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Hémoglobinoses
Actualités 2015
Professeur Pierre Aubry, Docteur Bernard-Alex Gaüzère. Mise à jour le 09/10/2015
1. Généralités.
La molécule d'hémoglobine (Hb) est un tétramère constitué de 4 chaînes identiques 2 à 2. L'HbA1 qui
est composée de 2 chaînes alpha et de 2 chaînes bêta (α2β2), représente la quasi-totalité de
l'hémoglobine adulte (95,5 à 97%). L'HbA2 qui est composée de 2 chaînes alpha et de 2 chaînes
delta (α2δ2), représente 2 à 3,5% de l'hémoglobine adulte. L'HbF (ou Hb fœtale) composée de 2
chaînes alpha et de 2 chaînes gamma (α2γ2), représente 1% de l'hémoglobine adulte.
Les hémoglobinopathies sont des maladies génétiques dans lesquelles il existe une anomalie
héréditaire de l’hémoglobine.
Les hémoglobinopathies sont divisées en deux groupes :
- le groupe des hémoglobinoses présentant des anomalies structurales de la chaine globine,
- le groupe des thalassémies caractérisées par un déficit d'une ou de plusieurs chaines de
l'hémoglobine.
Certaines pathologies sont composites appartenant aux deux groupes à la fois.
L’anomalie hémoglobulinique des hémoglobinoses est l’apparition d’une hémoglobine pathologique
qui se distingue des hémoglobines normales par une modification structurale affectant certaines
chaînes polypeptidiques de l’hémoglobine. Les anomalies les plus fréquentes affectent les chaînes
polypeptidiques bêta, plus rarement les chaînes alpha, exceptionnellement les chaînes gamma ou
delta. La modification la plus habituelle est la substitution d’un acide aminé de la chaîne par un autre
acide aminé. C’est ainsi que dans les trois hémoglobinoses à diffusion mondiale (la drépanocytose,
l’hémoglobinose C et l’hémoglobinose E), l’anomalie structurale est la substitution d’un seul acide
aminé des chaînes bêta de l’hémoglobine A par un autre acide aminé.
2. La Drépanocytose
La drépanocytose est une maladie de la race noire avec deux foyers majeurs d'origine : l'Afrique sub-
saharienne d'une part et un arc arabo-indien d'autre part. La maladie est connue en Afrique noire, en
Amérique (Etats-Unis, Brésil), aux Antilles, à Madagascar, dans les pays du Maghreb, dans tout le
Moyen-Orient jusqu'en Arabie Saoudite, dans le sous-continent indien, dans le Bassin méditerranéen.
C'est un problème majeur de santé publique en Afrique noire où la prévalence du trait drépanocytaire
est très élevée : 15 à 25% en Afrique centrale et de l'Ouest. Elle est de 10 à 12% dans les DOM
d'Amérique, de 1 à 15% dans les régions méditerranéennes.
C’est une maladie de l’enfant, l’espérance de vie dépendant de la prise en charge : elle est d'autant
plus élevée que le pays est développé (elle est de 40-50 ans pour les malades SS, de 65 ans pour les
SC aux USA).
2.3. Transmission
La drépanocytose est transmise selon le mode autosomique récessif : hétérozygote AS,
homozygote SS, double hétérozygotes ou «hétérozygotes composites» : AS+AC : SC, AS+ β thal.: Sβ
thal.
2.4.2.2.2 Les complications aiguës sont celles qui ont révélé la maladie chez le petit enfant :
− crises douloureuses à répétition au niveau des os : os longs, vertèbres, thorax (côtes, sternum) qui
durent 4 à 5 jours, et crises douloureuses de l’abdomen avec iléus réflexe durant 2 à 3 jour.
- infections.
- anémies de cause infectieuse (bactérienne, paludéenne) ou par aplasie médullaire (érythro-
blastopénie due au parvovirus B19).
- accidents vaso-occlusifs : infarctus osseux, ostéomyélites aiguës (douleur osseuse, fixe et durable
malgré un traitement antalgique chez un enfant fébrile) dues aux salmonelles non typhiques, aux
pneumocoques, aux staphylocoques dorés; déficits neurologiques, les accidents vasculaires
cérébraux (accident ischémique, hémorragie cérébrale) étant une complication redoutable de la
drépanocytose chez l’enfant et chez l’adolescent réalisant la vasculopathie cérébrale : 10% des
drépanocytaires présentent un infarctus cérébral symptomatique avant l'âge de 20 an, infarctus
cérébral silencieux, complication très fréquente chez l’enfant, indétectable à l’examen neurologique,
associé à un risque élevé de récurrences, d’AVC et de quotient intellectuel inférieur.
- syndromes thoraciques aigus (acute chest syndrom) associant signes respiratoires, fièvre, douleur
thoraco-abdominale et foyer pulmonaire de novo à la radiographie thoracique, dus au pneumocoque,
au virus grippal, avec risque de thrombose pulmonaire (prévalence de 17%).
- priapisme ischémique aigu, érection violente survenant sans stimulus sexuel et durant plus de 4
heures, ou intermittent chronique.
- épistaxis abondantes.
2.4.2.2.2. Les complication chroniques se voient chez les adolescents et les adultes :
- ulcères de jambe (au niveau des chevilles) ;
- ostéonécrose aseptique des têtes fémorales, des vertèbres, des têtes humérales ;
- arthrites aseptiques (au niveau des genoux),
- rétinopathie pré-proliférative ou proliférative : douleur oculaire, perception de taches noires, chute
brutale de l'acuité visuelle; nécessitant un bilan annuel pour les SC dès l'âge de 6 ans, pour les SS
dès l'âge de 10 ans,
- lithiase vésiculaire asymptomatique dans la moitié des cas et mise en évidence à l'échographie
abdominale, avec une incidence cumulée de 5% à 5 ans, de 36% à 15 ans,
- atteinte rénale : hyposthinurie (diminution de concentration maximale des urines responsable de
déshydratation), hématurie, insuffisance rénale aiguë, insuffisance rénale chronique révélée par une
protéinurie à rechercher systématiquement,
- atteinte cardiaque : cardiomégalie liée à l'anémie chronique,
- atteinte pulmonaire : hypertension artérielle pulmonaire, la prévalence de l'HTAP serait de 6% chez
l'adulte (cathétérisme du coeur droit),
- hépatomégalie liée en partie à la surcharge en fer,
- hypoacousie,
- carence en vitamine D chez l'enfant et chez l'adulte, avec plus grande fréquence de fractures et
d'ostéonécrose et toujours le risque de complications vasculo-occlusives aiguës (os longs, os plats).
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Première note : Le risque d'AVC chez les enfants SS et Sβ°thal nécessite une surveillance par la
réalisation d'un doppler trans crânien annuel entre les âges de 12-18 mois et de 16 ans.
Deuxième note : Le syndrome thoracique aigu (STA) défini comme « un nouvel infiltrat pulmonaire »
sur la radiographie du thorax, est fréquent chez l'enfant drépanocytaire, notamment entre les âges de
2 et 7 ans, dans la forme SS et Sβ°. Il survient près d'une fois sur deux après une crise vaso-
occlusive. Une infection pulmonaire est la première cause à rechercher : virus, pneumocoque,
mycoplasme, chlamydia. La répétition des STA fait craindre une évolution ultérieure vers l'insuffisance
respiratoire chronique et l'HTAP. La survenue de deux STA est une indication à débuter un traitement
par hydroxiurée.
Troisième note: la drépanocytose est une des causes de la Maladie de Moya-moya qui est une
maladie angiogénique liée à une sténose progressive des artères cérébrales situées à la base du
cerveau, concernant la partie intra-cérébrale des carotides internes, avec développement d'un réseau
collatéral qui donne un aspect de cigarette (moya-moya en japonais). Elle entraîne chez l'enfant des
accidents ischémiques, chez l'adulte des hémorragies.
Les principaux signes cliniques des hémoglobinopathies SS, SC, Sβ thal sont résumés dans le
tableau I.
2.6.1. Le diagnostic en urgence des SDM a pour but d'identifier l'HbS. Il repose sur le test d'Emmel
ou test de falciformation et le test d'Itano :
- le test d'Emmel consiste à mettre sur une lamelle une goutte de sang en présence d'une goutte de
métabisulfite de sodium à 2%, la lamelle est lutée à l'aide de paraffine, l'examen se fait après 30 mn
au microscope et montre un aspect en faucilles des hématies,
- le test d'Itano est un test de solubilité de l'hémoglobine. Il se pratique sur un hémolysat
d'hémoglobine ajusté à 4%. En présence d'hyposulfite de sodium, l'hémoglobine S précipite. Après
centrifugation, on observe un caillot rose et un surnageant limpide en présence d'HbS; en l'absence
d'HbS, le surnageant est rouge.
2.6.2. Le diagnostic définitif repose sur l'étude de l'hémoglobine. Le but est de séparer et de
quantifier les différentes hémoglobines. L'examen classique est l'électrophorèse à pH alcalin avec un
témoin normal et un ou plusieurs témoins contenant des fractions anormales (F, S, C…).
L'hémoglobine S est bien séparée de l'hémoglobine A 1 en électrophorèse à pH alcalin.
L’utilisation combinée de l’isoélectrofocalisation et de la chromatographie liquide à haute performance
(CLHP) permet le diagnostic des mutants rares de l’hémoglobine.
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2.7. Le pronostic
Le pronostic des SDM est difficilement prévisible. Ils forment un groupe non homogène en terme de
sévérité et de pronostic. Ainsi, l'anémie est d'intensité très variable dans les Sβ thal, les Sβ+thal étant
les mieux tolérées. La mortalité reste élevée en Afrique noire, mortalité maximale chez l'enfant entre 1
et 5 ans, puis à l'âge adulte chez la femme enceinte. Un enfant SS sur 2 décède avant l'âge de 5 ans
et seulement 1 sur 10 parvient à l'âge adulte. Les difficultés de prise en charge des enfants dans les
pays en développement expliquent cette mortalité, alors que la prise en charge des enfants atteints
d'hémoglobinopathies dans les pays industrialisés a permis d'obtenir une réduction importante de la
morbidité et de la mortalité.
Echanges transfusionnels
Indications : AVC, crise douloureuse hyperalgique résistante à la morphine ou syndrome thoracique aigu avec un
taux d'Hb > 9 g/dL ou s'il existe une défaillance viscérale associée, priapisme aigu résistant à l'injection d'étiléfrine
et au drainage, préparation à une anesthésie générale prolongée,
Objectif : obtenir un taux d’HbS de 30 à 40%
Modalités : soustraire 45 ml/kg de sang du patient et transfuser 30 ml/kg de culot globulaire en 3 étapes :
- première étape : soustraire 10 ml/kg de sang du patient et perfuser simultanément 10 ml/kg de sérum,
- deuxième étape : soustraire 35 ml/kg de sang du patient et transfuser simultanément 35 ml/kg de culot
globulaire
- troisième étape : réajuster l’hématocrite à 45% par une perfusion de sérum physiologique.
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Première note : les risques des transfusions répétées sont l'allo-immunisation, la surcharge en fer, les
contaminations transfusionnelles : hépatite à virus C, paludisme transfusionnel, infection à VIH/Sida.
Deuxième note : le recours aux transfusions est presque constant en cours de grossesse, soit en
présence de manifestations pathologiques et/ou juste avant l’accouchement, soit de manière
systématique dès le début de la grossesse (les transfusions prophylactiques permettraient d’assurer
une plus grande sécurité transfusionnelle).
Infections
- traitement antibiotique probabiliste des infections microbiennes, en attente des résultats des cultures
si elles sont pratiquées, traitement bactéricide, avec un passage méningé, actif en particulier sur les
pneumocoques de sensibilité diminuée à la pénicilline, sur H. influenzae et sur les salmonelles.
Anémies aiguës
Transfusions si le taux d’Hb est < 5 g/dL :
- hyperhémolyse aiguë : transfusions,
- séquestration splénique aiguë : urgence absolue, met en jeu le pronostic vital, transfusions en
urgence; après le deuxième épisode, programme transfusionnel et splénectomie à discuter après l'âge
de 2 ans (risque de thrombose porte)
- érythroblastopénie aiguë liée au parvovirus B19, épisode transitoire de 7 à 10 jours : transfusions à
répéter si nécessaire.
Ostéomyélite
- différencier CVO et ostéomlyélite, pratiquer radiographie standard, échographie ostéo-articulaire
(abcès sous-périosté ?), ponction osseuse ou articulaire,
- en cas d'ostéomyélite : immobilisation, antalgiques, bi-antibiothérapie IV.
Priapisme
- hydratation, antalgiques (paracétamol)
- le priapisme est une urgence fonctionnelle : s'il dure depuis < 3 heures : injection intra-caverneuse
d'un alpha-agoniste de type étiléfrine (Effortil®) ; s'il dure depuis > 3 heures : drainage sans lavage
sous anesthésie locale jusqu'à obtention de sang rouge + injection intra-caverneuse d'étiléfrine,
ème
intervention d'Al-Ghorab en 2 intention (anastomose caverno-spongieuse distale)
- prévention des récidives : étiléfrine par voie orale (0,5 mg/kg/j, programme transfusionnel.
Lithiase biliaire
- cholécystectomie (cœlioscopie : méthode de choix si disponible et maîtrisée ou laparotomie), même
en cas de lithiase asymptomatique.
Ulcères de jambe
- repos au lit avec surélévation du membre atteint,
- nettoyage quotidien au sérum physiologique et application de pansements,
- traitement antalgique efficace lors des pansements,
- traitement antibiotique par voie générale adapté au germe en cas de surinfection
Complications rénales
- hydratation par boissons abondantes,
- recherche de protéinurie pour dépister une insuffisance rénale chronique.
Complications cardiaques
- traitement des cardiomyopathies avec insuffisance cardiaque,
- transfusions, programme transfusionnel.
La maladie drépanocytaire est dans les pays en développement, tout particulièrement en Afrique
subsaharienne, une maladie grave, de prise en charge difficile, d’où la nécessité d’une prévention par
l’instauration systématique d’une électrophorèse de l’hémoglobine comme examen prénuptial pour
chaque couple à risque.
3.1. L'hémoglobinose C
Elle s'observe essentiellement dans la race noire. L'origine du gène βC a été localisée au niveau du
plateau voltaïque. Elle est due au remplacement d'un acide glutamique par une lysine.
L'hémoglobinose C hétérozygote (AC) est une maladie inapparente. Le diagnostic est basé sur
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l'électrophorèse de l'Hb : HbC 25-45%, HbA2 1-4%.
Note : les HbC, A2 et E migrent au même niveau à pH alcalin, séparation par chromatographie.
L'hémoglobinose C homozygote (CC) est caractérisée par un syndrome anémique modéré, une
splénomégalie, une lithiase biliaire. Le taux d'hémoglobine est entre 10 et 13 g/dL, il y a 100-200 G/L
de réticulocytes, 50 à 90% d'hématies en cible. A l'électrophorèse de l'Hb : HbC > 90%, HbA2
absente, HbF 3 à 8%.
3.2. L'hémoglobinopathie E
Elle est rare. Elle est rencontrée dans le Balkans, le Bassin méditerranéen, le Moyen-Orient, l'Afrique,
les Antilles.
La forme homozygote O Arab O Arab est peu symptomatique. L'anémie hémolytique chronique est
modérée. A l'électrophorèse de l'hémoglobine : Hb A1: 0%, HbF : <5%, Hb O Arab : 95-98%, Hb A2 :
2-3%.
La forme hétérozygote composite HbS/O Arab est caractérisée par une anémie modérée (7-9g/dl)
avec normocytose, réticulocytes : 100-300 G/L. A l'électrophorèse de l'hémoglobine : HbA1: 0%, HbF :
5-15%, HbS : 45-55%, Hb O Arab : 45-50%, HbA2 : 2-3%.
La forme hétérozygote composite βthal/O Arab est caractérisée par un tableau de thalassémie
intermédiaire avec une anémie modérée, microcytaire, hypochrome. Une thrombopénie, témoin de
l'hypersplénisme est retrouvée dans 40% des cas. Transfusions et splénectomie sont réservées aux
formes très anémiques, souvent compliquées d'hypersplénisme.
Références