Chers collègues,
Cordialement
Philippe Boulier
Approche synthétique :
Une approche synthétique du vivant chez Descartes pourrait consister en l’unité
spécifique du corps vivant. Dans le cas des êtres inanimés, l’unité d’un corps se résume au fait
que ses parties adhèrent assez les unes aux autres pour participer d’un même état de
mouvement général (déplacement du corps ou repos). Dans le cas des êtres vivants, l’unité est
organique ou fonctionnelle ; dans le cas de l’homme, constitué de l’union de l’âme et du
corps, l’unité devient existentielle. On passe donc de la simple considération de la substance
étendue à l’organisme et de l’organisme à la vie incarnée, c’est-à-dire du simple corps objectif
au corps vivant comme système ou ensemble autonome de mouvement, et de celui-ci au corps
vécu, c’est-à-dire à la chair.
Le problème de l’union de l’âme et du corps devient lui-même un problème relatif à
l’unité de l’âme. En effet, l’âme reste « une » et indivisible, malgré la diversité de ses modes
et son union au corps divisible. La vie humaine est fondée sur cette indivisibilité. En outre, la
relation de l’âme au corps donne lieu à une dualité, où ce que l’âme éprouve (passion) est
l’effet direct de l’action du corps et où, pourtant, elle-même peut agir (volonté) sur le
mécanisme de son corps, dans le cas du mouvement volontaire. Enfin, l’unité de l’âme avec le
corps est un problème insoluble pour la philosophie, ce que Descartes reconnaît : il renvoie,
en dernière analyse, à la connaissance que l’homme a de lui-même dans l’expérience de sa
propre vie.
Préambule :
La conception cartésienne du corps repose sur des principes métaphysiques : elle
découle de la distinction entre deux types de substances, l’âme (substance immatérielle) et le
corps (substance matérielle). Ainsi, l’analyse des corps vivants relève des lois de la physique,
à savoir les lois du choc, elles-mêmes fondées sur des principes métaphysiques (la création
continuée du monde). Cette fondation va engendrer notamment deux types de problèmes :
d’abord, en biologie, puis pour la notion d’humanité. En effet, le corps vivant doit
s’interpréter comme automate mécanique, sans recours à aucune finalité interne à lui-
même. Toutefois, le modèle de l’automate réintroduit l’idée d’une finalité externe, puisqu’un
automate ou une « œuvre » suppose un artisan qui l’ait réalisée avec une intention ; autrement
dit, on songe immédiatement à un créateur et Descartes, par commodité, prend cette image.
Ensuite, l’union de l’âme et du corps relève, elle, d’un véritable acte divin, car Dieu seul peut
produire une telle union. Néanmoins, la pensée humaine, dont l’effort propre est de distinguer
les notions, ne peut concevoir la « relation » entre deux substances distinctes. Le corps vécu
ne sera donc jamais le corps pensé, et inversement.
A. La physiologie
Le rôle de l’anatomie
1
Descartes ne s’intéresse presque pas aux végétaux, mais seulement aux fonctions végétatives des animaux.
2
Nous nous appuyons principalement sur les remarquables analyses de : Raphaële Andrault, La raison des
corps, Paris, Vrin, 2016, notamment p. 16-21, 40-44, 184-186 ; André Pichot, Histoire de la notion de vie, Paris,
Gallimard, Tel, 1993, chap. V, sections II et III.
comme principe de méthode de concevoir, pour les effets sensibles, des causes aussi claires
que les effets et de nature uniforme. Si elle respecte cette règle, la raison a le droit de dépasser
les limites du visible (Principes, IV, 201 ; AT IXb, p. 319).
Le système circulatoire sanguin assure la vie végétative. Un second système de fluides
ou « hydraulique » s’ajoute à celui-ci pour expliquer le système nerveux et les fonctions
sensori-motrices – on doit plutôt dire « motrices », car seule une âme peut sentir. Il s’agit des
« esprits animaux ». Le seul moteur étant le cœur, Descartes « branche » le système
nerveux sur le système sanguin. Les esprits animaux sont constitués des particules les plus
fines du sang, qui remontent du cœur au cerveau (et à la glande pinéale) en ligne droite à
travers les carotides et viennent remplir les ventricules du cerveau (L’Homme ; AT XI, p. 128-
130). Les esprits animaux cartésiens sont la traduction mécaniste du pneuma psychikon de
Galien : ils sont produits dans le cerveau à partir du sang et par le phénomène du crible ou du
filtre. En effet, les artères, au point où elles rejoignent la glande pinéale, ont des petits trous
qui ne laissent passer que les particules les plus fines du sang. La subtilité des esprits animaux
leur permet de parcourir les différentes parties du corps.
Le cerveau est un réservoir gonflé d’esprits animaux prêts à affluer, dès que le clapet
de l’un des nerfs s’ouvre (dans le cerveau) du fait de la sollicitation qui advient aux extrémités
nerveuses. L’alimentation du cerveau est branchée sur le cœur ; les nerfs sensitifs et moteurs
sont branchés sur le cerveau. Le système nerveux est donc bien mécanique : Descartes le
compare à un orgue avec son air comprimé, ses tuyaux et son clavier (L’Homme ; AT XI, p.
165-166) et il ébauche une théorie du mouvement réflexe (ibid., p. 141-142).
Le modèle de l’automate
3
André Pichot, op. cit., p. 388.
Un seul mouvement, parmi les tous les mouvements volontaires faits par l’homme,
signale la différence de son corps ou, plutôt, la différence de son existence, par rapport à celle
des autres animaux : le langage. En effet, seule cette action volontaire manifeste de façon
évidente sa nature de « volonté » et de raison. Or, tout acte de volonté et tout acte de raison
sont des actes de l’âme, impossibles à produire par le mécanisme d’un corps. Le vouloir-dire,
l’intention signifiante finalisée sont des finalités internes qui ne peuvent exister dans un
système mécanique moteur. A ce titre, la raison est l’« instrument universel » qui dépasse
les instruments spécialisés composant le corps vivant, à savoir les organes (Discours de la
méthode ; AT VI, p. 56-58). Etant un instrument universel, la raison n’est réductible à aucun
phénomène mécanique.
Pour les mouvements volontaires et l’idée d’une âme contrôlant les influx nerveux,
Descartes introduit la métaphore du fontainier (L’Homme ; AT XI, p. 130-132). L’âme n’est
pas une entité distincte surajoutée au corps : elle commande aux mouvements des esprits
animaux dans les nerfs moteurs et reçoit les transmissions des nerfs sensitifs pour percevoir
les objets externes au corps. C’est aussi le corps qui produit des appétits et des désirs en elle.
Le siège de l’âme est l’épiphyse ou glande pinéale, lieu privilégié de l’aiguillage des esprits
animaux.
L’explication des mouvements volontaires rencontrent plusieurs problèmes :
d’abord, l’âme ne peut produire dans le corps des mouvements que dans la mesure où celui-ci
est disposé à les recevoir (Description du corps humains ; AT XI, p. 225). Ensuite, l’âme doit
avoir une force pour agir sur le corps, et Descartes parle bien de la « force de l’âme », mais il
n’explique pas en quoi elle consiste (L’Homme ; AT XI, p. 177-178). Enfin, il semble que ce
soit la glande pinéale (plus que l’âme) qui aiguille les esprits animaux vers tel ou tel muscle
en fonction des impressions qu’elle reçoit et communique à l’âme. Dès lors, on ne sait pas
très bien comment l’âme intervient véritablement dans cet aiguillage des esprits animaux.
Descartes commet une erreur d’anatomie étonnante : il décrit la glande pinéale comme
suspendue en équilibre au-dessus des cavités du cerveau remplies d’esprits animaux ; cette
suspension lui donnerait une instabilité propre à se mouvoir facilement et fait donc de cette
glande, selon Descartes, un élément aisément mis en branle par l’action de l’âme (Des
passions ; AT XI, p. 354-355, 360). Or, l’épiphyse n’est pas en suspension dans le cerveau. Il
est possible que Descartes ait voulu, par cette entorse à l’anatomie, réduire au maximum
l’inconvénient consistant pour l’âme à produire un mouvement corporel. Il aurait, pour cela,
diminué la quantité de mouvement nécessaire à donner à l’épiphyse pour l’incliner d’un côté
ou d’un autre et ainsi orienter les esprits animaux vers tel ou tel muscle4.
La « fonction » du pathologique
Le mécanisme de Descartes, qui réside dans les lois de la nature, a une conséquence
notable : un état pathologie du corps n’est pas moins « naturel » qu’un état sain. Même si
le modèle de l’automate conçoit les organes en rapport à des fonctions, le dysfonctionnel reste
mécanique (Sixième méditation ; AT IXa, p. 67). La nature humaine (= l’union de l’âme et du
corps) nous livre des sensations ; celles-ci ne sont pas des connaissances objectives et
démonstratives de l’état des choses, bien qu’elles correspondent ordinairement à l’utilité de
notre nature, à savoir sa conservation et son entretien. Le cas de l’hydropique le prouve.
Comme nous l’avons vu, l’âme ne peut produire dans le corps des mouvements que
dans la mesure où celui-ci est disposé à les recevoir (Description du corps humains ; AT XI,
p. 225). Ce fait nous est connu par les cas pathologiques : les expériences faites sur les
animaux servent à Descartes pour comprendre les mouvements involontaires. En effet, les
4
André Pichot, op. cit., p. 376.
lésions nerveuses font que certains membres n’obéissent plus à la volonté, ce qui montre que
la volonté ne les commande que lorsqu’ils sont dans un état propre à recevoir l’influx qu’elle
peut diriger jusqu’à eux. Autre cas : le membre fantôme permet de clarifier le processus
nerveux et le fait que l’âme est liée plus particulièrement à l’organe qu’est une partie du
cerveau (Méditation Sixième ; AT IXa, p. 70-71). Les pathologies mentales montrent, elles,
que l’âme est principalement liée au cerveau (Principes de la philosophie, art. 196 ; AT IXb,
p. 314-315). La physiologie décrit, certes, un corps supposé sain et apte, mais la pathologie
guide la compréhension physiologique sur les conditions de fonctionnement des organes.
L’embryologie :
Descartes constate que l’être humain est composé de deux substances, mais qu’il se vit
comme une seule substance, c’est-à-dire comme un seul tout. Même si mon corps est distinct
de moi en tant qu’esprit, mon corps n’est jamais hors de moi. Il ne peut pas être ressenti
comme hors de moi ou à l’extérieur de moi-même ; s’il était hors de moi, je ne le ressentirais
pas comme le mien, mais comme un corps parmi d’autres. Je ne peux pas non plus le ressentir
« en » moi, car cela signifierait que l’esprit est (ou se vit comme) un corps contenant un autre
corps. Mon corps m’appartient « étroitement » ; en lui je ressens mes désirs (appétits) et mes
affections, mes passions (Méditation sixième ; AT, IXa, p. 64).
Quand une blessure affecte mon corps, je ne l’aperçois pas par mon seul entendement
(ma raison) dans un rapport d’extériorité, comme un pilote voit quelque chose se rompre dans
son vaisseau. Mon esprit n’est pas à distance de mon corps. Il n’a pas seulement une
connaissance de l’état du corps, il en est averti par des sentiments (la douleur pour une
blessure). Bref, l’esprit se ressent dans le corps : il est partout et nulle part dans le corps,
même si le centre de gestion volontaire du système nerveux est le cerveau. A chaque fois que
mon corps est affecté, j’ai un sentiment dans l’âme : quand il est mal disposé, je sens de la
douleur ; quand il a besoin de manger ou de boire, j’ai des sentiments de faim ou de soif.
Ainsi, la simple sensation et les sentiments n’offrent jamais l’idée d’une distinction de
l’âme et du corps. Ils ne me donnent jamais l’idée claire de mon âme. Ils sont confus : un
mode d’être confus de l’âme dans son corps. Je me « ressens » toujours comme un corps
ou, plutôt, comme un esprit indistinct de mon corps, et jamais comme une âme. C’est
pourquoi, si j’en restais aux seules sensations et besoins, sans jamais avoir de sentiments
moraux (liés à l’activité de pensée), je n’aurais pas l’impression d’avoir une âme. Je me
ressentirais comme un corps. L’âme ne ressent pas sa distinction ; elle la conçoit.
5
Dans le cas de Telesio, le qualificatif de « matérialisme » est à prendre au sens large, étant donné le caractère
spiritualiste de la matière telle qu’il la conçoit : voir Marie-Dominique Couzinet, Sub specie hominis. Etudes sur
le savoir humain au XVIe siècle, Paris, Vrin, 2007, chapitre II.
ne peut se penser lui-même autrement que comme quelque chose de matériel, s’il raisonne
bien.
En résumé : 1° Si l’esprit et le corps étaient deux réalités différentes, on ne voit pas
comment l’une pourrait agir sur l’autre. 2° L’esprit, de toute façon, ne peut pas être une autre
réalité que la matière, sinon ce serait du vide.
Le matérialisme conçoit clairement le rapport entre les corps, mais il confond l’esprit
avec le corps. Sa clarté d’explication est donc trompeuse. L’argument majeur de Descartes
pour établir, au sein de notre expérience vécue, la distinction entre l’esprit et le corps est
l’opposition entre matière divisible et âme indivisible. Nous pouvons toujours diviser, en
pensée ou réellement, une étendue en une étendue plus petite : mon corps est composé de
parties et donc divisible. En revanche, on ne peut pas diviser la pensée. Quand je pense, je
suis une seule chose, je ne suis pas une chose composite (Méditation sixième ; A.T., tome IX,
p. 68). Toutes les sensations que nous avons à travers tout le corps sont dans l’esprit et la
pensée ; donc « l’esprit est uni à tout le corps ». L’esprit est par tout le corps, mais l’esprit
n’est pas répandu dans celui-ci. L’expérience du membre fantôme le prouve6 (AT IXa, p.
61, 70-71) : en effet, si l’on retranche quelque chose de l’étendue de mon corps (par exemple
un bras), on ne retranche rien à mon esprit (Méditation sixième ; A.T., tome IX, p. 68) ; je ne
cesse pas d’être moi. Du fait des anciennes terminaisons nerveuses, qui courraient auparavant
jusqu’aux extrémités de mes membres, l’esprit se ressent encore dans les membres qui
n’existent plus, c’est-à-dire dans le fantôme de son corps. Le corps vécu est vécu par l’esprit
distinctement de la réalité étendue.
Les matérialistes en fait ne considèrent l’homme que d’un seul point de vue, c’est-à-
dire à travers l’union, ce qui leur fait concevoir l’âme et le corps comme une seule
chose (lettre à Elisabeth du 28 juin 1643 ; AT III, p. 692) ; ils en oublient la distinction.
Descartes propose une expérience de penser pour réfuter le matérialisme à partir de lui-
même (AT III, p. 694-695). Commençons par nous faire matérialistes : nous attribuons la
matière et l’extension à l’âme, c’est-à-dire que nous la concevons comme matérielle ou
comme un corps, une étendue. Cela revient à la concevoir comme unie au corps selon
Descartes. Après avoir bien conçu cela et l’avoir éprouvé en nous, nous remarquons que la
pensée ou l’esprit n’occupe pas d’espace : on ne peut pas localiser la pensée dans un endroit
de notre corps. Par exemple, on ne peut pas dire de la pensée qu’elle est dans le cerveau,
puisqu’elle se ressent partout ailleurs dans le corps. Si la pensée n’est pas localisable dans
l’espace, c’est que la pensée est essentiellement distincte de l’espace et de la matière
(l’étendue). Nous concevons ainsi que la matière attribuée à la pensée n’est pas la pensée elle-
même. Nous sommes revenus, à partir du matérialisme, à la connaissance de la distinction
essentielle de l’âme et du corps.
Reste la question de l’interaction entre l’âme et le corps. Comment le corps peut-il
produire quelque chose dans l’esprit et inversement, si ce qui se produit dans le corps
(l’étendue) est radicalement différent de ce qui se produit dans l’esprit (la pensée) ? Il n’y a,
par définition, pas de réponse claire à cette question. En effet, pour concevoir clairement à la
fois l’union et la distinction de l’âme et du corps, il faut à la fois les concevoir comme une
seule chose et ensemble les concevoir comme deux ; ces deux actes de la pensée se
contrarient l’un l’autre (AT III, p. 693). On peut concevoir clairement la distinction entre le
corps et l’esprit, mais on ne peut pas concevoir clairement leur union, parce qu’il faudrait
6
La première description précise du membre fantôme et de la douleur de ce membre se trouve chez Ambroise
Paré, La Méthode de traicter les playes faites par les arquebuses et aultres bastons à feu, 1545.
les penser à la fois comme distincts (= différents l’un de l’autre) et unis (= vécus ensemble
sans distinction), ce qui constitue deux actes de pensée contraires. Est-ce une défaite pour la
philosophie dualiste ? Pas aux yeux de Descartes, car la distinction est de l’ordre du
concept ; l’union est de l’ordre du sentiment. C’est l’expérience intime qui nous apprend
que l’âme (essentiellement distincte du corps) peut mettre en mouvement le corps. Nous
éprouvons clairement l’union de l’âme et du corps en nous. La philosophie ne peut pas
connaître clairement cette union et l’on n’a pas besoin de philosophie pour la connaître ;
l’expérience suffit.
Il y a donc trois genres d’idées ou notions primitives, qui se connaissent chacune
d’une façon particulière et non par la comparaison de l’une avec l’autre : la notion de
l’âme, qui ne se conçoit que par l’entendement ; celle du corps, qui peut se connaître par
l’entendement seul, mais beaucoup mieux par l’entendement aidé de l’imagination ; celle de
leur union, qui recouvre les sentiments et toutes les choses qui appartiennent à l’union de
l’âme et du corps (interaction) – choses qui ne se connaissent clairement que par les sens.
L’erreur du matérialisme est donc d’utiliser les différents types de notions primitives les unes
pour les autres, sans bien les distinguer. Les matérialistes se sont servis de l’imagination pour
concevoir l’âme et la façon dont elle meut un corps, d’après la manière dont les corps se
meuvent entre eux (lettre à Elisabeth du 21 mai 1643 ; AT III, p. 666-667).
Le fonctionnement des corps naturels est identique à celui de nos machines. Toutefois,
il y a deux différences notables. D’abord, une différence de visibilité : les parties qui
composent les machines artificielles sont toujours visibles et donc aussi leur fonctionnement,
alors que les parties constitutives des corps naturels sont d’ordinaire invisibles. Pourquoi ?
Parce que les machines sont construites par les hommes qui font usage de leur intelligence, de
leurs yeux et de leurs mains. Les éléments constitutifs des machines sont d’une grandeur
proportionnelle aux organes qui les manipulent. Nous percevons deux aspects de la machine :
les effets de son fonctionnement et les causes de ces effets. Si nous ouvrons une montre, nous
verrons le jeu des rouages. Ensuite, il y a une différence de sophistication : un corps naturel
est tout entier naturel (ou mécanique) jusque dans ses moindres parties, alors qu’une machine
construite par les humains n’est pas intégralement machine dans chacune de ses parcelles.
Celles-ci restent faites de matériaux naturels. Ainsi la différence qui existe entre les corps
composés naturels et les corps composés artificiels n’est pas une différence d’essence et de
nature, mais seulement de degré ou de grandeur.
« toutes les choses qui sont artificielles, sont avec cela naturelles » : la manière dont
les effets sont produits par des machines est la même que celle dont les effets sont produits
par les corps naturels. La mécanique des corps n’est pas d’abord une mécanique des
machines, car, comme le souligne Descartes, les lois mécaniques des machines sont celles de
la nature. Le corps est une machine dans la mesure où il obéit aux règles mécaniques de
mouvement. En effet, tous les organismes peuvent être réduits aux propriétés géométriques et
mécaniques de la matière en général.
Le fonctionnement des machines n’est donc pas moins « naturel » que celui des êtres
vivants, et inversement : d’où la comparaison entre l’arbre et la montre. La référence à
l’horloge, qu’on trouve aussi dans le Discours de la méthode (AT VI, p. 50), sert seulement
de modèle symbolique pour comprendre la nature du fonctionnement des organes. Elle ne
joue pas le rôle de schéma explicatif ou de modélisation, comme c’est le cas pour la camera
obscura pour la vue.
BIBLIOGRAPHIE
Annie Bitbol-Hespériès, Le principe de vie chez Descartes, Paris, Vrin, 1990.
Raphaële Andrault, La raison des corps, Paris, Vrin, 2016.
André Pichot, Histoire de la notion de vie, Paris, Gallimard, Tel, 1993.
Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard, 1945 ; Première Partie,
chap. I et II.