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bilingue : l’enfant sourd locuteur de la langue des signes qui apprend à lire et à
écrire en français.
Sandrine BURGAT
Membre associée au laboratoire SFL-UMR 7023, CNRS/Université Paris 8
sburgat@netcourrier.com
Deaf speakers of French sign language (LSF) represent a L’objectif de cet article est de montrer comment on peut
linguistic minority which is included in a hearing majority. penser autrement un apprentissage de la lecture-écriture
Being deaf in our society means to be constantly chez l’enfant sourd signeur dans une optique bilingue où la
confronted with French written language and deaf children langue des signes française (LSF) est la langue 1 et le
are forced to learn to write in a language that they ignore. français écrit est la langue 2.
More than that, most of French pedagogies to learn to read
and write are based on vocal speech and hearing which is 2. CONTEXTE GÉNÉRAL : LES SOURDS, LE
most often considered as the only language of acquisition FRANÇAIS ET LA LANGUE DES SIGNES
possible. It is worth noticing that deaf people are facing
difficulty in writing (80 % are illiterate). In this article we Comme évoqué supra, deux philosophies d’enseignements
present an alternative to these pedagogies in a bilingual coexistent. Dans l’approche oraliste, l’enfant sourd est
context: an activity called “dictée à l’adulte”. This activity considéré comme déficient auditif. S’il est déficient alors il
is based on sign language interactions which are developed faut compenser cette déficience par des aides spécifiques :
to produce texts in french. les appareillages, les implants cochléaires etc…Tout est
mis en œuvre pour que l’enfant sourd acquière la langue
majoritaire du pays : le français oral vocal comme langue 1,
1. INTRODUCTION langue d’acquisition du langage. Cet enseignement du
Dans la vie courante, circule cette croyance largement français passe par la mise en œuvre de procédés de
répandue que les « sourds-muets » remplacent la parole réadaptation tels que les séances d’orthophonie (avec
vocale par l’écriture et s’expriment par écrit aussi apprentissage de la lecture labiale et démutisation). Quand
facilement que les entendants parlent. Dans les faits, la la langue des signes est présente, sa présence est
plupart des sourds ne maîtrisent pas la lecture Or, dans instrumentalisée puisque la LSF est alors traitée plus
notre société de l’écrit, maîtriser la lecture et l’écriture est comme un outil que comme une langue et encore moins
la condition d’accès aux études supérieures, à une une langue d’enseignement. La seconde manière
profession, et tout simplement à la culture, aux médias et à d’envisager la surdité est de considérer les sourds comme
la citoyenneté. La maîtrise de l’écrit est d’autant plus les membres d’une communauté linguistique minoritaire.
importante pour des personnes qui n’ont pas accès aux Cette communauté se caractérise par des pratiques
informations vocales. linguistiques et culturelles. La principale de ces pratiques
est l’utilisation d’une langue spécifique : la langue des
Pendant plusieurs siècle les écoles françaises on nié signes. Elle est la langue identitaire des sourds membres
l’importance de la langue des sourds pour les de cette communauté. Elle est aussi une langue véhiculaire
apprentissages et pour leur devenir de citoyen bilingue. En et le support de ce que les sourds appellent « la culture
obligeant les sourds à oraliser et en subordonnant tous les sourde ». C’est cette optique qui est retenue dans le cadre
apprentissages à la maîtrise de l’oral, les institutions des projets d’éducation bilingue.
scolaires ont été les artisans de l’échec des sourds à l’écrit. Comme le signale Cuxac (1996-2000), les langues des
Ainsi, aujourd’hui on estime que 60 à 80% des sourds signes sont les langues des sourds: ce sont des langues à
adultes sont illettrés1. Ils rejettent le français écrit qui est part entière qui exploitent maximalement les canaux qui
vécu comme langue non-identitaire et langue de sont le plus efficients chez les personnes sourdes : les
l’oppresseur. Ainsi que le prescrit la loi de 2005 pour canaux visuels gestuels. De plus, Cuxac [Cux91,
l’égalité des chances et la citoyenneté des personnes p.66] rappelle que « les seules langues qui, pour des petits
handicapés, les parents qui ont un enfant sourd ont
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Le rapport Gillot de 1998 fait état de 80% de sourds illettrés. Il Depuis 1991, les lois françaises autorisent les parents à faire le
remarque que 5% des sourds accèdent à l’enseignement choix d’un tel bilinguisme pour leur enfant. L’Amendement
supérieur. Fabius stipule que « Dans l’éducation des jeunes sourds, La
Concernant l’enseignement des enfants sourds, 1% des sourds ont liberté de choix entre une communication bilingue (écrit et oral)-
accès à une scolarité bilingue puisque 91% des établissements et une communication orale est de droit. » La loi du 11 février
font prioritairement référence à l’oralisme. 2005 réaffirme ce droit.
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La LSF est une langue de la communication de face à face qui
présente une oralité gestuelle.
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La démarche de dictée à l’adulte a été conceptualisée par L.
Lentin et ses collaborateurs d’après des idées émises par C.
Freinet. Le nom de cette démarche varie en fonction des
apprenants avec lesquels elle est utilisée. Nous employons le
terme de dictée à l’adulte car nous avons étudié des corpus
d’enfants sourds.