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Le cerveau reptilien, sur la popularité d’une erreur scientifique, Sébastien Lemerle,

Cnrs éditions, 224 p. 24€

Parmi les notions si bien connues qui circulent indûment dans le discours publique, celle de
cerveau reptilien est exemplaire. Sébastien Le merle, sociologue, en retrace le cheminement, de
son apparition à nos jours, ainsi que les usages qui en sont encore faits.
Etrange destinée à vrai dire que celle de cette idée selon laquelle il demeurerait dans notre
cerveau une part primitive et farouche dont il faudrait se prémunir ou du moins se méfier quelque
soit par ailleurs l’évolution humaine et sociale. L’idée fût émise par un neuroscientifique américain,
Paul D. MacLean dans les années soixante et a survécu jusqu’à nous alors que le nom de celui-ci
est oublié depuis longtemps. Oublié car, dès son vivant, et rapidement après avoir été avancé, le
concept de cerveau reptilien s’est vu disqualifié par les avancées de la science. Car, moins qu’une
théorie bâtie sur une expérimentation rigoureuse l’idée de cerveau reptilien reflète bien davantage
un esprit du temps particulier. Car dans les années soixante à quatre-vingt, nombreux furent ceux
qui réfléchir aux sources de la violence humaine. Et à une forme d’optimisme durant la période
précédente avait succédé une vision plus tragique de notre condition fondée sur un réduction-
nisme biologique ou évolutionnaire. Les travaux de MacLean prennent place dans ce contexte im-
prégné de nietzschéisme (la volonté de puissance) et d’anti-freudisme (bien qu’il faille rendre
compte du malaise dans la civilisation).
Ce n’est donc pas la postérité épistémologique mais bien le passage d’une notion scien-
tifique de son milieu d’origine à celui du grand public, sa diffusion par les médias, qui intéresse ici
S. Lemerle. Certains relais, notamment Arthur Koestler ont très tôt contribué à démocratiser l’idée
de l’existence d’un cerveau reptilien, avant qu’elle ne soit reprise jusqu’à aujourd’hui. Perdant de
sa netteté, elle s’est vue réappropriée par différents courants politiques, tant déclinistes qu’opti-
mistes, les uns se fondant sur l’inéluctabilité d’une nature humaine intangible, les autres sur notre
capacité à l’amender. Désormais, ultime mouture, c’est aux « entrepreneurs de morale » et aux
adeptes du développement personnel qu’elle se révèle bien utile. Toujours aussi peu fiable d’un
point de vue scientifique, elle démontre cependant comment le discours scientifique se diffuse
dans le corps social, passant du statut de concept à celui, toujours récupérable, de métaphore.

Thierry Jobard

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