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1. Introduction
2. Principales critiques de l’aide
3. Analyse des motivations des donateurs et justifications de l’aide
4. Conclusion
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1. Introduction
1Dans la partie suivante de la Revue internationale de politique de développement,les auteurs
analysent les grands enjeux et tendances en matière de politique commerciale, de finance, de
sécurité alimentaire et de coopération internationale au développement. Leurs contributions se
penchent sur les évolutions intervenues en 2008 et 2009 et analysent notamment les
implications de la crise financière et des variations de prix des matières premières. Les crises
récentes posent des défis particuliers quant au rôle et à la pertinence de la coopération
internationale au développement. Pensons à la réforme des institutions financières
internationales, à la coopération dans le domaine agricole, à l’aide pour le commerce ou
encore à l’adaptation aux changements climatiques.
2Or, la coopération internationale au développement se trouve une fois encore sous le feu de
la critique. L’aide publique au développement (APD) est souvent perçue comme peu efficace
et rime pour certains avec gaspillage de l’argent du contribuable. Plusieurs auteurs ont
récemment publié des ouvrages soulignant que l’aide peut avoir des effets néfastes et agir
comme un frein au développement des pays destinataires (Monga 2009 ; Moyo 2009 ;
Nwokeabia 2009 ; Tandon 2008). Le renouvellement de cette critique radicale interpelle
d’autant plus qu’elle émane cette fois-ci d’intellectuels africains. Même si le ton et l’origine
des auteurs changent, les critiques ne disent rien de fondamentalement nouveau. Dès les
années 1960, l’aide au développement est remise en cause par divers courants de pensée. Les
termes du débat n’ont que peu changé depuis un demi-siècle et, malgré les critiques, l’aide au
développement demeure un instrument privilégié « par défaut ».
3Cet article brosse un bref tableau des principales critiques émises à l’encontre de l’APD par
des auteurs se réclamant de courants souvent antagonistes (2). L’analyse porte ensuite sur les
motivations qui incitent les pays riches à fournir une aide aux pays en développement (3). La
conclusion propose de dépasser les oppositions idéologiques en étudiant les tensions
inhérentes au système d’aide sous l’angle de la political economy (4).
2. Principales critiques de l’aide
4Depuis une cinquantaine d’années, les critiques à l’encontre de l’aide publique au
développement s’inspirent de trois postures idéologiques de base : néomarxiste, populiste et
néolibérale. Aujourd’hui, les attaques les plus vives contre le système d’aide opèrent une
synthèse inattendue entre ces divers courants a priori antagonistes. Pour les critiques
néomarxistes ou radicaux de gauche, l’APD est d’abord un instrument de domination des pays
industrialisés sur les pays pauvres. Teresa Hayter (1971) affirme dans son ouvrage Aid as
imperialism que l’aide fournie par la Banque mondiale et les pays de l’Organisation de
coopération et de développement économiques (OCDE) sert avant tout les intérêts des pays
occidentaux et de leurs entreprises transnationales. L’APD favorise la mainmise sur les
ressources des pays en développement par la classe dirigeante des pays occidentaux. L’aide
contribue à maintenir les pays pauvres dans une relation de dépendance envers l’Occident
(Charnoz et Severino 2007, 38). Le lien entre aide et pouvoir de domination s’inscrit au cœur
de la pensée néomarxiste. Au cours des décennies qui ont suivi la critique de Teresa Hayter et
des théoriciens de la dépendance, ce type de critiques a été régulièrement repris sous une
forme nuancée (par exemple Mosley, Harrigan et Toye 1991). La montée en puissance de la
Chine comme donateur suscite de nombreuses réflexions semblables à celles développées par
ces auteurs à l’encontre de l’aide occidentale.
5La critique populiste est apparue à la fin de la période coloniale. L’une des figures de proue
de ce courant, Raymond Cartier, publie en 1956 trois articles dans Paris Match sous le titre
« Attention ! La France dilapide son argent ». Il y critique les investissements somptuaires de
la France en Afrique et accuse les colonies d’être responsables du retard économique de la
France (Meimon 2007, 12). Après la décolonisation, il dénoncera « l’utilisation abusive et
contestable » de l’aide française (Foubert 1973, 717). La critique populiste estime qu’il vaut
mieux allouer l’argent du contribuable aux priorités économiques et sociales nationales plutôt
que de le gaspiller pour apporter une aide inefficace à des dirigeants corrompus dans des pays
lointains. De nos jours, les partis populistes reprennent souvent ce genre d’arguments,
notamment à l’occasion du vote sur les budgets de la coopération au développement.
6La critique néolibérale met l’accent sur nombre d’effets pervers de l’aide. Selon les tenants
de ce courant, l’APD contribue à gonfler les effectifs d’administrations publiques pléthoriques
et inefficaces dans les pays destinataires. De plus, elle apporte un soutien à des régimes et des
dirigeants corrompus et non démocratiques. Finalement, l’aide distribuée sous forme de dons
fausse le fonctionnement des marchés, nuit à l’entrepreneuriat et offre des situations de rente
aux bénéficiaires. Peter Bauer (1971) affirmait ainsi que l’aide au développement réduisait les
incitations qui devraient amener les dirigeants de pays en développement à adopter de
« bonnes politiques ».
11De 1950 à nos jours, le lien entre sécurité et développement offre un fil rouge pour mieux
appréhender les motivations de l’aide. Le plan Marshall, lancé en 1948, avait pour objectif
non seulement d’œuvrer à la reconstruction de l’Europe, mais aussi d’endiguer l’avancée du
communisme sur le continent (Berger et Beeson 1998, 488). En 1951, les Etats-Unis adoptent
la Loi sur la sécurité mutuelle (Mutual Security Act), qui fait un lien explicite entre les
programmes d’assistance militaire et économique et l’assistance technique fournis aux pays
« sous-développés ». L’APD voit ainsi le jour sous le signe de la Guerre froide. Les
considérations relatives à la défense et l’expansion des aires d’influence ont largement
dominé les discours et la logique d’octroi de l’APD jusqu’à la fin de la Guerre froide (Alesina
et Dollar 1998). Par la suite, la motivation sécuritaire demeure prédominante mais change
d’objet. Le communisme se trouve remplacé par d’autres dangers liés à la sous-production de
biens publics globaux et aux risques qui en découlent en matière de santé publique, de
dégradation de l’environnement, de propagation des conflits armés et d’Etats fragiles1 ainsi
que de flux migratoires. Les attentats du 11 septembre 2001 suscitent un regain d’intérêt de la
part des Etats-Unis pour l’aide qui se traduit par une hausse de l’APD nette de
11,4 milliards USD en 2001 à 27,9 milliards USD en 2005 dont près de la moitié est allouée à
l’Irak et à l’Afghanistan dans le contexte de la « guerre globale contre la terreur ». Lael
Brainard (2006) relève qu’il est clairement plus efficace de présenter l’APD au Congrès des
Etats-Unis comme un « système de défense stratégique » que de faire référence à la lutte
contre la pauvreté dans des pays éloignés pour faire voter les budgets requis.
2 Des études montrent que l’APD a une incidence positive sur les exportations des
pays donateurs et (...)
12Malgré toutes les critiques émises à l’encontre de l’APD, les gouvernements des pays
donateurs et destinataires comme les grandes organisations internationales insistent sur la
nécessité de maintenir, voire d’augmenter le volume de l’aide au développement. Ils
reconnaissent certes que les résultats ne sont pas à la hauteur des attentes et qu’il est impératif
d’améliorer le rendement ou l’efficacité de l’aide. Pour justifier les budgets d’APD, les
agences de coopération élaborent un discours centré sur l’impératif de solidarité internationale
et la lutte contre la pauvreté. Depuis la fin de la Guerre froide, elles mettent aussi en exergue
la nécessité d’intervenir de manière concertée pour faire face à des défis planétaires, dont les
changements climatiques, le terrorisme, les flux migratoires ou les épidémies. Elles invoquent
également les intérêts économiques et commerciaux pour promouvoir l’APD2. Le discours
des agences de coopération trouve son inspiration tant dans une approche idéaliste que
néoréaliste de l’aide comme composante de politique extérieure.
4. Conclusion
13C’est dans un contexte peu propice à la hausse des budgets d’APD que de nouveaux
mécanismes de financement doivent être élaborés et mis en place pour répondre aux besoins
financiers des pays en développement afin de faire face au réchauffement climatique. Les
mesures d’adaptation et de mitigation se chiffrent en dizaines, voire en centaines de milliards
de dollars par an alors que la crise économique a fortement accru les contraintes budgétaires
des pays donateurs. Certains proposent de recourir essentiellement à des mécanismes de
marché. D’autres en appellent à un doublement de l’aide publique au développement,
invoquant l’impératif moral de solidarité. Qu’on le veuille ou non, l’enjeu climatique aura un
impact majeur sur l’avenir du système d’aide publique au développement, qui trouve une
nouvelle justification dans le réchauffement climatique. L’aide joue par ailleurs un rôle
majeur dans les négociations multilatérales et devient parfois, par défaut, le principal succès
de négociations qui butent sur les réels problèmes de fond.
14Sur cette toile de fond, il est impératif de dépasser les débats idéologiques sur la
coopération internationale au développement afin de mieux appréhender ses faiblesses et d’en
améliorer le fonctionnement. Bertin Martens (2005) propose d’analyser le système d’aide à
travers une approche de political economy,qui met l’accent sur l’hétérogénéité des intérêts des
groupes de pression et des parties prenantes au sein des pays donateurs et destinataires. Cette
approche permet d’analyser la variété des incitations qui déterminent les politiques et les
pratiques des agences de coopération. Elle relève que l’inefficacité relative de l’aide résulte
notamment du fait que la chaîne de rétroaction entre donateurs et destinataires est rompue
(broken feedback loop). William Easterly (2005), Stephen Browne (2006) et Bertin Martens
(2005) proposent de faire face à ce problème en organisant le système d’aide au
développement comme un marché sur lequel les pays en développement pourraient acquérir
des biens et services essentiels auprès des donateurs mis en concurrence. Les pauvres auraient
ainsi la possibilité d’exprimer leurs préférences en optant pour les projets et programmes
répondant le mieux à leurs priorités.
15Dès la Guerre froide, les pays destinataires ont su jouer sur la confrontation entre les
grandes puissances pour tenter d’obtenir les meilleurs deals. Le marché de l’aide était
toutefois fortement oligopolistique. Aujourd’hui, l’émergence de la Chine et d’autres
donateurs comme grands donateurs accroît la concurrence sur le marché de l’aide. Toutefois,
les termes des contrats passés entre donateurs et destinataires manquent cruellement de
transparence, avec les habituels problèmes de relations principal-agent à la clé. Une nouvelle
initiative de transparence de l’aide publique au développement permettrait aux décideurs
politiques, à la société civile et aux chercheurs de contribuer à réduire les dysfonctionnements
du « marché de l’aide ».
Bibliography
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Notes
1 En 2006, un quart de l’APD était alloué à des Etats fragiles (CAD 2007). En 2007 et 2008,
l’Afghanistan et l’Irak figurent parmi les principaux pays destinataires.
2 Des études montrent que l’APD a une incidence positive sur les exportations des pays
donateurs et des retombées non négligeables en termes de croissance et d’emploi (Carbonnier
et Zarin Nejadan 2008 ; Nowak-Lehmann et al. 2009).
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References
Electronic reference
Gilles Carbonnier, « L’aide au développement une fois de plus sous le feu de la critique »,
International Development Policy | Revue internationale de politique de développement
[Online], 1 | 2010, Online since 11 March 2010, connection on 07 November 2015. URL :
http://poldev.revues.org/122 ; DOI : 10.4000/poldev.122
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