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MERCREDI 7 DÉCEMBRE 2022

78E ANNÉE – NO 24236


3,20 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE
WWW.LEMONDE.FR –
FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY
DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

SCIENCE & MÉDECINE — SUPPLÉMENT  DANS LE CERVEAU DES CHIENS

BIODIVERSITÉ : ÉVITER LA SIXIÈME EXTINCTION
▶ La 15e conférence RÉENSAUVAGEMENT
des Nations unies sur « Nous avons besoin
la biodiversité (COP15), d’une abondance de vie. »
qui s’ouvre ce mardi Entretien avec un couple
6 décembre à Montréal, anglais qui a réensauvagé
ses 1 400 hectares de terres,
au Canada, a pour enjeu hier vouées à la culture
d’« inverser » la perte de intensive. Leur mutation
biodiversité d’ici à 2030 a permis en vingt ans la
▶ Pour y parvenir, réinstallation massive d’es­
pèces vivantes disparues
il faudrait adopter un
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nouveau cadre mondial
protégeant 30 % des FINANCEMENT
terres et des mers Les membres du comité
▶ Un million d’espèces vé­ français de l’Union
gétales et animales sont internationale pour la
menacées de disparaître, conservation de la nature
appellent à une plus
alors que la survie d’un « haute ambition politi­
Terrien sur cinq dépend que » sur le sujet et à une
directement des plantes mobilisation financière
sauvages, des algues beaucoup plus forte,
ou des champignons alors que la moitié
du PIB mondial dépend
▶ Reportage dans le de la biodiversité
nord­ouest du Québec, PAGE 3 0
où l’activité forestière Des arbres coupés, dans la réserve de la
Première Nation de Lac­Simon, au Québec,
menace le caribou le 11 octobre. BRENDAN GEORGE KO POUR « LE MONDE »
PAGES 7 ET 8

Shoah Justice
PROTECTIONNISME ▶ Le plan de soutien nisme », est rejointe par
Macron dénonce  Retour sur une 
AMÉRICAIN à l’industrie américaine
fait craindre une désin­
von der Leyen, qui veut
« une réponse structurelle » les « crimes de  accusation de 
L’UE CHERCHE  dustrialisation de l’Europe
▶ La France, qui plaide
▶ L’idée d’un « fonds de
souveraineté » est d’em­ l’Etat français » viol mensongère
UNE RIPOSTE pour une priorité euro­
péenne, sans employer
blée repoussée par le
groupe des « frugaux »
Le camp des Milles n’était La cour de révision
« pas un accident » mais examine la réhabilitation
le terme de « protection­ PAGE S 16- 17 un « glissement délibéré d’un homme condamné
vers le crime » à tort en 2003
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Turquie Paris 2024 Energie Cinéma


Erdogan, un Des travailleurs Les projets de
caméléon sans papiers nucléaire civil « Nos frangins »,  Cuvée Rosé, choisie par les meilleurs.
diplomatique qui sur les chantiers de la France en Inde autopsie d’une 
surfe sur les crises olympiques dans l’impasse
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double bavure
Le cinéaste Rachid Bou­
chareb revient sur les
VU PAR HERRMANN (SUISSE)    CARTOONING FOR PEACE morts tragiques de Malik
Oussekine et d’Abdel
Benyahia. Entretien, criti­ Le Gstaad Palace
que, et les autres sorties
PAGES 2 4 À 27

Paris
Emotion autour
de la fermeture de
lycées artistiques
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ÉDITO RIAL
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CONTRE LA RUSSIE,  MAISON FAMILIALE INDÉPENDANTE

TÉNACITÉ ET  champagnelaurentperrier www.laurent-perrier.com

PRAGMATISME
Photographe : Iris Velghe / Illustration : José Lozano / Conception Luma

L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ, À CONSOMMER AVEC MODÉRATION.


P AG E 33

Algérie 220 DA, Allemagne 4,20 €, Andorre 3,80 €, Autriche 4,00 €, Belgique 3,50 €, Espagne 3,80 €, Grèce 3,70 €, Guadeloupe-Martinique 3,50 €,
Hongrie 1 650 HUF, Italie 3,70 €, Luxembourg 3,50 €, Maroc 25 DH, Pays-Bas 4,20 €, Portugal cont. 3,70 €, La Réunion 3,50 €, Sénégal 2 500 F CFA, Suisse 4,70 CHF, Tunisie 5,20 DT, Afrique CFA autres 2 500 F CFA
INTERNATIONAL
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2| MERCREDI 7 DÉCEMBRE 2022

Le président turc,
Recep Tayyip
Erdogan, lors
du sommet
du G20 à Bali
(Indonésie),
le 15 novembre.
BAY ISMOYO/AP

Les mues d’Erdogan, caméléon diplomatique
Le président turc multiplie les coups sur la scène internationale pour faire oublier ses difficultés en interne

istanbul ­ correspondant l’Etat turc parvient à s’engouffrer une promenade de santé. Durant Ankara négocie avec le régime En froid avec l’OTAN après avoir
dans les failles d’un ordre ses premières années au pouvoir, de Damas un feu vert tacite à ses
En condamnant acheté, en 2019, des missiles

L’
un des plus grands mondial chamboulé avec un stimulé par une formidable crois­ offensives dans le Nord syrien, dès le début russes antiaériens S­400, conçus
talents de l’insaisissa­ aplomb imposant. Il est cette sance économique et une popula­ fief de la minorité kurde. A cinq à l’origine pour détruire les avi­
ble et inusable Recep figure récurrente du dirigeant rité à toute épreuve, il joue la carte reprises, entre 2015 et 2022, Recep
l’agression russe ons de l’Alliance atlantique,
Tayyip Erdogan est sa autoritaire, dure et ambivalente, européenne et ses standards en Tayyip Erdogan sonne la charge, contre l’Ukraine, M. Erdogan avait créé lui­même
capacité à transformer les crises disruptive et dédaigneuse, mais matière de droits pour s’affran­ dans les airs ou au sol – à chaque une situation hors norme au
en opportunités politiques. Com­ aussi « intrigante », comme le chir de la tutelle des militaires. fois, peu avant des échéances
Erdogan sein de l’institution. Critiqué
bien de fois, en vingt années de décrit Soner Cagaptay de l’Ins­ A partir des années 2010, débar­ électorales. Les récentes frappes est revenu pour sa relation ambiguë de
pouvoir, le dirigeant turc n’a­t­il titut de Washington pour la rassé de l’emprise des généraux, turques ont commencé le 20 no­ « confiance et solidarité » avec
pas changé de cap, provoqué de politique du Proche­Orient, dans déçu et vexé par les tergiversa­ vembre, avec la menace toujours
en grâce auprès son « cher ami Poutine », le prési­
coups d’éclat ou exacerbé les ten­ sa façon « de braver les obstacles tions bruxelloises, il se tourne un peu plus pressante d’une in­ des Occidentaux dent turc avait fini par semer le
sions, tant sur la scène intérieure et de déjouer les pronostics ». Lui­ vers la région proche­orientale, tervention au sol. doute sur sa fiabilité.
qu’en dehors, dans le but de même a encore récemment l’Eurasie aussi et l’Afrique, met­ Comme il l’avait fait en 2019, Son retour accéléré dans le gi­
se sortir d’une mauvaise passe ? affirmé, en évoquant une possi­ tant en avant un retour à l’iden­ quand il avait poussé – en vain – avait défiée en diffusant des en­ ron atlantiste a suscité un soula­
Encore une fois aujourd’hui, ble rencontre avec son ennemi tité musulmane turque et une l’administration Trump à établir registrements audio établissant gement. Au point de voir les al­
alors qu’il se débat avec une popu­ juré d’hier, le président syrien, « diplomatie multi­axiale », plus une zone tampon contrôlé la responsabilité de ses agents liés effacer les contentieux pas­
larité en berne, le président de la Bachar Al­Assad, qu’il n’y avait équilibrée avec son environne­ conjointement le long de la fron­ dans la liquidation, à Istanbul, du sés – en Libye, en Méditerranée
Turquie multiplie les acrobaties « pas de place pour le ressenti­ ment immédiat. C’est l’époque du tière avec la Syrie, le président journaliste Jamal Khashoggi. orientale, en Syrie – et fermer les
diplomatiques. Il joue tout à la fois ment en politique ». « zéro problème avec les voisins », turc s’emploie aujourd’hui à obte­ Autant de rabibochages qui n’ont yeux sur le démantèlement mé­
au chef de guerre, en menaçant les mot d’ordre popularisé par nir de Moscou l’organisation d’un pas empêché la Turquie de violer thodique de l’Etat de droit dans
Kurdes syriens d’une nouvelle in­ « Se maintenir au pouvoir » Ahmet Davutoglu – ministre des sommet avec le président Bachar régulièrement l’espace aérien de son propre pays et sur ses agisse­
tervention militaire, en repré­ Le bel aveu ! « Erdogan n’a pas ce affaires étrangères puis premier Al­Assad, consacré à la sécurité la Grèce, cherchant à imposer ments, du moins jusqu’à une cer­
sailles à l’attentat meurtrier per­ que l’on appelle une vision du ministre entre 2009 et 2016. entre les deux pays. Une rencon­ une solution à deux Etats à taine limite, contre les forces kur­
pétré à Istanbul à la mi­novem­ monde, ce n’est pas un idéologue, Erdogan s’impose et prend des tre rejetée, jusqu’à présent, par Chypre, à rebours des intérêts du des à sa frontière sud.
bre ; au faiseur de paix entre la souligne Gönül Tol, autrice d’un mesures pour accroître la visibi­ Damas qui, selon plusieurs sour­ camp occidental. « Le temps de l’indulgence est re­
Russie et l’Ukraine, avec une ouvrage minutieux intitulé Er­ lité de l’islam dans l’espace public. ces, refuse d’octroyer à Erdogan Et puis vint le coup de tonnerre venu, même si celui­ci est parfois
aisance à faire pâlir d’envie les plus dogan’s War (Oxford University Il cherche le soutien dans les un succès diplomatique suscepti­ du 24 février, l’invasion de difficile à avaler », admet, sous
vieux routiers de la diplomatie ; et Press, 332 pages, 35,90 €, non tra­ urnes des Kurdes conservateurs. ble d’accroître ses chances aux l’Ukraine par Moscou. En con­ couvert d’anonymat, un diplo­
au grand seigneur magnanime, duit). C’est un populiste dans le A l’extérieur, il soutient les Frères élections de 2023. damnant dès le début l’agression mate occidental en poste en Tur­
en serrant, tout sourire, les deux sens où il utilise précisément diffé­ musulmans dans les révoltes russe, qualifiée d’« illégale », quie. Ankara étant redevenu fré­
mains du président égyptien, rentes idéologies pour arriver à la arabes en cours. Il sape, par là Un intermédiaire indispensable le président turc est habilement quentable, pas moins de cinq diri­
Abdel Fattah Al­Sissi, lors de seule chose qui compte pour lui, même, les liens que la Turquie en­ De fait, le chef d’Etat turc traverse revenu en grâce auprès des Euro­ geants de l’Union européenne
l’ouverture du Mondial de football se maintenir au pouvoir. Il ne tretenait jusque­là avec Israël, une situation délicate. Fragilisé péens et de l’OTAN qui n’ont eu (UE) et de l’OTAN sont venus ren­
à Doha, après avoir pourtant mar­ pense, n’agit et ne voit le monde l’Egypte, l’Arabie saoudite et les par la crise financière qui ébranle de cesse, ces dernières années, dre visite à leur « précieux allié »
telé qu’il ne rencontrerait jamais qu’à travers cette unique lentille. Emirats arabes unis. En Syrie, il le pays et le ressentiment crois­ de fustiger sa politique étran­ turc, selon l’expression de Jens
un dirigeant issu d’un coup d’Etat. En bon pragmatique, il classe, fournit armes et assistance aux sant de la population vis­à­vis gère abrasive et son aventurisme Stoltenberg, le secrétaire général
Il a les « qualités uniques d’un ca­ compartimente, règle les problè­ rebelles, djihadistes ou pas. des 3,7 millions de réfugiés sy­ régional. de l’Alliance atlantique.
méléon », dit de lui Cengiz Candar, mes au cas par cas, et qu’impor­ Avec son premier revers politi­ riens installés sur son sol, il tente Gardien du détroit du Bos­ « Précieux, jusqu’au prochain dé­
célèbre journaliste et ancien tent les contradictions du mo­ que aux élections législatives de de raffermir son image. Adepte phore, désormais interdit aux rapage », relativise cette même
conseiller du président Turgut ment tant qu’il garde la main. » juin 2015, le président entre­ de la manière forte en interne, navires de guerre russes ainsi source. Les sujets de discorde ne
Ozal (1927­1993). La marque d’un L’ascension d’Erdogan sur la prend un rapprochement avec Erdogan cherche à s’arroger une qu’à ceux de l’OTAN, et parte­ manquent pas, ils se sont même
animal politique redoutable, scène diplomatique n’a pas été l’extrême droite du Parti d’action plus grande visibilité sur la naire militaire majeur de Kiev, il accumulés. Du blocage en cours
changeant constamment de cou­ nationaliste. Le pays se tend, les scène internationale. joue un rôle­clé dans les négocia­ du processus d’adhésion à l’OTAN
leur pour survivre, pourrait­on violences et la répression s’ac­ Déjà en début d’année, au Pro­ tions sur le déblocage des ports de la Suède et de la Finlande, à la
ajouter. N’a­t­il pas séduit, tour à croissent. C’est l’ère de la polari­ che­Orient, où la Turquie avait en mer Noire et les échanges de menace d’intervention en Syrie,
tour, un George W. Bush, lui­ Le chef d’Etat sation. « En s’associant avec les fini par être très isolée, il s’est ef­ prisonniers entre Russes et en passant par le chantage à la
même très croyant, qui voyait en nationalistes qui voient les Kur­ forcé de retisser les liens qu’il Ukrainiens. Avec son refus d’ap­ rupture du pacte migratoire
lui le « fervent musulman », Barack
joue tout à la fois des comme une menace existen­ avait lui­même endommagés. pliquer les sanctions contre Mos­ scellé depuis 2016 avec l’UE, le
Obama, pour qui il représentait au chef de tielle, avance Gönül Tol, Erdogan Avec l’Egypte, mais aussi avec Is­ cou, il s’est imposé comme un in­ président turc teste à chaque fois
« la fenêtre sur le monde islami­ change de nouveau de plan. Il dé­ raël, qu’il avait qualifié par le termédiaire indispensable, souli­ un peu plus la patience de ses al­
que », et le président homme d’af­
guerre, au faiseur veloppe une rhétorique antiélite passé d’« Etat terroriste » ; avec gnant la nécessité de maintenir liés traditionnels. A force de capri­
faires Donald Trump, qui louait de paix et au avec des relents nationalistes les Emirats arabes unis, qu’il des liens étroits avec son homo­ ces et de foucades, il pourrait finir
ses talents de « dealmaker » ? pour lancer une guerre contre les avait accusés d’avoir trempé logue russe, Vladimir Poutine. En par se prendre les pieds dans le ta­
Adversaires ou thuriféraires,
grand seigneur Kurdes qui deviennent l’ennemi dans le coup d’Etat raté de 2016 ; quatre mois, les deux hommes se pis. Aussi habile soit­il. p
tous en conviennent : le chef de magnanime numéro un. » et même l’Arabie saoudite, qu’il sont rencontrés quatre fois. nicolas bourcier
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MERCREDI 7 DÉCEMBRE 2022 international | 3

La Hongrie à l’heure des fermetures et des pénuries


Face à l’inflation galopante, théâtres, musées, postes et universités sont contraints de suspendre leur activité

REPORTAGE qu’on peut voir ailleurs en Eu­


rope », se satisfait M. Ulrich. Dans
banque centrale hongroise a
d’ailleurs appelé, lundi 5 décem­
ce mercredi 30 novembre, en lis­
tant lors d’une réunion publique
La vague Commission européenne] qui est
responsable de la fermeture des
nyiregyhaza (hongrie) ­
envoyé spécial
ce pays étroitement contrôlé par bre, à mettre un terme à la politi­ toutes les installations qu’il a, lui de restrictions institutions culturelles », se déses­
le parti au pouvoir, ni le théâtre que de blocage des prix. « Le socia­ aussi, dû mettre « en hiberna­ père ainsi Antal Maté. « En réalité,
contredit

L
e musée, fermé. Les salles ni le musée local n’ont d’ailleurs lisme a prouvé que toutes ces idées tion ». « Nous n’avons rien reçu du il n’y a aucune sanction euro­
culturelles, fermées. Fraî­ souhaité recevoir Le Monde, en ne fonctionnent pas », a fustigé gouvernement », déplore­t­il, alors l’image du pays péenne sur le gaz, et la Hongrie a
chement rénové, le théâ­ expliquant « n’avoir rien à dire sur György Matolcsy, qui fut pourtant que certaines mairies dirigées par bénéficié d’une exception sur le
tre municipal va, lui, la décision de la mairie ». ministre de l’économie de M. Or­ le Fidesz ont pu décrocher à la
prospère pétrole, rappelle aussi Barbola
baisser le rideau d’ici à mi­dé­ La situation de Nyiregyhaza n’a ban au début des années 2010. dernière minute une aide excep­ entretenue Toth. C’est la Russie qui a décidé de
cembre. La piscine pourrait sui­ pourtant rien d’isolé. Dans tout En difficulté financière en rai­ tionnelle pour au moins chauffer limiter ses livraisons de gaz à l’Eu­
vre en janvier. Quant à la dizaine le pays, des centaines de théâ­ son de la suspension des verse­ leur piscine.
par M. Orban rope, Orban le sait très bien, mais
de bureaux de poste de la com­ tres, cinémas municipaux, pisci­ ments européens consécutive à les Hongrois ne le savent pas. »
mune, seule la moitié est encore nes, patinoires, bureaux de poste ses dérives autoritaires, de la Vaste propagande Malgré ses difficultés financiè­
ouverte… L’hiver s’annonce par­ ont fermé ces dernières semai­ chute de sa monnaie nationale (le Mais, malgré leur dureté, ces me­ buer l’entière responsabilité de res, le gouvernement hongrois
ticulièrement ennuyeux cette nes, donnant à la plupart des forint) et des nombreuses mesu­ sures ne déclenchent aucune cri­ toutes ces privations aux « sanc­ trouve d’ailleurs encore assez
année à Nyiregyhaza, ville d’une municipalités de province des al­ res électoralistes prises avant les tique ou question de la petite tions de Bruxelles », le vocable qui d’argent pour continuer sa très
centaine de milliers d’habitants lures de villes mortes. De nom­ élections d’avril, le gouverne­ audience d’à peine une quaran­ désigne en Hongrie les mesures symbolique politique de « magya­
située dans la région la plus breux établissements scolaires ment Orban a déjà dû arrêter taine d’administrés qui a fait le prises par l’UE contre la Russie. risation » de l’économie hon­
pauvre de Hongrie, tout au nord­ et universitaires ont aussi décidé pendant l’été sa très généreuse déplacement. « On ne peut rien M. Orban les a toutes approuvées, groise : il est en train de nationali­
est. Même le traditionnel marché de prolonger les vacances de fin politique de blocage des prix du faire, c’est partout comme ça, on mais il les critique une fois au ser la branche locale de l’opérateur
de Noël y est organisé avec des d’année pour économiser le gaz et de l’électricité. espère juste que ça ne durera pas pays, en cultivant ses relations de télécommunication Vodafone
éclairages réduits. chauffage, et condamnent leurs Dans sa mairie de Nyirbator, trop longtemps », lâche Reka Ko­ chaleureuses avec Moscou mal­ pour la rondelette somme de
Pour faire face à l’explosion des bâtiments un à un pour regrou­ une petite ville voisine de Nyire­ vacs, employée dans une maison gré la guerre en Ukraine. 1,8 milliard d’euros. Malgré son
coûts de l’énergie et à une infla­ per les fonctionnaires. « Certai­ gyhaza, Antal Maté, élu de l’oppo­ de retraite, convaincue que la si­ « Quand je discute avec les gens coût, cette mesure au sens écono­
tion parmi les plus élevées d’Eu­ nes villes ont même décidé d’arrê­ sition socialiste, a fait ses comp­ tuation est la même ailleurs en dans la rue, ils disent qu’on aurait mique douteux est jugée plus
rope (21,1 % en octobre), la mairie ter leur réseau de tramway », ex­ tes. « Il va falloir trouver 500 mil­ Europe. Cette résignation s’expli­ dû laisser les Russes occuper prioritaire que d’assurer la conti­
a décidé de fermer brutalement plique Barbola Toth, spécialiste lions de forints (1,2 million que par la vaste campagne de pro­ l’Ukraine et que c’est Ursula von nuité des services publics. p
de nombreuses institutions mu­ des sujets énergétiques à l’uni­ d’euros) pour 2023 », explique­t­il, pagande du pouvoir pour attri­ der Leyen [la présidente de la jean­baptiste chastand
nicipales. « On a réussi à laisser la versité Corvinus de Budapest.
bibliothèque ouverte, mais, pour
le reste de la culture, nous avons « Frappés par trois éléments »
été obligés de prendre des mesu­ A cela s’ajoutent les pénuries de
res. Le coût du chauffage a été carburant et de produits alimen­
multiplié par seize », justifie Attila taires de base, générées par le blo­
Ulrich, maire adjoint. En distri­ cage des prix mis en place par le
buant ce jeudi 1er décembre des pouvoir pour lutter contre l’infla­
galettes de pommes de terre gra­ tion. Sur décision de M. Orban, les
tuites à des dizaines d’adminis­ Hongrois ne doivent par exemple
trés qui font la queue dans un payer que 480 forints (1,16 euro) le
froid mordant, cet élu du Fidesz, litre de carburant, mais les sta­
le parti nationaliste du premier
ministre, Viktor Orban, constate
tions­service sont souvent à sec et
rationnent leur livraison. Cuvée Rosé, choisie par les meilleurs.
que ces mesures suscitent bien « Dans les supermarchés, on a
peu de protestations. l’impression de se retrouver
« Nous avons tout juste 13 degrés comme sous le communisme. Pour
dans nos bureaux, nous avons trouver du sucre et de l’huile, il faut
froid », se plaint certes une em­ venir à l’ouverture, car, quatre mi­
ployée municipale, mais elle en nutes après, les rayons sont vides »,
renvoie la responsabilité à « l’Eu­ se plaint Katalin Meggyesi, assis­
rope ». Beaucoup des habitants tante sociale de 51 ans employée
assurent, eux, qu’ils n’allaient de par l’organisation caritative de
toute façon pas au théâtre ou l’Eglise luthérienne de Nyire­
qu’ils ne savent pas nager. « Les gyhaza, qui a, comme beaucoup
Hongrois sont des gens calmes et de Hongrois, le sentiment de faire
ils vont rarement manifester con­ un grand bond en arrière.
tre les prix énergétiques comme ce D’une ampleur pour l’instant
unique dans l’Union européenne
(UE), cette vague de restrictions
contredit l’image du pays pros­
« Dans les père entretenue par le premier
ministre nationaliste, au pouvoir
supermarchés, depuis douze ans. « Les Hongrois
on a l’impression vont être frappés par trois élé­
de se retrouver ments : les coûts de l’énergie, l’in­ Gasthof Post
flation et les taux d’intérêt [qui ont
comme sous été relevés à 18 %] », a­t­il reconnu Lech, Autriche
dans un discours très pessimiste,
le communisme » prononcé le 29 novembre.
KATALIN MEGGYESI Dans une rare critique adressée
assistante sociale de 51 ans au pouvoir, le gouverneur de la

I ND ON É SI E 80 autres, sur 401 personnes


Les relations sexuelles jugées, des manifestants
hors mariage interdites contre le régime pour l’es­
Le Parlement indonésien a sentiel, tandis que 59 ont
approuvé, mardi 6 décembre, été relaxées. Le procès,
des amendements législatifs qui a duré quatre jours,
interdisant les relations s’est déroulé en plein désert,
sexuelles avant le mariage. Le à 600 kilomètres de la
vice­président du Parlement, capitale, dans une prison
Sufmi Dasco Ahmad, a de haute sécurité. – (AFP.)
déclaré approuver ce texte,
qui a reçu la majorité des CO LO M B I E
voix, et qui est critiqué par Vingt-sept morts dans
ses détracteurs comme un re­ un glissement de terrain
cul des libertés dans ce pays à Au moins 27 personnes,
majorité musulmane. – (AFP.) ont trouvé la mort dans
le glissement de terrain qui
TC HA D a enseveli, dimanche 4 dé­
Prison ferme pour cembre, un bus et plusieurs
des manifestants autres véhicules dans le nord­
antirégime ouest de la Colombie, a an­
Un total de 262 personnes noncé lundi le président
arrêtées à N’Djamena en oc­ Gustavo Petro. – (AFP.)
tobre, lors d’une manifesta­
tion dont la répression par L E T TO NI E
MAISON FAMILIALE INDÉPENDANTE
balles avait causé une cin­ Révocation de la licence
quantaine de morts, ont d’une télévision russe
été condamnées à deux La Lettonie a révoqué, mardi
à trois ans de prison ferme 6 décembre, la licence de la champagnelaurentperrier www.laurent-perrier.com
Photographe : Iris Velghe / Illustration : José Lozano / Conception Luma
dans un procès de masse télévision indépendante russe
à huis clos et sans avocat, a en exil Dojd après une série
annoncé, lundi 5 décembre,
le parquet. Des peines d’em­
de violations, dont la diffu­
sion d’une carte de la Crimée
L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ, À CONSOMMER AVEC MODÉRATION.
prisonnement avec sursis présentée comme faisant
ont été infligées à quelque partie de la Russie. – (AFP.)
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A Kherson, les prémices d’un nouvel exode de civils


Les autorités de la cité ukrainienne, pourtant libérée, incitent la population à fuir les bombardements russes

REPORTAGE c’est la première fois que nous éva­


cuons ainsi près d’une quaran­
kherson ­ envoyé spécial
taine de personnes hospitalisées

V
oilà près d’un mois que que nous aurions pu garder et
la ville de Kherson, au dont certains ont des traumatis­
sud de l’Ukraine, a été mes datant de plusieurs mois. Il
désertée par les trou­ nous reste des stocks de médica­
pes russes, repliées de l’autre côté ments mais les coupures d’électri­
du Dniepr qui borde la cité. Pour­ cité et les bombardements sont
tant, ce 5 décembre, en fin de ma­ une menace permanente. »
tinée, un ballet d’ambulances et Parmi les évacués figurent des
un afflux de civils accompagnés personnes blessées alors que les
d’enfants et chargés de bagages Russes étaient encore là et donc,
animent la gare de la ville balayée possiblement, par des frappes
par un vent glacial. Au son des tirs ukrainiennes. Yvan Tcharkovski,
longue distance que l’on entend 64 ans, vit dans un immeuble en
dans le ciel partir frapper des sites périphérie de Kherson. Le 28 sep­ Une secouriste
stratégiques du pays, les autorités tembre, son immeuble a été tou­ réconforte
ont affrété, ce midi, un train spé­ ché par deux missiles alors qu’il un vieil homme,
cial pour Odessa. Elles organisent se trouvait dans un couloir de son dans le camion
leur première évacuation massive appartement. Le bâtiment a été qui le conduit
d’habitants, de blessés et de per­ éventré, il est tombé du troisième à la gare d’où
sonnes âgées. Le message semble au premier étage. Les secours il sera évacué
clair : la reprise de la ville ne veut l’ont sauvé mais il a été amputé vers Poltava avec
pas dire que la paix soit revenue. d’une main et a perdu l’usage de d’autres civils,
Le chef de l’administration mili­ l’autre. Trop diminué après une le 5 décembre,
taire régionale de Kherson, Yaros­ grave blessure au bassin, il voyage à Kherson.
lav Yanushevich, assure au Monde allongé. LUCAS BARIOULET
que ces départs « ne sont pas obli­ POUR « LE MONDE »
gatoires mais fortement encoura­ Blessés envoyés à Odessa
gés. C’est pour protéger la popula­ Sa fille, Alina, qui attend avec lui
tion des frappes russes et pour faci­ dans l’ambulance stationnée le
liter nos propres opérations mili­ long du quai, ne pourra pas l’ac­
taires de reconquête de notre compagner jusqu’à Odessa. Elle
territoire ». Depuis le 20 novem­ doit s’occuper de sa mère qui ne
bre, 169 frappes ont été recensées veut pas partir. « Les Russes visent
sur cette seule région. Samedi, se­ les points de ravitaillement, en
lon les chiffres officiels, 32 person­ ville, comme jeudi, ils ont tiré au
nes ont été blessées et 7 tuées. Les mortier. J’ai une amie qui habite sont dirigées vers la ville de Pol­ d’avant. Beaucoup déchantent. Au péter : “Pourquoi mon fils est mort,
villages le long de la rive gauche sur la rive gauche près de leurs posi­ tava, au centre­est du pays. Certai­ point que, selon l’administration
« Rien n’a changé pourquoi mon fils est mort ?” »
du Dniepr sont les plus touchés tions, elle nous prévient quand elle nes, le visage si creusé par les rides régionale, parmi les milliers de depuis que Cette médecin observe, enfin,
par les tirs d’artillerie russe. Une les voit tirer et nous envoie les coor­ qu’il semble fait de cire, sont seu­ personnes revenues après le 11 no­ que si les bombardements aug­
situation qui devrait se poursui­ données pour nos services de sécu­ les pour ce grand départ. D’autres vembre, nombreux sont déjà re­
les Russes sont mentent depuis le départ des Rus­
vre plusieurs mois et conduit le rité. » Dans une autre ambulance, sont entourées par un enfant par­ partis. Devant l’entrée de l’un des partis, c’est même ses, le nombre de blessés tend, lui,
pouvoir local à vouloir vider la Youri Otchérédni, 51 ans, blessé tagé entre le soulagement de voir bâtiments de l’hôpital régional de à baisser avec celui des habitants
ville pour réduire les pertes. par balle, également le 28 septem­ son parent mis à l’abri et la peine Kherson, Katarina Yemets, 25 ans,
plus dangereux » qui se réduit. Les frappes tou­
Inès Chamlay, directrice du cen­ bre, dit ne pas se formaliser d’être d’en être séparé. Un imposant ca­ se protège du froid avec un bonnet JULIA DMITRICHEVKO chent, d’après elle, « de plus en
tre régional de médecine d’ur­ évacué. Les traits de douleur sur mion médical doté d’un hayon violet parsemé de petits points ro­ une habitante de Kherson plus des zones résidentielles vidées
gence, le SAMU local, gère une son visage à chaque mouvement emporte, à lui seul, neuf malades, ses qui font écho, sans doute mal­ de leurs occupants, donc voir par­
partie de cette évacuation. Elle laissent penser le contraire. « On dont un vieil homme en pleurs. gré elle, aux taches laissées sur son tir les gens, c’est un pis­aller mais
avait conservé ses fonctions sous m’envoie à Odessa mais personne Dans l’enceinte austère de la visage par des éclats d’obus qui ques mètres de la jeune femme cela sauve des vies ». Une heure
l’occupation russe et se réjouit de ne m’attend nulle part. » gare, les deux halls aux murs nus l’ont touchée en pleine rue il y a venue faire des examens. « Pen­ avant le départ du train pour
retrouver cette entraide entre L’hôpital numéro 3 de Kherson a ont été partagés entre, d’un côté, quinze jours. On devine que son dant la guerre, les gens ne voient Odessa, la gare de Kherson était
Ukrainiens après des mois de ter­ aussi vu une noria d’ambulances les non­valides, allongés sur des front et son cuir chevelu ont aussi que la guerre, pas ceux qui la font », emplie des voix de toutes ces per­
reur. « Depuis le départ des Russes, locales, de la Croix­Rouge interna­ brancards ou assis sur des chaises été abîmés. « J’allais faire mes cour­ regrette­t­elle pour elle­même. sonnes contraintes de quitter leur
des blessés graves avaient déjà été tionale et de Médecins sans fron­ roulantes, souvent des grands­ ses. Autour de moi, cinq personnes Alors qu’elle continue à donner ville, soucieuses, désormais, de
transférés, individuellement, en tières venir chercher des patients. mères, et de l’autre, les valides, des sont mortes dont une dans l’ambu­ ses directives pour l’évacuation, la trouver une place dans le train.
dehors de Kherson, dit­elle, mais De nombreuses personnes âgées familles dont les yeux disent le lance qui l’emmenait à l’hôpital. » cheffe des urgences régionales Non loin de là, sur la place de la
stress des dernières semaines et la tient à expliquer comment ses Liberté, célèbre pour avoir ac­
crainte d’un avenir dont elles ne « On a toujours aussi peur » ambulances ont été visées par les cueilli les rassemblements anti­
Frappes sur trois aérodromes russes savent rien. Julia Dmitrichevko,
âgée de 34 ans, ne fait pas un pas
Mère de trois enfants, Katarina les
avait laissés chez elle, ce jour­là,
tanks russes pendant l’occupa­
tion, comment elle a perdu des
russes au début de l’occupation, le
chef de l’administration militaire
Le ministère russe de la défense a fait état, lundi 5 décembre, d’at- sans que ses trois enfants ne la sui­ avec son mari. Elle doit la vie aux chauffeurs, des médecins ou en­ régionale de Kherson, Yaroslav
taques ukrainiennes contre les bases aériennes de Diaguilevo et vent. « J’en ai quatre, l’aîné est déjà passants qui l’ont ramassée alors core son souvenir intact du pre­ Yanushevich, entend, lui, rappe­
d’Engels, au centre de la Russie, au moyen de « drones à réaction » parti, dit­elle, rien n’a changé de­ qu’elle gisait sur le sol. Depuis, elle mier appel à l’aide à son centre ler la responsabilité russe. « Ils uti­
qui ont été interceptés. Trois militaires ont été tués. La portée puis que les Russes sont partis, c’est espérait bien reprendre une vie d’urgence, le 24 février, date de lisent les civils comme boucliers de
de cette attaque – à 600 km de la frontière ukrainienne – intrigue. même plus dangereux, mais l’ad­ normale. « Les Russes et les Ukrai­ l’agression de Moscou. Dans son leur côté, rive droite, pour prévenir
L’armée ukrainienne ne disposait jusqu’ici d’aucune arme capable ministration nous demande de niens, c’est la même chose pour bureau, elle montre le registre des nos frappes, et comme cibles, de
de frapper aussi profondément. Les missiles fournis par les Etats- partir, alors on va à Khmelnitski nous, on a toujours aussi peur et appels du jour : 8 h 47, le 24 février. notre côté, rive gauche, pour retar­
Unis ont une portée bien inférieure. L’entreprise Ukroboronprom [ouest] où l’on ne connaît per­ on ne sait jamais ce qui peut arri­ « Pour moi, c’est le début de la der notre contre­offensive. » Une
a toutefois annoncé fin octobre qu’elle mettait « la touche finale » sonne », lâche­t­elle, amère. ver, on a fini par décider de partir. » guerre. Un père, en pleurs, nous dit manière de dire que le prix de la
à une arme d’une portée de 1 000 km. Kiev n’a revendiqué aucune La population pensait que la re­ Un discours qui attriste Inès que son fils de 17 ans vient d’être vie humaine importe davantage à
des explosions. Mardi matin, les autorités russes ont annoncé une conquête des troupes ukrainien­ Chamlay, la directrice du centre tué par une frappe ayant touché l’Ukraine qu’à la Russie. p
nouvelle attaque contre un aérodrome, dans la région de Koursk. nes signifiait le retour à la vie médical d’urgence, alors à quel­ l’appartement. Il ne cessait de ré­ jacques follorou

Le « cimetière des missiles » de Kharkiv, témoin des attaques russes


Les restes de la pluie de projectiles qui s’est abattue sur la ville ont été rassemblés, pour attester des « crimes de guerre » commis par Moscou

kharkiv ­ envoyée spéciale endroit, un entrepôt auquel nul pays : fac d’économie, palais du tiers de la population de cette ville trouve, selon lui, les restes « de preuves de la culpabilité de la Rus­
autre média a eu accès, a été re­ travail (imaginé en 1916 par un ar­ étudiante, qui comptait 1,8 million bombes à sous­munitions interdi­ sie dans les crimes de guerre sur les

C’ est un terrain posé au


pied d’une usine fu­
mante, dans la banlieue
sud de la ville de Kharkiv, au nord­
est de l’Ukraine. Le lieu est gardé
layée sur Twitter par le ministère
de la défense ukrainien.
Sur le terrain qu’a visité Le
Monde, des centaines d’épaves
sont alignées les unes à côté des
chitecte de Saint­Pétersbourg), ad­
ministration régionale… La des­
truction de ce dernier bâtiment
par deux missiles de croisière Ka­
libr, le 1er mars, qui avait causé la
d’habitants, a quitté la ville.

« Bombes à sous-munitions »
Le recueil des restes de roquettes
et missiles a été opéré par les ser­
tes sur les zones civiles par les con­
ventions internationales ».
Des morceaux de missiles à lon­
gue portée, type Iskander X­101
(Kalibr, donc), représentent le reste
civils », espère­t­il. « Kharkiv est une
ville de juristes », rappelle Maks Ro­
zenfeld, fin connaisseur du passé
de la capitale régionale, où il ensei­
gne l’histoire de l’urbanisme.
et ne se visite pas sans autorisa­ autres. Ces débris de missiles, et mort de 29 personnes et avait été vices de la municipalité, « de façon de cette « exposition » à ciel Inaugurée en 1805, la fac de droit
tion. Y sont entreposés les débris autres munitions, stockés sur un filmée en direct par une caméra de rationnelle et logique ». Les armes ouvert. « Humainement et finan­ fut l’une des premières universités
de la pluie de projectiles qui s’est sol sablonneux, représentent surveillance, avait fortement mar­ ont été triées, alignées, et pour cièrement », ce sont eux qui pèsent de l’empire russe et reste la plus
abattue depuis l’invasion du pays, « l’essentiel » des restes des frappes qué l’opinion internationale. Un certaines étiquetées dès mai. Qua­ le plus lourd dans cet arsenal éva­ importante du pays. Certains ca­
le 24 février, sur la seconde ville dont a été victime depuis neuf tre­vingt­quinze pour cent de l’ar­ lué par les services du procureur à ressent l’idée de faire de Kharkiv
du pays. La diffusion, il y a quel­ mois cette ville distante de moins senal couché dans le sable repré­ 100 millions de dollars. La date et la ville symbole du droit ukrainien
ques jours, de vidéos prises de­ de 40 kilomètres de la frontière L’arsenal est sentent « des roquettes bon mar­ le lieu de fabrication inscrits sur et de la reconnaissance des crimes
puis ce lieu par des drones, l’a ré­ russe. « Les autres sites de stockage ché, à 50 000 ou 100 000 dollars les missiles sont facilement dé­ contre les civils. Avant la guerre,
vélé au public sous le nom de « ci­ sont de moindre importance », as­
constitué à 95 % l’unité », selon Dmytro Tchou­ chiffrables, mais la justice s’inté­ déjà, en avril 2020, un projet de loi
metière des missiles ». sure Dmytro Tchoubenko, porte­ « de roquettes benko, tirées par des lance­ro­ resse surtout à leur composition, suggérant de déménager la Cour
Tout comme l’image de la mon­ parole du procureur de l’oblast (ré­ quettes multiples (BM­30 Smerch, « dans laquelle des pays euro­ constitutionnelle (l’équivalent du
tagne d’armes diffusée dimanche gion) de Kharkiv qui guide la
bon marché, des Tornado­S ou Ouragan). péens auraient pu intervenir », Conseil constitutionnel) de Kiev à
4 décembre sur Facebook par un presse internationale jusqu’à cette à 50 000 ou Du matériel « des années 1970 à avance le représentant du procu­ Kharkiv avait été déposé au parle­
couple de photographes ukrai­ terrifiante collection. 1990 », c’est­à­dire de la fin de reur. Selon lui, le renseignement et ment par une députée Serviteur
niens, d’ordinaire spécialisé dans Grâce à sa résistance acharnée,
100 000 dollars » l’Union soviétique, « peu précis, le ministère de l’intérieur ukrai­ du peuple, le parti du président Vo­
les clichés glamour. Cette photo, Kharkiv n’a pas été occupée mais DMYTRO TCHOUBENKO fait non pour détruire, mais pour niens y travaillent de près. « Ces lodymyr Zelensky. p
qui aurait été prise dans un autre reste l’une des plus touchées du porte-parole du procureur terroriser la population civile ». On données vont aider à réunir les ariane chemin
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MERCREDI 7 DÉCEMBRE 2022 international | 5

L’UE resserre ses liens avec les Balkans occidentaux


A Tirana, les Vingt­Sept veulent rassurer les six pays, dont la Serbie, qui sont fragilisés par la guerre en Ukraine

tirana (albanie) ­ envoyé spécial mendi, chercheuse au Conseil pour un plan de développement Là aussi, la décision devrait être octobre, la Commission a verte­
européen de politique étrangère. des six pays, qui permettra d’in­
« [Pour l’UE], il y a rapidement prise. ment critiqué ce positionnement.

P
articipera, participera Le sommet de Tirana doit en­ vestir progressivement jusqu’à une claire volonté La France entend également A la lumière de l’augmentation
pas. Jusqu’au dernier voyer un « message clair d’unité et 30 milliards d’euros dans leur renforcer les coopérations en ma­ de 168 % depuis le début de l’an­
instant, il aura hésité. Et de solidarité face aux conséquen­ économie et de nombreuses in­
d’éviter une tière de sécurité. Après les cybe­ née du nombre de personnes en­
puis Aleksandar Vucic, ces de l’agression de la Russie con­ frastructures routières ou ferro­ déstabilisation rattaques contre le Monténégro, trant irrégulièrement dans l’UE
le président serbe, a fini par se tre l’Ukraine », affirme l’Elysée. viaires. « Des efforts sont égale­ la France et la Slovénie y soutien­ par les Balkans, les Vingt­Sept de­
rendre à Tirana pour le sommet Bruxelles doit surtout rassurer ces ment faits pour construire un
de cette zone » nent la création d’un centre régio­ mandent aussi à leurs partenaires
des vingt­sept chefs d’Etat de pays. Les Balkans se sont sentis marché commun aux six pays et TEFTA KELMENDI nal cyber dans les Balkans. « C’est un alignement de leur politique
l’Union européenne avec leurs trahis, bloqués dans l’anticham­ préparer l’intégration au marché chercheuse une contribution très concrète, qui de visas – accueilli sans visa en
homologues des Balkans occi­ bre du club européen lorsque ce­ unique européen », assure un res­ montre bien l’unité d’action entre Serbie, par exemple, un Indien
dentaux, mardi 6 décembre. C’est lui­ci a accepté, le 23 juin, la candi­ ponsable européen à Bruxelles. A l’Union européenne, les Etats peut tenter d’entrer irrégulière­
la première fois que cette réunion dature de l’Ukraine et de la Molda­ Tirana, l’UE devait également posé que la Bosnie­Herzégovine membres et les pays des Balkans ment en Europe – afin de tarir
se tient hors de l’UE. Et c’est un si­ vie. En novembre, Ursula von der donner un coup d’accélérateur puisse également prétendre au dans un esprit de coopération ré­ cette route migratoire. Ils souhai­
gnal fort pour renouer le lien Leyen, la présidente de la Com­ au projet de suppression des frais statut de candidat. Une décision gionale », insiste­t­on à l’Elysée. tent aussi que ces pays acceptent
avec l’Albanie, la Bosnie­Herzégo­ mission, a pourtant rappelé : « No­ de roaming dans la région. De est attendue lors du conseil euro­ les demandeurs d’asile refoulés
vine, le Kosovo, la Macédoine du tre objectif est très clair : il s’agit de quoi montrer l’intérêt concret péen de mi­décembre. Tarir la route migratoire aux frontières de l’UE. Lundi, la
Nord, le Monténégro et la Serbie. rapprocher de nous nos partenai­ d’une éventuelle accession à Quant à la Serbie, le statu quo En échange, les Vingt­Sept de­ Commission a promis d’impor­
Certains pays, comme la Serbie, res des Balkans occidentaux le plus l’Union des six pays de la région. est de mise tant qu’un accord po­ mandent à leurs homologues tants budgets pour renforcer la
ont engagé depuis dix ans leurs rapidement possible. » Enlisé depuis des années, le litique avec le Kosovo n’est pas d’aligner leur politique étrangère sécurité des frontières dans les
négociations d’adhésion à processus d’élargissement re­ trouvé. Ce dernier, qui n’est tou­ et de sécurité sur la leur, notam­ Balkans et la lutte contre le trafic
l’Union européenne, sans avan­ Bloqués dans l’antichambre prend progressivement. Ces jours pas reconnu par cinq Etats ment vis­à­vis de Moscou et pour humain. Les Vingt­Sept attendent
cée notoire. Or, comme le rappe­ Pour ce faire, les Vingt­Sept veu­ deux dernières années, le Monté­ de l’Union européenne, ne peut l’application des sanctions contre enfin des six Etats des progrès sur
lait début novembre, à Berlin, le lent utiliser les leviers économi­ négro, l’Albanie et la Macédoine pas encore prétendre à une en­ la Russie. Un prérequis auquel ré­ le respect de l’Etat de droit et les
chancelier allemand Olaf Scholz, ques et politiques. Pour répondre du Nord ont vu leur statut de can­ trée dans le bloc. Au mieux, les siste encore Belgrade, qui im­ questions de gouvernance, un
« l’Europe sans les Balkans occi­ aux conséquences de la guerre en didat à l’UE validé et les premiers Kosovars pourraient être porte toujours des hydrocarbures point sur lequel aucun de ces pays
dentaux n’est pas complète ». Si Ukraine, notamment sur les prix pourparlers commencer. En no­ exemptés de visa pour circuler russes et maintient ses vols n’a fait récemment de progrès. p
l’Allemagne a toujours soutenu la de l’énergie, Bruxelles a promis de vembre, la Commission a pro­ en Europe, comme leurs voisins. commerciaux vers Moscou. En philippe jacqué
région, la France ou encore les débloquer un milliard d’euros de
Pays­Bas n’ont pas été aussi al­ subventions aux Balkans occiden­
lants et conditionnent tout élar­ taux. Grâce à l’apport du privé,
gissement à une réforme des pro­ cela devrait permettre de mobili­
cessus de décision dans l’Union. ser près de 2,5 milliards d’euros
Mais depuis l’invasion russe de pour investir dans des infrastruc­
l’Ukraine, le 24 février, l’UE a tures énergétiques. Sur cette
changé de ton envers cette région somme, 500 millions d’euros doi­
marquée par des nombreux vent abonder les budgets natio­
conflits latents et non résolus, naux afin d’alléger les factures des
entre la Serbie et le Kosovo ou en ménages et PME de la région.
Bosnie­Herzégovine – des terri­ L’Union va également ouvrir à ses
toires où plane l’ombre de la Rus­ partenaires balkaniques l’accès à
sie, alliée historique de la Serbie. la nouvelle plate­forme d’achat
« Alors que l’UE est mobilisée pour commun d’énergie que Bruxelles
aider l’Ukraine, il y a une claire vo­ doit mettre en place.
lonté d’éviter une déstabilisation Depuis 2020, l’Europe a mobi­
de cette zone », explique Tefta Kel­ lisé 9 milliards de subventions

L’hommage politique

NEXITY CONSULTING – Société anonyme au capital 37 240 € - Siège social : 19, rue de Vienne TSA 50029
de la Chine à Jiang Zemin

– 75801 Paris Cedex 08 – RCS PARIS 315 564 781. Crédit photo : Getty Images. Novembre 2022.
Xi Jinping a loué la répression de la
contestation de 1989 par l’ancien dirigeant

pékin ­ correspondant rapproché la Chine des Etats­Unis,


Xi Jinping a appelé le PCC à « avan­

D Les avantages
avantage qu’un simple cer main dans la main avec toutes
éloge funèbre, c’est un vé­ les forces progressistes du monde »
ritable discours politique et à « promouvoir un nouveau type
que Xi Jinping a prononcé, mardi de relations internationales ».

du Pinel diminuent,
6 décembre, à l’occasion de l’hom­
mage que le Parti communiste Marchés suspendus
rendait à Jiang Zemin, secrétaire Signe que le Parti dirige toutes les
NEXITY CONSULTING – Société anonyme au capital 37 240 € - Siège social : 19, rue de Vienne TSA 50029

du PCC de juin 1989 à novem­ activités en Chine, les sirènes ont

Nexity en donne plus.


– 75801 Paris Cedex 08 – RCS PARIS 315 564 781. Crédit photo : Getty Images. Septembre 2022.

bre 2002, président de la Républi­ non seulement retenti dans tout le


que de mars 1993 à mars 2003 et pays, mardi, à 10 heures, au début (1)
président de la commission mili­ de la cérémonie d’hommage, mais
taire centrale du PCC de novem­ les marchés financiers de Shan­
bre 1989 à septembre 2004. Agé de ghaï, de Shenzhen et de Hongkong PINEL
96 ans, Jiang Zemin est décédé le ont, comme les jeux vidéo en li­
30 novembre à Shanghaï. Il a été gne, interrompu leur activité du­
inhumé le 5 décembre dans le ci­ rant trois minutes. Depuis l’an­
Augmentez la rentabilité de votre investissement immobilier neuf en
metière révolutionnaire de Ba­ nonce du décès et jusqu’au 7 dé­ BO
baoshan, dans l’ouest de Pékin. cembre, la quasi­totalité des por­ économisant jusqu’à 10 500 €.(2) O STÉ
S’exprimant au Palais du peuple
devant des milliers de responsa­
tails Internet chinois sont en noir.
Le décès de Jiang Zemin a sus­
Chez Nexity, malgré le changement du dispositif Pinel, nous renforçons vos
bles communistes qui portaient cité de nombreux commentaires avantages avec notre offre exclusive Pinel Boosté.(3)
tous un, voire deux masques anti­ sur les réseaux sociaux chinois.
Covid, Xi Jinping a salué ce « leader Dans une critique à peine voilée à
éminent » qui s’est « résolument l’égard de Xi Jinping, de nom­ PRENEZ RENDEZ-VOUS AVEC UN CONSEILLER NEXITY DÈS AUJOURD’HUI
opposé » aux « graves troubles po­
litiques qui se sont produits dans le
breux internautes rendent hom­
mage à ce dirigeant qui parlait
ET PROFITEZ DE NOTRE OFFRE PINEL BOOSTÉ JUSQU’AU 31/12/2022.
pays au tournant du printemps et russe et anglais et avait permis
de l’été 1989 ». Alors responsable aux Chinois d’accéder aux man­ Le non-respect des engagements de location entraine la perte du bénéfice des incitations fiscales.
du Parti à Shanghaï, Jiang Zemin gas japonais et au film de James
avait en effet été choisi en Cameron Titanic. « Jiang était
juin 1989 par Deng Xiaoping pour ouvert d’esprit, modeste et drôle. Il
rétablir l’ordre au lendemain du
massacre des étudiants de la place
acceptait les critiques à son égard
et à l’encontre de l’administration. 0800 250 304 nexity.fr
Tiananmen, mais aussi pour mo­
derniser l’économie.
On pouvait lancer des plaisante­
ries à son endroit lors d’un dîner Service et appel gratuits
Jiang Zemin a mené la répres­ sans craindre d’être arrêté dans la L’attention de l’acquéreur est attirée sur les risques afférents à un investissement locatif (ex. : non-respect des conditions d’octroi de l’incitation fiscale, y compris des conditions de mise en location, absence de
sion des étudiants contestataires nuit », écrit un internaute. locataire, loyers impayés, évolution défavorable du marché locatif) susceptibles d’entraîner la perte du bénéfice des incitations fiscales et/ou la remise en cause de l’équilibre financier de l’investissement. (1) Nexity
après 1989 et, dix ans plus tard, a Mais un autre appelle à relativi­ en donne plus, se traduisant par les avantages octroyés par Nexity dans le cadre de son offre Pinel Boosté valable pour tout contrat de réservation ou promesse de vente signée entre le 07 novembre 2022 et le 31
décembre 2022. (2) A titre illustratif dans le cadre de l’offre PINEL BOOSTE, le montant de la réduction sur le prix de vente pour l’acquisition d’un logement d’une valeur de 300 000 euros sera arrêté forfaitairement
également sévèrement réprimé le ser ces louanges. « Vous ne vous à la somme de 10 500 €. Savoir Réduction PINEL 2022 – Réduction PINEL 2023 soit 21% de 300 000 € - 17,5% de 300 000 € = 10 500 €. (3) Offre Pinel Boosté : Offre valable du 07 novembre 2022 au 31 décembre
mouvement Falun Gong. Mais il a souvenez pas des suppressions 2022, ouverte à toute personne physique majeure achetant un bien immobilier neuf à usage de logement construit par une société contrôlée directement ou indirectement à 100% par la société Nexity Logement
(SASU dont le siège social est 19 rue de Vienne 75008 Paris immatriculée au RCS de Paris sous le numéro 399381821) en vue de réaliser un investissement éligible au dispositif PINEL, à l’exception des logements
aussi conduit la Chine à rejoindre d’emplois massives des années situés dans des résidences gérées, des logements situés dans un quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV) ou qui répondent aux critères de qualité d’usage et de performance énergétique et environnemen-
l’Organisation mondiale du com­ 1990 ? Il est pathétique que nos im­ tale instaurés par le décret n°2022-384 du 17 mars 2022 et valable uniquement sous réserve de la signature d’un acte authentique de vente dans les délais stipulés au contrat de réservation et au plus tard au 31
merce. Xi Jinping a prononcé le pressions sur Jiang soient devenues décembre 2023. L’offre se traduira par une réduction sur le prix de vente stipulé au contrat de réservation. Le montant de la réduction est un montant forfaitaire correspondant à la baisse du montant de la réduction
d’impôts PINEL entre 2022 et 2023 auquel peut prétendre l’acquéreur pour une durée d’engagement de location de 12 ans. Offre non cumulable avec d’autres promotions en cours. Les conditions de l’offre Pinel
mot d’« ouverture » à une dizaine positives simplement parce que la Boosté complètes et la liste des programmes éligibles sont à retrouver sur http://offres.nexity.fr/. Nexity SA au capital de 280 648 620€ - Siège social : 19 rue de Vienne, 75801 Paris – RCS PARIS n°444 346 795.
de reprises en cinquante minutes. direction de Xi est encore pire. » p
Mais, alors que Jiang Zemin avait frédéric lemaître
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6 | international MERCREDI 7 DÉCEMBRE 2022

Au Soudan, un premier pas vers une sortie de crise


Un « accord préliminaire » a été signé entre la principale coalition de partis et la junte au pouvoir depuis 2021

khartoum ­ correspondance
« C’est une

U
n premier pas vers le trahison de la
rétablissement d’un
régime civil a été fran­
part des partis
chi lundi 5 décembre politiques qui ont
au Soudan. Après des mois de né­
gociations, les généraux à l’ori­
signé avec les
gine du coup d’Etat du 25 octo­ militaires »,
bre 2021 ont signé un « accord pré­
liminaire » avec la principale coa­
s’indigne une
lition de partis pro­démocratie, manifestante
prévoyant le retrait de l’armée de
la scène politique. Ratifié en
grande pompe au palais républi­ toute opacité, sans chercher à ga­
cain de Khartoum, le texte ouvre gner l’approbation des forces vives
la voie à une période de transition de la société civile. Les mêmes er­
de deux ans qui débuterait dès la reurs se répètent. Cet accord re­
nomination d’un premier minis­ pose plus sur l’approbation et le
tre chargé de diriger un gouverne­ soutien de la communauté inter­
ment civil jusqu’à l’organisation nationale plutôt que sur un vérita­
d’élections libres. ble soutien populaire. Les gens se
« L’armée retourne dans ses ca­ sentent exclus et pensent que ce
sernes », a déclaré le chef de la sera encore un nouvel accord avec
junte, le général Abdel Fattah des généraux qui finira mal. »
Abdelrahman Al­Bourhane, re­ Dans les rues de Khartoum,
prenant l’un des slogans scandés beaucoup regrettent l’opacité du
dans les manifestations hebdo­ processus de négociation. « On n’a
madaires contre son pouvoir. Sa­ pas eu notre mot à dire, on n’a pas
lué par l’ONU, le texte signé par les été consultés pour savoir qui nous
responsables de la junte et plu­ représenterait », s’indigne Sana
sieurs chefs de groupes armés, Omar, portant masque et lunet­
qui avaient fait dérailler en 2021 la tes de protection contre les gaz la­
transition démocratique amor­ crymogènes. « Ce qui se passe
cée à la chute d’Omar Al­Bachir aujourd’hui est une trahison de la
en 2019, prévoit de limiter le rôle part des partis politiques qui ont
des militaires au sein d’un négocié au nom du peuple souda­
Conseil de défense et de sécurité Le chef de la junte au Soudan, le général Abdel Fattah Abdelrahman Al­Bourhane (au centre), à Khartoum, lundi 5 décembre. MARWAN ALI / AP nais pour signer avec les militaires
placé sous la supervision du pre­ qui ont tué nos frères et volé notre
mier ministre. révolution », poursuit­elle.
Le titre de chef des armées de­ Cette percée dans des négocia­ mouvement islamiste mais éga­ quartiers se couvraient de la fu­ système de corruption hérité du Les protestataires ne deman­
vrait revenir à un civil placé à la tions enlisées depuis des mois a lement des membres du Bloc dé­ mée noire des pneus brûlés. règne d’Omar Al­Bachir, ont été dent plus seulement un gouver­
tête d’un conseil souverain de été acclamée par de nombreux mocratique, une dissidence des « L’accord prouve que le mouve­ reportées à de plus amples con­ nement civil, ils exigent d’obtenir
transition, et les entreprises con­ partenaires internationaux, à FLC, ainsi que de l’actuel ministre ment pacifique dans les rues est certations. Les signataires se sont justice pour les centaines de
trôlées par les militaires dans de commencer par l’Arabie saou­ de l’économie, Gibril Ibrahim, et parvenu à faire échouer le coup donnés « quelques semaines » morts tués dans le soulèvement
nombreux secteurs stratégiques dite, les Emirats arabes unis, le de l’ancien rebelle du Darfour, d’Etat. Mais d’un autre côté, les pour sceller un accord définitif. populaire depuis 2019 mais aussi
de l’économie seront sous la tu­ Royaume­Uni et les Etats­Unis. Minni Minnawi. Tous deux consi­ partis politiques signataires of­ Aucun calendrier précis n’a été à travers le pays dans les régions
telle du ministère des finances. Le quatuor, qui a fait office de mé­ dèrent le texte comme « peu in­ frent aux généraux une occasion fixé pour la nomination du gou­ en guerre comme le Darfour ou le
Du côté civil, les Forces pour la diateur entre civils et militaires, clusif » et « loin de pouvoir assurer de se maintenir à des postes de res­ vernement. Sud­Kordofan. « Nous n’avons
liberté et le changement (FLC), la s’est engagé, lundi, à fournir un la stabilité ». ponsabilité, sans pouvoir les juger, aucune garantie que ce nouvel ac­
principale coalition d’opposi­ soutien économique important De l’autre côté de l’échiquier, les et de les rendre légitimes aux yeux Des manifestations cord ne débouchera pas sur un
tion dont les représen­ au Soudan, une fois le gouverne­ comités de résistance, fer de lance de la communauté internatio­ « Ces questions laissées en suspens autre coup d’Etat », fulmine un
tants avaient été évincés lors du ment civil formé, pour aider le de la contestation du pouvoir mi­ nale », commente Samia El­Hadi, sont déterminantes pour la suite. membre d’un comité de résis­
coup d’Etat d’octobre 2021, se pays à sortir de la crise économi­ litaire depuis le putsch, ainsi que une manifestante. Sans accord sur ces points cru­ tance occupé à monter une barri­
sont félicitées d’être parvenues à que et sociale profonde dans la­ le Parti communiste et plusieurs Dans le texte signé lundi, certai­ ciaux, tout le processus pourrait cade. Lundi, les manifestations
un règlement avec la junte, espé­ quelle il est enlisé. organisations de la société civile, nes questions épineuses comme bien dérailler », considère Kho­ qui ont réuni des milliers de per­
rant mettre un terme aux multi­ refusent depuis de longs mois la justice transitionnelle, la ré­ lood Khair, fondatrice du centre sonnes ont à nouveau été violem­
ples crises que traverse le pays. Pas de calendrier précis toute négociation avec la junte, forme du secteur de la sécurité, la de réflexion Confluence Advisory ment réprimées. p
Pour établir « un régime démocra­ Plusieurs forces politiques s’op­ qu’ils tiennent responsable de la révision des accords de paix de à Khartoum. Car « le Soudan a une eliott brachet
tique durable », les représentants posent toutefois catégorique­ mort de plus de 121 manifestants Juba (conclus en 2020 entre les longue histoire d’accords éphémè­
du conseil central des FLC ont ap­ ment à l’accord conclu et ont boy­ en un an. Au moment où l’accord autorités soudanaises de transi­ res, met en garde la chercheuse.
pelé toutes les forces révolution­ cotté sa signature. C’est le cas, en était paraphé, dans le centre de la tion et plusieurs mouvements re­ Une nouvelle fois, un texte a été
naires à s’unir. premier lieu, des partisans du capitale, les rues de nombreux belles) et le démantèlement du négocié par des élites politiques en Retrouvez en ligne l’ensemble de nos contenus

Menacé de destitution, le président sud­africain contre­attaque


Mis en cause pour une possible violation de la Constitution, Cyril Ramaphosa a obtenu lundi le soutien de son parti, l’ANC

johannesburg ­ correspondance de l’administration. En crise, le parti d’opposition afin d’exami­ miné par la Cour constitution­ ser, dont le récit semble, par mo­ Quelle que soit l’issue de la
parti de Nelson Mandela pensait ner le rôle du président dans cette nelle. Une procédure à hauts ris­ ments, « tiré d’un film », estime le contre­offensive de Cyril Rama­

C yril Ramaphosa a passé le


week­end des 3 et 4 dé­
cembre, mais il est loin
d’être sorti d’affaire. Menacé par
une procédure de destitution, le
s’être trouvé un sauveur. Mais
voilà ce dernier accusé d’avoir vo­
lontairement passé sous silence
le cambriolage de l’une de ses fer­
mes, au cours duquel au moins
affaire, a estimé qu’il existait « de
prime abord » suffisamment de
raisons de penser que le chef de
l’Etat a violé la Constitution pour
justifier l’établissement d’une
ques qui met aux prises la justice
et le Parlement alors que la jeune
démocratie sud­africaine utilise
ce mécanisme de destitution
pour la première fois.
président. Cyril Ramaphosa re­
proche également au panel
d’avoir omis d’examiner la rece­
vabilité de la poignée de « preu­
ves » qui lui ont été soumises et
phosa, elle permet au président
d’offrir dans l’immédiat à son
parti un prétexte pour s’opposer
à l’adoption du rapport par le
Parlement. « Après un long débat
président sud­africain semblait 580 000 dollars à l’origine incer­ commission d’enquête parle­ Dans son recours, consulté par dont il suggère qu’elles sont sus­ (…), il a été convenu qu’à partir du
proche de la démission, en fin de taine auraient été dérobés. mentaire chargée de statuer sur la Le Monde, le président sud­afri­ ceptibles d’avoir été obtenues illé­ moment où le rapport est
semaine, après la publication culpabilité du président. cain tente de démolir le dossier en galement. contesté en justice, l’ANC votera
d’un rapport le mettant en cause Séisme politique La nouvelle a provoqué un soutenant que le panel nommé contre [son adoption] quand il
pour une possible violation de la La dimension politique de la séisme, à dix jours de l’élection de pour examiner l’affaire est passé Question de la provenance sera débattu par le Parlement », a
Constitution. charge ne fait pas de doute. A l’ori­ la présidence de l’ANC, dont dé­ à côté de sa mission en s’ap­ Même s’il était établi qu’une faute ainsi déclaré Paul Matashile, le
Invisible pendant plusieurs gine de l’affaire, une plainte dépo­ pend la gouvernance du pays. Car puyant pour l’essentiel sur des avait été commise, le président trésorier et secrétaire général par
jours, il a finalement décidé de sée en juin 2022 par Arthur Fra­ ce ne sont pas les électeurs sud­ « informations » et non des « preu­ assure par ailleurs avoir agi « de intérim de l’ANC, à l’issue de la
contester les conclusions du rap­ ser, un ancien chef des renseigne­ africains qui élisent le président, ves ». Il reproche ainsi aux juristes bonne foi », une dimension igno­ réunion du comité de direction
port devant la Cour constitution­ ments connu pour avoir « sauvé » mais le parti majoritaire à l’As­ de s’appuyer sur des « spécula­ rée par le panel, estime­t­il. Il en­ du parti, lundi.
nelle. Dans la foulée, il a obtenu, Jacob Zuma des griffes de la jus­ semblée nationale. tions » colportées par Arthur Fra­ joint enfin à la Cour constitution­ Mais le recours déposé devant
lundi 5 décembre, le soutien déci­ tice à plusieurs reprises. Il accuse Pour une fois, l’élection à la tête nelle d’écarter toutes les recom­ la Cour constitutionnelle n’écarte
sif de son parti, le Congrès natio­ le président Ramaphosa d’avoir du parti de Cyril Ramaphosa, qui mandations fondées sur les inter­ en rien la menace qui pèse désor­
nal africain (ANC), avant le débat missionné une équipe clandes­ ferraille depuis son arrivée au rogations autour de l’origine du mais sur la réélection de Cyril Ra­
sur le document, prévu à l’Assem­ tine pour partir à la poursuite des pouvoir pour imposer sa ligne an­ Cyril Ramaphosa pactole dérobé. maphosa à la tête de l’ANC. « Ce re­
blée mardi 13 décembre. cambrioleurs jusqu’en Namibie. ticorruption contre une faction Cette question, balaie le prési­ cours n’est pas simple », confesse
En 2018, le parti qui règne sans Il assure qu’ils auraient été payés restée proche de Jacob Zuma,
aurait caché dent, n’a pas été soulevée dans la le président, conscient des impli­
partage sur l’Afrique du Sud de­ en échange de leur silence une semblait incontestée, garantis­ le cambriolage requête à l’origine de la nomina­ cations. Jusqu’alors considéré
puis la chute de l’apartheid avait fois les voleurs rattrapés. L’an­ sant sa candidature à un tion du panel et doit donc être comme la dernière digue capable
placé Cyril Ramaphosa au pou­ cien espion suggère également deuxième mandat à la présidence
d’une de ses ignorée. C’est pourtant celle qui de préserver l’ANC du naufrage, le
voir après avoir forcé l’ancien pré­ que Cyril Ramaphosa aurait du pays en 2024. fermes, où concentre l’attention, tant les zo­ voici aujourd’hui réduit à partir
sident, Jacob Zuma, à la démis­ étouffé l’affaire pour éviter Toutes ces quasi­certitudes ont nes d’ombre sont nombreuses en guerre contre une procédure
sion sur fond de multiples scan­ d’avoir à s’expliquer sur l’origine volé en éclats le 30 novembre.
580 000 dollars autour de la provenance des som­ menaçante, comme l’a si souvent
dales. Un an plus tard, il était élu de l’argent subtilisé. Mais, passé la stupéfaction, les d’origine mes disparues. Le président as­ fait Jacob Zuma auparavant. Au
sur la promesse d’une « aube nou­ Le 30 novembre, un « panel » de critiques se multiplient sur le rap­ sure, sans convaincre jusqu’ici, risque de déstabiliser les institu­
velle » débarrassée de la corrup­ juristes, mandaté par le Parle­ port désormais appelé, à la de­
incertaine qu’elles proviennent de la vente tions. p
tion, devenue endémique au sein ment à la demande d’un petit mande du président, à être exa­ auraient été volés de bœufs d’une grande rareté. mathilde boussion
PLANÈTE
0123
MERCREDI 7 DÉCEMBRE 2022 |7
COP15 ▶▶▶

Biodiversité : une COP15 face à l’urgence
La conférence mondiale qui s’ouvre à Montréal veut mettre un terme au déclin des espèces d’ici à 2030

Y
aura­t­il un « mo­
ment Paris » à
Montréal ? L’accord
adopté au Canada
sera­t­il, pour la
biodiversité, ce que
l’accord de Paris, signé en 2015, a
été pour le climat ? Tel est l’im­
mense espoir projeté sur la
15e Conférence des Nations unies
sur la biodiversité (COP15), dont
le lever de rideau est prévu mardi
6 décembre. Les scientifiques, la
société civile et une partie des
négociateurs de 196 Etats atten­
dent de ce rendez­vous une am­
bition, une mobilisation et des
engagements d’une ampleur
inédite pour faire face à la des­
truction du vivant. Des membres
Alors que la planète est à l’aube de la délégation
d’une sixième extinction de chinoise
masse, cette COP15, qualifiée de devant le pavillon
« COP de la décennie », doit per­ de la Chine,
mettre de conclure un nouveau pays qui préside
cadre mondial visant à « arrêter et la conférence
inverser » la perte de biodiversité des Nations unies
d’ici à 2030, avant de « vivre en har­ sur la biodiversité
monie avec la nature » à l’horizon (COP15),
2050. Cette feuille de route succé­ à Montréal,
dera aux objectifs d’Aichi (2010­ le 2 décembre.
2020), qui se sont soldés sur un PAUL CHIASSON/AP
constat d’échec quasi général. « De
toute évidence, le monde exhorte à
un changement dans notre rela­
tion avec la nature, affirme Eliza­
beth Maruma Mrema, la secré­
taire exécutive de la convention
pour la diversité biologique des
Nations unies. Parvenir à un ac­
cord sur le cadre mondial ne sera
pas simple, cela exigera un travail
acharné. Mais ce texte est crucial dégradation des terres, j’ai tenu également de restaurer au moins forts. Selon un rapport de l’organi­ liers pour ne pas réaliser, à la fin
pour garantir l’avenir de l’huma­ dans mes bras des bêtes mourant 2 milliards d’hectares d’écosystè­ sation des Nations unies pour l’en­ « IL Y AURA BESOIN,  de la décennie, que le compte n’y
nité sur la planète Terre. » de faim, j’ai écouté les récits de per­ mes dégradés, de réduire le taux vironnement, publié le 1er décem­ PEUT­ÊTRE ENCORE PLUS  est pas – comme ç’a été le cas pour
Les scientifiques sont en effet sonnes affamées et désespérées, ra­ d’introduction d’espèces invasi­ bre, 154 milliards de dollars les objectifs d’Aichi. « Il faudrait
clairs sur l’urgence à agir. Les po­ conte Elizabeth Wathuti, une mili­ ves ou encore l’ensemble des (146 milliards d’euros) par an sont QUE POUR LE CLIMAT,  que, comme les contributions na­
pulations de vertébrés se sont ef­ tante kényane pour l’environne­ sources de pollutions – tous les actuellement dépensés pour la na­ tionales déterminées pour le cli­
fondrées de 69 % en moins de ment. J’ai été bouleversée par la objectifs chiffrés restant à décider. ture, en très grande majorité par le D’UNE BONNE  mat [le processus par lequel cha­
cinquante ans, un million d’espè­ réalité de ces liens entre crise de la « L’Union européenne se bat pour biais de financements publics. que Etat détermine et évalue son
ces végétales et animales sont biodiversité, crise climatique et qu’il y ait au minimum une réduc­ Ce chiffre devrait doubler d’ici à
COOPÉRATION  ambition climatique], les straté­
menacées d’extinction dans les crise alimentaire. Ce qu’il faut c’est tion de 50 % des usages, mais aussi 2025 et quadrupler d’ici à 2050, NORD­SUD » gies nationales sur la biodiversité
prochaines décennies, et 75 % de du courage et des actions urgentes, des risques liés aux pesticides chi­ pour faire face à l’ampleur des be­ commencent à peser politique­
la surface terrestre du globe a déjà et que les responsables politiques miques, détaille Virginie Dumou­ soins. En parallèle, les subven­ SÉBASTIEN TREYER ment », ajoute Sébastien Treyer.
été altérée par les activités humai­ prennent la COP15 au sérieux. » lin, l’une des négociatrices du mi­ tions publiques néfastes à la biodi­ Institut du développement Sur le plan diplomatique, l’atti­
nes. Au moins 150 millions de Reportée à maintes reprises, en nistère de la transition écologi­ versité, dans les secteurs de l’agri­ durable et des relations tude du Brésil, traditionnel frein
tonnes de plastique ont été déver­ raison de la pandémie de Covid­19 que. Mais la négociation est très culture, de l’énergie et de la pêche, internationales dans les négociations sur la biodi­
sées dans les océans, et 437 mil­ et de la politique sanitaire de difficile, de nombreux Etats consi­ pèsent plus de 500 milliards de versité, sera particulièrement
lions d’hectares de couvert fores­ Pékin – qui préside cette confé­ dérant qu’il ne peut y avoir d’objec­ dollars et peinent toujours à être scrutée. Si la défaite à l’élection
tier ont été perdus depuis 2000. rence –, finalement déplacée de tif chiffré global alors que les modè­ réformées et éliminées. Montréal, plusieurs milliers de re­ présidentielle de Jair Bolsonaro,
Ce tableau dramatique a des Kunming (Chine) à Montréal (Ca­ les agricoles sont très différents. » « Nous dépensons 0,01 % du PIB présentants du secteur économi­ partisan d’une exploitation sans
conséquences très concrètes pour nada), la COP15 a connu des dé­ Encore plus conflictuelles, les ci­ mondial pour la nature ; de fait, que sont attendus, une présence limite de la nature, est un signal
les populations, notamment buts contrariés. Malgré des séan­ bles portant sur l’utilisation dura­ on ne s’occupe pas de notre mai­ saluée par les experts et les ONG. positif, son successeur, Luiz Ina­
pour les plus vulnérables : une ces supplémentaires de travail, or­ ble des ressources doivent faire en son, résume Gilles Kleitz. Et seuls « Davantage d’entreprises, de ré­ cio Lula da Silva, ne prendra les
personne sur cinq dépend des ganisées dans la dernière ligne sorte que le fonctionnement de 20 % à 25 % des financements vont gulateurs financiers et d’investis­ clés du pays qu’en janvier 2023. La
plantes sauvages, des algues et droite des négociations, elle secteurs comme la pêche, l’agri­ vers les pays du Sud, où se trouve seurs commencent à reconnaître délégation présente à Montréal
des champignons pour sa nourri­ s’ouvre alors que le projet d’accord culture ou la gestion des forêts soit pourtant l’essentiel de la bio­ les risques fondamentaux aux­ pourrait donc poursuivre le tra­
ture et ses revenus, et près de est encore loin d’être abouti, le ni­ compatible avec la préservation diversité. Il faut augmenter les quels nous sommes confrontés en vail d’obstruction mené depuis
75 % des cultures dépendent de veau de dissensions entre les par­ de la biodiversité. « Même le terme efforts, mais aussi faire en sorte raison de la dégradation de la na­ des années. Les Etats­Unis, l’un
plus de 20 000 espèces de pollini­ ties se reflétant dans le nombre de d’agroécologie n’est pas accepté que tous les flux financiers soient ture, explique Ruth Davis, une des seuls pays au monde à ne pas
sateurs, dont une grande partie mots encore entre crochets dans par tous, les grands pays exporta­ compatibles avec l’objectif d’ar­ experte britannique de la bio­ avoir ratifié la convention pour la
est menacée de disparition. Au to­ le texte – plusieurs centaines. teurs n’ayant pas envie de faire rêter la perte de nature. » diversité. Mais il est maintenant diversité biologique, ne joueront
tal, plus de la moitié du produit in­ bouger le système agricole », ob­ Une coalition d’Etats en déve­ crucial que la communauté inter­ qu’un rôle d’observateur actif.
térieur brut (PIB) mondial repose VINGT-DEUX CIBLES serve l’ambassadrice à l’environ­ loppement appelle à faire passer nationale envoie un signal politi­ Autre poids lourd de la scène in­
sur la bonne santé des écosystè­ Ce document s’articule autour de nement française Sylvie Lemmet. les flux de financement du Nord que pour donner une direction, ternationale, la Chine a jusqu’ici
mes. « La biodiversité n’est pas uni­ vingt­deux cibles à atteindre à Sans accord sur le dossier com­ vers le Sud à au moins 100 mil­ mais aussi un calendrier et des dé­ totalement manqué à ses obliga­
quement une histoire de fleurs et l’horizon 2030, qui couvrent les plexe du séquençage numérique liards de dollars dans un premier tails sur la mise en œuvre. Tant tions de présidente de COP. Très
de petits oiseaux, c’est aussi une enjeux de conservation, d’utilisa­ des ressources génétiques, des temps, un chiffre jugé irréaliste qu’il n’y aura pas de chef d’orches­ silencieuse sur ses propres ambi­
question de développement et de ble durable des ressources et de Etats pourraient par ailleurs s’op­ par les Européens. Elle souhaite tre, les acteurs économiques tions, elle n’a ni organisé ni faci­
vie au quotidien », insiste Gilles partage des bénéfices – les trois poser à l’adoption de tout cadre aussi la création d’un nouveau n’avanceront pas au bon rythme. » lité les échanges entre parties. Au
Kleitz, directeur du département piliers de la convention sur la di­ mondial. Le partage des avanta­ fonds pour la biodiversité, le prin­ contraire, en n’invitant pas les
transition écologique à l’Agence versité biologique, qui est l’une ges liés à l’utilisation de ressour­ cipal mécanisme actuel (le Fonds INDICATEURS SOLIDES chefs d’Etat et de gouvernement à
française de développement. des trois conventions de Rio adop­ ces « physiques » (pour mettre au pour l’environnement mondial) Des échéances claires sont aussi Montréal – mais seulement les
« Dans le nord­est du Kenya, qui tées en 1992 –, ainsi que celui de la point des médicaments, des pro­ étant jugé trop difficile d’accès. « Il attendues pour que les grands ob­ ministres de l’environnement –,
connaît une sécheresse historique mise en œuvre. Le premier « pa­ duits cosmétiques…) est organisé y aura besoin, peut­être encore plus jectifs qui seront adoptés soient malgré les demandes répétées de
aggravée par le réchauffement et la quet » de mesures doit répondre par le protocole de Nagoya, un ac­ que pour le climat, d’une bonne rapidement transposés à l’échelle multiples acteurs, Pékin prive cet
aux principales menaces pesant cord international, adopté au Ja­ coopération Nord­Sud, souligne nationale, dans le cadre des straté­ événement d’une mobilisation
directement sur la biodiversité : le pon en 2010. Mais ces ressources Sébastien Treyer, de l’Institut du gies et plans d’action nationaux politique au plus haut niveau.
changement d’usage des terres sont de plus en plus dématériali­ développement durable et des re­ pour la biodiversité. « On a huit En plein Mondial de football au
L’UN DES  principalement lié à l’agriculture sées et stockées dans des bases de lations internationales (Iddri). Or, ans pour mettre en œuvre ce cadre, Qatar, alors que la COP15 souffre
intensive, la surexploitation, les données. Les pays en développe­ comme on l’a vu lors de la COP27, c’est très très court, rappelle Juliette d’un manque de véritable lea­
OBJECTIFS LES PLUS  pollutions, le changement clima­ ment demandent donc la mise en en Egypte, la défiance du Sud est Landry, chercheuse à l’Iddri. Les dership politique, la présence des
tique et les espèces invasives. place d’un nouveau mécanisme très forte, notamment à propos de pays auront besoin de plusieurs an­ plus hauts dirigeants de la planète
EMBLÉMATIQUES  Parmi les différents objectifs, pour garantir un juste partage des la crédibilité des promesses. » nées pour mettre à jour leur straté­ – ils étaient plus d’une centaine
EST CELUI VISANT  celui visant à protéger 30 % des bénéfices découlant de leur usage. Si l’Union européenne, la France gie, mais il faudrait qu’ils soumet­ pour la COP27 pour le climat, en
terres et des mers, contre 17 % et Au­delà des cibles, la question de et l’Allemagne, par le biais de leur tent des cibles dès fin 2023, pour Egypte – aurait pu faire « une vraie
À PROTÉGER 30 % DES  8 % aujourd’hui, est l’un des plus leur mise en œuvre sera détermi­ banque de développement, se que l’on ait rapidement une évalua­ différence », selon les mots d’une
emblématiques. Soutenu par plus nante pour éviter que ne se répète sont engagées à doubler leurs fi­ tion réelle de l’ambition collective. » source proche des négociations
TERRES ET DES MERS,  de cent dix pays, il sera néan­ l’échec des vingt objectifs d’Aichi. nancements en faveur de la biodi­ Les experts appellent aussi à la européennes. En ce qui concerne
CONTRE 17 % ET 8 %  moins encore vivement débattu, Avec, comme pour les négocia­ versité, le secteur privé est égale­ mise en place d’indicateurs soli­ l’affichage politique, on sait déjà
des Etats jugeant cette cible trop tions climatiques, la question ment largement appelé à se mobi­ des, permettant de comparer ces que Montréal ne sera pas Paris. p
AUJOURD’HUI contraignante. Le texte prévoit cruciale du financement des ef­ liser et à réformer ses pratiques. A plans, et de points d’étape régu­ perrine mouterde
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8 | planète MERCREDI 7 DÉCEMBRE 2022

COP15

Au Canada, la
lente extinction
des caribous
En vingt ans, l’espèce a perdu un
tiers de ses individus sous l’effet des
industries minière et forestière

REPORTAGE gnards » en Gaspésie, « fores­


tiers » dans le massif de Charle­
lac­simon, val­d’or (québec) ­
envoyée spéciale
voix au nord­est de la ville de
Québec, et à Val­d’Or, enfin, sur le

L
es anciens racontent territoire ancestral des Anishi­
qu’enfants, ils se per­ nabé. De ce cheptel comptant
chaient dans les arbres quelque quatre­vingts bêtes jus­
pour compter les caribous qu’aux années 1950, tombé à une
qui passaient sous les branches. cinquantaine d’individus il y
Aujourd’hui, les jeunes Ani­ a vingt ans, il ne reste désormais
shinabé de la Première Nation de que neuf survivants, cinq mâles
Lac­Simon – une communauté et quatre femelles.
algonquine de 2 300 personnes
établie près de Val­d’Or en Abitibi­ Quelques aires protégées
Témiscamingue, une région située Dans la réserve de la Première
au nord­ouest du Québec – ne con­ Nation de Lac­Simon, Ronald Bra­
naissent de l’animal qui jouait zeau consacre son temps à tenter
pour leurs ancêtres un rôle nour­ d’éviter que cette maigre harde ne
ricier, culturel et spirituel que le soit rayée de la carte. Dans son bu­
dessin coloré qui sert aujourd’hui reau de directeur du développe­ Un panneau signale la réserve de caribous près de Lac­Simon, au Québec, le 11 octobre. BRENDAN GEORGE KO POUR « LE MONDE »
de logo à l’organisme autochtone ment des ressources naturelles
local créé pour sa défense. qu’il occupe au sein de sa commu­
Le caribou boréal, ce cervidé au nauté, il croque à grands traits sur tous les minerais ; c’est découvrir fesseur en biologie animale à Le peu d’empressement du
large museau et au panache un tableau blanc l’histoire des ca­ des paysages quasiment dénudés l’Université du Québec à Rimouski « POUR ASSURER  Québec à respecter sa propre loi
étroit, s’est égayé pendant des ribous de Val­d’Or : un territoire de leurs arbres, coupés par des dé­ (UQAR). Une espèce dite « para­ LA SURVIE DE L’ESPÈCE,  sur la protection des espèces
milliers d’années dans les forêts d’origine de quelque 13 000 kilo­ cennies d’exploitation. L’habitat pluie » qui devrait sonner l’alerte a poussé Ottawa à hausser le ton ;
septentrionales du territoire ca­ mètres carrés, recouvert de lacs et naturel du caribou est désormais sur le sort d’autres espèces mena­ IL N’Y A D’AUTRE CHOIX  en février, le ministre canadien de
nadien. Depuis vingt ans, le chep­ de forêts denses, où les animaux quadrillé, fragmenté, réduit et cées, sa santé reflétant celle de tout l’environnement, Steven Guil­
tel a perdu un tiers de ses indivi­ trouvaient à foison le lichen dont transfiguré, largement sous l’effet l’écosystème forestier. QUE DE RESTAURER  beault, a menacé la province d’un
dus. Remontant lentement vers le ils se nourrissent. Une surface des industries minière et fores­ « plan fédéral unilatéral ». Après
nord, il occupe désormais une que le chef autochtone hachure tière de la région. Industrie forestière
SON HABITAT NATUREL » quelques semaines d’épreuve de
bande de forêt de quelques centai­ de grands traits rouges, du nord La « foresterie » comme on l’ap­ « La solution de l’enclos comme MARTIN-HUGUES ST-LAURENT force, les deux gouvernements
nes de kilomètres de hauteur, de au sud, d’est en ouest, pour figu­ pelle ici, une industrie intensive celle choisie à Val­d’Or, mais aussi professeur en biologie animale ont signé un « accord de prin­
la province du Yukon aux confins rer les multiples routes forestiè­ au Canada depuis le XIXe siècle, a dans le massif de Charlevoix, n’est cipe », sans mesure concrète à ce
de celle de Terre­Neuve­Labrador, res qui le traversent désormais. doublement affecté les condi­ qu’un respirateur artificiel ; c’est jour, mais se donnant pour objec­
entre les 49e et 55e parallèles de la­ Aujourd’hui, ne subsistent que tions de vie du cervidé : en détrui­ comme les soins intensifs pour les encore 60 000 emplois au Qué­ tif de maintenir dans un état
titude nord. Malgré son inscrip­ quelques aires protégées, le gou­ sant la vieille forêt de pins blancs humains, soit on y reste, soit on en bec. Et aucun gouvernement n’a « non perturbé » les deux tiers de
tion au rang des espèces « mena­ vernement du Québec a créé et d’épinettes noires, elle l’a privé sort. Tout le monde sait désormais eu à cœur de se priver de cette la surface actuelle de l’habitat du
cées » par le Canada dès 2003, à ce­ en 2009 une « réserve de biodi­ de son principal élément de sub­ que, pour assurer la survie de l’es­ ressource essentielle à l’écono­ caribou, promettant également
lui des « espèces vulnérables » par versité » de 430 kilomètres carrés, sistance – le lichen, absent des jeu­ pèce, il n’y a d’autre choix que de mie de la province. d’associer pleinement les peuples
la législation québécoise en 2005, et le long du lac Sabourin, un en­ nes pousses d’arbres, met plus de restaurer son habitat naturel afin Après deux plans de « rétablisse­ autochtones à l’élaboration des
le caribou poursuit sa lente ex­ clos grillagé d’une petite dou­ trente ans à repousser – elle a éga­ qu’elle retrouve un espace viable ment du caribou forestier » depuis plans de protection.
tinction : on en trouve plus sûre­ zaine d’hectares dans lequel sont lement, avec ses pistes construi­ pour se développer. » Le problème, 2005 qui ont échoué à ralentir Dans la Première Nation de
ment sur les pièces canadiennes enfermés depuis deux ans les tes pour évacuer le bois, offert des poursuit avec amertume ce spé­ l’agonie de l’espèce, l’actuel gou­ Lac­Simon, Ronald Brazeau reste
de 25 cents, dont il est l’emblème, neuf caribous restants, dans l’es­ « autoroutes » à ses prédateurs. cialiste, « c’est que les pouvoirs vernement de François Legault sceptique, mais il veut croire que
que dans les forêts du pays. poir d’en assurer la survie. La prédation des ours et des publics n’ont pas le courage de (Coalition Avenir Québec, natio­ la COP15 sur la biodiversité qui
Au Québec, un recensement re­ S’engager dans la forêt abiti­ loups est la première cause de s’opposer à l’industrie forestière, naliste, centre droit) n’a cessé de­ s’ouvre à Montréal le 6 décembre
montant à 2012 ne dénombrait bienne pour tenter d’apercevoir, mortalité des caribous, mais elle qui continue de surexploiter un puis 2019 de reporter la publica­ permettra de faire avancer la
plus que 6 000 à 8 500 individus. sans succès, les derniers caribous n’est pas le cœur du problème. territoire déjà exsangue ». tion d’une nouvelle stratégie, dé­ cause des caribous, celle aussi, du
Des troupeaux concentrés dans forestiers en vie, c’est croiser des « Le véritable prédateur reste Cette industrie forestière, sormais attendue pour juin 2023, leadership revendiqué par les
l’extrême nord de la province et dizaines de pistes carrossables l’homme », insiste le chef autoch­ moins florissante qu’hier pour préférant convoquer au prin­ autochtones sur le sujet. « Le Qué­
quelques hardes isolées, aujour­ menant aux mines d’or et de tone. « Le caribou, c’est le canari cause de déforestation massive temps dernier une énième « com­ bec sera sous le regard du monde,
d’hui menacées de disparition. nickel en activité sur cette faille dans la mine au Canada », explique et de baisse de la demande de mission indépendante » destinée il va être obligé de bouger. » p
Celles des caribous dits « monta­ géologique de Cadillac, riche de Martin­Hugues St­Laurent, pro­ l’industrie papetière, représente à élaborer de futures solutions. hélène jouan

Le Canada entend jouer les premiers rôles lors de la COP15


Le pays abrite une diversité végétale et animale d’une grande richesse, mais est loin d’avoir atteint les objectifs fixés à Aichi, au Japon, en 2010

montréal ­ correspondante seuls le premier ministre cana­ Justin Trudeau, qui s’inquiétait de saient] partie de l’ADN » du Canada s’assurer de protéger et de restau­ ment en raison de la difficulté à
dien, Justin Trudeau, et celui du possibles ingérences chinoises et du Québec et que, à ce titre, ils rer plus d’habitats pour contrer le coordonner son action avec celles

A lors que les chaînes de té­


lévision et les journaux
canadiens commencent
juste à se pencher sur les enjeux de
la conférence mondiale sur la bio­
Québec, François Legault, hôtes de
la conférence des Nations unies,
avaient confirmé leur venue.
L’absence des dirigeants des
196 pays engagés dans la Conven­
sur le territoire canadien, de divul­
guer le contenu de leurs conversa­
tions dans la presse –, il n’est pas
écrit que leur glaciale collabora­
tion permette de faire de cette
étaient bien placés pour contri­
buer « activement à mettre en
place les partenariats nécessaires à
la protection de la biodiversité par­
tout sur la planète ».
déclin des espèces. » Parmi elles, la
baleine noire, le béluga, le cheva­
lier cuivré, un poisson endémique
du fleuve Saint­Laurent, ou encore
le caribou des bois. Aujourd’hui,
des dix provinces et trois territoi­
res du pays, chacun défendant sa
propre législation.
« Le Canada a fait trop peu et trop
tard, sans suffisamment prendre
diversité – la COP15 –, qui entame tion sur la diversité biologique is­ COP15, le « moment parisien » pour 1 231 espèces sont inscrites sur la en compte le leadership que de­
ses travaux mardi 6 décembre, sue du sommet de Rio en 1992 la nature, espéré par certains, en « Trop peu, trop tard » Loi sur les espèces en péril adop­ vraient avoir les peuples autochto­
Montréal assiste au plus impor­ s’explique, entre autres, par la référence à l’accord­cadre obtenu Avec un quart des zones humides tée par Ottawa en 2003. nes sur leurs territoires ancestraux.
tant dispositif policier déployé sur configuration inédite de ce ren­ pour le climat à Paris en 2015. et forêts boréales de la planète, le Le réseau canadien des parcs La COP15 est l’occasion d’annoncer
son sol depuis vingt ans. Cinq dez­vous. Montréal, siège du se­ Pour parvenir à un accord sur les pays abrite une diversité végétale nationaux, le premier au monde une grande loi sur la biodiversité
cents agents sont mobilisés quoti­ crétariat onusien de la convention 22 objectifs au cœur de cette con­ et animale d’une grande richesse, à avoir vu le jour, en 1911, fort dé­ qui s’imposerait à tout le pays »,
diennement pour accueillir les sur la diversité biologique, a hérité férence, notamment celui de pro­ de l’épinette noire à l’orignal, du sormais de 47 parcs et 5 aires ma­ juge Olivier Kolmel, porte­parole
quelque 15 000 congressistes at­ de l’événement, lorsque la Chine, téger 30 % des milieux naturels pin gris à la grenouille des bois. rines nationales de conservation, de Greenpeace Canada. Car cer­
tendus, mais aussi pour prévenir après avoir assuré la première par­ terrestres et marins d’ici à 2030, le Dans le rapport « Espèces sauva­ a fait la preuve de son efficacité en tains chiffres sont des trom­
tout risque de dérapages, notam­ tie de cette conférence à Kunming Canada entend revendiquer son ges 2020 » publié le 30 novembre, assurant la protection de plus de pe­l’œil. Si le Québec fait figure
ment lors de la grande manifes­ en 2021, a dû y renoncer en raison rôle de leadership environnemen­ Ottawa a répertorié plus de 50 000 470 000 kilomètres carrés d’éco­ d’élève modèle avec 17 % de terri­
tation prévue le 10 décembre des mesures anti­Covid toujours tal. Dans une déclaration publiée espèces sauvages au Canada, dont systèmes terrestres, marins et toires protégés, la majorité de ces
par un collectif de près de 70 asso­ contraignantes sur son territoire. le 11 novembre, le ministre cana­ une sur cinq serait « gravement d’eau douce. Si le Canada est en­ aires ont été créées dans le Nord,
ciations écologistes. Un pays qui préside, un autre qui dien de l’environnement, Steven en péril ou vulnérable ». core loin d’avoir atteint les objec­ alors qu’au sud du 47e parallèle, les
En revanche, la protection des organise : au vu des relations très Guilbeault, son homologue qué­ « Le pays doit en faire davantage tifs d’Aichi en matière de surfaces pressions industrielles s’impo­
hauts dirigeants de la planète n’est tendues entre Pékin et Ottawa bécois, Benoît Charette, et la pour empêcher les pertes de biodi­ terrestres protégées – avec actuel­ sent. Depuis deux ans, le nombre
pas un sujet puisque aucun chef – en marge du sommet du G20 le maire de Montréal, Valérie Plante, versité, prévient Sandra Schwartz, lement 13,5 %, contre les 17 % fixés de permis d’exploration minière a
d’Etat ou de gouvernement n’est 16 novembre, Xi Jinping a verte­ ont affirmé que « montagnes, fo­ directrice de la Société pour la na­ par l’accord global conclu au bondi de 100 % dans la province. p
annoncé à ce sommet. Lundi, ment et publiquement reproché à rêts, plaines, rivières et océans [fai­ ture et les parcs au Canada. On doit Japon en 2010 –, c’est principale­ h. jo.
0123
MERCREDI 7 DÉCEMBRE 2022 planète | 9

« Le réensauvagement est l’allié de l’agriculture »


En Angleterre, Isabella Tree et son mari ont mené une expérience inédite pour restaurer leurs terres dégradées

ENTRETIEN namique ! Une fois que vous re­


mettez ces animaux dans le pay­
et des cornouillers, des brous­
sailles épineuses et des ronces. Or « SANS LA NATURE, 
tes. Même si vous pratiquez
l’agriculture conventionnelle,
et du gibier. Nous avons notre
propre boucherie, nos unités de

C’
était l’une des terres sage, vous pouvez voir à quel nous avons grandi avec l’image NOUS N’AURONS PAS  même si vous continuez à labou­ réfrigération et de maturation et
les plus pauvres point la nature dépend d’eux. Les d’un paysage bien ordonné : les rer et à utiliser des engrais et des nous allons ouvrir un magasin à
d’Angleterre, épuisée animaux ont besoin des plantes terres vertes et agréables d’Angle­ DE STOCKAGE D’EAU,  pesticides, en « sacrifiant » une la ferme. Nous louons aussi d’an­
par des décennies mais les plantes ont tout autant terre devraient être des champs zone ou une bordure à la nature ciens bâtiments agricoles. Nous
d’agriculture intensive. Vingt ans besoin des animaux. bien rangés avec des haies droites NOUS N’AURONS PAS  autour de vos champs, vos rende­ bénéficions encore de subven­
plus tard, le domaine de Knepp, et taillées, et de petites poches iso­ ments augmentent. Nous aurons tions mais même sans cela, nous
un site de 1 400 hectares à une Est­il possible de reconstituer lées de bois et de rivières canali­
DE SOLS FONCTIONNELS,  toujours besoin de terres produc­ pourrions envisager l’avenir.
heure de Londres, est devenu l’un ces dynamiques ? sées. Quand ils ont vu nos terres NOUS N’AURONS PAS  tives mais nous ne pouvons pas D’autre part, avec le Brexit, le
des plus endroits les plus riches Nos vaches longhorns imitent devenir indisciplinées, les gens continuer sur la voie que nous programme de subventions agri­
du pays en matière de biodiver­ les perturbations que les aurochs ont trouvé cela choquant. Le réen­ DE ZONES TAMPONS » empruntons actuellement, il coles est remanié et le nouveau
sité. Dans Le Réensauvagement de auraient produites, nous avons sauvagement consiste en grande faut passer à une agriculture ré­ processus devrait rémunérer les
la ferme à Knepp (Actes Sud, des poneys exmoor qui imitent le partie à faire évoluer notre propre génératrice, c’est­à­dire une agri­ gestionnaires de terres non seu­
480 pages, 24,50 euros), la journa­ tarpan, des cochons de Tamworth sensibilité esthétique pour ne la nature, nous n’aurons pas de culture biologique, respectueuse lement pour produire de la nour­
liste Isabella Tree raconte com­ qui imitent les sangliers. Il y a plus trouver beaux des lieux où il stockage d’eau, nous n’aurons de la nature et sans labour. riture de manière plus responsa­
ment elle et son mari ont remis aussi des daims, des cerfs et des n’y a aucune vie. pas de sols fonctionnels, nous ble, mais aussi pour restaurer les
leurs terres en jachère, réintroduit chevreuils qui étaient déjà là. Plus n’aurons pas de zones tampons Peut­on gagner sa vie sols et réensauvager. Déjà, des
de grands herbivores, laissé les vous avez de variétés différentes Il faudra malgré tout qui protégeront les systèmes en réensauvageant ? propriétaires fonciers avancent
processus écologiques naturels de grands herbivores, plus la végé­ continuer aussi à produire agricoles des événements clima­ Nous avons une toute petite en­ dans cette direction ; environ
prendre le dessus. Un message tation devient complexe. Bien sûr, de la nourriture… tiques extrêmes. Nous avons be­ treprise d’éco­tourisme qui est 40 000 hectares ont été réensau­
d’espoir alors que la 15e Confé­ nous n’avons pas de prédateurs ; Le réensauvagement n’est pas soin de zones de nature pour les une source de revenus ; nous vagés ces dernières années. p
rence des Nations unies sur la bio­ d’ailleurs nos animaux sont extrê­ l’ennemi de l’agriculture, c’est insectes pollinisateurs, pour con­ vendons aussi directement au propos recueillis par
diversité à Montréal (Canada), du mement détendus ! Puisque nous même son plus grand allié. Sans trôler naturellement les parasi­ consommateur du bœuf, du porc perrine mouterde
6 au 19 décembre, vise notam­ ne pouvons pas avoir de loup ou
ment à restaurer des milliards de lynx en liberté, nous sommes
d’hectares de terres dégradées. le prédateur ultime. Nous mainte­
nons le nombre d’animaux à un
Pourquoi avez­vous décidé niveau très bas pour qu’ils puis­
de « réensauvager » vos terres ? sent avoir un impact sur l’environ­
Cela va sembler très peu roman­ nement et créer cette mosaïque
tique, mais ce projet est né lorsque dynamique d’habitats sans tout
mon mari a décidé que nous ne convertir en prairie.
pouvions tout simplement plus
continuer à cultiver cette terre. Qu’est­ce qui vous a surpris
Nous sommes sur un sol terrible, au cours de cette expérience ?
de l’argile très lourde. Si vous sor­ D’abord la rareté des espèces
tez en ce moment, vous avez envi­ qui se sont installées chez nous.
ron 3 kilos de boue sur vos bottes ! Nous avons maintenant l’une des
Pendant dix­sept ans, nous avons populations les plus denses de
fait tout ce que les bons agricul­ rossignols au Royaume­Uni et
teurs sont censés faire. Nous nous sommes le seul endroit où
avons mis plus de produits chimi­ le nombre de tourterelles des
ques dans la terre, essayé différen­ bois est en augmentation, alors
tes variétés de cultures, investi que c’est un oiseau dont on pré­
dans des infrastructures. Et, à la voit l’extinction d’ici quelques dé­
fin, nous étions endettés de cennies. Cette année, un papillon
1,5 million de livres (1,7 million grande tortue, censé être éteint
d’euros). Nous étions sur la mau­ au Royaume­Uni, s’est reproduit
vaise terre pour pratiquer l’agri­ à Knepp ! Mais nous sommes
culture moderne intensive. aussi surpris par l’abondance de
vie. Quand vous sortez un matin
C’est à ce moment­là que vous de printemps dans les brous­
avez rencontré Frans Vera… sailles, vous pouvez sentir le
Nous avons été très inspirés par chant des oiseaux vibrer dans vos
cet écologue néerlandais qui a poumons tellement il est fort.
créé la réserve naturelle d’Oos­ Quand nous pensons à la biodi­
tvaardersplassen. Ce qu’il disait versité, nous pensons souvent à
sur le fait de laisser des animaux la variété des espèces mais nous
en liberté diriger les écosystèmes oublions que nous avons égale­
nous a beaucoup parlé. Mon mari ment besoin d’abondance de vie.
a grandi en Afrique puis en Aus­
tralie, il comprenait les grands Au­delà des espèces, en quoi
paysages et la façon dont la mé­ ce projet est­il important ?
gafaune peut créer des habitats. A Knepp, nous avons doublé la
Nous nous sommes dit que si teneur en carbone du sol, nous
nous pouvions ramener de la bio­ avons maintenant des zones hu­
diversité sur notre terre, après mides qui stockent du carbone.
tout ce que nous lui avions fait Nous savons aussi que les arbres
subir pendant soixante­dix ans, en stockent mais qu’en est­il de
l’expérience serait intéressante. tous ces arbustes qui se régénè­
rent, pour lesquels ça n’a jamais
Pourquoi ces grands herbivo­ été mesuré ? Il y a aussi tous les
res ont­ils un rôle si crucial ?
Nous imaginons souvent que la
autres services écosystémiques
dont nous avons si désespéré­ LAURÉAT 2022
zone tempérée de l’Europe était
autrefois couverte de forêts, que
ment besoin : la purification de
l’air, de l’eau… L’eau qui arrive à TALENTS D’EXCEPTION
l’homme est arrivé, a abattu des Knepp est polluée par les ruissel­

Grégoire Scalabre
arbres et planté des graines… Mais lements des routes et des villes,
nous oublions qu’énormément et par les nitrates et les produits
de plantes et d’animaux en liberté chimiques des fermes. Mais nous
étaient là avant nous ! Le tarpan savons, grâce à des tests, qu’elle
(le cheval original), l’aurochs (l’an­ est maintenant de la meilleure
cêtre de la vache), le bison, l’élan,
le renne, le sanglier, les castors…
qualité possible : notre terre agit
comme un filtre et la nettoie. Céramiste
Et ce sont eux qui étaient les mo­ En cas de pluies abondantes,
teurs du système. Leur façon de nos terres absorbent l’eau et pro­
perturber le sol, de se nourrir, de
lancer leurs cornes dans les arbus­
tègent les terres et les biens en
aval, et nous empêchons ainsi pour son œuvre
L’Ultime Métamorphose de Thétis
© Ambroise Tézenas

tes, de piétiner, de transporter des des inondations désastreuses.


graines dans leurs sabots et leur Nous ne produisons donc plus de
fourrure, la manière dont les ex­ nourriture mais nous avons le
créments reconstituent le sol… sentiment de produire d’autres
Tout cela est incroyablement dy­ choses dont nous avons besoin
pour la survie humaine.

Quel a été le principal obstacle ?


« NOUS SOMMES LE SEUL  D’embarquer les gens avec nous.
Nous savions que quelque chose
ENDROIT OÙ LE NOMBRE  d’excitant était en train de se pro­
duire parce que nous voyions de
DE TOURTERELLES  nouveau des papillons, nous en­
DES BOIS EST EN  tendions de nouveau des insectes.
Mais ceux qui étaient autour ne
AUGMENTATION » pouvaient voir que des chardons
FRANCE
0123
10 | MERCREDI 7 DÉCEMBRE 2022

A l’Assemblée, les limites de l’obstruction
Le gouvernement est accusé par les oppositions d’abuser de son droit d’amendement pour entraver les débats

U
n gouvernement peut­
il s’adonner au jeu de
l’obstruction ? Canton­
née jusqu’ici à des dé­
bats feutrés entre amateurs de
droit constitutionnel, cette ques­
tion rhétorique a fait irruption
dans les discussions plus vi­
ves de l’Assemblée nationale de­
puis que l’exécutif a usé de ma­
nœuvres pour freiner, voire em­
pêcher, la tenue de votes sur
des propositions de loi issues
des oppositions.
A deux reprises, sur des textes
portés par La France insoumise
(LFI), le 24 novembre, puis par Les
Républicains (LR), le 1er décembre,
lors de leurs journées d’initiative
parlementaire, le gouvernement,
avec le soutien de sa majorité rela­
tive, a utilisé des méthodes habi­
tuellement dévolues aux députés
en déposant des amendements,
en multipliant les prises de parole
ou les suspensions de séance pour
faire traîner les débats. Une straté­
gie qui a fonctionné sur le texte de
LFI visant à réintégrer les soi­
gnants non vaccinés au Covid­19.
Les macronistes, peu mobilisés,
sont parvenus à éviter un vote.
Excluant l’idée d’être désavoués
sur leur politique sanitaire, ces
derniers assument le fait de s’être
opposés à un texte qui légi­
timait, selon eux, un discours
« antivaccin ». « Il n’était pas possi­
ble pour nous de laisser passer ce
texte qui ne reposait sur aucun
avis scientifique », défend le prési­
dent (Renaissance) de la commis­
sion des affaires européennes,
Pieyre­Alexandre Anglade. Des députés de la Nupes, sur les bancs de l’Assemblée nationale, lors de l’adoption du budget de la Sécurité sociale, le 2 décembre. JULIEN MUGUET POUR « LE MONDE »

« L’apanage des faibles »


Cet épisode a renforcé la défiance liers et de multiplier les interven­ vote d’un texte adopté à une voix Guillaume Kasbarian, qui plaide avait rejeté la pratique de l’obstruc­
entre le camp présidentiel et les tions en séance pour entraver près (41 pour et 40 contre) quel­
« Le sujet, pour une réforme du règlement : tion, qui est, selon elle, « la néga­
oppositions. Ces dernières n’hési­ l’examen des textes du gouverne­ ques secondes avant la fin de la c’est comment « Le fait de ne pas être en majorité tion même du débat ». « Je consi­
tent pas à s’allier pour faire pros­ ment. S’ils ont depuis modéré séance, prévue à minuit. absolue, d’avoir des oppositions po­ dère qu’il faut débattre sur le fond et
pérer leurs propositions, au détri­ cette pratique, sous l’impulsion « Ils s’y sont pris comme des
on fait vivre ce pulistes et de ne pas avoir conclu de qu’il ne faut pas utiliser des techni­
ment de macronistes encore dé­ de la Nouvelle Union populaire branques », attaque après coup le parlementarisme contrat de coalition qui solidifie ques procédurales d’obstruction
sarçonnés par la perte de leur ma­ écologique et sociale (Nupes), les rapporteur du texte, le député une majorité sur un programme pour éviter finalement le débat sur
jorité absolue et pris au dépourvu « insoumis » ont déjà menacé de (LR) du Lot Aurélien Pradié, qui
de fait » fait apparaître aux yeux du grand le fond ». Une phrase perçue dans
par le déroulé de ces niches par­ déposer plusieurs dizaines de décrit « une forme d’incompé­ BORIS VALLAUD public tous les dysfonctionnements une partie de la majorité comme
lementaires. A l’unisson, la dépu­ milliers d’amendements sur la tence parlementaire et d’orgueil patron des députés PS de l’Assemblée, qui en réalité ne une attaque contre son camp.
tée (LFI) de Meurthe­et­Moselle réforme des retraites. du gouvernement. Ils n’ont pas sont pas nouveaux. » Au cours d’une réunion du bu­
Caroline Fiat et le chef de file des Une semaine après les troupes compris qu’ils n’avaient plus la reau du groupe macroniste, le
LR, Olivier Marleix, ont dénoncé de Jean­Luc Mélenchon, ce fut majorité absolue ». « Les Français par des scrutins transcendant les « Négation du débat » 28 novembre, sa présidente,
un « déni de démocratie » et un néanmoins au tour des députés attendent de nous que l’on soit ca­ clivages sur des sujets comme Explosion du nombre d’amende­ Aurore Bergé, et le vice­président,
« mépris des travaux parlemen­ LR de faire l’expérience, le 1er dé­ pable de faire ce travail collectif y l’inscription de l’interruption vo­ ments, multiplication des séances Sylvain Maillard, ont estimé que la
taires jamais vu sous la Ve Répu­ cembre, d’une obstruction assu­ compris quand le gouvernement lontaire de grossesse dans la de nuit, une animosité dans l’Hé­ présidente du Palais­Bourbon, qui
blique ». « L’obstruction, c’est l’apa­ mée de la part de l’exécutif sur n’est pas d’accord », appuie pour Constitution, ces épisodes révè­ micycle allant jusqu’à l’invective… veut apparaître « impartiale », fi­
nage des faibles, de groupes d’op­ leur proposition de loi créant des sa part le député « insoumis » de lent une Assemblée nationale Six mois après les élections législa­ nissait par favoriser les opposi­
position qui essaient de ralentir juridictions spécialisées aux vio­ l’Essonne Antoine Léaument. morcelée, où chaque groupe ren­ tives, des réflexions sont en cours tions. D’autant plus que les ma­
le travail de la majorité », avait sou­ lences intrafamiliales. Devant les Pour les oppositions, ces inci­ voie à l’adversaire son état de mi­ entre la présidente (Renaissance) cronistes, qui ont misé dans un
ligné M. Marleix. prises de parole prolongées du dents provoqués par l’attitude du norité. « Le sujet, c’est comment on de l’Assemblée nationale, Yaël premier temps sur le désintérêt de
Les élus du camp présidentiel garde des sceaux, Eric Dupond­ gouvernement et de la coalition fait vivre ce parlementarisme de Braun­Pivet, et les dirigeants des l’opinion publique pour la vie par­
accusent d’ailleurs régulièrement Moretti, et de la ministre délé­ présidentielle viennent heurter fait », analyse le chef de file des dé­ groupes parlementaires pour per­ lementaire, seront confrontés à
les oppositions d’« abuser » de guée chargée de l’égalité entre les une relation avec l’exécutif déjà putés socialistes, Boris Vallaud. mettre un fonctionnement plus des oppositions déterminées à re­
leur droit d’amendement, en pre­ femmes et les hommes, Isabelle fragilisée par les sept 49.3 enga­ Un constat en partie partagé par adapté de l’institution à compter mettre ces textes à l’ordre du jour
nant pour exemple LFI, qui avait Rome, les oppositions ont cette gés par la première ministre, le président (Renaissance) de la du mois de janvier. Dans une in­ de l’Assemblée. p
pris l’habitude, lors de la dernière fois décidé de retirer leurs amen­ Elisabeth Borne, sur les textes commission des affaires économi­ terview donnée à La Voix du Nord, mariama darame
législature, d’en déposer des mil­ dements et d’aller directement au budgétaires. Bien que ponctués ques de l’Assemblée nationale, fin novembre, Mme Braun­Pivet et jérémie lamothe

Le RN pose des pièges dans sa niche parlementaire


L’extrême droite proposera deux textes élaborés par d’autres groupes sur les violences conjugales et la réintégration des soignants non vaccinés

U ne niche truffée de
pièges. Voilà ce que le
Rassemblement natio­
nal (RN) proposera aux députés le
12 janvier 2023, lorsqu’une jour­
avancer nos sujets et mettre mal à
l’aise les autres groupes », avait
prévenu Renaud Labaye, secré­
taire général du groupe RN à
l’Assemblée nationale.
“grande cause du quinquennat”
soient les députés du RN, réagit Va­
lérie Létard. J’espère sincèrement
qu’une initiative aussi attendue par
le terrain n’aura pas à en souffrir et
Marine Le Pen, jugée sévèrement
par l’Institut Montaigne, un think
tank libéral, et qui présente des
difficultés techniques et juridi­
ques. L’autre texte concerne la
piégeuse : la reprise du texte de la
vice­présidente de l’Assemblée Ca­
roline Fiat, dans l’état où il était
lors de l’interruption de la niche
parlementaire des « insoumis ».
parlementaires dans les Ehpad et
lieux d’accueil de l’aide sociale à
l’enfance ; le port d’un uniforme
dans les écoles primaires et les
collèges ; l’élection des députés à la
née, la première de son histoire, En première position, le RN sou­ que le texte sera voté conforme. » suppression des zones à faible L’examen du texte, soutenu par proportionnelle ; la modification
sera réservée aux propositions de mettra donc un texte déjà adopté C’est ce que proposera le RN, qui émission, sujet sensible, électo­ LFI, le RN et une grande partie de la du mode de calcul de la taxe d’enlè­
loi de son choix. Les siennes ? Pas au Sénat avec le soutien de l’en­ pourrait revendiquer l’adoption ralement porteur, et que le RN droite n’avait pu aller à son terme vement des ordures ménagères ; la
tout à fait. Parmi les textes que le semble des groupes et l’assenti­ d’une loi sur un texte auquel il n’a considère comme une expres­ en raison d’une obstruction assu­ présomption de légitime défense
groupe de Marine Le Pen souhaite ment du gouvernement : une pro­ pas initialement contribué. sion de « l’écologie punitive ». mée par la majorité. pour les forces de l’ordre.
soumettre en priorité, l’un vient position de loi de la sénatrice du En quatrième position de sa La députée « insoumise » – qui En cas d’obstruction manifeste,
des « insoumis », l’autre de la ma­ Nord (Union des démocrates et in­ Sujet électoralement porteur niche, le RN reprendra le combat n’a pas donné suite à nos sollicita­ le groupe pourrait se résoudre à
jorité. Le RN met ainsi le gouver­ dépendants) Valérie Létard, créant Ce ne devrait pas être le cas des de la réintégration des soignants tions – pourrait ainsi être amenée supprimer les textes concernés. Le
nement et l’opposition de gauche une aide d’urgence pour les victi­ deux propositions de loi suivan­ non vaccinés contre le Covid­19, à défendre son texte au sein d’une RN ne s’attend pas à pouvoir exa­
en porte­à­faux : voteront­ils un mes de violences conjugales, sous tes, où le RN trouvera difficile­ qui avait mis l’Assemblée en érup­ niche du Rassemblement natio­ miner plus de quatre ou cinq tex­
texte mis à l’agenda par l’extrême forme de prêt à taux zéro. Adopté à ment des alliés. L’une porte sur tion lors de la niche parlementaire nal. Une solution d’évitement tes dans l’Hémicycle, mais ne bou­
droite, au risque de fissurer ce qui l’unanimité au Sénat le 20 octobre, l’exonération pérenne de coti­ de La France Insoumise (LFI), le consisterait, pour LFI, à retirer son dera pas l’exposition de ses théma­
reste du cordon sanitaire, ou s’op­ le texte n’avait pas encore été mis à sations patronales pour une 24 novembre. Après avoir envi­ texte… au risque de fâcher une par­ tiques en commission. Un échauf­
poseront­ils à un texte qu’ils ont l’agenda de l’Assemblée nationale. entreprise qui augmenterait sa sagé de présenter un texte exoné­ tie de son électorat, notamment fement avant l’examen, les jours
précédemment soutenu, une « Cela ne me réjouit évidemment grille salariale d’au moins 10 % rant les personnels de protocole dans les outre­mer. Le RN a inscrit suivants, du texte gouvernemen­
contorsion qu’il faudrait ensuite pas que les premiers qui s’intéres­ jusqu’à trois smic. Une mesure sanitaire, le parti a opté pour une quatre autres textes à l’agenda : la tal sur l’immigration. p
expliquer aux Français ? « On veut sent à un sujet pourtant déclaré du programme présidentiel de solution plus consensuelle… et création d’un droit de visite des clément guillou
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MERCREDI 7 DÉCEMBRE 2022 france | 11

Levothyrox : l’Agence du L’appel de Macron à ériger


médicament mise en
examen pour tromperie des « remparts » face à la haine
La nouvelle formule avait provoqué, lors de sa Le chef de l’Etat a visité le mémorial du camp des Milles, où 2 000 juifs
sortie, des effets secondaires chez des patients
ont été détenus avant leur déportation vers Auschwitz, en 1942

U n peu plus d’un mois


après Merck, c’est au tour
de l’Agence nationale de
sécurité du médicament (ANSM).
L’agence a elle­même annoncé,
de recherche et d’expertise
suggèrent que les deux formules
du Levothyrox ne sont pas inter­
changeables. En avril 2019, des
travaux académiques publiés
lundi 5 décembre, sa mise en exa­ dans la revue Clinical Pharmaco­
men pour « tromperie » dans l’af­ kinetics indiquaient que le test
faire du changement de formule conduit par Merck à l’appui du
du Levothyrox. Le laboratoire changement de formule ne
pharmaceutique et l’agence pu­ garantissait qu’une bioéquiva­
blique sont visés par une plainte lence moyenne, c’est­à­dire à
collective de plus d’un millier de l’échelle d’une population. Au
patients ayant, selon ces derniers, niveau de l’individu, une réaction
souffert d’effets secondaires lors différente à la nouvelle formule
de la transition, en mars 2017, vers n’était pas exclue. Les auteurs
la nouvelle formule du médica­ critiquaient en creux le fait que,
ment. Parmi les deux à trois n’ayant pas conduit sa propre
millions de personnes souffrant réanalyse statistique des données
de troubles de la thyroïde et trai­ soumises par Merck, l’ANSM
tées par Levothyrox, environ n’avait pas détecté cette faille.
15 000 avaient signalé de tels Cette analyse a été, depuis,
effets (asthénie, céphalées, ver­ confirmée par l’expertise judi­
tiges, douleurs articulaires et ciaire rendue par le tribunal de
musculaires, alopécie, etc.) aux Marseille, en mai 2021. Dans leur
centres de pharmacovigilance. rapport, que Le Monde a pu con­
L’affaire a nourri, plusieurs mois sulter, les quatre experts commis
durant, une intense controverse par le juge estimaient que les cri­
publique. D’un côté, les associa­ tères d’autorisation de la nouvelle
tions de malades mettant en formule « auraient dû être ceux de
cause la transition vers la nouvelle la substituabilité », et non ceux de
formule dans le déclenchement la bioéquivalence moyenne.
d’effets indésirables, de l’autre, Sur la foi de documents internes
sociétés savantes et médecins mé­ de l’ANSM, les experts ajoutaient
diatiques plaidant pour une mani­ que, dès septembre 2017, « l’ANSM
festation de troubles somatiques est consciente que les génériques
liés à la mise au jour de l’affaire. de Levothyrox ne sont pas substi­
Dans un communiqué diffusé tuables et ne recommande donc
lundi soir, l’ANSM assure qu’elle pas la substitution ». D’après cette Emmanuel Macron visite le camp des Milles, près d’Aix­en­Provence (Bouches­du­Rhône), en compagnie du président
« apportera sa pleine contribu­ note interne de l’agence, ajou­ de la fondation du mémorial, Alain Chouraqui, lundi 5 décembre. POOL/VIA REUTERS
tion à la manifestation de la vérité tent­ils, « le fait que le médica­
mais conteste fermement les ment soit substituable a été
reproches formés à son encontre,
car aucune infraction pénale
imposé. Il n’est pas clairement dit
par qui ». Les experts jugeaient
REPORTAGE zone libre », appuie le chercheur
Alain Chouraqui, qui s’est vu re­
Orientales), sous autorité exclusi­
vement française.
« Chirac, c’était
aix­en­provence
n’a été commise ». « L’ANSM n’a ja­ également « surprenant » que (bouches­du­rhône) ­ mettre la médaille de la Légion Le régime de Pétain n’épargne ni courageux ! Ici,
mais nié les difficultés rencontrées l’agence n’ait pas cherché à repro­ d’honneur. les réfugiés politiques, ni les étran­
par certains patients au moment duire les tests de dissolution des
envoyée spéciale
Depuis le camp des Milles, ont gers ayant servi sous le drapeau
l’actuel président

E
du passage à la nouvelle formule deux formules fournis par Merck. ntre les poutres massi­ été déportés vers Auschwitz français, ni les enfants juifs nés franchit un pas
du Levothyrox et se préoccupe Pour M. Sopena, l’ANSM a été, ves de l’ancienne brique­ 2 000 hommes, femmes et en­ français. Ici, la responsabilité de
de manière constante et quoti­ tout au long de l’affaire « juge et terie, Emmanuel Macron fants juifs, dont une cinquantaine l’Etat français apparaît crûment.
de plus. Il dit que
dienne de la sécurité et de la santé partie » et « ne pouvait plus jouer se figure un instant les de bambins âgés de moins de Il aura fallu trente ans de persé­ Vichy agissait
des patients », ajoute le gendarme son rôle d’arbitre » puisque c’est 10 000 hommes, femmes et en­ 2 ans, que les nazis ne deman­ vérance à Alain Chouraqui, aidé de
du médicament. elle qui, en 2012, avait demandé à fants qui ont été parqués là, dans daient pas. « Cette France était Serge Klarsfeld et de Simone Veil,
en zone libre »
Merck le changement de formule la poussière d’argile, tenaillés par exempte du joug des nazis. Ces der­ pour faire de l’ancien camp un ALAIN CHOURAQUI
« Juge et partie » de son médicament, afin d’amé­ la faim et la peur, entre septem­ niers n’avaient pas exigé que les lieu de mémoire et de transmis­ chercheur
Une affirmation qui fait bondir liorer sa stabilité. Mais cet été, bre 1939 et fin 1942. enfants soient inclus dans ces ra­ sion, sillonné depuis 2012 par
Philippe Sopena, médecin et dans la revue European Journal of Ce lundi 5 décembre, le chef de fles, a souligné Emmanuel Ma­ 800 000 écoliers, étudiants, ma­
conseiller scientifique de l’Asso­ Drug Metabolism and Pharmaco­ l’Etat arpente les entrailles ocre cron, devant un public d’élus de la gistrats et policiers.
ciation française des malades de kinetics, Philippe Lechat, l’ancien du camp des Milles, qui fut le plus région, d’associations et de ly­ sentiel nous revivons aujourd’hui »,
la thyroïde (AFMT). « L’agence n’a directeur scientifique de l’ANSM, grand centre d’internement du céens venus assister à la cérémo­ « Héritiers de la collaboration » qui combine perte de repères
jamais explicitement reconnu le qui avait demandé au laboratoire sud­est de la France, situé à nie. Oui, ces juifs furent les victimes En juillet, à Pithiviers, d’où sont collectifs, affaiblissement des ins­
lien entre le changement de l’amélioration de son médica­ quelques kilomètres d’Aix­en­ délibérées de l’Etat français. » partis plusieurs convois vers Aus­ titutions, rejet des élites et crispa­
formule et la survenue d’effets ment, estimait que « l’écart dans Provence (Bouches­du­Rhône). Comme dans ses hommages chwitz, le chef de l’Etat avait visé tion identitaire.
indésirables, dit­il. Dès jan­ les rapports d’exposition indivi­ Guidé par Alain Chouraqui, prési­ passés, le chef de l’Etat a rappelé entre les lignes Eric Zemmour et Une spirale reprise par Emma­
vier 2018, chez les personnes se duels entre les deux formulations dent et fondateur de la fondation que l’antisémitisme d’Etat de Pé­ ses partisans pour leur « falsifica­ nuel Macron dans son allocution.
plaignant de troubles après transi­ du Levothyrox est suffisant pour du mémorial, il parvient à l’uni­ tain et de Laval remonte à la fin du tion de l’histoire ». Une formule « L’antisémitisme, le racisme, tou­
tion vers la nouvelle formule, les expliquer le taux élevé d’effets que fenêtre d’où des mères se XIXe siècle avec l’affaire Dreyfus, qu’il a reprise, lundi, en ciblant, tes ces formes de rejet portent en
données de pharmacovigilance indésirables signalés après le pas­ jetaient dans le vide avec leur dans un glissement qu’illustre le cette fois, les forces politiques et elles l’anéantissement de toute hu­
dont l’ANSM disposait montraient sage d’une formulation à l’autre ». bébé, il y a quatre­vingts ans. En camp des Milles. Dès 1939, les der­ intellectuelles qui se parent d’ori­ manité », a­t­il insisté en oppo­
que le retour à l’ancien médica­ Fin novembre, l’AFMT annon­ juillet 1942, la gendarmerie faisait niers gouvernements de la Répu­ peaux républicains, appelant à sant encore « le révisionnisme des
ment était le moyen le plus efficace çait que suite aux discussions état de suicides des juifs, qui sa­ blique en guerre y internent les « résister à ceux qui falsifient l’his­ uns » et « l’euphémisme des
pour obtenir l’amélioration de leur avec la direction générale de la vaient que la mort les attendait étrangers vivant en France, Alle­ toire, feignent d’adopter la Répu­ autres ». « Celui qui veut purifier
état : elle n’a même pas diffusé ces santé, l’Euthyrox – ancienne ver­ au bout des convois. mands et Autrichiens qui avaient blique tout en trahissant ses va­ au nom de son ethnie, de sa na­
résultats par voie de communi­ sion du médicament – serait tou­ pour la plupart fui le régime nazi, leurs ». « Le régime de la collabora­ tion, de sa religion, commence par
qué. » Selon l’ANSM, les données jours commercialisé en France « Trahison par Vichy » mais regardés comme des « sujets tion continue de recruter des ado­ des outrages, poursuit par des in­
de pharmacovigilance excluent la tout au long de l’année 2023, alors C’est à l’occasion des dix ans ennemis ». « Ici, ce fut la trahison rateurs et il dispose toujours carcérations, termine par des as­
responsabilité de la nouvelle qu’elle devait sortir du marché à la d’existence de ce mémorial par le régime de Vichy du droit d’héritiers. Ne soyons jamais du­ sassinats », a énuméré le chef de
formule dans la survenue des fin de l’année. Selon l’association, qu’Emmanuel Macron s’est rendu d’asile. Les réfugiés devinrent des pes des habits neufs que les mêmes l’Etat dans un climat de montée
effets indésirables les plus graves. 90 000 patients sont encore trai­ au camp des Milles, accompagné otages », a insisté M. Macron. idéologies de division répètent des nationalismes en Europe,
Cependant, depuis le printemps tés avec cette ancienne formule. p des ministres de l’intérieur, Gérald Après l’armistice de juin 1940, a pour nous leurrer », a mis en garde tout en appelant le corps social à
2019, une succession de travaux stéphane foucart Darmanin, et de l’éducation na­ rappelé le président de la Républi­ le chef de l’Etat. « résister à cet engrenage » et à éri­
tionale, Pap Ndiaye. L’occasion que, les « indésirables » de la zone Mais il a aussi visé l’autre bord ger « des remparts » face à la haine
aussi de s’extraire des pesanteurs libre, antifranquistes et juifs persé­ du spectre politique, invitant à ré­ grâce à l’enseignement.
quotidiennes pour rappeler, cinq cutés en Europe, furent à leur tour péter « avec force contre le silence, Les époux Serge et Beate
mois seulement après avoir com­ internés dans l’ancienne usine. De les omissions ou les compromis­ Klarsfeld, qui l’accompagnaient,
PA R L E M E N T R E T RA I T E S mémoré les 80 ans de la rafle du juin à septembre 1942, enfin, le sions, que les victimes étaient des ont porté l’espoir de cette résis­
Cabinets de conseil : un Menace d’une grève Vél’ d’Hiv, que le régime de Vichy camp devint l’antichambre d’Aus­ juifs ». Une allusion voilée à la coa­ tance de la société et de la trans­
amendement au Sénat unitaire en janvier n’a jamais eu pour dessein de sau­ chwitz via Drancy (Seine­Saint­ lition de La France insoumise, mission. L’inlassable défenseur de
Les sénateurs ont adopté, Les syndicats CFDT, CGT, FO, ver des juifs, français ou étrangers. Denis) ou Rivesaltes (Pyrénées­ dont certains élus avaient omis de la mémoire de la Shoah, qui
lundi 5 décembre, contre CFE­CGC, CFTC, UNSA, Son discours prononcé alors à Pi­ préciser que les victimes l’étaient échappa à la Gestapo à l’âge de
l’avis du gouvernement, Solidaires et FSU ont an­ thiviers (Loiret), le 17 juillet, parce que juives. A gauche, le loca­ 8 ans, a rappelé qu’une majorité
un amendement au projet noncé, lundi 5 décembre au n’avait, au goût de l’Elysée, pas as­ taire de l’Elysée avait lui même été d’enfants juifs fut sauvée par les
de budget 2023, qui reprend soir à l’issue de leur réunion, sez imprimé les esprits. Ni calmé « Ne soyons visé pour sa sortie de novem­ « braves gens », à contre­courant
leur proposition de mi­octo­ leur intention d’organiser les démons qui agitent une frange bre 2018 – il avait qualifié Philippe de la dictature pétainiste. Quel­
bre d’« instaurer une vérita­ dès janvier une première de la société désinhibée lors de la
jamais dupes Pétain de « grand soldat » de la ques instants avant, M. Macron
ble transparence sur les pres­ « mobilisation unitaire » con­ dernière campagne présidentielle. des habits neufs guerre de 14­18 – et son projet vite cherchait l’octogénaire des yeux.
tations de conseil ». Un geste tre la réforme des retraites En 1995, Jacques Chirac a pro­ avorté de l’honorer. « Il est là, Serge ! », s’était exclamé
symbolique, alors que le portée par le gouvernement noncé des mots restés dans l’his­
que les mêmes A la fin de la visite, le chef de son guide, M. Chouraqui, en dési­
gouvernement « n’a effectué et qui doit être présentée toire en reconnaissant que « la fo­ idéologies de l’Etat a paru soucieux en explo­ gnant le mur d’exposition. Le chef
aucune démarche », neuf mi­décembre. Les partenai­ lie criminelle de l’occupant a été se­ rant la salle consacrée à la bascule de l’Etat se trouvait devant un cli­
mois après le rapport séna­ res sociaux s’opposent condée par l’Etat français », répon­
division répètent des démocraties et à la mécanique ché en noir et blanc qui le mon­
torial très critique sur l’em­ à tout recul de l’âge légal dant « aux exigences des nazis ». pour nous pouvant conduire au pire. Contre trait, enfant, visage poupon et mè­
ploi des cabinets, déplore de départ en retraite comme « Chirac, c’était courageux ! Ici, l’ac­ « l’extrémisme nationaliste », Alain che rebelle, sourire confiant, sous
la sénatrice Eliane Assassi à toute hausse de la durée tuel président franchit un pas de
leurrer » Chouraqui alerte sur l’« engrenage le bras de son père Arno. p
(PCF), corapporteuse. – (AFP.) de cotisation. – (AFP.) plus. Il dit que Vichy agissait en EMMANUEL MACRON certes résistible, mais que pour l’es­ ivanne trippenbach
0123
12 | france MERCREDI 7 DÉCEMBRE 2022

La Belgique espère une « prédicateur de haine » et souli­


gné que, compte tenu du fait qu’il
était en séjour irrégulier en Belgi­
que, il serait remis au plus vite à la
Dans un long arrêt, les juges
administratifs ont relevé que
M. Iquioussen ne possédait pas
de titre de séjour en Belgique et
JUSTICE
Perquisition chez
une députée RN
Le domicile et la permanence

expulsion rapide vers


France. « Les autorités françaises n’avait donc pas vocation à y d’Edwige Diaz, députée Ras­
réclament toujours son retour afin rester, que son maintien en dé­ semblement national (RN) de
de pouvoir l’envoyer au Maroc », tention était justifié par un risque Gironde, a été perquisitionné
soulignait le cabinet de la secré­ de fuite et qu’il aurait, en cas de lundi 5 décembre, dans le ca­

la France d’Iquioussen
taire d’Etat dans un communiqué. poursuites judiciaires en France, dre de l’affaire des assistants
Les avocats de l’imam évoquaient, la garantie d’un procès équitable. parlementaires du RN. Une
quant à eux, une décision « pure­ Sa requête a donc été jugée enquête préliminaire du Par­
ment scandaleuse ». irrecevable, a indiqué un arrêt pu­ quet européen est ouverte de­
Le ministre de l’intérieur fran­ blié lundi soir. puis 2021 pour des soupçons
Une juridiction administrative a estimé, lundi, çais, Gérald Darmanin, « remer­
ciait » alors les autorités belges « Puzzle »
de détournement de fonds
publics et d’emploi fictifs des
que l’imam doit être remis aux autorités françaises. pour leur « parfaite collaboration
dans cette affaire qui concerne fi­
Avant cette nouvelle décision,
une hypothèse courait à Bruxel­
assistants parlementaires.
Mme Diaz, ciblée, de même que
Mais le dénouement de l’affaire demeure incertain nalement la sécurité de toute l’Eu­
rope ». Il expliquait que l’imam de­
les : Paris voulait, en réalité, faire
en sorte que la Belgique procède
l’ex­eurodéputé Jacques
Colombier, dont elle était l’as­
vait « retourner au Maroc ». Sans à une expulsion de l’imam vers le sistante, dénonce un « règle­
indiquer, cependant, si la France Maroc. Problème : cela aurait ment de comptes ». – (AFP.)
était encore prête, ou non, à ce supposé que Rabat délivre un
bruxelles ­ correspondant Auparavant, ses défenseurs volonté d’expulser M. Iquioussen, qu’il lui soit remis à cette fin. laissez­passer consulaire, condi­ Jean-Marc Morandini
avaient plaidé, avec succès, de­ ont alors procédé à une arresta­ En France, l’expulsion de tion nécessaire pour une mesure condamné

L’
affaire semblait sim­ vant la justice belge, l’illégalité tion administrative. Le 16 novem­ M. Iquioussen avait été annoncée d’éloignement. Or, rien n’indi­ L’animateur de télévision
ple au départ : la d’une telle remise. En soulignant bre, l’imam était placé dans le le 30 juillet et validée un mois quait que les autorités marocai­ Jean­Marc Morandini a été
France voulait récupé­ que le droit de l’Union euro­ « centre de retour fermé » de Vot­ plus tard par le Conseil d’Etat, qui nes, auprès desquelles l’entou­ condamné, lundi, à un an de
rer Hassan Iquious­ péenne – et dès lors celui de la tem (un centre de rétention dans relevait ses « propos antisémites » rage de M. Iquioussen fait le for­ prison avec sursis par le tri­
sen, un prédicateur marocain de Belgique – ne prévoit pas de sanc­ la province de Liège) en vue de son et son « discours systématique sur cing, y sont prêtes. Un laissez­ bunal correctionnel de Paris
58 ans « fiché S », pour l’expulser tion pénale en cas de « soustrac­ éloignement. Un ordre de quitter l’infériorité de la femme ». Le mi­ passer rédigé le 1er août par le pour « corruption de mi­
vers le Maroc. Et la Belgique, où il tion à l’exécution d’une mesure le territoire lui avait été notifié la nistre Darmanin se fondait sur consulat du Maroc à Lille avait fi­ neurs ». Lors du procès, des
s’était réfugié, le livrerait rapide­ d’éloignement », ce qui est l’incri­ veille, d’où le recours administra­ un rapport de la DGSI évoquant nalement été suspendu en raison hommes, mineurs au mo­
ment sur la base du mandat d’ar­ mination retenue par la France tif déposé par son avocat belge, « un discours prosélyte émaillé de d’un « manque de concertation » ment des faits, avaient relaté
rêt européen émis par Paris. Huit dans le mandat d’arrêt européen Nicolas Cohen, devant le Conseil propos incitant à la haine et à la avec les autorités françaises. leur « traumatisme », des an­
semaines plus tard, l’affaire s’est qu’elle a émis à l’encontre du pré­ du contentieux des étrangers. discrimination et porteur d’une vi­ Pour la Belgique, le prédicateur nées après avoir été entraînés
singulièrement compliquée, et dicateur de nationalité maro­ Reprenant les propos du minis­ sion de l’islam contraire aux va­ est devenu un hôte non désiré et dans des échanges à caractère
son dénouement demeure caine, né à Denain (Nord). tre de la justice, Vincent Van Quic­ leurs de la République ». particulièrement encombrant sexuel. L’animateur parlait de
toujours incertain. kenborne, la secrétaire d’Etat à Jeudi 1er décembre, devant le dont elle aimerait se débarras­ jeu « virtuel » et « d’humour ».
Lundi 5 décembre, à Bruxelles, « Parfaite collaboration » l’asile et la migration, Nicole De Conseil du contentieux des étran­ ser. Lundi soir, un magistrat Il a fait appel et devrait rester
c’est le Conseil du contentieux Arrêté le 30 septembre près de Moor, avait qualifié l’imam de gers, les avocats de l’Etat belge convenait toutefois que dans « le à l’antenne de CNews. – (AFP.)
des étrangers, une juridiction ad­ Mons, où il s’était réfugié après plaidaient qu’il s’agissait, pour ce­ puzzle » de ce dossier, il man­
ministrative indépendante saisie avoir fui, selon ses dires, la France lui­ci, de « respecter les accords en­ quait toujours un élément : les Soupçonné de viols,
« en extrême urgence » d’une re­ le 25 août, l’imam avait introduit tre Paris et Bruxelles » – en fait, une autorités françaises accepte­ le youtubeur Norman
quête des avocats de l’imam, qui un recours contre ce mandat. Le Les défenseurs convention de 1964 entre Paris et raient­elles finalement une ex­ en garde à vue
est intervenu. Il a déclaré irrece­ tribunal des référés de Tournai, les trois Etats du Benelux sur la re­ pulsion vers leur territoire ? Le youtubeur Norman
vable ce recours destiné à préve­ puis la cour d’appel de Mons, lui
du prédicateur prise automatique et obligatoire Mardi matin, un proche du dos­ Thavaud a été placé en garde
nir une éventuelle expulsion de ont donné raison. Début novem­ contestaient des personnes en séjour illégal. sier, côté gouvernement fran­ à vue, lundi, dans le cadre
M. Iquioussen qui, selon cette bre, il quittait la prison de Tournai Les défenseurs de M. Iquioussen çais, indiquait que « l’objectif de d’une enquête préliminaire
instance, doit bel et bien être re­ pour être assigné à résidence, sous
notamment contestaient le maintien en dé­ la France est qu’Hassan ouverte en janvier, a révélé
mis aux autorités françaises. Ce surveillance électronique. Pour le maintien tention de leur client et son ex­ Iquouissen reste en dehors du Libération. Cinq des six plai­
dernier a possibilité de faire ap­ tenter de contourner cet obstacle pulsion éventuelle vers la France territoire national et soit recon­ gnantes, dont deux mineures
pel, mais cette procédure n’est judiciaire, les autorités belges, qui
en détention où il risquait, selon eux, des pour­ duit au Maroc ». p au moment des faits, l’accu­
pas suspensive. avaient indiqué dès le début leur de leur client suites et un préjudice grave. jean­pierre stroobants sent de viol. – (AFP.)

en partenariat avec
Affaire des écoutes : Sarkozy
défend son « honneur bafoué »
Au premier jour de son procès en appel, l’ancien président de la
République a tenu à affirmer qu’il n’avait jamais corrompu personne

vivre l’art autrement


N icolas Sarkozy, Thierry
Herzog et Gilbert Azibert
le savent mieux que qui­
conque : en ce lundi 5 décembre
où ils s’avancent tour à tour, face
« Vous excuserez
ma véhémence,
mais quand
gement rendu par le tribunal,
évoquant le « faisceau d’indices »
retenu contre lui, « alors que pour
être condamné, il faut des preu­
ves. Où sont les preuves ? ». La voix
aux trois juges de la cour d’appel on est innocent, se calme : « Mon honneur a été
de Paris, ils sont moins des préve­ bafoué. Je viens pour convaincre la
nus « présumés innocents » qu’un
on est indigné » cour que je n’ai rien fait. »
ancien président de la République, NICOLAS SARKOZY Son avocat et ami Thierry He­
un avocat et un ex­conseiller à la ancien chef de l’Etat rzog conteste lui aussi sa culpabi­
Cour de cassation, tous trois lestés lité. Mais les quelques mots qu’il
d’une condamnation à trois ans prononce traduisent moins l’es­
d’emprisonnement, dont un an corrompu qui que ce soit. Cette poir d’une relaxe que celui de voir
ferme, pour « corruption », active affaire de corruption est étrange : lever la peine complémentaire
ou passive, « trafic d’influence », pas un centime versé, pas un avan­ d’interdiction professionnelle
« violation du secret profession­ tage accordé, pas de victime. » Indi­ pendant cinq ans à laquelle il a été
nel » ou recel de ce secret, et d’at­ gné, Nicolas Sarkozy l’est face aux condamné en première instance.
tendus de jugement cinglants. « moyens colossaux » déployés par « J’aime profondément mon mé­
Leurs avocats le savent aussi, qui le parquet dans cette affaire, « cinq tier. Je lui ai consacré ma vie. A la
ont beaucoup réfléchi et infléchi ans d’enquête préliminaire, sept fin de ce procès, cela fera quarante­
leur stratégie de défense. L’enjeu mois d’écoutes ». « Vous avez trois ans que je suis avocat, dit­il
de ce procès en appel n’est pas le devant vous un homme dont on a d’une voix sourde. Je voudrais que
même pour chacun des prévenus. écouté 3 500 conversations télé­ votre cour soit convaincue qu’elle
Pour Nicolas Sarkozy, cette phoniques. Je demande à chacun pourra me rendre mon honneur et
affaire des écoutes – dans laquelle de réfléchir à ce que cela représente accepter de sauver ma robe. »
il est accusé d’avoir tenté d’obte­ comme violation de la vie privée. » Le troisième prévenu, Gilbert
nir, en 2014, des informations sur Indigné encore, dit­il, par les Azibert, âgé de 75 ans, avait pré­
une procédure en cours devant la termes employés contre lui par le senté un certificat médical pour
Cour de cassation –, n’est que la procureur lors du premier procès. ne pas assister aux débats. Devant
partie émergée de l’iceberg judi­ « Il a indiqué que j’avais un compor­ la cour, il plaidera non coupable,
ciaire qui le menace : multiples tement de délinquant chevronné. explique­t­il d’une simple phrase
mises en examen dans l’affaire du De délinquant chevronné ! De dé­ avant de se rasseoir. Des trois
financement libyen de sa campa­ linquant chevronné ! Tout ça parce prévenus, il est celui contre lequel
gne présidentielle de 2007, que j’ai utilisé un portable dédié ! » les mots des premiers juges
condamnation en septembre 2021 étaient les plus sévères. L’homme
dans celle du dépassement des « Où sont les preuves ? » est fatigué, sa carrière de magis­
plafonds de sa campagne de 2012, Les débats au fond n’ont pas trat est derrière lui, sans doute
dont il a fait appel. « Vous excuse­ commencé mais Nicolas Sarkozy veut­il croire que sa présence
S’émerveiller, se cultiver et s’évader rez ma véhémence, mais quand on expose déjà, en vrac, tous les retiendra davantage la sévérité de
au cœur d’un musée imaginaire est innocent, on est indigné », pré­ arguments qu’il compte plaider la plume de ses anciens pairs.
vient­il à la barre, farouchement pour sa défense. Il évoque deux Dans cette petite salle
déterminé à obtenir sa relaxe. jurisprudences récentes, de la d’audience du vieux palais de l’île
« Je conteste ma culpabilité avec Cour européenne des droits de de la Cité, moins solennelle que
Votre rendez-vous trimestriel chez votre marchand de presse et en librairie la plus grande force. Je conteste ma l’homme et de la cour d’appel d’autres, qui étrécit la distance
peine avec la plus grande force. Ma­ d’Aix­en­Provence (Bouches­du­ entre les prévenus et la cour et
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dame la Présidente, nous allons en­ Rhône), venues renforcer la limite le nombre de curieux, c’est
avec le code MUIDNN4A à saisir dans Clé Prismashop tendre les écoutes, je m’expliquerai protection des conversations le même dossier, mais ce n’est
sur chacune. Je suis un ancien prési­ entre un client et son avocat. Il déjà plus le même procès. p
dent de la République, je n’ai jamais s’en prend à la motivation du ju­ pascale robert­diard
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MERCREDI 7 DÉCEMBRE 2022 france | 13

A Aix­en­Provence,
Macron fait valoir
sa méthode pour l’école
Le chef de l’Etat a assisté pour la première
fois à une concertation dans le cadre du CNR

E mmanuel Macron n’a de


cesse de le répéter depuis sa
réélection : il souhaite une
« révolution copernicienne » au
sein de l’éducation nationale, en
s’accompagnent souvent les déci­
sions nationales.
Apporter des réponses locales
aux difficultés rencontrées par les
établissements à leur échelle est
pensant les solutions « établisse­ « le seul moyen de réussir à conju­
ment par établissement ». C’est de rer ce qui est aujourd’hui inaccep­
nouveau pour porter ce message table pour nous » en termes d’iné­
que le président de la République a galités de résultats et de « destin »,
assisté pour la première fois, lundi, a déclaré le président de la Répu­
à la conclusion d’une concertation blique, assis au côté de Pap Ndiaye,
menée dans le cadre du Conseil devant une assemblée d’ensei­
national de la refondation (CNR) gnants, d’élèves, de personnels de
au collège Jas­de­Bouffan, à Aix­ direction, de parents et de mem­
en­Provence (Bouches­du­Rhône). bres d’associations. L’école telle
L’occasion pour le chef de l’Etat, qu’il la souhaite « n’est pas “une” »,
une nouvelle fois, de se faire lui­ a ajouté Emmanuel Macron, en
même l’avocat de sa méthode, à marge de la réunion. « Il faut tenir
quelques kilomètres de la cité l’unité, j’y suis attaché, mais aussi
phocéenne, où le projet « Mar­ prendre en compte la diversité des
seille en grand » fait office de labo­ modèles », a­t­il insisté, car « l’uni­
ratoire à « l’école du futur », selon formité » ne « fonctionne pas ».
les termes d’Emmanuel Macron.
Des élèves protestent contre la fermeture du lycée parisien Georges­Brassens, à Paris, le 26 novembre. MARTIN BARZILAI/HAYTHAM-REA Soixante­trois écoles sur 472 font « Ces écoles sont libres »
désormais partie de l’expérimen­ A l’heure où les défis posés – à
tation et développent des projets l’échelle nationale – par la crise du
d’établissement dits innovants, recrutement, les inégalités ou le
du laboratoire de mathématiques manque de mixité sont nom­

Mobilisation à Paris contre à la « classe flexible ». Les nouvel­


les nominations d’enseignants
dans ces écoles sont soumises à
une commission qui sélectionne
breux, le modèle fait peu d’ému­
les et sa philosophie braque une
partie des enseignants. Basé sur
le volontariat, le CNR ne concerne

la fermeture de lycées artistiques


les candidats en fonction de leur pour l’instant qu’une minorité
motivation pour le projet. d’établissements. L’Elysée met en
Un modèle dont les effets n’ont avant le chiffre de 11 000 d’entre
pas pu être évalués mais que le eux qui se sont dits intéressés par
chef de l’Etat généralise, en invi­ la démarche, mais seuls 1 700 ont
La région met en avant la baisse de la démographie, et le rectorat l’objectif tant tous les établissements à déjà lancé une concertation, et
engager des concertations pour 3 560 prévoient de s’y engager
de mixité sociale pour justifier le transfert de ces établissements bâtir des projets qui pourront être dans les prochaines semaines.
financés par le fonds d’innova­ Quel est le projet pour les autres
tion pédagogique – 500 millions établissements, qui peuvent aussi
d’euros sur cinq ans. Le ministère avoir besoin de moyens supplé­

C’
est une histoire qui intra­muros, à mettre en regard comptait un peu plus d’une cen­ de l’éducation nationale a par mentaires, même s’ils ne les solli­
résume à elle seule avec le fort besoin de création de
Les enseignants taine d’élèves à la rentrée 2022. ailleurs dévoilé lundi aux syndi­ citent pas dans le cadre de projets
tous les paradoxes places en Ile­de­France – la prési­ et parents « On récupère beaucoup d’élèves cats un projet de décret prévoyant locaux ? « Ces écoles sont libres »,
de l’enseignement dence de la région évalue un be­ fâchés avec le système, qu’on arrive de créer une prime pour les tranche Emmanuel Macron,
public : comment faire vivre la soin de 30 000 places en lycée
d’élèves de à raccrocher par la photographie », professeurs participant à un pro­ selon qui la « dynamique » finira
mixité scolaire et offrir en même supplémentaires, d’ici à la fin des Brassaï craignent rapporte un enseignant qui ne jet financé par ce fonds, provo­ par convaincre. Pas de quoi rassu­
temps des enseignements atypi­ années 2020, dans les départe­ souhaite pas être cité. C’est le cas quant la colère des organisations. rer ceux qui s’inquiètent que la
ques ? Le 8 novembre, la région ments franciliens.
que ce transfert de la fille de Sophie Cano, élève en « Beaucoup de choses peuvent se méthode prônée par le chef de
Ile­de­France et le rectorat de Pa­ Pap Ndiaye évoque également, ne tue à petit feu 2de après un parcours difficile au faire de manière plus efficace si on l’Etat fragilise le caractère natio­
ris ont confirmé la fermeture de dans ce courrier que Le Monde a collège. « Les enseignants de 3e ont laisse la liberté au terrain », a nal de l’éducation, et renforce une
sept lycées à la rentrée 2023, ar­ pu consulter, un lycée « éloigné de
la filière photo énormément encouragé ma fille à répété Emmanuel Macron, lundi, école « à plusieurs vitesses ». p
guant d’une forte baisse d’effec­ sa vocation initiale » puisque, postuler, rapporte­t­elle, en met­ évoquant les « longs débats » dont éléa pommiers
tifs et de la vétusté de certains lo­ « en 2021­2022, seuls 44 % des élè­ tant en avant l’encadrement. Et de
caux. La nouvelle s’était répandue ves de 1re et 34 % des élèves de ter­ toutes les parties : le lycée Henri­ fait, ma gamine est transformée. »
parmi les parents d’élèves et les minale ont choisi une spécialité Bergson dispose de cinq gymna­ Le côté « familial » du lycée Bras­
enseignants parisiens, avant danse ou musique ». Un argument ses dont un va être réaménagé en saï laisse également un bon sou­

ÉLECTIONS UNIVERSITAIRES
même son annonce officielle. Elle qui fait bondir les parents. Au salle de danse, les classes conti­ venir à Paolo Roversi, photogra­
s’accompagne d’une réorganisa­ contraire, arguent­ils, le double nueront à être financées à hau­ phe, dont la fille a passé son bac à
tion de l’offre scolaire dans la capi­ cursus permet aux élèves de tirer teur de trente­cinq élèves pour Brassaï, en 2014. « La photographie
tale, avec le transfert de toutes les parti des autres spécialités du ly­ des groupes de trente, et le poste est un langage qu’il est bon d’ap­
formations vers d’autres lycées. cée général. « C’est tout l’intérêt de conseiller principal d’éduca­ prendre, surtout dans le monde
Parmi les établissements fer­ du dispositif, défend Ariane (elle tion du lycée Georges­Brassens d’aujourd’hui où l’on communique

APPEL À CANDIDATURES
més, deux sont à vocation artisti­ ne souhaite pas communiquer sera transféré à Bergson. Les élè­ de plus en plus par les images, ex­
que. Le lycée professionnel Bras­ son nom), mère d’une élève de 2de, ves affectés en filière générale plique l’artiste. Nous avions la
saï, dans le 15e arrondissement, membre de la Maîtrise populaire hors double cursus pourront, en chance d’avoir un lycée public et

à la Présidence
prépare au bac pro photographie. de l’Opéra­Comique. Les enfants outre, bénéficier du transfert des ouvert à tous consacré à l’image, je
Ses élèves vont être transférés ont le choix jusqu’au bout. Cer­ spécialités musique et danse. trouve dommage de le fermer. »
au lycée Louis­Armand, dans le tains deviendront artistes profes­ « J’entends les familles déstabili­ Car tous les opposants au projet
même arrondissement – ce der­
nier perdant au passage ses clas­
sionnels, d’autre non ! » sées par ce changement, assure
Claire Mazeron, directrice acadé­
tombent d’accord. Fermer un éta­
blissement culturel public, même
de l’Université d’Évry Paris-Saclay
ses de formation générale. Le ly­ « Pas un bon signal » mique de Paris chargée des lycées. pour rouvrir les mêmes classes
cée général Georges­Brassens, Du côté du ministère de l’éduca­ Mais, à moyen terme, je crois en ce ailleurs, n’est « jamais un bon si­
dans le 19e arrondissement, lui, tion nationale, on insiste sur le projet et je pense que la greffe gnal », comme le résume Jean­
est spécialisé dans les « double profil très favorisé du lycée, par prendra pour les futurs élèves, François Leroy, président du festi­
Pour candidater il faut être :
cursus » pour les élèves des ailleurs frappé par une forte baisse ceux qui postuleront directement val Visa pour l’image et signataire • enseignant-chercheur / enseignante-chercheuse,
conservatoires (Conservatoire na­ des demandes d’affectation : il ac­ en double cursus à Bergson. » d’une tribune publiée sur le site • ou chercheur / chercheuse,
tional supérieur de musique et de cueille 206 élèves avec un indice Au lycée Brassaï et dans son éta­ du Monde, qui s’oppose à la fer­
• ou professeur,
danse de Paris, conservatoires à de position sociale (IPS) moyen de blissement d’accueil, Louis­Ar­ meture du lycée Brassaï.
rayonnement régional de Paris et 154 – l’IPS est un indicateur qui mand, les inquiétudes sont égale­ L’ancien ministre de l’éducation • ou maître / maîtresse de conférences,
de Boulogne), et de la Maîtrise po­ permet d’établir le « profil » social ment partagées. Les enseignants et de la culture Jack Lang a égale­ • ou tous les autres personnels assimilés.
pulaire de l’Opéra­Comique. Tou­ d’un établissement, à partir de et parents de Brassaï réfutent l’ar­ ment pris position contre la fer­
tes ses divisions doivent être ceux de ses élèves ; à titre de com­ gument de la vétusté et craignent meture du lycée Georges­Bras­
transférées au lycée Henri­Berg­ paraison, l’IPS du lycée Henri­IV que l’établissement d’accueil sens dans des courriers adressés Le 31 janvier 2023 le Conseil d’Administration (CA)
son, également dans le 19e. n’est « que » de 147,6, pour une manque de place. Et que, à la suite au ministre de l’éducation, à la de l’université se réunira pour
Dans ces deux établissements, moyenne parisienne de 126,3. d’une dégradation des conditions ministre de la culture et au prési­ élire son ou sa nouvelle Président·e.
les parents d’élèves dénoncent la Dans le cadre d’un effort d’amélio­ d’études, qu’ils redoutent, ce dent de la République. Contacté
« brutalité » du changement, et re­ ration de la mixité sociale, le recto­ transfert ne tue à petit feu la fi­ par Le Monde, il s’inquiète des jus­
grettent de se voir imposer un éta­ rat de Paris prévoit que la bascule lière photo. Ce que la région ré­ tifications avancées. « La vétusté ? Les candidatures doivent être accompagnées d’une photocopie
blissement qu’ils n’ont pas choisi. vers le lycée Henri­Bergson amé­ fute, assurant qu’à l’inverse, le ly­ Ça se corrige, assure­t­il. La baisse d’une pièce d’identité, d’un Curriculum Vitae (1 page recto/verso
La majorité municipale du Conseil liorera l’attractivité de ce dernier, cée Louis­Armand accueillera dès des effectifs ? On peut en profiter
de Paris a voté, le 17 novembre, un qui souffre d’une mauvaise image. l’année prochaine un BTS photo, pour expérimenter autre chose. maximum) et d’un projet (6 à 10 pages recto maximum).
vœu contre la fermeture des sept Sur six classes de 2de générale, qua­ puis, dans un second temps, un Tout est affaire de volonté politi­
lycées. Des élus locaux se mobili­ tre devraient devenir des classes BTS audiovisuel. « J’entends par­ que, et je sais d’expérience que, si Clôture des candidatures : le vendredi 13 janvier 2023, 17h.
sent ; les députés ont été alertés. double cursus à la rentrée pro­ tout qu’on ferme des lycées profes­ on cède là­dessus, on cédera
Dans une réponse à la sénatrice chaine. Dans l’établissement, les sionnels à Paris, mais c’est faux : ailleurs. Et c’est comme ça que les
écologiste de la Gironde, Moni­ enseignants s’inquiètent : que de­ on ferme des bâtiments, pas des choses s’effilochent. »
que de Marco, qui l’interpellait viendront les adolescents qui formations », se défend James Les syndicats d’enseignants pa­ Détails sur www.univ-evry.fr
sur le cas du lycée Georges­Bras­ étaient affectés là auparavant ? Les Chéron, vice­président de la ré­ risiens ont prévu un meeting in­
sens, le ministre de l’éducation, moyens de ce lycée réputé difficile gion chargé des lycées. tersyndical, jeudi 8 décembre, www.univ-evry.fr
Pap Ndiaye, défend la décision de seront­ils maintenus ? Les élèves de ce lycée atypique contre les sept projets de ferme­
la région. Il évoque les 8 000 pla­ Le rectorat assure pourtant que sont pourtant nombreux à avoir ture de lycée. p
ces de lycée vacantes dans Paris des garanties ont été apportées à été séduits par sa petite taille – il violaine morin
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14 | france MERCREDI 7 DÉCEMBRE 2022

Des ouvriers « On est là pour


survivre, on
n’a pas le choix,
sans papiers on ne va pas
baisser les bras »

sur les chantiers


MOUSSA
travailleur malien

le centre aquatique de Marville

olympiques – future base d’entraînement des


équipes olympiques de water­
polo –, se sont encore fait connaî­
tre auprès du syndicat et de l’ins­
« Le Monde » a rencontré plusieurs pection du travail, le mécanisme
se serait grippé. « Je n’ai aucun si­
travailleurs clandestins sur des gnal politique du gouvernement
pour que le préfet prenne leurs dos­
sites des JO en Seine­Saint­Denis siers », regrette M. Guidou. Sollici­
tée, la préfecture du département
n’a pas donné suite.
Daouda Tounkara, 31 ans,
salaire. On appelle ça « travailler Cheickna Sarambounou, 39 ans,
sous alias ». Ses employeurs ? « Ils font partie de ces ouvriers dans
s’en foutent, dit Moussa. Ils ont l’attente. Ces deux Maliens racon­

C’
est un chantier juste besoin qu’on leur envoie des tent comment ils ont contribué,
comme un autre. papiers par WhatsApp pour faire sans être déclarés, à la rénovation
Un de plus où il est les badges d’accès, mais tu peux de la tour Pleyel à partir du mois
embauché comme leur en envoyer des différents à cha­ d’avril pour un sous­traitant de
manœuvre pour « piocher, faire que chantier. » Quant au donneur GCC. Depuis les contrôles de l’ins­
du béton, de la maçonnerie ou ran­ d’ordre principal, Spie Batignolles, pection du travail sur leurs chan­
ger le matériel ». Un de plus où il Moussa croise ses cadres au quoti­ tiers cet automne, les deux hom­
n’a « pas de contrat, pas de fiche de dien sans que sa présence ne sus­ mes sont sans travail, sans res­
paye, pas de congés ». Moussa cite d’interrogation – contactée, sources et sans perspective. Fin
(tous ceux dont seul le prénom fi­ l’entreprise n’a pas donné suite. novembre, leur ancien patron, un
gure ont requis l’anonymat pour Avant de rejoindre le secteur du ressortissant turc, a tenté de les re­
ne pas perdre leur travail) est payé bâtiment, Moussa a travaillé dans cruter à nouveau, dans les mêmes
80 euros la journée, qu’il termine à le nettoyage et la restauration. Sa conditions d’exploitation.
17 heures ou à 21 heures. Sans pa­ femme, restée au pays, a refait sa
piers et depuis treize ans en vie, et ses trois enfants ont grandi. « Il y en a d’autres, c’est évident »
France, ce Malien de 42 ans ne Il a demandé un titre de séjour « Il y a une certaine hypocrisie de la
prend pas le risque de réclamer en 2017, mais a essuyé un refus. part des autorités politiques qui
son dû. « On est là pour survivre, on En 2021, il a voulu retenter sa font comme si ces travailleurs
n’a pas le choix, même si les choses chance, mais il n’a pas eu de ren­ n’existaient pas alors que je pense
ne se sont pas passées comme on le dez­vous avant le printemps 2023 qu’il y en a d’autres, c’est évident »,
souhaitait, on ne va pas baisser les pour un dépôt de demande à la Moussa, travailleur commente Bernard Thibault, an­
bras », souffle­t­il. préfecture de Seine­Saint­Denis. en situation irrégulière, cien secrétaire général de la CGT et
Le chantier sur lequel il pointe le 28 novembre, coprésident du Comité de suivi
depuis presque quatre mois n’est Quelques titres de séjour à Saint­Denis. de la charte sociale de Paris 2024.
pas n’importe lequel puisqu’il A son image, combien de sans­pa­ CAMILLE MILLERAND/ Alors qu’un projet de loi pourrait
s’agit du village des athlètes des piers œuvrent sur les chantiers DIVERGENCE POUR « LE MONDE » faciliter la régularisation des tra­
Jeux olympiques et paralympi­ des JO, qui se veulent « un événe­ vailleurs sans papiers dans les sec­
ques de 2024. D’ici quelque six ment exemplaire en matière écono­ teurs en tension, la situation des
cents jours, celui­ci accueillera mique et sociale », selon les termes ouvriers des Jeux met en lumière
14 000 compétiteurs et leurs staffs, de la Solideo ? En mars, après un si­ même région ». Si le contrat de filet. » La Solideo assure avoir, de­ d’ordre attribue les tâches », ajoute l’apport de cette main­d’œuvre
à cheval sur les communes de gnalement de la CGT, un contrôle sous­traitance est confié à une puis ces événements, renforcé ses cette même source. clandestine et les limites du cadre
Saint­Denis, Saint­Ouen et l’Ile­ de l’inspection du travail a mis au seule entreprise par GCC, les tra­ procédures préventives. Antoine du Souich concède avoir réglementaire actuel.
Saint­Denis (Seine­Saint­Denis). jour une situation de travail illicite vailleurs non déclarés sont payés Sollicitée, l’inspection du travail « conscience qu’il y a une partie de Minkoro travaille sur les chan­
Une vitrine internationale pour concernant plusieurs Maliens sur par plusieurs autres sociétés. rapporte que « quelques situations gens sans papiers dans le BTP ». tiers des JO pour un sous­traitant
les majors de la promotion immo­ les chantiers du village des athlè­ Quelque temps après ce premier de travail illégal » auraient été révé­ Ceux qui ont été accompagnés par de GCC. Ce jeune homme ne sou­
bilière et du BTP, l’« incarnation de tes. Ils travaillaient pour un sous­ contrôle, quatre autres ouvriers lées à l’occasion de centaines de la CGT ont pu obtenir un titre de haite dévoiler ni son âge ni sa na­
l’urbanisme du XXIe siècle », selon traitant d’un autre mastodonte du sans papiers des mêmes chantiers contrôles sur les chantiers des JO séjour, bien qu’ils ne remplis­ tionalité ni son poste, de peur de
les termes de l’établissement pu­ BTP, l’entreprise GCC. olympiques se sont présentés à la en 2022. Elles se matérialisent par saient pas les critères de la circu­ perdre son travail. Il a trouvé un
blic chargé de la construction des « Nous avons immédiatement CGT. « Leur contremaître leur avait l’« utilisation de fausses cartes laire Valls, faute de bulletins de sa­ employeur qui accepte de le décla­
sites, la Société de livraison des mis un terme au contrat nous liant demandé de se cacher lors du pre­ d’identité européennes, la minora­ laire. Celle­ci prévoit la possibilité rer, mais il est encore loin de réu­
ouvrages olympiques (Solideo). à la société sous­traitante. Cette si­ mier contrôle », précise M. Guidou. tion des déclarations sociales, le d’une régularisation par le travail à nir les critères de la circulaire Valls
Sur site, plusieurs milliers tuation s’est donc réalisée à notre Un contrôle de l’inspection du prêt de main­d’œuvre illicite ou le la discrétion des préfets sous cer­ qui lui permettraient de prétendre
d’ouvriers et leur encadrement se­ insu », assure GCC, dans un mail travail le 9 juin a révélé une autre recours à l’intérim en infraction taines conditions, par exemple la à une régularisation.
raient actuellement présents. adressé au Monde. Une enquête situation de travail illégal avec plu­ aux règles du code du travail ». présence depuis trois ans sur le Koulou, a lui aussi la « chance »
Parmi eux, Moussa dit ne pas préliminaire a été ouverte en juin sieurs étrangers sans titre sur un Une source au ministère du tra­ territoire, une promesse d’embau­ d’être déclaré, par une agence d’in­
avoir croisé beaucoup de Français, par le parquet de Bobigny pour chantier connexe du village des vail rapporte, sous couvert d’ano­ che en CDI et 24 fiches de paie. térim qui l’envoie sur des chan­
mais des Ouest­Africains, « des « travail dissimulé », « emploi athlètes. « Un titulaire de marché a nymat, que les contrôles sur les D’après nos informations, le cas tiers olympiques. Lui non plus ne
Turcs, des Portugais ou des Ara­ d’étranger sans titre en bande or­ été un peu laxiste [avec son sous­ chantiers des JO révèlent souvent de ces ouvriers a été arbitré au ni­ remplit pas les critères pour tenter
bes ». Il se doute qu’il y a parmi eux ganisée » et « blanchiment ag­ traitant], et nous avons résilié le « des problèmes de fausse sous­ veau ministériel afin que le préfet de sortir de la clandestinité. En at­
d’autres travailleurs en situation gravé » de ces délits. marché », confie au Monde An­ traitance », c’est­à­dire le recours à de Seine­Saint­Denis leur délivre tendant, il supporte que la per­
irrégulière, mais « on parle de tout Jean­Albert Guidou, de la CGT de toine du Souich, directeur de la des prestataires qui ne se justifie­ des titres de séjour. Une exception. sonne qui lui prête des papiers
sauf de ça sur les chantiers ». Une Seine­Saint­Denis, qui a accompa­ stratégie et de l’innovation pour la rait pas par des nécessités techni­ Alors qu’une dizaine de nouveaux « bouffe [son] argent », ou que cer­
discrétion qui sied à tout le gné les travailleurs, décrit une « né­ Solideo. « Ça a été un électrochoc, ques mais viserait à se départir de travailleurs sans papiers, dont cer­ tains chefs de chantier lui parlent
monde. Moussa travaille avec les buleuse de sociétés, toutes dirigées se souvient­il. Même quand on ap­ la gestion de la main­d’œuvre. « Le tains sont intervenus sur la réno­ mal, quand d’autres le font pio­
papiers d’un compatriote en règle, par des ressortissants turcs ou fran­ plique des règles de vigilance, des sous­traitant n’a ni matériel pro­ vation de la tour Pleyel – futur hô­ cher du béton toute la journée. p
à qui il reverse une partie de son çais d’origine turque, venus de la choses passent entre les mailles du pre ni encadrement, le donneur tel de luxe pendant les JO – ou sur julia pascual

Débat sur l’immigration : le gouvernement défend sa future loi


Hausse des expulsions, réforme de l’asile, régularisations… l’exécutif devait présenter les grandes lignes de son texte, mardi, devant les députés

I l s’agit de « débroussailler » le
sujet. Mardi 6 décembre doit
se tenir à l’Assemblée natio­
nale un débat sans vote sur l’im­
migration, exercice au cours
Les propositions du gouverne­
ment s’articulent autour de trois
sujets principaux. D’abord, le ren­
forcement des expulsions, « et sin­
gulièrement [celles] des fauteurs de
Beauvau. Un chiffre à rapporter
aux 120 000 OQTF prises chaque
année par l’administration et
dont un très faible pourcentage
est exécuté (6 % en 2021). « Je crois
nin souligne fréquemment la
surreprésentation des étrangers
dans les actes de délinquance.

Opposition à droite
en généralisant les audiences avec
un juge unique, au détriment de la
procédure collégiale existante.
Troisième volet de la réforme : le
renforcement de l’intégration par
travail salarié de plusieurs mois
dans un métier en tension. » Le
travailleur n’aurait plus besoin de
l’appui de son employeur pour
demander sa régularisation.
duquel le gouvernement présen­ troubles à l’ordre public ». Alors que qu’il faut ne pas faire un court­cir­ « Avec plus de vingt textes de loi en le travail et par la langue, dont la Le projet de loi suscite une op­
tera son projet de loi sur l’immi­ le ministre de l’intérieur, Gérald cuit entre immigration et délin­ trente ans, la France ne cesse mesure la plus marquante position à droite, qui dénonce le
gration, dont l’examen au Parle­ Darmanin, a diffusé une circulaire quance », a défendu la première d’adopter des mesures toujours consiste à faciliter la régularisa­ risque d’une régularisation mas­
ment est annoncé début 2023. aux préfets le 17 novembre leur ministre, Elisabeth Borne, dans Le plus répressives », a dénoncé le tion des travailleurs sans papiers sive, sans emporter l’adhésion de
La question est entière enjoignant de délivrer plus d’obli­ Figaro lundi, alors que M. Darma­ même jour un collectif d’associa­ dans les secteurs en pénurie de la gauche. Le gouvernement veut
aujourd’hui de savoir qui pourrait gations de quitter le territoire tions parmi lesquelles Amnesty main­d’œuvre. Alors que ceux­ci croire que certains chez Les Répu­
voter le texte et à quels compro­ (OQTF), il entend simplifier le International, la Cimade ou le sont aujourd’hui soumis à la blicains sont prêts à négocier et
mis est disposé l’exécutif pour contentieux administratif contre Secours catholique, appelant à circulaire de 2012, dite « Valls », lis­ qu’une partie de la gauche pour­
trouver une majorité. Jusque­là, il les mesures d’éloignement ou, en « La France ne « mettre fin aux discours liant im­ tant les critères selon lesquels une rait à terme voter les dispositions
s’est efforcé de vanter l’équilibre cas de délits graves, lever des pro­ migration et délinquance » et aux personne peut déposer une de­ sur le travail. « Le texte n’est pas
de son projet. Il s’agit d’« éloigner tections contre l’expulsion dont
cesse d’adopter atteintes au droit d’asile. A travers mande de titre, qu’appliquent de finalisé, clairement », assuraient,
ceux qui doivent l’être et de mieux bénéficient certains immigrés. des mesures son projet de loi, le gouvernement façon discrétionnaire les préfets, lundi, les services de Matignon,
intégrer ceux qui ont vocation à « Environ 4 000 individus par an souhaite en effet réformer la struc­ le projet de loi prévoit la création conscients en même temps qu’un
rester sur le territoire », a résumé pourraient être expulsés avec la
toujours plus ture de la Cour nationale du droit d’un titre de séjour de plein droit débat sur l’immigration « est sus­
Matignon, lundi 5 décembre, en levée de ces réserves, qui sont liées répressives », d’asile, en répartissant sur le terri­ d’un an renouvelable. « Il y aurait ceptible de déchaîner un certain
présence des représentants des dans 70 % des cas au fait que la per­ toire ses chambres, aujourd’hui des conditions, précise­t­on au mi­ nombre de passions et [de susciter
ministères de l’intérieur, du sonne est arrivée en France avant
ont dénoncé réunies en un seul lieu à nistère du travail, une résidence de des] instrumentalisations ». p
travail et de la justice. ses 13 ans », précise­t­on Place des associations Montreuil (Seine­Saint­Denis) et plusieurs années en France et un j. pa.
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MERCREDI 7 DÉCEMBRE 2022 campus | 15

Face à l’inflation, le rude quotidien des étudiants


La hausse des prix et la réduction des aides familiales précarisent les jeunes issus de la classe moyenne

I
l y a comme un sentiment de
déjà­vu. Devant les distribu­
« On demande
tions alimentaires, les inter­ une réponse
minables files d’attente d’étu­
diants n’ont jamais désempli de­
structurelle
puis le début de la crise du Co­ et systémique
vid­19. Les images semblent
identiques à celles des hivers 2020
à un enjeu
et 2021. Mais la précarité tape dé­ générationnel »
sormais à toutes les portes, tant
FÉLIX SOSSO
l’inflation fragilise une population
porte-parole de la Fédération
aux finances déjà instables. La ga­
des associations
lère ne s’invite pas que dans les
générales étudiantes
chambres des centres régionaux
des œuvres universitaires et sco­
laires de 9 mètres carrés : elle s’im­
misce aussi chez les étudiants is­ APL, etc. Le tout pour une dépense
sus de la classe moyenne, seuls ou de 300 millions d’euros, auxquels
en colocation, dont les parents ga­ s’ajoutent 10 millions d’euros
gnent « trop » pour qu’ils soient d’aide aux associations de distri­
éligibles aux bourses sur critères bution alimentaire aux étudiants.
sociaux, ou dont les familles, elles­ « Il ne s’agit pas que de signer des
mêmes touchées par l’augmenta­ chèques en bout de chaîne pour
tion des prix, ne peuvent plus met­ combler la précarité lorsqu’elle
tre la main à la poche pour conti­ existe déjà, assure­t­on au minis­
nuer à les aider. tère. On veut aussi avoir une ré­
A 19 ans, Laudine culpabilise de flexion de long terme pour dépas­
« faire payer » ses parents, tous les ser les limites du système de bour­
deux professeurs en lycée. Après ses. » Si une concertation sur le su­
deux années de classe prépa à Poi­ jet a été lancée le 7 octobre, les
tiers, la jeune femme a été accep­ associations étudiantes restent
tée dans une prestigieuse double prudentes : « On ne veut pas d’un
licence à la Sorbonne. « J’ai vrai­ empilement de mesures palliati­
ment hésité à venir à Paris, à cause ves, martèle Félix Sosso, étudiant
des prix, raconte cette aînée d’une en médecine et porte­parole de la
fratrie de quatre. Mes parents, sé­ Fédération des associations géné­
parés, se sont beaucoup disputés à ANNA WANDA GOGUSEY rales étudiantes. On demande une
ce sujet. » réponse structurelle et systémique
Non boursière, car « juste à la li­ à un enjeu générationnel. Cet hi­
mite », Laudine a trouvé à se loger gie et des biens de première néces­ 500 euros par mois. Mais, à Parmi les bénéficiaires de Lin­ ver, les étudiants vont encore de­
dans un foyer d’étudiantes tenu sité, conjuguée à la réduction des
« Quand le prix 24 ans, c’est la première fois kee, deux tiers des étudiants dis­ voir vivre une vie monastique… »
par des bonnes sœurs. C’est son aides familiales potentielles, ris­ des pâtes qu’elle n’a plus d’autre option que posent d’un reste à vivre de moins En attendant, les distributions
père qui finance l’intégralité de que d’aggraver leur précarité. « Les d’aller aux distributions alimen­ de 50 euros. « Je défie quiconque alimentaires permettent quelques
son loyer : 600 euros pour une étudiants ont peu de sources de re­
augmente de taires. « L’année dernière, j’étais en­ de vivre avec 12,50 euros par se­ bouffées d’air. « Linkee, ce n’est pas
chambre de 10 mètres carrés, avec venu, ils doivent continuer à gérer 20 %, ça touche core un peu aidée par ma mère, in­ maine ! », s’agace Julien Meimon. vital pour moi : ça me permet de
cuisine commune et toilettes sur comme ils le peuvent… » génieure au Canada. Elle a un bon L’alimentation devient alors la garder un seuil », relativise Jeanne,
le palier. « Mais c’est tout compris, Sur le terrain aussi, les associa­
davantage salaire mais elle est passée à mi­ première variable d’ajustement : Parisienne de 23 ans en « coloca­
et le petit déj est inclus ! », précise tions de distribution alimentaire les étudiants temps après un burn­out et conti­ 97 % des bénéficiaires disent se tion » avec sa mère et deux copi­
l’étudiante. Pour tout le reste, sa sont en alerte. « Je n’ai pas le titre nue de soutenir ma petite sœur », restreindre sur la quantité et sur nes. « Si on ne pratiquait pas la
mère lui donne 180 euros par mois d’économiste mais je peux dire
que ceux raconte l’étudiante qui cumule la qualité de leurs repas. Laudine sous­location avec ma mère, artiste
– 80 euros pour ses billets de train qu’on observe une paupérisation qui mangent des deux masters de « recherche en avoue récupérer du pain de mie graveuse, on serait à la rue, pour­
pour Poitiers, 100euros pour man­ violente et massive des classes droit », à l’université Paris­Nan­ au petit déjeuner du foyer pour se suit l’étudiante en sciences socia­
ger. « Elle ne peut pas faire plus, elle moyennes en France », lâche Julien
graines de chia » terre, et jongle avec « un emploi du préparer des sandwichs pour le les, ouvreuse dans une salle de
est déjà obligée de donner des cours Meimon, président et fondateur JULIEN MEIMON temps rempli à ras bord », qui ne midi : « A la Sorbonne, le resto U concerts. En tout cas, on ne pour­
particuliers pour pouvoir m’aider. de l’association Linkee – qui distri­ président et fondateur lui permet pas d’avoir un petit ressemble plutôt à une cafète, j’ai rait pas avoir un toit dans Paris. »
Quand je rentre, pour économiser bue des colis alimentaires aux étu­ de l’association Linkee boulot à côté. Son père – « un arrêté d’y aller. A 3,30 euros le re­ Sa colocataire Marlène est assi­
sur les courses, elle me prépare diants –, qui n’en finit pas de bat­ genre de MacGyver qui fait du bri­ pas, après, j’avais encore faim… » due aux distributions. En plus des
aussi quelques plats congelés. » tre de « tristes records » d’affluence. colage au black » – vit en autosuf­ jeudis soirs dans le 20e arrondisse­
« Quand le prix des pâtes augmente fisance dans le sud de la France et « Je me suis effondrée » ment près de chez elles, l’étudiante
Déserter les supermarchés de 20 %, ça touche davantage les n’a pas d’argent à lui donner. Dans l’entourage de la ministre de à l’Ecole des hautes études en
Accordées en fonction des res­ étudiants que ceux qui mangent du Comme beaucoup, Chloé a fini l’enseignement supérieur et de la sciences sociales récupère un colis
sources des parents et des charges quinoa et des graines de chia… » par déserter les supermarchés recherche, Sylvie Retailleau, on se Linkee chaque lundi midi sur son
liées aux caractéristiques de la fa­ Selon une récente étude de Lin­ – « désolée, mais c’est du vol ». Pour dit conscient de l’urgence : « Si campus, à Aubervilliers (Seine­
mille, les bourses comptent kee menée auprès de 3 800 béné­ se loger à Paris, elle a dégoté « un tout allait bien, on ne serait pas en Saint­Denis), quitte à se « trimbal­
huit échelons, du plus élevé ficiaires de l’aide alimentaire, si bon plan » qu’elle partage avec des train de sortir des millions. » En ré­ ler un sac de patates toute la jour­
(5 965 euros annuels) au plus bas les premières sources de revenu intermittentes du spectacle : une ponse à l’inflation, en plus d’une née. » « Je ne me dis pas : ô rage, ô
(1 084 euros annuels). Cette venti­ sont les aides financières des pro­ chambre qu’il faut traverser pour revalorisation des bourses de 4 %, désespoir, je suis précaire ! Mais
lation des montants par échelon ches, près d’un étudiant sur deux aller à la cuisine, dans un logement plusieurs mesures ont été lancées c’est intenable de faire attention
entraîne des effets de seuil et ex­ n’est pas aidé par sa famille : de 30 mètres carrés sans salon ni depuis la rentrée : gel des droits tout le temps, ça distrait des études.
clut toute une population issue « Cette situation est souvent plus machine à laver, pour 370 euros d’inscription à l’université, aide La dernière fois, j’ai parlé à une psy­
des classes moyennes. Par ailleurs, subie que choisie, mais joue forte­ par mois. Une fois les 50 euros de exceptionnelle de 100 euros pour chologue à la distribution et je me
ce système de protection sociale ment sur leur possibilité d’accéder charges payés et l’abonnement les étudiants boursiers et tous suis effondrée. » Depuis qu’elle par­
étant « familialisé » – les étudiants à certaines aides publiques. » Seuls aux transports réglé, « il ne reste ceux recevant les APL, prolonga­ ticipe aux collectes, la Franco­
sont d’abord considérés comme 21 % des étudiants interrogés bé­ plus grand­chose ». « C’est une tion du repas à 1 euro pour les Américaine de 23 ans, fille d’une
les enfants de leurs parents, avant néficient d’une bourse du Crous, grosse charge mentale de faire at­ boursiers et les « étudiants en si­ interprète et d’un musicien, goûte
d’être des adultes autonomes –, contre 38 % à l’échelle nationale. tention à tout. J’ai fait les vendan­ tuation de précarité » [en attente au « luxe de Noël » d’une orange
certains jeunes restent plus dé­ Chloé, elle, est boursière éche­ ges cet été, j’ai gagné 1 500 euros : je de l’analyse de leur dossier par le pressée tous les matins. p
pendants de la solidarité familiale, lon 5. Elle reçoit un peu moins de tape dedans tous les mois. » Crous], augmentation de 3,5 % des léa iribarnegaray
et tous ne peuvent travailler à côté.
Selon la dernière enquête « Con­
ditions de vie » de l’Observatoire
de la vie étudiante, publiée
A Grenoble, contre la précarité énergétique, les jeunes se serrent les coudes
en 2020, près de 43 % du budget
mensuel des étudiants issus de « si à 16 heures on nous signale un étudiant à la rue, on hébergement temporaire. « La métropole grenobloise perposer les plaids et les chaussettes… », confie Robinson,
classes moyennes provient de leur fera en sorte que, à 18 heures, il sache où dormir », déclare n’est pas identifiée comme un lieu de tension forte sur le lo­ qui a déjà dépanné une amie dont l’appartement pou­
famille, contre 32 % chez les étu­ Emmy Marc, présidente de l’Union des étudiant⋅e⋅s de gement étudiant », précise pourtant Bénédicte Corvai­ vait descendre à 10 °C la nuit. La précarité énergétique
diants de classes populaires. Grenoble (UEG), premier syndicat du campus de l’uni­ sier, directrice générale du Crous Grenoble­Alpes. Quel­ touche surtout les étudiants, beaucoup louant des pas­
« Les bourses n’ont pas pour ob­ versité Grenoble­Alpes. Un hébergement d’urgence que 11 350 logements étudiants accueillent une part des soires thermiques équipées de systèmes de chauffage
jectif de promouvoir l’indépen­ temporaire, pour une à trois nuits, le temps que les servi­ 63 000 étudiants de la métropole, selon l’observatoire très énergivores. « Le logement est une question moins vi­
dance des étudiants, mais plutôt ces universitaires puissent mettre en place une aide plus territorial du logement des étudiants du sillon alpin. sible que la précarité alimentaire, estime Robinson, syn­
de soutenir les parents qui n’ont pérenne. Cette solidarité a permis à Amadou, jeune Sé­ diqué et très sensible à la question. Beaucoup n’osent pas
pas les moyens d’aider leurs en­ négalais arrivé à Grenoble mi­septembre, de ne pas pas­ « Superposer plaids et chaussettes » parler du fait qu’ils ne se chauffent pas. »
fants, regrette Tom Chevalier, ser sa première nuit dehors. « Je suis arrivé de Paris à Les autres se tournent vers les bailleurs privés ou sont Peu d’études portent sur le sujet. En 2020, à Grenoble,
chargé de recherches au CNRS et 7 heures du matin, avec ma petite valise, sans rien », se hébergés chez des proches. « En revanche, poursuit la di­ la chaire Hope de la Fondation Grenoble INP a lancé une
auteur de La Jeunesse dans tous souvient­il. Rapidement orienté vers le syndicat, il a pu rectrice du Crous, l’enjeu est de maintenir du logement à enquête auprès des étudiants. « La qualité énergétique
ses états (PUF, 2018). Cette politi­ être hébergé chez Robinson, 22 ans, étudiant en mas­ tarif social, qui soit accessible pour les étudiants. » D’an­ n’intervient quasiment jamais dans les critères de choix
que familiale entraîne des consé­ ter 2 à l’Ecole nationale supérieure d’architecture de née en année, le logement a pris une place de plus en du logement », remarque Déborah Sauvignet, chargée
quences en cascade. Cela fragilise Grenoble. « Jusqu’à 18 heures le soir, je m’inquiétais… plus conséquente dans le budget étudiant. L’association d’études habitat et observation à l’agence d’urbanisme
les jeunes et reflète les inégalités : mais, une fois chez lui, j’ai retrouvé un esprit tranquille. InterAsso Grenoble­Alpes estime le montant du loyer de la région grenobloise. Résultat : un tiers des étudiants
on fait porter sur les épaules des fa­ Un lit et une douche m’attendaient », raconte Amadou. étudiant moyen, charges incluses, à 495,25 euros dans la interrogés déclarent souffrir du froid – surtout dans le
milles le soin d’aider les étudiants Ensuite, une aide d’urgence lui a permis de passer quel­ capitale des Alpes – soit 43 % des dépenses mensuelles – parc privé, avec des conséquences sur leur santé.
– si tant est que la famille soit aisée ques nuits en auberge de jeunesse tout en montant un sans compter l’assurance et les frais d’agence. Cette année, la combinaison de l’inflation et de la crise
et que le jeune soit en bons termes dossier de demande de chambre auprès du Centre ré­ La solidarité entre étudiants, renforcée depuis la crise énergétique préoccupe les associations. L’augmenta­
avec ses parents. » gional des œuvres universitaires et scolaires (Crous). sanitaire, permet de parer au plus pressé. « Nous avons tion de 15 % des factures d’électricité et de gaz risque de
Dans ce contexte d’inflation, le Tous les ans, des étudiants se retrouve sans logement dit oui spontanément, en apprenant la situation dans l’ur­ mettre en grande difficulté les étudiants les plus précai­
chercheur s’inquiète d’un effet ci­ au début de l’année universitaire. Un phénomène qui gence », se souvient Robinson, qui a hébergé Amadou. La res. Mi­octobre, sur le campus grenoblois, l’UEG a recou­
seaux générant une perte mécani­ touche surtout des étrangers dont la demande de place colocation de cinq personnes accueille régulièrement vert une œuvre d’art de couvertures de survie, dénon­
que du pouvoir d’achat des étu­ en Crous n’a pas été anticipée, ou des étudiants qui arri­ étudiants de passage ou amis sans chauffage. « Nous çant un « torrent de précarité ». p
diants : la hausse du prix de l’éner­ vent dans la région sans famille ou amis pour assurer un sommes beaucoup à ne pas nous chauffer l’hiver et à su­ oriane raffin
ÉCONOMIE & ENTREPRISE
0123
16 | MERCREDI 7 DÉCEMBRE 2022

COMMERCE

L’Europe en quête 
d’une riposte au 
protectionnisme 
américain
Le plan de soutien de Joe Biden à l’industrie
verte américaine suscite la crainte
d’une désindustrialisation européenne

bruxelles ­ bureau européen conseil ministériel du commerce et de la


technologie Etats­Unis­Union européenne,

C
e n’est pas encore une hémor­ cette enceinte censée accompagner le renou­
ragie mais ça pourrait le deve­ veau des relations transatlantiques après l’ère
nir. Chaque jour, en Europe, un Trump qui tenait sa 3e édition à l’université
industriel annonce qu’il va in­ du Maryland. Mais personne n’en attendait
vestir aux Etats­Unis ou qu’il y grand­chose, à commencer par le commis­
songe. En Allemagne, on a ap­ saire au marché intérieur, Thierry Breton, qui
pris que les constructeurs automobiles Volks­ avait d’ailleurs décidé de ne pas s’y rendre.
wagen et BMW voulaient y accroître leur ca­
pacité de production ou encore que le suédois RETARD AU DÉMARRAGE
Northvolt pourrait y ouvrir la gigafactory de De fait, la réunion – à laquelle participait côté
batteries qu’il devait installer outre­Rhin. américain le secrétaire d’Etat, Antony Blin­
En Belgique, le chimiste Solvay a décidé de ken, la secrétaire au commerce, Gina Rai­
participer à un projet géant de batteries mondo, la représentante au commerce, Ka­
outre­Atlantique. Le français Saint­Gobain va therine Tai, et côté européen, les vice­prési­
s’agrandir en Californie. Quant à l’énergéti­ dents de la Commission européenne, Valdis
cien espagnol Iberdrola, il souhaite consacrer Dombrovskis et Margrethe Vestager – n’a pas Joe Biden et
au Nouveau Monde près de la moitié de ses permis d’avancée. Avec l’IRA, « le plus impor­ Emmanuel
investissements des prochaines années… tant, c’est que les Etats­Unis s’attaquent à la Macron, face celle du Covid ou de l’énergie, la présidente de présentants du patronat à agir l’ont convain­
Entre les prix de l’énergie, trois à quatre fois lutte contre le changement climatique », a au Washington l’exécutif communautaire a mis du temps à cue de se saisir du sujet. Le voyage d’Emma­
plus élevés sur le Vieux Continent, et l’Infla­ conclu Margrethe Vestager… Monument, lors réagir. Cette fois, il lui aura fallu trois mois et nuel Macron aux Etats­Unis, du 29 novembre
tion Reduction Act (IRA) du président Joe Bi­ Après un retard au démarrage – le 16 août, de la cérémonie demi pour amorcer les grandes lignes d’un au 2 décembre, au cours duquel le président
den – une enveloppe de 370 milliards de dol­ Ursula von der Leyen se félicitait dans un d’accueil à la plan de bataille. Attachée à la relation transat­ français a mis en garde Joe Biden contre le ris­
lars (352 milliards d’euros) destinée à doper tweet que l’IRA pose « les bases d’une écono­ Maison Blanche, lantique et aux règles de l’OMC, soucieuse de que de « fragmenter l’Occident », a sans doute
l’industrie verte américaine à coups de cré­ mie de l’énergie propre » –, la présidente de la jeudi 1er décembre. garder un front uni entre l’UE et les Etats­Unis aussi accéléré sa mue. « On a vu un Macron
dits d’impôts et de subventions réservés au Commission commence à réfléchir à la JEAN-CLAUDE COUTAUSSE face à Moscou en ces temps de guerre en porte­parole de l’UE aux Etats­Unis. Il fallait
« made in America » –, les Etats­Unis sont plus contre­offensive européenne. Le 4 décembre, POUR « LE MONDE » Ukraine, Ursula von der Leyen ne souhaitait que von der Leyen reprenne le leadership »,
attractifs que jamais. Face à l’ampleur du dé­ devant le Collège d’Europe à Bruges, elle a jugé pas entrer en conflit avec Washington. analyse une source européenne.
sastre annoncé, les Européens s’inquiètent. que l’IRA « exige une réponse structurelle » des L’inquiétude croissante de Berlin pour son « Une guerre commerciale coûteuse n’est pas
Lundi 5 décembre, le sujet a été évoqué par le Vingt­Sept. A chaque crise, qu’il s’agisse de industrie ainsi que les appels répétés des re­ dans notre intérêt, ni dans l’intérêt des Améri­

Longtemps, la France est restée sourde aux défauts du libre­échange


Economistes et politiques évitent le terme de « protectionnisme », mais c’est bien une préférence européenne que promeut M. Macron

ANALYSE mandat d’Emmanuel Macron. Re­


mettant ainsi au goût du jour une « UNE USINE QUI FERME, 
le sujet, craignant d’être récupérés
par l’extrême droite, qui a fait
échange et contre le protection­
nisme », confirme Nicolas Du­
Chine. La croyance alors est qu’il
s’agira d’un phénomène de rat­

P rès de deux ans après


son investiture, c’est en­
core Joe Biden qui dicte
l’agenda européen. Célébré pour
son plan de relance à 2 000 mil­
forme de protectionnisme auquel
l’Europe, Allemagne en tête, re­
fuse absolument d’avoir recours.
Le chef de l’Etat évite toutefois
d’utiliser ce terme très connoté.
C’EST UNE PERMANENCE 
RN QUI OUVRE », 
A COUTUME DE DIRE
sienne l’idée de la préférence na­
tionale. « Le seul fait de dire que la
désindustrialisation est un pro­
blème vous exclut du consensus
des économistes, regrette François
fourcq, le patron de Bpifrance qui
explore cette question dans son
récent ouvrage, La Désindustriali­
sation de la France, 1995­2015. « Je
ne me souviens pas d’avoir assisté
trapage, qui ne durera pas. Et que
l’avenir en Occident est au ter­
tiaire, réservoir d’emplois face à
la fermeture d’usines et au chô­
mage de masse. « Beaucoup ont
liards de dollars (environ « En France, le protectionnisme, Geerolf. Jusqu’ici, tenir ce discours, à un début de débat de doctrine au cru que l’industrie était l’affaire
1 908 milliards d’euros) au sortir c’est mal », résume Hakim El Ka­
BRUNO LE MAIRE c’était tenir un discours populiste. » moment des accords du GATT ou des pays à bas coût et que la France
de la pandémie de Covid­19, voilà roui, essayiste et consultant, dont En France, le débat n’a jamais quand la Chine est entrée dans devait se spécialiser dans les bu­
le président américain passé l’ouvrage L’Avenir d’une exception contre Arnaud Montebourg » à vraiment été ouvert, et s’est plu­ l’OMC en 2001. Il y avait cette idée reaux d’études et les services »,
« du mauvais côté de la force » (2006) dénonçait les risques de l’époque où il défendait le « made tôt déplacé sur la façon dont le de l’infaillibilité des marchés, qui abonde l’ancien patron Louis Gal­
avec l’Inflation Reduction Act délitement social inhérents au li­ in France », souligne François Gee­ pays a réagi au choc de la mondia­ ne pouvaient pas faire de victimes. lois dans un entretien au Figaro.
(IRA), selon les propos du minis­ bre­échange. « On considère impli­ rolf, professeur d’économie à lisation. « Même chez les écono­ Nous avons ignoré la profondeur Incités par les travaux des écono­
tre de l’industrie français, Roland citement que c’est ce qui a mené à UCLA (Californie), qui rappelle au mistes, c’est sacrilège de remettre du drame qui se préparait. » mistes, les responsables politi­
Lescure, qui s’exprimait le 16 no­ la seconde guerre mondiale. Ce passage que « Joe Biden s’est en­ en question quarante ou cin­ L’extrême gauche, qui tentait ques successifs choisissent de ré­
vembre lors d’une conférence or­ n’est pas du tout dans la culture touré d’économistes hétérodoxes ». quante ans de libre­échange dé­ d’alerter, avait un discours « pas pondre en aidant les bas salaires,
ganisée par Business France. politique et économique des élites Le sujet est pourtant éminem­ bridé », abonde l’entrepreneur crédible, car très exagéré », juge­ solution la plus efficace pour créer
Ce texte, qui prévoit près de françaises. » Pourtant, même le ment politique : « Une usine qui Denis Payre, qui plaide dans son t­il. Et alors que l’Allemagne choi­ de l’emploi rapidement et afficher
400 milliards de dollars de dé­ Medef a changé de discours sur la ferme, c’est une permanence RN livre Le Contrat mondial pour un sit de répondre avec la réforme de des résultats. Ce qui aboutit au dé­
penses, va subventionner massi­ politique commerciale, rappelle­ qui ouvre », a coutume de dire le libre­échange réservé aux pays son marché du travail et les lois veloppement d’emplois de ser­
vement les industriels améri­ t­il. « On parle de réciprocité, mais ministre de l’économie, Bruno partageant les mêmes normes fis­ Hartz en 2002, le gouvernement vice, souvent précaires, tandis que
cains avec des clauses de préfé­ dans les faits, ça n’est jamais ap­ Le Maire. Plusieurs économistes cales, sociales et environnemen­ Jospin « met en place les 35 heu­ les emplois industriels, mieux
rence nationale, incitant au pas­ pliqué. Alors qu’en en substance, ce américains, comme Dani Rodrik à tales. « Il y a un suivisme, voire un res… quinze jours après l’entrée de payés, sont ceux dont la dispari­
sage les entreprises européennes que Joe Biden dit aux Européens, Harvard, ou David Autor au MIT, panurgisme incroyable dans les la Chine dans l’OMC », déplore­t­il. tion altère le plus le tissu social. Un
à localiser leur production aux c’est : “Faites pareil”. » ont montré que les zones les plus milieux académiques français. Si mouvement qui a commencé à ra­
Etats­Unis, où elles profiteraient exposées à la concurrence de pays les Etats­Unis ont fini par adopter Rattrapage lentir à partir de 2012, avec les me­
en sus des bas prix de l’énergie. « Sacrilège » à bas salaires sont les plus suscep­ ce texte protectionniste, c’est parce A cette même époque, la notion sures inspirées du rapport Gallois
La France tente, depuis, de struc­ Les économistes sont eux aussi tibles de se polariser politique­ que la Chine subventionne son in­ de politique industrielle – « ce truc pour la compétitivité. Reste à sa­
turer une réponse autour d’un embarrassés à l’idée du protec­ ment. Mais tandis qu’une partie dustrie depuis vingt ans ! » de pays soviétique », ironise Denis voir si la France parviendra à por­
« Buy European Act », dans l’es­ tionnisme, associé aux rentes, de la communauté des économis­ Lorsque le concept de mondia­ Payre – prend une coloration pé­ ter un texte défendant une forme
poir de préserver les entreprises quand le libre­échange favorise la tes anglo­saxons a évolué dans le lisation commence à s’impo­ jorative, alors même qu’elle est au de « préférence européenne », à re­
européennes en même temps concurrence et les prix bas pour le sillage de la victoire de Trump puis ser dans les années 1990, les éco­ cœur du développement des bours d’un modèle allemand très
que l’objectif de souveraineté in­ consommateur. « On n’a pas idée du Brexit en 2016, peu d’universi­ nomistes « étaient dans la doxa économies asiatiques que sont le dépendant des exportations. p
dustrielle, au cœur du second du consensus des économistes taires français se sont penchés sur de l’époque, favorable au libre­ Japon, la Corée, Taïwan puis la elsa conesa
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MERCREDI 7 DÉCEMBRE 2022 économie & entreprise | 17

« America First », une


très ancienne doctrine
De Trump à Biden, un consensus protectionniste
s’impose. Un retour à l’isolationnisme du XIXe siècle

new york ­ correspondant plique Douglas Irwin, dans une


histoire monumentale du com­ ENTRE 1944 ET 1950, 

A vec Donald Trump, les


Européens avaient redé­
couvert les droits de
douane américains. Avec Joe
Biden, ils expérimentent les char­
merce américain (Clashing over
Commerce, a History of US Trade
policy, the University of Chicago
Press, 2017, non traduit), que re­
prend largement cet article.
LES DROITS DE DOUANE 
PASSENT DE 33 % À 13 %, 
LES MULTINATIONALES 
mes des aides d’Etat. Cet été, ils Après la guerre de Sécession, le
n’ont pas réagi : le Chips Act et Nord industriel prend le pouvoir
AMÉRICAINES 
l’Inflation Reduction Act (IRA), et des droits explosent. L’indus­ CONQUIÈRENT LA PLANÈTE
tous deux promulgués en août, trie américaine connaît un âge
subventionnent massivement d’or, avec les magnats du pétrole
l’industrie des microprocesseurs (Rockefeller), de l’acier (Carnegie), tout comme celles exigeantes en
et des énergies renouvelables. de l’électricité (Edison), de la ban­ capitaux mais syndiquées comme
Mais les Européens eux­mêmes que (JP Morgan). Difficile de criti­ la sidérurgie. Les années Reagan
n’avaient­ils pas fait pareil juste quer le protectionnisme alors que voient l’effondrement de l’auto­
avant, inondant de subventions, l’Angleterre libre­échangiste fait mobile et sont ambiguës : un dis­
en France et en Allemagne, la plutôt moins bien. « Nous som­ cours favorable à la libre entre­
gloire déchue Intel et le secteur de mes la première des nations en prise, mais aussi une volonté de
l’énergie ? Sauf que dans ce matière agricole, minière, manu­ protéger l’industrie américaine,
monde qui émerge, les Amé­ facturière. Ce sont les trophées que dans un pays frappé par une dou­
ricains laissent sur place les Euro­ nous rapportons après vingt­neuf ble récession et l’envolée du dollar
péens, avec 280 milliards de dol­ ans de droits de douane protec­ en raison de la hausse des taux. Les
lars (267 milliards d’euros) pour le teurs », se réjouit en 1890 le répu­ pressions protectionnistes sont
Chips Act, 370 milliards de dollars blicain William McKinley, futur immenses. La solution trouvée est
pour l’IRA. président des Etats­Unis. double : les Japonais acceptent des
La bascule trumpiste était Après la première guerre mon­ accords de limitation « sponta­
d’abord économique – récupérer diale, les agriculteurs subissent née » de leurs exportations auto­
les emplois industriels déloca­ l’effondrement des cours mon­ mobiles tandis que les construc­
lisés pour séduire l’électorat diaux et deviennent eux aussi teurs nippons et allemands s’im­
ouvrier blanc. Celle de Biden est protectionnistes. C’est ainsi que plantent dans le Sud, non syndi­
nationaliste, après que les Etats­ sont votées les barrières douaniè­ qué. Quarante ans avant Biden et
Unis ont découvert qu’ils ne pro­ res dites Hawley­Smoot, par le Sé­ Trump, la leçon est donnée : pour
duisaient plus sur leur territoire nat avant le krach d’octobre 1929, vendre aux Etats­Unis, il faut pro­
les microprocesseurs à applica­ par la Chambre des représen­ duire aux Etats­Unis.
tion militaire les plus avancés (ils tants, après. Ces droits ont été ac­
sont fabriqués par le taïwanais cusés d’avoir accentué la Grande Les leçons des années 1930
TSMC ou le coréen Samsung). Dépression, même si la crise était L’Amérique se redresse et a des
M. Biden parachève le concept avant tout financière et sociale. atouts offensifs à faire valoir dans
lancé par M. Trump : le « Make Avec l’arrivée en 1933 de Franklin les services. Ainsi va naître la mon­
America Great Again » est devenu Delano Roosevelt à la Maison dialisation heureuse, avec des ac­
le « Build it Back in America », Blanche, les Etats­Unis entrent cords commerciaux sous George
cains », a averti la présidente de la Commis­ construisez­le en Amérique. Le dans une nouvelle ère, celle de la Bush père, Bill Clinton, et George
sion, à Bruges. D’autant qu’elle serait longue « UNE GUERRE  président démocrate se vante baisse de droits de douane pour ré­ W. Bush : traité avec le Mexique et
et ne freinerait pas la désindustrialisation à COMMERCIALE  même de faire ce que Trump n’a tablir le commerce mondial. Mais le Canada (1994), création de l’Or­
l’œuvre. Bruxelles ne privilégie donc pas l’op­ pas réussi : se lancer dans un vaste il faut attendre la fin de la seconde ganisation mondiale du com­
tion qui consisterait à attaquer les Etats­Unis COÛTEUSE N’EST PAS  plan de subventions d’usines, guerre mondiale pour que tout merce (OMC) en 1995, adhésion de
devant l’OMC, alors que des pans protection­ auquel ne croit d’ailleurs pas tou­ s’accélère. Les Américains, qui pro­ la Chine à l’OMC en 2001. La Chine
nistes de l’IRA n’en respectent pas les règles. DANS NOTRE INTÉRÊT,  jours Wall Street, comme en at­ duisent la moitié de la richesse devient l’atelier du monde. Les dé­
Dans l’immédiat, elle va chercher quelles teste le cours boursier catastro­ mondiale, entrent dans une phase localisations sont massives, mais
mesures de défense commerciale utiliser,
NI DANS L’INTÉRÊT  phique d’Intel. Toutefois, l’Améri­ de libéralisation mondiale des jamais le débat ne sera aussi vif
tant qu’elles sont conformes aux règles de DES AMÉRICAINS » que partage ce consensus : il est échanges. Les industriels et agri­ qu’il l’avait été avec le Japon dans
l’OMC. « La préférence européenne, ce n’est pas temps de rapatrier les chaînes de culteurs américains n’ont rien à les années 1980. Explication : les
notre ADN. Et on ne va pas critiquer les Etats­ URSULA VON DER LEYEN valeur stratégiques, et l’Europe craindre : l’Europe et le Japon sont Etats­Unis, qui écrasent la révolu­
Unis et faire la même chose », décrypte un présidente de désindustrialisée fait figure de en ruine, incapables d’exporter tion numérique, sont sur le mo­
haut fonctionnaire européen. « L’OMC prévoit la Commission européenne victime collatérale. quoi que ce soit. Les Etats­Unis, qui dèle de l’iPhone d’Apple : conçu en
des exceptions quand il s’agit d’environnement Le phénomène marque une rup­ importent moins de 3 % de leur Californie et assemblé en Chine.
et de sécurité. On peut dans ce cadre essayer de avons déjà des moyens conséquents sur la ta­ ture majeure avec l’Amérique libre PIB, veulent faire valoir leurs Les entreprises, qui ont globalisé
poser des exigences de contenu local », dit un ble » pour soutenir les entreprises, a jugé, échangiste d’après 1945 et signale atouts offensifs à l’export, notam­ leurs chaînes de valeur, y trouvent
autre. « Il faut un IRA européen », a insisté, lundi, la ministre néerlandaise des finances, un retour à l’isolationnisme du ment avec le plan Marshall, qui fi­ leur compte. La part des importa­
lundi, le ministre des finances, Bruno Le Sigrid Kaag. « Il serait bon [d’en] faire l’inven­ XIXe siècle. Lors de sa naissance, la nance l’achat de biens américains tions s’envole de 10 % du PIB
Maire, pour qui « il ne faut pas hésiter à pro­ taire rapidement » et de voir comment « les re­ jeune fédération américaine se di­ en Europe pour reconstruire le en 1990 à un maximum de 18 %.
noncer ce mot de préférence européenne ». distribuer ou reconcentrer », a­t­elle ajouté. vise en deux clans, le Nord républi­ Vieux Continent, contrer le com­ Les guerres tarifaires avec les Euro­
La Commission souhaite aussi lever tous les La position allemande varie selon le mem­ cain qui veut protéger son indus­ munisme, et conforter la prospé­ péens sur l’acier ou Airbus­Boeing
freins administratifs qui peuvent compliquer bre de la coalition qui s’exprime. Robert trie naissante des manufactures rité américaine. Les droits passent sont jugulées par l’OMC.
la vie des industriels. Elle veut également, Habeck, le ministre de l’économie (vert), anglaises, les plus performantes de 33 % à 13 % entre 1944 et 1950, Lorsque survient la crise finan­
comme l’a dit sa présidente, « faciliter les donne des signes d’ouverture. Le chancelier du monde, et le Sud démocrate, les multinationales américaines cière de 2008, les puissances
investissements publics dans la transition [en­ (SPD) Olaf Scholz est plus discret, mais qui plaide pour le libre­échange, conquièrent la planète. mondiales ont tiré les leçons des
vironnementale] » en revoyant le cadre des n’avait­il pas parlé d’un « moment hamilto­ pour exporter tabac, riz et coton. La libéralisation prend encore années 1930 : elles sauvent les ban­
aides d’Etat. Elles sont aujourd’hui centrées nien », en référence à la fédéralisation de la Les droits de douane sont alors la un nouvel élan lorsque les Euro­ ques et ne se lancent pas dans une
sur l’innovation, mais leur champ d’applica­ dette américaine en 1790, quand les Vingt­ seule ressource de l’Etat fédéral. péens créent la communauté guerre commerciale. Le nouveau
tion pourrait être élargi pour l’industrie des Sept s’étaient entendus sur le plan de relance économique européenne. John président, Barack Obama, est un
technologies vertes et répondre ainsi à l’IRA européen ? En revanche, le ministre des finan­ Un âge d’or Fitzgerald Kennedy ne veut pas démocrate du Nord qui a fait ses
américain qui couvre l’ensemble de la chaîne ces, Christian Lindner (FDP), reste opposé à Des batailles homériques au d’une Europe forteresse et défend armes à Chicago, au cœur de la
de production de ces secteurs stratégiques. toute « nouvelle tentative d’endettement euro­ Congrès font augmenter les l’ouverture des échanges : « Les « ceinture de la rouille », ces Etats
péen commun ! Nous n’en voyons pas la néces­ droits jusqu’à 62 % en 1830, puis deux grands marchés transatlanti­ désindustrialisés. Il n’aime pas
« REVOIR SES DOGMES » sité. (…) Ce serait une menace pour notre com­ les font descendre à 20 % en 1859, ques progresseront ensemble ou l’accord Canada­Mexique, n’est
L’Allemagne, qui a les plus gros moyens au pétitivité et notre stabilité », a­t­il réagi lundi. à la veille de la guerre de Séces­ séparés et cette décision marquera guère libre­échangiste, mais veut
sein de l’UE, serait la principale bénéficiaire Avant d’insister : « Il faut accroître la compétiti­ sion. Les Républicains du Nord, le le début d’un nouveau chapitre organiser son pivot stratégique
d’une telle évolution. A l’inverse, l’Italie ne vité de l’UE (…) avec les instruments existants. » parti d’Abraham Lincoln, assimi­ dans l’alliance de ces nations ou face à la Chine ; et le commerce est
pourrait pas en faire grand­chose, à moins de « La Commission doit revoir ses propres lent le libre­échange à l’esclava­ marquera une menace pour l’unité l’un des rares domaines où il peut
s’endetter encore plus, ce qui mettrait en dan­ dogmes dans un contexte où il n’y a pas d’ac­ gisme. En 1860, la valeur des es­ du camp occidental », déclare JFK. avancer avec les Républicains, qui
ger la stabilité de la zone euro. Entre risque de cord politique fondamental entre les Euro­ claves est de 50 % supérieure à Les années 1960 sont difficiles ont repris le Congrès en 2010.
fragmentation du marché intérieur et risque péens. C’est compliqué, mais indispensable », tout l’investissement manufactu­ pour les Etats­Unis, qui s’embour­ Ainsi se lance­t­il dans le traité de
d’explosion de l’union monétaire, Ursula résume l’eurodéputé macroniste Pascal Can­ rier et ferroviaire américain, ex­ bent au Vietnam, connaissent l’in­ libre­échange transpacifique et
von der Leyen plaide pour « une réponse fin. Le commissaire à l’économie, Paolo Genti­ flation, la surévaluation du dollar propose une négociation com­
commune » et évoque un « fonds de souverai­ loni, a annoncé, lundi, que l’exécutif commu­ et les premières délocalisations. merciale avec les Européens restée
neté » européen. « Il faudrait sans doute envi­ nautaire, aussi divisé que les Etats membres, En 1971, le pays enregistre son pre­ lettre morte en raison de leur re­
sager un financement autour de 2 % de PIB de ferait une proposition « dans les prochaines DANS CE MONDE QUI  mier déficit commercial depuis fus d’ouvrir leurs marchés agrico­
l’UE, soit environ 350 milliards d’euros », a semaines ». Sans attendre, l’Elysée essaie de les années 1930. Le 15 août 1971, les. Puis survient la bombe Trump.
plaidé, dans un entretien au Journal du di­ trouver un accord franco­allemand avant la
ÉMERGE, LES AMÉRICAINS  c’est le choc lorsque Richard Nixon En 2016, les électeurs du candidat
manche le 4 décembre, Thierry Breton. réunion des chefs d’Etat et de gouvernement LAISSENT SUR PLACE  supprime la convertibilité or du populiste font basculer l’élection
Encore faudrait­il savoir comment financer européens prévue à Bruxelles, le 15 décembre. dollar, conduisant à sa dévalua­ grâce à la Pennsylvanie, le Michi­
ce fonds s’il devait voir le jour. Paris et Après tout, en 2020, c’est quand M. Macron et LES EUROPÉENS, AVEC  tion, et impose un droit de 10 % sur gan et le Wisconsin. La « ceinture
d’autres plaident pour une dette commune Angela Merkel, alors chancelière, s’étaient en­ toutes les importations. de la rouille » s’est rappelée au sou­
aux Vingt­Sept, comme ce qui s’est fait pour le tendus sur un plan de relance que la Commis­ 280 MILLIARDS DE DOLLARS  Les années 1970 sont encore plus venir de Washington. Désormais,
plan de relance européen de 750 milliards sion avait embrayé et que les négociations en­ POUR LE CHIPS ACT,  douloureuses : les industries de ce sera « America First ». Républi­
d’euros. Les frugaux, emmenés par La Haye, tre les Vingt­Sept avaient enfin pu avancer. p main­d’œuvre, par exemple le tex­ cains et démocrates confondus. p
ne veulent pas en entendre parler. « Nous virginie malingre 370 MILLIARDS POUR L’IRA tile, souffrent de la concurrence, arnaud leparmentier
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18 | économie & entreprise MERCREDI 7 DÉCEMBRE 2022

REPORTAGE
le mans ­ envoyée spéciale

F
rançois Garçon et Jor­
dan Robin se sont le­
vés à 4 h 30 du matin,
mardi 22 novembre.
Après plus de trois
heures de route et
250 kilomètres parcourus depuis
Billio, petite commune du Morbi­
han, ils arrivent juste à temps
pour l’ouverture de l’entrepôt Le­
blanc Illuminations, au Mans
(Sarthe). Ils ne sont pas seuls. Près
de 250 personnes attendent de­
vant les portes de ce fabricant
d’éclairage décoratif, pour le pre­
mier jour de son grand déstoc­
kage annuel.
Dans l’entrepôt, MM. Garçon et
Robin rigolent en dégonflant un
ballon en forme de Père Noël de
3 mètres de haut. Son manteau
est sale. Mais peu importe. Vendu
« 200 euros, au lieu de plus de
1 000 euros », selon M. Garçon,
c’est une affaire. Cette décoration
de Noël sera parfaite pour com­
pléter les dizaines de guirlandes,
boules, lutins, phoques, nou­
nours, sapins, décors et autres fri­ La maison illuminée des trois frères Leleu, à Balinghem (Pas­de­Calais), en décembre 2021. FRANÇOIS DELENCRE POUR NORD LITTORAL
ses scintillantes que, chaque an­
née, début décembre, « par pas­
sion », ils installent autour de leur
longère. « L’an dernier, on a acheté
un renne », précisent ces deux Bre­
tons âgés de moins de 30 ans.
L’affluence est grande, recon­
PLEIN CADRE
naît Eric Frely, directeur commer­
cial. Certains ont dormi dans un
camping­car sur le parking, la
veille, explique le vigile de l’entre­
pôt. Beaucoup de clients sont ve­
nus armés de chariots, de caisses
« Ma guirlande de Noël, place consomment « 2 500 watts,
soit l’équivalent d’un chauffage ».
Et, pour se prémunir de toute criti­
que, ils insistent sur leur maîtrise
montées sur des diables et de di­
zaines de cabas d’hypermarchés.
Devant les bacs de guirlandes
électriques vendues en vrac à
9 euros, au lieu de 27,80 euros, on
ça ne consomme rien » de la seconde main et du bricolage.
Car, partout en France, la plupart
de ces créations visibles en bord de
route sont d’ingénieux mécanis­
mes qui mêlent automates entraî­
entend : « Celle­là ? Devant la fenê­
tre du premier étage, non ? » ou :
En dépit des restrictions que s’imposent certaines communes nés par des « tournebroches récu­
pérés sur des gazinières », chez Jé­
« Tu t’es trompé, c’est du blanc
froid. J’aime pas. Prends du blanc
et des consignes de sobriété du gouvernement, les fans rôme Leleu, « moteurs d’essuie­gla­
ces », chez Ludovic Chapotot à
chaud. » d’illuminations dépensent sans compter pour décorer leur maison Sainte­Colombe, « mannequin
acheté à une boutique en liquida­
« TOUS LES ANS, ON CRAQUE » tion sur Leboncoin » pour en faire
Au rayon des panneaux d’étoiles une figurine de skieur à Sainte­
filantes, de volutes et de décors à Corneille et, bien sûr, sapins de
poser, les plus hésitants dialo­ retraitée de 75 ans « achèterai[t] de 10 % la consommation d’éner­ plande (Sarthe), en dépit d’une Noël d’occasion.
guent avec des amis en appel vi­ tout, tellement c’est beau ». Elle est gie de la France en deux ans. L’ob­ augmentation du budget alloué à
« Y a un moment Et n’allez pas parler de l’impact
déo pour qu’ils les aident à choi­ venue pour des guirlandes exclu­ jectif est de la « réduire de 40 % l’achat de nouvelles décorations où il faut arrêter sur l’environnement à ces fous de
sir. Les plus décidés à mettre la sivement bleues ou blanches et d’ici à 2050 afin d’atteindre la neu­ jugées « plus modernes », le temps la Fée électricité et du scintille­
main sur ces décors monumen­ des branches illuminées « pour la tralité carbone », précise le minis­ d’éclairage des illuminations sera
de nous faire ment aléatoire. « On n’aurait plus le
taux en aluminium disent com­ boulangère » de son quartier. Chez tère de la transition écologique. réduit « de deux heures » dans la culpabiliser » droit de rien. Y a un moment où il
bien ils ont « bien fait d’être venus Leblanc Illuminations, son ticket Les commerces sont invités à ville de 1 400 habitants, précise faut arrêter de nous faire culpabili­
JEANNETTE DANÈS
en camion ». En caisse, les tickets de caisse atteint tout de même fermer les portes de leurs maga­ Alain Loriot, conseiller municipal ser », estime Mme Danès. A Billio,
retraitée
s’allongent et atteignent souvent 146 euros. sins, à baisser l’éclairage ; les gran­ délégué à l’embellissement. pour éviter les polémiques, Jordan
250 euros. Pendant que M. Robin Comme chaque année depuis des surfaces doivent limiter le A Lanta (Haute­Garonne), à l’est Robin et François Garçon instal­
se dit déçu de ne pas avoir pu met­ vingt ans, elle installera tout chauffage à 19 °C et éteindre la lu­ de Toulouse, il a été décidé de ré­ lent un panneau pour informer
tre la main sur « le renne devant « uniquement avec l’aide de [son] mière dès la fermeture de leurs duire le nombre de décorations noncé à dérouler ses 6 kilomètres ceux « qui critiquent ». Il y est men­
son traîneau », son compagnon gendre ». Située à Saint­Corneille, points de vente. Les publicités lu­ lumineuses. Plusieurs commu­ de câbles pour illuminer la maison tionné l’équivalent de watts con­
grimpe dans la remorque pour près du Mans, à l’angle de deux mineuses doivent aussi cesser, de nes ont aussi renoncé à organiser familiale. Il n’en a jamais été ques­ sommés que représentent leurs il­
charger plus de 1 000 euros de rues, la maison que Mme Danès il­ nuit. Depuis l’annonce de ces me­ leur concours de la plus belle mai­ tion, souligne Yohann Chanut. Car luminations. « Une semaine de
marchandises. lumine à partir de début décem­ sures et l’injonction du président son illuminée. « Vu le contexte, ça « c’est une passion et ça fait plaisir », consommation énergétique d’un
La camionnette voisine est bre pour un mois, de 17 h 30 à de la République, Emmanuel Ma­ aurait été compliqué d’inciter les raconte celui qui a débuté à l’âge de réfrigérateur ou celle de plusieurs
aussi bien remplie. Son chauffeur 21 h 30, attire du monde, recon­ cron, de se « chauffer à 19 °C », la habitants à illuminer leurs mai­ 5 ans, en installant des guirlandes téléviseurs allumés en perma­
repart vers Marly­le­Roi, dans les naît­elle. « Les gens s’y arrêtent, crainte d’un crash électrique, dé­ sons », observe M. Loriot. sur la niche de son chien. nence », explique M. Garçon.
Yvelines, avec pour « plus de prennent des photos », s’amuse­t­ but 2023, jette aussi l’opprobre sur Le décor 2022 sera le même que Parce que « tout ça, c’est de la LED,
900 euros » de décorations pour elle. Mais, cette année, ce ne sera ces créations scintillantes. ANNULATION DES CONCOURS celui de 2021, année où sa famille ça ne consomme rien », rappelle
sa maison, celle de son voisin et le « certainement pas bien vu ». Des mesures ont d’ores et déjà Ces mesures ne sont pas sans af­ avait « mis le paquet » pour fêter les aussi notre Père Noël amateur de
balcon du logement de sa fille. Car tous les fans des illumina­ été mises en place dans plusieurs fecter Leblanc Iluminations, gros 20 ans d’illuminations de cette Marly­le­Roi, qui s’agace de tous
« Quand c’est joli, j’achète », avoue tions de Noël redoutent d’être rues. A Paris, sur les Champs­Ely­ fournisseur de collectivités loca­ maison du haut Verdon en créant ces gens qui « nous imposent
celui qui « fait le Père Noël », lors montrés du doigt, après l’appel à sées, par précaution, les décora­ les, qui a perdu 20 % de son acti­ une banquise et une forêt de d’éteindre la veilleuse » de nos ap­
des fêtes, devant la mercerie de sa la sobriété énergétique du gou­ tions de Noël inaugurées le vité avec ce type de clients, pré­ « vrais sapins ». Près de 4 000 per­ pareils ménagers. Rien ne fera re­
femme à Houilles. « Mis bout à vernement. Le 6 octobre, la pre­ 20 novembre seront plus courtes cise M. Frely. L’annulation de con­ sonnes sont venues la visiter, en noncer M. Chapotot à « cette ma­
bout, je ne sais pas combien j’ai pu mière ministre, Elisabeth Borne, a qu’à l’accoutumée. Et moins éner­ cours municipaux, souvent dotés 2021. Cette année, toutefois, cet gie » de voir « les enfants qui vien­
dépenser là­dedans », assure Lu­ dévoilé un plan censé diminuer givores, promet le Comité de bons d’achat à faire valoir dans ambulancier de 26 ans réduira de nent déposer leur lettre au Père
dovic Chapotot. Depuis cinq ans, Champs­Elysées, association qui les commerces locaux, agace tou­ « trente minutes » la durée de ses il­ Noël » dans la boîte aux lettres ins­
ce conducteur de cars illumine sa cofinance ce montage de LED aux tefois les mordus de ces créations luminations, non pas pour com­ tallée dans son jardin de Sainte­
maison de 140 mètres carrés à côtés de la ville et d’un sponsor, spectaculaires. D’autant que, primer sa facture EDF, mais « pour Colombe. Pas même la facture EDF
Sainte­Colombe, en Seine­et­ Leblanc Sephora. A Strasbourg, la maire, cette année, ils sont orphelins : [se] conformer aux directives du de 250 euros en fin d’année. « Ines­
Marne, en se fournissant à Troyes, Jeanne Barseghian, élue Europe Valérie Damidot et Juan Arbelaez gouvernement ». timable », assure­t­il. « Et même si
chez Festivalt, lors d’une braderie
Illuminations, Ecologie­Les Verts (EELV), a réduit ne seront pas à l’antenne pour A Balinghem (Pas­de­Calais), la cela me coûtait cher, avance
en octobre. Quitte à acheter une gros fournisseur de 20 % les décorations lumineu­ présenter l’émission « Mon plus maison des Leleu (près de 12 000 Mme Danès, c’est moi qui paye. » A
« palette de guirlandes » sans sa­ ses dans la ville, afin de diminuer beau Noël », un concours télévisé visiteurs en 2021) fait aussi dans le Balinghem, Jérôme Leleu envisage
voir ce qu’elle contient. « C’est ma
de collectivités de 10 % la consommation électri­ créé en 2017. TFX ne l’a pas pro­ politiquement correct. Les trois cependant de s’équiper d’un géné­
pochette­surprise », explique­t­il. locales, que lors du marché de Noël, qui se grammée en 2022. frères, qui ouvrent leur jardin à la rateur solaire pour alimenter une
« Tous les ans, on craque davan­ tient jusqu’au 24 décembre. A Saint­Michel­l’Observatoire, visite depuis « plus de vingt ans », partie de son montage. Ce sera
tage », reconnaît aussi Jeannette
a perdu 20 % Les plus petites communes sont (Alpes­de­Haute­Provence), le lau­ l’ont annoncé sur Facebook dès oc­ pour 2023. p
Danès. Si elle « [s]’écoutai[t] », cette de son activité également concernées. A Lou­ réat 2018 n’a cependant pas re­ tobre : les 40 000 LED mises en juliette garnier
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MERCREDI 7 DÉCEMBRE 2022 économie & entreprise | 19

Inde : les projets nucléaires français dans l’impasse


Après treize ans de négociations, l’accord­cadre espéré pour cette année tarde à se concrétiser

new delhi ­ correspondantes Macron à New Delhi en 2018 et les contaminé 100 000 autres. La loi mise en conformité de l’EPR fran­ l’essentiel du produit est conservé,
négociations butent toujours sur indienne, Civil Liability for Nu­
« Il est évident çais aux normes de sûreté indien­ des adaptations locales, qu’elles

C’
est le plus gros dos­ trois obstacles majeurs. Le finan­ clear Damage Act, amendée que le nes, qui risque de générer des sur­ soient de nature réglementaire ou
sier de la France à cement du projet, tout d’abord. en 2010, donne le droit aux opéra­ coûts importants. « Il s’agit d’un physique, c’est­à­dire liées aux
l’étranger. Jaitapur se Contrairement à Hinkley Point au teurs nucléaires d’intenter une ac­
gouvernement bloquant majeur, selon un prota­ conditions du site, sont toujours
trouve à l’agenda de Royaume­Uni, EDF ne met pas une tion en justice contre les fournis­ indien n’a pas goniste. EDF et NPCIL en étaient nécessaires. Ces adaptations doi­
toutes les rencontres bilatérales roupie à Jaitapur. Même si le coût seurs si l’incident est la consé­ conscients dès le départ, mais ils vent être intégrées au développe­
entre l’Inde et la France depuis reste confidentiel, les proches du quence de leurs actes. Or, pour le
l’argent » ont mis le sujet sous le tapis et se re­ ment du projet. Il s’agit d’un inves­
2008. Mais, après plus de dix ans dossier évoquent 50 milliards français, le régime de responsabi­ SATYAJIT CHAVAN trouvent au pied du mur. » Les né­ tissement pour NCPIL dans la tech­
de négociations, le chef de l’Etat d’euros, et même 70 milliards se­ lité doit être régi par les conven­ président du Jan Hakka gociateurs redoutent deux scéna­ nologie française en vue de son dé­
français, attendu en Inde au pre­ lon les opposants. « Il est évident tions internationales, fondées sur Seva Samiti rios, une adaptation au fil des tra­ ploiement en Inde ».
mier trimestre 2023, ne signera que le gouvernement indien n’a pas le principe de la responsabilité ex­ vaux, au risque d’entraîner des La France se raccroche aux pro­
toujours pas d’accord définitif. Au l’argent », juge Satyajit Chavan. clusive de l’exploitant en cas d’ac­ années de retard, comme à Fla­ messes faites par l’Inde à la COP27,
mieux, il peut espérer qu’un nou­ cident pour le paiement des com­ son futur exploitant, NPCIL, la res­ manville (Manche), ou l’arrêt des en Egypte, de tripler ses capacités
veau point d’étape soit franchi sur Surcoûts importants pensations. « EDF ne pourra s’en­ ponsabilité « de la construction et négociations pour tout remettre à nucléaires d’ici à 2032 pour attein­
le mégaprojet de centrale nu­ Paris a remis une proposition de gager dans le projet dans un tel ca­ de la mise en service de chacune des plat, ce qui pourrait également dre ses objectifs de réductions de
cléaire de Jaitapur. montage financier, jugée par la dre », assure la direction à Paris. six unités de la centrale ». prendre des années. gaz à effet de serre. Le pays reste
Il s’agit pour EDF de construire Cour des comptes (2020) comme Pour contourner la difficulté, EDF espère ainsi s’exonérer en « Depuis le début, les Indiens et les extrêmement dépendant du char­
au bord de l’océan Indien, à envi­ « extrêmement favorable aux In­ EDF, dans son offre engageante, se cas d’accident, une fois la centrale Français travaillent sur l’adapta­ bon, et la part du nucléaire, avec
ron 400 kilomètres de Bombay, diens », et dont les conditions se positionne non pas en construc­ entrée en exploitation, d’autant tion », rectifie l’ambassade de vingt­trois réacteurs, est infime.
dans l’Etat du Maharashtra, la plus rapprochent d’un financement teur, mais en tant que fournisseur que le site où sera construite la France à New Delhi, qui vante la Elle ne représente que 2 % du mix
importante infrastructure atomi­ d’Etat à Etat. Pourtant, à New d’« études d’ingénierie et [d’] équi­ centrale présente un risque sismi­ progression rapide ces derniers énergétique national. En dehors
que civile au monde, six réacteurs Delhi, on jugerait cette offre trop pements », sans être « ni investis­ que. Paris proposerait, en plus, mois des négociations. de Jaitapur, la France n’a plus de
pressurisés EPR d’une capacité chère et on demanderait un prêt seur dans le projet ni chargé de la d’introduire des garde­fous en cas Interrogé sur ce point, EDF ré­ grands projets en Inde. « C’est l’ar­
installée de 9 600 mégawatts, du Trésor avec garantie de la construction ». L’entreprise ne se de vices cachés, le tout sous con­ pond que « le design du produit bre qui cache le désert », persiflent
l’équivalent de cinq centrales à France. « Ils ont en tête le modèle porte « garante de la performance trôle de l’Agence internationale de EPR a obtenu jusqu’à présent une li­ les observateurs. p
charbon, capable de fournir de russe, où l’Etat apporte son finan­ de chacune des six unités EPR » que l’énergie atomique (AIEA). Der­ cence dans quatre pays, France, carole dieterich et
l’électricité à 70 millions de foyers. cement direct », commente un pro­ sur « une durée limitée », laissant à nier point sensible, l’impact de la Finlande, Chine, Royaume­Uni. Si sophie landrin
Après treize ans de négociations, che du dossier. La Russie est, à ce
l’énergéticien français, qui a remis jour, le seul pays à disposer de
le 22 avril 2021 à l’exploitant nu­ réacteurs opérationnels en Inde.
cléaire indien Nuclear Power Cor­ « En France, poursuit­il, on feint
poration of India Limited (NPCIL) de ne pas voir que l’Inde est un pays
une « offre technico­commerciale émergent et nous nous projetons
engageante », un document de comme un pays puissant qui parle­
7 000 pages, avait parié sur un « ac­ rait avec un autre pays puissant.
cord­cadre engageant » en 2022. Or, nous sommes une puissance
On en est loin. « Depuis quinze ans, moyenne qui parle à un émergent
nous assistons au défilé des prési­ qui n’a pas les moyens. » Les In­
dents français à Jaitapur pour réaf­ diens estiment que le prix au kilo­
firmer leur engagement sur ce pro­ watt proposé par EDF est trop cher.
jet, mais il ne se produit rien », ré­ Les discussions sur la question
sume Satyajit Chavan, président de la responsabilité civile nu­
du Jan Hakka Seva Samiti, qui fé­ cléaire, point de blocage histori­
dère les organisations locales s’op­ que, piétinent elles aussi. L’Inde
posant au projet. « C’est le statu
quo et un service de sécurité garde
est particulièrement sensible aux
risques industriels depuis la tragé­ Bienvenue à l’aéroport Paris-Anne de Gaulle
simplement le terrain, nous n’orga­ die de Bhopal en 1984, où un
nisons même plus de manifesta­ nuage toxique échappé d’une À l’occasion de la journée mondiale des personnes handicapées et en
tions », poursuit le militant. usine de pesticides appartenant à
Quatre ans ont passé depuis la Union Carbide avait provoqué la
soutien à la Fondation Anne de Gaulle, cette semaine, l’aéroport
dernière visite d’Emmanuel mort de 25 000 personnes et Paris-Charles de Gaulle devient Paris-Anne de Gaulle. Créée par Pour soutenir
Yvonne et Charles de Gaulle en hommage à leur fille, porteuse de la Fondation,
handicap, la Fondation Anne de Gaulle accompagne les parcours de faites un don
en flashant
vie des personnes en situation de handicap et de leurs proches aidants. ce code.
PERTES & PROFITS | INDUSTRIE
p ar j ea n­ mi c he l b e zat

Covid et pénuries :
la défense touchée
Le Covid­19 et la guerre en de produire de nouveaux équipe­
Ukraine ont fait leur œuvre : l’in­ ments ou de reconstituer des
dustrie de défense est à son tour stocks, prévient Diego Lopes da
rattrapée par les difficultés logis­ Silva, chercheur senior au Sipri.
tiques. C’est l’une des conclu­ Les 40 sociétés américaines de
sions d’un rapport de l’Institut la liste pèsent 299 milliards de
international de recherche sur la dollars de chiffre d’affaires, même
paix de Stockholm (Sipri), publié si l’Amérique du Nord est le seul
lundi 5 décembre, et consacré continent à avoir reculé (– 0,8 %)
aux 100 premières entreprises du en raison de la forte inflation. La
Crédits photo : Charles Mamarot

secteur. Elles ne se portent pas vague de consolidation a renforcé


mal pour autant. En 2021, leurs l’industrie et suscité les critiques
ventes ont progressé pour la sep­ du Pentagone devant une ten­
tième année consécutive (+ 1,9 %) dance monopolistique qui fait
et atteignent 592 milliards de dol­ grimper les prix. Les ventes des
lars courants (560 milliards vingt­sept groupes européens du
d’euros). « On aurait pu s’attendre Top 100 ont progressé de 4,2 %
à une croissance plus forte sans (123 milliards), celles des huit
les problèmes sur les chaînes d’ap­ grandes entreprises chinoises de
provisionnement », nuance Lucie 6,3 % (109 milliards), quand celles
Béraud­Sudreau, directrice du des six sociétés russes du classe­
programme sur les armements ment du Sipri (17,8 milliards) sta­
de cet institut de référence. gnaient (+ 0,4 %).
Outre les pénuries d’intrants,
Consolidation industriels et militaires sont face
Les difficultés d’acheminement à deux écueils. L’inflation, qui
comme la pénurie de matières renchérit les équipements et gri­
premières et de composants s’ag­ gnote des budgets pourtant en
graveront avec la guerre, la Rus­ forte progression dans le monde.
sie étant « un fournisseur majeur Et l’attente de commandes,
de matières premières utilisées notamment en France. La base
dans la production d’armes ». industrielle et technologique de
Au point de freiner les efforts des défense a bien reçu le message
Américains et des Européens du chef de l’Etat, Emmanuel
pour renforcer leurs forces ar­ Macron : le pays est entré dans
mées, alors que certains groupes une « économie de guerre » il lui
peinent aussi à trouver des com­ faudra produire plus, plus vite et
pétences. « II faudra peut­être moins cher. Mais elle devra atten­
plusieurs années à certains des dre les arbitrages de la prochaine
producteurs d’armes pour répon­ loi de programmation militaire,
dre à la demande créée par la qui pourrait dépasser 400 mil­
guerre en Ukraine », qu’il s’agisse liards sur la période 2024­2030. p
20 | sports 0123
MERCREDI 7 DÉCEMBRE 2022

A Doha,
l’hommage
des Brésiliens
au « roi » Pelé
Les nouvelles sur l’aggravation de
l’état de santé du joueur légendaire
de la Seleçao créent une
atmosphère singulière au Qatar
doha ­ envoyé spécial Brésil et la Corée du Sud (4­1), lundi
5 décembre. Il ne sait rien de précis

U
n étonnant spectacle a de l’état du vieux héros, 82 ans.
éclairé la nuit de Doha, Comme ses compatriotes, il hésite
samedi 3 décembre, entre les nouvelles les plus rassu­
quand une constella­ rantes (« la télé dit qu’il va mieux »)
tion de drones illuminés a formé et les plus inquiétantes (« son or­
les contours d’un maillot portant ganisme ne répond pas à la chimio­
un nom et un numéro, Pelé, 10, thérapie, il a été placé en soins pal­
suivi d’un message à l’attention liatifs »). Mais il est « sûr » d’une Une banderole en soutien à Pelé déployée pendant le match Brésil­Corée du Sud, le 5 décembre, à Doha. JIN-MAN LEE/AP
du plus célèbre footballeur de chose : « Le football reste une
l’histoire : « Pelé, get well soon », source de joie pour lui. »
Pelé, guéris vite. Le vétéran est at­ Aussi, pour le conduire vers la montre guère disposée à prier Movimento Verde Amerelo, une ment : des tee­shirts siglés d’un
teint d’un cancer et hospitalisé à guérison, quoi de mieux, plaide­ « pour ça », mais elle veut bien que
« Que Dieu aide centaine de membres qui assu­ numéro, généralement le 10, et
Sao Paulo. Sur un building de la t­il, qu’un sixième titre de cham­ « Dieu aide Pelé à tenir jusqu’à la Pelé à tenir rent l’animation du Park 900, sur parfois d’un nom, Neymar sou­
corniche a été projeté un gigantes­ pion du monde « en guise d’hom­ fin de la Coupe du monde pour des airs de samba à la gloire de vent, Pelé plus rarement.
que poster lumineux affichant en mage » ? Lundi, à l’orée du hui­ qu’il assiste à la victoire du Brésil ».
jusqu’à la fin de la Pelé et de ses mille buts, ou sur Pour Gabriel, 27 ans, cette tenue a
grosses lettres « We love you », au­ tième de finale, le compte Twitter Pas de prière pour Michelle, par Coupe du monde des refrains moquant l’adversaire valeur de message, à destination
dessus d’une représentation styli­ de l’idole a envoyé un message à ailleurs assez critique à l’endroit préféré, le voisin argentin : « Messi du monde mais aussi de ses com­
sée du vainqueur de trois Coupes ses successeurs au sein de la Sele­ du vieil homme. « Avec le pouvoir
pour qu’il assiste Ciao » repris en chœur sur l’air de patriotes, trop oublieux à son
du monde avec le Brésil (1958, çao : « Je regarderai le match depuis qui était le sien, il aurait dû faire à la victoire Bella Ciao, c’est drôle. goût. « Au Brésil, on ne cultive pas
1962, 1970). Un palmarès unique. l’hôpital et je soutiendrai chacun davantage pour la communauté Plus tard, au stade, ils ont prévu assez la mémoire des exploits de
Le « roi » Pelé n’est pas mort, vive d’entre vous. Bonne chance ! » noire ou pour les pauvres. » Mais
du Brésil » de déployer en l’honneur de Pelé Pelé, regrette cet ingénieur. Les Ar­
le roi. Depuis que les nouvelles de S’il était plus croyant, il suivrait un rite païen, très volontiers : va MICHELLE, trois tifos, ces animations visuel­ gentins font ça bien mieux que
l’aggravation de son état de santé les recommandations de César pour l’esquenta (« l’échauffe­ supportrice brésilienne les géantes composées de centai­ nous avec Maradona. Je suis sûr
sont parvenues au Qatar, son nom Sampaio, l’entraîneur adjoint du ment » en français). nes ou de milliers d’affichettes te­ que personne ici ne s’est fait faire un
et sa légende enveloppent l’at­ Brésil : « La seule chose que vous nues à bout de bras par les specta­ tatouage de Pelé ! » Il a même l’im­
mosphère de la compétition. « Au pouvez faire, quelle que soit votre « Ce match, c’est pour lui » naire de la banque qui les em­ teurs. Le plus grand restera déplié pression que « le reste du monde
Brésil, nous avons Ayrton Senna et religion, c’est dire une prière, et en­ Avant chaque match, les fans bré­ ployait tous les deux. C’était un dix minutes, comme le chiffre féti­ s’intéresse plus à Pelé que nous
Pelé », rappelle Rafael, un trente­ voyer des ondes positives », a­t­il siliens ont pris l’habitude de se re­ soir de juillet 1998, et elle a dé­ che du héros fatigué. « Ce match, autres Brésiliens ». Pour preuve du
naire de Sao Paulo tout juste arrivé lancé à ses compatriotes. Mi­ trouver au nord de Doha pour une testé le voir se murer dans un si­ c’est pour lui, le plus grand joueur soutien à l’idole de son père, il a
à Doha avec trois amis, quelques chelle, une quadragénaire qui a longue séance de mise en jambe. lence pénible après la défaite du de tous les temps. On ne devrait prévu de publier sur les réseaux
heures avant la rencontre entre le fait le voyage depuis Hawaï, ne se Moyennant 100 rials (26 euros), Brésil contre la France en finale. même pas essayer de le comparer à sociaux une photo du tifo géant
ils accèdent au Park 900, une es­ « Maintenant, je comprends d’autres joueurs », s’emporte Leo déployé au stade.
planade encerclée de kiosques mieux », dit­elle en souriant. Elle Penido, 20 ans, qui donne du Edoardo, 40 ans, a également
La visite de « MBZ », l’homme du blocus proposant toutes sortes de nour­
ritures et de boissons. Lundi, les
a des paillettes vert et or sur les
pommettes et pense qu’une vic­
« bro » à tout va. choisi cette tenue « Pelé » lorsqu’il
a « entendu les nouvelles ». Il a
Le président des Emirats arabes unis (EAU), Mohammed Ben premiers sont arrivés six heures toire des Auriverde, l’autre sur­ « Mon père l’adorait » ajouté un détail, un écusson
Zayed, s’est rendu, lundi 5 décembre, en visite au Qatar, signe du avant le coup d’envoi de Brésil­Co­ nom de l’équipe brésilienne dans Sur l’esplanade, entre deux « 1970 » cousu sur la poitrine,
réchauffement des relations entre ces deux pays, à couteaux ti- rée du Sud, disputé à quelques sta­ ce Mondial serait « une manière écrans géants, les adultes chan­ « l’année de sa dernière victoire en
rés ces dernières années. Le chef d’Etat émirati a été reçu à Doha tions de métro de là. Il faut dire idéale d’honorer Pelé ». tent et dansent, les enfants pa­ Coupe du monde ». « Mon père
par le souverain local, Tamim Ben Hamad Al Thani, qu’il a félicité que l’endroit est accueillant, l’al­ Une longue banderole flotte sur tientent dans des poufs vert et or, l’adorait, ajoute­t­il, ému. Et moi,
pour le bon déroulement de la Coupe du monde. « MBZ », cool y est servi à volonté – des po­ les kiosques. Le visage de Pelé, les deux seules couleurs admises. j’apprends à mon fils de 7 ans à
comme on le surnomme, avait été le cerveau du blocus infligé liciers veillent à ce que personne couronne royale sur la tête et tro­ On les retrouve sur une multi­ l’aimer. » La soirée s’est terminée
au Qatar, entre 2017 et 2021, par les EAU, l’Arabie saoudite et ne quitte les lieux avec un verre phée de la Coupe du monde tude de couvre­chefs, des coiffes dans la joie, sur une victoire écla­
le Bahreïn, en réaction au refus de l’émirat de s’aligner sur leur encore empli de bière. brandi comme un sceptre, y est indiennes avec plumes aux tante du Brésil. Il espère que Pelé
diplomatie anti-Iran et anti-Frères musulmans. Après la partici- Melissa, une quadragénaire encadré de deux slogans : « O rei ghoutra du Golfe en passant par vivra jusqu’à la finale, le 18 décem­
pation de Mohammed Ben Salman, le prince héritier saoudien, à guatémaltèque, accompagne ici do futebol » et « God save the des chapeaux à damiers ou des bre, « et qu’il assistera au triomphe
la cérémonie d’ouverture, le déplacement de « MBZ » à Doha con- son mari brésilien. Elle l’a ren­ king ». L’installation est l’œuvre perruques très très bouclées. Et du Brésil, contre la France ». p
solide la réconciliation en cours entre les monarchies du Golfe. contré au Chili, lors d’un sémi­ d’un groupe de supporteurs, le sur les maillots bien évidem­ éric collier

La Seleçao renoue avec sa gloire passée contre la Corée du Sud


Les coéquipiers de Neymar ont dominé (4­1) les Sud­Coréens en pratiquant un jeu qui a insufflé de la magie dans le stade 974 de Doha

doha ­ envoyé spécial tième de finale de la Coupe du mer le penalty (accordé par l’arbi­ tre premier tour, nous avions af­ Seleçao a retrouvé l’essentiel ce
monde, lundi 5 décembre, au
Dès le prochain tre français Clément Turpin, 13e) et, fronté des équipes très regroupées lundi, un Neymar heureux, élu

P aulo Bento va et vient en­


tre son banc de touche et le
bord du terrain. Le sélec­
tionneur de l’équipe sud­co­
réenne, opposée au Brésil, ne sait
stade 974 de Doha, battue 4­1 par
un Brésil en démonstration, du
moins en première mi­temps. La
faute à un premier but trop tôt en­
caissé (Vinicius, 7e), au talent d’un
tour, le Brésil va
taper dans le dur,
dans le très
surtout, ce troisième but. On ne
sait si c’était le Brésil 1970 – peut­
être le plus beau de tous – mais il y
avait un mélange de cirque, de ma­
gie et de génie collectif dans cette
derrière, ce n’était pas le cas avec la
Corée, et nous avons su en profi­
ter », a reconnu le plus beau bu­
teur du soir, Richarlison.
homme du match et rassuré par
sa cheville blessée en début de
tournoi contre la Serbie. « Quand
je me suis blessé, j’ai passé une sale
nuit, j’ai pensé à des millions de
plus trop s’il doit hurler ses consi­ adversaire aussi cabot que génial,
concret, avec le action. Tel un jongleur de rue, Ri­ Seconde période plus relâchée choses, j’ai eu peur de ne plus jouer
gnes avec quelques mots d’an­ au retour d’un Neymar étincelant finaliste sortant, charlison a fait rebondir le ballon Dès le prochain tour, le Brésil va cette Coupe du monde », a­t­il con­
glais ou choisir le silence. En se­ avant de finir au petit trot. La faute sur son crâne à quatre reprises taper dans le dur, dans le très con­ fié en conférence de presse.
conde période, le Portugais ne aussi à cette logique des conti­
la Croatie avant d’enclencher un jeu en trian­ cret, avec le finaliste sortant, la Comme toujours, Neymar a
s’agite plus. Il n’a plus grand­ nents, celle qui veut que les quarts gle avec Marquinhos et Thiago Croatie, vainqueure du Japon aux aussi « remercié Dieu » et eu un
chose à espérer. Quand Paik de finale d’un Mondial restent un Silva jusqu’à la finition (30e). tirs au but (1­1, 3­1 aux tirs au but). mot de réconfort pour O Rei (le
Seung­ho envoie une frappe sè­ club fermé tenu par des Euro­ tre Mondial ». Sur la défaite du A ce moment­là, ce n’était plus Vendredi, on imagine mal Tite, sé­ roi) : « J’espère que Pelé a apprécié
che dans les filets brésiliens (76e), péens avec le Brésil et l’Argentine soir, le démissionnaire regrette vraiment un huitième de finale lectionneur plutôt raide de sa per­ le match. » S’il n’a pas éteint trop
le sélectionneur garde les mains en invités permanents. A moins un peu les largesses offertes par avec un suspense et une drama­ sonne, esquisser quelques pas de vite sa télé, peut­être a­t­il vu
dans les poches pendant que ses que le Maroc batte l’Espagne ses joueurs. Bento aurait aimé turgie, mais une réunion d’artis­ danse avec ses joueurs comme « Ney » et ses partenaires poser à
assistants fêtent ce but de l’hon­ mardi, dynamitant les certitudes. voir son équipe défendre plus bas, tes à laquelle Vinicius a pris part, après le fameux but de Richarli­ la fin de la rencontre derrière une
neur, celui d’une équipe éliminée moins se livrer et ne pas laisser servant d’une louche Lucas Pa­ son. Encore moins faire sortir son banderole avec cette photo légen­
par plus forte qu’elle, même si les Largesses offertes des espaces larges comme le péri­ queta pour le quatrième but (36e). gardien Alison Becker (pas com­ daire de lui, ivre de bonheur dans
Sud­Coréens n’ont pas démérité. Mais le temps des surprises sem­ phérique de Doha. C’était le Brésil et ses fantasmes. plètement au chômage technique les bras de Jairzinho après la vic­
« Si nous jouions une série de ble s’être évaporé avec la fin du Les Brésiliens n’en demandaient Son maillot jaune, ses cinq étoi­ face à des Coréens entreprenants) toire contre l’Italie lors de la finale
matchs, le Brésil serait toujours premier tour. « La défaite est juste, pas tant, motivés à l’idée de don­ les, ses mythes fondateurs, son pour offrir quelques minutes de de 1970 à Mexico. Ce jour­là, le
vainqueur, mais sur un seul match, nous devons féliciter le Brésil, ils ner un peu de bonheur et de ré­ jogo bonito, cette façon de se pré­ Mondial à son troisième portier, Brésil était grand et magnifique.
nous avons nos chances », avait étaient meilleurs que nous », re­ confort à Pelé, « roi » alité et qui a senter au monde plus beau que le bien heureux Weverton. Celui de 2022 peut en prendre le
tenté de vendre Bento lors de la connaît Paulo Bento, avant d’an­ fait savoir qu’il suivait la rencontre les autres. Mais, en football, la ma­ Pour l’instant, ce Brésil n’est que chemin, renouer avec la victoire
conférence de presse de la veille. noncer son départ après quatre depuis l’hôpital. Le triple cham­ gie est souvent une illusion. La sourire et légèreté. Personne n’a et le beau. Il lui reste encore trois
En réalité, sa Corée du Sud n’a ja­ ans à la tête des Taegeuk Warriors, pion du monde a dû apprécier la naïveté coréenne a aidé, son refus songé à lui reprocher cette se­ matchs pour le prouver. p
mais eu sa chance lors de ce hui­ « fier du travail accompli et de no­ maîtrise de Neymar pour transfor­ de fermer le jeu aussi. « Lors de no­ conde période plus relâchée. La alexandre pedro
0123
MERCREDI 7 DÉCEMBRE 2022 carnet | 21
Paris. Sartrouville. Christine Clerici, Alexandra Lapierre Mme Marie-Assumpta Schraen,
présidente d’université Paris-Cité, et Frank Auboyneau, son épouse,
ses enfants, Nadine, Nathalie, Nicolas et Julien,
André Deshayes (†), Alain Zider, ses enfants,
Le Carnet doyen de la faculté des sciences, Garance Auboyneau
en vente son époux,
et Leonardo Ferrario,
Camille, Joaquim et Raphaël,
Yves et Marion, Xavier, Vincent, Atef Asnacios, ses petits-enfants
actuellement directeur de l’UFR physique, Lavinia Ferrario, Ainsi que toute sa famille
Nicolas (†), Alba Ferrario, Et ses amis proches,
Vous pouvez nous faire parvenir ses enfants et belle-fille, Antoine Kouchner,
ses petits-enfants
K En kiosque vos textes soit par e-mail : Alexandre et Gabrielle, Maxime et
directeur du laboratoire AstroParticule
et ses arrière-petites-filles,
ont la douleur de faire part du décès
de
carnet@mpublicite.fr et Cosmologie,
Laetitia, Benjamin et Tania, Félix et Javier Moro,
(en précisant impérativement Lorène, Valentin et Andrea, Achille, Carlos Moro Pierre SCHRAEN,
votre numéro de téléphone et ont eu la grande tristesse d’apprendre conseiller culturel
Clémentine, et leurs enfants,
votre éventuel numéro d’abonné le décès de ses neveux et petits-neveux, et chef de mission
ses petits-enfants et leurs conjointes, pour le ministère
ou de membre de la SDL) Manuela Andréota, des Affaires étrangères,
Valentina et Edgar, Stavros KATSANEVAS, sa tante, chevalier dans l’ordre
soit sur le site : ses arrière-petits-enfants, Pierrette Maindron, des Palmes académiques,
https://carnet.lemonde.fr directeur de l’European Martine Termine, chevalier dans l’ordre du Mérite
ont le chagrin de faire part du décès gravitational observatory (EGO), Thomas Pacaud, de l’Éducation nationale
L’équipe du Carnet reviendra vers de la République de Côte d’Ivoire,
vous dans les meilleurs délais de professeur émérite ses tuteurs
d’université Paris-Cité, Et tous ses amis soignants, survenu à son domicile,
pour vous confirmer la parution.
Geneviève DESHAYES, Tous ses proches en France, le 27 novembre 2022,
survenu le 27 novembre 2022, à Pise. en Inde et dans le monde entier, à l’âge de soixante-seize ans.
née DUCROUX,
Hors-série carnet@mpublicite.fr
La cérémonie des funérailles aura
https://carnet.lemonde.fr Né en 1953 à Athènes, Stavros ont l’immense tristesse de faire part
survenu le 20 novembre 2022, lieu le samedi 10 décembre, à 9 h 30,
Katsanevas a consacré sa carrière de la disparition de en l’église Saint-Sébastien, à
à Paris, Annappes.
AU CARNET DU «MONDE» aux astroparticules : au début des
à l’âge de quatre-vingt-huit ans. Dominique LAPIERRE,
années 2000, il participe à la L’inhumation se fera sur ses terres,
chevalier de la Légion d’honneur,
HORS-SÉRIE
fondation du laboratoire APC, avant au cimetière de Wormhout.
PLANTU Décès La messe d’A-Dieu a été célébrée décoré de la Padma Bhushan
DANS « LE MONDE » de le diriger de 2014 à 2017. Sa
le vendredi 25 novembre, en l’église pour services rendus
50 ANS ——
50DESSINS Neuilly-sur-Seine. passion et son enthousiasme l’ont à la Nation indienne, Anniversaire de décès
Saint-Séverin, Paris 5e. également conduit à piloter de
M Liliane Carel,
me
grands projets européens dans ce Le 6 décembre 2022.
son épouse, rappelé à Dieu le 2 décembre 2022,
8, rue du Cloître Notre-Dame, domaine.
Jean-Claude et Celia Carel, dans sa quatre-vingt-douzième Il y a cinq ans, disparaissait
Nathalie et Maxime Fischer, 75004 Paris. année.
ses enfants et leurs conjoints, vdcontact@orange.fr La communauté académique et Jacques FRENAY.
Alexandre et Eliza, Julie et Maxime, scientifique d’université Paris-Cité Les obsèques auront lieu dans la
Lucie et Alexandre, Xavier et Kelly, Bingmei,
Bernard Dufresne et Maria Sgroi, salue la mémoire d’un physicien plus stricte intimité.
Hors-série Lucas et Iris, Roxane, sa femme,
ses petits-enfants et leurs conjoints, Catherine et Jean-Pierre Hubaux, d’exception et d’un homme généreux Stéphen,
Eliott, Nicole et Eric Chapon, Jean-Louis qui a largement contribué au Un hommage à la générosité de sa son fils,
son arrière-petit-fils, rayonnement scientifique de la vie et de son œuvre lui sera rendu, Dany,
Dufresne et Nicole Lempérière, Yves
France, et présente ses sincères lors d’une cérémonie religieuse qui sa sœur,
ont la tristesse de faire part du décès Dufresne et Muriel Loustau, Bruno Ses amis,
condoléances à sa famille, ses proches, sera célébrée ultérieurement à Paris.
HORS-SÉRIE de et Muriel Dufresne, Olivier et
ses amis et collègues. pensent à lui.
Geneviève Dufresne, « Tout ce qui n’est pas donné
Albert CAREL,
ses fils, filles, belles-filles et gendres. est perdu ». Sa mère, Mme Gaudibert.
survenu le 4 décembre 2022, Laura Labro,
Ses petits-enfants
dans sa quatre-vingt-treizième année. sa fille
Et arrière-petits-enfants, Lyon. Souvenirs
et Guilhem Grosso,
La cérémonie a lieu au cimetière Jacques Labro
parisien de Bagneux (Hauts-de-Seine), ont la tristesse de faire part du décès Virginie Auclair (†), Patricia et Leur famille rappelle à votre
LES DIEUX DE L’ÉGYPTE ANCIENNE et ses fils, Vincent et Julien, Thierry (†) Berthaud, Denis Auclair, souvenir,
45, avenue Marx-Dormoy, ce mardi de
6 décembre, à 14 h 30. Ellen Docherty, Catherine et Christophe Lombard,
sa sœur, Etiennette BÉNARD MASSÉ,
ses enfants, dite Sylvie,
Ni fleurs ni couronnes. Jacques DUFRESNE, Sarah et Anna Bachelet, Doris et Sébastien, Olivier et Marie,
Hors-série 1921-2017,
ses nièces, Romain, Fanny et Antoine, Nils,
souvenir.albertcarel@gmail.com
qui avait disparu le 3 septembre Jean-Cyril Spinetta, Marina, Eliott et Ulysse, Jean BÉNARD,
2016. son compagnon, ses petits-enfants, économiste,
Judith et Gildas Auffret, 1923-1992.
Marion et Jérôme Schatzman, Suzy, Anouk et Oscar,
HORS-SÉRIE
ses filles et leurs conjoints, La cérémonie religieuse sera ont la douleur de faire part du décès ses arrière-petits-enfants, famille.benard75@gmail.com
Albane, Flore, Noé, Maïa, célébrée le samedi 10 décembre, à de
ses petits-enfants,
EMENT

ont la tristesse de faire part du décès


AUTR
RENDRE
RD, COMP

Conférences
LE REGA

11 heures, en l’église Saint-Romain


DÉCALER

Marie-Christine de Vernejoul, de
Catherine LABRO-DOCHERTY,
Le monvdue de sa sœur
Et toute la famille Chapulut,
de Sèvres (Hauts-de-Seine).

Russie ont la tristesse de faire part du décès


de
Il sera inhumé dans le caveau
de famille, au cimetière parisien de
survenu le 1er décembre 2022. Françoise RAVIER.

La bénédiction aura lieu en l’église


Ses obsèques auront lieu le
Bagneux, dans l’après-midi. de Francheville-le-Haut (Rhône), dans
MIRAGE /
M. Jean-Noël CHAPULUT, vendredi 9 décembre, à 14 h 30, La Chaire du Louvre,
l’intimité familiale.
US D’UN TE
PE RAMET
O, LES DESSO TES DE PHILIP
/ L’ELDORAD S RENVERSAN
PE EN 1914 IMAGE
et aussi... SATIRIQUES DE L’EURO DE L’HISTOIRE / LES

au crématorium du cimetière du Fantômes du Louvre


ES
LES CART QUI CHANGE LE COURS
N
UNE FICTIO

survenu le 2 décembre 2022, Bourg-en-Bresse. Père-Lachaise, 71, rue des Rondeaux, Les musées disparus du XIXe siècle,
Hors-série à l’âge de quatre-vingts ans, Claudine Ruaud,
à Paris. Paris 20e.
Jacqueline Houser, son épouse, Pierre Singaravélou,
Simone Soulas, professeur d’histoire contemporaine
La cérémonie religieuse a été son épouse, Laura Labro, à l’université Paris-1 Panthéon-
célébrée ce mardi 6 décembre, à Ses enfants, petits-enfants et 11, rue de Mirbel, Sorbonne et au King’s College
10 heures, en l’église Saint-Etienne- leurs enfants, Gwenaëlle Ruaud et de Londres, évoquera
arrière-petites-filles, 75005 Paris. Pierre-Jean Lion, Solen Ruaud et
du-Mont, Paris 5e. les « musées disparus » du Louvre.
Morade Zaabar, Pierre Ruaud et Que savons-nous de ces galeries
ont la tristesse de faire part du décès Jean-Cyril Spinetta, Gwenaëlle Leroy-Ruaud, ethnographiques, asiatiques
Société éditrice du « Monde » SA
de 8, rue des Ursulines, ou navales qui ont un jour fait entrer
Président du directoire, directeur de la publication le monde au Louvre ?
Louis Dreyfus 75005 Paris. leurs petits-enfants, Roméo, Maïssa,
Directeur du « Monde », directeur délégué de la
publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio Marcel HOUSER, Massyl, Raphaël et Ana, Cycle de conférences
Directrice de la rédaction Caroline Monnot Emmanuel et Jinquin Dong-Lange, du 12 au 16 décembre 2022.
Direction adjointe de la rédaction à 19 heures.
Grégoire Allix, Maryline Baumard, Hélène Bekmézian, son fils et sa belle-fille, ont la tristesse de faire part du décès
survenu le 2 décembre 2022, Réservation au 01 40 20 55 00
Philippe Broussard, Nicolas Chapuis, Emmanuelle Camille et François, de
Chevallereau, Alexis Delcambre, Marie-Pierre à Bourg-en-Bresse, ou sur louvre.fr
Lannelongue, Franck Nouchi, Harold Thibault ses petits-enfants
Directrice éditoriale Sylvie Kauffmann à l’âge de quatre-vingt-treize ans. Michel RUAUD,
Musée idéal la revue n° 4 Et toute la famille,
Directrice déléguée au développement des services
abonnés Françoise Tovo
Colloque
Directeur délégué aux relations avec les lecteurs Marcel Houser avait été psychiatre survenu le 1er décembre 2022,
Gilles van Kote ont le chagrin de faire part du décès L’Union nationale
des Hôpitaux, psychanalyste, membre dans sa quatre-vingtième année.
Rédaction en chef Laurent Borredon, Emmanuel Davi- de des Combattants de Paris
Collection denkoff (Evénements), Michel Guerrin, Nicolas Jimenez
(photographie), Sabine Ledoux (cheffe d’édition),
Alain Salles (Débats et Idées)
de la Société Psychanalytique de
Paris et du Groupe Lyonnais de Jean-Pierre LANGE,
Les obsèques auront lieu le
organise, le lundi 12 décembre 2022,
de 9 h 30 à 18 heures,
Directrice du design Mélina Zerbib mercredi 7 décembre, à 15 h 30, au à la mairie du 17e,
Psychanalyse. au 16, rue des Batignolles,
Direction artistique du quotidien Sylvain Peirani crématorium du cimetière du Père-
Infographie Delphine Papin survenu le 3 décembre 2022. Lachaise, Paris 20e. le colloque
présente
Directrice des ressources humaines du groupe « La Guerre d’Algérie et ses suites ».
Emilie Conte Une cérémonie d’adieu aura lieu
Secrétaire général de la rédaction Sébastien Carganico Renseignements et inscriptions :
Conseil de surveillance Aline Sylla-Walbaum,
le 8 décembre, à 9 h 30, en la chapelle 6, avenue de Friedland, Gémissons, gémissons, gémissons ! https ://unc.fr
présidente, Gilles Paris, vice-président des Vennes, à Bourg-en-Bresse. 75008 Paris. Mais espérons… didierbeoutis@yahoo.fr

Dès mardi 6 décembre,


le volume n° 10
LE COLLIER DE LA REINE

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Par tél. au 03 28 25 71 71
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22 | horizons 0123
MERCREDI 7 DÉCEMBRE 2022

La jeune fille et l’innocent,


histoire d’une accusation
La cour de révision examine, jeudi 8 décembre, la demande de réhabilitation de Farid E.,
condamné en 2003 par la cour d’assises des mineurs pour « agressions sexuelles » et « viol ».
L’adolescente de 15 ans qui l’avait accusé en 1998, a reconnu en 2017 avoir menti

L
e mardi 15 décembre 1998, dans en pleurs, alors mes frères Antoine et Grégory tré ? Fin juillet. Il s’est inscrit en août au centre inférieures à la normale », sans pathologie
une petite ville du Nord, une gen­ m’ont demandé ce qui se passait. Je leur ai dit social, qui organise des sorties. Pour le reste, il mentale, ni conduite addictive. Le jeune
darme se présente au domicile de que j’avais été violée, sans donner de détails. » a déjà eu quelques problèmes avec la justice, homme « ne manifeste que très peu ses affects,
Julie D., lycéenne de 15 ans. L’en­ De retour à la maison, ils vont réveiller des histoires de violences et de racket, et vient il est instable, avec une impulsivité sous­jacente
quêtrice, saisie par le procureur leurs parents. Toute la famille se retrouve d’être convoqué chez un juge des enfants. S’il a mal contrôlée », et témoigne « d’une grande
de la République d’une affaire dans la chambre à coucher, Julie confirme. une petite amie ? Non. Connaît­il une Julie ? pauvreté non seulement dans le domaine de la
d’agressions sexuelles et de viol en réunion, Les jours suivants, sa mère alerte un ami de la Non plus. Le gendarme lui présente une photo sexualité, mais également dans le domaine re­
veut entendre l’adolescente. Sa mère et un famille, psychologue, qui reçoit la jeune fille. de la jeune fille. Farid l’a déjà vue, « comme ça, lationnel avec les personnages féminins ». Il af­
ami psychologue auquel elle s’est confiée as­ Elle lui répète ce qu’elle a subi. A la gendarme dans la rue ». Il se souvient d’avoir eu « une em­ firme – « d’une manière assez monotone »,
sistent à l’entretien. Julie D. raconte. qui lui demande si elle est allée consulter un brouille bidon » avec un copain à elle qui con­ note l’expert : « On m’a accusé d’une histoire
« Les premiers faits se sont passés un samedi médecin, Julie D. répond non. duit « un scooter jaune ». « C’est un blond, à cha­ que j’ai rien à voir dedans. » L’expert psycholo­
vers 19 h 30, en mars ou en avril, il faisait nuit. « Aviez­vous des lésions sur le corps ? que fois qu’il me voyait, il se foutait de ma gue confirme « l’attitude défensive, désabusée,
Je revenais du cinéma. J’étais allée voir le film – Sur le moment, je n’ai rien remarqué, mais gueule. Je pensais qu’il m’avait fait un doigt parfois même éberluée » du jeune détenu qu’il
Titanic. J’ai descendu l’avenue et, au carrefour, je n’étais pas comme d’habitude dans mon d’honneur. Je me suis expliqué avec lui, il m’a dit examine. « Je suis pas un ange, mais j’ai pas fait
juste avant le pont, j’ai rencontré trois ou qua­ corps. » que c’était pas vrai, je suis parti. Cela remonte à ça. Il paraît que c’est à plusieurs, mais on trouve
tre Arabes. Parmi eux, un dénommé Farid, que La lycéenne explique qu’elle a tout fait pour au moins un an. » pas de plusieurs », s’énerve­t­il.
je connaissais de vue, parce que mon copain essayer d’oublier, mais que, oui, bien sûr, elle Le gendarme l’informe des accusations
Julien avait des problèmes avec lui. Il a 17 ou pourrait reconnaître Farid. d’agressions sexuelles et de viol portées con­ « PAS DE TENDANCE À L’AFFABULATION »
18 ans, il est connu pour sa mauvaise réputa­ Le lendemain, plusieurs amis lycéens de Ju­ tre lui. L’expertise psychiatrique de Julie D. est ver­
tion de bagarreur. Il disait qu’il n’aimait pas les lie sont entendus. Julien, Geoffrey, Elodie, Hé­ « C’est pas vrai ! C’est impossible. Je n’ai ja­ sée au dossier d’instruction. Le médecin a
blonds et qu’il voulait frapper Julien parce qu’il lène et Bérénice ont bien reçu ses confiden­ mais sauté de fille. Je n’ai jamais eu de rapport trouvé face à lui une « jeune fille d’intelligence
crânait avec son scooter. Il m’a demandé une ces. Ils forment un groupe très lié, les filles sexuel ! tout à fait normale, qui se destine à une car­
cigarette, je lui ai dit que je n’en avais pas. Farid vont ensemble à la danse et à l’aérobic. – Vous avez été reconnu. Qu’avez­vous à dire ? rière universitaire, montrant un certain degré
m’a dit que je devais les suivre et me taire. Les Comme Julie était « angoissée », ils n’ont « pas – Je ne sais pas. Ils mentent. Ils se tapent des d’anxiété et de gêne à l’évocation des faits, se
deux derrière Farid m’ont prise par le bras et ils osé » lui poser trop de questions, mais ils sa­ crises ! sentant salie, avec une profonde dévalorisa­
m’ont emmenée dans une ruelle. Ils m’ont al­ vent que ce sont « les Arabes » de la cité voi­ – Avez­vous déjà accosté cette fille ? tion de soi et un dégoût de la sexualité ». « J’ai
longée par terre, un me tenait les bras, le sine qui l’ont agressée « en bande ». Julien – Non ! Jamais. » honte que ça se sache », dit­elle, en soulignant
deuxième me tenait les jambes et le troisième confirme que Farid l’a « emmerdé » plusieurs La garde à vue de Farid est prolongée. qu’elle « vit mal l’opinion des autres et a par­
me touchait la poitrine, les jambes, le ventre fois, à cause de son scooter. Depuis, il l’évite « Maintenez­vous vos précédentes déclara­ fois l’impression “d’être mal jugée, comme
sur mes vêtements. Il n’a pas touché mon sexe. en ville, pour ne pas créer d’incidents. tions ? quoi [elle] men[t]” ». Elle répète n’avoir jamais
J’ai fermé les yeux, je savais que c’était pas la Le frère aîné de Julie, Antoine, raconte à son – Ben ouais. Moi, je veux une confrontation eu de relation sexuelle avant ce viol et souli­
peine de résister et qu’ils étaient trop forts tour ce qu’il sait. Très proche de sa sœur – pour voir ce que les gens disent. gne à propos de l’incarcération de son agres­
pour moi. C’est seulement après leur départ « quand il lui arrive quelque chose, elle me le – Nous vous informons que toutes repré­ seur : « Je pense que c’est normal, qu’il doit être
que je me suis rendu compte que ma chemise dit » –, il a pensé qu’il était de son devoir de sailles à l’encontre de la victime ou de la famille puni, mais je me dis aussi qu’il est trop jeune
était ouverte, mon tee­shirt soulevé et on prévenir les parents. Sa mère décrit une jeune sont à proscrire et vous vous en expliquerez. pour être en prison. » L’expert commente :
voyait ma poitrine. Cette scène a duré dix mi­ fille sage, qui ne sort qu’accompagnée, le plus COMME JULIE ÉTAIT  – C’est pas moi ! Qu’est­ce que tu veux que je « On retrouve là l’ambivalence fréquente chez
nutes, je me suis rhabillée et, quand je suis ren­ souvent de ses frères, ou pour des anniversai­ « ANGOISSÉE »,  dise d’autre ? Je veux arrêter l’audition, j’ai plus les victimes. » Il conclut que Julie D. « est crédi­
trée, je me suis fait engueuler par papa parce res chez des amis, « en présence des parents ». rien à dire. » ble sur le plan médico­psychologique » et
qu’il était tard. Mon père et ma famille ne se Elle a interdiction de rentrer après minuit et SES AMIS N’ONT  Le gendarme rédige son procès­verbal pour qu’« il n’existe pas de tendance pathologique à
sont rendu compte de rien. Il était impensable la respecte. Julie, poursuit la mère, « a une vie le procureur. « Au cours de son audition, Farid l’affabulation ». L’examen gynécologique,
pour moi de leur en parler. tout à fait saine et normale », de bons résul­ « PAS OSÉ » LUI  E. a un comportement agressif et arrogant. Il pratiqué en février 1999, est joint au dossier.
La deuxième fois, c’était en juillet, au cours tats scolaires, comme ses aînés, tous les deux nie toute participation aux agressions qui lui Il constate « un hymen avec une défloration
de la dernière semaine, vers 19 h 30. Je me ren­ étudiants, dont l’un en prépa HEC. Ils compo­
POSER TROP DE  sont reprochées. Il pèse ses mots et revient sur ancienne. L’examen est donc compatible avec
dais chez ma tante. En passant devant un ma­ sent une famille unie. M. et Mme D. sont PDG QUESTIONS,  ses dires au moment de les écrire. Tout au long un rapport ancien ».
gasin de luminaires, j’ai été appelée par Farid et directrice d’une entreprise familiale qui de sa garde à vue, il se bloque quand nous abor­ Par un arrêt rendu le 19 janvier 2001, la
et un autre. Farid voulait savoir où j’étais en emploie une quarantaine de personnes. MAIS ILS SAVENT  dons les faits qui lui sont reprochés. » Le 5 fé­ chambre d’accusation de la cour d’appel de
cours, qui je fréquentais. Je lui ai répondu. Le 19 décembre 1998, Julie identifie deux vrier 1999, Farid E. est présenté à un juge d’ins­ Douai clôt définitivement l’instruction. « At­
Nous avions une conversation normale entre personnes, dont Farid, sur un album photo QUE CE SONT « LES  truction et incarcéré au quartier des mineurs tendu que Julie D. a, de manière constante, cir­
jeunes, mais je me sentais mal à l’aise, car je que lui présentent les gendarmes. « Je les re­ ARABES » DE LA  de la maison d’arrêt de Loos. constanciée, et réitérée, notamment lors de
me souvenais du premier épisode. Il m’a de­ connais formellement. Pour le numéro 6, il Ses amis Ahmed, Hachemi et Moussa sont confrontations, désigné Farid E. comme
mandé de le suivre en me disant qu’il avait s’agit de Farid, c’est lui qui m’a violée. » Le 4 fé­ CITÉ VOISINE QUI  placés à leur tour en garde à vue. Comme Fa­ l’auteur des faits dénoncés ; qu’elle s’est confiée
quelque chose d’important à me dire. Son co­ vrier, elle le désigne de nouveau sans hésiter rid, ils ont déjà eu affaire à la police. Tous ad­ à différentes personnes en des termes corres­
pain était resté avec nous. Nous sommes allés lorsqu’il apparaît derrière une glace sans L’ONT AGRESSÉE  mettent connaître Julie D. « de vue ». Il leur ar­ pondants aux déclarations faites aux enquê­
vers la piscine. Là, d’un seul coup, Farid m’a tain. « Je n’ai aucun doute. Je maintiens mes « EN BANDE » rive de la croiser à la salle de sport, quand elle teurs ; que ses dires sont confortés par l’exa­
pris le bras droit et l’autre Arabe me tenait le déclarations. » Julie D. signe son procès­ver­ vient pour son cours de danse avec ses copi­ men gynécologique dont elle a fait l’objet », la
bras gauche. J’étais paniquée, je n’osais pas me bal, sous la mention : « Je suis consciente que nes. Ils les surnomment « les Spice Girls ». Ont­ chambre d’accusation considère qu’elle dis­
débattre. Arrivés derrière la piscine, ils m’ont ce que je viens de vous dire est important, et ils entraîné Julie, un soir, dans une ruelle ? La pose de charges suffisantes pour ordonner le
poussée à terre, Farid a relevé ma robe et a en­ des conséquences qui peuvent en découler. » réponse est non, affirme Moussa. Et Farid ? renvoi de Farid E. devant la cour d’assises des
levé ma culotte. Il a commencé à me caresser « S’il serait parti avec elle, je m’en serais sou­ mineurs du Nord.
le sexe, en introduisant son doigt, j’avais un « JE N’AI JAMAIS EU DE RAPPORT SEXUEL ! » venu, car on en aurait parlé le lendemain, pour Son procès s’ouvre, le 19 décembre 2003, à
peu mal. Quelques minutes après, il s’est re­ Dans une pièce voisine, Farid E., 17 ans, est en­ le mettre en boîte. » Ahmed et Hachemi recon­ Douai. Après onze mois et vingt­trois jours de
levé, il a baissé son pantalon de jogging foncé tendu sous le régime de la garde à vue. Son naissent, eux, avoir abordé Julie un soir – « elle détention provisoire, Farid a été remis en li­
et son caleçon de couleur claire. Il s’est allongé père, marocain, est ouvrier depuis quarante avait une coupe au carré blond et un manteau berté sous contrôle judiciaire, avec interdic­
sur moi. Il a introduit son sexe dans mon va­ ans dans une usine de Dunkerque. Sa mère, bleu » – pour lui demander une cigarette. Que tion de paraître dans le département, et a été
gin. J’ai eu très mal, il a été d’un seul coup. Je ne française, est employée d’école et de garderie. lui ont­ils dit ? « T’es mignonne. T’as pas une accueilli par un oncle paternel installé en ré­
sais pas s’il a éjaculé, je n’avais pas de taches Ils vivent dans un pavillon, juste à côté de la clope ? » Après, ils ont juste vu Farid discuter gion parisienne. Ses parents l’accompagnent
de sperme sur moi. Ce rapport était ma pre­ cité. Farid est le dernier d’une fratrie de trois avec elle. Hachemi est le seul à dire qu’à un à l’audience. Pas ceux de Julie, qui s’assoit,
mière expérience sexuelle, j’étais vierge. Farid garçons ; ils avaient une petite sœur, qui est moment Farid a disparu avec Julie. Leur garde seule, aux côtés de son avocat sur le banc. Elle
m’a dit qu’il recommencerait si je restais avec morte à l’âge de 3 mois. Son frère aîné tra­ à vue est levée au bout de onze heures. Plus renouvelle ses accusations, mais elle de­
Julien. Ils sont partis, je suis restée un moment vaille dans la même usine que son père ; le tard, entendu comme témoin devant le juge mande en pleurant que Farid E. ne retourne
allongée par terre, je me suis rhabillée et je suis deuxième, toxicomane, est incarcéré. Lui a d’instruction, Hachemi revient sur ses décla­ pas en prison. L’accusé, qui proteste toujours
rentrée chez moi. Je suis montée dans ma arrêté l’école à 16 ans. Renvoyé de plusieurs rations. S’il a mis en cause Farid, c’était « sous de son innocence, est déclaré coupable
chambre et, comme j’y suis souvent, mes pa­ établissements, il a bien tenté un CAP de la pression » des enquêteurs, assure­t­il. d’« agressions sexuelles » et de « viol sur mi­
rents ne m’ont pas posé de questions. » chaudronnerie, mais il a arrêté de lui­même, Une confrontation est organisée dans le bu­ neur de 15 ans », et condamné à cinq ans d’em­
Julie D. sollicite un temps de repos. La gen­ ça ne lui plaisait pas. Il cherche du travail, reau du juge entre la plaignante, Farid E. et les prisonnement, dont quatre ans et deux mois
darme le lui accorde. Son audition reprend à qu’il ne trouve pas, dit­il. Quand il ne va pas à trois autres. Julie D. maintient son récit : elle a avec sursis. La peine prononcée couvre, à quel­
14 heures. Elle s’est tue pendant cinq mois la salle de sport, il traîne souvent en ville avec bien été accostée un soir par les quatre gar­ ques jours près, la durée de sa détention provi­
pour ne pas faire de peine à sa mère, expli­ ses copains Ahmed, Hachemi et Moussa, si­ çons, mais, s’agissant des deux agressions soire ; il est libre. Son avocat lui déconseille de
que­t­elle. Elle voulait se débrouiller toute non il occupe son temps à « regarder la télévi­ qui ont suivi, elle ne désigne avec certitude faire appel. « C’est risqué », dit­il. Ses parents
seule « avec ça ». Elle en a seulement parlé à sion, jouer à la console et dormir ». que Farid. Lui continue de nier. sont condamnés, ès qualités de civilement
quelques amis, en leur faisant jurer de garder L’été 1998, comme chaque année, il est parti L’expertise psychiatrique de Farid relève responsables de leur fils, à verser 17 000 euros
le secret. « Mais, un soir, lors d’une fête, j’étais en famille au Maroc. A quelle date est­il ren­ « un niveau d’intelligence situé dans les limites de dommages et intérêts à la victime.
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MERCREDI 7 DÉCEMBRE 2022 horizons | 23

rassurer. « J’ai pensé à me suicider, ou à y aller


pour dénoncer mon frère et, finalement, j’ai
maintenu mes accusations contre Farid pour
protéger ma famille. J’ai beaucoup pleuré en
racontant l’agression sexuelle et le viol, je sa­
vais ce que c’était, je les avais subis. » Le plus
dur, se souvient­elle, avait été de voir les pa­
rents de l’accusé, dans la salle d’audience. « Je
me disais qu’ils croyaient leur fils coupable. Et
qu’une famille payait à la place d’une autre. »
Tout cela, qui figure sur procès­verbal, Farid
E. l’ignore encore. Lui aussi a poursuivi sa vie.
Il s’est installé dans le Nord, pas trop loin de la
ville où il a grandi, travaille dans le com­
merce, s’est marié, est devenu père de deux
enfants. Après le procès de 2003, son avocat
avait obtenu la condamnation du quotidien
La Voix du Nord, qui avait rendu compte du
verdict en donnant son prénom et son nom
alors qu’il était mineur au moment des pour­
suites. Inscrit au fichier judiciaire des auteurs
d’infractions sexuelles et violentes (Fijais), il
est allé pointer chaque année au commissa­
riat, pendant quinze ans, pour donner son
adresse. Lorsque, en 2017, sans autre explica­
tion, il a reçu un courrier l’informant qu’il
était désormais dispensé de pointage, il a cru
à une erreur. « Mais, pour une fois, c’était en
ma faveur ! Je n’ai pas demandé d’explica­
tion », confie­t­il aujourd’hui. Il a gardé l’ori­
ginal chez lui, en a fait une copie, qu’il a ran­
gée chez son père, par sécurité.

« ILS NE VOUS ONT PAS TROUVÉ »


Farid E. se souvient précisément de ce mo­
ment où il a reçu un appel du commissariat,
en juillet 2022. « C’était la fête de l’Aïd. Le flic
me demande si je peux venir au commissariat.
Je lui demande pourquoi. Il me dit que c’est à
cause de mon affaire de 1998. Ma femme me
voit me décomposer. Et là, il ajoute : “On a tou­
tes les preuves de votre innocence.” Moi, je
doute encore. Il me donne des précisions. Il me
dit que ce serait bien que mes parents viennent
avec moi parce que eux aussi ont été condam­
nés civilement. Je vais chercher mon père en
voiture. Je lui explique : “Ils vont nous dire que
c’est pas moi !” Je fonce avec lui à l’hôpital, où
ma mère est en soins palliatifs. Et je lui dis
que… [la voix de Farid s’étrangle] que je suis
SYLVIE SERPRIX enfin reconnu innocent ! »
Au commissariat, on lui remet un épais dos­
sier. Il découvre tout en même temps. La let­
tre de Julie D. et ses déclarations devant les
Quatorze années s’écoulent. Julie D. a rité auprès de mes parents, les gendarmes et la des explications à son frère aîné sur ce qui s’est policiers. Le lancement d’une procédure de
34 ans, elle s’est installée avec son compa­ justice à l’époque, étant enfermée dans mon passé entre eux, à plusieurs reprises, au domi­ révision devant la Cour de cassation à la de­
gnon et vient de donner naissance à leur en­ propre mensonge et coincée dans l’emprise du cile familial et dans leur maison de vacances. mande du procureur général de Douai. Le
fant. Le 23 octobre 2017, elle écrit au procu­ secret familial. Je me sens honteuse et coupa­ Quelques mois plus tard, lors d’un dîner chez rapport de la commission d’instruction de la
reur de la République de Douai : ble vis­à­vis de Farid E. Il ne méritait pas cela. ses parents, elle leur jette sa vérité à la figure. cour de révision, présenté en septembre 2021,
« Après un long travail sur moi­même en psy­ J’ai mis de longues années à sortir de ce déni. Je « Ça déborde, je leur dis tout ce que mon frère et la décision, rendue un mois plus tard, de
chothérapie, je vous envoie ce courrier pour ne peux malheureusement pas revenir en ar­ « C’ÉTAIT L’AÏD. LE  m’a fait subir, et que j’ai menti au procès. » saisir la formation de jugement. Tout cela, lui
vous informer de ma responsabilité dans les rière. J’assumerai les conséquences de mes ac­ Julie raconte la suite : l’explosion de sa fa­ apprend­on, lui avait été notifié par courrier
faits suivants. Lors d’un procès qui a eu lieu à la tes. Je me tiens à votre disposition. » FLIC ME DEMANDE  mille, le soutien de sa mère, les menaces de mais envoyé à une mauvaise adresse. « Ils
cour d’assises de Douai, en 2003, je vous con­ son frère, l’ambivalence de son père jusqu’à vous ont cherché mais ne vous ont pas
fesse avoir menti. Monsieur Farid E. n’est cou­ EXPLOSION DE LA FAMILLE SI JE PEUX VENIR  ce que son fils aîné reconnaisse devant lui trouvé », s’excuse le policier. Farid E. fulmine.
pable de rien et n’a jamais commis d’actes A la lettre au procureur, Julie D. joint sa AU COMMISSARIAT,  certains des faits dont sa sœur l’accuse. Elle « Je paie mes impôts. Je travaille. Je suis délégué
d’agression sexuelle ou de viol sur ma per­ plainte pour viol contre son frère. Mais rien verse au dossier tous les échanges d’e­mails syndical ! Pour ça, on me trouve ! »
sonne. Je souhaite aujourd’hui rétablir la vé­ ne se passe, la justice ne réagit pas. Un an plus À CAUSE DE MON  et de SMS qui accréditent ses dires. Elle avoue Farid E. sera là, jeudi 8 décembre, aux côtés
rité. Je suis consciente de la gravité de mes ac­ tard, en novembre 2018, la jeune femme écrit avoir aussi menti sur sa virginité, à l’époque de son avocat, Me Frank Berton, lors de
tes et me suis enfermée dans un puissant déni de nouveau, pour exprimer son désarroi. Il AFFAIRE DE 1998.  des accusations contre Farid, à la demande de l’audience devant la cour de révision, au pa­
durant toutes ces années. Je demande pardon, lui faudra encore attendre une année pour sa mère. Celle­ci lui avait demandé de cacher lais de justice de Paris. Il attend d’être le dou­
autant à la cour qu’à Monsieur E., sa famille et être convoquée au commissariat et pouvoir
MA FEMME ME VOIT  aux enquêteurs et aux experts qu’elle avait zième cas reconnu d’erreur judiciaire depuis
ses proches, pour ces fausses accusations. L’en­ enfin s’expliquer. ME DÉCOMPOSER.  déjà eu une relation sexuelle avec son petit 1945. Sa défense se réserve la possibilité de
quête a eu lieu quand j’avais 15 ans, suite à une Ce jour­là, devant les policiers, elle décrit son ami, en 1998, car il ne fallait pas que son père poursuivre Julie D. pour dénonciation calom­
plainte de mes parents en mon nom. Ils mal­être après le procès, son errance de ville ET LÀ, IL AJOUTE :  l’apprenne. Si elle a désigné Farid, explique­t­ nieuse. En sortant du commissariat, l’été der­
avaient eu connaissance de ces accusations en ville qui la conduit à se lancer chaque fois elle, c’est uniquement parce qu’il faisait peur nier, Farid E. avait appelé l’avocat qui l’avait
par mon grand frère Antoine. Je me suis retrou­ dans de nouvelles études supérieures, qu’elle “ON A TOUTES LES  à son copain. défendu lors de son procès pour lui annoncer
vée ensuite dans un processus d’interrogatoi­ ne termine jamais. Les emplois et les liaisons PREUVES DE VOTRE  Julie D. dit aussi qu’à la réception de sa con­ la nouvelle de sa mise hors de cause par son
res et d’enquête que je n’ai pas réussi à stopper. sentimentales qu’elle interrompt toujours au vocation pour le procès elle avait supplié son accusatrice. « Je voulais que vous le sachiez
La vérité est la suivante : j’ai été victime d’inces­ bout de quelques mois. Ses crises de boulimie. INNOCENCE” » avocat d’y aller sans elle. Il lui avait répondu parce que, à l’époque, je ne suis pas sûr que
tes répétés de la part de ce grand frère, entre Ses multiples thérapies. Jusqu’à ce jour de que c’était impossible et l’avait invitée à dé­ vous m’avez cru. » p
mes 8 et 12 ans. Je n’ai pas réussi à rétablir la vé­ 2013, où, pour la première fois, elle demande jeuner avec un couple de magistrats pour la pascale robert­diard
CULTURE
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24 | MERCREDI 7 DÉCEMBRE 2022

pppp CHEF­D'ŒUVRE          pppv À  NE  PAS  MANQUER          ppvv À  VOIR          pvvv POURQUOI  PAS          vvvv ON  PEUT  ÉVITER

Autopsie d’une double bavure policière
Rachid Bouchareb revient sur les morts tragiques de Malik Oussekine et d’Abdel Benyahia en 1986

NOS FRANGINS
pppv

D
eux jeunes vies
arrachées, à quelques
heures d’intervalle.
Celle d’Abdel Benya­
hia, 19 ans, tué par balles devant
un café de Pantin (Seine­Saint­
Denis), par un policier alcoolisé,
armé bien que relevé de son
service. Et celle de Malik Ousse­
kine, 22 ans, massacré à coups de
pied et de matraque par trois
CRS, dans le hall d’un immeuble
du 6e arrondissement de Paris.
Ces deux morts tragiques,
injustifiables, survenues dans la
nuit du 5 au 6 décembre 1986,
dissimulées aux familles aussi
longtemps qu’il fut possible, au
nom de la raison d’Etat, sont
aujourd’hui rappelées à notre
mémoire par Nos frangins, de
Rachid Bouchareb.
Le film arrive en salle quelques
mois après sa présentation en
avant­première à Cannes, et la dif­
fusion sur la plate­forme Disney+
de la série en quatre épisodes
Oussekine, d’Antoine Chevrollier.
Un format long qui a permis
d’étendre le récit sur plusieurs an­
nées. A l’inverse, le dixième long­
métrage de Rachid Bouchareb
resserre le sien sur quelques jours
seulement, tranche dans le vif,
découpe les événements à la lame
d’un couteau, touche à l’os la
douleur des familles.
Le réalisateur ne s’embarrasse
pas d’ostentation, ne tient pas de
discours et ne cherche aucune­
ment à nous tirer les larmes. Les Le père d’Abdel Benyahia (Samir Guesmi) et Malik Oussekine (Adam Amara). LE PACTE
images d’archives, dont use abon­
damment le film, s’en chargent.
Elles constituent la matière pre­ de « professionnels de la déstabili­ été détecté 1,86 gramme d’alcool convertir, pour peut­être devenir vérité, mèneront combat pour
mière – et irréfutable – du scéna­ sation, gauchistes et anarchistes dans le sang. Le père (Samir
Le père d’Abdel prêtre. Et, au fond, qu’importe. que justice soit faite et rendue.
rio, servent de point d’ancrage à la de tout poil et de toutes nationali­ Guesmi) et le frère (Lais Salameh) sait que la police Cette nuit­là, le jeune garçon se Ces personnages, Rachid Boucha­
part fictionnelle de Nos frangins, tés ». Ces actualités datent de plus de la victime attendent dans une promenait tranquillement rue reb non seulement ne les lâche
et à ses personnages réels ou in­ de trente ans. D’emblée pourtant, pièce à côté.
ment. Le souci Monsieur­le­Prince, à Paris. Or­ pas, mais il semble les soutenir
ventés. Par elles s’ouvre le film. elles nous apparaissent familiè­ On leur dit qu’Abdel a été blessé, et l’habitude dre avait été donné aux brigades par la force de sa mise en scène,
Début décembre 1986, la France res, proches, quasi identiques à qu’ils ne pourront pas le voir de voltigeurs à moto – un CRS qui épurée à l’extrême.
va mal, agitée depuis des semai­ celles de notre époque. Nous cette nuit. On les renvoie chez
de se conformer conduit, un autre derrière qui Les teintes froides du film, la gri­
nes par des manifestations étu­ voilà renvoyés à cette évidence eux non sans avoir fait au père un chevillés bastonne – de nettoyer le saille du mois de décembre, l’obs­
diantes protestant contre le pro­ que rien n’a vraiment changé. brin de morale (« vous devriez re­ Quartier latin des casseurs. La curité des intérieurs, les visages
jet de loi Devaquet. Au journal mettre vos enfants dans le droit
au corps, il violence était montée d’un cran. découpés en contre­jour, les sil­
d’Antenne 2, le présentateur Maquiller les faits chemin »). Celui­ci engueulera ne bronche pas Simple passant pris de panique, houettes qui flanchent dans le
Bernard Rapp annonce l’inter­ Ce qui suit nous y conforte de son fils qui jurera n’avoir rien fait. Malik Oussekine avait couru et couloir de la morgue : ce qui est
vention « en ce moment même » manière plus sensible et boule­ Il y était lui, sur les lieux, avec son s’était réfugié dans un hall d’im­ montré, ici, de l’injustice et du cha­
du premier ministre, Jacques Chi­ versante par le basculement du frère. Il a vu Abdel tenter d’empê­ meuble, où trois de ces policiers grin qu’elle engendre, est sans ap­
rac, sur les sujets qui préoccupent collectif à l’individuel. Nous som­ cher une bagarre entre deux porté à l’institut médico­légal. mobiles l’avaient suivi et, sans pel. Tout en œuvrant au devoir de
les Français : l’université, les mes à l’institut médico­légal, où Yougoslaves, puis le policier tirer Celui de Malik Oussekine, dont la hésiter, roué de coups. mémoire, Nos frangins, par sa lu­
grands projets sur la santé, le code le corps d’Abdel Benyahia vient sur lui sans raison. Il sait que la police pense, parce qu’une bible a Deux bavures, deux assassi­ mière crépusculaire, nous plonge
de la nationalité, la cohabitation… d’être déposé. Sur place, l’inspec­ police ment. Le souci et l’habi­ été trouvée dans l’une de ses po­ nats. Le pouvoir ne veut pas de va­ dans une nuit sans fin. p
Des reportages de terrain mon­ teur de l’IGS Daniel Mattei tude de se conformer chevillés au ches, qu’il est d’origine libanaise, gue. Au frère de Malik, Mohamed véronique cauhapé
trent des scènes d’affrontement (Raphaël Personnaz) recueille les corps, de se rendre invisible, le proche des phalangistes chré­ (Reda Kateb) et à sa sœur Sarah
entre étudiants et forces de l’or­ premiers éléments de l’enquête. père ne bronche pas. tiens. En réalité, le garçon est né à (Lyna Khoudri), on tente aussi de Film français de Rachid
dre, des jeunes confiant leur Le jeune homme, dont la famille Quelques heures plus tard, Versailles, de parents algériens. Il maquiller les faits. Eux, contraire­ Bouchareb. Avec Reda Kateb,
« ras­le­bol », Charles Pasqua, mi­ habite La Courneuve, a été abattu dans la même nuit du 5 au 6 dé­ poursuivait ses études dans une ment au père d’Abdel, ne se laisse­ Lyna Khoudri, Adam Amara,
nistre de l’intérieur, les qualifiant à Pantin par un policier chez qui a cembre, un autre corps est ap­ école privée, envisageait de se ront pas endormir, exigeront la Samir Guesmi (1 h 32).

« Les morts violentes d’Arabes en France, cela ne s’est jamais arrêté »


Le réalisateur de « Nos frangins » estime que, si la situation a un peu évolué, beaucoup reste à faire pour la situation des immigrés

ENTRETIEN Nos frangins, évocation du double


assassinat, en 1986, de Malik
même si les morts violentes d’Ara­
bes en France, cela ne s’est jamais
contexte, sont­elles dès cette
époque reliées entre elles ?
J’ai trouvé cela en cours de route.
D’abord parce que je voulais sur­
termes d’acteurs, ni en termes
d’argent. Alors c’est vrai que la si­

N é à Paris voici soixante­


neuf ans, vivant à Bobi­
gny et Drancy (Seine­
Saint­Denis) jusqu’à ses 30 ans,
Rachid Bouchareb, d’origine algé­
Oussekine et d’Abdel Benyahia
par la police française, est réalisé à
cette enseigne.

En 1986, vous avez 33 ans et


arrêté. Pour moi, il est clair qu’il y a
là une tragique continuité.

Pourquoi cette résurgence,


aujourd’hui, de la mémoire de
Je n’ai pas souvenir qu’elles
l’aient jamais été. Les circonstan­
ces de la mort de Malik Ousse­
kine ont mis toute la lumière sur
cette affaire. Le Quartier latin. Les
tout éviter le côté docu­fiction. On
a donc récupéré deux vieilles ca­
méras des années 1980, pour être
plus proche des images d’alors et
établir une sorte de continuité for­
tuation a bien évolué. Sur le plan
social, en revanche, je crois qu’il y a
encore à faire. Beaucoup d’enfants
d’immigrés habitent encore les ci­
tés où habitaient leurs parents.
rienne, est, avec son premier vous venez de réaliser votre ce drame, tant dans votre film manifestations étudiantes. La po­ melle qui nous évite également la
long­métrage Bâton rouge (1985), premier long­métrage. Que que dans la série diffusée sur lice en uniforme. Les voltigeurs. brutalité du passage incessant des Que pensez­vous, à cet égard,
l’un des pionniers de ce qu’on ap­ représente alors, pour le ci­ Disney+ qui l’a précédé ? Abdel Benyahia, qui intervient archives à la reconstitution. Ça a de la montée des extrêmes
pelait « le cinéma beur » à une toyen français que vous êtes, le Je crois que c’est une pure coïnci­ pour faire cesser une rixe, se fait été un gros travail au montage. dans notre pays ?
époque qu’on peut désormais double meurtre du 5 décembre ? dence. Pour ma part, cela faisait tirer dessus par un policier ivre, Cela pose une question grave :
tranquillement qualifier d’anti­ Comme beaucoup de gens, cela vingt­cinq ans que j’avais ce pro­ en civil, dans un café de Pantin. Il y a aujourd’hui, comme que veulent les Français ? Qui
que. De la banlieue, Bouchareb ne m’a énormément touché. Il ne jet. Nos frangins, j’y ai pensé en Encore aujourd’hui, je croise en témoigne, par exemple, le veulent­ils comme représen­
filme pourtant presque rien. Il ne faut pas oublier qu’il y avait eu même temps qu’Indigènes et beaucoup d’anciens manifes­ cinéma, une plus grande visibi­ tants ? Quel régime souhaitent­
rêve que de départs, d’ailleurs, avant des mouvements antiracis­ Hors­la­loi. C’est la suite d’une tants de l’époque lors des avant­ lité de l’histoire et de la popu­ ils ? Qu’adviendra­t­il de la dé­
souvent d’Amérique, où il expédie tes très importants, la Marche des même histoire. Les grands­pa­ premières du film, aucun n’a en­ lation d’origine maghrébine mocratie si l’extrême droite ar­
déjà les trois lascars de Bâton beurs en 1983, SOS­Racisme rents sur le front de la seconde tendu parler de Benyahia. en France. Quel regard portez­ rive au pouvoir ? Des millions de
rouge. Il n’en reste pas moins atta­ en 1985, qui prônaient la fraternité guerre mondiale. Les parents qui vous sur cette évolution ? personnes, par colère et par dé­
ché à la mémoire et à l’histoire des et qui nous laissaient fortement débarquent en France dans les an­ Il y a, dans votre cinéma, cette C’est clair que, lorsque j’ai com­ sespoir, veulent visiblement une
siens : Indigènes (2006), première espérer en une amélioration de la nées 1960. Et la première généra­ idée de fondre les images d’ar­ mencé à faire du cinéma, avec autre France. Cela s’appelle la dé­
fiction française sur les tirailleurs situation en France. Et puis voilà tion des enfants nés dans ce pays. chives, nombreuses dans votre Mehdi Charef et Abdelkrim Ba­ mocratie. Mais on a le droit de
algériens, ou Hors­la­loi (2010), que l’affaire Oussekine nous ra­ film, et celles que vous tournez hloul, dans les années 1980, on s’inquiéter. p
sur la marche vers l’indépen­ menait brutalement aux massa­ Les deux affaires, qui ne se pour les besoins de la reconsti­ partait d’assez loin : il n’y avait propos recueillis par
dance algérienne, en témoignent. cres d’octobre 1961 à Charonne, déroulent pas dans le même tution. Pourquoi ce désir ? rien. Ni en termes d’images, ni en jacques mandelbaum
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MERCREDI 7 DÉCEMBRE 2022 culture | 25

Charlotte Le Bon filme


la chronique estivale
des premiers émois
Le premier long­métrage de l’actrice en tant
que réalisatrice séduit grâce à sa progression
subtile et à la justesse de ses interprètes

FALCON LAKE L’artiste d’origine


ppvv québécoise

P our son premier long­mé­


trage en tant que réalisa­
trice, l’actrice Charlotte Le
Bon, d’origine québécoise, adapte
la bande dessinée Une sœur, de
adapte à l’écran
la bande
dessinée
Bastien Vivès (Casterman, 2017). de Bastien Vivès,
De sa source, elle choisit de ne pas
surjouer l’origine graphique, mais « Une sœur »
retient surtout la finesse de trait,
Stanislaw Wokulski l’intimisme calfeutré, la proxi­
(Mariusz mité avec les personnages. des deux enfants. Les seuls fantô­
Dmochowski) Côté sujet, rien de franchement mes qui surgiront dans les para­
et Izabela Lecka original : il s’agit là d’un énième ges seront ceux en lesquels
(Beata Tyszkiewicz). récit d’initiation amoureuse ado­ Bastien et Chloé se déguisent
MALAVIDA FILMS lescente, chronique estivale des sciemment pour se faire peur.
premiers émois, constituant Leur différence d’âge définit
aussi bien un écrin idéal qu’une toute l’ambiguïté de cette relation,
facilité pour un premier film (tant sa zone d’incertitude : trois ans à
de jeunes cinéastes y ont recours). peine qui, séparant la précocité du

Intrigue balzacienne et baroque A ce type de récit passablement


éculé, Charlotte Le Bon fait toute­
fois subir un déplacement salu­
taire, l’entraînant sur des rives
retard, peuvent être tout ou rien,
s’avérer aussi bien un refuge ras­
surant qu’un gouffre infranchis­
sable. C’est précisément dans cette
nord­américaines peuplées de incertitude que le film trouve sa
Le film du Polonais Wojciech Has, tourné en 1968, est inédit en France mythologies, à commencer par force : entre l’amitié et l’amour, la
celle du teen movie. complicité et le désir, il y a un che­
Bastien (Joseph Engel), un petit minement tortueux qui se reflète
Français de 13 ans, vient passer par une série d’empêchements,
LA POUPÉE marchand revenu de l’étranger,
courtisé, en même temps que
Les personnages sied si bien à une nation constam­
ment meurtrie par l’histoire.
l’été avec ses parents et son petit
frère dans le parc naturel des Lau­
d’hésitations, de gestes suspen­
dus, puis finalement accomplis.
pppp méprisé, par la noblesse désar­ des salons se La question est aussi bien politi­ rentides, au Québec, partageant Tourné en 16 mm, dans la tex­

L transforment
a connaissance du gentée d’un pays mis sous le bois­ que. Le romantisme polonais, avec une autre famille du cru un ture douce du souvenir, Falcon
cinéma polonais en seau par l’Empire russe. Wokulski plus que tout autre en Europe, se chalet au bord d’un lac. Ces colo­ Lake fait montre d’une sobriété
France, abondamment est un parvenu enrichi du fait de en poupées de languit de l’unité perdue de la na­ cataires ont une fille, Chloé (Sara appréciable, calant ses avancées
nourrie (Wajda, Polanski, la guerre, mais a hérité de sa con­ cire, ceux de la tion. Le positivisme naît quant à Montpetit), 16 ans, dont Bastien sur le rythme subjectif des
Skolimowski, Kieslowski, Zu­ dition modeste un humanisme lui de la défaite de la grande insur­ fait connaissance et tombe amours adolescentes, vécues
lawski…), reste pourtant en dette au service duquel il met sa for­ rue en cadavres rection de 1863, noyée dans le amoureux. Chloé fume et boit en comme à l’écart du monde adulte.
de nombreux trésors. Là­contre, tune. Rêvant de réunifier son pays anticipés sang par l’Empire russe qui déca­ cachette, traîne avec des garçons Bastien et Chloé trouvent dans la
la maison Malavida s’emploie de­ démantelé sous la bannière du pite les élites polonaises. Sou­ plus âgés et entraîne le cadet dans nature environnante un théâtre
puis déjà belle lurette à divulguer progrès social et scientifique, il cieux de la réparation d’un pays ses pérégrinations. adapté à leur appréhension mu­
les grands classiques. tombe cependant fou amoureux et des personnages dans le cadre), soumis désormais à une répres­ Une complicité se noue entre les tuelle, fait de chemins à sillonner,
Ainsi de Wojciech Has (1925­ de la voluptueuse et hautaine l’un et l’autre de ces tableaux sion totale et à une russification deux adolescents, doublée de re­ ensemble ou séparément, de
2000), magnifique cinéaste, tem­ aristocrate Izabela Lecka (Beata extrêmes tendent à l’immobi­ massive, ce mouvement rejette gards, de dévoilements, d’aveux, recoins où se perdre, de rives où
pérament baroque et surréaliste, Tyszkiewicz, elle­même issue de lisme. Les personnages des salons l’idéalisme révolutionnaire, qui de jeux, de frémissements et de lambiner. Le travail sur le cadre
auteur d’une quinzaine de films, la vieille noblesse polonaise), qui, s’y transforment en poupées de s’est révélé suicidaire, au profit frôlements tapissant lentement fond les présences adolescentes
dont La Poupée (1968), inédit en tout en bénéficiant de ses larges­ cire, ceux de la rue en cadavres an­ d’une adhésion rationaliste aux leur rencontre érotique. Autour dans un tissu de bosquets et de
France, est l’un des fleurons. Au ses, le trompe avec un cousin dé­ ticipés. La forme prend ainsi en idéaux progressistes européens, d’eux gît surtout le lac, surface frondaisons qui les enveloppe, les
plaisir d’avoir découvert voilà pravé et lui arrache le cœur de ses charge les enjeux mêmes du ré­ mieux à même de consolider et d’échange et étendue miroitante calfeutre, non sans qu’une vague
quinze jours le follement sexuel mains froides. cit : le rêve d’une société en mou­ de souder la nation. aux puissances de mort, dont la menace y flotte.
Je veux être une femme (1977), de vement incarné par Wokulski s’y Il met ainsi l’accent sur l’éduca­ jeune fille prétend qu’un fantôme L’éveil à la sexualité s’y fait par
l’Espagnol Vicente Aranda, suc­ Deux tableaux extrêmes heurte à la calcification d’un tion, la langue et l’art, prône l’éga­ de noyé vadrouillerait dans les glissements, par écarts, effets
cède ainsi, aujourd’hui, celui de se Has enveloppe cette trame balza­ « pays miniature ». litarisme et l’intégration des mi­ parages. d’opportunité, mais jamais par
laisser griser par les splendeurs cienne avec une sensualité baro­ Film ample et magnifique, au norités, principalement juive, coups de force. Sans doute le film
empoisonnées de La Poupée. que, que tempère la composition souffle romanesque et aux dans son projet. Filmant cela Incertitude et fantômes trouve­t­il une limite dans sa
L’action se situe entre les années minimaliste et cristalline de visions surréelles, qu’il faut toute­ dans la Pologne de 1968 qui en­ La mort est intimement liée à façon un peu sage d’enchaîner les
1850 et 1870 en Pologne. En guise Wojciech Kilar (Polanski, Coppola, fois rattacher, sous peine de ne terre définitivement les illusions l’adolescence par la conscience « scènes à faire », sans s’autoriser
de prologue, un jeune commis Gray feront par la suite appel à ses comprendre qu’imparfaitement réformatrices du poststalinisme renforcée que quelque chose de de pures percées sensorielles,
d’auberge qui a des ambitions de talents). Les personnages du beau les enjeux du récit, aux contextes – répression des mouvements l’âge tendre va inexorablement à hormis quelque sympathique nuit
formation à l’université de Kiev s’y monde y évoluent dans des dé­ sociopolitiques tant de l’époque étudiants, campagne antisémite sa perte, et l’une des premières de beuverie. Mais son calme, sa
fait malmener par de jeunes gan­ cors surchargés de dorures, de qu’il met en scène que de celle à forcenée, renforcement de la pistes de Falcon Lake pourrait être mesure, sa progression subtile, la
dins qui le moquent cruellement statuaire antique, d’animaux em­ laquelle il est réalisé. censure –, Has, à qui l’on reprocha celle du film de fantômes. Ainsi justesse de ses acteurs sont ce qui
en l’enfermant dans la cave et en paillés et de végétation tropicale, Sur le premier plan, on évo­ souvent son désengagement, se Chloé apparaît­elle d’abord à garantit sa fine tapisserie d’émo­
lui claquant brutalement la trappe tandis que les miséreux noient quera la figure de l’écrivain Boles­ montrait le plus ardemment Bastien sous la forme d’un corps tions désordonnées, comme di­
sur la main. Or cette main appar­ doucement leur vie dans le froid, law Prus, dont le roman épo­ politique des cinéastes. p inerte, flottant à la surface des rectement sorties du cœur. p
tient à Stanislaw Wokulski (Ma­ la fange et la prostitution. nyme, paru en 1890, inspire La j. ma. eaux ou s’y laissant choir comme mathieu macheret
riusz Dmochowski, merveilleux Quoique filmés dans un mou­ Poupée. Figure de proue du cou­ pour jouer la morte. Charlotte Le
acteur venu de chez Andrzej vement souple et continu (plans­ rant dit positiviste de la littéra­ Film polonais de Wojciech Has. Bon résiste toutefois aux séduc­ Film français et canadien
Munk) et ils mangeront dedans. séquences sinueux tout en travel­ ture polonaise, en réaction à la Avec Mariusz Dmochowski, tions trop faciles d’un fantastique de Charlotte Le Bon. Avec Joseph
Une ellipse nous le fait retrou­ lings latéraux, profondeur de grande vague romantique inau­ Beata Tyszkiewicz, Tadeusz d’ambiance et se contente d’ac­ Engel, Sara Montpetit, Monia
ver au faîte de sa gloire, richissime champ, foisonnement des objets gurée par Adam Mickiewicz, qui Fijewski (2 h 19). compagner pas à pas la relation Chokri, Arthur Igual (1 h 40).

Le matou mousquetaire revient, en pleine crise existentielle


Onze ans après ses débuts, le personnage secondaire de la saga « Shrek » est de retour, moins égocentrique, mais toujours avec fière allure

aux sirènes annonciatrices de suc­ confronté, cette fois, à une crise prend, par une série de flash­back, meur inébranlable (le personnage mener l’irréductible félin au rang
LE CHAT POTTÉ 2. cès, les créateurs du studio Dream­ existentielle qui l’oblige à l’intros­ le deuxième épisode, cet excès de le plus drôle du film), entrepren­ de simple mortel, l’obligeant à ré­
LA DERNIÈRE QUÊTE Works prennent alors le pari de pection. Ce virage sous la houlette zèle a fait perdre huit vies à notre nent un périple durant lequel ils fléchir au sens de l’existence.
ppvv construire un long­métrage rien du réalisateur Joel Crawford et du prétentieux. Comme chacun le devront affronter quelques enne­ La réussite de ce Chat potté 2
que sur sa tête. Ecrit par Tom scénariste Paul Fisher – Les sait, les chats en possédant neuf, il mis, eux aussi en quête de l’étoile : tient à ce double mouvement qui

B elle carrière que celle du


Chat potté ! Apparu dans
Shrek 2, en 2004, le félin à
poils roux, chapeauté et botté
comme un mousquetaire, s’im­
Wheeler et réalisé par Chris Miller,
Le Chat potté, lancé en salle
en 2011, est un triomphe, enregis­
tre 3,5 milliards de dollars au box­
office mondial, propulse le félin au
Croods 2. Une nouvelle ère (2020) –
favorise le second degré, donne un
sens nouveau à l’aventure et ap­
porte de la nuance au personnage.
Il bénéficie au film.
ne lui en reste donc plus qu’une. La
prise de conscience est rude. Heu­
reusement, une occasion se pré­
sente qui pourrait remettre les
compteurs à zéro. Il suffit au félin
Boucle d’Or et ses trois ours ; Big
Jack Horner, le géant mafieux.
L’aventure s’engage, créant à me­
sure un univers qui emprunte
autant aux codes du western qu’à
s’opère entre l’action menée et le
chemin intérieur. Ici, les péripéties
hautes en couleur, l’humour, la di­
versité des personnages, les ruptu­
res de rythme, les changements
pose d’abord avec patience et dis­ rang de vedette et ne laisse guère d’aller décrocher l’étoile à vœux ceux du conte pour enfants et à d’échelle et de registres ne visent
crétion. On le retrouve au généri­ de suspense quant à la possibilité Western et conte cachée au fond de la Forêt sombre. l’intérieur duquel se glisse une pas seulement à nous divertir. Ils
que des films suivants (Shrek, le d’un deuxième volet. Nous l’avions connu imbu de lui­ Désormais vulnérable, le matou ombre : la mort incarnée par le alimentent une réflexion pleine
troisième, sorti en 2007, et Shrek 4. Onze ans plus tard, c’est chose même, égocentrique, narcissique se montre prudent et n’hésite pas Loup décharné avec ses deux faux. de profondeur qui rend ce volet
Il était une fin, en 2010), mais tou­ faite. Le chat revient, avec son et invincible. De fait, dans le pre­ à demander de l’aide à son an­ Sans nul doute, le pire adversaire meilleur que le premier. p
jours dans un rôle secondaire. même accent hispanique (la voix mier volet, il s’était montré coura­ cienne partenaire et amoureuse, qu’ait eu à affronter le Chat potté véronique cauhapé
Qu’importe. Le public le remar­ d’Antonio Banderas) et sa même geux et pugnace, avait vaincu tous Kitty Pattes de Velours. Tous et dont usent les auteurs pour dé­
que et manifeste, à son égard, un fière allure, mais beaucoup moins les dangers et atteint sa quête. Seu­ deux, flanqués d’un corniaud construire leur héros. Une belle et Film d’animation américain
engouement certain. Attentifs héros que précédemment, car lement voilà, comme nous l’ap­ errant et galeux à la bonne hu­ audacieuse idée, qui permet de ra­ de Joel Crawford (1 h 42).
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26 | culture MERCREDI 7 DÉCEMBRE 2022

La patte Lynch
sur les motifs
du film noir
Vingt­cinq ans après sa sortie,
« Lost Highway », du cinéaste
américain, est de retour en salle

REPRISE Réarrangement occulte des mo­


tifs du film noir, Lost Highway est

P
lus les années passent, d’abord l’histoire d’un homme
plus l’œuvre de David qui tue sa femme dans une éclipse
Lynch apparaît essen­ de conscience. Fred Madison (Bill
tielle, songe tendre et ef­ Pullman), saxophoniste de jazz
frayant de l’Amérique schizoph­ marié à la brune et énigmatique
rène croupie en ses mythes, que Renée (Patricia Arquette), sent
l’on traverse comme un miroir qu’entre eux quelque chose se fis­
brisé. La ressortie de Lost Highway sure à basse intensité, et qu’à la
(1997) en copie restaurée, vingt­ place s’immiscent doute et jalou­
cinq ans après, en apporte une sie. Chaque jour, le couple reçoit
preuve supplémentaire. L’aura du des cassettes vidéo anonymes
film n’a cessé de croître, au point contenant des images de leur do­ Patricia Arquette interprète les deux rôles de Renée et d’Alice. POTEMKINE FILMS
d’« emblématiser » son époque, la micile, puis d’eux en train de dor­
queue de comète des années mir. De toute évidence, un in­
1990, ainsi qu’un certain tour­ connu, dont Fred ressent la pré­ – dont un homme sans nom au Ainsi n’a­t­on pas manqué de suite en voiture avec le gangster),
nant « fin de siècle » du cinéma sence de plus en plus intime­ visage de clown inquiétant (Ro­ voir en Lost Highway une fiction
David Lynch trouée par les apparitions surna­
américain, poussant à un degré ment, s’introduit chez eux. Une bert Blake), parfois armé d’une biface sur un cas schizophré­ opérait surtout turelles d’Alice, qui occasionnent
inouï son potentiel de réflexivité. dernière cassette montre Renée caméra vidéo. Régnant sur Pete, nique (le double Fred/Pete), qui de troublants ralentis. Comme
Lynch opérait surtout avec ce affreusement mutilée : le mal est multipliant les incartades sexuel­ pourrait se traverser mentale­
avec ce film une souvent chez Lynch, l’image est au
film une expérience de récit sans fait, et Fred atterrit en prison. les avec lui, Alice l’entraîne à ment dans les deux sens – ce à expérience de cœur de la réflexion.
retour, parmi les plus fascinantes commettre un crime et le pousse quoi invite l’effet de boucle final. L’americana de roman noir qu’il
qui soient. Le plan du générique Lien secret entre deux parties aux confins de lui­même, sur la On peut aussi considérer que
récit sans retour, dépeint ici se révèle hantée par des
est resté célèbre : une route avec C’est à cet endroit que le récit se voie de Fred enfoui. Lynch, en bon postmoderne pour parmi les plus images maudites : les bandes por­
ses marquages jaunes avalée à plie sur lui­même. Dans la cellule En un quart de siècle, la glose qui toutes les histoires communi­ nographiques où figure Alice ou
vive allure par le flash hagard de du nouveau détenu, les gardiens abondante suscitée par Lost quent, doive en passer par un
fascinantes les snuff movies exhibés dans les
phares de voiture, au son du trouvent à sa place un jeune Highway n’a pas suffi à épuiser récit exogène pour boucler son qui soient fêtes privées. Il en va d’un certain
spectral I’m Deranged, de David homme, Pete Dayton (Balthazar son mystère ni à expliciter le lien premier récit. En ce sens, ce qui destin des images au tournant du
Bowie. La route (un souvenir d’En Getty), dont personne ne com­ secret entre ses deux parties. relie psychiquement Fred à Pete XXIe siècle : faisant l’objet de trafics
quatrième vitesse, de Robert prend comment il a pu arriver là. L’écueil consiste souvent à ne voir est évident : un même désir de est une splendide variation par la pègre, ce sont elles, désor­
Aldrich ?) est alors ce ruban sem­ Relâché, quelque peu abasourdi, en Lynch qu’un ésotérique dont possession maladif pour Renée/ antonionienne sur la crise du cou­ mais, qui sèment la mort, entéri­
blable à la logique du rêve, ce dernier reprend ses activités de les films s’offriraient à l’interpré­ Alice trouvant son absolu dans ple, où les dissonances four­ nant la corruption définitive d’Hol­
comme à la pellicule défilant garagiste et s’éprend d’une poule tation, voire au décodage. Or, le l’acte sexuel, tandis que la millent dans un intérieur pétri lywood, la vieille usine à rêves. p
frénétiquement dans le projec­ à gangster : la belle Alice, jouée cinéaste est plus sûrement un femme, elle, contient une plura­ d’unheimlich freudien, soutenue mathieu macheret
teur, susceptible de se tordre sur par la même Patricia Arquette, affectif, qui ne cesse de creuser, lité de mondes qui, toujours, par une extraordinaire partition
elle­même à tout instant, de subs­ mais cette fois teinte en blonde. A entre les degrés d’une réalité échappent à l’homme. de souffles inquiétants et de Film américain de David Lynch
tituer au film en cours son envers l’image de celle­ci, plusieurs figu­ donnée, des voies de passage qui Lost Highway est surtout un drones hypnotiques. La seconde (1997). Avec Bill Pullman,
– et c’est précisément ce qui va se res et motifs de la première partie répondent à une logique moins grand film de mise en scène. Sa en offre une déclinaison parodi­ Patricia Arquette, Balthazar
passer à l’échelle du film. font retour sous un autre jour rationnelle qu’émotionnelle. première partie, toute en lenteur, que (la scène comique de pour­ Getty,Robert Blake (2 h 15).

Jeunes filles tunisiennes M USI QUE


Le festival des Vieilles
Charrues prolongé d’une
Mécanique de l’évasion
entre marivaudage et patriarcat journée pour accueillir
les Red Hot Chili Peppers
Pour sa prochaine édition,
fiscale pour les nuls
Sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs, à Cannes, le « huis clos » le festival breton Les Vieilles Yannick Kergoat signe un documentaire
Charrues, qui devait se tenir
dans les champs d’Erige Sehiri séduit par l’originalité de son dispositif à Carhaix­Plouguer (Finis­ de vulgarisation coécrit avec Denis Robert
tère), du 13 au 16 juillet 2023,
sera prolongé d’une journée,
après la mort de ses parents. Tous celle du 17. Les organisateurs de cabinets d’avocats fiscalistes et
SOUS LES FIGUES Tous les acteurs les acteurs sont des comédiens ont annoncé, lundi 5 décem­ LA (TRÈS) GRANDE d’audit qui ont pignon sur rue, de
ppvv sont des non professionnels, et le film fait bre, que cette décision avait EVASION banques qui jouent le jeu et de

D es regards qui se croisent


et se jaugent sous les
branches, tandis qu’une
main soupèse une figue. Si elle est
un peu verte on la laisse, si elle est
comédiens non
professionnels,
et le film fait
entendre un dialecte de la région
berbère. La cinéaste ne tire pas
tout le parti de cette authenticité,
contraignant parfois ses person­
nages dans les stéréotypes
été prise pour pouvoir ac­
cueillir les Red Hot Chili Pep­
pers. « La venue de ce groupe
mythique sur les terres breton­
nes méritait bien d’ajouter un A
ppvv
vec le concours de spécia­
listes parlant un langage
clair, et moult séquences
pays qui mettent leur législation
au service du trafic, les propriétai­
res réels de l’argent disparaissent
sous un réseau de sociétés fantô­
mes et de prête­noms.
molle on la cueille. Ce n’est pas un entendre un fabriqués pour les besoins du récit cinquième jour aux 31es Vieilles d’animation édifiantes et facé­
hasard si, en argot, la figue dési­ – un peu chargé par ailleurs. Charrues », ont­ils indiqué. La tieuses, le documentaire de vulga­ Complicité des Etats
gne le sexe féminin : l’amour est
dialecte de la Ainsi l’on voit venir à 100 lieues la mise en vente des places, au risation de Yannick Kergoat, coé­ Encore n’a­t­on encore rien dit de
comme un fruit mûr à saisir, dans région berbère scène de l’agression sexuelle tarif de 59 euros, aura lieu à crit avec Denis Robert (journaliste l’« optimisation fiscale », qui fait
le sensuel Sous les figues, premier qu’une cueilleuse réussira finale­ partir du vendredi 9 décem­ qui avait enquêté sur l’affaire l’objet d’un passionnant démon­
long­métrage de fiction de la ment à déjouer. bre, à 10 heures, sur le site Clearstream, chambre de com­ tage, montrant comment les
documentariste tunisienne Erige dans l’arbre, qui elle­même pense Très efficace, la mise en scène Internet du festival. pensation luxembourgeoise), est multinationales, dotées d’armées
Sehiri (La Voie normale, 2018). au garçon occupé à sa besogne un produit une sensation d’étouffe­ consacré aux mécanismes de d’analystes financiers et d’avocats,
C’est une question de tempo et la peu plus loin. Pendant ce temps, ment, avec ses acteurs coincés CI N É MA l’évasion fiscale. Une pratique qui, utilisent les brèches offertes par
réalisatrice réussit particulière­ l’aïeule, Leila (Leila Ohebi), sur­ sous l’arbre comme un « plafond « Black Panther 2 » loin d’être jugulée, ne fait que les diverses législations nationales
ment à tenir le rythme, ainsi que veille les unes et les autres, et par­ de vert », mais elle se risque trop se maintient en tête croître et embellir à mesure que le pour se soustraire à l’impôt.
les différentes intrigues qui se fois dénonce les paresseux ou les peu en dehors du canevas fixé : dé­ du box-office américain système enrichit les plus riches et Un art dans lequel les GAFA sont
nouent sous les figuiers, le temps voleurs – moyennant un allonge­ sirs, frustrations, sororité… Man­ Le long­métrage de Ryan appauvrit les autres, au vu et au su passés maîtres, avec la béné­
d’une journée de cueillette. ment de la paie – au jeune patron que un peu d’errance, d’échap­ Coogler Black Panther : des gouvernants, avec la bénédic­ diction de Barack Obama, lequel,
sans vergogne. Celui­ci embar­ pées, de démesure, même si la ci­ Wakanda Forever trône tion des établissements bancaires lorsqu’il était président des Etats­
Mise en scène très efficace que, à l’aurore, les travailleurs, néaste, admiratrice d’Abdellatif toujours au box­office améri­ qui y participent et au détriment Unis, refusa de signer l’accord in­
Sélectionné à la Quinzaine des pour la plupart des femmes, à l’ar­ Kechiche, s’autorise quelques fur­ cain, mais commence à du bien commun. ternational qui aurait permis de
réalisateurs, à Cannes, le film sé­ rière de sa fourgonnette et règne tifs pas de côté : une séquence au s’essouffler. Après quatre Il était donc une fois l’âge d’or lutter contre ces pratiques. Ces
duit par son dispositif, économe en maître, plus ou moins inflexi­ bord de la rivière où l’on se rafraî­ semaines d’exploitation, des coffres suisses et du sacro­ juteuses martingales ne sauraient
et esthétique : des plans rappro­ ble, jusqu’au coucher du soleil. chit les pieds ; le visage des fem­ il n’aurait amassé que saint secret bancaire, en vertu enfin exister, c’est du moins la
chés dans les feuillages – rien que Fidé (Fide Fdhili) incarne la jeune mes âgées, qui regardent ba­ 17 millions de dollars les 3 et desquels les contrevenants fai­ thèse de ce film, sans la complicité
cela – captent des bribes de con­ fille la plus libre, qui parle aux tailler toute cette jeunesse ; la 4 décembre, et ne devrait pas saient véhiculer, ou véhiculaient des Etats qui, depuis le G20 de
versation, que le récit se charge hommes et monte à l’avant du vé­ gueulante de Fidé ; puis, enfin, le atteindre le cap du milliard eux­mêmes leurs lingots et leurs 2008, feignent d’en combattre le
ensuite de rendre intelligibles, et hicule avec le patron qui lui fait la silence des filles qui, leur journée de dollars de recettes. Dans le grosses coupures. Mais en 2008, principe par des déclarations d’in­
le « huis clos » en plein air montre cour. Sana (Ameni Fdhili) assume terminée, se maquillent et se re­ top 10, on remarque l’entrée à les banquiers suisses se font tor­ tention ou la publication de listes
une microsociété rurale dans ses son conservatisme et se projette gardent, dans une complicité sans la sixième place du Prix du dre le bras par le Sénat américain. des paradis fiscaux.
tiraillements. Jusqu’aux jeunes dans un mariage religieux avec paroles, car tout est dit : la vrai vie jury du Festival de Cannes en Les voilà contraints de révéler des Le film aurait infiniment gagné
filles tunisiennes cueillies à froid, son fiancé, qu’elle compte « édu­ commence. p mai, Les Huit Montagnes, de noms. C’est la fin d’un eldorado. à faire figurer l’« ennemi », à le
entre marivaudage et patriarcat. quer » pour qu’il n’aille pas voir clarisse fabre Felix Van Groeningen et En fait, les choses sérieuses com­ laisser s’exprimer et à entrer dans
Les branches des figuiers sont d’autres femmes ; Melek (Feten Charlotte Vandermeersch. La mencent. La mondialisation et la ses raisons. p
comme des flèches décochées par Fdhili) est bouleversée de retrou­ Film tunisien, français, suisse, fréquentation des salles reste numérisation vont y aider avec jacques mandelbaum
Cupidon, reliant les personna­ ver, au milieu du verger, Abdou allemand, qatari d’Erige Sehiri. faible, après un Thanksgiving l’apparition de la société offshore.
ges. Un seau à la main, une jeune (Abdelhak Mrabti), un ancien Avec Fide Fdhili, Ameni Fdhili jugé inquiétant par les obser­ Le clic remplace la Cadillac du Documentaire français de
fille se confie à sa copine perchée amoureux qui avait quitté le pays (1 h 32). vateurs, le pire depuis 1994. Corniaud. Désormais, avec l’aide Yannick Kergoat (1 h 54).
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MERCREDI 7 DÉCEMBRE 2022 culture | 27

ppvv À VOIR
L E S   A U T R E S   F I L M S   D E   L A   S E M A I N E

Mourir à Ibiza
et Mattéo Eustachon (1 h 47).
Il y a toujours, dans les vacances d’été, quelque chose d’une
douce agonie. C’est à ce sentiment, fait d’insouciance en sur­
face et de gravité en profondeur, que s’attache ce premier long­
métrage. Réalisé par un trio d’élèves de la CinéFabrique de Lyon
– Anton Balekdjian, Léo Couture et Mattéo Eustachon –, il est la
mise bout à bout de trois courts­métrages tournés sur trois
étés avec les mêmes comédiens. Variation sur le vagabondage
amoureux, Mourir à Ibiza fait montre d’une indolence plai­
sante, due à sa légèreté, à son itinérance, à sa clarté estivale, à la
primeur de ses jeunes interprètes comme à ses dialogues im­ Lily (Mallory
provisés. C’est aussi un film malin, stratégique, sachant brandir Wanecque),
habilement certains fétiches estampillés Nouvelle Vague pour 15 ans, est
les appliquer aux jeunes gens d’aujourd’hui. p ma. mt enceinte
Film français d’Anton Balekdjian, Léo Couture de Jessy, tout
juste sorti
pvvv POURQUOI PAS de prison.
Il nous reste la colère PYRAMIDE DISTRIBUTION
Le documentaire sur la fermeture d’usine et sur la lutte des
ouvriers est devenu, avec la désindustrialisation et le triomphe
du capitalisme actionnarial, un classique du genre. Le désespoir
et les larmes des ouvriers, l’ingrate cupidité du système, les
vautours qui se font passer pour des recours, les fumigènes
qu’on allume, l’impuissance proclamée du gouvernement :
voici les grandes lignes du drame. Soit, ici, la société Ford qui
décide de fermer son usine de Blanquefort, en Gironde. Travail
de syndicats affaiblis, CGT et Philippe Poutou en tête. Base qui
les lâche et préfère négocier les clauses de départ. Le rideau
Des ados entre fiction et réalité
tombe en 2019. Le scénario de ce type de films est hélas répéti­
tif et ne connaît jamais de happy end. p j. ma. Lise Akoka et Romane Gueret observent ce qui se joue dans la relation
Documentaire français de Jamila Jendari
et Nicolas Beirnaert (1 h 36). entre un réalisateur et les jeunes qu’il filme dans une cité
Les Bonnes Etoiles
Le réalisateur japonais Hirokazu Kore­eda infléchit depuis danger Ryan, qui discerne mal la dien. En faisant la navette entre tombée. Du temps inutile, non
quelques années une œuvre assez sombre, taraudée par la LES PIRES fiction de la réalité ? Quand va­t­il ces deux mondes, Les Pires réussit filmable, où l’on se dit des choses
question de la famille et de la filiation, du côté de la comédie. ppvv couper la caméra lorsqu’il conduit à rendre perceptible la perte de intimes. De leur proximité émane

C’
Cette révolution interne l’amène en Corée, où son film prend est l’histoire d’un ce dernier à faire une crise de nerfs repères progressive des enfants. une forme de tendresse qui s’ins­
la forme, à partir de la question des enfants abandonnés à leur tournage, comme il qui finit par le clouer au sol ? En Qui écouter ? A la maison, on de­ talle petit à petit dans une forme
naissance, d’un road­movie coloré. Mené de manière assez y en a déjà eu cela, Les Pires rejoint les débats mande à Ryan d’arrêter de frapper de mélancolie. Celle, pour les
débonnaire, le film est plaisant à suivre, mais peine à mettre d’autres au cinéma. autour des méthodes de travail sa tête contre les murs, tandis que enfants, de voir partir les premiers
sa mise en scène à la hauteur des enjeux abordés. Song Parmi les plus célèbres, La Nuit d’Abdellatif Kechiche ou de l’Autri­ Gabriel lui enjoint de faire exacte­ adultes, ni parents ni profs, ni as­
Kang­ho se révèle à peu près le seul à tirer son épingle du jeu américaine (1973) et Hollywood chien Ulrich Seidl, qui jouent avec ment l’inverse devant la caméra. sistants sociaux ni juges, qui ont
dans cette histoire farfelue et tient ce mélo repeint aux Ending (2002) décrivent les turpi­ les limites en engageant de jeunes Au­delà du tournage, Les Pires se trouvé quelque chose de mieux
couleurs d’un « feel good movie » sur ses épaules. p j. ma. tudes de la vie de plateau liées aux acteurs non professionnels ou en place parfois en retrait de lui­ chez les « pires ». p
Film coréen de Hirokazu Kore­eda (2 h 09). relations sentimentales chez forçant l’immersion. même pour mieux observer ce maroussia dubreuil
François Truffaut, à l’anxiété d’un On sait gré aux réalisatrices de qui s’y joue, à travers le
Samhain metteur en scène chez Woody ne pas flouter la frontière entre la personnage d’une jeune régis­ Film français de Lise Akoka
Une femme revient chez elle après avoir disparu mystérieuse­ Allen. Les Pires, de Lise Akoka et fiction et la vie, à la faveur de quel­ seuse qui conduit les enfants sur et Romane Gueret. Avec Mallory
ment. Elle semble avoir changé de manière inquiétante. Sa fille Romane Gueret, récompensé du que chose de très brut : d’un côté, le plateau et passe un peu de Wanecque, Timéo Mahaut,
tentera de découvrir la vérité. Samhain, premier long­métrage prix Un certain regard lors du la technique, de l’autre, le quoti­ temps avec eux quand la nuit est Johan Heldenbergh (1 h 39).
d’une jeune cinéaste irlandaise, s’interroge sur les origines Festival de Cannes en mai,
païennes de certains mythes tout en s’attachant à une descrip­ s’inscrit dans la tradition du
tion de l’environnement social au sein duquel se meut son hé­ grand chambardement des émo­
roïne, une adolescente inquiète et volontaire formidablement tions en présence d’une caméra.
interprétée par la jeune Hazel Doupe. Samhain témoigne d’une Cité Picasso, à Boulogne­sur­
ambition typique d’une certaine tendance du cinéma fantasti­ Mer (Pas­de­Calais). Gabriel, un
que contemporain, abordant le surnaturel comme l’expression réalisateur belge au doux accent

PRIX LOUIS-DELLUC 2022


rhétorique d’une forme de névrose féminine. p j.­f.r. flamand, a choisi des enfants et
Film irlandais de Kate Dolan (1h33). adolescents pour raconter une
histoire qui n’est pas si éloignée de
À L’AFFICHE ÉGALEMENT ce qu’ils connaissent. Son film, au
Archipel titre intrigant – A pisser contre le
Film d’animation canadien de Félix Dufour­Laperrière (1h12).
Kanun, la loi du sang
vent du nord (qui vient, en fait,
d’une expression ch’tie) –, va
EXTRAORDINAIRE.
LIBERATION
Film franco­belge de Jérémie Guez (1 h 35). parler de violence familiale et
Maestros
BOULEVERSANT.
sociale à travers une fratrie en­
Film français de Bruno Chiche (1 h 28). deuillée : Lily, 15 ans, enceinte de
Le Royaume des étoiles Jessy tout juste sorti de prison,
Film d’animation germano­autrichien d’Ali Samadi Ahadi et Ryan, son petit frère, élevés par TELERAMA
(1h24). des parents cacochymes, alcoo­
Le Temps des ovnis liques et démissionnaires. On UN GRAND FILM.
★★★★
Documentaire français de Georges Combe (1h45). pourrait être dans les paysages
brouillardeux de la Somme de
Bruno Dumont ou dans la ban­
LE PARISIEN
lieue de Liège des frères Dardenne.

MAGISTRAL.
Dès les premiers plans, l’équipe
LES MEILLEURES ENTRÉES EN FRANCE de tournage reste plus longtemps
Evolution que prévu dans une salle de classe
Nombre par rapport Total avant de s’engouffrer dans des
de semaines Nombre Nombre à la semaine depuis
ELLE
petits appartements et se dé­
d’exploitation d’entrées (*) d’écrans précédente la sortie

PLUS QU’UN FILM,


ployer sur des terrains vagues qui
Black Panther : leur servent de décor. Mainmise

Wakanda Forever
4 216 712 785 – 38 % 3 027 002 sur le quartier. Le cinéma est­il
venu piller la vie des pauvres au C’EST UN CHOC.
Enzo le Croco 1 126 804 494 126 804 prétexte de la sublimer ? Les BFMTV
Le Torrent 1 126 242 508 126 242 choix de Gabriel provoquent des
Simone, le voyage… 8 100 042 626 ↓ – 37 % 2 124 658
tensions chez les habitants. LE CINÉMA D’ALICE DIOP

SAINT
Violent Night 1 75 253 313 75 253
Pourquoi montrer ce qui ne va
pas en dépit des bonnes œuvres A DES POUVOIRS MAGIQUES.
Fumer fait tousser 1 74 018 313 74 018 de l’action sociale ? Pourquoi re­
cruter des gamins qui n’aiment
★★★★
Reste un peu 3 64 286 510 ↓ – 27 % 330 031 LE JOURNAL DU DIMANCHE
pas l’école, pourquoi donc s’inté­
↓ resser aux « pires » ?
UN FILM QUI NE
Le Menu 2 60 201 274 – 41 % 184 480
Un film sur un tournage court le
Couleurs de l’incendie 4 56 608 785 ↓ – 44 % 677 279

OMER
VOUS QUITTE PAS.
risque d’aboutir à une œuvre qui
Annie Colère 1 54 933 325 54 933 ne semble pas finie, une sorte de
making of. Sans y échapper tout à FRANCE INTER
AP : Avant­première * Estimation
Source : « Ecran total » Du 30 novembre au 4 décembre inclus
fait, un des traits les plus remar­

PUISSANT
quables des Pires tient à la manière
très subtile dont le film rend visi­
Cette semaine au cinéma, un reptile arrive en tête des sorties avec bles les rapports de manipulation
Enzo le Croco, une comédie musicale animée qui totalise 126 804 tic­
kets vendus. La bête est suivie de près par Le Torrent, thriller français
d’Anne Le Ny (126 242 entrées). A touche­touche aussi, le film de Noël
entre le cinéaste et ses acteurs.
Jusqu’où Gabriel va­t­il mettre en
U N F I L M D E ALICE DIOP
ET VISCÉRAL. LA CROIX
de l’Américain Tommy Wirkola, Violent Night (75 253 spectateurs),
et Fumer fait tousser, du Français Quentin Dupieux (74 018). Annie Le film rend
Colère, de Blandine Lenoir, avec Laure Calamy, fait une arrivée timide
visibles, de façon
(54 933 entrées), tandis que Le Lycéen, de Christophe Honoré, peine
à trouver son public (43 082). Tout va bien en revanche pour le block­ très subtile, ACTUELLEMENT
© PHOTO : LAURENT LE CRABE

CANDIDAT DE LA FRANCE
AU CINÉMA
buster Black Panther : Wakanda Forever, qui, en quatrième semaine, OSCAR 2023
dépasse les 3 millions de tickets vendus. Les Amandiers, de Valeria
les rapports DU MEILLEUR FILM INTERNATIONAL
Bruni Tedeschi, continue de pâtir de la mise en examen pour viol de manipulation
et violences de Sofiane Bennacer, l’un des acteurs principaux du
film, qui, avec – 49 % de fréquentation par rapport à la semaine précé­
entre le cinéaste Les Films du Losange / www.filmsdulosange.com

dente, comptabilise aujourd’hui 180 524 spectateurs. et ses acteurs


28 | télévision 0123
MERCREDI 7 DÉCEMBRE 2022

Catherine Hiegel à l’abordage des ondes NOTRE


SÉLECTION

La comédienne incarne la femme pirate Anne Bonny dans un podcast signé Claire Richard
ME R CR ED I 7 D ÉC E MBRE

ARTE RADIO Planète+


À LA DEMANDE Ali, histoire d’un retour
FICTION SONORE 20.55 Une enquête sur la remontée
sur le ring de Mohamed Ali,

D
écoiffante, délicieuse destitué en 1967 de son titre
à l’oreille, car remplie de champion du monde de boxe
de trouvailles et à cause de ses critiques sur
merveilleusement in­ la guerre du Vietnam, menacé
terprétée, jouissive dans ses d’emprisonnement pour désertion
multiples niveaux de lecture, après son refus d’être incorporé.
ouvrant le champ de la réflexion
sans que jamais la fiction TF1
première – les aventures d’Anne Titanic
Bonny – soit sacrifiée, ainsi va la 21.10 Le film qui révéla Leonardo
dernière production d’Arte Radio DiCaprio et Kate Winslet, réalisé
signée Claire Richard à l’écriture, par James Cameron en 1997.
Sabine Zovighian et Arnaud Le plus célèbre naufrage de l’histoire,
Forest à la réalisation. le 15 avril 1912, revisité en mode
Véritable bijou radiophonique, romantique, avec l’idylle de deux
La Dernière Nuit d’Anne Bonny a, jeunes gens que rien ne devait
il est vrai (vingt ans d’Arte Radio amener à se rencontrer.
obligent ?), bénéficié de plus de
moyens que d’ordinaire. Mais, à ce France 4
sujet, ouvrons une parenthèse et Tryo : le « concert
ajoutons d’emblée qu’on a trop vu des XXVII ans »
– ou plutôt entendu – récemment 21.10 Le groupe de reggae
(mode du podcast oblige) de pro­ acoustique a finalement réussi
ductions rigoureusement ratées à célébrer son anniversaire,
et particulièrement pénibles pour le 20 mai 2022, à l’Accor Arena
nos oreilles (texte faiblard, direc­ de Paris, après plus d’un an
tion d’acteurs inexistante, effets d’attente et de reports, en joyeuse
sonores appuyés et insignifiants) compagnie de toutes générations.
pour ne pas faire de cette histoire
de budget tout un biscuit. Canal+
Cela étant dit, « écoutez­moi La célèbre femme pirate, se sachant près de mourir, se confie à une jeune fille (Apolline, jouée par Alice Belaïdi). LOLA FÉLIN En même temps
bien », comme il est dit dès l’épi­ 22.20 Dans cette comédie
sode 1 : « Ce qui compte, ce sont burlesque et potache de Benoît
les histoires. » Tout commence la multiprimé Les Chemins de possibles et des réflexions. Ainsi, de donner du grain à moudre à Delépine et Gustave Kervern,
nuit où la célèbre femme pirate désir et dans Soumission impossi­ à l’épisode 3, se pose la question :
La fine équipe nos facilités de pensée, ça souffle, Vincent Macaigne et Jonathan
– ici génialement incarnée par ble, elle explorait fantasmes doit­on dire nègre ou noir ? Plan­ de « La Dernière ça tangue et ça danse ! Cohen incarnent un tandem d’élus
une Catherine Hiegel bougonne –, et désirs avec talent, humour et tation ou camp forcé de travail ? Ajoutons que, sapin sur la bûche locaux de bords opposés qui
se sachant près de passer l’arme à une complexité bienvenue. Et l’un des personnages de com­
Nuit d’Anne de Noël, la fine équipe en a ima­ se retrouvent collés ensemble.
gauche, se confie à une jeune fille Dans le cas d’Anne Bonny, c’est menter : « Ce qui me dérange, c’est Bonny » giné une version pour les enfants. Pour le meilleur et pour le rire.
(Apolline, jouée par Alice Belaïdi) fascinée par son histoire mais quand on instrumentalise l’his­ Que, là encore, c’est un bijou : à la
qu’elle a choisie pour reprendre sa frappée de voir que ce qui existe toire, quand on utilise les silences
en a imaginé fois joyeux, entraînant et s’amu­ TFX
maison. Car, oui, Anne Bonny est sur le sujet est trop souvent des archives pour fabriquer des une version sant de la carte postale, car « être De la ville à la campagne.
devenue – pouvoirs de la fiction – monosource (la biographie de histoires qui nous font du bien pirate pour de vrai, c’est pouvoir Un changement de vie
tenancière de bordel. Mère ma­ Charles Johnson), et parce qu’elle politiquement mais qui sont trop
pour les enfants rester en mer pendant des mois de tous les défis
querelle donc, plutôt que mère voit déjà ce qu’elle se refuse à en simplistes pour être vraies. (…) et des mois sans pleurnicher, af­ 22.55 Tout quitter pour changer
tout court, car se fût­elle mariée et faire (une héroïne protoféministe, Dire qu’Anne Bonny est une fronter des tempêtes terribles sans de vie ? Chiche, se sont dit
eût­elle enfanté, c’est, dit­elle, « le femme puissante, lesbienne à femme puissante, c’est de l’illu­ plexités et à la contradiction, en vomir, boire de l’eau où nagent des quatre familles, suivies par ce
corps difforme et l’âme essorée » bâbord et forte d’une belle soro­ sion rétrospective. » politique comme en fiction. C’est asticots sans chouiner qu’on préfé­ documentaire. Comme ce couple
qu’elle aurait fini. rité), que Claire Richard se « cogne ça que je vis, c’est ça qui m’inté­ rerait des frites. Ouais, être pirate de Franciliens qui est allé ouvrir
la tête » pour imaginer une fiction « Approches féministes » resse. Je me méfie (y compris et c’est une affaire sérieuse, mon pe­ une épicerie dans un village de
Belle dramaturgie interne un brin plus complexe que ces Mais dissipons tout malentendu d’abord chez moi !) des pensées tit ». Se dire alors que faire enten­ 350 habitants. Les surprises, bonnes
Féministe, Anne Bonny ? Résolu­ belles histoires qu’on se raconte. et écoutons ce que nous confie dogmatiques et des raccourcis. dre « ça » et « comme ça » (avec, ou mauvaises, sont au rendez-vous.
ment, et plutôt trois fois qu’une. D’où l’idée de la maquerelle : Claire Richard : « Je m’inscris J’aime dans la fiction son caractère toujours, Catherine Hiegel en
Mais. Car il y a un « mais » – voire « J’adore Anne Bonny, mais j’adore évidemment dans un champ dialogique : le fait qu’on puisse y mère maquerelle) aux enfants Netflix
deux ou trois – tant Claire Richard aussi qu’elle ne soit pas sympa. » féministe, et cette retraversée mettre des pensées en mouve­ est un cadeau inestimable. p La Famille Claus 3
qui tient ici la plume est trop ma­ Sa sœur Anne réinventée, Claire du parcours d’une femme du ment, en conflit, sans trancher. » émilie grangeray A la demande Troisième saison
ligne et a plus d’un tour dans Richard a eu la brillante idée XVIIIe siècle et de son rapport à la Dire alors avec quelle intelli­ de la série sur les péripéties
son sac d’autrice biberonnée d’imaginer des querelles d’histo­ liberté s’inscrit évidemment dans gence Sabine Zovighian et La Dernière Nuit d’Anne Bonny, de l’improbable famille du père Noël
aux sciences humaines pour riens, dispositif malin qui, en sus ces nouvelles approches, féminis­ Arnaud Forest ont su mettre de Claire Richard, réalisée (Santa Claus) et de ses descendants,
nous fourguer une histoire bien d’apporter une belle dramatur­ tes, des figures du passé. Mais par ces pensées en mouvement et par Sabine Zovighian et Arnaud par le réalisateur belge
sous tous rapports. Déjà, dans le gie interne, ouvre le champ des ailleurs, je m’intéresse aux com­ en sons. Parce que, oui, en plus Forest (Fr., 2022, 9 × 20 min). Ruben Vandenborre.

0123 est édité par la Société éditrice


HORIZONTALEMENT du « Monde » SA. Durée de la société :

I. Inscrits sur les registres publics.


SUDOKU 99 ans à compter du 15 décembre 2000.
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reux. Assure un maintien provisoire.
IV. Titus. Vit. Sq. V. Ite. Egée. VI. Questeur. Mue. VII. Ue. Puiserait. de la presse étrangère
9. Echelle du temps. Difficile à avaler.
VIII. Elgar. Elan. IX. ULM. Et. Etang. X. Retardataire.
qui ont marqué L’Imprimerie, 79, rue de Roissy,
10. Ethnologue et critique d’art l’année 93290 Tremblay-en-France
VERTICALEMENT 1. Critiqueur. 2. Habituelle. 3. Agitée. GMT. 4. Redû.
proche des surréalistes. Personnel. Montpellier (« Midi Libre »)
Avec 11 pages de jeux conçues par le magazine
11. Maîtrisent le sauvageon. Un bre- Origine du papier : France, Belgique.
Spa. 5. Pu. Saturer. 6. Est. Ei. Td. 7. Nerveuse. 8. Aigrelet. 9. Imite. Rata. Taux de fibres recyclées : 87 %. Ce journal est imprimé sur un
lan et une paire en main. 12. Protégée
10. Eon. Emanai. 11. Ruas. Ui. Nr. 12. Etiquetage EN VENTE CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX papier issu de forêts gérées durablement et de sources controlées.
des attaques extérieures. Eutrophisation : PTot = 0.008 kg/tonne de papier
0123
MERCREDI 7 DÉCEMBRE 2022
styles | 29

A Gizeh, l’homme Dior


entre futur et passé
Kim Jones a présenté en Egypte, au pied
des pyramides, la ligne masculine automne
2023. Une collection faite de références
au travail du fondateur Christian Dior
et de pièces futuristes

MODE l’objet d’un voyage. En décembre 2021,


c’est à Londres que Kim Jones, directeur

L
e mois de décembre s’annonce artistique des collections masculines, a
particulièrement chargé pour le emmené la collection automne 2022
petit monde de la mode. Ces pro­ hommage à Jack Kerouac, tandis qu’en
chaines semaines vont en effet mai c’est à Los Angeles qu’il a dévoilé
voir s’enchaîner de nombreux défilés une ligne capsule imaginée en collabo­
– hors période de fashion week – à travers ration avec le jeune créateur américain
le monde. Comme une réminiscence Eli Russell Linnetz.
d’un temps pré­Covid, pré­inflation, pré­ Pourquoi l’Egypte ? « Il semblait appro­
guerre en Ukraine, quand le luxe organi­ prié de faire quelque chose de très spécial
sait à tour de bras des événements un peu à la fin de l’année. Il s’agit de résumer le
partout dans le monde. Ainsi, le 6 dé­ passé, le présent et l’avenir en un lieu – de­
cembre, Chanel présente sa collection vant la grande pyramide », explique Kim
des Métiers d’art 2022­2023 à Dakar, le Jones. Explorer les archives et le patri­
8 décembre, direction Los Angeles pour moine de la maison pour imaginer son
la collection automne 2023 de Celine, le futur, ce fut en effet la démarche de Kim
10 décembre, c’est Giorgio Armani qui dé­ Jones tout au long de cette année. Cette
filera avec sa ligne « Neve » (« neige ») à collection ne déroge pas à la règle. « Nous
Saint­Moritz (Suisse), tandis que Simon nous sommes penchés sur le tailoring, sur
Porte Jacquemus montrera sa ligne prin­ les premières collections de Christian
temps­été 2023 à Paris, le 12 décembre. Dior. Nous avons pris les pièces et les cou­
Le coup d’envoi de ces réjouissances pes les plus modernes qui correspon­
internationales est donné par la maison daient à ce sur quoi nous travaillions –
Dior, qui a présenté, samedi 3 décembre adapter le féminin au masculin et com­
en soirée, sa ligne automne 2023 ment cela fonctionne sur le corps, sans
Homme en Egypte, au pied des pyrami­ changer radicalement les vêtements »,
des de Gizeh, haut lieu de l’histoire des poursuit le directeur artistique.
civilisations. Un défilé que Le Monde a Cette collection est ainsi truffée de ré­
suivi depuis Paris par écran interposé, férences au travail du fondateur de la
en ayant pris connaissance de défla col­ maison. En 1949, Christian Dior imagine
lection en amont dans les ateliers pari­ une robe qu’il baptise « Junon », dotée de
siens de la rue de Tilsitt, présentée par larges pans de tissu qui retombent Défilé Dior Homme, au pied des pyramides de Gizeh, en Egypte. DIOR MEN
Edward Crutchley, directeur du tissu et comme des pétales de fleurs. On re­
des imprimés de Dior Homme. trouve ici des vestes inspirées de cette
Le groupe LVMH est familier des défi­ technique, travaillées dans une laine lons aux genoux renforcés par des co­ L’idée d’être “guidé par les étoiles” fa­
lés dans des endroits hors du commun : épaisse. Les plissés des jupes portées ques, leurs grandes capes pour se proté­ çonne la collection », commente Kim Jo­
en 2007 déjà, Fendi avait défilé sur la par­dessus des pantalons souples, avec Les bottes ger des intempéries et leurs gourdes ac­ nes à ce propos.
Grande Muraille de Chine, tandis de longs manteaux drapés ou encore de crochées aux sacs à dos… Un concert du musicien et composi­
qu’en 2021 Dior organisait son show courtes vestes taillées dans un tulle
remontant Les accessoires jouent également sur teur Max Richter, reprenant les Quatre
croisière féminin au stade Panathénaï­ transparent, sont quant à eux inspirés le long de la la notion d’un futur ultratechnique : les Saisons de Vivaldi, est venu clore ce dé­
que d’Athènes, lieu­clé de l’Antiquité des jupes « Bonne Fortune », du prin­ bottes remontant le long de la cheville filé qui a accueilli près de mille invités,
grecque. Rien ne semble trop beau, trop temps­été 1950.
cheville ont été ont été moulées par une technique d’in­ dont les acteurs Robert Pattinson et Da­
lointain ou trop extravagant pour un moulées par jection, les casques portés à la main sont niel Kaluuya. La veille, la maison avait
secteur jusqu’ici peu touché par la crise. « Dune » et le Quintette de Stephan quant à eux imprimés en 3D. On pense à présenté au sein du Grand Egyptian
Selon les résultats présentés en octo­ Il y a un côté science­fiction dans cette
une technique l’esthétique du film Dune (1984) de Da­ Museum du Caire – dont l’ouverture est
bre par les grands groupes du luxe, ce collection, dont la scénographie, avec la d’injection, les vid Lynch. Des imprimés reproduits à prévue pour 2023 – une ligne capsule
dernier se porte en effet plutôt bien. Au silhouette des pyramides se dessinant en partir de photos du télescope James­ imaginée en collaboration avec le créa­
troisième trimestre 2022, les ventes des arrière­plan, accentue le propos : décli­
casques portés Webb de la NASA montrent le Quintette teur américain Tremaine Emory et bap­
marques de mode de LVMH (proprié­ née dans une palette de gris et de beiges, à la main sont de Stephan, ce groupement de galaxies tisée « Dior Tears ». Une réinterprétation
taire de Dior) ont grimpé de 22 %, après avec quelques pointes de jaune ou situé dans la constellation de Pégase, sur contemporaine du denim, inspirée de
+ 24 % sur les six premiers mois de l’an­ d’orange, cette dernière se prête parfaite­
imprimés des parkas et des vestes. « Christian Dior l’allure des étudiants noirs américains
née, pour atteindre 27,8 milliards ment aux digressions autour des mon­ en 3D était fasciné par les symboles et les su­ des années 1950 et 1960. Une autre
d’euros. Certaines collections masculi­ des du futur. Et les hommes Dior sont perstitions, qui reviennent tout au long forme de voyage dans le temps. p
nes de la maison font habituellement prêts pour l’exploration avec leurs panta­ de sa vie et de son œuvre, dont l’étoile. maud gabrielson

Saint Laurent, Frida Kahlo et Schiaparelli, un trio de belles expos


Du Palais Galliera aux Arts décoratifs, les musées parisiens mettent le vêtement et ses créateurs à l’honneur

D es apparats dorés d’Yves


Saint Laurent à la mode
surréaliste d’Elsa Schia­
parelli ou celle affranchie de Frida
Kahlo, trois expositions parisien­
MAD donne à voir la créativité dé­
bridée de celle qui fut longtemps
comparée à Coco Chanel. On
passe ainsi de ses nombreuses
collaborations artistiques – Dali,
d’Elsa Schiaparelli, jusqu’au 22 jan­
vier 2023 au musée des arts décora­
tifs de Paris, 107­111, rue de Rivoli,
Paris 1er. Madparis.fr
tout au long de sa vie. En 2004, la
salle de bains et les armoires de sa
maison, la Casa Azul, à Mexico,
scellées après son décès en 1954,
ont été ouvertes : vêtements, cor­
Frida Kahlo, au­delà des apparen­
ces, jusqu’au 5 mars 2023 au Pa­
lais Galliera, 10, avenue Pierre­Ier­
de­Serbie, Paris 16e.
Palaisgalliera.paris.fr
– un caban en laine bleu emprunté
au vestiaire marin, ponctué de
boutons dorés. Les nombreux ac­
cessoires et bijoux, pensés avec la
complicité de Loulou de la Falaise,
nes donnent à voir une passion­ Bérard, Cocteau ou Man Ray – à Les secrets dévoilés de Frida respondances, accessoires, cos­ illuminent quant à eux l’allure élé­
nante histoire du vêtement. son goût pour l’art de la broderie, Kahlo De Frida Kahlo, le grand métiques, médicaments ou en­ Les étincelles d’Yves Saint gante des silhouettes. Une fois la
sans oublier ses connivences avec public connaît le visage maintes core prothèses médicales ont Laurent L’exposition présentée nuit tombée, place à la fête ! Figu­
L’univers éclatant d’Elsa Schia­ le surréalisme, que l’on découvre fois reproduit, les coiffes tradi­ ainsi été découverts. au Musée Yves Saint Laurent de res du Paris nocturne dans les an­
parelli En 1973, quelques mois à travers le chapeau­chaussure ou tionnelles ou encore les peintu­ Deux cents pièces sont ici expo­ Paris met en lumière l’or et les nées 1960 et 1970, YSL et sa bande
avant sa mort, Elsa Schiaparelli a la robe­homard. Une reconstitu­ res crues et parfois dérangeantes. sées : des tuniques et huipil (vête­ éclats dorés dans le travail du cou­ ont imposé un style : les lamés,
fait don de nombreux vêtements, tion de ses salons de couture du Le Palais Galliera, qui lui consacre ments traditionnels) colorés et turier. A travers une chronologie cuirs et brocards règnent en ma­
dessins et bijoux à l’Union fran­ 21, place Vendôme, est également une exposition richement docu­ brodés provenant de Tehuante­ bien pensée, l’exposition – mise jesté. « Le soir doit briller, sans cela
çaise des arts du costume, dont le présentée, ainsi qu’une sélection mentée, s’attache à lever le voile pec, dans la province d’Oaxaca, des en scène par Elsa Janssen, la nou­ il serait un peu ridicule… », avait
Musée des arts décoratifs (MAD) de créations actuelles de la mai­ sur la vie ponctuée de drames de rebozos (châles en soie), des lettres velle directrice du musée – révèle l’habitude de répéter le couturier.
conserve les fonds. Un geste réso­ son, menée par l’Américain Da­ l’artiste féministe mexicaine. A la et des photos, des peignes à che­ les apparats chers à M. Saint Lau­ Gold. Les Ors d’Yves Saint Laurent,
lument moderne, comme pour niel Roseberry, qui manie lui suite d’un accident survenu à ses veux, des flacons de parfum et des rent. Et ceux­ci sont présents dès jusqu’au 14 mai 2023 au musée Yves
mieux inscrire sa création dans aussi parfaitement l’art de bous­ 18 ans, elle se retrouve en effet bijoux mais aussi des prothèses de les débuts de la maison de couture Saint Laurent, 5, avenue Marceau,
l’héritage de la mode française. La culer les conventions. avec une jambe atrophiée. Ce jambe et des corsets donnant à en 1962 : la première silhouette de Paris 16e. Museeyslparis.com p
rétrospective proposée par le Shocking ! Les Mondes surréalistes handicap nourrira son œuvre voir la souffrance de l’artiste. la collection est déjà parée d’or m. ga.
IDÉES
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30 | MERCREDI 7 DÉCEMBRE 2022

Delphine Batho Le moment est venu d’assumer


la décroissance comme étendard de l’écologie
Face à l’état catastrophique de la planète, la jeunesse l’écologie politique devient confus, im­ Quand une force de rupture est forte
mature, sans grille de lecture. Il ne four­ de ses convictions, elle peut traverser
devrait se tourner vers l’écologie politique. Elle ne nit pas d’outil utile à la lutte. Pis, il l’af­ des échecs électoraux. Mais elle attire
le fait pas, car ce courant politique n’assume pas faiblit. Car il existe une boucle de ré­ les plus déterminés, celles et ceux qui
troaction négative entre la débâcle rompent avec la religion de la crois­
clairement la rupture avec le dogme de la croissance, électorale des écologistes en 2022 et la À CHAQUE GRAND sance. Elle éduque dans le débat électo­
regrette la députée écologiste des Deux­Sèvres situation du mouvement social. L’éco­ CHOIX, À CHAQUE ral, elle influence et infuse dans la so­
anxiété est aussi politique. ciété. Elle construit la conscience de la
Oui, la jeunesse se retrouve seule, elle COUP DUR DANS LA VIE nouvelle classe écologique au moment

I
crie, hurle, provoque. Elle secoue la fai­ où le monde bascule dans les incendies
l y va de l’écologie politique comme grève pour le climat. Dans la rue, ils se néantise politique des formations en DU PAYS, L’OBSESSION et les canicules, où la vie de tous les
de cette scène bien connue dans tou­
tes les familles : l’enfant, pour com­
collent à terre, dans les musées, sur le pé­
riphérique parisien, dans les stades, ils
place, qui auront du mal à canaliser
cette énergie avec la réjouissante pers­
POUR LA CROISSANCE jours illustre le prix à payer de la dépen­
dance aux énergies fossiles. Il ne peut
prendre le monde, demande à ses pa­ crient leur désespérance, sachant qu’on pective d’un score aux élections euro­ PREND LE DESSUS SUR pas y avoir de chance pour le change­
rents : « Pourquoi ? » S’ensuit un dialogue ne veut pas les entendre. Ils quittent leur péennes. Au lieu d’être une occasion ment sans une majorité culturelle pour
vertigineux, où chaque réponse appelle boulot pour ne plus se sentir comme des pour les écologistes, la révolte de la jeu­ L’ENJEU ÉCOLOGIQUE le vouloir.
un nouveau pourquoi, jusqu’à ce que, à souris dans une cage à faire tourner la nesse appuie là où ça fait mal. Elle met
force d’impatience et excédé par le carac­ grande roue de la consommation. Symp­ crûment en lumière le vide programma­ Imaginer un monde harmonieux
tère abyssal du dialogue, l’adulte laisse tômes des standards de la civilisation tique et organisationnel de « l’entre­soi » dre de hausse du pouvoir d’achat et de L’humanité est à son point de bascule,
éclater son argument d’autorité : « Parce productiviste, ces ruptures sont quali­ écologiste. Des changements de forme, relance de la consommation se sont im­ et l’écologie est absente. Les défaites
que c’est comme ça ! » La conversation est fiées de « grande démission », là où il est de nouveaux visages, un nouveau logo posés au sein de la Nouvelle Union po­ électorales, comme les mauvaises récol­
close, mais pas le questionnement. tellement évident qu’il s’agit, au con­ n’y changeront rien. Le cœur de cette pulaire écologique et sociale (Nupes). tes, sont un coup dur. Mais perdre les
La jeunesse n’est pas conditionnée par traire, d’un nouveau « grand engage­ crise de l’écologie politique est l’absence L’attention s’est portée sur le traitement semences et les graines, c’est une catas­
l’expérience, qui finit par façonner une ment » potentiel. de rupture avec le dogme de la crois­ des conséquences de l’inflation au lieu trophe. La distanciation grandissante
résignation à l’état du monde. Parce sance économique. de désigner ses causes, les mêmes que entre l’écologie politique et la jeunesse
qu’elle a un regard neuf, elle n’accepte Polyphonie chaotique En dépit des professions de foi de con­ celles des vagues de chaleur. A chaque est une catastrophe.
pas de compromis et cherche une ré­ La jeunesse qui s’engage n’est pas à l’abri grès en actes, l’écologie politique fran­ fois, ces reculades sont présentées L’urgence est d’imaginer un monde
ponse radicale, au sens littéral du terme, des fausses routes. La limite est fine en­ çaise n’a jamais assumé la décroissance. comme des concessions à l’urgence en harmonieux, tant l’actualité déborde
c’est­à­dire qui s’attaque à la racine du tre radicalité et marginalité, entre déso­ L’identité même de la principale forma­ attendant des jours meilleurs. Avec l’ac­ des nuages sombres de la guerre et des
fonctionnement de nos sociétés. Ce rap­ béissance civile légitime et violences tion écologiste est de revendiquer un célération du réchauffement climatique totalitarismes en tout genre. Compren­
port dialectique est l’un des moteurs de contreproductives, d’autres générations programme de gauche avec une verté­ et de l’effondrement du vivant, ces jours dre le potentiel incroyable porté par la
l’histoire politique : sans cesse une nou­ radicales en ont fait l’amer constat. Pour bration écologiste. Or, la gauche s’est fon­ deviennent des nuits sans fin. jeunesse peut changer la donne politi­
velle génération cherche à dépasser les entraîner l’humanité dans son ensem­ dée sur l’idée même de croissance, qui Le stade ultime de la démission est cet que beaucoup plus rapidement et pro­
frontières du possible. C’est un mouve­ ble, la jeunesse a besoin de soutiens et est le cœur de son projet économique et incroyable appel à voter utile au premier fondément que les états­majors ne le
ment perpétuel et salutaire. d’expérience. Elle doit trouver son pro­ social. Jamais il n’a été mis en cause ni tour de la présidentielle venant de figu­ pensent. Le moment est venu d’assu­
Les anciennes générations écologistes pre chemin, forte du savoir accumulé par même débattu sérieusement, dans le ca­ res de renom des combats écologistes. mer la décroissance comme étendard
se retrouvent aujourd’hui sans réponse des années de lutte. dre des accords électoraux entre les éco­ Selon leur raisonnement, leur candidat de l’écologie. p
face aux pourquoi d’une jeunesse qui Elle devrait naturellement se tourner logistes et la gauche. Les écologistes limi­ naturel était inutile. La question n’est pas
voit tout s’effondrer à la vitesse inouïe vers l’écologie politique, mais qu’en­ tent leur expression et finalement d’instruire un procès en trahison, mais
des destructions exponentielles de l’an­ tend­elle ? Une polyphonie chaotique où s’autocensurent. Et, à chaque grand de poser lucidement le constat de la con­
thropocène. Les leaders écologistes sont se mêlent simplisme de l’utopie à bon choix, à chaque coup dur dans la vie du fusion qui règne dans l’univers écolo­
dépassés, gênés, déstabilisés. marché, pragmatisme du changement pays, l’obsession pour la croissance giste. Là où la décroissance n’est pas as­
La jeunesse coupe les amarres. Dans les de chaudière, opinions à l’emporte­ prend le dessus sur l’enjeu écologique. sumée, les programmes paraissent inter­ Delphine Batho est députée Généra-
grandes écoles et dans les universités, pièce sur tout un tas de sujets. Dans un Nos amis allemands en ont fait l’expé­ changeables, alors même que les options tion écologie des Deux-Sèvres, coordi-
des jeunes refusent de devenir les futurs mouvement paradoxal, plus le danger rience au gouvernement en acceptant la du candidat de la Nupes, visant une aug­ natrice nationale de Génération Ecolo-
cadres de la destruction. A l’échelle mon­ de l’extinction devient évident pour le réouverture temporaire des centrales à mentation du PIB de 2 % par an, étaient gie, ancienne ministre de l’écologie, du
diale, au collège, au lycée, ils ont fait plus grand nombre, plus le discours de charbon. Chez nous aussi, les mots d’or­ contraires aux objectifs écologistes. développement durable et de l’énergie

COP15 de la biodiversité Un renforcement de la conser­


vation des espèces pour empê­
cher toute nouvelle extinction,
pour mieux vivre ensemble et
interagir autrement avec le vi­
vant, comme nous l’avons rap­

La nature n’attendra pas 2030


améliorer le statut de celles qui pelé dans notre rapport, en 2021
sont menacées et rétablir (« L’Avenir du vivant. Nos va­ Premiers signataires :
l’abondance des espèces. leurs pour l’action »). Maud Lelièvre, présidente
Le déploiement des « solutions Alors que la moitié du PIB du comité français de l’Union
fondées sur la nature » [des ac­ mondial dépend de la nature, le internationale pour la conser-
tions qui s’appuient sur les éco­ budget actuel de financement vation de la nature (UICN) ;
Alors que 196 Etats sont réunis à Montréal du 7 au 19 décembre pour systèmes] pour lutter et s’adap­ pour préserver la biodiversité af­ Sébastien Moncorps,
adopter le nouveau cadre mondial pour la biodiversité, ter au changement climatique fiche toujours un déficit de l’or­ directeur du comité français
et répondre à d’autres défis dre de 700 milliards de dollars de l’UICN ; Bruno David,
les membres du comité français de l’Union internationale pour comme l’alimentation et l’ap­ (663 milliards d’euros) par an président du Muséum national
la conservation de la nature appellent à une « haute ambition provisionnement en eau. d’ici à 2030 (selon le rapport « Fi­ d’histoire naturelle ; Jean
Nous avons en outre besoin nancing Nature : Closing the Jalbert, directeur général de
politique » pour enrayer la perte dramatique de la biodiversité d’une stratégie mondiale qui Global Biodiversity Financing la fondation Tour du Valat ;
fasse l’objet d’un meilleur suivi, Gap », établi en 2020). Charlotte Meunier,
avec des évaluations régulières Nous appelons à une mobilisa­ présidente de Réserves natu-

A
et obligatoires des actions mises tion beaucoup plus forte de fi­ relles de France ; Bernard
un moment où les pres­ bone, car les crises du climat et en œuvre par les Etats, à chaque nancements pour la biodiver­ Chevassus-au-Louis, prési-
sions qui s’exercent sur de la biodiversité sont intime­ COP de la biodiversité, tous les sité, afin d’atteindre au moins dent d’Humanité & Biodiver-
le vivant n’ont jamais été ment liées et doivent être réso­ deux ans, pour vérifier que l’at­ 200 milliards de dollars par an sité ; Valérie Collin, secrétaire
aussi fortes, de grandes lues ensemble. teinte des objectifs est en bonne (contre seulement 130 milliards générale de Noé ; Jérôme
attentes reposent sur la COP15 Les négociations finales, du voie. Ce système de compte ren­ annuels aujourd’hui). Nous ré­ Fromageau, président de la
de la biodiversité. Sur fond de 7 au 19 décembre, à Montréal, se­ dus régulier des Etats devra être clamons également la baisse des Société française pour le droit
double crise du climat et de la ront cruciales pour la sauvegarde basé sur des indicateurs fiables. subventions néfastes à la nature de l’environnement ; Agnès
biodiversité, les 196 Etats parties de la planète. Alors qu’aucun des et la réallocation à la protection Vince, directrice du Conserva-
de la Convention sur la diversité précédents objectifs fixés à l’ho­ Mieux vivre ensemble de la biodiversité d’au moins toire du littoral ; Cécile Erny,
biologique doivent adopter le rizon 2020 n’a été atteint et que Un enjeu crucial du cadre mon­ 500 milliards de dollars par an directrice de l’Association fran-
nouveau cadre mondial pour la la pression sur les milieux natu­ dial concerne la réduction des (476 milliards d’euros). çaise des parcs zoologiques
biodiversité. Si la pandémie a re­ rels ne cesse de s’accroître, nous menaces qui pèsent sur la biodi­ Nous voulons enfin que la
tardé l’agenda international, la demandons un cadre d’action versité et la préservation des COP15 soit le démarrage d’une Retrouvez la liste complète
nature n’attend pas. Notre pla­ robuste avec des objectifs chif­ 70 % de zones non protégées. plus grande mobilisation de des signataires sur Lemonde.fr
PLUS NOUS nète est en crise, et la situation frés et précis tels que : Pour relever ce défi, des change­ l’ensemble des acteurs, en par­
va empirer si nous n’agissons L’objectif de conservation à ments importants sont néces­ ticulier les scientifiques, les
DÉTRUISONS LES pas davantage dès maintenant. l’échelle mondiale, d’au moins saires dans nos modes de pro­ ONG, les collectivités locales,
Comme pour l’accord de Paris 30 % des écosystèmes terrestres, duction et de consommation. les peuples autochtones et
ENVIRONNEMENTS, sur le climat, nous avons besoin d’eau douce, marins et souter­ D’autant que la pandémie nous communautés locales, les ci­
PLUS LES RISQUES d’une haute ambition politique rains d’ici à 2030, et l’améliora­ a rappelé que plus nous détrui­ toyens, les jeunes et les fem­
des Etats pour enrayer la perte tion de l’efficacité de gestion des sons les environnements, plus mes. Et nous demandons aux
D’ÉMERGENCE de la biodiversité d’ici à 2030 et aires protégées. les risques d’émergence de nou­ entreprises publiques et pri­
en assurer sa restauration L’arrêt de la perte de superficie velles maladies sont grands. vées d’évaluer, de rendre
DE NOUVELLES d’ici à 2050. Œuvrons pour un et d’intégrité des écosystèmes et Nous devons nous engager sur compte et de réduire leurs im­
MALADIES monde positif envers la nature la restauration d’au moins des modifications profondes et, pacts négatifs – de moitié au
tout comme nous œuvrons 2 milliards d’hectares de mi­ pour y parvenir, renouveler nos moins – pour enrayer la crise de
SONT GRANDS pour un monde neutre en car­ lieux naturels dégradés. relations au reste de la nature la biodiversité. p
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MERCREDI 7 DÉCEMBRE 2022 idées | 31

Thomas Courbe Pour décarboner l’industrie,


il faut une solution adaptée à chaque entreprise
C’est en soutenant l’innovation et l’investissement Relocaliser, c’est décarboner. Au­delà bone. S’il s’agit d’un progrès considéra­ Flux, déployé par la Banque publique
de l’hydrogène et de la séquestration du ble pour inciter au verdissement de la d’investissement, permettent par
qu’il sera possible d’accélérer la décarbonation et la carbone, le plan « France 2030 » permet­ production, il ne couvre cependant pas exemple d’économiser en moyenne
relocalisation de l’industrie, soutient le directeur tra de réduire les coûts de déploiement tous les échanges : nous avons donc en­ 285 MWh par entreprise et 45 000 euros
des technologies de décarbonation : bé­ gagé en parallèle des négociations pour par an sur ses bénéfices avant impôts.
général des entreprises au ministère de l’économie ton et matériaux bas carbone, recyclage, le compléter par des réglementations Le déploiement plus massif des solu­
optimisation des procédés chimiques et produit par produit. tions existantes sera facilité par la mise
métallurgiques, solaire thermique, etc. Le règlement européen sur les batte­ en relation d’offreurs et de demandeurs

L
L’ensemble de ces mesures permettra ries interdira à l’horizon 2027 la mise de solutions, par exemple via la plate­
a crise sanitaire et la guerre en croissant du carbone dans le cadre du d’atteindre l’objectif de réduction sur le marché européen de batteries forme « Je décarbone ».
Ukraine ont accéléré la prise de système européen d’Emission Trading de 35 % de nos émissions de CO2, soit dont la production et le transport émet­ Avec les financements publics déjà dé­
conscience collective quant à Scheme, par l’augmentation du prix des 10 millions de tonnes en équivalent CO2 tent un volume de CO2 trop élevé, et as­ cidés, l’industrie atteindra un objectif
l’importance de l’industrie pour énergies fossiles et les tensions dans par an d’ici à 2030. surera des règles du jeu équitables pour de réduction de 35 %. Le président de la
notre autonomie stratégique. Au leur approvisionnement. Au total, cette Pour aller plus loin, il faut mettre en les producteurs français dont nous sou­ République a demandé aux industriels
sommet de Versailles, les Etats baisse « naturelle » devrait permettre place un cadre réglementaire incitatif tenons aujourd’hui l’émergence via de doubler leurs efforts dans les dix pro­
européens se sont engagés pour la une réduction totale des émissions de sans créer un déficit de compétitivité l’implantation des gigafactory de ACC, chaines années en contrepartie d’un
première fois sur la réduction de nos 22 % entre 2015 et 2030. par rapport aux autres pays. C’est l’en­ Envision ou Verkor. soutien public renforcé.
dépendances dans six secteurs stra­ jeu de notre soutien, tout au long de la Ces trois dernières années ont montré
tégiques. La France s’est aussi engagée Produit par produit présidence française de l’Union euro­ Plan personnalisé que relever le défi d’une décarbonation
dans l’accord de Paris sur le climat à at­ Les projets les plus complexes et non péenne, au mécanisme d’ajustement L’urgence et les objectifs climatiques accélérée de l’industrie, conjugué à un
teindre la neutralité carbone d’ici à 2050. rentables de ces feuilles de route né­ carbone aux frontières. Celui­ci, en renforcés fixés dans le cadre de la feuille effort sans précédent de relocalisation,
Ces objectifs nécessitent de mettre en cessitent quant à eux un soutien finan­ cours de finalisation, récompensera la de route européenne Fit for 55 nous ap­ dans un cadre européen apportant pour
place une planification écologique com­ cier. L’Etat a ainsi déjà mobilisé 1,2 mil­ mise en place de procédés de produc­ pellent à accélérer encore. Le président la première fois une réponse aux fuites
patible avec notre objectif de réindus­ liard d’euros d’aides de France Relance tion décarbonés en Europe et pénalisera de la République a décidé le 8 novembre de carbone, était possible. Il nous faut
trialisation et le maintien de la compéti­ pour soutenir 241 projets permettant de les importations à fort contenu car­ de mettre en place une planification éco­ donc maintenant, par un soutien accru
tivité de l’industrie. réduire de 4,7 millions de tonnes en logique par filière comportant des enga­ à l’innovation et à l’investissement, une
Dès 2019, sous l’autorité du ministre équivalent CO2 par an, soit 5 %, les émis­ gements ambitieux ; par sites en com­ solution adaptée à chaque entreprise in­
de l’économie Bruno Le Maire, la direc­ sions de l’industrie. Par ailleurs, les mençant par les plus émetteurs comme dustrielle – quelle que soit sa taille et
tion générale des entreprises a 782 projets de relocalisation financés Dunkerque (Nord), Fos­sur­Mer (Bou­ l’approfondissement de la réglementa­
construit, avec les principales filières, par France Relance contribuent à la ré­ ches­du­Rhône) ou l’axe Seine ; et par tion mise en place au niveau européen –
des feuilles de route de décarbonation duction de l’empreinte carbone fran­ technologies. Elle sera confiée à Roland pour aller encore plus vite ! p
pour réduire les émissions de l’indus­ çaise, qui est deux fois supérieure aux IL CONVIENT DE METTRE Lescure, ministre délégué chargé de l’in­
trie de 35 % entre 2015 et 2030. émissions de CO2 nationales. Les dustrie. Au­delà d’un soutien renforcé à
La recherche de l’efficacité énergétique batteries qui seront produites en France EN PLACE UN CADRE des projets individuels plus complexes,
est le premier levier de décarbonation. présentent une empreinte carbone en il faudra aussi développer les infrastruc­
Elle génère des économies d’énergie et moyenne 30 % plus faible que leurs
RÉGLEMENTAIRE tures nécessaires à leur déploiement.
des gains de compétitivité. Agir sur l’ef­ équivalentes asiatiques. Outre leur INCITATIF Enfin, chaque entreprise industrielle a Thomas Courbe est directeur général
ficacité énergétique des chaînes de pro­ contribution à notre autonomie stra­ un rôle­clé à jouer pour accélérer la des entreprises au ministère de l’éco-
duction, par exemple à travers l’électrifi­ tégique et aux écosystèmes éco­ SANS CRÉER UN DÉFICIT transition écologique. La sensibilisation nomie, des finances, de la souveraineté
cation, l’isolation des équipements ou la nomiques locaux, ces projets bénéfi­ et l’accompagnement des 26 000 TPE/ industrielle et numérique. Il a été
récupération de la chaleur a engendré cient d’un mix énergétique plus décar­ DE COMPÉTITIVITÉ PME industrielles doivent permettre à secrétaire général du Club de Paris, di-
deux tiers des baisses des émissions de boné qu’ailleurs grâce au nucléaire et PAR RAPPORT chacune d’elles de développer un plan recteur adjoint de cabinet de Christine
l’industrie entre 2014 et 2019. Ces inves­ respectent des normes environnemen­ de transition écologique personnalisé. Lagarde et de François Baroin,
tissements sont encouragés par le prix tales plus vertueuses. AUX AUTRES PAYS Des outils comme le dispositif Diag Eco­ et directeur général adjoint du Trésor

C’est sous la pression des lobbys industriels qu’a été reporté


le plan européen d’interdiction des substances toxiques
Deux cents médecins et chercheurs en toxicologie appellent la France à agir pour qu’ait bien lieu la réforme de la réglementation Reach,
qui vise à renforcer le contrôle de l’utilisation des substances chimiques dans l’Union européenne

E
n Europe, des dispositifs ré­ œuvre : des dossiers trop souvent Le gouvernement français doit vide, il est nécessaire d’intervenir prévoit l’adoption d’un objectif Reach, cruciale pour la santé pu­
glementaires ont l’ambi­ incomplets, des procédures ad­ donc prendre ses responsabilités, sur le niveau de données exigées juridiquement contraignant de blique. Et qu’il soutienne la pro­
tion affichée de contrôler et ministratives lourdes et comple­ intensifier son action et défendre qui, lui, relève de Reach (nature réduction des pesticides de 50 % position de la Commission euro­
de protéger des risques des xes, jugées par la Commission el­ cette réforme. des tests d’identification des ef­ à l’horizon 2030 ainsi que l’exten­ péenne pour l’adoption rapide
produits chimiques, auxquels le­même trop lentes pour proté­ Reach servira par exemple à ap­ fets des PE, avec exigences concer­ sion des zones tampon à proxi­ du règlement sur l’utilisation du­
écosystèmes et humains sont ex­ ger les citoyens contre les risques pliquer les trois classes de danger nant des voies peu explorées). mité des zones utilisées par le rable des produits phytopharma­
posés. Ces dispositifs qui ont pour liés aux substances les plus dan­ désormais reconnues pour les L’enjeu est aussi d’assurer son grand public (habitations, écoles). ceutiques (SUR) pour réduire la
acronymes Reach (sur l’enregis­ gereuses ; et surtout des lacunes perturbateurs endocriniens (PE) application le plus tôt possible, Il est à craindre que sa mise en dépendance de l’Europe quant
trement, l’évaluation, l’autorisa­ dans l’identification des dangers, grâce à la révision du CLP. Celle­ci avec d’autres avancées, telles que œuvre soit elle aussi repoussée. aux pesticides. p
tion et les restrictions des subs­ notamment des perturbateurs était attendue depuis des années la possibilité de prendre – enfin ! Les connaissances scientifiques
tances chimiques produites ou endocriniens, et des usages des par la communauté scientifique – en compte l’exposition à des sur l’état de la pollution (agro­)
commercialisées dans l’Union substances. et par les organisations non gou­ mélanges de substances en vue chimique qui ne cessent de s’ac­
européenne), CLP (règlement rela­ A titre d’exemple, on estime à vernementales : elle permet no­ de limiter le risque d’effet cock­ cumuler sont pourtant très alar­
tif à la classification, l’étiquetage 100 000 le nombre de molécules tamment de prendre en compte tail ; la possibilité d’interdire cer­ mantes. Elles imposent des ré­
et à l’emballage des substances) et mises sur le marché et à 70 000 le les dangers non reconnus par la tains usages grand public et pro­ ponses politiques solides et rapi­ Premiers signataires :
SUR (Regulation of Sustainable nombre de celles dont les dan­ réglementation actuelle et d’éle­ fessionnels de substances les des. Citons simplement deux Isabella Annessi-Maesano,
Use of Plants Protection Products, gers sont insuffisamment carac­ ver le niveau de protection des po­ plus dangereuses. expertises récentes : celle de l’In­ professeure, directrice
soit réglementation de l’utilisa­ térisés. Reach est très lié à un pulations et de l’environnement. serm publiée en 2021 sur les ris­ de recherche à l’Inserm ;
tion durable des produits phyto­ autre règlement, le CLP, relatif à la Cependant, pour que cette évolu­ Connaissances alarmantes ques sanitaires des pesticides Robert Barouki, professeur ;
pharmaceutiques), restent large­ classification de la plupart des tion ne reste pas une coquille L’évaluation des risques par fa­ pour les professionnels et la po­ Jean-Marc Bonmatin,
ment inconnus du grand public, substances chimiques dangereu­ mille de substances, et non plus pulation générale. Et celle de l’In­ toxicologue ; Pauline Cervan,
et hors du débat démocratique. ses ; or, des évolutions importan­ au cas par cas en est une autre. rae en 2022 montrant la contami­ toxicologue ; Nicolas Cheva-
Alors qu’ils nous concernent tous tes sont en cours. L’exemple des bisphénols (avec le nation générale des écosystèmes. lier, professeur, CHU de Nice
lorsque nous utilisons une pein­ cas emblématique du bisphénol Malheureusement les alertes et Inserm ; Xavier Coumoul,
ture, nous portons un vêtement Une réforme cruciale A remplacé par des alternatives scientifiques se succèdent, professeur ; Barbara Deme-
« technique » imperméable, nous Dans sa stratégie sur les produits insuffisamment caractérisées) comme une méta­analyse ré­ neix, professeure ; Serge
achetons des meubles ou lorsque chimiques, un des piliers du Pacte LA FRANCE ou des perfluorés montre que cente montrant une forte accélé­ Hercberg, professeur ;
nous nous alimentons. vert européen, la Commission es­ dans une même famille de nom­ ration du déclin de la fertilité Olivier Kah, directeur de
Ces dispositifs font l’objet de timait que la révision du règle­
DEVRA ÉGALEMENT breux composés peuvent parta­ masculine. Ses auteurs appellent recherche émérite au CNRS ;
critiques récurrentes depuis leur ment Reach était nécessaire. Si PROMOUVOIR ger la même toxicité. à une action mondiale : les déci­ Emmanuelle Kesse-Guyot,
mise en application. Le règle­ cruciale qu’elle avait annoncé le La France devra également pro­ deurs ne pourront pas dire qu’ils épidémiologiste ; Pierre-
ment Reach, entré en vigueur 25 avril la mise en œuvre d’un LA RÉVISION D’UN mouvoir la révision d’un autre rè­ ne savaient pas. Michel Perinaud, médecin,
en 2007, vise à contrôler la fabri­ plan d’interdiction des substances glement, celui concernant les Nous, chercheurs et chercheu­ président de l’Alerte des méde-
cation et l’utilisation des subs­ toxiques pour la santé et l’envi­ AUTRE RÈGLEMENT, pesticides. Pièce maîtresse du ses, médecins, demandons à cins sur les pesticides ; Jean-
tances chimiques dans l’Union ronnement. Son report, annoncé CELUI CONCERNANT Pacte vert européen, le SUR est l’Etat français qu’il agisse pour Louis Zylberberg, médecin
européenne. Mais de nombreux le 18 octobre, traduit notamment actuellement en discussion au ni­ l’adoption dès les prochains mois du travail. Retrouvez la liste
obstacles freinent sa mise en la pression des lobbys industriels. LES PESTICIDES veau du Parlement européen. Il de la réforme du règlement complète sur Lemonde.fr
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32 | idées MERCREDI 7 DÉCEMBRE 2022

Dialogue social : la « République contractuelle » en panne


ANALYSE 76 820 en 2021. Il en est autrement pour ce
qui est de la qualité du dialogue social. Pour
cia a observé qu’en 2020 « 80 % des entrepri­
ses entre 50 et 500 salariés ayant une section
« trop politisés », « inefficaces », éloignés des
attentes de ceux qu’ils prétendent représen­

A
première vue, l’événement est moderniser les relations sociales et donner syndicale se sont affranchies de l’obligation de ter, bénéficient, dans le dernier baromètre
symbolique. Le 8 novembre, une plus de poids aux syndicats, le code du tra­ négocier les salaires ». Sans être sanctionnées. du dialogue social du Centre de recherches
négociation interprofessionnelle vail a fait l’objet d’une double révolution, Même isolé, un tel décrochage est inquiétant. politiques de Sciences Po (Cevipof), en 2021,
s’est ouverte sur « le partage de la en 1982 avec les lois Auroux et en 2017 avec Les ordonnances du 22 septembre 2017, pri­ d’un léger mieux : 40 % des salariés leur font
valeur dans les entreprises ». Prévue jusqu’à les ordonnances Macron. vilégiant la négociation d’entreprise, ont pro­ confiance contre 29 % en 2017. Mais 60 % ex­
la fin de janvier 2023, elle respecte tous les ca­ Au lendemain de l’élection de François voqué un nouveau chambardement. Dans les priment leur défiance et 70 % pensent que le
nons de la démocratie sociale. Olivier Dus­ Mitterrand, en 1981, Jean Auroux, le ministre entreprises de onze salariés ou plus, un co­ dialogue social ne fonctionne pas bien.
sopt, le ministre du travail, a adressé aux du travail, convaincu que « l’entreprise ne mité social et économique (CSE) a repris les Guy Groux, sociologue au Cevipof, pointe
partenaires sociaux une « feuille de route ». doit pas être le lieu du bruit des machines et attributions des anciennes instances (comité un « échec » des ordonnances, qui « révèlent
« 80 % DES  Un éventuel accord sera repris dans une loi. du silence des hommes », fait adopter, avec le d’entreprise, délégué du personnel, CHSCT). les carences des syndicats qui, par leurs divi­
ENTREPRISES ENTRE  Emmanuel Macron, défenseur d’une « Ré­ concours de la CFDT, quatre lois qui cham­ sions et leurs faiblesses, peinent à accompa­
publique contractuelle », a­t­il abandonné sa boulent le code du travail : la loi du « Trop politisés » gner dans la durée des réformes réelles et d’en­
50 ET 500 SALARIÉS  pratique verticale du pouvoir, comme il l’a 4 août 1982 sur le droit d’expression des sala­ D’après le rapport du comité d’évaluation vergure. Ou à imposer des mesures appro­
promis avant sa réélection, pour écouter da­ riés ; la loi du 28 octobre 1982 sur les institu­ des ordonnances, présidé par Jean­François priées à un patronat souvent frileux face aux
AYANT UNE SECTION  vantage les corps intermédiaires ? Le change­ tions représentatives du personnel ; la loi du Pilliard, ancien patron du pôle social du Me­ mutations nécessaires du dialogue social ».
ment de méthode ressemble plutôt à un mi­ 13 novembre 1982 instituant la négociation def, et Marcel Grignard, ancien secrétaire Economiste spécialiste des relations socia­
SYNDICALE SE SONT  roir aux alouettes. La réforme de l’assurance­ annuelle obligatoire (NAO) sur les salaires national de la CFDT, en décembre 2021, les, vice­président du groupe Renaissance à
AFFRANCHIES  chômage a été imposée, malgré son rejet par dans les entreprises ayant un délégué syndi­ 90 000 CSE avaient été mis en place, fin l’Assemblée nationale, proche ami de M. Ma­
tous les syndicats, et celle qui doit faire recu­ cal et celle du 23 décembre 1982 créant les co­ 2020, et 41,4 % des entreprises de plus de dix cron, Marc Ferracci plaide pour aller plus loin
DE L’OBLIGATION  ler à 65 ans l’âge légal de départ à la retraite mités d’hygiène, de sécurité et des condi­ salariés avaient au moins une instance élue. dans la décentralisation du dialogue social,
va donner lieu à une concertation qui ne tions de travail (CHSCT). Prudent, ce comité évoque une absence notamment en élargissant la possibilité
DE NÉGOCIER  changera rien au projet. Quarante ans après, les participants à un « de révolution culturelle évidente » et « une pour les entreprises de déroger aux accords
LES SALAIRES » Dans un pays où les déserts syndicaux sont colloque de la Fondation Jean Jaurès sur le su­ inertie de certaines pratiques des acteurs et de branche. M. Ferracci préconise un remè­
légion – 39,4 % des entreprises de plus de jet, le 7 novembre, ont fait l’amer constat de instances ». Les syndicats sont nettement de­choc, celui de réserver le bénéfice des ac­
PIERRE GARCIA 50 salariés avaient un délégué syndical lois réduites à peau de chagrin. « Le droit d’ex­ plus critiques. Pour la CFDT, le dialogue so­ cords d’entreprise aux adhérents des syndi­
ex-directeur du travail en 2020 contre 46,3 % en 2017 –, le dialogue pression n’a pas fonctionné », a reconnu cial est « réduit à sa portion congrue ». Et FO cats signataires, comme en Norvège. Soute­
en Centre-Val de Loire social affiche, quantitativement, une belle M. Auroux. Le CHSCT a été supprimé par les dénonce une « forte réduction des moyens » nue par la seule CFE­CGC, cette idée icono­
vitalité : 92 % des salariés du secteur privé ordonnances de 2017, sauf dans les entrepri­ des représentants du personnel et « une dé­ claste risque de se heurter au principe
sont couverts par une convention collective. ses de plus de 300 salariés. Après un démar­ gradation générale du dialogue social ». Un constitutionnel de l’égalité de tous devant la
Et les accords d’entreprise, malgré un léger rage flamboyant, la NAO connaît des ratés, constat partagé en mai 2022 par une enquête loi. Son but serait de « renforcer les acteurs ».
repli depuis trois ans, sont en progression nombre d’entreprises s’en remettant aux ac­ de Syndex, un cabinet d’expertise sociale. Mais, pour l’heure, sur le dialogue social, le
constante : 5 085 en 1988, 13 328 en 1998, en­ cords de branche. Ancien directeur du travail Ces fractures du dialogue social intervien­ président est aux abonnés absents. p
tre 33 926 et 42 000 dans les années 2010 et dans la région Centre­Val de Loire, Pierre Gar­ nent alors que les syndicats, jugés souvent michel noblecourt

CHRONIQUE  | PAR ÉRIC ALBERT
UNE ODE FERVENTE AU MÉTISSAGE
L’autre match LIVRE mes, ce livre lui a semblé une né­ privée catholique, très réaction­

France-Angleterre cessité. Et se lit comme une fer­ naire, dans laquelle ses condisci­

P ilier de l’enseignement des


relations internationales à
Sciences Po pendant plus
d’un demi­siècle et auteur d’une
trentaine d’ouvrages sur le sujet,
vente ode au métissage.
« Vivre deux cultures, ce n’est pas
se soumettre à deux identités, mais
c’est au contraire une chance uni­
que de surmonter leurs contradic­
ples le traitaient tour de « bicot »
et de « youpin ». D’où sa révolte et
sa quête d’un ailleurs, fasciné par
la décolonisation et un tiers­
monde en train de gagner son in­

E ntre services publics qui cra­


quent de partout, instabilité
politique permanente depuis
six ans et même un début de panique
financière en septembre, le Royau­
que avait presque rattrapé son retard
sur la France et en 2015, le dépassait.
La nouveauté, et cela explique
largement le malaise britannique
actuel, est que le dynamisme du
Bertrand Badie a toujours aimé
brouiller les lignes, dénonçant les
illusions de la puissance ou analy­
sant en finesse la grande colère du
Sud et ce qu’elle peut apporter au
tions et leurs impasses, de gagner
cette liberté qui permet de se voir
épisodiquement de l’extérieur, de
se rapprocher de l’humain souvent
travesti en griveton national », ex­
dépendance et sa dignité.
Bertrand Badie revient aussi
longuement sur ses engage­
ments, qui furent ceux d’une gé­
nération, celle de 1968, où l’on
VIVRE DEUX 
me­Uni – et plus spécifiquement l’An­ Royaume­Uni – devenu le pays le CULTURES. COMMENT monde. Pourtant, il est toujours plique­t­il. Avant de souligner que voyait déjà que « le social com­
gleterre – va mal. Le Monde a consa­ plus inégalitaire d’Europe occiden­ PEUT­ON NAÎTRE  resté pudique sur lui­même, ses « c’est une façon un peu plus libre mençait à courir plus vite que le
cré récemment une série de six en­ tale – est cassé depuis une grosse FRANCO­PERSAN ? origines franco­iraniennes, sa jeu­ d’entrer dans la mondialisation politique ; que la colère dépassait
quêtes à ce « malaise anglais ». Mais décennie. La brisure a commencé par de Bertrand Badie, nesse, son itinéraire intellectuel mais une manière aussi d’être la simple revendication. Ceux qui
une grande partie des commentaires le choc de la crise financière de 2008, Odile Jacob, qui plonge à la fois dans la Perse de communément rabroué par les mi­ s’exprimaient entendaient se libé­
des lecteurs consistait à dire en subs­ a continué avec l’austérité imposée 224 p., 22,90 € son père venu étudier la médecine litants des certitudes fossilisées ». rer des vieilles tutelles. »
tance : « D’accord, mais ça va aussi par le gouvernement entre 2010 et à Paris et la culture française de sa Universitaire aux thèses sou­
mal en France. » Que ce soit les hôpi­ 2016, puis avec le vote pour le Brexit mère dans laquelle il a grandi. Traité de « bicot » et de « youpin » vent novatrices, Bertrand Badie
taux qui débordent, la prise en charge en 2016, la pandémie en 2020 et, « Je vivais alors tout jeune enfant Médecin, résistant de la première raconte l’importance qu’eut pour
insuffisante des personnes âgées ou enfin, la sortie effective du marché dans ce double monde, de façon heure, gaulliste de cœur et ris­ lui l’Afrique, « une école sans fin »,
le rejet en bloc de la classe politique, unique européen en janvier 2021. tellement quotidienne et intime quant sa vie pour un pays qui le Moyen­Orient mais aussi l’Iran
les parallèles s’imposent, en effet. Difficile de faire la part des choses qu’ils me semblaient constituer un n’était pas le sien, son père n’en malgré la révolution confisquée
Avant les quarts de finale de la entre pandémie, Brexit et austérité, ensemble unique », écrit­il. La né­ resta pas moins toujours iranien, par les mollahs. Ceux­ci pourtant
Coupe du monde entre la France et mais les faits sont là : depuis 2016, la cessité de ce retour sur soi lui est personnalité de premier plan de n’ont pas réussi à étouffer la gran­
l’Angleterre, samedi 10 décembre, croissance britannique a été de apparue en décembre 2018, alors l’ambassade jusqu’à la révolution deur de la culture persane, avec ses
c’est donc l’occasion de rejouer la 6,6 %, celle de la France de 7,1 %. Rien qu’il tenait son dernier cours ma­ islamique. « J’étais dans mon pro­ poètes qu’il cite au long de son ré­
comparaison entre ces deux pays si de spectaculaire dans les deux cas : gistral sur « l’espace mondial » pre pays fils d’un diplomate étran­ cit, à commencer par Farid al­Din
semblables : deux ex­empires colo­ environ sept points de croissance en avant de devenir professeur émé­ ger », se rappelle avec humour Attâr : « Rien n’est jamais vraiment
niaux au vieux complexe de supério­ six ans est un rythme très faible. rite. En ces temps de repli identi­ Bertrand Badie, qui fut inscrit fermé, sinon tes propres yeux. » p
rité, le même niveau de population Mais le rattrapage britannique est taire et de montée des populis­ pour sa scolarité dans une école marc semo
(67,1 millions d’habitants au Royau­ terminé. Aujourd’hui, le PIB par habi­
me­Uni, 67,8 millions en France), et tant français est repassé en tête, de
deux économies qui pèsent presque justesse (de 0,6 % pour être précis).
le même poids. Leur produit intérieur Pire, les inégalités britanniques de­
brut (PIB) – un indicateur très impar­
fait mais qui a l’avantage d’être sim­
meurent béantes : à parité de pou­
voir d’achat, les 10 % les plus pauvres
Economie d’électricité | par serguei
ple et comparable – est proche : au Royaume­Uni ont des revenus
en 2022, à parité de pouvoir d’achat, le disponibles inférieurs de 22 % à ceux
PIB britannique sera, selon la Banque de leurs homologues français.
mondiale, de 2 333 milliards de dol­
lars (2 208 milliards d’euros) ; celui de Mieux vaut regarder ailleurs
la France de 2 279 milliards de dollars. Cette juxtaposition d’une croissance
Sur quatre décennies, la tendance désormais aussi médiocre que celle
donne cependant l’avantage au de la France et d’inégalités bien plus
Royaume­Uni. En 1980, le PIB par fortes, est au cœur de la crise britan­
habitant en France était 20 % supé­ nique. La Resolution Foundation, un
rieur à celui du Royaume­Uni. Les centre de réflexion, en a fait un rap­
Britanniques avaient connu des an­ port passionnant intitulé « Nation
nées 1970 catastrophiques, faites de Stagnante ». Mais Torsten Bell, son di­
grèves et d’entreprises nationalisées recteur, souligne que la comparaison
inefficaces, ce qui avait provoqué la entre les deux pays n’est guère relui­
révolution thatchérienne. Celle­ci a sante : « La France non plus n’a pas
été extrêmement brutale, les inégali­ connu une bonne croissance. »
tés ont fait un bond soudain, mais la Mieux vaut regarder ailleurs, no­
croissance économique est revenue. tamment vers l’Allemagne et les
En 2005, le PIB par habitant britanni­ Etats­Unis, qui sont beaucoup plus
dynamiques. Aujourd’hui, le PIB par
habitant américain est supérieur
d’un tiers à celui de la France, et le ra­
tio allemand de 13 %. Le jeu des sept
LE JEU DES  erreurs entre les deux anciennes
SEPT ERREURS ENTRE  puissances coloniales fait surtout ap­
paraître leur déclin parallèle : en 1980,
LES DEUX ANCIENNES  l’économie française représentait
4,3 % du PIB mondial et le Royaume­
PUISSANCES COLONIALES  Uni 3,8 % ; aujourd’hui, ces taux sont
FAIT SURTOUT APPARAÎTRE  respectivement de 2,28 % et 2,33 %. Il
n’y a pas de quoi se vanter pour
LEUR DÉCLIN PARALLÈLE aucun des deux pays. p
0123
MERCREDI 7 DÉCEMBRE 2022 0123 | 33

FRANCE | CHRONIQUE LES SANCTIONS 


par fr ançoi se f re ssoz Après l’embargo sur le charbon entré en ment dans le temps. Mauvais calcul. Malgré
CONTRE  vigueur en août et l’arrêt de la quasi­totalité la complexité de la mise en œuvre des sanc­
des livraisons de gaz à l’Europe au cours de tions, malgré les efforts qu’elles demandent
LA RUSSIE, ENTRE 
La crise sans fin TÉNACITÉ ET 
l’été du propre chef de la Russie, le pétrole
constitue encore la principale source de
devises à la disposition de Vladimir Poutine
aux Européens pour se sevrer des énergies
fossiles russes, malgré l’impact sur l’infla­
tion et leur vie quotidienne, malgré enfin
PRAGMATISME pour poursuivre sa folle et meurtrière
agression de l’Ukraine. Les sanctions qui
les dissensions qu’alimentent ponctuelle­
ment des déclarations intempestives,

E
t demain, qu’est­ce qui viennent d’être prises sont un levier impor­ comme les « garanties de sécurité » qu’il fau­
va nous tomber sur la LES PLANS  tant pour tarir cette source. drait offrir à la Russie selon Emmanuel Ma­
tête ? Depuis la pandé­ S’ENCHAÎNENT  L’étanchéité de l’embargo est loin d’être cron, la détermination et la solidarité des
mie, les Français pas­ absolue. Celle­ci n’est d’ailleurs ni possible Occidentaux ne fléchissent pas.
sent d’une crise à l’autre avec la SANS POUR  ni souhaitable. Elle n’est pas possible parce Pendant des mois, la propagande du ré­
désagréable impression que le que de gros importateurs de pétrole comme gime de Vladimir Poutine a martelé que les
sol se dérobe sous leurs pieds. AUTANT FREINER  l’Inde, la Chine ou la Turquie, qui n’ont pas sanctions ne fonctionnaient pas et qu’elles
Ces derniers mois, c’est le retour L’IDÉE DU  voté le paquet de sanctions contre Moscou, pénalisaient plus leurs auteurs que la Rus­
de l’inflation qui tourneboule se sont opportunément substitués à l’effon­ sie. Plus le temps passe et plus ce récit se dé­
leur quotidien. Ils ne sont cepen­
dant pas les plus à plaindre en
Europe. En octobre, la hausse des
prix sur un an a atteint 6,2 % en
France. Elle représentait près du
DÉLITEMENT

lors du lancement du plan « Ma


santé 2022 » avec, cependant, une
L a mécanique des sanctions mise en
place par les Occidentaux contre la
Russie pour lui faire lâcher prise face à
l’Ukraine se sophistique un peu plus. Depuis
lundi 5 décembre, plus aucun navire trans­
drement de la demande européenne.
Par ailleurs, les Occidentaux n’ont aucun
intérêt à déstabiliser la production mon­
diale. Sans plus aucune goutte de pétrole
russe, ses prix exploseraient en causant
lite. En témoignent l’accélération de la crise
économique en Russie et l’impasse mili­
taire dans laquelle se trouve son armée. Pa­
rallèlement, l’UE, grâce à la diversification
de ses approvisionnements, est en train de
double en Italie et en Allemagne. enveloppe sous­évaluée (3,4 mil­ portant du pétrole brut russe ne pourra dé­ d’énormes dégâts sur les économies du G7. réussir à se passer de pétrole et de gaz rus­
Les Français ne sont pas non plus liards d’euros d’investissements barquer sa cargaison dans un port de Fixer aux exportations russes un prix pla­ ses à une vitesse qui était difficilement
les plus mal aidés. prévus) qui n’a pas résisté au choc l’Union européenne (UE) ou de l’un des sept fond permet à la fois d’assurer une cer­ imaginable il y a seulement quelques mois.
Depuis 2021, l’Etat a mis sur la de la pandémie. Au lendemain pays les plus industrialisés (G7). Cette me­ taine stabilité au marché et d’obliger la Pas encore assez vite aux yeux de
table plus de 110 milliards d’euros d’un confinement particulière­ sure s’ajoute à la décision prise trois jours Russie à vendre son pétrole au rabais pour l’Ukraine qui, de façon légitime, réclame des
d’argent public pour amortir l’ef­ ment éprouvant pour les soi­ auparavant de plafonner le prix du baril en obérer ses recettes budgétaires et son ef­ mesures encore plus radicales. Mais, pour
fet de la flambée des prix de gnants, une rallonge beaucoup provenance de Russie pour les pays qui fort militaire. l’UE, la ligne de crête est étroite entre sa vo­
l’énergie sur le portefeuille des plus importante a été annoncée : n’appliquent pas l’embargo occidental. En­ Mais au­delà des effets économiques, lonté de hâter la fin de la guerre et celle
particuliers, des entreprises et 19 milliards d’euros d’investisse­ fin, le 5 février 2023, l’embargo concernera cette nouvelle étape des sanctions occiden­ d’amortir les effets d’une crise énergétique
des collectivités locales. Il l’a fait ment sur dix ans et 8,2 milliards les produits raffinés. Près d’un an après le tales envoie surtout un message politique à qui menace de se transformer en crise éco­
sans hésiter, au prix d’une pro­ d’euros pour revaloriser les mé­ début de l’invasion de l’Ukraine, jamais les Vladimir Poutine. Dès le début de la guerre, nomique et sociale. La seule stratégie pour
longation de la politique du tiers. Cela n’a pas pour autant mis capacités de la Russie à financer son effort le président russe a parié sur la mollesse de l’Europe consiste à maintenir un fragile
« quoi qu’il en coûte » qui com­ un terme aux difficultés de recru­ de guerre n’auront été aussi contraintes. la réaction occidentale et son essouffle­ équilibre entre ténacité et pragmatisme. p
mence à inquiéter la Cour des tement de l’hôpital ni à son man­
comptes, Bruxelles et le Fonds que d’attractivité.
monétaire international au re­
gard du niveau de l’endettement Temporalité et action politique
national. Les Français, enfin, ne Dénoncée par un collectif de pro­
sont pas les plus mal placés éco­ fessionnels de la santé (Le Monde
nomiquement avec une crois­ du 1er décembre), la situation aux
sance qui, certes ralentit, mais ré­ urgences pédiatriques, en pleine
siste mieux qu’en Allemagne. Si épidémie de bronchiolite, n’est
tout ne se passe pas plus mal, ils
devraient être épargnés de la ré­
cession, mot qui fait tellement
pas celle que l’on s’attendrait à
trouver dans la septième puis­
sance mondiale : « Des enfants in­
LE SALON DES
peur, l’an prochain.
La relation quotidienne du
tubés et hospitalisés sans chambre
dans le couloir de la réanimation, GRANDES ÉCOLES
conflit en Ukraine assure, en ce des retours prématurés à domicile
moment, l’essentiel de l’audience et des retours en catastrophe d’en­
des chaînes d’information en fants renvoyés chez eux faute de
continu. Elle aide les téléspecta­ place… des annulations de soins,
teurs à relativiser leurs propres des reports de chirurgie… » A coups
difficultés et à prendre conscience d’enveloppes d’urgence, le minis­
du changement d’époque : avec le tre de la santé, François Braun, an­
retour de la guerre sur le conti­ cien médecin urgentiste, colmate
nent, l’Union européenne décou­ en sachant qu’il faudra des an­
vre ses fragilités. L’élaboration au nées pour rebâtir une offre de
forceps d’une souveraineté soins en adéquation avec la de­
d’abord économique et peut­être mande, débureaucratiser l’hôpi­ 10 & 11 DÉCEMBRE 2022
un jour militaire s’effectue au prix tal, former un nombre suffisant
de tensions internes qui ajoutent de soignants et les rémunérer cor­
encore au trouble.
L’instabilité est source de vulné­
rectement pour qu’ils retrouvent
le goût du métier. SALLES DU CARROUSEL DU LOUVRE, PARIS
rabilité. La vulnérabilité éprouvée
par les Français n’est cependant
La temporalité est devenue un
élément essentiel de l’action poli­
ENTRÉE GRATUITE SUR INSCRIPTION
pas entièrement imputable à l’en­ tique. Tout ce qui est décidé
vironnement international. Des aujourd’hui pour remettre sur
facteurs plus nationaux aggra­ pied les services publics et les ins­
vent l’impression de crise sans crire dans un modèle de dévelop­
fin, voire de délitement, pour ne pement plus durable mettra des LE PROGRAMME DES CONFÉRENCES
pas dire de déclassement. Ici, ce années avant de produire de l’ef­
sont des transports publics inca­ fet. La problématique est la
Animées par les journalistes du Monde
pables de répondre à la demande, même pour les nouvelles filières
faute de matériel et de conduc­ industrielles soutenues par l’Etat. Samedi Dimanche
teurs. Là, c’est un hôpital qui cra­ Des dizaines de milliards d’euros
10h30 - 11h15 Parcoursup, mode d'emploi 10h30 - 11h15 Intégrer une grande école
que et demain peut­être, si le sont en jeu, qui impliquent la na­
froid s’accentue, ce seront des tion tout entière. Depuis le pre­ 11h30 - 12h15 Vie étudiante : se former aussi post-bac : quelle stratégie sur Parcoursup ?
coupures de courant organisées mier quinquennat d’Emmanuel en dehors des cours 11h30 - 12h15 Ecoles d'ingénieurs : conseils pour
pour pallier l’insuffisance de l’of­ Macron, les plans s’enchaînent, 12h30 - 13h15 Ecole de commerce : la classe
intégrer et choisir son école
fre directement liée à la difficile quand ce ne sont les annonces 12h30 - 13h15 Faire une grande école par
prépa est-elle encore utile ?
maintenance du parc nucléaire. surprises (bientôt des « RER dans la voie de l'apprentissage, mode d'emploi
La fée électricité s’est envolée. une dizaine de métropoles », pro­ 13h45 - 14h30 Pourquoi choisir l'alternance
L’hôpital public, la SNCF, EDF met le chef de l’Etat), sans pour en école ? 13h45 - 14h30 Ecoles de commerce ou études
ont pour particularité d’être des autant freiner l’idée du délite­ 14h45 - 15h30 Comment se préparer à l'oral
de gestion à l'université : comment choisir ?
piliers du modèle français. Ils ment. Il manque une délibéra­ pour réussir les concours ? 14h45 - 15h30 Parcoursup, sans stress
étaient jusqu’à une date récente tion collective pour éclairer l’ave­ 15h45 - 16h30 Ecoles d'ingénieurs spécialisées :
15h45 - 16h30 Maths-physique au lycée,
un sujet de fierté. On les a vus se nir, et des points d’étape pour cal­ écoles pour passionnés ?
fragiliser au cours des dernières mer les impatiences.
la voie royale pour intégrer une grande école ?
décennies, mais pas au point de « Il faut répondre aux peurs en 16h45 - 17h30 Ecoles d'ingénieurs : 16h45 - 17h30 Viser l'école de commerce :
penser qu’ils ne pourraient plus, montrant un chemin », a déclaré que choisir entre formation post-bac choisir un bachelor ou une classe prépa ?
un jour, remplir correctement Emmanuel Macron dans un en­ ou post-prépa ?
leur mission de service public. tretien au Parisien Dimanche du
Leur possible défaillance porte 4 décembre, reconnaissant par là
un coup au moral de la nation et même qu’il n’y parvient toujours
oblige l’exécutif à d’improbables pas. Ce n’est pas entièrement sa
contorsions : rassurer l’opinion faute. L’évocation du Conseil na­
tout en la préparant au pire. A tional de la Résistance au sortir
l’impossible nul n’est tenu. du confinement était une tenta­
Le cas de la santé est symptoma­ tive d’entraîner les forces politi­
tique. Le risque d’« implosion du ques derrière la reconstruction
système » a été diagnostiqué du modèle français. Celle­ci a
en 2018 par Emmanuel Macron échoué parce que le chef de l’Etat
a toujours été perçu comme trop
personnel et trop affranchi du
jeu politicien. En 2022, la droite
LA TEMPORALITÉ  et la gauche pensaient lui faire INSCRIPTION GRATUITE
EST DEVENUE  un sort ; en 2027, il devra laisser
la place. A quoi bon se mettre SAGE.GROUPELEMONDE.FR
UN ÉLÉMENT  dans sa roue ? La faiblesse d’Em­
manuel Macron est sa très
ESSENTIEL grande solitude. Sa force est
DE L’ACTION  qu’aucun de ses concurrents n’a
démontré à ce jour qu’il voyait
POLITIQUE plus loin que lui. p
Du rififi dans
un laboratoire 
de chimie
Une affaire d’inconduite
scientifique concernant
une directrice de recher­
che d’une unité mixte
Université ­ CNRS met
au défi la communauté
des chercheurs
PAGE 2

Entretien
L’ADN ancien 
éclaire l’origine 
des juifs 
ashkénazes
Les généticiens David
Reich et Shai Carmi
expliquent ce que leurs
travaux sur l’ADN pré­
levé dans un cimetière
médiéval en Allemagne
ont permis de découvrir
PAG E 8

Carte blanche
Le ballon de foot 
DOUGIE WALLACE
du mondial, un 
icosidodécaèdre

Dans le cerveau  Le mathématicien
Etienne Ghys analyse
les caractéristiques
géométriques et

des chiens
L’examen par IRM de leurs réactions cérébrales physiques du ballon
aux stimulations ouvre un champ de la Coupe du monde,
de connaissances important. Le Laboratoire baptisé « Al Rihla »
d’éthologie de l’université Lorand-Eötvös de Budapest, PAGE 7

en Hongrie, est pionnier dans ces recherches


PAG E S 4 -5

Cahier du « Monde » No 24236 daté Mercredi 7 décembre 2022 ­ Ne peut être vendu séparément
ACTUALITÉ
2| ·
LE MONDE SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 7 DÉCEMBRE 2022

TÉLESCOPE
Données trafiquées dans un labo de chimie b
N EU RO S C IENC ES
Des synapses silencieuses
RECHERCHE - Articles frauduleux ou erreurs ? Une directrice de recherche CNRS-Sorbonne Paris Nord dans les cerveaux adultes
Comment notre mémoire peut­elle être
attend le verdict d’une procédure disciplinaire. Une affaire qui met à l’épreuve les instances scientifiques robuste et flexible à la fois ? Des chercheurs
du MIT proposent une explication à cette
énigme grâce à la découverte de millions

U
ne affaire d’inconduite scientifique de synapses silencieuses dans le cerveau
empoisonne la vie d’un laboratoire de de mammifères adultes. Une technique
chimie, unité mixte CNRS et univer­ innovante d’imagerie à haute résolution
sité Sorbonne Paris Nord, depuis près leur a permis de mieux visualiser ces
de deux ans. Accusations de fraude connexions immatures entre neurones,
d’un côté, de harcèlement de l’autre, arrêts maladie, activables lors de la création de nouveaux
stress, changement de laboratoire contraint pour souvenirs. On les savait déjà abondantes
certains, personnel qui ne se parle plus, commission chez les nourrissons où elles sont indispen­
disciplinaire… la situation est tendue. sables à la création intense de connexions,
C’est l’occasion d’un nouveau test de la procédure mais on les pensait jusque­là rares
d’enquête élaborée depuis 2017 dans l’enseigne­ chez l’adulte. Cette découverte permet
ment supérieur et la recherche pour traiter les cas de d’expliquer notre capacité à enregistrer
manquements à l’intégrité. Tout commence en fé­ de nouveaux souvenirs tout au long de
vrier 2021 par le signalement, d’abord anonyme, de la vie, sans pour autant effacer les anciens :
soupçons de manquements à l’intégrité scientifique il nous suffit d’activer une de nos nom­
adressés au référent du CNRS. Il instruira l’affaire breuses synapses silencieuses plutôt que
avec son homologue de l’université. En cause, plus de modifier une connexion déjà mature.
d’une vingtaine d’articles scientifiques récents éma­ > Vardalaki et al., « Nature », 30 novembre
nant du laboratoire Chimie, structures, propriétés
de biomatériaux et d’agents thérapeutiques (CSP­ A STRO N O MIE
BAT) à Bobigny. Les travaux incriminés concernent Les chercheuses ont moins profité
la nanomédecine, c’est­à­dire l’utilisation de parti­ des confinements pour publier
cules de quelques dizaines de nanomètres compo­ Une vaste étude sur les publications scien­
sées de métaux, de biopolymères et de principes ac­ tifiques en astronomie confirme plusieurs
tifs, pour améliorer l’imagerie médicale ou lutter effets de la pandémie sur la productivité
contre des pathologies comme le cancer. des chercheurs et sur les jeunes recrues.
Parmi les accusations d’inconduites scientifiques, Bloqués chez eux, les astronomes ont plus
des graphiques identiques auraient servi plusieurs publié qu’avant la pandémie de Covid­19,
fois pour des expériences différentes. Par trois fois, 13 % environ (pour environ 35 000 articles
des traces de retouches intentionnelles sur des cour­ et preprints). Mais les femmes ont
bes ont aussi été repérées, de quoi introduire un moins profité de cette hausse : dans
doute sur les résultats présentés. S’ajoute la réutilisa­ quatorze pays, sur vingt­cinq étudiés, elles
tion d’images de microscopie électronique dans plu­ ont même moins publié qu’avant 2020.
sieurs articles, sans citer leur publication antérieure. Le duo de chercheuses de cette étude
Un an plus tard, en mai 2022, après consultation montre aussi que les nouveaux entrants
d’experts indépendants, les deux référents rendent dans le domaine ont diminué globalement
leur rapport. Le président de l’université adresse un dans la plupart des pays (sauf Japon,
message aux personnels du CSPBAT, confirmant que Taïwan et Chine), témoin probablement
« plusieurs manquements à l’intégrité scientifique ont de la difficulté des jeunes à finir leur projet
été effectivement constatés » et que « le nombre de durant cette période. Et cette situation
corrections demandées est important, mais aucun a été pire pour les femmes que pour
article incriminé ne fait l’objet d’une demande de ré­ les hommes, estime l’étude, sauf en Chine,
tractation ». L’identité de la mise en cause, Jolanda au Chili, au Brésil, en Iran ou en Suède.
Spadavecchia, directrice de recherche au CNRS de­ Le fossé de genre, déjà important dans
puis 2010, est communiquée. Le rapport d’enquête cette discipline (25 % de femmes environ),
n’est pas diffusé et le labo ne connaît rien des détails s’est donc accru durant la pandémie.
des faits reprochés, ni l’analyse qu’en ont faite les ex­ > Böhm et al., « Nature Astronomy »,
perts consultés. En particulier, les jeunes stagiaires 28 novembre
ou doctorants, qui font leurs premières armes dans
la recherche dans ce climat, restent dans le flou de ce ANNE-GAËLLE AMIOT MÉ DEC IN E
qui est permis, interdit, acceptable à la paillasse. Une nouvelle piste de prévention
L’un de ces « manquements » concerne les mesu­ du Covid-19
res de distribution des tailles des particules fabri­ s’interroger Raphaël Lévy, professeur à l’université l’étude. Remplacer l’histogramme seul n’aurait pas Une équipe anglaise a identifié une
quées. L’histogramme obtenu ressemble à une Sorbonne Paris Nord depuis 2020, affecté au CSPBAT résolu le problème et ne pouvait rendre acceptable nouvelle piste susceptible de prévenir
courbe en cloche, comme la distribution des notes avant de le quitter en septembre 2021 pour le Labo­ la correction de l’auteur ». Ce que d’autres éditeurs l’infection par le virus SARS­CoV­2.
d’une classe autour d’une moyenne. Or, exactement ratoire de recherche vasculaire translationnelle. Il ont en revanche accepté. Une molécule, le FXR, présente à la surface
la même distribution a été utilisée dans plusieurs ar­ est à l’origine des signalements et coutumier de ce Plusieurs articles désignés pour des erreurs, no­ de nos cellules, permet de moduler
ticles, pour des particules différentes. Plus grave en­ genre de question, lui qui a déjà bataillé contre des tamment dans les courbes de relargage, sont tou­ la quantité du fameux récepteur ACE2,
core, la courbe a été réutilisée en changeant les va­ éditeurs et des confrères pour corriger la littérature jours en cours d’examen par les éditeurs. Les réfé­ la porte d’entrée du SARS­CoV­2. Les
leurs en abscisses. Dans un article, la figure douteuse scientifique. Il est, depuis 2020, colauréat d’un fi­ rents intégrité du CNRS et de l’université n’ont pas à chercheurs ont ensuite testé des molécules
est même utilisée trois fois, comme chacun peut le nancement du Conseil européen de la recherche se prononcer sur la qualité des corrections que per­ capables d’inhiber le fonctionnement
constater en consultant les articles publiés. pour étudier « l’autocorrection de la science » dans sonne, dans les faits, n’a contrôlées avant leur envoi. de FXR dans des minimodèles d’organes
L’autre « erreur » concerne les courbes décrivant les nanosciences notamment. (« organoïdes »). Résultat, un médicament
l’évolution de la concentration d’un produit au cours « Il m’avait fallu trente secondes pour voir le pro­ Règlement de comptes utilisé pour traiter certaines maladies du foie,
du temps (courbe de relargage). Là aussi, exactement blème, que j’ai signalé il y a plus de vingt mois, et Pendant ce temps­là, l’ambiance se détériore au l’acide ursodésoxycholique (UDCA), parvient
les mêmes valeurs sont présentes dans plusieurs ar­ tout n’est pas corrigé. La correction de la science CSPBAT. Certains reprochent au lanceur d’alerte à diminuer ainsi la quantité de récepteur
ticles, portant pourtant sur des produits différents. n’est clairement pas prioritaire », regrette­t­il, dé­ de n’avoir pas parlé de son signalement avec la ACE2 dans des organoïdes de poumons,
plorant que certains pensent encore que le princi­ principale intéressée avant de les envoyer aux de voies biliaires et d’intestins humains, et
Mauvaise utilisation des logiciels pal problème réside dans le fait d’avoir signalé ces référents, déclenchant une animosité franche dans les tissus correspondants de rongeurs.
Pour se défendre, la chercheuse, qui a répondu au possibles manquements. contre lui, poussant l’université à le changer d’af­ De plus, ce médicament réduit la quantité
Monde, reconnaît des erreurs, dues à sa désorgani­ Puis l’affaire rebondit. A l’été 2022, les premières fectation. Une partie de ses anciens collègues pen­ d’ACE2 dans des cellules nasales de volontai­
sation, qui lui a fait confondre des courbes. Elle nie décisions des éditeurs qui ont publié les articles sent même qu’il veut régler des comptes. Selon res sains et prévient l’infection de poumons
l’intentionnalité de ces fautes et récuse le terme de incriminés tombent. Neuf corrections à ce jour et, nos informations, c’est l’une des lignes de défense et de foies humains maintenus en labora­
« fraude ». Serait en cause, également, une mau­ surprise, une rétractation décidée par un journal, suivies par Jolanda Spadavecchia, qui parle même toire. Mieux encore, le traitement par l’UDCA
vaise utilisation des logiciels de traitement des contre l’avis de l’auteure principale. Le malaise est de harcèlement. Ce que ce dernier « rejette entière­ est corrélé à une amélioration des résultats
données. Des dispositions auraient été prises dans palpable chez les éditeurs ayant corrigé des arti­ ment » et qualifie de « sans fondement » : « Analy­ après une infection par le SARS­CoV­2.
son laboratoire pour corriger ces processus de ges­ cles. Contactés par Le Monde, ils renvoient vers les ser et signaler des erreurs ne constitue pas un harcè­ > Brevini et al., « Nature », 5 décembre
tion des données. La direction du CSPBAT, qui n’a services de presse des maisons mères pour obtenir lement mais, au contraire, fait partie de l’activité
pas souhaité nous répondre, ne l’a pas confirmé. des réponses : Springer Nature, Taylor & Francis ou normale du chercheur. » La présidence de l’univer­
Mais, selon nos informations, l’un des experts l’American Chemical Society. Certains affirment sité n’a pas répondu à nos demandes de précisions
mandatés aurait qualifié de « faux » plusieurs his­
togrammes, tandis qu’un autre se demande si les
copier­coller des courbes de relargage sont
ignorer que l’auteure demandait ces corrections à
la suite d’une enquête en intégrité scientifique, ou
que certaines étaient liées à des réutilisations des
sur cette situation.
Signe de cette tension, en novembre, un nouvel
article de Jolanda Spadavecchia a été corrigé. Il
STRATEGO
« réels » ou « inventés ». De quoi nuire à la crédibi­ mêmes figures dans des articles d’autres revues. contenait, en toute fin, une mention inédite et inap­ C’est le dernier jeu de société auquel s’est es-
lité du travail. Pourtant, le message de mai 2022 propriée : « Nous avons un conflit d’intérêts avec sayée une intelligence artificielle de l’entreprise
adressé au personnel reste évasif en parlant de « fi­ Nouvelles anomalies Raphaël Lévy. » A la demande de ce dernier, cette DeepMind, filiale de Google et adepte des
gures ne correspondant pas aux systèmes étudiés Dès la parution des corrections, celles­ci sont criti­ mention a été retirée un mois après sa parution. exploits en la matière. Après le go, le poker ou
ou des reprises de figures sans mention de leurs quées sur le site de discussions d’articles publiés, Au­delà du cas particulier, l’affaire pose de nou­ les jeux vidéo, une équipe s’est attaquée avec
publications précédentes ». La manipulation de PubPeer, connu aussi comme vecteur de dénon­ veau la question des conséquences négatives que succès au jeu de plateau Stratego qui consiste
données présumée n’est pas évoquée. ciation d’inconduites. Les commentateurs anony­ peuvent avoir sur les personnes et la science la à aller chez un rival avec des pions, dont la
La raison de ce flou est sans doute à chercher mes du forum soulignent de nouvelles anomalies course aux publications qui privilégie la quantité à valeur est cachée à l’adversaire, sur un plateau
dans une difficulté bien connue dans les affaires dans ces corrections, qui, ont expliqué plusieurs la qualité, le peu de diligence ou de rigueur des édi­ de 92 cases. Le programme DeepNash a gagné
d’inconduites : comment savoir si le message prin­ éditeurs au Monde, sont de nature à les pousser à teurs à corriger ou retirer des articles incriminés, 42 des 50 parties auxquelles il a participé en
cipal de l’article est altéré par ces erreurs ? La ré­ réexaminer les articles. mais aussi le manque de transparence des procé­ ligne, se classant troisième, et a battu tous les
ponse est dure à obtenir. Il faudrait vérifier que les L’une de ces anomalies concerne une courbe de dures d’enquête. Elle montre aussi la difficulté à autres programmes concurrents. De quoi don-
mêmes résultats ont effectivement été reproduits relargage, avec des marges d’erreur autorisant des concilier la nécessaire protection des personnes et ner lieu à une publication dans Science, le 2 dé-
ailleurs dans les mêmes conditions. Leur connais­ concentrations négatives ! D’autres décrivent des la confiance dans la qualité de ce qui est publié. cembre. Comme souvent, la technique repose
sance du sujet a fait dire aux experts que c’était le distributions de tailles fort différentes des pre­ La chimiste attend maintenant la décision du sur de l’apprentissage par renforcement (l’algo-
cas et ils n’ont donc pas été très sévères. Les erreurs mières, y compris sur les moyennes, sans explica­ président du CNRS, après avis de la commission rithme se construit par récompense-punition),
ont aussi été commises souvent sur des parties tion. Le porte­parole de l’éditeur de l’article ré­ administrative paritaire, instance qui fait des re­ en jouant contre lui-même (et sans se nourrir
non essentielles de la démonstration. tracté, Taylor & Francis, indique au Monde que « le commandations sur les sanctions à appliquer, et des stratégies des humains ou des autres
« Dire “si on change les données, ça ne change pas mauvais calcul de la distribution de taille était une qui s’est réunie le 29 novembre. p machines), et dans un contexte où certaines
le message final”, c’est étrange, non ? », feint de erreur significative et fondamentale à l’intégrité de david larousserie informations sont cachées pour l’adversaire.
ÉVÉNEMENT
4| ·
LE MONDE SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 7 DÉCEMBRE 2022

La matière grise 
des chiens
explorée par l’IRM
budapest (hongrie) ­ envoyé spécial tête du palmarès européen relativement à sa po­
pulation : entre un chien pour trois et un chien

M
okka est un border collie pres­ pour quatre habitants. A titre de comparaison,
que comme les autres. Le poil 67 millions de Français se partagent quelque
noir et blanc, l’œil pétillant, le 7,2 millions de toutous, soit environ un chien
museau allongé sur cette pour 9 habitants, comme les Allemands, les Ita­
grande gueule que l’on croirait liens ou les Russes.
sourire. A 6 ans, elle aime les croquettes, les pro­ Mais ici, les chiffres comptent moins que les
menades dans les bois autour de Budapest et les hommes. Un homme, surtout, Vilmos Csanyi.
concours canins où sa maîtresse, Nora, l’inscrit Dans la Hongrie communiste des années 1980,
de temps à autre. Elle prend aussi un grand plaisir le biologiste est une sommité de l’étude anima­
à accompagner les enfants malades en mater­ lière. Avec un tropisme : les poissons, leur com­
nelle ou les personnes âgées dans des maisons de portement, leur communication. Et une pas­
retraite. Mais son grand bonheur, ce qu’elle « at­ sion personnelle, la randonnée. C’est au cours
tend avec le plus d’impatience », jure sa maîtresse, de l’une d’elles qu’en 1989 il recueille avec sa
ce sont les séances d’IRM fonctionnelle des soi­ femme une chienne perdue. L’observation de
rées du samedi ou du dimanche, à l’hôpital uni­ Flip change sa vie – il en tirera un livre devenu
versitaire Semmelweis, au cœur de Ferencvaros, best­seller en Hongrie, traduit en anglais sous le
le quartier étudiant de la capitale hongroise. Non titre If Dogs Could Talk (« Si les chiens pouvaient
que Mokka soit malade. Elle respire au contraire parler », North Point Press, 2005, non traduit) –
la santé. Mais ces deux soirs­là, le service de neu­ et celle de son laboratoire. « Il nous a annoncé
rologie de l’établissement oublie le soin des hu­ qu’on allait se débarrasser des aquariums et tout
mains au profit de la recherche animalière. réorienter vers les chiens, se souvient Peter Pon­
Ceux qui n’ont jamais vécu l’expérience d’une gracz, alors jeune étudiant, aujourd’hui profes­
séance d’image à résonance magnétique (IRM) seur et spécialiste des interactions entre l’ani­
n’y verront rien d’exceptionnel. Les autres, qui mal et l’humain. Ce fut un choc pour nous tous.
ont subi l’agression sonore causée par les vibra­ Certains sont partis, d’autres ont été convaincus
tions des bobines magnétiques, l’éventuel sen­ par ses arguments. »
timent d’étouffement dans le tunnel d’analyse, Le professeur Csanyi n’ignore pas la mauvaise
et la voix du technicien ordonnant régulière­ réputation que traînent les chiens auprès des
ment de « ne pas bouger » mesureront l’exploit. éthologues. « C’est une espèce problématique,
Car Mokka ne bouge pas. Elle qui courait, sau­ car elle ne vit pas dans son milieu naturel, et cela
tait, piaffait avant le début de la séance est dé­ depuis longtemps », explique Attila Andics, res­
sormais immobile. Sur ses oreilles, le casque de ponsable du laboratoire de neuroéthologie de
protection a été ajusté avec soin, la bobine ma­ la communication. Quant aux neuroscientifi­
gnétique a été refermée délicatement autour de ques désireux de comprendre l’évolution du même. « Exactement comme les humains, con­
sa tête, des coussins de stabilité ont été ajoutés, cerveau, ils privilégient nos plus proches cou­ clut Attila Andics. Cela suggère que les structures DANS LE CORTEX AUDITIF,
et sa maîtresse reste à portée du regard à la sor­ sins, les grands singes. « Mais les grands singes sont très anciennes et que nous n’avons pas eu be­ LES CHIENS FONT
tie du tunnel pour la rassurer. Mokka a aussi ne vivent pas dans le même milieu que nous, soin de big bang cérébral pour traiter la parole. »
reçu ses divines croquettes, histoire de la met­ reprend Attila Andics. Lorsqu’on observe une Ce n’est pas tout ce que les chiens font comme LA DIFFÉRENCE ENTRE
tre de bonne humeur. différence entre eux et nous, comment démêler nous. Marianna Boros a observé, toujours grâce UNE VRAIE LANGUE ET
ce qui relève de l’évolution et de l’environne­ à l’IRM, mais aussi à des séances d’élec­
« Coup de génie » ment ? Les chiens, à l’inverse, vivent constam­ troencéphalogrammes (EEG), comment nos UNE FAUSSE, ET DISCERNENT
« On prend un peu les mêmes précautions ment à nos côtés, et pas seulement aujourd’hui, amis à quatre pattes délimitaient les mots. Ce LEUR IDIOME NATAL
qu’avec les bébés, explique Marianna Boros, pos­ mais depuis au moins quinze mille ans. La do­ lundi après­midi, elle reproduit pour nous une
tdoctorante dans le département d’éthologie de mestication constitue en réalité une formidable partie de l’expérience dans le laboratoire flam­ D’UN PARLER ÉTRANGER,
l’université Lorand­Eötvös, située de l’autre expérience naturelle. Cette idée a été le coup de bant neuf qu’une bourse du Conseil européen UNE FACULTÉ QUI
côté du Danube, et responsable de l’expérience. génie du professeur Csanyi. » de la recherche (ERC) décrochée en 2019 a per­
D’abord parce qu’on aime les chiens, mais aussi Les travaux de l’équipe d’Attila Andics sur le mis de financer. Les syllabes s’enchaînent, au
AUGMENTE AVEC L’ÂGE
parce qu’un stress excessif fausserait tous les ré­ traitement de la parole en offrent un parfait hasard, sans signification – même pour une
sultats. Pas question de les attacher donc, ni de exemple. Voilà des décennies que l’on s’interroge Hongroise, jure la chercheuse –, desquelles sur­
les endormir. Il faut qu’ils aient envie de partici­ sur l’origine de notre langage, apparu entre nagent quelques mots existants. Le chien reste syllabe – cadeau et cabot, par exemple –, ce qui
per, envie de faire l’effort de ne pas bouger, envie 50 000 ans à 200 000 ans. Avec deux hypothè­ immobile, pas même un clignement d’œil. Il les rapproche du bébé de 1 an. Dans une autre
de nous faire plaisir aussi. » Pari gagné : sur les ses, selon le chercheur : « Soit il y a eu un change­ écoute. Conclusion de l’EEG : à force de les en­ étude, conduite sur quarante chiens, ils ont cons­
deux fois quatre minutes trente de la séance du ment majeur dans notre cerveau, qui nous a per­ tendre revenir, l’animal finit par extraire les taté qu’une majorité d’entre eux s’avéraient inca­
jour, la tête de la chienne se sera déplacée de mis de produire et de traiter la parole ; soit les mots du goulasch sonore. « On appelle ça l’ap­ pables d’apprendre le nom ne serait­ce que de
moins de 0,5 millimètre dans les trois axes. structures existaient déjà et cette révolution n’est prentissage statistique, indique Marianna Bo­ deux jouets avec lesquels ils s’amusaient quoti­
« Les humains ne font pas ça », s’éblouit Ma­ qu’une invention, comme l’électricité ou Inter­ ros. C’est ce que font les bébés. L’IRM a par diennement et que leur maître nommait tout
rianna Boros, toujours surprise après des an­ net… » Le sujet avait déjà été approché par diver­ ailleurs montré que, chez les chiens, l’opération aussi quotidiennement. A l’inverse, sept d’entre
nées de manipulations. L’animal en tirera une ses méthodes à travers le monde. Mais, dans un sollicitait le ganglion basal et le cortex auditif. eux en ont appris entre 11 et 37. On reste toutefois
nouvelle dose de croquettes et les félicitations article publié en 2016, dans la revue Science, les Comme chez nous. » loin des 1 022 mots appris par Chaser, le chien du
du jury humain ; la chercheuse deux séries de chercheurs hongrois montrent, grâce à l’IRM, L’équipe a encore montré que les chiens opé­ psychologue britannique John Pilley, ou de quel­
172 images du cerveau. comment le cerveau d’un chien traite le langage. raient la distinction entre deux langues. Le mé­ ques fameux perroquets.
Ce dimanche d’automne, Mokka, la border col­ rite en revient à Kunkun, encore un border collie, Si l’appréhension de la parole offre une fenêtre
lie, comme Pax, le cocker anglais qui la suit, ou Proches d’un bébé de 1 an mais mexicain celui­là. Débarqué à Budapest privilégiée sur l’observation du cerveau canin,
encore les trente chiens qui les ont précédés ces Leur expérience mérite d’être détaillée. A des dans les bagages d’un postdoc, le chien et un de l’université hongroise en a ouvert bien d’autres.
derniers mois, participent à une expérience mé­ chiens immobiles sur le tapis de l’IRM, ils ont ses compatriotes ont été comparés à seize chiens Depuis quelques années, l’équipe d’Eniko Kubi­
thodologique afin d’améliorer la collecte des fait entendre différents mots, positifs (« super », locaux. Un extrait du Petit Prince en hongrois, un nyi se penche notamment sur le vieillissement
données. Pas franchement sexy. Mais depuis « bravo ») ou neutres, prononcés avec des into­ autre en espagnol, un troisième dans un mé­ canin, un projet lui aussi financé par une bourse
2008, et le premier article présentant une IRM de nations elles aussi positives ou neutres. Ils ont lange improbable des deux idiomes. Et là encore, ERC. « On va tenter une expérience, en espérant
chien, le laboratoire d’éthologie de l’université non seulement vérifié que les chiens distin­ l’IRM a parlé : dans le cortex auditif, les chiens qu’elle marche », avertit­elle. Un chien entre dans
Lorand­Eötvös n’a cessé d’enchaîner les résul­ guaient l’intonation et le sens, mais qu’ils trai­ font la différence entre une vraie langue et une une salle où cinq pots ont été disposés. Dans l’un
tats. Reconnaissance faciale, traitement de la pa­ taient les deux indépendamment : la première fausse, et discernent leur idiome natal d’un par­ d’eux, l’expérimentatrice verse des croquettes,
role, attachement, compréhension des gestes dans les régions de l’audition de l’hémisphère ler étranger, une faculté qui augmente avec l’âge. fait sortir le chien, puis le fait rentrer trente se­
humains, mais encore suivi de pathologies céré­ droit, le second dans l’hémisphère gauche. Ce­ Ne nous y trompons pas : dans le traitement de condes plus tard. Sans hésiter, l’animal fonce dé­
brales, de la démence aux troubles de l’attention, rise sur le gâteau, ils ont constaté que, lorsque la parole, les chiens présentent de sérieuses limi­ vorer sa récompense. L’expérience est répétée en
ou encore du vieillissement : l’équipe hongroise, son et sens étaient tous deux positifs, le centre tes. Inutile de lire à votre toutou un poème de changeant de pot. Et le chien adapte sa cible sans
avec ses 80 chercheurs et techniciens, et plu­ de la récompense situé dans le striatum s’acti­ Rimbaud et une recette de cuisine pour voir difficulté. Un second chien prend sa place. La
sieurs centaines de publications, est devenue vait. Quatre ans plus tard, le chercheur enfon­ quand il se lèche les babines. A moins évidem­ première étape est réalisée avec le même naturel.
une, sinon la référence mondiale dans l’étude du çait le clou, cette fois dans la revue Scientific ment que vous ayez déjà sorti les ingrédients. En Mais lorsque les croquettes changent de pot,
cerveau des canidés. Reports. Il montrait que, si l’intonation était réalité, les premiers blocages canins surviennent l’animal commence par retourner vers le précé­
Les obsédés des statistiques n’y verront rien de essentiellement traitée dans les régions sous­ assez vite. Les chercheurs hongrois ont ainsi dent. Demi­échec ? « Le premier a 3 ans et demi, le
surprenant. Avec 2,8 millions de chiens pour corticales, l’appréhension du sens des mots montré l’incapacité de leurs chiens à distinguer second 8 ans », sourit la chercheuse.
9,7 millions d’habitants, la Hongrie occupe la s’inscrivait à un plus haut niveau, dans le cortex deux mots lorsque ceux­ci ne diffèrent que d’une Un vieillissement léger et précoce qui intéresse
ÉVÉNEMENT
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LE MONDE SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 7 DÉCEMBRE 2022 |5

LE MEILLEUR AMI DE
L’HOMME EST-IL UNIQUE ?

L e chien est­il vraiment si génial ?


Ou plus exactement, est­il vrai­
ment unique ? Sur la carte de la
domestication, aucun doute : si chats et
chevaux partagent nos vies depuis en­
années, ces suidés nains, pesant tout de
même 40 kilos, sont très prisés par cer­
taines familles. « Ils vivent comme les
chiens depuis leur plus jeune âge, à la dif­
férence près qu’ils n’ont pas derrière eux
viron huit mille ans, les chiens nous 5 000 générations de domestication »,
accompagnent depuis quinze mille ans résume Paula Perez Fraga, vétérinaire et
à trente­cinq mille ans, selon que l’on doctorante à l’université Lorand­Eötvös.
choisisse de suivre les archéologues les Et cette fois encore, face à un problème
plus audacieux ou les zoologistes les complexe, eux s’obstinent quand le
plus scrupuleux. Depuis ces temps recu­ chien appelle son maître à l’aide.
lés, nous leur avons en outre offert de
multiples rôles – gardiens, chasseurs, La question de l’attachement
bergers –, sélectionnant leurs capacités, Cette inclination humaine semble bel et
cultivant leurs performances. bien unique. Une attention sans égale
Mais que dit la science ? Longtemps aux visages, à leurs expressions, aux in­
on a vanté leur générosité vis­à­vis de tentions qu’ils traduisent, comme l’ont
leur maître, mais également des hu­ montré plusieurs études. Les cochons
mains en général – pensons aux chiens manifestent eux aussi pour le maître
sauveteurs –, ou encore entre eux. A une attention parfois débordante. Mais
l’Institut d’éthologie Konrad­Lorenz de peut­on parler d’attachement, au sens
l’université de médecine vétérinaire de où l’entendent les psychologues, autre­
Vienne (Autriche), Friederike Range a ment dit comme un enfant pour sa
décidé de vérifier la légende, de voir mère ? Concernant le chien de compa­
surtout si celle­ci était à mettre sur le gnie, l’affaire est pliée depuis longtemps.
compte des millénaires de domestica­ La chercheuse hongroise Marta Gacsi y a
tion ou simplement du mode de vie consacré sa thèse il y a vingt ans. Le maî­
des chiens de compagnie. tre ou souvent la maîtresse constituent
Elle a donc entrepris d’élever des tout à la fois une « base sécure », rampe
loups et des chiens dans les mêmes de lancement pour aller de l’avant, et un
conditions, tout à la fois en groupes sé­ refuge face à la peur, les deux conditions
parés et en contact avec des humains. de l’attachement. En octobre 2019, une
Puis elle a observé leur coopération équipe de l’université de l’Oregon (Etats­
dans un test élémentaire imposant à Unis) a assuré, expérience à l’appui, qu’il
deux animaux de tirer simultanément en allait de même pour les chats. En sep­
sur deux cordes pour ouvrir une boîte tembre, un groupe de l’université de
et accéder à la nourriture. Les loups ont Stockholm en a fait autant avec les loups.
réussi avec facilité, la plupart des cou­ Mais leurs dispositifs ont été largement
ples de chiens ont échoué. Dans un se­ rejetés par une grande partie des spécia­
cond test, l’animal devait coopérer avec listes. Quant au cochon, face à l’arrivée
un humain familier, cette fois : les deux d’un inconnu à proximité de son maître,
espèces ont passé la barre, le loup plus il s’éloigne, là où le chien demeure, a dé­
Eniko Kubinyi, en quête de signes annonciateurs Là, nous avons bon espoir d’y arriver. » La border collie Mokka et facilement que le chien toutefois. montré la chercheuse catalane. Pas de
du déclin. Mais elle traque surtout la cause des Avancer encore dans le couloir, croiser deux sa maîtresse, avant une IRM, L’équipe viennoise a également testé « havre de paix », donc. De même, il reste
démences avancées. Outre les études comporte­ groupes de chiens, et pousser les portes. Chez à l’hôpital Semmelweis, ce que l’on nomme le « comportement insensible à la direction que son maître
mentales et d’imagerie, elle a ainsi constitué une Peter Pongracz, on étudie la capacité du chien à à Budapest, en Hongrie prosocial », autrement dit la capacité à montre du doigt, quand le chien com­
banque de cerveaux, 170 organes conservés pour se reconnaître lui­même. Pas par le fameux test (en haut à gauche). agir pour l’autre. Dans de précédents prend parfaitement le pointage.
moitié dans du formol, pour l’autre moitié à du miroir. « Le chien ne le réussit pas, sans doute GRZEGORZ ELIASIEWICZ tests réalisés il y a dix ans, des couples de Ah, le pointage ! Bien des articles ont
− 80 °C. Des premiers, elle a mis en évidence, parce que ce test n’est pas adapté à sa perception chiens de compagnie avaient montré été rédigés sur la compréhension de ce
chez les chiens atteints de démence, un surcroît du monde, il n’est pas très bon pour repérer des Le labrador Maya, une solidarité impressionnante. L’un ac­ geste et sa portée, notamment chez
de peptides ABeta42, des petites protéines simi­ détails visuels fixes », dit le chercheur. En revan­ lors d’un test de perception tionnait un levier pour nourrir l’autre, notre « meilleur ami ». L’Américain
laires à celles retrouvées chez les humains at­ che, il comprend que son propre corps peut de la parole, suivi par IRM même s’il n’en tirait personnellement Gregory Berns (Emory University, à
teints d’Alzheimer. Avec les seconds, elle réalise l’empêcher d’atteindre un objet. De même, il (ci-dessus). aucun bénéfice. Un comportement éga­ Atlanta) y voit le début d’une « théorie
actuellement des études génétiques, qui ont déjà perçoit fort bien sa taille, et sa capacité à passer ENIKŐ KUBINYI lement observé chez les rats, notons­le. de l’esprit », à savoir la capacité rare à se
montré, chez les chiens vieillissants, la surex­ ou pas à travers une ouverture, avant même de Sauf que, cette fois, les chiens élevés en mettre à la place de l’autre. L’Autri­
pression dans le cerveau de 1 700 des 20 000 gè­ s’en approcher. A l’université Lorand-Eötvös enclos n’ont pas réussi le test. Les loups, chienne Friederike Range parle d’un
nes canins et la sous­expression de 1 700 autres. Encore quelques pas. Tamas Farago, autre an­ de Budapest, eux, l’ont passé avec succès, à condition « paradigme délicat » : « En compren­
« Le travail commence », avertit­elle, avec l’espoir cien du département, explore les « émotions Joey, un berger autralien, qu’ils appartiennent au même clan. nent­ils le sens ou suivent­ils juste une
d’ériger le chien en modèle d’étude. auditives » du chien. Ou plus exactement la fa­ est testé par Les loups montrent également davan­ consigne, habitués dans leur quotidien à
çon dont il gère les contradictions entre des in­ électroencéphalogramme tage de tolérance sociale, par exemple y gagner une récompense ? » Sans comp­
Des modèles proches de l’homme formations émotionnelles et sociales. D’un côté (en bas à gauche). dans le partage de nourriture. « Ce n’est ter que le chien n’est pas seul au club.
Même objectif, un peu plus loin à l’étage, pour l’envie de s’approcher d’un paillasson où se GRZEGORZ ELIASIEWICZ pas une question de générosité, juste une Les kangourous, les dauphins, les pho­
Marta Gacsi, professeure d’éthologie, mais cette trouve habituellement sa nourriture, de l’autre conséquence de l’histoire : les loups chas­ ques, les éléphants ou les chèvres ont
fois pour les troubles de l’attention, réunis sous la tentation de tenir compte du signal sonore saient du grand gibier, qu’ils parta­ réussi l’examen. Les chimpanzés, que
l’appellation TDAH. Ancienne économiste et qui sort de la caisse installée sur le paillasson. geaient, les chiens mangeaient plutôt des l’on disait rétifs, viennent de franchir
dresseuse de chiens, c’est elle qui, entre 2002 et Trois types de signaux, en vérité, l’aboiement restes et ont appris à défendre leur pi­ brillamment la barre en montrant que
2008, a développé la méthode pour figer les bê­ d’un chien, la voix d’un humain ou les cris d’un tance », avance Friederike Range. non seulement ils suivaient le pointage
tes dans l’IRM. « A l’époque, les machines étaient chimpanzé, eux­mêmes livrés sur trois regis­ mais pointaient eux­mêmes.
encore plus bruyantes mais, en développant leur tres, bienveillant, agressif ou plaintif. Que faire ? Tropisme humain Ne nous y trompons pas : les chiens
confiance et leur envie, on y est arrivés. Le plus dif­ Dans la salle de contrôle, Tamas Farago regarde Plus intéressant peut­être encore, les sont exceptionnels, en particulier dans
ficile, c’étaient les premiers. Ensuite, c’est un ap­ le petit chien blanc, croisement improbable de deux canidés ont été confrontés à des leur engagement avec nous. « Ils ont de
prentissage social. Les plus jeunes voient leurs caniche et de golden retriever, écouter une voix tests dits « de tâches difficiles », ici grandes compétences, je leur consacre ma
aînés qui s’éclatent et sont convaincus que ce tun­ humaine bien peu agréable, hésiter… puis se di­ ouvrir une boîte pour trouver de la vie, admet Friederike Range. Mais, si vous
nel est vraiment cool. Comme avec la cigarette, riger vers le paillasson. Le résultat confirme les nourriture. Au niveau facile, aucune me demandez ce qui me surprend le plus
en moins dangereux. » observations réunies jusqu’ici : confrontés à différence n’apparaît. Mais quand le chez eux, c’est leur caractère parfois irra­
Vingt ans et 146 publications plus tard, elle une voix humaine, les chiens approchent, quoi niveau monte, les loups réussissent tionnel, à la limite de la stupidité. Dans
s’intéresse toujours à l’attachement, son sujet qu’il arrive. Face aux aboiements de leurs con­ davantage… pour la simple raison certains tests, ils finissent par faire n’im­
de thèse, aux comparaisons entre chiens, loups génères, en revanche, ils privilégient l’informa­ qu’ils s’obstinent. Devant l’échec, le porte quoi. Jamais un loup ne ferait ça. »
et cochons, ou encore aux conséquences céré­ tion sociale, se dirigent vers les messages posi­ chien se tourne rapidement vers son Autant dire que, pour elle, s’il fallait tirer
brales de la forme des museaux (pointus ou tifs ou neutres, mais se tiennent éloignés des in­ soigneur. Ce tropisme humain a, du une conclusion définitive sur la domesti­
écrasés). Mais sa cible principale est le TDAH. tonations négatives. « Nous ne savons pas en­ reste, été confirmé par les analyses hor­ cation, elle ne serait pas forcément à
« Nos modèles animaux classiques sont les souris core d’où vient cette différence. Est­ce le tropisme monales : chez le chien de compagnie, l’avantage du chien. « Mais la science a ex­
et les rats, mais il faut les modifier pour induire humain qui les guide, au point d’en ignorer l’into­ la vue du maître provoque un afflux clusivement testé des chiens de race et de
ce trouble. Chez les chiens, impulsivité, inatten­ nation agressive d’une voix ? Ou est­ce l’expé­ d’ocytocine, l’hormone de l’amour ; compagnie, j’aimerais voir des études
tion ou hyperactivité existent naturellement, rience des relations entre chiens qui les invite à rien de tel chez les loups et les chiens avec des chiens errants, qui restent majo­
sans doute parce qu’ils vivent avec nous. Cela garder leurs distances face à un collègue agres­ élevés à l’université de Vienne. ritaires dans le monde. Et les comparer
doit nous permettre de mieux tester des médica­ sif ? Ce sont leurs réactions aux cris de singes qui Cette même variation de comporte­ avec davantage d’espèces. En réalité, on
ments que l’on ne peut pas tester sur des enfants. vont nous le dire. » S’approcher du cerveau des ment a été mise en évidence à Budapest, connaît encore mal les chiens, et très mal
Etudier aussi et surtout les bonnes méthodes humains en faisant écouter des cris de singes à cette fois chez des animaux de compa­ les autres animaux qui nous entourent.
éducatives. Le faire chez les enfants, contrôler les des chiens, avouons qu’il fallait y penser. p gnie, avec d’un côté des chiens, de Alors je réserve encore mon avis. » p
parents et les profs, c’est à peu près impossible. nathaniel herzberg l’autre… des cochons. Depuis quelques n. h.
RENDEZ-VOUS
6| ·
LE MONDE SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 7 DÉCEMBRE 2022

L’EXPOSITION À HAWAÏ, LE MAUNA LOA


SE RÉVEILLE

Remonter le temps  Situé sur la plus grande des îles


d’Hawaï, le Mauna Loa, plus gros
volcan actif du monde, est entré en

dans le sable  éruption dans la nuit du dimanche


27 au lundi 28 novembre. S’élevant
à 4 169 mètres au-dessus de la mer,
des carrières le Mauna Loa, qui a une superficie
de plus de 5 000 km2, n’avait pas
connu d’éruption depuis 1984. Cette
année-là, le phénomène avait duré
vingt-deux jours et les laves étaient
L’archéologie des sablières, arrivées à moins de 8 km de Hilo,
qui s’intéresse aux bords principale ville de l’île. L’éruption
actuelle, annoncée par une activité
des rivières, fait revivre sismique inhabituelle en novembre,
est la 34e depuis que le compte a
les poilus de 1914-1918 aussi commencé, en 1843. Elle se traduit
par des rivières d’une lave très fluide,
bien que les mammouths qui s’écoulent par deux fissures
le long du volcan, mais aussi par des
nuages de fumée qui, au premier jour

E n partenariat avec l’Institut national de


recherches archéologiques préventives
(Inrap) et avec l’Union nationale des in­
dustries de carrières et matériaux de construc­
tion (Unicem) d’Ile­de­France, qui célèbrent
de l’éruption, étaient visibles à des
dizaines de kilomètres de distance.
Les volcanologues espèrent profiter
du phénomène pour mieux compren-
dre la « plomberie » souterraine de
leurs vingt ans, le Musée de préhistoire d’Ile­ l’île et le lien éventuel entre le Mauna
de­France, à Nemours (Seine­et­Marne), pré­ Loa et un volcan voisin, le Kilauea,
en éruption depuis septembre 2021.
sente, jusqu’au 31 décembre, une exposition
(PHOTO : US GEOLOGICAL SURVEY/AFP)
originale sur l’archéologie et les carrières :
« Mémoire de sable ».
L’extraction de matériaux avait permis, dès le
XIXe siècle, de mettre au jour un bon nombre
d’objets en silex et en métal, mais, à partir des
années 1960, la multiplication des carrières de
sable et de granulats a entraîné une accumula­
tion de découvertes, ce dont le musée seine­et­
marnais a largement bénéficié. L’archéologie
en carrière concernant de vastes superficies,
elle a changé l’échelle d’observation en met­
tant en évidence, surtout pour les périodes très
anciennes, des fossés d’enceinte ou d’enclos
dans leur totalité, des traces d’habitat dispersé,
DIX MILLE PAS ET PLUS
des nécropoles et des sanctuaires.
Ce type d’archéologie contribue fortement à
appréhender la façon dont les territoires fran­
POUR VOTRE SANTÉ ET LA PLANÈTE,
ciliens, notamment les plaines alluviales, ont
été occupés, aménagés et exploités depuis les
chasseurs­cueilleurs de la préhistoire jus­
PRENEZ L’ESCALIER
qu’aux agriculteurs des temps modernes. Il
permet de comprendre la genèse et l’évolution
des paysages anciens d’Ile­de­France avant que Par SANDRINE CABUT diovasculaires, avec une baisse des accidents cardia­ Mais si on n’a pas dix étages à gravir, des charges
leurs traces ne disparaissent. ques et vasculaires cérébraux. Cela contribue aussi à lourdes à porter, ou une réelle impossibilité physi­
« Mémoire de sable » nous invite à remonter
le temps, comme lors d’une fouille, jusqu’au
paléolithique, par sauts au­dessus des siècles.
L’exposition commence par des vestiges de la
première guerre mondiale, avec notamment
C ombien de fois par semaine prenez­vous l’es­
calier plutôt que l’ascenseur, pour monter ou
du moins descendre quelques étages ? Et
pour ceux qui travaillent dans un immeuble mo­
derne, savez­vous au moins où se trouvent les cages
augmenter la capacité physique, reflet du capital
santé. La descente de marches, elle, sollicite bien
moins le cœur et le système respiratoire que l’ascen­
sion, mais c’est une activité pendant laquelle le mus­
cle subit un étirement, qui est aussi un très bon exer­
que, pourquoi ne pas adopter le réflexe escalier et
dépenser de l’énergie musculaire plutôt qu’électri­
que ? Reste à trouver des leviers pour motiver toute
une population. Séduisants au premier abord, les
messages incitatifs et colorés disposés sur les vo­
une batterie d’artillerie retrouvée à Villevaudé. d’escalier ? A l’heure où les modes de transport actifs cice de renforcement musculaire, poursuit François lées de marches dans les métros, les gares… ne sont
Une ferme, détruite en 1762 à Varennes­sur­ (marche, vélo…) s’affirment comme des outils pré­ Carré. « Celui­ci est même plus efficace qu’en montée, finalement pas si efficaces, selon des études scienti­
Seine, illustre la période moderne avec de la cieux de santé publique et de transition écologique, où le muscle subit un raccourcissement », précise­t­il. fiques. Ces dispositifs dits de « nudge » s’avèrent
vaisselle, des huisseries et des restes alimen­ il est temps de se pencher sur cette modalité particu­ Quid des potentielles économies d’énergie ? En même parfois contre­productifs.
taires. Le haut Moyen Age (Ve­XIe siècle) est re­ lière qu’est la montée ou la descente d’escaliers. France, les ascenseurs représentent de 5 % à 8 % de la Dans une revue de la littérature récemment pu­
présenté par des objets de sépulture et la pé­ Le sujet n’est pas anecdotique. Avec 100 millions de consommation des bâtiments, soit au total 2 ter­ bliée dans l’American Journal of Health Promotion,
riode gallo­romaine (Ier­Ve siècle) par des am­ trajets quotidiens en France, les 630 000 ascenseurs rawattheures (TWh, soit un milliard de kilowhattheu­ deux chercheurs du département d’architecture de
phores mises bout à bout pour former des sont le moyen de transport le plus utilisé dans le pays, res) par an, l’équivalent de la consommation électri­ l’université Salahaddin (Irak) plaident pour une
tuyaux retrouvés dans les vestiges d’une villa, affirme la Fédération des ascenseurs. En matière de que d’une grande ville comme Nantes ou Bordeaux, plus grande implication des concepteurs d’immeu­
à Changis­sur­Marne. santé, les atouts des escaliers sont incontestables. indique la Fédération des ascenseurs. Alors que 25 % bles. « Les escaliers peuvent être un moyen assez peu
« Un maillage territorial permet de voir que « L’activité physique considérée actuellement comme la du parc a plus de quarante ans, ces professionnels onéreux et accessible d’ajouter de l’activité physique
l’on a du gallo­romain partout », constate Pa­ plus bénéfique pour la santé doit associer du travail mettent en avant une politique de sobriété énergéti­ quotidienne, mais, dans beaucoup de bâtiments,
trick Gouge, chef du service départemental cardiorespiratoire et du renforcement musculaire, et que. La rénovation des ascenseurs anciens permet de les cages d’escalier sont inaccessibles ou désagréa­
d’archéologie de Seine­et­Marne, cocommis­ c’est le cas de la montée d’escaliers », souligne le cardio­ diviser par trois leur consommation, de 3 400 à bles et les ascenseurs plus confortables », écrivent­ils,
saire de l’exposition. Pour les périodes proto­ logue du sport François Carré (CHU de Rennes). Il se 1 200 KWh/an. Les appareils de conception récente en invitant architectes et professionnels du design
historiques (âge du fer, âge du bronze et néoli­ réfère ainsi à des études prospectives ayant montré sont, eux, à 650 KWh/an, il existe même désormais actif à se focaliser sur les escaliers plutôt que sur les
thique), enceintes, nécropoles et habitats ont que la montée régulière d’escaliers est associée à une des modèles à 0 KWh ou presque, alimentés par de ascenseurs comme première solution de circula­
été mis au jour sur l’ensemble du territoire. amélioration des facteurs de risque de maladies car­ l’énergie solaire, de l’éolien… tion verticale. p
Des fibules, parmi les plus anciennes en
Europe, ont été découvertes à Villiers­sur­
Seine. Période intermédiaire de la préhis­
toire, correspondant à un changement clima­
tique majeur avec la fin de la dernière glacia­ AFFAIRE DE LOGIQUE – N° 1224
tion et le retour des forêts, le mésolithique (de
– 9000 à – 5500), « le Moyen Age de la préhis­
toire », selon Patrick Gouge, est représenté,
N° 1224
Solution du problème 1223
entre autres, par une des plus anciennes piro­
gues retrouvées de ce côté­ci de l’Oural. L’ex­ En cuisine avec des nombres 1. PQ mesure √5 dm. Le triangle POQ est rectangle en O.
Menons par Q la parallèle D N C
position s’achève au paléolithique avec un
Afin d’équiper sa nouvelle cuisine, Alice a acheté un micro-ondes, un four classique, une plaque et une hotte. (KQ) à (AB). Les triangles
des moulages des ossements de mammouths α
Leurs prix, exprimés en euros, sont quatre entiers naturels strictement positifs (on ne lui a pas fait de cadeau !) et rectangles DAO et QKP, K α Q
découverts à Changis­sur­Marne. p ayant leurs côtés perpen-
francis gouge tous différents. Alice, on le sait, aime jouer avec les nombres. Elle calcule les six quotients du prix total payé par la
diculaires et un côté de I
somme de chaque paire de prix. R
1. Serait-il possible que cinq de ces quotients soient des nombres entiers ? l’angle droit égal (DA =
« Mémoire de sable », au Musée QK = 2 dm), sont égaux. M
départemental de préhistoire d’Ile­de­France. Dans la pratique, Alice obtient quatre quotients entiers. Elle le dit à Bob et lui communique le montant total, 1 224 €. P
Ainsi, PQ = DO = √5 dm,
Jusqu’au 31 décembre. Musee­prehistoire­idf.fr 2. Bob peut-il deviner les quatre prix ? Si oui, quels sont-ils ?
d’après Pythagore.
3. Même question avec un montant total de 1 320 €.
Appelons α les angles A B
O
LIVRAISON LE PALMARÈS DES CINÉMATHS « MADAME HYDE » « UN TEXTE, UN MATHÉMATICIEN »
ADO et KQP.
Les droites (QR) et (QB) étant toutes deux tangentes au
TROPHÉES « TANGENTE » À LYON LE 17/12 À 11 HEURES À PARIS LE 18/01 À 18 H 30 cercle rouge, les angles RQO et OQB sont égaux à
Lors de la journée Tangente, qui s’est dérou- La Maison des mathématiques et de l’infor- Le cycle de conférences « Un texte, un 45° – α/2. Par ailleurs, comme (AD)//(BC), l’angle APR est
lée dimanche 4 décembre au Musée des matique (MMI), sous l’impulsion de la mathématicien » reprend à la BNF (quai
B E AU L I VR E égal à 90° + α. Les angles APO et RPO sont donc égaux à
arts et métiers, le magazine de culture mathématicienne cinéphile Olga Paris- François-Mauriac, Paris 6e) et aussi en ligne
« Spéléothèmes. Archives du climat » mathématique a décerné trois trophées. Romaskevich, propose régulièrement le avec un exposé de Laure Saint-Raymond, 45°+ α/2 . Ainsi, les angles en P et en Q du triangle OPQ
Derrière le mot de « spéléothèmes » se cachent Le prix Tangente, un prix littéraire annuel, ciné-club CinéMaths au Comoedia de l’Académie des sciences, sur le thème sont-ils complémentaires. Ce triangle est rectangle en O.
toutes les concrétions des grottes souterraines. a été décerné à Dingue de maths, un livre (13, avenue Berthelot, Lyon 7e). Le prochain, « Décrire mathématiquement les gaz, le 2. Les segments [QR] et [QB] ont pour longueur, en dm,
Les plus connues sont les stalagmites et les d’Avner Bar-Hen et Quentin Lazzarotto programmé samedi 17 décembre, est défi de Boltzmann ». Ce physicien autri- le nombre d’or (1 + √5)/2.
paru aux Éditions EPA. Le prix Tangente des Madame Hyde. Cette fable burlesque, avec chien a proposé à la fin du XIXe siècle un
stalactites, mais bien d’autres formes existent. Soit I le milieu de [PQ]. Le triangle POQ étant rectangle,
lycéens a été attribué à Madame Einstein, Isabelle Huppert, est l’histoire d’une profes- modèle mathématique de l’évolution des
Et sous la croûte de ces dépôts minéraux se de Marie Benedict. Enfin, le vainqueur du seure de physique en difficulté dans son gaz à partir du mouvement des atomes, on a : OI = PQ/2 = OD/2. Par ailleurs, OR = OA = AD/2. Ainsi,
cachent un trésor visuel de beautés cristallines prix Affaire de logique, qui récompense la métier qui, frappée par la foudre au labora- s’appuyant sur les probabilités. L’équation les triangles rectangles ORI et DAO ayant l’hypoténuse et un
et un trésor scientifique. Pour le paléoclimato­ création d’énigmes mathématiques, est toire, voit sa personnalité et ses rapports avec qui porte son nom fait encore l’objet de côté dans le même rapport sont semblables de rapport 1/2.
Jean-Michel Le Claire. Les vainqueurs ont ses élèves changer. La séance sera suivie d’une recherches intenses. Il s’agira de com- On en déduit que IR = OA/2 = 1/2. Ainsi, QR = QI + IR = (√5 + 1)/2.
logue Dominique Genty, les spéléothèmes, reçu des œuvres d’art mathématique. discussion avec scientifiques et experts. prendre les propriétés de son modèle.
constitués goutte à goutte, sont de précieux Ce segment, tout comme QB, qui lui est égal, a donc pour
Infos sur Tropheestangente.com Réservation sur Cinema-comoedia.com Infos et inscriptions sur Smf.emath.fr
enregistrements des climats du passé. longueur le nombre d’or.
E. BUSSER, G. COHEN ET J.-L. LEGRAND © POLE 2022 affairedelogique@poleditions.com
> De Dominique Genty (Ed. Hartpon, 204 p., 45 €).
RENDEZ-VOUS
· LE MONDE SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 7 DÉCEMBRE 2022 |7
CARTE
BLANCHE Bien respirer doit devenir un droit fondamental
Géométrie TRIBUNE - Mieux prévenir et traiter les maladies respiratoires, qui affectent près de 10 millions
de Français, doit être au cœur des priorités en matière de santé, alerte un collectif de patients,
et vitesse du ballon d’usagers, de professionnels, soutenu par des parlementaires
de foot du Mondial
Par ÉTIENNE GHYS B ronchopneumopathie chroni­
que obstructive, cancer pul­
monaire, maladies respiratoi­
res rares (mucoviscidose, déficit en
un risque élevé de contracter un jour
une maladie respiratoire.
Plus grave encore, la majorité des
personnes qui présentent des symptô­
LE PREMIER ENJEU
DE LA SANTÉ
RESPIRATOIRE
de prévention… Autant de mesures à
intégrer dans un plan global, cons­
truit avec tous les acteurs du secteur,
permettant de détecter précocement

D es millions de téléspectateurs as­


sistent aux matchs de la Coupe du
monde 2022, mais combien ont
vraiment regardé le ballon ? Il s’appelle Al
Rihla, ce qui signifie « le voyage » en arabe.
alpha­1­antitrypsine, fibrose pulmo­
naire idiopathique…), asthme et aller­
gies… Méconnues et multifactoriel­
les, ces maladies affectant les voies
respiratoires touchent aujourd’hui
mes respiratoires quotidiens sévères
n’a jamais été diagnostiquée. Ce défaut
de consultation fait écho à un manque
de connaissances sur ces pathologies,
qu’il est urgent de combler. Est­ce nor­
VISE À AGIR
DIRECTEMENT SUR
L’ENVIRONNEMENT
les maladies respiratoires et leurs
facteurs de risque, dans l’intérêt du
patient et du système de santé.
La situation provoquée par les ma­
ladies respiratoires, handicapantes,
Les mathématiciens préfèrent évoquer un près de 10 millions de Français à tous mal qu’en France, 60 % de la popula­ DANS LEQUEL nécessite de renforcer la lutte contre
icosidodécaèdre… du grec ico pour « vingt », les âges, parfois très durement. tion estime n’avoir aucune notion sur l’exclusion sociale et sanitaire,
dodé pour « douze » et èdre pour « face ». Si le Mois sans tabac est l’occasion de les maladies respiratoires ? NOUS VIVONS d’abord en uniformisant sur le terri­
Chaque Coupe est l’occasion d’une nouvelle rappeler que, chaque année, le taba­ Face à ces maladies aux facteurs de toire les critères d’attribution des
géométrie. Au Mexique en 1970, le ballon gisme est la première cause de morta­ risques multiples et allant de pair avec droits consacrés aux personnes en si­
s’appelait Telstar. Nous le connaissons tous lité évitable, d’autres facteurs à l’ori­ la santé environnementale, nous som­ tuation de handicap respiratoire.
avec ses panneaux de cuir blanc et noir. gine des maladies respiratoires méri­ mes convaincus qu’il est utile d’agir promouvoir le sevrage tabagique Lorsqu’elles touchent des enfants,
J’ai demandé à des enfants de 6 à 12 ans de tent une attention particulière : les pour les Français dans tous leurs cadres sont une première étape, mais doi­ des mesures doivent être mises en
dessiner un ballon Telstar qui était face à problématiques posées par le dérègle­ de vie : au domicile, au travail, en ex­ vent être complétées par des mesures œuvre pour garantir l’inclusion sco­
eux. Ce n’est pas facile et certains dessins ment climatique, la pollution et les térieur, afin de promouvoir des com­ de lutte contre la pollution intérieure laire et compenser la perte de reve­
sont… imaginatifs. Les douze pièces noires maladies infectieuses respiratoires, ré­ portements et des environnements et extérieure. Il convient également nus des parents après le dépistage
sont des pentagones et les vingt pièces currentes comme la grippe, ou émer­ favorables au « bien­respirer ». de renforcer la connaissance du d’une maladie chez leur enfant.
blanches sont des hexagones. gentes, comme ce que nous connais­ Nous appelons à mettre la santé res­ grand public sur la santé respiratoire Mieux prévenir les maladies respi­
Depuis l’Antiquité grecque, on connaît sons aujourd’hui avec la pandémie de piratoire au cœur des priorités en ma­ par des opérations de sensibilisation ratoires, mieux les faire connaître,
cinq polyèdres réguliers, dont toutes les Covid­19, appellent à l’urgence d’une tière de santé afin de renforcer la visi­ prioritairement au niveau national, mieux accompagner les patients qui
faces sont identiques : ils jouent un rôle im­ mobilisation collective. bilité et la prévention des maladies res­ mais aussi localement. en sont atteints, c’est aller vers une
portant dans la philosophie de Platon, Représentant 27 organisations de piratoires et d’améliorer le parcours de Prévenir et soigner les maladies res­ société du « bien­respirer », active et
chacun étant associé à un « élément ». Celui patients, d’usagers et de profession­ soins des personnes malades. piratoires doit passer par la création inclusive, qui bénéficiera à tous. p
qui est le plus « rond » est l’icosaèdre, avec nels de santé, le collectif des Etats Les maladies respiratoires posent de parcours de santé pour tous les
ses vingt faces en forme de triangles équila­ généraux de la santé respiratoire et les un défi social, sanitaire et environne­ patients et à tous les âges de la vie, en
téraux. Pour le rendre encore plus rond, on parlementaires qui soutiennent cette mental qui représentait en 2018 un s’appuyant sur des mesures déjà ¶
tronque ses douze sommets, on gonfle cause appellent les forces politiques et coût de 3,51 milliards d’euros pour mises en place telles que le sport sur Professeure Chantal Raherison-
l’ensemble, et l’on obtient… le Telstar. les citoyens à la reconnaissance des l’Assurance­maladie. Pour y répondre, ordonnance, la vaccination, encore Semjen, ex-présidente de la Société
Archimède, quant à lui, chercha des polyè­ maladies respiratoires. nous appelons les pouvoirs publics à sous­exploitée, ou le développement de pneumologie de langue française,
dres semi­réguliers, dont les faces sont en­ Méconnaissant les symptômes et s’inscrire dans une approche globale des centres de réadaptation respira­ au nom du collectif des Etats
core des polygones réguliers, mais pas néces­ minimisant les risques par manque articulée autour de trois priorités, toire, encore inaccessibles pour la généraux de la santé respiratoire,
sairement avec le même nombre de côtés. Il de communication et de stratégie identifiées à la suite d’une consulta­ majorité des patients. représentant 27 instances de
en dénombra treize, dont notre icosidodé­ globale, la population est désarmée tion citoyenne ayant rassemblé près Au cœur de la stratégie du gouver­ pneumologie et associations de patients
caèdre, avec douze pentagones et vingt trian­ face aux défis de la santé respira­ de 500 contributions en 2021. nement, la prévention prend tout son engagées dans la santé respiratoire ;
gles. Les ingénieurs Adidas se sont contentés toire, comme le montre une étude Le premier enjeu de la santé respira­ sens lorsqu’il s’agit de santé respira­ Christine Decodts, députée
de recoudre chacun des pentagones avec un réalisée par Ipsos en 2021. Quand toire vise à agir directement sur l’envi­ toire : mesure du souffle à tous les du Nord ; Jean-Luc Fugit, député
triangle pour obtenir Al Rihla. Au­delà de l’es­ 52 % de la population rencontre des ronnement dans lequel nous vivons âges, y compris en milieu scolaire et du Rhône ; Jean-François Rousset,
thétique, ce sont les symétries de l’objet qui problèmes respiratoires récurrents, afin de prévenir et de lutter contre ces professionnel, dépistage généralisé député de l’Aveyron ; Jean-Marc Zulesi,
intéressent le mathématicien et l’on ne seuls 3 Français sur 10 estiment avoir maladies. Les actions menées pour du cancer du poumon, consultation député des Bouches-du-Rhône
compte plus les apparitions de l’icosaèdre
dans les mathématiques contemporaines.
L’ingénieur a bien d’autres préoccupa­ Le supplément « Science & médecine » publie chaque semaine une tribune libre. Si vous souhaitez soumettre un texte, prière de l’adresser à sciences@lemonde.fr
tions que l’esthétique, même s’il ne doit pas
l’oublier. Les symétries sont également
importantes pour éviter que le ballon ne
parte dans des directions incontrôlées. La
physique du vol d’un ballon de football est
complexe et nécessite des études théori­ UN PROJET POUR SAUVER PLUS DE VICTIMES DE SÉISMES
ques et expérimentales.

Crise de traînée
L’un des pionniers fut Gustave Eiffel, bien
Des nouvelles technologies face aux catastrophes naturelles Drone à radar pénétrant
sûr plus intéressé par les débuts de l’avia­ Il permet de cartographier
tion que par le football. Il commença par Drone de transport une zone, y compris à travers
observer la chute de balles de diverses tailles la surface du sol, des bâtiments,
depuis le deuxième étage de « sa » tour, Disposant d’une caméra des rochers. Les vidéos
avant de continuer ses recherches dans thermique, il peut transporter sont en haute définition.
l’une des premières souffleries. En 1912, il de petits robots sur les zones
découvre un phénomène auquel il ne croit accidentées, mais aussi des
pas de prime abord, que l’on appelle kits de survie, de l’eau
aujourd’hui la crise de traînée. ou de la nourriture.
Lorsqu’une balle vole, l’air exerce une résis­
tance qui tend à la ralentir. Il semble évident
Drone central ou « mothership drone »
que cette force est d’autant plus faible que la
Drone de modélisation 3D
vitesse est petite. Et pourtant, lorsqu’un bal­ Relié à un câble, il fournit des images
lon ralentit progressivement et qu’une cer­ et des sons 24h/24, il peut rester en vol pendant Il permet aux secours de se rendre compte
taine vitesse est atteinte, on observe soudai­ une semaine et guider les robots sur le terrain. des volumes, des reliefs d’une zone
nement une augmentation importante de la accidentée grâce aux images en 3D
résistance. Cette vitesse critique dépend de la fournies.
taille du ballon mais aussi de la rugosité de sa
surface. Pour un ballon Telstar ou Al Rihla,
elle est de l’ordre de 10 mètres par seconde.
Quand un joueur frappe le ballon, sa vitesse
initiale est souvent bien supérieure à cette
valeur avant de diminuer progressivement.
Lorsque le ballon atteint la vitesse critique,
la résistance augmente soudainement et la
trajectoire semble se briser : un phénomène
que les gardiens de but connaissent bien. Smurf (Soft Miniaturised
Pour les ballons plus lisses, comme le Jabu­ Underground Robotic Finder)
lani de la Coupe du monde en Afrique du Sud,
Petits robots très mobiles, équipés de deux
la crise se passe vers 14 mètres par seconde : Géophone
c’est l’une des raisons qui font que les joueurs caméras et de micros, mais aussi de capteurs
n’ont pas du tout aimé ce ballon. Le gardien détectant l’urine, le sang, la transpiration Équipé de capteurs sensibles,
brésilien Julio César dira : « C’est terrible, hor­ et les protéines de transport des molécules cet outil mesure les vibrations
rible, on dirait un de ces ballons que l’on odorantes, situées dans les narines de sismiques, mais aussi les tapote-
achète au supermarché. » Selon l’attaquant tout être humain vivant. ments et les bruits de personnes
Il permet aussi de distinguer ensevelies sous des décombres.
Robinho : « Le type qui a conçu ce ballon n’a
un être vivant humain et animal.
certainement jamais joué au football. »
Sources : Cursor Infographie : Victoria Denys
Que penseront les Bleus d’Al Rihla ? Leur
avis l’emportera sur celui des physiciens. p

Le projet « Cursor » (Coordinated Use of rapidement les victimes de séismes et équipés de capteurs détectant l’urine, traitées par un centre de contrôle.
Etienne Ghys miniaturized Robotic Equipment and protéger les équipes d’intervention. le sang, la transpiration, la respiration, Lancé en 2019, ce projet est financé jus­
Mathématicien, secrétaire perpétuel Advanced Sensors for search and rescue Au sol, des robots très mobiles, dé­ et donc la présence humaine. Dans les qu’en février 2023. Il lui reste à trouver
de l’Académie des sciences, directeur OpeRations), cofinancé par l’Europe et nommés « Smurf », peuvent accéder à airs, quatre drones, aux fonctionnali­ des débouchés. p
de recherche (CNRS) à l’ENS Lyon. le Japon, teste des technologies afin des zones accidentées. Disposant de tés différentes, complètent le disposi­ marina rafenberg
etienne.ghys@ens-lyon.fr d’aider les secouristes à trouver plus caméras et de micros, ils sont surtout tif. Toutes les données sont ensuite (athènes, correspondance)
RENDEZ-VOUS
8| ·
LE MONDE SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 7 DÉCEMBRE 2022

« L’ADN ancien ouvre une fenêtre  ZOOLOGIE
Le lait magique 
sur l’archipel du monde ashkénaze » des pupes de fourmi
ENTRETIEN - Pour les généticiens David Reich et Shai Carmi, l’analyse des squelettes d’un cimetière
médiéval, à Erfurt, en Allemagne, apporte des éléments inédits sur l’origine du peuple juif
C e que l’on cherche, on le trouve », disait
Sophocle. Les mots du tragédien ont
dû agacer des générations de scientifi­
ques, eux qui passent parfois une vie à pister

P
rofesseurs de génétique des popu­ une idée, une particule, un fossile. En réalité,
lations, David Reich (Harvard) et la citation comporte une deuxième partie :
Shai Carmi (Université hébraïque « Ce que l’on néglige nous échappe. » Ainsi
de Jérusalem) ont publié, mercredi complété, l’aphorisme pourrait presque résu­
30 novembre, dans la revue Cell, mer l’aventure que vient de vivre Orli Snir,
une analyse de squelettes retrouvés dans un postdoctorante dans le laboratoire de Daniel
cimetière juif médiéval, à Erfurt, en Thuringe Kronauer, à l’université Rockefeller de New
(Allemagne). Elle apporte des résultats inédits York. Car c’est bien forts de ce principe, qu’en­
sur l’origine de la communauté juive ashkénaze. semble, ils viennent d’annoncer, dans Nature,
mercredi 30 novembre, que les fourmis au
Votre étude plonge dans le passé stade de pupes sécrétaient un fluide aux pro­
de la communauté ashkénaze. Le mot priétés essentielles pour le développement
est familier mais de qui parle­t­on ? des individus comme de la colonie.
Shai Carmi On parle d’un groupe constitué Pour mesurer l’importance de cette décou­
aujourd’hui d’environ 10 millions d’indivi­ verte, rappelons que ces insectes, au cours de
dus, vivant essentiellement en Israël et aux leur développement, passent par quatre sta­
Etats­Unis, mais également en Europe et en des : œuf, larve, pupe et enfin adulte. Inutile
Amérique du Sud. Il y a cent cinquante ans, de préciser ici ce qu’est un œuf. Au stade lar­
cette population était exclusivement euro­ vaire, la fourmi ressemble à un ballon al­
péenne. Mais l’immigration et l’extermina­ longé, avec toutefois une bouche et un anus.
tion de 6 millions de juifs par les nazis en ont Nouvelle métamorphose et la voilà dévelop­
largement réduit l’importance. Selon les tra­ pée, presque reconnaissable, bien que recro­
vaux des historiens, il s’agit d’une popula­ quevillée et immobile, dans sa robe blanche
tion relativement récente, puisqu’elle serait ou translucide. Chez certaines espèces, cette
apparue au Xe siècle, en Rhénanie. pupe se voit de plus protégée par un cocon.
Encore une mue et l’adulte dévoile enfin son
Depuis quand la génétique véritable visage. « Jusqu’à présent, on pensait
s’y intéresse­t­elle et qu’a­t­elle apporté ? que tous les stades étaient utiles pour la colo­
David Reich Cela a commencé dans les an­ nie, résume Patrizia d’Ettorre, professeure
nées 1980. On savait depuis longtemps que les d’éthologie à l’université Sorbonne Paris­
juifs ashkénazes souffraient plus que d’autres Nord­Villetaneuse. Les adultes, bien sûr, rei­
de certaines pathologies héréditaires rares. Les nes, ouvrières et mâles, mais aussi les œufs et
chercheurs ont identifié les gènes à l’origine de
la plupart de ces maladies. L’apport a d’abord
été médical. Sur le plan historique, cette surre­
présentation a prouvé que cette population
provenait, ou était passée par un goulot David Reich (à gauche) et Shai Carmi. SAM OGDEN/HARVARD MEDICAL SCHOOL/THE HEBREW UNIVERSITY OF JERUSALEM
d’étranglement, autrement dit par un groupe
réduit d’individus sans quoi ces mutations dé­
létères auraient disparu avec le temps. On a ans qui ont suivi. En revanche, on décèle la entre Ashkénazes et Séfarades. La réalité est
aussi constaté que certaines mutations étaient présence d’une ascendance d’Europe de l’Est, manifestement très différente.
partagées avec d’autres populations juives et ce que nous n’attendions pas à cette époque.
ainsi pu établir que les échanges entre commu­ Vous avez évoqué le goulot d’étranglement
nautés n’étaient pas seulement culturels. Vous mettez en évidence deux sous­groupes. populationnel subi par les juifs ashkénazes.
Vous y attendiez­vous ? Votre étude en précise­t­elle la nature ? Ouvrières, larves et pupes. DANIEL KRONAUER
Comment avez­vous procédé à Erfurt ? D.R. Non, car rien de tel n’a été observé dans D.R. Il semble bien que le goulot d’étrangle­
S.C. Ça faisait cinq ans que nous voulions con­ l’ADN de la population ashkénaze actuelle. ment rencontré par la communauté d’Erfurt les larves qui diffusent les phéromones de la
duire une étude de ce type avec David. Il était Mais le résultat est indiscutable : notre échan­ soit le même que celui que l’on observe dans reine. Tous sauf la pupe. »
évident que nous ne pourrions pas ouvrir des tillon comporte deux sous­populations, que l’ADN des juifs modernes. Mais il est trois fois Ainsi les pupes échappaient­elles à la tro­
tombes, les lois religieuses l’interdisent. Un nous avons respectivement qualifiées d’euro­ plus étroit. A partir des données modernes, phallaxie, cet échange de nourriture régur­
grenier à grain avait été construit il y a cinq siè­ péenne et de moyen­orientale. Toutes deux on trouve une population originelle de gitée propre aux insectes sociaux au cours
cles sur une partie du cimetière juif à Erfurt. apparaissent très différentes de la population 2 000 personnes, avec les données d’Erfurt, duquel ils se transmettent non seulement
Pour le convertir en parking, des fouilles pré­ locale non­juive. Selon les modèles, qui doi­ c’est trois fois moins. Comment expliquer cet des nutriments mais des peptides et des
ventives ont été récemment entreprises, des vent être maniés avec précaution, elles parta­ écart ? Ce que nous supposons, c’est que les hormones. « A l’échelle de la colonie, elles
ossements découverts. En Allemagne, la loi im­ geraient de grandes ascendances méditerra­ juifs d’Erfurt se sont mélangés avec d’autres semblaient ne servir à rien, résume Laurent
pose un accord de la communauté locale avant néennes, autour de l’Italie, et dans une moin­ groupes aux ascendances très proches mais Keller, professeur de biologie à l’université
toute analyse. J’ai présenté notre projet et un dre mesure moyen­orientale, cette dernière qui n’ont pas subi un tel goulot. Pour le prou­ de Lausanne. Cet article montre qu’elles
avis d’un rabbin de Jérusalem, passionné de plus marquée dans un des deux groupes. ver, il va nous falloir séquencer d’autres géno­ servent bien à quelque chose. »
génétique qui, au terme d’une étude des textes Dans l’autre, nous observons également la mes, ailleurs. Si nous avons raison, nous y Pour obtenir ce résultat, qui avait échappé
religieux, concluait que les analyses étaient présence d’ancêtres d’origine est­européenne. trouverons des fréquences de mutations aux myrmécologues depuis les études pion­
possibles si les corps étaient déjà excavés. Il re­ Or Erfurt se trouve précisément entre la Rhé­ spécifiques souvent beaucoup moins impor­ nières de William Morton Wheeler en 1918,
commandait aussi d’utiliser les dents car elles nanie et l’Europe de l’Est. Il semble bien que tantes. L’ADN ancien ouvre une fenêtre sur Orli Snir a opéré un renversement de perspec­
sont considérées comme extérieures au corps. les deux populations s’y soient retrouvées. l’archipel du monde ashkénaze. tive : plutôt que de s’intéresser à la colonie et à
Le rabbin d’Erfurt a repris cette position. ses performances collectives, s’attacher à cha­
D’autres éléments viennent­ils Quelles questions vous taraudent encore ? que élément. « Elle a eu l’idée ingénieuse de sé­
La communauté d’Erfurt est donc ancienne ? appuyer ce scénario ? D.R. Pour l’heure, nous avons des données parer les stades et de les observer séparément »,
S.C. Emblématique. On y trouve la plus an­ D.R. Absolument. A côté de l’ADN, nous sur deux communautés médiévales : Norwich raconte Daniel Kronauer. Sans trop savoir ce
cienne synagogue d’Europe, datant du XIe siè­ avons aussi recherché dans les dents les isoto­ et Erfurt. J’aimerais que l’on puisse enrichir qu’elle cherchait, mais consciente de ce que
cle. Avec plus d’un millier de fidèles, elle était pes de l’oxygène et nous avons constaté une l’image avec d’autres points de vue, dans l’on avait jusqu’ici négligé. « Et elle a vu ce
importante pour l’époque. Et elle a été mar­ différence systématique des proportions d’O18 l’espace comme dans le temps. Pouvoir étu­ fluide, poursuit son mentor. Dans la colonie, il
quée par un massacre en 1349, où presque entre les deux sous­groupes. Or cette propor­ dier les relations entre les Ashkénazes et les n’est jamais visible car les autres membres le
tous les juifs auraient péri, les survivants ont tion dépend de l’eau consommée pendant l’en­ autres communautés. Aujourd’hui, les Ashké­ consomment immédiatement. »
fui. Cinq ans après, en 1354, les juifs y sont fance. Ces deux populations ont donc grandi nazes représentent les deux tiers de la popu­ Car si ce fluide, riche en enzymes, aide la
retournés, avant d’en être expulsés un siècle dans des endroits différents. Au moins une des lation juive mondiale, mais n’oublions pas pupe à muer en fragilisant sa cuticule, il est
plus tard. Ils n’y reviendront qu’au XIXe siècle. deux est constituée d’immigrants. Et cela ex­ qu’à l’époque, ils étaient ultraminoritaires. impératif qu’il en soit rapidement évacué,
plique pourquoi les deux sous­groupes appa­ L’essentiel de la population juive se trouvait sous peine d’infection fongique. « C’est un peu
Vous avez analysé les dents de 33 squelettes. raissent si clairement dans l’ADN. Quelques gé­ en Méditerranée. Par ailleurs, il faudrait pou­ comme le lait maternel », commente Daniel
A quoi ce groupe ressemble­t­il ? nérations plus tard, nous n’aurions vu ni les voir étudier de la même façon les commu­ Kronauer. Du lait, il partage du reste d’autres
S.C. A un groupe d’hommes et de femmes différences en isotopes d’oxygène, ni les dispa­ nautés juives en Jordanie, au Yémen, en propriétés. En observant cinq espèces de four­
presque à parité, d’enfants comme d’adultes, rités génétiques, effacées par les mélanges. Ethiopie, au Maghreb. Notre étude montre mis, couvrant les principales familles, les cher­
jusqu’à 60 ans. D’après les observations osseu­ Nous avons eu beaucoup de chance. que c’est possible. J’aimerais enfin détermi­ cheurs ont constaté qu’il était consommé par
ses, un seul serait mort violemment, d’un coup ner la nature des liens avec la population les adultes et par les larves. Son rôle dans le
à la tête. L’ADN n’a relevé aucune présence de la Le sous­groupe moyen­oriental ressemble juive de Judée, à l’époque romaine. En existe­ comportement et la physiologie des adultes
peste, alors qu’elle était là dans les années 1350. en réalité à la population séfarade moderne. t­il ? C’est une question ouverte. reste encore inconnu. En revanche, l’équipe de
Les datations au carbone 14 convergeaient Comment l’expliquez­vous ? l’université Rockefeller a montré que ce li­
vers le XIVe siècle. Mais avant ou après le mas­ S.C. On ne parle pas des populations séfara­ Ne craignez­vous pas avec vos études quide, jusqu’ici inconnu, constituait bel et
sacre, les analyses ne pouvaient pas le préci­ des passées par l’Afrique du Nord, auxquelles de donner des arguments aux racialistes bien la principale source d’alimentation des
ser. C’est l’archéologie, et particulièrement on pense quand on emploie ce nom. Nous de toutes obédiences ? larves, l’élément essentiel pour leur survie et
l’orientation des corps, directement liée à la parlons de populations d’Espagne, d’Italie du D.R. Les racistes tenteront toujours de tout leur développement harmonieux.
construction d’un mur supplémentaire, qui a Sud, de Grèce, de Turquie. Et notre hypothèse, détourner à leur profit. Mais la génétique, De cette aventure, Daniel Kronauer tire la
permis de conclure en faveur de la seconde c’est que ces deux ensembles, les Séfarades pour peu qu’on la regarde honnêtement, ré­ conclusion que « contrairement à ce que l’on
communauté, après le pogrom, donc. européens et les premiers Ashkénazes, sont fute au contraire le récit racialiste. Elle montre croit, à ce que je croyais, il reste des éléments
issus d’un même groupe très réduit qui en­ tout à la fois les similarités et les différences essentiels de l’histoire naturelle à découvrir ».
Que racontent les génomes quant à l’origine suite s’est séparé en un archipel de commu­ entre les populations humaines, ici la grande Patrizia d’Ettorre, à qui Nature avait de­
de cette communauté ? nautés. Les Séfarades se seraient très peu mé­ continuité et les apports extérieurs dans la mandé de commenter cette étude, y voit
D.R. D’abord, une grande similarité, une langés, certains Ashkénazes davantage. Mais population ashkénaze. En réalité, la connais­ même une métaphore de nos sociétés. « On
sorte de continuité entre les juifs d’Erfurt et il est encore trop tôt pour l’affirmer. sance nous donne des armes pour dégonfler oublie trop souvent le rôle de la jeunesse pour
les Ashkénazes d’aujourd’hui. Ce qui montre D.R. Cette question est passionnante et les stéréotypes, affaiblir les préjugés. C’est ma la société. Ce n’est pas une charge, c’est
qu’il y eut assez peu de mélange entre popula­ nous avons bien l’intention de l’explorer. Il y conviction profonde. p d’abord une chance. » p
tions juives et non juives pendant les six cents a des images folkloriques des différences propos recueillis par nathaniel herzberg n. h.

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