Troisième
religion monothéiste après le judaïsme et le christianisme, avec Abraham comme figure
commune, elle est à l’origine d’une civilisation majeure, qui s’est répandue à travers le
monde en prenant une multitude de visages. En décrivant l’histoire, la foi et la pratique, ce
livre présente l’islam dans toutes ses dimensions. Il permet ainsi d’accéder aux textes
fondateurs (Coran, hadiths…), de découvrir le cœur du message islamique et de mieux
comprendre la culture musulmane.
L’ISLAM EXPLIQUÉ
Histoire, foi et pratique
Éditions Eyrolles
61, bd Saint-Germain
www.editions-eyrolles.com
Introduction
Index général
Bibliographie essentielle
INTRODUCTION
De plus en plus nombreux sont ceux qui appellent de leurs vœux une
meilleure connaissance de l’islam dans les sociétés occidentales. Mais des
obstacles divers et anciens se dressent devant ce noble objectif. Pour
mieux les saisir, il nous faut remonter le fil de l’Histoire.
On ne peut pas dire que la rencontre entre l’islam et l’Occident débuta
sous les meilleurs auspices puisqu’elle eut lieu durant la période
médiévale dans un contexte largement marqué par les Croisades. Pour la
Chrétienté médiévale, les musulmans étaient avant tout des infidèles qu’il
fallait chasser de Terre sainte. Chez les théologiens chrétiens et les
penseurs occidentaux de l’époque, la connaissance de l’islam se réduisait à
quelques préjugés, faute d’accès direct aux textes sacrés de l’islam.
La première traduction latine du Coran fut commandée par l’abbé de
Cluny, Pierre le Vénérable, et réalisée par Robert de Ketton, prêtre et
diplomate anglais, en 1143. Mais cette traduction circula peu, avant de
bénéficier d’une impression en 1543, à l’initiative de Théodore Bibliander,
un humaniste luthérien. Quant à la première traduction du Coran en
français, elle est l’œuvre d’André du Ryer, consul de France à Alexandrie,
et fut publiée en 1647. Malheureusement, cette traduction n’est pas
intégrale et de nombreux versets ont été tronqués ou complètement
supprimés.
Au XIXe siècle, le regain d’intérêt pour les cultures non occidentales et
l’essor des « études orientalistes » en Europe ont suscité de nombreuses
recherches approfondies sur l’histoire de la révélation coranique, la vie du
prophète Muhammad, la jurisprudence islamique, etc. Ces études ne sont
pas dénuées d’intérêt scientifique, mais elles sont souvent marquées par un
fort préjugé antimusulman. Ce préjugé est nourri par la foi dans le
« progrès » si prégnante dans la culture européenne du XIXe siècle. Cette
culture se percevait elle-même comme l’apogée de la « civilisation », et il
semblait acquis que les autres cultures se devaient de suivre le même
chemin, de gré ou de force… Il ne faut pas oublier que l’orientalisme fut
pendant longtemps « l’une des disciplines appartenant aux sciences
coloniales ». C’est pourquoi nombre d’ouvrages orientalistes avaient
« pour objectif de chercher à comprendre la mentalité islamique pour
faciliter l’administration des peuples musulmans colonisés »1.
Les atrocités des deux guerres mondiales, les horreurs du stalinisme et les
ravages du technoscientisme ont mis à mal la mythologie du « progrès » et
de la « civilisation » qui régna en maître durant tout le XIXe siècle. Par
ailleurs, le fort mouvement de décolonisation – qui s’intensifia à partir des
années 1950 – amena la fin des empires coloniaux. Tout cela a concouru à
la disparition du vieil orientalisme qui a cédé la place à ce que l’on
appelle, depuis le dernier tiers du XXe siècle, l’islamologie. Cette discipline
est certes plus scientifique que son ancêtre, mais elle ne saurait prétendre à
une objectivité totale car elle est aussi « fille de son temps ». De fait, elle
est souvent orientée par des considérations liées à l’actualité, ce qui peut
l’amener à manquer de recul.
Cela étant dit, il faut souligner qu’il y eut toujours de notables exceptions.
Ainsi, le mystique catalan Raymond Lulle (vers 1233-1315) reconnaît tout
ce qu’il doit aux spirituels musulmans dans la composition de son Livre de
l’Ami et de l’Aimé. À la même époque, Frédéric II (roi de Sicile) ne
cachait pas son grand intérêt pour l’islam et la culture musulmane. Entre
autres initiatives, il subventionna de nombreux savants afin qu’ils pussent
traduire des textes depuis l’arabe. Goethe, célèbre poète et homme d’État
allemand, évoque les thèmes centraux de la spiritualité islamique
(soufisme) dans son Divan occidental-oriental (1819). Il y rend un vibrant
hommage à Hafez, le grand poète persan du XIVe siècle. Dans le même
ordre d’idées, on peut citer le célèbre éloge du prophète Muhammad que
fit Lamartine dans son Histoire de la Turquie, en 1853. Écrivant en pleine
colonisation de l’Algérie, Lamartine n’hésite pas à dire du Prophète :
« Jamais homme ne se proposa volontairement ou involontairement un but
plus sublime, puisque ce but était surhumain : saper les superstitions
interposées entre la créature et le Créateur, rendre Dieu à l’homme et
l’homme à Dieu, restaurer l’idée rationnelle et sainte de la divinité dans ce
chaos des dieux matériels et défigurés de l’idolâtrie. Jamais homme
n’entreprit, avec de si faibles moyens, une œuvre aussi démesurée aux
forces humaines… » Avant Lamartine, Gérard de Nerval écrivait dans son
Voyage en Orient (1835) que le Prophète « ne s’est pas donné pour un
Dieu, mais pour un homme plein de l’esprit de Dieu, et n’a prêché
qu’unité de Dieu et charité envers les hommes ». Bien d’autres exemples
d’appréciation positive du message de l’islam et de la mission du Prophète
pourraient être donnés ici.
Mais aujourd’hui, plus encore que par le passé, l’islam suscite de
nombreuses interrogations. En Occident, la fin des années 1970 marque un
tournant dans la perception que les spécialistes et le grand public ont de la
dernière venue parmi les trois religions abrahamiques. Ce que l’on a alors
appelé le « réveil de l’islam », avec la révolution islamique d’Iran puis
avec divers mouvements fondamentalistes sunnites (FIS2 en Algérie,
Talibans en Afghanistan, etc.), a suscité des inquiétudes justifiées mais
aussi des malentendus et des généralisations abusives.
À l’intérieur du monde musulman, nombreux sont ceux qui s’interrogent
sur leur relation à la foi et à la pratique islamiques. Face à une rapide
modernisation du monde arabo-musulman, certains, sentant leur foi
menacée, sont tentés par un repli littéraliste et rigoriste, alors qu’à
l’opposé, d’autres prônent une sécularisation entière de la société.
C’est ainsi que l’islam, qu’il soit perçu de l’intérieur par le fidèle
musulman ou de l’extérieur par le non-musulman, semble très largement
méconnu de nos jours. Cette situation n’est pas sans rappeler cette célèbre
parole du Prophète (hadith) : « L’islam a débuté étranger et il redeviendra
étranger. Bienheureux seront les étrangers3. »
Le présent ouvrage se veut une immersion non seulement dans ce qui
constitue les fondements de l’islam (doctrines et pratiques) mais
également dans ce que fut sa riche histoire. Il est nécessaire, pour saisir
l’essence d’une religion, de l’envisager dans toutes ses dimensions :
spirituelle, théologique, culturelle et sociale. Aucune de ces différentes
dimensions ne doit être négligée car elles s’éclairent mutuellement.
Chacune offre, à sa façon, une voie d’accès au cœur du message de
l’islam.
L’islam n’est pas une religion basée sur la personne de son fondateur : elle
est au contraire centrée sur Dieu, Lui-même. Cela signifie que l’islam
n’envisage pas Dieu selon une de Ses manifestations dans l’Histoire des
hommes, par exemple, quand il a sauvé les Fils d’Israël dans le cadre de la
sortie d’Égypte ou qu’Il a envoyé Jésus en tant que Messie – choses que le
Coran reconnaît, par ailleurs. L’islam, en effet, envisage Dieu en tant qu’Il
est ce qu’Il est, donc en tant qu’Il est l’Un possédant toutes les perfections,
de toute éternité. C’est une perspective centrée sur l’Absolu, et non sur un
fait aussi sacré soit-il.
L’islam s’inscrit pleinement dans le monothéisme abrahamique. C’est
pourquoi les figures d’Abraham (Ibrâhîm), de Moïse (Mûsâ), de Jésus
(‘Îsâ) et de Marie (Maryam) occupent une place importante dans le Coran.
Ces personnages bibliques sont présentés aux croyants comme des
exemples à méditer.
D’évidence, la religion musulmane, comme toutes les grandes religions,
n’est pas monolithique : elle est plurielle dans les courants qui l’ont
traversée au cours de son histoire et dans ses modes de manifestation. Pour
autant, il faut reconnaître que l’islam possède une unité doctrinale
remarquable, unité qui lui est conférée par la simplicité de son fondement
premier. Ce dernier est ce que l’on appelle al-Shahâda (la Profession de
foi), ou mieux al-Shahâdatayn (la double Profession de foi) : « Il n’est de
dieu que Dieu » (Lâ ilâha illâ Llâh) et « Muhammad est l’Envoyé de
Dieu » (Muhammad rasûl Allâh). À proprement parler, est musulman
quiconque adopte cette Profession de foi. Comme nous le verrons, il existe
de nombreux degrés d’approfondissement intérieur et de réalisation
spirituelle du contenu de la Profession de foi. Allant du littéralisme le plus
plat à la plus haute spiritualité, en passant par les spéculations
théologiques les plus ardues, la façon dont le fidèle saisit la Profession de
foi est le signe le plus révélateur de sa façon de vivre le message de
l’islam.
Nous retrouverons la centralité de l’interprétation de la Profession de foi
aussi bien en nous intéressant aux fondements et aux doctrines de l’islam
(première partie), qu’en étudiant les différents courants théologiques et
spirituels qui ont émergé à travers les siècles (deuxième partie), ou en
abordant les rites et les pratiques tels qu’ils peuvent être vécus au
quotidien (troisième partie).
On l’aura compris de ce qui précède : si l’islam fait beaucoup parler de lui
aujourd’hui, les discours ainsi produits touchent trop rarement à l’essence
de son message. Concernant une religion présente sur tous les continents,
cela ne peut qu’avoir des conséquences négatives.
Au niveau mondial, l’islam est, après le christianisme, la deuxième
religion par le nombre de ses fidèles. La population totale des musulmans
dans le monde est estimée aujourd’hui à 1,8 milliard.
1. Sur cette question, voir Roger Du Pasquier, L’islam entre tradition et révolution, éditions Tougui,
Paris, 1987, p. 5-14.
2. Front islamique du salut.
3. Cité par Muslim dans son Sahîh, n° 389.
PARTIE 1
FONDEMENTS ET DOCTRINES
Le problème de l’interprétation des textes sacrés s’est posé très tôt à
l’ensemble de la communauté musulmane. À la mort du Prophète, non
seulement la révélation prit fin avec celui qui était en mesure d’en
expliquer les significations, mais disparut aussi la possibilité d’un
consensus de l’ensemble de la communauté sur la manière dont il fallait
interpréter le Texte sacré. En effet, l’islam ne possédant pas de clergé
officiel1, il n’y a pas d’instance habilitée à décréter l’orthodoxie de telle
compréhension de l’Écriture ou à rejeter dans le domaine de l’hérésie celle
qui n’y correspondrait pas.
Les interprétations « orthodoxes » se sont donc constituées
progressivement, à la faveur du développement des principales disciplines
islamiques : exégèse coranique, théologie, jurisprudence, etc.
Le terme « orthodoxe » dérive du grec : orthos (« droit ») et doxa (« opinion »).
Est dit « orthodoxe » ce qui est conforme à la doctrine officielle et au credo d’une
religion. Les thèses opposées à l’orthodoxie sont dites « hérétiques ».
Le troisième calife fut ‘Uthmân ibn ‘Affân (574-656), l’un des beaux-fils
du Prophète. Il est celui à qui l’on doit la recension du Coran en un
volume unique. Alors que plusieurs Compagnons avaient rassemblé
l’ensemble des fragments révélés du Coran pour leur usage personnel,
‘Uthmân décida une uniformisation du Livre sacré afin d’offrir à la
communauté musulmane une version de référence. Nous verrons cela en
détail lorsque nous aborderons le Coran et sa recension. Comme ‘Umar,
‘Uthmân mourut assassiné. Assiégé par des insurgés venus de grandes
villes d’Irak et d’Égypte lors du pèlerinage annuel, ‘Uthmân demeura
retranché chez lui durant quarante jours avant d’être poignardé par l’un
d’entre eux.
La Grande discorde
Dès la mort du Prophète, la question de sa succession créa des dissensions
dans la communauté musulmane. Le Prophète n’ayant désigné personne,
certains Compagnons étaient persuadés que le successeur légitime du
Prophète ne pouvait être que ‘Alî eu égard à son statut privilégié de
membre de la « Famille du Prophète ». D’autres soutinrent Abû Bakr pour
la grande proximité qui le liait au Prophète, ainsi que pour son âge et son
expérience.
Bien que ‘Alî acceptât la nomination de trois califes avant lui, les
dissensions ne cessèrent jamais totalement. Elles s’amplifièrent même
jusqu’à donner lieu à ce qui fut appelé la « Grande discorde » (al-Fitna al-
kubrâ). Parmi les événements ainsi désignés citons la « Bataille du
Chameau » qui eut lieu en 656 près de Bassora, en Irak. ‘Â’isha, dont le
cousin – le calife ‘Uthmân – venait d’être assassiné, réclamait de la part de
‘Alî, alors calife, que tous les moyens fussent mis en œuvre pour retrouver
et châtier les coupables. ‘Alî souhaitait le faire mais considérait toutefois
qu’il fallait agir avec prudence et diplomatie étant donné la situation très
troublée. ‘Â’isha et ses partisans furent déçus par ce qu’ils considéraient
comme de la mollesse et un désintérêt pour le sort de ‘Uthmân. ‘Â’isha se
rendit à Bassora à dos de chameau, dans son palanquin, accompagnée de
son neveu ‘Urwa ibn Zubayr et d’autres notables parmi les Qurayshites de
La Mecque. Alors qu’un accord pacifique avait été trouvé, satisfaisant les
deux partis, un groupe de partisans de ‘Â’isha lança une attaque le
lendemain, à l’aube. À la fin des heurts, qui firent plusieurs dizaines de
morts, ‘Â’isha et ‘Alî appelèrent leurs partisans respectifs à la cessation de
tout combat. Cette courte bataille laissa comme une blessure dans la
mémoire collective de la jeune communauté musulmane.
Le Coran
Lorsque l’on souhaite découvrir l’islam et se faire une idée de ce qu’est la
foi musulmane, le réflexe premier est de se diriger vers le Coran. Mais
face au Texte sacré de l’islam, le lecteur se heurte très rapidement à
certains obstacles se révélant parfois insurmontables. Le Coran, en effet,
se présente comme un texte sans structure logique apparente : il s’agit
d’une compilation de versets révélés sur une période de vingt-trois années
lunaires, et réunis en cent quatorze unités appelées « sourates ». Il faut
mobiliser l’ensemble du Livre révélé pour réellement saisir ce que le
Coran enseigne sur un thème donné. De plus, sans une connaissance
suffisante de la période de l’islam naissant, on ne peut que se méprendre
sur le Livre sacré. L’actualité nous offre, malheureusement, très
régulièrement des cas d’école… Isolant un verset de son contexte de
révélation et du reste du Livre, tel essayiste nous dira que le Coran est « un
texte violent » ; tel autre qu’il est « un texte misogyne », etc.
En réalité, le Coran possède de multiples facettes. Il est donc normal qu’il
suscite des interprétations divergentes selon que l’on se réclame de telle ou
telle lecture. Ainsi, un littéraliste ne verra pas, dans un verset, la même
richesse qu’un exégète traditionnel rompu à la diversité des avis. De
même, un théologien ne tirera pas d’un verset évoquant la nature humaine
ou la Réalité divine les mêmes conclusions qu’un maître spirituel.
Le Coran se présente lui-même comme une révélation s’insérant dans la
lignée des Écritures appartenant aux religions abrahamiques :
« Il t’a révélé graduellement le Livre en toute Vérité pour confirmer les
Écritures antérieures, de même qu’avant cela Il a révélé la Thora et
l’Évangile pour servir de guidance aux hommes1… »
Le processus de révélation
La conception courante de la révélation du Coran relève d’une vision très
simplifiée : l’ange Gabriel (Jibrîl) transmet des versets au Prophète qui les
mémorise puis les enseigne aux croyants autour de lui. Mais en réalité, les
modes de révélation sont pluriels :
1. D’abord durant le mois de ramadan de l’année 610 dans la grotte de
Hirâ’ : « Certes, Nous l’avons fait descendre durant une nuit bénie, et
certes Nous n’avons cessé d’avertir les hommes. Durant cette nuit, tout
ordre sage est précisé2. » Ce passage fait référence à la descente
globale du Coran, c’est-à-dire à sa descente « de la Table gardée
jusqu’au Ciel de ce monde », selon la formulation traditionnelle.
2. Par la suite, des fragments du Coran furent révélés pendant vingt-trois
ans, répondant souvent à un besoin contextuel vécu par le Prophète et
les croyants autour de lui : « C’est un Coran que Nous avons révélé par
fragments, afin que tu le récites progressivement aux hommes. Nous
l’avons donc fait descendre graduellement3. »
3. Mais le Coran parle aussi de la descente de la Révélation « sur le cœur
du Prophète » : « Le livre est bien une révélation du Seigneur des
mondes. L’Esprit fidèle est descendu avec lui sur ton cœur afin que tu
sois de ceux qui avertissent le monde, en une langue arabe explicite4. »
L’ange Gabriel prenait parfois apparence humaine et transmettait
verbalement de nouveaux passages du Coran au Prophète, mais la
Révélation pouvait également venir sous la forme d’un son de cloche.
C’était là le mode de transmission le plus difficile à supporter pour le
Prophète, selon son propre témoignage. Ce n’est qu’après la disparition du
son strident de la « cloche » qu’il comprenait le message qui venait de lui
être révélé sous cette forme particulière5.
Certaines variantes d’Ibn Mas‘ûd sont intéressantes, comme celle qui concerne le
verset 3, 19 :
« En vérité, la religion auprès de Dieu est al-islâm8. » (Mushaf de ‘Uthmân)
« En vérité, la religion auprès de Dieu est al-hanîfiyya9. » (Mushaf d’Ibn Mas‘ûd)
De même, pour le verset « le Prophète a plus de droits sur les croyants qu’ils
n’en ont sur eux-mêmes, et ses épouses sont leurs mères10 », on trouve chez
Ubayy et Ibn ‘Abbâs le complément suivant : «… il est un père pour eux et ses
épouses sont leurs mères11. »
1. Coran : 3, 3-4.
2. Coran : 44, 3-4.
3. Coran : 17, 106.
4. Coran : 26, 192-195.
5. Voir al-Bukhârî, dans son Sahîh, n° 2.
6. Musaylima s’était déclaré « prophète » et contestait l’autorité d’Abû Bakr.
7. C’est-à-dire celui de ‘Uthmân.
8. Le terme islâm signifiant littéralement « obéissance à la Volonté divine », « soumission ».
9. Le monothéisme primordial.
10. Coran : 33, 6.
11. Cité par al-Hâkim dans al-Mustadrak, n° 3556.
12. Pour un bon résumé de l’évolution des thèses des orientalistes, de la moitié du XIXe siècle
jusqu’à nos jours, voir l’article de Harald Motzki : « The Collection of the Qur’ân. A
Reconsideration of Western Views in Light of Recent Methodological Developments », Der Islam, n°
78, 2001, p. 1-34.
13. Coran : 38, 29.
14. Coran : 39, 27.
15. Cité par Muslim dans son Sahîh, n° 7702.
16. Voir Ahmad ibn Hanbal, al-Musnad, n° 7141.
17. Ce recueil a été retrouvé et édité par Muhammad Hamidullah en 1953 à Damas.
18. Son recueil fut imprimé à la suite de celui de ‘Abd al-Razzâq al-San‘ânî et contient 1614 hadiths.
Voir note suivante.
19. Édité à Beyrouth (1972).
20. À ce sujet, voir les travaux scientifiques de Harald Motzki (1948-2019).
21. Son Musnad contient 2 890 hadiths.
22. Sur la science du Hadith dans le chiisme et son développement, voir Jonathan Brown, Le Hadith,
éditions Tasnîm, Wattrelos, 2019, p. 193-228.
23. Ce terme désigne dans les sciences du Hadith l’opposition avec une version plus sûre de la même
tradition prophétique.
24. Seyyed Hossein Nasr, Islam. Perspectives et réalités, éditions Tasnîm, Wattrelos, 2019, p. 117.
CHAPITRE 3
Sunnisme et chiisme
Dès les tout premiers temps de l’islam, des sensibilités spirituelles
différentes et complémentaires virent le jour. Il est naturel, en effet, que
certains Compagnons aient pu retenir tels ou tels aspects de la nature
spirituelle du Prophète et mettre l’accent sur eux.
Lors des dissensions qui apparurent pour savoir qui devait succéder au
Prophète à la tête de la communauté des croyants, certains Compagnons
étaient convaincus que l’autorité légitime revenait à ‘Alî et non à Abû
Bakr qui devint le premier calife de l’islam. Étant touchés par la
spiritualité profonde du gendre du Prophète, ces Compagnons ne voyaient
pas d’autres héritiers spirituels que ‘Alî.
C’est ainsi que naquit le « parti de ‘Alî » (shî‘at ‘Alî) : ceux qui furent
appelés par la suite « chiites » sont donc, à l’origine, les partisans de ‘Alî.
Mais cette « origine politique » ne doit pas masquer l’origine spirituelle de
la différence d’approche qui donna naissance au chiisme et au sunnisme.
Ce dernier terme a pour origine le mot sunna qui désigne, nous l’avons vu,
la « Pratique prophétique ». Comme le souligne S. H. Nasr, le sunnisme et
le chiisme « sont l’un et l’autre des interprétations orthodoxes de la
révélation islamique, providentiellement contenues dans l’islam pour que
puissent s’y intégrer des hommes de constitutions psychologiques
différentes1 ».
Alors que le sunnisme reconnaît pleinement la valeur spirituelle de tous les
Compagnons qui furent des proches du Prophète, le chiisme ne reconnaît
comme autorité suprême que les « Imams », c’est-à-dire ‘Alî et certains de
ses descendants. Dans la perspective chiite, le rôle de l’Imam n’est pas
seulement de veiller à la bonne application de la Loi sacrée, mais il en est
également l’interprète par excellence. Considérés comme des héritiers de
la « Lumière muhammadienne », les Imams ont la charge d’interpréter les
aspects intérieurs ou ésotériques (bâtin) des enseignements du Prophète.
C’est en Perse que le chiisme s’installa le plus durablement, jusqu’à
devenir religion d’État avec la dynastie des Safavides, au XVIe siècle.
Pour sa part, le sunnisme a toujours été majoritaire dans le monde arabo-
musulman. On estime que les chiites représentent aujourd’hui 10 à 15 %
de la population musulmane totale, soit 150 à 200 millions de fidèles. La
plus grande communauté chiite se trouve actuellement en Iran, avec 90 %
de la population du pays. Leurs autres lieux d’implantation sont
principalement l’Irak, le Liban, l’Azerbaïdjan, le Pakistan, l’Inde,
l’Afghanistan et le Bahreïn.
Les deux principales obédiences du chiisme sont le chiisme duodécimain2
et l’ismaélisme. Ces deux obédiences se sont séparées à la mort du sixième
Imam, Ja‘far al-Sâdiq, en 765.
Parmi les textes importants du chiisme, il faut mentionner La Voie de
l’éloquence (Nahj al-balâgha) qui est un recueil de paroles attribuées à
‘Alî. Citons quelques passages de cet ouvrage dans lesquels ‘Alî donne
des enseignements à son disciple Kumayl ibn Ziyâd sur la primauté de la
connaissance :
« Il existe trois types d’hommes : le savant inspiré par Dieu, l’homme en
quête de connaissance pour son salut et l’ignorant qui suit quiconque le
séduira par son discours…
Ô Kumayl ! La véritable connaissance est une voie d’adoration de Dieu…
Il y a là une science immense (et ‘Alî désigna du doigt sa poitrine). Ah, si
je pouvais trouver quelqu’un qui soit digne de la recevoir. Oui, je n’ai
trouvé que des personnes qui veulent la connaître sans être dignes de la
porter3. »
Dans la perspective du fiqh, toute prescription religieuse occupe l’un des cinq
statuts juridiques suivants :
obligatoire (wâjib) ;
recommandé (mandûb ou mustahabb) ;
neutre (mubâh) ;
déconseillé (makrûh) ;
interdit (mahzûr ou harâm).
Le soufisme
Comme toute religion d’institution divine, l’islam possède une dimension
exotérique (sharî‘a) et une autre ésotérique (haqîqa). Affirmer cela revient
à dire que le rituel ne se suffit pas à lui-même et qu’il trouve sa raison
d’être dans le spirituel, dans une relation intérieure avec le divin.
« Le soufisme c’est être avec Dieu, le Très-Haut, sans lien de dépendance à quoi
que ce soit. » (al-Junayd)
« Le soufisme est la conformation de l’âme à tout ce que veut le Très-Haut. »
(Ruwaym)
« Le soufisme c’est ne rien posséder et n’être possédé par rien. » (Samnûn)18
Le soufisme a exercé, de tout temps, une très grande influence sur la vie
religieuse et sociale des peuples musulmans, ainsi que sur leurs arts et
leurs littératures.
Le mutazilisme
Le fondateur de ce courant théologique est Wâsil ibn ‘Atâ’ (700-748) qui
enseigna à Bassora. Ses idées gagnèrent rapidement Bagdad et s’y
développèrent. Le terme arabe mu‘tazila dérive du vocable i‘tizâl qui
désigne l’action de se séparer, de se tenir à l’écart. Wâsil, qui était un
disciple d’al-Hasan al-Basrî, se serait « séparé » de son maître à la suite
d’un différend sur le statut à accorder au croyant qui a commis un « péché
majeur ». Selon Wâsil, un tel pécheur (fâsiq) n’est ni croyant ni infidèle
mais occupe une position intermédiaire (fî manzila bayna l-manzilatayn)
tant qu’il ne s’est pas repenti de son péché.
Les mutazilites prônent un usage étendu de la raison pour interpréter et
comprendre ce que le Coran et les hadiths enseignent sur la nature de
Dieu, la condition humaine et la réalité de l’Au-delà. Le mutazilisme
énonce cinq grandes thèses qui forment l’armature de sa doctrine :
1. L’Unicité divine (tawhîd)
Certains versets du Coran décrivent Dieu de manière
anthropomorphique, c’est-à-dire qu’ils attribuent au Créateur des
caractères appartenant aux créatures. Ces versets évoquent la « Face
de Dieu » (par ex. 2, 115), la « Main de Dieu » (par ex. 48, 10), etc.
Mais, par ailleurs, le Coran affirme également que « rien ne Lui
ressemble » (42, 11). La position des mutazilites est alors la suivante :
rien de ce qui est créé ne peut correspondre réellement à Dieu. Il
s’agit pour eux de préserver l’absolue transcendance de Dieu (tanzîh).
Pour cela, les mutazilites ont recours à l’interprétation symbolique
(ta’wîl) des versets en question. Voulant insister sur l’Unicité divine,
les mutazilites considèrent que les divers Attributs divins (la
miséricorde, l’omniscience, la toute-puissance, etc.) n’ont pas
d’existence autonome et ne sont rien d’autre que l’Essence divine.
2. La Justice divine (‘adl)
Cette thèse, jointe à la première, est si essentielle au mutazilisme que
ses partisans se désignaient eux-mêmes comme « les Gens de la
Justice et de l’Unicité » (Ahl al-‘adl wa-l-tawhîd). Par « Justice
divine » les mutazilites entendent que tout ce que fait Dieu obéit à un
objectif sage. C’est pourquoi la Volonté divine ne saurait désirer que
le bien : seul l’homme est responsable du mal qui existe.
3. La Promesse et la Menace divines (al-wa‘d wa-l-wa‘îd)
Puisque l’homme est libre et responsable de ses choix, Dieu a promis
que le bien sera récompensé par le Paradis et le mal accompli
appellera le châtiment de l’Enfer, sauf si son auteur s’est repenti.
4. La position intermédiaire du pécheur
Dès lors que le croyant est promis au Paradis et que les « péchés
majeurs » (kabâ’ir) appellent le châtiment de l’Enfer, le pêcheur ne
peut être dit « croyant ». C’est pourquoi le mutazilisme place le
pêcheur dans une position intermédiaire qui n’est ni celle du croyant
ni celle de l’infidèle.
5. La commanderie du bien et l’interdiction du mal
Face à un « mal » qui touche la société, certains musulmans se
contentaient d’une réprobation intérieure et évitaient de prendre parti
extérieurement « de peur d’ajouter du trouble au trouble existant ».
Pour les mutazilites le commandement coranique « de commander le
bien et d’interdire le mal » (al-amr bi-l-ma‘rûf wa-l-nahy ‘an al-
munkar)22 doit se faire par tous les moyens possibles, y compris par
l’usage de la force.
S’il est vrai que les mutazilites encouragent l’usage de la raison dans
la compréhension des éléments de la foi, on aurait tort de les
considérer, pour cette raison, comme les « libéraux » de l’islam. Leur
intransigeance farouche s’exprima pleinement lorsqu’ils furent
soutenus par le calife al-Ma’mûn, qui régna de 813 à 833, et ses
successeurs. Les mutazilites mirent alors en place une persécution
(mihna) durant laquelle leurs opposants furent pourchassés. C’est
ainsi qu’Ibn Hanbal – qui s’opposait à leur théologie en donnant la
primauté au Coran et au Hadith sur la raison – fut longuement
interrogé puis emprisonné. D’autres, moins célèbres que lui, furent
exécutés.
Une des questions qui opposaient Ibn Hanbal aux mutazilites est celle
de la nature du Coran : pour le premier, le fidèle doit croire que le
Livre révélé est incréé alors que pour les seconds, le fidèle doit
admettre qu’il est créé.
Finalement, le calife al-Mutawakkil – qui régna de 847 à 861 –
abandonna le mutazilisme et mit à l’honneur les « Partisans de la
Tradition » (Ahl al-hadîth) dont faisait partie Ibn Hanbal. Entre le
mutazilisme strict et l’approche littérale des Ahl al-hadîth, une
position intermédiaire était possible. Il revint à al-Ash‘arî de
l’assumer.
La naissance de l’asharisme
Abû l-Hasan al-Ash‘arî naquit à Bassora en 874, ville où apparut le
mutazilisme. Il étudia auprès d’al-Jubbâ’î (849-915) qui était la plus
grande autorité mutazilite de la ville. Après être resté son disciple pendant
une quarantaine d’années, al-Ash‘arî finit par quitter son maître. Selon
certains récits, il aurait vu le Prophète en songe qui lui enjoignait de suivre
« les véritables croyants ». Il se rapprocha alors des enseignements d’Ibn
Hanbal tout en prenant soin de ne pas verser dans le littéralisme.
La théologie asharite subordonne l’examen rationnel des thèses
théologiques aux données de la Révélation et du Hadith. La raison n’est
donc pas rejetée en tant que telle mais, en cas de contradiction avec les
Textes fondateurs, ce sont ces derniers qui doivent être privilégiés. Par cet
équilibre, al-Ash‘arî propose une voie médiane qui préserve la
transcendance de Dieu sans rejeter la lettre des anthropomorphismes qui
Le décrivent dans les textes sacrés. Ainsi la Main et la Face de Dieu
doivent être considérées comme « réelles », et non simplement comme des
allégories, mais elles ne sont pas les parties d’un corps et diffèrent
radicalement de ce que l’entendement humain peut se représenter.
Concernant la question de la nature du Coran, l’asharisme enseigne que le
Livre sacré est la parole de Dieu éternelle et incréée, mais que les lettres
qui le composent ainsi que l’encre avec laquelle il est écrit sont créés.
Lorsqu’al-Ash‘arî meurt à Bagdad en 936, ses enseignements sont déjà
largement répandus. Ses principaux ouvrages, Kitâb al-ibâna et Maqâlât
al-islâmiyyîn, forment le noyau doctrinal sur lequel s’appuieront ses
continuateurs.
Proche de l’asharisme, l’École théologique fondée par al-Mâturîdî (853-
944, mort à Samarcande) empreinte toutefois davantage à la méthodologie
des mutazilites. Adhérant aux enseignements d’Abû Hanîfa, al-Mâturîdî
fut beaucoup moins marqué qu’al-Ash‘arî par les positions des Partisans
de la Tradition.
Bien qu’il n’eût pas le succès de l’asharisme, le maturidisme s’est
perpétué à travers les siècles et compte, encore aujourd’hui, des
représentants.
La théologie mystique
Par son insistance sur l’illumination du cœur (fath) comme accès à la
véritable connaissance de Dieu, le soufisme enseigne que ni la raison ni
une lecture littérale des textes ne suffisent pour proposer une théologie
digne de ce nom.
Dans cette perspective, la faculté permettant de connaître Dieu est le ‘aql,
non en tant que « raison » capable de raisonnement logique mais en tant
qu’« intellect » donnant accès à une connaissance transcendante. La
distinction entre « raison » et « intellect » est parfois soulignée dans le
soufisme comme étant celle entre la « petite intelligence » (al-‘aql al-
saghîr) et la « grande intelligence » (al-‘aql al-kabîr). La Réalité divine
(Essence, Attributs et Actes) est trop élevée pour que la raison et le
langage humain puissent en rendre compte de manière adéquate. Les
premiers manuels de soufisme, rédigés entre la fin du IXe siècle et celle du
XIe, insistent sur ce point. C’est ainsi qu’al-Kalâbâdhî (m. 995) écrit dans
son Kitâb al-ta‘arruf :
« Les soufis sont unanimes à proclamer que Dieu est Unique et Un, Seul et
Impénétrable, Éternel et Savant, Puissant et Vivant, Audient et Voyant,
Omnipotent et Infini, Majestueux et Grand, Généreux et Bon […].
L’attribution que nous Lui faisons nous-mêmes de telle qualité n’est pas
forcément un Attribut pour Lui, mais notre attribution est celle d’une
qualité qui existe en nous et qui est la transposition d’un Attribut
subsistant en Lui23. »
D’abord formé à la théologie asharite, le célèbre al-Ghazâlî, animé par sa
puissante expérience spirituelle, fit la synthèse entre l’asharisme et la
connaissance de Dieu telle qu’elle peut être obtenue à la suite d’un
cheminement intérieur dans le soufisme. Ainsi, al-Ghazâlî distingue trois
degrés d’approfondissement de l’Unicité divine (tawhîd) : ce qu’il appelle
« la première écorce » est l’affirmation de l’Unicité par la langue ; « la
seconde écorce » est l’acceptation intérieure de l’Unicité (laquelle
n’empêche pas cependant certaines passions de dominer le cœur) ; enfin,
« la moelle » consiste à tout rapporter à Dieu et à percevoir de manière
effective qu’Il est l’Agent unique dans toute la Création24.
L’astronomie
Elle bénéficia du besoin rituel de mieux connaître la course apparente du
soleil dans le ciel afin de déterminer les heures des cinq prières
quotidiennes, ainsi que les cycles lunaires puisque le calendrier religieux
de l’islam est basé sur ces cycles. Un des premiers grands astronomes
musulmans fut al-Farghânî (l’Alfraganus du Moyen Âge latin), mort vers
861 à Damas. Grâce à diverses observations astronomiques faites à
Bagdad, il put déterminer avec précision les longitudes terrestres et fut le
premier à découvrir que le Soleil et les planètes décrivent des orbites en
sens contraire du mouvement diurne.
Mais le plus grand astronome fut sans conteste al-Bîrûnî (973-vers 1050).
Ce savant à l’esprit encyclopédique excella dans de nombreuses
disciplines : médecine, pharmacologie, géographie, philosophie, etc. Son
traité intitulé al-Qânûn al-mas‘ûdî fut pendant des siècles une référence
majeure dans le domaine de l’astronomie aussi bien en terre d’islam que
dans l’Europe médiévale.
Les mathématiques
Dans la perspective islamique, les mathématiques constituent une sorte de
pont jeté entre le sensible et l’intelligible, entre le monde terrestre en
changement constant et le ciel immuable des archétypes.
De même que la multiplicité visible dans la Nature provient du Créateur
qui est l’Un, tout nombre n’est qu’une répétition de l’unité. Cette
conception traditionnelle du nombre – d’origine pythagoricienne, puis
platonicienne – ne considère pas le nombre seulement sous son aspect
quantitatif, mais l’envisage également sous son aspect qualitatif et
symbolique. Ainsi, le « un » peut-il être représenté par le point et
symbolise le principe et l’origine de toute chose ; le « deux » peut être
représenté par une ligne joignant deux points et symbolise la dualité ; le
« trois » peut être représenté par le triangle et symbolise l’harmonie ; le
« quatre » peut être représenté par un carré et symbolise la stabilité, etc.
Ayant adopté, dès la fin du VIIIe siècle, les chiffres indiens ainsi que le
système décimal de calcul, les mathématiciens arabo-musulmans purent
grandement développer leur discipline. Ils firent la synthèse de deux
domaines : l’approche pratique visant à donner des formules de calcul
(détermination des heures de prière, partages successoraux, évaluation du
montant de l’aumône légale, etc.) et une approche plus théorique (algèbre
et arithmétique).
La médecine
Cette discipline a toujours joui d’une aura particulière en islam car les
textes sacrés évoquent divers remèdes pouvant soigner des maladies
spécifiques. Ainsi, le Coran évoque les vertus thérapeutiques du miel : «…
il sort de leur abdomen (les abeilles) une liqueur de couleur variée
contenant une guérison pour les hommes. Il y a, en cela, un signe pour des
gens qui méditent26. » Quant au Prophète, il donna de nombreuses
recommandations relevant de la médecine : recours à la pose de ventouses
(hijâma) ; utilisation de l’huile de nigelle (habba sawda) contre la plupart
des infections ; administration par le nez de poudre de costus indien contre
les douleurs aux amygdales, etc.
La médecine arabo-musulmane enrichit considérablement ces
recommandations grâce à l’apport de la médecine grecque (Hippocrate et
Galien) dans un premier temps. Mais le souci de l’observation qu’avaient
les médecins musulmans leur fit faire des progrès remarquables. C’est
ainsi qu’Abû Bakr al-Râzî (le Rhazès des Latins, 854-vers 930) attachait
une grande importance aux signes cliniques. Il décrivit précisément la
variole qu’il savait traiter de manière efficace. On lui doit également
l’usage de l’alcool comme antiseptique. Al-Râzî dirigea l’hôpital principal
de Bagdad où il mit en pratique son approche de la médecine.
L’autre grand nom de la médecine arabo-musulmane est celui du célèbre
Ibn Sînâ (Avicenne) qui vécut entre 980 et 1037. Son ouvrage principal en
médecine est al-Qânûn fî l-tibb (Le Canon de la médecine). Ibn Sînâ y
expose en détail ses vues théoriques et pratiques. Par exemple, il distingue
avec plus de précision que Rhazès la rougeole de la variole ; il propose de
traiter la douleur par l’administration d’antalgiques, des massages ou
encore la pose de compresses chaudes ; il recommande d’adapter le régime
alimentaire selon l’âge, le mode de vie et l’environnement du sujet. Le
Canon de la médecine d’Avicenne fut enseigné en Europe jusqu’au XIXe
siècle, dans de nombreuses facultés de médecine.
La philosophie
Alors qu’elle avait disparu de l’Occident latin, la philosophie (falsafa) se
développa en terre d’islam au IXe siècle à la faveur de la traduction en
arabe d’ouvrages majeurs des philosophes grecs. Les grands traducteurs
appartiennent principalement à une famille chrétienne, celle constituée par
Hunayn Ibn Ishâqd, son fils (Ishâq) et son neveu (Hubaysh). Ils furent
formés à la philosophie aristotélicienne dans la tradition syriaque.
Les plus anciens textes de philosophie islamique que nous possédons sont
ceux d’al-Kindî (vers 800-vers 866). Né à Koufa, celui qui fut surnommé
« le philosophe des Arabes » était proche des mutazilites sur plusieurs
points de doctrine. Dans ses écrits, il prône une exégèse philosophique du
Coran27. Pour ce faire, il développa une approche rationnelle de
l’interprétation du Livre révélé. Mais c’est surtout la pensée d’Aristote qui
le marqua, et il eut un rôle décisif dans l’introduction de l’aristotélisme
dans le monde arabo-musulman.
Al-Fârâbî, né dans le Turkestan en 870 et mort à Damas en 950, enrichit
considérablement la falsafa et eut une grande influence sur l’Occident
médiéval où il fut connu sous le nom d’Alfarabius. L’une de ses grandes
préoccupations philosophiques consista à montrer l’harmonie possible
entre l’œuvre de Platon et celle d’Aristote. Il s’inspira également du
platonisme pour élaborer sa pensée politique. Son grand traité en la
matière s’intitule Les Idées des habitants de la cité vertueuse28. Il y
développe l’idée selon laquelle la cité vertueuse est celle qui reproduit
dans sa structure l’harmonie présente à la fois dans le cosmos et dans le
microcosme qu’est chaque être humain.
Avec Ibn Sînâ, connu en Occident sous le nom d’Avicenne, la falsafa
atteint sa maturité. Pour Ibn Sînâ, les trois grands domaines que
représentent la connaissance sensible, la connaissance rationnelle et la
connaissance purement spirituelle forment une hiérarchie en harmonie
avec les différents degrés d’existence présents dans le cosmos. Sa grande
somme philosophique intitulée Kitâb al-shifâ’ (« Le Livre de la
guérison ») est l’œuvre la plus complète de l’aristotélisme islamique. Ibn
Sînâ y traite des sciences de la Nature, des sciences rationnelles (logique et
mathématiques) et de la métaphysique.
Construit à partir des termes grecs méta (après, au-delà) et phusika (physique), le
vocable métaphysique désigne la connaissance de ce qui est au-delà de la
Nature. La métaphysique peut traiter des principes universels ; elle peut
également traiter de « l’être en tant qu’être » comme chez Aristote, mais à
rigoureusement parler, son objet est l’Absolu avec ses dimensions d’infinité et de
perfection.
Mais Ibn Sînâ ne fit pas que reprendre les idées d’Aristote : il les nuança
grandement avec des éléments empruntés au néoplatonisme. De plus, la
pensée d’Ibn Sînâ prit une orientation nettement spirituelle dans la
dernière partie de sa vie, comme le montrent les ouvrages qu’il rédigea
alors. C’est le cas, notamment, de sa trilogie – Hayy ibn Yaqzân, al-Tayr et
Salmân wa-Absâl 29 – dans laquelle il expose les différentes étapes que
traverse l’esprit dans son voyage du monde terrestre vers le monde de la
Présence divine.
Un siècle plus tard, al-Ghazâlî composa une somme philosophique, pour
exposer ses vues sur la falsafa et montrer en quoi certaines thèses
soutenues par les philosophes sont incompatibles avec le credo musulman.
De cette somme, seule la première partie (intitulée Maqâsid al-falâsifa,
« Les Intentions des philosophes »), dans laquelle al-Ghazâlî résume les
enseignements de la falsafa, fut traduite en latin. C’est pourquoi al-
Ghazâlî fut paradoxalement considéré par l’Occident médiéval comme un
défenseur de la philosophie. Dans la partie dédiée à la réfutation des
philosophes, intitulée Tahâfut al-falâsifa (« L’Incohérence des
philosophes »), al-Ghazâlî rejette vingt thèses – relevant de la
métaphysique pour l’essentiel – comme étant incompatibles avec les
enseignements de l’islam. C’est le cas, notamment, de l’éternité du monde,
de la négation des Attributs divins et de la négation de la résurrection des
corps.
Il reviendra à Ibn Rushd (1126-1198), philosophe, juriste et médecin
andalou, d’écrire une réfutation de la réfutation ghazalienne. D’où le titre
de cet ouvrage : Tahâfut al-tahâfut (L’Incohérence de l’incohérence).
Connu des Latins sous le nom d’Averroès, Ibn Rushd fut considéré en
Occident médiéval comme le « Commentateur d’Aristote par excellence ».
Il reproche à al-Ghazâlî des démonstrations insuffisamment fondées, et
remet donc en cause ses compétences de logicien. Quant aux critiques
ghazaliennes qu’accepte Ibn Rushd, elles ne réfutent pas, selon lui, la
philosophie en tant que telle mais seulement certaines idées d’Ibn Sînâ qui
s’écartent du « véritable aristotélisme ».
L’autre ouvrage marquant d’Ibn Rushd est le Fasl al-maqâl 30, dans lequel
il entreprend d’expliciter ce que doit être la relation entre la Révélation et
la philosophie. Cette épître prend la forme d’une fatwa, d’un avis légal
dans lequel l’auteur entend montrer que la Loi religieuse permet non
seulement l’exercice de la philosophie mais le recommande même31.
Contrairement à ce que l’on peut lire parfois, la philosophie islamique n’a
pas disparu sous les coups de butoir de la critique ghazalienne. Mais il est
vrai qu’elle se développa essentiellement dans le monde chiite. C’est donc
en Perse que l’œuvre d’Ibn Sînâ fut amplifiée et considérablement
enrichie, notamment avec les ouvrages d’Ibn ‘Arabî. Parmi les grands
philosophes chiites, citons Haydar Âmolî (1319- 1385 ou 1408) qui opéra
la jonction entre le chiisme et la métaphysique du soufisme, et Mollâ
Sadrâ (1572-1641) qui développa une métaphysique de « l’acte d’être »32,
rompant ainsi avec la métaphysique des essences telle qu’on la trouve chez
Ibn Sînâ.
L’autorité judiciaire
À l’époque du Prophète, il n’y avait pas de système judiciaire élaboré.
Durant la période mecquoise, l’islam demeura une pratique strictement
personnelle : les lois en vigueur étaient celles des coutumes païennes, et
les chefs de La Mecque étaient chargés de les faire respecter.
À Médine, la justice était rendue directement par le Prophète, et était basée
sur les prescriptions coraniques progressivement révélées ainsi que sur
l’inspiration personnelle que Dieu accordait à Son Messager. À la mort du
Prophète, seule une partie des Compagnons était qualifiée pour prendre
des décisions légales. Comme le souligne Ibn Khaldûn « seuls certains
d’entre eux connaissaient le Coran, avec ses versets abrogeants (nâsikh) ou
abrogés (mansûkh), ses passages obscurs ou clairs, et toutes les indications
fournies par le Livre40 ».
Les historiens contemporains, comme la Tradition musulmane, font
remonter l’institution du juge (qâdî en arabe, qui donna « cadi » en
français) aux quatre premiers califes ou encore au calife Mu‘âwiya, lequel
régna de 661 à 680. Selon Ibn Khaldûn, le premier calife qui nomma un
cadi fut ‘Umar : il nomma ainsi Abû l-Dardâ’ cadi de Médine et Abû
Mûsâ al-Ash‘arî cadi de Koufa41.
Dans l’islam classique, les décisions rendues par le tribunal du cadi
devaient se fonder sur le Droit islamique (fiqh) et se rattacher à une École
juridique en vigueur dans son territoire de juridiction. Par ailleurs, il faut
souligner que les cadis ont joué un rôle majeur dans le développement du
Droit islamique.
Selon Al-Mâwardî, célèbre juriste du XIe siècle, les attributions du cadi sont les
suivantes : « Il solutionne les différends et met un terme aux conflits soit à l’aide
d’un arrangement consenti par les deux parties, soit par la contrainte. Il pourvoit
à la tutelle de ceux que la démence ou le jeune âge empêchent d’administrer
leurs biens. Il surveille les fondations pieuses et nomme, pour elles, des
administrateurs. Il assure l’exécution des actes de dernières volontés dans les
conditions légales. Il applique les peines légales prescrites à ceux qui les ont
encourues. Il juge en mettant sur un pied d’égalité le puissant et le faible, et
décide avec équité entre le noble et l’homme du peuple42. »
L’enseignement religieux
Le Coran et l’enseignement oral du Prophète insistent sur la nécessité,
pour tout croyant, d’acquérir la connaissance religieuse. À ce propos, on
rapporte cette parole du Prophète : « La recherche de la connaissance est
une obligation pour toute personne musulmane43. »
Après la mort du Prophète, des Compagnons dirigèrent des « cercles de
science » (halaqât) dans lesquels ils retransmettaient leurs connaissances
en matière religieuse. C’est le cas de ‘Alî, le gendre du Prophète, qui eut
de nombreux élèves à Médine, d’Ibn Mas‘ûd (m. 653) à Médine et à
Koufa, d’Abû l-Dardâ’ (580-653) à Damas, et de bien d’autres.
À partir des IIe et IIIe siècles de l’Hégire, le développement des sciences
nécessita l’instauration d’institutions dédiées à la transmission de
l’enseignement religieux. C’est ainsi que fut fondée al-Qarawiyyîn, à Fès
en 857, par Fâtima al-Fihriyya. Il s’agit de la plus ancienne université du
monde. Ce haut lieu du savoir n’accueillait pas seulement des musulmans
puisque le grand penseur juif Maïmonide y fut formé, et que le Pape
Sylvestre II y fut étudiant et joua un rôle important dans l’introduction des
chiffres arabes en Europe. Citons également la médersa al-Zaytûna, fondée
en 737 à Tunis, qui eut un rôle de premier plan dans la transmission du
savoir religieux au Maghreb. Enfin, il faut évoquer la mosquée-université
d’al-Azhar au Caire : fondée en 970 par la dynastie chiite des Fatimides.
Après la chute de cette dynastie en 1171, al-Azhar devint un important
foyer de rayonnement du sunnisme. Toutes ces institutions gardent, encore
aujourd’hui, un rôle marquant dans l’islam sunnite.
À l’époque classique, la transmission du savoir se faisait de maître à
disciple. L’enseignant se devait de bien connaître ses élèves pour les
évaluer tant sur le plan scolaire que sur le plan moral et spirituel. Lorsque
l’enseignant jugeait l’élève digne de transmettre à son tour les
connaissances religieuses qu’il lui avait données, il lui remettait une ijâza
(autorisation, licence). Celle-ci permettait à l’élève d’enseigner les
matières et les ouvrages pour lesquels il l’avait reçue. Aujourd’hui, la
remise d’ijâza subsiste encore sous sa forme traditionnelle dans certains
endroits du monde musulman, mais elle a tendance à être de plus en plus
remplacée par des formes modernes de cursus et d’évaluation (licence-
master-doctorat), calquées sur le modèle des universités occidentales.
Salafisme et wahhabisme
Les premières générations des musulmans – appelées en arabe al-Salaf –
ont de tout temps été perçues comme des modèles de piété et de fidélité
aussi bien au message du Coran qu’à l’enseignement du Prophète. En
particulier, l’École hanbalite a toujours mis l’accent sur le modèle des
Salaf. Ainsi, Ibn Taymiyya (1263-1328), théologien hanbalite syrien, lutta
toute sa vie contre tout ce qui lui semblait être un écart à la foi et aux
pratiques des Salaf. Ce faisant, il fut amené à considérer comme une
« innovation blâmable » (bid‘a dalâla) bon nombre des enseignements
considérés comme parfaitement orthodoxes par la majorité des oulémas de
son époque. Voulant opposer à ces « innovations » une lecture littéraliste
du Coran et des hadiths, Ibn Taymiyya fut accusé d’anthropomorphisme
(tashbîh) – c’est-à-dire d’attribuer à Dieu des caractères humains – et fut
emprisonné à plusieurs reprises.
Bien qu’assez radical, le salafisme d’Ibn Taymiyya n’en demeure pas
moins solidaire de l’islam traditionnel et n’a jamais complètement rejeté la
légitimité des Écoles juridiques ni celle du soufisme. De fait, il demeura
toute sa vie attaché à l’École hanbalite et appartenait à une voie soufie, la
Qâdiriyya, fondée au XIIe siècle par ‘Abd al-Qâdir al-Jîlânî.
Bien différent est le salafisme extrême de Muhammad ibn ‘Abd al-
Wahhâb (1703-1792), prêcheur originaire d’Arabie qui prétendait
« purifier » la religion et retourner à l’islam originel. En particulier, il
dénonça sans relâche tout ce qui lui semblait relever du shirk, c’est-à-dire
au fait d’associer des créatures au culte qui est dû à Dieu. Pour Ibn ‘Abd
al-Wahhâb, fondateur du wahhabisme, la révérence envers les saints telle
qu’elle s’exprime dans le soufisme ou l’attribution d’une bénédiction
(baraka) particulière aux effets ayant appartenus au Prophète sont du shirk
et font perdre la qualité de musulman. Autrement dit, quiconque
n’abandonne pas les positions condamnées par la doctrine wahhabite est
un mécréant (kâfir). De là à le condamner à mort, il n’y a qu’un pas qui fut
trop souvent franchi dans l’histoire du wahhabisme. En 1744, le caractère
simpliste des enseignements du wahhabisme lui permit d’être adopté par
un chef tribal du centre de l’Arabie appartenant à la famille des Séoud.
Cette alliance a rendu possible le rayonnement du wahhabisme depuis sa
création : jusqu’à aujourd’hui l’Arabie saoudite a toujours été le principal
foyer de propagation de cette doctrine. Bien qu’Ibn ‘Abd al-Wahhâb se
soit toujours réclamé du hanbalisme et de l’héritage d’Ibn Taymiyya, ses
plus farouches opposants, déjà de son vivant, furent des oulémas
hanbalites. Dès 1754, le propre frère d’Ibn ‘Abd al-Wahhâb, Sulaymân,
écrivit une virulente réfutation de la doctrine qui allait devenir célèbre
sous le nom de « wahhabisme ».
Récemment, un grand nombre d’oulémas, parmi les autorités religieuses
les plus importantes de l’islam sunnite, se sont réunis afin de clarifier le
statut du wahhabisme en tant que courant religieux. Les participants à ce
sommet qui s’est tenu en Tchétchénie, en octobre 2016, ont affirmé dans
leurs conclusions que le wahhabisme n’est pas un courant religieux
sunnite mais une idéologie en rupture avec les fondements de l’islam. Ils
ont convenu que « ceux qui appartiennent à la communauté sunnite sont
les Acharites et les Maturidites, au niveau de la doctrine, les quatre Écoles
de jurisprudence sunnite, au niveau de la pratique, et les Soufis, au niveau
de la connaissance spirituelle, du cheminement intérieur et de l’éthique ».
Le salafisme wahhabite regroupe, aujourd’hui, différentes mouvances
allant d’une position quiétiste au djihadisme terroriste.
L’École traditionnelle
Ce courant intellectuel et spirituel – parfois appelé « pérennialisme » – est
né en Europe au début du XXe siècle avec des auteurs comme le Suédois
Ivan Aguéli (1869-1917) et René Guénon (1886-1951). Tous deux furent
convertis à l’islam et rattachés au soufisme. Toutefois, leur approche n’est
pas purement confessionnelle : il ne s’agit pas pour eux d’affirmer que
l’islam serait seul détenteur de la vérité. Ils désignent par le terme
« tradition » un ensemble de principes et d’applications d’origine
suprahumaine, c’est-à-dire, une voie révélée reliant l’homme au Ciel et lui
assurant par-là un accès à la transcendance. Ainsi, René Guénon tenta dans
ses œuvres écrites d’exposer les principes universels dont sont encore
gardiennes les spiritualités d’Orient et qu’a perdus l’Occident moderne.
Dans cette perspective, seule la connaissance métaphysique – qui n’est
accessible que par un cheminement initiatique – donne accès à l’unité
essentielle de toutes les traditions spirituelles divinement instituées. Cela
signifie qu’au cœur de chacune des trois religions abrahamiques – ainsi
que du taoïsme, de l’hindouisme et du bouddhisme – réside la même
Vérité universelle. Seules les formes d’enseignement et les moyens de
réalisation spirituelle varient d’une religion à l’autre. C’est ce qu’expose,
dans un ouvrage décisif intitulé De l’Unité transcendante des religions,
Frithjof Schuon (1907-1998), éminent représentant de l’École
traditionnelle. Dès les premières pages de son ouvrage, Schuon souligne
que l’unité dont il s’agit n’implique nullement le syncrétisme, c’est-à-dire
le mélange d’enseignements ou de rites appartenant à des religions
différentes : « Si nous parlons “d’unité transcendante”, nous voulons dire
par là que l’unité des formes traditionnelles doit être réalisée d’une façon
purement intérieure et spirituelle, et sans trahison d’aucune forme
particulière. Les antagonismes de ces formes ne portent pas plus atteinte à
la Vérité une et universelle que les antagonismes entre les couleurs
opposées ne portent atteinte à la transmission de la lumière une et
incolore45. » Dans son ouvrage intitulé Comprendre l’Islam, Schuon
souhaite mettre en lumière les fondements spirituels de l’islam et ses
orientations les plus profondes. Entre autres choses, il montre comment
toutes les vérités métaphysiques sont implicitement comprises dans la
Profession de foi (shahâda), laquelle est l’une des formules sacrées les
plus importantes en islam.
Guide spirituel d’une voie soufie, Frithjof Schuon eut de nombreux
disciples, principalement en Europe et aux États-Unis. Parmi les plus
importants, il faut mentionner Titus Burckhardt (1908-1984), Martin Lings
(1909-2005) et Seyyed Hossein Nasr (né en 1933). Les ouvrages de ces
auteurs sur l’islam et le soufisme ont bénéficié d’une large diffusion tant
en Occident que dans des pays orientaux, et ont eu un impact profond sur
de nombreux intellectuels et hommes politiques46.
Connue dans le monde arabo-musulman sous le nom de Madrasat al-
turâth, l’École traditionnelle et son apport déterminant sont aujourd’hui
défendus par des figures importantes comme ‘Alî Jum‘a, l’ancien Grand
mufti d’Égypte, et Ahmad Tayyib, l’actuel recteur d’al-Azhar. Avant eux,
un autre Égyptien, ‘Abd al-Halîm Mahmûd (1910-1978), qui occupa la
fonction de recteur d’al-Azhar de 1973 à sa mort, avait consacré des pages
importantes à la présentation de René Guénon, permettant ainsi de faire
découvrir au lectorat arabophone l’œuvre du grand métaphysicien
français47.
Parmi les travaux d’Ahmad Tayyib, il faut mentionner l’excellente
traduction arabe de l’ouvrage Le Sceau des saints48 de Michel
Chodkiewicz (1929-2020), spécialiste majeur du soufisme qui fut
personnellement marqué par l’œuvre guénonienne.
Dans un article consacré à la vie et à l’œuvre de Martin Lings, ‘Alî Jum‘a
écrit : « L’École traditionnelle dénonce le matérialisme du monde moderne
et lui oppose la sagesse présente au cœur de chaque religion révélée, que
ce soit l’hindouisme, le bouddhisme, le judaïsme, le christianisme ou
l’islam. Cette sagesse est la lumière primordiale que Dieu a placée dans le
cœur de chaque homme, lumière par laquelle les hommes peuvent
rejoindre la Vérité. » Il conclut alors son article en soulignant ce que peut
apporter l’École traditionnelle au monde musulman actuel : « Nous avons
besoin d’étudier l’œuvre de ces grands hommes qui se sont convertis à
l’islam et l’ont présenté d’une manière qui confirme l’universalité de cette
religion et son caractère approprié à toute époque et à tout lieu49. »
Parmi ceux qui furent considérés comme des rénovateurs, on peut mentionner al-
Shâfi‘î (767-820), al-Ghazâlî (1058-1111), al-Suyûtî (1445-1505), Ahmad al-Sirhindî
(1564-1624), Shâh Walî Allâh (1703-1763), ou encore al-‘Arabî al-Darqâwî et
Ahmad al-‘Alawî que nous avons déjà évoqués.
Bien entendu, le travail de rénovation n’est pas nécessairement accompli
par un seul individu et peut être une tâche collective. C’est ainsi qu’en
janvier 2016, plus de 300 personnalités venant de plus de 120 pays
(oulémas, intellectuels, ministres et muftis, de différents rites et tendances
de l’islam) se sont réunies à Marrakech pour statuer sur la liberté
religieuse en islam et sur la protection des minorités. Cette initiative de
grande ampleur a débouché sur un texte qui porte désormais le nom de
« Déclaration de Marrakech ». Entre autres choses, ce texte affirme la
liberté de conscience et rejette toute instrumentalisation de la religion. Il se
conclut ainsi : « Il n’est pas autorisé d’instrumentaliser la religion aux fins
de priver les minorités religieuses de leurs droits dans les pays
musulmans52. »
De manière générale, la fonction des rénovateurs consiste à proposer de
nouvelles approches méthodologiques afin de répondre aux défis auxquels
fait face l’islam à chaque époque. Ce faisant, le processus de rénovation
permet au souffle originel de l’islam de demeurer vivant.
Nous l’avons vu, l’islam n’est pas une religion basée sur le caractère
exceptionnel de son fondateur mais sur Dieu, Lui-même. En tant que
perspective centrée sur l’Absolu, l’islam rejette la divinisation de toute
chose en dehors de Dieu : seul l’Absolu est absolu, tout le reste est relatif,
c’est-à-dire limité. Il ne faut donc pas se laisser induire en erreur par
l’apparente tautologie du premier témoignage de foi : « Il n’est de dieu que
Dieu. » En effet, s’il est aisé d’accepter l’évidence de ce témoignage de
foi, il est autrement plus difficile d’en réaliser le contenu profond car il
existe dans la nature humaine une tendance à absolutiser – donc à diviniser
– des êtres ou des phénomènes.
L’Unicité divine
Le véritable monothéisme ne saurait se réduire à une simple affirmation :
ne reconnaître qu’un seul Dieu n’est que la première étape d’un long
processus spirituel, car on ne se défait pas facilement des fausses idoles.
Le fait de vouer un culte ou d’idolâtrer un être ou une chose en dehors de
Dieu est appelé « associationnisme » (shirk). Or, il en existe des formes
subtiles : ce sont les diverses formes du culte de l’ego. À ce sujet, le
Prophète mit en garde ses Compagnons contre l’ostentation de manière
très claire en la qualifiant d’ « associationnisme caché » (shirk khafî)1.
Selon al-Ghazâlî, on peut ramener les nombreux degrés de l’affirmation de
l’Unicité divine à quatre paliers fondamentaux. Le premier palier
(martaba) consiste en une simple affirmation de la langue sans
participation du cœur. Le deuxième est l’acceptation de la formule par le
cœur. Ces deux premiers paliers concernent le commun des musulmans,
dont l’adhésion à l’islam relève souvent d’une appartenance extérieure. Le
troisième palier est celui où le croyant contemple la vérité du témoignage
de foi par dévoilement initiatique (kashf). Il ne s’agit plus alors d’une
adhésion extérieure à un dogme mais d’une perception intérieure. C’est le
degré des Rapprochés (muqarrabûn) – évoqués au début de la sourate 56 –
qui « voient les choses créées multiples, tout en percevant cette
multiplicité comme émanant de l’Unique ». Quant au quatrième palier, il
concerne les plus hauts degrés de la spiritualité en islam : « Il consiste à ne
voir dans l’Existence que l’Unique. Telle est la contemplation des
véridiques que les soufis appellent “l’extinction de l’ego dans l’affirmation
de l’Unicité” (al-fanâ’ fî l-tawhîd). En effet, ceux qui réalisent ce degré ne
perçoivent plus que l’Unique et donc meurent à leur propre ego2. »
Le monothéisme radical enseigné par l’islam ne fut pas simplement une
négation des idoles adorées par les tribus d’Arabie, mais s’accompagna en
outre d’une véritable révolution éthique. La religiosité des polythéistes, en
effet, n’impliquait aucune éthique ni aucune spiritualité. De fait, le
domaine de l’éthique était régi dans l’Arabie antéislamique par les valeurs
tribales. Le bien et le mal n’étaient que ce que la tribu reconnaissait
comme tel. Ils étaient donc des valeurs sociales et ne découlaient pas de la
volonté du Créateur. Le rapport aux divinités était en réalité purement
mercantile : on leur offrait des sacrifices pour obtenir d’elles des avantages
terrestres. Tout cela montre suffisamment pourquoi le monothéisme
islamique suscita tant d’hostilité parmi les polythéistes d’Arabie.
L’affirmation de l’Unicité divine, à l’inverse, se présente comme le
fondement le plus important de la foi, fondement qui implique que tous les
aspects de la vie peuvent être vivifiés par un lien intime avec Dieu. En ce
sens, on rapporte cette parole du Prophète : « Le meilleur de la foi c’est
que tu saches que Dieu est avec toi où que tu sois3. »
Dieu
L’islam distingue, en Dieu, l’Essence (Dhât) et les Attributs (Sifât). Cette
distinction est fondamentale car elle permet de sauvegarder l’Unité divine
malgré la pluralité des Attributs. Ces derniers, en effet, sont multiples et
peuvent même s’opposer les uns aux autres. Ainsi Dieu est à la fois Celui
qui élève (al-Mu‘izz) et Celui qui abaisse (al-Mudhill) ; Celui qui donne la
vie (al-Muhyî) et Celui qui fait mourir (al-Mumît) ; Celui qui pardonne
(al-Ghafûr) et Celui qui se venge (al-Muntaqim), etc. C’est pourquoi
l’islam considère que seule l’Essence divine est au-delà de toute
opposition et de toute distinction. Dieu peut être connu par Ses Attributs et
invoqué par Ses Noms, mais l’Essence divine ne saurait jamais être l’objet
de la connaissance humaine.
Toutefois, certains Noms divins renvoient à l’Essence, comme l’Un (al-
Ahad) ou l’Absolu (al-Samad). Cela explique l’importance prise par la
sourate al-Ikhlâs (le culte pur) dans la vie religieuse du musulman : « Dis :
Lui, Dieu, est Un ! Dieu est l’Absolu ! Il n’engendre pas et Il n’est pas
engendré ; nul n’est égal à Lui2. » Interrogé par des polythéistes sur « la
généalogie de Dieu », le Prophète reçut la révélation de cette sourate de
quatre versets comme réponse. Par ailleurs, il enseigna ceci : « Qui récite
la sourate “Dis : Lui, Dieu, est Un !” est considéré comme ayant récité le
tiers du Coran3. »
L’islam reconnaît un grand nombre de Noms divins. La liste la plus
célèbre est celle dite d’« al-Tirmidhî » car la tradition prophétique suivante
se trouve dans son recueil de hadiths : « Dieu possède quatre-vingt-dix-
neuf Noms – cent moins un – et celui qui les connaîtra entrera au Paradis.
Il est Dieu, Celui en dehors duquel il n’y a pas de divinité, le Tout-
Miséricordieux, le Très-Miséricordieux, le Roi, le Très-Saint, la Paix4… »
Toutefois, cette liste ne contient pas tous les Noms divins cités dans le
Coran et les hadiths. À proprement parler, le nombre des Noms divins est
indéfini puisque Dieu possède une infinité de perfections.
Les anges
Alors que l’homme a été créé à partir d’argile et les djinns à partir de feu,
les anges (malak, pl. malâ’ika) sont des êtres créés de lumière. Ils ne
possèdent pas le libre arbitre et ne peuvent donc pas choisir entre le bien et
le mal. C’est pourquoi les anges sont présentés comme de purs serviteurs
de Dieu : ils sont « dénués de tout orgueil » et « exécutent tout ce que Dieu
leur ordonne »7. Par ailleurs, ils n’ont nul besoin de nourriture, de boisson,
de vie sexuelle ou de sommeil.
Dans l’Arabie antéislamique, il existait une croyance selon laquelle les
anges sont de sexe féminin. Un verset du Coran vint rejeter cette
croyance : « Et ils firent des anges, qui sont les serviteurs du Tout-
Miséricordieux, des êtres féminins. Étaient-ils témoins de leur création ?
Leur témoignage sera consigné et ils auront à en répondre8. »
Il existe diverses espèces d’anges occupant des fonctions précises dans la
Création. Les plus importants sont les suivants : Isrâfîl, chargé de souffler
dans la Corne pour annoncer le Jour du Jugement dernier ; Mîkâ’îl
(Michel) chargé de faire tomber la pluie ; Ridwân, le gardien du Paradis ;
Mâlik, le gardien de l’Enfer ; et Jibrîl (Gabriel), chargé de transmettre la
Parole de Dieu aux prophètes.
Les anges peuvent prendre des apparences diverses selon les situations.
C’est ainsi que l’ange Jibrîl apparaissait parfois au Prophète sous une
apparence humaine : il lui arrivait de prendre l’apparence de Dihya al-
Kalbî (m. 670), un Compagnon du Prophète connu pour sa beauté
exceptionnelle9, ou encore celle d’un étranger de passage à Médine.
Chaque être humain est constamment accompagné par deux anges
gardiens (al-hafaza). Leur rôle est de mettre par écrit chaque action, bonne
ou mauvaise, accomplie par la personne dont ils ont la charge : « Et vous
êtes constamment surveillés par des anges gardiens, des anges nobles qui
notent tout par écrit : ils savent parfaitement tout ce que vous faites10. » Le
livre des actions consignées par les anges sera remis à chaque être humain
qui se verra dire, le Jour de la Résurrection : « Lis ton livre : ton âme suffit
aujourd’hui à te juger11. »
De manière générale, le rôle des anges est de célébrer les louanges de
Dieu12 et d’implorer Son pardon en faveur des hommes13.
L’Au-delà
Contrairement à l’acceptation de l’Unicité divine, la foi dans la
Résurrection et dans la vie après la mort fut une partie du message très
difficile à concevoir pour une grande partie des Arabes de l’époque du
Prophète. De nombreux passages du Coran se font l’écho de cette
difficulté. C’est le cas de ce verset : « Oubliant même jusqu’à sa propre
création, l’homme Nous lance ce proverbe : “Qui peut rendre la vie aux
ossements devenus poussière ?” Réponds-lui : “Leur rendra la vie Celui
qui les a créés la première fois, car Il est Celui qui ne cesse de créer et Il
est l’Omniscient28.” »
Selon les enseignements de l’islam, tous les êtres humains seront
ressuscités après la fin de ce monde pour être jugés : « Le jour où nous
mettrons les montagnes en mouvement et où la terre sera toute aplanie,
Nous rassemblerons les hommes sans en omettre aucun. Et ils seront
présentés en rangs devant ton Seigneur qui leur dira : “Vous voilà revenus
à Nous tels que Nous vous avons créés la première fois ! Pourtant vous
prétendiez que jamais ce rendez-vous n’aurait lieu29 !” »
Les actions et surtout les intentions de chaque individu lui vaudront la
récompense de vivre éternellement dans un des degrés du Paradis ou, à
l’inverse, le châtiment des supplices de l’un des degrés de l’Enfer. Si
l’entrée au Paradis est définitive, l’entrée en Enfer peut être temporaire
lorsque l’individu n’a pas été foncièrement mauvais sur terre.
Le Coran et les hadiths décrivent avec force détails le Paradis et l’Enfer.
Toutefois, ces descriptions sont présentées comme des « images
symboliques » (mathal, pl. amthâl) : « Voici l’image symbolique du
Paradis promis aux pieux : il y coulera des ruisseaux à l’eau toujours pure
et limpide, des ruisseaux de lait à la saveur inaltérable, des ruisseaux d’un
vin délicieux à boire, des ruisseaux d’un miel pur et distillé. Et des fruits
de toutes sortes qui seront offerts aux croyants, ainsi que le pardon de leur
Seigneur…30 » De même, de nombreux détails concernant les supplices de
l’Enfer sont donnés dans le Coran : « … Aux négateurs on taillera des
vêtements de feu, et il leur sera versé sur la tête un liquide bouillant qui
fera fondre leurs entrailles et leur peau, pendant que des massues de fer
seront préparées à leur intention. Et toutes les fois que, transis de douleur,
ils tenteront de s’en évader, on les y ramènera et on leur dira : “Goûtez
donc le supplice du Feu dévorant31 !” »
Mais à proprement parler, l’Au-delà (al-Âkhira) est indescriptible car il
dépasse ce que l’âme humaine peut concevoir : « Aucune âme ne peut
connaître le bonheur qui est réservé aux croyants en récompense des
œuvres qu’ils ont accomplies. Le croyant serait-il semblable au pervers ?
Ils ne sont point égaux32 ! » Selon un hadith, Dieu a dit : « J’ai préparé
pour Mes serviteurs vertueux ce que nul œil n’a vu, ce que nulle oreille n’a
entendu et ce qui n’est monté au cœur d’aucun homme33. »
Le destin
La question de la prédestination a suscité de nombreux débats en islam,
tout comme ce fut le cas dans d’autres religions. Dire que tout ce qui
arrive dans la vie de l’homme est prédestiné semble s’opposer à la liberté
humaine et au libre arbitre puisqu’il n’est plus question de pouvoir faire
des choix. Or, la prédestination aussi bien que le libre arbitre humain sont
affirmés par les textes sacrés de l’islam. Ainsi, certains versets du Coran
affirment avec force que toute chose est prédestinée : « Aucun malheur ne
s’abat sur la terre ou sur vos propres personnes qui ne figure déjà dans un
Livre, avant même que Nous le fassions survenir. Et c’est là une chose
aisée pour Dieu34. » Ce verset est immédiatement suivi par un autre qui
justifie la prédestination comme une protection contre la déception face à
l’échec et la vanité lors d’un succès : « Il en est ainsi afin que vous ne vous
tourmentiez pas au sujet d’un bien qui vous échappe ou que vous ne vous
réjouissiez pas outre mesure de celui que Dieu vous accorde, car Dieu
n’aime point les vaniteux pleins de gloriole35. »
Cela n’empêche pas le Coran, toutefois, d’inviter le croyant à faire le
choix des bonnes actions : « Dis-leur : Agissez ! Dieu observera vos
œuvres, ainsi que le Prophète et les croyants. Et quand vous serez ramenés
vers Celui qui connaît l’invisible et l’apparent, Il vous renseignera sur ce
que vous aurez fait36. »
L’opposition logique entre la prédestination et le libre arbitre est
insurmontable pour la raison livrée à elle-même. La pensée discursive, en
effet, procède par alternative et par opposition. De plus, elle est limitée par
les conditions d’existence que sont l’espace et le temps. La pensée
discursive a besoin de replacer les événements dans une succession
chronologique pour y introduire une causalité, c’est-à-dire une succession
de causes et d’effets. Or, Dieu est au-delà du temps : pour Lui, tout se
déroule dans un éternel présent. Ainsi, il n’y a pas, du point de vue divin,
« d’abord » un choix « puis » un passage à l’acte. Sans succession
temporelle, on ne peut plus dire, en effet, que l’acte a pour « origine » un
choix.
Or, la pensée humaine ordinaire ne peut se placer au point de vue divin –
qui relève de l’éternel présent – sans le secours de la grâce. C’est pourquoi
la prédestination reste un mystère pour la raison. Seul le cœur illuminé par
la lumière de la foi peut saisir dans un même mouvement la réalité de la
prédestination et celle du libre arbitre. C’est ce qui explique l’attitude du
Prophète qui nous est rapportée dans ce hadith : « Le Prophète entendit les
Compagnons émettre diverses opinions au sujet de la prédestination. Il se
mit alors extrêmement en colère et ses joues rougirent. Il s’adressa à eux et
leur dit : “Est-ce cela qui vous a été ordonné ? Est-ce avec cela que j’ai été
envoyé comme messager vers vous ? Les communautés qui vous ont
précédés ont déchu précisément lorsqu’elles se mirent à avoir différentes
opinions sur ce point. Je vous l’ordonne ! Je vous l’ordonne ! N’ayez pas
de divergences à ce sujet37.” »
Puisque prédestination et libre arbitre sont tous deux présentés comme des
réalités, on peut poser la question suivante : pourquoi, en islam, seule la
prédestination est un article de foi ? La réponse en est simple : faire des
choix est une expérience quotidienne et spontanée pour tout un chacun. Il
n’en va pas de même de la prédestination qui est une conception méta-
physique s’appliquant au devenir des choses. Risquant d’être éclipsée par
l’expérience psychologique quotidienne du libre arbitre, la prédestination a
besoin d’être rappelée et d’être affirmée en tant qu’article de foi.
La question du djihad
Certains théologiens font entrer le djihad dans la liste des devoirs du
croyant. Mais que désigne ce terme dans leur langage ? S’agit-il, dans leur
perspective, d’imposer l’islam par la force aux non-musulmans, comme
dans le djihadisme contemporain ? La violence aveugle serait-elle sacrée à
leurs yeux ? Par ailleurs, y a-t-il dans le Coran et les hadiths un appel à
propager l’islam par l’épée ?
Le djihad : entre réalité et fantasme
Beaucoup de lecteurs du Coran sont désarçonnés face à l’opposition
brutale qui paraît exister entre des versets qui invitent au pacifisme et
d’autres qui semblent légitimer la violence. C’est pourquoi il nous faut
examiner de près, en les contextualisant, les versets en question.
En préambule, il faut remarquer que toute doctrine – qu’elle soit d’essence
religieuse, philosophique ou politique – est susceptible d’être
instrumentalisée et utilisée à des fins meurtrières. Cela reste valable
quelles que soient les idées généreuses qu’une doctrine présente. Pour
nous en tenir au cas des doctrines religieuses, nous ferons remarquer que
la générosité des idées présentes dans la doctrine chrétienne n’a empêché
ni les croisades ni l’Inquisition, et la « compassion pour tous les êtres »
enseignée par le bouddhisme n’empêche pas, de nos jours, un grand
nombre de moines bouddhistes birmans de massacrer sauvagement des
enfants, des femmes et des hommes appartenant à la minorité musulmane
des Rohingyas.
Mais pour qu’une doctrine soit instrumentalisée, il faut d’abord qu’elle
devienne une idéologie. Dans ce contexte, il faut entendre par
« idéologie » un corpus d’idées bien définies et des réponses toutes faites à
l’ensemble des problèmes qui peuvent se présenter. Alors qu’une doctrine
religieuse est avant tout un point de départ en vue du cheminement
spirituel du fidèle qui y adhère, une idéologie religieuse est un point
d’arrivée définitif. À ce propos, l’un des critères les plus sûrs pour
démasquer une idéologie religieuse est le rejet de la pluralité des avis. À
l’inverse, tant qu’une doctrine religieuse demeure fidèle à ce qu’elle doit
être, elle reste ouverte à une pluralité d’approches et de réponses. Ainsi,
nombre des fondateurs d’Écoles juridiques islamiques furent disciples les
uns des autres – Mâlik fut le maître d’al-Shafî‘î, par exemple – tout en
adoptant une méthodologie propre et des positions différentes sur certaines
questions. Cependant, ils n’en respectaient pas moins les avis de leurs
pairs. Cette attitude d’ouverture à la pluralité des avis religieux fut appelée
« l’éthique du désaccord » (adab al-ikhtilâf).
Le détachement
La vertu de détachement (zuhd) est souvent considérée comme la première
que le croyant doit cultiver en son cœur. Elle concerne aussi bien le
domaine des biens matériels que le domaine relationnel. À ce propos, le
Prophète donna les enseignements suivants à un homme qui l’interrogeait
sur le moyen d’être aimé par les hommes et par Dieu : « Détache-toi des
choses de l’ici-bas, Dieu t’aimera ; détache-toi de ce qui concerne les
autres, les autres t’aimeront4. »
Le premier pas dans la réalisation du détachement consiste, avant toute
chose, à prendre conscience de l’avidité propre à l’ego.
Le contentement
Le repos du cœur et du corps évoqué par le hadith précédemment cité
permet de cultiver cette vertu essentielle qu’est le contentement (ridâ).
Afin que le croyant puisse se défaire du caractère insatiable de l’ego, il lui
est nécessaire d’apprendre à apprécier ce qu’il possède et de ne pas se
focaliser sur ce qu’il ne possède pas.
La patience
La patience au sens du mot arabe sabr ne doit pas être entendue comme
une passivité – attendre, sans agir, que les choses aillent mieux – mais au
contraire comme un effort pour atteindre la maîtrise de soi, notamment
lors des épreuves. Ce n’est donc pas une attente passive mais une
persévérance active. En ce sens, la vertu désignée par le terme sabr
englobe la patience, la constance et la persévérance. C’est pourquoi al-
Ghazâlî proposa la définition suivante : « La patience désigne la ferme
constance (thabât) de l’élan vers Dieu face à l’élan passionnel12. »
Cette vertu implique un changement radical du regard sur les épreuves. Au
lieu de ne les voir que sous leurs aspects négatifs, le croyant doit
apprendre à percevoir ce que les épreuves peuvent lui apporter
intérieurement, comment elles peuvent l’aider à approfondir sa spiritualité.
À ce propos, le Prophète enseignait cette « conversion du regard » :
« N’est pas un croyant accompli quiconque ne considère pas l’épreuve
comme une grâce et l’aisance comme un malheur13. » Il enseignait même
que l’épreuve, loin d’être une malédiction, témoigne de l’amour de Dieu
pour Son serviteur : « Lorsque Dieu aime des personnes, Il les
éprouve14. »
De nombreux versets insistent sur les effets spirituels de cette vertu et son
rôle dans l’obtention de la proximité de Dieu :
« Ô vous qui avez la foi, trouvez une aide dans la patience et la prière.
Certes Dieu est avec ceux qui font preuve de patience15. »
« Fais preuve de patience envers ce que disent tes détracteurs. Célèbre les
louanges de ton Seigneur avant le lever du soleil et avant son coucher ;
Glorifie-Le au cours de la nuit ainsi qu’aux extrémités de la journée.
Puisses-tu accéder à la satisfaction16 ! »
La gratitude
Le sentiment de gratitude (shukr) – qui n’est autre que l’attitude de
reconnaissance envers les bienfaits de Dieu – est un sentiment qui offre
une plénitude intérieure. Il permet au croyant d’être satisfait de ce qu’il vit
et de ce que Dieu lui accorde. Cette attitude amène le croyant à relativiser
ses difficultés – et en cela elle est déjà précieuse –, mais elle le dispose
également à recevoir de nouveaux bienfaits de la part de Dieu : « Certes, si
vous vous montrez reconnaissants, Nous ajouterons encore aux bienfaits
que Nous vous avons accordés17. » Tout en attirant l’attention du croyant
sur l’importance de la gratitude, le Coran souligne également qu’elle est
une vertu rare :
« Bien peu nombreux sont Mes serviteurs reconnaissants18. »
« Comme vous êtes peu reconnaissants19. »
L’éducation que donnait le Prophète aux hommes et aux femmes qui
l’entouraient insiste inlassablement sur le détachement, le contentement et
la gratitude. D’où cette recommandation alors que ses Compagnons
s’interrogeaient pour savoir quelle part du butin revenait à chacun : « Que
votre part de la richesse soit de posséder un cœur reconnaissant, une
langue qui invoque Dieu et une épouse croyante qui l’aide en vue de l’Au-
delà20… »
Rappelons ici que la patience et la gratitude sont des attitudes
complémentaires dans la mesure où la première concerne surtout les
situations où le croyant éprouve une difficulté et la seconde, celles où il est
favorisé par un bienfait quelconque. Les deux attitudes concernent donc
toutes les situations possibles de la vie.
Un émerveillement du Prophète
« Comme je m’émerveille de l’état du croyant : toute chose est un bien pour lui ! Mais cela
n’est vrai que pour le croyant : lorsqu’il reçoit une facilité, il se montre reconnaissant et
cette facilité est alors un bien pour lui ; et lorsqu’il éprouve une difficulté, il fait preuve de
patience et cette difficulté est alors un bien pour lui21. »
La confiance en Dieu
L’attitude que l’on appelle « confiance en Dieu » (al-tawakkul ‘alâ Llâh)
consiste à ne pas s’appuyer exclusivement sur les causes secondes (asbâb),
c’est-à-dire les causes ordinaires par lesquelles surviennent les
événements. Il est ainsi demandé au croyant de demeurer conscient que
Dieu est la « Cause première » de toutes choses.
Sans rejeter les causes secondes, le croyant s’appuiera intérieurement sur
le « Causateur des causes » (Musabbib al-asbâb). C’est ce qui peut lui
permettre de ne pas désespérer lorsque la situation extérieure semble
défavorable. Conscient que Dieu demeure souverain et accorde ce qu’Il
veut à qui Il veut, le croyant peut espérer une aide divine inattendue,
comme l’affirme le Coran : « Qui fait preuve de piété envers Dieu se verra
accorder une issue favorable, et Dieu lui accordera un don d’une façon à
laquelle il ne s’attendait pas. Qui place sa confiance en Dieu, Dieu lui
suffit23… »
Le caractère indissociable de la foi en Dieu et de la confiance en Lui est
souligné dans un verset dans lequel Moïse dit aux Fils d’Israël : « Ô mon
peuple, si vous avez foi en Dieu et êtes soumis à Sa volonté, placez votre
confiance en Lui24… »
Pour être profondément réalisée, la confiance en Dieu doit être
inconditionnelle, au sens propre du terme. Cela signifie qu’elle ne doit pas
dépendre de conditions apparentes. En ce sens, il ne s’agit pas simplement
d’être optimiste lorsque la situation paraît favorable, mais il faut l’être
également lorsqu’aucune solution ne semble se profiler. Cette confiance
inconditionnelle en Dieu est évoquée par le Prophète dans un hadith où il
donne l’attitude des oiseaux comme exemple à méditer sur la façon
d’obtenir le don de Dieu : « Si vous placiez réellement votre confiance en
Dieu, vous recevriez votre subsistance de Dieu, comme le font les oiseaux
qui sortent le ventre vide et rentrent rassasiés25. »
La générosité
Dès les premières révélations, le Coran insiste sur la place centrale
qu’occupe la générosité (karam) dans le domaine de la foi. C’est pourquoi
le manque de charité s’y trouve souvent associé à l’incroyance :
« As-tu vu celui qui traite la religion de mensonge ? C’est le même qui
repousse brutalement l’orphelin et n’incite point à nourrir l’homme dans le
besoin26. »
Un passage révélé appartenant à la période mecquoise affirme que les
prophètes ayant précédé l’islam avaient déjà reçu l’injonction de pratiquer
la générosité parallèlement à leur dévotion à Dieu. Sont alors nommément
cités Abraham (Ibrâhîm), Loth (Lût), Isaac (Ishâq) et Jacob (Ya‘qûb) : « Et
Nous avons fait d’eux des guides pour orienter les hommes selon Nos
ordres. Et Nous leur avons inspiré la pratique du bien, l’accomplissement
de la prière et l’acquittement de l’aumône. Ce furent pour Nous de fidèles
serviteurs27. »
Dans les sourates médinoises, la prière et l’aumône sont présentées,
comme des actes complémentaires :
« Voici le Livre qui n’est sujet à aucun doute. C’est un guide pour ceux qui
font preuve de piété, ceux qui ont foi dans le Mystère, qui accomplissent la
prière et qui effectuent des œuvres charitables sur les biens que Nous leur
avons accordés28. »
En conséquence, le Coran souligne que la foi ne saurait être complète si le
croyant ne possède pas la vertu de générosité : « La fidélité pieuse (birr)
ne consiste pas à tourner sa face vers l’Orient ou l’Occident, mais la piété
consiste à croire en Dieu, au Jour dernier, aux anges, aux livres révélés et
aux prophètes ; la piété consiste à donner de ses biens matériels – quelque
attachement qu’on leur porte – aux proches, aux orphelins, aux pauvres,
aux voyageurs, aux mendiants, et de racheter les esclaves pour les
libérer29… »
Le Coran souligne que les actes de générosité nécessitent souvent une lutte
contre soi-même. Cette lutte – présentée comme un véritable jihâd – est
une forme de sacrifice de l’ego et n’est pas moins importante que le fait de
donner sa vie pour la défense du Message révélé : « Les véritables
croyants sont ceux qui ont foi en Dieu et en Son Messager, sans changer
d’orientation, et qui luttent dans la voie de Dieu avec leurs biens et leurs
personnes30. »
Pour sa part, le Prophète était connu pour sa grande générosité. Il ne
gardait pour lui et sa famille que le strict nécessaire et distribuait ce qu’il
possédait et les cadeaux qu’on lui offrait aux nombreux nécessiteux de
Médine.
La sincérité
Deux notions coraniques correspondent à la vertu de sincérité : la pureté
d’intention (ikhlâs) et la véracité (sidq). Toutes deux présupposent un rejet
des tendances négatives de l’âme et un effort pour se défaire de l’emprise
de l’ego.
La véracité ne consiste pas, pour le croyant, à adhérer extérieurement au
message révélé. Une telle adhésion peut, en effet, être motivée par des
intérêts personnels. Ce fut le cas de certains Médinois qui, après que le
Prophète devint le chef de leur cité, entrèrent en islam pour ne pas perdre
le rang social qui était le leur. Lorsqu’il devint évident que leur conversion
n’était pas sincère, ils furent appelés « les hypocrites » (munâfiqûn). Le
Coran se fait l’écho de leur absence totale de ferveur spirituelle : « Les
hypocrites croient pouvoir tromper Dieu, mais Dieu fait toujours retourner
leurs stratagèmes contre eux-mêmes. C’est ainsi que lorsqu’ils s’apprêtent
à accomplir la prière, ils le font avec paresse et cherchent à se montrer
pieux devant les autres. Ils n’invoquent Dieu que très rarement34. »
Bien au contraire, la véracité suppose une véritable implication intérieure.
Or, celle-ci ne peut réellement être révélée que par les épreuves :
« Les hommes s’imaginent-ils qu’on les laissera dire : “Nous avons la foi”
sans les mettre à l’épreuve ? Nous avons déjà mis à l’épreuve ceux qui les
ont précédés. Dieu connaît parfaitement ceux qui sont véridiques et ceux
qui ne font que mentir35. »
Être véridique n’est pas toujours à l’avantage terrestre du croyant. Mais il
s’agit pourtant là de son intérêt spirituel, lequel apparaîtra pleinement dans
l’Au-delà : « Dieu dira le Jour du jugement : “Voici venu le jour où les
sincères tireront profit de leur véracité et auront pour séjour éternel des
jardins sous lesquels coulent des ruisseaux.” Dieu sera satisfait d’eux et ils
seront satisfaits de Lui. Voilà la plus grande béatitude36. »
Quant à la notion de pureté d’intention (ikhlâs), elle implique la
consécration sincère à Dieu et donc l’abandon de toute ostentation dans
l’adoration qui lui est due :
« Nous t’avons révélé le Livre en toute vérité. Adore donc Dieu et voue-
Lui un culte d’intention pure. N’est-ce pas à Dieu que revient le culte
d’intention pure37 ? »
« Il est le Vivant en dehors duquel il n’est nulle divinité. Aussi implorez-
Le en Lui vouant un culte d’intention pure38. »
Soulignant que la pureté d’intention doit accompagner chaque acte
accompli, le Prophète donna l’enseignement suivant : « Les actes ne valent
que par les intentions, et chacun ne récoltera que les fruits de ses
intentions39… »
La compassion
La vertu de compassion ou de miséricorde (rahma) envers autrui fait partie
des qualités les plus importantes dont doit se revêtir le croyant car elle
correspond à deux Attributs divins qui relèvent directement de l’Essence
divine. Les sourates du Coran s’ouvrent en effet par la formule appelée
Basmala : « Au Nom de Dieu42, le Tout-Miséricordieux, le Très-
Miséricordieux. »
Dans l’enseignement du Prophète, la miséricorde est si importante qu’il en
a fait une des conditions de la foi et de l’obtention du salut : « Par celui qui
tient mon âme en Sa Main, vous n’entrerez pas au Paradis tant que vous ne
ferez pas preuve de miséricorde entre vous. Les Compagnons répondirent :
“Nous le faisons tous.” Le Prophète reprit : “Il ne s’agit pas du lien de
sang qui vous lie les uns aux autres, mais il s’agit de la miséricorde envers
tous les êtres. Oui, la miséricorde envers tous les êtres43.” »
Du reste, les traditionnistes – les oulémas spécialistes des traditions
prophétiques – ont, depuis de nombreux siècles, pris l’habitude
d’enseigner les hadiths à leurs élèves en commençant par leur faire
mémoriser le hadith suivant, qu’ils appellent « le hadith à transmettre en
priorité » (al-hadith al-musalsal bi-l-awwaliyya) : « Les miséricordieux, le
Tout-Miséricordieux leur fera miséricorde, qu’Il soit exalté. Faites
miséricorde aux êtres se trouvant sur terre, Celui qui est au ciel vous fera
miséricorde44. »
La bienveillance
Cette vertu est l’expression pratique de la compassion. Pratiquer la
bienveillance (rifq) consiste avant tout à vouloir le bien d’autrui et requiert
du croyant qu’il recherche le meilleur pour l’autre. En d’autres termes, le
croyant doit traiter l’autre comme il aimerait être traité : « Le serviteur
n’atteint la réalité de la foi que lorsqu’il aime le bien pour tous les
hommes, comme il l’aime pour lui-même45. »
La qualité humaine de bienveillance dérive d’un Attribut divin. Or, nous
avons déjà vu que Dieu aime retrouver le reflet de Ses Attributs dans le
cœur de l’être humain : « Certes, Dieu est bienveillant et Il aime la
bienveillance : Il accorde par elle ce qui ne saurait être atteint par
l’utilisation de la violence ni par quoi que ce soit d’autre46. »
D’après ce hadith, le pouvoir de la bienveillance est supérieur à celui de la
coercition. En ce sens, le Coran affirme que celui qui sait rendre le bien
pour le mal est détenteur d’une grâce capable de transformer le pire
ennemi en ami chaleureux : « La bonne action et la mauvaise action ne
sont point égales. Rends le bien pour le mal, et tu verras ton ennemi se
muer en ami chaleureux ! Mais une telle grandeur d’âme est seulement le
privilège de ceux qui savent faire preuve de patience et qui sont touchés
par une grâce immense47. »
L’amour
De nos jours, nombreux sont ceux qui considèrent l’islam comme une
religion de l’obéissance à la Volonté de Dieu dans laquelle la dimension de
l’amour serait absente. Cette conception se rencontre aussi bien à
l’intérieur de la communauté musulmane que chez des non-musulmans.
Or, une étude attentive des sources scripturaires de l’islam (Coran et
Hadith) bat en brèche ce préjugé.
Tout d’abord, il faut remarquer que la Révélation insiste sur l’amour
comme conséquence de la foi dès la période mecquoise : « Certes, le Tout-
Miséricordieux placera en ceux qui auront cru et pratiqué les bonnes
œuvres un amour constant49. » Ce verset vint réconforter les croyants qui
subissaient l’hostilité des polythéistes de La Mecque : il leur annonce que
lorsque l’amour envers Dieu est constant – c’est le sens du terme arabe
wudd utilisé dans ce verset –, il permet de dépasser toutes les déceptions et
toutes les difficultés terrestres.
Bien que la période médinoise soit celle de la constitution de la cité
musulmane, la dimension de l’amour continue à être rappelée par le
Coran. À cet effet, le Livre présente Dieu comme digne du plus grand
amour pouvant résider dans le cœur de l’homme, même si ce dernier
cherche parfois des substituts à l’amour de son Seigneur : « Il est des
hommes qui prennent en dehors de Dieu des associés qu’ils se mettent à
aimer à l’égal de Dieu lui-même ! Mais les croyants vouent à Dieu un
amour plus grand encore50… » Les exégètes considèrent ce verset comme
une condamnation de toute idolâtrie, qu’elle prenne la forme du paganisme
ou qu’elle soit plus subtile comme l’amour du pouvoir, de la renommée,
des richesses matérielles, etc.
Mais dans le Coran, l’amour ne caractérise pas seulement la relation qui
lie le croyant à son Seigneur : il désigne également le lien que Dieu
entretient avec Ses créatures. Cette réciprocité de l’amour est évoquée
dans l’une des dernières révélations reçues par le Prophète : « Ô vous qui
avez cru, si certains d’entre vous renient leur foi, Dieu fera surgir d’autres
hommes qu’Il aimera et qui L’aimeront51. »
Un peu avant la révélation du verset précédent, un autre verset vint mettre
en lumière le rôle du modèle prophétique dans la réalisation de la
réciprocité d’amour entre l’homme et Dieu : « Dis-leur : “Si vous aimez
Dieu réellement, suivez-moi et Dieu vous aimera et vous pardonnera vos
péchés. Dieu est Pardonneur et Miséricordieux52.” » Dans son
commentaire du Coran intitulé Mafâtîh al-ghayb, Fakhr al-Dîn al-Râzî
(1150-1209) aborde ce verset en soulignant que quiconque aime
véritablement Dieu aspire à se rapprocher de Lui. Or, pour se rapprocher
de Dieu il est nécessaire de suivre un Message révélé, l’homme n’étant pas
capable de connaître par lui-même les conditions du cheminement menant
à Dieu.
Dans son rôle d’éducateur spirituel, le Prophète sut tisser des liens
d’amour avec ceux qui l’entouraient, et sa patience ainsi que sa générosité
lui permirent de toucher les cœurs parfois fermés de ses contemporains :
« C’est par l’effet d’une miséricorde venant de Dieu que tu as pu être doux
envers les hommes. En effet, si tu t’étais montré inhumain ou dur de cœur
avec eux, ils se seraient éloignés de toi53. »
Ainsi, il importe de souligner que suivre le Prophète et le prendre comme
« modèle d’excellence » ne saurait être une imitation extérieure et aveugle,
laquelle est dénoncée par nombre de théologiens sous le nom de taqlîd.
C’est avant tout un lien d’amour qui doit lier le croyant au Messager de
Dieu : « Nul d’entre vous n’a la foi s’il ne m’aime pas plus que ses
parents, ses enfants et tous les gens54. »
Enfin, le Prophète enseigna que la foi en Dieu ne saurait être authentique
sans l’amour du prochain : « Vous n’entrerez pas au Paradis tant que vous
n’aurez pas la foi et vous n’aurez pas la foi tant que vous ne vous aimerez
pas les uns les autres. Ne voulez-vous pas que je vous indique une action
qui vous permettra de vous aimer les uns les autres ? Répandez la paix
parmi vous55. »
LA PRATIQUE AU QUOTIDIEN
CHAPITRE 7
Les rites islamiques occupent une place importante dans le quotidien des
fidèles. Ils forment le cadre rituel dans lequel la foi en Dieu et l’intimité
avec Lui peuvent être cultivés. En ce sens, le domaine du rituel n’est pas
une fin en soi mais doit soutenir et nourrir la vie spirituelle : « Dis : “Ma
prière et les rites que j’accomplis, ma vie et mon trépas sont entièrement
voués à mon Seigneur, le Maître des mondes1.” »
La plupart des rites islamiques se rattachent à l’un des cinq piliers de
l’islam (arkân al-islâm). Ces piliers sont énumérés dans plusieurs hadiths,
dont le suivant : « L’islam est construit sur cinq piliers : l’attestation qu’il
n’est de divinité que Dieu et que Muhammad est l’Envoyé de Dieu ;
l’accomplissement de la prière ; le versement de l’aumône légale ; le jeûne
du mois de ramadan et le pèlerinage à la Maison sacrée2. »
La purification rituelle
Certains rites ne peuvent être accomplis par le fidèle que s’il est en état de
pureté rituelle. C’est le cas de la prière, de la lecture du Coran, des
tournées rituelles autour de la Kaaba, etc. C’est ainsi que le Coran appelle
les fidèles à la pratique de l’ablution afin de se préparer à la prière : « Ô
vous qui croyez ! Lorsque vous vous levez pour accomplir la prière, lavez
votre visage, vos mains et vos avant-bras jusqu’au coude, frottez-vous la
tête de votre main humide et lavez-vous les pieds jusqu’aux chevilles3… »
Ce verset instaure la pratique de l’ablution dite « mineure » (wudû’)
laquelle doit être répétée si le fidèle urine, émet un gaz, va à la selle,
s’endort profondément ou s’évanouit. Ce sont là ce que les juristes de
l’islam appellent les « impuretés mineures ».
En l’absence d’eau, le croyant pourra se purifier rituellement en recourant
à l’ablution sèche (tayammum) : elle consiste à mettre les mains en contact
avec la terre, le sable ou la roche puis à les passer sur le visage et se frotter
les mains en incluant les poignets.
L’eau pure ramène virtuellement le croyant à l’état de pureté originelle
(fitra) lequel est l’état premier de la Création. C’est, en effet, de l’eau que
« fut créée toute chose vivante », selon les termes d’un verset4. Du reste,
un hadith affirme clairement l’importance spirituelle de la purification par
l’eau : « La pureté rituelle est la moitié de la foi5. »
La notion de fitra permet de comprendre pourquoi beaucoup d’auteurs
considèrent la pureté rituelle comme une préparation à la pureté intérieure.
Ainsi, al-Ghazâlî distingue, dans son ouvrage majeur, quatre degrés de
purification : « Il existe quatre degrés de purification : la purification
extérieure des impuretés et des souillures ; la purification des membres
d’action des fautes et des péchés ; la purification du cœur des traits de
caractère blâmables et des défauts ; et, enfin, la purification de l’intime de
l’être de tout ce qui n’est pas Dieu, le Très-Haut. Ce dernier degré est celui
des prophètes – sur eux la Paix – et des véridiques6. »
La fin du verset précédemment cité évoque une autre forme de purification
rituelle, celle appelée « ablution majeure » (ghusl) : « … et, si vous avez
accompli l’acte sexuel, purifiez-vous entièrement le corps7. » À la
différence des « impuretés mineures » que nous avons évoquées, l’acte
sexuel fait entrer en état d’impureté majeure (janâba). Toute émission de
sperme – volontaire ou non –, le flux menstruel et les lochies doivent être
purifiés par l’ablution majeure. Celle-ci consiste à passer de l’eau sur
toutes les zones du corps, de la tête aux pieds.
Pour la majorité des oulémas, le fidèle en état d’impureté majeure ne doit
pas réciter le Coran. Ils s’appuient sur une parole de ‘Alî, cousin et gendre
du Prophète, affirmant que rien n’éloignait l’Envoyé de Dieu de la lecture
du Coran sauf l’état d’impureté majeure.
En dehors des cas que nous avons mentionnés, il est recommandé au fidèle
d’accomplir les ablutions majeures avant de se rendre à la mosquée pour la
prière du vendredi. De même, il lui est recommandé de le faire pour se
rendre à la prière des deux grandes fêtes religieuses de l’islam : l’Aïd de
fin de ramadan et l’Aïd commémorant le sacrifice d’Abraham. Enfin,
quiconque accomplit la toilette mortuaire pour un défunt devra se purifier
par les ablutions majeures.
La purification du corps par les deux types d’ablution, lors de nombreuses
situations quotidiennes, rappelle au croyant que la vie terrestre a besoin
d’être rattachée toujours à nouveau à sa source céleste. La pesanteur de la
matière dense du corps est en quelque sorte neutralisée par la fluidité et la
pureté de l’eau : « Dieu aime ceux qui ne cessent de revenir à Lui et Il
aime ceux qui se purifient8. »
La prière
La prière rituelle est le seul acte d’adoration que le Prophète ne reçut pas
par inspiration ou révélation. Second pilier de l’islam, elle lui fut imposée
lors de son Ascension (mi‘râj) alors qu’il était « à une distance de deux
arcs ou plus près encore »9 de Dieu.
Lors de l’Ascension, le Prophète put converser sans médiation avec son
Seigneur. Il reçut l’injonction divine de transmettre à sa communauté
l’ordre d’accomplir cinquante prières quotidiennes. Pendant sa redescente,
il rencontra Moïse dans l’un des sept cieux, qui lui recommanda de
retourner vers Dieu pour obtenir un allègement. L’expérience que Moïse
eut avec son propre peuple lui permettait de saisir que peu de croyants
peuvent supporter une telle obligation. Le Prophète obtint plusieurs
allégements mais à chaque fois Moïse lui recommanda de retourner vers
son Seigneur pour en obtenir un nouveau. Quand le nombre de prières
quotidiennes fut ramené à cinq, le Prophète fut gêné de retourner à
nouveau vers Dieu pour lui demander un nouvel allégement, mais il obtint
la garantie que la valeur des cinq prières quotidiennes était équivalente à
celle des cinquante initialement prescrites10.
Ce mode exceptionnel d’enseignement et cette proximité de Dieu font dire
aux exégètes du Coran que la prière (salât) est ce qui relie (sila) le
serviteur et son Seigneur. C’est pourquoi elle est appelée, dans un hadith,
« la colonne centrale de la religion » (‘imâd al-dîn).
Toutefois, c’est sur terre que furent montrés au Prophète les cinq
intervalles de temps durant lesquels doivent être accomplies les prières
quotidiennes. L’ange Gabriel vint voir le Prophète un premier jour pour lui
montrer à quel moment de la course du soleil dans le ciel débutait chaque
intervalle de temps, et un second jour pour lui indiquer la fin de ces
intervalles : aube (subh), zénith (zuhr), mi-hauteur dans le ciel (‘asr),
crépuscule (maghrib), nuit complète (‘ishâ’). Ainsi, en plus du lien avec
son Seigneur, le croyant se trouve mis en harmonie avec les cycles du jour
et de la nuit : « Certes la prière est prescrite aux croyants en des heures
déterminées11. »
En dehors des cinq prières obligatoires, le fidèle peut accomplir des
prières surérogatoires (nâfila) dont les plus connues sont celle qui précède
la prière de l’aube appelée al-fajr et celle qui suit la prière de la nuit
complète appelée witr. La prière surérogatoire a pour rôle essentiel de
préparer ou de prolonger la prière obligatoire. Mais elle peut également
compenser l’éventuel manque de recueillement et de présence du cœur de
la part du fidèle au moment où il accomplissait une prière obligatoire.
Contrairement à la prière libre ou imploration (du‘â’), la prière rituelle
s’accompagne de postures corporelles : la station debout (qiyâm),
l’inclinaison (rukû‘), la prosternation (sujûd) et la station assise sur les
genoux (julûs), les fesses touchant les talons. Ces quatre postures forment
un cycle de la prière (rak‘a). Le nombre de cycles que contient chacune
des cinq prières quotidiennes varie : deux pour la prière de l’aube, trois
pour la prière du crépuscule, et quatre pour les autres.
Chacune de ces postures doit être la manifestation d’une attitude
spirituelle. Se tenant debout devant Dieu, le croyant anticipe le Jour de la
Résurrection (qiyâma) où chaque être humain sera présenté devant son
Seigneur. Ensuite, le fidèle s’incline devant la grandeur de son Créateur.
Après cela, il se prosterne reconnaissant ainsi sa petitesse et sa faiblesse.
Enfin, il s’assoit sur les genoux – position considérée comme la plus stable
entre toutes – manifestant ainsi un équilibre et une stabilité lui permettant
de ne plus être victime de ses limitations et de ses faiblesses : « En vérité,
la prière préserve des turpitudes et de ce qui est blâmable12… »
Parmi les conditions de validité de la prière, il y a, lors de chaque posture,
des versets du Coran ou des formules rituelles à réciter. Ainsi, durant la
station debout, le fidèle doit réciter la sourate al-Fâtiha13, accompagnée
d’un autre passage du Coran dans les deux premiers cycles de la prière, et
seule dans le reste. De même, la prière rituelle n’est valide que si le fidèle
est orienté vers La Mecque, où qu’il se trouve dans le monde. Cette
orientation, appelée qibla, est le symbole de l’orientation du cœur du
croyant vers Dieu durant la prière.
Le changement de qibla
L’aumône légale
L’aumône légale (zakât), troisième pilier de l’islam, inscrit clairement le
lien entre la foi et la générosité envers autrui dans le cadre des obligations
rituelles. Dans ce cadre, le fidèle doit donner 1/40 (soit 2,5 %) des
possessions matérielles qu’il a gardées pendant une année17, à condition
que le montant total de ses possessions dépasse un minimum appelé nisâb.
Ce montant minimum, en dessous duquel le fidèle n’aura pas de zakât à
payer, est l’équivalent de 85 grammes d’or ou de 595 grammes d’argent.
Actuellement, le montant du nisâb basé sur le cours de l’or est d’environ 4
500 euros.
La zakât est parfois qualifiée d’impôt social de l’islam. S’il est vrai qu’elle
n’a été instituée qu’après la fondation de la cité musulmane de Médine, on
aurait tort de n’y voir qu’un impôt légal visant à consolider les liens de la
première communauté musulmane organisée. Tout d’abord, il faut
remarquer que le terme arabe zakât possède le double sens de purification
et d’accroissement. C’est ainsi que le Prophète affirmait : « Les aumônes
ne font pas diminuer les biens matériels que l’on possède19 ! » De plus,
nous avons vu que l’insistance sur la charité comme composante de la foi
est présente dès les premières révélations à La Mecque.
Du point de vue spirituel, la zakât peut être considérée comme le point de
départ d’une pédagogie qui doit amener le fidèle à se détacher du désir
d’accumulation des richesses matérielles, désir fortement ancré dans
l’ego : « Annonce à ceux qui accumulent l’or et l’argent et qui refusent de
le dépenser dans la voie de Dieu un châtiment douloureux20. » À l’inverse,
le partage et la solidarité avec ceux qui souffrent sont l’expression de la
fidélité pieuse (al-birr) envers Dieu : « … la fidélité pieuse consiste à
donner de ses biens matériels – quelque attachement qu’on leur porte –
aux proches, aux orphelins, aux pauvres, aux voyageurs, aux mendiants, et
de racheter les esclaves pour les libérer21… »
Le jeûne de ramadan
« Ô vous qui avez la foi ! Le jeûne vous a été prescrit comme il a été
prescrit aux peuples qui vous ont précédés. Puissiez-vous atteindre la
piété22. »
Lorsque ce verset fut révélé, en l’an 2 de l’Hégire, la pratique du jeûne
était connue des Arabes depuis la période antéislamique. Les juifs et
chrétiens d’Arabie le pratiquaient, mais également les polythéistes.
On rapporte que lorsque le Prophète arriva à Médine, il apprit que les juifs
jeûnaient le dixième jour du mois lunaire de muharram en souvenir de
Moïse et de la sortie d’Égypte. Il ordonna alors aux musulmans de jeûner
le neuvième et le dixième jour de muharram. Ce jeûne fut une obligation
rituelle jusqu’à la révélation de ce verset. Le jeûne du mois de ramadan
devint alors l’obligation rituelle. C’est ainsi que le jeûne du neuvième
mois de l’année musulmane constitue le quatrième pilier de l’islam.
Le verset précédent, tout en inscrivant le jeûne dans la continuité des
religions abrahamiques, en fait une aide pour réaliser la piété (taqwâ).
Cette attitude intérieure, que l’on traduit parfois par « crainte de Dieu »,
désigne une vigilance sur soi-même dans laquelle le fidèle s’astreint à
n’accomplir que des actes qui le rapprochent de Dieu et à s’abstenir de
tout ce qui pourrait lui faire perdre l’Agrément divin.
Le mois de ramadan est le neuvième mois du calendrier musulman.
Comme ce calendrier est basé sur les cycles de la lune, le mois de ramadan
commence avec l’apparition du nouveau croissant lunaire : « Ce jeûne
devra être observé pendant un nombre de jours bien déterminé. Celui
d’entre vous qui, malade ou en voyage, aura été empêché de l’observer
devra jeûner plus tard un nombre de jours équivalents à celui des jours de
rupture. Mais ceux qui ne peuvent le supporter qu’avec grande difficulté
devront assumer, à titre de compensation, la nourriture d’un pauvre pour
chaque jour de jeûne non observé. Le mérite de celui qui en nourrira
davantage ne sera que plus grand. Toutefois, jeûner est meilleur pour vous,
si vous pouviez le comprendre23. »
Comme le souligne ce verset, le jeûne de ramadan n’est prescrit qu’à ceux
qui ont la force physique de l’accomplir et qui se trouvent dans des
conditions adéquates pour le faire. Ainsi, le malade ou le voyageur peut
reporter son jeûne à plus tard. Quant à la personne incapable de jeûner
(maladie chronique invalidante, vieillesse, etc.), elle devra compenser son
jeûne en nourrissant un pauvre par jour non jeûné. Actuellement, les
théologiens musulmans ont fixé le montant minimal de la compensation
(fidya) à 7 euros par jour.
La femme en période de menstrues ou de lochies (après un accouchement)
ne jeûnera pas et reportera à plus tard les jours non jeûnés.
En dehors du mois du jeûne, le fidèle est invité à jeûner certains jours de l’année
s’il en a la possibilité :
Six jours au choix durant le mois de shawwâl (qui suit celui de ramadan).
D’après un hadith, le fidèle qui aura jeûné ces six jours, en plus du mois de
ramadan, reçoit le mérite d’avoir « jeûné l’année entière ».
Les trois jours du milieu du mois lunaire. Ils sont appelés les jours blancs (al-
ayyâm al-bîd) car ils correspondent au moment de la pleine lune.
Les 9e et 10e jours du mois de muharram, que nous avons déjà évoqués.
Le jour de ‘Arafa qui est le 9e jour du mois du pèlerinage. Plusieurs hadiths
enseignent que ce jeûne « efface les péchés de l’année écoulée et de l’année
suivante ».
Les aspects spirituels du jeûne sont peut-être moins faciles à saisir que
ceux d’autres actes d’adoration comme la prière ou l’invocation.
Extérieurement, le jeûne n’est, en effet, qu’une abstinence de nourriture,
de boisson et de relation conjugale, du lever du soleil jusqu’à son coucher.
Mais cela n’est qu’un point de départ, car le jeûne doit devenir tout à la
fois purification du corps et de l’âme. Pour cela, il faut que le jeûne
s’accompagne d’une attitude de détachement envers les choses de l’ici-bas
et de générosité envers les autres. En ce sens, le Prophète disait : « Le
jeûne ne consiste pas seulement à se priver de nourriture et de boisson : le
jeûne implique d’abandonner paroles frivoles et paroles indécentes. Et si
quelqu’un t’insulte ou se comporte mal envers toi dis-lui : “Je jeûne ! Je
jeûne24 !” »
Au coucher du soleil, le jeûne doit être rompu. Mais cela ne signifie pas
que les nuits du mois de ramadan auraient moins de valeur spirituelle que
les journées. Pour les fidèles, elles sont, au contraire, un temps privilégié
de récitation du Coran et de prière. C’est ainsi que, dans la majorité des
mosquées, sont accomplies les prières appelées tarâwîh, durant lesquelles
environ un trentième du Coran peut être récité chaque soir, de façon à
avoir été récité dans son entièreté à la fin du mois.
La nuit la plus précieuse du mois de ramadan – et même de tout le
calendrier musulman – est celle qui est appelée « la Nuit de la
Détermination » (Laylat al-qadr25). Une courte sourate du Coran lui est
entièrement consacrée : « Certes, Nous l’avons fait descendre au cours de
la Nuit de la Détermination. Et qui te fera connaître la nature de la Nuit de
la Détermination ? La Nuit de la Détermination est préférable à mille
mois. Les anges et l’Esprit descendent avec la permission de leur Seigneur
afin de tout régir. Elle est paix jusqu’au lever de l’aube26. »
La Nuit de la Détermination est, selon l’avis majoritaire en islam, une des
nuits impaires de la dernière décade du mois de ramadan. Toutefois, la
plupart des fidèles accordent une importance particulière à la 27e nuit : ils
la passent en prière, en récitations du Coran et en implorations, chez eux
ou à la mosquée.
Les exégètes précisent que la « descente du Coran » évoquée par ces
versets n’est pas la révélation puisqu’elle eut lieu de façon fragmentée
pendant vingt-trois ans, mais une descente globale du Livre, de la Table
gardée – se situant au plus haut des cieux – jusqu’au ciel de notre monde.
Ils ajoutent que cette nuit est celle où le destin annuel de chaque créature
est apporté sur terre par les anges et l’Esprit. La valeur des actes pieux
accomplis durant cette nuit est démultipliée : en temps ordinaire, mille
mois ne suffiraient pas pour accomplir l’équivalent.
De tout ce qui précède, il apparaît que le jeûne possède des aspects
extérieurs et une dimension intérieure. Lorsqu’elle est amplement
développée, cette dimension intérieure peut déboucher sur la plus haute
spiritualité. Les différents degrés d’approfondissement du jeûne culminent,
selon al-Ghazâlî, avec le « jeûne du cœur ». Reprenant la division
traditionnelle des croyants en trois catégories, al-Ghazâlî distingue le
jeûne du commun des croyants (sawm al-‘umûm), le jeûne de l’élite (sawm
al-khusûs) et le jeûne de l’élite de l’élite (sawm khusûs al-khusûs). Le
jeûne du commun est caractérisé par l’abstention des désirs du ventre et du
sexe. En plus de cela, le jeûne de l’élite consiste à préserver du péché
l’ouïe, la vue, la langue, les mains, les pieds, qui sont les parties
corporelles désignées en islam comme étant « les organes d’action » (al-
jawârih). Outre tout cela, le jeûne de l’élite de l’élite consiste à « préserver
le cœur des préoccupations mondaines et de toutes pensées vaines, de
manière à avoir le cœur entièrement présent à Dieu le Très-Haut27… »
Selon al-Ghazâlî, le jeûne du cœur est celui des prophètes et des saints.
Le pèlerinage à La Mecque
Cinquième et ultime pilier de l’islam, le pèlerinage à La Mecque (al-hajj)
existait bien avant l’islam, comme le souligne ce verset : « En vérité, le
premier temple qui ait été fondé à l’intention des hommes est bien celui de
Bakka : il est à la fois une bénédiction et une guidance pour les mondes.
Terre de signes sacrés, c’est aussi l’Oratoire d’Abraham. Quiconque y
pénètre sera en sécurité28… »
La Mecque est appelée Bakka dans ce verset car c’est le nom originel du
lieu, nom qui devint par la suite Makka. Déjà dans les Psaumes, il est fait
allusion à la vallée aride de La Mecque par son nom originel : « Béni est
celui qui place sa force en Toi, et qui trouve en son cœur les chemins de
ceux qui, passant à travers la vallée de Bacca, en ont fait un lieu plein de
sources29. »
Selon la tradition musulmane, le temple de Bakka fut construit par les
anges avant la descente d’Adam sur terre. Après la perte du Paradis, Adam
reçut l’ordre de Dieu de s’y rendre en pèlerinage. Détruit à l’époque de
Noé par le Déluge, le temple fut reconstruit par Abraham et son fils
Ismaël. Puis, Abraham reçut l’ordre d’appeler les hommes à accomplir le
pèlerinage à cet endroit : « Appelle les hommes au pèlerinage ! Ils
répondront à ton appel, à pied et sur toute monture, venant des contrées les
plus éloignées30. »
Tout cela nous permet de voir comment le Coran rattache explicitement
l’islam – et en particulier les rites du pèlerinage – à la Tradition
primordiale qui n’est autre que la spiritualité vécue aux premiers temps de
l’humanité. L’essence de la Tradition primordiale est désignée dans le
Coran par l’expression « Religion immuable » (al-Dîn al-qayyim)31.
Le pèlerinage à La Mecque doit être accompli par le fidèle, s’il en a les
moyens physiques et matériels, au moins une fois dans sa vie. Les rites du
pèlerinage se déroulent au début du mois de dhû l-hijja, dernier mois du
calendrier musulman. Les rites essentiels du pèlerinage sont les tournées
rituelles (tawâf) autour de la Kaaba, les sept allées et venues entre les
monts de Safâ et de Marwa, la Station dans la plaine de ‘Arafa et la
lapidation des stèles à Muzdalifa.
La Station (wuqûf) dans la plaine de ‘Arafa a lieu le 9 de dhû l-hijja et
constitue le point culminant du pèlerinage. Cette plaine est située au pied
du Mont de la Miséricorde (Jabal al-Rahma). Enveloppés dans leur
vêtement de pèlerin, qui n’est pas sans rappeler le linceul, les fidèles sont
rassemblés – comme une anticipation du Jour de la Résurrection – pour
implorer le pardon de Dieu et Sa Miséricorde, jusqu’au coucher du soleil.
C’est alors qu’ils peuvent quitter la plaine de ‘Arafa pour se rendre à
Muzdalifa où ils auront à lapider des stèles symbolisant le Diable.
Selon al-Ghazâlî, les tournées rituelles autour de la Kaaba sont le symbole
de la Présence divine dans le cœur : « Sache que les tournées rituelles sont
en réalité celles du cœur autour de la Présence divine. Le Temple de la
Kaaba est un symbole, dans le monde sensible (mulk), de cette Présence
que l’œil ne peut percevoir et qui appartient au monde céleste (malakût).
De la même façon, le corps est le symbole visible du cœur qui relève du
monde de la réalité occultée (‘âlam al-ghayb). »
Dans la même perspective spirituelle, al-Ghazâlî souligne qu’il existe une
« analogie » entre l’adoration des hommes et celle des anges : « En vertu
de l’analogie entre le plan terrestre et le plan spirituel, la Kaaba
correspond au “Temple fréquenté” (al-Bayt al-ma‘mûr) qui se situe dans
les cieux. Les tournées rituelles que font les anges autour de ce temple
sont l’archétype de celles que font les hommes autour de la Kaaba32. »
Les fêtes religieuses
À proprement parler, il n’y a que deux fêtes religieuses en islam : ce sont
les deux Aïds.
La première fête du calendrier musulman est celle qui clôt le mois de
ramadan : elle est appelée ‘Îd al-fitr, c’est-à-dire la fête de la rupture du
jeûne. Également appelé al-‘Îd al-saghîr (le « petit Aïd »), elle débute par
une prière collective qui est précédée par des formules de glorification de
Dieu (tasbîh). Cette prière est suivie par un sermon rappelant aux fidèles
les bienfaits spirituels du jeûne et la récompense divine qui lui est liée. Il
est recommandé aux fidèles, avant même de se rendre à cette prière, de se
purifier par les grandes ablutions.
Le reste de la journée se déroule dans une ambiance familiale et festive.
De nombreuses pâtisseries sont confectionnées spécialement pour ce jour.
Le ‘Îd al-fitr est ainsi un moment de réjouissance, mais c’est également un
temps de pardon durant lequel il est particulièrement recommandé de
rétablir les liens qui se sont distendus et d’effacer toute rancune envers
quiconque.
La seconde fête est celle du ‘Îd al-adhâ, la fête du sacrifice. Également
appelée ‘Îd al-kabîr (le « grand Aïd »), la fête religieuse du sacrifice est
une commémoration du sacrifice d’Abraham. Comme dans la Bible, le
Coran enseigne que la sincérité d’Abraham fut mise à l’épreuve par Dieu.
Pour ce faire, Dieu lui fit savoir qu’Il attendait de lui qu’il sacrifiât le fils
qu’il avait eu de manière miraculeuse alors qu’il était très âgé et ne pensait
plus pouvoir être père : « – Mon cher fils ! J’ai vu en songe que je
t’immolais. Vois ce qu’il y a lieu de faire ! – Ô mon père, fais ce qui t’est
ordonné ! Tu me verras, s’il plaît à Dieu, parmi ceux qui font preuve de
patience33. »
Le fils qui répond à Abraham dans ce verset n’est pas identifié mais la
plupart des exégètes l’identifient à Ismaël, l’ancêtre des Arabes.
Alors qu’Abraham, pleinement soumis à l’ordre divin, s’apprêtait à
immoler son fils consentant, Dieu arrêta la main du père pour préserver la
vie de l’enfant : « Tous les deux s’étaient résignés à la Volonté divine. Et
déjà le père avait couché le front de son fils contre terre, lorsque nous
l’appelâmes : “Ô Abraham ! Tu as certes été sincère envers la vision que
tu as reçue.” C’est ainsi que Nous rétribuons les vertueux. Ce fut une
épreuve très révélatrice ! Nous avons racheté son sacrifice par une
offrande de grande valeur et Nous fîmes perdurer sa renommée à travers
les générations ultérieures. Que la paix soit sur Abraham34 ! »
Un bélier fut alors substitué pour le sacrifice demandé par Dieu. C’est
cette substitution miséricordieuse qui est commémorée chaque année par
les musulmans lors de la fête religieuse du ‘Îd al-adhâ qui a lieu le 10 du
mois de dhû l-hijja, le mois du grand pèlerinage à La Mecque.
Comme pour l’Aïd de rupture du jeûne, la journée de la fête du sacrifice
débute par la récitation de formules de glorification de Dieu, puis les
fidèles assistent à une prière collective suivie d’un sermon.
Ce sacrifice rappelle aux croyants qu’ils doivent être en mesure de faire
des sacrifices s’ils veulent être fidèles à la Volonté de Dieu. Le soufisme
donne un sens universel au sacrifice demandé à Abraham et le considère
comme une invitation à sacrifier entièrement l’ego. En tant qu’obstacle
entre le croyant et son Seigneur, l’ego doit s’éteindre complètement face à
la Volonté divine. Cet effort, parfois douloureux, est désigné dans le
soufisme par l’expression « abandon de la volonté propre » (tark al-
tadbîr) : « Sache qu’il est une catégorie de serviteurs de Dieu qui ont
renoncé à toute autonomie en Sa Présence… leurs connaissances et leurs
secrets ont fait voler en éclats les “montagnes” de leur volonté propre35. »
En dehors des deux Aïds, certains événements marquants sont célébrés
annuellement par les musulmans. C’est le cas de la naissance du Prophète
(al-Mawlid) commémorée le 12 du mois de rabî‘ al-awwal, troisième mois
du calendrier musulman. Sans être une fête religieuse au même titre que
les deux Aïds, la célébration du Mawlid est considérée par les oulémas
comme une expression de la gratitude du fidèle envers Dieu pour l’envoi
de Son ultime messager.
L’imploration
En dehors de la prière canonique (salât), il existe une forme de prière libre
et spontanée dans laquelle le croyant peut s’adresser à Dieu en toute
situation et sans condition de pureté rituelle. Cette forme de prière est
appelée du‘â’, c’est-à-dire « imploration » ou « supplication ».
Dans l’imploration, le fidèle peut s’adresser à Dieu dans n’importe quelle
langue et dans ses propres termes, mais certaines implorations coraniques
ou prophétiques sont très souvent utilisées.
L’invocation (dhikr)
« N’est-ce pas par l’invocation de Dieu que les cœurs s’apaisent44 ? »
Le terme arabe dhikr que nous avons rendu en français par « invocation »
peut aussi être traduit par « souvenir », « rappel » ou « mention ». Pour
respecter cette polysémie, on peut proposer la périphrase suivante :
« Rappel de Dieu par la répétition d’un Nom divin ou d’une formule
sacrée. »
L’obstacle majeur à la paix intérieure est constitué par les pensées qui
s’imposent par leur force au mental. Quelle qu’en soit l’origine – craintes
ou désirs –, ces pensées créent une agitation intérieure qui s’oppose au
recueillement et à la sérénité. La nature agitée du mental est donc une
prison dont le fidèle doit apprendre à se libérer.
La répétition abondante d’une formule sacrée permet de concentrer la
pensée du croyant sur le contenu spirituel de ladite formule. Par ce biais,
l’amour de Dieu s’empare progressivement du cœur et y infuse la paix et
la sérénité. En d’autres termes, l’invocation persévérante de Dieu dissout
le mental dans la bienheureuse Lumière divine qui embrasse toute chose.
À ce sujet, le Prophète déclara : « Nul groupe ne s’assoit pour invoquer
Dieu sans que les anges les entourent, que la Miséricorde les enveloppe,
que la Paix de Dieu (Sakîna) descende sur eux et que Dieu les mentionne
aux anges qui sont auprès de Lui45. »
En de nombreux versets, le Coran présente l’attachement du cœur à
l’invocation de Dieu comme un des signes majeurs de la foi : « Seuls sont
croyants ceux dont les cœurs frémissent à l’invocation de Dieu, ceux dont
la foi augmente quand Ses versets leur sont récités et qui, en toutes choses,
s’en remettent à Lui46… » Selon ce verset, la foi ne saurait être véritable
sans la réceptivité du cœur à l’invocation de Dieu. Cette réceptivité est
marquée par une réaction appelée wajal dans le verset, terme que nous
rendons par « frémissement ». Un autre passage du Coran met en relation
la paix du cœur (ikhbât) avec le frémissement produit par l’invocation de
Dieu : « Annonce la bonne nouvelle à ceux qui demeurent dans la paix du
cœur : ce sont ceux dont le cœur frémit à l’invocation de Dieu47… »
Mais le frémissement du cœur est loin de représenter, à lui tout seul, une
transformation intérieure complète. Il n’est, en effet, que les prémices
d’une illumination possible. C’est pourquoi le Coran insiste sur
l’invocation abondante et persévérante : « Ô vous qui avez la foi, invoquez
Dieu abondamment et glorifiez-Le en début et en fin de journée. C’est Lui
qui appelle la grâce sur vous – ainsi que Ses anges – afin de vous faire
passer des ténèbres à la lumière48… »
De même, le Prophète insista sur l’invocation comme remède à la tiédeur
de la foi : « Renouvelez votre foi en multipliant la répétition de la
formule : “Il n’est de divinité que Dieu” (lâ ilâha illâ Llâh)49. »
Dans le soufisme, l’invocation de Dieu tient une place tout à fait centrale.
En effet, le soufisme transmet, outre les formules d’invocation accessibles
à tout fidèle, des formes d’invocation qui ont un caractère initiatique,
c’est-à-dire qu’elles doivent être reçues lors d’une initiation (talqîn) et se
transmettre grâce à une chaîne de transmission (silsila) remontant au
Prophète. L’initiation transmet la bénédiction prophétique (barakat al-
Rasûl), laquelle soutient l’initié dans ses efforts spirituels.
1. Coran : 6, 162.
2. Cité par al-Tirmidhî dans ses Sunan, n° 2813.
3. Coran : 5, 6.
4. Coran : 21, 30.
5. Cité par Muslim dans son Sahîh, n° 223.
6. Ihyâ’, I, p. 464.
7. Coran : 5, 6.
8. Coran : 2, 222.
9. Coran : 53, 9.
10. Voir à ce sujet les deux hadiths suivants : al-Bukhârî, al-Sahîh, n° 350 et Muslim, al-Sahîh, n°
434.
11. Coran : 4, 103.
12. Coran : 29, 45.
13. Litt. L’Ouvrante. Elle est appelée ainsi parce que, bien que n’étant pas la première révélation,
c’est par elle que s’ouvre le recueil du Coran.
14. Coran : 2, 144.
15. Cité par al-Bukhârî, al-Sahîh, n° 505.
16. Coran : 2, 45-46.
17. Il s’agit ici d’une année lunaire puisque le calendrier musulman est basé sur le cycle de la lune.
S’il prend pour référence une année solaire (365 jours), le fidèle devra donner 2,579 % de ses biens.
18. Coran : 9, 60.
19. Suyûtî, al-Jâmi‘ al-saghîr, n° 3449.
20. Coran : 9, 34.
21. Coran : 2, 177.
22. Coran : 2, 183.
23. Coran : 2, 184.
24. Cité par al-Hâkim dans al-Mustadrak, n° 1579.
25. On traduit parfois cette expression par « Nuit du Destin » ou encore « Nuit de la Valeur ».
26. Coran : 97, 1-5.
27. Voir Le Ramadan et les vertus du jeûne, trad. fr. par Maurice Gloton, éditions Albouraq, Paris,
2009, ch. 2.
28. Coran : 3, 96.
29. Psaume 84, « Chant du Pèlerinage », versets 6-7.
30. Coran : 22, 27. Sur ce sujet, voir également Martin Lings, La Mecque. Des origines à nos jours,
éditions Tasnîm, Wattrelos, 2012, chapitre 2.
31. Coran : 30, 30.
32. Al-Ghazâlî, Ihyâ’, II, p. 245.
33. Coran : 37, 102.
34. Coran : 37, 103-109.
35. Ibn ‘Atâ’ Allâh, L’Abandon de la volonté propre, éditions Alif, Paris, 1997, p. 87.
36. Al-Suyûtî, Le Mawlid. Fatwa sur la célébration de la naissance du Prophète, trad. fr. par Fayçal
Znati, éditions Tasnîm, Wattrelos, 2014, p. 70.
37. Coran : 2, 201.
38. Coran : 3, 8.
39. Cité par Muslim dans son Sahîh, n° 7081.
40. Il existe des ouvrages de piété qui présentent toutes ces implorations. Voir, par exemple, Sadik
Charaf, Le Rappel et les invocations du musulman, éditions Maison Ennour, Paris, 2011.
41. Coran : 2, 186.
42. Cité par al-Tirmidhî dans ses Sunan, n° 3957.
43. Ibn ‘Atâ’ Allâh, Hikam. Paroles de sagesse, éditions Arché, Milan, 1999, sagesse n° 6.
44. Coran : 13, 28.
45. Cité par Muslim dans son Sahîh, n° 7030.
46. Coran : 8, 2.
47. Coran : 22, 34-35.
48. Coran : 33, 41.
49. Cité par al-Hâkim dans al-Mustadrak, n° 7657.
50. Fayd al-Qadîr, hadith n° 3581.
CHAPITRE 8
Le mariage
« C’est un de Ses signes d’avoir créé, à partir de vous-mêmes, des épouses
afin que vous trouviez auprès d’elles votre sérénité, et d’avoir suscité entre
elles et vous affection et tendresse1. »
L’expression « à partir de vous-mêmes » fait référence à la création du
premier être humain qui fut un être androgynique, donc ni masculin ni
féminin. Dans un second temps, Dieu divisa cet être pour en faire le
couple originel, celui d’Adam et Ève.
À cette séparation en deux, vint s’ajouter la désobéissance du couple qui
mangea du fruit de l’arbre défendu au Paradis : « Ô fils d’Adam ! Ne vous
laissez pas tenter par Satan, comme vos parents qu’il a fait sortir du
Paradis, en les dépouillant de leurs vêtements pour leur montrer leur
nudité2. » En prenant conscience de leur « nudité », Adam et Ève
oublièrent leur origine androgynique et se perçurent comme des individus
entièrement indépendants. Ils furent par là même entraînés vers un état de
dualité et d’opposition.
Toute spiritualité suppose, entre autres choses, de garder à l’esprit la
nécessité pour l’homme de dépasser la perception dualiste des choses et de
rechercher, à l’inverse, l’harmonie des contraires. Dans ce cadre, la
sexualité ne saurait donc être une simple recherche de sensations et de
plaisir personnel. Elle représente, en islam, une voie d’accomplissement
de soi. Mais pour véhiculer une spiritualité de cet ordre, l’union sexuelle
doit être bénie par le Créateur. C’est là le rôle du mariage, comme
bénédiction des liens sacrés entre les époux.
De cette manière, il s’agit pour l’homme et la femme de retrouver la
plénitude de l’être humain dans son état originel, plénitude désignée dans
le verset 30, 21 précédemment cité par le terme « sérénité ». Toutefois, la
plénitude qui peut être réalisée dans le cadre du mariage préexiste au fond
de chaque être humain, qu’il soit homme ou femme. L’être humain, en
effet, outre le corps et la psychè [ou l’âme (nafs)], possède l’esprit (rûh)
qui seul est au-delà du masculin et du féminin.
La question du divorce
De nos jours, il est un verset qui est parfois cité comme argument censé
prouver la misogynie du Coran : « Les épouses vertueuses demeurent
toujours fidèles à leur mari pendant leur absence et préservent leur
honneur, conformément à l’ordre que Dieu a prescrit. Quant à celles dont
vous craignez les incartades, commencez par les exhorter, puis faites lit à
part et, si nécessaire, corrigez-les. Mais dès qu’elles reviennent au bon
comportement, ne leur cherchez plus querelle12. » Même si elle n’est
donnée qu’en ultime recours, la possibilité pour le mari d’infliger une
correction à son épouse peut heurter légitimement la sensibilité, surtout
lorsque l’on ne possède pas l’éclairage contextuel et culturel permettant de
comprendre la raison d’être de ce verset.
Dans l’Arabie du VIIe siècle, les époux pouvaient s’absenter pour de
longues périodes – par exemple, pour le commerce – et il arrivait que les
femmes restées seules trompent leur mari et les déshonorent, ce qui
donnait lieu à des drames. Ce verset propose au mari trois attitudes
graduelles visant à consolider la fidélité et restaurer les liens du couple.
Tout d’abord le dialogue et l’exhortation. Si cela ne suffit pas, il est
proposé à l’époux de faire lit à part. La correction physique n’est donc
qu’un pis-aller : si elle est tolérée comme ultime recours, elle n’est pas
encouragée pour elle-même.
Encore faut-il ajouter qu’al-Tabarî et nombre d’exégètes précisent qu’il
s’agit d’une frappe non douloureuse (ghayr mubarrih), et citent en
exemple la correction symbolique que le prophète Job donna à son épouse
avec une gerbe de brindilles13.
La clef pour comprendre cette permission réside dans la rudesse des
relations humaines qui existait dans toutes les civilisations anciennes.
L’adoucissement des mœurs marque l’Occident depuis environ un siècle,
et s’étend peu à peu au reste du monde. On ne saurait s’en plaindre. Mais
il faut toutefois remarquer que cet adoucissement donne parfois lieu à un
ramollissement et un affaiblissement qui n’ont rien d’enviable. Comme le
remarque F. Schuon : « L’adoucissement des mœurs – dans la mesure où il
n’est pas illusoire – ne peut être une supériorité intrinsèque qu’à deux
conditions, à savoir, premièrement, qu’il soit un avantage concret pour la
société, et deuxièmement que son prix ne soit pas ce qui donne un sens à
la vie14. »
Enfin, il faut remarquer que l’adoucissement des mœurs contemporain
n’est pas capable, à lui seul, de faire disparaître de l’Occident moderne les
violences faites aux femmes, comme le montrent le nombre
impressionnant de féminicides, la persistance de la violence domestique et
les cas d’agressions sexuelles dont on commence à peine à parler plus
ouvertement.
Dès lors que le Coran ne s’adresse pas qu’à des hommes et des femmes de
haute spiritualité, il doit tenir compte des capacités humaines très diverses
que l’on ne manque pas de rencontrer dès qu’il s’agit d’une communauté
humaine élargie. Et il revient au Prophète d’incarner et d’enseigner la voie
à suivre pour réaliser la perfection vers laquelle peut tendre l’être humain.
Ainsi, le Prophète ne leva jamais la main sur aucune de ses épouses et
disait : « Les croyants les plus parfaits sont ceux qui possèdent la plus
grande noblesse de caractère et les meilleurs d’entre vous sont ceux qui
sont les meilleurs avec leur épouse15. » Et il ajoutait : « … les meilleurs
hommes ne frappent pas leur femme16. »
La parentalité
Parmi les dimensions de la vie qui peuvent nourrir la spiritualité du fidèle,
la parentalité occupe une place de choix. L’éducation d’un ou plusieurs
enfants met le parent concerné dans des situations tantôt sources de
bonheur, tantôt sources de souffrance. Face aux difficultés inévitables de
l’éducation, deux attitudes existent : la remise en cause ou l’entêtement.
Cela explique le rôle de moteur spirituel que peut avoir la parentalité. En
ce sens, on ne peut éduquer un enfant qu’en travaillant sur soi-même.
En particulier, les parents doivent apprendre à dépasser l’anxiété
concernant l’avenir et la peur de manquer. Dans l’Arabie antéislamique, la
crainte de la misère pouvait pousser certains parents jusqu’à la mise à mort
de leurs enfants, surtout les filles puisqu’elles étaient considérées comme
une charge économique pour la famille : « Ne mettez pas à mort vos
enfants par crainte de la misère. C’est Nous qui pourvoyons à leurs
besoins ainsi qu’aux vôtres. Les tuer est un crime abominable17. » C’est
pourquoi le Prophète enseigna qu’il faut considérer chaque enfant, garçon
ou fille, comme un « cadeau de Dieu » (hibat Allâh) : « En vérité, vos
enfants sont un cadeau que Dieu vous a fait : Il accorde des filles à qui Il
veut, et Il accorde des garçons à qui Il veut18… »
Du reste, le Prophète fut un exemple de parentalité pour ses contemporains
par la façon dont il éduqua ses filles et par sa tendresse paternelle envers
elles. À ce propos, ‘Â’isha était admirative de la relation qui existait entre
le Prophète et Fâtima, une des filles qu’il eut avec Khadîja, sa toute
première épouse : « Je n’ai vu personne qui ressemble autant à l’Envoyé
de Dieu que Fâtima dans ses attitudes. Lorsqu’elle entrait chez lui, il se
levait pour l’embrasser et la faire assoir à sa place ; lorsque le Prophète
entrait chez elle, elle se levait pour l’embrasser et le faire assoir à sa
place19. »
Ainsi, l’amour du Prophète pour ses enfants et petits-enfants est demeuré
célèbre en islam. Son épouse rapporte qu’un jour, alors que le Prophète
était assis dans sa mosquée, al-Hasan, l’un de ses deux petits-fils passa
devant lui. L’amour envahit le cœur du grand-père à la simple vue d’al-
Hasan. Le Prophète attrapa alors son petit-fils et l’embrassa. Un musulman
de passage à Médine lui dit alors : « Vous embrassez donc vos enfants ? »
L’homme ajouta : « Par Dieu, j’ai dix enfants et je n’en ai jamais embrassé
aucun ! » Le Prophète conclut alors : « Que puis-je pour toi si Dieu a retiré
de ton cœur la miséricorde (rahma) ? Qui ne fait pas miséricorde, ne
recevra pas la Miséricorde de Dieu20 ! »
Le voisinage
Dans l’ordre des relations sociales en islam, la relation entre voisins est
considérée comme l’une des plus fondamentales. Ne pas faire subir de
nuisance à son voisin est présenté par le Prophète comme une des
conditions de l’obtention du salut dans l’Au-delà : « N’entrera pas au
Paradis celui dont le voisin n’est pas à l’abri de ses nuisances21. »
Selon un hadith, l’ange Gabriel recommanda si souvent au Prophète de
rappeler aux croyants l’importance de bien traiter ses voisins que ce
dernier fit à ses Compagnons la confidence suivante : « L’ange Gabriel a
tellement insisté auprès de moi sur l’obligation de prendre soin de ses
voisins que je croyais qu’il allait leur accorder une part dans les droits
d’héritage22. »
L’expression « prendre soin de ses voisins » ne doit pas être comprise
comme se limitant au respect qui leur est dû. L’islam instaure, en effet, un
devoir de solidarité du croyant envers ses voisins. En ce sens, le Prophète
déclara : « N’est pas croyant celui qui se rassasie alors que son voisin est
affamé23. »
Enfin, ajoutons ici que le respect et l’aide à apporter au voisin dépassent
les frontières confessionnelles. Il ne s’agit donc pas de solidarité
intracommunautaire, mais d’un sentiment de fraternité humaine. C’est
ainsi que ‘Abd Allâh ibn ‘Umar, Compagnon éminent et fils du deuxième
calife, prenait grand soin de son voisin juif. Un jour, alors que les
membres de sa famille venaient de procéder à l’abattage rituel d’un
mouton chez lui, il leur demanda à plusieurs reprises : « Avez-vous offert
une part à notre voisin juif ? Avez-vous offert une part à notre voisin
juif24 ? »
La vie professionnelle
L’islam, comme toutes les religions révélées, intègre le travail dans la vie
spirituelle du fidèle. Qu’il soit salarié ou non, le travail au sens large n’est
pas considéré comme une fin en soi, ni même comme une simple façon de
« gagner sa vie ». Pour acquérir un sens spirituel, le travail – comme toute
action exercée dans le monde – doit devenir le prolongement de la vie
intérieure. C’est pourquoi, il a existé en islam, comme dans toutes les
sociétés traditionnelles, des corporations de métiers (futuwwa ou
ukhuwwa) dans lesquelles des enseignements spirituels étaient transmis
parallèlement aux techniques propres d’une profession donnée.
Si les métiers traditionnels étaient si aisément compatibles avec une
démarche spirituelle, c’est parce qu’ils reflétaient, à un niveau ou un autre,
l’action du Créateur. La relation entre l’activité exercée et l’Acte divin
repose moins sur la matérialité de l’acte que sur le symbolisme. Il y a
analogie entre la création du monde et les procédés utilisés dans les
métiers traditionnels : de même que l’Acte divin (Principe actif) met en
ordre la Nature (Principe passif), l’artisan muni de ses outils imprime
ordre et harmonie à une matière brute.
Au-delà des métiers particuliers, l’être humain, en tant que « représentant
de Dieu sur terre » (khalîfatu Llâhi fî l-ard25), a la charge de perpétuer
l’ordre divin sur terre26.
Les œuvres d’adoration de Dieu (prière, jeûne, aumônes, etc.) et les actes
accomplis dans le cadre du travail sont désignés par le même terme en
Islam : dans les deux cas, c’est le terme ‘amal qui sert à les désigner. Cela
montre qu’il n’y a pas de frontière étanche entre les deux domaines.
Toutefois, le travail accompli dans le cadre de la vie professionnelle ne
peut prendre une dimension spirituelle que s’il respecte certains critères.
Ces critères sont essentiellement les suivants : la nécessité, la licéité et le
souci de perfection ou excellence. Le caractère nécessaire d’une action
signifie que l’activité envisagée répond à une exigence de la vie : se
nourrir, se vêtir, se loger, se soigner, acquérir la connaissance, etc.
L’activité qui n’est qu’une réponse à un caprice ou à la frivolité ne saurait
donc satisfaire à ce critère. Le caractère licite d’une activité, pour sa part,
est conforme aux prescriptions du Coran et de la Sunna, et plus
généralement de la jurisprudence islamique. Quant au souci de perfection
(ihsân), il désigne la recherche de l’harmonie et de la beauté dans
l’accomplissement de tout acte. Deux hadiths éclairent ce souci de
perfection : « En vérité, Dieu est Beau et Il aime la beauté27 », « Dieu a
prescrit le souci de perfection (ou l’excellence) pour toutes choses28… ».
L’éthique islamique du travail repose sur deux principes fondamentaux. Le
premier est le respect des engagements contractuels : « Ô vous qui
croyez ! Respectez vos engagements29. » L’autre principe est l’honnêteté
scrupuleuse : « Respectez la juste mesure et le bon poids en toute équité !
Nous n’imposons à une âme que ce qu’elle peut supporter30 ! » Ce verset,
comme plusieurs autres, insiste sur l’honnêteté dont il faut faire preuve
dans les transactions commerciales, mais il peut bien sûr s’appliquer à
d’autres domaines.
LA SPIRITUALITÉ AU QUOTIDIEN
Finalement, tout ce qui précède nous aura aidés à comprendre que, dans le
cadre de la spiritualité islamique, l’amour ne saurait se réduire à un pur
sentimentalisme. L’amour spirituel, en effet, est intimement lié à la
connaissance spirituelle. La connaissance du Créateur nous amène à
L’aimer, et cet amour nous amène à aimer Ses créatures. En retour, qui
aime les créatures de Dieu sera aimé du Créateur, et il lui sera permis de
Le connaître plus profondément. Il y a là un cercle vertueux de première
importance.
Décrivant la réciprocité entre l’amour et la connaissance dans les
enseignements spirituels de l’islam, Titus Burckhardt écrit : « La
connaissance de Dieu engendre toujours l’amour, et l’amour présuppose
une connaissance – au moins indirecte et par reflet – de l’objet aimé.
L’amour spirituel a pour objet la Beauté divine, qui est un aspect de
l’Infinité ; par cet objet, le désir devient lucide… C’est par son objet, la
Beauté, que l’amour coïncide virtuellement avec la connaissance25. »
Terminons cette évocation de l’importance de l’amour en islam par un
hadith qui affirme que la foi n’est authentique que si elle devient le point
de rencontre entre la dimension verticale de l’amour de Dieu et la
dimension horizontale de l’amour d’autrui : « Dès lors que deux individus
s’aiment en Dieu, le plus aimé par Dieu est celui qui possède le plus grand
amour pour l’autre26. »
A
‘Abd Allâh ibn ‘Umar 34, 179
‘Abd al-Salâm Sahnûn 58
Abdelkader (émir) 88
‘Abduh, Muhammad 91
Abel 124
Abraham (Ibrâhîm) 12, 25, 109, 136, 151, 161, 164, 165
Abû Bakr 30, 31, 35, 40, 49, 54
Abû Damdam 143
Abû Dâwud 46
Abû Dharr al-Ghifârî 36, 65
Abû Hanîfa al-Nu‘mân 56
Abû Hurayra 34, 44
Abû l-Dardâ’ 85, 86
Abû Mûsâ al-Ash‘arî 41, 85
Abû Tâlib 22, 24
adab al-ikhtilâf (éthique du désaccord) 118
Afghânî, Jamal al-Dîn al- 91
Aguéli, Ivan 92
Ahl al-suffa (les « Gens de la Banquette ») 65
‘Â’isha 29, 34, 35, 55, 177
âkhira, al- (l’Au-delà) 114
Âl al-Bayt (La Famille du Prophète) 33
‘Alawî, Ahmad al- 88, 96
Algérie 11, 61, 84
‘Alî ibn Abî Tâlib 33
Âmolî, Haydar 79
Anas ibn Mâlik 36, 46
‘aqîda (credo) 67
‘aql (raison, intellect) 71
Arabie 20, 24, 28, 54, 61, 83, 89, 102, 103, 108, 111, 143, 157, 175,
177, 186, 191
Aristote 77, 78, 79
arkân al-islâm (piliers de l’islam) 56, 149
Arménie 40
Ash‘arî, Abû l-Hasan al- 70, 71
Avicenne (Ibn Sînâ) 76, 77
B
Badr 27, 120
Bagdad 60, 67, 71, 73, 74, 75, 76, 84
Bannâ, Hasan al- 92
baraka (bénédiction, influx spirituel) 62, 89
Basrî, al-Hasan al- 36, 65, 67
Bassora 35, 36, 41, 42, 65, 67, 70
Bibliander, Théodore 9
bid‘a (innovation) 88
birr (fidélité pieuse) 137, 156
Bosnie 127
Bouddha 111
Bukhârî, Muhammad ibn Ismâ‘îl al- 45, 46, 58
Burckhardt, Titus 81, 93, 192
Bûsîrî, Sharaf al-Dîn al- 83
C
Caïn 124
chiisme 33, 46, 49, 50, 61, 79, 91
Chodkiewicz, Michel 94
chrétiens 9, 90, 122, 157
Compagnons (sahâba) 22, 27, 28, 30, 32, 33, 34, 35, 36, 39, 40, 44,
46, 49, 50, 55, 58, 65, 85, 86, 102, 105, 116, 119, 120, 122, 130,
134, 141, 143, 154, 178, 192
Confucius 111
Constantinople 84
D
Dahhâq ibn Muzâhim, al- 125, 126
da‘îf (hadith faible) 47
Damas 32, 41, 74, 77, 81, 83, 86, 126
Darqâwî, al-‘Arabî al- 88, 96
David 109
Dhât (Essence divine) 106
dhikr (invocation) 168
Dihya al-Kalbî 108
du‘â’ (imploration) 153, 166
E
Égypte 12, 32, 58, 60, 84, 91, 92, 94, 157
Empire byzantin 20
F
fanâ’ (extinction de l’ego) 102
Fârâbî, al- 77
Farghânî, al- 74
fath (illumination du cœur) 71
Fâtima (fille du Prophète) 22, 33, 177
Fihriyya, Fâtima al- 86
fiqh (Droit islamique, jurisprudence) 45, 52, 54, 55, 56, 57, 58, 59,
61, 85
fitra (pureté originelle) 150
Frédéric II 10
G
Gabriel (Jibrîl) 23, 25, 38, 39, 105, 108, 152, 178
Gandhi 126, 127
Ghazâlî, Abû Hâmid al- 36, 62, 66, 72, 78, 79, 96, 102, 132, 150,
160, 161, 162, 163
ghusl (ablution majeure) 151
Gibran, Khalil 91
Goethe 10
Görke, Andreas 20
Guénon, René 92, 94
H
hafaza (anges gardiens) 109
Hafez 11
Hafsa 31, 40, 41
Hammâm ibn Munabbih 44
Hamza 27, 120
haqîqa (vérité, dimension ésotérique) 62
harb (guerre) 118, 119
Hârûn al-Rashîd 84
hasan (hadith validé) 47
hijâb (foulard, voile) 186
Hind 120
Hirâ’, grotte de 22, 23, 31, 38
Hishâm ibn ‘Urwa 55, 57
Hûd 111
Hudaybiyya 27, 65
Hudhayfa ibn al-Yamân 40
Hunayn Ibn Ishâq 77
I
‘ibâdât (règles cultuelles, actes d’adoration) 56
ibâha (licéité originelle) 183
Ibn ‘Abbâs 34, 36, 42
Ibn Abî Zayd al-Qayrawânî 58, 107
Ibn ‘Arabî 66, 79
Ibn ‘Âshir, ‘Abd al-Wâhid 82
Ibn ‘Atâ’ Allâh 167
Ibn Bâbawayh 46
Ibn Hanbal, Ahmad 45, 60, 61, 69, 70, 140
Ibn Hishâm 20
Ibn Ishâq 20
Ibn Khaldûn 65, 85
Ibn Mâjah 46
Ibn Mas‘ûd 36, 41, 42, 86
Ibn Nadîm 42
Ibn Qudâma 61
Ibn Rushd (Averroès) 79
Ibn Taymiyya 88, 89
‘Îd al-adhâ (fête du sacrifice) 164, 165
‘Îd al-fitr (fête de la rupture du jeûne) 163, 164
ihsân (excellence, vertu parfaite) 63, 105, 132, 180
ijmâ‘ (consensus des savants) 55
ijtihâd (effort d’interprétation) 54, 91
ikhbât (paix du cœur) 169
ikhlâs (pureté d’intention) 139, 140
îmân (foi) 105
Imrû l-Qays 82
Inde 14, 50, 82
Irak 32, 35, 50, 57, 60
Iran 11, 50, 186
Isaac (Ishâq) 136
islâm (soumission à la Volonté divine) 42, 105
Ismaël (Ismâ‘îl) 161, 164
isnâd (chaîne de transmission) 46
Isrâfîl 108
J
Jacob (Ya‘qûb) 136
Ja‘far al-Sâdiq 50, 57, 61
Jean le Baptiste (Yahyâ) 81
Jérusalem 25, 30, 32, 81, 154
Jésus 12, 13, 25, 109, 110
jihâd (effort, djihad) 118, 137
Jîlânî, ‘Abd al-Qâdir al- 67, 89
jilbâb (tunique) 187
Jubbâ’î, Abû ‘Alî al- 70
juifs 26, 122, 157, 184
Jum‘a, ‘Alî 94
Junayd, al-Baghdâdî al- 63, 65, 83
K
Kaaba 21, 25, 40, 81, 82, 149, 162, 163
Kalâbâdhî, al- 72
karam (générosité) 136
kashf (dévoilement initiatique) 102
Ketton (de), Robert 9
Khan, Gengis 84
Khan, Houlagou 84
Khâtim al-nabiyyîn (Sceau des prophètes) 19, 104
khatt al-‘arabî, al- (calligraphie arabe) 80
khimâr (voile) 187
khushû‘ (recueillement) 155
khutbat al-wada‘ (Sermon d’adieu) 29
Kindî, al- 77
Koufa 36, 41, 55, 56, 57, 77, 85, 86
Krishna 111
Kulaynî, Muhammad ibn Ya‘qûb al- 46
Kumayl ibn Ziyâd 51
L
Lamartine 11
La Mecque 20, 21, 22, 23, 24, 25, 27, 28, 30, 31, 35, 36, 56, 59, 84,
85, 119, 123, 143, 154, 156, 161, 162, 165
Lao Tseu 111
Laylat al-qadr (Nuit de la Détermination) 159
Le Caire 41
Lings, Martin 94
Loth (Lût) 136
Lulle, Raymond 10
M
madhhab, pl. madhâhib (Écoles juridiques) 54
Maghreb 58, 87
Mahmûd, ‘Abd al-Halîm 94
Mahmutćehajić, Rusmir 127
Maïmonide 86
malak, pl. malâ’ika (ange) 108
Mâlik ibn Anas 55, 57, 59
Ma‘mar ibn Râshid 45
Ma’mûn, al- 69, 73
Marie (Maryam) 13, 110
Maroc 82, 92
Marrakech 96
mathal, pl. amthâl (symbole, parabole) 43, 113
Mâturîdî, al- 71
Mâwardî, al- 86
mawdû’ (hadith apocryphe) 47
Médine 26, 27, 32, 34, 36, 39, 40, 55, 57, 58, 59, 65, 82, 85, 86, 105,
108, 119, 120, 122, 123, 137, 154, 156, 157, 178
mihna (persécution) 69
Mîkâ’îl (Michel) 108
mi‘râj (Ascension) 25, 152
Moïse (Mûsâ) 13, 20, 25, 109, 135, 152, 157, 183
Mollâ Sadrâ 80
Motzki, Harald 20, 42
mu‘âmalât (relations interpersonnelles) 56
Mu‘âwiya 61, 83, 85
Muhammad ibn ‘Abd al-Wahhâb 89
Munâwî, al- 97, 140, 169
Mundhirî, al- 48
murîd (disciple) 64
murshid (guide spirituel) 64
Musabbib al-asbâb (Causateur des causes) 135
Mus‘ab ibn ‘Umayr 39
Musaylima 40
Muslim ibn al-Hajjâj 46
Muslim ibn Khâlid al-Zanjî 59
Mustafa Kemal 84
Mutawakkil, al- 70
Mutazilisme 68, 69, 70
N
Nâfi‘ 57, 58
nafs (âme) 172
Nakha‘î, Ibrâhîm al- 55
Naqshaband, Bahâ’ al-Dîn 67
Nasâ’î, al- 46
Nasr, Seyyed Hossein 49, 94
Nawawî, al- 48, 60
Nerval (de), Gérard 11
O
Occident 9, 11, 76, 77, 79, 90, 93, 94, 137, 175, 176
P
Perse 20, 32, 50, 79
Q
qâdî (juge, cadi) 85
qitâl (combat) 118
qiyâs (raisonnement par analogie) 55, 57, 59
Qurayshites 21, 27, 35, 119
Qutb, Sayyid 126
R
Râbi‘a al-‘Adawiyya 65
Rahîm, (Très-Miséricordieux) 107, 141
rahma (miséricorde) 178, 191
Rahmân, (Tout-Miséricordieux) 106, 108, 141, 143
rak‘a (cycle de la prière) 153
Rama 111
rasûl, pl. rusul (messagers ou envoyés de Dieu) 111
ra’y (opinion individuelle) 55, 57
Râzî, Abû Bakr 76
Râzî, Fakhr al-Dîn al- 144
ridâ (contentement) 131
Ridâ, Rashîd 91, 92
ridda (apostasie) 53
Rifâ‘î, Ahmad al- 67
rifq (bienveillance) 142
rûh (esprit) 172
Ryer (du), André 9
S
sabr (patience, persévérance) 132, 190
sahîh (hadith authentifié) 47
Sa‘îd ibn al-Musayyib 36
Saïd, Jawdat 126, 127
Sakîna (Paix divine) 28, 168
salât pl. salawât (prière) 152, 166
Sâlih 111
Samarcande 71
Schoeler, Gregor 20
Schuon, Frithjof 93, 172, 176
Shâdhilî, Abû l-Hasan al- 67
Shâfi‘î, Muhammad ibn Idrîs al- 59, 60, 96, 140
shahâda (Profession de foi) 13, 93
Shâh Walî Allâh 96
sharî‘a (Loi sacrée, charia) 51, 52, 53, 54, 62
sharîf, pl. shurafâ’ (descendants du Prophète) 33
shirk (associationnisme) 89, 101, 102
shuhh (égocentrisme) 190
shukr (gratitude) 133, 190
Shurunbulâlî, Hassân ibn ‘Ammâr al- 57
sidq (véracité) 139
sifa (Attributs divins) 68, 79, 80, 141
silsila (lignée des maîtres soufis) 62
Sirhindî, Ahmad al- 96
Soliman Ier 84
Soudan 58
soufisme 11, 63, 64, 65, 66, 71, 72, 79, 82, 83, 88, 89, 92, 94, 165,
170
Sufyân ibn ‘Uyayna 59, 60
sujûd (prosternation) 153
Sunna 44, 49, 51, 54, 95, 97, 180
sunnisme 49, 50, 56, 61, 87, 91, 92
Suyûtî, Jalâl al-Dîn al- 39, 96, 97, 166
Sylvestre II 86
Syrie 21, 36, 60, 126
T
Tabarî, al- 173, 175
Tâbi‘ûn (Suivants) 36
Tâ’if 24
tajdîd (renouveau spirituel) 95
tajwîd (psalmodie du Coran) 80
takâthur (désir d’accumulation) 130
tanzîh (transcendance de Dieu) 68
taqwâ (piété) 157
tashbîh (immanence de Dieu ; anthropomorphisme) 89
tawâf (tournées rituelles) 162
tawakkul (confiance en Dieu) 135
tawhîd (unicité divine) 68, 72
ta’wîl (interprétation symbolique) 68
Tayâlisî, Abû Dâwud al- 45
tayammum (ablution sèche) 150
Tayyib, Ahmad 94
Tchad 58
thabât (ferme constance) 132
Tirmidhî, al- 46, 106
Tlemcen 84
Tûsî, Muhammad 46
U
Ubayy ibn Ka‘b 41
Uhud 27, 120
‘Umar ibn al-Khattâb 31, 32
‘umra (petit pèlerinage) 27
‘Urwa ibn Zubayr 35, 55
uswa hasana (modèle excellent) 104
‘Uthmân ibn ‘Affân 32
V
Vénérable (le), Pierre 9
W
wajal (frémissement) 169
Waraqa ibn Nawfal 23
Wâsil ibn ‘Atâ’ 67
wudd (amour constant) 143
wudû’ (ablution mineure) 150
Y
Yathrib 25, 26
Yémen 21, 60
Z
zakât (aumône légale) 54, 155, 156
Zaydan, Jorge 91
Zayd ibn Thâbit 40
zindîq (hérétique) 54
Zoroastre 111
Zuhayr ibn Abî Sulmâ 82
zuhd (détachement) 130
BIBLIOGRAPHIE ESSENTIELLE
L’islam
Du Pasquier Roger, Découverte de l’islam, éditions du Seuil, 1984.
Nasr Seyyed Hossein, Islam. Perspectives et réalités, éd. Tasnîm, 2018.
Traductions du Coran
Le Noble Coran, traduit par Mohamed Chiadmi, éd. Tawhid, 2004.
Le Coran, traduit par Dominique Penot, éd. Alif, 2007.
L’exégèse du Coran
Godin Asma, Les sciences du Coran, éd. Al Qalam, 2012.
Chouiref Tayeb, Citations coraniques expliquées, éd. Eyrolles, 2015.
al-Ghazâlî, Lire et comprendre le Coran, éd. Tasnîm, 2014.
Lory Pierre, Les Commentaires ésotériques du Coran, éd. Les Deux
Océans, 1980.
La vie du Prophète
Lings Martin, Le Prophète Muhammad. Sa vie d’après les sources les plus
anciennes, Paris, 1986.
Hamidullah Muhammad, Le Prophète de l’islam. Sa vie, son œuvre, éd.
A.E.I.F., 1980.
Le Hadith
Brown Jonathan A. C., Le Hadith. L’héritage du prophète Muhammad, des
origines à nos jours, éd. Tasnîm, 2019.
Chouiref Tayeb, Les Enseignements spirituels du Prophète, éd. Tasnîm,
2021.
La théologie
al-Râzî Fakhr al-Dîn, Traité sur les Noms divins, éd. Dervy, 1988.
Gardet Louis et Anawati Georges, Introduction à la théologie musulmane,
éd. Vrin, 1970.
Le Droit islamique
Toualbi Issam, Introduction historique au droit musulman, éd. AlBouraq,
2013.
al-Qayrawânî Abû Zayd, La Risâla, ou Épître sur les éléments du dogme
et de la loi de l’islam selon le rite malikite, trad. fr. par Léon Bercher,
éd. Jules Carbonel (Alger), 1948. (Il existe aujourd’hui de nombreuses
rééditions.)
Le soufisme
Lings Martin, Qu’est-ce que le soufisme ?, éd. du Seuil, 1977.
Burckhardt Titus, Introduction aux doctrines ésotériques de l’Islam, éd.
Dervy, 1985.
Nasr Seyyed Hossein, Le Jardin de la Vérité, éd. Tasnîm, 2017.
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