de là que Jacques-Alain Miller déduit que le
dernier enseignement de Lacan implique cette thèse : « l’inconscient relève du corps parlant ».
Mais sur quoi Lacan met-il l’accent dans cette phrase : « Le réel, c’est le mystère du corps
parlant, c’est le mystère de l’inconscient » ? Ce n’est pas le mot « corps », mais bien le mot
deux fois répété : « mystère ». Le réel est le mystère pour autant qu’il ne cesse pas de ne pas
s’écrire. C’est le mystère de La femme (das Ewig-Weibliche de Goethe) qui ne cesse pas de ne
pas s’écrire. Et c’est le mystère du Nom de Dieu qui ne cesse pas de ne pas s’écrire.
Et pour quelle raison Lacan parle-t-il du corps dans cette séance-là ? C’est pour parler de la
reproduction, c’est-à-dire de la procréation, et ce pour critiquer la supposition métaphysique
et téléologique de Freud qui croit que la finalité de la pulsion sexuelle consiste dans la
reproduction.
C’est précisément pour critiquer cette supposition téléologique de Freud que Lacan formule
qu’il n’y a pas de rapport sexuel. Et nous pouvons retrouver cette critique déjà dans son
Rapport de Rome sous cette expression : « la mythologie de la maturation instinctuelle »
(Écrits, p.263). C’est-à-dire, la maturation de la pulsion sexuelle que Freud appelle
« organisation génitale » et dont il suppose qu’elle se réaliserait sous le primat du phallus, cela
n’est qu’une mythologie qui dissimule l’impossibilité de ce phallus. En fait, ce phallus sous le
primat duquel se réaliseraient l’organisation génitale et la jouissance sexuelle en tant que
jouissance génitale, il ne cesse pas de ne pas s’écrire. Et c’est ce que veut dire la formule : « il
n’y a pas de rapport sexuel ».
Il est exceptionnel que Lacan parle du corps dans le contexte de la reproduction. Quand nous
trouvons le mot « corps » dans son enseignement, c’est plus généralement le corps en tant que
consistance, c’est-à-dire l’imaginaire. Si l’on peut dire que « l’inconscient relève du corps
parlant », c’est pour autant que la consistance du corps parlant fait consister l’inconscient en
tant que trou du sujet $.
Pour le croire, Jacques-Alain Miller s’appuie sur cette phrase de Lacan dans son Rapport de
Rome : « la désintrication entre la technique de déchiffrage de l’inconscient et la théorie des
instincts, voire des pulsions, va de soi » (Écrits, p.261).
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Mais si nous relisons plus attentivement cette partie du Rapport de Rome, nous nous
apercevons que Lacan parle dans cette phrase-là des instincts et des pulsions en tant qu’ils
sont biologiques. Et cela aboutit à cette critique que j’ai citée plus haut : « la mythologie de la
maturation instinctuelle ».
Ce que Jacques-Alain Miller ignore dans son exposé de Rio de Janeiro, c’est le fait que dans
l’enseignement de Lacan, la pulsion dont il s’agit le plus fondamentalement, c’est la pulsion
de mort impensable dans la perspective biologique, et que, si la pulsion dans la psychanalyse
n’est rien d’autre que la pulsion de mort, la jouissance qui détermine la fin de l’analyse (oui, il
faut une jouissance pour sortir du glissement métonymique du désir insatisfait) ne peut être
que la jouissance de sublimation, c’est-à-dire la jouissance sans la satisfaction de la pulsion de
mort comme telle.
Ce que Freud appelle « pulsion de mort » consiste en ceci : quand on cherche la jouissance
sexuelle, on rencontre inévitablement le trou du non-rapport sexuel, lequel trou n’est pas
érotique du tout, mais thanatique, angoissant et traumatique. Si l’on croit que ce trou est
érotique, c’est pour autant que la supposition du phallus Φ lui donne la signification du
phallus ( − φ ) et que par là l’on croit que le trou du manque phallique ( − φ ) peut être obturé
par le phallus Φ. Mais cela n’est qu’une illusion, et même un délire.
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Mais voyons la position du petit a dans la figure du nœud borroméen à trois ronds de ficelle
que Lacan nous présente dans son Séminaire XXII (1974-1975) R.S.I. :
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Dans la structure de l’aliénation, le petit a se présente d’abord comme un trou pour autant
qu’il forme le bord du trou (le hiatus irrationalis) par où ex-siste le sujet-désir $. Et puis, il ne
cesse pas de s’écrire (Wiederholungszwang) en tant que plus-de-jouir qui ne peut que glisser
métonymiquement par rapport au sujet-désir $. Enfin il a la consistance de l’objet-cause
imaginaire et matériel qui supporte l’ex-sistence du sujet-désir $.
C’est toujours comme cela que Lacan nous présente le petit a dans son enseignement.
Est-ce que vous voulez encore parler du « dernier enseignement de Lacan » tel qu’il nous est
présenté par Jacques-Alain Miller, malgré tout ce que je vous ai fait remarquer dans le présent
article ?
Aujourd’hui, au 40ème anniversaire de sa mort, ce qu’il nous faut, n’est-ce pas le retour à
Lacan par la critique du Lacan déformé par Jacques-Alain Miller ? Sans cela, le destin de la
psychanalyse lacanienne risquerait d’être pareil à celui de l’ego-psychology que Lacan a tant
critiquée pour fonder la psychanalyse de façon pure, c’est-à-dire non empirique et non
métaphysique.
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