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Que veut Le temps des Les confessions Les 100 goûts

Macron ? réparations de Brian Chesky qui font la France

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www.lepoint.fr Hebdomadaire d’information du jeudi 24 novembre 2022 n° 2625 - 5,50 €

Ils sont riches, ultra-violents

et nous inondent de cocaïne
ALLEMAGNE: 6,80 € - BENELUX: 5,70 € - CANADA: 9,99 $CAN - SUISSE: 7,70 CHF - DOM: 5,60 € - POL 950 XPF – N.CAL 1095 XPF - ESPAGNE/GRÈCE/ITALIE/PORTUGAL CONT.: 5,90 € - MAROC: 50 MAD - TUNISIE: 9,30 TND - AFRIQUE CFA : 3900 CFA

Les nouveaux
narcos
Enquête sur le « super-cartel » de Dubai
De la Guyane aux Deux-Sèvres, une filière française
DR. ROBIN UTRECHT/ABACAPRESS.COM. IMAGES ET ASSOCIÉS/BERRTHOUD/SP

Futurapolis Planète à Toulouse

 L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert
Au secours,
les tartuffes sont de retour !
Sale temps pour la vérité. Observez comment, sur
beaucoup de sujets, elle a tendance à devenir un men-
songe parmi d’autres. Et quand, par mégarde, on bute
dessus, d’un coup de pied on l’écarte du chemin. C’est le
réflexe de l’époque.
Signe d’une grande fatigue démocratique, si-
non métaphysique, l a politique française est tombée
très au-dessous du niveau de la mer : un déluge de fa-
daises a chu sur nous, ces derniers jours, avec l’affaire
des migrants de l’Ocean Viking, la guéguerre entre Cyril
Hanouna et sa « monstrueuse créature », l’absurde Louis
Boyard, le conflit russo-ukrainien ou encore la Coupe
du monde de football au Qatar.
Tartuffe n’est pas seulement un traître de
­comédie sorti de la tête de Molière, le grand gé-
nie de la culture française – désolé de vous contredire,
monsieur le président, il y a bien une culture française,
et cet auteur-là l’incarne magnifiquement, comme l’in-
carnent aussi Rabelais, Montaigne, Voltaire, Houellebecq
et beaucoup d’autres : c’est l’apothéose du mauvais esprit.
Tartuffe est aussi un métier, et il est aujourd’hui
très en vogue, y compris au plus haut niveau de l’État,
comme l’illustre la déclaration de Macron, à propos de
la polémique sur le Mondial de football au Qatar : il ne
faut pas, dit-il, « politiser le sport ». Et il ajoute qu’on avait
le droit d’en parler au moment où le Qatar avait obtenu
l’organisation de la Coupe du monde, mais plus
­maintenant.
La « qatarisation » des esprits est en bonne voie.
À en croire le président, il y aurait donc un temps pour
tout : un temps pour la morale et un autre pour le plai-
sir du jeu. Tels sont les effets du cynisme, quand rien ne
vaut rien et que tout se vaut. Surtout, ne troublons pas
notre digestion. Macron croit-il vraiment qu’il faut s’as-
seoir sur ses convictions pour savourer, le fessier bien à
l’aise, les buts ou les passes pendant la Coupe du monde ?
Rien ne nous interdit de faire deux choses en
même temps : profiter du spectacle et ne pas oublier
de nous souvenir que le Qatar est un pays où règnent,
en sus de la bigoterie d’État, l’homophobie – l’homo-
sexualité étant interdite, tout comme les relations
sexuelles avant le mariage – et un esclavagisme « mo-
derne » qui a causé, selon les ambassades de leurs pays
d’origine, la mort de milliers de migrants asiatiques
t­ ravaillant à rythme effréné par des températures de près
de 50 degrés pour construire les stades du Mondial, des
routes et des hôtels de luxe.
Le poutinisme se porte toujours bien. Il se dissi-
mule (très mal) derrière le masque de la paix et a trouvé
des porte-parole habiles qui, comme Jean-Pierre Raffa-
rin ou Marine Le Pen, évoquent l’urgence de négocier,
quitte à bousculer l’Ukraine qu’ils n’accablent pas, bien
sûr, mais qui n’aurait pas cette priorité, que voulez-vous.
C’est bien trouvé. Il suffisait d’y penser. Pourquoi la
Tchécoslovaquie n’a-t-elle pas « négocié » en 1939, quand
les troupes nazies l’ont envahie ? On aurait pu éviter la
Seconde Guerre mondiale !
La mélenchonisation de la politique poursuit
son cours. P  our preuve, la violence de la polémique
entre Cyril Hanouna et son ex-chroniqueur Louis Boyard,
désormais député LFI, qui, après avoir été à la soupe de
l’émission TPMP (Touche pas à mon poste) a craché dedans
avant de se faire insulter par l’animateur, qui s’est ex-
cusé ensuite. Sur quoi, l’Arcom, la gendarme de l’audio-
visuel et du numérique, se manifeste. Étrangement
silencieuse quand, en pleine campagne électorale, le
temps de parole de la Nupes atteignait 70 % dans beau-
coup de grands médias, la mal nommée Autorité envi-
sage même des sanctions contre C8 et Hanouna. On se
pince. Mais à quoi servent cette institution et ses 355 em-
ployés ? N’est-il pas temps de la supprimer ou de la cé-
der à LFI pour un euro symbolique ?
Le laisser-aller est en train de devenir l’idéolo-
gie dominante de notre pays. Accablant est de ce
point de vue le bilan de l’affaire de l’Ocean Viking , où le
gouvernement a été humilié, ridiculisé. Alors que le
Conseil d’État, « immigrationniste » comme jamais, s’in-
terroge sur la nécessité des zones d’enfermement, la qua-
si-totalité des 234 migrants amenés à Toulon par le navire
dit humanitaire de SOS Méditerranée se sont esbignés
du centre de vacances du Var où ils étaient hébergés. La
cour d’appel d’Aix a désavoué le ministre de l’Intérieur
en laissant libres de partir la centaine de migrants qui,
ne pouvant bénéficier du droit d’asile, devaient être ex-
pulsés. Quant aux mineurs, 26 sur 44 se sont déjà enfuis,
à l’heure où nous écrivons ces lignes, de l’hôtel où ils
avaient été transférés.
Mieux vaut en rire, de peur de n’avoir pas ri quand
tout ira plus mal encore §
Le Point 2625 | 24 novembre 2022 | 7
 À nos lecteurs
Le boucher Erdogan et l’Occident somnambule
O
n songe à cette célèbre épitaphe de Francis
Blanche : « Laissez-moi dormir, j’étais fait pour ça. »
Les Occidentaux, s’ils avaient le même sens de
l’humour – et de l’anticipation – pourraient prendre les
mêmes dispositions. Car la somnolence devient une
mortifère habitude en Europe et en Amérique.
Ainsi, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, qui a
au moins le mérite de la franchise, vient de lancer une
série de bombardements contre les positions kurdes en
Syrie et en Irak, en représailles à l’attentat qui a fait six
morts le 13 novembre à Istanbul et que son gouverne-
ment impute – c’est commode – à ceux-ci. Erdogan as-
souvit ainsi encore une fois sa haine des Kurdes, maintes
fois proclamée. Mieux, il promet de ne pas s’arrêter là,
et annonce une opération terrestre. Le plus frappant ici
est son assurance, puisqu’il a tenu à préciser qu’il n’avait
eu « aucune discussion » à ce propos avec Joe Biden ou
­Vladimir Poutine.
Pour Washington, qui dispose d’une base militaire
en Turquie, et dont les Kurdes furent les meilleurs al-
liés contre Daech, c’est une humiliation de plus. La der-
nière d’une longue liste, depuis neuf ans.
François Hollande, dans son livre Bouleversements
(Stock, 2022), raconte ce tournant du 30 août 2013.
Bachar el-Assad avait utilisé des armes chimiques, fran-
chissant ainsi la « ligne rouge » fixée par Barack Obama.
Lors d’un coup de fil avec ce dernier, Hollande sent que
Washington tremblote, et que la sanction ne viendra
pas. Il avait raison. La peur avait changé de camp. Un
an plus tard, Vladimir Poutine soutient militairement,
en prenant à peine le soin de se cacher, la sécession d’une
partie du Donbass en Ukraine, et annexera ensuite tran-
quillement la Crimée. Plus personne n’a peur de l’Ouest.
La suite est connue. Xi Jinping entreprend de son
côté la mise au pas de Hongkong, au mépris des traités.
La « révolution des parapluies », en 2014, les manifes-
tations monstres de 2019-2020 n’y changeront rien : en
cinq ans, il achève son œuvre. Désormais, les leaders de
l’opposition démocratique sont soit exilés, soit en pri-
son, soit réduits au silence. À l’Ouest, le geste le plus
ÇA SE PASSE AU « POINT »
Londres. Et si vous
découvriez les
repaires secrets des
Londoniens ? Le Grand
Tour du « Point »
prend la direction de
l’« Old Smoke ».
8 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
courageux a été celui de Boris Johnson, qui a offert des
visas aux Hongkongais en fuite…
Erdogan, lui, intervient en Syrie en 2018 directement
contre les Kurdes. La prise d’Afrine donne lieu, avec
l’aide de miliciens issus de mouvements ­djihadistes, à
une opération d’épuration ethnique qui aurait dû va-
loir au président turc de se retrouver devant un tribu-
nal international. Mais l’Occident se tait encore. L’Europe
est tétanisée par le chantage aux réfugiés ­qu’Erdogan
pratique ouvertement. Il menace aussi la Grèce, membre
de l’Otan, revendique le passé impérial ottoman, joue
à la bataille navale en mer Égée, parraine les Frères mu-
sulmans, soutient l’agression de l’Azerbaïdjan contre
l’Arménie, son autre haine assumée. À l’Ouest, rien ne
bouge. Et lorsque la Finlande et la Suède, légitimement
inquiètes des visées poutiniennes, veulent rejoindre
l’Otan, il se permet de poser ses conditions – étant lui-
même dans l’Alliance –, exigeant qu’on lui livre des
­opposants politiques ! Une réaction ? T ­ oujours pas.
Certes, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a mo-
mentanément réveillé l’Europe, et ressuscité l’Otan. La
bravoure des Ukrainiens offre même à ces derniers la
perspective d’une victoire par procuration. Sauf que le
dernier avatar de l’hubris erdoganienne montre la fra-
gilité de ce sursaut. Qui pour contrecarrer les plans
d’Ankara ? Personne.
L’Amérique se dévore les entrailles entre trumpistes
et wokes, tandis que l’Europe se consume dans ses an-
goisses économiques et le constat du déclin. Le discours
des « pacifistes » infuse, incarné, en Allemagne, par
ces manifestants contre la guerre en Ukraine qui fait
monter le prix du gaz, et, en France, par l’axe lepéno-­
mélenchoniste.
Dans Oblomov, chef-d’œuvre sur la paresse et ­l’apathie
d’Ivan Gontcharov, on peut lire cette phrase : « L’homme
faible et perdu contemplait avec terreur la vie autour de lui,
cherchant dans son imagination la clé des mystères de la
­nature environnante et de la sienne propre. » Oblomov,
­figure de l’imaginaire russe, semble être passé à l’Ouest… §
ÉTIENNE GERNELLE
La santé dans l’assiette. Les guerres
Chaque vendredi, de l’énergie.
sur le site du « Point », Gaz, nucléaire, métaux
retrouvez la chronique rares : les nouvelles
du Pr Boris Hansel, crises géopolitiques
endocrinologue et décryptées dans un
nutritionniste. hors-série exceptionnel.

54
7 L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert
8 L’éditorial d’Étienne Gernelle
11 La chronique de Patrick Besson
12 Les éditoriaux de Nicolas Baverez,
Pierre-Antoine Delhommais,
Luc de Barochez, Peggy Sastre
18 Le point de la semaine
FRANCE
30 Immigration : la grande migraine
de Macron
36 Bruno Retailleau, la droite culturelle
MONDE
42 Liban : explosion de Beyrouth,
la piste du Mozambique
50 Maria Zakharova : « À Moscou,
Macron nous a tous fatigués »
EN COUVERTURE
54 Les nouveaux narcos
66 Au Suriname, le « shérif »
contre les trafiquants
70 Niort, sa cocaïne, ses mules
et ses « baltringues »
74 Laurent Laniel : « Il y a clairement
une volonté d’inonder l’Europe »
ÉCONOMIE
76 Brian Chesky : Musk, Hidalgo et moi
83 État-major : Ligier Group
SCIENCES
84 La Vénus de Lespugue : le premier
accouchement de la préhistoire ?
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SOMMAIRE2625
86 Georges Vigarello :
« L’affirmation du plaisir
est plus que jamais suspecte »
90 Futurapolis Planète : la vie
devant nous
CULTURE
94 Livres : Tu écriras (aussi)
pour les enfants
98 Roman : la Séléné de Chandernagor
99 La Minute antique de Christophe
Ono-dit-Biot : Aristote coince la bulle
99 Livres : le palmarès de la Fnac
100 Exposition : Joan Mitchell,
couleur et fureur
102 Dominique Boutonnat : comment
sauver le cinéma français ?
108 Cinéma (Fumer fait tousser) :
mais qui es-tu, Quentin Dupieux ?
110 Brèves
STYLE
112 100 goûts qui font la France
132 Rolex Oyster Perpetual Deepsea
Challenge, le goût de l’exploit
133 Mazda CX-60, ascension programmée
134 Bridge & Mots croisés
136 Le bloc-notes de Bernard-Henri Lévy
LE POSTILLON
139 L’ère de l’« équité climatique » ?
142 Délicate réparation
144 La Chine peut-elle perdre
contre Taïwan ?, par Bruno Tertrais
146 Le français sans rancune,
par Kamel Daoud
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 Clap de fin ?
Patrick Besson
O
n entre au Clap (Club Lepic Abbesses Pé-
tanque) par le passage de la Sorcière. La
sorcière n’est pas une femme mais un gros
caillou tombé du ciel par sorcellerie entre la rue
Lepic et l’avenue Junot, épicentre de l’ancien ma-
quis de Montmartre. Depuis 1971, 257 adhérents
et adhérentes se retrouvent là chaque jour. La pé-
tanque n’est pas une épreuve olympique mais elle
a un championnat du monde. J’y ai joué une seule
fois. C’était dans l’immense propriété francilienne
des R., aujourd’hui vendue. Je me souviens de leur
ravissante fille aînée me disant, au château de Ver-
sailles : « Les jardins et les parcs publics, c’est pour les
pauvres qui n’en ont pas un à eux. » Je trouve, au Clap,
une bande de copains qui ne sont pas vieux. Ils
sont en guerre : ça rajeunit, surtout quand c’est
une guerre pour rire. À Montmartre, beaucoup de
choses sont pour rire, mais elles sont parfois tra-
giques. Voir l’histoire de la Commune qui a com-
mencé en bas de la Butte par une manifestation
de femmes et a fini en haut par des fusillades de
fédérés. Au passage de la S­ orcière s’est naguère
­ouvert un hôtel de luxe qui porte bien son nom :
­l’Hôtel Particulier. Il n’y a pas foule : 7 chambres.
Avant sa construction, le passage était libre.
Les clients de l’hôtel et les joueurs de pétanque
ont désormais chacun leur interphone. Cela ôte à
l’endroit son ancien
charme de promenade
libre comme l’allée des
Brouillards ou le UP,
bar à filles du boulevard
de ­Clichy.
Montmartre est une ré-
publique. La preuve, elle
a un président : Alain Co-
quard. Personne ne se sou-
Passage de la Sorcière.
La sorcière n’est pas une femme mais un gros caillou
tombé du ciel par sorcellerie.
DR
vient de la manière dont il a été élu mais il fait
beaucoup parler de lui en mal. Il a des ministres à
qui il ne dit pas tout ce qu’il pense d’eux. Je me mé-
fie des mauvaises réputations, Georges Brassens
et moi avons constaté qu’elles étaient souvent im-
méritées, mais celle d’Alain Coquard semble bien
assise sur les charbons ardents de ses nombreux
adversaires. Il porte le chapeau d’Aristide Bruant,
peut-être pour cacher ceux que ses opposants lui
font porter. Il déjeune chaque jour à La Bonne Fran-
quette, monarque neurasthénique dissimulé à ses
sujets furieux. Il est vice-président de tant d’asso-
ciations locales que le vice l’emporte sur la vertu.
Coquard a des projets pour le Clap : le suppri-
mer et installer, sur cet emplacement enchanté
de 765 mètres carrés, un complexe jardin bota-
nique, guinguette du samedi soir, et même pati-
noire. Je suis meilleur patineur que bouliste et
j’admets que glisser à Montmartre, où il faut sur-
tout grimper, ne serait pas pour me déplaire. Mais
les économies d’énergie dans tout ça, Alain ?
N’as-tu pas entendu parler des mises en garde de
ton homologue français le président Macron ? La
gestion de l’endroit serait confiée à l’Hôtel Parti-
culier voisin. Les adhérents du Clap y voient la
privatisation d’un espace public, le tout sous l’œil
bienveillant de notre pauvre cycliste Anne
­Hidalgo, la maire la plus
haïe de France et peut-être
d’Europe. Le 28 novembre,
le Clap déposera un
contre-projet respectant
le caractère unique de ce
lieu qui semble hors du
temps, de la foule, des
­m odes et surtout du
­commerce.
Le Point 2625 | 24 novembre 2022 | 11
ÉDITORIAUX
​L’espace de discussion et d’avancées
passe désormais par les pays du Sud.
En témoignent le G20 et la COP27.
Négocier et coopérer dans
un monde en guerre froide
par Nicolas Baverez
L
e XXIe siècle est placé sous le signe
de l’histoire universelle, que par-
tagent les 8 milliards d’êtres hu-
mains qui peuplent désormais la planète.
Tous sont interdépendants. Tous sont
confrontés à la montée de risques systé-
miques qui résultent de la crise énergé-
tique, des famines, des krachs financiers,
des pandémies, du dérèglement clima-
tique, de la propagation de la violence.
Ainsi, les tensions autour de Taïwan
vont-elles de pair avec un affrontement
économique de plus en plus frontal entre
Pékin et Washington, la Chine cherchant
à couper les États-Unis de l’accès aux
terres rares indispensables à la transition
climatique, tandis que les États-Unis or-
ganisent un embargo contre la Chine tou-
chant les dernières générations de semi-
conducteurs. L’Europe est, elle, la cible
de deux guerres conduites par la Russie,
Comment ça, une compote ?
12 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
la première en Ukraine, la seconde, hy-
bride, sur tout le continent mêlant chan-
tage nucléaire, pénurie d’énergie et in-
flation alimentaire, cyberattaques et
désinformation, intervention dans les
élections et soutien des partis populistes.
Le système mondial se fragmente
en blocs opposés par leurs institutions,
leurs cultures et leurs valeurs. À la
confrontation entre les empires autori-
taires et les démocraties répond le res-
Le système mondial
se fragmente en blocs
­opposés par leurs insti-
tutions, leurs cultures
et leurs valeurs.
Xi Jinping et Joe Biden, l’heure du dégel.
sentiment du Sud contre les pays du Nord,
ancré dans les séquelles de la colonisa-
tion. Dans le même temps, les institu-
tions et les règles mises en place pour
gérer les crises et endiguer la violence
sont paralysées ou démantelées, à l’image
de l’ONU et de l’OMC, de la sortie ou de
la violation des accords de limitation et
de contrôle des armements.
Au moment où la montée des tensions
géopolitiques prend le pas sur le dévelop­
pement économique et la gestion des
risques planétaires, les conférences du
G20 à Bali (Indonésie) et de la COP27 à
Charm el-Cheikh (Égypte) présentaient
donc une importance décisive. Elles
constituaient un test pour la capacité des
États à surmonter la logique de la conflic-
tualité afin de stabiliser le système inter-
national et de répondre à la menace
existentielle du réchauffement clima-
tique. La dynamique de la fragmentation
du monde et de l’extension de la violence
est loin d’avoir été désarmée. Mais des
progrès ont été enregistrés qui vont de
ILLUSTRATION : JEAN POUR « LE POINT » – SAUL LOEB/AFPSAUL LOEB/AFP
pair avec le nouveau rôle du Sud global.
La conférence du G20 a débouché sur
la condamnation de l’invasion de
l’Ukraine par la Russie et de tout recours
à l’arme nucléaire. Bali a surtout été le
théâtre d’une longue rencontre entre Joe
Biden et Xi Jinping, au lendemain de la
guerre technologique engagée par les
États-Unis sur les semi-conducteurs et
du XXe Congrès du PCC qui a acté, en
même temps que le retour au pouvoir à
vie et au culte de la personnalité, le pri-
mat donné à l’idéologie marxiste sur le
développement économique et l’impé-
ratif de la sécurité nationale tendu vers
l’annexion de Taïwan. Or leur entretien
a été placé sous le signe d’une détente,
 ouvrant la voie à une reprise de la coopé-
ration entre Washington et Pékin, no-
tamment dans le domaine de la transi-
tion climatique. Ces succès doivent
beaucoup à la diplomatie du président
indonésien, Joko Widodo, qui a fait pré-
valoir la position des pays du Sud, hos-
tiles à toute nouvelle guerre froide et
­privilégiant la stabilité géopolitique in-
dispensable au développement écono-
mique et à la transition climatique.
Au terme de négociations très tendues,
les 196 États réunis au sein de la COP27
ont convergé vers un accord a minima.
La nécessité de réduire rapidement les
émissions afin de contenir le réchauffe-
ment à 1,5 degré par rapport à l’ère pré-
industrielle a été rappelée. Mais rien n’est
dit sur les moyens d’y parvenir pas plus
que sur l’abandon du charbon ou la sor-
tie progressive des carburants fossiles.
Ceci est inquiétant alors que la hausse
des températures atteint 1,2 degré, que
les émissions de carbone se sont élevées
en 2021 à 40,6 gigatonnes et que les ca-
tastrophes climatiques se multiplient.
Mais dans le même temps, l’UE a réé- Le dernier rapport Ce qui signifie que de nouvelles hausses
valué à 57 % la baisse de ses émissions de ses taux directeurs sont à prévoir.
d’ici à 2030 et Lula a annoncé l’arrêt de la de la Banque centrale Dans le Financial Stability Review qu’elle
déforestation de l’Amazonie. Un plan de européenne dresse un vient de publier, la BCE va même un peu
3,1 milliards de dollars a été acté pour tableau apocalyptique de plus loin en matière de pessimisme en
mettre en place un système mondial affirmant que « les risques pour la stabilité
d’alerte avancée des catastrophes clima- ce qui attend la zone euro. financière dans la zone euro ont augmenté
tiques. Surtout, une percée a été obtenue sur fond d’envolée des prix de l’énergie, d’in-
avec la création, bloquée depuis Rio en flation élevée et de croissance économique
1992, d’un fonds pour les pertes et dom-
mages des pays les plus pauvres, très ex-
La BCE broie faible » et que « l’ensemble de ces vulnérabi-
lités pourraient se concrétiser simultanément
posés au réchauffement climatique alors
que leurs émissions sont minimes. du noir et donc se renforcer les unes les autres ». Les
128 pages de ce rapport semestriel dressent
Le G20 et la COP27 montrent qu’un une longue liste des risques financiers
espace de discussion et de négociation potentiels auxquels la zone euro se trouve
reste ouvert face aux risques de récession par Pierre-Antoine aujourd’hui confrontée : faillites des en-
mondiale, de pandémie ou de dérègle- Delhommais treprises les plus consommatrices d’éner-
ment irréversible du climat. Ils soulignent gie ; insolvabilité de nombreux ménages
que la confrontation entre les empires modestes touchés de plein fouet par l’in-
autoritaires et les démocraties n’a pas flation ; fragilisation du secteur bancaire

E
­vocation à déboucher inéluctablement n parfaite harmonie avec les tem- en raison de la montée des créances dou-
ILLUSTRATION : GORCE POUR « LE POINT »


sur la guerre. Ils témoignent enfin de la
montée en puissance et de l’influence
croissante des géants émergents. Face
aux nouvelles guerres froides entre l’Est
et l’Ouest, c’est le Sud qui porte désor-
mais largement les chances d’une ges-
tion concertée des risques planétaires
comme les espoirs d’une humanité qui
a le choix entre la coopération ou la
­disparition  §
pératures qui chutent, les diri-
geants de la Banque centrale
européenne tiennent des propos de plus
en plus réfrigérants. Sa présidente, Chris-
tine Lagarde, estime non seulement
qu’une récession dans la zone euro est
désormais hautement probable, mais
aussi que « l’expérience historique suggère
qu’une récession a peu de chances de faire
baisser l’inflation de manière significative ».
teuses ; chute des marchés immobiliers
du fait de la hausse des taux d’intérêt, etc.
Ce message délibérément anxiogène
a tout de même de quoi surprendre de la
part d’une BCE dont la communication
est supposée rassurer les entreprises, les
ménages et les investisseurs. Et censée
inspirer confiance dans la solidité et la
stabilité de l’euro en rappelant que sa po-
litique monétaire veille à ­garantir …

Le Point 2625 | 24 novembre 2022 | 13

ÉDITORIAUX
… l’ordre économique et financier.
Au lieu de cela, la BCE préfère jouer les
Cassandre en prédisant des malheurs de
toutes sortes.
Ce discours alarmiste se comprend
sans doute mieux lorsqu’on sait que l’op-
timisme dont la BCE avait fait preuve
tout au long de l’année 2021 à propos de
la montée des tensions inflationnistes
jugées transitoires et bénignes a été cruel-
lement démenti par les faits. Elle préfère
désormais se couvrir en pronostiquant
le pire, quitte à exagérer les risques et à
surévaluer les dangers. Quitte à plomber
définitivement le moral de tous les agents
économiques et à favoriser ainsi, dans
une sorte de prophétie autoréalisatrice,
la survenue d’une récession.
C’est aussi une façon pour la BCE de
faire oublier ses propres responsabilités
dans le désordre actuel. De faire oublier
qu’elle a, en comparaison de la Réserve
fédérale américaine, beaucoup trop tardé
à agir contre l’inflation. Ou encore que
sa politique de taux zéro a largement
contribué à la flambée du marché de l’im-
mobilier dans la zone euro (+ 10 % en
2021), dont elle dit maintenant redouter
qu’il se retourne brutalement en provo-
quant des catastrophes. Enfin, de faire
oublier qu’en faisant fonctionner à plein
régime la planche à billets pour financer
les déficits des États creusés par les crises
sanitaire et énergétique, elle a aussi acti-
vement contribué à la situation de suren-
dettement dans laquelle se retrouvent de
nombreux États européens.
Il ne reste plus qu’à souhaiter que la
BCE se trompe autant aujourd’hui qu’elle
s’était trompée hier, qu’elle surestime les
risques de récession et de crise financière
de la même façon qu’elle avait sous-es-
timé les menaces inflationnistes. Ce se-
rait, certes, une mauvaise nouvelle
supplémentaire pour sa crédibilité, mais
une très bonne nouvelle pour tous les ci-
toyens européens §
La BCE préfère se cou-
vrir en pronostiquant
le pire, quitte à exagé-
rer les risques et à
­surévaluer les dangers.
14 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
Avant d’en faire un home-cinéma, on va s’en servir pour jouer au foot.
Les diplomaties
occidentales se sont trop
longtemps bercées
d’illusions sur le régime
iranien.
Femme, vie,
liberté
par Luc de Barochez
L
’extraordinaire vague de révolte
qui secoue l’Iran depuis deux mois
est un défi existentiel lancé à une
théocratie qui a perdu toute légitimité,
si elle en a jamais eu. Elle est aussi un rap-
pel à la réalité pour des diplomaties oc-
cidentales qui se sont trop longtemps
bercées d’illusions sur ce régime sangui-
naire. On prônait un dialogue « construc-
tif » avec la direction iranienne, en passe
de se doter de l’arme atomique. On épi-
loguait sur de prétendues divisions entre
conservateurs et modérés en son sein.
On nous expliquait que nous devions
multiplier les concessions dans l’espoir
qu’à Téhéran ceux-ci l’emportent sur
ceux-là. Les réformistes n’étaient qu’un
faux-semblant. Face au soulèvement ins-
piré par des femmes au courage inouï, le
Guide suprême, Ali Khamenei, a choisi
ce que le régime a toujours fait depuis sa
fondation, il y a quarante-trois ans : la
fuite en avant dans la répression, la vio-
lence et le meurtre. Le bilan provisoire
s’élève à 378 tués au moins, dont une cin-
quantaine d’enfants, sans compter les
milliers d’incarcérations. Six défenseurs
des droits civiques, jugés « ennemis de
Dieu », ont déjà été condamnés à mort.
La rébellion va-t-elle se muer en révo-
lution ? Une chute du régime théo-fas-
ciste des mollahs aurait des conséquences
considérables dans le monde, à l’image
du basculement de 1979. À l’époque, l’ef-
fondrement de la monarchie du chah et
l’arrivée au pouvoir de Khomeyni avaient
lancé la marche en avant de l’islamisme
politique contemporain. À travers le
monde arabo-musulman, une généra-
tion entière de militants avait délaissé
les idéologies nationalistes et marxistes
pour se rallier au radicalisme islamique.
De même aujourd’hui, l’onde de choc
ILLUSTRATION : TARTRAIS POUR « LE POINT »
d’un changement de régime à Téhéran
se ferait sentir de la Corée du Nord à la
Russie en passant par le Venezuela. Elle
bouleverserait surtout le Moyen-Orient,
où les Gardiens de la révolution ont mon-
tré depuis quatre décennies leur capacité
de nuisance du Liban au Yémen, de la Sy-
rie à l’Irak et de la Palestine à l’Afghanis-
tan. Les enjeux géopolitiques ne
pourraient pas être plus élevés. …
 2023 La première montre
de plongée moderne
Suivez nos derniers lancements
en exclusivité et plongez dans
d’uniques expériences

* En chaque Blancpain, l’éternité

ÉDITORIAUX
… Longtemps les mollahs se sont
prétendus du côté des damnés de la terre,
contre le « Grand Satan » américain et ses
« valets », au premier rang desquels Israël.
Cette propagande nourrie d’antisémi-
tisme a été gobée sans sourciller en Eu-
rope et en Amérique, contribuant ainsi
à la complaisance manifestée à l’égard
de Téhéran. La politique de la main ten-
due, de Jacques Chirac à Barack Obama
et d’Angela Merkel à Emmanuel Macron,
n’a pu enrayer ni la nucléarisation de
l’Iran, ni son programme balistique, ni
sa volonté de domination régionale, ni
ses entreprises terroristes.
Certains imaginèrent que l’accord nu-
cléaire de 2015 avait le pouvoir de trans-
former la région ; c’était encore une
billevesée, et sa dénonciation par Donald
Trump ne doit pas être regrettée. Ce qui
peut l’être, en revanche, c’est l’obstina-
tion déployée par l’administration Biden
et ses alliés européens pour tenter de res-
susciter cet accord improbable en envi-
sageant de nouvelles concessions. Grâce
au peu d’empressement de l’Occident à
appliquer ses propres sanctions, les ex-
portations de pétrole de l’Iran devraient
être cette année trois fois plus élevées que
lorsque Trump était à la Maison-Blanche.
De quoi alimenter la machine répressive.
Peu de combats politiques sont mora-
lement aussi clairs que la lutte engagée
par les Iraniennes et les Iraniens, qui va
bien au-delà de la question du voile. C’est
un combat pour le respect des droits fon-
damentaux. Comme l’exprime avec tant
de force le slogan des insurgés, c’est un
combat pour la femme, pour la vie, pour
la liberté. Il faut espérer que les démocra-
ties occidentales n’abandonneront pas
une fois de plus les démocrates iraniens.
On peut être sûr d’une chose cepen­dant :
si la dictature corrompue et klepto­crate
qui tient le pays sous sa coupe tombe un
jour, ce sera d’abord et avant tout grâce à
la bravoure du peuple iranien §
Peu de combats poli-
tiques sont moralement
aussi clairs que la lutte
engagée par les Ira-
niennes et les Iraniens.
16 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
Les mathématiques
redeviennent obligatoires
en première, pour viser
l’égalité des sexes.
Une fausse bonne idée ?
Les absentes
de l’équation
par Peggy Sastre
O
rientées personne et orientés ob-
jet. Si ses termes sont barbares,
l’équation est essentielle pour
comprendre pourquoi, lorsqu’on les rend
facultatives, les classes de mathématiques
sont désertées par les filles. Une réalité
exposée par la réforme du baccalauréat
mise en œuvre en 2019 par Jean-Michel
Blanquer et partiellement invalidée le
13 novembre par son successeur, Pap
Ndiaye. À la rentrée 2023, les mathéma-
tiques feront leur grand retour dans le
programme obligatoire des premières au
lycées. Une mesure visant notamment à
« encourager l’égalité filles-garçons ».
Orientées personne et orientés objet,
donc : en tendance, les femelles et les
mâles humains n’ont pas des goûts et des
centres d’intérêt identiques et, de ma-
nière schématique, la distribution suit
cette grande ramification. Un fait parmi
les plus solides que les sciences sociales
et comportementales ont su mettre au
jour. Ainsi cette étude menée auprès de
503 188 individus par Rong Su, James
Rounds et Patrick Ian Armstrong, cher-
cheurs en psychologie affiliés aux uni-
versités de l’Illinois et de l’Iowa, établissant
que les hommes manifestent plutôt des
intérêts « réalistes » et « investigateurs »,
là où les femmes font montre d’aptitu-
des « artistiques » et « sociales ». Le tout
avec une belle taille d’effet (d = 0.93, les
initiés apprécieront) garantissant un ré-
sultat imputable au réel et non au bruit
statistique malheureusement trop cou-
rant dans ces disciplines. D’autres re-
cherches indiquent que ce spectre entre
des pépères plutôt portés vers « l’objec-
tal » et des mémères penchant plutôt
Les filles, au tableau !
pour le « personnel » traduit un mouve-
ment de pondération entre les registres
d’empathisation et de systématisation
de nos cerveaux – le premier étant rela-
tivement plus marqué dans les encéphales
femelles et le second, dans les encéphales
mâles. Le simple effet d’une construction
sociale ? Difficile d’y croire quand on sait
qu’un tel aiguillage des préférences est
détectable chez les nouveau-nés deux
jours après leur naissance et chez certains
de nos plus proches cousins primates,
comme les macaques rhésus.
Et ce qui ressort des études sur le ­sujet,
c’est aussi que ce fossé propensionnel et
comportemental a tendance à s’accen-
tuer dans les pays les plus riches, libres
et démocratiques. Comparativement aux
pays libéraux et laïques, les mathémati-
ciennes et, plus généralement, les femmes
excellant dans « l’objectal », sont ainsi
plus nombreuses dans les pays sous le
joug d’un despotisme d’inspiration reli-
gieuse – l’iranienne Maryam Mirzakhani,
première femme lauréate de la mé-
daille Fields, en fut un cas d’école. De la
même manière qu’il y avait davantage
de femmes scientifiques dans les pays
communistes qu’au sein du « monde
libre ». Et les femmes scientifiques, infor-
maticiennes et ingénieures sont aussi
­généralement plus nombreuses dans les
pays les plus pauvres. Parce qu’elles sont
contraintes dans leurs carrières par la né-
cessité de survivre. Soit la confirmation
d’une loi établie par la génétique com-
portementale : plus le terrain social et
SCIENCE PHOTO LIBRARY VIA AFP
culturel est nivelé, plus c’est la biologie
qui fait des bosses.
Autant de données qui ne ruissellent
toujours pas aux oreilles de nos dirigeants,
qu’importe qu’Emmanuel Macron nous
ait promis des présidences guidées par la
raison §
 Elegance is an attitude*

Regé-Jean Page

THE LONGINES
*L’élégance est une attitude MASTER COLLECTION
 Le point de la semaine
Par Michel Revol, Fabien Roland-Lévy et les services du « Point »
EN FORME
Charles Caudrelier
48 ans -Le skippeur de Maxi-­
Edmond-de-Rothschild a remporté
la Route du rhum, avec un nouveau
record de la traversée Saint-Malo/
Pointe-à-Pitre en six jours
et ­dix-neuf heures.
Laurent Gardinier
55 ans - Le copropriétaire
du ­restaurant Le Taillevent
­devient président de l’association
Relais & Châteaux. Il entend
­notamment réduire son empreinte
environnementale.
Euzhan Palcy
64 ans - La cinéaste martiniquaise,
réalisatrice notamment de
Rue Cases-Nègres en 1983,
a été ­distinguée par un oscar
­d’honneur pour l’ensemble de
sa carrière.
EN PANNE
Grégoire de Fournas
37 ans - Le député RN a été épinglé
par le déontologue de l’Assemblée
pour « manquement déonto­
logique », après que l’élu a fait
la ­promotion de son vin sur
son compte Twitter de député.
Ugo Bernalicis
33 ans - Le député Insoumis
a reçu un rappel au règlement
après avoir diffusé sur Twitch
des images prises en direct
­depuis les bancs de l’Assemblée
­nationale.
Pascal Garibian
61 ans - Le directeur technique de
l’arbitrage va être écarté, a indiqué
la Fédération française de football.
L’arbitrage est régulièrement
­critiqué depuis le début de saison
de la Ligue 1.
18 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
Dans son ministère,
Béchu veut que ça chauffe
JEAN-BERNARD/LEEMAGE/AFP – AFP (x2) – DOMINIQUE CABRELLI – LOÏC VENANCE/AFP – RAPHAËL LAFARGUE/ABACA – KEVIN WINTER/GETTY IMAGES/AFP – FRANCK FIFE/AFP
Le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu,
veut afficher une « exemplarité » en matière de sobriété
­énergétique. Son idée ? Doter l’hôtel de Roquelaure (photo),
siège de son ministère, d’un système de chauffage autonome
grâce à la géothermie : des puits creusés sous le bâtiment
­recueilleront la chaleur terrestre, qui sera ensuite stockée et
répartie via un procédé contrôlé par intelligence artificielle.
L’opération s’annonce délicate car l’édifice, qui date de 1724
et qui a gardé le nom d’un maréchal de Louis XIII, est classé
monument historique. Un appel d’offres doit être lancé
à la fin du mois pour sélectionner l’entreprise compétente.
Au-delà du symbole, le chantier de la rénovation des bâti-
ments publics est immense : 400 millions de mètres carrés ! §
Adopte un député RN… Delafosse, l’homme qui dit non
Astreint par la direction de son Principale opposante d’Olivier
groupe parlementaire à siéger Faure dans la perspective du
­durant les discussions du projet de congrès du PS, le 27 janvier 2023,
loi de finances, un jeune député Hélène Geoffroy a proposé la tête
RN s’est fait prendre, en séance, de son courant, Debout les
à naviguer sur une application socialistes, à Michaël Delafosse
de rencontres. Sébastien Chenu, (photo), le maire de Montpellier,
vice-président RN de l’Assemblée, pour qu’il devienne
lui a personnellement remonté premier secrétaire en
les bretelles avant de lui asséner cas de victoire. Il lui a
la nouvelle devise des élus nationa- fait la même réponse
listes : « On n’est pas là pour se faire qu’à Emmanuel
plaisir ! » Un de ses collègues se veut Macron, qui
plus magnanime : « Évidemment, lui proposait
ça fait désordre. (…) Mais vu un ministère
nos emplois du temps, je peux au printemps :
comprendre la tentation. » C. S. non.
 4 %
COMPTEUR LE CHIFFRE DE PIERRE-ANTOINE DELHOMMAIS

8 milliards de Terriens, j’y pense et puis j’oublie…

À 23 ans, en 1966, Jacques Dutronc chantait « Et moi, et moi, et moi ».
Cette année-là, la planète comptait 3,4 milliards d’habitants.
Le 15 novembre 2022, nous étions 8 milliards. Voici ce que donnerait,
mise à jour, la fameuse chanson écrite par Jacques Lanzmann :
La contraction du PIB russe au 3e trimestre
Selon l’institut de la statistique Rosstat, la Russie est
officiellement entrée en récession avec un recul de 4 %
de son PIB au troisième trimestre, après une contraction
de 4,1 % au deuxième trimestre et une progression
de 3,5 % au cours des trois premiers mois de l’année.
Le FMI prévoit désormais une baisse de 3,4 % du PIB
de la Russie sur l’ensemble de 2022, largement inférieure
1966 2022 à celle de 8,5 % qu’il avait anticipée au mois d’avril.
Sept cents millions de Chinois Un milliard quatre cents millions de Chinois
Et moi, et moi, et moi/Avec ma vie, mon petit chez-moi/Mon mal de tête, mon point au foie/ Mondial, le chèque colossal du Qatar
J’y pense et puis j’oublie/C’est la vie, c’est la vie Estimation des coûts liés à l’organisation
des Coupes du monde de football depuis 1994,
Quatre-vingts millions d’Indonésiens Deux cent soixante-dix millions d’Indonésiens en milliards de dollars*
Et moi, et moi, et moi/Avec ma voiture et mon chien/Son Canigou quand il aboie/ 0,5 * Non ajustés
à l’inflation.
J’y pense et puis j’oublie/C’est la vie, c’est la vie
1994

220
Trois ou quatre cents millions de Noirs Un milliard quatre cents millions d’Africains États-Unis
Et moi, et moi, et moi/Qui vais au brunissoir/Au sauna pour perdre du poids/ 2,3
J’y pense et puis j’oublie/C’est la vie, c’est la vie milliards
Trois cents millions de Soviétiques Cent quarante-six millions de Russes 1998 de dollars
France
Et moi, et moi, et moi/Avec mes manies et mes tics/Dans mon p’tit lit en plume d’oie/
J’y pense et puis j’oublie/C’est la vie, c’est la vie 2022
7 Qatar
[…]
2002 4,3
Cinquante millions de Vietnamiens Quatre-vingt-dix-huit millions de Vietnamiens Corée
du Sud 3,6 11,6
Et moi, et moi, et moi/Le dimanche à la chasse au lapin/Avec mon fusil, je suis le roi/
et Japon 15
J’y pense et puis j’oublie/C’est la vie, c’est la vie 2006 2018
Allemagne 2010
BERTRAND GUAY/AFP – JEAN-PIERRE LELOIR/GAMMA RAPHO – VINCENZO CIRCOSTA/AFP

Pourquoi Macron avait intérêt
à accueillir l’Ocean Viking
Pour cet intime du président, cela
ne fait désormais aucun doute :
Emmanuel Macron vise le prix
­Nobel de la paix : « Après l’histoire de
France, il entrerait dans l’histoire du
monde. Ce titre lui donnerait un passe-
port international pour être invité sur
toutes les estrades de la planète. C’est
à sa hauteur, et c’est un bel objectif. »
Les signaux émis par le chef de l’État
se multiplient, comme la réception
des femmes iraniennes à l’Élysée,
le rôle de médiation dans la guerre
en Ukraine, l’aide de 1 milliard
d’euros à l’Afrique du Sud pour
sa transition écologique ou encore
l’accueil de l’Ocean Viking (photo) :
« S’il avait abandonné le bateau en mer,
cela aurait ruiné tous ses efforts. Il ne
faut pas oublier qu’il est allé voir le
pape récemment et qu’il a été reçu par
la communauté de Sant’Egidio, recon-
nue pour sa promotion de la paix. » M. S.
Russie
Sources : Statista, Afrique 2014
Front Office Sports. du Sud Brésil
Duel entre préfets pour épauler Darmanin
Tout le corps préfectoral se passionne pour
la compétition qui se livre en coulisse pour
la succession à la tête du cabinet de Gérald
Darmanin au ministère de l’Intérieur. L’actuel
directeur, Pierre de Bousquet de Florian, âgé
de 68 ans, est à la retraite depuis le 13 janvier,
mais il a été prolongé dans ses fonctions
à titre provisoire. Pour le remplacer, l’Élysée
pousse le chef de la Direction générale
de la sécurité intérieure (DGSI), Nicolas
­Lerner, apprécié d’Emmanuel Macron. Mais
Darmanin préférerait promouvoir son
homme de confiance, Alexandre Brugère,
­directeur adjoint du cabinet qu’il vient
­justement de nommer préfet.
Le Point 2625 | 24 novembre 2022 | 19
LE POINT DE LA SEMAINETECH&NET

Dans « Football
Manager 2023 »,
le sélectionneur,
c’est vous.

JEUX VIDÉO
Joue-la comme Mbappé
« Football Manager » contre « Fifa », Que fait un joueur de foot
professionnel quand il a
l’autre Coupe du monde fini de jouer au foot ?
Il joue au foot, mais sur
Faites chauffer les manettes, la Coupe du thenticité. Malgré de belles améliorations, console. « Tous les joueurs
monde se vit aussi au royaume du pixel ! notamment dans l’animation des joueurs, sont branchés jeux vidéo »,
Quelles équipes vidéoludiques méritent de le jeu de Sport Interactive manque encore assure le journaliste
remporter le match ? La simulation sportive un poil de vie. Vincent Duluc, auteur du
américaine Fifa 23, d’Electronic Arts, séduit Avantage : Fifa 23. Dictionnaire amoureux de la
des millions de joueurs sur Nintendo Switch, Coupe du monde (Plon). De
PlayStation 5 et Xbox, tandis que Football Ma- Jouabilité. Difficile à prendre en main à Kylian Mbappé au jeune
nager 2023, des Britanniques de Sport Inte- ses débuts, mais particulièrement complet, Eduardo Camavinga, ils
ractive, fait chavirer les amoureux de la Football Manager 2023 reste incroyable et passent des heures à jouer
gestion sur PC et Mac. Si, côté ventes, Fifa 23 mérite qu’on s’y intéresse. et à compulser sur Fifa 23
plie le match, avec 10 millions d’exemplaires Electronic Arts a l’intelligence de mettre leurs statistiques, qui éta-
écoulés dans le monde en une semaine – et en avant le football féminin pour recruter blissent leurs perfor-
325 millions depuis le début de la licence, des joueuses. Une stratégie intéressante, mances et décident de
soit 20 milliards de dollars de chiffre d’af- même si les nombreux bugs gâchent la fête. leur hiérarchie dans le
faires­­ – le challenger Football Manager 2023 Avantage : Fifa 23. foot numérique. Leurs
peut compter sur une solide défense. Que le vies, réelles et virtuelles,
meilleur gagne § LLOYD CHÉRY Verdict. On adore Fifa 23, mais c’est Foot- se rejoignent parfois :
ball Manager 2023 qui nous permettra de Mbappé estime ainsi qu’il
Concept. Incarner un entraîneur et son saisir au mieux la réalité vécue par Didier est, sur Fifa comme
club dans les moindres détails est toujours Deschamps. sur un vrai terrain, le
aussi plaisant, surtout qu’il est maintenant Vainqueur : Football meilleur. M. R.
possible de gérer les supporteurs de son Manager 2023.
équipe. Même si Fifa 23 propose beaucoup
de modes de jeu, la franchise a du mal à se
renouveler et devra tôt ou tard proposer Dans les crampons de
des changements. Pedri, Vinicius Junior,
Avantage : Football Manager 2023. Van Dijk ou Davies sur
Fifa 23.
Graphisme. Toujours plus belle et réaliste
avec son moteur de jeu Hypermotion V2,
SP (X2)

la simulation américaine transpire l’au-

20 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
- CIC Banque Privée - RCS Paris 542 016 381. © Garcia Tamjidi Architecture Design / Joe Fletcher - mseidelch.
LE POINT DE LA SEMAINESCIENCES
Comment ça marche
1
Horloge atomique
L’heure atomique emprunte
un câble optique pour
rejoindre le data center.
RÉCEPTEUR
SUPERGPS
4 RÉCEPTEUR
SUPERGPS
Récepteurs SuperGPS
Comme un GPS ordinaire,
ils captent les signaux horaires
011
des émetteurs pour calculer 00
011
une localisation par triangulation.
Le SuperGPS guide les voitures sans satellites
Chaque jour, des millions d’utilisateurs
du GPS peuvent remercier cette inven-
tion tombée du ciel. Si le Global Posi-
tioning System est fort utile pour
repérer son chemin jusque chez tante
Ginette, sa précision est loin d’être suf-
fisante pour guider les véhicules auto-
matiques promis pour demain. Dans
ce cas, on ne pourra plus se contenter
d’une localisation à quelques mètres
près. De même qu’une interruption de
signal due à la présence d’un obstacle
ne pourra plus être tolérée.
D’où l’intérêt de ce SuperGPS d’une
précision à 10 cm près, présenté dans
la revue Nature. Il a été conçu par des
ingénieurs néerlandais de l’université
de technologie de Delft et de l’Univer-
sité libre d’Amsterdam. Le principe ne
change pas, le récepteur GPS situé à
l’intérieur de la voiture capte toujours
des signaux, mais, au lieu d’être émis
par une constellation de satellites, ils
proviennent de pylônes émetteurs plan-
tés le long des routes. L’avantage, c’est
que ni un immeuble ni un tunnel ou
22 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
011
000
110
100
1 Pylônes émetteurs
011
000
110
100
1
RÉCEPTEUR
010 SUPERGPS
01
TECHNOLOGIE
un orage ne peuvent interrompre le si-
gnal. De même, l’humidité de l’atmos-
phère ne peut plus perturber ce signal,
renforçant ainsi la précision de la loca-
lisation. Avec moins de 10 cm de marge,
on peut commencer à envisager une
conduite automatique. Plusieurs tests
grandeur nature menés sur le campus
de l’université de Delft ont confirmé
l’efficacité du système.
Pourquoi n’y a-t-on pas pensé plus
tôt ? Le principe du GPS est basé sur
une mesure du temps ultra-précise.
Pour cela, chaque satellite délivre un
signal provenant d’une ou de plusieurs
horloges atomiques (voir schéma). Il
était impossible d’en installer une au
sommet de chaque pylône. La solution
est apparue quand il est devenu pos-
sible techniquement de faire transiter
le signal émis par une horloge atomique
au moyen de câbles optiques. Les in-
venteurs du SuperGPS utilisent donc
une horloge atomique reliée à tous les
pylônes et qui fournit une précision
d’un millionième de milliardième de
2
Data center
L’heure est traitée
numériquement avant
de rejoindre les pylônes
émetteurs répartis au sol.
3
Comme les satellites d’une
constellation GPS, ils envoient
des signaux horaires.
1
100
0110
00
011
seconde près. Ce qui est amplement
suffisant pour guider des véhicules au-
tomatiques sur la route. En revanche,
certaines applications scientifiques du
GPS demandent une précision encore
accrue, ce qui nécessitera des horloges
atomiques encore plus performantes.
Un peu partout dans le monde, les la-
boratoires y travaillent.
D’ores et déjà, l’horloge atomique
basée sur la fréquence du césium fait
figure d’antiquité. L’horloge optique
est en passe de la détrôner avec une pré-
cision mille fois plus grande. Soit une
variation possible d’une seconde sur
150 milliards d’années, période qui cor-
respond à dix fois l’âge de l’univers. Ce
tour de force est devenu possible avec
l’utilisation d’autres atomes que le cé-
sium, à savoir le strontium, le mercure,
l’ytterbium ou encore l’aluminium
dont la vibration naturelle est plus ra-
pide. Mais grâce encore à l’intrication
quantique déclenchée par un laser qui
unit les vibrations de milliards de mo-
lécules § FRÉDÉRIC LEWINO
 P R É S E RV E R L’AV E N I R
DU CAFÉ CE N’EST
PA S U N D É TA I L
Le café est particulièrement sensible
aux effets du changement climatique.
Nespresso agit aux côtés de partenaires
pour améliorer les conditions de
vie des caféiculteurs, préserver les
écosystèmes et la qualité des récoltes.
Depuis 2019, Nespresso va encore plus
loin avec sa gamme de cafés REVIVING
ORIGINS notamment au Congo où la
culture du café avait quasiment disparu.
En accompagnant les caféiculteurs
sur le terrain afin d’améliorer la
qualité et la productivité des récoltes,
Nespresso propose aujourd’hui un café
venu du Congo certifié biologique.
Préserver l’avenir du café, c’est tout
sauf un détail.

En savoir plus :

NESPRESSO France SAS - SIREN 382 597 821 - RCS PARIS, 27 rue du Colonel Pierre Avia, 75015 Paris.
LE POINT DE LA SEMAINE
CARNET
Prix littéraires
Le Grand Prix
de la biographie
politique du
­Touquet-Paris-Plage
a distingué ­Olivier
Zunz pour Tocque-
ville. L’homme qui comprit la démo-
cratie (Fayard). Le prix Edgar-Faure
du livre politique a été décerné à
Frédéric Potier pour La Menace 732
(Éditions de l’Aube). Le prix Renau-
dot des lycéens a été attribué à San-
drine Collette pour On était des
loups (JC Lattès).
Hommage
Tom Cruise, l’interprète de Top Gun :
Maverick, est devenu membre
d’honneur de la Patrouille de France.
Institutions
Jean-Marc Ayrault a été élu pré-
sident de la Fondation Jean-Jaurès.
Christophe Castaner devient pré-
sident du conseil d’administration
d’Autoroutes et tunnel du Mont-
Blanc et membre du conseil de sur-
veillance du Grand Port maritime de
Marseille, aux côtés de Stéphane
­Richard, ex-PDG d’Orange, et de
Laurence Borie Bancel, présidente de
la Compagnie nationale du Rhône.
Chanson
La 24e édition des
NRJ Music Awards
a sacré Angèle et
Orelsan, artistes
francophones fémi-
nin et masculin. Le
duo Bigflo & Oli a, lui, remporté trois
récompenses.
Famille royale
Le prince Harry et son épouse
Meghan recevront le 6 décembre
le prix de l’organisation Robert
F. Kennedy Human Rights à
New York, pour leur action contre le
« racisme structurel » de la
monarchie britannique.
PAGE RÉALISÉE PAR JEAN-MARC TURC
24 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
DÉCÉDÉS
Pierre de Lagarde
90 ans. Défenseur du patrimoine. Jeune
journaliste à l’ORTF, il crée en 1962 l’émis-
sion Chefs-d’œuvre en péril consacrée à la pro-
tection du patrimoine, diffusée d’abord à
la radio, puis à la télévision sur la chaîne
publique Antenne 2. Il lance en 1971 la re-
vue Monuments en péril et organise un
concours national pour faire connaître et
récompenser les « sauveteurs » des monu-
ments les plus méritants qui aura lieu tous
les ans jusqu’en 1992. Prix de l’Académie
française en 1979 pour son ouvrage La Mé-
moire des pierres (Albin Michel), ce conteur
a parcouru la France pendant trente ans à
la rencontre de ses trésors patrimoniaux et
architecturaux. Il avait publié le Diction-
naire amoureux du patrimoine (Plon) en 2019
avec son fils Olivier de Lagarde, voix de
France Info.
Pascal Josèphe
68 ans. Homme de télévision.
Ancien directeur des an-
tennes de plusieurs chaînes
privées et publiques (TF1,
La Cinq, France 2 et France 3)
et l’un des responsables de
l’agence de médias Carat. Il avait également
fondé son cabinet de consulting IMCA (In-
ternational média consultants associés) en
1994. Candidat malheureux à la présidence
de France Télévisions en 2015, ce proche
collaborateur d’Hervé Bourges (ancien PDG
de TF1 et France Télévisions) a participé au
lancement d’émissions télévisées célèbres
telles que Droit de réponse, Taratata, Le Cercle
de minuit, Frou-frou, Bas les masques, Géo­polis
ou de la série L’Instit.
Marie-Catherine Dupuy
72 ans. Figure de la publicité. Petite-fille et
BRUNO COUTIER VIA AFP – INA VIA AFP – TOM COGILL – PASCAL LE SEGRETAIN/GETTY VIA AFP – LOIC VENANCE/AFP
fille de publicitaire, elle était le second « D »
de BDDP (devenue TBWA), l’agence de pu-
blicité qu’elle fonda en 1984 avec Jean-Claude
Boulet, Jean-Marie Dru et Jean-Pierre Petit.
Jean-Marie Straub
89 ans. Cinéaste engagé. Proche de François
Truffaut et de Jean-Luc Godard, il formait
avec sa compagne Danièle Huillet (décédée
en 2006) un couple de réalisateurs exigeants
qui remettaient en question les schémas
narratifs et esthétiques traditionnels.
Claude Bernard
93 ans. Galeriste parisien. Il a exposé les
plus grands noms de l’art moderne comme
Giacometti, Bacon ou Balthus.
Johan Hamel
42 ans. Arbitre de football. Il a succombé à
un accident vasculaire cérébral lors d’un
entraînement.
Tom Rice
101 ans. Parachutiste américain du Débar-
quement de 1944. Il avait réédité son saut
en 2019.
LE POINT DE LA SEMAINEARGENT

IMMOBILIER

Prix des logements :

quelle surcote ou décote en fonction du DPE
À la COP27, la France a renouvelé ses
engagements en matière de réduction
des émissions de gaz à effet de serre (lire
p. 139). Cette promesse passe par l’amé­
lioration des performances énergétiques
du parc de logements : le bâtiment est
en effet le plus gros consommateur
d’énergie (40 %). Un constat qui a amené
le gouvernement à d’abord instaurer un
diagnostic obligatoire de performance
énergétique (DPE) pour toute location
gogne-Franche-Comté 15 % de plus, en
Normandie 14 % (voir tableau), selon le
Conseil supérieur du notariat. Des écarts
qui, selon les régions, vont de 2 à 11 %.
Et ce qui est vrai pour les a­ ppartements
l’est encore plus pour les maisons. En
2021, a calculé le Conseil supérieur du
notariat, les maisons anciennes classées
A ou B se sont vendues en France (hors
Corse) plus de deux fois plus chères que
celles classées F ou G. Ainsi dans le
en moyenne 14 % moins chères que
celles classées D (voir tableau). « La
Nouvelle-­Aquitaine fait partie des régions
où les effets des étiquettes sur les prix sont
les plus forts. À l’inverse, c’est en Auvergne-­
Rhône-Alpes qu’ils sont les plus faibles »,
notent les ­notaires. Une différenciation
qui devrait se creuser encore à l’avenir.
« Sur les 30 millions de résidences prin-
cipales que compte la France au 1er janvier
2022, environ 1,5 million de logements (5 %

ou vente, puis à interdire à partir de 2025
la location des logements classés G, à
­partir de 2028 celle des étiquetés F puis
en 2034 celle des référencés E. Et à geler
les loyers des biens classés F…
Ces réglementations ont un impact
de plus en plus élevé sur les prix des loge­
ments. Les appartements anciens c­ lassés
A et B se sont vendus en moyenne 16 %
plus chers en Occitanie que les D, en Bour­
1,5 million
Grand Est ces dernières se sont vendues
C’est, sur les 30 millions de résidences principales
que compte la France au 1er janvier 2022,
le nombre de logements qui seraient
peu énergivores (étiquetés A et B dans le DPE).
du parc) seraient peu énergivores (étiquettes
A et B du DPE). À l’opposé, environ 5,2 ­millions
de biens (17 % du parc) seraient des p­ assoires
énergétiques (classées F et G) », relève le
Conseil supérieur du notariat. La part de
ces dernières grimpe même à 32 % dans
les résidences secondaires (1,2 million
de logements) et à 27 % (800 000 biens)
dans les logements vacants §
PAGE DIRIGÉE PAR LAURENCE ALLARD

Surcote et décote des appartements et maisons Parts dans les transactions de logements anciens
Selon l’étiquette énergie et la région, en 2021 Selon l’étiquette énergie et la région, en 2021, en % *Hors Corse.

Surcote pour un Décote pour France métropolitaine* 5 20 37 24 8

Régions appartement une maison Bourgogne - Franche-Comté 16 34 28 13 5
classé A ou B / classée F ou G / A
classé D classée D Centre-Val de Loire 14 36 30 12
Auvergne - Rhône-Alpes +8% –6% Normandie 14 35 31 12
B
Bourgogne - Franche-Comté + 15 % – 10 % Grand Est 17 35 27 11
Bretagne +7% – 10 % Paris 11 37 33 11
C
Centre-Val de Loire + 13 % – 12 % Auvergne - Rhône-Alpes 6 20 34 24 10
Grand Est +5% – 14 % Hauts-de-France 16 37 28 10
Hauts-de-France +6% –9% D
Grande couronne 14 41 29 8
Ile-de- Paris et petite couronne +3% –3%
France Grande couronne Bretagne 7 19 36 24 8
+6% –7% E
Petite couronne 5 14 42 28 8
Normandie + 14 % –9%
Nouvelle-Aquitaine + 10 % – 12 % Pays de la Loire 6 21 38 23 7
F
Occitanie + 16 % – 11 % Nouvelle-Aquitaine 7 23 39 20 6
Pays de la Loire +9% –8% Occitanie 7 27 38 17 5
Provence-Alpes-Côte d’Azur +3% –6% Provence-Alpes-Côte d’Azur 6 30 39 15 5 G

Répartition Banlieue Maisons Avant Après De 61 à Plus de

des transactions anciennes 1980 1980 100 m2 100 m2
de logements 36 34 41 44 40 37
59 56
étiquettés F et G Rural Centre- Appartements Moins de De 30 à
En 2021, en % 30 ville anciens 30 m2 5 18 60 m2
LOCALISATION TYPE DE BIEN ÉPOQUE DE TRANCHE DE SURFACE
Selon le calcul Adnov à partir de bases de données des notaires de France BIEN et Perval. CONSTRUCTION HABITABLE

26 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625

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LE POINT DE LA SEMAINEARCHITECTURE/IMMOBILIER

Al-Ula,
habiter le désert
Dans le désert Oasis lovée dans les dunes désertiques du nord-ouest de l’Ara-
saoudien, aux bie saoudite, Al-Ula développe une offre touristique et cultu-
portes de la cité relle XXL. C’est ici, sur la route historique des caravanes, dans
classée d’Hegra, un site à ciel ouvert aussi vaste que la Belgique, qu’un hôtel
l’hôtel Banyan Tree Banyan Tree vient d’ouvrir ses portes, au contact des vestiges
s’inscrit dans la de la cité nabatéenne d’Hégra, classée au patrimoine mondial
minéralité du site : de l’Unesco. Son originalité ? Une architecture caméléon des-
suites sous tente sinée comme un paysage : 47 suites sous tente (de une à trois
et piscine aux chambres), coiffées de couches de toile qui les protègent du
contours dessinés soleil et assurent leur ventilation naturelle. Pour se fondre
par les roches. dans leur environnement, les murs du spa, en sable compacté,
étagent des nervures semblables aux strates horizontales des
gorges de grès alentour. Autre réplique voulue par Stéphanie
Ledoux et Reda Amalou, architectes dirigeants de l’agence tri- AW2 REDA AMALOU & STÉPHANIE LEDOUX – CHRISTOPHER CYPERT/SP
colore AW2, le bassin de la piscine nichée entre les rochers
évoque les wadis qui apparaissent au pied des falaises lors des
périodes de pluie § PAGE RÉALISÉE PAR BRUNO MONIER-VINARD

–
­­  15 %
C’est la baisse de la demande
de maisons dans l’ancien que la
plateforme d’annonces immobilières
Bien ici a enregistrée en un an
(du troisième trimestre 2021
au troisième trimestre 2022).
28 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
Cherche 3-pièces. Après
un record de transactions
immobilières en 2021
(1,17 million de biens ven-
dus, + 15 % par rapport
à 2020), le marché fléchit.
En cause, le contexte de
turbulences économiques
et politiques, la hausse
des taux d’emprunt et celle
des coûts liés à l’énergie.
Selon un sondage de l’Asso-
ciation française des inter-
médiaires en bancassurance,
45 % des dossiers de prêt
auraient été refusés en
­septembre. D’après Bien’Ici,
la progression annuelle des
recherches de biens atteint
deux chiffres à Nantes
(10 %), Paris (13 %), Nice
(15 %) et Lille (17 %). L’offre
globale (maisons et apparte-
ments) a augmenté de 12 %
entre le troisième trimestre
2021 et le troisième tri-
mestre 2022. Au palmarès
des appartements les plus
demandés, les 3-pièces
(35 %) arrivent en tête.
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FRANCE

Immigration, la grande
Écartelé. Le chef
de l’État a beaucoup
tâtonné sur le sujet
depuis 2017. Qu’a-t-il
en tête ­aujourd’hui ?
Récit.

PAR MATHILDE SIRAUD

«L
’immigration ne devrait pas
­inquiéter la population française.
[…] Elle se révèle une chance d’un
point de vue économique, culturel, social. »
« Il n’y a pas une culture française. Il y a
une culture en France. Elle est diverse. »
Ces mots retentissants sont ceux d’Em-
manuel Macron, en campagne pour la
­présidence de la République, quelques
semaines avant sa première élection, en
2017. Autant dire une éternité. Le chef
de l’État ne les répéterait probablement
pas aujourd’hui. Ou pas de la même
­manière. Sa conviction intime n’a peut-
être pas varié, mais son discours et sa
­posture se sont ostensiblement durcis,
au contact d’un pays de plus en plus ru-
gueux sur la question de l’immigration.
« Les b­ ourgeois n’ont pas de problème avec
­l’immigration parce qu’ils ne la croisent pas.
Les classes populaires vivent avec. » « Mon
objectif, c’est de sortir tous les gens qui n’ont
rien à faire là. » Voilà le même ­Emmanuel
Macron, à l’automne 2019, qui s’exprime
devant sa majorité, puis dans Valeurs
­actuelles. Un virage à 180 degrés.
Concurrencé par Marine Le Pen et un Main tendue. Emmanuel Macron salue
temps par Éric Zemmour, on le pensait un migrant soudanais au centre d’accueil de
converti à l’approche sécuritaire et à la Croisilles (Pas-de-Calais), le 16 janvier 2018.
nécessité de fermeté. Jusqu’aux premiers À ses côtés, Gérard Collomb, alors ministre
mois de son second quinquennat, mar- de l’Intérieur, qui révélera, dans « Le Point »
qués par sa volonté de mieux répartir les le 13 novembre dernier, avoir démissionné
MICHEL SPINGLER/AFP

immigrés dans les campagnes et par le par opposition à l’idée du président de créer
fiasco de l’accueil du navire h ­ umanitaire des centres de contrôle en France.
Ocean Viking, là où l’Aquarius, quatre ans
plus tôt, avait été refusé. « En accueillant
maintenant l’Ocean Viking, on ouvre une
30 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
migraine de Macron
« En prétendant être humaniste,
on est en fait laxiste. En prétendant
être dur, on est en fait inefficace. »
Emmanuel Macron
nouvelle brèche, créant un précédent », a vi-
vement réagi l’ex-ministre de l’Intérieur
Gérard Collomb dans Le Point. L’ancien
socialiste a même confié avoir démis-
sionné, en 2018, parce qu’il était en dés­
accord avec Macron sur l’idée de création
de hot spots, des « centres contrôlés »
pour accueillir des migrants. Sa loi Asile
et immigration n’ayant pas suffisam-
ment porté ses fruits, un nouveau texte,
en cours d’écriture et annoncé pour jan-
vier 2023, vise à faciliter les reconduites
à la f­ rontière tout en créant un titre de
séjour spécifique pour certains travail-
leurs sans papiers. Un tournant assumé
cette fois-ci en faveur de l’immigration
choisie – sans aller jusqu’aux quotas –
consistant à fermer d’une main tout en
ouvrant de l’autre. « Si on ne veut pas dire
la vérité sur l’immigration et l’absence d’in-
tégration, cela revient à faire de la godille.
Tout à la fois de l’ouverture et de la fermeté,
avec une ­opinion contre soi et le Rassemble-
ment national et Les Républicains de plus
en plus à droite », relève l’essayiste H­ akim
El Karoui, de l’Institut Montaigne,
­interlocuteur r­ égulier du président.
Nouveau cap. Malédiction du « en
même temps », le président a, depuis
cinq ans, fait du slogan « fermeté et hu-
manité » la boussole de son action.
Conscient des limites de la formule,
l’Élysée met désormais en avant l’objec-
tif plus prosaïque d’accueillir « moins mais
mieux ». « Le président demande à y aller de
manière offensive. Ses préoccupations sur ce
sujet datent d’avant son arrivée au pouvoir.
Il y a eu une évolution très rapide au quin-
quennat dernier et des adaptations face à
de nouvelles questions. Pour lui, le sujet doit
être abordé avec le souci de l’efficacité, de la
capacité à gérer, et donc à fixer des limites »,
professe un conseiller du Château.
L’action d’Emmanuel Macron en
­matière migratoire n’a jusqu’ici produit
que des résultats mitigés, la difficulté
à mettre en œuvre les obligations de
­quitter le territoire français – les fameu­
ses OQTF – étant devenue le …
Le Point 2625 | 24 novembre 2022 | 31
FRANCE

« À titre tique dans le grand débat. Bronca dans

­exceptionnel ». ses rangs, Édouard Philippe, Premier
Gérald Darmanin ­ministre, s’y oppose. Sa tentative de
annonce, le ­réformer l’aide médicale d’État échoue.
10 novembre à Même au niveau européen, Macron
l’issue du Conseil peine à imposer sa réforme de l’espace
des ministres, Schengen et sa refonte de Frontex.
la décision de la Pour réduire les flux, le président est
France d’accueillir convaincu qu’il faut investir en Afrique
les 234 rescapés et conditionner l’aide au développement
de l’« Ocean à la gestion des flux migratoires.
Viking ». Mais cet activisme tous azimuts ne
suffit pas à effacer l’impression de fai­
blesse du gouvernement en la matière.
« Ça reste l’éternel trou dans la raquette »,
regrette un conseiller. « Nous ne serons
jamais crédités d’une politique migratoire.
On ne “crante” rien sur le sujet, on n’obtient
aucun résultat. Je pense qu’il faut en prendre
acte. Autant tout miser sur la réforme des
… ­symbole de l’impuissance de préférer les actes. « La gauche a péché par retraites plutôt que perdre des plumes sur
l’État. Le président a, sur ce sujet, péché naïveté, la droite, par mollesse. On l’a vu une nouvelle loi qui ne changera pas la
par imprudence, promettant « 100 % » avec les moulinets de Nicolas Sarkozy. Notre donne ! », acquiesce une députée
d’exécution, contre moins de 6 % dans obsession, ce sont les résultats », insiste un ­Renaissance venue de la droite.
la réalité, sur le premier semestre 2021. conseiller. Au nom du pragmatisme, le
Depuis que le gouvernement établit un fondateur d’En marche ! s’empare du su­ Silences calculés. L’immigration
lien, dans son discours officiel, entre jet d’abord pour remédier à ce qu’il iden­ a d’abord été un impensé du logiciel
­immigration et délinquance, les étran­ tifie comme des dysfonctionnements. macronien. Absent ou quasi absent du
gers fauteurs de troubles sont devenus Il inscrit le sujet à l’agenda politique à livre Révolution, le thème est aussi relé­
la cible prioritaire. « Dès que Macron se marche forcée, tant sa majorité y est ré­ gué au second plan de son programme.
­déplace, il ne lâche pas les préfets sur les ticente. En 2018, la loi Collomb, ­pourtant Le philosophe Paul Ricœur, son inspira­
chiffres des OQTF. Il est extrêmement dur d’inspiration technique, n’est votée que tion principale, célèbre dans son œuvre
sur cette question. S’il le pouvait, il les par 43 députés LREM sur 312. L’année la reconnaissance de l’Autre. Le rapport
­expulserait tous sur-le-champ ! », narre d’après, dans la foulée des Gilets jaunes, à l’étranger du jeune Emmanuel Macron
un familier du Palais, comme pour le chef de l’État évoque dans sa lettre aux est donc d’abord teinté de bienveillance,
tordre le cou au procès en insuffisance. Français des « objectifs annuels d’immigra- d’ouverture. Les travaux de la commis­
Aux symboles de dureté, Macron dit tion » et dit vouloir inscrire la théma­ sion Attali, auxquels il participe, promeu­
vent une relance de l’immigration pour
libérer la croissance. L’ex-banquier d’af­
faires ne réfléchit pas vraiment à la ques­
OQTF, la bataille diplomatique tion, épouse la philosophie libérale selon
laquelle l’économie a besoin ­d’immigrés.
L’obligation de quitter le territoire français (OQTF), prévue par la loi sur Ses silences sont calculés. Sous François
­l’immigration de 2006, quand Nicolas Sarkozy était ministre de l’Intérieur, Hollande, il prend le contre-pied du
est une mesure administrative délivrée par le préfet qui oblige l’individu ­discours martial de Manuel Valls. D ­ ébut
en situation irrégulière à quitter le pays dans les trente jours, par ses propres 2017, il signe une tribune de soutien à
moyens. En moyenne, 40 % des OQTF font l’objet de recours. Dans les faits, la chancelière allemande Angela M ­ erkel
une très faible proportion d’OQTF sont exécutées. Pour pouvoir retourner dans sa politique d’accueil des réfugiés
dans son pays d’origine, l’immigré a besoin d’un laissez-passer consulaire, syriens, qu’il qualifie de « héros ». Le can­
que certains pays rechignent à délivrer. Raison pour laquelle le président didat tire ensuite le fil d’une réflexion
a haussé le ton en représailles, en réduisant le nombre de visas aux pays du avant tout sociale et économique sur
Maghreb. Depuis lors, le gouvernement affirme que l’exécution des OQTF a l’immigration, construit un discours
été multipliée par 4. Le 18 novembre, Gérald Darmanin a aussi demandé aux sur l’échec de l’intégration, contre
préfets de durcir l’application des OQTF. Les étrangers menacés d’expulsion ­l’assignation à résidence, le phénomène
devront être assignés à résidence et les aides sociales leur seront coupées. de ghettoïsation et les discriminations.
MOURAD ALLILI/MAXPPP

« Comme rien ne change dans leur vie, ils n’ont aucune raison de partir », s’exaspère Une fois au pouvoir, Macron com­
un connaisseur du dossier. Outre le rappel du droit déjà applicable, le patron prend qu’il doit corriger cette image de
de Beauvau demande également l’inscription « systématique » des personnes porte-voix d’une mondialisation heu­
sous OQTF au fichier des personnes recherchées (FPR) § M. S. reuse. Il récuse le portrait, brossé ici ou
là, d’un leader multiculturel à …
32 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
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FRANCE

dans les actes. À la fin, c’est dissonant. Il n’a

pas de doctrine mais, d’ailleurs, l’État en gé­
néral n’en a pas », brocarde un très proche.
« Il peut y avoir deux logiques qui se per­
cutent, admet un conseiller. Celle de la
masse des arrivées, des entrants, et celle de
l’être humain, de l’individu. Il fait cette dis­
tinction. » Au fond, Macron serait tiraillé,
comme les Français, par la nécessité
d’un contrôle des flux, d’un côté, et un
penchant altruiste d’accueil, au nom
de la tradition et de la charité, de l’autre.

Partage des rôles. « Je ne veux pas

Polémique. Les migrants de l’« Ocean Viking » débarquent à Toulon, le 11 novembre. La France a choisi
de recevoir sur son sol les naufragés secourus par l’ONG SOS Méditerranée déboutés par l’Italie et Malte.
… l’anglo-­saxonne. Petit à petit, il
fait et dit ce qu’il pense qu’on attend de
lui sur le sujet. Les notes d’alerte des ser-
vices et la réalité de la situation finissent
d’ébranler son progressisme et son idéa-
lisme à tous crins. Il parle avec des intel­
lectuels comme Gilles Kepel, François
Sureau ou Didier Leschi, mais aussi des
élus locaux, des associations internatio-
nales. Le durcissement sécuritaire, avant
tout tactique, prend le pas sur son sur-
moi libéral. Les LR et le RN pilonnent
sur le sujet, il s’agit de ne pas les laisser
occuper seuls le terrain et remporter le
combat. Macron appelle à « regarder en
face » la problématique de l­ ’immigration.
L’ex-électeur de Jean-Pierre ­Chevènement
adopte des accents rocardiens. « En pré­
tendant être humaniste, on est en fait laxiste.
En prétendant être dur, on est en fait ineffi­
cace. » « On ne doit pas être un pays trop
­attractif. » « La France ne peut pas a­ ccueillir
tout le monde si elle veut accueillir bien. »
Dans l’entourage du chef de l’État, ils
tomber du mauvais côté du cheval », répond
le locataire de l’Élysée à ceux qui lui
­demandent de taper plus fort. Pour se
Macron redoute de connaître le même
sort. Son entourage en est persuadé, le
scrutin de 2022 se jouera sur les ques-
tions identitaires et sécuritaires. Le
­futur candidat à sa réélection reprend
à son compte le concept d’« insécurité
culturelle » cher à Laurent Bouvet, loue
les intuitions de Nicolas Sarkozy sur
l’identité nationale. Pour autant, il
­continue de souffler le chaud et le froid.
« Il faut améliorer l’intégration, y compris
pour ceux qui sont là depuis longtemps, mais
essayer dans le même temps de prévenir les
nouvelles arrivées car elles sont insoutena­
bles pour nos sociétés », dit-il en octobre
2021. Puis, le mois d’après, à l’Institut
du monde arabe : « Quelles que soient les
difficultés qui sont les nôtres, penser qu’elles
viennent de l’autre ou de cette part de l’autre
est une facilité aussi vieille que l’humanité. »
Comprenne qui pourra. Après avoir re-
connu les « racines judéo-chrétiennes » de
la France, le chef de l’État se pose en dé-
fenseur de l’ouverture et des différences.
tenir à l’écart des populistes, il jure de
ne jamais verser dans l’émotionnel. « Le
président est empreint d’humanité tout en
étant lucide, conscient de la fracture identi­
taire dans le pays. Il existe une anxiété géné­
ralisée sur l’avenir, y compris sur la nation,
donc la société recherche des boucs é­ missaires.
Il faut apporter des réponses politiques et
afficher l’intransigeance de l’État », affirme
Sacha Houlié, président de la c­ ommission
des Lois à l’Assemblée. Cet élu de l’aile
gauche de la majorité, passé par le PS, dé-
fend par ailleurs ardemment le droit de
vote des étrangers aux élections locales.
Au sein du gouvernement aussi,
­plusieurs lignes coexistent. Illustration
de l’inconfort de l’exécutif, des consul-
tations politiques et un débat parlemen-
taire sur l’immigration précèdent la
présentation de la loi. Emmanuel Macron
s’astreint à un partage des rôles avec son
ministre de l’Intérieur, Gérald ­Darmanin,
à qui il sous-traite le discours martial.
Cet été, Matignon a voulu réfréner les
ambitions de Beauvau. Élisabeth Borne,
Première ministre venue de la gauche,
peu diserte sur ces questions, livre sa
pensée au Point : « Le rejet vis-à-vis de
­l’immigration est de plus en plus fort. Nous
ne pouvons pas laisser le RN exploiter et
VINCENZO CIRCOSTA/AFP

sont plusieurs à le sensibiliser au « sen­ « Le président a toujours mis à distance capter ce ressentiment. Nous devons être à
timent de dépossession » qui grandit dans le sécuritaire et l’identitaire, il pose des ­jalons la fois plus fermes vis-à-vis de ceux qui sont
la société, aux crispations identitaires. techniques et juridiques à ces sujets. Cela en situation irrégulière et plus efficaces en
donne la loi Séparatisme, la loi Immigra­ matière d’intégration. » Cinq ans déjà
Dilemme. La maîtrise des flux mi­ tion. L’approche peut paraître complémen­ que le pouvoir répète ce refrain. Sans
gratoires revient régulièrement dans taire dans le discours mais contradictoire parvenir à inverser la tendance §
l’actualité de façon négative, à la faveur
de faits ­divers ou de drames. Le président
­s’engage sur la protection des frontières.
Vingt ans après l’élimination brutale de
Les notes d’alerte des services et la réalité
Lionel Jospin dès le premier tour de la
présidentielle en dépit de résultats
de la situation finissent d’ébranler
­économiques favorables, Emmanuel son progressisme et son idéalisme à tous crins.
34 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
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FRANCE
Bruno Retailleau,
la droite culturelle
Gramscien. Féru d’art et de lettres,
le sénateur de Vendée, qui convoite
la tête de LR, creuse sa différence.
PAR NATHALIE SCHUCK
I
maginer Bruno Retailleau orga-
nisant un concert de Johnny
­Hallyday a quelque chose de
contre-intuitif, c’est le moins qu’on
puisse dire. Et pourtant ! En 2006,
le sénateur de Vendée se retrouve
dans les bureaux parisiens de Jean-
Claude Camus, producteur histo-
rique de la star. Il vient arracher
une date pour le petit Festival de
Poupet, qui a lieu chaque été à
36 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
500 mètres de chez lui, au point
qu’il peut entendre les artistes de
son jardin. Son ami Philippe Main-
dron, un drôle de zigue toujours
entre deux projets fous, l’a
convaincu de l’aider à accomplir
son rêve : monter la « plus grosse
soirée de sa vie ». « Camus ne voulait
pas en entendre parler. Il m’a dit :
“Faut venir avec votre banquier et un
institutionnel”, se souvient Main-
dron. Le matin, le banquier m’a fait
faux bond, mais Bruno a honoré le
rendez-vous. On s’est retrouvés de-
vant Camus, on lui a dit une grosse
connerie : “Le banquier est malade.”
Et Bruno a tellement bien défendu le
projet qu’on est sortis avec notre date
de Johnny ! » C’est ainsi que le pape
du rock français a joué le 22 juil-
let 2006 à Poupet, plus petite date
de sa tournée. « Mes amis sont tota-
lement déjantés », souffle le patron
Refuge. Bruno des sénateurs LR, qui aspire à diri-
ÉLODIE GREGOIRE POUR « LE POINT »
­Retailleau, 62 ans, chez ger son parti.
lui, à Saint-Malô- On le prendrait à tort pour un
du-Bois, en Vendée, le homme sage, sous ses faux airs de
14 novembre. De jour séminariste aux fines l­ unettes cer-
comme de nuit, le pré- clées, pour un notable de l’Ouest
sident du groupe LR au engourdi dans le confort chloro-
Sénat a toujours un formé du Sénat. Il y a chez lui,
livre à portée de main. c’est vrai, une politesse …
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FRANCE
… onctueuse, une retenue pu-
dique, un côté bien peigné. Ses
amis décrivent tous un homme de
raison, une « tronche » égarée en
politique, qui emporte sa pile de
livres et de dossiers jusque sur la
plage. « Il a son rituel : il les met à la
droite de sa serviette, les annote pa-
tiemment, puis pose ceux qu’il a finis
à sa gauche. Et quand il a tout ter-
miné, il va se baigner », raconte l’un.
On connaît moins son audace, ses
passions voraces, sa flamme inté-
rieure. Ce sont ses jardins secrets
qui parlent le mieux de lui. On sa-
vait que Philippe de Villiers avait
repéré ce jeune cavalier pour le
grand spectacle du Puy du Fou.
Moins que Bruno Retailleau avait
atterri plusieurs fois à l’hôpital à
force de cascades. Jeune homme,
il a fait du théâtre et monté sa
propre école de musique, avant de
s’embarquer à corps perdu dans
l’aventure puyfolaise comme met-
teur en scène, renonçant à ses pro-
jets de passer l’ENA, au grand dam
de ses parents. Là, il s’intéresse à
la pyrotechnie, à la sonorisation,
à l’éclairage laser… et tourne même
des clips. Dont l’un avec Didier
Barbelivien, filmé sur l’étang du
Puy du Fou derrière un superbe
piano blanc demi-queue posé à
même l’eau. Le piano de Bruno Re-
tailleau : l’instrument trône au-
jourd’hui au milieu du salon de la
ferme familiale de Saint-Malô-du-
Bois, dans le Bocage vendéen, une
38 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
« Il fait partie des rares
hommes politiques français
construits intellectuelle-
ment. » M  athieu Bock-Côté
partition de Beethoven ouverte
sur le pupitre. « Ce piano est un re-
proche quotidien », souffle l’élu li-
gérien, frustré de ne pas pouvoir
jouer davantage, faute de temps.
Croisade. La culture est, d’aussi
loin qu’il s’en souvienne, le mo-
teur de son ambition politique.
Rien ne l’y prédestinait. Fils d’un
négociant en grains, élevé dans
une famille modeste, il se voyait
devenir préfet. Pour paraphraser
le titre d’un ouvrage d’Édouard
Philippe, Retailleau est « un
homme qui lit ». Son bureau, une
ancienne porcherie aux murs noirs
de suie qu’il a retapée à la fin des
années 1980 avec son père, est em-
pli de livres. Insomniaque, il lui
arrive de programmer son réveil
la nuit pour bouquiner dans sa ta-
nière. « Les livres sont pour moi un
Relève. Au campus objet sensuel. Je les annote, je les sou-
de rentrée des jeunes ligne. Les livres, la culture, c’est un
­Républicains à Angers, pas de côté », confesse-t-il. Il égrène
le 3 septembre, au len- volontiers les citations, à la façon
demain de l’annonce un peu mécanique des gens stu-
de sa ­candidature à la dieux. André Malraux : « La culture,
présidence du parti. c’est ce qui répond à l’homme quand
il se demande ce qu’il fait sur la terre. »
Mona Ozouf : « La France est une pa-
trie littéraire. » Marc Fumaroli, sur-
tout, qui résonne en lui : « La
littérature est la jurisprudence de la
vie humaine. » Il a lu tous les livres
de Simone Weil et de François
Cheng, cite Giono, Bernanos, Pé-
guy ou Houellebecq, en précisant
qu’il lui arrive de lire des auteurs
classés à gauche. Il dévore des es-
sais aussi, de Berénice Levet, ­Marcel
Gauchet, Régis Debray, Christophe
Guilluy. Il se prévaut d’avoir été
l’un des premiers à découvrir l’es-
sayiste conservateur Mathieu
Bock-Côté, avec qui il partage par-
fois une tablée avec Alain Finkielk-
raut. « Il fait partie des rares hommes
politiques français construits intellec-
tuellement. Ce qui est frappant lors-
qu’on déjeune ou dîne avec lui, c’est
que sa première question ne porte pas
sur la situation politique mais sur ce
qu’on est en train de lire, explique le
sociologue canadien, qui souligne
qu’il ne s’agit pas là d’un soutien.
Notre grande obsession, c’est de com-
prendre l’époque dans laquelle nous
vivons. La première fois que je l’ai ren-
contré, c’était à un colloque organisé
à l’abbaye de Fontevraud en pleine
présidentielle de 2017. L’enjeu d’un
homme politique devrait être de pen-
ser aux élections. Or, pendant deux
jours, la vie s’était arrêtée. » « Il parle
à l’âme des militants, quand d’autres
parlent à leurs tripes », avance l’un
de ses soutiens.
Car la culture est, chez Bruno
Retailleau, un mode de combat,
une croisade. Sous ses dehors de
prélat, il cache une vraie radica-
lité idéologique. Homme de convic-
tions ancrées, à la colonne
vertébrale très raide, il rêve d’une
droite téméraire portant un pro-
jet de « rupture », de « civilisation ».
Dans sa campagne pour s’empa-
rer des rênes des Républicains, ce
proche de François Fillon, qu’il a
épaulé jusqu’au bout durant la ba-
ÉLODIE GREGOIRE POUR « LE POINT »
taille présidentielle de 2017, s’est
entouré d’hommes aux positions
conservatrices assumées, au verbe
haut, classés à la droite du parti,
du député européen François-­
Xavier Bellamy à l’ancien d ­ éputé
Julien Aubert. « La droite a fait une
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2022

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FRANCE

… dans un pragmatisme gestion-

naire et elle a laissé le champ cultu-
rel, qui est une transmission, à la
gauche, qui en a fait une transgres-
sion. Elle lui a cédé l’hégémonie sur
les idées, regrette le patron des sé-
nateurs LR. Je sais que notre famille
politique est à la recherche d’un chef,
mais une partie de nos échecs vient du
peu de goût que nous avons pour le
débat d’idées. On a ouvert une béance,
un vide, et dans ce rien on a laissé se
déployer des idéologies : l’islamisme,
les idéologies de la déconstruction, la
cancel culture. La droite doit occu-
per le champ culturel. » Jamais il n’a
cédé aux sirènes d’Emmanuel
Macron, qui porte à ses yeux « une
responsabilité particulière pour avoir
parlé de “déconstruire” l’Histoire et
pour avoir dit qu’il n’y avait “pas de
culture française”. »
Une « machine de guerre ».
Cofondateur du mouvement Sens
commun, passé par LR avant de
rallier Éric Zemmour lors de la der-
nière présidentielle, Sébastien Pi-
lard a côtoyé Bruno Retailleau en
2013 dans les défilés contre le ma-
riage gay, dont le sénateur a été un
solide soutien, dénonçant dans la
réforme Taubira « un cheval de Troie
de la PMA et de la GPA ». « Bruno est
profondément de droite, du fait de son
histoire, de sa formation intellectuelle,
de ses rencontres. Je ne l’ai jamais vu
reculer sur ce qu’il pense. Il ne sup-
porte pas l’opportunisme politique,
loue l’ancien LR passé chez Recon-
quête. Ça aurait été beaucoup plus
simple pour lui de jouer sur l’ambi-
guïté macroniste, comme il est dans
l’Ouest et président de groupe au ­Sénat.
La Vendée est une terre centriste, où
beaucoup de maires sont dans l’am-
biguïté. Mais il n’a jamais vacillé,
alors que Macron a gagné 100 % des
députés dans son département en
2017. » Toujours en contact avec
Retailleau, qui l’avait inscrit sur
sa liste aux régionales de 2015 dans
Rural. S’il aime les tardivement à l’UMP en 2012. Ils
nourritures spirituelles, ne digèrent pas qu’il veuille ex-
Bruno Retailleau est communier le « patron » pour
avant tout un « ter- avoir dit que l’ancien chef de l’État
rien » du Bocage ven- était libre de quitter les Républi-
déen : « Mon équilibre cains. Il se garde bien, en revanche,
est là. Je ne peux pas ­d’ouvrir un front avec Laurent
vivre sans animaux. » Wauquiez, qu’il respecte mais
peine à cerner. Retailleau n’a ja-
mais été, de fait, un militant RPR
canal historique. Il était aux cô-
tés de Philippe de Villiers jusqu’en
2010, date de leur rupture brutale
qui lui a valu, dans Libération, le
surnom de « Borgia du bocage ».
Le sénateur LR rétorque qu’il sait
où est son centre de gravité, où
sont ses valeurs, dans ce petit bout
de Vendée où il se sent « enraciné ».
Ici, il a ses poules, son cheval, ses
moutons, son ânesse, son chien,
des panneaux photovoltaïques.
« Mon équilibre est là. Je ne peux pas
vivre sans animaux, je suis un ru-
ral. C’est un rapport au lieu, un rap-
port au temps, un enracinement. On
sait ici que, pour moissonner, il faut
avoir semé avant », confie-t-il,
avouant cultiver peu d’amitiés
parisiennes.
Doctrinaire, le chef des sénateurs
LR ? L’un de ses secrets les mieux
gardés est une galerie d’art nichée
au cœur du quartier du Marais, à
­Paris, à deux pas du Centre
Georges-Pompidou et du musée Pi-
casso. Esprit curieux, plus ouvert
que ses rivaux l’imaginent, il s’y in-
vite régulièrement pour admirer
des œuvres de René Laubiès ou de
l’artiste coréenne Hong I­ nSook,
dont il possède chez lui plusieurs
tableaux, en « petit collectionneur »
d’art moderne. Des toiles intenses,
qui remuent et ­invitent à la médi-
tation. « Il a un jardin secret. La
culture, la contemplation pour lui sont
très importantes. L’art le ramène à l’es-
sentiel », assure Alain Margaron, qui
a ouvert cette galerie en 1993 et a
fait sa connaissance dans les an-
nées 2000. « On ne peut pas être sec-
taire et aimer l’art. C’est un
questionnement, un doute. Un homme
politique qui n’a pas de dimension cultu-
relle ne dure pas », poursuit-il en ré-
ponse à ceux qui voudraient
enfermer celui qui est devenu son
ami dans une posture dogmatique.
Ces jours-ci, alors qu’il préparait
un vernissage, Alain Margaron a
ÉLODIE GREGOIRE POUR « LE POINT »

les Pays de la Loire, Sébastien Pi- fait passer un message à Bruno Re-
lard prévient ses adversaires : « C’est
un énorme bosseur, une machine de « On sait ici [en Vendée] tailleau, parti battre campagne sur
les routes de France : « S’il veut ga-
guerre. »
Les fidèles de Nicolas Sarkozy,
que, pour moissonner, gner, il faut qu’il vienne voir l’exposi-
tion. » ­L’aspirant président des
eux, reprochent à Retailleau de
n’être qu’un cousin éloigné, une
il faut avoir semé avant. » Républicains lui a livré cette ré-
ponse : « Mais je compte bien y aller !
pièce rapportée qui s’est greffée Bruno Retailleau Après la victoire. » §
40 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
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Paris. Ce produit présente un risque de perte en capital. Document non contractuel à caractère publicitaire. Crédit photo : © Oliver Rossi GettyImages
SOCIÉTÉ

Beyrouth :
la piste du
Mozambique

42 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625


Désolation. Le 4 août
2020, une gigantesque
déflagration causée par
un stockage défectueux
de nitrate d’ammonium
ravage le port de
­Beyrouth, tuant
AFP
215 personnes.
Exclusif. En posses-
sion d’informations
sur les explosions
de 2020, les autorités
de Maputo tentent de
faire ­chanter le Liban.
­Révélations.
PAR ERWAN SEZNEC (À BEYROUTH) ET CLÉMENT FAYOL
B
eyrouth, 4 août 2020, 18 h 15. Deux
explosions déchirent l’atmosphère.
La seconde est une des plus puis-
santes jamais enregistrées en temps de
paix. Équivalente à un dixième de la
bombe atomique d’Hiroshima, elle ra-
vage la capitale sur plusieurs centaines
de mètres à partir du foyer situé dans la
zone portuaire de Beyrouth. Entre 400 et
600 tonnes de nitrate d’ammonium
viennent d’exploser dans le hangar n° 12.
Cette cargaison n’aurait jamais dû se
trouver à Beyrouth. Arrivée en 2013 en
provenance de Géorgie, elle était offi-
ciellement destinée au Mozambique.
Non seulement ce pays d’Afrique aus-
trale n’a rien fait pour la récupérer pen-
dant les sept années qui ont précédé
l’explosion, mais il a décliné par la suite
toutes les demandes d’entraide judiciaire
formulée par le Liban. L’an dernier, en-
fin, le Mozambique a infléchi sa posi-
tion. Il a proposé de collaborer mais en
y mettant des conditions ahurissantes.
En résumé, le gouvernement de Maputo
veut que Beyrouth lui livre un citoyen
libanais, pieds et poings liés. En échange,
il livrera des informations. Les …
Le Point 2625 | 24 novembre 2022 | 43
SOCIÉTÉ
Dommages. Dégâts matériels et pertes économiques sont estimés à 8 milliards de dollars.
… documents que révèle
Le Point ouvrent un nouveau cha-
pitre dans une affaire complexe.
Les scènes d’horreur et de ter-
reur du 4 août 2020 ont fait le tour
du monde. 215 personnes sont
mortes, plus de 7 000 ont été bles-
sées. L’événement est survenu en
pleine pandémie de Covid, alors
que le pays était durement frappé
par une crise bancaire, sans parler
de la corruption endémique qui
sape les institutions. La corrup-
tion est d’ailleurs probablement
au cœur de l’explosion du 4 août,
mais cette fois dans deux pays, Li-
ban et Mozambique…
Cargo poubelle. La justice li-
banaise a fait la lumière sur la ma-
nière dont le nitrate d’ammonium
s’est retrouvé à Beyrouth. En 2013,
le Rhosus charge à Batoumi, port
géorgien de la mer Noire,
2 750 tonnes dans des sacs d’une
tonne chacun. Le Rhosus est une
poubelle flottante. Il a été bloqué
huit fois dans différents ports
entre 2008 et 2013, les contrôles
mettant en évidence de graves dé-
fauts. Pour son ultime voyage, le
navire se trouve dans une situa-
tion juridique confuse. Il appar-
tient à un homme d’affaires
chypriote qui le loue à un oligarque
russe, lequel a délégué à une so-
ciété de trading, Savaro Limited, le
négoce de la dangereuse cargaison.
Quant à l’acheteur officiel, des-
tinataire final de l’ammonitrate,
44 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
c’est la Fabrique d’explosifs du Mo-
zambique (Fábrica de Explosivos
de Moçambique, FEM). Cette so-
ciété a délivré le certificat d’utilisa-
teur indispensable pour ce genre
de transaction internationale. La
destination du cargo n’est donc pas
Beyrouth mais Beira, port situé sur
l’océan Indien, à 700 kilomètres au
nord de la capitale du Mozambique,
Maputo. Le Rhosus n’y est jamais ar-
rivé, et toute la question est de sa-
voir s’il était vraiment censé y aller.
Car rien ne s’est passé comme
sur le papier. Fin novembre 2013,
le Rhosus arrive à Beyrouth, où il
doit embarquer du fret complé-
mentaire. Mais le navire est jugé
inapte à reprendre le large par les
autorités portuaires. Elles l’ont Engrais Explosifs
déjà vu passer cinq mois plus tôt,
et elles avaient ordonné des répa-
utilisés en minière
rations sur 17 points importants !
agriculture
« Ce n’était pas du tout un navire
adapté au transport de ce genre d’ap-
pareil ! » s’exclame Walid Sinno,
chargé du dossier à Accountabi-
lity Now. Cette fondation a engagé
une action en justice aux États-
Unis, visant à éclaircir certains as-
pects du drame. Walid Sinno en
La corruption est probable-
ment au cœur de l’explosion,
mais cette fois dans deux pays,
le Liban et le Mozambique.
Explosions du 4 août 2020
Zone entièrement détruite Jounieh
Destruction généralisée
Destruction importante
Destruction occasionnelle
Mer Méditerranée
Antélias
Port
Centre-
ville Jdeideh
Ambassade de France
BEYROUTH
Haret Hreik
Baabda
Aéroport
international
de Beyrouth
Rafic Hariri 5 km
Source : Le Figaro.
Ammoniaque est persuadé, la mission dévolue
au Rhosus à Beyrouth était un pré-
+ texte. Les 2 750 tonnes d’ammoni-
Acide nitrique trate sont donc déchargées, sur
= décision administrative, le 20 no-
vembre 2013.
Nitrate
d’ammonium La suite de l’histoire devient né-
buleuse. Rendue publique en jan-
vier 2021, une enquête du FBI a
évalué le stock restant au moment
de l’explosion à environ 500 tonnes.
Que sont devenues les 2 250 tonnes
manquantes ? D’après nos infor-
mations, la Fabrique d’explosifs du
azotés pour Mozambique n’a à aucun moment
très l’industrie
tenté de récupérer l’ammonitrate
entre 2013 et 2020. Pourquoi ?
Avocat au barreau de Beyrouth,
représentant plusieurs victimes
de la catastrophe, Me Akram
Azoury a une idée de la réponse :
« Ce nitrate d’ammonium ne devait
jamais arriver au ­Mozambique. Sa-
varo était une société écran dont les
propriétaires ont demandé la liquida-
tion juste après l’explosion. Un mon-
tage juridique cache le vrai
bénéficiaire. »
L’homme de loi déplore que l’en-
quête libanaise confiée au juge
Tarek Bitar soit « au point mort ».
La question pourtant cruciale de
l’identité des commanditaires de
AFP
cette cargaison mortelle est …
SOCIÉTÉ
… ­reléguée au second plan.
Les investigations de la justice li-
banaise se concentrent sur l’en-
chaînement des atermoiements
administratifs et des ratés qui ont
conduit à l’explosion.
Ils sont nombreux, admet sans
détour le général Mohamed Fahmi,
ministre de l’Intérieur de jan-
vier 2020 à juillet 2021. En 2014
et 2016, des lettres envoyées à la
justice demandant des mesures
d’urgence sont restées sans ré-
ponse, et il déplore un autre si-
lence : « Les autorités mozambicaines
n’ont pas donné suite, pour des rai-
sons inconnues, à des questions très
simples concernant le certificat d’uti-
lisateur final. »
Les trois quarts d’une cargaison
d’explosifs disparaissent sans que
son lointain commanditaire s’en
préoccupe, le tout à une heure et
demie de route de la Syrie ravagée
par une sanglante guerre civile. Au
Liban, tous les observateurs du dos-
sier ont un scénario en tête. À peine
déchargé du Rhosus, le nitrate d’am-
monium a pris la direction de la Sy-
rie, où ce produit était extrêmement
recherché, en particulier pour l’État
islamique. « Attention, cela ne veut
pas dire que c’est l’État islamique qui
a organisé l’arrivée du Rhosus à Bey-
routh, ni même qu’il aurait été le seul
acheteur, commente un bon connais-
seur du Liban. Plus probablement,
un intermédiaire sans scrupule a vu
le coup à jouer. » Pour arriver à ses
fins, il avait impérativement be-
soin d’un certificat d’utilisateur fi-
nal de complaisance. L’aurait-il
46 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
acheté à la Fábrica de Explosivos
de Moçambique ? La FEM, société
privée juridiquement indépen-
dante de l’État, est détenue à 95 %
par un homme d’affaires portugais,
Antonio Moura Vieira. En pratique,
l’armée mozambicaine est un de
ses principaux clients et elle a de
multiples connexions avec les di-
rigeants en place.
Est-ce parce qu’elles remonte-
raient trop rapidement vers la FEM
et des proches du pouvoir que les
demandes d’entraide judiciaire sou-
mises au Mozambique à plusieurs
reprises par le Liban ces dernières
années sont restées lettre morte ?
RÉP. DÉM. TANZANIE
DU CONGO
MALAWI
ZAMBIE
Nampula
Tete
Quelimane
mb
ZIMBABWE MOZAMBIQUE
Canal du M
Port de Beira
AFRIQUE
DU SUD
Maputo
ESWATINI
500 km
En 2021, Maputo se dit prêt
à coopérer dans ­l’enquête,
à condition que Beyrouth lui
livre un ­citoyen libanais.
Impliqué. Filipe Nyusi, Le Point a interrogé le gouverne-
président du ment du Mozambique à ce sujet
Mozambique depuis par l’intermédiaire de son ambas-
2014 et auparavant sade à Paris, sans obtenir de réponse.
ministre de la Défense,  De son côté, Me Alexandre Chi-
détiendrait des vale, avocat à Maputo, se montre
éléments déterminants direct. Selon lui, « les autorités mo-
relatifs à l’explosion du zambicaines ne pouvaient pas igno-
port de Beyrouth. rer qui était le vrai destinataire du
nitrate d’ammonium et pour qui était
affrété le cargo ». Défenseur de l’an-
cien président Armando Guebuza,
en très mauvais termes avec son
successeur, Alexandre Chivale in-
siste sur la responsabilité de Filipe
Nyusi, qui était ministre de la Dé-
fense de 2008 à 2014 et donc à
l’époque des faits, en 2013.
D o n n a n t - d o n n a n t . En
août 2020, le silence mozambicain
est devenu accablant lorsque le
consortium de journalistes d’in-
vestigation Organized Crime and
Corruption Reporting Project (OC-
CRP) a explicitement accusé la
FEM de fournir des explosifs à des
terroristes ! Maputo a fini par ré-
pondre aux demandes libanaises
en 2021, mais en posant une stu-
péfiante condition. Liant deux af-
faires sans rapport entre elles, les
Mozambicains ont proposé un
donnant-donnant. Concrètement,
ils se disent prêts à coopérer dans
l’enquête sur le port si le Liban ac-
cepte d’extrader vers le Mozam-
OCÉAN INDIEN bique un citoyen libanais.
Selon nos informations, ce Li-
COMORES Mayotte banais est membre de l’état-major
(France)
du groupe de construction navale
Privinvest, dirigé par l’homme d’af-
ue
iq
faires franco-libanais Iskandar Safa.
MADAGASCAR Ce groupe industriel n’apparaît, ni
oza
de près ni de loin, dans le dossier
de l’explosion du port de Beyrouth.
Mais il se trouve qu’il a un conten-
tieux avec le gouvernement du pré-
sident Nyusi, lié à des contrats
signés en 2013 portant sur la four-
niture de navires et de systèmes de
surveillance navale pour un total
de 2 milliards de dollars.
Hélas, rien ne s’est passé comme
prévu. À partir de 2014, la crise des
PHILL MAGAKOE / AFP
matières premières a plombé les fi-
nances du pays. Les chantiers de
construction d’infrastructures ga-
zières ont pris du retard. Le nord
du pays a été déstabilisé par …
SOCIÉTÉ
D’autres explosions au nitrate d’ammonium
Oppau (Allemagne). En 1921, Texas City (États-Unis).
507 victimes trouvent la mort En 1947, un cargo chargé de
dans l’explosion d’un silo 2 400 tonnes d’explosif saute
d’engrais de sulfonitrate suite à un incendie, tuant
d’ammoniaque (ASN), un dé- 581 personnes.
rivé du nitrate d’ammonium.
… des milices islamistes. En-
fin, en 2014, il y a eu une alternance
politique. Filipe Nyusi, le nouveau
président, a pris ses distances avec
son prédécesseur, Armando Gue-
buza. Il l’a accusé d’avoir endetté
le pays au-delà de toute mesure,
dans le dos du FMI, sur fond de cor-
ruption généralisée des décideurs
politiques.
Notice rouge. Dans un télé-
gramme du 22 janvier 2021 (n° 5/29),
classé « très urgent et très impor-
tant », l’ambassadeur libanais à Pre-
toria (Beyrouth n’a pas d’ambassade
à Maputo) expose la situation au
ministère des Affaires étrangères
du Liban. Il explique que la procu-
reure générale de la République du
Mozambique, Beatriz Buchili, est
fort mécontente, car « la partie liba-
naise n’a pas donné de réponse positive
à sa demande d’établir une assistance
mutuelle judiciaire en matière pénale »
permettant d’extrader le cadre liba-
nais que réclame Maputo avec in-
sistance depuis plus d’un an. Mme
Buchili propose une réunion par
vidéoconférence, « en vue d’établir
une assistance judiciaire mutuelle au
sujet des enquêtes en cours concernant
l’explosion du port de Beyrouth » et
« plusieurs affaires de corruption et de
pots-de-vin survenues dans le cadre
d’opérations d’achat de bateaux et de
travaux d’entretien et d’agrandisse-
ment du port de Maputo, opérations
dans lesquelles est impliqué le ressor-
tissant libanais Iskandar Safa » !
La demande du Mozambique
48 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
Oklahoma City (États-Unis).
En 1995, l’attentat contre un
bâtiment fédéral avec une
­camionnette remplie de
2,2 tonnes de nitrate et
de fuel fait 168 morts.
est très inhabituelle, en termes de
droit international. Le Liban n’ex-
trade pas ses ressortissants en vertu
d’un principe de base, la non-re-
mise d’un national par son propre
gouvernement. Il peut y avoir des
exceptions, mais elles sont alors
encadrées par des conventions bi-
latérales organisant la réciprocité.
Rien de tel ne lie le Liban et le Mo-
zambique.
Par ailleurs, pour extrader un
citoyen, il faut un dossier sérieux,
fondé sur des accusations graves
et étayées. Or, ce que reproche le
Mozambique au cadre libanais
n’est pas clair. En février 2022, In-
terpol a rejeté une demande mo-
zambicaine visant à maintenir
l’intéressé sous notice rouge. Les
motifs invoqués étaient trop va-
gues. De son côté, loin de fuir la
justice, le groupe Privinvest a porté
plainte contre l’État du Mozam-
bique, à Londres et devant un tri-
bunal de Beyrouth, dans le but
d’obtenir réparation de son préju-
dice commercial.
« L’institution de la justice de mon
pays propose vraiment un deal
étrange ! » s’exclame Me Alexandre
Chivale. La situation de Filipe
« L’institution de la justice de
mon pays propose vraiment
un deal étrange ! » 
Me Chivale, avocat à Maputo
Port de Tianjian (Chine). Mogadiscio (Somalie). En
En 2015, 800 tonnes de nitrate 2017, un camion piégé conte-
d’ammonium explosent dans nant du nitrate d’ammonium
un incendie. Bilan, 165 morts mélangé à d’autres explosifs
et des dégâts énormes. tue au moins 500 passants.
POPULAR MECHANICS MAGAZINE 1921/DOMAINE PUBLIC/WIKIMEDIA – CSU ARCHIVES/EVERETT COLLECTION/BRIDGEMAN IMAGES – SIPA – BOB DAEMMRICH/AFP – MOHAMED ABDIWAHAB/AFP
Nyusi est en réalité embarrassante.
Très soucieux de plaire aux bail-
leurs de fonds internationaux, à
commencer par le FMI, le président
du Mozambique a tenté de faire
passer son prédécesseur, Armando
Guebuza, pour le chef d’orchestre
de la corruption dans le pays. Le
procès de la « dette cachée », très
médiatisé, s’est ouvert sur ce thème
à Maputo en 2021. Il a duré des
mois. Le jugement est toujours en
délibéré.
Mais, loin d’accabler les hommes
du passé, le procès est revenu
comme un boomerang vers l’équipe
au pouvoir. Filipe Nyusi n’a pas ré-
pondu à une question que beau-
coup se posent au Mozambique.
Ministre de la Défense en 2013,
comment pourrait-il avoir ignoré
que son pays contractait une dette
« cachée » de 2 milliards de dollars
pour acheter du matériel essentiel-
lement militaire ? S’y ajoute désor-
mais une autre question : à la même
époque, a-t-il couvert un trafic de
certificat d’utilisateur final de com-
plaisance aux conséquences catas-
trophiques ? 
Pour Filipe Nyusi, voilà qui fait
un peu trop de Liban. Il souhaite
probablement que tous les juges
de Beyrouth oublient son nom. En
échange, il leur donnerait celui du
vrai propriétaire du nitrate d’am-
monium. Ainsi, les familles
des 215 morts et des 7 000 blessés
du 4 août 2020 se rapprocheraient
de la vérité. Pour l’éthique et la trans-
parence, c’est une autre histoire §
VISA CARD
MONDE
Maria Zakharova
« À Moscou, Macron
nous a tous fatigués »
Sans filtre. La porte-parole
de la diplomatie russe a reçu
Le Point pour expliquer la
­vision du Kremlin sur l’Oc-
cident, l’Europe et l’Ukraine.
PROPOS RECUEILLIS PAR NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE À MOSCOU,
ANNE NIVAT
M
aria Zakharova, 46 ans, est depuis 2015 la
porte-parole du ministère des Affaires étran-
gères de la Fédération de Russie. Pre-
mière femme à occuper ce poste au cœur
du pouvoir et connue pour son franc-par-
ler, elle expose la perception russe du
monde. Entretien.
LePoint. L ’Occident mène-t-il, selon
vous, une politique antirusse ?
Maria Zakharova. Ce n’est pas une posi-
tion antirusse, c’est une position antina-
tionale vis-à-vis de vos propres peuples.
Bien sûr, nous aimerions être perçus nor-
malement, objectivement et positivement,
mais que peut-on y faire ? En premier lieu,
c’est vous-même que vous détruisez ! Fi- Porte-parole du ministère des
nalement, vous n’avez plus rien, vous ne Affaires étrangères de Russie
disposez plus des ressources ni des possi-
bilités que vous offraient les relations avec
la Russie, et vous n’avez même plus la paix en Eu-
rope. L’Ukraine flambe depuis 2014 dans le Don-
bass et personne ne s’en est préoccupé. Vous
n’arrivez même pas à comprendre que tout l’ar-
mement que vous envoyez en Ukraine est déjà
en train de se déverser en Europe sur le marché
noir. Vous savez pourquoi ? Parce que ce que vous
pensez être la mafia « russe » n’a jamais été « russe »,
ce sont plutôt des gars de Moldavie et d’Ukraine.
[…] Je vous félicite, après avoir reçu les « élites »
d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, aujourd’hui
vous avez remplacé tout ça par des gens qui
viennent d’Ukraine, mais ce ne sont pas des gens
qui veulent travailler ou étudier…
50 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
Vous voulez dire, les réfugiés de guerre ?
Oui, vous les appelez comme ça. Beaucoup souffrent
de la situation humanitaire, c’est vrai, mais ce ne
sont pas des gens qui apporteront leur part per-
sonnelle à la vie en Europe, ils vont juste en profi-
ter ! Ils ont besoin d’allocations, de logements et
ils utiliseront cette situation politique. Nous
connaissons leur mentalité, vous non. Vos belles
valeurs sur la tolérance ont perdu leur sens : on est
passé à la complaisance.
Parleriez-vous ainsi si nous étions avant
le début de la guerre, en février 2022 ?
Bien sûr ! Ça fait des années qu’on le dit, au moins
depuis 2014. Et souvenez-vous qu’en 2007 Vladi-
mir Poutine était venu à la conférence de
Munich. Il avait dit : « Réfléchissez bien,
que voulez-vous de nous ? Que nous soyons
ensemble ou pas ? Sachez que nous, on ne
peut pas rester impassibles face à vos men-
songes ! » En 2015, sur la Syrie, Poutine dé-
clare à l’Assemblée générale de l’ONU : « Si
vous voyez, comme moi, que l’État isla-
mique existe, il faut s’unir pour le contrer.
Comme en 1941, quand nous avons tous
raté Hitler justement parce que vous ne
vous étiez pas décidés à temps ! Unis-
sons-nous et, ensemble, nous vaincrons
Maria Zakharova l’EI. » Une moitié du public s’est moquée,
l’autre a hué… Poutine a dit OK, il est ren-
tré à Moscou, et la semaine suivante nos
avions partaient pour la Syrie. Il avait rai- RUSSIAN FOREIGN MINISTRY PRESS S/ANADOLU AGENCY VIA AFP
son, en tous points, même si, à l’époque,
beaucoup nous ont menacés. Aujourd’hui, les
mêmes pays nous remercient et nous disent qu’on
les a sauvés ! Qu’est-ce que vous croyez ? Que ça se
serait terminé comme ça avec la Syrie ? Pas du tout,
« l’Occident collectif » aurait été ailleurs, là où il y
a du gaz et du pétrole. Les Occidentaux ne vont ja-
mais là où règnent la pauvreté, les problèmes et la
famine. Uniquement là où il y a des ressources.
L’Occident ne se serait réveillé qu’à cause
du conflit en Ukraine ?
Qui s’est réveillé ? L’Occident ? Il dort d’un sommeil
léthargique. Ce sont les États-Unis d’Amérique les
plus actifs à ce jeu. L’Union européenne est un peu
comme le Titanic, l’eau entre par tous les …
MONDE
… ­côtés, mais l’orchestre continue à jouer !
Les relations russo-américaines étaient-elles
plus faciles sous Trump que sous Biden ?
Pas du tout, surtout quand, tous les jours, Trump
était accusé d’avoir des liens spéciaux avec les
Russes… Et qu’est-ce que ça veut dire « plus facile » ?
N’est-ce pas plus compliqué aujourd’hui,
avec Biden ?
Aujourd’hui, c’est plus marrant… Non, je plaisante,
mais ce qui se passe est absurde. Le scrutin qui a
porté Biden au pouvoir en 2020 s’est déroulé de ma-
nière sauvage, pas honnête. Les Américains eux-
mêmes le disent : lisez les sondages selon lesquels
la population ne croit pas en ces résultats ! Et de
quelle liberté d’expression parle-t-on quand on
ferme le compte Twitter d’un président en exer-
cice, rendez-vous compte, en exercice ! Uniquement
parce que c’est le souhait des sphères libérales ! En
2016, Trump a gagné justement parce qu’il avait
été capable de s’adresser directement à son
public à travers les médias sociaux. Pen-
dant ces quatre ans, il n’y a pas eu un seul
jour où on ne l’accusait pas de liens avec la
« L’Union
Russie, mais qu’avons-nous donc à voir là-­
dedans ? En revanche, nous avons bien vu
européenne est un
comment certains dirigeants européens peu comme le
étaient liés, eux, à Hillary Clinton. François
Hollande, par exemple, qui l’a félicitée avant “Titanic”, l’eau entre
même que les résultats soient proclamés,
il voulait sans doute être le premier. Le pro- par tous les côtés,
blème est plutôt qu’on a accusé la Russie
de soutenir Trump, même si aucun fait ne
mais l’orchestre
le prouve, alors que certains soutenaient
ouvertement Hillary Clinton et, là, c’est en-
continue à jouer ! »
core une fois deux poids, deux mesures. Les
Occidentaux pensent qu’ils ont le droit de le faire
et pas nous. Ils expliquent que c’est parce que nous
ne serions pas une « vraie » démocratie. Voilà, tout
est dit. Classe ! On leur demande : mais qui définit
une « vraie » démocratie ? Nous, « l’Occident col-
lectif », ils répondent. […] Les Américains ne consi-
dèrent comme légitimes que les résultats électoraux
qui leur conviennent.
Le Wall Street Journal affirme que,
ces dernières semaines, le Kremlin et
l’administration présidentielle ont mené des
discussions officielles concernant la menace
nucléaire. Confirmez-vous ?
Je ne sais pas à quels contacts en particulier vous
faites allusion. En revanche, pour ce qui concerne
notre position sur l’arme nucléaire, nous essayons
de rassurer tout le monde. Nous avons publié une
déclaration à ce propos sur le site du ministère des
Affaires étrangères. Cessons ces spéculations, ces-
sons d’en parler.
Mais, si Vladimir Poutine en parle,
les spéculations reprendront…
En parle-t-il maintenant ? Non. C’est nous qui dé-
cidons ce qu’on a envie de dire, et vous, vous déci-
dez ce que vous avez envie d’entendre. Nous
52 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
continuerons à dire ce que nous avons envie de
dire. Et, pour ce qui est de poursuivre le dialogue,
écoutez… Ici, Macron nous a tous fatigués. Surtout
quand on a appris que, pendant ses coups de fil
avec Moscou, il y avait une caméra derrière lui et
que tout était enregistré pour un film [Un président,
l’Europe et la guerre, 2022, NDLR]. Avec qui on parle
alors et de quoi ? Cela fait huit ans qu’on a déjà dis-
cuté de tout et, pour ce qui est de l’Ukraine, ce sont
les États-Unis qui décident. […]
Personne en Europe ne pourrait donc
influencer la situation ?
Les Européens le pourraient, s’ils admettaient que
le centre des décisions se trouve à Washington qui
prend des sanctions, établit des listes, livre des
armes, dit qu’il faut accueillir des réfugiés, faire
ceci ou voter cela… Comment pourraient-ils ad-
mettre tout ça, alors qu’ils n’arrivent même pas à
être indépendants, c’est-à-dire à agir par eux-
mêmes ? Le plus triste, et je le dis sur un
ton sarcastique, c’est que chaque État de
l’UE pense qu’il est indépendant, en est
convaincu, même s’il est incapable de dire
en quoi ça consiste. Ils sont même inca-
pables de poser des questions tout douce-
ment, par exemple, celle-ci : qui a fait
exploser les gazoducs [Nord Stream, NDLR]
au fond de la mer Baltique ? Ils n’ont même
pas le droit de la poser. Pourtant, quand
un certain Skripal a été empoisonné [Ser-
gueï Skripal est un agent russe devenu un
agent double britannique, qui a survécu
en 2018 à une tentative d’empoisonne-
ment au Novitchok, NDLR], toute l’Europe
en parlait… mais en quoi cela concernait-il
la France, l’Italie, la Grande-Bretagne ? Ils ne sa-
vaient même pas ce qui s’était vraiment passé.
Alors que ce projet est celui d’une infrastructure
nous concernant tous. Oui, c’est notre gaz et nos
tubes, mais pour approvisionner l’Europe ! Il a été
détruit et aucun chef d’État ou Premier ministre
de l’UE n’ose poser cette question simple : qui a fait
ça ? Et vous me parlez de politique indépendante
européenne ! Le peuple, lui, est capable de se po-
ser des questions, mais chez lui, pas publiquement.
Dès que quelqu’un s’exprime là-dessus, les services
spéciaux viennent le voir et l’accusent d’être un
agent russe.
Vous pensez que ce que vous dites là arrive
en France ?
Je ne le pense pas, je le sais…
La russophobie existe-t-elle en France ?
Les Français tentent d’y résister parce qu’ils lisent,
regardent des films, vont au théâtre et qu’ils sont
habitués à penser et à réfléchir par eux-mêmes
grâce à leur niveau de culture. Mais on essaie de la
leur imposer d’en haut. Comme en Espagne, au
Portugal et en Grèce §
LIRE L’INTÉGRALITÉ DE L’INTERVIEW SUR lepoint.fr
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 EN COUVERTURE

Les
nouveaux
narcos

54 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625

 Multinationale. Ces quatre barons
de la drogue se sont réunis à Dubai
en 2017. Ils y ont scellé leur association
au sein d’un supercartel pour importer
en Europe la cocaïne colombienne
(photo, le port d’Anvers).

Ridouan Taghi
Mocro Maffia, Pays-Bas
Pieuvre. Torture,
extorsion, assassi-
nats et, bien sûr,
Edin Gacanin ­trafic de cocaïne…
Gang Tito et Dino, Bosnie Le supercartel
formé à Dubai en
2017 a fait de l’Eu-
rope son ­terrain de
jeu. Notre enquête.
Daniel Kinahan
Clan Kinahan, Irlande PAR GUILLAUME PERRIER, ENVOYÉ SPÉCIAL
EN BELGIQUE ET AUX PAYS-BAS

I
ls mesurent 12,20 m de longueur,
2,43 m de largeur et 2,59 m de hau-
teur dans leur version la plus com-
mune. Ils sont rouges, verts, bleus,
rongés par la rouille ou fraîchement
Raffaele Imperiale
OLIVER TJADEN/LAIF-REA – UTRECHT ROBIN/ABACA
repeints, et s’empilent comme des
Camorra, Italie
Lego le long des quais. Les conte-
neurs, ces boîtes métalliques qui cir-
culent nuit et jour sur le port belge
d’Anvers, sont devenus le symbole
du rayonnement de la ville, surpas-
sant presque Rubens et les diamants,
auxquels la cité flamande était
jusqu’alors associée. Anvers en voit
défiler des quantités astronomiques,
12 millions l’année dernière, …

Le Point 2625 | 24 novembre 2022 | 55

 EN COUVERTURE
… ce qui en fait l’un des plus
gros ports européens, avec son voi-
sin néerlandais de Rotterdam. Mais
avec les conteneurs se sont engouf-
frés tous les trafics et notamment
le plus lucratif d’entre eux, celui
de la cocaïne, venue d’Amérique
du Sud. Le port belge concentre
près des trois quarts des importa-
tions européennes de produits agri-
coles du sous-continent – bananes,
ananas, bois –, dans lesquelles se
cachent souvent les cargaisons de
drogue. Il est donc en première
ligne face au tsunami de poudre
blanche qui déferle sur l’Europe.
Les opérations antidrogue sont
quotidiennes. Le jour de notre vi-
site cet automne, sur le quai no 361,
les douanes ont trouvé 6 tonnes
de poudre, dissimulées dans deux
citernes en provenance du Guyana,
ce qui constitue l’une des plus im-
portantes saisies de l’année. Le re-
cord reste l’interception de 11,5 t
en une journée, l’an dernier.
Au volant de son coupé Mercedes, Paul Meyer,
­ancien narco, franchit les sas de sécurité.
« Le port d’Anvers est une vraie passoire. »
56 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
Connecté aux quatre coins de
la planète, le port maritime, avec
ses 150 kilomètres de docks sur
l’estuaire de l’Escaut, enserre la
ville d’Anvers. Il la nourrit et lui
impose son rythme effréné. L’éco-
nomie légale est tournée vers le
port, qui génère environ 65 000 em-
plois directs et quatre fois plus
avec les emplois indirects ; l’éco-
nomie grise, aussi. Le narcotrafic
pèse plus de 50 milliards d’euros,
soit 10 % du produit intérieur brut
de la Belgique. Les restaurants et
hôtels de luxe se sont multipliés
dans la ville pour blanchir une par-
tie de l’argent sale. Ils ne sont pour-
tant que la partie émergée de l’ice-
berg. En moins de cinq ans, Anvers
est devenu l’épicentre d’un trafic
que personne ne parvient à endi-
guer. Au point que l’agence anti-
drogue américaine, la DEA,
compare cette déferlante à celle
qui a frappé Miami dans les an-
nées 1980.
Business florissant. « Autrefois, la traversée de l’Atlan-
En haut, Edin Gacanin tique était un obstacle. Désormais,
(à dr.) et ses hommes l’Europe se trouve dans le jardin de
de main à Dubai, l’Amérique », fait remarquer An-
en janvier. toine Vella, spécialiste cocaïne de
90 tonnes de cocaïne l’Office des Nations unies contre
ont été saisies en 2021 la drogue et le crime (ONUDC). En
dans le port d’Anvers. 2021, les douanes et la police du
C’est 30 % de plus qu’en port belge ont saisi un total record
2020… et dix fois plus de 90 tonnes, 30 % de plus que l’an-
qu’en 2013. née précédente. La croissance est
vertigineuse : plus du double de ce
ARIS OIKONOMOU/AFP – DR
qui était intercepté en 2016 et dix
fois plus qu’en 2013… En 2022, à la
fin octobre, déjà 75 tonnes ont été
saisies. Presque autant ont été dé-
couvertes aux points d’embarque-
ment ou avant d’arriver sur …
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 EN COUVERTURE
DES GANGS ULTRAVIOLENTS
… les docks anversois. Tous les
ports européens de la façade atlan-
tique et méditerranéenne, du plus
vaste au plus discret, sont devenus
le terrain de jeu des narcos, tou-
jours en quête de nouvelles routes.
Au total, plus de 250 tonnes ont
déjà été saisies cette année dans les
terminaux à conteneurs européens.
L’augmentation des prises n’est
pas due qu’à l’efficacité des enquê-
teurs et des forces de l’ordre. Elle
est surtout le résultat d’une offen-
sive sans précédent des cartels de
la drogue qui ont entrepris d’inon-
der l’Europe en profitant de l’in-
tensification du commerce
maritime mondial. À Anvers, les
autorités savent bien que les sai-
sies ne représentent qu’environ
10 % de la quantité qui transite par
le port. Les douanes concèdent que
moins de 2 % des conteneurs sont
inspectés en entrant dans l’enceinte
portuaire. La cocaïne s’infiltre par-
tout, transforme l’économie et
contamine toute l’activité hu-
maine. Le Vieux Continent est en
passe de devenir le premier mar-
Certains dealeurs sont kidnappés et ne refont
jamais surface. D’autres sont criblés de 80 balles
de kalachnikov devant leurs enfants.
58 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
plus en plus sollicités par les nar-
cotrafiquants. « Les informations qui
permettent de savoir sur quel quai et
à quelle heure arrive tel conteneur sont
devenues vitales pour le déchargement
de la cocaïne, explique-t-il. Des collè-
gues ont été contactés sur des parkings
en sortant de leur travail ou dans des
cafés fréquentés par les dockers. Cela
devient très visible. Nous n’avons pas
encore d’assassinats comme aux Pays-
Bas, mais ce n’est qu’une question de
temps. »
L’été dernier, les grenades ont
volé bas et les fusillades à l’arme
automatique ont crépité dans le
centre-ville. Les règlements de
comptes se multiplient pour le
contrôle des docks et de leurs ac-
cès. Pour la criminologue Char-
lotte Colman, de l’université de
Gand, « les motivations qui sous-
tendent ces attaques sont toujours les
mêmes : intimidation, avertissement
Glaçant. Une chambre ou représailles. » Lorsqu’une cargai-
de torture aménagée son s’égare, en cas de saisie, il faut
dans un conteneur a été débusquer les coupables et les faire
découverte en 2020 par payer.
la police néerlandaise.
Des photos du corps 700 millions. Les revenus gé-
torturé de la narcotrafi- nérés par le trafic donnent le tour-
quante Naima Jillal (à n i s . Pa u l Me y e r, a n c i e n
dr.) auraient été trou- contrebandier devenu narcotrafi-
vées dans le téléphone quant, qui a fait la pluie et le beau
de Ridouan Taghi. temps sur le port pendant vingt ans,
en donne un aperçu. Au volant de
son coupé Mercedes, il franchit les
ché mondial, devant les États-Unis. grilles du port et les sas de sécurité
Stephan Vanfraechem, le PDG d’Al- comme d’autres entrent dans un
faport Voka, la structure qui re- moulin. « Le port d’Anvers est une
groupe les 400 entreprises actives vraie passoire », fait remarquer cet
sur le port, ne peut que constater ancien bandit qui n’a aucun mal
l’ampleur prise par le trafic. « Toute à accéder aux docks d’où dé-
la ville est impactée, raconte-t-il. barquent les marchandises en pro-
Anvers devient dangereux. La crimi- venance d’Amérique du Sud.
Victime collatérale. nalité progresse à vue d’œil. Il y a cinq Condamné à dix ans de prison en
Ayla Mintjes a été tuée ans, au sein de notre conseil d’admi- 2009 pour l’importation de di-
par balles en 2021 nistration, personne ne parlait vrai- zaines de tonnes de drogue, il au-
à Amsterdam, alors ment de la cocaïne, c’était une question rait amassé, avec son gang, des
qu’elle circulait en voi- marginale. Aujourd’hui, elle occupe gains de plus de 700 millions d’eu-
ture avec son petit ami, 90 % de notre temps et de nos préoc- ros. Depuis, il dit s’être rangé.
PAYS BAS POLICE/SP (X3) – DR SP – DR/SP
un narcotrafiquant. cupations. » Les dizaines de milliers La Belgique est-elle en train de
de travailleurs sur le port sont de devenir un « narco-État » ? Le mi-
nistre fédéral de la Justice, Vincent
Van Quickenborne, est lui-même
engagé dans un combat personnel
contre les organisations crimi-
nelles. Fin septembre, il a été placé
sous sécurité renforcée après des
menaces d’enlèvement et la …
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 EN COUVERTURE
… découverte d’une voiture
bourrée d’armes à proximité de son
domicile. Enfermé avec sa femme
et ses enfants dans un abri dont le
lieu est tenu secret, Van Quicken-
borne a révélé qu’une « tentative
d’enlèvement a échoué grâce à l’inter-
vention professionnelle des forces de sé-
curité. Cette fois, j’étais la cible, mais
malheureusement, beaucoup de per-
sonnes dans la police et la justice sont
confrontées à cela ». Au total, plus de
200 individus se trouvent sous pro-
tection policière en Belgique en rai-
son de menaces liées au narcotrafic.
« Nous sommes entrés dans l’ère du
narcoterrorisme, a expliqué le mi-
nistre. La pègre veut déstabiliser la
société et tenir le gouvernement. […] Il
en va de la sécurité de notre société, de
notre démocratie. Nous ne pourrons
jamais permettre à la Belgique de de-
venir un narco-État. »
Doigts coupés. La menace se
serait intensifiée après que le mi-
nistre a réclamé l’extradition de
plusieurs trafiquants réfugiés à Du-
bai. Quatre suspects, tous Néerlan-
dais, ont été interpellés aux Pays-Bas
dans la foulée. Parmi eux, un cer-
tain Flor Bressers, âgé de 36 ans et
surnommé le Coupeur de doigts.
Déjà condamné en 2020 pour prise
d’otage, il a été accusé d’avoir tran-
SOUS HAUTE PROTECTION
La princesse Amalia. Menacée, l’héritière du trône néerlandais
vit retranchée à La Haye, renonçant à sa vie d’étudiante.
Le ministre belge de la Justice.
200 kilos de cocaïne à une organi-
sation rivale sur le port d’Anvers.
Deux mois plus tard, ils retentent
l’opération. Les deux criminels
sont kidnappés. On les retrouve
dans le quartier de Borgerhout avec
une balle dans la jambe, des doigts
coupés au couteau et un message
écrit sur le front. La guerre des gangs
fait rage pendant plusieurs années,
entraînant des règlements de
comptes sauvages au grand jour.
Certains dealeurs sont kidnappés
et ne refont jamais surface. D’autres
sont criblés de 80 balles de kalach-
nikov devant leurs enfants. Un der-
nier se fait décapiter, et sa tête est
déposée devant un bar à chicha
d’Amsterdam. La police néerlan-
daise découvre même, en 2020, une
chambre de torture aménagée dans
un conteneur, en pleine campagne.
Les Turtles se réfugient à Nador
(Maroc) et à Dubai. Nordin est tra-
qué. Des grenades sont retrouvées
devant le domicile de sa mère, et
son frère est attaqué à la kalachni-
kov à Amsterdam. De ce chaos
va émerger la figure de Ridouan
Taghi, un petit malfrat d’Utrecht
devenu le boss de la Mocro Maffia
néerlandaise.
« En dix ans, le trafic a fait appa-
raître des figures qui s’appuient sur
des clans puissants », remarque An-

ché l’auriculaire d’une de ses vic-
times, un autre trafiquant, avec un
sécateur. Les autorités belges soup-
çonnent le malfrat d’être lié au
Néerlandais Bolle Jos, un grossiste
en cocaïne implanté à Anvers. À
moins qu’il ne s’agisse de Nordin
le Gros, de son vrai nom Nordin el-
Hajjioui, un criminel âgé de 35 ans,
Anversois d’origine marocaine qui
a grandi dans le Dam, le quartier
du port, mais s’est réfugié à Dubai,
d’où il gère ses affaires. Nordin le
Gros est un membre éminent de
la « Mocro Maffia », la mafia maro-
caine de la drogue qui s’est enraci-
née sur les ports de la mer du Nord
et qui compte parmi les plus vio-
lentes et les plus redoutées dans le
milieu.
Avec sa bande baptisée les Turt-
les (tortues), Nordin le Gros a mis
le feu aux docks voilà dix ans. En
2012, deux de ses « tortues », vêtues
d’uniforme de police, subtilisent
60 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
FIRDIA LISNAWATI/AFP – ERIC LALMAND/AFP – KURT DESPLENTER/BELGA VIA AFP – LEX VAN LIESHOUT/AFP
Vincent Van Quickenborne a fait l’objet toine Vella. « L’explosion des flux
d’une tentative d’enlèvement. entre l’Amérique du Sud et l’Europe
fait que le nombre de conteneurs qui
entrent à Anvers est faramineux, note
Laurent Laniel, expert pour le
Centre européen d’analyse des dro-
gues et des toxicomanies (voir en-
tretien p. 74). Certains criminels sont
devenus experts en parasitage de ce
commerce pour faire passer de la
drogue. » Des petites mains spécia-
lisées dans le vol de conteneurs
vont développer des compétences
précieuses. La Mocro Maffia se fait
spécialiste en extraction sur les
ports européens. Le phénomène,
Le Premier ministre néerlandais. Mark Rutte a été pris note le chercheur, s’accompagne
en filature par des guetteurs d’un gang de narcotrafiquants. d’une « énorme corruption , la chaîne
criminelle nourrit tout un tas d’ac-
teurs et cela favorise la dissémina-
Rien n’arrête Taghi. Depuis tion du produit », indique-t-il. Un
conducteur de « cavaliers », ces
la prison de haute sécurité grues qui déchargent les conte-
neurs, peut se voir proposer
de Vught, il sème la terreur. 100 000 euros pour en …
 EN COUVERTURE
… déplacer un. Les intermé- Gros bras. L’Irlandais
diaires sont souvent rémunérés Daniel Kinahan (à g.),
en cocaïne. À leur tour, ils de- toujours en cavale,
viennent revendeurs et contri- en compagnie du
buent à la propagation de la drogue. culturiste américain
Le port d’Anvers aimante les Martyn Ford.
plus grosses cargaisons de cocaïne,
mais la plaque tournante des
groupes criminels est située aux
Pays-Bas. Ridouan Taghi est consi-
déré comme l’un des plus puis-
sants narcotrafiquants européens.
Son ascension est fulgurante. Issu
d’une famille de contrebandiers Ennemi public n° 1.
du Rif, le centre mondial de la pro- Ridouan Taghi, arrêté à
duction de haschisch, dans le nord Dubai en 2019, est ac-
du Maroc, il prend très tôt le tour- cusé de meurtres et de
nant de la cocaïne. Les Marocains tentatives de meurtres.
ont l’avantage de maîtriser les
routes de trafic par l’Espagne et
font remonter la drogue arrivée
d’Amérique du Sud. Ses gains se
multiplient. Il change de stature.

Le pacte de Dubai. Avec trois

autres barons de la drogue – l’Ita-
lien Raffaele Imperiale, membre Scannez ce QR code
de la Camorra napolitaine, l’Irlan- pour retrouver notre
dais Daniel Kinahan, un fameux enquête en vidéos.
promoteur de boxe proche du
champion du monde Tyson Fury,
et le Bosnien Edin Gacanin – Ta- Coup de filet. L’Italien Raffaele
ghi réunit un conclave dans le ­Imperiale lors de son arrestation
somptueux hôtel Burj al-Arab de à Dubai, le 4 août 2021.
Dubai, en 2017, au cours d’une fête
de mariage. Les quatre hommes
scellent leur association au sein
d’un supercartel pour importer
des tonnes de poudre colombienne
en Europe. Les enquêteurs néer-
landais estiment que le groupe dé-
tient alors un tiers du marché.
Lorsqu’il est appréhendé dans
sa luxueuse villa à Dubai en 2019,
alors qu’il regarde la télé avec sa
petite amie, un verre de bordeaux
DR (X2) – UTRECHT ROBIN/ABACA

à la main, Ridouan Taghi est l’un

des criminels les plus recherchés
du monde. Lié aux cartels sud-amé-
ricains ainsi qu’au président du
Suriname Dési Bouterse (battu aux
élections de 2020) ou encore au gé-
néral iranien Qassem Soleimani
(tué en 2020 par les Américains),
il est aussi suspecté d’être lié à des
dizaines d’assassinats en Europe
occidentale, au Maroc ou en Répu-
La défection d’un de ses tueurs à gages va faire
blique dominicaine. Pendant des
années, il a imposé sa loi par l’ul-
vaciller l’entreprise de Ridouan Taghi. Devise
traviolence. de l’organisation : « Celui qui parle meurt. »
62 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
 La défection de l’un de ses tueurs à gages, Nabil Ba-
kkali, va faire vaciller son entreprise. En janvier 2017,
Bakkali est chargé d’abattre « Imo », un Marocain qui
avait livré des informations à un clan rival. Mais il se
trompe de cible et assassine un voisin, Hakim Chan-
gachi, à Utrecht. Il en prend conscience en regardant
le journal télévisé le lendemain. Sa victime se trouve
être une ancienne connaissance, Bakkali a même été
invité au mariage de sa sœur… Rongé de remords, il
va présenter ses excuses à la famille et se rend à la po-
lice. Ce faisant, il signe son arrêt de mort car Taghi va
tout mettre en œuvre pour faire taire celui qu’il sur-
nomme désormais Chekkam, « la balance ». Et faire
respecter la devise de l’organisation : « Celui qui parle
meurt. » Son frère, Reduan Bakkali, tombe le premier
sous les balles, en 2018. L’année suivante, son avocat
Derk Wiersum est abattu dans sa voiture à Ams-
terdam. Des menaces sont lancées contre les médias
néerlandais qui enquêtent sur la Mocro Maffia. Le
quotidien Panorama est la cible d’une attaque au
lance-roquettes pour avoir publié les noms des lieute-
nants du parrain. Cinq jours plus tard, une voiture-bé-
lier fonce dans le hall d’entrée du grand journal De

La justice américaine a
­promis 5 millions de dollars
à qui aiderait à la capture
de ­l’Irlandais Daniel Kinahan.
Telegraaf, qui mobilise deux reporters à plein temps
pour enquêter sur les affaires de cocaïne… Des dizaines
de journalistes sont placés sous protection. En 2021,
le journaliste d’investigation Peter De Vries, figure
médiatique devenue le conseiller et le confident de
Bakkali, est froidement assassiné par deux tueurs.
Tout le pays est sous le choc.
Rien n’arrête Taghi. Depuis la prison de haute sé-
curité de Vught, près de Bois-le-Duc, il sème la ter-
reur. Il transmet ses ordres par le biais de son avocat
et neveu, Youssef. Il aurait tenté de s’évader par héli­
coptère. Plus personne n’est à l’abri. Même le Premier
ministre néerlandais, Mark Rutte, a été placé sous
protection après que les services de sécurité ont sur-
pris des guetteurs de la mafia en pleine filature. En
octobre 2022, c’est la princesse Amalia, 18 ans, héri-
tière du trône, qui est à son tour flanquée d’une es-
corte policière. Exfiltrée de son logement étudiant,
où elle se rendait à vélo, elle est confinée dans le pa-
lais royal de La Haye. « Un ambassadeur en Afrique a
également été menacé, précise une source proche de
l’enquête aux Pays-Bas. Un tel otage constituerait un
ticket de sortie de prison pour Taghi. C’est comme cela qu’il
négocie. » Si l’organisation de Taghi a été largement
décapitée – de 30 à 40 personnes sont aujourd’hui
sous les verrous, sans compter celles qui ont …
 EN COUVERTURE

La cocaïne, un trafic mondialisé

La production et le commerce de cocaïne battent des records. Les cartels inondent
le monde et particulièrement l’Europe, en passe de devenir le premier marché. Pays-Bas
Rotterdam Allemagne
Belgique Hambourg
Pays Pays ou zones Pays de Flux en grosses quantités Ports Anvers
producteur de transit destination Flux en petites quantités

France
Le Havre

États-Unis
Espagne
Valence Italie
Turquie Gioia Tauro
Maroc
Mexique Caraïbes

Venezuela Sénégal Saisies de cocaïne, en 2019

Guinée-Bissau
Colombie Guinée
Par régions du monde
Guyane
Buenaventura Suriname française (Conakry) Côte Le marché mondial
19 %
Équateur d’Ivoire Golfe est estimé entre 1 436 tonnes Amérique
et 13
8milliards
Guayaquil de Guinée
Pérou du Nord
Bolivie Brésil 53 %
de Amérique
Santos
Paraguay
dollars par an du Sud 15 %
Europe

Production annuelle 2 000

de la Colombie Par pays

215 t 240 t
En tonnes Colombie 34%
États-Unis 18 %
1 784 La Colombie représente saisies en 2020 saisies en 2021 Brésil 7%
à elle seule 70 % de la production pour l’Union européenne, pour 4 pays seulement Belgique 4,5 %
la Norvège et (Pays-Bas, Belgique, Pays-Bas 3,1 %
2019 2021 la Turquie. Espagne, France). France 1% Sources : ONUDC, Iris.

… été tuées –, c’est dans le
« Bunker » que se joue sa survie.
Le Bunker est le surnom que les
journalistes ont donné à la salle
d’audience sécurisée installée en
banlieue d’Amsterdam où se tient
le procès de Taghi et de 16 de ses
complices présumés. Les avocats
des parties civiles y plaident le vi-
sage masqué ; les accusés compa-
raissent derrière une vitre blindée.
L’enquête « 26Marengo », ouverte
en 2017, devrait déboucher sur des
condamnations à perpétuité au
cours de l’année 2023, prédit un
journaliste néerlandais qui suit
les procès. Sans mettre fin pour
autant au trafic. « Il reste quelques
gros bonnets à Dubai, fait-il remar-
quer. Le marché était tenu par une
ou deux organisations, maintenant il
y en a 20 ou 30. La croissance du bu-
siness a créé beaucoup d’espace. »
Les pionniers du secteur, les Su-
rinamiens et les gangs sud-améri-
64 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
cains, ont perdu du terrain dans les
ports européens. Moins média-
tiques mais non moins violentes
que la Mocro Maffia, d’autres orga-
nisations se font une place au so-
leil. Les Mexicains ont dépêché
leurs sicarios (assassins). La Camorra
napolitaine et la Ndrangheta cala-
braise, les clans balkaniques, la ma-
fia turque, d’autres encore se sont
engouffrés. L’Irlandais Daniel Ki-
nahan, l’un des membres du super-
cartel de Dubai, est toujours en
cavale. Il dormirait sur un magot
de 1 milliard de dollars. La justice
a promis 5 millions à qui pourrait
conduire à sa capture. Avec des
moyens technologiques et finan-
Au Havre, premier port français de conteneurs,
enlèvements crapuleux, règlements de comptes
et menaces contre les dockers se multiplient.
ciers toujours plus importants, les
mafias ont un temps d’avance sur
les polices mondiales. Les narcos
disposent désormais de laboratoires
de fabrication de cocaïne sur le sol
belge. Les autorités en ont décou-
vert une dizaine en 2021 ; les
chimistes colombiens y formaient
des alliés albanais.
Quelques petits secrets des ba-
rons de la drogue ont tout de même
pu être percés à jour grâce au dé-
chiffrage en 2020 de messageries
cryptées (Sky ECC) en circuit fermé
utilisées par les narcotrafiquants.
Des centaines d’enquêtes ont ainsi
été ouvertes, faisant tomber des
têtes de réseaux et conduisant à
des dizaines de tonnes de saisies. Les proches de Ta-
ghi et Kinahan sont appréhendés les uns après les
autres. « Cela permet avant tout de mieux comprendre
la mécanique des trafics et de s’apercevoir de l’ampleur
énorme de la corruption », observe Laurent Laniel. En
septembre, un agent de la police fédérale belge a été
placé en détention. Il est soupçonné d’avoir proposé
1 million d’euros à des douaniers du port d’Anvers
pour se faire ouvrir un conteneur dans lequel se trou-
vaient plusieurs centaines de kilos de cocaïne. Le
quartier de Borgerhout, comme celui des Neiges, au
Havre, sont soumis à l’économie de la drogue. Les
employés des ports sont bien sûr en première ligne.

« Effet rebond ». Anvers et Rotterdam sont l’épi-

centre, mais, par ricochet, les ballots de poudre ar-
rivent sur les docks de tous les ports européens. Le
trafic entraîne avec lui des montagnes d’argent, des
explosions de violence et des méthodes criminelles
propres aux narcotrafiquants. Au Havre, premier
port français de conteneurs, les douanes ont inter-
cepté 12 tonnes en 2021, la moitié des saisies natio-
nales. « Le phénomène y est clairement similaire à celui
qu’on observe à Anvers », note Stéphanie Cherbonnier,
la directrice de l’Office anti-stupéfiants (Ofast). Mêmes
organisations, mêmes méthodes. En avril 2022, une
fusillade a éclaté en pleine journée lorsque des poli-
ciers ont tenté d’arrêter des trafiquants qui suivaient
un conteneur bourré de cocaïne en provenance d’Amé-
rique du Sud. Enlèvements crapuleux, règlements
de comptes et menaces contre les dockers se multi-
plient. Une vingtaine de cas au moins ont été réper-
toriés en trois ans. En 2020, Allan Affagard, 39 ans,
délégué syndical, a été kidnappé à son domicile en
pleine nuit par des hommes cagoulés. Son corps tor-
turé a été retrouvé le lendemain sur un parking. Le
parquet de Lille a ouvert une information judiciaire
sur les chefs d’« enlèvement, arrestation, détention, sé-
questration arbitraire suivie de mort en bande organisée,
de torture et actes de barbarie avec préméditation ou guet-
apens »… Allan Affagard avait été mis en examen trois
ans plus tôt, soupçonné d’avoir participé au déchar-
gement d’une cargaison de cocaïne sur le port. « Il
faut accompagner les dockers pour les sortir des griffes
des trafiquants », s’est ému le député communiste de
Seine-Maritime Jean-Paul Lecoq.
Les transporteurs brouillent les cartes, emprun-
tant souvent des routes sinueuses avec plusieurs
ports intermédiaires. Les douaniers nomment cela
l’« effet rebond ». Pour éviter Le Havre, les sacs de co-
caïne arrivent parfois à Saint-Nazaire, à Mon-
toir-de-Bretagne. Là aussi, les narcos ont infiltré la
confrérie des dockers. Deux d’entre eux ont été in-
terpellés en octobre, alors qu’ils s’emparaient de sept
sacs de sport contenant 232 kilos. L’un était le neveu
de « Youyou », docker connu sur le port et condamné
en janvier 2022 à sept ans de prison pour des faits si-
milaires. Des saisies ont aussi été réalisées à La Rochelle,
à Bayonne, à Roscoff, à Dunkerque… La cocaïne n’a
pas fini de gangrener le littoral §
 EN COUVERTURE
Au Suriname, le « shérif »
En croisade. Ancien policier,
le ­président Chan S­ antokhi s’attaque
à plus puissant que lui. Rencontre.
PAR GUILLAUME PERRIER,
ENVOYÉ SPÉCIAL À PARAMARIBO
«T
out le monde connaît mes
états de service et le surnom
que l’on m’a donné. » Le pré-
sident du Suriname, Chan San-
tokhi ne se fait pas prier pour
rappeler son passé de « flic ». An-
cien inspecteur, commissaire puis
chef de la police judiciaire, repré-
sentant de la Commission intera-
méricaine de lutte contre l’abus
des drogues dans les années 1990,
il devient ministre de la Police et
66 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
de la Justice en 2005 et déclare la
guerre aux narcotrafiquants… Mal-
gré des succès mitigés, ce sexagé-
naire à la poignée de main
chaleureuse, issu de la minorité
indienne du Suriname, en a hérité
un sobriquet qui lui colle à la peau,
le « shérif ». Chan Santokhi a passé
une bonne partie de sa vie à lutter
contre les organisations crimi-
nelles qui ont fait de son pays une
plateforme mondiale du trafic de
drogue. Chef de l’État depuis 2020,
son adversaire reste le même : la
cocaïne.
Le Suriname, ancien comptoir
sucrier coincé entre l’Amazonie et
l’océan Atlantique, au centre du
plateau des Guyanes, est devenu
un point de départ privilégié des
convois de drogue entre l’Amé-
rique du Sud et l’Europe. Mais sa
géographie n’est qu’une partie de
l’explication. « L’intérieur du pays
reste utilisé comme piste d’atterris-
sage pour le transport de la cocaïne
depuis la Colombie, et la côte comme
Coopération. point de transit vers l’Europe, l’Afrique
Le 30 septembre, et même l’Asie, reconnaît Santokhi
le président surinamien dans une interview au Point. On en
Chan ­Santokhi reçoit voit l’impact sur la criminalité, la vio-
dans son palais lence, les meurtres et les enlèvements,
­présidentiel de qui sont des symptômes de ce trafic. »
­Paramaribo le ministre Le « shérif » veut briser ce lien
de la Justice français, mortifère. « Nous démantelons des
AFP
Éric ­Dupond-Moretti. réseaux, nous arrêtons des trafiquants,
contre les trafiquants
nous détruisons des pistes illégales et
saisissons des avions. Mais nous avons
besoin de plus de capacité d’action »,
constate-t-il. L’armée de ce petit
pays d’à peine 600 000 habitants
ne possède que trois hélicoptères,
confesse la ministre de la Défense,
Krishna Mathoera, elle aussi issue
des rangs de la police antidrogue.
« Sans système de radar performant,
il est impossible de contrôler les petits
appareils qui transportent la drogue
et se jouent des frontières », ajoute
Santokhi, qui a demandé de l’aide
à la France, en septembre, pour sur-
veiller le ciel depuis la Guyane et
la base spatiale de Kourou. En at-
tendant, une déferlante de cocaïne
s’abat sur la région. Sur les douze
derniers mois, le gouvernement
annonce avoir saisi 1,5 tonne… Une
quantité dérisoire en comparaison
de ce qui transite par le pays.
On ne peut plus débarquer au
Suriname avec le regard de Can-
dide. Dans le conte de Voltaire, son
héros y croise un esclave affreuse-
ment mutilé par ses maîtres. « C’est
à ce prix que les Européens mangent
du sucre », lance l’esclave à Candide.
Deux cent cinquante ans plus tard,
l’esclavage a été aboli et le Suri-
ERTUGRUL KILIC/AP/SIPA – YOUTUBE CAPITALNEWSGY.COM/DR
name exporte vers l’Europe une
poudre blanche d’une autre na-
ture. La part de la cocaïne dans le
produit intérieur brut du pays se
situerait entre un tiers et la moi-
tié, selon les experts. L’ancienne
colonie britannique puis néerlan-
daise, indépendante depuis 1975,
traîne l’image d’un narco-État in-
fréquentable. Même Netflix a pro-
duit cette année une série,
Narco-Saints, où le pays est aux
mains de dirigeants corrompus et
brutaux, associés aux cartels.
« La côte est utilisée comme point de transit
vers l’Europe, l’Afrique et même l’Asie. On en voit
­l’impact sur la criminalité. » C han Santokhi
le couvert de la jungle. Les petits
avions arrivent à la chaîne depuis
la Colombie et larguent des bal-
lots de coke sur le pays. Des na-
vires cargos acheminent la
marchandise vers les grands ports
européens, souvent via l’Afrique.
Immunité. Pendant ce temps,
Ronnie Brunswijk est devenu l’op-
posant numéro un. Ce « marron »,
descendant d’esclaves noirs affran-
chis, fraye aussi avec les trafiquants
de drogue et d’or, le long du fleuve
Maroni, qui trace la frontière avec
la Guyane française. Sur le marché
de la dope aussi, Brunswijk devient
Entente. L’ancien président Desi Bouterse a négocié dès les années 1980 le premier concurrent de Bouterse.
avec Pablo Escobar les bases du trafic entre la Colombie et le Suriname. L’un et l’autre, ayant troqué le treil-
lis pour le costume, deviennent
Desi Bouterse a beaucoup fait chefs de parti, mais ils continuent
depuis quarante ans pour nourrir de tirer les ficelles de la politique et
cette réputation. En 1980, ce colo- du trafic. Brunswijk est condamné
nel prend le pouvoir par un coup par la justice française à dix ans de
d’État. Il se rapproche de l’Union prison en 1999. Un mandat d’arrêt
soviétique et de Cuba. Il réprime international est lancé contre lui,
l’opposition. Une rébellion emme- mais le Suriname n’extrade pas ses
née par son ancien garde du corps ressortissants. En 1999, Bouterse
Ronnie Brunswijk l’entraîne dans Clan. Dino Bouterse, est condamné par contumace par
une guerre civile. Bouterse signe le fils de ­l’ex-président, un tribunal néerlandais. Sa peine
un pacte avec le diable, invite les a été condamné en est réduite à onze ans en appel l’an-
narcotrafiquants à sa table. Et no- 2015 pour trafic de née d’après. Déjà, Chan Santokhi
tamment le cartel colombien de ­drogue, d’armes montre la volonté de s’attaquer
Medellin, alors à l’apogée de sa et terrorisme. au trafic. Ministre de la Police et
puissance. Dès la fin des années de la Justice à partir de 2005, il su-
1980, le baron des « narcos », Pablo pervise une enquête qui mène à
Escobar, vient à plusieurs reprises la condamnation de Dino, le fils
à Paramaribo. Il est reçu comme de Bouterse, à huit ans de prison
un chef d’État. Entre deux coupes pour trafic de drogue et d’armes.
de champagne, il convainc Bou- Celui-ci sera libéré au bout de trois
terse de faire du Suriname une ans pour bonne conduite.
plateforme d’exportation de la co- En 2010, Desi Bouterse revient
caïne. Le deal va lier les destins. au pouvoir, cette fois par les urnes.
Bouterse ouvre ses ports, ses aéro- Il recouvre son immunité qu’il
ports, les fleuves et les dizaines de conservera jusqu’en 2020. Les af-
pistes de fortune disséminées sous faires reprennent. Mais son fils
Dino, nommé par son père à la tête
de l’Unité antiterroriste, se fait pié-
ger par l’agence antidrogue amé-
ricaine, la DEA, au cours d’une
opération rocambolesque. Le jour
même où le président Bouterse ac-
cueillait à Paramaribo le …
Le Point 2625 | 24 novembre 2022 | 67
 EN COUVERTURE
… sommet des chefs d’État
d’Amérique du Sud, on annonce la
nouvelle de l’arrestation de son fils
au Panama avec, dans son avion,
de la cocaïne et des armes. Dupé
par les agents de la DEA, qui
s’étaient fait passer pour des
membres du Hezbollah libanais,
Bouterse Jr avait proposé d’héber-
ger au Suriname un camp d’entraî-
nement terroriste. Extradé vers les
États-Unis, il est condamné en 2015
à seize ans de prison et enfermé
dans un pénitencier du Tennessee.
Le père, à qui Chan Santokhi avait
promis la prison, vit toujours en
liberté au Suriname. « Bouterse ap-
partient au passé », assure l’actuel
président, sans vraiment
convaincre.
Dans son combat contre le tra-
fic de cocaïne, Santokhi dispose
d’une étroite marge de manœuvre.
Son pays est durement frappé par
la crise économique et l’inflation.
L’argent de la cocaïne et toute l’éco-
nomie grise qui en découle servent
de carburant. Mais le pays négocie
un prêt avec le Fonds monétaire
international (FMI) et doit donner
des gages de bonne gestion. Pen-
dant ce temps, les deux barons su-
rinamiens rôdent. Bouterse, malgré
ses 77 ans, demeure incontour-
nable. Brunswijk, lui, a fait alliance
avec le vainqueur, qui avait besoin
d’une coalition. Il a obtenu le poste
de vice-président, grâce auquel il
peut continuer à diriger un réseau
de trafiquants, assurent des sources
aux Pays-Bas… Son frère a été placé
au conseil d’administration du port
de Paramaribo, d’où partent des
milliers de conteneurs à destina-
tion des ports européens…. Le shé-
rif a les mains liées.
Sous la pression des Pays-Bas, le
ménage a été fait à l’aéroport inter-
national. Les vols vers Amsterdam
sont passés au peigne fin, les pas-
sagers scannés des pieds à la tête.
Cela n’empêche pas des prises quasi
quotidiennes mais les « mules »,
Le Suriname, qui négocie un prêt avec
le Fonds monétaire international (FMI),
doit donner des gages de bonne gestion.
68 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
Mer des Antilles
OCÉAN
ATLANTIQUE
PANAMA
VENEZUELA
SURINAME
GUYANA
COLOMBIE
ÉQUATEUR
A M A Z O N I E
A m azo n
PÉROU BRÉSIL
sous la pression, se sont massive-
ment reportées sur la Guyane fran-
çaise, plus perméable. En revanche,
le port de Paramaribo reste une
zone grise où règnent la corruption
et l’argent sale. « Personne ne sait
exactement ce qu’il s’y passe et ce qui
y passe, ironise une bonne source.
Les plus grosses quantités partent de
là. » La police belge a annoncé le
18 octobre avoir saisi plus de
6 tonnes de cocaïne dans le port
d’Anvers en provenance du Suri-
name : la drogue cachée dans deux
citernes avait en fait embarqué au
Guyana voisin. Mais une autre
tonne a été retrouvée dans les pa-
rois d’un conteneur, destiné à Rot-
terdam. Le trafic continue à un
rythme industriel. Le procédé est
immuable. De petits avions char-
gés de centaines de kilos atterrissent
sur des pistes tracées à coups de ma-
chette dans la forêt ou, dans le Nord-
Ouest, larguent de gros ballots ronds
de 50 kilos dans les rizières. La co-
Vers caïne voyage ensuite dans les stocks
la France de riz, embarqués depuis le port
voisin de Nickerie, dans des cargai-
sons de bois ou de fruits. « Chaque
interstice est exploité par les trafiquants
pour faire passer leur produit », pour-
GUYANE suit cet observateur. Les narcos re-
FRANÇAISE doublent d’inventivité. La police a
Maroni découvert au moins un sous-ma-
rin qui acheminait la cocaïne par
e les fleuves. Certains de ces submer-
500 km
sibles peuvent même traverser
l’océan sans se faire repérer.
Les cartels exploitent la proxi-
mité du Suriname avec l’Amazo-
nie brésilienne et le Venezuela. Les
puissants gangs colombiens et bré-
siliens se sont installés de longue
date dans les quartiers de Parama-
ribo, dont ils tiennent une partie
de l’activité. Mais ce comptoir dis-
cret et sa position centrale sur le
marché de la cocaïne ont attiré
aussi les importateurs de l’autre
côté de l’Atlantique, les mafias néer-
landaises, balkaniques, italiennes
et turques…
Ingénieux. Les « narco
sous-marins » assem- Blanchiment. La Turquie est un
blés dans la forêt sont nouvel acteur majeur du trafic de
utilisés pour transpor- cocaïne : ses ports, connectés aux
ter discrètement la grands ports sud-américains, en
­cocaïne. Certains ont fait un « hub mondial » selon un
peuvent désormais rapport du site spécialisé Insight
­traverser l’Atlantique. Crime publié en juin 2022. Et la
mafia turque, bien implantée à Pa-
ramaribo, s’est spécialisée dans le
blanchiment des narcodollars. « De-
puis quelques années, les casinos
35 poussent comme des champignons »,
note un observateur bien rensei-
à 50%
gné. Plus d’une trentaine d’établis-
sements, parfois installés côte à
C’est la part estimée
côte… La majorité d’entre eux ap-
de la cocaïne partiennent à des enseignes
dans le PIB turques. Le Princess de Paramaribo
du Suriname. est la propriété du magnat turc des
casinos Sudi Özkan qui, depuis sa
base de Saint-Martin, dirige un em-
pire du jeu dans les Caraïbes. À la
fin des années 1990, la Turquie a
fermé tous ses casinos après une
ARCHIVES POLICE DU SURINAM/DR
série de scandales politico-mafieux.
« Il y a vingt-cinq ans, nous avons dû
quitter la Turquie », témoigne
­Hüseyin, un Turc de 55 ans qui tra-
vaille comme manager dans l’un
de ces établissements de jeu. Au
Suriname, les mafias ont trouvé
un nouvel eldorado §
 EN COUVERTURE

Flagrant délit. Quartier

du Clou-Bouchet, cœur
névralgique du trafic
à Niort, le 9 novembre.
Une unité de la brigade
anticriminalité (Bac) pro-
cède à l’arrestation d’un
individu en possession
de résine de cannabis
et de plus de 500 euros
d’argent ­liquide.

Niort, sa cocaïne, ses

mules et ses « baltringues »
Hub. Archétype de la ville moyenne double avec l’agglomération). Les
affaires au tribunal correction-
où il fait bon vivre, la préfecture des nel se succèdent, avec des saisies
d’argent et de drogue en quantité
Deux-Sèvres voit le trafic de stupé- impressionnante. En mai, un pas-
SEBASTIEN ORTOLA/REA POUR « LE POINT » (X3)

fiants monter en flèche. Reportage.
PAR ERWAN SEZNEC,
ENVOYÉ SPÉCIAL À NIORT
confite, aurait la vertu médicinale
de rendre heureux. Ces dernières an-
nées, hélas, Niort est aussi devenu
seur a été arrêté à la gare avec dans
son estomac 1,3 kg de gélules de co-
caïne, soit plus de 85 000 € de valeur
marchande au détail (le gramme se
négocie localement à 66 € environ).
En 2018, les Deux-Sèvres étaient le

C
’est la porte du Marais poitevin,
la capitale française des mu-
tuelles – siège de la MAIF, de
la Maaf et de la Macif – mais aussi
la ville de l’angélique, plante qui,
70 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
un hub pour des substances eupho-
risantes moins anodines. Tout in-
dique que la ville voit transiter un
trafic de cocaïne démesuré par rap-
port à sa taille (60 000 habitants, le
deuxième département en termes
de saisies de cocaïne.
Pourquoi Niort ? Probablement
parce qu’il y avait une place à
prendre, du point de vue des trafi-
quants. Il y a quelques années en-
core, les consommateurs niortais
montaient reconstituer leur stock
à Nantes, à Paris, voire à Lille, pour
bénéficier de prix plus intéres-
sants. « Aujourd’hui, ce sont plutôt
les Nantais qui viennent s’approvi-
sionner à Niort », souligne le procu-
reur Julien Wattebled. Niort n’est
d’ailleurs pas un cas isolé. D’autres
villes de l’ouest réputées tran-
quilles comme Nantes, Vannes,
Brest ou Alençon ont vu le tra-
fic de drogue (cocaïne mais aussi
cannabis) monter en puissance
ces dernières années. Les princi-
paux spots de trafic s’y trouvent
dans les quartiers sensibles : Ma-
lakoff et le Breil à Nantes, Kercado
et Ménimur à Vannes, Pontané-
zen à Brest, Perseigne à Alençon,
le Clou-Bouchet à Niort.
Soucieux de ne stigmatiser
­personne et de préserver l’image
de leur ville, de nombreux élus lo-
caux éludent toutes questions à ce
sujet. Le maire de Niort n’en fait
pas partie. Jérôme Baloge (Parti
« Oui, des réseaux en liaison
directe avec la Guyane sont
à l’œuvre ici. » J érôme Baloge,
maire de Niort
Routine. Après l’inter- radical) a été élu en 2014 et réélu
pellation, les policiers confortablement en 2020 avec le
trouvent des sachets soutien de LR et LREM. Il a choisi
de cannabis cachés la clarté. « Oui, le trafic de drogue
sous une voiture garée a pris une ampleur préoccupante à
non loin. Niort, oui, des réseaux en liaison di-
À droite : emmené recte avec la Guyane sont à l’œuvre
au commissariat sans ici. Cela ne veut pas dire que Niort est
opposer de résistance, devenu une ville dangereuse ni que les
l’individu placé en Guyanais dans leur ensemble sont des
garde à vue est fouillé, délinquants, bien entendu, mais le pro-
ses ­effets personnels blème est réel. J’ai été confronté trop de
sont inventoriés. fois physiquement à des situations ten-
dues qui auraient pu dégénérer pour
le nier. La bonne nouvelle, c’est que lo-
calement, personne n’abandonne le
terrain. Les élus, la justice, la police,
la préfecture, les éducateurs spécia-
1,3 kg
de gélules
lisés et le bailleur social ne laisseront
pas le Clou-Bouchet aux dealers. »
de cocaïne Bénéfice-risque. « On parle
C’est ce que conte- des Guyanais par commodité de lan-
nait l’estomac gage, dit le procureur Wattebled.
d’un passeur arrêté En réalité, la drogue transite par la
en mai à la gare,
pour une ­valeur Guyane, en provenance du Suriname
marchande au détail et ceux qui trempent dans le trafic ne
de 85 000 euros. sont pas tous guyanais, loin de là. »
Parler du Clou-Bouchet est d’ail-
leurs un autre raccourci. À Niort,
c’est le principal lieu de vente,
pas le seul. Les organisateurs du
trafic n’y vivent pas. Ils l’utilisent
comme plateforme de distribution
et de réexpédition. Une partie de
la drogue qui passe par Niort est
destinée à d’autres villes, petites
Le Point 2625 | 24 novembre 2022 | 71
ou grandes, comme Bordeaux,
La Rochelle, Bressuire, etc.
Les « mules » prennent un vol
Cayenne-Paris, l’estomac lesté de
plusieurs centaines de grammes
de cocaïne, répartis en petits pa-
quets soigneusement enveloppés.
Une fois à Roissy, les convoyeurs
transitent souvent par Meaux,
où se trouveraient des têtes de ré-
seau, avant de descendre en train
jusqu’aux Deux-Sèvres. « Les trafi-
quants envoient des mules en grand
nombre pour saturer le dispositif de
surveillance », explique le commis-
saire Bertrand Baud, délégué dé-
partemental à la sécurité publique
des Deux-Sèvres. Au tarif niortais,
un seul vol représenterait près de
2 millions d’euros de vente au dé-
tail… Arrêté en gare de Niort en
avril 2022 avec 1 kilo de cocaïne
dans son estomac, un jeune Guya-
nais de 24 ans a avoué aux enquê-
teurs qu’il était rémunéré 6 000 €
par voyage. Il a écopé de quatre ans
ferme et de 78 000 € d’amende en
correctionnelle devant le tribunal
local en mai.
L’argent du trafic n’est pas
blanchi dans les Deux-Sèvres, se-
lon le parquet. Les sommes en jeu
sont trop importantes. Elles re-
partent probablement pour l’Amé-
rique latine. Les petites mains qui
écoulent la marchandise dans la
rue, de leur côté, ne font …
 EN COUVERTURE
… pas fortune. Un guetteur
au Clou-Bouchet empoche une
centaine d’euros par jour. C’est à
la fois beaucoup pour un gamin
sans diplôme et peu par rapport
aux risques encourus. « On tra-
vaille sur les filières pour coincer les
gros, mais on ne lâche pas les petits
trafiquants », expliquent à l’unis-
son le commissaire Baud et le pro-
cureur Wattebled. L’objectif est de
créer des barrières à l’entrée sur le
marché local de la drogue, en har-
celant les organisateurs, les re-
vendeurs et les clients. La police
niortaise a reçu quatorze agents
en renfort ces dernières années,
sans compter l’agent Diesel, un
malinois de deux ans, chien anti-
drogue d’une efficacité éprouvée.
Sans relâche. Dans un contexte
de plein-emploi (le secteur de Niort
compte 5 % de chômeurs), les
dealers se heurtent à des difficul-
tés de recrutement, comme tous
les employeurs. La brigade anti-
criminalité (Bac) s’emploie à les
accentuer en asséchant le réser-
voir de main-d’œuvre. « Lui, par
exemple, on sent qu’il n’a pas le ni-
veau », commente Tony, de la Bac,
en passant les menottes au jeune
Adam (les prénoms ont été chan-
gés). Adam a une vingtaine d’an-
nées. Long et maigre, il répond
d’une voix éteinte aux policiers.
Il vient de se faire cueillir sans op-
poser de résistance, au Clou-Bou-
chet, avec près de 500 € en espèces
et un sachet de cannabis dans les
poches. L’argent de son stage et
sa consommation personnelle,
avance-t-il. Pas de chance, sous
une voiture, Étienne, l’équipier
de Tony, a retrouvé la cagoule et
le petit stock de sachets de résine
(aux couleurs de la Fédération fran-
çaise de foot !) qu’Adam venait de
« Mon objectif est que le deal
soit tellement ingrat que
les revendeurs ne trouvent
personne pour s’y coller. »
Bertrand Baud, commissaire
72 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
Redoutable. Aux pieds dissimuler en voyant arriver le
de son maître, un mali- véhicule de la Bac. Adam ne jure
nois de deux ans dressé pas, ne s’énerve pas. Il semble in-
pour détecter drogues différent à tout ce qui lui arrive,
et billets de banque. y compris sa mise en examen, qui
aura lieu dans la foulée. « Un bal-
tringue…, résume le commissaire
Baud. C’est bien. Mon objectif est que
le deal soit tellement ingrat que les re-
vendeurs ne trouvent personne pour
s’y coller. » Ils ne sont pas tous aussi
« bon client », déplore Tony. « Cer-
tains trafiquants sont armés, prêts à
tirer pour défendre la recette du jour
ou leur territoire. »
Sur le plan commercial, le
Clou-Bouchet est un emplace-
ment qui vaut de l’or. Quadrilatère
de quelques centaines de mètres de
côté traversé de larges boulevards,
le point de deal est idéal pour un
trafiquant de drogue. Ce n’est pas le
quartier le plus glauque de France.
Ayant bénéficié de la sollicitude de
l’Agence nationale de rénovation
urbaine (Anru), il a été repeint, re-
planté, remis aux normes, le tout
pour plus de 100 millions d’eu-
ros entre 2007 et 2014. Quelques
barres des années 1980 encore dans
leur jus permettent de mesurer le
travail accompli. La majorité des
immeubles de trois à six étages
­affichent des façades boisées et co-
lorées au goût du jour, dans un en-
vironnement où ne manque aucun
des totems du développement du-
rable : jardin partagé, allées consa-
crées aux circulations douces et
verdure omniprésente, le tout à
quelques minutes du centre-ville.
Le point de vente est facilement ac-
cessible pour les clients sans qu’ils
aient à sortir de voiture, mais égale-
ment riche en allées dans lesquelles
la police aura du mal à engager ses
véhicules en cas de poursuite. Le
revendeur ne manquera jamais
de buissons pour se dissimuler
ou pour stocker temporairement
la marchandise. Des passages tra-
versant les barres d’immeubles lui
fournissent un abri providentiel
en cas de pluie ; un hypermarché
et sa galerie marchande lui per-
mettent de se sustenter.
« Les dealers volaient régulière-
ment des chariots afin de construire
des barrières destinées à bloquer les
patrouilles de police, raconte le pro-
cureur. Le nouveau propriétaire du
Carrefour a pris des mesures pour
que l’on ne puisse plus s’éloigner de
l’hypermarché avec son matériel. »
SEBASTIEN ORTOLA / REA POUR « LE POINT »
« C’est un indépendant franchisé qui
vient des quartiers nord de Marseille,
commente un policier. Le Clou-Bou-
chet ne l’impressionne pas vraiment. »
« C’est un effort constant, conclut le
maire. Les tags sont effacés, les scoo-
ters volés sont identifiés, la propreté est
assurée et les trafics sont combattus.
On travaille au râteau. Ce sera long,
mais nous tiendrons le quartier. » §
 EN COUVERTURE
Laurent Laniel
« Il y a une volonté
d’inonder l’Europe »
Mafias. Les réseaux de trafiquants sont des multi­nationales ultra-­
capitalistiques, explique ce spécialiste des marchés des drogues.
Le Point : Comment évolue le marché mondial
de la cocaïne ?
Laurent Laniel : La production et le trafic mondial
ont connu une hausse spectaculaire depuis 2015.
La production a augmenté dans les trois pays, Co-
lombie, Bolivie et Pérou. Les exportations vers les
principaux marchés de consommation ont forte-
ment accéléré, surtout en Europe, où le phénomène
est plus récent qu’en Amérique du Nord. J’entends
souvent dire que l’Europe est devenue le premier
marché mondial pour la cocaïne. C’est une analyse
basée sur les données des pays occidentaux. L’Asie
est la prochaine frontière. Il y a encore peu de sai-
sies, peu de données. L’autre question, c’est l’Afrique.
Le trafic y apparaît beaucoup plus important que
ce que laissaient supposer les saisies. Une bonne
partie transite vers l’Europe et le Moyen-Orient.
L’Afrique peut être un territoire de rebond. Il y a très
peu de saisies, moins de 10 tonnes par an, mais les
services de renseignement américains et européens
soupçonnent qu’il en passe beaucoup plus.
Que sait-on de la situation en Europe ?
Là, on a beaucoup plus de données. Il y a clairement
une volonté d’inonder l’Europe. On n’arrive pas à
juguler ce flux. L’Europe est un marché en dévelop-
pement depuis environ dix ans. Cela concerne sur-
tout l’Europe de l’Ouest et l’Italie mais aussi, de plus
en plus, l’Europe de l’Est, ainsi que la Turquie, à la
fois pays consommateur et dont les organisations
criminelles sont impliquées dans le trafic. Une autre
tendance notable est le développement sur le sol
européen de la production de chlorhydrate de co-
caïne [la drogue extraite des feuilles de coca, NDLR].
On a démantelé des laboratoires aux Pays-Bas, en
Belgique, en Espagne… à quand la France ? On e­ stime
que quelques dizaines de tonnes seraient déjà pro-
duites chaque année en Europe. Enfin, on assiste à
une internationalisation du trafic, avec des acteurs
qui ont pris pied en Amérique du Sud et qui sont
capables d’organiser des cargaisons vers l’Europe.
Ce sont des acteurs g­ lobaux, comme la Ndrangheta,
la mafia calabraise, et les réseaux criminels turcs.
74 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
 
Comment enrayer ce commerce illégal
qui se greffe sur le commerce légal ?
C’est très difficile. Il entre un nombre faramineux
de conteneurs, chaque jour, dans le port d’Anvers.
Une proportion infime d’entre eux est scannée, pour
des impératifs de rapidité et de concurrence. Les in-
formations obtenues grâce aux interceptions des
messageries téléphoniques cryptées EncroChat et
Sky ECC, utilisées par les trafiquants, ont permis
aux polices européennes d’effectuer des centaines
d’arrestations et de saisies. Cela a révélé l’ampleur
de la corruption en Europe. Un kilo de cocaïne vaut
1 000 dollars au Pérou et 30 000 à Anvers. Entre les
deux, il y a un tas d’acteurs, gros ou petits.
Quels sont les réseaux criminels
qui en tirent profit ?
Laurent
Assassinats, tortures, enlèvements… C’est le quoti-
Laniel dien du marché de la coke. Cette violence touche
Analyste principalement les ports et certains quartiers. On
à l’Obser­ a vu émerger des figures du trafic, comme Ridouan
vatoire Taghi. La mafia marocaine en Belgique et aux Pays-
­européen Bas s’est d’abord spécialisée dans l’extraction de la
des ­drogues drogue sur les ports, selon la technique dite du « rip
et toxico­ off », où l’on récupère des sacs de cocaïne jetés dans
manies
(OEDT)
des conteneurs sur le port de départ, à l’insu du
transporteur. Ceux qui les récupèrent sont ­rémunérés
en drogue, ce qui les transforme en revendeurs. On
voit aussi les mafias italiennes, serbes, albanaises
prendre de l’importance. Ces gangs sont capables
d’envoyer des cargaisons de l’Amérique du Sud et
maîtrisent les moyens de blanchiment. C’est un
monde ultracapitalistique, où sont investis des ca-
pitaux et qui soutient d’autres industries. Les gara-
gistes et les ateliers aux Pays-Bas, par exemple, sont
un rouage important. Le blanchiment en est un
autre. De nombreuses parties du trafic sont gérées
par des contractuels pointus. Il y a une segmenta-
tion des tâches, ce qui rend le démantèlement des
réseaux plus difficile. Les produits chimiques, les
machines… Les trafiquants sont toujours en phase
d’innovation pour contourner les mesures de
­surveillance  § PROPOS RECUEILLIS PAR GUILLAUME PERRIER
SP
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d’inflation,
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76 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625

Hidalgo et moi
Airbnb. La plateforme de location de
logements r­ epart à l’offensive après les
­difficiles années Covid. Conversation
avec son ­cocréateur et PDG.
PAR GUILLAUME GRALLET
C
’est un duplex qui surplombe le
quartier de Dolores Heights. Il
est parfaitement situé, en plein
cœur de San Francisco, à deux pas
du vendeur de glaces Bi-Rite, ré-
puté pour son inimitable parfum
au citron, de la boulangerie Tartine,
qui revisite des pâtisseries d’antan,
et de la maison bleue célébrée par
Maxime Le Forestier. Dès le mois
de janvier 2023, une chambre du
lumineux appartement de Brian
Chesky, cocréateur du site de loca-
tion de logements entre particuliers
Airbnb, sera mise à disposition, es-
sentiellement les week-ends. Et, de
plus, cela sera gratuit. Avec un peu
de chance, le propriétaire dispen-
sera aussi à ses hôtes des cours de
yoga, après leur avoir cuisiné de
délicieux cookies. Seul bémol, les
fêtes ne sont, en aucun cas, auto-
risées et des caméras sont instal-
lées dans le salon. Il n’empêche…
Mi-novembre, toutes les disponibi-
lités pour l’année prochaine ont été
prises d’assaut en quelques jours.
Devenir le colocataire de Brian
Chesky, dont la fortune est éva-
luée par Forbes à 12,6 milliards de
dollars, est la dernière expérience
à la mode aux États-Unis.
L’intitulé de son annonce sur
son propre site, « Plus qu’un mate-
las gonflable », rappelle les débuts
d’Airbnb, cette plateforme califor-
nienne qui a changé notre manière
de voyager et est rapidement de-
venue la bête noire des hôteliers
du monde entier. En 2007, Brian
Évolution du cours de l’action Airbnb
Depuis le 10 décembre 2020, en dollars
94 $
21 novembre 2022
200
150
100
Chesky et Joe Gebbia, deux desi-
gners de 25 ans, formés à la Rhode
50
Island School of Design, veulent
se faire un nom sur la côte Ouest. 0
Brian, aux faux airs d’Al Pacino, Source : Boursorama. 2021 2022
s’est fait remarquer en inventant
Scrotie, la mascotte de l’équipe de
hockey de Rhode Island. Spécia-
liste du design industriel, Joe, natif Chiffre d’affaires 5,99 Md
d’Atlanta, avait lancé CritBuns, des Résultat net 4,81 Md
sièges design aujourd’hui en vente 3,65 Md 3,38 Md
au MoMa, à New York. Le duo a du 2,56 Md
mal à percer en Californie. Alors,
pour boucler leurs fins de mois,
Brian et Joe achètent trois mate- 2017 2018 2019 2020 2021
las gonflables (ce qui explique le – 16,86 M
– 70,05 M – 352,03 M
Air d’Airbnb) et proposent à des vi- – 674,34 M
siteurs de passer la nuit dans leur
salon ainsi que de prendre le petit 2020, le trou d’air
déjeuner maison. Un genre de bed Données financières annuelles de Airbnb Source :
Google
and breakfast entre particuliers – de 2017 à 2021, en dollars – 4,58 Md Finance.
les initiales donneront d’ailleurs
son suffixe au nom du site. Ils se
lancent pendant un important plateforme a généré plus de 1 mil-
congrès de designers, un moment liard de nuitées chez l’habitant,
de l’année où tous les hôtels sont dans 210 pays.
complets, et les séjours proposés à Mais la pandémie a sacrément
80 dollars la nuit trouvent vite pre- abîmé la success story. Il faut avouer
neur… Le duo, rejoint par Nathan que devenir aujourd’hui le coloc de
Blecharczyk, un ancien colocataire Brian Chesky, c’est presque accep-
de Joe Gebbia, passé par Harvard, ter de vivre avec un revenant. Le
lance son entreprise. Airbnb est 5 mai 2020, il expliquait à ses em-
fondé en 2008. En q­ uatorze ans, la ployés les effets désastreux du co-
ronavirus sur son business en ces
termes : « L’activité d’Airbnb a été du-
En quatorze ans, la plateforme rement touchée, les prévisions de re-
cettes de cette année étant inférieures
a généré plus de 1 milliard à la moitié de ce que nous avons ga-
gné en 2019. En réponse, nous avons
de nuitées chez l’habitant, levé 2 milliards de dollars de capi-
taux et réduit ­considérablement les
dans 210 pays. coûts. » Il ajoutait : « Il est …
Le Point 2625 | 24 novembre 2022 | 77
ÉCONOMIE
… devenu évident que nous de-
vons aller plus loin puisque nous
sommes confrontés à deux dures vé-
rités. Nous ne savons pas exactement
quand le voyage reviendra et, quand
les voyages reviendront, ils seront dif-
férents. » Le PDG annonçait dans la
foulée le licenciement de 1 900 col-
laborateurs sur un effectif total de
7 500 personnes. Airbnb a fina-
lement enregistré 4,6 milliards
de dollars de pertes en 2020. Au-
jourd’hui, si le nombre de salariés
n’est pas encore revenu au niveau
d’avant la crise, le chiffre d’affaires,
qui était descendu de 4,8 milliards
de dollars en 2019 à 3,4 milliards
en 2020, est remonté à 6 milliards
en 2021 (avec une perte de 352 mil-
lions de dollars tout de même).
Parmi les principaux moteurs de
la croissance retrouvée, la mon-
tée en puissance du télétravail :
au troisième trimestre de cette an-
née, 20 % des séjours réservés le
sont pour vingt-huit jours ou plus.
Mais, surtout, celui qui reçoit
Le Point mi-novembre à New York,
en couvrant de bisous Sophie, son
golden retriever, assis sagement à
ses côtés, observe que l’inflation
a conduit un nombre croissant
de propriétaires à mettre en loca-
78 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
tion leurs biens pour s’offrir un
­revenu supplémentaire. « Les re-
venus ­totaux des hôtes dans le monde
ont augmenté de 30 % au troisième
trimestre, par rapport à la même
période l’année dernière, alors que
l’inflation élevée met sous pression
les budgets des ménages fragiles »,
argumente l’entrepreneur, fan
de Miles D ­ avis. L’an dernier, en
France, un hôte type sur Airbnb a
gagné 3 600 euros en moyenne. Dé-
but octobre, le site s’est associé au
spécialiste de la rénovation éner-
gétique Effy pour accompagner les
hôtes dans leur projet de travaux,
avec une aide pouvant aller jusqu’à
2 200 euros pour isoler leur appar-
tement, investir dans des pompes
à chaleur ou encore dans des pan-
neaux s­ olaires… Plus encore, il leur
propose de nouveaux dispositifs :
AirCover, un service d’assurance
spécifique, la possibilité de recueil-
lir des conseils d’hôtes expérimen-
tés (on les appelle les « superhosts »
L’an dernier, en France, un
hôte type sur Airbnb a gagné
3 600 euros en moyenne.
Comme chez soi. en interne) à travers un entretien
Les voyageurs les plus en visioconférence ou encore la
rapides ont pu réserver vérification de l’identité des can-
gratuitement, pour un didats à la location. « Nous voulons
week-end en 2023, une accompagner au mieux les nouveaux
chambre avec bureau propriétaires pour les inciter à laisser
dans l’appartement les clés de leur logement », explique
de Brian Chesky, à l’entrepreneur de 41 ans.
San Francisco.
Redressement fiscal. Ce fils
de travailleurs sociaux, qui a grandi
dans la petite ville de Niskayuna,
au nord de New York, n’a-t-il pas
l’impression de participer à l’as-
sèchement des annonces de lo-
cation ou de mise en vente par
les particuliers ? « Nous mettons
en avant la recherche par catégorie
et non par destination, afin de favo-
riser la découverte d’endroits qui ne
viennent pas tout de suite à l’esprit. »
Une recherche « avec vue » vous
conduit ainsi aussi bien vers un
appartement de 150 mètres car-
rés sur les Champs-Élysées, avec
une terrasse (2 650 euros la nuit),
qu’à une cabane en bois avec Ja-
cuzzi au Val-d’Ajol (140 euros la
nuitée) ou encore vers une mai-
son normande dotée d’une gigan-
tesque baie vitrée à Quiberville,
pour 6 voyageurs (190 euros). Quid
AIRBNB
des conflits avec les villes, …
Quand
on a 16 ans
on veut
réussir
mais pas
n’importe
comment
Aujourd’hui
La Banque Postale a 16 ans.
Et nous privilégions
le financement des entreprises
qui s’engagent dans la baisse
générale des émissions de gaz
à effet de serre.

Dans le secteur énergétique, nous privilégions le financement

des entreprises dont la trajectoire de décarbonation a
été validée scientif iquement. Plus d’informations sur
https://www.labanquepostale.com/newsroom-publications/
actualites/2021/decarbonisation-sbti.html
La Banque Postale ‒ SA à Directoire et Conseil de Surveillance.
Capital social : 6 585 350 218 €. 115 rue de Sèvres 75275 Paris
Cedex 06. RCS Paris n° 421 100 645. ORIAS n° 07 023 424.
ÉCONOMIE

… qui n’ont cessé de donner du

fil à ­retordre à Airbnb ? « Je pense
que nous avons fait de notre mieux
pour nous conformer aux lois et aux
réglementations locales. Les villes
commencent à se rendre compte que
nous générons des revenus fiscaux… »,
avance le dirigeant, qui, en 2020,
juste avant d’introduire son entre-
Airbnb prise en Bourse, a contesté un re-
en chiffres dressement fiscal de 1,3 milliard

1 900
c’est le nombre
de dollars aux États-Unis, notam-
ment pour avoir immatriculé des
brevets dans le paradis fiscal de
de ­licenciements Jersey. En avril 2022, la Cour de
­auxquels a procédé justice de l’Union européenne a
Airbnb en 2020,
soit près de 25 %
contraint Airbnb à la renseigner
des effectifs. sur le nombre exact de nuitées
facturées sur le Vieux Continent.

6
millions
Paris dans le top 5. Accepte-
rait-il de voir Anne Hidalgo, alors
­d’annonces actives que les relations avec la Mairie de
dans le monde dans Paris ont toujours été houleuses ?
100 000 villes et « Bien sûr, si elle a le temps. Je ne l’ai
­localités. pas encore rencontrée », indique ce-
lui qui a noué un partenariat avec
1
milliard de clients
le Comité international olympique
qui couvrira notamment les JO
de 2024, ce qui avait eu le don de
­voyageurs Airbnb
à ce jour. rendre fous la Mairie de Paris et les
hôteliers de la capitale. La Ville lu-

4
mière fait toujours partie du top
5 des destinations dans le monde
millions d’hôtes. sur Airbnb. Mais la municipa-
lité a durci les règles ces derniers
Plus de mois : le locataire doit s’enregistrer

9 000 
dollars de revenus
à la mairie avant de proposer son
bien à la location. Et, s’il souhaite
mettre son appartement à dispo-
annuels moyens par sition plus de 120 nuits par an, il
hôte aux États-Unis. doit « compenser » son bien. C’est-
à-dire acheter le double ou le triple
Source : Airbnb de la surface louée en surface com-
merciale pour la transformer en
logement. Évidemment, la guerre
en Ukraine est un sujet de préoc-
cupation majeur pour cet Améri-
cain dont la famille paternelle est
originaire de Pologne. « C’est la
plus grande crise humanitaire en Eu-
rope depuis la Seconde Guerre mon-
diale », assure-t-il. Airbnb a mis
un hébergement gratuit à disposi-
tion de 100 000 personnes fuyant
le conflit. L’entreprise avait fait de
même avec les premières victimes
AIRBNB (X3)

Insolites. Pour la soucoupe volante de Ronald, en Californie (au milieu, 329 euros la nuit), de l’ouragan Sandy, en 2012, ou en-
et la cabane d’Axelle, près de Paris (en bas, 304 euros), il faut réserver des mois à l’avance. core avec les réfugiés afghans arri-
Mais il reste des nuits disponibles pour cette maison sud-coréenne (en haut, 252 euros). vés aux États-Unis après la …
80 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
DES PROFESSIONNELS SONT ENGAGÉS À VOS CÔTÉS

TOUS MOBILISÉS
CONTRE LES
VIOLENCES FAITES
AUX FEMMES

#NeRienLaisserPasser NUMÉROS
D’URGENCE
Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site :
ÉCONOMIE
… chute de Kaboul, aux mains
des talibans. « Le salut viendra de
la jeune génération, elle fait preuve
d’une ouverture d’esprit hors du com-
mun. Vous savez, la pandémie a été
l’un des plus grands efforts de coopé-
ration mondiale que l’humanité ait
jamais produit. Je pense que notre es-
pèce possède un instinct de survie, de
coopération et de développement d’une
vie meilleure. »
La pandémie a conduit à repen-
ser la place du travail dans nos vies.
« Je ne veux pas vivre dans un monde
où l’on ne s’épanouit pas par le tra-
vail, cela fait partie de notre raison
d’être, dit Brian Chesky. Il y a peu
de temps, j’ai récolté du miel et j’ai ré-
alisé à quel point la coopération était
essentielle : chaque abeille a son rôle à
jouer. » Mais, dans la Silicon Valley,
en ce moment, un certain nombre
d’abeilles prennent le chemin de la
porte en moins de quarante-huit
heures. Les licenciements se multi-
plient chez Snap, Twitter ou encore
Meta, maison mère de Facebook…
« Lorsque vous passez votre temps à
écrire des posts, à être à la recherche
de like ou de bonnes appréciations,
cela peut se traduire par une sécré-
tion de dopamine. Mais cela ne crée
pas une communauté aussi solide que
celle qui est fondée sur la rencontre. »
Chesky s’inquiète de ce monde
où l’on peut facilement être ultra-
connecté mais sombrer dans la so-
litude la plus absolue. « Ce n’est pas
moi qui le dis mais le médecin Vivek
Murthy, qui est l’administrateur de
la santé publique aux États-Unis et
dont l’ouvrage, Together, m’a parti-
culièrement inspiré. » L’entrepreneur
prend ses distances avec le slogan
« Move Fast And Break Things »,
qui fut longtemps un cri de rallie-
ment de la Silicon Valley. « Je pense
qu’aller vite et casser les choses peut
être motivant pour une petite entre-
prise. Mais que cela n’est plus le cas
lorsqu’une entreprise atteint une cer-
taine taille. » Pour étayer sa critique
des Big Tech, Chesky s’en remet à
une parabole indienne. « Pour ré-
compenser un ­fidèle qui avait mis au
point le chaturanga, un ancêtre du jeu
d’échecs, le roi Belkib lui demande com-
ment le ­satisfaire. Malin, l’homme lui
suggère de poser un grain de riz sur la
première case, avant de doubler la mise
82 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
sur la case voisine et ainsi de suite… Le
roi s’exécute et ne réalise qu’après coup
que toutes les réserves de riz du pays
ont été épuisées avant même d’avoir
totalement honoré sa promesse. Au-
jourd’hui, nous sommes dans la der-
nière partie de l’échiquier, en train de
prendre conscience de la puissance de
l’accélération technologique. »
« Gueule de bois ». Brian
Chesky ne rate pas un épisode
du feuilleton entre Elon Musk et
Twitter. « Construire la place pu-
blique du village qui permet à tout le
monde de donner son avis confère une
responsabilité particulière, juge-t-il.
Le mot communauté doit rimer avec
harmonie. C’est comme un équilibre,
c’est très fragile. » Il rechigne à don-
ner un avis définitif sur la stratégie
d’Elon Musk sur le réseau social.
« Il n’a les clés que depuis quelques
semaines, donc il faut lui laisser du
temps. » Il respecte profondément
l’entrepreneur. « Ce qu’il a fait avec
les voitures électriques est incroyable.
Elon a aussi réveillé l’exploration spa-
tiale. Je pense que ce sont des contribu-
Son conseil au président
­Macron : « J’investirais dans
­l’éducation, l’immigration libre
et l’esprit d’entreprise. »
tions majeures pour l’humanité. » En
ce qui concerne le métavers et les
cryptomonnaies, Chesky exprime
des doutes. « La période que nous vi-
vons a des allures de gueule de bois.
Beaucoup de ces technologies seront
sans doute utiles mais elles doivent en-
core trouver leur application pratique.
Je suis un designer de formation, j’ai
tendance à célébrer les produits, plu-
tôt que la technologie en elle-même.
Lorsque Steve Jobs a lancé l’iPhone,
il a changé le monde sans avoir eu
besoin de lancer l’expression “infor-
matique mobile”. Au lieu d’un Web
3, d’un quatrième ou encore d’un cin-
quième Web, les gens veulent simple-
ment qu’on leur propose des produits
qui changent leur vie. »
Dans l’Hexagone, selon lui les
choses se sont-elles améliorées de-
puis que Steve Jobs avait expliqué,
Chambres avec vue. en 1984, que les Français ne de-
Sur la plateforme, vraient pas avoir peur de l’échec ?
une suite familiale « Pour avoir un écosystème d’entrepre-
­perchée sur une falaise, neuriat robuste, il faut promouvoir une
chez Chandra, face à culture de la prise de risque, de l’ambi-
la mer, en Indonésie tion, de l’autonomie, une culture où les
(140 euros la nuit). gens peuvent défier le statu quo, pen-
ser différemment… Les cultures très
traditionnelles ont tendance à lutter
contre l’esprit d’entreprise. C’est le cas
du Japon, par exemple. Alors que le
pays disposait de champions de l’élec-
tronique dans les années 1980, il a
perdu du terrain en matière de high-­
tech… Car l’échec n’y est pas une op-
tion. Je pense qu’il est important de ne
pas stigmatiser l’échec. Même si une
­infime minorité réussit, le jeu en vaut
la chandelle. » Au président fran-
çais, Emmanuel Macron, le Califor-
nien – qui connaît bien également
Xavier Niel – donne ce conseil : « Si
je voulais que mon pays soit impor-
tant dans l’avenir, j’investirais dans
l’éducation, l’immigration libre et l’es-
prit d’entreprise. » Chesky e­ ntend
transmettre. Celui qui a rencontré
ses premiers investisseurs au sein
d’Y Combinator, installé à Moun-
tain View, se rend deux fois par an
au siège du mythique incubateur
pour distiller ses conseils aux en-
trepreneurs en herbe. « C’est un
peu comme si je retournais faire un
tour dans ma vieille école. Cela booste
toujours mon envie de transmettre. »
Le revenant n’a pas encore dit son
AIRBNB
dernier mot §
 État-major Ligier Group

Ludovic Toshihide François Philippe de Sébastien

Dirand Soga Ligier Lambertye Rousseau

Ligier Group est né en 2008 du mariage entre Ligier Automo-
biles, créé en 1960 par Guy Ligier et célèbre, notamment, pour
son écurie de F1, et Microcar, fondée par les chantiers Jeanneau/­
Beneteau. C’est désormais le premier constructeur en Europe
de voitures sans permis et de petits utilitaires électriques.
­Ligier Group a annoncé la commercialisation, au printemps
2023, de Myli, sa première auto électrique sans permis. ­Implanté
sur deux sites, à Abrest (Allier) et Boufféré (Vendée), le groupe
de plus de 570 salariés a réalisé en 2021 un chiffre d’affaires de
SP (x4) – LUC PERENOMX
chez Iveco, Opel, General Motors ou encore PSA, Ludovic
­Dirand (51 ans, Kedge Business School et Harvard Emerging
Leaders Program de General Motors) est depuis 2018 directeur
commercial de la société. Toshihide Soga (40 ans, Sciences
Po ­Paris) dirige la BU Ligier Professional. Philippe de
­Lambertye (53 ans, DESS audit, MBA Dauphine et MBA de
l’université du Québec à Montréal) est le directeur adminis-
tratif et ­financier. Il a la charge, en plus des finances, des
­ressources humaines, du secteur juridique et des services in-

176,5 millions d’euros. Ses quelque 600 salariés produisent
16 440 véhicules par an. À sa tête, le petit-fils du fondateur,
François Ligier (41 ans), entré chez Ligier Automobiles en
2005, est devenu PDG de Ligier Group en 2014, à la suite de
son père. Après une carrière dans le domaine c­ ommercial
formatiques. Le dernier membre de la direction de l’entreprise
est Sébastien ­Rousseau (49 ans, École nationale supérieure
des arts et métiers). Il a été directeur d’usine et chef de projet
à l’étranger dans différentes sociétés avant d’être nommé
­directeur industriel de Ligier Group § MICHEL REVOL

LE POINT STORIES POUR

destination des personnes les plus mal lo-

gées. Aujourd’hui, les clients de BNP Paribas

Soyons des investisseurs Banque Privée ont tous les éléments en

main pour mener une démarche d’investis-

responsables !
seur durable.

Des clients convaincus

Nos clients sont de plus en plus nombreux
Nicolas Otton ailleurs, nous avons développé une large à orienter leur épargne vers la finance
directeur de BNP Paribas
Banque Privée. gamme spécifique de produits financiers durable. En effet, avant la pandémie, les
durables. Cette gamme inclut par exemple deux tiers de nos clients doutaient de la
©Grégory Campenet

des investissements dont une partie sou- performance financière des produits d’in-
tient des entreprises ou associations de vestissements responsables. Deux ans plus
l’Économie Sociale et Solidaire (ESS), des tard, c’est l’inverse. Ils ont compris que les
investissements qui visent à générer un im- entreprises qui respectaient les critères

D
epuis plusieurs années, BNP Paribas
Banque Privée innove pour propo-
ser des produits financiers durables
à ses clients.
Chez BNP Paribas Banque Privée, nous
avons notamment mis en place une mesure
objective de l’impact des investissements
grâce à une notation de 0 à 10 trèfles. Par
pact positif et mesurable sur les questions
sociales et environnementales. Enfin, nous
proposons des produits pour lesquels une
partie de la performance, ou de la marge,
est reversée à une association humanitaire,
une œuvre caritative, ou une fondation. Par
exemple, nous allons proposer début 2023,
avec la Fondation Abbé Pierre, un fonds à
impact pour développer des logements à
environnementaux, sociaux et de gouver-
nance étaient beaucoup plus résilientes
aux crises et pouvaient obtenir de la sur-
performance en période de hausse des
marchés. Le succès de nos mandats ISR
(investissement socialement responsable)
l’illustre parfaitement. Lancés en 2019, ils
réunissent déjà plus de 7 milliards d’euros
d’encours à ce jour !
SCIENCES
Le premier accouchement
de la préhistoire ?
Mystère. La Vénus de Lespugue, qui représenterait une matrone
donnant naissance à une jeune femme, fascine autant qu’elle intrigue.
PAR FRÉDÉRIC LEWINO
A
u Gravettien, une ère du Paléolithi­
que supérieur qui nous transporte
il y a plus de 22 000 ans, les femmes
bien en chair aux fesses rebondies et aux
poitrines opulentes étaient à l’honneur.
Témoins ces centaines de statuettes
­féminines – les « Vénus » – ­découvertes
entre les Pyrénées et la ­Sibérie. L’une
d’elles, la Dame de Lespu­gue (village de
Haute-Garonne), taillée dans de l’ivoire
de mammouth, est la plus énigmatique
de toutes. Selon une thèse récente
émise par la préhistorienne Nathalie
Rouquerol, elle représenterait une
femme en train d’accoucher d’une autre.
Dès sa découverte dans la grotte des
Rideaux par les archéologues français
Suzanne et René de Saint-Périer, la V ­ énus
de Lespugue fascine par son étrange
84 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
­ hysique. Nombre d’artistes, tels Picasso,
p fessier s’ouvre vers le haut et non vers
Giacometti, Brassaï puis, plus tard, Yves
Klein et Louise Bourgeois, y ont puisé
leur inspiration, notamment cubiste.
De leur côté, les préhistoriens n’ont
­jamais cessé de s’interroger sur la raison
d’être de ces Vénus. Représentent-elles
la fécondité ? Faut-il y voir la déesse
mère, une amulette ? Certains ont
même ­s uggéré que ces statuettes
­représentaient une branche humaine
éteinte. Ne sont-elles pas, en partie,
­l’expression des fantasmes sexuels des
hommes de l’époque, comme le suggère
le protohistorien Jean-Paul Demoule ?
La Vénus de Lespugue se distingue
de ses « collègues » sur plusieurs points.
Ainsi sa forte poitrine, implantée bien
trop bas, défie les canons anatomiques.
En 1934, le philosophe Georges-Henri
Luquet remarque que son sillon inter­
Naissance. Vue sous
cet angle, ce moulage
de la Vénus de
Lespugue montre
clairement, selon
la préhistorienne
Nathalie Rouquerol,
l’expulsion d’une jeune
femme.
le bas comme il le devrait. L’artiste gra­
vettien se serait-il trompé en sculptant
le dos de la statuette à l’envers ? Bien
plus tard, le regretté Yves Coppens iden­
tifie deux femmes accolées par la taille.
Dans les années 1980, Nathalie Rouque­
rol vient s’installer par hasard à ­Lespugue.
Elle se prend de passion pour la statuette
et décide de lui consacrer une étude com­
plète. Étonnamment, c’est la première
fois. Durant des années, avec le peintre
Fañch Moal, elle ausculte la statuette sous
toutes les coutures : « J’étais intriguée par
la minceur étrange de son buste ». Peu à peu,
une évidence saute aux yeux des deux
NATHALIE ROUQUEROL
complices : la Vénus a été façonnée par
un immense artiste qui a voulu illustrer
une naissance. « Le sculpteur du Paléoli­
thi­que nous livre la mise au monde d’un en­
fant. Ce petit corps est un cours d’expulsion… »
 Les différentes façons de voir l’icône

1
2

Hypothèse 1 : de face.
Le visage sans traits (c’est le cas de
la majorité des Vénus) penche vers
l’avant au-dessus d’un torse menu.
La grosse poitrine est en partie
­cassée (un coup de pioche malheu-
reux lors de son extraction du sol),
mais, surtout, elle est placée bien
trop bas. Les jambes sont jointes.
Hypothèse 2 : de dos.
C’est le sens choisi par la plupart
des préhistoriens pour voir
la ­statuette. La Vénus montre une
chevelure courte et une énorme
paire de fesses. Curieusement,
la fente située entre ces dernières
s’ouvre vers le haut. Les jambes
sont ­couvertes par un long pagne.
Hypothèse 3 : de dos
et retournée. C’est ainsi que
la voit Yves Coppens, qui distingue
deux femmes collées par la taille.
En haut, le pagne devient une
longue chevelure, surmontant des
fesses placées cette fois-ci à l’endroit.
En bas de cette matrone, le dos et
l’arrière de la tête de la jeune Vénus.
Hypothèse 4 : de face
et retournée. Pour Nathalie
Rouquerol, c’est ainsi qu’il faut lire
la Vénus. L’historienne y voit deux
siamoises de face : une jeune femme
sort des entrailles de la matrone.
C’est une naissance. L’observation
de la statuette sous un autre angle
de vue le confirme.

Pour nous faire partager sa vérité, on est là dans le domaine de l’imaginaire. »

­ athalie Rouquerol fait tourner un
N Qui est réellement la Vénus de Les­
­moulage de la statuette pour la p ­ résenter
de face (voir, ci-dessus, les différentes façons
de « lire » la Vénus de Lespugue). Bien, mais
si c’est effectivement une naissance, qu’a
voulu signifier l’artiste ? L’historienne
a longuement réfléchi à celà. « Cette
­statuette est faite pour être tenue dans la
main et pour être tournée. Elle exprime les
générations qui passent. Elle condense toutes
les étapes de la vie d’une même personne
– naissance, enfance, jeune femme, femme
mûre. L’artiste a voulu montrer que la trans-
mission de la vie est sans fin. Il s’adresse à
nous par-delà le temps. C’est comme s’il nous
avait envoyé un message, il y a 25 000 ans,
et que nous venions de décacheter la lettre. »
N’est-ce pas pousser l’imagination
JC DOMENECH/MNHN (x6)
pu­gue ? Le saura-t-on jamais ? Quoi qu’il
en soit, le préhistorien Patrick Paillet,
autre commissaire de l’exposition du
musée de l’Homme, ne cache pas son
­admiration pour l’artiste. « Débarrassée
de tout détail superflu, cette œuvre réalise,
sous la multiplicité des plans et de ses points
Question de sens. Taillée dans de l’ivoire de vue, la première synthèse esthétique pure
de mammouth et découverte il y a cent ans, du corps de la femme, 25 000 ans environ
la statuette divise toujours les historiens, avant les créations du sculpteur roumain
qui ont chacun leur façon de la « lire » naturalisé français Brancusi. » Pour le
(voir les différentes hypothèses ci-dessus). maître de conférences du Muséum
­national d’histoire naturelle, en effet,
l’essentiel est ailleurs. « Sous les coups
l­ ’ethnologue préhistorien Éric Robert, de silex et sous l’œil de l’artiste visionnaire
n’est pas vraiment convaincu par la de Lespugue, qui invente un nouveau lan-
­démonstration de Rouquerol et Moal : gage artistique, la femme lourde par fausse

un peu loin ? La plupart des préhisto­
riens restent prudents. L’exposition du
musée de l’Homme, intitulée « Arts et
Préhistoire », fait la part belle à la « Dame
de Lespugue » pour le 100e anniversaire
de sa découverte. Son commissaire,
« Même si la poitrine de la Vénus semble
placée un peu bas, d’autres structures
montrent clairement qu’il y a vraiment une
tête d’un côté et des pieds de l’autre. Ce qui
serait incohérent si on la considérait dans
l’autre sens. Quant à observer une ­naissance,
apparence se métamorphose en dame
­sublimée, élégante et gracieuse. » §
À lire : La Vénus de Lespugue révélée, de Nathalie
Rouquerol et Fañch Moal (Locus Solus).
À voir : l’exposition « Arts et Préhistoire », jusqu’au
22 mai 2023 au musée de l’Homme, à Paris.

Le Point 2625 | 24 novembre 2022 | 85

FUTURAPOLIS PLANÈTE
Georges Vigarello
« L’affirmation du plaisir est
plus que jamais suspecte »
Mœurs. Grand invité de Futurapolis Planète,
l’historien recense, en ces temps de sobriété, les évolutions
de la notion de plaisir depuis l’Antiquité.
Le Point : L’Antiquité avait-elle déjà la notion
du plaisir ?  la sensibilité. On imagine que le plaisir n’en est
Georges Vigarello* : Chez Socrate, on lit que le
plaisir naît d’un moment où la douleur disparaît,
de son effacement. Mais on peut penser que les La-
tins, plus que les Grecs, le cultivaient, si l’on en
croit ces chambres érotiques que l’on admire à
Naples, ornées d’une efflorescence de sexes. Les
­Romains étaient moins terrorisés par leurs dieux.  qui voit se développer le voyage, l’attirance pour
Le christianisme, qui pèse sur la culture
médiévale, aurait-il provoqué une régression
dans ce domaine ?
Il est certain que le plaisir y est suspecté. Il inquiète :
s’il s’y livre, l’individu menace d’échapper aux
normes censées le contrôler, compromettant une
communauté nouvellement organisée. D’où les sa-
crements, qui sont là comme autant de garde-fous.
Le plaisir, même celui de la bonne chère, est perçu
comme un excès, un désordre qui conduit au péché Georges
de la luxure. Il faut attendre la Renaissance pour Vigarello
voir émerger une forme d’affirmation où le plaisir Historien.
est prisé, car on se tourne vers le présent et ce que Il est l’invité
les sens peuvent apporter. « En choisissant l’esprit de la table
vous estes mal-apprise/ Qui refusez le corps à mon ronde « Une
petite histoire
gré le meilleur » ; écrit Ronsard dans un poème qui du plaisir » à
sera condamné. On apprivoise l’attention à soi. Un Toulouse, le
souci positif que l’on retrouve dans De la sobriété, le 25 novembre
traité de Luigi Cornaro (1558), dans lequel l’auteur, à 10 h 30.
médecin de lui-même, prône la modération en tout ;
paradoxe dès lors décisif. Si l’on s’y tient, alors, on
se sentira bien, on accédera à un plaisir qui est donc
déjà recherché et valorisé. La Renaissance est une
époque de corps déjà galbés, nus, qui proscrit l’obé-
sité, s’inquiète de l’excès. On entre dans une moder-
nité dans la mesure où le plaisir acquiert une
légitimité.
86 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
Le XVIIIe siècle marque l’éveil, puis le sacre de
pas absent…
L’homme sensible qui émerge alors se retourne
vers ce qu’il ressent, de la douleur comme du plai-
sir. Il fait apparaître quelque chose de l’ordre de la
satisfaction, où l’individu se donne une place nou-
velle : dans cette époque, immensément originale,
le lointain, pour les exercices corporels, on s’af-
firme en faisant et on éprouve ce qu’on appelle de
la « jouissance ». On se donne des défis. « Et si je le
gravissais… », se dit Saussure face au mont Blanc.
« Si je me lance, je m’affirme. J’en reviendrai peut-
être épuisé, mais cette fatigue sera aussi du plai-
sir. » Dans ce défi permanent, qui connaît différents
niveaux d’intensité – intensité est un mot qui entre
dans le dictionnaire au milieu du siècle –, soi de-
vient un champ d’expérimentation, un terrain de
connaissance, qu’on retrouve chez Casanova ou
Sade, où s’opère une expérience débridée du p ­ laisir,
d’un corps érigé en machine à éprouver du plaisir
et de la souffrance. 
On associe le siècle suivant à une reprise en
main puritaine du corps, où la bourgeoisie
impose ses codes et ses corsets. Sale temps
pour le plaisir ? 
Oui et non. C’est un siècle qui sépare plus que ja-
MATHIEU BOURGOIS/OPALE.PHOTO
mais les sexes, avec l’école, l’armée, les pension-
nats, qui cantonne les femmes à des tâches
ménagères, et pourtant, montent insensiblement
des modes d’affirmation, de légitimation du plai-
sir. Les robes, à la fin du siècle, sont plus proches
du corps, le bordel est lui-même une affirmation,
car l’homme dit, fût-ce de manière cynique : « Ma
femme ne me satisfait pas, j’ai le droit d’être ­satisfait
 ailleurs, avec une prostituée. » Un droit qu’on re-
trouve chez les femmes qui commencent à récla-
mer l’accès à plus d’autonomie. Le féminisme naît
à cette époque, ne l’oublions pas. Ces changements
coïncident, plus largement, avec la découverte de
la « volupté », dont le mot s’impose dans les romans
et les mœurs, qui est une connaissance intime, raf-
finée du plaisir, devenue sujet de commentaire et
de préoccupation.
Cette Belle Époque coïncide avec une
reconnaissance accrue du moi. Est-ce un
hasard ?
Nullement. Il est frappant de voir que les soldats,
durant la Première Guerre, ne décrivent plus seu-
lement leurs souffrances mais proclament qu’ils
« ne se possèdent plus », qu’ils sont en dehors d’eux-
mêmes. Cela signifie bien qu’ils revendiquent dé-
sormais ce « moi ». On le voit à trois niveaux : la
présence accrue des romans qui disent « je ». La lé-
gitimité à jouir que l’on retrouve dans le travail de
CHRISTIE’S IMAGES/BRIDGEMAN IMAGES – BRIDGEMAN IMAGES – AKG-IMAGES
Freud, qui émerge à cette époque. La revendication
sociale des travailleurs qui réclament un temps de
loisir, donc de plaisir.
Une autre émergence, celle du féminisme, déjà
évoqué, joue-t-elle un rôle ?
Il est évident que les femmes accompagnent ce mou-
vement, affirmant ce qui était resté dans l’ombre,
introduisant une autre manière de jouir de soi, une
existence différente. La création de la « garçonne »,
durant les années 1920-1930, représente une exi-
gence inédite, sinon révolutionnaire, bien plus im-
portante qu’on ne le croit.
Le « Jouir sans entraves » de Mai 68, porté par
les discours d’Herbert Marcuse et de Wilhelm
Reich, est-il l’héritier de ce phénomène
universel de reconnaissance ?
Évidemment, ce mouvement symbolise une attente
centrale, une nouvelle manière d’exister individuel-
« Des barrières puritaines se dressent à nouveau,
car les effervescences individuelles inquiètent. »
Corps. Trois représenta- lement, la légitimation tout originale de « sa » propre
tions du plaisir, de g. à personne. Ce refus des contraintes libère l’accès et
dr. : une fresque de le droit au plaisir, mais Mai 68 porte en soi une contra-
Pompéi (Ier siècle) ; diction, l’entrée dans une société de consommation,
« Adam et Ève » (1932), autant que dans celle de la revendication. L’affirma-
de Tamara de Lem- tion individuelle aboutit à un émiettement contre
picka ; une fresque de lequel la société réagit en exigeant un minimum
salle de bains (détail, d’obéissance, de cohérence, de convergence. La « li-
XVIe siècle), d’Albrecht bération » n’est pas sans déclencher une nostalgie –
Altdorfer. sinon une nécessité – de l’ordre et de la fermeté.
Notre société actuelle revient sur l’hédonisme,
la jouissance sans frein. Fabien Roussel se fait
tancer quand il parle du plaisir de manger de
la viande ou du fromage…
La légitimité personnelle, celle de son affirmation
tous azimuts, fait partie des mœurs actuelles. Le
fait est acquis, quasi indiscuté. La publicité garan-
tissant « parce que vous le valez bien » en est
l’exemple simplissime. Des barrières puritaines,
en revanche, se dressent à nouveau, car les effer-
vescences individuelles inquiètent. Et pourtant,
on se rend bien compte qu’on ne peut revenir en
arrière. Les acquis de la conquête individuelle ont
triomphé. On est, dès lors, pris dans des contradic-
tions : d’un côté, la publicité et les modes de vie
nous incitent à nous faire plaisir, de l’autre, la so-
briété et l’ordre s’imposent plus que jamais devant
l’état de la planète. Exigence qu’accroît sans doute
la montée d’une conscience écologique et des res-
trictions qu’elle impose. L’équilibre est fragile, l’af-
firmation du plaisir plus que jamais complexe,
plus que jamais suspecte. Les contraintes écono-
miques et climatiques en dicteront, sans aucun
doute aussi, le profil à venir §
PROPOS RECUEILLIS PAR FRANÇOIS-GUILLAUME LORRAIN
*
 Historien. A dirigé le tome 1 de l’Histoire des émotions. De l’Anti-
quité aux Lumières (2016-2017, en 3 volumes, Seuil). Dernier livre
paru : Une histoire des lointains. Entre réel et imaginaire (2022, Seuil).
Le Point 2625 | 24 novembre 2022 | 87
FUTURAPOLIS PLANÈTE
LA FACTORY
JEUDI 24 NOVEMBRE
17 H  recherche sur l’environnement
Introduction : « Les
mains dans le carbone
ou comment s’en sortir
sans trop souffrir »
Par Emmanuelle Durand-
Rodriguez, journaliste
17 H 03
Ouverture officielle de
la Factory
Avec Étienne Gernelle,
directeur du Point ;
François Chollet, conseiller
municipal de Toulouse et vice-
président de Toulouse
Métropole ;
Nadia Pellefigue, vice-
présidente de la région
Occitanie, chargée de
l’enseignement supérieur, de la
recherche, de l’Europe et des
relations internationales
17 H 14
Changement
climatique : ce que la
science a à dire aux
entreprises
Avec Céline Guivarch,
88 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
Futurapolis Planète : 
la vie devant nous
DU 24 AU 26 NOVEMBRE TOULOUSE, QUAI DES SAVOIRS
Forum. Face au changement climatique, les invités
du Point nous expliqueront comment s’en sortir.
économiste du changement
climatique, directrice
de recherche au Cired
(Centre international de
et le déve­loppement),
coautrice du rapport du Giec
Modérateur : Emmanuelle
Durand-Rodriguez, journaliste
Céline Guivarch
17 H 43
Protéines :
s’il suffisait d’un
insecte !
Avec Mehdi Berrada, PDG de
l’entreprise Agronutris
17 H 51  Modérateur : Étienne Gernelle,
Autour de Toulouse,
une ceinture verte de
fermes agro-
écologiques
Avec Amandine Largeaud,
codirectrice du 100e Singe,
tiers-lieu et laboratoire de
nouvelles activités agricoles
18 H 01
Pourquoi il ne faut pas
désespérer
Avec Estelle Brachlianoff,
directrice générale de Veolia
Modérateur : Étienne Gernelle,
directeur du Point
18 H 22
Social, environnement,
gouvernance : le
palmarès des
engagements des
grandes entreprises
Focus sur le nouveau palmarès
RSE Le Point-Statista
18 H 25
La grande peur d’un
hiver sans chauffage
Avec Marianne Laigneau,
présidente du directoire
d’Enedis
directeur du Point
18 H 46
Crise énergétique : un
moment historique
pour EDF
Avec Sylvain Vidal, délégué
régional d’EDF Occitanie
18 H 57
La philosophie
peut-elle sauver
l’innovation ?
Avec Xavier Pavie,
philosophe, professeur
à l’Essec Business School,
directeur de programme au
Collège international de
philosophie, auteur de Exercices
spirituels philoso­phiques (PUF,
2022)
Xavier Pavie
19 H 25
Sobriété, renaturation
et production
d’éner­gies renou­
velables : comment
SNCF Immobilier
s’engage pour la
décarbonation
Avec Katayoune Panahi,
À LA UNE - SP (X2)
directrice de SNCF Immobilier
et membre du comex du
groupe SNCF
 19 H 37
Comment révolu­
tionner la mobilité
Avec Christophe Hug,
directeur général adjoint de
Vinci Autoroutes
Modérateur : Étienne Gernelle,
directeur du Point
19 H 49 Une petite histoire
Expérimenter et tester : du plaisir
des actions concrètes à Avec Georges Vigarello,
l’épreuve de la vie historien, auteur d’Histoire de
réelle la fatigue. Du Moyen Âge à nos
Avec Bastien Toulemonde,
président d’Ambition Toulouse
Métropole
19 H 59
Égalité entre les
femmes et les
hommes : pourquoi il
faut accélérer
Avec Sylvie Pierre-
Brossolette, présidente du
Haut Conseil à l’égalité entre
les femmes et les hommes
Sylvie
Pierre-Brossolette
ADRIEN NOWAK/HANS LUCAS VIA AFP – JBV NEWS/SP
VENDREDI
25 NOVEMBRE
10 H  12 H  ciper à l’édition 2022 de Futurapolis Planète.
Ouverture officielle
Avec Jean-Luc Moudenc,
maire de Toulouse, président
de Toulouse Métropole ;
Nadia Pellefigue, vice-
présidente de la région
Occitanie, chargée de
l’enseignement supérieur, de la
recherche, de l’Europe et des
relations internationales
Modérateur : Étienne Gernelle,
directeur du Point
10 H 30
jours (2020, Seuil)
(Lire l’interview page 86)
Modérateur : Christophe Ono-
dit-Biot, directeur ad­joint de la
rédaction du Point
11 H 15
Notre assiette, dernier
refuge du plaisir
coupable
Jean-Pierre Poulain,
sociologue de l’alimentation,
titulaire de la chaire Food
Studies : food, cultures and
health, coauteur du
Dictionnaire des cultures
alimentaires (PUF) ;
Pierre Lambinon, chef deux
étoiles du restaurant Py-r à
Toulouse ;
Jean-Jacques Bolzan, adjoint
au maire de Toulouse, chargé
notamment de la délégation
« bien manger », président de
la Fédération des marchés de
gros de France
Modérateur : Boris Georgelin,
journaliste
La sobriété peut-elle
être heureuse ?
Avec Christian Gollier,
économiste, directeur de la
Pour un progrès
bénéfique à tous
PAR JEAN-LUC MOUDENC
À
Toulouse, nous sommes intimement persuadés
que l’audace profite au plus grand nombre.
Née de la capacité à innover de milliers de femmes
et d’hommes précurseurs, créatifs, téméraires, ingé-
nieux, la vitalité économique de notre territoire
constitue bien plus qu’un héritage. Il s’agit véritable-
ment d’un état d’esprit, partagé et doté d’un fabuleux
pouvoir d’attraction. C’est cette vitalité qui fait rayon-
ner notre territoire et attire chaque année de nou-
veaux chercheurs et
porteurs de projets dans
des domaines extrême-
ment variés ayant pour
maître mot l’innovation.
Futurapolis porte ce
même message d’opti-
misme. C’est pourquoi
nous sommes ravis d’ac-
cueillir à Toulouse, cette
année encore, cet événe-
ment qui, pendant trois
jours, réunit des témoins,
des acteurs du monde de
l’entreprise, de l’art et du
milieu associatif, pour
Jean-Luc Moudenc échanger et partager leur
Maire de Toulouse, foi dans le progrès et la
Président de ­capacité de l’humanité à
s’adapter.
Toulouse Métropole
En tant que capitale eu-
ropéenne de l’air et de l’es-
pace, pionnière de l’aventure aérienne et terre de
recherche, nous savons pouvoir compter sur nos res-
sources locales et leur exceptionnelle qualité pour
nourrir les propositions, pour que demain soit à la
fois respectueux de l’Homme et de la Planète.
Grâce à l’éclairage apporté par nos grands témoins
et nos experts, nous espérons créer l’émulation et
une dynamique de nature à transmettre l’enthou-
siasme qui est le nôtre.
Venez nombreux au Quai des savoirs pour parti-
C’est avec vous que nous pensons aujourd’hui
notre futur et cette fabuleuse idée d’un progrès
­bénéfique à tous § JEAN-LUC MOUDENC
Le Point 2625 | 24 novembre 2022 | 89
FUTURAPOLIS PLANÈTE
Toulouse School of Economics ;
Marc Benayoun, directeur
exécutif du groupe EDF, en
charge du pôle Clients, services
et territoires
Modérateur : Étienne Gernelle,
directeur du Point
14 H  l’Institute for Advanced Study
Voiture électrique, ZFE
et prix de l’essence :
quand la mobilité met
le feu aux poudres
Avec André Broto, ancien
élève de l’École polytechnique
et ingénieur civil des Ponts et
Chaussées ;
Aurélien Bigo, chercheur sur la
transition énergétique des
transports, chercheur associé à
la chaire Énergie et prospérité
Introduction par Stéphane
Lesénéchal, directeur
territorial Haute-Garonne chez
Enedis
Modérateur : Romain
Gonzalez, journaliste au Point
15 H 
La France et le
nucléaire : je t’aime,
moi non plus
Avec Kako Naït Ali, ingénieure
matériaux, docteure en chimie
des matériaux dans le domaine
de l’énergie ;
Stéphane Sarrade, directeur
de recherche du CEA, directeur
des programmes Énergies au
sein de la Direction des
énergies
Introduction par François
RETROUVEZ-NOUS SUR
evenements.lepoint.fr/futurapolis-planete
ET SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX
@LePointEvenements
Retrouvez aussi les ouvrages de nos intervenants dans notre librairie
au Quai des savoirs, lors d’une séance de signatures.
90 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
Chollet, conseiller municipal
de Toulouse, vice-président de
Toulouse Métropole chargé de
l’écologie, du développement
durable et de la transition
énergétique
Modérateur : Guerric Poncet,
journaliste au Point
16 H  in Toulouse ;
Le jeu vidéo
sauvera-t-il la
culture française ?
Avec Jean Zeid, journaliste,
commissaire de l’exposition
« Ubisoft, une odyssée
montpelliéraine » ;
Deborah Papiernik, senior
vice-présidente chargée des
partenariats et des alliances
stratégiques chez Ubisoft ;
Anne Dévouassoux, directrice
de production du studio
Kylotonn, cofondatrice de
l’association Women in Games
France et première vice-
présidente au SNJV (Syndicat
national du jeu vidéo)
Modérateur : Guerric Poncet,
journaliste au Point
17 H  « Interdits
Demain, tous HPI ?
Avec Franck Ramus, directeur
de recherche au CNRS ;
le Dr Mélina Huc, psychiatre
de l’enfant et de l’adolescent
spécialisée dans les troubles
neurodéveloppementaux
Modérateur : Boris Georgelin,
journaliste
@LePointEvents
18 H  SAMEDI
Comment sauver
la planète
Avec Ingela Alger, directrice
de recherche au CNRS,
à la Toulouse School of
Economics et directrice de
Laurent Terray, chercheur
senior au Centre européen de
recherche et de formation
avancée en calcul scientifique
(Cerfacs), coauteur du
6e rapport d’évaluation
du Giec ;
Guillaume Martinaud,
président d’Orpi, réseau
immobilier coopératif français ;
Nicolas Misiak, conseiller
municipal et conseiller
métropolitain chargé de
l’écologie en ville, de la
modernisation de la collectivité
et de l’évaluation des
politiques publiques
Modératrice : Mathilde Gardin,
rédactrice en chef numérique
au Point
19 H  le train ?
de stade » : le foot,
laboratoire
du contrôle social
Avec Pierre Barthélemy,
avocat au barreau de Paris,
exerce en droit public des
affaires  ;
Mathieu Zagrodzki, chercheur
associé au Centre de
recherches sociologiques
sur le droitet les institutions
pénales, auteur de Que fait
la police ? Le rôle du policier
dans la société (2012, Éd. de
l’Aube)
Modérateur : Romain
Gonzalez, journaliste au Point
26 NOVEMBRE
10 H 
L’avion est-il
le coupable idéal
du changement
climatique ?
Avec François Gemenne,
chercheur et coauteur
du dernier rapport
du Giec ;
Jules Langjahr, élève-
ingénieur à l’École nationale
de l’aviation civile en
spécialisation avionique
Modératrice : Mathilde Gardin,
rédactrice en chef numérique
au Point
François Gemenne
10 H 30
Mais jusqu’où ira
Avec Christophe Fanichet,
PDG de SNCF Voyageurs,
directeur général adjoint
Numérique du groupe SNCF
Modérateur : Étienne Gernelle,
directeur du Point
11 H 
Manquera-t-on d’eau
l’été prochain ?
Avec Pierre Ribaute,
directeur général de l’activité
Eau France chez Veolia ;
Pascal Boureau, président
de Haute-Garonne
environnement
Modérateur : Étienne Gernelle,
directeur du Point
SP
Parce que
sur la route
de l’électrique,
vous allez en faire
des bornes…
... commandez le Pass Ulys Electric
et rechargez votre véhicule électrique
sur la quasi-totalité des bornes en France*.
Rendez-vous sur ulys.com

*Liste des bornes concernées sur https://ulys.vinci-autoroutes.com/

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1973 boulevard de la Défense, 92 000 Nanterre, 904 869 302 RCS Nanterre.
FUTURAPOLIS PLANÈTE
11 H 30
La Lune,
poste avancé
de la conquête
martienne
Avec Hélène Huby,
cofondatrice et PDG
de The Exploration
Company, qui réalise
des vaisseaux spatiaux
avec pour objectif
qu’ils puissent être
multimissions (Terre,
Lune, Station spatiale
internationale, etc.),
ravitaillés en orbite et
réutilisables ;
Sylvestre Maurice,
astrophysicien, responsable
de l’instrument
SuperCam de la mission
Perseverance ;
Barbara Belvisi,
fondatrice d’Interstellar Lab
Modérateur : Guillaume Grallet,
rédacteur en chef tech et
sciences au Point
Barbara Belvisi
12 H 15
Les jeunes,
grands oubliés
du Covid
Avec Christophe Tzourio,
professeur d’épidémiologie et
de santé publique à l’université
de Bordeaux ;
Jean-Philippe Raynaud,
professeur de psychiatrie
de l’enfant et de l’adolescent,
chef de service
au CHU de Toulouse
Modérateur : Romain Gonzalez,
journaliste au Point
92 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
14 H 45
Seul, à deux, avec
un jouet, jamais :
les mille et une façons
de jouir
Avec Magali Croset-Calisto,
psychologue, addictologue,
sexologue, autrice des
Révolutions de l’orgasme
(2022, Éd. de L’Observatoire) ;
Agnès Giard, anthropologue
rattachée à l’université Paris-
Nanterre
Modérateur : Loïc Rivalain,
journaliste et programmateur
de Futurapolis Planète
15 H 30
Le vin est-il
devenu
infréquentable ?
Avec Me Éric Morain,
avocat, auteur dePlaidoyer
pour le vin naturel (2019,
Nouriturfu) ;
Marine Leys, vigneronne
à Gaillac (la Vignereuse) ;
Ronan Raffray, professeur
de droit privé et directeur
du mas­ter Droit de la vigne
et du vin à l’université de
Bordeaux
Modérateur : Boris Georgelin,
journaliste
16 H 15
Pixel vs. réel : tous
dans le métavers !
Avec Sébastien Borget,
cofondateur et directeur des
opérations de The Sandbox ;
Marie Franville, cofondatrice
et CEO de Nabiya studio ;
Michael Stora, psychologue
et psychanalyste, fondateur de
l’École des héros
Modérateur : Guillaume
Grallet, rédacteur en chef tech
et sciences au Point
Anticiper
plutôt que subir
PAR CAROLE DELGA
A
près un été particulièrement agité sur le front
international et climatique, l’hiver qui s’annonce
est à son tour porteur d’incertitudes. Hausse des
prix de l’énergie, risques de pénurie, inflation qui
rogne encore le pouvoir de vivre…
Et pourtant, malgré les apparences, les motifs de
se réjouir existent ! En effet, nombreux sont celles
et ceux qui se mobilisent activement pour rendre le
futur aussi vivable, voire désirable – n’ayons pas
peur des mots – que pos-
sible ! Pour vous en
convaincre, je vous invite
à venir écouter les invités
de Futurapolis Planète au
Quai des savoirs, à Tou-
louse, dans quelques jours,
à assister aux conférences
et à échanger avec eux pour
nourrir la réflexion collec-
tive. Vous constaterez que
nous avons d’innom-
brables ressources pour
prendre notre avenir en
main en endossant la res-
ponsabilité qui est la nôtre
Carole Delga
sans pour autant n’en faire
Présidente de la région
qu’une suite de renonce-
ments successifs. À la
Occitanie/ Pyrénées-
Méditerranée
­région, nous sommes plei-
nement engagés pour ap-
porter aux habitants
d’Occitanie et aux entreprises des solutions concrètes
et immédiates en réduisant le prix des transports,
par exemple, en accompagnant financièrement la
transition vers des mobilités propres ou encore en
aidant chacun à faire les investissements nécessaires
pour réduire sa facture énergétique. Donner du sens
à notre action, c’est la bâtir en relevant le défi d’un
bouleversement profond de nos modes de vies. Agri-
culture, alimentation, énergie, emploi et orienta-
tion, relocalisation de l’économie, ressource en eau,
transports, biodiversité… Sur tous ces sujets cru-
HANS LUCAS VIA AFP – SP
ciaux, la région travaille pour impulser les change-
ments qui feront que, demain, nous serons en
capacité de faire face, avec une ligne directrice :
­anticiper plutôt que subir § CAROLE DELGA
CULTURELIVRES

Tu écriras (aussi)

Tendre. Le petit garçon

de « Papa », de Nicolas
Mathieu, illustré par
Stéphane Kiehl.

À lire
}De 4 à 7 ans
Aurélie Valognes,
François Ravard,
Clovis et Oups, série
(Flammarion
­jeunesse).
} Dès 6 ans
Nicolas Mathieu,
Stéphane Kiehl,
Papa (Actes Sud
junior).
Baptiste Beaulieu,
Qin Leng,
­Les gens sont beaux
(­Les Arènes).
Agnès Desarthe,
« Mes Animaux »,
(L’École des Loisirs).
} Dès 8 ans
Marie Desplechin,
Ne change jamais,
(L’École des Loisirs).
} Dès 12 ans
Michel Bussi,
­N.É.O, série (PKJ).
Olivier Adam,
Dans la nuit blanche,
collection R, Robert
Laffont (dès 13 ans).

94 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625

 pour les enfants
À l’occasion du Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil,
nous avons interrogé les romanciers qui écrivent à la fois pour
les adultes et pour les jeunes. Voici leurs dix commandements.
PAR ÉLISE LÉPINE
N
icolas Mathieu, Agnès Desarthe, Olivier Adam,
Michel Bussi, Baptiste Beaulieu, Marie Des-
plechin, Aurélie Valognes… Côté face, ce sont
des adultes sérieux. On empile sur notre table de
chevet leurs romans aux couvertures souvent
sobres et aux héros quadragénaires. On voit par-
fois leurs noms sur des listes de prix littéraires, cer-
tains en ont décroché de prestigieux. Leurs livres
occupent les tableaux des meilleures ventes en lit-
térature générale. Côté pile, ils ont une âme d’en-
fant. Ils traînent dans les chambres de nos petits
ou de nos ados, entre un tas de chaussettes sales et
une pile de Lego. Leurs romans ont des titres rigo-
los, des couvertures flashy, des héros hauts comme
trois pommes ou en pleine guerre des boutons…
d’acné. À l’intérieur des livres, de gros carac-
tères, des illustrations. Dans la vaste fa-
mille des lecteurs, ces écrivains piochent
trois générations à la fois, de la grand-
mère au petit-fils en passant par les pa-
rents. Mais comment font-ils cette
pirouette entre les âges ? À l’école de la
souplesse, ils sont champions. Atten-
tion : le faux pas guette, entre l’écueil du
« parler jeune », qui se périme dès qu’on
pense le maîtriser, et celui de la simpli-
fication à l’extrême, qui offense la com-
plexité de l’esprit des jeunes lecteurs. Pour
plaire aux grands comme à leur progéni-
ANAÏS VAUGELADE
ture, les auteurs et autrices qui switchent
ont leurs secrets qui leur permettent de
faire un grand tour de piste sans jamais
passer pour des clowns. Revue de conseils.
Pas bête. 1. Tu ne feras pas semblant
Ci-dessus, « Mes d’être jeune
Animaux », d’Agnès
Desarthe, mis en « Ma hantise, c’est de faire “Papi retombe en adoles-
dessins par Anaïs cence” », dit d’emblée Olivier Adam, qui, comme l’in-
Vaugelade. À la tégralité de ses confrères et consœurs, bannit l’usage
recherche du bonheur. du « parler jeune ». Pas question pour eux de laisser
traîner leurs oreilles du côté des ados pour singer
leur vocabulaire. « Si une personne de mon âge maî-
trise un mot, c’est cuit, il est déjà ringard », souligne Ma-
Décomplexé. rie Desplechin. Emprunter le parler des adolescents
« Les gens sont quand on écrit pour eux, c’est courir le risque du
beaux », de Baptiste ridicule. Pire : c’est coller sur son roman une
Beaulieu. Un album date de péremption qui le rendra caduque pour
illustré par Qin Leng. les générations suivantes. « Mon livre le plus lu
Une ode à la tolérance. reste Je ne t’aime pas, Paulus, écrit il y a trente
ans, dans une époque sans ordinateur, sans Internet, et
sous Mitterrand », dit Agnès Desarthe, qui termine
sur une mise en garde : « En voulant s’adapter à l’époque,
on risque de vieillir beaucoup plus vite. » Sagesse, quand
tu nous tiens !
2. Tu laisseras ton cynisme
au vestiaire
« Écrire pour les enfants m’a rafraîchi l’esprit », se ré-
jouit Baptiste Beaulieu, le médecin-écrivain dont le
premier album jeunesse, Les gens sont beaux, car-
tonne en librairie. Son mantra ? Préserver l’inno-
cence des enfants. « Pas question, dans un album pour
enfants, de faire rire aux dépens des autres ou de som-
brer dans le cynisme, qu’ils ont tout le temps de décou-
vrir. » Comme lui, Michel Bussi se déleste, dans ses
romans pour ados, du second degré : « Pas …
Le Point 2625 | 24 novembre 2022 | 95
CULTURELIVRES

auteurs n’est vraiment seul dans sa tête. Ils ont en

commun d’écrire en présence d’un double invi-
sible qui les inspire et les guide, écho de l’enfant
qu’ils sont restés. « J’agis comme une adulte, mais je
Engagé. « Ne change suis connectée à toutes les petites filles que j’ai été », dit
jamais », de Marie Agnès Desarthe, qui pioche dans son « catalogue de
Desplechin, illustré par mini-doubles » celui de l’âge du personnage sur le-
Aude Picault. Pour les quel elle est en train d’écrire. À cette petite fille mi-
citoyens en herbe. roir, elle demande si elle ne l’ennuie pas. La réponse,
évidemment, est d’une franchise impitoyable. Mi-
chel Bussi trouve même dans l’exercice le secret
d’une éternelle jeunesse : « Le premier amour, la ré-
volte, la passion existaient chez les adolescents il y a des
siècles. Il faut se projeter dans le jeune homme que l’on
était et y puiser cet état d’âme intemporel. »

6. Tu écriras le livre
que tu aurais voulu lire
Tous … ­besoin de faire le malin, ni d’être grinçant. Avec Petit, Baptiste Beaulieu a souffert de la « malédiction
à Montreuil ! eux, il faut être entier, sans sous-entendus », confie-t-il. des Celtes », une rosacée lupique provoquant de vio-
Le Salon du livre et Ils sont unanimes : un peu de premier degré, ça « dé- lentes rougeurs au niveau du visage. On s’est beau-
de la presse jeunesse verrouille les émotions ». coup moqué de lui. « Qu’est-ce que j’aurais aimé, à cette
de Montreuil se tien- époque, lire Les gens sont beaux ! » Pour permettre un
dra du 30 novembre
au 5 décembre, à l’es- 3. Tu ramasseras des perles processus d’identification, les écrivains jeunesse
pace Paris-Est Mon- écrivent des histoires dans lesquelles les héros ont
treuil. Il rassemblera L’expression est d’Aurélie Valognes, dont la série l’âge de leurs jeunes lecteurs. Inutile d’espérer cap-
cette année 400 mai- Clovis et Oups enchante les petits en mettant en tiver un enfant avec les aventures d’un personnage
sons d’édition et scène le jeune Clovis et son chien Oups, en vacances de l’âge de ses parents. Mais « la littérature jeunesse est
250 auteurs. En 2019, chez leurs grands-parents, un papi poissard et une une affaire sérieuse, ces livres-là seront peut-être les seuls
il a accueilli
180 000 visiteurs. En mamie gaffeuse. « À chaque fois que je pars en vacances à faire une différence », avance Nicolas Mathieu. Chez
2021, malgré les res- avec mes enfants, je récolte une mine d’anecdotes hila- la plupart des écrivains, il y a la volonté d’écrire pour
trictions sanitaires, rantes qui finissent dans mes albums. » Pratique, la vie ! éclairer, rassurer, consoler, comme ils auraient aimé
151 000. Des chiffres l’être à cet âge. « S’il y a un endroit où l’on apprend qu’on
qui témoignent de
l’excellente santé de
4. Tu traiteras les petits n’est pas seul à être mélancolique, à être gay, à avoir des
l’édition jeunesse, avec grand respect problèmes de famille ou à se sentir à la marge, c’est bien
qui représente 20 % dans les livres. Il m’arrive de piocher dans les rayons de
du chiffre d’affaires Pas question de prendre les enfants pour des ni- littérature ado et de me dire : “Mince, qu’est-ce que j’au-
de l’édition, avec gauds, ni de leur servir des intrigues un peu tartes rais eu besoin de lire ça à cet âge !’’ », dit Olivier Adam.
17 000 titres parus et ou des phrases bancales : « Quand on écrit pour les en- Il n’est jamais trop tard pour mettre du baume au
une progression de fants, il serait affreux de se dire : “C’est pas beau, mais cœur du grand enfant qu’on a en soi…
16 % du chiffre d’af-
faires du secteur en c’est pas grave’’ », juge Marie Desplechin. « Il ne faut
2021.  pas rabaisser son exigence, ni ménager l’enfant pour qui 7 Tu ne feras pas de chichis
Source : Sylvie Vassallo, la lecture est une manière d’apprendre le monde », ren-
directrice du Salon du chérit Nicolas Mathieu, Prix Goncourt 2018 pour « Renverser le dictionnaire dans son livre n’a jamais aidé
livre et de la presse Leurs enfants après eux, qui émeut petits et grands le texte », estime Marie Desplechin, qui plaide pour
­jeunesse de Montreuil.
avec ses beaux albums pour enfants. « Il est très im- une littérature « sans chichis », pour les enfants
portant de ne pas considérer que les jeunes lecteurs ont comme pour les adultes. Son travail consiste à écrire
une capacité moindre de compréhension. Il ne faut pas d’abord avec une syntaxe complexe et un vocabu-
en avoir peur, ni les regarder de haut. Les adultes cherchent laire sophistiqué, hérités de la littérature classique,
des réponses, mais les enfants sont dans la question. Je qu’elle adore. Ensuite, elle élague, éclaircit, simpli-
règle mon compas sur cette étoile-là pour écrire, avec une fie, passe au présent, cherche des mots de sens équi-
immense confiance dans l’enfance », ajoute Agnès De- valent mais de moindre complexité. « Plus on va vers
sarthe. Qui a parlé d’âge bête ? la clarté, plus c’est joli », juge-t-elle. Plusieurs auteurs
switcheurs s’avouent d’ailleurs très heureux de s’of-
5. Tu auras un petit “moi” en toi frir, le temps d’une sortie jeunesse, une respiration
loin de l’impitoyable milieu littéraire. « Dans le pe-
« Pour écrire une bonne histoire, jolie, sincère, j’ai un tit monde des écrivains, on se connaît, on s’observe. Il
petit lecteur au fond de moi que je ne dois surtout pas existe un jeu de reconnaissance : on les flatte, ils nous flat-
laisser de côté », dit Marie Desplechin. Aucun de ces tent. Avec un enfant, cette connivence n’existe …
96 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
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LES LAURÉATS DE L’ÉDITION 2022

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CULTURELIVRES
… pas », dit encore Marie Desplechin. Les écrivains
apprécient aussi la pause d’une sortie sans la pression
de la rentrée littéraire et son cortège de prix. Loin des
cocktails et des salons du livre dans lesquels chacun juge
l’autre, ils entament une tournée des écoles, des collèges
et des salons du livre jeunesse. Là, « j’ai plein de gosses qui
me disent “Madame, comment vous faites, c’est ma vie !’’ », ra-
conte Marie Desplechin. Gratifiant.
8. Tu chercheras ton âme sœur
« On a le même humour. Quand il commence une blague, je
la finis, et vice versa. Je collectionne ses toiles. L’une d’elles m’a
inspiré un roman pour adultes… » Aurélie Valognes parle
du dessinateur François Ravard avec des étoiles dans les
yeux. Clovis et Oups, c’est d’abord l’histoire d’un coup de
foudre amical et professionnel avec cet artiste qui vit à
100 mètres de chez elle et joue au tennis avec son mari.
À force de pouffer devant les pitreries de leurs enfants
respectifs, l’idée de l’album a germé. « J’avais été contac-
tée par plusieurs maisons pour faire de la jeunesse, mais je
n’avais jamais vraiment trouvé le ton juste. Avec François,
j’ai eu un sentiment d’évidence », assure celle pour qui écrire
un album jeunesse, c’est d’abord être en harmonie avec
celui qui le crayonne.
9. Tu liras, reliras, et re-reliras
Le Petit Nicolas
Plus de la moitié des auteurs interrogés ont cité le grand
Goscinny. « C’est ma boussole », dit Agnès Desarthe. Avant
d’attaquer l’écriture d’un livre pour enfants, Olivier
Adam s’immerge dans l’écoute des livres-disques du Pe-
tit Nicolas. Cette fameuse « langue intemporelle de l’en-
fance », Goscinny l’a capturée. Et ça ne changera jamais.
10. Tu bichonneras les parents
Il n’y a pas plus obsessionnel qu’un enfant de moins de
7 ans. « Mes fils me réclament 500 fois les mêmes histoires.
Évidemment, je pense aux parents qui vont plonger chaque
soir dans le même livre. J’ajoute des références qui échappent
aux petits, des détails qui les feront sourire… », dit Aurélie
Valognes. Nicolas Mathieu se donne pour règle d’or de
« faire un livre dont puissent jouir un enfant et un adulte, avec
ce fantasme qu’ils le liront tous les deux, un soir, dans cette
bulle qui précède le coucher, quand la voix de l’un vient allu-
mer l’imagination de l’autre… » Et Baptiste Beaulieu sent
son cœur chavirer à chaque fois qu’il reçoit le témoi-
gnage d’un parent bouleversé par Les gens sont
beaux – sa page Instagram en regorge. Voici
le vrai tour de magie de ces acrobates de
la littérature : faire de nous le genre de
parents qui réclament, chaque soir, une
histoire à leurs enfants §
Rafraîchissant. Les intrépides
« Clovis et Oups », d’Aurélie
Valognes et François Ravard.
98 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
Le retour de la fille
de Cléopâtre
PAR MARINE DE TILLY
«P
ersonne ne pourra plus ignorer que, pour Cléopâtre
Séléné, sous le règne du “dieu oblique”, le monde était
noir. » Françoise Chandernagor a un faible pour
les enfants de rois que la postérité a jetés par-dessus bord.
Après les bâtards de Louis XIV et d’Athénaïs de Montes-
pan (L’Allée du roi) et le dauphin Louis XVII, abandonné
comme un rat après l’étêtage de ses parents (La Chambre),
la première femme major de l’ENA ajoute Séléné – née en
40 av. J.-C. de l’union de Cléopâtre, reine d’Égypte, avec le
général romain Marc Antoine – à son épatant panthéon
des rejetons sacrifiés. Et elle s’y attarde, même, puisque,
après Les Enfants d’Alexandrie, Les Dames de Rome et L’Homme
de Césarée, ce Jardin de cendres est le quatrième volet de La
Reine oubliée. Seule survivante de
la bataille d’Actium – qui céda dé-
finitivement l’Égypte à Rome –, Sé-
léné est soumise à la damnatio
memoriae, l’interdiction du souve-
nir. Sauf qu’elle n’oublie rien, « éter-
nelle vaincue mais éternelle farouche »,
et qu’elle ne songe qu’à humilier
les Romains, qui, certes, l’ont re-
Françoise Chandernagor. cueillie, mais l’ont arrachée à
Alexandrie après avoir massacré
SEULE SURVIVANTE DE LA sa famille. « Il n’y a pas en ce monde
BATAILLE D’ACTIUM, de joie sans mélange, écrit Chander-
SÉLÉNÉ EST SOUMISE À LA nagor, pas même le plaisir, enivrant,
« DAMNATIO MEMORIAE », d’enterrer son ennemi. » À 20 ans, elle
L’INTERDICTION DU épouse Juba, roi de Maurétanie,
SOUVENIR. SAUF QU’ELLE mais elle perd ses trois petits. Dans
N’OUBLIE RIEN. son jardin endeuillé de Césarée,
« sans fleurs et sans fruits, sans papil-
lons multicolores ni volières d’oiseaux bleus, un jardin aux cou-
leurs de son âme, noir et gris », Sénélé pleure ses enfants et
son empire. Jusqu’au jour où, épuisée de deuil, elle quitte
sa nécropole et se met à courir tous les sanctuaires de la
Méditerranée propices à la fécondité. Les dieux l’exaucent
et de cette folle entreprise naît Ptolémée, « l’ultime de la li-
gnée », qui – c’est le plan – succédera à son père et surtout
vengera, enfin, l’Égypte des pharaons et l’honneur assas-
siné. Sauf que partout, Rome domine, opprime et crucifie.
Entre un Auguste vieillissant et haï, un Tibère tyrannique
mais pour qui on aurait presque un peu de compassion
comparé à son neveu Caligula ; entre meurtres sanglants,
incestes, unions consanguines et l’ambition veule qui en-
flamme le cœur des hommes et des femmes…, Chander-
nagor fait les 400 coups et nous emporte dans une épopée
LP/ OLIVIER CORSAN/SP
spectaculaire aussi docte que du Suétone et aussi eupho-
risante qu’une série Netflix §
Le Jardin de cendres, de Françoise Chandernagor
(Albin Michel, 592 p., 23,90 €).
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Titre Auteur Éditeur

1 R Vivre vite Brigitte Giraud Flammarion 2 3
Fils de personne
2 R Jean-François Pasques Fayard - 1
(prix du Quai des Orfèvres 2023)
3 R Le Mage du Kremlin Giuliano da Empoli Gallimard 1 22
4 R Angélique Guillaume Musso Calmann-Lévy 4 9
5 R La Constance du prédateur Maxime Chattam Albin Michel 3 3

Langages
6 R Blanc Sylvain Tesson Gallimard 5 6
7 E 29 Ans d'amours chaotiques Noholito First 9 2
Cette lumière en nous.
8 E Michelle Obama Flammarion - 1
S'accomplir en des temps incertains

de vérité
9 E La Vie secrète des gènes Évelyne Heyer Flammarion - 1
Soleil sombre
10 R Éric-Emmanuel Schmitt Albin Michel 7 3
(La Traversée des temps, tome 3)
11 E La Cavale Marco Mouly/Julie Madar HarperCollins 13 3
12 R Le Royaume désuni Jonathan Coe Gallimard - 1
13 R Un chien à ma table Claudie Hunzinger Grasset 25 2
14 E Le Désir, une philosophie Frédéric Lenoir Flammarion 18 2
Paroles d'honneur.
15 E Pierre de Villiers Fayard - 1
Lettres à la jeunesse
16 E Cette vie... et au-delà Dr Christophe Fauré Albin Michel 16 2

17 E
Histoire intime de la Ve République.
La belle époque
Franz-Olivier Giesbert Gallimard 17 4 Essais
18
19
R
E
Agatha Raisin, enquête 32. Cul sec !
Jésus. L’enquête
M. C. Beaton
Jean Staune
Albin Michel
Plon
8
-
3
1
2003-2020
20 R Londres Louis-Ferdinand Céline Gallimard 11 6
21 E Les Correspondants Grand Corps malade/Ben Mazué JC Lattès 14 5
22 R Billy Summers Stephen King Albin Michel 19 9
23 E Climat, la part d'incertitude Steven E. Koonin L'Artilleur - 1
Galia Ackerman/
24 E Le Livre noir de Vladimir Poutine Robert Laffont - 1
Stéphane Courtois
25 R Cher connard Virginie Despentes Grasset 15 13
R : Romans et nouvelles E : Essais et documents Entrée ou retour dans la liste “C’est un feu d’artifice de liberté, d’intelli-
gence et de plaisir.”
La minute antique Christophe Ono-dit-Biot, Le Point

ARISTOTE COINCE LA BULLE. Aristote à l’heure du thé. Ainsi

“Extraordinaire plaidoyer d’un écrivain qui
s’intitulait un recueil d’articles du génial Oscar Wilde, où il ne revendique pourtant rien d’autre que le
­traitait de l’importance quasi philosophique du macaroni ou droit de rêver.”
des truffes blanches de Turin dont raffolait Alexandre Dumas. Didier Jacob, L’Obs
Plus d’un siècle après, c’est un Aristote à l’heure de la bande
dessinée qui surgit en librairie, porté par un attelage de deux “Un foisonnant et passionnant recueil d’essais.”
talents grecs, Alecos Papadatos et Tassos Apostolidis, ce dernier Florence Noiville, Le Monde des Livres
s’étant fait une spécialité de la relecture pop des grands person-
nages de l’Antiquité. Aristote – c’est le titre simple et efficace de “Une fête d’humour et d’intelligence.”
cet album (Dargaud, 216 p., 25,50 €) – est le véhicule idéal pour Ilana Moryoussef, La Matinale – France Inter
faire goûter aux plus jeunes les délices de ses interrogations sur
l’éthique, mais aussi leur faire comprendre qu’on peut être “Un recueil aussi passionnant qu’engagé.”
­philosophe et mener une vie haute en couleur. On y croise ainsi Laëtitia Favro, Lire Magazine littéraire
le fougueux Alexandre le Grand (« Celui qui vainc ses désirs est
plus courageux que celui qui vainc ses adversaires », tente en vain “Indispensable.”
Aristote) et une charmante Pythias, future compagne du maître,
jouant les Isadora Duncan avant l’heure entre deux colonnes. Nathalie Crom, Télérama
Ludique, instructif, antique. On ne demande rien de plus. On
attend juste le prochain § CHRISTOPHE ONO-DIT-BIOT
CULTUREART
Joan Mitchell,
couleur et fureur
L’énergie de son geste et sa palette ont fait face à tous les tourments.
Trente ans après sa mort, les œuvres de l’artiste américaine
­dialoguent avec celles de Monet. Quelle femme, quelle vie !
PAR VALÉRIE MARIN LA MESLÉE
À THE ESTATE OF JOAN MITCHELL, COURTESY JOAN MITCHELL FOUNDATION
certains moments, cette écorchée vive pou-
vait sortir les griffes. Mieux valait alors ne pas
l’approcher de trop près. Mais de ces tableaux,
toujours, au plus profond : « Si vous ne traversez pas
la toile, ce n’est rien », disait Joan Mitchell (1925-
1992). L’artiste américaine a vécu presque vingt-
cinq ans dans une maison face à celle de Claude
Monet à Giverny, le peintre disparu un an après
la venue au monde de celle qui aimait qu’on la
­surnomme « Big Joan » : « Une personnalité excep-
tionnelle et un personnage effrayant qui a combattu des
démons intérieurs de toutes ses forces vives », résume
Florence Ben Sadoun dans le beau récit biogra-
phique qu’elle consacre à cette figure trop mé­
connue en France. Pourtant ! Ses toiles éclatent en Feux d’artifice.
feux d’artifice sur les murs de la Fondation V­ uitton : « La grande vallée XIV »,
splendeur à tous les étages, depuis le rez-de-­bassin, de Joan Mitchell (1983).
100 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
où se tient sa première grande rétrospective en
France, jusqu’aux trois niveaux où se déroule le
dialogue artistique entre les trente-cinq œuvres
de chacun des artistes. Couleurs, reflets, paysages
(intérieur/extérieur), tout est suffocant de beauté.
Le syndrome de Stendhal – « ce point d’émotion où
se rencontrent les sensations célestes données par les Beaux-­
Arts et les sentiments passionnés », dixit l’écrivain –,
Florence Ben Sadoun l’a éprouvé en découvrant un
jour La Grande Vallée, diptyque de 1983, ­gigantesque
organisme de jaune, de bleu, de vert, la réponse de
Mitchell aux vallées de larmes que pourraient
­engendrer les drames de la vie. Sur les 21 toiles qui
composent l’œuvre de l’artiste, 10 sont réunies dans
l’exposition. Et l’idée d’un tremblement provoqué
par une émotion artistique hors du commun, voilà
qui aurait réjoui Joan Mitchell, si exigeante, jusqu’à
la colère, vis-à-vis de ceux qui parlèrent de son
œuvre, immense, dans tous les sens du terme.

Joan Mitchell naît à Chicago, d’une mère poé-
tesse, Marion Strobel, atteinte de surdité, et d’un
père médecin amateur d’art, qui aurait préféré un
garçon. Riche enfance, mais solitaire, malgré une
sœur chérie, Sally. Après ses études d’art, elle part
pour New York, vivant à Brooklyn au cœur de
l’avant-garde littéraire avec son futur premier mari
RUDY BURCKHARDT/FONDATION JOAN MITCHELL/SP
Barney Rosset… La bourse qu’elle obtient en 1948
pour la France, et sa découverte du Midi, confirme
son panthéon personnel : Van Gogh, Cézanne,
­Matisse. « Pour moi, la peinture est française », affir-
mait-elle. Et des artistes français, elle soulignait le
« sens de la couleur qui n’est pas autorisé à New York ».
Alors qu’elle est déjà reconnue comme une grande
de l’expressionnisme abstrait américain, seule
femme aux côtés de Kooning et de Kline, Joan Mit-
chell plie bagage en 1955 pour Paris, et s’installera
définitivement en 1959 en France. Son premier
polyptyque, The Bridge, 1956, marque à la fois ce
« Big Joan ».
L’artiste phare de l’ex-
pressionnisme abstrait
américain dans son
­atelier, à New York, en
1957. Deux ans plus tard,
elle s’installera définiti-
vement en France.
« La peinture c’est l’inverse
de la mort, elle permet
de survivre, elle permet
aussi de vivre. » J oan Mitchell
format qui lui sera cher et l’aller-retour perma-
nent, réel et imaginaire, entre ses deux continents.
À Paris, Joan Mitchell rencontre Beckett, un ami
pour la vie, et Jean-Paul Riopelle, peintre et sculp-
teur canadien, avec lequel elle vivra un amour
­tempétueux pendant vingt-quatre ans. À partir de
1968, elle s’installe à Vétheuil dans une maison
­acquise grâce à son héritage : La Tour, avec vue sur
la Seine, sera son lieu de vie et de création (syno-
nymes), son jardin, ses chiens, la visite d’amis,
­d’artistes connus ou apprentis, les discussions
­animées, arrosées de vin blanc. Elle contemple de
jour et peint de nuit, en musique, et jusqu’au bout
se hissera sur une échelle pour atteindre le som-
met de ces immenses triptyques où son geste et
sa palette répondent à la mélancolie qu’aucune
autre jouissance n’aura pu réduire à néant.
« Feelings ». « Ma peinture est abstraite, mais c’est
aussi un paysage », dit-elle, et, à Vétheuil, elle peint
en mémoire de son cher lac Michigan, autant que
sur cette lisière normande. Et Monet dans tout ça ?
« Ça la mettait dans une couleur bleue que l’on ­continue
à l’associer à Monet juste à cause de sa proximité géogra­
phique », souligne Ben Sadoun. L’exposition établit
un continuum dans le rapport fusionnel à la ­nature,
dans ce que Monet nommait « sensation » et ­Mitchell
« feelings » (disant de ses tableaux : « they are about
feelings »), les deux finissant par se rejoindre dans
les formats monumentaux (voir le triptyque de
L’Agapanthe de Monet, exposé dans son intégralité
pour la première fois depuis 1956 à Paris). ­Ajoutons,
pour finir, l’indéfectible lien de Mitchell aux mots.
Lectrice de Proust, de Rilke, complice du poète
Jacques Dupin, elle dédia à son ami Frank O’Hara
son tableau Ode to Joy (titre d’un de ses poèmes),
et cela après la mort accidentelle de celui-ci en
1966. Quand Joan Mitchell succombe à un ­cancer,
à 67 ans, Riopelle retrace de l’autre côté de l’Atlan-
tique leur grand amour en une fresque monumen-
tale. À l’heure de leur séparation si douloureuse,
en 1979, Mitchell peignait La Vie en rose… « La pein­
ture c’est l’inverse de la mort, elle permet de survivre,
elle permet aussi de vivre. » Combien d’hommages
éblouissants de vie aura-t-elle rendus à ses dispa-
rus… Celui de la Fondation Vuitton, trente ans
après sa mort, risquerait bien de provoquer chez
les visiteurs un certain… syndrome de Stendhal §
Claude Monet-Joan Mitchell. Rétrospective Joan Mitchell. Fon-
dation Vuitton, jusqu’au 27/2/23. Catalogue coédité par le musée
Marmottan Monet et la Fondation Vuitton. Joan Mitchell. La fureur
de peindre, de Florence Ben Sadoun (Flammarion, 265 p., 19 €).
Le Point 2625 | 24 novembre 2022 | 101
CULTURECINÉMA
Comment sauver
le cinéma français ?
Fréquentation des salles
en baisse, concurrence
des plateformes et des
blockbusters américains…
Le patron du CNC répond.
PAR CHRISTOPHE ONO-DIT-BIOT ET JEAN-LUC WACHTHAUSEN
E
n l’espace de trois ans, les salles de cinéma ont
perdu environ 40 millions de spectateurs. La
crise du Covid a modifié les habitudes des Fran-
çais, alors que les salles croulent sous le nombre
de films à l’affiche (de 15 à 18 par semaine !), que
la concurrence des plateformes de streaming ne
cesse de faire rage et que les jeunes sont toujours
plus nombreux à préférer passer leur temps libre
sur les réseaux sociaux ou YouTube. Comment le
cinéma français peut-il réagir, lui qui représente en-
core 35 ou 40 % de parts de marché, dans un contexte
qui voit aussi les blockbusters américains se tailler
102 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
Engagé. Dominique
Boutonnat a été
la part du lion en salles (huit films en tête dans le
box-office 2022), et préserver ce qui a fait sa force et
nommé par Emma- son attractivité dans le monde entier ? Fer de lance
nuel Macron président
du Centre national du
de ce cinéma jadis réputé pour son glamour et son
anticonformisme, le Centre national du cinéma et
cinéma et de l’image de l’image animée (CNC) est autant critiqué chez
animée (CNC) en juillet
2019 et reconduit.
nous pour son supposé entre-soi que salué à l’étran-
ger. En effet, son système de financement unique
­Autour, quelques-uns largement redistributeur (deux tiers automatiques,
des succès du cinéma un tiers sélectif) est garant d’une certaine souverai-
français. Tous les films neté artistique et d’une liberté de création et de dif-
français reçoivent fusion dans un univers de plus en plus compétitif
le fonds de soutien et formaté. Dominique Boutonnat, son président,
du CNC. dont le mandat vient d’être renouvelé, a accepté de
répondre au Point sur toutes les questions qui fâchent.
Le Point : Selon une récente étude de
VINCENT BAILLAIS/CNC - SP (X3)
l’Ifop, 29 % des Français affirment qu’ils ne
retourneront pas au cinéma. Une culture
n’est-elle pas en train de disparaître ?
Dominique Boutonnat : Mais non ! C’est vrai qu’on
a depuis le début de l’année moins 25 % d’entrées
en salles par rapport à la moyenne 2017-2019. Mais
n’oublions pas que, durant les trois premiers …
maison habile. crédits photo : Laurent Rouvrais

CHAQUE WEEK-END,
GARDEZ LE TEMPO
DE LA CULTURE.
19h le vendredi FRÉDÉRIC BEIGBEDER
CONVERSATIONS D’UN ENFANT DU SIÈCLE

11h le week-end DAPHNÉ ROULIER

FEMMES MAJEURES

Écoutez Radio Classsique en direct ou replay sur radioclassique.fr,

l’application mobile Radio Classique et en DAB+
CULTURECINÉMA

UN FILM SOUTENU QUI MARCHE UN AMÉRICAIN QUI FINANCE UN FILM ÉTRANGER QUI EXISTE

« L’Innocent », de Louis Garrel(en salles « Top Gun II », de Joseph Kosinski (en salles « La Conspiration du Caire », de Tarik Saleh
le 12 octobre) : plus de 620 000 entrées. le 25 mai) : plus de 6 millions d’entrées. (en salles le 26 octobre) : plus de 340 000 entrées.

… mois de 2022, les salles étaient encore sou- Qui paie, alors ?

mises à des mesures barrières et qu’on a eu beau-
coup moins de films américains que d’habitude.
Dès qu’il y a une offre forte de films, américains
ou français, les spectateurs reviennent, comme on
le voit actuellement. On devrait même atteindre
autour de 155 à 160 millions d’entrées en fin d’an-
née par rapport aux 200 des années pré-Covid, et
les salles de cinéma sont optimistes pour 2023.
Bien sûr, il y a aujourd’hui une concurrence avec
un autre type de loisirs et la tendance s’est accen-
tuée avec le confinement : entre rester chez soi et
sortir, les gens s’interrogent davantage. Cela dit, je
reste optimiste : les crises du cinéma sont cycliques.
Des années 1980 aux années 1990, la fréquentation
s’était érodée pour tomber à 112 millions d’entrées.
À quoi sert le CNC, dont vous êtes le patron ?
Pour beaucoup de gens, c’est un « machin à
la française » qui subventionne un cinéma qui,
sans lui, mourrait…
On dit beaucoup de choses fausses. Le CNC est
Le CNC est né après-guerre, en 1946, au moment
du plan Marshall : en contrepartie de leur aide fi-
nancière, les Américains avaient demandé l’ouver-
Parts de marché ture des salles françaises aux films de Hollywood.
des longs- C’est ce qu’on appelle les accords Blum-Byrnes
métrages (de Léon Blum et James F. Byrnes). Mais aussitôt,
en salle pour éviter que le cinéma français ne soit balayé
par cette déferlante, on a créé un système très in-
Films Films
américains français génieux : taxer chaque billet de cinéma, donc y
compris les films américains, pour soutenir la
construction de nos salles et la production fran-
çaise. Voilà le principe du financement du CNC. Ce
qui fait qu’aujourd’hui, quand Black Panther 2 car-
43 En 2021, 40,6 tonne en salles, ça alimente le fonds de soutien du
en %
CNC. D’autres taxes ont ensuite été créées, sur les
14 chaînes télé, les DVD, les fournisseurs d’accès à In-
ternet et, récemment, sur les plateformes comme
Autres Films Netflix, Amazon Prime Video, Disney+, YouTube…
films européens Notre budget 2022 est de 703 millions d’euros. Cet
argent est ensuite redistribué, de façon automa-

un outil unique au monde qui accompagne aussi
bien le cinéma que les séries, les documentaires,
l’animation, et même le jeu vidéo et la création
immersive. Et on ne sait pas assez que, pour le ci-
néma, les deux tiers des aides du CNC sont calcu-
lées en fonction des entrées réalisées en salles. C’est
ce qu’on appelle le soutien automatique. C’est-à-
dire que, si un film enregistre 1 million d’entrées,
son producteur génère environ 0,8 euros par en-
trée, soit environ 800 000 euros, qui vont automa-
tiquement sur un compte au CNC. Le producteur
pourra ainsi réinvestir dans une prochaine produc-
tion française. C’est une vraie dynamique appor-
tée au cinéma français. Le CNC fonctionne aussi
de manière autonome par rapport au budget de
l’État à travers un système de taxes prélevées sur
le secteur. Il ne coûte rien au citoyen, ne demande
donc aucune aide à l’État. Sauf lors de la période
Covid, évidemment.
« Notre modèle repose
­toujours sur la rencontre
entre l’art et l’industrie. »
104 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
2,4 Source : CNC.
Répartition
des aides
du CNC
L'avance sur recettes
(aide sélective)
constitue 1/3 des aides.
Le fonds de soutien
concerne les 2/3
restants, constitué
d'une aide automa-
tique sur les recettes
des films.
LES FILMS DES TOURNELLES/SP – ATMO/SP – PARAMOUNT PICTURES FRANCE/SP – STUDIO GHIBLI/SP – FR_TMDB/SP
tique, pour deux tiers, ou sélective, pour un tiers.
Un système purement français ?
À l’origine oui, mais le CNC est devenu une réfé-
rence en Europe et dans le monde. Par exemple, la
Corée du Sud qui s’est dotée d’une structure proche,
le Kofic (Korean Film Council), destiné à soutenir
son cinéma, avec les résultats qu’on connaît : Park
Chan-wook, Bong Joon-ho, Palme d’or avec Para-
site, quatre fois oscarisé, et succès mondial et pu-
blic. Ce qui me frappe toujours quand je voyage,
c’est que la France est admirée pour son modèle,
qui permet de faire exister notre culture et celle
des autres face à la surpuissance des mastodontes
américains. On s’adapte en permanence aux évo-
lutions de ces secteurs, mais notre modèle repose
toujours sur la rencontre entre l’art et l’industrie.
On reproche souvent au CNC de soutenir par
son système d’avance sur recettes un cinéma
sans prise de risques…
C’est l’inverse ! L’avance sur recettes est là pour sou-
tenir un cinéma plus artistique qui, sans elle, ne se
ferait pas forcément. Les plus grands noms du ci-
néma français en ont bénéficié, de Truffaut à Ozon,
en passant par Jacques Audiard, Valeria Bruni Tedes-
chi, Louis Garrel ou Rebecca Zlotowski. Cette aide
est là pour favoriser la liberté de création, de même
 UN FILM D’ANIMATION MODÈLE UNE SÉRIE TV QUI S’EXPORTE la prise de risques de producteurs tels que Gau-
mont, par exemple. Mon rôle se situe en effet
plus en amont : dans la composition des commis-
sions de professionnels qui attribuent les aides
du CNC, qu’on renouvelle chaque année. C’est
en veillant à leur diversité qu’on évite l’entre-soi.
On a récemment atteint la parité, et j’ai engagé un
travail en variant les origines professionnelles,
géographiques, culturelles. Mais aussi en nom-
mant plus de jeunes, issus d’écoles comme la Fé-
« La Tortue rouge » (2016), de Michael Dudok « HPI »(2021), diffusée dans plus de mis, sans oublier celles tournées vers la diversité
de Wit : 340 000 entrées. 90 pays. comme Kourtrajmé [la structure d’où sont issus
Les Misérables, de Ladj Ly, NDLR] ou La CinéFa-
que l’aide aux cinémas du monde pour les cinéastes brique. J’ai par ailleurs nommé Xavier Giannoli
étrangers, l’un de nos dispositifs emblématiques, coprésident du 1er collège de l’avance sur recettes
dont a bénéficié le jeune Tarik Saleh pour La Conspi- pour bénéficier de son expérience pour examiner
ration du Caire, actuellement en salles [340 000 en- les projets de premiers films. Le CNC doit être un
trées, NDLR]. C’est essentiel pour nous que la France laboratoire ouvert à la diversité des talents.
permette à des grands cinéastes de faire des films, en Jérôme Seydoux, le patron de Pathé, trouve
liberté, dans leur pays, films qu’ils ne pourraient pas que vous saupoudrez trop les aides, que le
faire sans nous… Il y va de notre soft power. cinéma français, formaté par les chaînes de
On reproche aussi à cette avance sur recettes télévision qui le financent en majorité, devrait
son entre-soi par le jeu des commissions qui miser sur les films ambitieux à gros budget,
distribuent ces aides. Comment expliquer comme « Les Trois Mousquetaires », qu’il est
qu’un film comme « Les Illusions perdues », en train de préparer. Qu’en pensez-vous ?
salué par tous et reconnu par le public, n’ait Je pense qu’il faut être plus précis. Le soutien au-
pas obtenu l’avance sur recettes ? tomatique, qui représente la majorité de nos aides,
Vous avez raison, mais heureusement ce film re- bénéficie à tous les films, y compris les films à
marquable a pu voir le jour notamment grâce à gros budget comme Les Trois Mousquetaires. …

munch
Edvard Munch, Vampire, 1895, huile sur toile, 91 × 109 cm, Oslo, Munchmuseet. Photo © CC BY-NC-SA 4.0 Munchmuseet.
Un poème de vie,
d’amour et de mort

musée d’orsay
20 septembre 2022
22 janvier 2023
Réservation à l’avance
fortement conseillée

Avec le généreux soutien de Cette exposition est organisée En partenariat média avec Billets | informations
par le musée d’Orsay, Paris, musee-orsay.fr
avec le soutien exceptionnel
du MunchMuseet, Oslo.
CULTURECINÉMA

… ­Maintenant, il y a toujours un équilibre à Répartition du financement Mandats**

trouver entre un cinéma plus commercial et des
œuvres plus inattendues. C’est cette combinaison
des films d’initiative française Aides
sélectives
qui fonde la force de notre cinéma, un art popu- Diffuseurs* CNC et aides
laire depuis sa création, et les résultats sont là : de- régionales***
30,1 15
puis vingt ans, nos films représentent entre 35 et
Producteurs Apports
40 % de parts de marché. Si on regarde d’autres français 6,4 étrangers
grands pays européens comme l’Italie, on voit que En 2021,
en % 4,6
notre cinéma va bien mieux, qu’il est très diversi- Soutien
fié, et l’un des plus primés au monde dans les plus Source : CNC. automatique
grands festivals : Grâce à Dieu, de François Ozon, *Chaînes télé. 37,1 CNC 3,6
**Salles, vidéos.
Grand Prix à la Berlinale en 2019, Titane, de Julia ***Incluant les apports du CNC. Sofica 3,2
Ducournau, palme d’or à Cannes en 2021, L’Événe-
ment, d’Audrey Diwan, lion d’or à la Mostra en 2021,
Saint-Omer, d’Alice Diop, lion d’argent cette année Mais encore ?
et qui représente la France aux Oscars… Alors ne Il faut mettre le paquet sur la cinéphilie par l’édu-
me parlez pas de formatage… cation à l’image. Regarder un certain type d’œuvres,
Pourtant, de quinze à dix-huit films français et c’est comme la lecture, ça s’apprend. On le fait en
étrangers à l’affiche chaque semaine, n’est-ce collaboration avec l’Éducation nationale. On a
pas suicidaire pour tout le monde ? relancé les ciné-clubs dans les collèges et lycées
Je ne pense pas qu’il y ait trop de films dans l’ab- Répartition avec 800 jeunes du service civique, sans oublier le
solu. Mais oui, il y a trop de films en salles chaque des ressources pass Culture. Il faut mobiliser toutes les courroies
semaine. On l’a tous vécu : ne pas pouvoir voir un fiscales du CNC de transmission afin de susciter l’envie de notre
film parce qu’il ne reste que deux semaines à l’af- Prévisions en 2022, culture. C’est un sujet qui dépasse le cinéma, un
fiche. Cela nuit aux films qui ont besoin d’un peu en % vrai enjeu de société.
de temps, de bouche-à-oreille, pour trouver leur pu- TST Les plateformes américaines n’ont donc pas
blic. Alors, bien sûr, notre travail consiste à faire en Taxe sur les services de déjà gagné la partie ?
sorte d’éviter que certains films ne se fassent écarter. télévision (chaînes et Non ! Elles ne sont d’ailleurs pas les ennemies du
Et aussi on réfléchit à plus de souplesse dans notre distributeurs de services) cinéma ni les ennemies des salles : elles sont com-
système pour que certains films soient exploités 468,9 M€ plémentaires. On les a intégrées à notre modèle :
au meilleur endroit, de la meilleure manière, sur elles s’acquittent désormais d’une taxe de 5,15 %
le bon écran, pour qu’ils rencontrent leur public. 67,2 sur leur chiffre d’affaires en France et, depuis juil-
Mais, franchement, on ne peut pas dire qu’on pro- let 2021, d’obligations d’investissement dans la
duit trop d’œuvres au moment où on en regarde production audiovisuelle et cinéma, française
de plus en plus sur tous les supports. et européenne. Cela devrait représenter, dans les
Reste que ce sont tout de même les années à venir, environ 250 millions d’euros sup-
blockbusters américains qui, en France, tirent 15 17,8 plémentaires par an au profit du secteur, dont au
les wagons du train du cinéma… moins 50 millions d’euros pour le cinéma. Notre
Oui, mais encore une fois, ça rapporte de l’argent à TSA objectif, c’est qu’on soit toujours capables en France
l’ensemble du système, et ces recettes permettent Taxe sur les d’écrire, de produire et de diffuser des œuvres de
tickets de cinéma
de financer des films qui, sans cela, ne pourraient 124,5 M€ qualité en toute liberté. Avec, en prime, cette op-
pas exister. Tout le monde ne veut pas voir Black TSV portunité incroyable que sont les plateformes pour
Panther ou Smile. Taxe sur la vidéo que nos œuvres soient vues dans le monde entier,
Les jeunes vont moins au cinéma. Que faire physique et la vidéo ce qu’on n’avait pas avant…
à la demande
pour leur redonner envie ? (plateformes) Source : Mais quand Disney annule la sortie en salles
Ils vont encore en salles, mais, c’est vrai, deux 104,3 M€ CNC. de son traditionnel film de Noël, « Avalonia :
fois moins qu’avant [sept fois par an il y a dix ans, l’étrange voyage », parce qu’il s’oppose
contre trois fois par an aujourd’hui, NDLR], et ils au délai de quinze à dix-sept mois pour le
sont surtout ailleurs : sur Instagram, TikTok, You- diffuser sur leur plateforme Disney+, n’est-ce
Tube, les jeux vidéo et les plateformes. Comment pas une grosse perte pour les salles ?
faire ? Déjà, il faut être là où ils sont très présents, C’est notamment pour ça qu’on a rouvert les dis-
leur offrir des œuvres françaises et européennes cussions autour de la chronologie des médias [char-
sur ce « continent numérique ». D’où notre travail gée de réguler le temps écoulé entre les sorties en
sur les obligations de production et de diffusion
d’œuvres françaises imposées aux plateformes. En-
suite, il faut s’adresser à eux, ce qui implique de leur
proposer des sujets et des regards qui leur parlent :
« Tout le monde ne veut
Les Misérables ont été un phénomène pour eux, No- pas voir “Black Panther”
vembre ou Simone, le voyage du siècle marchent fort
chez les jeunes, comme En corps, en début d’année. ou “Smile”. »
106 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
salles et les différents supports, DVD, télé, vidéo
à la demande, NDLR]. C’est un accord interprofes-
sionnel très important mais sur lequel il reste des
points de tension. On l’a déjà fait fortement évoluer
en janvier dernier, pour correspondre aux usages
et permettre aux plateformes de diffuser les films
plus tôt qu’avant (elles sont passées de trois ans à
quinze mois après sortie en salles). Maintenant, si
elles le veulent, selon leur investissement dans la
création, elles peuvent se rapprocher de la place
de Canal+ (six mois après une sortie en salles) qui
demeure le premier contributeur du cinéma fran-
çais avec un investissement de plus de 200 mil-
lions d’euros par an.
Personnellement, où en êtes-vous des
accusations d’agression sexuelle présumées
contre vous ? D’aucuns disent que cette affaire
judiciaire affaiblit le CNC…
Le CNC n’a cessé depuis tous ces derniers mois d’être
réactif et d’accompagner toute la filière, aussi bien
dans la crise sanitaire que dans la période actuelle.
Le secteur le reconnaît. Pour le reste, la justice suit
son cours. Je tiens à réaffirmer mon innocence et
ma confiance dans la justice pour cette affaire, qui
relève de la sphère privée.
Une partie du cinéma prétend que vous êtes
trop libéral. Mais en fait, à vous entendre,
c’est une question de « soft power » et de
démocratie ?
Notre cinéma porte des valeurs de liberté, de di-
versité, d’ouverture. Quelques-uns ont cru, parce
que je cherche à en appeler à davantage de finan-
cement privé dans le secteur, qu’il s’agissait de
baisser le financement public. Il n’en a jamais
été question. L’objectif était qu’il y ait davantage
d’argent pour le cinéma et l’audiovisuel. C’est
le nerf de la guerre. Aujourd’hui, on a la chance
d’avoir un budget supplémentaire pour le secteur
de 350 millions d’euros alloués par l’État dans le
cadre du plan France 2030, pour développer mas-
sivement nos infrastructures de tournage et nos
formations de professionnels, et pour les rendre
exemplaires d’un point de vue écologique. On a
en effet un vrai problème de souveraineté éco-
nomique et culturelle. Ne faisons pas comme
les Pinewood Studios, à Londres, loués entière-
ment à Disney, ce qui exclut d’emblée les autres
productions.
Votre premier mandat a été marqué par la
gestion sanitaire. Comment voyez-vous le
deuxième ?
Parmi les grandes priorités, il y a la jeunesse, on en
a parlé. La souveraineté, ensuite : dans un marché
en pleine croissance et en pleine mondialisation,
on doit rester maîtres et propriétaires de notre
imaginaire en protégeant notre outil et en nous
donnant les moyens d’être les meilleurs dans la
compétition internationale §

Comment parvenir au sentiment

de soi sans tomber dans
le piège identitaire ?

La philosophe Julia de Funès livre

une réflexion salutaire sur le concept
d’identité, devenu l’obsession
de notre époque.
CULTURECINÉMA

Mais qui es-tu,

Quentin Dupieux ?

Hors zone. Quentin

­Dupieux aime jouer
avec les codes du
­cinéma de son enfance.

Il est le plus loufoque Anaïs Demoustier, Jean-Pascal Zadi, Adèle Exarcho-

poulos, Doria Tillier, Blanche Gardin – au service
des cinéastes, mais toutes d’un film à l’intrigue improbable : une bande de
les stars veulent tourner justiciers distribue des cancers à des monstres sur
ordre d’un chef rat libidineux qui a la voix d’Alain
avec lui. R­ encontre sans Chabat. « Ça m’amuse de filmer les atmosphères et les ré-
filtre avec le réalisateur férences de mon enfance : un magma de télé et de cinéma
bis des années 1980, de Creepshow à Histoires fantas-
de Fumer fait tousser. tiques, produit par Spielberg [un film à sketches avec
quatre histoires supposées terrifiantes, NDLR], ou
La Quatrième Dimension, Téléchat… C’est très régres-
Culte. Flat Eric, la PAR ANNE-SOPHIE JAHN sif, mais, au final, c’est un film qui parle bien des compor-

M
­marionnette imaginée éthanol, joué par Vincent Lacoste, n’arrive pas tements humains de notre époque », dit-il en tirant sur
par Quentin Dupieux à dormir. Il se dirige vers le frigo. À l’intérieur, sa cigarette électronique, puisque « fumer fait tous-
quand il officiait il découvre une dame derrière son comptoir. ser ». « C’est comme une pochette-surprise, je propose
comme DJ sous le nom Quelle aubaine ! Il lui commande alors un verre et des histoires dans des histoires. Quand j’écris, je m’aban-
de Mr Oizo. Son tube lui propose d’en prendre un lorsqu’elle lui réplique, donne complètement, comme si j’avais 8 ans et demi : je
BERTRAND NOEL/SIPA – SP

« Flat Beat », dont avant de lui claquer la porte au nez : « Je ne suis pas
Flat Eric est le héros, une pute ! » Mais quel cerveau a pu imaginer une telle
s’est écoulé à 3 millions scène ? À 48 ans, Quentin Dupieux est l’homme qui
d’exemplaires… ose tout dans le cinéma français. Son dixième film,
Fumer fait tousser, ne fait pas exception. On y trouve
un casting de rêve – Gilles Lellouche, Vincent L­ acoste,
108 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
me trouve génial, je trouve le film génial, et je fonce droit
dans le mur. Quand je passe au montage, je me trouve
moins génial… Mais au moment du tournage je m’éclate.
Et je crois que j’embarque tout le monde dans cette légè-
reté. Le monde est devenu si abrutissant. » Dupieux, fils
de garagiste, a réalisé ses premiers films au berceau :
 Piquez-vous
au jeu
des maths !
Gainés. Les cinq justiciers masqués de la « Tabac Force ».

« J’ai fait beaucoup de courts-métrages très médiocres, un peu

dans la même veine qu’aujourd’hui, mais comme une sorte de
mauvais brouillon. Enfin il y avait une envie. Mon père, ven-
deur de voitures, était copain avec Coluche. Ce mec qu’on voyait
dans la télé était réel, alors faire du cinéma ne m’apparaissait
pas comme un rêve. J’ai arrêté le lycée en première. À 19 ans,
j’ai vendu un court-métrage à Canal+. J’avais utilisé le maté-
riel vidéo de l’École polytechnique où j’étais bidasse. » En com-
posant la musique de ce film, il se prend au jeu et tombe
dans la house, une musique électronique ­bidouillée à la
maison par les jeunes Daft Punk, Air… Sous le nom de
Mr Oizo, il signe le tube planétaire « Flat Beat », caché der-
rière une marionnette jaune, tellement culte que L ­ evi’s
la demande dans ses pubs.

Récréation. En 2006, Éric et Ramzy veulent absolu-

ment jouer avec lui. La scène de son film Réalité où un
réalisateur incarné par Alain Chabat tente désespéré-
ment de « pitcher » un film à un producteur qui ne cesse
de vouloir le faire fumer (on y revient !) a été inspirée par

Les mathématiques
sa rencontre avec Thomas Langmann, producteur du
duo. « J’ai eu quelques rendez-vous complètement absurdes
avec Thomas. On n’avait rien à se dire donc il fallait tuer le
temps, il ouvrait la fenêtre, lançait un DVD… » ­raconte-t-il.
Mais Langmann produira quand même son premier film,
sont incontournables.
Et c’est tant mieux :
Steak. Dupieux enchaîne ensuite les comédies à suspense
sur un pneu serial killer, un blouson pousse-au-crime,
une mouche géante… Tout le monde (Marilyn Manson,
Orelsan, Élodie Bouchez, Benoît Magimel…) veut jouer
dans ses films : « Ils le vivent comme une petite récréation.
lorsqu’elles sont ludiques,
elles deviennent même
Quand Jean Dujardin fait Le Daim, il sait très bien qu’on ne
fera pas 1 million d’entrées, c’est un tout petit film bizarre, mais
je crois que c’est une façon de soutenir un type de cinéma un
peu rare, totalement libre. Benoît Poelvoorde, par exemple, sa
plus grande crainte, c’est de poireauter sur un plateau. Chez
un plaisir. Lancez-vous !
moi, on tourne très vite. Il y a moins de préparatifs parce que
CHI-FOU-MI PRODUCTIONS-GAUMONT/SP

j’ai annulé le poste de chef opérateur et que mes dialogues sont

écrits de manière très précise. » Dupieux tourne un film par
an. Des films courts, drôles, gore, au comique de répéti-
tion presque insupportable, mais à l’esthétique forte et En vente en kiosque et sur
à la narration toujours originale. Le prochain, ce sera un boutique.lepoint.fr
film surréaliste sur son idole, Dali, incarné par plusieurs
acteurs. Que des stars, évidemment, aimantées par sa li-
berté si folle et si précieuse dans un monde abrutissant §
Fumer fait tousser, en salle le 30 novembre.

Tout pour faire

CULTURE

> Roman

Un amour de plancton
Inoubliables seront les amours pitres consacrés soit à la vie du
de l’élégante Héliosphéra, être plancton (avec, pour héros, la
microscopique appartenant plante et l’animal cités ci-des-
au phytoplancton, et de sus), soit à l’itinéraire meur-
­Xanthelle, aussi minuscule, is- trier d’un morceau de ballon
sue, quant à elle, du zooplanc- en plastique jeté dans les
ton, ces populations de nos Hautes-Alpes et dont les mé-
profondeurs marines certes faits se constatent encore dix
peu connues, mais qu’un ans après à l’autre bout des
romancier vient de mers. C’est un voyage
rendre visibles, et aquatique, un ro-
absolument irré- man, un conte, un
sistibles. Invité à poème, une leçon
bord de la goé- de choses et un
Les pianistes Masaya Kamei et Hyuk Lee, lauréats ex aequo du prestigieux lette Tara, en plein vertige lexical
concours Long-Thibaud, à Paris, le 13 novembre. ­C ovid, Wilfried peuplé de diato-
N’Sondé a suivi, mées, de dentelles
> Musique au large des côtes organiques et de fla-
chiliennes, le travail de re- gelles qui montre comment
Le concours cherche des scientifiques. Il en
rapporte une performance poé-
la littérature fait aussi réflé-
chir… en profondeur §
des prodiges tique : le personnage de la jeune
Ollanta, dont c’est la première
VALÉRIE MARIN LA MESLÉE
Héliosphéra, fille des abysses,
expédition, permet au lecteur de Wilfried N’Sondé
« Dans la vie, la non-réussite d’un jour devient souvent la réussite de s’identifier, entre deux cha- (Actes Sud, 160 p., 18 €).
d’un lendemain. » Une maxime bouddhiste ? Non, la philoso-
phie du concours Long-Thibaud résumée par son président, poche
Gérard Bekerman. Cette année, la compétition a récompensé En
deux jeunes prodiges du piano, le Sud-Coréen Hyuk Lee,
22 ans, et le Japonais Masaya Kamei, 20 ans, qui se partagent
le premier prix ex aequo, avec à la clé concerts, contrat de
disque et 35 000 euros chacun. Originaire de Séoul, Hyuk Lee Un Sempé pour l’hiver
étudie au conservatoire Tchaïkovski de Moscou depuis ses Garder le cap, de Jean-Jacques Sempé (Folio, 128 p., 7,80 €)
14 ans. Il est à la fois pianiste et violoniste, pratique chaque
instrument quatre heures par jour et joue aux échecs à un ni- Pendant plus d’un demi-siècle, il a dessiné des gens névro-
veau semi-professionnel. Avec sa coupe de cheveux à la Beat- sés mais heureux. Il avait le superpouvoir de l’innocence,
les, Masaya Kamei, quant à lui, a été formé dans son pays la noblesse de l’étonnement, « le génie de l’enfance », aurait
natal, le Japon, et a montré dans un concerto de Saint-Saëns dit Baudelaire – c’est-à-dire qu’il était « cap » de s’y replon-
brillantissime, lors du concert de clôture, un beau mélange de ger à volonté. Il disait qu’il lui arrivait d’être « raisonnable,
technique et de sensibilité. Le « Long-Thibaud », comme l’ap- mais jamais adulte ». Son trait fin en forme de flèche d’In-
pellent les mélomanes, c’est avant tout un concours d’excep- dien, reconnaissable entre mille, atteignait
tion fondé en pleine Seconde Guerre mondiale par deux toujours sa cible. Il avait le goût de la fantaisie
gloires de la musique française, la pianiste Marguerite Long tendre et faisait à merveille cette chose qui
et le violoniste Jacques Thibaud. Un concours qui a révélé une n’existe plus ou si peu : il rêvait. Le monde pou-
longue liste d’interprètes admirables, de Samson François à vait s’écrouler, les guerres gronder, les virus
Aldo Ciccolini pour le piano, en passant par Ivry Gitlis et Oli- tuer, les banquises fondre, les haines champi-
vier Charlier côté violon. Chaque année, de jeunes musiciens gnonner, il rêvait encore. Sempé s’est éteint le
du monde entier débarquent à Paris, où ils vivent dans des fa- 11 août dernier, mais il est toujours parmi nous
milles d’accueil, pour participer au concours. Tous aspirent à puisque son dernier recueil de textes et de des-
l’excellence, définie en ces termes par Marguerite Long, ex- sins sort en poche. Publiés dans Paris Match entre 1990 et
SP – CORENTIN SCHIMEL/SP

traordinaire pédagogue et immense pianiste, proche de
Claude Debussy, de Maurice Ravel et de Gabriel Fauré : « De la
force dans la douceur, de la douceur dans la force. » Beau pro-
gramme et beau défi pour les violonistes, qui, aux quatre
coins du monde, se préparent déjà en ce moment même pour
le concours 2023. Ce sera la 80e édition § FLORENCE COLOMBANI
110 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
2022, ces petits mondes concentrés en un dessin et quelques
phrases racontent chacun des histoires de religion, de cé-
lébrité, de psychanalyse, de doute, de solitude, de déshu-
manisation…, tous les tics et les tocs de l’époque, épinglés
avec un humour (fou) du genre humain § MARINE DE TILLY
 in du po
co

Le

lar
L’inédit de le Carré
L’Espion qui aimait les livres, de John le Carré. Traduit
de l’anglais par Isabelle Perrin (Seuil, 240 p., 22 €).

John le Carré, maître britannique du roman d’es-

> Cinéma
La faim des amants
Maren (photo), 18 ans, se croit seule à vivre avec son fardeau : le désir
féroce de planter ses dents dans la chair humaine. Quand son père
l’abandonne, elle erre dans une Amérique rurale à la recherche de
sa mère. Mais un homme la traque et Maren découvre que les
« mangeurs » forment une petite communauté aussi éclectique que
dangereuse, au flair sensible. Parmi eux, Lee, incarné par un Timo-
thée Chalamet (photo) d’une beauté troublante, famélique et incen-
diaire. Amoureux, Maren et Lee cherchent à oublier leurs appétits
coupables. Mais « le monde de l’amour ne veut pas des monstres », dit
l’un des personnages de ce film tragique, qui fait du cannibalisme
un reflet de la marginalité. Qu’il est triste et beau, le combat de ce
couple pour leur droit à une impossible harmonie… Cultivant une
sensualité fiévreuse, un sens mesuré du gore et une poésie de la lu-
mière, Bones and All, film tendre et sanglant, s’aventure dans les im-
passes de notre condition humaine § ÉLISE LÉPINE
Bones and All, de Luca Guadagnino. En salle.
pionnage, est décédé, mais son œuvre se poursuit.
Par la parution de cet inédit, écrit juste après Une
vérité si délicate (2013), travaillé et retravaillé durant
des années pour ne quitter qu’à présent son tiroir.
Pourquoi ? Parce que, comme on l’apprend en post-
face de son plus jeune fils, Nick
Cornwell, 50 ans, également roman-
cier, le maître aurait eu de quoi s’auto-
riser un regard critique envers son
ancien et vénérable employeur, les ser-
vices secrets britanniques. Tout n’est
pas lisse en effet dans cet opus qui
s’ouvre sur l’inauguration d’une librai-
rie à la campagne par le jeune Julian,
ex-trader et néo-fricophobe ayant fui la City après
avoir amassé une fortune. Comment le paisible Suf-
folk se transforme-t-il soudain en dangereux nid
d’espions ? Grâce au talent de John le Carré pour rou-
vrir les dossiers plus vrais que nature du renseigne-
ment international § JULIE MALAURE

Les choix du « Point »

> Guide
L’économie en s’amusant
L’économie n’est pas la disci-
pline que vous croyez. Ce n’est
SP (X2) – YANNIS DRAKOULIDIS / METRO GOLDWYN MAYER PICTURES/SP
reportages racontés sous forme
de BD (« Dette, au cœur de la
> Cinéma
« Reste un peu »
Gad Elmaleh signe une sorte de
joyeux docufiction aux allures
de confession, pas de crise de
foi. L’histoire ? Celle de Gad qui,
perdu, assorti d’œuvres de
­Turner, de photos de famille et
d’amis… Aider le visiteur à lire
Proust, tel est aussi l’enjeu de
cette exposition qui s’attarde sur
le passage le plus célèbre du

pas une matière horriblement
technique, rébarbative et en-
nuyeuse. Elle fait partie de notre
quotidien, elle innove, bouge
et vit. De l’émission de France
Inter On n’arrête pas l’éco – ani-
mée par Alexandra Bensaid et
dans laquelle le journaliste
du  Point Marc Vignaud débat
­régulièrement avec Christian
­Chava­gneux, d’Alternatives éco-
nomiques – a été tiré un livre.
Cet ouvrage collectif est, à
l’image du magazine radio,
éclectique, instructif et vivant.
Il mélange des chiffres clés, des
machine » ou « Les Investis-
seurs du New Space »), des en-
tretiens avec de grands acteurs
de l’économie (le commissaire
européen Thierry Breton, la
Prix Nobel Esther Duflo, le syn-
dicaliste Laurent Berger…) et
des débats piquants. Au pro-
gramme : « Les Français tra-
vaillent-ils assez ? », « Paie-t-on
trop d’impôts ? », « Et mainte-
nant, doit-on devenir décrois-
sants ? », « Faut-il démanteler
les Gafam ? » Un livre pédago-
gique à mettre assurément entre
toutes les mains § MARIE BORDET
On n’arrête pas l’éco.
L’économie comme on la vit,
d’Alexandra Bensaid
et ­Valentin Pérez
(Seuil, 192 p., 26,50 €).
après trois ans de rêve américain
et une histoire de plagiat,
débarque à Paris pour voir ses
parents et ses amis (Roschdy
Zem), qu’il invite à participer à
ce film dont il cache le vrai sujet :
celui du mystère de la foi !
Le pèlerin Gad a su trouver
le ton et les mots justes.
En salle.
> Exposition
« Marcel Proust, la
fabrique de l’œuvre »
Grâce à l’exceptionnel fonds
Proust de la BNF, les manuscrits
de Proust sont là, sous toutes
leurs formes. C’est la fabrique de
l’œuvre, un parcours didactique
remarquablement pensé à tra-
vers À la recherche du temps
texte parce qu’il fait « partie du
patrimoine universel », explique
Antoine Compagnon.
Jusqu’au 22 janvier 2023. BNF, site
François-Mitterrand, galerie 2.
> Série
« The White Lotus »
Une poignée de personnages
séjournent dans un 5-étoiles,
sous les tropiques dans la pre-
mière saison, en Sicile dans ce
nouvel opus. Ils font tourner en
bourrique le personnel par leurs
turpitudes, et ce jusqu’au crime :
chaque saison de ces Ils étaient
dix version trash et ultracontem-
poraine s’ouvre sur la décou-
verte d’un cadavre. Qui tuera
qui ? Savoureux suspense !
OCS.

Le Point 2625 | 24 novembre 2022 | 111

 100

LUDOVIC COMBE/FERME AQUACOLE DU CÉZALLIER/SP

La truite en fourreau de Stéphane Heinis dans sa ferme aquacole du Cézallier, à Ardes-sur-Couze (Auvergne-Rhône-Alpes).
 100
goûts qui font la France
Du gotchial aux storzapretti, du garum au cacou, voici notre rendez-vous
PAR THIBAUT DANANCHER AVEC OLIVIER BOMPAS, ERWANA CAMUS, LAURENCE GOUNEL,
BRETAGNE
NE PAS SE FAIRE
PIGEONNER
Louvigné-de-Bais,
Ille-et-Vilaine
Ils sont dorlotés au blé, au maïs,
aux petits pois et au soja sans
OGM. Les pigeons de Joël
Poirier, qui vivent en pleine
nature à une trentaine de
kilomètres de Rennes, attirent
les convoitises des grandes
toques étoilées. À rôtir au
beurre noisette pour apprécier
leur soyeux et leurs délicates
notes giboyeuses.
15 € le kg. 02.99.49.09.43
AU FOUR ET AU MOULIN
Saint-Armel, Morbihan
Mi-brioche, mi-pain, le gochtial
était confectionné autrefois par
chaque villageois qui le cuisait
ensuite dans le four communal
pour la Saint-Vincent. La
PLOTON/PHOTOCUISINE
famille Le Joubioux le fait
revivre dans sa boulangerie-bar,
Le Moulin à café.
4,50 € la pièce.
boulangeriesaintarmel.com
annuel des secrets gourmands de l’Hexagone.
NATHALIE LAMOUREUX, CLARA LE FORT, JULIEN REBUCCI ET MARION TOURS
TARTARE MARIN
Île de Groix, Morbihan
Tout est bon sur les côtes
bretonnes. La preuve avec les
algues récoltées en bord de mer
qui sont métamorphosées en
tartare par la conserverie Groix
et Nature, installée sur l’île aux
grenats depuis près de
vingt ans. Parfait pour twister
des salades ou à étaler
généreusement sur une tranche
de pain de seigle toastée.
5,95 € le bocal de 100 g.
groix-et-nature.com
CHOCOLAT ÉTHIQUE
Saucisse chaude Morlaix, Finistère
Rennes, Ille-et-Vilaine Comment combiner le bon
goût et le goût de l’aventure
Les samedis matin, elle fume à plein dans un souci écoresponsable ?
régime devant les stands du marché des Les frères jumeaux Jacques et
Olivier Barreau ont fondé une
Lices, le deuxième plus grand de France. chocolaterie afin de financer la
La galette saucisse – la gal’-sauc’ pour les construction d’un voilier cargo
puristes – associe deux emblématiques destiné à transporter les fèves
de cacao. Deux boucles
produits du cru : le cochon et le sarrasin. transatlantiques plus tard,
Vite s’encanailler de cette saucisse Sail 1 achemine 55 % de la
chaude soigneusement enroulée dans sa matière première pour leur
vingtaine de tablettes 100 % bio.
galette froide au blé noir. À partir de 2,45 € la tablette de 100 g.
À partir de 2,20 €. graindesail.com
Le Point 2625 | 24 novembre 2022 | 113
 100

WHISKY So british Humer JOUER À L’ANDOUILLE

DES LÉGENDES
Ploërmel, Morbihan
Après avoir dirigé la brasserie
Lancelot et créé Breizh Cola,
Stéphane Kerdodé s’est orienté
vers la distillerie en 2016. Un
an plus tard est née sa cuvée
Galaad, du nom du fils de
Lancelot. Ce whisky single
malt à base d’orge français (en
partie breton) et d’eau de la
source de Paimpont a vieilli
cinq ans en fûts de chêne près
de la mythique forêt de
Brocéliande.
À partir de 60 € la bouteille de 70 cl.
laminedor.bzh
Caen,
Calvados
À côté des baguettes
et des viennoiseries
françaises de son mari,
Stéphanie Persigny met
quotidiennement à
l’honneur les pâtisseries
de son Angleterre natale.
Parmi elles, les scones, le
shortbread, le carrot cake,
et même le chocolate
Guinness, un fondant au
chocolat et à la bière.
À partir de 1,15 € le scone.
02.31.85.21.23.
les prés-salés
Regnéville-sur-Mer,
Manche
Ils paissent tranquillement
entre terre et mer. Les
agneaux de Pascal et
Madeleine Pasturel s’en
donnent à cœur joie pour
brouter les herbus. Cette
flore halophile recouverte
au moment des grandes
marées leur donne leur
caractère iodé très
singulier.
À partir de 22 € le kg.
02.33.47.93.96.
Le Teilleul, Manche
La véritable andouille de Vire de
Jacky Leduc a décroché le Grand
Prix national 2022 décerné par
la confrérie spécialisée en la
matière. Une unanimité
assurément due aux vingt
étapes pour aboutir à sa texture
et à son fumé incomparables.
39,95 € le kg. jackyleduc.fr

Éviter les pépins

L’ART DE LA GALETTE
Pont-Aven, Finistère
Par souci d’économie, Isidore
Penven décida, en 1890, de
recycler ses gâteaux bretons
invendus en galettes
individuelles. La biscuiterie qui
porte le nom de l’inventeur du
fameux sablé n’a rien changé à
la recette originelle composée
de farine, de beurre demi-sel,
de sucre et d’œufs.
À partir de 9,40 € le paquet de 260 g.
galettes-penven.com
Saint-Hilaire-du-Harcouët, Manche
La différence entre une confiture et
une gelée est aussi fine que la peau
POULARDES PERCHÉES
d’une granny smith : pour cette Moutiers-au-Perche, Orne
dernière, les fruits sont filtrés afin de
ne garder que le jus sans les pépins. Les poulardes de Culoiseau de la
famille Poisot renouent avec les
Privilégier celle à la pomme verte méthodes ancestrales d’élevage.
d’André Guépratte, installé depuis 1946 Ces volatiles, s’épanouissant
sur les coteaux de la vallée de la Sélune. plus de 140 jours sur
375 hectares, dévoilent une chair
2,80 € le bocal de 370 g. guepratte.com
ferme, juteuse et croustillante.
À partir de 20 € le kg.
poularde-de-culoiseau.fr

NORMANDIE
PARIS/ÎLE-DE-FRANCE

CIDRE
DU FROID POTION IMPÉRIALE
Saint-Ouen-du-Tilleul, Eure Les Loges-en-Josas, Yvelines

Comme au Québec, certains de Florence Châtelet Sanchez

nos cidriculteurs offrent à leur ressuscite le garum haimatum,
récolte une cryothérapie pour cette sauce prisée de la Rome
CAROL DESCORDES/SP – LESER/PHOTOCUISINE

obtenir un cidre de glace. Alain antique sous l’empereur Claude.

Caboulet congèle son cidre Réalisé à partir d’abats de
doux à – 30 °C en début de poisson, celui de la Maison
fermentation, permettant ainsi Dehesa est constitué de
la séparation de l’eau et de poutargue de cœur de thon
l’alcool. En bouche, une rouge et d’anchois XXL confits
explosion sucrée de pommes deux ans. Un élixir magique
cuites, de caramel et de fruits révélant les notes salines, iodées
confits. ou amères des poissons, des
19 € la bouteille de 37,5 cl. légumes et des viandes.
hautsvents.com 20 € le pot de 100 ml. maisondehesa.com

114 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625


Cap sur l’Amérique
Paris, 6e
Le grilled cheese est l’équivalent de
notre croque-monsieur Outre-
Atlantique. Celui de Meshuga sort du
lot grâce à son pain brioché, son cheddar
généreux et coulant, ses oignons et sa
THE TRAVEL BUDS STUDIO / SP (X2) – MAISON MARTIN/SP – BOCAUX DE CHEF/SP
ciboulette finement ciselés.
7,50 € le sandwich. meshuga.fr
Kebab berlinois
Paris, 11e
Il a beau être de bonne
humeur, Mahdi n’en prend
pas moins au sérieux son
Berliner Kebap : poulet
fermier, petits légumes
rôtis bien fermes et feta
artisanale. Avec des frites
maison, voici l’antiblues
du lundi.
7,50 € le sandwich et les
frites. 01.55.28.66.47.
Croquer le bretzel
Paris, 14e
Les bienfaits de l’Alsace à
Paris ne sont pas réservés
qu’aux abords de la gare
de l’Est. Près de celle de
Montparnasse, La Petite
Alsacienne fourmille des
meilleurs bretzels de la
capitale au moelleux
rarement vu.
À partir de 1,70 € le bretzel.
01.43.21.50.69.
AVOIR LA PEAU DU CANARD
Paris, 8e  l’origan de Stéphane Jego (L’Ami
Le canard laqué en deux
services vaut à lui seul le
déplacement chez Imperial
Treasure. On démarre avec les
voiles de peau croustillante du
palmipède avant de s’attaquer
aux filets taillés en aiguillettes
à glisser dans de fines crêpes à
garnir de bâtonnets de cébette
thaïe et de concombre avec une
sauce très peu sucrée.
152 € pour 2 à 3 personnes.
imperialtreasure.com
MOUTARDE ROYALE
Nanteuil-lès-Meaux,
Seine-et-Marne
La moutarde de Meaux
Pommery témoigne du même
savoir-faire depuis 1632, année
de son entrée à la table royale.
Gardée précieusement dans un
coffre, la recette des chanoines
réunit des graines de moutarde,
de l’eau, du vinaigre, du sel et
des épices.
À partir de 4,65 € le pot de 100 g.
moutarde-de-meaux.com
AGITÉ DU BOCAL
L’Haÿ-les-Roses,
Val-de-Marne
Bocaux de chefs transforme
les repas à la maison en un jeu
d’enfant. Il suffit juste de
réchauffer à la casserole les plats
signatures de grands cuisiniers.
Le Point 2625 | 24 novembre 2022 | 115
Alors bœuf confit grillé à
Jean), cassoulet de David
Rathgeber (L’Assiette) ou
blanquette de veau de
Guillaume Delage (Le Père
Lapin) ?
À partir de 14,90 € le bocal de 750 g.
bocaux-chef.fr
PIMENTER SA VIE
Viroflay, Yvelines
Annie, Jean-Baptiste et
Benjamin Martin enflamment
les palais avec leur « hot
sauces » vantant les piments
français. Les trois cousins ont
mis en place une échelle de
force notée sur 12. Si les plus
sages choisiront la Mistral, les
plus intrépides tenteront la
Foudre ou la Tsunami.
À partir de 8 € la bouteille de 100 ml.
m-martin.fr
METTRE LES BOUCHERS
DOUBLES
Les Lilas, Seine-Saint-Denis
Slim et Karim Loumi ont
monté leur propre filière de
viande certifiée en agriculture
biologique en sourçant des
éleveurs pointus dans
l’Hexagone. Bœuf, veau, agneau
et volailles ne résistent pas aux
frères jumeaux.
boucherie-lesjumeaux.com
PHOTOS © FRED MORTAGNE
 LE POINT STORIES AVEC

Dom Pérignon Plénitude 2

une expérience inédite de dégustation
au Philanthro-Lab à Paris
Début décembre, la Maison de champagne propose une expérience singulière
en accord mets-champagnes à travers un menu éphémère signé Amaury Bouhours,
chef doublement étoilé du Restaurant Le Meurice Alain Ducasse.

L
’élaboration du champagne épurée entre passé et présent. Le
Dom Pérignon répond à un « En bouche, le vin choix de cet endroit prend donc tout
cahier des charges bien pré-
cis. Dom Pérignon ne peut évolue entre tension son sens pour la Maison Dom Pérignon
et fait écho à la seconde vie du cham-
être produit qu’à partir de la ven-
dange d’une seule et même année,
et apesanteur. pagne, le Vintage 2004 Plénitude 2.

la signature d’un millésime absolu. À La précision Un regard neuf sur la gastronomie

chaque millésime, la Maison réserve
un nombre limité de flacons pour
une maturation plus longue, per-
mettant aux levures de transmettre
leur énergie au vin. Durant près de
quinze années, ce vin de champagne
est patiemment élevé vers un nou-
veau sommet d’expression. Il se dé-
ploie dans toutes les dimensions pour
devenir plus ample, plus long, plus
complexe, plus intense. Sa longévi-
té est prolongée. Cette élévation est
nommée Plénitude 2, la seconde vie
du champagne de Dom Pérignon.
Élevée à son apogée, après dix-huit
années de cave, l’harmonie du vin se
révèle. L’architecture de l’assemblage
exprime les typicités de ce cham-
pagne. Le bouquet du Dom Pérignon
Vintage 2004 Plénitude 2 s’épanouit,
dans un équilibre à la fois aérien et
tenu.
Un lieu d’exception,
chargé d’histoire et de symboles.
Pour cette expérience, Dom Pérignon
est tactile et ciselée.
Le tout persiste,
racé, sur une ligne
séveuse, reglissée. »
Vincent Chaperon,
Chef de Cave de la Maison
s’installe, le temps d’un dîner, dans
un décor inédit situé au cœur de Pa-
ris au sein de l’hôtel de la Bûcherie :
le Philanthro-Lab. Un lieu chargé
d’histoire et de symboles dont les
origines remontent au XIVe siècle. Il
fut une boucherie solidaire, puis une
faculté de chirurgie, un hospice... En
2021, dans le cadre du projet « Réin-
venter Paris », il revêt un nouvel écrin
pour penser et incarner la philan-
thropie du XXIe siècle. Chef-d’œuvre
architectural, le lieu combine désor-
mais à chaque étage une rencontre
française contemporaine.
Dans ce décor monumental, Amaury
Bouhours, chef doublement étoilé du
Restaurant Le Meurice Alain Ducasse
signe un menu éphémère aux saveurs
maturées qui élèvent les sens. Connu
pour sa passion des saveurs authen-
tiques et incisives, ainsi que son en-
gagement pour les ingrédients locaux
et de saison, le chef revisite ses plats
signatures pour trouver l’accord par-
fait. Une expérience culinaire, accom-
pagnée des cuvées Dom Pérignon,
notamment la dernière Dom Pérignon
Vintage 2004, commentées par un
œnologue Dom Pérignon pour une
découverte inédite des différentes
dimensions de l’expression de la
seconde vie du champagne Dom
Pérignon.
Réserver votre expérience éphémère
SCANNER LE QR CODE

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération.

 100

LA CRÈME DE LA CRÈME FAIRE TOUT UN FROMAGE

Ozouer-le-Voulgis, Montreuil-sur-Mer,
Seine-et-Marne Pas-de-Calais

Biberonnées à l’herbe qu’elles Chez Caseus, Ludivine

pâturent sur leurs 60 hectares Lefrançois ne transige pas avec
de prairies, les vaches jersiaises les fromages régionaux et
et simmental de la ferme de la encore moins avec ceux que
Chalotterie produisent un lait produit son frère Damien
remarquable transformé en Henguelle. Le Sire de Créquy,
beurre, crème, fromages, qui se rapproche du maroilles,
yaourts. le Fleur de Fruges, une sorte de
À partir de 4 € la plaquette de 250 g camembert du Nord, la tomme
de beurre. lachalotterie.fr de Raoul, comparable à la
fameuse tomme de Cambrai, ou
l’incontournable ch’ti à la bière
trônent en bonne place
HAUTS-DE-FRANCE sur ses étals.
À partir de 6,44 € la pièce.
03.21.06.50.88.
OSER LA FRICADELLE
Lille, Nord

Cette saucisse réunit les restes

de viande de bœuf, de poulet ou
de veau. Une sorte de hachis lié
avec des œufs battus, des
pommes de terre écrasées, des
oignons rissolés, de la
moutarde, du sel, du poivre, du
piment de Cayenne, puis roulé
dans la farine et la chapelure
avant d’être frit au gras de
bœuf. Jeter son dévolu sur celle
de la friterie Meunier.
À partir de 3,40 €. friterie-meunier.fr
(Re)découvrir le marbré
Dunkerque, Nord
Reconnue pour sa cramique, la brioche
locale, et son merveilleux, la maison
Vaucamps fait également fureur avec
son marbré au chocolat. Une belle
onctuosité, un chocolat noir, très noir,
et un succulent nappage « rocher »
coiffé de riz soufflé.
13 € le cake. 03.28.24.50.19.

Se réchauffer
le cœur
Crèvecœur-
le-Grand, Oise
Une madeleine immergée
dans de l’eau-de-vie de
pomme issue des vergers
locaux : le cœur de
Picardie s’apprécie en fin
de repas pour ses vertus
digestives, ou en
accompagnement d’un
dessert, tel un sorbet à la
pomme.
À partir de 14,20 € le bocal
de 350 g. boutique-
cœurdepicardie.com
Anguilles
sous roche
Saint-Christ-
Briost, Somme
Nichés au cœur des
étangs de la Haute-
Somme, Jean-Michel et
Nathalie Lemaire laissent
voguer dans leurs bassins
d’eau douce du Vivier
d’Omignon de superbes
anguilles. Les filets fumés
sont notamment
plébiscités par de
nombreux chefs étoilés.
À partir de 9,90 € la plaquette
de 100 g. 03.22.84.13.05.
BONBONS EN FÊTE VAUCAMPS/SP – BERGERON/PHOTOCUISINE – SUCCÈS BERCKOIS/SP
Berck, Pas-de-Calais
Institution fraîchement
centenaire, Le Succès berckois
vit d’amour, de sucettes et de
berlingots à l’ancienne
fabriqués à la minute devant les
yeux des petits et des grands.
Jean-Yves Matifas rivalise
d’audace pour inventer de
nouveaux parfums : poire
flambée à l’eau-de-vie, anis,
fruits des bois, spéculoos…
À partir de 1 € la sucette à l’unité.
succesberckois.fr

118 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625


CENTRE-VAL DE LOIRE
S’ENTICHER
DU MENTCHIKOFF
Chartres, Eure-et-Loir
La Chocolaterie, à Chartres,
remporte tous les suffrages
avec sa friandise à l’apparence
d’un petit galet. Un praliné
au chocolat cerné d’une fine
meringue.
À partir de 9,10 € l’étui de 100 g.
lachocolaterie-chartres.fr
MOINE NOMBRILISTE
Cormery, Indre-et-Loire
La légende raconte que l’idée
du macaron de Cormery serait
issue du nombril d’un moine,
frère Jean, qui, à force de pétrir
la pâte, serait tombé à plat
ventre dedans en y laissant son
empreinte. Aux Vrais Macarons,
le biscuit rond a bien un trou en
son centre.
À partir de 3,80 € le sachet de 150 g.
02.47.43.40.53.
LE FILON CORNICHON
Montrichard-Val-de-Cher,
Loir-et-Cher
Bravo Hugo a relancé la filière
100 % française du cornichon,
qui avait disparu voilà quelques
décennies. Aigres-doux,
malossols, à l’aneth, à
l’estragon… La marque, alliée à
deux agriculteurs, jouit d’une
gamme exclusivement bio.
À partir de 4 € le bocal de 37 cl.
bravohugo.fr
120 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
100
Chasseur Praliné
de poivres (et pas que) PAYS DE LA LOIRE
Rochecorbon, Bourges, Cher
Indre-et-Loire
Depuis quatre générations,
Sarawak, kampot, la famille Tavernier fait
voatsiperifery, penja, l’éloge de la Forestine.
malabar… En complément Sous son chataoyant
des baies, des épices, des fourreau de sucre satiné,
piments et des sels, Terre ce bonbon cache un
exotique sélectionne les praliné amandes et
poivres réputés de la noisettes imprégné
planète. de chocolat.
À partir de 5,10 € le pot de À partir de 24,90 € le coffret
50 g. erreexotique.fr de 250 g. forestines.fr
PÉTILLER
DE PLAISIR
Les Sables-d’Olonne, Vendée
S’il est une boisson tendance
dans les rayons healthy, c’est
bien le kombucha.
Naturellement pétillant et riche
en vitamines, ce breuvage
obtenu par la fermentation du
thé a trouvé son maître sablais
avec Fermenting & Co. À la
carte, quatre recettes conçues
avec des produits bio, dont le
tonic au citron, gingembre et
curcuma ou l’élixir à la
framboise, myrtille, betterave
LOUISE MARNING/SP – HUGO/SP – MÉGANE MUNOZ/FERMENTING & CO/SP
et hibiscus.
Embrasser la praline 3,50 € la bouteille de 300 ml.
fermentingandco.fr
Montargis, Loiret
Hugues Pouget, à la tête des pâtisseries RENDRE GRASSE
parisiennes Hugo & Victor, perpétue Souillé, Sarthe
la tradition des praslines de la confiserie Viande et gras de porc, sel,
Mazet, initiée en 1636. Des amandes poivre : une fois mélangé, ce
grillées dans du sucre, auxquelles petit monde cuit lentement en
marmite durant toute une nuit
on ajoute de la vanille et de la gomme pour faire émerger les rillettes
d’acacia en poudre, qui ont un goût de la ferme des Jenvries.
de « reviens-y  ». Un pur régal.
À partir de 3 € le pot de 230 g.
À partir de 4,50 € le sachet de 12 g. mazetconfiseur.com saveursdesjenvries.fr
 100

GELÉES AU NATUREL
Fillinges, Haute-Savoie

Dans les Alpes du Léman, les

petites mains de La Marmite
enchantée ramassent, entre
600 et 1 500 mètres d’altitude,
pissenlits, sureau, acacia, sapin,
tilleul, reine-des-prés et origan
pour confectionner des
Marmifleurs. Ces gelées sucrées
sans agent gélifiant, à l’aspect
de miel, se consomment en
nappage sur des gaufres, avec
de la glace ou des fromages.
5,90 € le pot de 230 g. 06.16.74.47.24.

PERLES VERTES
Salettes, Haute-Loire

Les lentilles vertes du Puy

cultivées à 1 000 mètres
d’altitude par Emmanuel Volle
et Marion Bardiau sont des
modèles du genre. Ces
légumineuses bio, bénéficiant
d’une AOP, gardent toute leur
mâche une fois cuites. 
Traîner une ardoise À CONFESSER
Pornic, Loire-Atlantique
10 € le kg. 04.71.00.51.24.

Angers, Maine-et-Loire
En hommage à l’ecclésiastique
Fier du patrimoine régional, le maître qui lui conseilla, en 1880
d’inventer un fromage, le
chocolatier René Maillot a créé dans cultivateur Pierre Hivert le
les années 1960 une friandise en clin baptisa le Curé nantais. Le
d’œil à la pierre de schiste bleue qui succès de cette pâte molle à
croûte lavée se rapprochant du
orne les toitures des châteaux. Ainsi reblochon ne se dément pas.
est né le Quernon d’ardoise, un carré 7,50 € la pièce de 200 g.
de nougatine. curenantais.com
8,50 € le sachet de 13 pièces. quernon.fr
AUVERGNE-
FINIR SAUCISSONNÉ
Sainte-Eulalie, Ardèche
Ils sont charcutiers de père en
fils. Blottis au pied du mont
Jerbier-de-Jonc, les Rome,
reconnus pour leurs terrines de
montagne, le sont également
pour leur saucisson sec pur
porc, haché gros, qui sèche de
six à huit semaines sur les hauts
plateaux ardéchois.
8,70 € le saucisson. charcuterie-rome.com LA MAISON DU QUERNON D’ARDOISE/SP – CHARCUTERIE ROME/SP

Algues au rythme Rouler son galet RHÔNE-ALPES

Le Croisic,
Loire-Atlantique
Jean-Marie et Valérie
Pédron dénichent des
algues étonnantes. Dulse,
laitue, spaghetti, nori…
sont bichonnées dans des
bacs d’eau de mer
microfiltrée avant d’être
consommées fraîches,
séchées ou en paillettes.
4,30 € les 20 g de paillettes.
lesjardins-delamer.fr
Cornillé-les-Caves,
Maine-et-Loire
BIÈRES VIVANTES
La fromagerie Louis Lucinges, Haute-Savoie
Tessier affine le galet de
la Loire, semblable à ceux Framboise, agrumes, mûres
qui bordent les berges du anisette, savagnin, pinot noir ou
fleuve. Une pâte molle encore vermouth… Christophe
crémeuse dont la croûte et Barbara Grellier conçoivent
jaune paille renferme dans leur microbrasserie des
d’étonnantes notes Voirons d’étonnantes bières à la
boisées. fermentation spontanée.
4,95 € la pièce de 260 g. À partir de 12 € la bouteille de 75 cl.
02.41.54.50.00. labrasseriedesvoirons.com

122 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625


AU CARRÉ
Voiron, Isère
Il est l’un des pionniers du
bean-to-bar. Stéphane Bonnat
cajole le chocolat du début à la
fin : de la cueillette de la fève
jusqu’à la tablette. On en
savoure la quintessence sur ses
grands crus historiques et
d’exception provenant de
terroirs du monde entier.
À partir de 5 € la tablette de 100 g.
bonnat-chocolatier.com
FROMAGE AU SOMMET
La Chapelle-
d’Abondance,
Haute-Savoie
Petit frère de la tartiflette, le
berthoud, mitonné avec de
l’abondance AOP et du vin
blanc relevés d’une gousse d’ail,
se débusque de préférence chez
la famille Trincaz, à l’hôtel-
restaurant Les Cornettes.
LUDOVIC COMBE/FERME AQUACOLE DU CÉZALLIER/SP – JULES CAMOS/SP
24 € le plat. lescornettes.com
À PLUMES
Saint-Cyr-sur-Menthon,
Ain
Les poulets, chapons et
poulardes de Bresse AOP de
Cyril Degluaire raflent les plus
beaux prix lors du concours des
Glorieuses. Des volailles
d’exception choyées au maïs et
au blé sur sa verdoyante
exploitation.
À partir de 15 € le kg. 06.79.87.18.90.
Belles roupettes Taquiner
Charroux, le bison PROVENCE-ALPES-
Allier Le Bourg-d’Oisans,
CÔTE D’AZUR
er Isère
François I  réservait
les testicules de coq Didier Girard veille sur un
à ses jeunes chevaliers, cheptel d’une trentaine de POUR LA SOCCA
quand Louis XIV en avait bisons pour faire découvrir Nice, Alpes-Maritimes
fait son mets favori. Les la viande de cet animal
roupettes de Charroux en mythique. Sa chair, proche Luc Salsedo revisite la galette
gelée ont été de celle du bœuf, pauvre « nissarde » en chips. De la
sauvegardées grâce en graisse, riche en farine de pois chiche, de l’huile
au savoir-faire de la protéines et en fer, est très d’olive, du sel, du poivre, de
famille Maenner. prisée pour les fêtes. l’huile de tournesol pour la
17,30 € la boîte de 130 g. 35 € le kg.
cuisson, et le tour est joué.
huiles-et-moutardes.com bisons-oisans.fr Profiter sans modération de ces
larges copeaux blonds qui
existent aussi au romarin
et à l’ail.
Truite couture À partir de 4 € le paquet de 120 g.
Ardes-sur-Couze, Puy-de-Dôme soccachips.com
Dans sa ferme aquacole du Cézallier,
Stéphane Heinis enveloppe la partie la
plus noble de ses filets de truite dans
leur peau recousue comme un fourreau.
Un procédé qui permet à cette
ventrèche, une fois fumée et maturée,
de diffuser d’envoûtantes saveurs.
04.73.96.59.59.
DÉVORER L’ARAIGNÉE
Gordes, Vaucluse
Yohan Fatela propose à la carte
de L’Orangerie à La Bastide de
Gordes une entrée digne d’un
tableau de maître : une araignée
de mer escortée d’une
macédoine de légumes, d’une
mayonnaise à la bisque,
d’estragon et d’un pain vapeur.
34 € le plat. airelles.com
BRISER LA TRUFFE
Puyméras, Vaucluse
Des brisures de truffes qui
craquent sous la dent !
La quintessence de truffe de
Plantin s’utilise comme un
condiment sur des préparations
chaudes : œuf cocotte, pâtes,
risottos, poissons blancs nacrés,
volaille rôtie.
À partir de 35 € la boîte de 30 g.
truffe-plantin.com
123 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
 100

MISER SUR LA SAUCISSE

GRAND EST
Marseille, Bouches-du-Rhône

On connaissait la saucisse de
Toulouse ou de Strasbourg. Il TERRINE ENFLAMMÉE
faut désormais compter sur Abreschviller, Moselle
celle de Marseille. Marcel Rei et
Charles Assirlikian concoctent Cyril Strub et Victoria Main font
notamment une « sôcisse » au la paire. Le Lorrain et l’Écossaise
maigre de jambon et poitrine de ont repris la charcuterie de leur
porc des Hautes-Alpes, fenouil, village, qu’ils ont nommée
badiane et épices Rabelais avec Black Pudding & Co, traduction
en prime une touche mystère. de boudin noir. Parmi les
19 € le kg. lasaucissedemarseille.com nombreux morceaux de
bravoure, leur terrine à la
flamme marquée par son
CONFITURES OUBLIÉES caractère fumé.
Château-Ville-Vieille, 5,50 € le pot de 180 g.
Hautes-Alpes blackpuddingco.fr

Maurice Leroy est l’homme-

orchestre du Plantivore. Cet
artisan cueilleur réveille les
confitures ancestrales. On pense
à celle d’épine-vinette ou à celle
de marmottier (le prunier de
Briançon), espèce endémique du Blés de pays
Queyras et du Briançonnais. Saint-Rémy-de-Provence, Bouches-du-Rhône
5,20 € le pot de 350 g.
boutique.plantivore.fr Des pains au petit épeautre, des tourtes
de seigle, des pompes à l’huile… Chez
ŒUFS D’OR Terre et Blé, les levains du paysan,
Cotignac, Var meunier et boulanger Henri de Pazzis
sont naturels, les variétés de céréales
Poutargue ou boutargue ? Élodie
Bar a tranché en inaugurant utilisées anciennes et moulues à la
So’Boutargue en 2017. Ses œufs meule de pierre. L’authentique cuisson
de mulets sauvages se déclinent au four à bois garantit des mies
au poivre de Timut, aux épices
« Caspienne » (une exclusivité généreuses et aériennes.

TERRE ET BLÉ/SP – FRANÇOIS PICCIONE/BOBINEMAGAZINE/SP – SO BOUTARGUE/SP

Pétrossian), fumés au bois de
hêtre ou infusés à la boukha, une
eau-de-vie de figues tunisienne.
À partir de 13,50 € les 100 g.
soboutargue.com
8,50 € le kg. terreetble.com
Reine des pizzas
Marseille, Bouches-
du-Rhône
Chez les Cassaro, on pétrit
la pâte de père en fils
depuis 1943. Et l’on
idolâtre la pizza
napolitaine cuite au feu
de bois. Une généreuse
couche de sauce tomate
sur laquelle s’extasient
de minces filets d’anchois
et du fromage en extra
ou pas.
15 € la pizza.
06.16.39.78.73.
Gréco-romaines
Hyères, Var
Jean-Éric et Élisabeth
Lavenir élaborent des
confitures à partir de
fruits de table locaux.
Olbia, en référence au site
archéologique gréco-
romain, développe de
multiples variétés de
fraises, de pêches,
d’abricots, d’oranges,
de figues, de poires.
Un régal du terroir.
À partir de 9,80 € le pot de
230 g. olbia-provence.com
PRUNELLE DES DIEUX
Troyes, Aube
Récompensée lors de
l’Exposition universelle de
1900, qui s’est déroulée à Paris,
la prunelle de Troyes résulte
d’un savant mélange de plantes
secrètes. La recette, l’alambic et
le lieu de distillerie – le Cellier
Saint-Pierre – restent identiques
depuis 1840. Son ange gardien
actuel : Alexandre
Krumenacher.
27,90 € la bouteille de 70 cl.
celliersaintpierre.fr

124 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625

 MEILLEUR FROMAGE AU MONDE 2022
sur 1053 échantillons en compétition issus de 11 pays.

C’est à 1150 mètres d’altitude, dans les caves voûtées en pierre du Fort des Rousses que sont affinés les Comtés
Juraflore. Élevés à l’instar des plus grands vins, les Comtés Juraflore Fort des Rousses délivrent des saveurs d’une
extraordinaire richesse issues de la diversité florale du Massif du Jura. La Médaille d’Or de «Meilleur Fromage de
la Compétition Tous Pays» au Concours international de Lyon 2022 a été attribuée aux Comtés Charles ARNAUD
18 mois avec la meilleure note des 1053 échantillons en compétition provenant de 11 pays : 99 / 100 !

Visitez les caves du Fort des Rousses au cœur du Parc Naturel du Haut-Jura. Renseignements sur www.juraflore.com

POUR VOTRE SANTÉ, ÉVITEZ DE GRIGNOTER ENTRE LES REPAS. WWW.MANGERBOUGER.FR


CASSER LA CROÛTE
Nancy, Meurthe-et-Moselle
On trouve à la pâtisserie
Recouvreur la plus ancienne des
spécialités lorraines : un pâté de
viande de porc mariné au gris de
Toul, le tout enveloppé d’une
addictive pâte feuilletée.
22,50 € le pâté lorrain pour 4 personnes.
recouvreur.fr
PRENDRE UNE PRUNE
Rozelieures,
Meurthe-et-Moselle
La famille Grallet-Dupic est
l’ambassadrice de la mirabelle,
dont la Lorraine fournit 75 % de
la production mondiale. Parmi
la gamme aussi large que
créative, viser l’eau-de-vie de
prune cuvée Michel Grallet.
65,30 € la bouteille de 70 cl.
maisondelamirabelle.com
BAIES SACRÉES
Remiremont, Vosges
A priori, rien ne la différencie
d’une tarte classique – pâte,
poudre d’amande, fruits et sucre
glace. Sauf que celle aux
brimbelles n’appartient qu’aux
Vosges, où poussent ces
myrtilles sauvages beaucoup
plus parfumées que les bluets.
Direction la pâtisserie-
chocolaterie Jean-Luc.
3,50 € la part. patisserie-jean-luc.fr
126 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
100
Rencontrer Chou
BOURGOGNE-
la mauricette fermenté
FRANCHE-COMTÉ
Eckbolsheim, Krautergersheim,
Bas-Rhin Bas-Rhin
Ce petit pain fait à base La maison Angsthelm
de pâte à bretzel est idéal assure du champ au bocal FRÉQUENTER LES HUILES
pour confectionner des toute la chaîne de Iguerande, Saône-et-Loire
sandwichs. La maison transformation du chou
Bretschtelle Eck propose pour la choucroute garnie. La famille Leblanc fait couler les
des « pains Bret’Z » en Tester impérativement la huiles depuis cent quarante ans.
différentes tailles. version crue à cuisiner. La précision de la meule de
À partir de 1 € la mauricette. 2 € le kg. choucroute-
pierre qui broie les graines et les
bretzel-eck.fr angsthelm.alsace fruits doublée de la gestuelle
transmise de génération en
génération leur confère une
identité sans pareille. Reste à
Icône trancher entre la noisette, la
Metz, Moselle noix, la pistache, le sésame,
l’olive, l’amande…
Impossible de ne pas reconnaître le À partir de 6,5 € la bouteille de 25 cl.
kouglof avec sa forme haute, cannelée huile-leblanc.fr
et creusée en son centre grâce à son L’EFFET BŒUF
moule. Une brioche à pâte levée à Charolles, Saône-et-Loire
dévorer d’urgence à l’Atelier Bon de
Elle continue de crépiter sur sa
Thibault Richard. En mode sucré : plaque en fonte lorsqu’elle arrive
amandes et raisins imbibés au kirsch ou devant les convives. L’entrecôte
pralines roses de Saint-Genix. En salé : de bœuf de 400 g du Bistrot du
Quai de Frédéric Doucet –
pancetta, oignons poêlés, tomates auréolé également d’une étoile à
confites, noisettes du Piémont. sa table gastronomique en face –
À partir de 4 € pour 1-2 personnes. 03.87.76.03.96. mérite à elle seule le voyage dans
le Charolais.
40 € le plat. maison-doucet.com
LUKAM/PHOTOCUISINE – ATELIER BON/SP – FRED DURANTET/BISTROT DU QUAI/SP
CASSIS CONCENTRÉ
Nuits-Saint-Georges,
Côte-d’Or
Une cuillère à soupe d’hydrolat
de cassis de la Ferme Fruirouge
obtenu grâce à la distillation des
feuilles à la vapeur d’eau suffit à
transcender plats et desserts.
10,90 € la bouteille de 10 cl.
fruirouge.fr

Se prendre pour un bleu
Poligny, Jura
Sur les massifs du Haut-Jura, une
IMAGE ASSOCIES MATTHIEU CHENEBT/SYNDICAT DU BLEU DE GEX HAUT-JURA/SP – PASTIS MITCHUT/SP – MR TXOKOLA/SP
cinquantaine de producteurs de lait,
quatre fromageries et un producteur
fermier s’affairent à la tâche des meules
de bleu de Gex pesant 8 kg chacune.
Une pâte persillée de vache à la douceur
surprenante rappelant le parfum des
chanterelles.
À partir de 11,80 € le kg. bleu-de-gex.com
Attention
aux dents
Paray-le-Monial,
Saône-et-Loire
La règle immuable pour
préserver l’arôme du
cacou : ne surtout pas
dénoyauter les cerises. Ce
cousin du clafoutis vénéré
par la confrérie des Francs
Cacous est le gâteau phare
de la boulangerie-
pâtisserie Hubert.
14,50 € le gâteau de
6-8 personnes. 03.85.81.09.16.
Fumer
le saumon
Chemilly-sur-Yonne,
Yonne
Cœur, filet, tranches, pavé
mi-cuit. À la tête du Borvo,
Benjamin Raymond fume
les saumons de Norvège
et d’Écosse dans tous leurs
états grâce à un savoir
artisanal unique. De
véritables bonbons en
bouche.
À partir de 10,50 € la plaque
de 200 g. leborvo.fr
NOUVELLE-AQUITAINE
DÉCROCHER LA LUNE
Bordeaux, Gironde
Des chais viticoles au comptoir
de desserts, il n’y a qu’un pas.
Après avoir œuvré dans le vin,
Bérénice Hémonet et Noë
Pierron proposent dans leur
pâtisserie Lune, quai des
Chartrons, des gâteaux de saison
tout en textures, équilibre et
créativité. Ce mois-ci : le café-
cardamome-poire.
De 3 à 5 € le gâteau. Instagram : @lune_bdx
MONTRER SES TABLETTES
Bayonne,
Pyrénées-Atlantiques
On ne sait pas où donner de la
tête devant le régiment de
tablettes de Monsieur Txokola.
Ronan Lagadec et Cyril Pouil
magnifient le chocolat : « pure
origine », « saveur locale »,
« antan ». Tester absolument
la gamme des « éphémères ».
À partir de 4,50 € la tablette de 100 g.
monsieurtxokola.fr
TOURNER AU VINAIGRE
Mauléon-Licharre,
Pyrénées-Atlantiques
Jean-Philippe Lanouguère
élabore des vinaigres d’abord
fermentés en fûts de chêne puis
vieillis plusieurs années dans
des barriques sélectionnées
pour la qualité de leurs anciens
Le Point 2625 | 24 novembre 2022 | 127
pensionnaires (cognac ou
whisky). Il en résulte de divins
liquides au piment d’Espelette,
à la pomme, à la poire, à la
cerise noire, à la bière, aux
boutons de rose…
8,50 € la bouteille de 20 cl.
vinaigrerie-saint-jacques.fr
ACCRO AU MITCHUT
Capbreton, Landes
Dans le Sud, son appellation
évoque la boisson alcoolisée à
l’anis. Ici, le pastis mitchut fait
référence à une douceur entre
la brioche et le gâteau, que l’on
doit à Patrice Lubet. Un délice
à base de farine de blé, de levure,
d’œufs, de lait, de sel, de beurre
et de sucre de canne aromatisé
au rhum, à la vanille et aux
graines de roucou.
À partir de 6,50 € le gâteau de 250 g.
mitchut.com
SUCCOMBER AU MACARON
Saint-Émilion, Gironde
Il n’y a pas que les vins à Saint-
Émilion, il y a aussi les
macarons. Nadia Fermigier est
la seule dépositaire de cette
pépite forgée par les religieuses
des Ursulines en 1620 : des
amandes brutes douces et
amères mariées à des blancs
d’œufs frais et à du sucre. Le
résultat : une coque légèrement
croustillante à la texture
fondante.
À partir de 8 € la poche de douze.
macarons-saint-emilion.fr
 100

Pastis du jardin Se payer la tête À BON PORC TRAQUER LA FOUGASSE

Montignac-Lascaux,
Dordogne
Un frère, distillateur de gin
en Angleterre, a rejoint
sa sœur dans la ferme
familiale. Leur quête :
composer un pastis (et un
gin) avec les plantes du
jardin dans l’alambic d’un
MOF (Meilleur Ouvrier de
France). Un velours anisé
en bouche.
34 € la bouteille de 70 cl.
distilleriedelort.com
Brive-la-Gaillarde,
Corrèze
La maison Bach ne
plaisante pas avec le
fromage de tête. Les têtes
de cochon sont travaillées
entières, la viande est
cuite avec les os puis
entièrement désossée à la
main, avant d’être moulée
à la louche. Le geste qui
fait la différence.
12,90 € le kg.
maisonbach.com
Aldudes,
Pyrénées-
Atlantiques
Pierre Oteiza sublime le porc
du Pays basque : jambon,
saucisson, chorizo, ventrèche,
boudin, confit. Foncez sur ses
pièces de viande de race kintoa
AOP transformées en côte, filet
mignon, noix d’épaule, jarret,
oreille, pied.
À partir de 5,20 € le boudin de 340 g.
pierreoteiza.com
OCCITANIE
TENTER LA MIQUE
Peyrilles, Lot
Cet incontournable du Sud-
Ouest a l’apparence d’une pâte à
pain briochée, gonflée en raison
de sa cuisson dans un bouillon
de potée. On la savoure avec du
petit salé. Lorsqu’il en reste, on
la fait griller en tranches pour
étaler dessus beurre et confiture.
23,80 € sur commande.
restaurantmourgues.fr
FAIRE LA ROUE
Bages, Pyrénées-Orientales
La boulangerie de Monique et
André Sunyer est le fer de lance
de la rousquille, un biscuit en
forme de roue à l’anis et au
citron entouré d’une meringue.
5,50 € le sachet de six. 04.68.21.71.75.
Aigues-Mortes, Gard
Les amateurs viennent de loin
pour cette brioche au beurre
et à l’eau de fleur d’oranger. La
référence en la matière : celle du
maître pâtissier Alain Olmeda.
2 € la part. 04.66.53.73.42.
CROISÉ
Narbonne, Aude
La galette occitane créée en
2007 par Gilles Bourguignon se
reconnaît facilement à la croix
dessinée en son centre. Ce
disque de pâte sablée pur
beurre garni de fruits confits
est aromatisé à la bigarade
(mi-orange, mi-citron). À casser
avec les mains et à partager
en fin de repas.
À partir de 7,95 €.
lefournildegilles.fr
IL ÉTAIT UNE FOUACE
Najac, Aveyron
La fouace est la star de l’un des
plus beaux villages de France.
Chaque dimanche qui suit
le 15 août, on y célèbre cette
brioche à la fleur d’oranger.
À ne pas manquer à la maison
Delmur.
6,75 € la pièce. 05.65.29.75.49.
FERME MARINE D’ARTHOUAN/SP – P. SOISSONS-TOURISME AVEYRON/SP

Sortir de sa coquille
Saint-Just-Luzac, Charentes RELUQUER
L’OLIVE
Aux manettes de la ferme marine Bize-Minervois, Aude
d’Artouan, David Mercier chaperonne La coopérative L’Oulibo
dans ses bassins de Marennes-Oléron demeure une référence pour
des huîtres uniquement nées en mer. la Lucques du Languedoc.
Une olive AOP (appellation
Une philosophie jusqu’au-boutiste d’origine protégée) en forme
qui procure à ses coquillages naturels de croissant de lune, verte ou
une puissante trame iodée. noire, charnue et aux effluves
d’avocat et de noisette fraîche.
À partir de 8 € la douzaine. ferme-marine-dartouan.business.site 8 € le pot de 420 g. loulibo.com

128 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625

 100
GRAS
Séailles, Gers
La grand-mère, Denise Pitoux,
gavait les oies et les canards
pour les vendre sur les marchés
environnants. Frédéric, son
petit-fils, poursuit son œuvre
avec sa mère Mireille, en
préparant toujours
affectueusement les foies.
23,50 € le pot de 180 g. maisonpitoux.com
RIZ POÊLÉS
Torreilles, Pyrénées-Orientales
Cette paillote les pieds dans
l’eau fondée par Claude Baco
sert d’extraordinaires « arroz »,
des riz dressés directement dans
de grandes poêles en fonte noire
et surmontés de poissons
blancs, de gambas de Palamos,
de homard…
À la bonne franquette À partir de 32 € le plat. zazaclub.fr
Nailhac, Dordogne
FOIE SEC
Aux vergers de la Guillou, la famille Ferrières-sur-Ariège, Ariège
Mouret parie sur l’agriculture Si la saucisse sèche de foie reste
biologique des noix du Périgord en AOP séculaire, chaque charcutier y
(appellation d’origine protégée). ajoute l’ingrédient qui fera la
différence à l’image de la famille
Essentiellement la variété franquette, Rouch. On l’adore en lamelles à
mais il reste encore quelques noyers l’apéritif, grillée au barbecue ou
corne, que la tempête de 1999 a bien avec des œufs brouillés.
voulu épargner. À partir de 7,40 € la pièce de 280 g.
charcuterie-rouch.fr
33 € les 5 kg. lesvergersdelaguillou.com
CORSE
Brouteurs Poulpe party
Saint-Gilles, Sète, Hérault
Gard
C’est une tourte aux bords APÉRITIF CORSÉ
Les gigots, côtelettes ou dentelés farcie de poulpe Aléria, Haute-Corse
épaules d’agneau de lait haché, de sauce tomate et
d’Emmanuel Lafaye d’un mystérieux mélange On doit à Louis Napoléon Mattei
concentrent des parfums d’épices et de piments : le Cap Corse Mattei rouge, un
tendres et herbacés. Ses la tielle, créée dans les apéritif à base de jus de raisins
troupeaux transhument années 1930 par Adrienne issus des cépages muscat et
des terres camarguaises Virduci, se savoure tiède. vermentinu, assemblés avec des
aux alpages du Dévoluy, Une canaillerie aux accents macérations d’écorces de
dans les Hautes-Alpes, napolitains défendue quinquina, de cédrat et d’une
de mai à octobre. par son arrière-petite-fille, sélection de fruits, de plantes et
35 € le colis de 1,2 kg Sophie Cianni. d’épices exotiques.
(côtelettes et gigot). À partir de 3 € la tielle. 15,90 € la bouteille de 75 cl.
histoiredagneau.fr 04.67.43.60.62. distilleriemattei.com
130 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
FLAIRER
LE PRISUTTU
Ajaccio, Corse-du-Sud
Ce jambon cru salé, fumé, séché
et affiné durant dix-huit à vingt-
quatre mois en cave est façonné
à partir de porcs de race nustrale
élevés sur les montagnes en
plein air et nourris à la fin de
leur vie uniquement de
châtaignes et de glands. Au
palais, une charcuterie fondante
aux notes de noisette.
À partir de 10 € la plaquette de 100 g.
ethicorse.fr
ÉCORCE CONFITE
Bastia, Haute-Corse
Il est l’un des maîtres de la
châtaigne de l’île de Beauté.
Sous le label Castagna Corsa,
Dominique Vitti élabore
également des confitures haut
de gamme dont celle au cédrat
confit, un agrume bosselé aux
subtiles notes amères et
citronnées.
8 € le bocal de 240 g. 04.95.30.21.18.
S’OFFRIR LE MAQUIS
Calacuccia, Haute-Corse
Jean-Marc Negroni est l’auteur
d’une gamme de ratafias
et de liqueurs d’une pureté
incroyable. Les trésors que
sont la châtaigne, le myrte,
la menthe insulaire ou la
mandarine finissent toujours
sur le devant du verre.
45 € la bouteille de 70 cl. 06.15.05.35.21.
SE JETER SUR
LES STORZAPRETTI
Bonifacio,
Corse-du-Sud
Ces quenelles typiques farcies
de brocciu frais (un fromage de
VERGERS DE LA GUILLOU/SP
brebis), de blette, de menthe et
d’œufs puis gratinées de sauce
tomate et de fromage râpé sont
le péché mignon du chef Gérald
Larrieu chez Ciccio.
18 €. 06.16.98.81.68.
 LE POINT STORIES POUR

Jambon de Bayonne et vins de Gaillac, l’union sacrée

Toujours produit selon des méthodes ancestrales, le jam- pour toujours dans le panthéon des

bon préféré des Français délivre un bouquet de saveurs qui produits français. Les épicuriens, de
plus en plus locavores, aiment ainsi
s’accordent merveilleusement avec les vins de Gaillac, une l’accorder avec des vins du Sud-

autre pépite du Sud-Ouest. Ouest. Ceux de Gaillac notamment.

Ce vignoble qui s’étend des limites

L
e jambon de Bayonne
n’est pas le jambon préfé-
ré des Français par hasard.
Élaboré au cœur du Bassin
de l’Adour, une zone géo-
graphique située entre océan Atlan-
tique et montagnes pyrénéennes,
des méthodes de fabrication ances-
trales lui garantissent une Indication
géographique protégée (IGP) depuis
1998. Les porcs destinés à sa fabri-
cation naissent obligatoirement dans
le grand Sud-Ouest avant d’y être
élevés sans OGM, ni antibiotiques,
conformément aux exigences des
bonnes pratiques régissant le bien-
être animal.
Pour bénéficier du fameux sceau de
la « Lauburu » qui garantit l’origine
Bayonne, les jambons frais suivent
plusieurs étapes dont un frottage
avec du sel de Salies-de-Béarn, des
périodes de séchage et de repos,
pendus à une poutre. Arrivent alors
l’affinage puis le sondage où un
« nez » goûte chaque jambon avant
de valider son aptitude à rejoindre les
meilleurs étalages. Ce lent processus
dure au final de neuf à douze mois.
AOP Gaillac et Jambon de
Bayonne IGP, l’accord parfait
Toutes ces raisons expliquent pour-
quoi le jambon de Bayonne figure
de la Garonne et du Tarn jusqu’aux
confins de l’Albigeois bénéficie des
meilleures conditions climatiques
grâce à des influences océaniques et
méditerranéennes particulièrement
propices à la culture de la vigne.
Reconnus en appellation d’origine
contrôlée depuis 1938, les vins de
Gaillac sont vinifiés à partir de cinq
cépages rares, deux blancs et trois
rouges : les mauzac, loin de l’œil,
duras, braucol, et prunelart. Leurs
touches de fruits noirs, de réglisse et
de pruneau d’une grande profondeur
se fondent merveilleusement avec
les arômes délicats du jambon de
Bayonne. Dans le Sud-Ouest, un tel
accord revient à transformer l’essai
sur un terrain de rugby

Le contenu de cette campagne de promotion reflète uniquement la position de l’auteur et relève de sa seule responsabilité.
La Commission européenne et l’Agence exécutive européenne pour la recherche (REA) déclinent toute responsabilité quant à toute
utilisation qui pourrait être faite des informations qui y figurent.

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération

STYLE

Rolex a mis au point un fermoir adapté, l’Oysterlock, ainsi qu’une cuve ultra haute pression – en partenariat avec la Comex – pour tester l’étanchéité.

Le goût de l’exploit
Rolex présente l’Oyster Perpetual Deepsea Challenge, sa première
plongeuse en titane étanche à 11 000 mètres. Immersion. PAR ARTHUR FRYDMAN

R
olex a toujours eu le goût de l’ex­
ploit – salé. La course à l’étanchéité
germe dès 1914 dans la tête d’Hans
Wilsdorf. Une lettre adressée à la ­Maison
Aegler par le fondateur de Rolex indique
qu’« il faut trouver le moyen de créer un
­bracelet-boîte imperméable ». Ce sera chose
faite en 1926 avec le lancement de
­l’Oyster, la première montre-bracelet
étanche au monde. Pour prouver la par­
faite efficacité de son modèle, Wilsdorf,
maître en communication avant l’heure,
équipe la nageuse anglaise Mercedes
Gleitze lors de sa traversée de la Manche.
L’Europe se passionne pour cette athlète
amateur, employée de bureau qui,
le 7 octobre 1927, relie en 15 heures et
15 minutes, dans des eaux froides, les
côtes de l’Angleterre à celles de la
France. À l’arrivée, sa montre Rolex est
en ­parfait état de marche. Un exploit.
La montre moderne est née. Place à la
conquête des grands fonds.
L’exploration – abyssale – de Rolex
démarre le 23 janvier 1960, lorsque
l’océanographe Jacques Piccard et le
lieutenant Don Walsh embarquent à
bord du bathyscaphe Trieste. Objectif ?
Descendre à 10 916 m dans la fosse des
Mariannes, au large de l’île de Guam,
dans l’océan Pacifique, accompagné de
la Deep Sea Special, une montre expéri­
mentale. Elle remonte à la surface en par­
fait état. De quoi satisfaire la maison qui,
forte de ces enseignements, dévoile en
1967 la Sea-Dweller. Une montre à l’al­
lure plus civilisée, à même de suivre les
premiers plongeurs en saturation jusqu’à
610 m de profondeur grâce à une valve
à hélium (innovation brevetée Rolex)
qui évacue le gaz lorsque la pression,
dans la montre, dépasse celle du milieu
ambiant, rétablissant ainsi l’équilibre.
Quarante-cinq années s’écoulent jus­
qu’en 2012. Cette année-là, le réalisateur
James Cameron s’attaque en solitaire
aux Mariannes. Il est doté d’une seconde
montre-concept : la Rolex Deepsea Chal­
lenge. Comme en 1960, cette dernière
résiste parfaitement à la pression phé­
noménale à laquelle elle est exposée.
Ultralégère. Ces montres, qui ont mar­
qué l’histoire de l’horlogerie, aboutissent
aujourd’hui à la réalisation de l’Oyster
Perpetual Deepsea Challenge. Une pièce
hommage qui pose un nouveau jalon
dans l’aventure technique de Rolex. Cette
référence, étanche jusqu’à 11 000 m – une
profondeur trente-six fois fois supérieure
à celle actuellement garantie pour la
Rolex Submariner –, est un concentré
de technologies. L’innovation la plus
marquante ? Le boîtier sans date de
50 mm en titane RLX, une première dans
le catalogue Rolex. Une matière ultra­
légère qui, en contraste avec le format
extra-large de la montre, a été retenue
pour ses capacités de résistance aux
­déformations et à la corrosion. Si la
marque à la couronne n’est pas la pre­
mière à utiliser du titane, elle lui offre
incontestablement ses lettres de n
­ oblesse.
Le modèle est doté du système Rin­
glock (breveté en 2007), qui offre une ré­
sistance aux pressions extrêmes ; d’une
valve à hélium ; d’une couronne vissée
Triplock avec trois zones d’étanchéité, à ROLEX/DUNCAN COLE – ROLEX/ALAIN COSTA (x2) – ROLEX/FRED MERZ
l’instar d’une écoutille de sous-marin ;
d’un affichage luminescent ­Chromalight
du cadran, et d’un procédé de rallonge du
bracelet Rolex Glidelock. Le calibre 3230,
développé et manufacturé par Rolex,
offre une réserve de marche de 70 heures.
Il intègre un échappement Chronergy
et le spiral Parachrom pour une insensi­
bilité aux champs magnétiques. Last but
not least, le mouvement est certifié Chro­
nomètre Superlatif, la Deepsea Challenge
bénéficiant d’une précision chronomé­
trique de l’ordre de – 2 /+2 secondes par
jour. Une vraie bête de concours ! §
Oyster Perpetual Deepsea Challenge, 25 750 €.

132 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625

 Ascension programmée
Mazda vise haut avec le CX-60, premier hybride rechargeable de la marque japonaise. PAR NICOLAS VALEANO
D
éveloppé sur une nouvelle plate-
forme, le CX-60 vient coiffer la
gamme Mazda avec ses 4,74 m de
longueur. SUV de style classique avec
son long capot et sa face avant impo-
sante, il entend rivaliser sur le marché
européen avec les Alfa Romeo Stelvio et
BMW X3. Dans l’habitacle, coutures 3D,
bois clair, cuir Nappa, chromes et revê-
tements souples composent effective-
ment une ambiance digne d’un modèle
premium, même si le système d’info­
divertissement apparaît un peu daté.
L’habitacle spacieux et le vaste coffre de
570 l permettent d’envisager sereine-
ment des voyages en famille. À noter
que, pour celles ou ceux qui en vou-
draient plus, un SUV 7 places plus long,
nommé CX-80, arrivera fin 2023.
La chaîne de traction hybride rechar-
geable développée en interne par ­Mazda
affiche une fiche technique impression-
nante, avec une puissance cumulée de
327 ch et un couple de 500 Nm distri-
bués aux quatre roues, de quoi dépla-
cer facilement les quelque 2 tonnes de
la voiture. Ainsi, le 4-cylindres 2,5 l est
MAZDA (X2)V
­secondé par une machine électrique de
129 ch implantée avant la transmission
automatique 8 rapports, tandis qu’un
embrayage permet de déconnecter le
moteur thermique pour les phases de
conduite « zéro émission ». Le CX-60 est
ainsi capable de rouler en silence et sans
brûler la moindre goutte de carburant
sur 63 km grâce à sa grosse batterie
(176 kg), d’une capacité de 17,8 kWh.
Batterie qu’il aura bien sûr fallu préa-
lablement recharger, ce qui devrait
prendre environ 2 h 30 sur une Wallbox
7,2 kW (la puissance maximale du char-
geur embarqué), alors qu’il faudra comp-
ter une nuit complète sur une prise
domestique. Au volant, l’ensemble se
montre efficace en matière de consom-
mation (6 l/100 km en usage mixte et
8,5 l/100 km en ville pour notre essai)
Bois clair, cuir et chromes habillent l’habitacle.
Le Point 2625 | 24 novembre 2022 | 133
Avec son CX-60,
Mazda ­entend
concurrencer
les SUV premium
des grands
constructeurs
­européens.
et plutôt performant, même si les accé-
lérations très linéaires gomment les
sensations. Facile à conduire, le C
­ X-60 re-
pose toutefois sur une suspension ferme
qui peut se m
­ ontrer légèrement percu-
tante à faible allure.
Turbo diesel. Côté tarif, le CX-60 hy-
bride rechargeable débute à partir de
52 650 euros, et certains packs d’équipe-
ment sont vivement conseillés, comme
celui intégrant le régulateur de vitesse
adaptatif (1 800 euros). Pour 2 300 euros
de moins, soit 50 350 euros, Mazda s’ap-
prête aussi à proposer une autre option
de motorisation plus surprenante : un
tout nouveau gros 6-cylindres en ligne
turbo diesel 3,3 micro-hybride. Malgré
sa ­cylindrée conséquente et une puis-
sance de 200 ch, ce bloc ne consomme
que 4,9 l/100 km, ce qui correspond à une
émission de CO2 de seulement 127 g/km.
Un chiffre qui devrait permettre au ­CX-60
diesel d’échapper à tout malus en 2022
et de n’être redevable que de 150 euros
de taxe selon le barème 2023. Voilà une
sobriété qui devrait faire de cette moto-
risation inédite la préférée des gros rou-
leurs, la version hybride rechargeable
étant plutôt destinée aux urbains §
 JEUX

MOTS CROISÉS PAR ALBERT D’AUNAC

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
HORIZONTALEMENT I. Position réglementaire. II. Comme
I G A R D E A V O U S une peau de raie. III. Une bavette peut l’être. IV. Uniquement
Solution de la grille
du numéro 2624
II E C A I L L E U S E devant La Rochelle. On suit une bonne. V. Fumeux avec un trait. 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
III N E R V E U S E L Employé avant de semer. Suit Washington. VI. Ne gardait pas. I T A R T E M P I O N
VII. Saugrenu. VIII. Création de Gustave. Il en faut plus d’une II R E T I N I E N N E
IV D R I E U I D E E pour intriguer. IX. A trop chaud. Buts. III U R T E U S E S
V A B S S O C D C IV C I G U E S E S T
VERTICALEMENT 1. Peuvent tenir le I . 2. Sûrement insatisfait. V
VI R E S T I T U A I T Grecque. 3. Pas fréquent, selon Chimène. 4. Seulement chez
M E B T I N T O
VI U N I A T E S E R
VII M I N S O L I T E Rabelais. En plein Vietnam. 5. Grecque mystérieuse. 6. Un léger VII C X G E N E P I
VIII E M M A M E N E E raccourci. Ethnie mexicaine. 7. On dirait des sacs. 8. Courant VIII H U E S L E E U
alternatif. Fait un pli. 9. On les suit. Sortie. 10. Comme des cartes IX E C R E M E U S E S
IX S U E V I S E E S perforées.

BRIDGE P AR MICHEL LEBEL

LE PROBLÈME DE LA SEMAINE LE TEST D’ENCHÈRES

Voici les jeux de Nord-Sud : II. Jeu de la carte Le test d’enchères du Point Réponses
Vous jouez 3 SA en Sud. est fondé sur La Nouvelle Majeure 5 e, A 3 ± = 20 ; passe = 10 ; 3 • = 5.
¿ V 10 2 Ouest entame du 10 de \ pour de Michel Lebel. Le contre de votre partenaire est
• 7643 la Dame du mort et le Roi d’Est.
\ D3 un contre Spoutnik. Les deux majeures
±R763 Le début des enchères a été : ont été annoncées, le Spoutnik indique
Réponse
Comptez vos levées maîtresses : quatre Sud Ouest Nord Est un jeu orienté vers un contrat en mineure.
N Sur 2 ¿ , annoncez 3 ± avec quatre cartes
– en principe – à ±, deux à \ et l’As de •, 1• 1¿ X 2¿
OE soit sept au total. Après l’entame à \, vous à ± et une ouverture non minimum.
?
S n’avez plus le « temps » d’affranchir les ¿ ; B contre = 20 ; 3 ± = 10 ; 3 \ = 5.
c’est donc à • que vous devez rechercher Vous possédez une ouverture
¿ D984 les deux levées qui vous manquent. Pour Vous êtes en Sud (tous vulnérables). convenable – 15 points H – et un fit
• ADV tenter deux fois l’impasse au Roi de •, Quelle doit être votre deuxième enchère de trois cartes dans les deux mineures.
\ AV avec chacun des cinq jeux suivants ?
± A D 10 2
deux rentrées au mort sont nécessaires. Contrez le soutien adverse à 2 ¿
Commencez par fournir la Dame de \ du ¿ • \ ± – c’est un nouveau contre d’appel !
mort. Malheureusement, Est couvre du Roi ! A V 10 4 AR973 V A V 10 4
Après la levée de l’As de \, il vous reste à C 3 SA = 20 ; 2 SA = 10 ; 3 ¿ = 5.
résoudre un problème de communication. B 73 AR973 A V 10 R 10 4 Demandez directement la manche à 3 SA
Ce problème consiste à manier les ± de C A V 10 DV873 R9 AR5 avec 18 points H et un double arrêt à ¿
I. Enchères en face d’un contre Spoutnik.
Sud donneur. façon à pouvoir rentrer deux fois au mort. D A5 RDV973 DV5 A3
Faites les enchères de Nord-Sud, Voici le bon maniement : encaissez E – A R 10 7 3 A V 10 5 RD83 D 4 • = 20 ; 3 • et 3 SA = 10.
qui se déroulent dans le silence l’As de ±, puis la Dame, et enfin le 10, Vous êtes trop fort pour vous contenter
adverse. que vous surprenez du Roi, et tentez une de répéter votre couleur au palier de 3.
première impasse au Roi de •, qui réussit. Infos bridge Sur 2 ¿, demandez la manche à 4 •.
Réponse Jouez ensuite le 2 de ± pour le 7 du mort.
Cette deuxième reprise vous permet Suspense juqu’au bout en DN2 E 3 ¿ = 20 ; 4 SA = 10 ; contre = 5.
La bonne séquence : de tenter une nouvelle fois l’impasse à •. Troisième à deux matchs de la fin, Votre jeu est exceptionnel en face
Sud Nord
l’équipe de Véronique Bessis du Spoutnik de votre partenaire.
¿ V 10 2 (Danièle Avon, Jean-Paul Balian, Commencez par faire un cue-bid à 3 ¿
2 SA 3± • 7643 Jean-Michel Voldoire, Jean-Charles avec ce très puissant tricolore
3¿ 3 SA \ D3 Allavena, Pierre Saporta)
±R763 et la chicane à ¿.
a remporté le Championnat de France
Quelques commentaires : ¿ A63 N ¿ R75 de deuxième division, la DN2.
• 98 • R 10 5 2 Suite du classement :
2 SA : avec un jeu régulier OE
\ 10 9 8 4 2 \ R765 2. Bridge Plus ; VOTRE RÉSULTAT :
de 20 points H. S
±V94 ±85 - De 90 à 100 : un excellent résultat.
3 ± : Stayman avec 6 points H ¿ D984
3. Marion Roth.
- De 70 à 85 : un bon résultat.
pour rechercher un fit 4-4 à •. • ADV Ces trois équipes accéderont l’année - De 50 à 65 : assez bien, travaillez
3 ¿ : quatre cartes à ¿. \ AV prochaine à la DN1, une épreuve limitée davantage vos enchères.
3 SA : une conclusion logique. ± A D 10 2 à douze équipes. - Moins de 50 : lisez La Nouvelle Majeure 5 e.

LE POINT Dépôt légal : à parution - n° ISSN 0242 - 6005 - n° de commission paritaire : 0625 C 79739
1, boulevard Victor, 75015 Paris – Tél. : 01.44.10.10.10 – Fax : 01.43.21.43.24 Impression : Maury Imprimeur SA (45330 Malesherbes). Diffusion : MLP.

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134 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625

 ARTHUS BERTRAND
Nouvelle collection : la chevalière
La Maison Arthus Bertrand remet
en scène la chevalière, bijou de
style, de caractère et de tradition
dont elle maîtrise la création et la
personnalisation jusqu’au bout des
doigts en proposant une nouvelle
création pavée de diamants résolument
moderne. Reflet de l’excellence de la
Maison, la chevalière est fabriquée et
personnalisée avec le plus grand soin en
France dans les ateliers à Saumur
Essentiels
01 69 93 52 02
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La sélection du Point Communication
ESPACE TOPPER
Plus de 40 fauteuils de relaxation en
exposition !
Séduit par le confort absolu d’un
fauteuil de relaxation ? Stressless®,
Himolla…, les plus grandes marques
ont choisi l’Espace Topper, le seul
magasin parisien où venir essayer
plus de 40 modèles !
En ce moment, conditions
exceptionnelles à l’Espace Topper
63 rue de la Convention Paris 15e, 01 45 77 80 40,
ouvert 7j/7, M° Boucicaut ou Charles Michels.
*L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération
EDEN PARK
Ouverture une nouvelle boutique
parisienne
Eden Park a ouvert en octobre dernier
une boutique parisienne, au cœur de
Paris au 28 rue Tronchet dans le 9ème.
Un nouveau point de vente attendu
et qui vient renforcer la présence de
la Maison dans la capitale avant la
Coupe du Monde de Rugby 2023.
Cette boutique sera un terrain de
jeu extraordinaire pour accueillir une
clientèle cosmopolite, les VIP et les fans
du French Flair.
www.eden-park.fr
28 rue Tronchet 75009 Paris
01 87 74 27 27
RIVIERE DU MAT
Trés vieux rhum VSOP pour les fêtes
de fin d’année
Ce subtil assemblage de très vieux
rhums RIVIERE DU MAT est le fruit
d’un vieillissement maitrisé de quatre
années en climat tropical. Ces notes
vanillées enrobent une belle fraicheur
liée au terroir volcanique des champs
de canne. Idéal à offrir pour les fêtes
de fin d’année.
43°- 70 cl - PVC* : 32 € - Disponible chez les cavistes.
www.rivieredumat.com / * Prix Marketing Conseillé
ROCHE BOBOIS
Créations Automne-Hiver 2022
Savoir-faire, créativité, innovation :
des valeurs au cœur de notre
conception de l’Art de Vivre.
Pour ces créations Automne-
Hiver, nous avons imaginé pour
vous de nouvelles formes, de
nouvelles nuances de couleurs,
de nouveaux mariages de matières.
Poursuivez la découverte sur roche-bobois.com
et en magasin..
BREITLING
Endurance Pro« Premiers de Cordée » :
une montre qui aide les enfants hospitalisés
Pour aider les enfants hospitalisés via le
sport, Breitling poursuit son engagement
auprès de l’association française
« Premiers de Cordée » dont elle partage
la philosophie et le combat. Cette année,
Breitling propose une montre Endurance
Pro en série limitée et numérotée de
250 pièces aux couleurs du logo de
Premiers de Cordée et parallèlement
organise un diner de Charité dont la totalité
des recettes est reversée à l’association.
 Le bloc-notes de Bernard-Henri Lévy
Quand Jafar Panahi danse avec les ours
et donne un chef-d’œuvre
C
e qu’on n’a pas assez dit sur Aucun ours, l’admi-
rable film dont l’auteur, Jafar Panahi, est empri-
sonné, au secret, dans la terrible prison d’Evin, à
Téhéran, c’est ceci.
Les voix de l’Iran. Sa langue. Sa musicalité. Sa douceur
chuintée qui, soudain, s’amplifie en voyelles empha-
tiques et capiteuses. Son chant. Ses inflexions faibles. Ses
cadences lentes. Le persan.
Le corps de Panahi. Ce corps omniprésent. Ce corps
un peu lourd qui, au début, sourit et qui, au fil du drame,
devient mystérieux et grave. Ce corps taiseux et contem-
platif. Ce corps las, mais irradiant d’une énergie de résis-
tant par logique, art et passion. Le corps d’un homme que
l’Histoire a élu à rebours et qui a exploré, depuis, tous les
chemins du tourment et du malheur. Et sa voix aussi, ses
mots dont il est étrangement avare et qu’il prononce avec
plus de suavité encore – mélange de distance et de dou-
ceur, de désinvolture aristocratique et de gravité.
Son œil. Sa caméra (donc son œil) double au sens où
Claudel, dans Le Soulier de satin, invente l’« ombre double ».
Auteur et acteur. Épiant et épié. Ce village dont on ne sait
pas bien s’il est une retraite choisie ou imposée mais dont
il est clair qu’il est fait, à ses yeux, pour aboutir à un beau
film. Mais le film qui, à l’inverse, est un délit ; l’image qui
est interdite ; l’appareillage du cinéaste qui est cause oc-
casionnelle de deux malheurs au moins ; l’artiste sur-
veillé, sommé de s’expliquer, censuré, puni ; et sa modeste
maison transformée en souricière hitchcockienne sur
des accords de Bernard Hermann.
Le corps de Panahi encore. On pense à Amarcord et,
plus encore, à Intervista. Le Maestro, bien sûr, n’est pas le
même. Et tout oppose son laconisme, ses immenses si-
lences, ses longs regards chargés de pensée à mesure que
le film avance, et le prodigieux bavardage, en frise, du
maître italien. Mais c’est la même caméra objective. La
même façon de faire le film et de montrer comment il se
fait. La même caméra centripète fixée sur l’artiste qui ra-
conte et joue quoi ? sa peau…
Car qui est, ici, Panahi ? Un cinéaste harcelé. Interdit
de cinéma dans son pays et, de proche en proche, dans ce
village. Maudit. Mais voilà le coup de force. Le cinéaste
ne plaide pas. Ne se défend pas. Il ne va pas voir ailleurs
s’il y fait meilleur filmer. Il pourrait, bien sûr. Et ce sont
deux scènes inoubliables. Celle, nocturne, où il avance
jusqu’à la frontière turque avant, dans un sursaut, de re-
culer d’un pas. Et puis la scène diurne, et énigmatique,
de la fin où, comme s’il se cabrait à l’idée de quitter le
pays de sa langue et de son malheur, de son génie et de
son martyre, il remonte le frein à main. Panahi juge de
136 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
Jafar. Le dissident cible du cinéaste. Accusé, restez – et fil-
mez si vous pouvez.
Quel film tourne-t-il ? Il faut, même si le mot est gal-
vaudé, dire la mise en abyme sans précédent qui le consti-
tue. Le cinéaste empêché qui dirige, par Zoom, de l’autre
côté de la frontière turque. La scène turque dont on com-
prend qu’elle est, pour la troupe d’acteurs iraniens, un
deuxième sas carcéral. Les mariés de cinéma, la splendide
jeune femme dont la chevelure lâchée fait l’effet d’une
bombe en Turquie comme en Iran et l’intello dégingandé
et faible, diabétique et tragiquement amoureux, rattra-
pés, dans la vraie vie, par la vraie mort. Lui, Panahi, dont
on ne sait plus, soudain, si c’est de filmer qu’on lui fait
grief ou d’avoir photographié, sans y penser, un couple
d’amoureux illégitimes. Et puis la mise en abyme ul-
time et la plus vertigineuse : il a photographié des en-
fants, soit ; puis, latéralement, un bosquet où l’on aperçoit
des pieds ; mais un couple ? la jeune fille voilée qui vient,
tel un fantôme terrifié, lui demander de l’aider puis dis-
paraît ? l’amoureux shakespearien qui vient, à son tour,
le supplier ? et quel sens donner à la scène où le village,
comme un seul homme, lui demande de jurer sur le ­Coran
qu’il n’a pas photographié les Roméo et Juliette et où il
répond, à la stupéfaction générale, que, plutôt que prêter
serment, il fera une déclaration, la filmera et en donnera
copie à tous ?
Il faut dire un mot des villageois qui le harcèlent.
D’abord la douceur. Un respect bonasse, obséquieux,
surjoué. On croirait l’acte II du Dom Juan de Molière…
Puis, dès lors que se déroule, sous des dehors d’inno-
cence, la partition inexorable du préjugé, une sorte de
rage, de haine inquisitrice, puis de violence – celle-là
même dont on comprend, mais en creux, par quels de-
grés elle peut vous mener, une fois encore, comme en
2010, jusqu’à la prison d’Evin. Aucun ours dans le vil-
lage. Aucune bête sauvage et menaçante. Parce que c’est
le village même, et l’Iran, et le ciel sur les villes d’Iran,
qui sont l’ours.
Car il y a une absente dans le film. Téhéran. La ville de
Panahi. La ville où il croupit pour avoir, en grand artiste,
tenu sur l’essentiel – tourner encore et toujours. La ville
où, aujourd’hui, comme dans toutes les autres villes du
pays, les femmes et les hommes libres mènent la vraie
révolution spirituelle que l’Iran espérait et attendait. Et
le gang des mollahs qui voudrait, pour se venger, trans-
former en désert cette terre sublime, chaude, ocre et re-
levée d’arbres miraculeux aux feuilles d’or. Le persécuteur,
oui, est absent. Mais ne sait-on pas qu’au cinéma, quand
il est grand, c’est ce qu’on ne voit pas qui crève les yeux ?
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 L’ère de l’« équité
climatique » ?
La décision historique prise à la COP27 de créer un fonds consacré aux
« pertes et dommages » que le réchauffement climatique fait subir aux pays pauvres
est un tournant majeur qui bouleverse l’ordre international.

PAR GÉRALDINE WOESSNER de financement marque l’histoire de la COP27 et une étape

énorme », estime Cassie Flynn, responsable de la politique

O
n a retenu les cris de joie à l’annonce de la création climatique au Programme des Nations unies pour le dé-
d’un fonds destiné à réparer les préjudices frappant veloppement (Pnud). Elle est même plus que cela : un
les pays les plus vulnérables, un soutien réclamé changement complet de paradigme dans la façon d’ap-
depuis des décennies. On a avu les larmes, à peine conte- préhender les conséquences du réchauffement clima-
nues, du ministre des Finances de l’archipel de ­Tuvalu, tique, forcé par une brusque irruption du réel dans la bulle
brandissant une photo de diplomatique. « Pendant long-
jeunes compatriotes condam- temps, les pays du Nord ont re-
nés à l’exil lorsque la hausse fusé d’accepter ne serait-ce que
des températures aura dépassé l’idée des pertes et dommages »,
1,5 degré et que le Pacifique témoigne le climatologue Jean
engloutira leurs îlots coral- Jouzel, présent à Charm el-
liens. On a entendu, après une Cheik. Or, pour espérer main-
dernière nuit de négociations tenir le réchauffement à
féroces, les c­ ommentaires 1,5 degré, les émissions de gaz
doux-amers qui déploraient à effet de serre devraient être
une « occasion manquée » de réduites de 45 % d’ici à 2030.
renforcer la lutte contre le ré- Une utopie à laquelle les États
chauffement climatique, l’ac- s’accrochent pourtant, pour
cord conclu à Charm el-Cheikh une excellente raison : « Si on
refusant ne serait-ce que d’évo- abandonne cet objectif, le risque
quer une limitation de l’usage est de laisser filer nos émissions.
des énergies fossiles, qui per- Et vous verrez qu’on ne parlera
mettrait d’éviter ces dom- même plus de 2 degrés dans dix
mages. « Schizophrénique », ans », redoute Jean Jouzel. Mais
dira le chercheur en géopoli- occulter un problème ne le fait
DOMINIKA ZARZYCKA//NURPHOTO VIA AFP

tique du climat et membre du Combat. Pour Frans Timmermans, le chef de la délégation pas disparaître, et les catas-
Groupe d’experts intergou- ­européenne, il faut « élargir la base des contributeurs ». trophes récentes, des inonda-
vernemental sur l’évolution tions meurtrières au Pakistan
du climat (Giec) François Gemenne. Et ­pourtant… aux incendies et aux sécheresses qui ont frappé plusieurs
Sous la grande scène de la COP, sous l’autoroute à deux points du globe, ont imposé cette évidence : il faut répa-
fois cinq voies construite pour la relier, en plein désert du rer ce qui peut l’être, organiser le déplacement des popu-
Sinaï, aux hôtels luxueux accueillant les délégations, sous lations, construire des digues… Et il faut le faire maintenant.
le monumental bassin artificiel construit entre les préfa- Qui va payer ? « Dans les négociations, ces questions prédo-
briqués bardés de climatiseurs par centaines, les plaques minent sur toutes les autres », confiait au Point l’un des né-
tectoniques ont bougé. « La mise en place d’un mécanisme gociateurs. Et le féroce bras de fer qui s’est disputé …

Le Point 2625 | 24 novembre 2022 | 139

 ENVIRONNEMENT
… en coulisses a conduit à un bouleversement géopoli-
tique majeur, faisant vaciller pour la première fois la tradi-
tionnelle opposition Nord-Sud.
Jeudi 17 novembre, dans le bâtiment qui abrite plusieurs
délégations européennes, les noms d’oiseau fusent dans de
multiples langues. « Ce sont des tocards, des nuls ! » À moins de
quarante-huit heures de la fin des travaux, la présidence
égyptienne a fait enfin parvenir ce qu’on appelle, dans le jar-
gon des COP, un « non-­papier », c’est-à-dire le premier brouil-
lon devant servir de base de travail pour élaborer une décision
finale, censé refléter les grandes lignes issues des discussions.
Le texte de 20 pages prévoit bien la création d’un fonds pour
financer les « pertes et dommages », sans plus de détail, mais
« pousse la pédale à fond sur la route de l’enfer climatique » en
omettant d’évoquer les demandes indienne et européenne
de réduction des énergies fossiles, dira Yeb Saño, directeur
de Greenpeace en Asie du Sud. L’ambiance est exécrable. De-
puis onze jours, les pays en développement, regroupés de-
puis 1964 aux Nations unies au sein du puissant groupe des
77, qui rassemble désormais 134 pays (y compris la Chine et
les pétromonarchies du Golfe), accusent les pays riches de
« fuir leurs responsabilités » en laissant se noyer littéralement
les plus pauvres, un ­discours largement soutenu par les ONG.
« La présidence égyptienne a clairement choisi leur camp et ne fait
pas son travail d’organisateur neutre », tempête un négociateur
de l’autre « tranchée », celle des pays développés appelés à
mettre la main à la poche. Jusqu’à présent, l’Occident a fait
front commun en refusant toute idée de fonds réservé, re-
doutant une judiciarisation qui le contraindrait pendant des
décennies à des dépenses non maîtrisables. Mais les négo-
ciateurs sont aussi conscients que, en échouant depuis treize
ans à tenir leur promesse faite à Copenhague en 2009 de ver-
ser aux pays pauvres 100 milliards de dollars par an pour
Émissions par habitant : hier et aujourdhui
États-Unis
Chine
Russie
Brésil
Émissions cumulées
Indonésie de CO2 entre 1850 et 2021,
Allemagne en milliards de tonnes
Inde Émissions cumulées
CO2 importé
Royaune-Uni
CO2 exporté
Japon
Source : Carbon Brief.
Canada
FRANCE
0 100 200 300 400
140 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
faire face aux bouleversements climatiques, ils ont ruiné
leur confiance. « Même Joe Biden n’a pas versé un centime des
11 milliards promis, car le Congrès fait barrage… Ils ne paieront
jamais », se lamente un délégué. Dans les bureaux de l’Union
européenne, les certitudes faiblissent. « Tout le monde a com-
pris qu’il y a un problème de confiance et qu’il faut vite le régler.
Les pays pauvres en font une question de principe. On ne peut pas
en rester là. La situation et les besoins sont réels », dit-on dans
l’entourage de la délégation.
Habile. Dans la soirée, l’Union européenne lance une vé-
ritable bombe : elle accepte le principe d’un fonds consacré
aux pertes et dommages, mais l’assortit de conditions, no-
tamment celle d’« élargir la base des contributeurs », et de contre-
parties pour accélérer la baisse des émissions. Fureur dans
les délégations des pays de la Ligue arabe. L ­ ’Arabie saoudite,
grosse émettrice, pousse pour que l’accord mentionne les
technologies de capture de carbone, pourtant encore balbu-
tiantes, ce qui lui permettrait de limiter ses objectifs de baisse
d’émissions. En face, les représentants européens, soutenus
par l’Australie ou la Nouvelle-Zélande, multiplient les entre-
tiens bilatéraux avec les délégués de pays vulnérables, pour
tenter de les convaincre que la position du G77, sous l’in-
fluence de la Chine, qui pèse pour 30 % des émissions mon-
diales, et des États pétroliers, financièrement très à l’aise,
risque d’aggraver leurs problèmes. Dans la nuit de jeudi à
vendredi, à 1 h 30, le chef de la délégation européenne Frans
Timmermans est convoqué par la présidence égyptienne.
Le nouveau projet de texte, soufflé par le G77, qui est alors
présenté au Néerlandais – il ne sera pas diffusé –, marque un
recul majeur et stipule que les pays ne devraient pas avoir
besoin d’augmenter leurs objectifs de réduction des émis-
sions. Au matin, la ministre Agnès ­Pannier-Runacher, qui
Qatar 32,5
Arabie saoudite 15,3
États-Unis 14,7
Russie 11,8
Pays-Bas 8,4
Allemagne 7,9
Émissions de CO2
Chine 7,6 par habitant en 2019,
en tonnes métriques
Royaune-Uni 5,2
Source : Banque mondiale.
FRANCE 4,5
Indonésie 2,3
Brésil 2,1
500 Inde 1,8
conduit les négociations pour la France, fulmine. « Il y a un
risque que l’objectif de 1,5 degré meure aujourd’hui. Nous n’avons
toujours pas de texte sur la table, et les éléments d’information pré-
sentés cette nuit comportent des reculs inacceptables sur les accords
de Paris [2015] et de Glasgow [2021]. » Devant la presse, les
porte-­parole du G77 accusent l’Europe de « tenter de briser
l’unité » de leur groupe, ce qui est en effet le cas. Présent à la
COP27, le président de l’ONG Climate Chance et sénateur
écologiste de la Loire-Atlantique, Ronan Dantec, applaudit
la manœuvre. « Timmermans s’est montré très habile, en utili-
sant les pertes et dommages comme levier de remise à plat de la ré-
partition de l’effort. Plutôt que de s’opposer et d’être montré du
doigt, il a dit : “OK, mais tout le monde paie.” »
Car le vice-président de la Commission européenne l’a
martelé : ceux qui paient doivent être s­ électionnés sur la base
du monde d’aujourd’hui, « pas celui de 1992 ». Il exige de re-
construire les fondations qui soutiennent, depuis plus de
trente ans, les traités internationaux. Les COP se tenaient
jusque-là dans le cadre de la conven-
tion-cadre des Nations unies sur les
changements climatiques (CC-
NUCC), signée en 1992, dans la fou-
« Nous sommes en
lée de la déclaration de Rio, qui fixait train de basculer dans
le principe de « responsabilités com-
munes mais différenciées des États », les une nouvelle ère,
plus riches, ayant bâti leur prospé-
rité en abîmant l’environnement et où le clivage Nord-
devant agir en p ­ riorité. Une première
annexe à la convention-cadre liste Sud va disparaître. »
43 pays devant engager des politiques
climatiques. Une seconde en désigne
Un diplomate
23, chargés des financements. Or, de-
puis, la donne a considérablement changé, au point que la
Chine et d’autres « pays en développement » ont largement
rattrapé, voire dépassé, en matière de richesse et de respon-
sabilité historique, les « pays développés », parmi lesquels
figure la Suisse, par exemple. Le média Carbon Brief, site spé-
cialisé dans les analyses scientifiques du changement clima-
tique, a calculé le cumul des émissions de chaque pays depuis
1850. La Chine apparaît comme le deuxième plus grand pol-
lueur historique, après les États-Unis, y compris en sous-
trayant les émissions importées par les autres pays. Le Brésil,
l’Indonésie, l’Inde figurent aussi tout en haut du tableau. Et
les émissions actuelles par habitant, fournies par la Banque
mondiale, éclairent la réalité des efforts à fournir par les dif-
férentes nations : un Qatarien émet aujourd’hui 7 fois plus
de CO2 qu’un Français, un Saoudien trois fois plus, un Chinois
ou un Allemand deux fois plus. « Il faut mettre en place un mé-
canisme sérieux, car il va rester en vigueur pendant au moins vingt
ans. Les émissions depuis les années 2000 doivent être prises en
compte, car elles impacteront évidemment le climat de 2040. Il faut
en revenir à la science », plaide le climatologue Jean Jouzel.
Confiné dans sa chambre, touché par le Covid, l’émissaire
américain John Kerry se rallie finalement à la proposition.
« Nous sommes en train de basculer dans une nouvelle ère, où
le clivage Nord-Sud va disparaître au profit d’un nouveau clivage :
grands émetteurs-petits émetteurs, nuancé par les efforts que cer-
tains font, ou non », décrypte un diplomate. Qui évoque aussi
les « pressions » exercées par la Chine et les pays du Golfe sur
les pays pauvres, notamment d’Afrique. « La Chine a investi
partout, et beaucoup ont peur de représailles s’ils s’en ­désolidarisent. »
Des délégués de pays pauvres, qui venaient à la COP27 à leurs
frais, ont bénéficié du sponsoring de… l’Arabie saoudite, qui
a payé hôtels et billets d’avion, témoignent certains au Point.
La COP de Charm el-Cheikh a accueilli 636 lobbyistes des
énergies fossiles. Un record. Les pays pétroliers redoutent la
transition énergétique des autres pays, qui réduira les achats
en brut et en gaz. « Le combat ne fait que commencer », tem-
porise Ronan Dantec. Car le texte adopté en Égypte, s’il pré-
voit la création d’un fonds, n’en a pas tranché l’organisation.
Un comité composé de 10 pays du Nord et de 14 du Sud de-
vra y travailler. « On va continuer à s’étriper pour savoir qui
paie », la question devant être tran-
chée l’année prochaine à la COP28,
qui se tiendra dans un autre grand
État pétrolier : les Émirats arabes
unis. À cette date sera aussi publié
le premier bilan mondial des efforts
réalisés depuis l’accord de Paris, en
2015. De quoi rebattre une nouvelle
fois les cartes. « Nous entrons dans une
décennie de rééquilibrage du monde »,
anticipe Ronan Dantec. Et dans la
décennie des actions concrètes.
Optimisme. Moins médiatisés,
des accords cruciaux ont été conclus en Égypte : un « bou-
clier financier » contre les risques climatiques permettra de
mobiliser rapidement des fonds, via des assurances. Plus de
3 milliards seront consacrés à la mise en place d’un système
d’alerte météorologique précoce dans tous les pays vulné-
rables. Le « réseau de Santiago », décidé en 2019 et destiné à
apporter une assistance technique aux pays confrontés à des
défis d’adaptation trop complexes pour eux, va enfin deve-
nir opérationnel. Un « pacte sur le méthane » engage 150 pays
à réduire de 30 % d’ici à 2030 leurs émissions de ce gaz res-
ponsable d’un quart du réchauffement climatique. Des par-
tenariats essentiels ont été signés entre États, à l’image de
ces 20 milliards promis à l’Indonésie par un groupe de pays
riches, dont la France, pour réduire sa dépendance au char-
bon… Ce qui nourrit l’optimisme du vétéran des COP Jean
Jouzel : « Dans un contexte de guerre et de crise énergétique, on ne
pouvait s’attendre à une grande COP. Mais chacun est conscient
de l’urgence d’agir, et l’action est passionnante. C’est de la recherche,
de l’innovation… Au bout du chemin, on gardera assez d’entre-
prises, mais on pourra viser une société sobre en carbone aussi
agréable », rêve-t-il. La COP propose, les pays disposent, qui,
seuls, possèdent les leviers d’action §
Le Point 2625 | 24 novembre 2022 | 141
 HISTOIRE
Délicate réparation
Du pardon biblique au fonds d’indemnisation décidé par la COP27, l’homme a toujours
cherché à compenser symboliquement, juridiquement ou financièrement, les torts qu’il a causés.
PAR SAÏD MAHRANE
À
l’évidence, nul ne peut plus se contenter des mots d’Aimé
Césaire pour dépasser les souffrances : « Ce qui a été a
été. » Le poète martiniquais avait en horreur l’idée de
« réparer » le mal commis dans l’histoire à l’échelle des indi-
vidus comme à l’échelle des nations. Qu’aurait-il donc pensé
de cette histoire survenue en 2005 ? Après avoir découvert
dans ses archives son passé esclavagiste – et sur décision de
justice –, la banque américaine JP Morgan a lancé un pro-
gramme universitaire de 5 millions de dollars, prévu sur cinq
ans, pour des étudiants noirs de Louisiane. Les étudiants en
question n’ont pas été retenus parce qu’ils étaient des des-
cendants d’esclaves mais pour leur couleur de peau et leur
statut défavorisé. « La réparation est impossible », affirmait Cé-
saire. Ancien président des Maldives, dont les récifs dispa-
raissent en raison du changement climatique, Mohamed
Nasheed semble faire preuve de la même lucidité : « Aucun
gouvernement au monde n’a l’argent pour réparer des phénomènes
pour certains irréversibles », avait-il déclaré, en 2021, au som-
met du V20, le club des pays les plus vulnérables au change-
ment climatique. Lors de la COP15 de Copenhague, en 2009,
142 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
Restitution.
­Emmanuel Macron
au palais présiden-
tiel de la Marina, à
Cotonou, le 27 juillet.
Vingt-six trésors
royaux ­rendus par
la France au Bénin
en ­novembre 2021
y étaient exposés.
l’établissement d’un fonds vert destiné aux pays pauvres
promettait la mise à disposition de 100 milliards de dollars
par an à partir de 2020. Selon l’OCDE, seulement 83,3 mil-
liards ont été rassemblés. Mais, face à l’urgence climatique,
les pays réunis à Charm el-Cheikh pour la COP27 se sont mis
d’accord sur le pricipe d’un fonds financé par les États indus-
trialisés (lire p. 139). De nombreux pays du Sud réclament,
en outre, la restructuration ou l’annulation de leur dette.
De la loi du roi d’Ur (vers 2500 av. J.-C.), première trace lé-
gale d’une réparation des atteintes à l’intégrité physique, à
cette demande d’indemnisation des pays du Sud, c’est une
gigantesque fresque de l’humanité qui se déploie. Elle nous
informe de notre rapport à la violence ou aux biens endom-
magés et de l’existence de textes fondateurs et de différentes
formes de résilience. Connue de tous, la loi du talion, édic-
tée (vers 1730 av. J.-C.) dans le Code d’Hammourabi, roi de
Babylone, et que l’on retrouve dans l’Ancien Testament, in-
troduisait l’idée de vengeance (« qui a tué doit mourir ») pro-
LUDOVIC MARIN/AFP
portionnée à la faute, mais se voulait aussi déjà une sorte de
« compensation » pour la victime. Dans la Rome antique, le
roi Ancus Marcius instaura la rerum repetitio pour codifier la
demande de réparation de dommages causés au peuple ro-
main. Avec le Nouveau Testament, le pardon est placé au
cœur de la résolution des conflits chez les chrétiens – sans
toutefois effacer le châtiment et la damnation. « Pardonner
jusqu’à soixante-dix fois sept fois » (Matthieu 18, 21-22).
La réparation prétend donc pouvoir soulager les peines
et corriger les injustices par une reconnaissance juridique,
symbolique ou financière. Mais elle est aussi l’instrument
d’une « vérité » qu’elle décrète par l’établissement d’un récit
dont l’épilogue est le dédommagement. Pour Antoine Ga-
rapon, président de la Commission reconnaissance et répa-
ration qui concerne les victimes d’abus sexuels dans l’Église
catholique, la réparation remplace de plus en plus la poli-
tique. « On sort d’un monde régi par le cosmos, Dieu, les lois, les
normes… Aujourd’hui, nous sommes dans l’ère de la réparation
que l’on retrouve également dans le rapport à la terre. L’écologie,
qui suit le point de vue de l’ordre, réduit le monde à une planète »,
explique l’auteur de Peut-on réparer l’Histoire ? (Odile Jacob).
Faire de la politique signifierait, selon lui, considérer les pays
du Sud comme nos égaux, « sans rien enlever de nos responsa-
bilités », et dire leur fait à certains de leurs dirigeants qui,
quand ils ne saccagent pas eux-mêmes leurs terres, détournent
les fonds à leur profit. Faire de la politique reviendrait éga-
lement à trouver des solutions pérennes aux problèmes cli-
matiques, sans passer par des modes de compensation qui,
souvent, favorisent le statu quo.
La réparation est désormais partout dans nos vies. Un ro-
man de Maylis de Kerangal, Réparer les vivants (Verticales),
en a fait un élément de résilience corporelle. Les deux der-
niers Prix Nobel français, Jean-Marie Le Clézio (préoccupé
par la destruction de la terre et la disparition des peuples
amérindiens) et Annie Ernaux (lutte des classes, trauma-
tismes liés à sa condition sociale…), ont fait eux aussi de la
réparation un élément important de leur œuvre.
Le terme fut, il y a quelques jours encore, en exergue d’une
résolution de l’ONU favorable à un mécanisme de répara-
tion des dommages causés par la Russie en Ukraine. Lorsque
deux pays s’affrontent militairement, il est classique que le
vainqueur (ou l’agressé, comme dans le cas de l’Ukraine) ré-
clame à la partie adverse de payer pour les pertes humaines
et matérielles, dans l’esprit d’un code établi par Hugo Gro-
tius au XVIIe siècle. Cet humaniste néerlandais a rédigé en
1623 un traité sur le droit de la guerre dans lequel il inclut,
en termes juridiques, l’idée de justice compensatoire et ré-
paratrice des violations du droit. Elle sera reprise au sortir
des grands conflits des XIXe et XXe siècles. Ainsi, l’Allemagne
de Bismarck, en 1871, demanda-t-elle 5 milliards de francs-or
à la France. En 1919, c’est la France de Clemenceau qui ré-
« On ne peut pas réparer une vie. On peut stimuler
son être non par l’argent ou le droit, mais par un surcroît
de créativité. » A
 ntoine Garapon
clame à son rival défait la réparation des dommages causés
sur son sol. Les Allemands proposent eux-mêmes la somme
de 100 milliards de marks-or. En avril 1921, la commission
des réparations évaluera le montant à 132 milliards de
marks-or. Le traité de Versailles, dans sa huitième section,
intitulée « Réparations », pose le principe d’une réparation
morale avec la notion de culpabilité de guerre dans son ar-
ticle 231. Cet article a été demandé par Woodrow Wilson, le
président américain, juriste. Il a « voulu une base juridique pour
ces réparations et a introduit l’idée d’une responsabilité, perçue par
les Allemands comme injuste », précise l’historien Jean-Yves
Le Naour, en raison du caractère unilatéral de la responsabi-
lité qui les poussera à refuser le paiement. La sémantique
n’est pas neutre en l’espèce : payer vient du latin pacare, « ache-
ter la paix » ou « se réconcilier avec quelqu’un ».
« Deus ex machina ». Mais le mot même de réparation
paraît impropre à Antoine Garapon : « On ne peut pas réparer
une vie. On peut stimuler son être en permettant à une victime de
retrouver une énergie vitale, non par l’argent ou le droit mais par
un surcroît de créativité. De nombreux survivants de la Shoah ont
trouvé la paix et la réconciliation avec eux-mêmes – ce qui est le
plus dur – dans l’art, la poésie, la littérature… » Faudrait-il, dès
lors, renoncer à la réparation ? Pour Cynthia Fleury, « prendre
ce risque-là, celui de ne pas réparer l’injustice commise, c’est cesser
d’attendre la réparation comme deus ex machina, se libérer de
l’attente émotionnellement, et pas simplement théoriquement. »
En usant du caractère insidieux de l’introduction de
l’argent, la réparation prétend répondre à la question de
Hobbes : « Que vaut un homme ? » Il existe aujourd’hui, dans
des pays qui cherchent à solder un passé douloureux ou à
régler des crimes contemporains, des barèmes d’indemnisa-
tion. Dans le cas de la pédophilie au sein de l’Église, il existe
sept échelons allant de 5 000 euros à 60 000 euros. Est-ce as-
sez ? En 2015, une victime du Bataclan, à peine remise de ses
blessures, s’était émue de se voir proposer 10 000 euros,
comme si l’État donnait un prix à son traumatisme. « La ré-
paration peut être maladroite et l’argent, contre-productif. Être vic-
time n’est pas un métier qu’on rétribue », estime Antoine Garapon.
Que vaut ce qui a été dénoncé par les ex-colonies (qui ré-
clament la restitution de leur patrimoine artistique) comme
le pillage colonial d’un Occident à qui l’on demande au-
jourd’hui d’être le « grand réparateur » de la planète ? Césaire,
encore lui, avait tout dit : « Je ne voudrais pas qu’un beau jour
l’Europe dise : “Eh bien, voilà le billet ou le chèque, et on n’en parle
plus !” Il n’y a pas de réparation possible pour quelque chose d’ir-
réparable et qui n’est pas quantifiable. » §
Le Point 2625 | 24 novembre 2022 | 143
 GÉOPOLITIQUE
La Chine peut-elle perdre
contre Taïwan ?
Au regard de la résistance que l’Ukraine oppose à la Russie, toutes les issues sont envisageables en cas d’attaque
contre l’île. Un échec pourrait coûter très cher au régime communiste. Évaluation des forces en présence.
PAR BRUNO TERTRAIS*
A
près l’Ukraine, Taïwan ? Le scénario d’une invasion
chinoise de l’île rebelle est désormais au centre des pré-
occupations. Il est vrai que le raidissement du régime
de Pékin et les incursions militaires à proximité de l’archi-
pel, de plus en plus fréquentes, semblent le rendre chaque
jour moins improbable. La plupart des experts estiment que
ce n’est pas pour demain. Le régime chinois, qui y miserait
peut-être son existence, a tout intérêt à attendre les circons-
tances les plus favorables. Mais la surprise russe du 24 fé-
vrier devrait nous inciter à la prudence.
Imaginons donc le synopsis. Après une pre-
mière volée de centaines de missiles balis-
tiques et de croisière tirés depuis le territoire
chinois, accompagnée d’attaques cyberné-
tiques massives, la flotte chinoise d’invasion
– plusieurs centaines de navires militaires et
civils – se dirige vers Taïwan. Admettons que,
malgré des pertes considérables durant la tra-
versée du détroit, des dizaines de milliers de
soldats chinois débarquent sur une dizaine
de plages du côté occidental de l’île principale,
pendant que des commandos aéroportés sont
largués sur l’arrière. C’est là que les difficul-
tés commenceraient. Un débarquement de vive force, des-
tiné à prendre le contrôle d’un territoire hostile, n’est pas
une partie de plaisir. C’est d’ailleurs pour cette raison que les
Américains avaient renoncé, en 1944, à envahir… Taïwan
(opération Causeway), alors occupée par le Japon. Comme
le dit un expert : « Une fois que vous avez débarqué, vous allez
où ? » La côte occidentale de l’île, ce n’est pas exactement la
Normandie. La progression de la force d’invasion sur un ter-
rain marécageux, miné et bien défendu serait très difficile.
Or la volonté et la capacité des Taïwanais à défendre leur
territoire vont croissant. L’Ukraine a servi d’électrochoc. La
part des Taïwanais prêts à défendre leur patrie a doublé, et
l’idée d’un allongement du service national est désormais
consensuelle. La résistance des Ukrainiens a donné confiance
à la population… Sur le papier, l’équilibre des forces semble
opposer l’éléphant au moustique. Mais l’avantage va tou-
jours à la défense, et la supériorité numérique ne garantit ja-
144 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
mais la victoire. Surtout qu’en l’espèce Pékin ne pourrait pas
se permettre de détruire l’île, ses ressources et son économie.
Et l’Amérique entrerait en scène. Certes, Taïwan ne dis-
pose pas d’une garantie de sécurité formelle de la part de
Washington, mais on peine à imaginer que l’Amérique puisse
renoncer à défendre l’île. Le prix d’une telle renonciation se-
rait terrible. Les États-Unis prendraient le risque de voir Pé-
kin déverrouiller l’accès au Pacifique occidental et, prenant
de l’assurance, se lancer dans la course à la suprématie mon-
diale. L’effet psychologique ne serait pas moindre : comment
les alliés de l’Amérique – Japon, Corée du Sud et Philippines
en tête, suivis par l’Australie et l’Europe – pour-
raient-ils encore lui faire confiance ? En 2021,
pour la première fois, les enquêtes d’opinion
montraient qu’une majorité d’Américains sou-
tiendraient une opération de défense de
Taïwan.
L’Amérique mobiliserait ses forces navales
de déploiement avancé stationnées au Japon,
tandis que celles qui sont déployées à Guam
et à Hawaii feraient rapidement mouvement
vers la zone des combats. Sous-marins, flotte
de surface, bombardiers et drones s’efforce-
raient de couler les navires chinois pendant
que les marines effectueraient des « sauts de
puce » d’île en île pour détruire les infrastructures édifiées
par Pékin sur les îlots disputés d’Asie.
Contrairement à l’Amérique, la Chine ne connaît pas la
guerre. Son dernier engagement est un court affrontement
avec le Vietnam en 1979, et cet épisode ne fut pas glorieux
pour l’Armée populaire de libération. Bien entraînées et
motivées, ses forces restent celles d’un pays totalitaire, avec
ILLUSTRATION : DUSAULT POUR « LE POINT »
assez peu de marge de manœuvre laissée aux officiers sur
le terrain. Et nombre d’incertitudes demeurent quant à l’ef-
ficacité au combat des matériels chinois.
Mise en difficulté, la Chine riposterait, bien sûr. On peut
imaginer qu’elle activerait des virus préalablement injectés
dans certains systèmes américains de commandement, voire
qu’elle détruirait des satellites américains vitaux pour le ren-
seignement et les communications. Pour le régime commu-
niste, l’enjeu deviendrait rapidement existentiel. En dépit
d’une doctrine affichée de « non-emploi en premier », il est

Répétition. Des soldats de l’armée chinoise lors d’un exercice à Zhangzhou, le 2 septembre 2022.
dès lors possible que Pékin s’estime contraint d’employer
l’arme nucléaire pour effrayer l’opinion américaine. Par
exemple au-dessus de l’île de Guam, un « territoire non in-
corporé » du Pacifique qui accueille une importante base mi-
litaire. Ou encore de… Pearl Harbor, ce qui serait plus grave
à la fois militairement – c’est le siège du commandement de
l’Indo-Pacifique –, politiquement – Hawaii est l’un des 50 États
américains – et bien sûr symboliquement.
Prises de gages. Dans une telle hypothèse, les forces
aériennes et maritimes américaines attaqueraient alors
massivement les bases et les forces chinoises localisées dans
les régions côtières, sans doute au prix d’importants dom-
mages collatéraux. La population chinoise serait-elle prête
à accepter que la guerre l’affecte si directement ? Le régime
de Pékin pourrait se trouver devant un choix impossible
entre la défaite, inacceptable, et la destruction, insuppor-
table. Sa seule porte de sortie pourrait être de se retirer en
prétendant avoir mis un terme aux velléités taïwanaises
d’indépendance.
Rien n’est acquis, et David ne gagne pas toujours contre
Goliath. À l’inverse de l’Ukraine, Taïwan est loin de dispo-
ser d’une armée aguerrie par huit années de combat contre
son adversaire principal. La Chine – qui, contrairement à
la Russie, prépare depuis des années son armée au scéna-
rio d’une invasion massive – s’efforce elle aussi de tirer les
CFOTO/SIPA USA/SIPA
leçons de l’aventure russe, sur le plan tant du matériel que
de la stratégie ou de l’organisation du commandement. Elle
préférera sans doute tout faire pour subjuguer Taïwan sans
envahir son territoire, notamment par une stratégie d’éro-
sion progressive de sa souveraineté politique, territoriale
Pékin préférera
sans doute une
stratégie d’éro-
sion progressive
de la souverai-
neté territoriale
et économique
de Taïwan.
et économique, bien décrite dans une analyse récente de
l’Institut Montaigne. Et peut-être en ayant recours aux
prises de gages (îles taïwanaises proches du continent) et
à la contrainte économique (blocus).
Le plus urgent, en tout cas, reste de décourager Pékin
d’avoir recours aux extrêmes. On sait à quel point la réali-
sation de ce scénario serait dommageable pour l’économie
mondiale. La firme Rhodium a récemment estimé les pertes
possibles à 2 500 milliards de dollars par an. Inutile de dire
que l’Europe en pâtirait : les conséquences économiques
d’un conflit dans le détroit seraient incomparablement
plus massives que celles de la guerre en Ukraine. Si vous
ne vous intéressez pas à Taïwan, Taïwan s’intéresse à vous.
Les Européens ne participeraient presque certainement
pas à la défense de l’archipel : ils ne sont pas prêts à « mou-
rir pour Taipei » et, au demeurant, leur contribution n’ap-
porterait pas grand-chose à la situation militaire et
compliquerait même la planification américaine. Les Eu-
ropéens seraient surtout appelés à « garder la maison » en
Europe, car la ponction sur les forces américaines (aviation
notamment) serait significative. Seules leurs marines na-
tionales pourraient avoir un rôle indirect à jouer dans la
gestion des contrecoups de l’invasion, en contribuant à ga-
rantir la liberté de navigation en Asie du Sud-Est, par
exemple. En revanche, l’Europe peut – et doit – désormais
prendre sa part dans la dissuasion d’une invasion de Taïwan,
en limitant sa dépendance à l’économie chinoise et en fai-
sant savoir à Pékin que les sanctions qu’elle infligerait met-
trait à mal le modèle de croissance sur lequel le régime
chinois a bâti son pouvoir §
*
 Directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique.
Le Point 2625 | 24 novembre 2022 | 145
 CHRONIQUE
Le français sans rancune
PAR KAMEL DAOUD
L’Algérie vient de briller par son absence au 18e Sommet de la francophonie, à Djerba.
Une posture antifrançaise dépassée qui traduit par ailleurs une vision très réductrice de la langue.
À
Djerba s’est tenu le Sommet de la francophonie. L’Al-
gérie, deuxième pays francophone après la France, n’y
était pas présente, ne faisant pas partie de cette orga-
nisation. Encore plus radicale dans son déni, l’Algérie ef-
face la langue française et la condamne au statut d’intrusion
et de traîtrise. L’usage est de confondre cette langue qui en-
richit le pays avec la blessure coloniale qui lui sert de pré-
texte et de fonds de commerce pour récuser son présent.
Là où on devrait nourrir cette langue comme la sienne, lui
ajouter d’autres idiomes du monde pour s’ouvrir, voilà que
le procès du francophone s’élargit à la langue, à son usage,
à ses usagers et même à sa graphie.
Dans ce pays, depuis peu, on se revendique
même d’une adhésion nécessaire (et elle l’est)
à l’anglophonie et à l’anglais des savoirs. Mais
un anglais de rancune antifrançaise surtout,
investi non du désir d’apprendre mais de
contrer le français, non d’échanger mais de
ne plus changer. On le fait comme on dé-
cida autrefois, dans les années 1970, de l’usage
exclusif de l’arabe comme langue unique du
pays : du jour au lendemain, dans la volonté
sournoise de rejeter une partie des élites du
pays, un lien au nord de la Méditerranée,
une histoire commune, on prétendit vou-
loir parler arabe pour se prétendre arabe. Et
aujourd’hui, du jour au lendemain, on a décidé que les
écoliers algériens n’apprendraient plus que l’anglais, mais
en gardant à l’esprit la guerre imaginaire à la France, la
haine de la France et du français, le culte d’une mons-
trueuse identité faite de dénis, de colères, de xénophobies.  dans l’immédiat, de multiplier les outils de la compréhen-
C’est que cette rancune n’est pas seulement l’acte de ceux
qui croient qu’enrichir un pays commence en l’appauvris-
sant, ni l’acte des islamistes qui ont réussi à faire se confondre
Allah, la langue arabe et la guerre, mais il est aussi celui de
francophones qui vont et viennent entre les deux rives, s’y
nourrissent, y gagnent le pain et de la visibilité.
Pourquoi des francophones du « Sud », de l’Algérie entre
autres, croient-ils devoir faire le procès de cette langue et
éternellement se récuser et se justifier dans leurs pays ?
Et si la France devient étroite par ses populismes,
la francophonie y fera contrepoids.
146 | 24 novembre 2022 | Le Point 2625
Maîtriser la langue française, c’est en faire le procès pour
apparaître plus patriote que ses prochains ? La raison en-
core une fois est ce culte perpétué, jusqu’au ridicule, de la
guerre comme preuve de vie et de valeur : je fais la guerre
au français pour (faire) croire que je fais la guerre à la France,
et donc ma vie a ce sens puissant qu’il avait à l’époque pour mes
libérateurs. Et, dans cet acte d’amputation et de mépris de
soi, on s’appauvrit, on s’isole, on se meurt.
La langue française n’est pas la France, dans son passé,
son déclin présumé ou son ego exacerbé. C’est une terre
plus vaste que l’ensemble des pays qui la parlent, un usage
du monde, une promesse de vivre mieux. Il faut guérir la
langue française de la France (même si la
formule abuse) mais aussi du souvenir en-
tretenu chez les décolonisateurs imaginaires.
Le français est une langue intime dans de
nombreux pays, quoi qu’on dise. Elle ra-
conte encore le monde et le peuple. Et si la
France devient étroite par ses populismes,
la francophonie y fera contrepoids.
En Algérie, on s’appauvrit en croyant se
libérer d’une langue, alors qu’il s’agit de la
magnifier. Un écrivain algérien déclara aux
premiers jours des indépendances que « le
français est un butin de guerre ». Sentence dé-
sormais abusive : les guerres sont finies et
ceux qui s’en recommandent sont inaptes à endosser le
présent. Le français n’est plus un butin mais une parenté.
Croire tuer cette langue, c’est surtout l’aveu d’un plus grand
drame : on refuse de s’accepter, de s’assumer, de s’engager
ILLUSTRATION : DUSAULT POUR « LE POINT »
sion et de la préhension.
On continuera à voir dans les sommets de la francopho-
nie des parades ou des inefficacités, des dépenses ou des
pensées pieuses, cela est vrai, cela est faux. Car la langue
française n’a ni à incarner un pays, ni des rancunes. Et si
l’Algérie est le plus grand pays francophone après la France,
malgré ses nationalistes et ses islamistes, elle est aussi l’in-
carnation du mauvais usage d’une langue, et du monde,
lorsqu’on les incrimine de ses propres défauts §
 Alhambra, célèbre la chance depuis 1968

Haute Joaillerie, place Vendôme depuis 1906

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