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INTRODUCTION

1. Le phénomène criminel
DURKEIM : « Le crime ne s’observe pas seulement dans la plupart des sociétés de
telle ou telle espèce, mais dans toutes les sociétés de tous les types »1. L’étude
du phénomène criminel est l’objet d’une science « la criminologie » apparue en
Italie à la fin du XIXème siècle avec LOMBROSO et GAROFALO. L’importance du
phénomène criminel ne s’est jamais démentie. Depuis les années 1970 certaines
statistiques sont publiées annuellement en France. Ces statistiques ne donnent
qu’une vision partielle du nombre d’infractions commises. En effet, elles
permettent de déterminer les infractions pour lesquelles une condamnation a
été prononcée et les infractions constatées mais pour lesquelles il n’y a pas eu
de suite judiciaire. En revanche, il reste le chiffre noir, c’est-à-dire les infractions
qui n’ont pas été constatées. Il n’en demeure pas moins que ces statistiques
permettent de déterminer dans une certaine mesure l’évolution des différentes
formes de délinquances et de leurs auteurs.

2. La réaction sociale face au phénomène criminel


Cette réaction face au phénomène criminel a évolué dans le temps.

a. Dans l’Antiquité, il faut distinguer trois phases. La première est celle de la


vengeance privée ou de la guerre privée. La victime ou le groupe auquel elle
appartient se faisait justice sans intervention ni de l’État ni du reste de la société.

1
Les règles de la méthode sociologique, 1893.
Le deuxième stade était celui de la justice privée. La victime est toujours à
l’origine et le bénéficiaire de la répression mais celle-ci est organisée sous le
contrôle du pouvoir central.
Enfin, le troisième stade se caractérise par le fait que c’est l’État qui organise la
répression ce qui ne laisse qu’un rôle secondaire à la victime. Cette phase résulte
de la prise de conscience que le phénomène criminel désorganise la société dans
son ensemble. A cette époque il convenait ainsi de distinguer les délits privés
portant atteinte à la victime et les délits publics sanctionnés même en l’absence
de plainte de la victime. Les peines prévues étaient particulièrement sévères de
la peine de mort aux châtiments corporels. La loi du Talion était expressément
prévue par le Code d’Hammurapi de Babylone (vers 1780 avt JC) : « si quelqu’un
a crevé l’œil d’un homme libre, on lui crèvera l’œil ; s’il a brisé l’os d’un homme
libre on lui brisera l’os ».

b. Au Moyen-âge et jusqu’à la Révolution de 1789, le droit pénal résultait du


doit romain, du droit canon et des coutumes germaniques et franques. Les
incriminations sont principalement déterminées par les coutumes et les peines
étaient prononcées arbitrairement par les Parlements.
Selon MUYART DE VOUGLANS « la peine doit … satisfaire l’utilité sociale,
prévenir le crime en éliminant éventuellement les malfaiteurs, et détourner ceux
qui voudraient l’imiter par la crainte d’un châtiment semblable ». Il en résulte
que les peines étaient souvent atroces (le feu, la roue, le poing ou la langue
coupée) et exécutée en public.

c. Le droit intermédiaire
Les avancées postrévolutionnaires résultent de la prise en compte des idées
développées par les philosophes des lumières principalement celle de l’italien
BECCARIA dans son Traité des délits et des peines publié en 1764 et de
Montesquieu dans l’Esprit des lois. Elles ont été pour la plupart consacrées dans
la DDHC de 1789.
Art. 7 : principe de légalité en procédure pénale
Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la Loi, et
selon les formes qu'elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font
exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis ; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu
de la Loi doit obéir à l'instant : il se rend coupable par la résistance.

Art. 8 : principe de légalité des délits et des peines


La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut
être puni qu'en vertu d'une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement
appliquée.

Art. 9 : principe de la présomption d’innocence


Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé
indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa
personne doit être sévèrement réprimée par la loi.

A partir de cette époque un fait n’est criminel que dans la mesure où il est
sanctionné d’une peine prévue par la loi. Le droit intermédiaire consacra la mise
en œuvre de ces principes parfois jusqu’à l’excès. Ainsi, afin d’éviter tout
arbitraire et assurer l’égalité des citoyens devant la loi, les peines étaient fixes.

d. Sous le premier empire, le premier Code pénal qui fut réellement appliqué en
France a été décrété en 1810. Sans remettre en cause les principaux acquis
révolutionnaires il fut largement inspiré par les idées de BENTHAM selon lequel
« le crime doit se faire craindre davantage par la répression à laquelle il expose,
que désirer par les satisfactions qu’il procure ». Les peines prévues par le Code
de 1810 étaient ainsi particulièrement sévères avec un retour des châtiments
corporels. Toutefois, il abandonna le système des peines fixes qui s’était révélé
impraticable et encadra les peines entre un minimum et un maximum
permettant ainsi au juge de les moduler en fonction des circonstances de
l’infraction.
Le Code pénal de 1810 a été plusieurs fois réformé notamment à partir des
années 1830 où les peines ont été largement adoucies. Le système répressif
n’était plus exclusivement fondé sur la gravité de l’infraction mais il prenait aussi
en compte la personnalité du délinquant.

Cette prise en compte de la personnalité du délinquant fut encore accrue avec


les positivistes et l’École de défense sociale nouvelle au début du XXème siècle
(Marc Ancel). Il s’agit davantage de prendre en compte l’état dangereux du
délinquant que de réprimer purement et simplement l’infraction. Selon ce
dernier courant il convient de permettre la prévention et la réinsertion. Ces idées
ont trouvé un écho particulièrement marqué dans l’ordonnance de 1945 sur
l’enfance délinquante. En effet, avec cette ordonnance l’accent est mis sur les
mesures éducatives plutôt que sur les peines.

e. Le nouveau Code pénal de 1992 entré en vigueur le 1er mars 1994 est un
compromis entre ces différentes conceptions. Les peines ont toujours pour objet
de réprimer l’infraction mais, en principe, il n’y a plus de peine minimale. Le juge
peut ainsi adapter la peine à la personnalité du délinquant dans la limite
maximale fixée par la loi. Cette idée est énoncée sous forme de principe, celui
de l’individualisation de la peine.
De même, les mesures de sûretés c’est-à-dire des mesures fondées sur l’état
dangereux du délinquant et de nature à prévenir la récidive se développent. Par
exemple, les interdictions professionnelles lorsque la profession a permis la
commission de l’infraction.
Enfin, une place importante est accordée aux mesures d’exécution des peines
qui permettent des alternatives à l’emprisonnement ferme ainsi qu’à
l’aménagement des peines après la condamnation avec l’instauration des
juridictions d’applications des peines.

3. Droit pénal et phénomène criminel

Le droit pénal encore appelé droit criminel n’a pas pour objet l’étude du
phénomène criminel. L’expression de droit criminel est impropre puisqu’a priori
ce n’est pas le droit qui est criminel. Il convient donc de préférer le terme de
droit pénal.
Le droit pénal dans son sens le plus large désigne l’ensemble des règles ayant
pour objet d’organiser la répression des infractions. Il constitue une véritable
branche du droit bien que pour des raisons historiques il soit rattaché au droit
privé pour son enseignement en France. Les infractions sont des faits juridiques
qui portent atteinte aux valeurs fondamentales de la société, pour cette raison
elles donnent lieu aux sanctions les plus sévères appelées peines.

C’est la spécificité de l’objet du droit pénal qui explique les caractères du droit
pénal.
Tout d’abord, le droit pénal est un droit sanctionnateur c’est-à-dire que le droit
pénal « est moins une espèce particulière de lois que, la sanction de toutes les
autres »2. Cette formule dégagée par J.-J. Rousseau fut reprise par Portalis. En
d’autres termes, alors que les autres disciplines juridiques ont pour objet de régir
positivement les situations juridiques en déterminant les droits et obligations qui
y sont attachées, la loi pénale ne prévoit que la sanction des violations des
dispositions extra-pénales lorsque les autres sanctions paraissent insuffisantes.
Le caractère sanctionnateur du droit pénal explique qu’il soit particulièrement

2
J.-J. ROUSSEAU, Le Contrat Social, livre II, Chap XII.
difficile de comprendre une incrimination sans comprendre la disposition
pénalement sanctionnée. De même, cet aspect explique la diversité des
domaines d’intervention du droit pénal. Ainsi, il est possible de distinguer le droit
pénal de la famille, droit pénal des affaires, le droit pénal de la consommation,
le droit pénal du travail, le droit pénal de l’environnement… Le Code pénal définit
les infractions contre les personnes, les infractions contre les biens et les
infractions contre la Nation, l’État et la paix publique. Mais de très nombreuses
infractions sont définies dans des lois pénales annexes. Il est rare qu’une loi
nouvelle ne comporte pas de dispositions pénales sanctionnant la violation des
dispositions extra-pénales.
Si le droit pénal est sanctionnateur son étude ne se réduit pas la seule sanction
pénale. En effet, l’objet du droit pénal étant de sauvegarder les valeurs
fondamentales de la société les sanctions sont particulièrement sévères et il
importe de garantir la liberté individuelle contre les risques d’arbitraire. Il en
résulte que l’ensemble des règles pénales tendent à trouver un équilibre entre
la nécessaire sauvegarde des valeurs fondamentales de la société et la garantie
de la liberté individuelle. La mise en œuvre de la répression suppose donc
l’application d’un corps de règle parfaitement original et différent des autres
disciplines juridiques. Par cet aspect, le droit pénal est autonome par rapport aux
disciplines auxquelles il apporte le soutien de sa sanction.

Le particularisme du droit pénal résulte notamment du fait que c’est la société


en son entier qui est d’abord atteinte par une infraction. Pour cette raison, c’est
le Ministère public représentant la société qui est titulaire de l’action publique.
L’action publique ou poursuite a pour objet de saisir une juridiction afin qu’elle
prononce une peine en raison de la commission de l’infraction.
La victime privée d’une infraction, quant à elle, ne peut exercer que l’action civile
afin d’obtenir des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi. Au
regard de cette conception, la victime n’a qu’un rôle secondaire dans le procès
pénal, bien que différentes réformes depuis une vingtaine d’années lui
accordent une place de plus en plus importante.

Si l’ensemble des règles pénales ont pour objet de trouver un équilibre entre
protection de la société et garantie de la liberté individuelle, le droit pénal se
subdivise en différentes disciplines.
La procédure pénale encadre l’ensemble des opérations procédurales de la
constatation de l’infraction au prononcé et à l’exécution de la sanction. Elle régit
donc le déroulement de l’enquête, de l’instruction s’il y en a une, de la phase de
jugement et de l’application des peines.
Le droit pénal spécial, dans un sens large, désigne l’ensemble des incriminations.
Son étude conduit à aborder les différentes infractions. Par exemple, le meurtre
ou le délit d’abus de biens sociaux.
Le droit pénal général regroupe quant à lui l’ensemble des dispositions régissant
les conditions de la responsabilité pénale et ses conséquences à savoir la peine.
Toutefois, compte tenu de l’importance croissante des dispositions relatives à la
peine et à ses aménagements la pénologie tend à devenir une discipline à part
entière. Il est à noter que bien que les principes de mise en cause de la
responsabilité pénale soient consacrés depuis la Révolution, le Code pénal de
1810 ne comportait pas de livre relatif aux dispositions générales contrairement
à l’actuel Code pénal.
Cette distinction entre les conditions et les conséquences de la responsabilité
pénale se retrouve dans le raisonnement judiciaire. Si les conditions de la
responsabilité pénale sont réunies le juge constate que les règles de droit pénal
sont applicables aux faits dont il est saisi (juridictio). La reconnaissance par le
juge pénal de la responsabilité pénale de l’individu déféré devant lui donne lieu
à une déclaration de culpabilité. L’individu reconnu coupable d’une infraction
encourt une peine. En principe, le juge prononce donc la peine (imperium), ce
qui constitue une condamnation. En résumé, la réunion des conditions de la
responsabilité pénale donne lieu à une déclaration de culpabilité, alors que le
prononcé de la peine caractérise la condamnation.
Que l’on aborde la question d’un point de vue théorique ou pratique, l’étude du
droit pénal général suppose donc d’aborder dans une première partie, les
conditions de la responsabilité pénale, puis, dans une seconde partie, les
conséquences de la responsabilité pénale.

PARTIE 1 : LES CONDITIONS DE LA RESPONSABILITE


PENALE

Le fait générateur de la responsabilité pénale est une infraction. Par ailleurs,


seule une personne peut être reconnue coupable d’une infraction. Il ne s’agit pas
de traduire les objets ou les animaux devant les juridictions pénales. Dès lors,
l’étude de la responsabilité pénale suppose que soient abordées dans un premier
titre l’infraction, puis dans un second titre le délinquant.

Titre 1 : L’infraction

L’infraction est le seul fait générateur de la responsabilité pénale. En d’autres


termes, une condamnation pénale ne peut être prononcée que dans la mesure
où une infraction peut être caractérisée. Or, compte tenu de la gravité de la
peine pour la liberté individuelle, le principe de légalité impose que l’infraction
soit définie dans un texte préexistant aux faits. Le juge devra alors vérifier que
les faits dont il est saisi correspondent trait pour trait à la définition textuelle de
l’infraction. Il convient donc d’aborder dans un premier chapitre la définition
textuelle de l’infraction, puis, dans un second chapitre, la réalisation matérielle
de l’infraction.

Chapitre 1 : La définition textuelle de l’infraction

C’est la préexistence de la norme pénale qui assure la prévisibilité de la


répression. Pour sauvegarder la liberté individuelle, toute personne doit
connaître avant d’agir la norme pénale applicable, ce qui implique également de
déterminer les domaines temporel et spatial de cette norme.
Il convient donc d’aborder dans une première section les caractères de la norme
pénale et dans une seconde section les domaines temporel et spatial de la norme
pénale.

Section 1 : Caractères de la norme pénale

Bien que, selon certains auteurs, le principe de légalité ne fût « pas


complètement ignoré avant 1789 »3, l’Ancien Régime était marqué par
l’arbitraire des juges4. Afin de remédier à ces excès, et sous l’influence de
philosophes tels que Montesquieu5 et Beccaria6, le principe de légalité a été

3
J. PRADEL, Droit pénal général, ouv. préc., n° 134 ; P. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit pénal général,
ouv. préc., n° 93 ; W. JEANDIDIER, Principe de légalité criminelle, J.-Cl. pén., 1998, art. 111-2 à 111-5 Fasc. 10,
n° 6 ; contra : R. MERLE et A. VITU, Droit pénal général, ouv. préc., n° 152 ; M.-L. RASSAT, Droit pénal général,
ouv. préc., n° 87 et 95.
4
F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, ouv. préc., n° 209 ; Y. MAYAUD, Droit pénal général, ouv.
préc., n° 19 ; P. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit pénal général, ouv. préc., n° 93 ; W. JEANDIDIER,
Principe de légalité criminelle, Fasc. préc., n° 8 s.
5
L’esprit des lois, livre XII, ch. IV.
6
Traité des délits et des peines, ch. III.
consacré lors de la Révolution française au sein de la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen de 1789.
Pour les lois de fond, l’article 8 dispose que « nul ne peut être puni qu’en vertu
d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement
appliquée ». Pour les lois de procédure, le principe de légalité est consacré à
l’article 7.
Ce principe a pour but de protéger la liberté individuelle contre l’arbitraire en
permettant à chaque individu de savoir ce qu’il encourt avant d’agir grâce à la
préexistence d’un texte d’incrimination et de pénalité7 que seul le pouvoir
législatif, expression de la volonté générale, peut légitimement adopter8.
Aujourd’hui ce principe a une valeur constitutionnelle9, et supranationale
puisqu’il est affirmé au sein du Pacte international pour les droits civils et
politiques (art. 15), de la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés fondamentales (art. 7), et de la Charte des droits
fondamentaux de l’Union européenne (art. 49).

Depuis un certain nombre d’années, surtout depuis l’adoption de la Constitution


de 1958 qui a transféré au pouvoir exécutif le pouvoir d’incriminer les
contraventions, la légalité formelle est en déclin au point que certains auteurs
préfèrent parler du principe de textualité10. Ce déclin de la légalité formelle s’est
opéré au profit de la légalité matérielle qui s’attache plus particulièrement au

7
P. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit pénal général, ouv. préc., n° 91 ; R. MERLE et A. VITU, Droit pénal
général, ouv. préc., n° 153 ; W. JEANDIDIER, Principe de légalité criminelle, Fasc. préc., n° 10 ; M.-L. RASSAT,
Droit pénal général, ouv. préc., n° 88.
8
F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, ouv. préc., n° 211 s. ; P. CONTE et P. MAISTRE DU
CHAMBON, Droit pénal général, ouv. préc., n° 89 ; R. MERLE et A. VITU, Droit pénal général, ouv. préc., n° 153 ;
W. JEANDIDIER, Principe de légalité criminelle, Fasc. préc., n° 11 s. ; M.-L. RASSAT, Droit pénal général, ouv.
préc., n° 87 et 89.
9
Cons.const., 19-20 janvier 1981 : J.C.P. 1981, 19701, note C. FRANCK ; D. 1982, 441, note A. DEKEUWER ;
A.J.D.A. 1981, p. 278, note C. de GOURNAY.
10
W. JEANDIDIER, Principe de légalité criminelle, Fasc. préc., n° 33 ; M.-L. RASSAT, Droit pénal général, ouv.
préc., n° 87.
contenu de la norme, à sa conformité aux normes supérieures, à sa clarté et à sa
précision11. Il convient donc d’envisager dans deux paragraphes successifs la
légalité formelle, puis la légalité matérielle.

§1. La légalité formelle

Le principe de légalité suppose que l’infraction et la peine qui lui est attachée
soient définies dans un texte préexistant. Mais cette exigence d’un texte
d’incrimination (texte qui décrit les éléments constitutifs de l’infraction) et de
pénalité préexistant serait vaine si le juge pénal pouvait s’en écarter ou
l’interpréter de telle sorte que son contenu en serait modifié rendant ainsi la
répression imprévisible et arbitraire12. Il en résulte que le principe de légalité
impose des obligations tant au législateur qu’au juge. C’est pourquoi, il convient
d’aborder dans un premier temps la qualification légale de l’infraction, puis, dans
un second temps la qualification judiciaire.

A. La qualification légale

Le texte d’incrimination et de pénalité ne peut être en principe que d’origine


légale ou réglementaire selon les dispositions de la Constitution de 1958. En
théorie, la source de la répression ne peut être que la loi ou le règlement.
Toutefois, concernant l’incrimination, c’est-à-dire le texte qui définit l’infraction,
ce principe souffre de nombreux aménagements. Il convient donc d’aborder les
principes sur la nature du texte définissant la norme pénale puis les
aménagements des principes.

11
D. ZEROUKI, La légalité criminelle, Th. Lyon 3, 2001, n° 11.
12
F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, ouv. préc., n° 220 ; R. MERLE et A. VITU, Droit pénal
général, ouv. préc., n° 158
1. Les principes

Selon l’article 111-1 du Code pénal : « Les infractions pénales sont classées,
suivant leur gravité, en crimes, délits et contraventions ». Les crimes sont les
infractions les plus graves et les contraventions sont les moins graves. Plus
l’infraction est grave plus la peine encourue l’est.
Ainsi, pour les crimes la peine privative de liberté maximale, appelée réclusion
criminelle, peut aller de 15 ans à la réclusion criminelle à perpétuité.
En matière délictuelle, la peine privative de liberté, appelée emprisonnement,
peut être au maximum de 10 ans. Les peines d’amendes en matière délictuelle
sont supérieures ou égales à 3750 euros.
Les contraventions ne peuvent jamais être sanctionnées d’une peine privative
de liberté et l’amende encourue est au maximum de 3000 euros (131-13 CP).
Il en résulte que pour déterminer la nature de l’infraction il convient de se référer
à la peine encourue.

Cette classification tripartite des infractions, instaurée depuis le Code pénal de


1810, a un intérêt pour déterminer la source d’incrimination et de pénalité. En
effet, il résulte de l’article 34 de la Constitution que « la loi fixe les règles
concernant : (…) la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur
sont applicables», et de l’article 37 que « Les matières autres que celles qui sont
du domaine de la loi ont un caractère réglementaire ».

Par ailleurs, l’article 38 de la Constitution dispose que le législateur peut,


pendant un délai limité, habiliter le gouvernement à prendre par ordonnance
des mesures qui relèvent du pouvoir législatif. Ces ordonnances doivent être
ratifiées par le législateur. Il résulte de cette disposition qu’exceptionnellement
le pouvoir exécutif peut incriminer des crimes et délits par voie d’ordonnance.
Tant que l’ordonnance n’est pas ratifiée par le pouvoir législatif elle n’a qu’une
valeur réglementaire. Elle n’a de valeur législative qu’à compter de la ratification.
Avant la réforme des institutions résultant de la loi constitutionnelle du 23 juillet
2008, cette ratification pouvait être implicite. Il suffisait alors qu’une loi vise les
dispositions d’une ordonnance. A la suite de cette réforme, il était admis que
cette ratification devait être expresse, en d’autres termes une loi de ratification
devait obligatoirement être adoptée à défaut les ordonnances devenaient
caduques.
En effet, l’article 38 de la Constitution dispose qu’ : « Elles entrent en vigueur dès
leur publication mais deviennent caduques si le projet de loi de ratification n'est
pas déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d'habilitation. Elles
ne peuvent être ratifiées que de manière expresse » (Const. 58, art. 38, al. 2,
2e phrase).
Cependant, depuis une décision du 28 mai 2020, le Conseil constitutionnel (n°
2020-843 QPC) a décidé que lorsqu’un projet de loi de ratification d’une
ordonnance a été déposé dans le délai fixé par la loi d’habilitation et que le
Parlement ne s'est pas prononcé sur cette ratification, l’ordonnance non ratifiée
bénéficie rétroactivement d’une valeur législative, à l’expiration du délai prévue
par la loi pour présenter le projet de la loi de ratification.
Pendant le délai d’habilitation, les ordonnances sont des actes réglementaires car
elles émanent du pouvoir exécutif et sont par conséquent soumises au principe de
la légalité. Elles peuvent être contestées devant le juge de l'excès de pouvoir qui
peut les annuler (CE 24 nov. 1961, Féd. nat. synd. de police) même si cela reste
rare.

Le Code pénal de 1992 rappelle le principe de légalité et la répartition des


pouvoirs de façon positive dans l’article 111-2 :
La loi détermine les crimes et délits et fixe les peines applicables à leurs auteurs.

Le règlement détermine les contraventions et fixe, dans les limites et selon les distinctions
établies par la loi, les peines applicables aux contrevenants.

et de façon négative dans l’article 111-313 :

Nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont pas définis par
la loi, ou pour une contravention dont les éléments ne sont pas définis par le règlement.

Nul ne peut être puni d'une peine qui n'est pas prévue par la loi, si l'infraction est un crime ou
un délit, ou par le règlement, si l'infraction est une contravention.

Les crimes et les délits sont donc incriminés par la loi. Dans le Code pénal les
articles issus d’une loi ne sont précédés d’aucune lettre, alors que dans la plupart
des autres codes ils sont précédés de la lettre L.
Les contraventions sont incriminées par des règlements autonomes qui sont
nécessairement des Décrets pris après avis de l’assemblée générale du Conseil
d’État et dont les articles sont codifiés en étant précédés de la lettre R.

Toutefois, il résulte du Code pénal une nuance que ne prévoit pas la Constitution.
En effet, le règlement ne peut fixer les peines contraventionnelles que dans les
limites fixées par la loi. Cette limite au pouvoir réglementaire a été introduite
par le Code pénal de 1992, afin d’exclure la possibilité pour le pouvoir exécutif
de prévoir des peines privatives de liberté. Ce qui explique que ce sont les articles
131-12 et suivants du Code pénal, issus d’une loi, qui fixent les peines encourues
en matière contraventionnelle.

Cette classification tripartite en fonction de la gravité des infractions détermine


ainsi le pouvoir normatif et les peines encourues. Par ailleurs, l’application d’un

13
W. JEANDIDIER, Principe de légalité criminelle, Fasc. préc., n° 1.
grand nombre d’autres règles pénales est déterminée par la nature de
l’infraction. Seuls quelques exemples seront donnés.
Tout d’abord, selon la nature de l’infraction ce ne sont pas les mêmes juridictions
qui sont compétentes. Jusqu’au 1er juillet 201714, pour la plupart des
contraventions des 4 premières classes c’était la juridiction de proximité15. Pour
les autres contraventions le Tribunal de police, qui est également compétent
pour l’ensemble des contraventions à compter de la disparition des juridictions
de proximité. Les délits relèvent de la compétence du Tribunal correctionnel
alors que les crimes sont jugés par la Cour d’assises.
Ensuite, la prescription de l’action publique qui est le délai pendant lequel les
poursuites peuvent être exercées à compter de la commission des faits diffère
selon la nature de l’infraction. En principe ce délai est de 20 ans16 pour les crimes,
6 ans17 pour les délits et 1 an pour les contraventions. La loi peut prévoir des
exceptions. Par exemple, les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles.
Enfin, la classification tripartite présente un intérêt quant à la prescription de la
peine. La prescription de la peine est le délai pendant lequel la peine peut être
mise à exécution à compter de la condamnation définitive c’est-à-dire lorsque
cette condamnation n’est plus susceptible de voies de recours. En principe ce
délai est de 20 ans pour les crimes (133-2 CP), 6 ans18 pour les délits (133-3 CP)
et 3 ans pour les contraventions (133-4 CP). La loi peut prévoir des exceptions.
Par exemple, les peines prononcées pour un crime contre l’humanité sont
imprescriptibles.

14
Loi de décembre 2012 qui a repoussé au 1er janvier 2015 à cette date auparavant prévue au 1er janvier 2013, puis
nouvelle loi …
15
LOI n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l'allègement de
certaines procédures juridictionnelles
16
10 ans jusqu’à la loi 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale
17
3 ans jusqu’à la loi précitée
18
5 ans jusqu’à la loi du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale
Si les peines sont toujours définies par la loi ou le règlement dans les limites
fixées par la loi, la définition des infractions quant à elle peut parfois résulter
d’autres textes. Les principes ayant été abordés, les tempéraments doivent
l’être.

2. Les tempéraments

Si en principe les crimes et les délits doivent être définis par la loi, il arrive parfois
qu’ils soient définis par d’autres dispositions d’ordre interne ou international.
Ces deux hypothèses seront distinguées.

a. Autres dispositions internes source d’incrimination

Il résulte du principe de légalité entendu dans son sens formel, que le législateur
a le devoir d’incriminer lui-même les crimes et les délits et de prévoir les peines
afférentes. Par exemple, il résulte de l’incrimination prévue à l’article 221-1 du
Code pénal que « Le fait de donner volontairement la mort à autrui constitue un
meurtre. Il est puni de trente ans de réclusion criminelle. ». Dans cet article le
législateur décrit ce qui caractérise un meurtre ainsi que la peine qui lui est
attachée. Il s’agit ici d’une incrimination autonome, c’est-à-dire que le texte
d’incrimination permet à lui seul de déterminer les éléments constitutifs de
l’infraction.

Si le législateur a en principe le devoir d’incriminer lui-même les comportements


infractionnels les auteurs ne manquent pas de dénoncer une démission du
législateur lorsqu’il utilise les techniques du renvoi et de la loi en blanc19.

19
F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, ouv. préc., n° 243 ; J. PRADEL, Droit pénal général, ouv.
préc., n° 141 ; W. JEANDIDIER, Principe de légalité criminelle, Fasc. préc., n° 30 s.
Avec la technique du renvoi, le législateur incrimine la violation d’obligations
préexistantes définies par d’autres dispositions qui ne sont pas nécessairement
de nature législative.
Par exemple, l’article L. 4741-1 du Code du travail dispose que :
« Est puni d'une amende de 3 750 euros, le fait pour l'employeur ou le
préposé de méconnaître par sa faute personnelle les dispositions suivantes
et celles des décrets en Conseil d'Etat pris pour leur application :
1° Titres Ier, III et IV ainsi que section 2 du chapitre IV du titre V du livre Ier
;
2° Titre II du livre II ;
3° Livre III ;
4° Livre IV ;
5° Titre Ier, chapitres III et IV du titre III et titre IV du livre V ;
6° Chapitre II du titre II du présent livre. (…) ».

Dans une telle hypothèse, si la peine est bien définie par le législateur, il faut se
référer aux dispositions du Code du travail auxquelles il est renvoyé afin de
déterminer a contrario le comportement incriminé. La définition de l’infraction
résulte alors de la disposition de renvoi. Cette disposition de renvoi constitue
ainsi la base légale de l’incrimination. L’incrimination est le texte qui prévoit que
la violation d’une autre disposition constitue une infraction, la base légale est le
texte de renvoi auquel il faut se référer pour déterminer ce qu’est l’infraction.
Dans une telle hypothèse, on parle d’incrimination par renvoi. La Cour EDH n’a
pas condamné par principe cette pratique au regard des exigences de l’art. 7 de
la CEDH(CEDH, Gde Ch., 29 mai 2020, Avis consultatif)20, et il en est de même de la Cour
de cassation21 et du Conseil constitutionnel22.

L’exemple de renvoi le plus connu résulte de l’article L. 2263-1 du Code du


travail. En effet cet article, dispose que :
« Lorsqu'en application d'une disposition législative expresse dans une
matière déterminée, une convention ou un accord collectif de travail
étendu déroge à des dispositions légales, les infractions aux stipulations
dérogatoires sont punies des sanctions qu'entraîne la violation des
dispositions légales en cause. »23
Il résulte de cette disposition que pour déterminer les éléments constitutifs de
certaines infractions il faut se référer aux conventions collectives. Ces dernières
peuvent être donc source indirecte du droit pénal.

La technique de la loi en blanc illustre une démission encore plus grande du


législateur. En effet, le législateur incrimine la violation d’obligations qui doivent
être édictées par règlement mais qui n’existent pas encore. Cette hypothèse
traduit une démission encore plus importante du législateur dans la mesure où

20
« 74. La Cour est donc d’avis que recourir à la technique de « législation par référence » pour incriminer des
actions ou omissions n’est pas en soi incompatible avec les exigences de l’article 7 de la Convention. Lues
conjointement, la norme référente et la norme référée doivent permettre à la personne concernée de
déterminer, en s’entourant au besoin de conseils éclairés, quel comportement est propre à engager sa
responsabilité pénale. Cette exigence vaut également lorsque la norme référée a dans l’ordre juridique concerné
un rang hiérarchique ou un niveau d’abstraction plus élevés que la norme référente.
La manière la plus efficace de garantir la clarté et la prévisibilité d’une incrimination conçue sur ce modèle est de
faire en sorte que la référence soit explicite et que la norme référente définisse les éléments constitutifs de
l’infraction. En outre, les normes référées ne doivent pas étendre la portée de l’incrimination telle qu’elle est définie
par la norme référente. En tout état de cause, il appartient à la juridiction nationale appliquant à la fois la norme
référente et la norme référée d’apprécier si l’engagement d’une responsabilité pénale était prévisible dans les
circonstances de l’espèce »
21
Cass. crim., 22 mars 2016, n° 15-80.944, F-P+B
22
Cons. const., 11 févr. 2022, n° 2021-967/973 QPC
23
Ex : Cass. crim., 9 avr. 2019, n° 18-80.921, D : JurisData n° 2019-005563
ce dernier ignore les comportements qu’il incrimine. Ces exemples trahissent
une atteinte à la légalité formelle des incriminations.

Le pouvoir exécutif utilise aussi cette technique du renvoi. Dès avant 1958,
l’article 475 § 15 du Code pénal de 1810, devenu R. 610-15 du nouveau Code
pénal, « investissait déjà du pouvoir d’incriminer, et non pas de celui de punir,
les autorités administratives dont certaines, comme le maire, occupent une
place modeste dans l’organisation de la Nation et dont d’autres, comme le
préfet, ne sont même pas élues »24.
« Il était normal qu’il en fût ainsi, car le Parlement n’aurait pas pu,
matériellement, organiser lui-même la répression de la multitude des arrêtés
pris par les préfets et les maires »25.
L’article R. 610-15 du Code pénal sanctionne des peines de police de deuxième
classe26, soit 150 euros « la violation des interdictions ou des manquements aux
obligations édictées par les décrets et arrêtés de police ». Le texte
d’incrimination doit être un règlement, la matière réglementée ne doit pas avoir
été régie par un texte spécial27, et le règlement doit avoir pour objet le maintien
de l’ordre, de la sûreté et de la salubrité publique. Cet article du Code pénal
fournit un exemple topique de l’acte administratif-base légale de l’incrimination,
c’est-à-dire de celui qui est pénalement sanctionné. En effet, il faut se référer au
contenu de l’arrêté municipal ou préfectoral pour déterminer le comportement
sanctionné.

24
J.-M. ROBERT, « Contraventions : décrets et arrêtés sanctionnés (art. R 610-5) », J.-Cl., Fasc. 30.
25
R. MERLE et A. VITU, Droit pénal général, ouv.préc., n° 161.
26
de première classe, soit 38 € jusqu’au décret D. n° 2022-185, 15 févr. 2022
27
Cass.crim., 20 janvier 1993 : Bull.crim. n° 28 ; Cass.crim., 1er juillet 1987 : Bull.crim. n° 261.
En droit interne, la coutume ne peut pas être le fondement de poursuite en
l’absence de texte. En revanche, la Cour de cassation a reconnu de façon
exceptionnelle que les usages, qui sont des pratiques cantonnées à des
domaines professionnels précis, pouvaient être pris en compte. Ainsi, dans une
poursuite pour fraude et falsification la Cour de cassation a jugé qu’à défaut de
réglementation sur la composition du produit, les juges doivent se référer aux
usages loyaux et constants du commerce

Il résulte de ces différents exemples, que la technique du renvoi permet aux


actes administratifs et aux conventions collectives d’être la base légale de
l’incrimination, c’est-à-dire qu’ils définissent a contrario les éléments constitutifs
de l’infraction. En revanche, les circulaires et avis émanant de l’administration
ne peuvent jamais être source de droit. Mais le droit international peut être aussi
source d’incrimination.

b. Les dispositions internationales sources d’incrimination

Les trois principales organisations internationales dont la France est un État


membre sont l’ONU, le Conseil de l’Europe et l’Union européenne. Ces trois
organisations peuvent adopter des normes qui seront une source indirecte
d’incrimination et dans des cas exceptionnels des sources directes. Il convient
donc d’envisager ces trois sources successivement.

a. L’ONU source d’incrimination

L'Organisation des Nations unies (ONU) est une organisation internationale dont
les objectifs sont de faciliter la coopération dans les domaines du droit
international, la sécurité internationale, le développement économique, le
progrès social et les Droits de l'homme.
L'ONU est fondée en 1945, la Chartre des Nations Unies a été signée le 26 juin
1945, et elle a été ratifiée le 24 octobre 1945, en remplacement de la Société
des Nations (SDN).

Des conventions internationales ayant pour objet de lutter contre la criminalité


internationale peuvent être élaborées sous l’égide des nations unies. Les États
signataires de ces conventions internationales doivent prendre des mesures
nationales afin de les mettre en œuvre. En effet, les conventions internationales
de lutte contre la criminalité internationale n’ont pas pour objet de reconnaître
des droits aux individus soumis aux juridictions des États signataires. Par
conséquent, elles n’ont aucun effet direct. Leur effectivité ne peut être assurée
dans l’ordre interne que par des mesures nationales.

Par exemple, la ratification de la convention des Nations unies contre la


corruption, adoptée le 31 octobre 2003 à New-York (dite convention de
« Mérida ») a conduit le législateur français à modifier la répression de la
corruption dans l’ordre interne par une loi du 13 novembre 200728.
De même, la ratification de la convention internationale pour la protection de
toutes les personnes contre les disparitions forcées, adoptée à New York le 20

28
J.O. 14 novembre 2007 ; JCP G 2007, act. 553 ; JCP G 2007, act. 568, aperçu rapide de F. STASIAK ; « La lutte
contre la corruption » ; dossier coordonné par C. CUTAJAR, D. 2008, p. 1068 s. ; J. BUISSON, « La lutte contre la
corruption », Procédures 2007, n°12, p. 27 s.
décembre 2006 a donné lieu à la création d’une nouvelle incrimination29 visant
ces faits par la loi du 5 août 201330.

Ces conventions internationales sont donc des sources indirectes d’incrimination


puisque l’incrimination elle-même résulte d’une loi nationale.

b. Le Conseil de l’Europe source d’incrimination

Le Conseil de l'Europe a été fondé le 5 mai 1949 par le traité de Londres. Le


Conseil de l'Europe comprend aujourd'hui 47 États membres.

Le Conseil de l’Europe, est la doyenne des organisations qui œuvrent en faveur


de la construction européenne, par le biais des normes juridiques dans les
domaines de la protection des droits de l'homme, du renforcement de la
démocratie et de la prééminence du droit en Europe. C'est une organisation
internationale dotée d'une personnalité juridique reconnue par le droit
international public.

Différentes conventions internationales ont été adoptées sous l’égide du Conseil


de l’Europe dont certaines ont pour objet de lutter contre la criminalité
internationale. Ces conventions ayant pour objet d’assurer une répression

29
221-12.-Constitue une disparition forcée l'arrestation, la détention, l'enlèvement ou toute autre forme de
privation de liberté d'une personne, dans des conditions la soustrayant à la protection de la loi, par un ou
plusieurs agents de l'Etat ou par une personne ou un groupe de personnes agissant avec l'autorisation, l'appui
ou l'acquiescement des autorités de l'Etat, lorsque ces agissements sont suivis de sa disparition et
accompagnés soit du déni de la reconnaissance de la privation de liberté, soit de la dissimulation du sort qui lui
a été réservé ou de l'endroit où elle se trouve.
« La disparition forcée est punie de la réclusion criminelle à perpétuité.
30
LOI n° 2013-711 du 5 août 2013 portant diverses dispositions d'adaptation dans le domaine de la justice en
application du droit de l'Union européenne et des engagements internationaux de la France
harmonisée n’ont aucun effet direct. Il en résulte qu’elles ne peuvent être
qu’une source indirecte d’incrimination puisque les États signataires doivent
prendre des mesures nationales pour en assurer leur effectivité.
Par exemple, la loi précitée du 13 novembre 2007 de lutte contre la corruption
avait aussi pour objet de mettre en conformité le droit interne avec la
convention pénale du Conseil de l'Europe sur la corruption du 27 janvier 1999 et
de son protocole additionnel du 15 mai 2003.
De même la loi précitée du 5 août 2013 comporte des dispositions portant
adaptation de la législation française la convention du Conseil de l'Europe sur la
prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence
domestique, signée à Istanbul le 11 mai 2011

La convention signée sous l’égide du Conseil de l’Europe la plus connue est la


Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales (CESDH) signée le 4 novembre 1950 et entrée en vigueur en
1953. La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), créée le
18 septembre 1959, a pour mission de faire respecter la Convention ESDH et
siège, depuis le 1er novembre 1998, à Strasbourg (Cour de Strasbourg). La
CESDH reconnaît des droits aux particuliers et n’a pas pour objet de prévoir des
incriminations.
Pourtant, la Cour EDH n’a pas hésité à affirmer, pour les articles 2 (droit à la vie),
3 (prohibition des traitements inhumains et dégradants), et 4 (prohibition de
l’esclavage), que les États ont une obligation positive d’adopter des dispositions
en matière pénale qui sanctionnent les pratiques en question31. En d’autres
termes, il résulte de cette jurisprudence de la CEDH que le respect des articles 2,

31
CEDH, L.C.B. c. Royaume-Uni arrêt du 9 juin 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-III, p. 1403, § 36 ;
CEDH, 26 juillet 2005, Siliadin : JCP G 2005, II 10 1242, note F. Sudre
3 et 4 de la Convention implique une obligation pour les États membres
d’incriminer les comportements y portant atteinte.
Ainsi la France a-t-elle était condamnée pour violation de l’article 4 dans l’affaire
Siliadin c/France du 26 juillet 2005 du fait que les dispositions pénales en vigueur
à l'époque n'ont pas assuré à la requérante, qui était mineure, une protection
concrète et effective contre les actes dont elle a été victime (dans le même sens :
CEDH 5ème sect., 11 oct. 2012, C.N. et V. c. France).
Depuis, la loi n° 2013-711 du 5 août 2013 précitée a incriminé spécialement
l’esclavage.
La jurisprudence de la CEDH imposant des obligations positives à la charge de
l’État est donc une source indirecte d’incrimination dans la mesure où seule une
disposition nationale permettra la répression de tels comportements.

c. L’Union européenne source d’incrimination

Les Communautés européennes ont été instituées par le Traité de Paris du 18


avril 1951 (CECA), et par les deux traités de Rome du 25 mars 1957 (CECA et CEE),
refondu par l’Acte unique européen entrée en vigueur le 1er juillet 1987, le traité
de Maastricht signé le 7 février 1992 (créant par ailleurs l’Union europénne
3ème pilier), le Traité d’Amsterdam entrée en vigueur le 1er mai 1999, le Traité
de Nice (2000) et enfin, le Traité de Lisbonne signé le 1er décembre 2008 et entré
en vigueur le 1er décembre 2009. Aujourd’hui, l’Union européenne compte 27
États membres avec l’adhésion en 2013 de la Croatie (-RU).

Depuis le Traité de Maastricht et jusqu’au Traité de Lisbonne le droit de l’Union


européenne était divisé en trois piliers.
Le premier concernait la réalisation du marché commun. C’était le domaine
d’intervention de la Communauté européenne dans lequel les institutions
communautaires avaient les plus larges pouvoirs. Sur proposition de la
Commission, et à la suite d’une procédure de codécision impliquant le Parlement
européen et le Conseil européen, la Communauté européenne pouvait adopter
des règlements et des directives communautaires. Le règlement, obligatoire
dans toutes ses dispositions, était directement applicable dans le droit interne
des États membres. Les directives supposaient en principe une transposition en
droit interne, seuls les objectifs qu’elles fixaient s’imposaient aux États qui
restaient libre d’en déterminer les moyens. Le non-respect d’un règlement ou
d’une directive communautaire pouvait donner lieu à un recours en
manquement devant la CJCE.
Le deuxième pilier était la politique étrangère et de sécurité commune, et le
troisième pilier était celui de la coopération judiciaire et policière en matière
pénale. Il s’agissait du domaine d’intervention de l’Union européenne au sens
étroit. Les décisions dans ces domaines supposaient l’accord unanime des États
membres représentés au Conseil. Les actes pris en ces matières étaient des
décisions-cadres qui supposaient des mesures de transposition. La CJCE ne
pouvait pas connaître du respect ou non par les États des décisions-cadres. Bien
que le droit pénal relevait de la compétence exclusive de l’UE, la CJCE, dans une
décision du 13 septembre 2005, avait admis qu’à certaines conditions la
Communauté européenne pouvait prendre des directives en matière pénale.
Ainsi, la première directive définissant des infractions est la directive 2008/99/CE
du 19 novembre 2008, relative à la protection de l'environnement par le droit
pénal.
Depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne il n’y plus de distinction entre
les trois piliers ni entre la Communauté européenne et l’Union européenne,
seule l’Union européenne existe. Le droit pénal et la procédure pénale relèvent
dorénavant de la compétence législative ordinaire. En d’autres termes, l’Union
européenne peut adopter en ces matières des règlements et directives
européennes qui sont prises à la majorité à la suite d’une procédure de
codécision du Parlement et du Conseil européen. Par ailleurs, si un État membre
ne transpose pas ou mal une directive européenne ou une décision-cadre il peut
faire l’objet d’un recours en manquement devant la CJUE depuis le 1er décembre
2014.
Les directives nécessitant une transposition dans l’ordre interne, elles ne
peuvent être qu’une source indirecte d’incrimination, même après l’expiration
du délai de transposition la Cour de JUE, suivie par la Cour de cassation, ayant
exclu tout effet direct d’une directive qui aurait pour résultat d’aggraver la
responsabilité pénale d’un individu.
Par exemple, la loi du 5 août 2013 précitée a procédé à la transposition en droit
interne de la directive 2011/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 5
avril 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte
contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes.
Le règlement européen, quant à lui peut être visé dans une incrimination par
renvoi. Par exemple, la loi pénale française sanctionne pénalement toute
violation des restrictions d’importation définies par les règlements
communautaires, européens aujourd’hui.

Conclusion sur la qualification légale :

Après la Révolution française seule la loi, expression de la volonté générale


pouvait ériger des comportements en infraction et prévoir les peines qui y
étaient attachées. En d’autres termes, les incriminations et les peines ne
pouvaient être définies que par la loi, ce qui est exprimé sous forme de principe :
le principe de légalité des délits et des peines.
En raison de l’impossibilité matérielle pour le législateur d’intervenir dans tous
les domaines, la Constitution de 1958 a confié au pouvoir réglementaire le soin
de définir les contraventions et leurs sanctions. Mais le Code pénal de 1992,
entré en vigueur en 1994, a posé une limite : les sanctions contraventionnelles
ne peuvent être déterminées par le pouvoir réglementaire que dans les limites
fixées par la loi. Ce transfert de compétence fut la première entaille au principe
de légalité, au sens formel.
Le développement de la technique de l’incrimination par renvoi porta encore un
coup au principe de légalité. Le législateur ne décrit plus dans le texte
d’incrimination le comportement infractionnel mais se contente d’incriminer la
violation d’une obligation définie par un autre texte. Les textes de renvoi
peuvent être de nature très diverse. Il peut s’agir d’un acte administratif, d’une
convention collective, ou encore d’un règlement communautaire.
L’ensemble de ces atteintes au principe de légalité au sens formel a conduit les
auteurs à abandonner l’expression de principe de légalité au profit de celle de
principe de textualité. Le comportement infractionnel doit être définit par un
texte. Finalement le principe de légalité au sens formel n’a encore de sens qu’en
ce qui concerne la définition des peines. En effet, seul le législateur peut prévoir
la sanction des crimes et des délits et lui seul définit l’échelle des peines pour les
contraventions.
Par ailleurs, au moment de la Révolution, seul le législateur, représentant de la
souveraineté nationale, avait le pouvoir de décider de l’opportunité d’ériger tel
ou tel comportement en infraction. Aujourd’hui, le législateur national perd de
plus en plus son pouvoir d’appréciation en la matière sous l’influence du droit
international.

Les textes source d’incrimination et de pénalité ayant été dégagés, il convient de


mettre en évidence que l’exigence d’un texte préexistant ne permettrait pas de
rendre prévisible la répression si le juge pouvait s’en affranchir. Il convient donc
d’aborder la qualification judiciaire.

B. La qualification judiciaire

L’exigence d’un texte d’incrimination et de pénalité préexistant serait vaine si le


juge pénal pouvait s’en écarter ou l’interpréter de telle sorte que son contenu
en serait modifié rendant ainsi la répression imprévisible et arbitraire32. C’est
pourquoi en vertu de ce principe, le juge a l’obligation de qualifier chaque
élément de l’incrimination (1), et d’interpréter strictement le texte lors de cette
qualification (2). Ces deux obligations seront abordées successivement.

1. L’obligation de qualifier

Le juge est tenu de constater « l’existence et les circonstances exigées par la loi
pour que les faits soient punissables »33. Par ailleurs, le juge doit motiver sa
décision sur ce point. La Cour de cassation exerce son contrôle tant sur la
qualification que sur la motivation.

32
F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, ouv. préc., n° 220 ; R. MERLE et A. VITU, Droit pénal
général, ouv. préc., n° 158
33
Cass.crim., 23 juin 1964 : D. 1964, p. 578 ; Cass.crim., 3 avril 2001 : Bull.crim. n° 90.
Ainsi, dans le cadre de l’homicide involontaire (art. 221-6 C.pén.), la Chambre
criminelle a eu à rappeler que la victime doit être encore en vie au moment de
l’action imprudente du prévenu34. De même, l’exhibition sexuelle n’est
réprimée que si elle se déroule dans un lieu accessible au regard du public (art.
222-32 C.pén.), ce que les juges du fond doivent constater35. L’omission de
porter secours à une personne en péril (art. 223-6 al. 2 C.pén.) suppose que soit
établie l’existence préalable d’un péril imminent et constant36.
Autre exemple :
L’article L. 235-1 du Code de la route disposait que :
« toute personne qui conduit un véhicule ou qui accompagne un élève conducteur
alors qu'il résulte d'une analyse sanguine37 qu'elle a fait usage de substances ou
plantes classées comme stupéfiants est punie de deux ans d'emprisonnement et
de 4 500 euros d'amende ».
Dans une décision remarquée (Cass. crim., 15 févr. 2012, n° 11-
84.607 : JurisData n° 2012-003635 ; Dr. pén. 2012, comm. 70, obs. J.-H. Robert)
la Chambre criminelle a cassé l'arrêt d'une cour d'appel condamnant le prévenu
sur le fondement de ce texte.
En l'espèce, l'analyse sanguine n'avait pas été opérée régulièrement mais le
prévenu avait reconnu avoir fumé un joint avant de prendre le volant. Pour la
chambre criminelle, les juges dijonnais ont ainsi déduit la culpabilité du prévenu
de son aveu alors que, selon l'article L. 235-1 du Code de la route, elle ne peut
résulter que d'une analyse sanguine. Aujourd’hui, le texte vise également
l’analyse salivaire

34
Cass.crim., 12 décembre 1972 : Gaz.Pal. 1973, 1, 285 ; Rev.sc.crim. 1973, 409, obs. G. LEVASSEUR.
35
Cass.crim., 14 novembre 1903 : D.P. 1903, 1, 592.
36
Cass.crim., 13 janvier 1955 : Bull.crim. n° 37 ; J.C.P. 1955, II, 8560, note P.-A. PAGEAUD.
37
Ou salivaire depuis la loi du 26 janvier 2016
Si l’un des éléments constitutifs de l’infraction fait défaut la relaxe (pour les délits
et les contraventions) ou l’acquittement (pour les crimes) s’impose.

2. Le principe d’interprétation stricte

Le principe de légalité dans son sens formel exige l’existence d’un texte
préexistant à la commission des faits pour que tout individu sache ce qu’il
encourt avant d’agir. Cette exigence ayant pour but d’assurer la prévisibilité de
la répression serait vaine si, sous couvert, d’interprétation le juge pouvait
modifier l’étendue de l’incrimination. C’est pourquoi, le corolaire du principe de
légalité est le principe d’interprétation stricte de la loi pénale. Ce principe est
visé à l’article 111-4 du Code pénal.

Pour la plupart des auteurs, lorsque la loi pénale est claire, il n’est pas nécessaire
de l’interpréter38, pour d’autres, appliquer une loi abstraite et générale à un fait
concret suppose nécessairement une interprétation du texte39.

La doctrine est quasi unanime pour reconnaître que l’interprétation stricte exclut
l’interprétation analogique, sauf in favorem40, et l’interprétation littérale41.

38
P. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit pénal général, ouv. préc., n° 124 ; M.-L. RASSAT, Droit pénal
général, ouv. préc., n° 123 ; F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, ouv. préc., n° 226 pour qui
l’interprétation est nécessaire « lorsqu’il existe une incertitude sur la portée d’un texte pénal ».
39
R. MERLE et A. VITU, Droit pénal général, ouv. préc., n° 168 ; J.-H. ROBERT, Droit pénal général, ouv. préc., p.
189 pour qui ce sont les situations indécises « qui constituent l’enjeu du débat sur les méthodes de l’interprétation
judiciaire ».
40
F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, ouv. préc., n° 221 s. ; R. MERLE et A. VITU, Droit pénal
général, ouv. préc., n° 178 s. ; J.-H. ROBERT, Droit pénal général, ouv. préc., p. 193 s. et 198 s. pour qui l’adaptation
aux évolutions techniques constitue un cas d’interprétation analogique ; M.-L. RASSAT, Droit pénal général, ouv.
préc., n° 118.
41
F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, ouv. préc., n° 224 s. ; R. MERLE et A. VITU, Droit pénal
général, ouv. préc., n° 175 ; J.-H. ROBERT, Droit pénal général, ouv. préc., p. 190 s. Contra : M.-L. RASSAT, Droit
pénal général, ouv. préc., n° 118.
L’interprétation analogique consiste à étendre une règle de droit d’une situation
prévue par elle à une situation voisine. Une telle interprétation permettrait de
réprimer des faits en dehors de toute prévision de la loi. C’est pourquoi elle a été
rejetée y compris dans des affaires ayant soulevé l’émoi de l’opinion publique
telle que celle de la séquestrée de Poitiers dont André Gide a fait un roman.
Tout commence le 23 mai 1901 à POITIERS :
Sur dénonciation anonyme, un commissaire de police force la porte d'une
maison bourgeoise de Poitiers et découvre dans une chambre obscure aux volets
fermés, une femme croupissant sur un lit au milieu d'immondices. L'enquête va
permettre de savoir que cette femme, âgée de 50 ans, vit dans des conditions
épouvantables dans cette chambre depuis 25 ans.
Très vite, une rumeur surgit: Blanche Monnier, aurait été séquestrée par sa
famille, à la suite d'un amour contrarié. Le frère de la victime a été poursuivi pour
délit de violences volontaires. Cependant, la Cour d’appel de Poitiers dans un
arrêt du 20 novembre 1901, le relaxa aux motifs que si on pouvait lui reprocher
d’avoir délaissé sa sœur, aucun acte positif de violences ne pouvait être retenu
à son encontre. La loi pénale étant d’interprétation stricte, une infraction de
commission ne peut être étendue à des faits d’omission. Cette affaire illustre
l’exclusion de l’interprétation analogique. Aujourd’hui le crime de séquestration
est incriminé à l’article 224-1 du Code pénal.

En revanche, il est admis de façon exceptionnelle que l’interprétation analogique


peut se faire in favorem. Un exemple peut être donné avec l’immunité familiale.
Sous l’empire du Code pénal de 1810 cette immunité n’était prévue que pour le
vol. Il en résultait que le vol commis au préjudice d’un ascendant, d’un
descendant ou d’un époux ne pouvait donner lieu à des poursuites pénales. La
jurisprudence a étendu cette immunité aux faits d’abus de confiance avant que
cette solution ne soit consacrée par la loi.

L’interprétation stricte exclut aussi l’interprétation littérale. Le juge n’a pas à s’en
tenir à la lettre du texte si la solution qui en résulte est manifestement contraire
à la volonté du législateur.
Un exemple célèbre peut être donné avec un décret de 1917 qui interdisait aux
voyageurs de « descendre des trains ailleurs que dans les gares et lorsque le train
est complètement arrêté », ce qui, littéralement, obligeait les voyageurs à sauter
du train en marche. Par arrêt du 8 mars 1930, la Cour de cassation a approuvé la
condamnation d’un voyageur qui était descendu d’un train en marche,
considérant qu’il fallait redonner au texte son sens évident.

Seule l’interprétation téléologique ou déclarative42, qui consiste à prendre en


compte la ratio legis du texte, la volonté déclarée ou présumée du législateur,
respecterait le principe de légalité tout en permettant au texte d’évoluer en
fonction des progrès, technologiques notamment.
Ainsi, la question s’est ainsi posée de savoir si la soustraction frauduleuse
d’électricité était un vol au sens du Code pénal, c'est-à-dire la soustraction
frauduleuse de la chose d’autrui. Par arrêt en date du 3 août 1912, la Cour de
cassation a considéré que l’électricité est bien une chose susceptible
d’appréhension et pouvant dès lors faire l’objet d’un vol. Cette interprétation a
permis d’adapter la législation aux évolutions technologiques que le législateur
de 1810 n’avait pas pu anticiper. Finalement l’actuel Code pénal incrimine le vol
d’électricité à l’article 311-2 du Code pénal.

42
F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, ouv. préc., n° 226 s. ; J. PRADEL, Droit pénal général,
ouv. préc., n° 189 s. ; R. MERLE et A. VITU, Droit pénal général, ouv. préc., n° 158 et 170 ; J.-H. ROBERT, Droit
pénal général, ouv. préc., p. 194 s.
Comme nous l’avons vu, le principe de légalité dans son sens formel a pour objet
d’assurer la prévisibilité de la répression. Mais la prévisibilité de la répression
suppose le respect d’autres exigences que la seule préexistence d’un texte. Ces
exigences sont regroupées par certains auteurs sous la dénomination de légalité
matérielle. La légalité matérielle s’attache plus particulièrement au contenu de
la norme, à sa conformité aux normes supérieures, à sa clarté et à sa précision43.
Il convient donc d’aborder la légalité matérielle.

§2. La légalité matérielle

Un texte ne peut être source d’incrimination et de pénalité que s’il répond à deux
catégories d’exigence. La première exigence est qu’il doit respecter la norme
supérieure, la seconde exigence est qu’il doit être clair précis et accessible.

A. Une norme pénale respectant la norme supérieure

Selon la CJCE, aujourd’hui CJUE, le droit communautaire aujourd’hui le droit de


l’UE, se situe au sommet de la hiérarchie des normes des États membres au-
dessus de leur Constitution. Cependant, ce n’est pas la conception interne. Selon
celle-ci, les normes du bloc de constitutionnalité se trouvent au sommet de la
pyramide. Viennent ensuite les traités internationaux, puis la loi, suivent les PGD
et enfin les règlements. Au regard de cette hiérarchie des normes il convient
donc de distinguer le contrôle de constitutionnalité, le contrôle de
conventionalité et le contrôle de légalité.

43
D. ZEROUKI, La légalité criminelle, Th. Lyon 3, 2001, n° 11.
Ces contrôles sont toujours assurés par le juge. Ils peuvent s’opérer par voie
d’action ou par voie d’exception.
Le contrôle se fait par voie d’action lorsque le juge est saisi à titre principal de la
question du respect d’une norme supérieure par une norme inférieure. Le
contrôle se fait par voie d’exception lorsqu’à l’occasion du litige principal dans
lequel le juge est chargé d’appliquer une norme, la question de la compatibilité
de cette norme à la norme supérieure est soulevée. Il est important de distinguer
les deux questions, car la sanction de la non-conformité d’une norme est
complètement différente.

Le juge pénal n’est jamais saisi à titre principal du contrôle du respect de la


hiérarchie des normes. En effet, la non-conformité d’un texte d’incrimination et
de sanction est toujours soulevée comme moyen de défense lors d’un procès
pénal. Le juge pénal opère donc ce contrôle par voie d’exception. Cependant, les
décisions des juridictions chargées du contrôle par voie d’action ont une
incidence sur le procès pénal. Les deux types de textes dont la conformité à la
norme supérieure est contestée devant le juge sont la loi et le règlement. Il
convient donc d’aborder le contrôle de la loi (1) puis le contrôle du règlement
(2).

1. Le contrôle de la loi

La loi doit être conforme à la Constitution et aux conventions internationales.


Elle peut donc faire l’objet d’un contrôle de constitutionnalité et d’un contrôle
de conventionalité.

a. Le contrôle de constitutionnalité de la loi


Seul le Conseil constitutionnel peut contrôler la constitutionnalité de la loi. Il
peut le faire par voie d’action ou depuis l’entrée en vigueur de la réforme
constitutionnelle de juillet 2008, le 1er mars 2010, par voie d’exception.

I. Le contrôle de constitutionnalité par voie d’action :

Le contrôle de constitutionnalité intervient avant la promulgation de la loi (dans


un délai de 15 jours).
Pour les lois ordinaires, le contrôle de constitutionnalité ne peut être demandé
que par le Président de la République, le Premier ministre, le président de
l'Assemblée nationale, le président du Sénat et, depuis 1974, un collège de 60
députés ou sénateurs.
Le conseil constitutionnel peut déclarer la loi en tout ou partie contraire à la
constitution ou préciser l’interprétation qui doit en être retenue pour assurer la
conformité à la Constitution, à cette fin il formule des réserves d’interprétation.
Les dispositions déclarées inconstitutionnelles ne sont pas annulées. La
déclaration d’inconstitutionnalité empêche seulement la promulgation de la loi.
Les décisions du Conseil Constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours.
Elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et
juridictionnelles (art. 62).

A l’occasion de différents contrôles de constitutionnalité, le Conseil


constitutionnel a consacré un certain nombre de principe concernant le droit
pénal.
- Respect des droits de la défense
- L’autorité judiciaire gardienne de la liberté individuelle
- De la présomption d’innocence
- De l’indépendance des juges du siège
- Principe de la légalité des délits et des peines
- Nécessite et Proportionnalité des délits et des peines
- Non-rétroactivité de la loi pénale
- Principe de la personnalité des peines
- Principe de la responsabilité personnelle
- Principe d’égalité
- Principe du relèvement éducatif et moral du mineur
- L’exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant44
(dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de
1946)
L’importance du rôle du Conseil constitutionnel atteste d’une véritable
« constitutionnalisation du droit pénal ».

II. Le contrôle par voie d’exception :

Ce contrôle a été introduit par la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008.


Le nouvel article 61-1 de la Constitution dispose que :
« Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est
soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la
Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question
sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un
délai déterminé. »

44
Cons. const., 21 mars 2019, n° 2018-768 QPC :
La loi organique du 10 décembre 2009 est venue préciser les modalités
d’application de cette nouvelle disposition constitutionnelle. La Question
prioritaire de constitutionnalité est entrée en vigueur le 1er mars 2010.

Le caractère prioritaire de la question implique que la juridiction doit, lorsqu'elle


est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative, d'une
part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, aux
engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la
transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour
de cassation.
Toutefois, ce principe subit une limite. En effet, le Conseil constitutionnel a
considéré dans une décision du 12 mai 201045, que « le juge saisi d'un litige dans
lequel est invoquée l'incompatibilité d'une loi avec le droit de l'Union européenne
(peut faire), à tout moment, ce qui est nécessaire pour empêcher que des
dispositions législatives qui feraient obstacle à la pleine efficacité des normes de
l'Union soient appliquées dans ce litige ». A la suite d’une question préjudicielle
posée par la Cour de cassation46, la CJUE dans un arrêt du 22 juin 201047 a
considéré que cette nouvelle procédure ne contrariait pas les exigences
européennes dès lors que les juridictions nationales restent libres :
- de saisir la CJUE à tout moment de la procédure qu'elles jugent appropriée, et
même à l'issue de la procédure incidente de contrôle de constitutionnalité ;

45
Cons. const., déc. 12 mai 2010, n° 2010-605 DC, JCP G n° 21, 24 Mai 2010, 576, note B. Matthieu ; JCP G n°
21, 24 Mai 2010, 550, note D. de Béchillon ; Europe n° 6, Juin 2010, repère 6 ; Droit pénal n° 6, Juin 2010, comm.
77
46
Cass., QPC, 16 avr. 2010, n° 10-40.002, Melki et Adbeli JCP G n° 17, 26 Avril 2010, 464, obs. B. Matthieu ;
JCP n° 18, 3 Mai 2010, 509, veille F. PICOT ; JCP G , note Jean-François Akandji-Kombé ; Denys SIMON et Anne
RIGAUX , Drôle de drame : la Cour de cassation et la question prioritaire de constitutionnalité, Europe n° 5, Mai
2010, étude 5 ; Procédures n° 6, Juin 2010, repère 6, note H. Croze
47
CJUE, gr. ch., 22 juin 2010, aff. C-188/10 et C-189/10, JCP G n° 26, 28 Juin 2010, 734, JCP G n° 26, 28 Juin
2010, 716, aperçu rapide Gilles Lucazeau ; JCP G n° 28, 12 Juillet 2010, 778, aperçu rapide Gilles Lucazeau ;
Europe n° 7, Juillet 2010, comm. 232, note Anne RIGAUX ; Europe n° 7, Juillet 2010, repère 7, Denys SIMON
et Anne RIGAUX
- d'adopter toute mesure nécessaire afin d'assurer la protection juridictionnelle
provisoire des droits conférés par l'ordre juridique de l'Union ;
- de laisser inappliquée, à l'issue d'une telle procédure incidente, la disposition
législative nationale en cause si elles la jugent contraire au droit de l'Union.

Depuis cette décision de la CJUE, la Cour de cassation a considéré qu’étant donné


qu’elle ne pouvait pas prononcer des mesures provisoires, elle laisserait
inappliquées les dispositions prévoyant une priorité d’examen de la question de
constitutionnalité dans l’hypothèse où elle était également saisie de la question
de la conformité de la disposition critiquée au regard du droit de l’Union48.

La CJUE a récemment précisé que :


« Le principe de primauté du droit de l’Union doit être interprété en ce sens
qu’il s’oppose à ce que la juridiction constitutionnelle d’un État membre,
saisie d’un recours contre une législation nationale qui s’avère, à la lumière
d’une décision de la Cour rendue sur renvoi préjudiciel, incompatible avec
le droit de l’Union, décide, en application du principe de sécurité juridique,
que les effets juridiques de cette législation soient maintenus jusqu’à la
date de prononcé de l’arrêt par lequel elle statue définitivement sur ce
recours constitutionnel »49.

- Conditions de fond de la QPC

Pour que la QPC soit transmise à la Cour de cassation, il faut que les conditions
suivantes soient remplies :

48
Cass. QPC, 29 juin 2010, n° 12133
49
CJUE Gde Ch., 22 juin 2021, Affaire C-439/19, Procédure engagée par B.
« 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou
constitue le fondement des poursuites ;
« 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et
le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des
circonstances ;
« 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

Cour de cassation transmet la QPC au Conseil constitutionnel, si : (23-4)


« 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou
constitue le fondement des poursuites ;
« 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et
le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des
circonstances ;
3° la question est nouvelle ou présente un caractère sérieux »

Question particulière des QPC portant sur des lois transposant une disposition
du droit de l’UE
Dans le cadre du Contrôle a priori, le Conseil constitutionnel a considéré que
l’exigence de transposition du droit de l’UE devait écartée si et seulement si la
disposition était contraire à un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de
la France50.
Logiquement, la Chambre criminelle semble exclure la transmission d’une QPC
portant sur une loi transposant un texte européen clair, précis et inconditionnel
s’il ne met en cause aucune règle ou principe inhérent à l’identité

50
Cons. const., 15 oct. 2021, n° 2021-940 QPC : , est un élément de cette identité, l'article 12 de la Déclaration
des droits de l'homme et du citoyen qui réservent l'usage de la force à l'autorité publique. Les textes contestés sont
néanmoins conformes à ce principe parce qu'ils n'imposent à l'entreprise de transport aucune obligation de
surveiller la personne devant être réacheminée ou d'exercer sur elle une contrainte.
constitutionnelle de la France51. Mais sans doute serait-il souhaitable de laisser
le soin au Conseil constitutionnel d’opérer cette appréciation.
Néanmoins dans une autre affaire, dite Jérémy F, la Cour de cassation a renvoyé
au Conseil constitutionnel une QPC concernant une disposition du Code de
procédure pénale transposant la décision-cadre relative au mandat d’arrêt
européen52. Dans cette affaire, le Conseil n’avait pas à se prononcer sur la
transposition correcte de la décision-cadre mais devait déterminer si la
disposition du Code de procédure pénale était conforme ou non à la
constitution. Avant de se prononcer, il devait déterminer si le droit interne
assurait la transposition d’une disposition européenne claire, précise et
inconditionnelle. Si tel avait été le cas, il aurait été saisi du contrôle de
constitutionnalité de la décision-cadre et non de la disposition nationale. Ayant
des doutes sur la portée de la décision-cadre, il a saisi la CJUE d’une question
préjudicielle en interprétation53. La réponse de la CJUE permettait de conclure
que la solution nationale ne s’imposait pas54. Au vu de cette réponse, le Conseil
constitutionnel a alors procédé au contrôle de constitutionnalité de la
disposition nationale et a conclu à son inconstitutionnalité55. La solution adoptée
par le Conseil constitutionnel aurait sans doute été différente si la disposition
interne n’était que la transposition d’une disposition claire, précise et
inconditionnelle.

- Juridictions devant lesquelles l’exception peut être soulevée :

51
Cass. crim., 22 févr. 2012, n° 11-90.122, F-P+B, QPC : JurisData n° 2012-003069, Droit pénal n° 4, Avril
2012, comm. 57, note JH Robert
52
Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 19 février 2013, 13-80.491, Inédit
53
Cons. const., déc. 4 avr. 2013, n° 2013-314P QPC
54
CJUE, (2ème Ch.), 30 mai 2013, C-168/13 PPU, Jeremy F.
55 Cons. const., déc. 14 juin 2013, n° 2013-314 QPC
L’exception d’inconstitutionnalité peut être soulevée pour la première fois en
cause d’appel ou devant la Cour de cassation, mais elle ne peut être relevée
d’office.
Si elle est soulevée au cours d’une instruction, la chambre de l’instruction doit
en être saisie.
Ce moyen ne peut être soulevé devant une Cour d’assises. En cas d’appel d’un
arrêt d’assises il peut être soulevé dans un écrit accompagnant la déclaration
d'appel. Cet écrit est immédiatement transmis à la Cour de cassation.
Devant la Cour de cassation, le moyen doit faire l’objet d’un écrit distinct et
motivé.

- Conditions procédurales
Les délais :
La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de
la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation.
Cette décision n'est susceptible d'aucun recours. Le refus de transmettre la
question ne peut être contesté qu'à l'occasion d'un recours contre la décision
réglant tout ou partie du litige
La Cour de cassation a 3 mois pour décider de la transmission au Conseil
constitutionnel. A défaut de s’être prononcée dans ce délai, la question est
transmise au Conseil constitutionnel.
Le Conseil constitutionnel statue dans un délai de trois mois à compter de sa
saisine.
Le sursis à statuer :
Lorsque la question est transmise, la juridiction sursoit à statuer jusqu'à
réception de la décision du Conseil d'État ou de la Cour de cassation ou, s'il a été
saisi, du Conseil constitutionnel. Le cours de l'instruction n'est pas suspendu et
la juridiction peut prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires
Il y a des exceptions au sursis à statuer notamment lorsqu'une personne est
privée de liberté à raison de l'instance ou lorsque l'instance a pour objet de
mettre fin à une mesure privative de liberté.

Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1


est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel
ou d'une date ultérieure fixée par cette décision.

b. Le contrôle de conventionalité de la loi

La loi comme les règlements doivent être conformes aux conventions


régulièrement ratifiées par la France. La question du contrôle de conventionalité
peut être abordée devant le juge constitutionnel, devant les juges ordinaires des
deux ordres de juridiction, ou encore devant les juridictions européennes.

I. Le contrôle de conventionalité de la loi devant le Conseil constitutionnel

Alors même que l’article 55 de la Constitution dispose expressément que les


conventions internationales régulièrement ratifiées ont une valeur supérieure à
la loi, le Conseil constitutionnel se refuse à contrôler la conventionalité d’une loi
depuis une décision du 15 janvier 1975 portant sur la loi IVG.

Sans avoir jamais remis en question cette solution, le Conseil constitutionnel


semble nuancer sa position en ce qui concerne le droit communautaire devenu
droit de l’UE.
Concernant l’examen de la conformité d’une loi au droit communautaire,
devenu droit de l’UE, le Conseil constitutionnel a été saisi de la question lors d’un
contrôle de constitutionnalité de lois transposant des directives
communautaires.
Depuis, une décision du 10 juin 2004 sur la loi pour la confiance dans l’économie
numérique que le Conseil constitutionnel a affirmé pour la première fois sur le
fondement de l’article 88-1 de la Constitution56 que la transposition en droit
interne d’une directive communautaire résulte d’une exigence constitutionnelle
(Cons. const., 10 juin 2004, n°2004-496 DC, Loi pour la confiance dans l’économie
numérique : Cah. Cons. const. 2005, n°18, p.144.)

Le Conseil constitutionnel contrôle la conformité d’une loi à la directive qu’elle


transpose dans la mesure où les dispositions de la directive sont claires, précises
et inconditionnelles. A défaut, c’est au juge judiciaire/administratif et à la CJUE
qu’il appartient de se prononcer sur la conformité de la loi aux dispositions
européennes et il appartient à la seule de CJUE de se prononcer sur la conformité
d’une directive aux droits fondamentaux57.

Au regard de cette jurisprudence une loi transposant une directive imposant des
obligations en matière pénale pourra éventuellement faire l’objet d’une censure
par le Conseil constitutionnel si elle ne respecte pas le droit de l’UE.

Par ailleurs, le Conseil constitutionnel pose une limite à l’exigence de


transposition d’une directive. Cette exigence s’efface si la directive est contraire

56
« La République participe aux Communautés européennes et à l'Union européenne, constituées d'Etats qui ont
choisi librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d'exercer en commun certaines de leurs compétences. »
57
Cons. const., 15 oct. 2021, n° 2021-940 QPC
à un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France sauf si le
constituant y a consenti.
Il est possible que sur ce fondement le Conseil constitutionnel écarte des
dispositions législatives assurant la transposition d’une directive pénale violant
les principes fondamentaux consacrés en la matière.

Une décision de non-conformité au droit de l’UE empêche seulement la


promulgation de la loi dans le cadre d’un contrôle a priori.

Il est à noter que ce contrôle de conventionnalité par le Conseil constitutionnel


ne peut pas s’exercer dans le cadre d’une QPC, puisque l’exigence de
transposition n’est pas un droit ou une liberté fondamentale pour les individus
(Cons. cons., 12 mai 2010, déc. N°2009-605 DC).

II. Le contrôle de conventionalité de la loi devant le juge pénal

Le défaut de conformité de la loi aux conventions internationales ne peut être


soulevé devant le juge pénal que dans la mesure où les normes internationales
ont un effet direct. Il convient donc d’aborder la question de l’effet direct des
normes internationales avant d’envisager les modalités du contrôle de
conventionalité.

a. La condition de l’effet direct

Le plus souvent les traités instituant des organisations internationales ou signés


sous l’égide de ces organisations, n’imposent des droits et obligations qu’aux
Etats signataires. En d’autres termes, des droits et obligations sont mis à la
charge des Etats signataires sans que les citoyens de ces Etats ne puissent
invoquer directement les Traités internationaux devant les juridictions internes.
Cependant, certains traités reconnaissent directement des droits aux justiciables
de chaque Etats signataires. Dans de telles hypothèses les justiciables peuvent
invoquer directement ces traités internationaux devant les juridictions des Etats
signataires. Ces normes internationales ont un « effet direct ».
Un tel effet est reconnu à certaines conventions signées sous l’égide des Nations
unies, tel que le pacte international relatif aux droits civils et politiques.
De même, l’ensemble des dispositions de la CESDH et de ses protocoles
additionnels ont un effet direct.
En ce qui concerne le droit de l’Union européenne, les dispositions du traité qui
consacre des libertés, telle que la libre circulation des personnes, des
marchandises, des biens et des capitaux peuvent être invoquées directement
devant les juridictions internes. De même, selon les termes du TFUE les
règlements ont un effet direct. Quand aux directives, la CJCE, devenue CJUE, a
retenu que passé le délai de transposition, les dispositions claires, précises et
inconditionnelles avaient un effet direct sous réserve d’être opposées en
défense. De même, la Chartre des droits fondamentaux de l’UE (CDFUE), entrée
en vigueur avec le Traité de Lisbonne, peut être invoquée directement devant
les juridictions internes. Cependant, les dispositions de cette chartre ne sont
applicables que pour la mise en œuvre du droit de l’UE.

b. Les modalités du contrôle de conventionalité par le juge pénal

Devant le juge pénal les normes internationales d’effet direct sont invoquées
pour éviter l’application de la loi pénale. Par exemple, si une loi pénale viole des
droits reconnus par la CESDH ou si son application constitue une restriction
injustifiée aux libertés de l’UE telle que la libre circulation des marchandises.

Si la loi est déclarée non-conforme à une norme supra nationale d’effet direct,
elle n’est pas abrogée ni annulée par le juge pénal mais seulement écartée des
débats.

Le juge pénal peut décider de l’inconventionalité de la loi au regard de la CESDH


ou du droit de l’Union sans que la CEDH ou la CJUE ne se soit jamais prononcées
sur la question.

Concernant le droit communautaire, devenu droit de l’UE, les juridictions


ordinaires ont admis difficilement qu’une loi puisse être écartée en raison de sa
non-conformité au droit communautaire.
Cette admission a été progressive. Les juridictions internes ont tout d’abord
admis qu’une loi antérieure à la disposition communautaire puisse être écartée.
En revanche, elles refusaient qu’une loi postérieure puisse être écartée.
La CJCE s’est prononcée sur la question dans son arrêt Simmenthal du 9 mars
1978 selon lequel la primauté du droit communautaire s'exerce même vis-à-vis
d'une loi nationale postérieure, ce qui implique que les juridictions nationales
doivent écarter une telle loi.
Pourtant, dès le 24 mai 1975 que la Cour de cassation a admis une telle solution
dans l’affaire « Cafés Jacques Vabres ». Concernant le Conseil d’Etat, très attaché
à la tradition constitutionnelle française de soumission du juge à la loi, il a fallu
attendre son arrêt Nicolo du 20 octobre 1989.
Depuis, le Conseil d’Etat et la Cour de cassation reconnaissent au juge interne le
droit d’écarter une loi contraire au droit de l’Union même si la jurisprudence
laisse parfois penser que ces deux juridictions limitent autant que possible les
déclarations de non-conformité.

En cas de doute sur l’interprétation de la norme européenne, les juridictions du


fond peuvent transmettre une question préjudicielle à la CJUE, et c’est une
obligation pour la Cour de cassation et le Conseil d’État dont les décisions ne sont
pas susceptibles de recours (art. 267 TFUE).

III. Le contrôle de conventionalité devant les juridictions européennes

La CEDH et la CJUE peuvent examiner la conformité des dispositions législatives


et réglementaires des Etats membres mais aussi des décisions juridictionnelles.
Compte tenu des différences existantes entre ces deux Cours au sujet des
modalités et des effets de tel contrôle il faut les distinguer.

a. Le contrôle de conventionalité par la CEDH

Saisine de la CEDH
Le droit de recours individuel est ouvert à toute victime directe, indirecte ou
potentielle d'une violation des droits de l'homme, résultant d'un manquement
d'un État contractant.
Le Protocole n°16, en date du 2 octobre 2013, entré en vigueur le 1er aout 2018
à l’égard des Etats l’ayant signé et ratifié58, permet aux plus hautes juridictions

58
LOI n° 2018-237 du 3 avril 2018 autorisant la ratification du protocole n° 16 à la convention de sauvegarde
des droits de l'homme et des libertés fondamentales
d’un Etat d’adresser à la Cour des demandes d’avis consultatifs sur des questions
de principe relatives à l’interprétation ou à l’application des droits et libertés
définis par la Convention ou ses protocoles59.

Les conditions de recevabilité des requêtes


"La Cour ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes »
(art. 35 Conv).
En France, l’épuisement des voies de recours se conclue par le pourvoi en
cassation. Toutefois, en cas de circonstances exceptionnelles, la CEDH dispense
de requérant de cette exigence. C’est notamment le cas lorsqu’il y a une urgence
au regard de la particulière vulnérabilité de la victime.
Depuis l’entrée en vigueur du Protocole n°14 le 1er juin 2010, qui a pour objet de désencombrer la CEDH, une
requête peut être déclarée irrecevable à une triple condition60 :
- Tout d'abord, le requérant ne doit pas avoir subi un « préjudice important». Cette notion pour
la Cour, renvoie à des « critères tels que l'impact monétaire de la question litigieuse ou l'enjeu
de l'affaire pour le requérant ».
- Ensuite, le respect des droits de l'homme ne doit pas exiger l'examen de l'affaire au fond, soit
que la Cour ait déjà eu l'occasion de se prononcer sur des questions similaires (CEDH, 30 mars
2009, n° 19324/02, Léger c/ France, radiation), soit que les dispositions internes litigieuses
aient été abrogées.
- Enfin, l'affaire en cause doit avoir été « dûment examinée » par un tribunal interne, et tel est
le cas. Supp par le protocole n°15 du 24 juin 2013
En outre, depuis le 1er septembre 2012, la procédure de déclaration unilatérale est entrée en vigueur61.
Elle permet à un Gouvernement de mettre fin à un litige en reconnaissant la violation de la Convention
européenne des droits de l'homme et en s'engageant à fournir un redressement adéquat au requérant. Si le
requérant est satisfait des termes de la déclaration unilatérale, l'affaire est rayée du rôle en tant que règlement
amiable. Si le requérant souhaite la poursuite de l'examen de sa requête, il appartient à la Cour de décider s'il
est justifié ou non de continuer cet examen. Pour que la Cour conclut que le respect des droits de l'homme
n'exige pas la poursuite de l'examen de l'affaire, la déclaration unilatérale doit répondre a minima aux critères
suivants :
- existence d'une jurisprudence suffisamment établie en la matière ;
- reconnaissance claire de violation de la Convention à l'égard du requérant, dont le sujet doit être explicitement
mentionné ;
- redressement adéquat, en cohérence avec la jurisprudence de la Cour en matière de satisfaction équitable ;

59
Ex en matière pénale : CEDH, Gde Ch., 29 mai 2020, Avis consultatif
60
CEDH, déc., 1er juin 2010, n° 36659/04, Adrian Mihai Ionescu c/ Roumanie, JCP G n° 30, 26 Juillet 2010,
825
61 Cour EDH, 3 sept. 2012
- engagements d'ordre général, le cas échéant (modification législative ou d'une pratique administrative,
introduction d'une nouvelle politique etc.) ;
- respect des droits de l'homme : la déclaration unilatérale doit offrir une base suffisante pour que la Cour
considère que la poursuite de l'examen de la requête ne se justifie plus.
Si la Cour accepte la déclaration unilatérale, elle est entérinée dans une décision de radiation ou dans un arrêt.
Dans le cas où le Gouvernement n'honore pas les mesures individuelles consenties, le requérant peut demander
à ce que sa requête soit réinscrite au rôle de la Cour.

Les conséquences de la condamnation d’un Etat


Si la violation alléguée est reconnue, et que le droit interne ne permet pas de
réparer efficacement les effets de la violation, la chambre peut accorder à la
partie lésée une satisfaction équitable sous forme de dommages-intérêtsConv
27. mais la Cour européenne des droits de l'homme ne peut pas remettre en
cause ni la législation interne d’un Etat, ni une décision juridictionnelle de cet
Etat. Toutefois, certains Etats comme la France, soucieux de respecter leurs
engagements et d’éviter les condamnations font en sorte de permettre un
réexamen de l’affaire au niveau interne dans certains cas et mettent leur
législation en conformité.

Le réexamen de l’affaire
En France, le réexamen de l’affaire à la suite d’une condamnation par la CEDH
est possible en matière pénale.
l’article 626-1 du Code de procédure pénale, introduit par la loi du 15 juin 2000 relative à la présomption
d’innocence, devenu 622-1 depuis la Loi du 20 juin 2014 prévoit expressément que :
« Le réexamen d'une décision pénale définitive peut être demandé au bénéfice de toute personne reconnue
coupable d'une infraction lorsqu'il résulte d'un arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l'homme que la
condamnation a été prononcée en violation des dispositions de la convention de sauvegarde des droits de
l'homme et des libertés fondamentales ou de ses protocoles additionnels, dès lors que, par sa nature et sa gravité,
la violation constatée entraîne pour le condamné des conséquences dommageables auxquelles la " satisfaction
équitable " allouée sur le fondement de l'article 41 de la convention ne pourrait mettre un terme. »

La remise en cause de la législation interne


Bien que la condamnation d’un Etat n’implique pas pour lui l’obligation de
modifier sa législation, il n’en demeure pas moins qu’en pratique la règle de droit
interne litigieuse est de fait mise de côté.
A la suite d’une condamnation de la France, en principe, le juge interne écarte
les dispositions textuelles ou les solutions jurisprudentielles dans les litiges
postérieurs. Par ailleurs, le législateur ou le Pouvoir réglementaire peuvent
adopter un texte remettant en cause la disposition litigieuse.

Par exemple, le Code de procédure pénale français prévoyait que le Procureur général près
de la Cour d’appel peut faire appel d’une décision pénale en matière de délit pendant un délai
de deux mois à compter du prononcé du jugement (article 505 du CPP), alors que les autres
parties (prévenus et partie civile) ne disposent que d’un délai de 10 jours.
Dans un arrêt du 22 mai 2008 (Gacon C/ France) la CEDH a condamné la France au motif que
cette disposition viole le principe d’égalité des armes (art. 6 §1 de la CESH).
Par la suite, dans une autre affaire, la Cour de cassation française a écarté l’application de
l’article 505 du Code de procédure pénale dans un arrêt du 17 septembre 2008 aux motifs que
cet article ouvre au procureur général un délai d'appel plus long que celui accordé aux autres
parties par l'article 498 de ce code et que par conséquent il viole le principe d’égalité des
armes (Bull. crim. n°188).
Enfin, la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 prévoit que le procureur général peut
également former son appel dans le délai de vingt jours à compter du jour du prononcé de la
décision.

La responsabilité de l’Etat du fait des lois


Enfin, le Conseil d’Etat a admis que la responsabilité de l’Etat du fait des lois
pouvait être engagée en cas de méconnaissance des exigences conventionnelles
(CEDH). (CE ass., 8 février 2007, Gardedieu : RTD civ. 2007, p. 297).
En d’autres termes, après une condamnation de la France par la CEDH, les
justiciables qui ont subi un préjudice du fait de la loi déclarée inconventionelle
pourront en demander réparation auprès des juridictions administratives.

b. Le contrôle de conformité par la CJUE

La Cour de Justice de l’Union européenne, organe juridictionnel de l’Union


européenne siégeant à Luxembourg, peut être saisie par un Etat membre ou par
une institution européenne, c’est-à-dire la Commission, le Conseil ou le
Parlement. En revanche, les particuliers ne peuvent saisir que très rarement la
CJUE.

La CJUE connaît de la conformité des législations ou de la jurisprudence nationale


au travers de deux procédures, d’une part le Recours en manquement et,
d’autre part, les questions préjudicielles en interprétation.

. Le recours en manquement

La CJUE est saisie par la Commission ou un Etat membre de recours en


manquement à l’encontre d’un autre Etat. En pratique, seule la Commission
saisie la CJUE d’un recours en manquement.
Elle vérifie alors que l’Etat poursuivi respecte le traité et les actes dérivés.

En cas de violation par un Etat d’une exigence européenne, la CJUE rend un arrêt
de constatation de manquement, mais elle n’a pas le pouvoir d’annulation ou
d’abrogation du droit national non-conforme. Si l’Etat ne se conforme toujours
pas à la réglementation européenne, la CJUE pourra prononcer des sanctions
pécuniaires à l’occasion d’un arrêt de manquement sur manquement.
Par exemple, dans un arrêt du 12 juillet 200562, la France a été condamnée à verser à la
Commission une somme forfaitaire de 20 000 000 d’euros et une astreinte de 57 761 250
d’euros par période de six mois.

La menace des sanctions pécuniaires importantes conduit les Etats à mettre en


conformité leur législation nationale, et les juridictions à abandonner les
solutions déclarées non-conformes.
Par ailleurs, en cas de manquement constaté du fait d’une loi ou d’une décision
juridictionnelle, la responsabilité de l’Etat peut être engagée devant les
juridictions administratives. Dans une telle hypothèse toute personne ayant subi
un préjudice peut demander réparation.

. Les questions préjudicielles en interprétation

La CJUE peut être saisie par les juridictions internes d’une question préjudicielle
en interprétation des traités constitutifs, de la CDFUE ou d’un acte dérivé. C’est
parfois l’occasion pour les juridictions internes de vérifier que la législation
interne est conforme au droit de l’UE.

62
C.J.C.E., 12 juillet 2005, aff. C-304/02, Commission des Communautés européennes contre République
Française. Dans cette affaire, il était reproché à la France de ne pas s’être conformée à un précédent arrêt de la
C.J.C.E. Le manquement était caractérisé par le fait que la France n’a pas assuré d’une part, le contrôle des activités
de pêche conforme aux exigences prévues par les dispositions communautaires, et d’autre part, la poursuite des
infractions à la réglementation des activités de pêche conformément aux exigences prévues par les dispositions
communautaires.
Les juridictions internes de chaque Etat membre doivent saisir la CJUE dès qu’il
existe une difficulté d’interprétation ou qu’il y a un doute sur la validité d’un acte
communautaire.

Cette saisine est facultative lorsque les juridictions internes ne statuent pas en
dernier ressort, elle est obligatoire pour les juridictions statuant en dernier
ressort, c’est-à-dire lorsqu’il n’y a plus de voie de recours interne.

Un recours préjudiciel en interprétation conduit la CJUE à interpréter une norme


européenne au regard d’une question de droit posée par une juridiction interne,
ce qui permettra ensuite aux juridictions internes de conclure à la conformité ou
non de la législation interne.

Si de l’interprétation donnée par la CJUE il apparaît que la législation interne est


non-conforme, alors les juges écarteront du procès la disposition en cause.

2. Le contrôle des règlements

Les règlements ou acte administratif doivent être conformes à la Constitution,


aux conventions internationales, aux lois et aux principes généraux du droit
(PGD). La CJUE et la CEDH peuvent connaître de la conventionalité d’un
règlement dans les mêmes conditions qu’une loi. Devant les juridictions internes,
ce sont les juridictions administratives qui sont exclusivement compétentes pour
contrôler par voie d’action la conformité des actes administratifs aux normes
supérieures. Le juge pénal ne peut en connaître que par voie d’exception.

a. Le contrôle par voie d’action devant les juridictions administratives


En vertu du principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires,
seules les juridictions administratives sont compétentes pour être saisies à titre
principal de la question de la conformité d’un règlement à une norme
supérieure. Cette compétence exclusive des juridictions administratives
concerne également la conventionalité des règlements. En effet, alors que les
juridictions judiciaires peuvent connaître de la conformité d’une loi à une
convention internationale le Tribunal des Conflits leur a refusé cette compétence
pour les règlements (T. confl. 19 mars 2007, Europe 2007, Focus 26)

Les juridictions administratives sont saisies de ce contrôle par un Recours pour


excès de pouvoir qui doit être introduit dans les 2 mois de la publication.
Elles peuvent contrôler la constitutionnalité des règlements, leur
conventionalité et leur légalité.

Concernant le contrôle de constitutionnalité des règlements il ne peut concerner


que les règlements autonomes. En effet, pour les règlements pris en application
d’une loi, contrôler leur constitutionnalité reviendrait à contrôler indirectement
celle de la loi ce qui relève de la compétence exclusive du Conseil constitutionnel.

Si les juridictions administratives concluent à la non-conformité de l’acte


administratif à la norme supérieure, elles en prononcent l’annulation. Le
règlement est censé alors n’avoir jamais existé. Cette décision a un effet erga
omnes, c’est-à-dire qu’elle s’impose à toute personne même non partie au
procès ainsi qu’aux autorités judiciaires et administratives.
Malgré cet effet erga omnes attaché aux décisions d’annulation des juridictions
administratives, pendant de nombreuses années la Chambre criminelle a retenu
que les juridictions pénales n’étaient pas toujours liées par ces décisions.

Depuis un arrêt du 21 novembre 2007, la Chambre criminelle de la Cour de


cassation retient, sur le fondement de l'autorité de la chose jugée par la
juridiction administrative, que l’annulation d’un acte administratif par une
juridiction administrative fait toujours obstacle à la condamnation dès lors que
la solution du procès pénal en dépend.

La non-conformité d’un acte administratif à la norme supérieure peut également


être soulevée devant le juge pénal par voie d’exception.

b. Le contrôle par voie d’exception devant le juge pénal

Ce contrôle des actes administratifs par le juge pénal a été admis par la
jurisprudence avant sa consécration par l’actuel Code pénal. Il convient donc de
retracer l’historique avant d’aborder le droit positif.

I. Historique du contrôle par voie d’exception

C’est par un arrêt du 3 août 181063 que la Chambre criminelle admit, pour la première fois, le contrôle de légalité
des actes administratifs par le juge pénal64. Toutefois, elle limita cette compétence aux seuls actes administratifs
réglementaires pénalement sanctionnés.

63
Cass.crim., 3 août 1810 : S. 1809-1811, I, p. 224.
64
Sur l’évolution historique voir not. : A. MESTRE, « Recherches sur l’exception d’illégalité », Mél. M. HAURIOU,
SIREY, 1929, p. 567 s.
Bien que la jurisprudence de la Chambre criminelle n’ait pas maintenu cette distinction entre les actes
administratifs individuels et réglementaires65, le Tribunal des Conflits l’a reprise dans un arrêt Avranches et
Desmarets du 5 juillet 1951. Il considéra que le juge pénal pouvait contrôler la légalité des actes administratifs
réglementaires pénalement sanctionnés ou invoqués comme moyen de défense. En revanche, le Tribunal des
conflits refusa de reconnaître la compétence du juge pénal pour les actes administratifs individuels»66.
L’incompétence du juge pénal pour contrôler la légalité d’un acte administratif individuel, était justifiée par le
fait que refuser de sanctionner pénalement cet acte reviendrait à le priver d’effet ce qui troublerait les opérations
du corps administratif, caractérisant ainsi une violation du principe de la séparation des autorités administrative
et judiciaire67.
Cette distinction entre acte administratif réglementaire et individuel fut vivement critiquée. En effet, d’une part,
il paraît peu logique de reconnaître la possibilité pour le juge de contrôler un décret réglementaire émanant du
Président de la République et non un arrêté municipal individuel68. D’autre part, l’acte administratif individuel
privé de sa sanction pénale n’est pas pour autant privé d’efficacité, il conserve sa force exécutoire69.

Par des arrêts de principe, la Chambre criminelle fixa sa position définitive en retenant la compétence du juge
pénal pour opérer le contrôle par voie d’exception de la légalité des actes administratifs individuels ou
réglementaires « assortis d’une sanction pénale »70, c’est-à-dire les actes administratifs-base légale de
l’incrimination, « source d’incrimination pénale »71 ou qui « contiennent l’incrimination »72.
En revanche, la Cour de cassation refusait au juge pénal la possibilité de contrôler la légalité des actes
administratifs invoqués comme moyen de défense, et constituant la condition préalable de l’infraction.

Le Code pénal de 1992, entré en vigueur le 1er mars 1994, a mis fin à cette distinction avec son article 111-5.

II. Droit positif de l’exception d’illégalité

65
A. PEPY, « La séparation des autorités administratives et judiciaires et l’appréciation par le juge répressif de la
légalité des actes administratifs individuels », Mélanges M. PATIN, La Chambre criminelle et sa jurisprudence,
CUJAS, 1965, p. 96 s.
66
T. Confl., 5 juillet 1951, Avranches et Desmarets : D. 1952, J., p. 271, note Ch. BLAEVOET ; Rev. adm. 1951, p.
492, note G. LIET-VEAUX ; JCP 1951, II, 6623, obs. A. HOMONT; S. 1952, 3, p. 1, note J.-M. AUBY ; T. Confl., 2
juillet 1962, Préfet Loire-Atlantique c/ Pabou et Monroty : Rec. C.E. 1962, p. 827 ; Rev. adm. 1962, p. 389, note
G. LIET-VEAUX.
67
Voir not. : A. MESTRE, « Recherches sur l’exception d’illégalité », art. préc., p. 567 s.
68
En ce sens : A. VARINARD et J. PRADEL, Les grands arrêts du droit pénal général, ouv. préc., n° 7 ; J. LAMARQUE,
note sous Cass. Crim., 1er juin 1967, Canivet et Dame Moret : J.C.P. 1968, II, 15 505.
69
R. MEURISSE, « L’appréciation de la légalité des actes administratifs par les tribunaux répressifs », Gaz.Pal.
1953, II, Doc., p. 6 ; G. LIET-VEAUX, J.-M. AUBY, NOTEs sous T. Confl., 5 juillet 1951, Avranches et Desmarets,
préc.
70
Cass.crim., 21 décembre 1961, Dame Le Roux : Bull.crim. n° 551 ; D. 1962, J., p. 102, rapp. COSTA ; J.C.P.
1962, II, 12 680, note J. LAMARQUE.
71
A. VARINARD et J. PRADEL, Les grands arrêts du droit pénal général, ouv. préc., n° 7 ; J. LAMARQUE, note sous
Cass. Crim., 1er juin 1967, Canivet et Dame Moret, préc.
72
J.-H. ROBERT, Droit pénal général, ouv. préc., p. 124.
Le Parlement ayant « décidé de faire prévaloir sur toute autre considération la
protection de la liberté individuelle dont le juge pénal est le gardien »73, il
résulte de l’article 111-5 du Code pénal entré en vigueur le 1er mars 1994, que
« les juridictions pénales sont compétentes pour interpréter les actes
administratifs, réglementaires ou individuels et pour en apprécier la légalité
lorsque de cet examen, dépend la solution du procès pénal qui leur est soumis ».

Domaine
Ce texte n’opère donc aucune distinction entre acte administratif règlementaire
et individuel ni entre acte administratif pénalement sanctionné et acte
administratif invoqué comme moyen de défense. La seule exigence est que la
solution du procès pénal dépende de l’examen de l’acte administratif.
Ainsi, pour qualifier le délit de refus de restitution d’un permis de conduire (L.
224-17 C.R.) invalidé par suite d’une perte totale des points, il faut établir au
préalable cette perte totale des points, ce qui justifie la compétence du juge
pénal pour contrôler la légalité du retrait de points74. En revanche, lorsque le
retrait de point n’est pas la condition préalable de l’infraction mais qu’il
constitue une sanction administrative consécutive à la commission d’une
infraction, la solution du procès pénal ne dépend pas de sa légalité. C’est
pourquoi la Cour de cassation déclare systématiquement l’exception d’illégalité
du retrait de point irrecevable dans une telle hypothèse75.

73 Circulaire du 14 mai 1993, n° 7.


74 Cass.crim., 26 juin 1996, 2 arrêts : Bull.crim. n° 277 ; Dr.pén. 1996, Comm. 245, obs. J.-H. Robert.
75 Jurisprudence constante, cf. not. : Cass.crim., 1er février 2006 : Dr.pén. 2006, Comm. 52, note J.-H. Robert.
Si l’article 111-5 du Code pénal étend la règle selon laquelle le juge de l’action
est le juge de l’exception au cas du contrôle de légalité des actes administratifs,
une disposition législative contraire peut venir la limiter76.
Il en est ainsi de l’article L. 480-13 du Code de l’urbanisme (issu de la loi du 31 décembre 1976)
selon lequel « lorsqu’une construction a été édifiée conformément à un permis de construire,
le propriétaire ne peut être condamné par un tribunal de l’ordre judiciaire du fait de la
méconnaissance des règles d’urbanisme ou des servitudes d’utilité publique que si,
préalablement, le permis de construire a été annulé pour excès de pouvoir par la juridiction
administrative ». La Chambre criminelle de la Cour de cassation veillait au respect de cette
disposition. Toutefois, la jurisprudence ayant retenu qu’ « un permis obtenu frauduleusement
équivaut à son absence »77, elle considère que « le juge répressif est compétent pour
constater l’inexistence d’un permis de construire obtenu frauduleusement »78.

L’article 111-5 du Code pénal doit faire l’objet d’une interprétation stricte. Il
constitue une dérogation au principe de la séparation des autorités
administrative et judiciaire et ne permet pas d’étendre le contrôle de légalité à
des contrats administratifs79. C’est ce que la Chambre criminelle a
expressément retenu80.

En revanche, la Chambre criminelle a reconnu la possibilité aux juridictions


pénales de contrôler la légalité d’un acte administratif dès lors que la régularité
de la procédure pénale pouvait en être affectée. 81

76 F. Desportes, « Le contrôle de la légalité des actes administratifs par le juge pénal au regard de l’article 111-5
du Code pénal », art. préc. ; R. Merle et A. Vitu, Droit pénal général, ouv. préc., n° 245.
77 Cass.crim., 4 novembre 1998 : Bull.crim. n° 286 ; Dr.pén. 1999, Comm. 45, obs. J.-H. Robert ; Cass.crim., 17
octobre 2000 : Dr.pén. 2001, Comm. 37, obs. J.-H. Robert ; Rev.sc.crim. 2001, p. 390, obs. J.-H. Robert.
78 Cass.crim., 9 septembre 2003 : Bull.crim. n° 155 ; Dr.pén. 2003, Comm. 128 ;, obs. J.-H. Robert.
79 G. Maleville, « Compétence des juridictions judiciaires à l’égard des actes administratifs », J.-Cl. adm. Fasc.
1056 (1998) refondu par P. Stillmunkes et J. Stillmunkes, n° 116.
80 Cass.crim., 23 septembre 1995 : Bull.crim. n° 279 ; Dr.pén. 1996, Comm. 14, obs. J.-H. Robert ; Cass.crim.,
22 janvier 1997 : Bull.crim. n° 28.
81
Cass. crim., 13 déc. 2016, n° 16-84.794 et 16-82.176 : La chambre criminelle de la Cour de cassation affirme,
sur le fondement de l'article préliminaire du Code de procédure pénale et de l'article 111-5 du Code pénal, la
compétence du juge pénal pour contrôler la légalité des ordres de perquisitions administratives menées dans le
cadre de l'état d'urgence. Les juridictions d'instruction saisies de procédures judiciaires ouvertes à la suite de telles
Régime procédural

Quant à son régime procédural, l’exception d’illégalité doit être soulevée avant
toute défense au fond, in limine litis, c’est-à-dire avant l’interrogatoire du
prévenu sur les faits82.
La Cour de cassation a par ailleurs, reconnu la faculté au juge pénal de relever
d’office cette exception83. Un auteur84 conteste cette solution, en effet, ou bien
l’exception d’illégalité n’est pas d’ordre public alors elle doit être soulevée avant
toute défense au fond et elle ne peut être soulevée d’office par le juge ; ou bien
cette exception est d’ordre public et elle peut être soulevée à toute hauteur de
la procédure et d’office par le juge.

Lorsque cette exception est régulièrement soulevée, le juge pénal a l’obligation


d’y répondre85 et n’a pas à surseoir à statuer si l’acte a fait l’objet d’un recours
en annulation devant la juridiction administrative86.
En outre, la Chambre criminelle a précisé que le juge répressif saisi de cette
exception ne doit pas faire peser la charge de la preuve de l'illégalité sur le seul
intéressé et doit solliciter, le cas échéant, le ministère public afin d'obtenir de

perquisitions peuvent donc, le cas échéant, annuler les actes du dossier bien qu'ils reposent sur une décision de
nature administrative soumise comme telle au contrôle du juge administratif
82 Cass.crim., 29 mars et 23 mai 1995 : Dr.pén. 1995, Comm. 226, 1re et 2e esp., obs. J.-H. Robert.
83 Cass.crim., 7 juin 1995 : préc.
84 M.-L. Rassat, Droit pénal général, ouv. préc., n° 146.
85 Cass.crim., 25 octobre 1961, 4 esp. : D. 1962, p. 258 ; J.C.P. 1962, II, 12 500, note A. P.
86 Cass.crim., 10 novembre 1937 : D.H. 1938, p. 118 ; Cass.crim., 21 février 2006 : n° du pourvoi : 05-82232,
publié au bulletin ; Dr.pén. 2006, Comm. 71, note J.-H. Robert ; Cass. crim., 4 déc. 2018, n° 18-82.852 ; Cass.
crim., 5 mars 2019, n° 18-82.211,.
l'autorité administrative les éléments factuels sur lesquels celle-ci s'était fondée
pour prendre sa décision87.

Le juge pénal ne peut pas exercer un contrôle d’opportunité, mais il exerce un


contrôle de légalité de la même étendue que le juge administratif. Il peut donc
contrôler la constitutionnalité des règlements autonomes, la conventionalité et
la légalité de tous les actes administratifs.
Les cas d’illégalité sont pour lui ceux du droit administratif : incompétence de
l’autorité administrative88, condition de procédure fixée par la loi89, violation
de la loi90, excès de pouvoir91 et erreur manifeste d’appréciation92.

La Chambre criminelle a refusé de transmettre une QPC portant sur l’article 111-
5 du CP aux motifs que :
« le législateur a pu, sans manquer aux principes de légalité des poursuites et
d'égalité devant la loi, et dans le but d'accélérer le cours de la justice répressive,
doter le juge pénal de pouvoirs identiques à ceux du juge administratif,
relativement à l'espèce dont il est saisi »93

Outre le fait qu’une norme pénale doit être conforme à la norme supérieure, la
prévisibilité de la répression n’est garantie que dans la mesure où la norme est
claire, précise et accessible. En d’autres termes, elle doit être intelligible et
accessible.

87
Cass. crim., 3 mai 2017, n° 16-86.155, P+B+R+I ; 1re esp. : Cass. crim., 28 mars 2017, n° 16-85.072 : JurisData
n° 2017-0056632e esp. : Cass. crim., 28 mars 2017, n° 16-85.073 : JurisData n° 2017-005660
88 Cass.crim., 3 juin 1935 : S. 1937, I, 234.
89 Crim., 11 octobre 1990 : Bull.crim. n° 339 et 340.
90 Crim., 1er février 1956, demoiselle Flavien : Bull.crim. n° 118 ; D. 1958, 365 rapp. Le Doux.
91 Cass.crim., 25 juin 1964 : Bull.crim. n° 220.
92
Crim., 21 octobre 1987 : Bull.crim. n° 362 ; D. 1988, note S. KHERIG.
93
Cass. crim., 4 déc. 2018, n° 18-82.852, QPC
B. Une norme intelligible et accessible

« "Nul n’est censé ignorer la loi…" maxime aussi fausse que répandue. (…) jamais
un législateur ne l’a formulée»94. Compte tenu de la complexité du droit il est
illusoire de penser que cette maxime puisse renvoyer à une quelconque réalité.
Pourtant, elle est nécessaire à la discipline sociale. Les lois perdraient leur
effectivité s’il suffisait pour en contester l’application d’invoquer leur ignorance.
Mais cette présomption de connaissance de la loi n’est supportable que dans la
mesure où la norme est accessible et intelligible. A défaut, l’erreur de droit
devient excusable et empêche toute condamnation.

1 : La qualité de la norme

Une norme ne permet d’assurer la prévisibilité de la répression que dans la


mesure où elle est accessible et intelligible.

a. L’accessibilité de la norme

Pour que toute personne connaisse ses droits et obligations avant d’agir et la
sanction de leur violation, encore faut-il qu’elle puisse avoir accès aux règles. Il
est souvent dénoncé une profusion de textes rendant difficile la connaissance du
droit. Ainsi parle-t-on de « frénésie législative » ou encore de prolifération des
normes. Le droit pénal n’échappe pas à cette critique.
Formellement l’accessibilité de la règle est assurée par la publication et la
codification.

94
R. DESCOUST, L’erreur de droit, Th. Paris, 1917, p. 1 s.
I. La publication

Les règles sont en principe publiées sur support papier et/ou en ligne. La
publication sur support papier n’est pas systématique, mais l’ensemble des
textes est accessible sur legifrance.

Ainsi le droit de l’UE est publié au Journal officiel de l’Union européenne et


lorsqu’il est d’application directe en France il est aussi publié au Journal Officiel
de la République Française.
De même les lois et les décrets sont publiés au JORF, ainsi que certains arrêtés.
Les arrêtés qui ne sont pas publié au JORF le sont en principe au Bulletin Officiel
du ministère concerné.

Enfin, les arrêts les plus importants de la Cour de cassation sont publiés au
Bulletin de la Cour de cassation, et ceux du Conseil d’Etat au Recueil Lebon. Les
décisions du Conseil constitutionnel sont quant à elles publiées au JORF.

II. La codification

Un code a pour objet de réunir l’ensemble des textes applicables dans une
matière ordonnés selon un plan logique et fonctionnel. A cette fin il a pour but
de faciliter l’accessibilité à la règle.

Le Conseil constitutionnel a plusieurs fois affirmé depuis 1999 que l’intérêt


général qui s’attache à l’achèvement des codes est une finalité qui « répond (au
demeurant) à l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et
d’intelligibilité de la loi ; »95.

Le droit pénal a fait l’objet d’une première codification en 1791. Ce code se


caractérisait par le fait que pour un même fait infractionnel, il existait autant
d’incrimination que de circonstances possibles. Ainsi, vingt-huit articles étaient
consacrés au vol. Le lieu de commission de l’infraction était notamment pris en compte :
« dans un grand chemin, rue ou place publique » (article 3, section II, titre II), « dans des hôtels
garnis, auberges, cabarets, maisons de traiteurs, logeurs et bains publics » (article 15), « dans
un terrain clos et fermé, si ledit terrain tient immédiatement à une maison habitée » (article
25), « dans un terrain clos et fermé, si ledit terrain ne tient pas immédiatement à une maison
habitée » (article 26).
Lors de l’adoption du Code pénal de 1810, le degré souhaitable de précision des
incriminations était au centre des préoccupations. Lors de la séance du 25 février
1809 qu’il présidait, l’Empereur avait critiqué la rédaction de l’article 430 incriminant le délit
des fournisseurs aux armées, en estimant qu’il n’était « pas rédigé dans un style assez
dogmatique. On pourrait en une seule phrase exprimer avec plus de clarté et d’énergie
l’intention du législateur »96. Les conseillers d’État devaient trouver un équilibre

entre la nécessaire précision des incriminations et le risque d’exposés trop


descriptifs. Dès lors, par souci de concision, certaines qualifications ont été
retravaillées. Le vol a fait l’objet d’une seule incrimination à l’article 379 :
« Quiconque a soustrait frauduleusement une chose qui ne lui appartient pas est
coupable de vol », la peine prévue à l’article 381 était aggravée par diverses
circonstances aggravantes prévues aux articles 382 et 384.

95
« qu’en effet l’égalité devant la loi énoncée par l’art 6 de la DDHC et « la garantie des droits » requises par son
art 16 pourraient ne pas être effectives si les citoyens ne disposaient pas d’une connaissance suffisante des normes
qui leur sont applicables » Cons. const., 16 décembre 1999, n°99-421 DC, relative à la loi portant habilitation du
gouvernement à procéder par ordonnances à l’adoption de la partie législative de certains codes
96
P. LASCOUMES, P. PONCELA et P. LENOËL, Au nom de l’ordre, une histoire politique du Code pénal, ouv. préc.,
p. 246.
Cet effort de simplification a été confirmé lors de la réforme du Code pénal de
1992.

Le droit pénal contemporain souffre d’un défaut de codification. En effet, le Code


pénal ne regroupe que vingt pourcents des incriminations existantes. La plupart
des infractions sont définies dans d’autres codes à la suite des dispositions
extrapénales pénalement sanctionnées, voir ne sont pas codifiés du tout.
L’intention du législateur de 1992 était notamment de réunir l’ensemble des
textes pénaux dans le Code pénal. Ainsi, ce dernier comporte un livre 5 intitulé
des autres crimes et délits. Cependant, l’objectif n’a pas été atteint ce livre ne
regroupe que certaines infractions en matière de santé publique, plus
particulièrement les infractions en matière biomédicale, ainsi que les sévices
graves ou actes de cruauté envers les animaux.
Une commission parlementaire avait été réunie afin de dresser une liste des
incriminations existantes mais elle a finalement dû renoncer face à
l’impossibilité de remplir sa mission. En 2009, le Comité de réflexion sur la justice
pénale qui était également chargé de réfléchir à cette question a rendu son
rapport. Le rapport Léger ne s’est finalement pas attelé à cette tâche
considérable et préconise la mise en place d’une commission chargée de le faire
à temps plein.
Ce n’est pas le tout d’avoir accès à la norme, encore faut-il pouvoir la
comprendre.

b. L’intelligibilité de la norme

Parmi les exigences liées à la légalité matérielle, figure la nécessité de définir en


termes clairs et précis les éléments de l’incrimination afin que la répression soit
prévisible, permettant ainsi d’assurer la sécurité juridique des individus97. La
nécessité de définir en termes clairs et précis les éléments de l’incrimination a
une valeur constitutionnelle et supranationale. C’est pourquoi, la clarté et la
précision d’un texte pénal peuvent faire l’objet d’un contrôle par le juge
constitutionnel, par la Cour E.D.H. et par le juge pénal.

Sur le fondement de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du


citoyen, qui appartient au bloc de constitutionnalité, le juge constitutionnel, à
l’exclusion du juge pénal, peut contrôler la clarté et la précision d’une loi. Ainsi,
lorsqu’il fut saisi de la loi « sécurité et liberté », le juge constitutionnel a eu à se prononcer sur
ce point au sujet de l’incrimination de destruction ou de détérioration par des moyens divers
d’objets mobiliers et immobiliers, pour conclure notamment que les termes « "objets
mobiliers", "biens immobiliers" ne sont ni obscurs ni imprécis »98.
Aujourd’hui, la violation de l’article 8 de la DDHC par un texte d’incrimination est
fréquemment soulevé à l’appui d’une QPC.
Ainsi, par une décision QPC du 16 septembre 2011, le Conseil constitutionnel a
censuré la qualification d’inceste introduite dans le Code pénal par la loi no 2010-

97
F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, ouv. préc., n° 212 ; X. PIN, Droit pénal général, ouv.
préc., n° 54 s. ; F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, ouv. préc., n° 232 s. ; Y. MAYAUD, Droit
pénal général, ouv. préc., n° 22 et 31 s. ; B. BOULOC, Droit pénal général, ouv. préc., n° 123 s. ; J. PRADEL, Droit
pénal général, ouv. préc., n° 137 s. ; P. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit pénal général, ouv. préc., n° 99
et 222 ; R. MERLE et A. VITU, Droit pénal général, ouv. préc., n° 156 ; J.-H. ROBERT, Droit pénal général, ouv.
préc., p. 121 s. ; W. JEANDIDIER, Principe de légalité criminelle, Fasc. préc., n° 15 s. ; M.-L. RASSAT, Droit pénal
général, ouv. préc., n° 111.
98
Cons.const., 19-20 janvier 1981, préc.
121 du 8 février 2010. L'article 1er de la loi avait inséré dans le code pénal les
articles 222-31-1 (pour le viol et les agressions sexuelles) et 227-27-2 (pour les
atteintes sexuelles aux mineurs), aux termes desquels les viols, agressions et
atteintes sexuelles « sont qualifiés d'incestueux lorsqu'ils sont commis au sein de
la famille sur la personne d'un mineur par un ascendant, un frère, une sœur ou
par toute autre personne, y compris s'il s'agit d'un concubin d'un membre de la
famille, ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ». Le Conseil
constitutionnel censure ces dispositions au visa du principe de légalité des délits
et des peines aux motifs que : « s'il était loisible au législateur d'instituer une
qualification pénale particulière pour désigner les agissements sexuels
incestueux, il ne pouvait, sans méconnaître le principe de légalité des délits et des
peines, s'abstenir de désigner précisément les personnes qui doivent être
regardées, au sens de cette qualification, comme membres de la famille »
(consid. 4).
La LOI n°2018-703 du 3 août 2018 a modifié cette qualification à l’article 222-31-
1 du Code pénal en ces termes :
« Les viols et les agressions sexuelles sont qualifiés d'incestueux lorsqu'ils
sont commis par :
1° Un ascendant ;
2° Un frère, une sœur, un oncle, une tante, un neveu ou une nièce ;
3° Le conjoint, le concubin d'une des personnes mentionnées aux 1° et 2°
ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité avec l'une des personnes
mentionnées aux mêmes 1° et 2°, s'il a sur la victime une autorité de droit
ou de fait. »

Plus récemment, c’est le texte incriminant le harcèlement sexuel qui a été


abrogé car contraire au principe de légalité des délits et des peines. L’article 222-
33 du Code pénal incriminait « Le fait de harceler autrui dans le but d'obtenir des
faveurs de nature sexuelle ». Dans une décision du 4 mai 2012 le Conseil
constitutionnel a considéré que les éléments constitutifs du délit n’étaient pas
suffisamment définis99. Depuis, le délit a été réintroduit dans le Code pénal par
une loi du 6 août 2012 qui le définit avec plus de précision :
Art. 222-33 CP :

I. - Le harcèlement sexuel est le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou
comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère
dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.

II. - Est assimilé au harcèlement sexuel le fait, même non répété, d'user de toute forme de pression grave
dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de
l'auteur des faits ou au profit d'un tiers.

De même, sur le fondement de l’article 7 de la Convention européenne de


sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la Cour E.D.H.
peut exercer ce contrôle, tout en précisant que pour cette dernière
l’interprétation judiciaire des textes doit être prise en compte100. Ainsi, la Cour de
Strasbourg a eu à déterminer si la notion de « médicament », contenue dans une incrimination
du Code la Santé publique réprimant l’exercice illégal de la pharmacie, était ou non définie en
termes suffisamment clairs et précis pour décider finalement que « l’utilisation de la technique
législative des catégories laisse souvent des zones d’ombre aux frontières de la définition. A
eux seuls, ces doutes, à propos de cas limites, ne suffisent pas à rendre une disposition
incompatible avec l’article 7, pour autant que celle-ci se révèle suffisamment claire dans la
grande majorité des cas »101.

99
Cons. const., déc. 4 mai 2012, n° 2012-240 QPC : JurisData n° 2012-009007 ; Droit pénal n° 6, Juin 2012,
comm. 83, note M. Véron ; Didier GUÉRIN, Le harcèlement sexuel : une copie à refaire pour le législateur, Droit
pénal n° 6, Juin 2012, étude 12
100
C.E.D.H., 22 novembre 1995, S. W. et C. R. c./ Royaume-Uni, série A., vol. 335-B : J.C.P. 1996, I, 3910, n°
28, obs. F. SUDRE.
101
C.E.D.H., 15 novembre 1996, Cantoni c/ France : Rev.sc.crim. 1997, p. 462, obs. R. KOERING-JOULIN ; Dr.pén.
1997, Comm. 11, obs. J.-H. ROBERT.
Il est à noter une tendance actuelle des grandes cours (CEDH, CJUE, Cons. const.)
à considérer l’exigence de prévisibilité comme respectée dès lors que
l’interprétation jurisprudentielle est elle-même prévisible de sorte que la
prévisibilité de la répression ne résulte plus du seul texte102.
Etant donné l’effet direct attaché à la C.E.S.D.H., le juge pénal peut écarter une
incrimination au motif que la définition de l’infraction n’est pas suffisamment
claire et précise.
Ainsi, la Cour de cassation a approuvé une Cour d’appel d’avoir écarté l’incrimination de
l’article 38 al. 3 de la loi du 29 juillet 1881 réprimant la reproduction de tout ou partie des
circonstances d’un des crimes ou délits visés aux motifs que l’expression « circonstances »
était insuffisamment précise103.

Toutefois, malgré ce souci de faire des textes clairs et précis, une règle de droit
doit rester générale et abstraite. Il en résulte nécessairement des zones d’ombre
ce qui laisse un certain pouvoir d’interprétation au juge. Sur cette question la
CEDH a retenu :
« qu'en raison même du principe de généralité des lois, le libellé de celles-ci ne
peut présenter une précision absolue. L'une des techniques types de
réglementation consiste à recourir à des catégories générales plutôt qu'à des
listes exhaustives. Aussi de nombreuses lois se servent-elles par la force des
choses de formules plus ou moins floues, afin d'éviter une rigidité excessive et de
pouvoir s'adapter aux changements de situation. L'interprétation et l'application
de pareils textes dépendent de la pratique »104

102
Philippe CONTE, Principe de la légalité criminelle : quelques airs nouveaux sur des paroles
anciennes, Droit pénal n° 6, Juin 2020, étude 17
103
Cass.crim., 20 février 2001 : D. 2001, p. 3001 ; D. 2002, Somm. p. 1793.
104 CEDH, 24 mai 2007, Dragotoniu et Militaru-Pidhorni c/ Roumanie, Chron. de dt euro en matière pénale n°17,
par E. Dreyer, Dt. pén. 2008, n°4
Malgré la maxime selon laquelle nul n’est censé ignoré la loi, la répression ne
peut être légitime au regard des exigences conventionnelles et
constitutionnelles que dans la mesure où la norme est accessible et intelligible.
A défaut, le prévenu ou l’accusé ne saurait être condamné. Ce raisonnement
avait déjà conduit à l’admission de l’erreur de droit comme cause
d’irresponsabilité pénale.

2. L’erreur de droit : cause d’irresponsabilité pénale

Afin d’assurer une certaine discipline sociale la maxime nul n’est censé ignorer
la loi constitue une fiction indispensable. C’est pour cette raison que la
jurisprudence a refusé de retenir l’erreur de droit comme fait justificatif.
Cependant, avec la multiplication des textes cette fiction peut être source
d’injustice si l’individu n’était pas en mesure d’éviter une erreur sur le droit. C’est
pourquoi la Cour de cassation a fini par admettre l’erreur invincible.
Cette solution a été reprise à l’article 122-3 du Code pénal selon lequel « N'est
pas pénalement responsable la personne qui justifie avoir cru, par une erreur sur
le droit qu'elle n'était pas en mesure d'éviter, pouvoir légitimement accomplir
l'acte ».
Pour que l’erreur de droit soit retenue il faut donc qu’elle soit invincible et que
l’agent n’ait pas de doute sur la légitimité de son acte.
En outre, l’erreur doit s’apprécier au jour de l’infraction105.

a. Les conditions de l’erreur de droit

105
Cass. crim., 9 déc. 2020, n° 19-81.875, F-D Si l'article 122-3 du Code pénal impose implicitement que l'erreur
de droit précède l'acte accompli, la chambre criminelle ici l'affirme expressément (§ 14), en cassant un arrêt qui
avait curieusement cru pouvoir juger le contraire, dans le cas d'un prévenu prétendant avoir été conforté dans son
erreur, commise en 2010, par des autorisations officielles intervenues postérieurement à son acte, en 2012. Les
causes d'irresponsabilité pénale s'apprécient, ici comme ailleurs, « au moment des faits » (V. C. pén., art. 122-1)
Il est à noter que les juges du fond retiennent plus facilement l’erreur de droit
que la Cour de cassation. En effet, l’invincibilité de l’erreur de droit est appréciée
très strictement.
Ainsi, si l’agent a commis une erreur spontanément sans prendre le soin de se
renseigner au préalable l’erreur de droit sera le plus souvent exclue. Quelle que
soit par ailleurs les qualités de l’agent. Ainsi, le niveau d’instruction des individus
ou leur nationalité ne sont pas pris en considération pour apprécier l’invincibilité
de l’erreur.
L’erreur provoquée par l’administration, y compris par une l’interprétation
donnée par un ministre, ne constitue pas une justification dès lors que la prise
de renseignement auprès de personnes qualifiées aurait permis d’éviter l’erreur.
L’erreur sur la portée d’une décision de justice n’est pas exonératoire même si
elle résulte d’une interprétation donnée par un avocat, dès lors qu’il était
possible de saisir la juridiction compétente pour l’interpréter.
De même, l’erreur résultant d’une divergence de jurisprudence entre deux
chambres de la Cour de cassation n’a pas été jugée invincible par la Chambre
criminelle.

Finalement, la Chambre criminelle n’a admis que très rarement l’erreur de droit.
Ainsi a-t-elle admis l’erreur de droit résultant de l’application d’un accord
professionnel élaboré sous l’égide d’un médiateur désigné par le gouvernement
et faisant référence au Code du travail.
De même, la Chambre criminelle a admis la justification du délit de conduite sans
permis dès lors que l’erreur résultait d’une attestation remise au prévenu par un
agent de police judiciaire, agissant conformément aux instructions d’un vice-
Procureur de la République selon laquelle la situation administrative du prévenu
est parfaitement régulière malgré l’annulation de son permis de conduire
français, même si cette attestation a été remise par erreur.

b. La croyance dans la légitimité de l’acte

Non seulement l’erreur en tant que telle doit avoir été invincible, mais encore
l’agent doit avoir cru pouvoir légitimement accomplir l’acte.
Pour cette raison il est admis que l’erreur de droit puisse porter sur le caractère
délictueux des faits ou sur un fait justificatif, par exemple l’autorisation de la loi.
En revanche, dès lors que l’agent a eu un doute sur la légitimité de son acte il ne
peut invoquer valablement l’erreur de droit.
Par exemple, le moyen tiré d’une erreur sur le droit invoqué par le prévenu est
à bon droit rejeté par les juges d’appel qui retiennent que le doute dont il fait
état sur la portée réelle de la prohibition de la publicité en faveur du tabac ne
pouvait conduire un professionnel de bonne foi qu’à s’abstenir de participer à
une campagne publicitaire dont le comité national contre le tabagisme
dénonçait le caractère illicite.

Compte tenu des difficultés pour établir l’erreur de droit, il vaut mieux invoquer
l’absence d’intelligibilité d’un texte sur le fondement de l’article 7 de la CESDH.
En effet, dans cette dernière hypothèse le juge interne peut écarter un texte sans
que le justiciable n’ait à établir le caractère invincible de l’erreur. De même, pour
obtenir l’abrogation d’une loi une QPC pourra être soulevée pour le même motif.

La prévisibilité de la répression résulte de la préexistence d’un texte


d’incrimination et de sanction, accessible, intelligible et conforme à la norme
supérieure. En d’autres termes, le principe de légalité en son sens formel et
matériel a pour objet de garantir la sécurité juridique. Toutefois, cette sécurité
juridique ne peut être pleinement assurée que dans la mesure où tout individu
est en mesure de déterminer la loi qui lui est applicable dans le temps et dans
l’espace.

XXXX
Section 2 : Application temporelle et spatiale de la norme pénale

De façon générale, « toute situation devrait être régie par le droit en vigueur au
moment où elle s’est formée, par le droit en vigueur au lieu où elle s’est
formée »106. Il en résulte que la loi par principe applicable à l’infraction est celle
qui est en vigueur au jour et au lieu de sa survenance107. Il convient donc
d’envisager l’application de la loi pénale dans le temps (§1) puis l’application de
la loi pénale dans l’espace (§2).

§1. L’application de la loi pénale dans le temps

Le droit pénal transitoire a pour objet de régir l’application dans le temps des
lois pénales de fond et de forme. Les lois pénales de fond définissent les
éléments constitutifs de l’infraction, elles fixent les conditions de la
responsabilité pénale et elles déterminent les peines et leur régime. Les lois
pénales de forme ou de procédure régissent l’ensemble des opérations de la
constatation de l’infraction à l’exécution de la condamnation.
Les règles du droit pénal transitoire n’ont vocation à s’appliquer qu’en présence
d’un conflit de lois dans le temps.
Si l’existence d’un conflit de lois pénales dans tel temps est caractérisée de la
même façon pour les lois pénales de fond et de forme, leur résolution ne

106
P. LOUIS-LUCAS, « Traits distinctifs des conflits de lois dans le temps et des conflits de lois dans l’espace »,
Mél. P. ROUBIER, T. 1, 1961, p. 323 s.
107
Comme pour tout fait juridique. En ce sens : H. BATIFFOL, « Conflits de lois dans l’espace et conflits de lois
dans le temps », Etudes offertes à G. RIPERT, Le droit privé français au milieu du XXe siècle, T.1, L.G.D.J., 1950,
p. 292.
supposent pas la mise en œuvre les mêmes règles. Il convient donc d’aborder
successivement le conflit de lois pénales dans le temps (A), l’application dans le
temps des lois pénales de fond (B), puis l’application des lois pénales de forme
(C).

A. Le conflit de lois pénales dans le temps

Après avoir exposé les conditions d’existence d’un conflit de lois pénales dans le
temps, il conviendra d’aborder les difficultés d’application.

1. Les conditions d’existence d’un conflit de lois pénales dans le temps

Un conflit de lois pénales dans le temps ne peut être caractérisé que si une loi
nouvelle entre en vigueur après la commission des faits, avant tout jugement
définitif et pendant le délai de prescription l’action publique.
En effet, c’est à compter de son entrée en vigueur qu’une loi a force obligatoire.
Une loi entre en vigueur soit au jour qu’elle fixe, soit au lendemain de sa
publication au journal officiel de la République Française (art. 1 du C. civ. depuis
une ordonnance du 20 février 2004).
Par ailleurs, un jugement définitif est couvert par l’autorité de la chose jugée, et
le principe de sécurité juridique s’oppose à ce que la situation juridique
définitivement jugée soit remise en cause. Il en résulte que les faits
définitivement jugés sous l’empire de la loi ancienne ne peuvent faire l’objet
d’une nouvelle poursuite au regard d’une loi nouvelle.
Enfin, après l’expiration du délai de prescription de l’action publique, c’est-à-dire
le délai pendant lequel les faits peuvent être poursuivis à compter de leur
commission, les faits ne peuvent plus être soumis à un juge et la question de la
loi qui leur est applicable ne se pose donc pas.

2. Les difficultés d’application

En principe, le droit pénal transitoire n’est applicable que dans la mesure où un


conflit de lois pénales dans le temps peut être caractérisé. Chacune des
conditions d’un conflit de lois dans le temps pose toutefois une difficulté.
Pour déterminer si une loi est rétroactive ou non, il convient de la situer dans le
temps par rapport à l’infraction, or, la localisation temporelle de l’infraction est
parfois malaisée. Ensuite, si en principe il n’y a plus de conflit de lois pénales dans
le temps après le jugement définitif, l’exécution de la peine peut être affectée
par une loi nouvelle.

a. La localisation temporelle de l’infraction

La commission de l’infraction peut s’étendre plus ou moins dans le temps. En


raison du principe de légalité, il convient de se référer au texte d’incrimination
pour savoir si l’infraction a vocation à durer ce qui a conduit à dégager différents
types d’infraction.

D’une part, l’infraction peut se commettre en un trait de temps, c’est le cas des
infractions simples et instantanées. Par exemple, le vol définit comme la
soustraction frauduleuse de la chose d’autrui est une infraction qui est exécutée
et consommée au moment de la soustraction frauduleuse. La loi applicable est
alors celle qui est en vigueur au jour de l’infraction.
D’autre part, la commission de certaines infractions peut s’étendre dans le
temps.
Tout d’abord, pour les infractions matérielles, il faut non seulement une action
ou une omission mais également la survenance d’un résultat. Tel est le cas de
l’homicide involontaire qui n’est consommé qu’avec la mort de la victime.
Ensuite, certaines infractions supposent pour être consommées que l’agent
accomplisse plusieurs actes de même nature. Par exemple, l’exercice illégal de
la médecine est un délit qui n’est consommé qu’à partir du deuxième acte de
diagnostic illicite. Il s’agit alors d’une infraction d’habitude.
Dans le même ordre d’idées, une infraction complexe n’est consommée que par
l’accomplissement de plusieurs actes de nature différente. Par exemple, le délit
d’escroquerie est caractérisé par des manœuvres frauduleuses qui doivent avoir
conduit à une remise de fonds ou d’un bien quelconque.
Enfin, les infractions continues se consomment par un acte qui a vocation à se
prolonger dans le temps. Par exemple, le délit de recel est le fait notamment de
détenir une chose qui provient d’un crime ou d’un délit. Par conséquent il dure
aussi longtemps que la détention matérielle de la chose a lieu.

Dans ces différentes hypothèses où la commission de l’infraction se prolonge


dans le temps, une loi nouvelle peut entrer en vigueur entre le commencement
d’exécution et la consommation définitive de l’infraction. Le principe de non-
rétroactivité des lois pénales est un corollaire du principe de légalité, l’individu
doit savoir ce qu’il encourt avant d’agir. Dès lors qu’il peut cesser l’exécution de
l’infraction au moment de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, cette dernière
lui est applicable s’il persiste dans son comportement infractionnel108. Par

108
En ce sens : R. MERLE et A. VITU, Droit pénal général, ouv.préc., n° 264 s. ; F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC,
Droit pénal général, ouv.préc., n° 327. Contra : P. ROUBIER, ouv.préc., n° 91 ; A. TSARPALAS, Le moment et la
exemple, si entre deux actes de diagnostics illicites, une loi nouvelle aggrave la
répression du délit d’exercice illégal de la médecine, elle sera applicable au
délinquant sans qu’il y ait de conflit de lois dans le temps. En effet, après l’entrée
en vigueur de la loi nouvelle le délinquant pouvait renoncer à son projet criminel.
En d’autres termes, dès lors que le délinquant agit après l’entrée en vigueur de
la loi, c’est-à-dire en connaissance de l’aggravation de la répression, la loi
nouvelle lui est applicable peu importe que l’infraction ait commencé à être
exécutée sous l’empire de la loi ancienne.
En ce sens la Cour EDH n’a pas censuré l’application de la loi Tchèque relative à
la répression de violences conjugales successives alors qu’une partie des faits
avait été commise avant l’entrée en vigueur de cette loi et s’était poursuivie
postérieurement à cette entrée en vigueur. La Cour a considéré que « en
persistant dans ses agissements après le 1er juin 2004, date d'introduction dans
le code pénal de l'infraction de maltraitance sur personne habitant sous le même
toit, le requérant pouvait et devait s'attendre, le cas échéant après s'être
entouré de conseils juridiques adéquats, à être jugé pour une infraction
continuée, appréciée à l'aune de la disposition légale en vigueur à la date de sa
dernière manifestation » (CEDH, gr. ch., 27 janv. 2015, n° 59552/08, § 63 :
JurisData n° 2015-003716 ; RSC 2015, p. 161, obs. D. Roets).

Il résulte également de ce principe, que la loi nouvelle est applicable aux


infractions commises après son entrée en vigueur même si la condition préalable
est antérieure. En effet, la condition préalable, qui définit le contexte dans lequel

durée des infractions pénales, Th. Paris, 1967, n° 52. Pour ces auteurs, tous les éléments constitutifs de l’infraction
doivent être réunis sous l’empire de la loi nouvelle.
l’infraction peut se commettre ; est en principe antérieure à l’exécution de
l’infraction.
Ainsi, la Chambre criminelle a retenu cette solution dans un arrêt du 22 juin
2004, au sujet de l’application dans le temps des « dispositions de la loi du 15
novembre 2001 (art. 706-56 du C.p.p.) réprimant le refus, par une personne
définitivement condamnée pour une des infractions visées à l’article 706-55 du
Code de procédure pénale, de se soumettre à un prélèvement biologique destiné
à permettre l’analyse d’identification de son empreinte génétique s’appliquent
également aux personnes dont la condamnation est antérieure à la loi
précitée »109. Dès lors que le refus de prélèvement biologique est postérieur à
l’entrée en vigueur de la loi, l’infraction est caractérisée même si la
condamnation justifiant ce prélèvement est antérieure. Cette solution doit être
approuvée. En effet, si la loi nouvelle ne peut pas s’appliquer à un refus antérieur
à son entrée en vigueur, en revanche la condamnation définitive antérieure
caractérisant la condition préalable ne fait pas obstacle à l’application immédiate
de la loi à tous les refus postérieurs à son entrée en vigueur.

De même, le même raisonnement est applicable pour la récidive. La récidive


suppose la réunion de 2 termes : le 1er : une condamnation définitive ; 2ème
terme : une nouvelle infraction. Si une loi nouvelle aggravant le régime de la
récidive entre en vigueur après la condamnation mais avant la nouvelle
infraction, elle s’appliquera immédiatement dès lors que le délinquant pouvait
renoncer à récidiver après l’entrée en vigueur de la loi110. Dans l’affaire Achour
contre France, une section de la Cour EDH a d’abord condamné ce raisonnement
sur le fondement de l’article 7, puis la Grande Chambre a considéré que dans

109
Cass.crim., 22 juin 2004 : Bull.crim. n° 164 ; D. 2005, Pan. p. 543, obs. J.-C. GALLOUX et H. GAUMONT-PRAT ;
D. 2005, Pan. p. 1521, obs. G. ROUJOU DE BOUBEE ; Cass.crim., 28 septembre 2005 : Bull.crim. n° 245.
110
En ce sens Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 24 mars 2015, 15-80.023, Publié au bulletin
une telle hypothèse, dès lors que la seconde infraction était commise après
l’entrée en vigueur de la loi, la répression est prévisible111 .

Pour caractériser un conflit de lois pénales dans le temps, la loi nouvelle doit
entrer en vigueur après la commission de l’infraction et avant tout jugement
définitif. En principe, en dehors de ces bornes temporelles, il n’y a pas de conflit
de lois pénales dans le temps. Pourtant, il existe un cas où l’entrée en vigueur
d’une loi nouvelle après un jugement définitif aura une incidence sur la
condamnation.

b. La prise en compte d’une loi nouvelle postérieure au jugement définitif

Le deuxième alinéa de l’article 112-4 du CP dispose que : « la peine cesse de


recevoir exécution quand elle est prononcée pour un fait qui, en vertu d’une loi
postérieure au jugement, n’a plus le caractère d’une infraction pénale ».
La même solution a été étendue au cas où le texte ayant servi de fondement
pour la prononcer a fait l'objet d'une réserve par le Conseil constitutionnel112.
Cette disposition ne permet pas une remise en cause de ce qui a été
définitivement jugé. En effet, la déclaration de culpabilité et la condamnation
sont maintenues. Seule l’exécution de la peine pour l’avenir est remise en cause,
pour des raisons d’humanité. En effet, si la loi ne considère plus le fait comme
infractionnel, l’exécution de la peine cesse de se justifier.

Toutefois, il en va autrement si les faits entrent sous une autre qualification


pénale. Par exemple, la Chambre criminelle a refusé de faire application de ces

111
CEDH, Grde. Ch., 29 mars 2006, Achour c/ France
112
Cass. crim., 9 nov. 2021, n° 20-87.078, B
dispositions dans une affaire où le condamné pour abus de blanc-seing invoquait
la suppression de cette incrimination par le nouveau Code pénal. Elle considéra
que les faits étaient également constitutifs d’un faux en écriture113.

B. L’application dans le temps des lois pénales de fond

Les lois pénales de fond définissent les éléments constitutifs de l’infraction, elles
fixent les conditions de la responsabilité pénale et elles déterminent les peines
et leur régime. L’application dans le temps de ces lois est gouvernée par deux
principes fondamentaux dont la mise en œuvre soulève parfois des difficultés.

1. Les principes du droit pénal transitoire de fond

Une personne ne peut savoir ce qu’elle encourt avant d’agir qu’au regard de la
loi en vigueur au moment des faits. Cette loi est donc par principe compétente
pour régir l’infraction114. Il en résulte qu’une loi postérieure aux faits est
inapplicable, c’est le principe de non rétroactivité des lois pénales corolaire du
principe de légalité. Le principe de la non-rétroactivité des lois est consacré dans
toutes les disciplines juridiques de droit privé115 ou de droit public116. En droit
pénal le principe de non rétroactivité de la loi a valeur constitutionnelle, supra
légale et légale.
En effet, il est consacré dans différentes conventions internationales :

113
Cass. Crim., 20 juin 1996: Bull. Crim. n°269.
114
R. BERAUD, « La non-rétroactivité des lois nouvelles plus douces ? », Rev.sc.crim. 1949, p. 7 s. ; P. LEVEL,
Essai sur les conflits de lois dans le temps, contribution à la théorie générale du droit transitoire, Th. Paris, 1959,
n° 175 ; G. ROUJOU DE BOUBEE, B. BOULOC, J. FRANCILLON, et Y. MAYAUD, Code pénal commenté, Dalloz, 1996,
p. 8 ; J. PRADEL et A. VARINARD, Les grands arrêts du droit pénal général, n° 9 ; G. LEVASSEUR, « Opinions
hétérodoxes sur les conflits de lois répressives dans le temps », Mélanges en hommage à Jean CONSTANT, Faculté
de droit de Liège, 1971, n° 8. En ce sens : M.-L. RASSAT, Droit pénal général, ouv.préc., n° 160 ; B. BOULOC,
Droit pénal général, ouv. préc., n° 150. Ces derniers auteurs considèrent que le principe de la non-rétroactivité de
la loi pénale est la règle et que celui de la rétroactivité in mitius est l’exception.
115
Cf. article 2 du Code civil.
116
O. DUPEYROUX, La règle de la non-rétroactivité des actes administratifs, Th. Toulouse, 1954 ; A. DECOCQ,
Droit pénal général, ouv.préc., p. 73.
- article 11 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme
adoptée par l’assemblée générale des Nations Unies (10 décembre
1948),
- article 7 de la C.E.S.D.H. (C.E.D.H., 25 mai 1993, Kokikinakis c/
Grèce : ppe de non rétroactivité de la loi pénale fondé sur l’art. 7 de
la CEDH consacrant le principe de légalité). ;
- article 15 §1 du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques ;
- article 49 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union
Européenne
Au niveau Constitutionnel le principe de non rétroactivité de la loi pénale
résulte des termes même de l’article 8 DDHC (nul ne peut être puni qu'en vertu
d'une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement
appliquée.)

Enfin ce principe est énoncé à l’article 112-1 du Code pénal (Sont seuls
punissables les faits constitutifs d'une infraction à la date à laquelle ils ont été commis. Peuvent
seules être prononcées les peines légalement applicables à la même date.).

Cependant, contrairement aux autres disciplines juridiques, en droit pénal,


une loi ne peut pas rétroagir pour un impérieux motif d’intérêt général. La seule
exception au principe de non rétroactivité de la loi pénale est celle qui résulte du
principe de la rétroactivité in mitius. Selon ce principe, la loi pénale plus douce
doit s’appliquer aux faits commis avant son entrée en vigueur. Ce principe est
justifié par l’idée de faveur accordée au prévenu pour des raisons d’humanité. Il
est visé à l’article 112-1 du Code pénal (Toutefois, les dispositions nouvelles s'appliquent
aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n'ayant pas donné lieu à une
condamnation passée en force de chose jugée lorsqu'elles sont moins sévères que les
dispositions anciennes.)
Le premier texte à valeur supra législative a avoir reconnu expressément le
principe de la rétroactivité in mitius est l’article 15 §1 du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques (16/12/1966).
Par ailleurs, le principe de la rétroactivité in mitius n’a pas été énoncé dans
l’article 7 de la C.E.S.D.H. et la Cour E.D.H. ne l’a consacré expressément que
dans un arrêt du 17 septembre 2009, Scoppola c/ Italie .
La Cour de justice des Communautés européennes adoptait la même position
que la Cour E.D.H.117, à savoir que le requérant ne saurait justifier d’un grief
résultant de l’application rétroactive de la loi pénale plus douce, puis la CJCE a
reconnu ce principe au titre des principes généraux du droit communautaire118,
lequel a été finalement consacré à l’article 49 de la Charte des Droits
fondamentaux de l’Union Européenne, entré en vigueur avec le traité de
Lisbonne le 1er décembre 2009.
De même, alors que ce principe n’est pas énoncé expressément dans un texte à
valeur constitutionnelle, le Conseil constitutionnel lui a reconnu une telle valeur
dans sa décision des 19 et 20 janvier 1981119.

La lecture combinée de ces deux principes conduit à toujours appliquer la loi la


plus douce.

Au regard de ces deux principes du droit pénal transitoire, toute la question est
de savoir ce qu’est une loi plus sévère ou plus douce.

117
C.J.C.E., 29 octobre 1998, C 230/97, Ibiynka Awoyemi, Rec. CJCE p.I-6781.
118
C.J.C.E., 3 mai 2005, Berlusconi et autres, préc.. Voir sur ce point not. : M. JAEGER, « Les rapports entre le
droit communautaire et le droit pénal : l’institution d’une communauté de droit », art. préc. ; L. IDOT, « Droit de
la Communauté et de l’Union européenne », Rev.sc.crim. 2004, Chron. p. 712 s. : « Le principe de l’application
rétroactive de la peine la plus légère fait partie des principes généraux du droit communautaire que le juge national
doit respecter lorsqu’il applique le droit national adopté pour mettre en œuvre le droit communautaire ».
119
Cons.const. 19 et 20 janvier 1981 : D. 1982, p. 441
Est plus sévère une loi nouvelle qui institue une nouvelle incrimination120, ou
qui transforme un délit en un crime121 ou une contravention en délit122, ou qui
aggrave les pénalités123, ou qui institue une nouvelle circonstance
aggravante124, ou qui supprime une immunité125, ou qui élargit le domaine
d’application d’une incrimination préexistante126, ou le domaine de la
responsabilité pénale127, ou qui rend conforme aux exigences de la CEDH une
incrimination pénale préexistante128.
En revanche, sont plus douces les lois instituant des mesures inverses129.
Autres exemples :
- Protection pénale du lanceur d'alerte : application rétroactive de
l'article 122-9 du Code pénal (nouveau FJ)130 :
- Doit être appliquée immédiatement aux affaires en cours la loi du
10 septembre 2018 qui élargit les immunités prévues par l'article

120
Par exemple : la loi du 2 août 1961 relative à la lutte contre les pollutions atmosphériques (Cass.crim., 8
décembre 1965 : Bull.crim. n° 267) ; la création de l’incrimination de crime contre l’humanité dans le Code pénal :
Cass.crim., 17 juin 2003 : Dr.pén. 2003, comm. 96, obs. M. VERON ; J.C.P. éd. G. 2003, II, 10146, note J.-F.
ROULOT.
121
Cass.crim., 29 juin 1960 : Bull.crim. n° 348.
122
Cass.crim., 21 février 1996 : Bull.crim. n° 85.
123
Cass.crim., 12 janvier 1994 : Bull.crim. n° 19.
124
Par exemple : la loi du 23 décembre 1980 qui institue la circonstance aggravante de menace d’une arme pour
le viol : Cass.crim., 2 juin 1981 : Bull.crim. n° 184 ; Rev.sc.crim. 1982, 789, obs. G. LEVASSEUR.
125
Cass. crim., 14 nov. 2007, n° 07-82.527, FS-P+F : Juris-Data n° 2007-041893: La loi qui exclut du bénéfice de
l'immunité familiale les soustractions commises par des alliés au même degré constitue une loi pénale plus
sévère et n'est donc pas applicable aux faits commis antérieurement
126
Cass.crim., 15 avril 1986 : Bull.crim. n° 128.
127
Cass. crim., 19 juin 2007, n° 06-85.490, F-P+F : Juris-Data n° 2007-039956: Une loi pénale étendant une
incrimination à une nouvelle catégorie de prévenus ne peut s'appliquer à des faits commis avant son entrée en
vigueur. (RpT des PM élargie par L 9 mars 2004 : abandon du principe de spécialité)
128
Cass. crim., 8 déc. 2021, n° 20-84.201, F-B
129
Pour des exemples : cf. R. MERLE et A. VITU, Droit pénal général, ouv.préc., n° 257 ; W. JEANDIDIER,
« Application de la loi pénale dans le temps », Fasc.préc., n° 38. M.-L. RASSAT, ouv. préc., n° 164 ; F. DESPORTES
et F .LE GUNEHEC, Droit pénal général, ouv. préc., n° 345. Pour un exemple récent : la loi du 10 juillet 2000
« tendant à préciser la définition des délits non-intentionnels » est une loi contenant des dispositions plus douces
qui doit être appliquée aux faits commis avant son entrée en vigueur et non définitivement jugés : Cass.crim., 5
septembre 2000 : J.C.P. G. 2001, II, 10507, note J.-Y. CHEVALIER ; Dr.pén. 2000, comm. n° 135, obs. M. VERON ;
Cass.crim., 12 décembre 2000 : Bull.crim. n° 371 ; Cass.crim., 10 janvier 2001 : Bull.crim. n° 3 : La loi qui crée
d’un nouveau cas d’autorisation de la loi pour justifier le stationnement prolongé des conducteurs handicapés est
immédiatement applicable ; elle écarte la prévention contraventionnelle de stationnement abusif : Cass. crim., 12
juill. 2016, n° 16-80.001, P+B
130
Cass. crim., 17 oct. 2018, n° 17-80.485, D : JurisData n° 2018-019326
L. 622-4, 3° du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du
droit d'asile.131
- L'article 222-31-1 qui définit l'inceste ne modifie pas les éléments
constitutifs des infractions de viol et d'agression sexuelle ni les
peines encourues, et, en conséquence, ne tombe pas sous le coup
du principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère.132

En droit interne, le caractère plus doux ou plus sévère d’une loi nouvelle doit
s’apprécier in abstracto133, c’est-à-dire au regard du seul contenu des textes
sans prendre en considération les circonstances de l’espèce ni la situation
concrète de la personne poursuivie. Une telle appréciation permet de garantir
que l’application dans le temps de la loi nouvelle sera la même pour tous
conformément au principe d’égalité devant la loi pénale.
Toutefois, cette solution semble être remise en cause par un avis de la CEDH aux
termes duquel :
« 92. La Cour est donc d'avis que pour établir si, aux fins de l'article 7 de la
Convention, une loi adoptée après la commission présumée d'une infraction est
plus ou moins favorable à l'accusé que la loi qui était en vigueur au moment des
faits allégués, il convient de tenir compte des circonstances particulières de
l'espèce (principe de concrétisation). »134

L’application combinée du principe de non rétroactivité de la loi pénale et du


principe de la rétroactivité in mitius conduit à toujours déclarer applicable la loi
pénale la plus douce, y compris en cas de plusieurs lois pénales successives : ex :

131
Cass. crim., 12 déc. 2018, n° 17-85.736, P+B+I : JurisData n° 2018-022708
132
Cass. crim., 20 juin 2018, n° 17-86.423 QPC : JurisData n° 2018-016144
133
A. GROUBER, Th. préc., n° 114. M.-L. RASSAT, Droit pénal général, ouv.préc., n° 162.
134
CEDH, gr. ch., 29 mai 2020, avis consult., n° P16-2019-001 : JurisData n° 2020-007751
si les faits sont commis sous l’empire d’une 1ère loi, suivie d’une deuxième plus
douce et d’une troisième plus sévère135.

Ex :
En cas de conflit entre plusieurs lois pénales de fond successives, lorsqu'une
infraction a été commise sous l'empire d'une première loi, dont des dispositions
ont ensuite été abrogées, ce qui a eu pour effet de la rendre inapplicable aux
faits, la deuxième loi étant elle-même remplacée par une troisième réprimant
les faits objet de la poursuite, le principe de non-rétroactivité de la loi pénale
implique que les faits ne puissent plus être poursuivis; il résulte de l'arrêt attaqué
et des pièces de procédure que M. X... a été cité directement devant le tribunal
correctionnel par son épouse, du chef d'abandon de famille commis de déc.
2008 à nov. 2009; pour déclarer le prévenu coupable et prononcer sur la peine,
l'arrêt énonce que, condamné par l'ordonnance de non-conciliation du 10 nov.
2008 à payer une pension alimentaire à son épouse, M. X... s'en est abstenu, en
tout ou en partie, pendant la période de prévention, mais que ces faits ne sont
punissables que jusqu'au 13 mai 2009, en application de l'art. 113 de la L. du 12
mai 2009, parue au JO le 13 mai 2009, laquelle a supprimé les références
anciennes du livre Ier du C. civ. pour les remplacer par la seule référence au titre
IX du livre Ier du même code, lequel ne concerne que l'autorité parentale; mais
en statuant ainsi, alors que l'art. 113-III de la L. du 12 mai 2009, abrogeant des
dispositions de l'art. 227-3 C. pén., a eu pour effet d'enlever leur caractère
d'infraction, dans leur totalité, aux faits objet des poursuites, sans que la loi du
17 mai 2011, modifiant la précédente et incriminant à nouveau les faits
concernés, puisse davantage leur être appliquée rétroactivement, la cour
d'appel a méconnu le sens et la portée de l'art. 112-1 C. pén. et de l'art. 227-3,

135
Cass. crim., 14 juin 2017, n° 16-81.926, D
al. 1er, du même code, tant dans sa rédaction issue de l'art. 133-III de la L. du 12
mai 2009 que dans la rédaction issue de l'art. 151 de la L. du 17 mai 2011 et du
principe ci-dessus rappelé136

Si la solution paraît simple, un certain nombre de difficultés se rencontrent


néanmoins.

2. Les difficultés d’application des principes

La première difficulté consiste à vérifier qu’il s’agit bien d’une loi pénale. Ensuite,
le caractère plus doux ou plus sévère de la loi pénale nouvelle ne s’impose pas
toujours.

a. Une loi pénale nouvelle

En raison du principe de légalité entendu dans son sens formel, le droit pénal
transitoire n’est en principe applicable qu’à un conflit dans le temps de textes.
Le principe d’interprétation stricte exclu théoriquement la possibilité pour la
jurisprudence d’être source de droit pénal. Ce qui explique la position de la
Chambre criminelle dans un arrêt du 30 janvier 2002137 dans lequel elle refusa
de faire application du principe de non rétroactivité des lois à une simple
interprétation jurisprudentielle. Cependant, dans un arrêt du 10 octobre 2006,
Pessino c/ France138, la Cour EDH a retenu qu’une sanction pénale basée sur un

136
Crim. 23 mai 2012, no 11-83.901 P: D. actu. 3 juill. 2012, obs. Priou-Alibert; D. 2012. 2368, note Benillouche ;
dans le même sens au sujet du harcèlement sexuel : Cass. crim., 16 nov. 2016, n° 16-82.377, P+B+I
137
Crim, 30 janvier 2002 : Dt pén. 2002, Comm. 43
Nouvelle interprétation d’un texte qui conduit à une solution plus sévère.
Moyen du pourvoi : principe de non rétroactivité de la loi pénale plus sévère applicable à une interprétation
jurisprudentielle au regard de la jurisprudence de la CADH.
Cass. « En l’absence de modification de la loi pénale, et dès lors que le principe de non rétroactivité ne
s’applique pas à une simple interprétation jurisprudentielle. »
138
JCP G 2007, II 10 092
revirement de jurisprudence imprévisible, est contraire à l’article 7 de la CEDH
qui prohibe la rétroactivité de la loi pénale. Par conséquent, les règles du droit
pénal transitoire sont non seulement applicables aux textes pénaux mais
également aux revirements de jurisprudence139. Elle a réitéré cette solution
dans un arrêt du 10 juillet 2012140.
Dans un arrêt récent, la Chambre criminelle fait application de cette
jurisprudence mais refuse toutefois de censurer un arrêt appliquant
rétroactivement une interprétation jurisprudentielle étendant l’application de la
qualification d’abus de confiance au détournement du temps de travail141 aux
motifs que celle-ci était prévisible. Dans un autre arrêt, elle module dans le
temps une interprétation jurisprudentielle nouvelle en excluant son application
à des faits antérieurs142.

Concernant les textes proprement dit la difficulté est d’identifier les textes
pénaux. En effet, les règles du droit pénal transitoire régissent exclusivement la
norme pénale. Seules sont des normes pénales les normes d’incrimination et de
sanction. En revanche, le principe de la rétroactivité in mitius est inapplicable à
la loi définissant la condition préalable. En effet, le plus souvent cette dernière
est une situation juridique licite définie par une norme extrapénale. Ainsi, le droit
de propriété, condition préalable des infractions portant atteinte aux biens telles
que le vol ou l’abus de confiance, est défini par les règles civiles.
La question de l’application ou non du droit pénal transitoire aux lois définissant
la condition préalable a été principalement débattue en doctrine au sujet de

139
CA Toulouse, ch. corr., 13 nov. 2007, JCP G n° 24, 11 Juin 2008, II 10114, O. Mouysset
140
CEDH, 3e sect., 10 juill. 2012, n° 42750/09, Del R. P. c/ Espagne, § 58 : JurisData n° 2012-033725)
141
Cass. crim., 30 juin 2021, 20-81.570, Publié au bulletin : « , l'arrêt attaqué n'encourt pas la censure, dès lors que
l'arrêt du 19 juin 2013 de la Cour de cassation (pourvoi n°12-83.031), invoqué par le demandeur, a seulement
précisé les contours de l'infraction d'abus de confiance d'une manière qui était prévisible au sens de la jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l'homme, la Cour de cassation s'étant, par plusieurs arrêts antérieurs, engagée
dans le sens d'une conception dématérialisée de l'objet détourné »
142
Cass. Crim. 25 novembre 2020, n°18-86.955 FP-P+B+I
l’application dans le temps des lois de circonstances143 ou lois
« contingentes »144. Ces lois sont considérées comme temporaires par nature,
en raison de leur objet qui touche à des domaines conjoncturels : il s’agit des
domaines économique, cambiaire, fiscal, et douanier. « Mobilité, minutie,
technicité, voilà les caractères de ces matières »145.
La question de l’application dans le temps des lois de circonstances a souvent
été considérée comme une exception aux règles du droit pénal général146. La
Chambre criminelle refuse systématiquement d’appliquer le principe de
rétroactivité in mitius à ces lois extrapénales.
Par exemple, dans un arrêt du 16 mars 2010, elle a retenu que le refus du repos
dominical reste incriminé après les assouplissements du régime d'autorisation
d'ouverture des magasins par loi du 10 août 2009. Les contraventions commises
avant son entrée en vigueur peuvent donc être sanctionnées même si les
dispositions nouvelles auraient pu faire obstacle à la condamnation.147
Contra ?
Cass. crim., 11 mars 2020, n° 19-81.541, P+B+I
La reconnaissance du statut de réfugié par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a un effet rétroactif à
compter de l'arrivée en France de l'étranger bénéficiaire. Les arrêtés de reconduite à la frontière antérieurs à cette décision
ne peuvent pas être exécutés. L'étranger qui s'y est soustrait avant la décision ne peut pas être condamné pour ce motif

Par ailleurs, la primauté du droit communautaire, devenu droit de l’Union


européenne, conduisait également à faire application du droit pénal transitoire
à des dispositions européennes extra-pénales. Selon la C.J.C.E., la conséquence

143
Ces lois réglementent une situation provisoire qui cessera un jour qui n’est pas nettement déterminé. Les lois
temporaires au contraire ont un terme déterminé ou déterminable à l’avance.
144
M.-L. RASSAT, Droit pénal général, ouv.préc., n° 168.
145
J. BORRICAND, « La non-rétroactivité des textes réglementaires en matière économique ou fiscale », préc.
146
Sur le caractère exceptionnel : M.-L. RASSAT, Droit pénal général, ouv.préc., n° 168 ; J.-H. ROBERT, Droit
pénal général, ouv.préc., p. 160 ; J. PRADEL et A. VARINARD, Les grands arrêts du droit pénal général, ouv.préc.,
n° 12.
147
Pour une autre illustration : Cass. crim., 7 déc. 2021, n° 21-81.423, F-D : l'absence ou l'insuffisance de paiement
d'une redevance de stationnement constatée avant le 1er janvier 2018 reste punie de l'amende prévue pour les
contraventions de la première classe, en application de l'article R. 417-6 du Code de la route
de l’effet direct des règlements est que « tout règlement s’insère ainsi
automatiquement dans l’ordre juridique des Etats membres et y abroge les
dispositions de droit national contraires »148. Dès lors qu’un règlement
communautaire abroge une incrimination, la Chambre criminelle a fini par
reconnaître que la rétroactivité in mitius leur était applicable149.
Toutefois des arrêts récents ont remis en question la systématicité de cette
solution jurisprudentielle :
Le principe de l'application rétroactive de la peine plus légère ne fait pas obstacle
à ce que soient poursuivis et sanctionnés les délits d'emploi non autorisé de
travailleurs étrangers et d'aide à leur séjour irrégulier, commis à l'égard de
ressortissants roumains alors que tous les éléments constitutifs de ces délits ont
été réunis antérieurement au 1er janvier 2014, date de la levée de la totalité des
restrictions à l'accès au marché du travail pour les ressortissants de la Roumanie,
laquelle constitue une situation de fait, étrangère auxdits éléments constitutifs
de ces infractions150.
Selon la même logique et après réponse de la CJUE sur question préjudicielle, la
Chambre criminelle a retenu que
La modification, dans un sens plus favorable au justiciable, des règlements de
l'Union européenne, ne doit pas être appliquée rétroactivement lorsque cette
modification est inspirée par des considérations économiques et que le texte légal
de pénalité est inchangé151.

148
C.J.C.E., 14 décembre 1971, Rec. 1971, p. 1039, concl. A. DUTHEILLET DE LAMOTHE.
149
Cass.crim., 12 décembre 1996, préc. ; Cass.crim., 26 mars 1998, préc. ; Cass.crim., 18 mai 1998 : Dr.pén. 1998,
Comm. 134, obs. J.-H. ROBERT.
150
Cass. crim., 7 juin 2017, n° 15-87.214, P+B Cf : CJUE, C-218/ 15 du 6 octobre 2016 : La Cour refuse
d'appliquer le principe de rétroactivité de la loi la plus douce à un trafic de main-d'œuvre commis par des
ressortissants italiens avant l'adhésion de la Roumanie à l'UE
CJUE, 2e ch., 6 oct. 2016, aff. C-218/15, Paoletti et a
Dans le même sens : Cass. crim., 12 déc. 2017, n° 16-87.230, P+B
151
Cass. crim., 16 janv. 2019, n° 15-82.333, P+B : JurisData n° 2019-000380
Il en résulte qu’il s’agisse de dispositions nationales ou européennes, le principe
de la rétroactivité in mitius n’a pas vocation à s’appliquer aux dispositions extra
pénales définissant la condition préalable de l’infraction, si le texte
d’incrimination et de pénalité n’est pas modifié.

Enfin, l’article 112-2 3° du Code pénal conduit à appliquer les principes du droit
pénal transitoire aux lois relatives au régime d’exécution et d’application des
peines. Les modalités d’exécution d’une peine sont déterminées par le juge de
jugement au moment de son prononcé de la sanction conformément aux
dispositions du Code pénal. Par exemple, la peine d’emprisonnement peut
recevoir des modalités d’exécution différente. Elle peut être ferme, ou assortie
d’un sursis. Les modalités d’application des peines sont quant à elles
déterminées par les juridictions d’application des peines conformément aux
règles de procédures pénales. Par exemple, malgré une condamnation à une

[...] Vu l'article 112-1 du code pénal, l'article 49 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne tel
qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 7 août 2018, X... e.a., (aff. n° C-
115/17) et les articles 414 et 426, 4°, du code des douanes ;

La CJUE avait été saisie sur question préjudicielle suivi d’un arrêt de la Crim saisissant la CJUE de la question :
Cass. crim., 23 nov. 2016, n° 15-82.333, FS-P+B Avant la question l’Ass Plénière a écarté la rétroactivité in
mmitius: Cass. ass. plén., 18 nov. 2016, n° 15-21.438, P+B+R+I ; dans le même sens : Cass. crim., 16 janv. 2019,
n° 15-82.333, P+B ; pour une autre illustration : Cass. crim., 14 avr. 2021, n° 20-82.529, F-P+I : Un Britannique,
condamné par deux fois pour trafic de stupéfiants, une première fois à Oldham en 2004 puis à Manchester en 2011,
était poursuivi en France devant un tribunal correctionnel pour détention et importation de stupéfiants, notamment,
en récidive. Il forma un pourvoi contre sa condamnation confirmée en appel par lequel il rejetait l'état de récidive,
l'accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord de l'Union européenne et de la
Communauté européenne de l'énergie atomique, dont les dispositions transitoires doivent être interprétées à la
lumière de l'article 49 de la Charte des droits fondamentaux, rendait, selon lui, inapplicable l'article 132-23-1 du
Code pénal (aux termes duquel les condamnations pénales prononcées par les juridictions des États membres de
l'Union Européenne sont prises en compte dans les mêmes conditions que les condamnations prononcées par les
juridictions pénales françaises et produisent les mêmes effets). La Cour de cassation rejette son pourvoi dans la
mesure où selon l'accord de retrait, pendant la période de transition, toute référence aux États membres dans le
droit de l'Union applicable en vertu du paragraphe 1, y compris dans sa mise en œuvre et son application par les
États membres, devait s'entendre comme incluant le Royaume-Uni. Ainsi, pour l'application de l'article 132-23-1
du Code pénal, l'Union européenne incluait le Royaume-Uni au moment où la cour d'appel a rendu sa décision. En
outre, cet accord de retrait ne constituant pas une loi pénale nouvelle, elle n'a pas lieu de s'appliquer de façon
rétroactive. Le condamné était donc bien en état de récidive légale.
peine d’emprisonnement ferme, le condamné peut faire l’objet d’une libération
sous contrainte.
Bien que le texte énonce les principes en sens inverse, le résultat est identique à
celui résultant de l’application du droit pénal transitoire de fond. En effet, ce
texte affirme dans un premier temps que ces lois sont d’application immédiate
au procès en cours puis, limite l’application de ce principe s’il conduit à rendre
plus sévères les peines prononcées152. Il en résulte que seules les lois relatives à
l’exécution et à l’application des peines plus favorables au condamné peuvent
rétroagir et que si elles sont complexes, il convient de faire une application
distributive des dispositions divisibles153.

b. Le caractère plus doux ou plus sévère de la loi nouvelle

Classiquement, les difficultés liées à la détermination du caractère plus doux ou


plus sévère d’une loi pénale de fond naissent de la continuité de l’incrimination
et de l’existence de lois complexes c’est-à-dire comportant des dispositions plus
sévères et des dispositions plus douces. Par ailleurs, il existe de véritables
exceptions à l’application du droit pénal transitoire.

a. La continuité de l’incrimination

152
Cass. crim., 13 déc. 2017, n° 16-86.128, P+B : Qu'en effet, les dispositions de l'alinéa 3 du dernier de ces
textes, issues de la loi n° 2014-896 du 15 août 2014, qui ne privent pas les juridictions de l'application des
peines de la possibilité de ne prononcer aucune révocation du sursis avec mise à l'épreuve, et leur permettent de
prononcer, après l'expiration du délai d'épreuve, sa révocation partielle, plutôt que sa révocation totale, seule
possible en l'état antérieur du droit, ne présentent pas un caractère plus sévère, au sens de l'article 112-2, 3°, du
code pénal, et sont donc immédiatement applicables à la révocation du sursis avec mise à l'épreuve assortissant
la peine d'emprisonnement prononcée contre l'auteur d'une infraction commise avant la date de leur entrée en
vigueur, le 1er octobre 2014 ;

153
Cass. crim., 11 mai 2021, 20-83.507, Publié au bulletin
La continuité de l’incrimination dans le temps suppose qu’une loi nouvelle qui
abroge une incrimination reprenne les éléments constitutifs de l’infraction dans
une nouvelle incrimination.

Ce point peut être illustré avec une affaire dans laquelle un individu avait commis
sous l’empire du Code pénal de 1810 un attentat à la pudeur, aujourd’hui une
agression sexuelle, « précédé ou accompagné de tortures ou actes de barbarie »
(333-1 ACP). L’attentat à la pudeur est donc l’infraction, les actes de torture et
de barbarie caractérisent une circonstance aggravante. Cependant, l’accusé fut
jugé sous l’empire de l’actuel Code pénal sous la qualification d’actes de tortures
ou de barbarie « accompagnés d’agressions sexuelles autre que le viol » (222-3
al. 2 CP). L’ancienne circonstance aggravante est devenue l’infraction, et
l’ancienne infraction s’est transformée en circonstance aggravante. Il en résulte
que sous l’empire de l’ancien Code pénal comme sous l’empire du nouveau, les
faits caractérisent une infraction. Il y a donc une continuité de l’incrimination
dans le temps.
Dans une telle hypothèse, la personne poursuivie doit être condamnée sous la
nouvelle qualification154. Cependant, si la loi nouvelle opère en parallèle une
aggravation des peines, c’est la peine prévue par la loi antérieure qui doit être
prononcée155. Réciproquement, c’est également la loi nouvelle qui doit être
appliquée pour la sanction si elle opère un adoucissement de la répression156.
La Cour européenne des droits de l’homme n’a pas censuré cette théorie de la
continuité de l’incrimination dans le temps lorsqu’elle a été saisie de cette

154
Cass. crim., 11 mai 2005 : Bull. crim. n°146 ; R.P.D.P. p. 628, obs. A. LEPAGE; p. 633, obs. X. PIN; p. 963, obs.
J.Y. CHEVALIER. Pour d’autres exemples: Cass. crim., 20 févr. 2008, n° 07-81.247, F-P+F : JurisData n° 2008-
043362 ; Cass. crim., 4 nov. 2008 , n° 08-81.618 : JurisData n° 2008-046066 ; Dr. pén. 2008, comm. 24, obs. J.-
H. ROBERT
155
Cass. crim., 12 juin 2019, n° 18-83.244, D ; Cass. crim., 13 juin 2019, n° 19-90.013, P+B+I
156
Cass. crim., 19 sept. 2007, n° 06-81.129, F-D : Juris-Data n° 2007-040978
question dans un arrêt du 17 mars 2009 Ould Dah c/ France. Elle a considéré que
la répression était suffisamment prévisible et accessible.

b. Lois pénales complexes

Une loi pénale complexe est une loi qui comporte à la fois des dispositions plus
douces et plus sévères. Dans une telle hypothèse, il convient de distinguer selon
que ces dispositions sont divisibles ou non.

Si les dispositions sont divisibles, le principe de non rétroactivité des lois


s’applique aux dispositions plus sévères alors que le principe de rétroactivité in
mitius régira les dispositions plus douces.
Une loi complexe comporte des dispositions divisibles lorsque ces dispositions
ne portent pas sur le même objet. Par exemple, lorsqu’elle institue deux
incriminations différentes, une qui réduit le champ de la répression par à rapport
à une incrimination ancienne et l’autre qui augmente le champ d’application
d’une incrimination préexistante.

En revanche, les dispositions indivisibles ne peuvent pas faire l’objet d’une


application distributive. Il en est par exemple ainsi lorsqu’une loi nouvelle
augmente la peine d’emprisonnement tout en diminuant le quantum de
l’amende. Dans une telle hypothèse deux démarches différentes sont
envisageables.
La première consiste à se référer à la disposition principale. Les peines privatives
de liberté sont intrinsèquement plus sévères qu’une peine d’amende. Dès lors,
la peine privative constitue la disposition principale. Il en résulte qu’une loi
nouvelle qui augmente la peine privative de liberté ne peut pas rétroagir même
si parallèlement elle diminue la peine d’amende157. Par ailleurs, si une loi
nouvelle définit plus largement une infraction mais diminue la sanction, il
convient de se référer à l’incrimination qui constitue la disposition principale158.
La deuxième démarche consiste à procéder à une appréciation globale des lois
en présence pour déterminer celle qui paraît plus sévère que la loi ancienne. La
Chambre criminelle a ainsi retenu que l’ordonnance du 4 juin 1960 était
globalement plus favorable et devait faire l’objet d’une application
rétroactive159. Cette ordonnance avait remplacé la peine criminelle des travaux
forcés de 5 à 20 ans par la peine de réclusion criminelle de 10 à 20 ans, mais dans
le même temps cette ordonnance réformait les règles de la récidive et des
circonstances atténuantes dans un sens favorable.

Toutefois, depuis l’avis de la CEDH en date du 29 mai 2020, cette appréciation


du caractère plus donc ou plus sévère d’une loi pénale complexe pourrait être
remise en question au profit d’une appréciation in concreto au regard des
situations de chaque prévenu concerné.

c. Les véritables exceptions aux principes du droit pénal transitoire

Ces exceptions aux principes du droit pénal transitoire consistent d’une part à
écarter l’application rétroactive de la loi plus douce et, d’autre part à permettre
l’application rétroactive d’une disposition nouvelle plus sévère.

157
Cass. crim., 24 avril 1883 : S. 1885, I, 401, note E. VILLEY.
158
Cass. crim., 20 mai 1947 : JCP 1948, II, 4078, note H. BLAISE.
159
Cass. crim., 10 mai 1961 : Bull. crim. n°248 ; Cass. crim., 5 juin 1971 : JCP 1972, II, 17039, note A. VITU.
L’application rétroactive d’une loi nouvelle plus douce peut être exclue
expressément par le législateur. La cour de cassation a refusé de déclarer une
telle disposition législative contraire aux exigences internationales et le conseil
constitutionnel n’a pas censuré une telle solution. Toutefois, depuis que la CEDH
a reconnu le principe de la rétroactivité in mitius sur le fondement de l’article 7
de la CESDH, l’inconventionnalité d’une telle disposition pourrait être soulevée.

L’application rétroactive de lois pénales plus sévères constitue également une


véritable exception aux principes du droit pénal transitoire. De telles exceptions
concernent les lois interprétatives, les lois instaurant des mesures de sûretés, et
le cas particulier des crimes contre l’humanité.

1ère exception au principe de non rétroactivité de la loi pénale plus sévère : les
lois interprétatives. (ex : agressions sexuelles (contrainte) ; violences morales)
Une loi pénale interprétative a pour objet de clarifier le sens d’une loi qui était
controversée ou ambiguë sans créer de nouvelles incriminations ou sanctions.
La Chambre criminelle, à l’instar des autres chambres de la Cour de cassation
considère que de telles lois font corps avec la disposition interprétée, elles sont
donc nécessairement rétroactives. Ainsi, a-t-elle admis une telle rétroactivité
pour l’article 15 de la loi du 17 juin 1998, modifiant l’article 434-3 du Code pénal
qui précise que l’obligation de dénoncer les mauvais traitements à un mineur
concerne également les atteintes sexuelles160.
Toutefois, au regard de la jurisprudence de la CEDH au sujet des interprétations
jurisprudentielles, une telle solution ne semble pas pouvoir perdurer au vu des
exigences de l’article 7 de la CESDH dans les cas où une loi interprétative venait
à rendre la répression imprévisible.

160
Cass. crim., 12 janvier 2000 : Bull. crim. n°20
Par ailleurs, la Cour de cassation a récemment exclu la rétroactivité d’une loi
interprétative en matière civile161.
Néanmoins, un arrêt récent a approuvé les juges du fond d’avoir appliqué
rétroactivement la loi du 8 février 2010 présumant l’état de contrainte de la
victime de sa différence d’âge avec l’auteur pour retenir les qualifications
d’agressions sexuelles162, alors que cette interprétation n’était pas
nécessairement celle de la Chambre criminelle de la Cour de cassation avant
l’entrée en vigueur de la loi

2ème exception au principe de non rétroactivité de la loi pénale plus sévère :


les lois instaurant des mesures de sûreté.
C’est la Chambre criminelle de la Cour de cassation qui a dégagé cette notion de
mesure de sûreté. Une mesure de sûreté, contrairement à une peine, est fondée
sur la dangerosité de l’individu et elle a pour objet de prévenir la récidive, or
l’état dangereux d’un individu doit s’apprécier au jour du jugement et non au
jour des faits. Dès lors, l’application immédiate des mesures de sûretés conduit
à les appliquer à des faits antérieurs du moment que le jugement est postérieur
à leur entrée en vigueur.
La première application de cette solution date d’un arrêt du 11 juin 1953 dans
lequel la Chambre criminelle a approuvé une Cour d’appel d’avoir appliqué
rétroactivement l’ordonnance du 2 février 1945 sur l’enfance délinquante163.
Dans cette affaire elle a considéré que le remplacement d’une sanction de 6 mois
d’emprisonnement par une mesure de deux ans de placement n’est pas une

161
AP, 23 janvier 2004, RTD civ 2004, p. 598, p. 343
162
Cass. crim., 15 nov. 2017, n° 17-85.272, D ; autre exemple récent : Cass. crim., 17 mars 2021, n° 20-86.318,
FS-P+I
163
J. PRADEL et A. VARINARD, Les grands arrêts du droit pénal général, Dalloz, 6ème éd., n°10.
sanction plus sévère aux motifs qu’il ne s’agit pas d’une peine mais d’une mesure
de rééducation du mineur.
Depuis, la qualification de mesure de sûreté a été étendue à diverses mesures
telles que des incapacités et interdictions professionnelles164 alors même que
le législateur qualifiait ces mesures de peines. Pourtant, cette jurisprudence est
fluctuante puisque dans un arrêt du 10 novembre 2010165, la chambre criminelle
a de nouveau appliqué les règles du droit pénal transitoire aux interdictions
professionnelles. Elle a ainsi retenu qu’une peine complémentaire d'interdiction
professionnelle ne peut pas être prononcée pour sanctionner des faits antérieurs
à la loi qui l'a instituée, même quand elle est substituée à une peine accessoire
ayant le même contenu.

Le législateur s’est quant à lui référé à la notion de mesures de sûreté pour la


première fois dans la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la
récidive des infractions pénales. Afin de lutter contre le risque de récidive cette
loi a instauré la surveillance judiciaire pouvant prendre la forme d’un placement
sous surveillance électronique.
Le conseil Constitutionnel a reconnu la conformité de cette loi permettant une
application immédiate des nouvelles dispositions avec le principe de non
rétroactivité de la loi dans une décision du 8 décembre 2005166. Il a alors retenu
que « La surveillance judiciaire, y compris lorsqu’elle comprend un placement sous
surveillance électronique mobile, est ordonné par la juridiction de l’application des peines et
repose non sur la culpabilité du condamné mais sur sa dangerosité. Ayant pour seul but de
prévenir la récidive, la surveillance judiciaire ne constitue ni une peine ni une sanction. Dès
lors, le législateur a pu, sans méconnaître l’art. 8 de la DDHC, prévoir son application à des

164
Cass. crim., 26 novembre 1997 : Bull. crim. n°404.
165
Cass. crim., 10 nov. 2010, n° 09-86.217, F-D, Droit pénal n° 3, Mars 2011, comm. 37, note JH Robert
166
D. 2006, p. 966
personnes condamnées pour des faits commis antérieurement à l’entrée en vigueur de la
loi »167.

Le législateur a alors persévéré dans l’utilisation de la notion de mesures de


sûreté dans le but de faire rétroagir certaines dispositions. C’est ainsi que dans
la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration
d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental168. Cette loi a instauré
deux types de mesures de sûreté différentes.
La première est la rétention de sûreté qui consiste dans le placement de la
personne intéressée en centre socio-médico-judiciaire de sûreté dans lequel lui
est proposée, de façon permanente, une prise en charge médicale, sociale et
psychologique destinée à permettre la fin de cette mesure. Cette mesure, qui
permet une privation de liberté, est mise à exécution à l’issue de peine privative
de liberté et elle peut être indéfiniment renouvelée. Elle ne peut être prononcée
par la juridiction de jugement qu’à l’encontre des « personnes dont il est établi,
à l'issue d'un réexamen de leur situation intervenant à la fin de l'exécution de
leur peine, qu'elles présentent une particulière dangerosité caractérisée par une
probabilité très élevée de récidive parce qu'elles souffrent d'un trouble grave de
la personnalité » (Art. 706-53-13 CPP).
Le conseil constitutionnel saisi de la constitutionnalité de la rétroactivité de cette
loi sur ce point n’a pas remis en cause la qualification de mesure de sûreté169.
Pourtant, il considéra que cette rétention de sûreté ne pouvait pas être

167
Cette solution fut reprise par la Cour de cassation qui était saisie de la conformité de ces dispositions avec
l’article 7 de la CESDH : Cass. crim., 1er avr. 2009, n° 08-84.367, F-D : Droit pénal n° 7, Juillet 2009, comm. 103
168
Haritini MATSOPOULOU, Le développement des mesures de sûreté justifiées par la « dangerosité » et l'inutile
dispositif applicable aux malades mentaux . - Commentaire de la loi n° 2008-174 du 25 février 2008 relative à la
rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, Droit pénal n° 4, Avril
2008, étude 5 ; Philippe CONTE, Aux fous ? (/L 25 février 2008 rétention de sûreté), Droit pénal n° 4, Avril 2008,
repère 4.
169
Cons. constit., 21 février 2008, Loi relative à la rétention de sûreté, JCP G, n°11, 12 Mars 2008, act. 166, Aperçu
rapide par Bertrand Mathieu
appliquée à des personnes ayant été condamné pour des faits antérieurs à
l’entrée en vigueur de la loi nouvelle. Il exclut donc la rétroactivité de cette
mesure de sûreté si souvent dissimulée sous couvert d’application immédiate de
la loi.
Il est à noter que la Cour EDH, dans un arrêt du 17 décembre 2009, saisie d’une
mesure allemande similaire, la détention de sûreté, l’a qualifiée de peine pour
lui appliquer le principe de non rétroactivité de la loi pénale. Néanmoins, dans
un arrêt postérieur, elle a retenu que dans des cas tels que celui de
M. Bergmann, où la détention de sûreté a été prolongée en raison de la nécessité
de traiter des troubles mentaux, la nature et l'objectif de cette mesure ont
changé au point qu'il n'y a plus lieu de qualifier celle-ci de « peine » au sens de
l'article 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales. Sa prolongation avec effet rétroactif ne contrarie donc pas
l'article 7. (CEDH, 7 janv. 2016, n° 23279/14 )

Le deuxième type de mesure de sûreté instauré par la loi du 25 février 2008


concerne les personnes déclarées irresponsables pénalement en raison d’un
trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli leur discernement (122-1 CP).
Sans remettre en cause le principe de l’irresponsabilité pénale, la loi nouvelle
permet au juge de prononcer à l’encontre de ces personnes des mesures de
sûretés énoncées aux articles 706-135 s. du CPP.
Toutefois, un grand nombre de ces mesures sont qualifiées de peines
complémentaires par le Code pénal (131-19 s. CP). Ainsi en est-il des
interdictions professionnelles ou des interdictions de séjour. C’est sans doute
pour cette raison, que malgré la qualification expresse de mesure de sûreté
retenue par la loi, la Chambre criminelle a considéré dans un arrêt du 21 janvier
2009, que ces mesures étaient des peines qui ne pouvaient pas être appliquée
rétroactivement170. Cependant, elle a opéré un revirement de jurisprudence
dans un arrêt du 16 décembre 2009. Elle a alors retenu que le principe de non
rétroactivité de la loi pénale n’était pas applicable auxdites mesures de sûreté.
Saisie de la question, la CEDH a récemment considéré que
« la déclaration d’irresponsabilité pénale et les mesures de sureté qui
l’accompagnent ne constituent pas une « peine » au sens de l’article 7 § 1 de la
Convention, et doivent être analysées comme des mesures préventives auxquelles le
principe de non-rétroactivité énoncé dans cette disposition n’a pas vocation à
s’appliquer »171.

La notion de mesure de sûreté a été dégagée par la Cour de cassation pour


justifier l’application rétroactive de mesures qualifiées de peines par le
législateur. Cependant, le caractère flou de la notion de mesure de sûreté fondée
sur un critère lui-même flou d’état dangereux, conduit à craindre une utilisation
abusive de la notion afin de contourner le principe de non rétroactivité des lois
pénales plus sévères.

3ème exception au principe de non rétroactivité de la loi pénale plus sévère


résulte de l’incrimination des crimes contre l’humanité. Ces crimes n’ont été
incriminés par un texte interne que depuis l’actuel Code pénal (211-1 s. CP).
Toutefois, ceux perpétrés pendant la seconde guerre mondiale étaient visés par
le statut du Tribunal militaire international de Nuremberg annexées à l'accord
de Londres, du 8 août 1945, régulièrement intégrées à l'ordre juridique interne ;
en effet, aux termes mêmes de son article 7, cet Accord est entré en vigueur au
jour de sa signature ; en outre, il a été promulgué par décret du gouvernement
provisoire de la République française, en date du 6 octobre 1945. Il n’en
demeure pas moins ces qualifications ont été retenue pour des faits antérieurs

170
Cass. crim., 21 janv. 2009, n° 08-83.492, F P+F :, JCP G n° 10, 4 Mars 2009, II 10043, comm. S. Detraz
171
CEDH, 5ème sect., 3 sept. 2015, BERLAND C/ France
à 1945 dérogeant ainsi au principe de non rétroactivité de la loi pénale plus
sévère172.
En revanche, en dehors des faits commis pour le compte des pays européens de
l’Axe pendant la seconde guerre mondiale, l’incrimination de crimes contre
l’humanité ne peut pas être appliquée rétroactivement à des faits commis avant
l’entrée en vigueur de l’actuel Code pénal (1er mars 1994). C’est pourquoi la
Chambre criminelle de la Cour de cassation a refusé d’examiner les évènements
d’Algérie sous cette qualification173.
Pourtant, la solution contraire n’aurait pas nécessairement été censurée par la
Cour EDH. En effet, celle-ci a admis que le principe de non rétroactivité de la loi
pénale ne peut empêcher la répression de faits qui, à l’époque où ils ont été
commis, étaient injustifiables au regard des règles gouvernementales des
sociétés démocratiques174. Une telle solution est permise par la lettre de l’article
7 de la CEDH aux termes duquel :
« 1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment
où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national
ou international. »
Il s’agissait dans cette affaire en date du 22 mars 2001 de l’assassinat
d’allemands de l’ex-RDA souhaitant franchir le mur de Berlin.
Cette solution a été réitérée dans un arrêt du 17 mai 2010175, de la grande chambre dans l'affaire Kononov c/
Lettonie . Cette affaire concerne le jugement d'un sergent de l'armée rouge reconnu coupable de crimes de
guerre à raison de massacres perpétrés en mai 1944 sur des populations civiles en représailles. Il fut
formellement jugé en application de textes adoptés après l'émancipation de l'État défendeur du joug soviétique.
Se posait dès lors la question de savoir dans quelle mesure l'application apparemment rétroactive de cette loi
pénale était compatible avec les garanties prévues par la Convention. L'objection est surmontée par le constat
selon lequel de tels actes ne pouvaient être justifiés au regard du droit et des coutumes de guerre existant déjà
à l'époque. La Cour en dresse un historique détaillé avant de conclure que, en mai 1944, « le droit international
exposait les principes fondamentaux sous-jacents à cette incrimination et qu'il donnait une large série
d'exemples d'actes constitutifs de crimes de guerre » (§ 213). Et elle conclut « que le requérant pouvait prévoir
en 1944 que les actes litigieux seraient qualifiés de crimes de guerre » (§ 239). Subsiste bien entendu
172
Cass. crim., 1er juin 1995 : Bull. crim. n°202 ; Dr. Pénal 1995, 273, note M. VERON.
173
Cass. crim., 17 juin 2003 : Bull. crim. n°122 ; JCP 2003, II, 10146 note ROULOT.
174
CEDH, 22 mars 2001, Streletz, Kessler et Krenz c. Allemagne : RSC 2001, 639, obs. F. MASSIAS.
175
CEDH, gde ch., 17 mai 2010, n° 36376/04, Kononov c/ Lettonie, in Un an de droit européen en matière pénale,
E. Dreyer, Droit pénal n° 4, Avril 2011, chron. 3
une part d'artifice dans ce raisonnement car le requérant n'imaginait pas, pour
autant, devoir répondre un jour de tels actes. Il faudrait peut-être trouver une
autre justification à la répression de tels crimes dans ces conditions...
En revanche, dès lors que l’agent a pu avoir un doute, y compris au regard du
droit international, sur le caractère pénalement répréhensible des faits commis
les dispositions nationales nouvelles réprimant les faits ne peuvent pas rétroagir.
Ainsi en a-t-il été dans une affaire où le requérant avait été poursuivi et
condamné pour génocide sur le fondement d’une loi entrée en vigueur
postérieurement aux faits (CEDH, gr. ch., 20 oct. 2015, n° 35343/05,
Vasiliauskas c/ Lituanie, § 154 et s)

C. L’application dans le temps des lois pénales de forme

Les lois pénales de forme ou loi pénale de procédure régissent l’ensemble des
opérations de la constatation de l’infraction à l’exécution de la condamnation.
Comme toute loi, elles ne sont pas rétroactives. Elles ne peuvent donc remettre
en cause la procédure régulièrement intervenue avant leur entrée en vigueur.
En revanche, à compter de leur entrée en vigueur, elles sont immédiatement
applicables à la procédure en cours. C’est pourquoi elles sont dites d’application
immédiate.

Les articles 112-2 et suivants du Code pénal consacrent ce principe général tout
en aménageant certaines solutions particulières.

1. Les lois de prescription

Il convient de distinguer la prescription de l’action publique et la prescription de


la peine.
La prescription de l’action publique est le délai pendant lequel les poursuites
peuvent être exercées à compter de la commission de l’infraction (crime : 20
ans, délit : 6 ans ; 176contravention : 1 an).
La prescription de la peine est le délai pendant lequel la peine peut être mise à
exécution à compter du jour où la condamnation est définitive (crime : 20 ans ;
délit : 6 ans177 ; contravention : 3 ans).

Une loi nouvelle de prescription ne peut pas faire revivre une prescription déjà
acquise sous l’empire de la loi ancienne. A défaut, elle serait rétroactive. En
revanche, une telle loi peut être immédiatement appliquée à une prescription
dont le délai court toujours.
Cette solution est consacrée par l’article 112-2 4° du Code pénal selon lequel :
« Sont applicables immédiatement à la répression des infractions commises
avant leur entrée en vigueur : 4° Lorsque les prescriptions ne sont pas acquises,
les lois relatives à la prescription de l'action publique et à la prescription des
peines. »
Certains auteurs expliquent l’exclusion des prescriptions acquises par le recours
à la théorie des droits acquis. Une fois que la prescription est acquise, le prévenu
ou condamné aurait un droit à l’oubli.
De son côté, la Cour EDH rattache la prescription au principe de sécurité
juridique. En effet, celui-ci implique que les situations juridiques ne puissent
indéfiniment être remises en cause178.
La mise en œuvre concrète des principes soulève parfois quelques difficultés.

176
Depuis la loi du 27 février 2017 pour les crimes et délits, avant 10 ans et 3 ans
177
Pour les délits Depuis la loi du 27 février 2017, avant 5 ans
178
CEDH, 22 octobre 1996, Stubbings c/ Royaume Uni : Ru. 1996-IV, n°18, p. 1487.
La première difficulté consiste à déterminer le point de départ du nouveau délai
de prescription,
la deuxième difficulté est de déterminer les conséquences de l’absence d’effet
rétroactif des lois de prescription,
la troisième résulte de l’application dans le temps des règles modifiant le droit
transitoire des lois de prescription.

a. Le point de départ du nouveau délai de prescription

Concernant la prescription de l’action publique, le point de départ du délai de


prescription est au jour de la consommation définitive de l’infraction. Toutefois,
par hypothèse, la loi nouvelle entre en vigueur postérieurement aux faits. Le
nouveau délai de prescription court-il à compter de la commission des faits ou à
compter de l’entrée en vigueur de la loi ?
Par exemple : un délit commis en juin 2016, une loi nouvelle entrée en vigueur
en février 2017 qui passe le délai de prescription de 3 à 6 ans.
Point de départ du nouveau délai de prescription, en juin 2016 ou en février
2017 ?
Si le point de départ de la nouvelle prescription était situé au jour de la
consommation définitive de l’infraction, la loi nouvelle produirait des effets sur
une période antérieure à son entrée en vigueur. Elle serait alors rétroactive, or
les lois de procédure sont d’application immédiate. C’est pourquoi le nouveau
délai de prescription ne court qu’à compter de l’entrée en vigueur de la loi
nouvelle.
La chambre criminelle de la Cour de cassation a consacré cette solution au sujet
d’une loi qui transformait un délit en contravention179. Corrélativement le délai
de prescription de l’action publique passait de 3 ans à un an.

Cependant, une telle solution peut potentiellement conduire à des résultats


iniques.
Par exemple, dans l’exemple précité, où la loi a transformé un délit en
contravention à une époque où la prescription de l’action publique pour les
délits était de 3 ans, si un délai de deux ans et 11 mois s’est déjà écoulé avant
l’entrée en vigueur de la loi nouvelle et que le nouveau délai de prescription d’un
an court à compter de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, la durée totale du
délai de prescription serait de 3 ans et 11 mois soit un délai supérieur au délai
maximum le plus élevé, soit 3 ans au regard de la loi ancienne.

La solution consacrée par la Cour de cassation est donc de limiter le délai total à
la prescription la plus longue prévue par les deux lois.
Dans l’exemple précité, 2 ans et 11 mois se sont écoulés au moment de l’entrée
en vigueur de la loi nouvelle qui prévoit une prescription d’1 an. Le délai
applicable sous la loi ancienne étant le plus long des deux, lors de l’entrée en
vigueur de la loi nouvelle la prescription continuera à courir pendant : 3 ans – 2
ans et 11 mois soit 1 mois.

179
Cass. crim., 25 février 1988 : Bull. crim. n°99 ; RSC 1989, p. 98, obs. A. VITU ; dans le même sens : Cons.
const., 9 sept. 2021, n° 2021-926 QPC : Le nouveau régime de prescription institué par la loi du 27 février
2017 portant réforme de la prescription en matière pénale porte sur des règles relatives à la prescription de l'action
publique et n'institue ni une infraction ni une peine et les dispositions de l'article 4 de cette loi ont pour seul objet
d'organiser ses conditions d'application dans le temps, et non de fixer des règles relatives à la prescription de
l'action publique. Impact. – L'article 4 de la loi du 27 février 2017, en ce qu'il prévoit que cette loi ne peut avoir
pour effet de prescrire des infractions qui, au moment de son entrée en vigueur, avaient valablement donné lieu à
la mise en mouvement ou à l'exercice de l'action publique à une date à laquelle, en vertu des dispositions
législatives alors applicables et conformément à leur interprétation jurisprudentielle, la prescription n'était pas
acquise n'est pas contraire à la Constitution.
C’est pourquoi, dans l’affaire précitée où la transformation d’un délit en
contravention a conduit à faire passer le délai de prescription de 3 ans à 1 an, la
Chambre criminelle retient que le délai total de prescription ne peut excéder
celui de la prescription triennale.

b. L’absence d’effet rétroactif des lois de prescription

Les lois de prescription étant d’application immédiate, elles ne peuvent pas


remettre en cause rétroactivement les évènements ayant affecté la prescription
déjà écoulée. Ainsi, une loi nouvelle ne peut pas anéantir les interruptions180 et
les suspensions de la prescription intervenues régulièrement sous l’empire de la
loi ancienne.

L’interruption de la prescription est « définie comme l’arrêt du cours de la


prescription pour des causes déterminées par la loi qui efface rétroactivement
le délai déjà écoulé antérieurement, l’interruption est fondée sur le fait que la
partie ayant montré sa volonté de poursuivre, son droit d’action publique doit
être préservé intact par une prescription toujours renouvelée »181. La
prescription est ainsi interrompue par tout acte d’instruction ou de poursuite
(CPP).

La suspension de la prescription est définie comme l’arrêt temporaire du cours


de la prescription qui n’anéantit pas le délai antérieurement écoulé. Cette
suspension dure autant que la partie se trouve dans l’impossibilité de
poursuivre. Si une loi nouvelle ne peut remettre en cause la suspension

180
Cass. crim., 17 novembre 1982 : Bull. crim. n°262.
181
S. GUINCHARD et J. BUISSON, Procédure pénale, Litec, n°1147.
intervenue sous l’empire de la loi antérieure182, en revanche, elle peut l’anéantir
pour l’avenir.

Ainsi, la Chambre criminelle a retenu que la partie civile ne disposant d’aucun


moyen de droit pour obliger le juge d’instruction à accomplir un acte interruptif
de la prescription de l’action publique jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi du 4
janvier 1993, cette prescription est suspendue à son profit entre le dernier acte
interruptif de prescription et l’entrée en vigueur de la loi nouvelle183. Il en résulte
qu’à compter de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle qui supprime
l’impossibilité pour la partie civile d’agir, la suspension de la prescription cesse.

Ex : Ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de


procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020
d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19
Article 3
Les délais de prescription de l'action publique et de prescription de la peine sont
suspendus à compter du 12 mars 2020 jusqu'au terme prévu à l'article 2.
Article 2
Les dispositions de la présente ordonnance sont applicables sur l'ensemble du
territoire de la République jusqu'à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de
la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré dans les conditions de
l'article 4 de la loi du 23 mars 2020.
Fin de l’état d’urgence sanitaire : 10 juillet 2020

c. L’application dans le temps des règles de droit transitoire

182
Cass. crim., 8 janvier 1997 : Bull. crim. n°6 ; Cass. crim., 9 juin 1998 : Bull. crim. n°188 ; Cass. crim., 13
octobre 1999 : Bull. crim. n°220.
183
Cass. crim., 13 octobre 1999 : Bull. crim. n°220, préc.
Dès le code pénal de 1810 il était admis qu’une loi nouvelle ne pouvait faire
revivre rétroactivement une prescription acquise. Mais, les règles gouvernant
l’application dans le temps des lois de prescription ont été modifiées.
Il existe trois périodes pour le droit pénal transitoire des lois de prescription. :
1. Avant 1994, les lois de prescription sont d’application immédiate
même si elles sont plus sévères
2. Entre le 1er mars 1994 et le 10 mars 2004 (entrée en vigueur de la
loi du 9 mars 2004), les lois de prescription sont d’application
immédiate sauf si elles sont plus sévères
3. Après le 10 mars 2004, les lois de prescription sont d’application
immédiate même si elles sont plus sévères.
Ces dispositions transitoires ont vocation à régir les lois postérieures à leur
entrée en vigueur.
Ainsi, les lois de prescription entrées en vigueur entre le 1er mars 1994 et le 10
mars 2004 sont d’application immédiate sauf si elles ont pour effet d’aggraver la
situation de l’intéressé. Un exemple peut être donné avec la loi du 8 février 1995,
qui a porté de dix à vingt ans la prescription de l’action publique du crime de
trafic de stupéfiant (706-31 du CPP). La Chambre criminelle de la Cour de
cassation a retenu ces dispositions ne peuvent pas être appliquées à des
infractions commises avant l’entrée en vigueur de cette loi184.

Cependant, on pouvait légitimement se demander si ces dispositions transitoires


pouvaient ou non se voir appliquer le principe de rétroactivité in mitius. En effet,
en excluant l’application immédiate des lois de prescription plus sévère, les
dispositions du nouveau code sont plus douces que les anciennes.

184
Cass. crim., 6 février 2008 : Bull. crim. n°32.
Un exemple peut être donné avec la loi du 10 juillet 1989 qui a reporté le point
de départ de la prescription de l’action publique pour le crime de viol commis à
l’encontre d’un mineur au jour de sa majorité.
Dans cette affaire les faits avaient été commis en 1981. Sous l’empire de la loi en
vigueur au moment des faits, la prescription commençait à courir à compter des
faits et pour un délai de 10 ans. L’infraction était donc prescrite en 1991.
La loi du 10 juillet 1989 est donc entrée en vigueur alors que la prescription
n’était pas acquise et elle avait pour conséquence d’aggraver le sort de l’accusé
en permettant un report du point de départ de la prescription au jour de la
majorité de la victime.
Sous l’empire du Code pénal de 1810, cette aggravation était sans incidence sur
l’application dans le temps de cette loi nouvelle. En revanche, à partir du 1er mars
1994, une telle loi ne pouvait être appliquée à des faits antérieurs. En défense,
l’accusé avait soulevé que les dispositions du nouveau Code pénal étaient plus
douces et qu’elles devaient donc rétroagir, interdisant ainsi un report du point
de départ de la prescription. Cette argumentation reposait sur le fait que les
règles du droit pénal transitoire étaient des règles de fond soumises au principe
de la rétroactivité in mitius.
Pourtant la Cour de cassation a rejeté ce moyen. En effet, elle a retenu que
« l’article 112-2, 4° du Code pénal, en ce qu’il fixe le champ d’application dans le
temps des lois de prescription, n’a pas eu pour effet de modifier sur ce point les
lois promulguées avant son entrée en vigueur »185.
Dès lors, elle considéra que les dispositions de la loi de 1989 étaient applicables
à des faits commis en 1981. Si la loi modifiant la prescription avait été
postérieure au 1er mars 1994, ce report du point de départ de la prescription
défavorable au prévenu n’aurait pu avoir lieu.

185
Cass. crim., 7 novembre 2007 : Bull. crim. n°272 ; Dr. Pén. 2008, p. 27, obs. VERON.
Il résulte des solutions retenues pour les conflits de lois dans le temps des
dispositions de droit pénal transitoire que les lois de prescription sont
d’application immédiate sous réserve des prescriptions acquises, et pour les lois
entrées en vigueur entre le 1er mars 1994 et le 10 mars 2004 cette application
immédiate est exclue si elle a pour effet d’aggraver la situation de l’intéressé.

Une décision en date du 9 septembre 2021 du Conseil constitutionnel186, portant


sur l’application dans le temps de la réforme de la prescription intervenue avec
la Loi du 27 février 2017, confirme la position de la Chambre criminelle a
plusieurs égards :
- Les lois de prescription ne sont pas des lois de fond (n’institue ni une
infraction ni une peine)
- Les dispositions transitoires régissant l’application dans le temps des
nouvelles lois de prescription ne sont pas elles-mêmes soumises au régime
transitoire des lois pénales de fond

2. Les lois de compétence et d’organisation judiciaire

Les principes d’application dans le temps des règles de compétence et


d’organisation judiciaire ont été dégagées par la jurisprudence avant d’être
consacrée dans l’actuel Code pénal à l’article 112-2 1°. Ces lois sont d’application
immédiate.
La détermination de la juridiction compétente devant s’apprécier au moment de
l’acte de saisine, l’application immédiate de ces lois implique qu’elles régiront le
jugement d’infractions commises antérieurement à leur entrée en vigueur.

186
Cons. const., 9 sept. 2021, n° 2021-926 QPC
Toutefois, une fois qu’un jugement au fond est intervenu, ces lois ne pourront
pas modifier la compétence de l’ordre juridictionnel déjà régulièrement saisi.
C’est pourquoi, la seule réserve à l’application immédiate de ces lois prévue par
l’article 112-2 est qu’un jugement au fond n’ait pas été rendu en première
instance.

Des difficultés peuvent survenir lorsqu’une loi modifiant une pénalité a une
incidence sur la compétence. Par exemple, lorsqu’une loi correctionnalise des
faits antérieurement qualifiés de crime, ou lorsqu’une loi nouvelle criminalise
des faits antérieurement qualifiés de délits.
L’application immédiate des règles de compétence conduit à reconnaître les
juridictions immédiatement compétentes pour juger les faits. Ainsi, le tribunal
correctionnel sera compétent pour juger les faits qui sont devenus un délit, et la
Cour d’assises sera compétente pour juger les faits qui sont devenus un crime
même si les faits ont été commis antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi.
Cependant, les juridictions nouvellement compétentes devront faire application
des principes de non rétroactivité des lois pénales et de la rétroactivité in mitius.
Par exemple, en cas de correctionnalisation d’un crime, le TC devra faire une
application rétroactive de la loi nouvelle. Inversement, la Cour d’assises devra
retenir la qualification correctionnelle en cas de transformation d’un délit en
crime.

3. Les lois relatives aux modalités des poursuites et à la forme de la procédure

Les lois relatives à la forme de la procédure sont en principe d’application


immédiate. Toutefois, elles ne peuvent remettre en cause rétroactivement un
droit acquis à exercer un recours.
a. L’application immédiate des lois nouvelles de forme

Ces lois ont pour objet de régir les modalités des poursuites, par exemple, la
saisine d’une juridiction d’instruction ou de jugement. C’est au jour où la
poursuite est exercée qu’il convient de se placer pour déterminer la loi
applicable. Les poursuites doivent être exercées conformément à la loi en
vigueur au moment de leur exercice. L’application immédiate de ces lois
nouvelles implique qu’elles régissent les modalités des poursuites d’infraction
commises antérieurement à leur entrée en vigueur.

Il en est de même pour les lois régissant les formes de la procédure. Par exemple,
des lois déterminant le contenu d’un jugement ou d’une ordonnance, ou auprès
de quel greffe cet acte doit être déposé. La forme de la procédure est
déterminée par la loi en vigueur au moment où l’acte concerné doit être
appliqué. Il en résulte que les lois nouvelles sont immédiatement applicables
même si l’infraction est antérieure187.

L’application immédiate de ces lois exclut leur rétroactivité. C’est pourquoi elles
ne peuvent pas remettre en question la régularité des actes accomplis
antérieurement à leur entrée en vigueur. C’est ce qui résulte de l’article 112-4
al. 1 CP qui dispose que « l’application immédiate de la loi nouvelle est sans effet
sur la validité des actes accomplis conformément à la loi ancienne ».

b. L’absence de remise en cause d’un droit acquis au recours

187
Ex : Cass. crim., 11 mai 2021, 20-83.507, Publié au bulletin
Toutefois, cette application immédiate de la loi nouvelle ne doit pas remettre en
cause les droits acquis des parties privées au procès (personnes poursuivies et
partie civile). Or, il résulte de l’article préliminaire du CPP que toute personne a
droit à un second degré de juridiction. Ce droit est acquis dès lors que la
personne a fait l’objet d’un jugement en premier instance. Il en est de même du
pourvoi en cassation. Le droit de se pourvoir existe dès lors qu’un arrêt est rendu
par une CA.

L’application immédiate des lois relatives à la forme de la procédure ne peut


remettre en cause rétroactivement ce droit qui existe dès que la décision objet
du recours est rendue.
C’est pourquoi, l’article 112-3 du CP dispose que : « les lois relatives à la nature
et aux cas d’ouverture des voies de recours ainsi qu’aux délais dans lesquels elles
doivent être exercées et à la qualité des personnes admises à se pourvoir sont
applicables aux recours formés contre les décisions prononcées après leur entrée
en vigueur ».
En ce sens, la Chambre criminelle de la Cour de cassation avait déjà retenu avant
l’entrée en vigueur de cette disposition : « Si les lois de procédure deviennent
immédiatement applicables aux poursuites qui sont en cours d’exécution au
moment où elles ont été promulguées, le même principe ne saurait être étendu
au délai d’appel ; en effet, le droit d’appel est acquis aux parties du jour de la
décision, et le délai de cet appel tient au fond du droit »188.
Aujourd’hui, cette solution est parfaitement compatible avec les exigences du
procès équitable.

188
Cass. crim., 26 juillet 1928 : D. 1929, 1, 128 ; Cass. crim., 6 juin 1977 : Bull. crim. n°204.
En revanche, les règles de forme pour exercer les voies de recours, par exemple,
le contenu de l’acte pour interjeter appel, ou la détermination de la juridiction
auprès de laquelle doit être déposé l’acte d’appel, ne touchent en rien le droit
au recours. Dès lors, la règle générale de l’application immédiate des lois
nouvelles de forme reprend son emprise. C’est pourquoi, l’article 112-3 CP
prévoit que « les recours sont soumis aux règles de forme en vigueur au jour où
ils sont exercés ».
Il en résulte que pour toutes les règles ayant une incidence directe sur le droit
d’exercer un recours relèvent de la loi en vigueur au jour de la décision attaquée,
alors que la forme du recours relève de la loi en vigueur au jour de l’exercice
effectif du recours.

La question de l’application dans le temps des décisions d’abrogation des


dispositions procédurales par le Conseil constitutionnel :
Il s’agit d’abrogation donc a priori application des règles du droit pénal
transitoire
Art. 62 al. 2 C58 : Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement
de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil
constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil
constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que
la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause.
CConst. A rporté dans le temps sans faire bénéficier la décision / GàV : L'exemple
fondateur est bien évidemment la décision rendue par la Conseil constitutionnel,
le 30 juillet 2010, sur les dispositions régissant le régime de la garde à vue (Cons.
const., 30 juill. 2010, déc. n° 2010-14/22 QPC : JurisData n° 2010-030610 ; JO 31
juill. 2010, p. 14198, texte n° 105 ; Rect. JO 7 août 2010, p. 14620, consid. 22 et
26 ; Rec. Cons. const. 2010, p. 179).
Mais parfois avec réserve d’interprétation pour que faire produire des effets
rétroactifs limités : Cons. const. 18 mars 2015 : 36. Considérant, d'autre part,
qu'afin de faire cesser l'inconstitutionnalité constatée à compter de la
publication de la présente décision, des poursuites ne pourront être engagées
ou continuées sur le fondement de l'article L. 621-15 du code monétaire et
financier à l'encontre d'une personne autre que celles mentionnées au
paragraphe II de l'article L. 621-9 du même code dès lors que des premières
poursuites auront déjà été engagées pour les mêmes faits et à l'encontre de la
même personne devant le juge judiciaire statuant en matière pénale sur le
fondement de l'article L. 465-1 du même code ou que celui-ci aura déjà statué
de manière définitive sur des poursuites pour les mêmes faits et à l'encontre de
la même personne ; que, de la même manière, des poursuites ne pourront être
engagées ou continuées sur le fondement de l'article L. 465-1 du code monétaire
et financier dès lors que des premières poursuites auront déjà été engagées pour
les mêmes faits et à l'encontre de la même personne devant la commission des
sanctions de l'Autorité des marchés financiers sur le fondement des dispositions
contestées de l'article L. 621-15 du même code ou que celle-ci aura déjà statué
de manière définitive sur des poursuites pour les mêmes faits à l'encontre de la
même personne, Cass. Crim. 20 mai 2015, n°13-83489 :
Vu les articles 61-1 et 62 de la Constitution ;

Attendu qu'aux termes du second de ces textes, une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement
de l'article 61-1 susvisé est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou
d'une date ultérieure fixée par cette décision ; que le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites
dans lesquelles sont susceptibles d'être remis en cause les effets qu'a produits le texte déclaré
inconstitutionnel ;

Attendu que, par décision du 18 mars 2015, publiée le 20 mars 2015, ont été déclarés contraires à la
Constitution, notamment, l'article L. 465-1 du code monétaire et financier dans sa rédaction résultant de la loi
du 26 juillet 2005 et, aux c) et d) du paragraphe II de l'article L. 621-15 du même code dans sa rédaction
résultant de la loi du 4 août 2008, les mots "s'est livrée ou a tenté de se livrer à une opération d'initié";

Attendu que le Conseil constitutionnel a reporté au 1er septembre 2016 la date de l'abrogation des textes
précités, mais prévu qu'à compter de la publication de sa décision, des poursuites ne pourront, pour les
mêmes faits, quelle qu'en soit la date, et à l'égard de la même personne, être engagées ou continuées sur le
fondement de l'article L. 465-1 du code monétaire et financier ou des dispositions contestées de l'article L.
621-15 du même code dès lors que des premières poursuites auront été engagées devant la commission
des sanctions de l'Autorité des marchés financiers (l'AMF) ou le juge judiciaire ou qu'une décision aura déjà
été rendue par l'un ou l'autre ;

La prévisibilité de la répression implique la connaissance de la loi applicable aux


faits avant d’agir. Il importe également de connaître la loi pénale applicable au
lieu où l’on entend agir, ce qui renvoie à la question de la loi pénale applicable
dans l’espace.
XXXX CM DU 29 SEPTEMBRE 2022
§2. L’application de la loi pénale dans l’espace

Un Etat souverain n’est pas soumis aux normes d’un autre Etat189 et aucune
contrainte extérieure ne peut lui imposer le respect de règles ou de normes
juridiques190. Sur son territoire, qui constitue « l’assise spatiale de la
souveraineté »191, l’Etat dispose seul du pouvoir normatif et du « monopole de
la contrainte »192. Il en résulte qu’en principe, un Etat n’a pas à se préoccuper de
situations juridiques extérieures à son territoire, et que les lois étrangères sont
inapplicables à l’intérieur de son territoire.
L’internationalisation des échanges, la circulation transfrontière des personnes,
des biens, des services et des capitaux ont montré les limites de cette autarcie
et la nécessité d’une coopération internationale193. L’internationalisation, la
globalisation, voire la mondialisation de l’économie « suscite la création de
normes juridiques à la mesure des enjeux économiques »194. Cette coopération
internationale passe par une prise en compte spécifique de toute situation
juridique comportant un élément d’extranéité, soit par l’ordre interne soit par
des normes internationales. Toutes les disciplines juridiques sont concernées et
la plupart distinguent selon les sources internes ou internationales permettant
de résoudre les problèmes juridiques relatifs à une situation internationale.

189
L. FAVOREU, P. GAÏA, R. GHEVONTIAN, J.-L. MESTRE, O. PFERSMANN, A. ROUX, et G. SCOFFONI, Droit
constitutionnel, Dalloz, 8ème éd., 2005, n° 42.
190
C. DEBBASCH, J.-M. PONTIER, J. BOURDON, et J.-C. RICCI, Droit constitutionnel et institutions politiques,
ECONOMICA, 4° éd., 2001, p. 27
191
O. DUHAMEL et Y. MENY, avec l’assistance de P. VENESSON, Dictionnaire constitutionnel, P.U.F., 1992, p.
1029.
192
C. DEBBASCH, J.-M. PONTIER, J. BOURDON, et J.-C. RICCI, ouv. préc., p. 28.
193
En ce sens : H. DONNEDIEU DE VABRES, Introduction à l’étude du droit pénal international, Sirey, 1922, p. 464 ;
M. HENZELIN et R. ROTH, Le droit pénal à l’épreuve de l’internationalisation, L.G.D.J., Georg, Bruylant, 2002, p.
18 ; A. VITU, « Un aspect particulier du droit pénal international : la protection des intérêts publics étrangers »,
art. préc. ; M.-C. FAYARD, « La localisation internationale de l’infraction », art. préc. ; J.-L. ROPERS, « Le droit
pénal international à travers la jurisprudence de la chambre criminelle », Recueil d’études en hommage à la
mémoire de Maurice PATIN, La Chambre criminelle et sa jurisprudence, Cujas, 1963, p. 723 s.
194
E. LOQUIN et C. KESSEDJIAN avant-propos in La mondialisation du droit, sous la dir. d’E. LOQUIN et C.
KESSEDJIAN, Travaux du centre de recherche sur le droit des marchés et des investissements internationaux de
l’Université de Bourgogne, vol. 19, Litec, 2000.
L’adjectif « international » apparaît tout de suite après le mot « droit » lorsqu’on
veut signifier que la source est internationale, en fin de proposition lorsque les
sources sont nationales195. Par exemple, on oppose le droit international pénal
au droit pénal international196, le droit international administratif au droit
administratif international 197,
le droit international fiscal au droit fiscal
international198, et le droit international du travail au droit du travail
international 199.
Il apparaît que plus l’Etat est directement concerné par la situation juridique en
cause, moins il consent à un abandon de souveraineté et à l’application d’une loi
étrangère200. Ainsi, dans les disciplines relevant du droit public ou du droit pénal,
l’Etat est particulièrement réfractaire à l’application de toute loi étrangère et
opte, en droit interne, pour le choix de l’unilatéralisme se contentant de
déterminer le champ d’application de la loi nationale dans l’espace sans se
référer aux situations juridiques pouvant être en cause201. L’unilatéralisme
conduit à exclure systématiquement toute application de la loi étrangère ce qui
explique l’inexistence de conflits de lois dans ces domaines202 et la consécration

195
H. BATIFFOL et P. LAGARDE, ouv. préc., n° 246.
196
En ce sens : R. MERLE et A. VITU, Droit pénal général, ouv. préc., n° 287 ; H. DONNEDIEU DE VABRES,
Introduction à l’étude du droit pénal international, ouv. préc., p. 6 ; D. CHILSTEIN, Th. préc., n° 2 et 3 ; H. SCHULTZ,
« Compétence des juridictions pénales pour les infractions commises à l’étranger », art. préc. ; R. KOERING-
JOULIN, Th. préc., n° 1. Contra : R. LEGROS, « Domaine et méthode du droit pénal international », art. préc. ; C.
BASSIOUNI, « Le droit pénal international : son histoire, son objet, son contenu », R.I.D.P. 1981, p. 41 s. ; A.-M.
LA ROSA, Dictionnaire de droit pénal international, P.U.F., 1° éd., 1998, p. 36. Sur cette question : M. MASSE, « A
la recherche d’un plan, peut-être même d’un titre, pour une nouvelle discipline juridique », in Apprendre à douter,
questions de droit, questions sur le droit, Etudes offertes à Claude Lombois, PULIL, 2004, p. 726 s.
197
NEGULESCO, R.C.A.D.I., 1935, I, 583.
198
C. FREYRIA : J.C.P. 1952, 1, 1023 (enregistrement), J.C.P. 1953, I, 1111 (successions); G. GEST et G. TIXIER,
Droit fiscal international, P.U.F., coll. Dt. fondamental, 2e éd., 1995, n° 1.
199
P. FRANCESCAKIS, « Lois d’application immédiate et droit du travail, l’affaire du comité d’entreprise de la
« Compagnie des Wagons-lits » », R.C.D.I.P. 1974, p. 273.
200
P. MAYER et V. HEUZE, Droit international privé, Montchrestien, Domat droit privé, 8e éd., 2004, n° 104.
201
H. BATIFFOL et P. LAGARDE, ouv. préc., n° 245 ; B. AUDIT, Droit international privé, Economica, 4e éd., 2006,
n° 110 s.
202
H. BATIFFOL et P. LAGARDE, ouv. préc., n° 245 ; B. AUDIT, ouv. préc., n° 114 ; Y. LOUSSOUARN, P. BOUREL
et P. DE VAREILLES-SOMMIERES, Droit international privé, Dalloz, 8e éd., 2004, n° 109 ; En droit fiscal
international : L. TROTABAS et J.-M. COTTERET, Droit fiscal, Dalloz, 8°éd., 1997, n° 69. Pour une position
contraire en droit pénal : D. THIEL, Th. préc.
de l’unité des compétences législative et judiciaire203. Le territoire étant
« l’espace à l’intérieur duquel s’exercent les compétences étatiques »204, c’est le
principe de territorialité qui prévaut dans ces disciplines juridiques205.
« A priori, le "principe de territorialité" ne souligne qu’un rapport
particulièrement fort à un territoire, sans que la nature de ce rapport ou même
ce territoire soient précisés »206. Toutes les disciplines consacrant le principe de
territorialité, déterminent le critère de rattachement au territoire, l’application
de la loi territoriale ne pouvant se justifier que dans la mesure où la situation
juridique qu’elle régit est rattachée au territoire. Quelle que soit la méthode
adoptée par la discipline juridique, il convient de localiser le rapport de droit. Si
la souveraineté de l’Etat est intéressée par la situation juridique en cause, « il
aura le souci (…) de définir avec précision et rigidité le facteur de rattachement
déterminant l’application de sa loi »207.
La loi pénale ayant pour objet la définition et la sanction des infractions, la loi
française n’a vocation à s’appliquer qu’aux infractions commises sur le territoire
français. Par ailleurs, l’unilatéralisme consacré en droit pénal se justifie par
l’intervention de la contrainte étatique découlant de la souveraineté de l’Etat.
Ce dernier ne peut légitimement intervenir que dans la mesure où c’est l’ordre
public français qui a été troublé208, toute sanction de l’atteinte à l’ordre public

203
H. BATIFFOL et P. LAGARDE, ouv. préc., n° 246 ; B. AUDIT, ouv. préc., n° 114 ; Y. LOUSSOUARN, P. BOUREL
et P. DE VAREILLES-SOMMIERES, Droit international privé, ouv. préc., n° 120.
204
O. DUHAMEL et Y. MENY, avec l’assistance de P. VENESSON, ouv. préc., p. 1030.
205
Par exemple en matière fiscale : L. TROTABAS et J.-M. COTTERET, ouv. préc., n° 66 s.
206
N. BOUCHE, Le principe de territorialité de la propriété intellectuelle, Th. Dijon, L’Harmattan, 2002, n°6.
207
H. BATIFFOL et P. LAGARDE, Traité de droit international privé, T.1, L.G.D.J., 8° éd., 1993, n° 268 ; Comité
européen pour les problèmes criminels, Compétence extraterritoriale en matière pénale, Conseil de l’Europe,
Strasbourg 1990, p. 24 : « Il est généralement admis au moins que le champ d’application du droit pénal ratione
loci doit être expressément régi par la loi, laquelle doit le définir de manière précise, et qu’il ne faut pas laisser aux
tribunaux le soin de le déterminer dans le cadre de leur compétence judiciaire ».
208
R. MERLE et A. VITU, Droit pénal général, ouv. préc., n° 289 ; R. KOERING-JOULIN et A. HUET, « Compétence
des tribunaux répressifs français et de la loi pénale française », J.-Cl. droit international, Fasc. 433-10, n° 23 ; W.
JEANDIDIER, Droit pénal général, préc., n° 151 ; A. HUET, « Pour une application limitée de la loi pénale
étrangère », J.D.I., 1982, p. 625 s. ; A. VITU, « Un aspect particulier du droit pénal international : la protection des
intérêts publics étrangers », Mél. en l’honneur du Professeur J. LARGUIER, Droit pénal, Procédure pénale, P.U.G.,
1993, p. 335 s.
d’un Etat étranger serait une atteinte à la souveraineté de cet Etat209 qui a seul
compétence pour réprimer ces faits. Ainsi, la loi pénale française ne peut
légitimement s’appliquer qu’à une infraction ayant un rattachement avec le
territoire français et le critère de localisation de l’infraction doit être défini
strictement.
C’est d’ailleurs la solution consacrée par le droit positif aujourd’hui comme
hier210. Il faut toutefois réserver les hypothèses où le législateur prévoit la
sanction d’infractions extraterritoriales dans un souci de coopération
internationale. De même, le souci de protection des nationaux peut conduire le
législateur à prévoir la répression d’infractions extra-territoriales lorsque la
victime est française (principe de la personnalité passive). Par ailleurs, dans des
cas exceptionnels l’ordre public français peut être troublé par des infractions
extraterritoriales, l’Etat français a donc toute légitimité pour réprimer ces faits
(principe de réalité).
Il convient donc de distinguer le domaine d’application de la loi pénale française
selon qu’il est fondé sur l’atteinte à l’ordre public national (A), qu’il est justifié
par un souci de coopération internationale (B) ou de protection des nationaux à
l’étranger (C).

A. La compétence de la loi pénale française fondée sur l’atteinte à l’ordre public national

L’ordre public français est troublé si l’infraction est commise sur le territoire
national ou si l’infraction porte atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation.

209
R. LEGROS, « Domaine et méthode du droit pénal international », R.D.P.C., 1953-1954, p. 843 s. ; P. MATTER,
« La compétence pénale des tribunaux français et les conflits de lois », J.D.I. 1904, n° 17, p. 590 s. Cf.
l’intervention du Garde des sceaux à l’Assemblée nationale : « Il faut savoir s’arrêter dans l’application de la loi
française à des faits commis à l’étranger (…) supprimer tout seuil serait manifester un impérialisme difficilement
justifiable » (Séance du 11 octobre 1978, J.O., p. 3381).
210
Article 7 du Code d’instruction criminelle, 693 du Code de procédure pénale (1958), 113-2 du Code pénal
(1994).
Il convient donc d’aborder successivement le principe de territorialité et la
compétence réelle.

1. Le principe de territorialité

La loi pénale française est applicable en vertu du principe de territorialité si


l’infraction est commise sur le territoire. Le territoire de la République doit donc
être déterminé avant d’aborder la localisation spatiale de l’infraction.

a. Le territoire de la République

C’est au jour de l’infraction qu’il faut se placer pour déterminer si l’infraction est
commise sur le territoire.
Le territoire de la République comprend l’espace terrestre, maritime et aérien
(113-1 CP).
L’espace terrestre comprend le territoire métropolitain (incluse la Corse), les
DROM-TOM : la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, La Réunion, Mayotte, La
Nouvelle-Calédonie, La Polynésie française, Saint-Barthélemy, Saint-Martin,
Saint-Pierre-et-Miquelon, les Terres Australes et Antarctiques Françaises et les
îles de Wallis-et-Futuna
L’espace maritime est constitué de la mer territoriale c’est-à-dire la bande
maritime de 12 000 marins (22,25 km). Par ailleurs, la loi pénale française est
également applicable en dehors de la mer territoriale aux infractions commises
à bord des navires battant pavillon français, ou à l’encontre de tels navires. Elle
est seule applicable pour les infractions commises à bord ou à l’encontre de
navires de la marine nationale (113-3 CP).
L’espace aérien français se situe au-dessus de l’espace terrestre et maritime. La
loi pénale française est également applicable en dehors de cet espace aux
infractions commises à bord ou à l’encontre d’aéronefs immatriculés en France
(113-4 CP).

Si l’infraction est commise sur le territoire de la République ou dans l’un de ses


espaces assimilés, la loi pénale française est applicable quelle que soit la
nationalité de l’auteur ou de la victime, et, même si cette infraction a déjà été
définitivement jugée à l’étranger211, sous réserve de l’hypothèse où la
condamnation émanerait d’un autre Etat membre de l’UE (l’article 54 CAAS et
55 CDFUE). Le principe de territorialité confère à la loi française une compétence
générale et exclusive212.

b. La localisation de l’infraction sur le territoire

La localisation d’une infraction ne pose aucune difficulté si l’infraction est


entièrement commise sur le territoire. En revanche, dans les hypothèses où
l’infraction n’est que partiellement commise sur le territoire, il convient de
déterminer le critère de rattachement au territoire. Différentes théories213 ont
été proposées afin de déterminer le critère de rattachement le plus adéquate.

Les décisions rendues par des juridictions étrangères n'ont l'autorité de la chose jugée que lorsqu'elles
211

concernent des faits commis en dehors du territoire de la République.

Cass. crim., 17 janv. 2018, n° 16-86.491, D : JurisData n° 2018-003725


212
F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, ouv. préc., n° 377 ; A. FOURNIER, « Compétence
internationale », art. préc., n° 10 ; R. KOERING-JOULIN et A. HUET, « Compétence des tribunaux répressifs français
et de la loi pénale française », Fasc. préc., n° 12 s. ; R. KOERING-JOULIN et A. HUET, « Effets en France des
décisions répressives étrangères, Autorité de la chose jugée », J.-Cl. droit international, Fasc. 404-10, n° 16 s. ; M.
MASSE, « La compétence pénale française dans l’espace depuis l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal »,
Rev.sc.crim. 1995, p. 856 s. ; C. MAURO, « Jugement étranger (Matière pénale) », Rép. Dalloz dt. Internat., 2002,
n° 82 s.
213
Pour l’exposé de ces théories cf. : P. LABREGERE, « Compétence des tribunaux répressifs français et de la loi
pénale française », J.-Cl. pén., art. 689 à 696 Code de procédure pénale, Fasc. 10, n° 37 ; R. KOERING-JOULIN et
A. HUET, « Compétence des tribunaux répressifs français et de la loi pénale française », Fasc. préc., n° 47 s. ; Y.
LESEC, « Application de la loi pénale dans l’espace, infractions commises ou réputées commises sur le territoire
de la république », J.-Cl. pén., art. 113-1 à 113-12, Fasc. 10, n° 32 ; W. JEANDIDIER, Droit pénal général, préc., n°
153 ; D. TEZCAN, Territorialité et conflits de juridictions en droit pénal international, Th. Bruxelles, 1975-1976, p.
288 s.
Selon la théorie de l’action, seul le comportement, manifestation de la volonté
criminelle, peut être un critère de rattachement ;
selon celle du résultat, seul le résultat caractérise le trouble à l’ordre public et
peut constituer ce critère ;
enfin, la théorie de l’ubiquité (ou de l’indifférence) permet de localiser
l’infraction indifféremment au lieu du résultat ou du comportement. Il convient de
citer deux autres théories plus marginales : d’une part la théorie de l’effet214 consistant à localiser l’infraction au
lieu où ses effets sont ressentis215 ; d’autre part la théorie de l’enracinement social selon laquelle c’est la loi du
pays où le fait est socialement enraciné qui doit être compétente216.

Sous l’empire du Code d’instruction criminelle, la jurisprudence a consacré la


théorie de l’ubiquité217. Après 1958, sous l’empire de l’article 693 du Code de
procédure pénale218 la jurisprudence antérieure s’est maintenue et a été
consacrée par l’actuel article 113-2 al. 2 du Code pénal selon lequel « l’infraction
est réputée commise sur le territoire de la République dès lors qu’un de ses faits
constitutifs a eu lieu sur ce territoire »219.
La jurisprudence fait dans l’ensemble une application correcte de ces solutions.
Toutefois, elle étend abusivement la compétence territoriale de la loi pénale
française.

a ou b.1. Une jurisprudence conforme aux principes

214
Comité européen pour les problèmes criminels, Compétence extraterritoriale en matière pénale, préc., p. 9.
215
A la différence du résultat visé par le texte d’incrimination, l’effet de l’infraction n’est pas un élément constitutif
de l’infraction.
216
R. LEGEAIS, « L’évolution des solutions françaises de conflits de lois en matière pénale », Mél. offerts à René
SAVATIER, Dalloz, 1965, p. 545 s. ; H. SCHULTZ, « Compétence des juridictions pénales pour les infractions
commises à l’étranger », Rev.sc.crim. 1967, p. 305 s. ; R. KOERING-JOULIN, L’article 693 du Code de procédure
pénale et la localisation internationale de l’infraction. Essai sur le règlement des conflits de lois pénales dans
l’espace, Th. Strasbourg, 1972, n° 230 s.
217
Y. LESEC, « Application de la loi pénale dans l’espace, infractions commises ou réputées commises sur le
territoire de la république », Fasc. préc., n° 32.
218
« est réputée commise sur le territoire de la République toute infraction dont l’acte caractérisant l’un de ses
éléments constitutifs a été accompli en France » : Le législateur ayant visé le terme « acte », une partie de la
doctrine a cru à l’abandon de la théorie de l’ubiquité en faveur de la théorie de l’action.
219
Sur l’absence d’incidence de la différence de rédaction voir not. : G. ROUJOU DE BOUBEE, « La mise en œuvre
du Code pénal de 1992 », D. 1996, chron. p. 371 s. ; R. KOERING-JOULIN, « L’application de la loi pénale française
dans l’espace (Avant-projet de Code pénal, 1983) », Rev.sc.crim. 1984, p. 263 s. ; D. CHILSTEIN, Droit pénal
international et lois de Police. Essai sur l’application dans l’espace du droit pénal accessoire, Dalloz, nouvelle
bibliothèque de thèses, 2003, n° 31.
En application de cette théorie de l’ubiquité, la jurisprudence retient qu’il suffit
qu’une partie de l’infraction soit commise sur le territoire pour justifier la
compétence de la loi pénale française.
Ainsi, une infraction continue telle que le recel est localisée en France dès lors
que la détention a eu lieu à un moment donné sur le territoire.
Une infraction complexe qui suppose l’accomplissement de plusieurs actes
différents par l’auteur est localisée en France dès lors qu’un seul acte est
accompli sur le territoire. Par exemple, il suffit que les manœuvres frauduleuses
ou la remise se réalise sur le territoire pour que la loi pénale française soit
applicable au délit d’escroquerie.
L’infraction d’habitude caractérisée par l’accomplissement de deux actes de
même nature telle que l’exercice illégal de la médecine est localisée sur le
territoire comme l’infraction complexe.
Enfin, la loi pénale française est applicable à une infraction matérielle dès lors
que l’action ou le résultat matériel visé par la loi est localisé sur le territoire (ex/
Homicide involontaire).
Il convient par ailleurs de préciser que les infractions d’omission caractérisées
par une abstention sont localisées au lieu où l’obligation aurait dû être exécutée.
Ainsi, la loi pénale française est applicable au délit de non représentation
d’enfant dès lors que l’enfant devait être présenté sur le territoire français.

La loi pénale française est également applicable aux infractions commises à


l’étranger indivisiblement liées à une infraction commise en France.
L’indivisibilité n’est pas visée par la loi, elle a été prise en compte par la
jurisprudence dans un souci de bonne administration de la justice. Elle est définie
par la doctrine comme : « une notion de fait selon laquelle certaines infractions
se trouvent tellement imbriquées que la connaissance de l’une ne peut se faire
sans la connaissance de l’autre »220.
L’indivisibilité doit être distinguée de la connexité. Le législateur n’a pas donné
de définition de la connexité221. Cependant, il en donne des exemples à l’article
203 du Code de procédure pénale, parmi lesquels figure l’hypothèse où « les
choses enlevées, détournées ou obtenues à l’aide d’un crime ou d’un délit ont
été, en tout ou partie, recelées ». La Chambre criminelle de la Cour de cassation
retient, quant à elle, que « doivent être considérées comme connexes les
infractions qui procèdent d’une même conception, sont déterminées par la
même cause et tendent au même but »222.
Les notions de connexité et d’indivisibilité emportent des conséquences
juridiques différentes. L’étroitesse du lien existant entre les infractions connexes
ou les infractions indivisibles justifie qu’il soit possible de déroger à la
compétence des juridictions en droit interne par une jonction de procédures
dans un souci de bonne administration de la justice.
Le lien existant entre les infractions connexes est moins important que celui qui
lie les infractions indivisibles, ce qui explique qu’en droit interne la jonction des
procédures en cas de connexité soit simplement facultative, alors qu’elle est
obligatoire en cas d’indivisibilité.
Le fait que le lien existant entre deux infractions indivisibles soit étroit au point
« que l’existence de l’un des délits ne peut se concevoir sans l’existence de
l’autre »223, a conduit la doctrine à reconnaître un effet international à

220
A. HUET et R. KOERING-JOULIN, Droit pénal international, ouv. préc., note n° 146. En ce sens : (Cass. crim.,
31 mai 2016, n° 15-85.920 : « les faits étant indivisibles lorsqu'ils sont rattachés entre eux par un lien tel que
l'existence des uns ne se comprendrait pas sans l'existence des autres »
221
Ibid.
222
Cass.crim., 17 novembre 2004 : Rev. des sociétés 2005, p. 433, note B. BOULOC.
223
A. LEGAL, obs. s. Cass.crim., 9 décembre 1933 : S. 1936, 1, p. 313.
l’indivisibilité224, récemment consacré par la Cour de cassation225. En revanche,
si des liens unissent les infractions connexes entre elles, ils ne sont pas
suffisamment importants pour déroger aux règles de compétence
internationale226, sauf convention internationale contraire227.
La Chambre criminelle a reconnu la possibilité d’étendre la loi pénale française à
une infraction commise à l’étranger mais indivisible d’une infraction commise en
France. Elle a ainsi retenu l’application de la loi pénale française à un étranger
pour la participation à un crime commis à l’étranger au motif que ce crime
constituait un des buts de l’association de malfaiteurs commise en France et à
laquelle cet étranger a pris part228.
Réciproquement, la Chambre criminelle de la Cour de cassation retient que le
délit d'association de malfaiteurs commis à l'étranger par un étranger est
indivisiblement lié à des infractions à la législation sur les stupéfiants commises
en France par le même auteur229.

La condition préalable de l’infraction n’est pas un élément constitutif de


l’infraction. Elle n’est ni un élément du comportement ni le résultat de ce

224
P. LABREGERE, « Compétence des tribunaux répressifs français et de la loi pénale française », Fasc. préc., n°
35 ; A. VITU, Chron. Crimes et délits contre la chose publique, Rev.sc.crim. 1982, p. 608 ; R. KOERING-JOULIN,
Th. préc., n° 32.
225
(Cass. crim., 31 mai 2016, n° 15-85.920
226
« le lien de connexité existant entre plusieurs infractions ne peut avoir pour effet de rendre la loi pénale française
applicable à celles commises à l'étranger par une personne de nationalité étrangère sur une victime étrangère »
(Cass. crim., 31 mai 2016, n° 15-85.920) En ce sens A. HUET et R. KOERING-JOULIN, Droit pénal international,
ouv. préc., note n° 146 ; P. LABREGERE, « Compétence des tribunaux répressifs français et de la loi pénale
française », Fasc. préc., n° 34 ; F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, ouv. préc. n° 396 ; A.
FOURNIER, « Compétence internationale », art. préc., n° 105 ; W. JEANDIDIER, Droit pénal général, préc., n° 156 ;
D. CHILSTEIN, Th. préc., n° 31 ; C. LOMBOIS, Droit pénal international, ouv. préc., n° 274 ; R. KOERING-JOULIN,
Th. préc., n° 33 s. ; A. LEGAL, obs. sous Cass.crim., 9 décembre 1933 : S. 1936, 1, p. 313. Contra : H. DONNEDIEU
DE VABRES, Les principes modernes du droit pénal international, Recueil Sirey, 1928, p. 190 ; J. PERROUD, note
sous Cass.crim., 9 décembre 1933 : J.D.I. 1934, p. 898.
227
L’article 38 §2 du Protocole franco-britannique de Sangatte du 25 mai 1991 reconnaît une compétence
concurrente aux deux Etats lorsqu’une infraction commise sur le territoire d’un Etat est liée à la commission d’une
infraction sur le territoire de l’autre Etat.
228
Cass. crim., 20 février 1990
229
Cass. crim., 11 juin 2008, n° 07-83.024, FS-P+F
comportement, elle ne peut pas être un critère de rattachement de l’infraction
au territoire230.
La jurisprudence s’est refusée à localiser certaines infractions au lieu de leur
condition préalable. Il en est ainsi pour le délit d’abandon de famille (art. 227-3
du Code pénal) et le délit de non-représentation d’enfant (art. 227-5 du Code
pénal). Le délit d’abandon de famille est caractérisé par le fait de ne pas exécuter
une décision judiciaire ou une convention judiciairement homologuée imposant
de verser au profit d’un enfant mineur, d’un descendant, d’un ascendant ou du
conjoint, une pension, une contribution, des subsides, des prestations de toute
nature dues en raison d’une obligation alimentaire, en demeurant plus de deux
mois sans s’acquitter intégralement de cette obligation.
Le délit de non-représentation d’enfant sanctionne le fait de refuser indûment
de représenter un enfant mineur à la personne qui a le droit de le réclamer. Sous
l’empire de l’ancien Code pénal, ce droit de réclamer l’enfant devait résulter
d’une décision judiciaire, provisoire ou définitive, ou d’une convention
judiciairement homologuée (art. 357 du Code pénal ancien). Dans ces deux
hypothèses, la condition préalable de l’infraction peut être une décision de
justice.
Sous l’empire de l’ancien Code pénal, la jurisprudence a toujours refusé de
considérer que la décision émanant d’une juridiction française puisse localiser le
délit de non-représentation d’enfant en France alors que ce dernier était réalisé
à l’étranger par un étranger231.

230
En ce sens : A. CASSESE et M. DELMAS-MARTY, Juridictions nationales et crimes internationaux, P.U.F., 2002,
1ère éd., p. 165 ; R. KOERING-JOULIN et A. HUET, « Compétence des tribunaux répressifs français et de la loi pénale
française », Fasc. préc., n° 66 ; W. JEANDIDIER, Droit pénal général, préc., n° 154 ; J. PRADEL, Droit pénal général,
ouv. préc., n° 231 ; M.-C. FAYARD, « La localisation internationale de l’infraction », Rev.sc.crim. 1968, p. 753 s. ;
A. LEGAL, « La localisation internationale du délit commis partiellement en France », Rev.Pén.Suisse, 1971, p. 1
s. ; J. PRADEL et A. VARINARD, Les grands arrêts du droit pénal général, ouv. préc., n° 15 ; J.-P. DOUCET, « La
condition préalable à l’infraction », art. préc. ; C. LOMBOIS, Droit pénal international, Dalloz, 1979, 2° éd., n° 255 ;
D. THIEL, Conflits positifs et conflits négatifs en droit pénal international, Th. Metz, 2000, n° 196 s.
231
Les délits d’omission sont localisés au lieu où l’obligation aurait dû être exécutée : Cass.crim., 18 mai 1905 :
J. PRADEL et A. VARINARD, Les grands arrêts du droit pénal général, ouv. préc., n° 15.
Ainsi, la Cour de cassation a-t-elle refusé de localiser en France le délit de non-
représentation d’enfant dans une telle hypothèse, alors qu’un moyen au pourvoi
invoquait la nature complexe du délit, comptant au titre de ses éléments
constitutifs le fait de non-représentation et « l’existence d’un droit de garde ou
de visite consacré par une décision judiciaire ». La Chambre criminelle a rejeté le
pourvoi aux motifs que « l’article 693 du Code de procédure pénale ne pouvait,
en l’espèce, recevoir application, aucun acte caractérisant un élément constitutif
de l’infraction relevée, qui, par nature, n’est pas complexe, n’ayant été commis
sur le territoire de la République »232.
Cependant, dans un arrêt récent la Chambre criminelle semble remettre en
question cette solution classique pour admettre l’application de la loi pénale
française en vertu du principe de territorialité au délit de détournement d’un
bien confisqué alors que le détournement était localisé à l’étranger aux motifs
que la confiscation du bien a été ordonnée en France233. Cette dernière solution
s’inscrit dans une tendance plus générale de la jurisprudence à admettre une
application large de la loi pénale française alors même que seule la condition
préalable de l’infraction est localisée sur le territoire français.

b . (ou b. 2) Des solutions jurisprudentielles extensives

De façon générale, la doctrine ne manque pas de dénoncer et de critiquer la


propension de la jurisprudence à étendre artificiellement la compétence
territoriale de la loi pénale française234. Toutefois, le juge français retient parfois

232
Cass.crim., 27 octobre 1966 : R.C.D.I.P. 1967, p. 739 s., note A. DECOCQ.
233
Cass. crim., 15 sept. 2021, n° 20-85.840, FS-B
234
Y. LESEC, « Application de la loi pénale dans l’espace, infractions commises ou réputées commises sur le
territoire de la république », Fasc. préc., n° 54 ; F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, ouv. préc.,
n° 389 ; A. CASSESE, M. DELMAS-MARTY, Juridictions nationales et crimes internationaux, ouv. préc., p. 165 ; M.
PUECH, Droit pénal général, ouv. préc., n° 428 ; R. KOERING-JOULIN et A. HUET, « Compétence des tribunaux
répressifs français et de la loi pénale française », Fasc. préc., n° 55 ; W. JEANDIDIER, Droit pénal général, préc., n°
154 ; J. PRADEL, Droit pénal général, ouv. préc., n° 231 ; P.-Y. GAUTIER, « Sur la localisation de certaines
infractions économiques », R.C.D.I.P. 1989, p. 669 s. ; R. ROTH, « Territorialité et extraterritorialité en droit pénal
sa compétence alors que seule la condition préalable est réalisée sur le territoire.
De ce fait, il assimile la condition préalable à un élément constitutif de
l’infraction235 en transformant artificiellement cette dernière en infraction
complexe236.

L’élément matériel du délit d’abus de confiance est le détournement du bien


remis à titre précaire. Pour caractériser l’atteinte au droit de propriété résultant
du détournement, la remise ne doit pas avoir été l’occasion de transmettre ce
droit. Afin de caractériser le droit de propriété d’autrui, l’ancien Code pénal
énumérait une liste des contrats en vertu desquels le bien pouvait être remis
(408 du Code pénal ancien). Depuis l’entrée en vigueur du Code pénal de 1992,
le bien ne doit pas avoir été remis en vertu d’un contrat déterminé mais la remise
doit avoir été acceptée à charge de faire un usage déterminé, de rendre ou de
représenter le bien (314-1 Code pénal). Sous l’empire de l’ancien Code pénal, le
contrat et la remise étaient les conditions préalables du délit. Depuis le 1er mars
1994, seule la remise acceptée constitue la condition préalable.
En ce qui concerne ce délit, la jurisprudence a évolué. Dans des arrêts anciens,
la jurisprudence refusait de localiser le délit d’abus de confiance au lieu de
conclusion du contrat237 ou au lieu de la remise, sauf si l’intention délictueuse
s’était déjà manifestée238. De même, la Cour de cassation a considéré que
« l’acte par lequel un dépositaire s’engage à restituer à première demande la
chose antérieurement confiée, s’il établit l’existence du dépôt, ne saurait être

international », Rev.Pén.Suisse 1995, p. 1 s. ; M. BENILLOUCHE, « Droit français », in Juridictions nationales et


crimes internationaux, ouv. préc., p. 159 s.
235
Sur ce phénomène : Y. LESEC, « Application de la loi pénale dans l’espace, infractions commises ou réputées
commises sur le territoire de la république », Fasc. préc., n° 39 s.
236
R. KOERING-JOULIN, Th. préc., n° 58 s. ; A. HUET et R. KOERING-JOULIN, Droit pénal international, P.U.F.,
coll. Thémis droit privé, 3ème éd., 2005, n° 131 ; A. FOURNIER, « Compétence internationale », Rép.pén.Dalloz, n°
102.
237
Cass.crim., 5 décembre 1862 : Bull.crim. n° 267.
238
Cass.crim., 28 août 1879 : S. 1880, 1, 389.
considéré comme constituant par lui seul, la consommation du délit qui réside,
non dans le fait de dépôt, mais dans l’abus qu’on en a fait »239. La Chambre
criminelle a maintenu cette position dans des arrêts ultérieurs en considérant
que l’infraction était localisée au lieu du détournement et non au lieu de
conclusion du contrat240.
Toutefois, dans un arrêt du 12 février 1979, la Cour de cassation a localisé le délit
d’abus de confiance en France alors que le détournement avait été commis à
l’étranger par un étranger aux motifs que la remise avait eu lieu sur le territoire
français241. Cette solution a été confirmée dans un arrêt du 13 octobre 1981242.
La remise constitue une simple condition préalable et n’a aucun caractère
délictueux. Elle ne peut pas localiser l’infraction243, « à moins que les
circonstances précises ne démontrent que l’intention du mandataire de
s’approprier la chose se soit manifestée dans le lieu même où elle a été
reçue »244.
La Chambre criminelle a artificiellement étendu le domaine de la loi pénale
française en localisant l’infraction au lieu de la condition préalable pour deux
autres délits (l’ancien délit de chèque sans provision et pour le délit de
fournisseur des forces armées).

Par ailleurs, elle adopte une solution contestable au sujet du recel en changeant
de fondement juridique à défaut de pouvoir justifier l’application de la loi pénale

239
Cass.crim., 31 mai 1951 : J.C.P. 1951, II, 6417, obs. A. COLOMBINI.
240
Cass.crim., 22 avril 1966 : Bull.crim. n° 121 ; Rev.sc.crim. 1967, p. 171, obs. A. LEGAL ; Cass.crim., 31 mai
1971: Bull. crim. n° 180.
241
Cass.crim., 12 février 1979 : Gaz.Pal. 1979, 2, p. 564, note anonyme ; D. 1979, I.R., p. 177, obs. G. ROUJOU
DE BOUBEE ; Rev.sc.crim. 1980, p. 417, obs. J. LARGUIER ; J. PRADEL et A. VARINARD, Les grands arrêts du droit
pénal général, ouv. préc., n° 15.
242
Cass.crim., 13 octobre 1981 : Bull.crim. n° 271 ; J.C.P. 1982, II, 19862, obs. P. CHAMBON.
243
En ce sens : P.-Y. GAUTIER, « Sur la localisation de certaines infractions économiques », art. préc. ; A. LEGAL,
obs. sur Cass.crim., 22 avril 1966, préc. ; G. ROUJOU DE BOUBEE, OBS. s. Cass.crim., 12 février 1979, préc. ;
P. CHAMBON, OBS. sous Cass.crim., 13 octobre 1981, préc.
244
A. TSARPALAS, Th. préc., n° 213.
française à un recel commis à l’étranger. Le recel est un délit de conséquence
défini par les articles 321-1 à 321-5 du Code pénal comme le fait de « dissimuler,
de détenir ou de transmettre une chose, ou de faire office d’intermédiaire afin
de la transmettre en sachant que cette chose provient d’un crime ou d’un délit
ou de bénéficier par tout moyen du produit d’un crime ou d’un délit ». La
condition préalable est donc soit une chose provenant d’un crime ou d’un délit
soit le produit de cette infraction. Il convient donc pour qualifier le recel d’établir
l’existence de l’infraction préalable.
Cette incrimination permet de sanctionner de façon autonome des actes de
complicité postérieurs à l’infraction. C’était l’objet de la réforme opérée par la
loi du 22 mai 1915245 qui fit du recel non plus un cas de complicité mais une
infraction autonome. Différents avantages étaient attendus de cette réforme.
Tout d’abord, le recel étant une infraction autonome, la prescription de l’action
publique de cette infraction est indépendante de celle de l’infraction principale.
Ensuite, le caractère autonome de cette infraction permettait l’application de la
loi pénale au recel commis en France à une époque où la loi pénale française
n’était pas applicable aux faits de complicité réalisés en France d’une infraction
commise à l’étranger246.
Alors que le législateur qualifie expressément le recel d’infraction connexe (art.
203 CPP) et que la connexité ne peut justifier une extension de la compétence
de la loi pénale française la Chambre criminelle a retenu que la loi pénale
française était applicable à un recel commis à l’étranger dès lors que l’infraction
d’origine était localisée en France.
La jurisprudence a tout d’abord prorogé la compétence des juridictions
françaises sous le couvert de l’indivisibilité. La Chambre criminelle a reconnu la

245
D.P. 1918, 4, 159.
246
Pour un exemple d’impunité d’un recel commis en France dès lors que l’infraction-mère est commise à
l’étranger : Cass.crim., 19 avril 1888 : S. 1888, 1, 345.
compétence des juridictions françaises pour connaître d’un recel commis à
l’étranger par un étranger aux motifs que « les faits de recel apparaissent comme
formant un tout indivisible avec les actes d’escroquerie et de complicité (…) à
l’égard desquels la juridiction française est compétente »247.
Dans un arrêt du 9 novembre 2004248, la Chambre criminelle de la Cour de
cassation a reconnu expressément que cette prorogation de compétence est
fondée sur la connexité existante entre l’infraction principale et le recel. Par
ailleurs, elle a précisé que le juge pénal français ne peut pas connaître du recel
commis à l’étranger par un étranger si la prescription de l’action publique de
l’infraction principale commise en France est acquise. En effet, il convient
d’établir la compétence, à titre principal, des juridictions françaises avant
d’envisager la prorogation de cette compétence. Or, si l’infraction principale est
prescrite, le juge pénal n’est plus compétent pour en connaître249. Enfin, dans ce
même arrêt, la Chambre criminelle a rejeté l’argumentation de la demanderesse
selon laquelle l’infraction-mère serait un élément constitutif du recel et
permettrait donc de localiser en France le recel commis à l’étranger, au motif
que « l’extorsion de signature et de bien et le recel dudit bien constituent des
infractions distinctes ».
Enfin, la Chambre criminelle a opéré un revirement de jurisprudence dans un
arrêt du 26 septembre 2007 dans lequel elle a retenu que les tribunaux français
sont compétents pour connaître des poursuites pour recel en Belgique d'œuvres
d'art volées en France, le vol étant un élément constitutif du recel250.

247
Cass.crim., 9 décembre 1933 : J.D.I. 1934, p. 898, note J. PERROUD ; S. 1936, 1, p. 313, obs. A. LEGAL.
248
Cass.crim., 9 novembre 2004 : Bull.crim. n° 274 ; Dr.pén. 2005, Comm. 16, note A. MARON et Comm. 32, note
M. VERON ; Rev.sc.crim. 2005, p. 293, obs. G. VERMELLE ; R.P.D.P. 2005, p. 214, obs. P. BONFILS ; Gaz.Pal.
mercredi et jeudi 16 juin 2005, p. 16, note A. C.
249
Cass.crim., 9 novembre 2004 : « La demanderesse ne saurait se faire un grief de ce que l’arrêt a refusé sa
compétence malgré la connexité existant entre l’extorsion commise en France et le recel dénoncé dès lors que,
l’action publique s’étant trouvée éteinte du premier chef avant le dépôt de la plainte pour recel, la partie civile ne
pouvait invoquer une quelconque prorogation de compétence ».
250
Cass. crim., 26 sept. 2007, n° 07-83.829, FS-P+F+I : Juris-Data n° 2007-040849 Droit pénal n° 12, Décembre
2007, comm. 150 Michel VÉRON
Selon la même logique, la Chambre criminelle a admis que le délit de
blanchiment à l'étranger de fonds provenant d'une fraude fiscale commise en
France même couverte par la prescription, justifie la compétence des juridictions
françaises en application du second alinéa de l'article 113-2 du Code pénal251.

Ces solutions sont contestables à plusieurs égards.


En effet, elle caractérise une violation des règles garantissant la liberté
individuelle, et elle ne présente aucun avantage pratique. Par ailleurs, en
sanctionnant une atteinte à l’ordre public étranger, cette compétence de la loi
française constitue une ingérence.

La violation des principes garantissant la liberté individuelle252

L’application de la loi pénale française fondée uniquement sur la localisation en


France de la condition préalable porte une atteinte grave aux libertés
individuelles. Cette atteinte est caractérisée par la violation du principe de
légalité et de la règle non bis in idem.

Localiser l’infraction au lieu de la condition préalable est contraire à la lettre


des textes énonçant le principe de territorialité. En effet, l’infraction est
localisée en France dès lors que peut être établi sur le territoire un « acte
caractérisant l’un de ses éléments constitutifs » selon l’ancien article 693 du
Code de procédure pénale, « un fait constitutif » selon l’actuel article 113-2 du
Code pénal.

251
Cass. crim., 21 oct. 2020, n° 19-87.076, D
252
Sur le fait que le principe de territorialité participe à la liberté et à la sécurité juridique des individus : R. ROTH,
« Territorialité et extraterritorialité en droit pénal international », art. préc.
Les règles de compétence « constituent pour la personne poursuivie des
garanties sur lesquelles elle doit être en droit de compter et qui ne peuvent lui
être ôtées arbitrairement, encore moins intentionnellement »253. A ce titre, les
règles de compétence sont soumises aux principes de légalité et d’interprétation
stricte254. L’interprétation extensive de la jurisprudence 255 consistant à assimiler
la condition préalable à un élément constitutif de l’infraction est contraire au
principe d’interprétation stricte de la loi pénale256. De plus, l’application de la loi
pénale française en raison de la localisation de la condition préalable sur le
territoire est contraire au fondement du principe de territorialité. La
compétence de la loi pénale française ne peut se justifier que dans la mesure où
un fait caractérise un trouble à l’ordre public sur le territoire257. Ce trouble
résulte de l’acte ou du résultat infractionnel258, et un fait qui ne caractérise pas
ce trouble même s’il se rattache au fait délictueux ne peut être attributif de
compétence259.

Par ailleurs, parmi les avantages attachés au principe de territorialité, certains


auteurs ont relevé que « le coupable est présumé connaître la loi du pays où il
agit »260. Le principe de territorialité et celui de la légalité des délits et des peines
apparaissent fortement liés. Or, appliquer la loi pénale du pays où seule la
condition préalable s’est réalisée revient à appliquer une loi que le prévenu

253
G. LEVASSEUR, « Réflexions sur la compétence. Un aspect négligé du principe de la légalité », Recueil d’études
en hommage à M. Louis HUGUENEY, Problèmes contemporains de procédure pénale, Sirey, 1964, p. 13 s.
254
En ce sens : Comité européen pour les problèmes criminels, Compétence extraterritoriale en matière pénale,
préc., p. 23 s.
255
R. MERLE et A. VITU, Droit pénal général, ouv. préc., note 14 p. 402 ; F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit
pénal général, ouv. préc., n° 391.
256
Sur la nécessité d’une interprétation « restrictive » du principe de territorialité : R. ROTH, « Territorialité et
extraterritorialité en droit pénal international », art. préc.
257
M.-C. FAYARD, « La localisation internationale de l’infraction », art. préc.
258
Ibid.
259
P. FIORE, Traité de droit pénal international et de l’extradition, Paris, 1880, n° 33.
260
R. MERLE et A. VITU, Droit pénal général, ouv. préc., n° 289 ; J. PRADEL, Droit pénal général, ouv. préc., n°
225 ; C. BROCHER, « Etude sur les conflits de législations en matière de droit pénal », R.D.I., 1875, p. 23 s. ; M.-
C. FAYARD, « La localisation internationale de l’infraction », art. préc.
n’est même pas présumé connaître. Ainsi, la jurisprudence en retenant la
compétence de la loi française en raison de la réalisation de la condition
préalable sur le territoire viole le principe de légalité, et fait preuve d’un
arbitraire particulièrement choquant lorsque le fait n’est pas interdit dans l’Etat
où il est commis261. (Ex délit de bigamie si 1e mariage en France)

Le principe de territorialité confère à la loi française une compétence générale


et exclusive262, ce qui entraîne comme conséquence l’absence d’incidence de la
condamnation étrangère pour le même fait, dès lors que l’infraction a été
commise en France même partiellement263. Cette compétence exclusive de la loi
française est justifiée uniquement dans la mesure où l’ordre public français est
troublé par une infraction réalisée sur le territoire de la République. Lorsque le
juge français se reconnaît compétent en raison de la localisation de la condition
préalable sur le territoire, une condamnation pénale étrangère pour les mêmes
faits ne peut faire échec à la condamnation en France. Or, si seule la condition
préalable est localisée en France, cela signifie que l’infraction est en réalité
commise à l’étranger. La violation de la règle non bis in idem est caractérisée
dès lors qu’une condamnation pénale intervient en France, alors que le seul
critère de rattachement au territoire est la condition préalable, et que

261
F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, ouv. préc., n° 377.
262
F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, ouv. préc., n° 377 ; A. FOURNIER, « Compétence
internationale », art. préc., n° 10 ; R. KOERING-JOULIN et A. HUET, « Compétence des tribunaux répressifs français
et de la loi pénale française », Fasc. préc., n° 12 s. ; R. KOERING-JOULIN et A. HUET, « Effets en France des
décisions répressives étrangères, Autorité de la chose jugée », J.-Cl. droit international, Fasc. 404-10, n° 16 s. ; M.
MASSE, « La compétence pénale française dans l’espace depuis l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal »,
Rev.sc.crim. 1995, p. 856 s. ; C. MAURO, « Jugement étranger (Matière pénale) », Rép. Dalloz dt. Internat., 2002,
n° 82 s.
263
Cass.crim., 8 juin 2005 : Bull.crim. n° 174 ; A.J. pén. 2005, p. 368 : « L’exception de la chose jugée à l’étranger
prévue aux articles 113-9 du Code pénal et 692 du Code de procédure pénale ne saurait faire obstacle à l’exercice
des poursuites exercées sur le fondement de la compétence territoriale française ».
l’infraction a fait l’objet d’un jugement étranger définitif de relaxe ou, en cas
de condamnation, que la peine a été subie ou est prescrite264.
Cette violation est particulièrement contestable, la règle non bis in idem étant
un principe fondamental du droit pénal ayant une valeur supra législative265. Par
ailleurs, même si le pays du lieu de l’infraction formule une demande
d’extradition, avant le jugement en France, cette dernière sera refusée. En effet,
le fait que l’infraction soit considérée comme commise sur le territoire, même
partiellement, constitue un refus d’extradition (art. 696-4 3° C.P.P.) et un refus
d’exécution d’un mandat d’arrêt européen (art. 695-24 3° C.P.P.). De même, les
conventions internationales d’extradition prévoient le plus souvent la même
cause de refus266.
La reconnaissance de la compétence de la loi pénale française en application du
principe de territorialité alors que seule la condition préalable est localisée sur
le territoire tient donc en échec la règle non bis in idem, garantie essentielle de
la liberté individuelle.

Les inconvénients pratiques résultants de la localisation de l’infraction au lieu de


la condition préalable

264
Sur la violation du principe résultant d’une extension de la compétence : R. KOERING-JOULIN et A. HUET,
« Compétence des tribunaux répressifs français et de la loi pénale française », Fasc. préc., n° 53 ; sur le fait que
l’éclatement de l’infraction sur différents territoires constitue un « obstacle insurmontable au respect de la règle
ne bis in idem : A. FOURNIER, « Les orientations nouvelles du droit pénal international à la faveur de la réforme
du Code pénal », R.C.D.I.P., 1998, p. 565 s. ; D. THIEL, Th. préc., n° 182 s.
265
Article 14 § 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques signé à New York le 16 décembre
1966. Mais le Comité des droits de l’Homme, institué par le pacte, a recommandé l’application de ce principe dans
le cadre national seulement (C.D.H., 2 novembre 1987, aff. 204/1986, AP c/ Italie ; 18 juillet 1994, aff. 452/1991,
Glaziou c/ France : A.F.D.I. 1996, 707, obs. J. DHOMMEAUX). Cependant, cette recommandation ne s’impose pas
aux Etats. Le Protocole additionnel n° 7 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des
libertés fondamentales du 4 novembre 1950 exige, quant à lui, le respect de la règle non bis in idem uniquement
dans le cadre national (art. 4). Art. 50 de la CDFUE / condamnation dans l’UE pour une infraction /dt de l’UE
266
Par ex. : article 7 de la Convention européenne d’extradition.
Un certain nombre d’avantages sont liés au principe de territorialité267, mais la
prise en compte d’éléments qui ne portent pas atteinte à l’ordre public national
ne présente aucun intérêt268. Il est alors possible de retenir que la localisation
de l’infraction au lieu de la condition préalable est contraire à une bonne
administration de la justice, ainsi qu’à une politique criminelle efficace.

L’un des avantages liés au jugement des faits au lieu où ils ont été commis tient
à ce que l’administration de la preuve en est facilitée269. Les autorités d’enquête
d’un pays ne peuvent opérer à l’étranger sans l’accord de l’Etat concerné. A
défaut, cela constituerait une atteinte à la souveraineté de cet Etat270. Ainsi, bien
qu’il existe des accords internationaux favorisant la coopération judiciaire
internationale notamment dans le cadre de l’Union européenne271, le fait de
vouloir poursuivre un fait commis à l’Etranger rend beaucoup plus difficile
l’administration de la preuve272 et se révèle donc contraire à une bonne
administration de la justice. Ceci est d’autant moins justifié lorsque le juge

267
Pour une liste des avantages attachés au principe de territorialité voir not. : A. HUET et R. KOERING-JOULIN,
Droit pénal international, ouv. préc., n° 129 ; R. MERLE et A. VITU, Droit pénal général, ouv. préc., n° 289 ; W.
JEANDIDIER, Droit pénal général, préc., n° 151 ; P. BOUZAT et J.-D. BREDIN, Rapport français au VIIIe congrès de
l’Association Internationale de Droit Pénal (21-27 septembre 1961, Lisbonne), sur la quatrième question relative
à l’Application de la loi pénale étrangère par le juge national, R.I.D.P., 1960, p. 496 s., n° 12 s. ; G. E.
LANGEMEIJER, « Le principe de territorialité », Mél. VAN BEMMELEN, 1965, p. 17 s.; C. BROCHER, « Etude sur les
conflits de législations en matière de droit pénal », art. préc. ; M.-C. FAYARD, « La localisation internationale de
l’infraction », art. préc. ; D. CHILSTEIN, Th. préc., n° 28.
268
G. E. LANGEMEIJER, « Le principe de territorialité », art. préc.
269
A. CASSESE, M. DELMAS-MARTY, Juridictions nationales et crimes internationaux, ouv. préc., p. 165.
270
Cass.crim., 20 août 1992 : J.C.P. 1992, IV, 2866.
271
Voir sur ce point : R. KOERING-JOULIN et A. HUET, « Conventions internationales répressives », J.-Cl. droit
international, Fasc. 406-30, n° 41 s. ; Notamment la décision-cadre n° 2003/577/JAI du 22 juillet 2003 relative à
l’exécution dans l’Union européenne des décisions de gel des avoirs ou des éléments de preuve (JOUE du 2 août
2003 n°L 196, p. 45) transposée en droit interne par la loi du 4 juillet 2005 portant diverses dispositions
d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la justice (J.O. du 6 juillet 2005, p. 11136) commentée
par A. BEZIZ-AYACHE, « La nouvelle procédure de gel de biens ou d’éléments de preuve », A.J. pén. 2005, p. 410 ;
voir aussi le projet de décision-cadre portant création d’un mandat européen d’obtention de preuves (2683e session
du Conseil JAI), Dr.pén. 2005, En bref n° 88 ; Voir aussi la Convention de Bruxelles du 29 mai 2000 relative à
l’entraide judiciaire entre les Etats membres de l’Union européenne entrée en vigueur le 23 août 2005 et publiée
par un décret du 5 janvier 2006 : J.O. 7 janvier 2006, p. 298.
272
R. KOERING-JOULIN et A. HUET, « La lutte contre l’illicite. L’élaboration de normes spécifiques. Les politiques
nationales : le droit français », in L’illicite dans le commerce international ss. la dir. de P. KAHN et C. KESSEDJIAN,
Travaux du Centre de recherche sur le droit des marchés et des investissements internationaux, vol. 16, Litec,
1996, p. 347 s.
français se reconnaît compétent en dehors de toute prévision législative, ce qui
est le cas lorsque cette compétence est fondée uniquement sur le lieu de la
condition préalable.

L’efficacité du jugement est d’autant plus grande que l’infraction est jugée au
lieu où le trouble social a été le plus durement ressenti. BECCARIA affirmait déjà
qu’ « un crime ne doit être puni que dans le pays où il a été commis, parce que
c’est là seulement, et non ailleurs, que les hommes sont forcés de réparer, par
l’exemple de la peine, les funestes effets qu’a pu produire l’exemple du
crime »273. La condamnation prononcée au lieu de la condition préalable n’aura
pas cette efficacité.

L’application de la loi pénale française en vertu du principe de territorialité, alors


que seule la condition préalable est localisée en France, constitue une atteinte
grave à la liberté individuelle, sans pouvoir être justifiée par des considérations
pratiques. Il paraît donc difficile de trouver des arguments de nature à justifier
une telle solution.

Par ailleurs, récemment le législateur, par la loi du 3 juin 2016, a introduit l’article
113-2-1 du Code pénal un nouvel chef de compétence afin de pallier les
difficultés liées à l’application stricte du principe de territorialité. Ainsi, cette
disposition, « répute commis sur le territoire de la République », tout crime ou
délit réalisé au moyen de réseau de communication électronique, lorsqu’il est
tenté ou commis au préjudice d’une personne physique résidant sur le Territoire
de la République ou d’une PM dont le siège social se situe sur le territoire de la

273
BECCARIA, Traité des délits et des peines, 1764, Flammarion, p. 108. En ce sens : A. CASSESE, M. DELMAS-
MARTY, Juridictions nationales et crimes internationaux, ouv. préc., p. 165.
République. Cette nouvelle disposition permet de localiser l’infraction au lieu du
préjudice au regard de la particularité du moyen employé, et permet ainsi de
mettre un terme à la jurisprudence excluant l’application de la loi pénale
française dans de tels cas au regard des critères classiques de compétence
territoriale. (Cass. crim., 26 juill. 2017, n° 16-87.533, D : JurisData n° 2017-016057
Cf : Selon la chambre criminelle, le seul fait que des propos diffusés sur l'Internet soient
accessibles depuis le territoire de la République ne suffit pas à emporter la compétence de la
loi française sur la presse (Cass. crim., 12 juill. 2016, n° 15-86.645 :JurisData n° 2016-013713 ;
D. 2016, p. 1848, note E. Dreyer ; Comm. com. électr. 2016, comm. 83, obs. A. Lepage ; Dr.
pén. 2016, comm. 156).

Concernant les actes de complicité consistant à faciliter la commission de


l’infraction, il convient de distinguer selon que l’infraction a été ou non commise
en France.
Si l’infraction a été commise en France la loi pénale française est applicable au
complice en vertu de la théorie de l’emprunt de criminalité. Cette solution
s’impose quelle que soit la nationalité du complice, même s’il a été déjà
définitivement jugé à l’étranger pour les mêmes faits et quelle que soit la
localisation des actes de complicité y compris à l’étranger.
Si l’infraction est commise à l’étranger mais que l’acte de complicité est localisé
en France, la loi pénale française sera applicable au complice aux conditions
définies à l’article 113-5 du CP¨. Il faut que :
- l’infraction principale soit un crime ou un délit,
- que cette infraction ait été constatée par une décision définitive de la
juridiction étrangère, ce qui implique nécessairement qu’il soit
incriminé dans ce pays.
- Infraction principale incriminée en France
(La loi pénale française est applicable à quiconque s'est rendu coupable sur le territoire de la République,
comme complice, d'un crime ou d'un délit commis à l'étranger si le crime ou le délit est puni à la fois par la loi
française et par la loi étrangère et s'il a été constaté par une décision définitive de la juridiction étrangère.)

Toutefois, il existe des dispositions dérogatoires :


« Pour la poursuite de la personne qui s'est rendue coupable sur le territoire
français, comme complice, d'une infraction prévue aux 1° à 6° commise à
l'étranger et portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union européenne
mentionnés au premier alinéa du présent article, les conditions prévues à
l'article 113-5 ne sont pas applicables » (art. 113-14 CP).
En outre, la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de
violences conjugales a jouté un second alinéa à l’article 113-5 du Code pénal274
permettant la répression des actes de complicité par instigation commis en
France de crimes caractérisant une atteinte aux personnes commis à l’étranger
sans autre condition.
Cet élargissement de l’application de la loi pénale dans l’espace est considérable.

L’ordre public national est nécessairement troublé par une infraction commise
sur le territoire mais il peut aussi l’être par une infraction commise à l’étranger
portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation. C’est pourquoi dans
une telle hypothèse la loi pénale française est applicable en vertu du principe de
réalité.

2. La compétence réelle

274
Elle est également applicable aux actes de complicité prévus au second alinéa de l'article 121-7 (complicité par
instigation) commis sur le territoire de la République et concernant, lorsqu'ils sont commis à l'étranger, les crimes
prévus au livre II (des crimes et délits contre les personnes).
C’est l’article 113-10275 qui prévoie la compétence de la loi pénale française pour
les crimes et délits commis à l’étranger qui portent atteinte à l’ordre public
français. Les contraventions, infractions de moindre gravité, ne peuvent pas
justifier la compétence extraterritoriale de la loi pénale française.
- Les crimes et délits concernés sont ceux caractérisant une atteinte
aux intérêts fondamentaux de la Nation. Selon l’article 410-1 du
CP, les intérêts fondamentaux de la Nation s’entendent de son
indépendance, de l’intégrité de son territoire, de sa sécurité, de la
forme républicaine de ses institutions, des moyens de sa défense et
de sa diplomatie, de la sauvegarde de sa population en France et à
l’étranger, de l’équilibre de son milieu naturel et de son
environnement et des éléments essentiels de son potentiel
scientifique et économique et de son patrimoine culturel. Ainsi,
caractérisent une telle atteinte la trahison et l’espionnage.
- Sont aussi concernés la falsification et la contrefaçon de sceau de
l’Etat, de pièces de monnaie et de billet de banque et d’effets
publics.
- De même, les crimes et délits commis contre les agents et les locaux
diplomatiques ou consulaires français, commis hors du territoire de
la République justifient l’application de la loi pénale française.

Cette atteinte à l’ordre public français justifie que la compétence réelle soit
générale et exclusive. En d’autres termes, la loi pénale française s’applique
quelle que soit la nationalité de l’auteur, que la loi étrangère réprime ou non les

275
La loi pénale française s'applique aux crimes et délits qualifiés d'atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation
et réprimés par le titre Ier du livre IV (terrorisme = Titre 2), à la falsification et à la contrefaçon du sceau de l'Etat,
de pièces de monnaie, de billets de banque ou d'effets publics réprimées par les articles 442-1, 442-2, 442-5, 442-
15, 443-1 et 444-1 et à tout crime ou délit contre les agents ou les locaux diplomatiques ou consulaires français,
commis hors du territoire de la République.
faits, et même si l’auteur des faits a déjà été condamné définitivement pour les
mêmes faits par une juridiction étrangère.

La compétence de la loi pénale française est principalement fondée sur l’atteinte


portée à l’ordre public national mais elle peut aussi se justifier dans un souci de
coopération internationale.

B. La compétence de la loi pénale française fondée sur la coopération internationale

La lutte contre la criminalité internationale implique une collaboration entre les


Etats afin d’éviter l’impunité des criminels se réfugiant à l’étranger dès qu’ils
commettent une infraction dans un pays.
Cette collaboration peut être mise en place pour les infractions portant atteinte
aux intérêts communs des différents Etats c’est ce que permet l’application de
la loi pénale en vertu de la compétence universelle.
De même, les Etats ont un intérêt à collaborer de façon réciproque pour la
répression d’infractions ne portant atteinte à l’ordre public de l’un d’eux (2 et 3).
1. La coopération internationale pour les infractions portant atteinte à l’ordre public
international

En raison de la gravité intrinsèque de certaines infractions, portant atteinte à


l’ordre public international, tous les Etats ont intérêt à participer à leur
répression quel que soit le lieu de commission des faits.
C’est notamment le cas pour les génocides, les crimes contre l’humanité et les
crimes de guerre qui relèvent de la compétence de la Cour pénale internationale
(CPI). Les articles 627 et suivants du CPP prévoient les mesures que la France
s’est engagée à mettre en œuvre afin de permettre le jugement de ces crimes et
l’exécution des condamnations prononcées par la CPI.

Par ailleurs, par certaines conventions internationales les États signataires


s’engagent à réprimer les infractions qu’elles visent quelle que soit la nationalité
de l’auteur et même si l’infraction a été commise à l’étranger.
Pour les infractions visées par les conventions que la France a ratifiées, la loi
pénale française est applicable en vertu de sa compétence universelle (art. 689
CPP).
Les infractions concernées sont visées aux articles 689-2 et suivants du CPP.
Cette compétence de la loi pénale française résulte :
- De la convention de New-York contre la torture et autres peines et
traitements inhumains et dégradants (689-2 CPP)

- Des conventions de Dublin et de Strasbourg (689-3 CPP) et de la


convention internationale pour la répression des attentats
terroristes, ouverte à la signature à New York le 12 janvier 1998
(689-9 CPP)
- De la convention de New-York pour la répression du financement
du terrorisme
- De la convention sur la protection physique des matières nucléaires
du 3 mars 1980
- De la convention pour la répression d’actes illicites contre la
sécurité de la navigation maritime (689-5 CPP)
- De la convention sur la répression de la capture illicite d’aéronefs et
de la convention de lutte contre les actes dirigés contre la sécurité
de l’aviation civile (689-6 CPP)
- Du protocole pour la répression des actes illicites de violence dans
les aéroports servant à l’aviation civile internationale (689-7 CPP)
- de la directive (UE) 2017/1371 du Parlement européen et du Conseil
du 5 juillet 2017 relative à la lutte contre la fraude portant atteinte
aux intérêts financiers de l'Union au moyen du droit pénal et de la
convention relative à la lutte contre la corruption impliquant des
fonctionnaires des Communautés européennes ou des fonctionnaires
des Etats membres de l'Union européenne faite à Bruxelles le 26 mai
1997
- infractions relevant de la compétence de la CPI
- Pour l'application du règlement (CE) n° 561/2006 du Parlement
européen et du Conseil du 15 mars 2006 relatif à l'harmonisation de
certaines dispositions de la législation sociale dans le domaine des
transports par route276.

276
(De même, 113-6 al. 2 CP Elle est applicable aux infractions aux dispositions du règlement
(CE) n° 561/2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 relatif à
l'harmonisation de certaines dispositions de la législation sociale dans le domaine des
transports par route, commises dans un autre Etat membre de l'Union européenne et
constatées en France, sous réserve des dispositions de l'article 692 du code de procédure
pénale ou de la justification d'une sanction administrative qui a été exécutée ou ne peut plus
être mise à exécution) Contra : La Cour ( CJUE, 9 sept. 2021 , aff. C-906/19, FO) décide que l'article 19 du
règlement (UE) n° 561/2006 relatif à l'harmonisation de certaines dispositions de la législation sociale dans le
domaine des transports par route ne permet pas que les autorités compétentes d'un État membre puissent imposer
une amende au conducteur d'un véhicule ou à une entreprise de transport pour une infraction commise sur le
territoire d'un autre État membre ou d'un pays tiers, même lorsqu'elle est constatée sur leur territoire et n'a pas déjà
donné lieu à sanction dans l'État membre, lieu de commission.
- la convention internationale pour la protection de toutes les
personnes contre les disparitions forcées, adoptée à New York, le
20 décembre 2006
- la convention pour la protection des biens culturels en cas de conflit
armé, faite à La Haye le 14 mai 1954, et du deuxième protocole
relatif à la convention de La Haye de 1954 pour la protection des
biens culturels en cas de conflit armé

Pour les infractions visées aux articles 689-2 s. CPP, la loi pénale française est
applicable à toute personne se trouvant en France sous la seule réserve du
respect de la règle non bis in idem c’est-à-dire sous réserve que l’auteur des faits
n’ait pas été définitivement jugé à l’étranger pour les mêmes faits et, en cas de
condamnation, que la peine ne soit ni subie ni prescrite (692 CPP).
Plusieurs juridictions pénales sont alors potentiellement compétentes :
- Celle du lieu où réside le prévenu
- Celle du lieu de sa dernière résidence connue
- Celle du lieu où il est trouvé
- Celle de la résidence de la victime
- Celle du lieu d’atterrissage de l’aéronef pour les infractions
commises à leur bord ou à leur encontre
Par ailleurs, l’article 693 du CPP prévoie quelques règles dérogatoires.

La juridiction de Paris exerce une compétence concurrente à celle qui résulte de la première phrase du
premier alinéa.

Selon la même logique, l’article 113-12 du Code pénal dispose que la loi pénale
française est applicable aux infractions commises au-delà de la mer territoriale,
dès lors que les conventions internationales et la loi le prévoient. L’extension de
cette compétence permet d’éviter que les eaux internationales ne servent de
refuge pour une criminalité internationale (trafic de stupéfiants, piraterie en
mer).
C’est ainsi que la loi pénale française a pu être appliquée au délit de pollution
causé par le naufrage de l’Erika dans les eaux internationales en application de
la convention Marpol (Cass. crim. 25 septembre 2012 ; à paraître au bulletin).

En dehors, de toute convention internationale le prévoyant, le législateur


français a prévu à l’article 689-11 du Code de procédure pénale que :
« Hors les cas prévus au sous-titre Ier du titre Ier du livre IV pour l'application de
la convention portant statut de la Cour pénale internationale, ouverte à la
signature à Rome le 18 juillet 1998, peut être poursuivie et jugée par les
juridictions françaises, si elle réside habituellement sur le territoire de la
République, toute personne soupçonnée d'avoir commis à l'étranger l'une des
infractions suivantes :
1° Le crime de génocide défini au chapitre Ier du sous-titre Ier du titre Ier du livre
II du code pénal ;
2° Les autres crimes contre l'humanité définis au chapitre II du même sous-titre
Ier, si les faits sont punis par la législation de l'Etat où ils ont été commis277 ou si
cet Etat ou l'Etat dont la personne soupçonnée a la nationalité est partie à la
convention précitée ;
3° Les crimes et les délits de guerre définis aux articles 461-1 à 461-31 du même
code, si les faits sont punis par la législation de l'Etat où ils ont été commis ou si

277
Cass. crim., 24 nov. 2021, n° 21-81.344, D : Solution. – Les infractions sous-jacentes aux crimes contre
l'humanité ne permettent pas de vérifier la règle de double incrimination au sens de l'article 689-11 du Code de
procédure pénale.
Impact. – Les crimes contre l'humanité n'étant pas incriminés en Syrie, et ce pays n'ayant pas adhéré au statut de
la Cour pénale internationale, leur poursuite en France au titre de la compétence universelle se révèle impossible.
cet Etat ou l'Etat dont la personne soupçonnée a la nationalité est partie à la
convention précitée.
La poursuite de ces crimes ne peut être exercée qu'à la requête du procureur de
la république antiterroriste et si aucune juridiction internationale ou nationale
ne demande la remise ou l'extradition de la personne. (…). »

2. Le principe de la personnalité active

La nationalité française de l’auteur des faits constitue une cause de refus


d’extradition et un motif facultatif de refus d’exécution d’un MAE. Afin d’éviter
l’impunité des délinquants de nationalité française sur le territoire, le législateur
a prévu la compétence de la loi pénale française pour les faits commis à
l’étranger par un français (113-6 CP). C’est la compétence personnelle active. La
nationalité française devant s’examiner au jour où l’extradition est demandée,
la loi pénale française est applicable même si l’auteur a acquis la nationalité
française après la commission des faits (113-6 al. 3 CP).
Cette compétence est soumise à un régime général à côté duquel des régimes
spéciaux apparaissent pour lutter contre certaines formes de criminalité.

a) Régime général de la compétence personnelle active


Cette compétence n’est prévue que pour les infractions les plus graves. La loi
pénale française est toujours compétente si les faits sont qualifiés de crime par
la loi française. La gravité intrinsèque de l’infraction justifie cette compétence
sans condition.
En revanche, pour les délits la compétence de la loi pénale française ne peut se
comprendre que si l’ordre public de l’Etat étranger a été troublé. C’est pourquoi
l’article 113-6 al. 2 du CP exige dans ce cas une réciprocité d’incriminations, c’est-
à-dire que les faits doivent également être punis dans l’Etat où ils ont été commis
même sous une qualification différente.
De même, s’agissant d’une compétence fondée sur la coopération internationale
la poursuite ne peut être exercée qu’à l’initiative du ministère public à la suite
d’une plainte de la victime ou d’une dénonciation officielle par les autorités du
pays du lieu de commission des faits (113-8 CP).
Par ailleurs, cette coopération internationale n’est plus nécessaire lorsque la
personne a été définitivement jugée pour les mêmes faits et en cas de
condamnation si la peine est subie ou prescrite (113-9 CP) applicable en cas de
compétence personnelle active.

b) Les régimes spéciaux de la compétence personnelle active

Certains auteurs ont mis en évidence que la réciprocité d’incriminations, la


plainte de la victime ou une dénonciation officielle pouvait constituer une
entrave à une lutte efficace contre la criminalité internationale278 face à
certains Etats dont l’économie repose en partie sur cette criminalité et qui n’ont
donc pas intérêt à incriminer certains comportements279.
C’est d’ailleurs pour cette raison, notamment pour lutter contre le tourisme
sexuel dont des mineurs étrangers peuvent être victimes, que le Code pénal
exclut la réciprocité d’incriminations pour certains délits commis à l’Etranger par
des Français, ou des personnes résidant habituellement en France, (art. 222-22
al. 3 C.pén).
+ recours à la prostitution de mineurs ou de personne vulnérable (225-12-3 CP)
+ corruption et trafic d’influence passifs (435-6-2 CP)

278
C. VAN DEN WYNGAERT, « Les transformations du droit international pénal en réponse au défi de la criminalité
organisée », art. préc. ; M. BENILLOUCHE, « Droit français », art. préc.
279
S. MANACORA, « Criminalité économique et contexte international », art. préc.
+ Participation à une activité mercenaire280 (436-3 CP)
+ délit de l’art. 511-1 CP : Est puni de dix ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende le
fait de se prêter à un prélèvement de cellules ou de gamètes, dans le but de faire naître un enfant
génétiquement identique à une autre personne, vivante ou décédée. (551-1-1CP)

+ L'article 225-4-8 (/traite des êtres humains) est rétabli et prévoit désormais
que « lorsque les infractions prévues aux articles 225-4-1 et 225-4-2 sont
commises hors du territoire de la République par un Français, la loi française est
applicable par dérogation au deuxième alinéa de l'article 113-6 et la seconde
phrase de l'article 113-8 n'est pas applicable » ( C. pén., art. 225-4-8 nouveau).
en vertu des dispositions des articles L. 121-1 et L. 121-7 du code de justice militaire, le tribunal aux armées de
Paris, devenu juridiction spécialisée de Paris depuis l’entrée en vigueur de la loi du 13 décembre 2011, a
compétence, sans aucune restriction, pour connaître des infractions commises hors du territoire de la
République par des militaires des forces armées françaises ou à leur encontre

+ infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’UE


Article 113-14 En savoir plus sur cet article...
Créé par Ordonnance n°2019-963 du 18 septembre 2019 - art. 1
Par dérogation au deuxième alinéa de l'article 113-6 (réciprocité
d’incriminations), la loi pénale française est applicable en toutes
circonstances, et la seconde phrase de l'article 113-8 n'est pas applicable
(plainte préalable de victime ou dénonciation officielle), aux infractions
suivantes commises à l'étranger par un Français ou par une personne
résidant habituellement ou exerçant tout ou partie de son activité

280
436-1 CP :

1° Par toute personne, spécialement recrutée pour combattre dans un conflit armé et qui n'est ni
ressortissante d'un Etat partie audit conflit armé, ni membre des forces armées de cet Etat, ni n'a été envoyée
en mission par un Etat autre que l'un de ceux parties au conflit en tant que membre des forces armées dudit
Etat, de prendre ou tenter de prendre une part directe aux hostilités en vue d'obtenir un avantage personnel
ou une rémunération nettement supérieure à celle qui est payée ou promise à des combattants ayant un rang
et des fonctions analogues dans les forces armées de la partie pour laquelle elle doit combattre ;

2° Par toute personne, spécialement recrutée pour prendre part à un acte concerté de violence visant à
renverser les institutions ou porter atteinte à l'intégrité territoriale d'un Etat et qui n'est ni ressortissante de
l'Etat contre lequel cet acte est dirigé, ni membre des forces armées dudit Etat, ni n'a été envoyée en mission
par un Etat, de prendre ou tenter de prendre part à un tel acte en vue d'obtenir un avantage personnel ou une
rémunération importants.
économique sur le territoire français, lorsqu'elles portent atteinte aux
recettes perçues, aux dépenses exposées ou aux avoirs qui relèvent du
budget de l'Union européenne, des budgets des institutions, organes et
organismes de l'Union européenne ou des budgets gérés et contrôlés
directement par eux :

1° Délits d'escroquerie prévus à la section 1ère du chapitre III du titre Ier


du livre III ;

2° Délits d'abus de confiance prévus à la section 1ère du chapitre IV du


titre Ier du livre III ;

3° Délits de soustraction, détournement ou destruction de biens prévus


aux articles 432-15 et 433-4 ;

4° Délits de corruption prévus aux articles 432-11 et 433-1, ainsi que,


sans préjudice de l'article 435-11-2, aux articles 435-1 et 435-3 ;

5° Délits de contrebande, d'importation ou d'exportation frauduleuse


prévus à l'article 414-2 du code des douanes ;

6° Délits de blanchiment prévus à la section 1ère du chapitre IV du titre II


du livre III des délits mentionnés au présent article.

Pour la poursuite de la personne qui s'est rendue coupable sur le territoire


français, comme complice, d'une infraction prévue aux 1° à 6° commise
à l'étranger et portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union
européenne mentionnés au premier alinéa du présent article, les
conditions prévues à l'article 113-5 ne sont pas applicables (réciprocité
d’incrimination – jugement constatant infraction principale).

Il reste que la réciprocité d’incriminations devrait être la règle, les exceptions


devant être expressément prévues en raison de certaines formes particulières
de criminalité internationale.
En outre, il convient de signaler un nouveau chef de compétence fondé sur la
nationalité de l’auteur des faits sans que toutefois, les conditions classiques ne
soient exigées. (113-8 et 113-9 et réciprocité d’incrimination)
Article 113-13 En savoir plus sur cet article...
Créé par LOI n°2012-1432 du 21 décembre 2012 - art. 2

La loi pénale française s'applique aux crimes et délits qualifiés d'actes de terrorisme et réprimés par le titre
II du livre IV commis à l'étranger par un Français ou par une personne résidant habituellement sur le territoire
français.

Plus récemment encore, la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020 relative au


Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale
spécialisée a introduit un article 113-8-1 aux termes duquel :
« La plainte ou la dénonciation mentionnées à l'article 113-8 ne sont pas
nécessaires lorsque la poursuite est exercée devant une juridiction pénale
disposant, en application des dispositions du code de procédure pénale, d'une
compétence territoriale concurrente et spécialisée s'étendant sur le ressort de
plusieurs tribunaux judiciaires ou sur l'ensemble du territoire. »
De nouveau, il s’agit d’un assouplissement de la répression des infractions
commises à l’étranger par ou contre un français, puisque cela concerne un grand
nombre d’hypothèses : délinquance économique et financière, et infractions
portant atteinte à l’environnement et à la santé publique.

XXX CM du 6 Octobre 2022


3. La compétence par défaut en cas de refus d’extradition
Toujours dans un souci de coopération internationale, depuis une loi du 5 août
2013, la loi pénale française est également applicable, sous certaines conditions,
à des faits commis à l’étranger contre un étranger par un étranger dont
l’extradition a été refusée (art. 113-8-1 CP devenu article 113-8-2 avec la loi n°
2020-1672 du 24 décembre 2020 ).
Les faits concernés doivent présentés une certaine gravité : crime ou délit puni
de 5 ans d’emprisonnement.
Les causes de refus d’extradition limitativement énumérées :
- soit que la personne réclamée aurait été jugée dans ledit État par un
tribunal n'assurant pas les garanties fondamentales de procédure et
de protection des droits de la défense,
- soit que le fait considéré revêt le caractère d'infraction politique,
- soit que l'extradition ou la remise serait susceptible d'avoir, pour la
personne réclamée, des conséquences d'une gravité exceptionnelle en
raison, notamment, de son âge ou de son état de santé.
Dans ce cas, la poursuite des infractions mentionnées au premier alinéa ne peut
être exercée qu'à la requête du ministère public.

Si la loi pénale française est compétente pour connaître des infractions


commises à l’étranger dans un souci de coopération internationale, une telle
compétence peut aussi être justifiée par le désir de protéger les nationaux contre
les infractions commises à leur encontre à l’étranger.

C. La compétence de la loi pénale française justifiée par la protection des nationaux


La compétence personnelle passive, c’est-à-dire déclenchée par la nationalité
française de la victime, est prévue par l’article 113-7 du Code pénal.

S’agissant de protéger les nationaux à l’étranger, la compétence de la loi pénale


française n’est admise que dans la mesure où la victime directe de l’infraction
est de nationalité française à l’exclusion des victimes indirectes ou par ricochet
telles que la veuve et les enfants de la victime281.
Cass. crim., 12 juin 2018, n° 17-86.640 : JurisData n° 2018-010250
Observation :

La Cour de cassation estime que n'est pas nouvelle la question prioritaire de constitutionnalité qui porte sur
l'interprétation des articles 113-7 du Code pénal et 689 du Code de procédure pénale qui ne permet pas aux victimes
par ricochet de bénéficier de la compétence extra-territoriale de la loi française lorsque l'infraction les concernant est
commise à l'étranger. La question n'est donc pas renvoyée au Conseil constitutionnel.

Par ailleurs, la nationalité de la victime doit être appréciée au jour des faits et
non au jour du jugement.
Cette compétence ayant pour objet de protéger les nationaux à l’étranger ne se
justifie plus si l’auteur des faits a déjà été définitivement jugé pour les mêmes
faits et en cas de condamnation, si la peine est subie ou prescrite (113-9 CP). De
même, ce particularisme justifie que les poursuites ne peuvent être exercées
qu’à la requête du ministère public après une plainte de la victime ou une
dénonciation des autorités étrangères (113-8 CP).

Cette compétence n’est prévue que pour les faits les plus graves. En effet,
l’article 113-7 du Code pénal ne vise que les crimes et délits punis
d’emprisonnement. Il faut donc qu’une peine privative de liberté soit encourue.

281
Cass. crim., 31 janvier 2001 : Bull. crim. n°31 ; Cass. crim., 21 janvier 2009 : JCP G 2009, IV, 1337.
Cette compétence n’ayant pas pour objectif de permettre une coopération
internationale, la réciprocité d’incriminations n’est pas exigée ni pour les crimes
ni pour les délits. Cette absence de réciprocité d’incriminations en matière
criminelle n’est pas critiquable, compte tenu de la gravité intrinsèque des faits.
En revanche, l’absence de réciprocité d’incriminations paraît beaucoup plus
critiquable en matière de compétence personnelle passive s’agissant des délits
punis d’emprisonnement282 si la loi du pays où l’infraction a été commise ne la
réprime pas283. En effet, dans cette hypothèse, il y a une violation du principe
de légalité dans la mesure où la seule loi que l’individu est présumé connaître
est celle du lieu de l’infraction284.
En outre, en retenant une compétence aussi large, la France fait preuve
d’ingérence dans la souveraineté d’Etats étrangers. En effet, la compétence
personnelle passive permet de sanctionner pénalement des comportements
ayant eu lieu à l’Etranger sans qu’un trouble à l’ordre public français puisse être
caractérisé. De plus, cette compétence conduit à menacer d’une sanction pénale
des ressortissants étrangers qui sont en relation avec des Français, personne
physique ou morale, dans des domaines où la conception française de l’ordre
public n’est pas partagée, notamment en matière économique et sociale.
Les inconvénients liés à l’application de la loi pénale en raison de la nationalité
de la victime expliquent sans doute que la plupart des Etats ont limité cette
compétence aux actes criminels les plus graves et exigent une réciprocité
d’incriminations285.

282
D. CHILSTEIN, Th. préc., n° 45.
283
Comité européen pour les problèmes criminels, Compétence extraterritoriale en matière pénale, préc., p. 30.
284
E. SERVIDIO-DELABRE, « Application de la loi pénale dans l’espace, infractions commises ou réputées
commises hors le territoire de la République », Fasc. préc., n° 43.
285
E. CAFRITZ et O. TENE, « Plaidoyer en faveur d’une restriction de la compétence personnelle passive en droit
français », art. préc. ; Comité européen pour les problèmes criminels, Compétence extraterritoriale en matière
pénale, préc., p. 11 : ce Comité a relevé que ce principe de la personnalité passive était extrêmement sujet à
controverse.
En conclusion, il convient d’insister sur le fait que si la loi pénale française peut
être compétente pour des infractions commises à l’étranger, le juge pénal
français ne peut appliquer que la loi nationale à l’exclusion des lois pénales
étrangères. C’est pourquoi en droit pénal il n’y a jamais ni conflit de lois ni conflit
de juridictions. Tout au plus, le juge peut prendre en considération une loi
étrangère si le législateur exige une réciprocité d’incriminations.

En revanche, la condition préalable de l’infraction n’étant pas un élément


constitutif de l’infraction, sa qualification peut relever d’une loi étrangère. Par
exemple, le délit d’abandon de famille commis sur le territoire de la République
relève de la loi pénale française même si la décision de justice fixant la pension
alimentaire émane d’une juridiction étrangère286.

Chapitre 2 : La réalisation matérielle de l’infraction

Pour que le juge pénal puisse entrer en condamnation il faut qu’il caractérise les
éléments constitutifs de l’infraction tels qu’ils sont définis par le texte
d’incrimination (Section 1). Parfois, les faits dont le juge pénal est saisi peuvent
revêtir plusieurs qualifications, le juge devra alors déterminer la ou les
qualifications qu’il pourra retenir (Section 2). Enfin, la qualification pénale sera
exclue si un fait justificatif de l’infraction peut être caractérisé (Section 3).

Section 1 : Les éléments constitutifs de l’infraction

286
Cass.crim., 29 janvier 2003 : D. 2004, Somm. comm. p. 307, obs. S. MIRABAIL. Cet auteur relève que la solution
n’est pas contestable dans son principe, mais qu’il paraît difficile d’assimiler un acte notarié à une convention
judiciairement homologuée.
Les éléments que le juge pénal devra caractériser pour entrer en condamnation
sont légèrement différents selon que l’infraction est consommée ou seulement
tentée.

§1. L’infraction consommée

Si le fait matériel constitutif de l’infraction caractérise un trouble à l’ordre public


par la violation d’obligations prescrites par la loi ce seul fait ne suffit pas à
permettre une condamnation. Une peine ne peut être en principe prononcée
que si l’auteur matériel des faits a manifesté une hostilité ou une indifférence
aux valeurs sociales protégées. Il en résulte que toute infraction est en principe
constituée d’un élément matériel et d’un élément moral.

A. La condition préalable de l’infraction


La condition préalable étant une composante du texte d’incrimination, elle est
indispensable à la qualification de l’infraction. Cependant, elle est un élément de
l’incrimination qui ne correspond ni au comportement infractionnel ni au
résultat, dès lors elle ne peut conférer au délit ni le caractère d’infraction
complexe ni celui d’infraction matérielle.

Les conditions préalables de l’infraction sont


- l’objet de l’infraction (la chose d’autrui dans le vol),
- la qualité de l’auteur ou de la victime,
- des circonstances de fait (le péril dans le délit de non-assistance à personne
en danger),
- des actes juridiques (le contrat dans l’abus de confiance sous l’empire de
l’ancien Code pénal),
- des faits juridiques (l’accident dans le délit de fuite),
- des décisions de justice (la décision civile dans le délit d’abandon de
famille).

La condition préalable d’une infraction peut même être une autre infraction :
c’est le cas pour tous les délits de conséquence (recel, blanchiment).

La condition préalable représente directement ou indirectement le bien


juridique pénalement protégé. Ainsi, la « famille » est une valeur fondamentale
de la société française. Sa protection passe notamment par le suivi des relations
entre l’enfant et certaines personnes. A cette fin, le législateur prévoit
l’obligation de représenter l’enfant à la personne qui a le droit de le réclamer et
le délit de non-représentation d’enfant sanctionne la violation de cette
obligation. Dans ce délit, la condition préalable est « la personne qui a le droit
de réclamer l’enfant » et « l’enfant ».
Son régime relève de la discipline juridique d’origine. Ainsi, concernant la
qualification du contrat de travail il faut se référer au droit social. De même, il
convient parfois d’appliquer la loi civile étrangère pour procéder à sa
qualification comme, par exemple, le premier mariage célébré à l’étranger, dans
le cadre d’une poursuite pour délit de bigamie en France.

B. L’élément matériel

Le principe de légalité et son corolaire le principe d’interprétation stricte


implique que le juge pénal ne peut entrer en condamnation que dans la mesure
où les faits matériels dont il est saisi caractérisent trait pour trait l’infraction
décrite par le texte d’incrimination. Or, l’étude des textes d’incriminations fait
apparaître que les infractions présentent des structures matérielles distinctes.
Pour en rendre compte la doctrine a proposé une classification des infractions.
La première est fondée sur le nombre d’actes caractérisant l’infraction.
L’infraction simple est caractérisée par un seul acte (ex. : le vol), l’infraction
complexe suppose plusieurs actes de nature différente (ex. : escroquerie), et
l’infraction d’habitude suppose au moins deux actes de même nature (ex. :
exercice illégal de la médecine).

La seconde classification est fondée sur la durée de l’infraction et elle oppose


l’infraction instantanée qui se réalise en un trait de temps (ex. : le vol) et
l’infraction continue qui se prolonge dans le temps (ex. : le recel-détention).
Ces classifications présentent des intérêts notamment en ce qui concerne la
localisation spatiale et temporelle de l’infraction comme nous l’avons vu.

En revanche, deux autres classifications posent des difficultés particulières


lorsque le juge saisis de faits précis doit qualifier l’infraction. Il s’agit tout
d’abord, de la distinction entre infraction d’omission et infraction de
commission, ensuite de la distinction entre infraction matérielle et infraction
formelle.

1. Infractions d’omission et de commission

Tout d’abord, la première distinction consiste à opposer les infractions


d’omission et les infractions de commission. L’infraction de commission ne peut
être caractérisée que par une action, un comportement positif. Par exemple, la
soustraction frauduleuse de la chose d’autrui pour le vol, le fait de donner la
mort à autrui dans le meurtre, ou encore le viol suppose un acte de pénétration
sexuelle.
L’infraction d’omission est quant à elle caractérisée par une abstention. Par
exemple, le délit de non assistance à personne en danger suppose un
comportement passif là où le danger commandait au contraire une action (223-
6 al. 2 CP). Les délits d’absentions sont moins nombreux car ils portent davantage
atteintes aux libertés individuelles. En effet, il plus contraignant d’obliger d’agir
sous la menace d’une sanction pénale que de prohiber certains actes positifs.

Lorsque le législateur vise une action, le principe d’interprétation stricte exclu


que le juge puisse retenir une omission même si le résultat est le même.
Ce point peut être illustré par l’affaire de la séquestrée de Poitiers ayant soulevé
l’émoi de l’opinion publique et dont André Gide a fait un roman.
Tout commence le 23 mai 1901 à POITIERS :
Sur dénonciation anonyme, un commissaire de police force la porte d'une
maison bourgeoise de Poitiers et découvre une femme, dans une chambre
obscure aux volets fermés, croupissant sur un lit au milieu d'immondices.
L'enquête va permettre de savoir que cette femme, âgée de 50 ans, vit dans des
conditions épouvantables dans cette chambre depuis 25 ans.
Très vite, une rumeur surgit: Blanche Monnier, aurait été séquestrée par sa
famille, à la suite d'un amour contrarié. Le frère de la victime a été poursuivi pour
délit de violences volontaires. Cependant, la Cour d’appel de Poitiers dans un
arrêt du 20 novembre 1901, le relaxa aux motifs que si on pouvait lui reprocher
d’avoir délaissé sa sœur, aucun acte positif de violences ne pouvait être retenu
à son encontre. La loi pénale étant d’interprétation stricte, une infraction de
commission ne peut être étendue à des faits d’omission. Cette affaire illustre
l’exclusion de l’interprétation analogique. Aujourd’hui le crime de séquestration
est incriminé à l’article 224-1 du Code pénal.
Toutefois, le législateur peut aussi bien viser une action, qu’une omission. Par
exemple, pour les atteintes involontaires à la vie ou à l’intégrité physique le
législateur vise tant l’imprudence qui suppose un acte positif que la négligence
caractérisée par une abstention.

2. Les infractions matérielles et les infractions formelles

Cette distinction repose sur l’exigence ou non d’un résultat matériel par le texte
d’incrimination.
La qualification d’infraction matérielle ne peut être retenue que dans
l’hypothèse où le texte d’incrimination exige un résultat matériel distinct en
relation causal avec le comportement incriminé. Par exemple, le meurtre et
l’homicide involontaire sont deux infractions pour lesquelles la loi exige comme
résultat la mort de la victime.
La difficulté majeure pour les infractions matérielles est de caractériser le lien de
causalité qui, dans certains cas, pose des difficultés. Pour reprendre un exemple
cité par M. le Pr PRADEL, si un individu est blessé par des coups de couteau mais
qu’il décède à la suite d’une négligence commise à l’hôpital où il a été transporté
pour se faire soigner peut-on considérer que la mort est en relation causale avec
les coups portés, et retenir ainsi le crime de violences volontaires ayant entraîné
la mort sans intention de la donner (222-7 CP) ?

Les thèses sur la causalité en droit pénal sont exactement les mêmes qu’en droit
civil.
La première est celle de l’équivalence des conditions qui permet de retenir tous
les faits ayant contribués à la réalisation du dommage, en d’autres termes toutes
les causes du dommage sont équivalentes.
La deuxième thèse est plus restrictive, elle conduit à ne retenir que la cause la
plus proche dans le temps du dommage, c’est la théorie de la proximité de la
cause.
Enfin, la troisième thèse, celle de la causalité adéquate permet de retenir une
cause éloignée dans le temps mais qui devait nécessairement conduire au
résultat.

En ce qui concerne les infractions intentionnelles la jurisprudence a consacré la


théorie de la causalité adéquate en matière criminelle (meurtre et coups
mortels)- et l’équivalence des conditions pour les délits de violences volontaires,
la condamnation de l’auteur est encourue même si les coups ne sont pas la cause
exclusive du dommage.
Par exemple, est coupable de coups volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner l’individu
ayant porté à la victime deux coups de poing ont entraîné la mort parce que la victime « était atteinte depuis
longtemps d’une maladie chronique et fort grave au foie et à la rate »287.

Pour les infractions non intentionnelles telles que le délit d’homicide


involontaire la jurisprudence retenait l’équivalence des conditions jusqu’à une
loi du 10 juillet 2000 qui impose dorénavant de distinguer selon que la causalité
est directe ou indirecte, exigeant une faute qualifiée en cas de causalité
indirecte.

Lorsque le texte ne vise pas de résultat matériel, mais se contente de viser un


comportement, la condamnation est encourue que ce comportement ait eu ou
non une conséquence. Par exemple, l’empoisonnement défini par l’article 221-5
du Code pénal comme « Le fait d'attenter à la vie d'autrui par l'emploi ou

287
Cass. crim., 12 juillet 1844 : Bull. crim. n°644 ; dans le même sens : Cass. crim., 30 janvier 2007 : AJ pénal
2007, p. 179.
l'administration de substances de nature à entraîner la mort constitue un
empoisonnement » ne suppose pas la mort de la victime. De même, l’article 433-
21 du Code pénal dispose que « Tout ministre d'un culte qui procédera, de
manière habituelle, aux cérémonies religieuses de mariage sans que ne lui ait été
justifié l'acte de mariage préalablement reçu par les officiers de l'état civil sera
puni de six mois d'emprisonnement et de 7500 euros d'amende » ne vise aucun
résultat particulier.
Ces infractions qui ne supposent pas de résultat matériel sont dénommées
infractions formelles. Il convient de s’interroger sur la conséquence de la
survenance d’un résultat.

Certaines incriminations ont pour objet de réprimer des comportements


potentiellement dangereux indépendamment de tout résultat. Il s’agit
d’infractions obstacles, telle que le délit de risque causé à autrui défini par
l’article 223-1 du Code pénal comme « Le fait d'exposer directement autrui à un
risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation
ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d'une
obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le
règlement » (est puni d'un an d'emprisonnement et de 15000 euros d'amende).
Lorsque le résultat redouté survient, par exemple les blessures ou la mort d’une
personne, l’infraction obstacle ne peut plus être retenue, seule l’infraction
comportant le résultat, par exemple homicide involontaire, peut être qualifiée.

L’infraction ne peut être qualifiée que si les faits dont est saisi le juge
correspondent trait pour trait à l’infraction décrite dans le texte d’incrimination.
Par ailleurs, le juge devra vérifier si les faits établissent suffisamment l’élément
moral de l’infraction.
C. L’élément moral

Pour une partie de la doctrine, l’élément moral est une composante de


l’infraction, il est donc abordé dans l’étude de celle-ci288. Pour une autre partie
de la doctrine, la psychologie du délinquant présente une unité inséparable de
ce dernier, l’étude de l’intention est alors envisagée au regard de l’auteur289.
Les deux analyses sont justifiées. Toutefois, il apparaît que l’imputabilité, définie
comme la faculté de comprendre et de vouloir, est toujours identique selon
l’infraction envisagée et qu’elle est spécifique à chaque individu290. En
revanche, l’élément moral varie d’une infraction à une autre et son contenu est
toujours identique pour une infraction donnée quel que soit l’auteur des
faits291. C’est pourquoi, malgré l’unité incontestable que présente la
psychologie d’un individu, l’étude de l’élément moral dans le cadre de
l’infraction paraît plus adaptée à son contenu.
La responsabilité pénale se compose de « l’imputabilité pour le fondement, et
(de) la culpabilité pour la mesure »292. La culpabilité établit le reproche adressé

288
Y. MAYAUD, Droit pénal général, ouv. préc., n° 194 s. ; F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général,
ouv. préc., n° 463 s. ; B. BOULOC, Droit pénal général, ouv. préc., n° 253 ; X. PIN, Droit pénal général, ouv. préc.,
n° 167 ; R. MERLE et A. VITU, Droit pénal général, ouv. préc., p. 727 ; M.-L. RASSAT, Droit pénal général, ouv.
préc., n° 283 s. ; R. BERNARDINI, Th. préc., n° 6 ; B. MERCADAL, « Recherches sur l’intention en droit pénal »,
art. préc. ; P. MIMIN, « L’intention et le mobile », Rec. d’études en hommage à la mémoire de M. PATIN, La
chambre criminelle et sa jurisprudence, Cujas, p. 115 s.
289
A. DECOCQ, Droit pénal général, ouv. préc., p. 206 s.; J. PRADEL, Droit pénal général, ouv. préc., n° 493 ; W.
JEANDIDIER, Droit pénal général, ouv. préc., n° 320 ; V. SAINT-GERAND, Th. préc., p. 20 ; G. LEVASSEUR, « Les
aspects psychologiques du comportement criminel, l’élément moral de l’infraction en droit français », in Travaux
du quatrième colloque international de droit comparé, éd. de l’Université d’Ottawa, 1967, p. 111 s. ; J. PINATEL,
« La théorie pénale de l’intention devant les sciences de l’homme », Rec. d’études à la mémoire de J. LEBRET :
L’évolution du droit criminel contemporain, P.U.F. 1968, p. 181 s.
290
Y. MAYAUD, Droit pénal général, ouv. préc., n° 198 ; E. WAGNER, La notion d’intention pénale dans la doctrine
classique et la jurisprudence contemporaine, Th. Clermont I, 1976, p. 41.
291
W. JEANDIDIER, Droit pénal général, ouv. préc., n° 322 ; J. PRADEL et A. VARINARD, Les grands arrêts du droit
pénal général, ouv. préc., n° 39 ; R. MERLE et A. VITU, Droit pénal général, ouv. préc., n° 589 ; R. BERNARDINI,
Th. préc., n° 8 et 98 s. ; G. LEVASSEUR, « Les aspects psychologiques du comportement criminel, l’élément moral
de l’infraction en droit français », art. préc. ; M. PUECH, « Scolies sur la faute pénale », art. préc. ; E. GARÇON,
Code pénal annoté, ouv. préc., art. 1, n° 78.
292
Y. MAYAUD, « De l’article 121-3 du Code pénal à la théorie de la culpabilité en matière pénale », D. 1997,
Chron. p. 37 s. En ce sens : J. VIDAL, « La conception juridique française de la culpabilité », in La culpabilité,
à l’auteur matériel des faits293. Cette culpabilité résulte d’une faute appelée
« élément moral » de l’infraction294 qui caractérise soit une hostilité aux valeurs
sociales protégées pour les infractions intentionnelles, soit une indifférence à
ces valeurs pour les infractions non-intentionnelles295. C’est l’élément moral de
l’infraction qui détermine en partie la gravité du comportement au regard de
l’adhésion psychologique de l’auteur aux faits. Ainsi, le fait de donner
volontairement la mort à autrui est intrinsèquement plus grave que le fait de
donner involontairement la mort à autrui.
Sous l’empire du Code pénal de 1810, aucun article de loi ne définissait de façon
générale l’élément moral de l’infraction, ni la nature de cet élément en fonction
du type d’infraction envisagée. Si les crimes sont toujours des infractions
intentionnelles, la jurisprudence se référait aux termes utilisés par la loi pour
déterminer si les délits étaient intentionnels ou non. Ainsi, en présence de
termes tels que « frauduleusement », « volontairement » ou « de mauvaise
foi », les juges déduisaient que le délit était intentionnel. A défaut, d’une telle
précision, le plus souvent ils retenaient que le délit était non intentionnel, en
d’autres termes qu’il pouvait résulter d’une simple négligence ou imprudence.
Par ailleurs, pour les délits incriminés hors Code pénal, la jurisprudence se
dispensait parfois de caractériser un élément psychologique se contentant de la
réalisation matérielle des faits pour entrer en condamnation. Le délit ainsi réduit

Annales de l’Université des sciences sociales de Toulouse, Tome XXIV, 1976, p. 45 s. ; R. MERLE, Rapport de
synthèse, in La culpabilité, ouv. préc., p. 279 s. et Rev.sc.crim. 1976, p. 29 s. ; P. COUVRAT, « La responsabilité
pénale dans le nouveau Code », Problèmes actuels de sciences criminelles, Institut de sciences pénales et de
criminologie, Aix-Marseille, Vol. IX, 1996, p. 39 s. ; P. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit pénal général,
ouv. préc., n° 376 pour qui « La culpabilité constitue, après l’imputabilité, la seconde composante de l’élément
moral de l’incrimination ».
293
V. SAINT-GERAND, La culpabilité dans la théorie de la responsabilité pénale, Th. Lyon 3, 2000, p. 2 : la
culpabilité « met en exergue l’existence d’un jugement de valeur porté sur le comportement même de l’agent ».
294
J. VIDAL, « La conception juridique française de la culpabilité », art. préc. ; R. MERLE, Rapport de synthèse,
préc.
295
A. DECOCQ, Droit pénal général, ouv. préc., p. 207 ; Y. MAYAUD, « De l’article 121-3 du Code pénal à la
théorie de la culpabilité en matière pénale », art. préc. ; Y. MAYAUD, « L’intention dans la théorie du droit
pénal »,art. préc. ; Y. MAYAUD, Droit pénal général, ouv. préc., n° 194 ; J. VIDAL, « La conception juridique
française de la culpabilité », art. préc.
à sa simple matérialité était qualifié de délit matériel. Concernant les
contraventions qui n’établissent qu’une simple indiscipline sociale, la
jurisprudence n’a en principe jamais exigé un élément moral, et la doctrine
considérait que celui-ci était présumé.

Avec l’actuel Code pénal, le législateur a posé des règles générales concernant
l’élément moral des crimes, des délits et des contraventions. Ainsi, il résulte de
l’actuel article 121-3 du Code pénal qu’en principe les crimes et les délits sont
intentionnels, que toutefois, concernant les délits une faute non intentionnelle
peut suffire, et qu’il n’y a pas de contravention en cas de force majeure.
Cet article reproduit donc les solutions classiques en ce qui concerne les crimes
et les contraventions, mais il innove pour les délits. Dorénavant, quel que soit le
délit il est par principe intentionnel, et cette exigence vaut pour les anciens délits
matériels, sauf précision contraire de la loi permettant de retenir une faute non
intentionnelle étant précisé que la loi du 16 décembre 1992 relative à l’entrée
en vigueur du Code pénal a expressément prévu que « tous les délits non
intentionnels réprimés par les textes antérieurs à l’entrée en vigueur de la
présente loi demeurent constitués en cas d’imprudence, de négligence ou de mise
en danger délibérée de la personne d’autrui, même lorsque la loi ne le prévoit pas
expressément » (art. 339 ; JO 23/12/1992, p. 17568) . L’étude de l’élément moral
de l’infraction suppose donc d’aborder successivement les deux grandes
catégories de faute que sont la faute intentionnelle et la faute non
intentionnelle.

1. La faute intentionnelle
Eu égard aux difficultés de définition de l’intention, il faut tout d’abord, que soit
établi ce qui ne compose pas l’intention, puis ce qui, au contraire, la caractérise.
C’est pourquoi une définition négative de l’intention (a) doit être abordée avant
une définition positive (b).

a. La définition négative de l’intention

L’intention permet d’établir la culpabilité de l’auteur matériel, à ce titre elle n’est


pas une composante de l’imputabilité (I). Par ailleurs, la doctrine majoritaire,
ayant repris la définition de l’intention proposée par Emile Garçon, considère, à
tort, que la connaissance de la prohibition légale est nécessaire pour la
caractériser (II).

I. Une nécessaire distinction entre intention et imputabilité

C’est en raison de l’exigence de l’imputabilité que la responsabilité pénale est


une responsabilité subjective, elle suppose la faculté de comprendre et de
vouloir. En d’autres termes, seule une personne disposant de ses facultés
mentales et de son libre arbitre peut être reconnue pénalement responsable.
Par ailleurs, il faudra caractériser la volonté de commettre l’infraction en toute
connaissance de cause pour lui reprocher une infraction intentionnelle. La
distinction entre l’imputabilité et l’intention est admise par la majorité de la
doctrine. « L’imputabilité, c’est l’existence d’une capacité, la culpabilité étant
l’exercice de cette capacité »296. Les difficultés apparaissent lors de la mise en
œuvre de cette distinction, pour déterminer ce qui relève de l’une ou de l’autre.

296
E. WAGNER, Th. préc., p. 35 ; en ce sens: V. SAINT-GERAND, Th. préc., p. 112 s. ; I. MOINE-DUPUIS,
« L’intention en droit pénal : une notion introuvable ? », D. 2001, Chron. p. 2144 s.
L’imputabilité, suppose la capacité de comprendre. Cette capacité de
comprendre s’apprécie au regard des facultés mentales de l’auteur de
l’infraction. Dès lors que cette capacité est caractérisée l’infraction lui est
imputable. Cette capacité ne se confond pas avec la connaissance effective des
circonstances. Par exemple, le délit d’omission de porter secours suppose que
l’auteur ait connaissance de la situation périlleuse à défaut on ne peut lui
reprocher son abstention. L’erreur commise sur la situation de fait empêche de
caractériser l’intention, c’est-à-dire la volonté de s’abstenir en toute
connaissance de cause. Cependant, une telle erreur ne remet pas en question
les facultés mentales de l’auteur. L’intention ne se confond pas avec la capacité
de comprendre.

Outre le fait que l’imputabilité suppose la capacité de comprendre, il faut aussi


que l’agent ait disposé d’une volonté libre. Ainsi, si l’auteur a été contraint
d’accomplir une infraction sous la menace d’une arme il ne peut être déclaré
pénalement responsable. Cette capacité volitive ne se confond pas avec
l’intention. En effet, il convient de distinguer la faculté de vouloir ou « puissance
volitive »297 et l’exercice de cette volonté298. En ce qui concerne l’imputabilité,
« le problème n’est pas de savoir ce que l’agent a voulu mais s’il avait la capacité
de vouloir »299. En revanche, lorsque l’on s’interroge sur l’existence de
l’intention, il faut se demander ce que l’agent a concrètement voulu. Ainsi, si une
personne disposant de son libre arbitre a tué un tiers, il conviendra de
déterminer si elle a voulu ou non un tel résultat. C’est seulement si elle

297
R. BERNARDINI, Th. préc., n° 55; J. ORTOLAN, Eléments de droit pénal, ouv. préc., n° 248.
298
J. ORTOLAN, Eléments de droit pénal, ouv. préc., n° 249 ; R. BERNARDINI, Th. préc., n° 55 s. ; Y. MAYAUD,
« La volonté à la lumière du nouveau Code pénal », Mél. LARGUIER, PUG 1993, p. 203 s.
299
J.-Y. MARÉCHAL, Th. préc., n° 675.
recherchait le résultat mortel que l’on pourra lui reprochait un meurtre,
infraction intentionnelle.

L’imputabilité suppose donc la capacité de vouloir et de comprendre. Cette


dernière étant établie, l’exercice de ces facultés relève de l’élément moral de
l’infraction300. Par ailleurs, cet élément ne peut pas être défini au regard de la
connaissance de l’incrimination.

II. L’exclusion de la connaissance de l’incrimination comme composante de l’intention

Il est inutile d’affirmer que la connaissance de la loi pénale est une composante
de l’intention dans la mesure où l’adage « nul n’est censé ignorer la loi »
présume cette connaissance301. Par ailleurs, si l’intention suppose une telle
connaissance il faudrait conclure que toute erreur de droit l’exclut, or, seule
l’erreur de droit invincible (122-3 C.pén.) est une cause d’irresponsabilité pénale.
De plus, si la connaissance de la loi était une composante de l’intention, il
faudrait reconnaître que l’erreur de droit fait seulement obstacle à la
qualification des infractions intentionnelles et qu’elle serait sans effet pour les
infractions non intentionnelles, or, l’erreur de droit est une cause
d’irresponsabilité pénale tant pour les infractions intentionnelles que pour les
infractions non-intentionnelles. Une telle erreur est donc sans rapport avec
l’existence ou non de l’intention.
Par exemple, le délit de bigamie caractérisé par « le fait, pour une personne
engagée dans les liens du mariage, d’en contracter un autre avant la dissolution
du précédent » (433-20 CP), suppose que l’auteur des faits ait connaissance du

300
J. ORTOLAN, Eléments de droit pénal, ouv. préc., n° 256.
301
A.-C. DANA, Th. préc., n° 460; R. BERNARDINI, Th. préc., n° 81; E. WAGNER, Th. préc., p. 19 et p. 85 s.; R.
LEGROS, L’élément moral dans les infractions, Sirey, 1952, n° 139 ; J. VIDAL, « La conception juridique française
de la culpabilité », art. préc. ; P. MIMIN, « L’intention et le mobile », art. préc. toutefois, ce dernier auteur retient
que « l’intention ne comporte pas nécessairement la conscience de violer une loi et peut comporter simplement
l’état d’inquiétude indépendant de la connaissance de la loi ».
premier mariage pour que l’intention soit établie. Si un étranger se marie en
France avant la dissolution d’un premier mariage en toute connaissance de
cause, il se rendra coupable de bigamie même s’il invoque le fait qu’il ne
connaissait par l’article 433-20 du Code pénal sanctionnant pénalement la
bigamie.

L’intention ne se confond donc pas avec l’imputabilité et ne suppose pas la


connaissance effective du texte d’incrimination. La définition négative de
l’intention ayant été abordée, il convient d’envisager sa définition positive.

b. La définition positive de l’intention

La question de la définition de l’intention ne doit pas être confondue avec sa


preuve.

I. La définition de l’intention

Etymologiquement l’intention vient du mot tendere signifiant « tendre vers ». Au


regard de son sens étymologique, l’intention est alors la volonté tendue vers la
commission de l’infraction telle qu’elle est définie par la loi302. Il reste alors à
préciser le contenu de cette notion au regard des diverses composantes de
l’incrimination303, sachant que, quelle que soit l’infraction envisagée,
l’incrimination vise nécessairement l’élément matériel et la condition préalable.

302
R. GARRAUD, Traité théorique et pratique de droit pénal français, ouv. préc., n° 290 ; J.-Y. MARECHAL, Th.
préc., n° 680 ; En ce sens : R. MERLE et A. VITU, Droit pénal général, ouv. préc., n° 579.
303
Un auteur relève d’ailleurs que les formules utilisées par la jurisprudence pour définir l’intention « semblent
tributaires des éléments constitutifs propres à chacune des infractions considérées » : J.-Y. MARECHAL, Th. préc.,
n° 575 et 633 ; et D. REBUT constate l’ « existence de liens nécessaires entre la structure matérielle et morale des
infractions » (Th. préc., n° 226) ; V. SAINT-GERAND considère que pour établir une définition claire de l’intention
« il suffit de se rappeler que l’objet sur lequel porte la culpabilité est l’acte délictueux lui-même (…) Il paraît alors
logique de considérer qu’à chaque composante objective et matérielle de l’infraction correspond une certaine
attitude intellectuelle de la part de l’agent pénal » (Th. préc., p. 186) ; Pour G. LEVASSEUR « C’est (…) au texte de
loi qu’il faut se reporter pour savoir quel est, dans chaque cas, le degré de l’élément moral exigé, la consistance de
celui-ci » (« Les aspects psychologiques du comportement criminel, l’élément moral de l’infraction en droit
français », art. préc.) ; Pour J. PINATEL « le système d’incrimination doit demeurer un système objectif, dominé
En ce qui concerne l’élément matériel, il renvoie nécessairement, au minimum,
à une action ou une omission. Tout d’abord, s’agissant d’un acte, il n’est pas
possible de considérer qu’il faut que l’agent ait seulement « conscience » de son
acte, bien que la jurisprudence et la doctrine utilisent parfois cette expression.
En effet, s’il ne dispose pas de suffisamment de discernement pour avoir
conscience de ce qu’il fait, c’est que l’infraction ne lui est pas imputable304. Dès
lors, l’intention suppose au minimum que l’agent ait volontairement accompli
l’action ou l’omission incriminée. Par exemple, le délit de non assistance à
personne en péril suppose que l’auteur se soit volontairement abstenu d’agir.

Pour les infractions matérielles, qui impliquent un résultat particulier découlant


du comportement incriminé, l’intention suppose en plus que l’auteur des faits
ait recherché le résultat. Par exemple, celui qui a porté volontairement des coups
à une autre personne ne sera coupable de meurtre que s’il voulait tuer cette
personne. S’il ne souhaitait pas la réalisation du résultat mortel il ne sera
coupable que de coups mortels ayant entraîné la mort sans intention de la
donner.

Que l’infraction soit matérielle ou formelle, le texte d’incrimination prévoie


toujours en plus du comportement et éventuellement du résultat, une condition
préalable. Par exemple, dans le délit de non assistance à personne en péril, il faut

par le principe de légalité, à défaut de quoi il n’y aurait plus de bornes à l’arbitraire » (« La théorie pénale de
l’intention devant les sciences de l’homme », art. préc.) ; V. MALABAT et J.-C. SAINT-PAU, relèvent expressément
que l’intention « constitue le strict reflet de l’élément matériel de l’infraction » (« Le droit pénal général malade
du sang contaminé », Dr.pén. 2004, Chron. 2). Contra : J. LEBRET, pour qui « Seule (…) l’intention correctement
envisagée sur le plan de l’état dangereux et de l’opportunité de la sanction dicterait une politique criminelle
efficace » et « les mobiles devront entrer en ligne de compte pour l’appréciation de l’état dangereux » (« Essai sur
la notion d’intention criminelle », art. préc.).
304
Y. MAYAUD, Droit pénal général, ouv. préc., n° 198 ; Y. MAYAUD, « L’intention dans la théorie du droit pénal »,
art. préc. ; V. SAINT-GERAND, Th. préc., p. 191 ; B. MERCADAL, « Recherches sur l’intention en droit pénal », art.
préc.
qu’il y ait au préalable un danger imminent. Pour le délit de bigamie, la personne
doit déjà être engagée dans les liens du mariage. La condition préalable n’est pas
un acte ou une abstention de l’auteur des faits, ni le résultat du comportement.
Il est donc impossible de considérer que l’intention suppose la volonté de la
condition préalable. La condition préalable représente la valeur sociale protégée
au sein de l’incrimination. Dès lors, seule la connaissance de la condition
préalable peut être exigée au titre de l’intention.
Ainsi, les juges du fond ont retenu que l’élément moral du délit d’administration
d’une substance de nature à nuire à la santé (222-15 C.pén.) suppose
« l’administration volontaire d’une substance en connaissance de son caractère
nuisible pour la santé »305. Le délit de non-assistance à personne en danger (223-
5 C.pén.) est constitué dès lors que le prévenu dont le concours est demandé ne
pouvait se méprendre sur la gravité du péril auquel se trouvait exposée la
personne et qu’il s’est volontairement abstenu de lui porter secours306. Le délit
de proxénétisme (225-5 C.pén.) est caractérisé à l’encontre du prévenu qui a
apporté son aide à des personnes qu’il sait être des prostituées307. Le délit de
refus de remettre une convention secrète de déchiffrement (art. 434-15-2 CP)
résultant du refus de remettre les codes de son téléphone portable et de son
ordinateur portable, suppose que « les appareils en cause étaient équipés d'un
moyen de cryptologie dont le prévenu avait connaissance »308.
Réciproquement l’ignorance de la condition préalable à la suite d’une erreur de
fait exclut l’intention. Par exemple, en ce qui concerne le viol (222-23 C.pén.),
qui suppose comme condition préalable l’absence de consentement de la
victime, la Cour de cassation a approuvé des juges du fond qui ont exclu cette

305
C.App., Rouen, 22 septembre 1999 : J.C.P. 2000, IV, 2736.
306
Cass.crim., 17 février 1972 : Bull.crim. n° 68 ; D. 1972, 325 ; J.C.P. 1973, II, 17474 (1ère esp), obs. L. MORET ;
Cass.crim., 26 mars 1997 : Bull.crim. n° 123 ; Rev.sc.crim. 1997, 838, obs. Y. MAYAUD.
307
Cass.crim., 20 octobre 1971 : Bull.crim. n° 278.
308
Cass. crim., 9 mars 2022, n° 21-83.557, F-D
qualification pour défaut d’intention, tout en retenant à la charge du prévenu les
violences initiales dont il s’était rendu coupable à l’encontre de la victime, et qui
s’est fondée sur le comportement de cette dernière pour en déduire que le
prévenu avait pu croire à son consentement aux rapports qu’il avait eus avec
elle309.Pour un exemple en matière de vol (Cass. crim., 17 nov. 2015, n° 14-
86.101)
Cependant, il convient de préciser que l’erreur de fait exclut l’intention que si
elle porte sur la condition préalable telle que définie par le texte d’incrimination.
Ainsi, le meurtre suppose comme condition préalable une personne humaine
vivante, qu’importe son identité. C’est pourquoi, le meurtre peut être qualifié
dès que l’auteur a volontairement tué une personne même s’il a commis une
erreur sur l’identité de la victime310.

La doctrine distingue classiquement le dol général et le dol spécial. Le dol général


est l’élément moral minimum commun à toute infraction intentionnelle311, alors
que le dol spécial suppose l’existence d’une intention plus déterminée pour
certaines infractions.
Etant donné que toute infraction suppose au minimum un comportement et une
condition préalable, le dol général peut être défini comme la volonté du
comportement en connaissance de la condition préalable. Le dol spécial quant
à lui ne peut exister que pour les infractions matérielles et suppose en plus la
volonté du résultat lorsque celui-ci est une composante du texte d’incrimination.

309
Cass.crim., 11 octobre 1978 : D. 1979, I.R., 120.
310
Cass.crim., 31 janvier 1835 : S. 1835, 1, p. 564 ; Cass.crim., 18 février 1922 : S. 1922, 1, p. 329 ; Cass.crim., 4
février 1978 : Bull.crim. n° 5 ; Rev.sc.crim. 1978, p. 359, obs. G. LEVASSEUR.
311
F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, ouv. préc., n° 471 ; X. PIN, Droit pénal général, ouv.
préc., n° 169 ; J. PRADEL, Droit pénal général, ouv. préc., n° 497 ; F. LE GUNEHEC, Elément moral de l’infraction,
Fasc. préc., n° 19.
En principe, l’intention est caractérisée quel que soient les mobiles de l’agent.
Par exemple, le délit de non assistance à personne en péril est caractérisé que
l’agent se soit abstenu parce qu’il souhaitait voir mourir la personne en danger
ou parce qu’il n’avait tout simplement pas le courage d’intervenir. Toutefois, le
législateur vise parfois expressément les mobiles. Par exemple : les infractions
de terrorisme supposent que les actes aient « pour but de troubler gravement
l’ordre public par l’intimidation ou la terreur » art. 421-1 C.pén.. Le dol spécial
peut alors être défini comme la volonté d’obtenir le résultat matériel incriminé
ou la volonté dirigée vers un but déterminé.

En principe, pour les infractions formelles, la volonté du résultat n’a pas à être
établie puisque celui-ci n’est pas visé par le texte d’incrimination. Toutefois, la
Chambre criminelle a retenu une solution contraire au sujet de
l’empoisonnement. En principe, ce crime est caractérisé dès lors que l’agent a
administré volontairement des substances en connaissance de leur caractère
mortifère. Pourtant, dans l’affaire du sang contaminé la Cour de cassation a
considéré que la seule administration volontaire de substances en connaissance
de leur caractère mortifère est insuffisante pour caractériser l’intention qui
suppose aussi la volonté de donner la mort312. Cette solution a d’ailleurs été très
critiquée par la doctrine. De plus, à supposer qu’une telle intention soit exigée
elle se déduit automatiquement du fait que l’auteur a administré volontairement
des substances qui peuvent entraîner la mort313.

312
Cass.crim., 18 juin 2003 : Bull.crim. n° 127 ; D. 2004, p. 1620, note D. REBUT ; V. MALABAT et J.-C. SAINT-
PAU, « Le droit pénal général malade du sang contaminé », art. préc. ; D. 2005, p. 195, note A. PROTHAIS ; J.C.P.
2003, II 10 121, note M.-L. RASSAT ; Dr.pén. 2003, Comm. 97, note M. VERON ; P.A. 25 juillet 2003, n° 148, p.
17 s., note M.-F. STEINLE-FEUERBACH ; D. 2003, I.R. p. 1807 ; A. REINHARD, « Droit pénal, droit vénal ? Récit
d’un glissement des frontières », Dr.pén. 2003, Chron. 25 ; Rev.sc.crim. 2003, p. 781, obs. Y. MAYAUD.
313
Y. MAYAUD, Droit pénal général, ouv. préc., n° 206 ; Rev.sc.crim. 1995, p. 349 ; D. REBUT, note préc. ; P.
CONTE, Droit pénal spécial, ouv. préc., n° 17 ; A. PROTHAIS, NOTE préc.
Le juge ne pouvant sonder les reins et les cœurs ne peut se fonder que sur la
matérialité des faits pour établir l’intention, ce qui renvoie à la question de la
preuve de l’intention.

II. La preuve de l’intention

En ce qui concerne la preuve de la volonté du résultat, la jurisprudence la déduit


du comportement volontairement accompli dès lors que le résultat est
prévisible314. Par exemple, la volonté du résultat mortel peut être déduite du
fait que les coups de couteau ont été portés au coup de la victime. Inversement,
si la victime décède à la suite de deux coups de poing portés à l’abdomen parce
qu’elle souffrait d’une pathologie préexistante que l’auteur ignorait, le juge ne
pourra pas établir la volonté de tuer.

L’intention peut ensuite être déduite de la commission volontaire de l’élément


matériel, la condition préalable impliquant la connaissance exigée au titre de
l’intention. Il en est ainsi pour le délit d’abus de confiance (314-1 C.pén.) qui
exige la connaissance de la précarité de la détention permettant d’établir celle
du droit de propriété d’autrui sur le bien. Cette dernière résulte nécessairement
du fait que la remise a été effectuée en vertu de l’un des contrats non translatifs
de propriété énumérés par l’ancien article 408 ou acceptée à charge d’en faire
un usage déterminé depuis l’entrée en vigueur du Code pénal. Par ailleurs, le
caractère volontaire du détournement peut se déduire aussi de la matérialité
des faits. Ces considérations ont conduit la Chambre criminelle de la Cour de
cassation à retenir qu’il n’est pas nécessaire, pour établir légalement l’abus de
confiance, que l’intention frauduleuse soit constatée en termes particuliers ; il

314
J.-Y. MARECHAL, Th. préc., n° 725 ; E. WAGNER, Th. préc., p. 7 s. et 133 s. ; E. VILLEY, « De l’intention en
matière pénale », art. préc.
suffit qu’elle puisse se déduire des circonstances retenues par les juges,
l’affirmation de la mauvaise foi étant nécessairement incluse dans la
constatation du détournement315.

Dans d’autres hypothèses, la preuve de la connaissance de la condition préalable


est déduite des circonstances entourant l’exécution de l’infraction. Ainsi, pour le
délit de violation de domicile (226-4 C.pén.) qui, au regard de l’incrimination,
suppose au titre de l’intention, l’introduction ou le maintien volontaire dans un
domicile que l’on sait être à autrui, la Cour de cassation retient que l’introduction
avec violence dans le domicile d’autrui implique l’intention délictueuse des
auteurs de telles violences316.

Pour un certain nombre de délits, la qualité de l’auteur implique la connaissance


de la condition préalable. Par exemple, en matière de recel, les juges du fond ont
pu retenir qu’en sa qualité d’antiquaire, un prévenu ne pouvait douter de
l’origine frauduleuse d’ouvrages de grande valeur, dès lors que celui qui les lui
proposait, « simple chineur », n’avait aucune raison professionnelle de détenir
des objets aussi rares317.
De façon générale pour tous les délits techniques, qui ne peuvent être commis
que par des professionnels, l’intention est déduite du fait que le comportement
a volontairement été accompli. La qualité de professionnel impliquant
nécessairement la connaissance de la condition préalable. Par exemple, le délit
d’exploitation d’une installation classée sans autorisation suppose une
exploitation volontaire en connaissance de la classification de l’installation et de

315
Jurisprudence constante : Cass.crim., 17 janvier 1878 : D.P. 1878, 5, 6 ; Cass.crim., 6 avril 1994 : Gaz.Pal.
1994, 2, Somm. 413 ; Cass. crim., 12 mai 2009, n° 08-87.418, F-D : JurisData n° 2009-048280, Droit pénal n° 9,
Septembre 2009, comm. 108
316
Cass.crim., 22 septembre 1930 : Bull.crim. n° 243.
317
Cass.crim., 5 mai 1993 : Dr.pén. 1993, 256, note M. VERON ; Rev.sc.crim. 1994, 340, obs. P. BOUZAT.
l’absence d’autorisation. Pour ce délit, l’intention est déduite d’une série de
présomption. Tout d’abord, on n’exploite pas une installation de façon
involontaire, l’acte est nécessairement volontaire. Ensuite, le gérant d’une
société est présumé connaître les obligations légales liées à son exploitation. Dès
lors, l’intention est nécessairement présumée à l’encontre du gérant de fait de
la société318 qui, du fait de sa qualité, ne peut pas ignorer que l’exploitation de
l’activité est soumise à autorisation. Il en résulte, que par une série de
présomption, la simple constatation de la réalisation matérielle des faits fait
présumer l’intention. Pour cette raison, certains auteurs ont dénoncé une forme
de résurgence des délits matériels en matière d’infraction technique.

2. La faute non intentionnelle

Sous l’empire du Code pénal de 1810, aucun article du Code pénal ne définissait
de façon générale la faute non intentionnelle pouvant engager la responsabilité
pénale. Les articles incriminant l’homicide involontaire et les blessures
involontaires visaient le fait de porter atteinte à la vie ou à l’intégrité physique
par « maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une
obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement » (319
et 320 anc. CP).
Parallèlement, dans un arrêt de principe du 18 décembre 1912 la Chambre civile
de la Cour de cassation a retenu l’unité des fautes civiles et pénales319. En
d’autres termes, la même faute pouvait engager la responsabilité civile sur le
fondement des articles 1382 et suivants du Code civil et la responsabilité pénale
pour les délits d’imprudence. Cette solution avait pour objet d’éviter les
divergences de solutions entre les décisions du juge pénal et du juge civil. Dès
lors que le juge pénal retenait une faute pénale, la faute civile était

318
Cass.crim., 25 mais 1994, 1er arr., préc.
319
Cass. civ. 18 décembre 1912 : D.P. 1915, 1, 17, note L. S. ; S. 1914, 1, 249, note MOREL.
nécessairement caractérisée et réciproquement si le juge pénal excluait
l’existence d’une faute pénale, la réparation de la victime était également
exclue. Cependant, cette solution a conduit le juge pénal à retenir des
« poussières de fautes » et un lien de causalité particulièrement distendu afin de
permettre la réparation.
Par exemple, la Chambre criminelle a approuvé une Cour d’appel d’avoir
condamné le conducteur d’un véhicule pour homicide involontaire d’une
personne décédée du cancer du poumon aux motifs « les blessures reçues dans
l’accident de la circulation ont hâté sa mort, et qu’ainsi, bien que ne constituant
pas la cause directe et exclusive du décès, l’accident y a contribué dans la mesure
où il l’a précipité »320.
Différentes réformes ont eu pour objet de limiter le domaine de la responsabilité
pénale considéré comme beaucoup trop large.
La première résulte d’une loi du 13 mai 1996 qui imposa une appréciation in
concreto de la faute, c’est-à-dire que le juge pénal devait apprécier « si l'auteur
des faits a accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la
nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du
pouvoir et des moyens dont il disposait ». Cependant, cette réforme n’a pas eu
les effets escomptés. En effet, l’unité des fautes civiles et pénales n’ayant pas
été remise en question, le juge pénal se contentait souvent du simple constat
d’un lien de causalité entre le fait dommageable et le résultat pour conclure à
l’existence d’une imprudence. Le juge pénal entrait ainsi en condamnation dès
lors que le « bon père de famille », placé dans la même situation, n’aurait pas agi
de la même façon. La réforme de 1996 n’a donc pas remis en question
l’appréciation in abstracto, elle a seulement contraint le juge pénal à étayer

320
Cass. crim. 2 novembre 1967 : Bull. crim. n°277.
davantage sa motivation au regard des compétences, du pouvoir et des moyens
dont disposaient l’auteur.
C’est la loi du 10 juillet 2000, dite loi Fauchon, qui a opéré la réforme la plus
importante pour réduire le domaine de la responsabilité pénale des personnes
physiques. Elle a abandonné l’unité des fautes civile et pénale (4-1 CPP321) ce
qui permet d’assurer la réparation du dommage sur le fondement des articles
1240 (anc. 1382) et suivants du Code civil même si le juge pénal ne retient pas
de faute pénale. Parallèlement, cette loi exige une faute pénale qualifiée en cas
de lien de causalité indirect pour que la responsabilité pénale de la personne
physique soit engagée. En revanche, elle a maintenu la possibilité d’engager la
responsabilité pénale de la personne morale pour une faute simple même en cas
de causalité indirecte (121-2 al. 3 CP)322. L’étude de la responsabilité pénale des
personnes physiques pour les délits non intentionnels suppose donc d’aborder
la nature de la faute, puis le lien de causalité.

a. La nature de la faute

Depuis la loi du 10 juillet 2000, la nature de la faute susceptible d’engager la


responsabilité pénale est fonction du lien de causalité. Si le lien de causalité
entre le fait de l’auteur et le résultat est direct, une faute simple suffit. En
revanche, si le lien de causalité est indirect, l’article 121-3 exige une faute
qualifiée. Cette réforme qui a introduit une distinction selon le lien de causalité
n’est applicable que pour les infractions matérielles. En effet, si le texte n’exige
aucun résultat, aucun lien de causalité ne peut être caractérisé. Dès lors, pour

321
L'absence de faute pénale non intentionnelle au sens de l'article 121-3 du code pénal ne fait pas obstacle à
l'exercice d'une action devant les juridictions civiles afin d'obtenir la réparation d'un dommage sur le fondement
de l'article 1383 du code civil si l'existence de la faute civile prévue par cet article est établie ou en application de
l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale si l'existence de la faute inexcusable prévue par cet article est
établie.
322
La responsabilité pénale des personnes morales n'exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices
des mêmes faits, sous réserve des dispositions du quatrième alinéa de l'article 121-3.
les infractions formelles et les infractions matérielles en cas causalité directe une
faute simple suffit, alors que pour les infractions matérielles en cas de causalité
indirecte, il faut une faute qualifiée.

I. La faute simple

Il résulte de l’article 121-3 du Code pénal qu’un délit non intentionnel peut être
caractérisé : « en cas de faute d'imprudence, de négligence ou de manquement
à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement ».
L’imprudence est une action, par exemple : l’utilisation maladroite et en
méconnaissance des règles de l’art d’instruments d’accouchement323. La
négligence quant à elle est une omission, par exemple, le défaut d’examen
clinique approfondi ayant eu pour effet d’empêcher un bon diagnostic et de
retarder une intervention chirurgicale324.
En ce qui concerne le manquement à une obligation de sécurité ou de prudence
prévue par la loi ou le règlement, le règlement doit s’entendre des actes des
autorités administratives à caractère général et impersonnel325, en d’autres
termes des actes administratifs réglementaires. Il en résulte que la violation d’un
règlement intérieur ne peut être appréhendée que sous l’angle d’une
imprudence ou d’une négligence. Par ailleurs, l’obligation de sécurité ou de
prudence peut être générale ou particulière. Par exemple, l’obligation de garder
la maîtrise de son véhicule est une obligation générale alors que l’obligation de
respecter la vitesse maximale autorisée est une obligation particulière.

Dans ces trois cas la loi n’opère aucune distinction selon que le comportement
est volontaire ou non. Par exemple, le fait de ne pas marquer l’arrêt au feu rouge

323
Cass. crim., 23 octobre 2001 : Bull. crim. n°217.
324
Cass. crim., 29 juin 1999 : Bull. crim. n°162.
325
Cass. crim., 10 mai 2000 : Bull. crim. n°183.
peut être volontaire ou non, mais dans les deux cas si un accident mortel en
résulte le délit d’homicide involontaire pourra être retenu. Une partie de la
doctrine distingue ainsi entre imprudence consciente et imprudence
inconsciente.

En revanche, depuis la loi du 13 mai 1996 le juge pénal devait apprécier « si


l'auteur des faits a accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant,
de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que
du pouvoir et des moyens dont il disposait ». Par exemple, la faute d’un médecin
sera appréciée au regard des règles de l’art et des données acquises de la
science.
De même, il convient de signaler la loi L. n° 2020-546, 11 mai 2020 : JO 12 mai
2020, texte n° 1
Le 9 mai 2020, le Parlement réuni en Commission mixte paritaire a adopté le
projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions,
dont le Conseil constitutionnel a validé l'essentiel des dispositions (Cons. const.,
11 mai 2020, n° 2020-800 DC). (…)
Aussi, il ne serait ni opportun ni équitable de faire peser un risque de
condamnation pénale sur les élus, gestionnaires, chefs d'entreprise qui agiraient
en conséquence tout en se pliant strictement aux mesures de police qui
resteront en vigueur ainsi qu'aux règles particulières de prudence ou de sécurité,
par exemple celles relatives à la santé au travail. Le texte finalement adopté
insère dans le Code de la santé publique un article L. 3136-2 aux termes duquel
: « L'article 121-3 du code pénal est applicable en tenant compte des
compétences, du pouvoir et des moyens dont disposait l'auteur des faits dans la
situation de crise ayant justifié l'état d'urgence sanitaire, ainsi que de la nature
de ses missions ou de ses fonctions, notamment en tant qu'autorité locale ou
employeur ». Selon le Conseil constitutionnel, ces dispositions ne méconnaissent
pas le principe d'égalité devant la loi pénale dès lors qu'elles ne diffèrent pas de
celles de droit commun et s'appliquent de la même manière à toute personne
ayant commis un fait susceptible de constituer une faute pénale non
intentionnelle dans la situation de crise ayant justifié l'état d'urgence sanitaire
(cons. 13).

Une faute simple suffit à engager la responsabilité pénale pour une infraction
non-intentionnelle pour toutes les infractions formelles et pour les infractions
matérielles en cas de causalité directe. En revanche, en cas de causalité indirecte
la loi exige une faute qualifiée.

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