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Encore mal connu en Occident, l’islam suscite de nombreuses interrogations.

Troisième
religion monothéiste après le judaïsme et le christianisme, avec Abraham comme figure
commune, elle est à l’origine d’une civilisation majeure, qui s’est répandue à travers le
monde en prenant une multitude de visages. En décrivant l’histoire, la foi et la pratique, ce
livre présente l’islam dans toutes ses dimensions. Il permet ainsi d’accéder aux textes
fondateurs (Coran, hadiths…), de découvrir le cœur du message islamique et de mieux
comprendre la culture musulmane.

Fondements Courants Spiritualité

TAYEB CHOUIREF est docteur en islamologie. Traducteur d’ouvrages classiques


majeurs, il possède par ailleurs une longue expérience de l’enseignement de la langue
arabe dans le secondaire et à l’université. Spécialiste de la mystique musulmane et des
hadiths, il a publié une anthologie commentée intitulée Les Enseignements spirituels du
Prophète (2008). Cet ouvrage, plusieurs fois primé, est traduit en différentes langues. Il
est également l’auteur de Citations coraniques expliqués, paru aux éditions Eyrolles.
Tayeb Chouiref

L’ISLAM EXPLIQUÉ
Histoire, foi et pratique
Éditions Eyrolles

61, bd Saint-Germain

75240 Paris Cedex 05

www.editions-eyrolles.com

Mise en pages : Istria

En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement


le présent ouvrage, sur quelque support que ce soit, sans autorisation de l’éditeur ou du Centre
français d’exploitation du droit de copie, 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris.

© Éditions Eyrolles, 2022


ISBN : 978-2-212-56722-9
SOMMAIRE

Introduction

Partie 1 Fondements et doctrines

Chapitre 1 Le Messager de Dieu et ses héritiers


Que sait-on réellement de Muhammad ?
Les grandes étapes de la vie du Prophète
De la naissance au mariage du Prophète
Les débuts de la révélation du Coran
Les difficultés de la période mecquoise
L’hégire et la fondation de la cité de Médine
Le « Serment de l’Agrément divin » et le retour à La Mecque
La fin de vie et le « Sermon d’adieu »
Les Compagnons du Prophète
Les quatre « califes bien guidés »
Les grands transmetteurs de hadiths
La Grande discorde
Les générations suivantes
Chapitre 2 Les Textes fondateurs
Le Coran
Le processus de révélation
La collecte des versets et les recensions du Coran
Structure, style et grands thèmes du Coran
Le Hadith
La collecte des hadiths
L’authentification des hadiths : méthodologies et pratiques
Les usages du Hadith
Chapitre 3 L’islam d’hier à aujourd’hui
Sunnisme et chiisme
Qu’est-ce que la « charia » ?
Les Écoles juridiques
L’École juridique d’Abû Hanîfa
L’École juridique de Mâlik
L’École juridique d’al-Shâfi‘î
L’École juridique d’Ibn Hanbal
Les autres Écoles juridiques
Le soufisme
Origine et nature du soufisme
Le soufisme à travers l’histoire
Les Écoles théologiques
Le mutazilisme
La naissance de l’asharisme
La théologie mystique
L’essor des sciences profanes
L’astronomie
Les mathématiques
La médecine
La philosophie
Les arts islamiques
Les autorités dans l’islam classique
Le pouvoir exécutif
L’autorité judiciaire
L’enseignement religieux
Peut-on parler de déclin culturel (XVIIe – XIXe siècle) ?
Salafisme et wahhabisme
L’irruption de la modernité et le réformisme
L’École traditionnelle
La notion de renouveau spirituel (tajdîd)

Partie 2 Les éléments de la foi

Chapitre 4 Le double témoignage de foi


L’Unicité divine
L’ultime messager du Ciel
Chapitre 5 Les six éléments du credo
Dieu
Les anges
Les livres révélés
Les prophètes et les messagers
L’Au-delà
Le destin
La question du djihad
Le djihad : entre réalité et fantasme
Est-il question de « guerre sainte » dans le Coran ?
Les premiers combats de la période médinoise
Les relations avec les Gens du Livre dans le Coran
Le pacifisme conditionnel du Coran et de la Sunna
La non-violence dans l’islam contemporain
Chapitre 6 Le modèle prophétique et les nobles vertus
Le détachement
Le contentement
La patience
La gratitude
La confiance en Dieu
La générosité
La sincérité
La compassion
La bienveillance
L’amour

Partie 3 La pratique au quotidien

Chapitre 7 Les rites de l’islam


La purification rituelle
La prière
L’aumône légale
Le jeûne de ramadan
Le pèlerinage à La Mecque
Les fêtes religieuses
L’imploration
L’invocation (dhikr)
Chapitre 8 Les liens humains
Le mariage
La parentalité
Le voisinage
La vie professionnelle
Chapitre 9 La spiritualité au quotidien
La question des interdits en islam
La question vestimentaire et celle du « foulard islamique »
Apprendre de chaque situation
Sortir grandi des épreuves
Aimer Dieu à travers toutes les créatures

Index général

Bibliographie essentielle
INTRODUCTION

De plus en plus nombreux sont ceux qui appellent de leurs vœux une
meilleure connaissance de l’islam dans les sociétés occidentales. Mais des
obstacles divers et anciens se dressent devant ce noble objectif. Pour
mieux les saisir, il nous faut remonter le fil de l’Histoire.
On ne peut pas dire que la rencontre entre l’islam et l’Occident débuta
sous les meilleurs auspices puisqu’elle eut lieu durant la période
médiévale dans un contexte largement marqué par les Croisades. Pour la
Chrétienté médiévale, les musulmans étaient avant tout des infidèles qu’il
fallait chasser de Terre sainte. Chez les théologiens chrétiens et les
penseurs occidentaux de l’époque, la connaissance de l’islam se réduisait à
quelques préjugés, faute d’accès direct aux textes sacrés de l’islam.
La première traduction latine du Coran fut commandée par l’abbé de
Cluny, Pierre le Vénérable, et réalisée par Robert de Ketton, prêtre et
diplomate anglais, en 1143. Mais cette traduction circula peu, avant de
bénéficier d’une impression en 1543, à l’initiative de Théodore Bibliander,
un humaniste luthérien. Quant à la première traduction du Coran en
français, elle est l’œuvre d’André du Ryer, consul de France à Alexandrie,
et fut publiée en 1647. Malheureusement, cette traduction n’est pas
intégrale et de nombreux versets ont été tronqués ou complètement
supprimés.
Au XIXe siècle, le regain d’intérêt pour les cultures non occidentales et
l’essor des «  études orientalistes  » en Europe ont suscité de nombreuses
recherches approfondies sur l’histoire de la révélation coranique, la vie du
prophète Muhammad, la jurisprudence islamique, etc. Ces études ne sont
pas dénuées d’intérêt scientifique, mais elles sont souvent marquées par un
fort préjugé antimusulman. Ce préjugé est nourri par la foi dans le
« progrès » si prégnante dans la culture européenne du XIXe siècle. Cette
culture se percevait elle-même comme l’apogée de la « civilisation », et il
semblait acquis que les autres cultures se devaient de suivre le même
chemin, de gré ou de force… Il ne faut pas oublier que l’orientalisme fut
pendant longtemps «  l’une des disciplines appartenant aux sciences
coloniales  ». C’est pourquoi nombre d’ouvrages orientalistes avaient
«  pour objectif de chercher à comprendre la mentalité islamique pour
faciliter l’administration des peuples musulmans colonisés »1.
Les atrocités des deux guerres mondiales, les horreurs du stalinisme et les
ravages du technoscientisme ont mis à mal la mythologie du « progrès » et
de la «  civilisation  » qui régna en maître durant tout le XIXe siècle. Par
ailleurs, le fort mouvement de décolonisation – qui s’intensifia à partir des
années 1950 – amena la fin des empires coloniaux. Tout cela a concouru à
la disparition du vieil orientalisme qui a cédé la place à ce que l’on
appelle, depuis le dernier tiers du XXe siècle, l’islamologie. Cette discipline
est certes plus scientifique que son ancêtre, mais elle ne saurait prétendre à
une objectivité totale car elle est aussi « fille de son temps ». De fait, elle
est souvent orientée par des considérations liées à l’actualité, ce qui peut
l’amener à manquer de recul.
Cela étant dit, il faut souligner qu’il y eut toujours de notables exceptions.
Ainsi, le mystique catalan Raymond Lulle (vers 1233-1315) reconnaît tout
ce qu’il doit aux spirituels musulmans dans la composition de son Livre de
l’Ami et de l’Aimé. À la même époque, Frédéric II (roi de Sicile) ne
cachait pas son grand intérêt pour l’islam et la culture musulmane. Entre
autres initiatives, il subventionna de nombreux savants afin qu’ils pussent
traduire des textes depuis l’arabe. Goethe, célèbre poète et homme d’État
allemand, évoque les thèmes centraux de la spiritualité islamique
(soufisme) dans son Divan occidental-oriental (1819). Il y rend un vibrant
hommage à Hafez, le grand poète persan du XIVe siècle. Dans le même
ordre d’idées, on peut citer le célèbre éloge du prophète Muhammad que
fit Lamartine dans son Histoire de la Turquie, en 1853. Écrivant en pleine
colonisation de l’Algérie, Lamartine n’hésite pas à dire du Prophète  :
« Jamais homme ne se proposa volontairement ou involontairement un but
plus sublime, puisque ce but était surhumain  : saper les superstitions
interposées entre la créature et le Créateur, rendre Dieu à l’homme et
l’homme à Dieu, restaurer l’idée rationnelle et sainte de la divinité dans ce
chaos des dieux matériels et défigurés de l’idolâtrie. Jamais homme
n’entreprit, avec de si faibles moyens, une œuvre aussi démesurée aux
forces humaines… » Avant Lamartine, Gérard de Nerval écrivait dans son
Voyage en Orient (1835) que le Prophète «  ne s’est pas donné pour un
Dieu, mais pour un homme plein de l’esprit de Dieu, et n’a prêché
qu’unité de Dieu et charité envers les hommes ». Bien d’autres exemples
d’appréciation positive du message de l’islam et de la mission du Prophète
pourraient être donnés ici.
Mais aujourd’hui, plus encore que par le passé, l’islam suscite de
nombreuses interrogations. En Occident, la fin des années 1970 marque un
tournant dans la perception que les spécialistes et le grand public ont de la
dernière venue parmi les trois religions abrahamiques. Ce que l’on a alors
appelé le «  réveil de l’islam  », avec la révolution islamique d’Iran puis
avec divers mouvements fondamentalistes sunnites (FIS2 en Algérie,
Talibans en Afghanistan, etc.), a suscité des inquiétudes justifiées mais
aussi des malentendus et des généralisations abusives.
À l’intérieur du monde musulman, nombreux sont ceux qui s’interrogent
sur leur relation à la foi et à la pratique islamiques. Face à une rapide
modernisation du monde arabo-musulman, certains, sentant leur foi
menacée, sont tentés par un repli littéraliste et rigoriste, alors qu’à
l’opposé, d’autres prônent une sécularisation entière de la société.
C’est ainsi que l’islam, qu’il soit perçu de l’intérieur par le fidèle
musulman ou de l’extérieur par le non-musulman, semble très largement
méconnu de nos jours. Cette situation n’est pas sans rappeler cette célèbre
parole du Prophète (hadith) : « L’islam a débuté étranger et il redeviendra
étranger. Bienheureux seront les étrangers3. »
Le présent ouvrage se veut une immersion non seulement dans ce qui
constitue les fondements de l’islam (doctrines et pratiques) mais
également dans ce que fut sa riche histoire. Il est nécessaire, pour saisir
l’essence d’une religion, de l’envisager dans toutes ses dimensions  :
spirituelle, théologique, culturelle et sociale. Aucune de ces différentes
dimensions ne doit être négligée car elles s’éclairent mutuellement.
Chacune offre, à sa façon, une voie d’accès au cœur du message de
l’islam.
L’islam n’est pas une religion basée sur la personne de son fondateur : elle
est au contraire centrée sur Dieu, Lui-même. Cela signifie que l’islam
n’envisage pas Dieu selon une de Ses manifestations dans l’Histoire des
hommes, par exemple, quand il a sauvé les Fils d’Israël dans le cadre de la
sortie d’Égypte ou qu’Il a envoyé Jésus en tant que Messie – choses que le
Coran reconnaît, par ailleurs. L’islam, en effet, envisage Dieu en tant qu’Il
est ce qu’Il est, donc en tant qu’Il est l’Un possédant toutes les perfections,
de toute éternité. C’est une perspective centrée sur l’Absolu, et non sur un
fait aussi sacré soit-il.
L’islam s’inscrit pleinement dans le monothéisme abrahamique. C’est
pourquoi les figures d’Abraham (Ibrâhîm), de Moïse (Mûsâ), de Jésus
(‘Îsâ) et de Marie (Maryam) occupent une place importante dans le Coran.
Ces personnages bibliques sont présentés aux croyants comme des
exemples à méditer.
D’évidence, la religion musulmane, comme toutes les grandes religions,
n’est pas monolithique  : elle est plurielle dans les courants qui l’ont
traversée au cours de son histoire et dans ses modes de manifestation. Pour
autant, il faut reconnaître que l’islam possède une unité doctrinale
remarquable, unité qui lui est conférée par la simplicité de son fondement
premier. Ce dernier est ce que l’on appelle al-Shahâda (la Profession de
foi), ou mieux al-Shahâdatayn (la double Profession de foi) : « Il n’est de
dieu que Dieu  » (Lâ ilâha illâ Llâh) et «  Muhammad est l’Envoyé de
Dieu  » (Muhammad rasûl Allâh). À proprement parler, est musulman
quiconque adopte cette Profession de foi. Comme nous le verrons, il existe
de nombreux degrés d’approfondissement intérieur et de réalisation
spirituelle du contenu de la Profession de foi. Allant du littéralisme le plus
plat à la plus haute spiritualité, en passant par les spéculations
théologiques les plus ardues, la façon dont le fidèle saisit la Profession de
foi est le signe le plus révélateur de sa façon de vivre le message de
l’islam.
Nous retrouverons la centralité de l’interprétation de la Profession de foi
aussi bien en nous intéressant aux fondements et aux doctrines de l’islam
(première partie), qu’en étudiant les différents courants théologiques et
spirituels qui ont émergé à travers les siècles (deuxième partie), ou en
abordant les rites et les pratiques tels qu’ils peuvent être vécus au
quotidien (troisième partie).
On l’aura compris de ce qui précède : si l’islam fait beaucoup parler de lui
aujourd’hui, les discours ainsi produits touchent trop rarement à l’essence
de son message. Concernant une religion présente sur tous les continents,
cela ne peut qu’avoir des conséquences négatives.
Au niveau mondial, l’islam est, après le christianisme, la deuxième
religion par le nombre de ses fidèles. La population totale des musulmans
dans le monde est estimée aujourd’hui à 1,8 milliard.

La répartition des fidèles dans le monde musulman

Contrairement à un préjugé répandu, le monde arabe représente une faible part


de la population musulmane mondiale avec 321 millions de musulmans (soit 18 %
des fidèles). Passons en revue le nombre des fidèles présents dans d’autres aires
géographiques : l’Inde en abrite 195 millions, l’Indonésie 229 millions, le Pakistan
202 millions et l’Afrique subsaharienne 242 millions.

Au moment de laisser le lecteur découvrir le présent ouvrage, je forme le


vœu que ce dernier puisse être une contribution, aussi modeste soit-elle, à
une meilleure connaissance de ce qui fut et demeure une foi, une
spiritualité et une source d’inspiration pour toute une partie de l’Humanité.

1. Sur cette question, voir Roger Du Pasquier, L’islam entre tradition et révolution, éditions Tougui,
Paris, 1987, p. 5-14.
2. Front islamique du salut.
3. Cité par Muslim dans son Sahîh, n° 389.
PARTIE 1

FONDEMENTS ET DOCTRINES
Le problème de l’interprétation des textes sacrés s’est posé très tôt à
l’ensemble de la communauté musulmane. À la mort du Prophète, non
seulement la révélation prit fin avec celui qui était en mesure d’en
expliquer les significations, mais disparut aussi la possibilité d’un
consensus de l’ensemble de la communauté sur la manière dont il fallait
interpréter le Texte sacré. En effet, l’islam ne possédant pas de clergé
officiel1, il n’y a pas d’instance habilitée à décréter l’orthodoxie de telle
compréhension de l’Écriture ou à rejeter dans le domaine de l’hérésie celle
qui n’y correspondrait pas.
Les interprétations «  orthodoxes  » se sont donc constituées
progressivement, à la faveur du développement des principales disciplines
islamiques : exégèse coranique, théologie, jurisprudence, etc.

Que signifie « orthodoxe » ?

Le terme « orthodoxe » dérive du grec : orthos (« droit ») et doxa («  opinion  »).
Est dit « orthodoxe » ce qui est conforme à la doctrine officielle et au credo d’une
religion. Les thèses opposées à l’orthodoxie sont dites « hérétiques ».

1. Sauf dans le chiisme.


CHAPITRE 1

LE MESSAGER DE DIEU ET SES


HÉRITIERS

Le prophète Muhammad est présenté dans le Coran comme le « Sceau des


prophètes » (khâtim al-nabiyyîn), c’est-à-dire comme celui qui clôt la série
des prophètes et des messagers ou envoyés (rusul) que Dieu a missionnés
depuis les débuts de l’humanité  : «  Muhammad n’est le père d’aucun
homme d’entre vous, mais il est l’Envoyé de Dieu et le Sceau des
prophètes. Dieu connaît parfaitement toutes choses1. »
Muhammad s’insère ainsi dans la longue lignée des prophètes qui, selon
les enseignements de l’islam, furent au nombre de 124 000 et dont le
premier n’est autre qu’Adam.

Que sait-on réellement de Muhammad ?


Même si le prophète Muhammad a vécu à une période relativement proche
de la nôtre – le VIIe siècle de notre ère –, il n’en demeure pas moins que les
diverses sources qui peuvent nous renseigner à son sujet ne possèdent pas
toutes le même degré de fiabilité, et tous les éléments de sa vie ne nous
sont pas connus avec la même précision. Néanmoins, lorsque certains
courants de l’islamologie contemporaine déclarent de manière péremptoire
que l’on ne peut rien affirmer sur sa vie et qu’il est impossible de retracer
ce que fut sa mission, ils ne font que verser dans un pessimisme
intellectuel excessif2. Quoi qu’il en soit, cette position n’est plus tenable
aujourd’hui grâce aux travaux d’éminents spécialistes comme Gregor
Schoeler, Andreas Görke et surtout Harald Motzki (1948-2019). Ce
dernier a montré qu’il existe de nombreuses sources musulmanes fiables
permettant de reconstituer l’histoire du premier siècle de l’islam3.
Il est vrai que le Coran parle moins de Muhammad que d’autres
messagers, comme Moïse, par exemple. Mais le Livre sacré évoque tout
de même divers aspects de la vie et de la mission du Prophète, et apporte
un éclairage fondamental. Nous aurons l’occasion de le constater dans les
pages qui suivent. En outre, les hadiths – dont le degré de fiabilité a été
scrupuleusement scruté par les savants traditionnels de l’islam comme par
les islamologues contemporains – apportent de précieux compléments4.
Mentionnons enfin, la Sîra (biographie traditionnelle du Prophète) d’Ibn
Hishâm (vers 833) laquelle reprend l’ouvrage pionnier d’Ibn Ishâq (vers
704-767) qui porte le même titre. Même si les éléments qu’apporte cet
ouvrage fondamental ne possèdent pas tous le même degré de fiabilité, il a
l’immense mérite de reprendre les transmissions orales qui concernent le
Prophète provenant des toutes premières générations de musulmans5.
Au moment où apparaît l’islam, au VIIe siècle, l’Arabie est entourée par
deux grands empires : celui des Sassanides en Perse et l’Empire byzantin
chrétien. La cité marchande de La Mecque, loin d’être coupée du reste du
monde, est un carrefour d’échanges caravaniers entre l’Orient et la
Méditerranée. Cela permit en particulier un contact permanent des Arabes
avec les communautés juives et chrétiennes de Syrie. C’est ce qui explique
que les Mecquois, bien que polythéistes, connaissaient relativement bien le
judaïsme et le christianisme. Cela aura son importance lorsque le Prophète
commencera à retransmettre les premières révélations du Coran.

Les grandes étapes de la vie du Prophète


Muhammad naquit à La Mecque, vers 570, dans une famille relativement
pauvre appartenant à la tribu des Qurayshites.

De la naissance au mariage du Prophète


L’année de sa naissance est appelée « l’Année de l’éléphant » (‘âm al-fîl)
parce qu’une armée en provenance du Yémen, en tête de laquelle marchait
un éléphant, avait pour objectif de détruire le temple sacré de la Kaaba à
La Mecque. Le temple ne fut sauvé que par une intervention divine : une
nuée d’oiseaux, portant dans leur bec et dans chaque patte une pierre,
décima l’armée du Yémen avant que celle-ci n’ait pu atteindre la Kaaba.
Cette intervention divine est relatée dans le Coran  : «  N’as-tu pas
considéré ce que ton Seigneur a infligé aux gens de l’Éléphant ? N’a-t-Il
pas déjoué leur manœuvre, en lançant contre eux des oiseaux par nuées,
qui les bombardèrent de pierres d’argile, au point de les rendre semblables
à du chaume dévoré6 ? »
Son père, ‘Abd Allâh, mourut peu avant sa naissance et sa mère décéda
alors qu’il n’avait que six ans. C’est peu avant la mort de sa mère qu’eut
lieu un événement miraculeux que rapporte le Coran : « N’avons-Nous pas
ouvert ta poitrine ? Ne t’avons-Nous pas délesté du fardeau qui pesait sur
ton dos7 ? » Cette « ouverture de la poitrine » est en fait une purification
intérieure opérée par deux anges, comme le Prophète l’expliqua lui-même
à ses Compagnons bien des années plus tard : « Deux hommes vinrent  à
ma rencontre ; ils étaient vêtus de blanc et tenaient un bassin d’or rempli
de neige. S’étant saisis de moi, ils me fendirent la poitrine, en sortirent le
cœur qu’ils ouvrirent à son tour pour en extraire un caillot noir qu’ils
jetèrent au loin. Puis ils me lavèrent le cœur et la poitrine avec la neige8. »
 
Son oncle, Abû Tâlib, recueillit l’enfant orphelin et l’éduqua comme son
fils. En grandissant, les qualités personnelles du futur prophète devinrent
de plus en plus évidentes. C’est ainsi qu’il finit par être connu à La
Mecque sous le surnom d’al-Amîn, le «  digne de confiance  », tant sa
probité et son esprit de justice étaient remarquables.
Muhammad possédait une nature très contemplative. Celle-ci fut nourrie
par les voyages à travers le désert qu’il fit avec son oncle lorsqu’il était
enfant, son travail de berger à l’adolescence, et les retraites spirituelles
qu’il fit à l’âge adulte dans la grotte de Hirâ’, non loin de La Mecque.
Vers l’âge de vingt-cinq ans, Muhammad se maria avec Khadîja, une riche
commerçante de La Mecque, de quinze ans son aînée. Une profonde
compréhension mutuelle liait les deux époux. De ce couple heureux
naquirent six enfants : deux garçons (Qâsim et ‘Abd Allâh) qui moururent
très jeunes, et quatre filles qui atteignirent l’âge adulte (Zaynab, Ruqayya,
Umm Kulthum et Fâtima) mais moururent avant lui, sauf Fâtima, qui lui
survécut six mois.

Les débuts de la révélation du Coran


Alors qu’il était âgé de quarante ans, le Prophète reçut en 610 la première
révélation du Coran dans la grotte de Hirâ’, lors de l’une de ses retraites
spirituelles. L’ange Gabriel lui apparut et lui dit : « iqra’ », ce qui signifie :
« lis » ou « récite ». Le Prophète répondit qu’il n’en était pas capable. Et
l’ange de répéter sa demande en serrant contre lui le Prophète, exerçant de
la sorte une forte pression sur sa poitrine. Ayant réitéré trois fois son ordre,
l’ange finit par réciter ce qui sera le premier fragment révélé du Coran :
« Récite au Nom de ton Seigneur qui a tout créé !
Il a créé l’homme d’une adhérence !
Récite, car ton Seigneur est l’Infiniment généreux !
Il a instruit l’homme au moyen du calame,
Il lui a enseigné ce qu’il ne savait pas9. »

L’expérience fut éprouvante et déstabilisante pour le Prophète. Il en parla à


Khadîja qui le rassura en lui expliquant qu’il ne pouvait s’agir que d’une
révélation authentique. Khadîja encouragea son époux à en parler à son
cousin, Waraqa ibn Nawfal, qui était chrétien. Cet homme très âgé et
aveugle connaissait les textes bibliques en hébreu. Il confirma
l’authenticité de ce que le Prophète venait de vivre et lui dit  : «  On te
traitera de menteur, tu seras maltraité, on te rejettera et on te fera la guerre.
Si je suis encore en vie, je défendrai ton message10. »
Si quelques proches du Prophète se convertirent à la nouvelle religion, la
plupart des puissants de La Mecque s’opposèrent au Messager. Ils
refusèrent d’abandonner le culte des idoles car celui-ci était le garant de
leur position dominante à La Mecque.

Les difficultés de la période mecquoise


Pendant treize années, le Prophète dut faire face à une hostilité implacable.
Celle-ci culmina avec la mise au ban de tous les musulmans : les chefs de
La Mecque décrétèrent l’interdiction de se marier ou de commercer avec
tout musulman. Le résultat de cette mise au ban fut que l’on parla de la
nouvelle religion dans toute l’Arabie, si bien que les chefs de La Mecque
se laissèrent convaincre de renoncer à cette stratégie.
En 619, peu après la fin de la mise au ban, Khadîja mourut. Elle était âgée
de 65 ans et le Prophète en avait 50. Sa mort fut rapidement suivie par
celle d’Abû Tâlib, l’oncle du Prophète, qui avait toujours été pour lui un
soutien décisif. Le Prophète désigna cette année comme «  l’année de la
tristesse » (‘âm al-huzn), car il avait perdu deux personnes qui avaient une
grande place dans son cœur.
Cherchant de nouveaux soutiens, le Prophète décida de demander de l’aide
aux habitants de Tâ’if, ville importante située à une centaine de kilomètres
à l’est de La Mecque. Mais les habitants de Tâ’if, que les chefs de La
Mecque avaient ralliés à leur cause, lapidèrent le Prophète dès qu’il arriva
dans leur ville. Il put, fort heureusement, leur échapper avant d’être
grièvement blessé. Le Prophète adressa alors une émouvante imploration à
Dieu :
« Ô plus Miséricordieux des miséricordieux, Tu es le Seigneur des faibles
et Tu es mon Seigneur. Entre les mains de qui veux-Tu me remettre ? […]
Je ne me fais point souci, à condition que Tu ne sois pas en colère contre
moi. […] Je prends refuge dans la lumière de Ta Face par laquelle toutes
les ténèbres sont illuminées et les choses de l’ici-bas et de l’Au-delà sont
justement ordonnées, afin que Tu ne fasses pas descendre sur moi Ta
colère et que Ton courroux ne m’atteigne pas11. »
En employant l’expression «  je prends refuge dans la lumière de Ta
Face  », le Prophète ne s’attendait probablement pas à ce que cela se
réalisât littéralement. Peu de temps après, en effet, il vécut un voyage
miraculeux qui fut appelé « le Voyage nocturne et l’Ascension » (al-isrâ’
wa-l-mi‘râj). Alors que le Prophète dormait près de la Kaaba, l’ange
Gabriel vint à lui et lui présenta un cheval ailé, nommé al-Burâq, qu’il lui
demanda d’enfourcher. Ils s’envolèrent ainsi pour Jérusalem où le
Prophète dirigea la prière à laquelle participèrent Abraham, Moïse, Jésus
et d’autres prophètes. Ensuite, le Prophète et l’ange s’élevèrent et
traversèrent les cieux. Toutefois, seul le Prophète put dépasser le « Lotus
de la limite  » (sidrat al-muntahâ) et continuer à se rapprocher de son
Seigneur jusqu’à être à «  une distance de deux portées d’arc ou moins
encore » de Lui, selon la formule coranique12.

L’Hégire et la fondation de la cité de Médine


Malgré cette consolation spirituelle, le Prophète et les croyants autour de
lui demeuraient vulnérables à La Mecque. Mais à partir de 620, certains
habitants de Yathrib – située à environ 350 km au nord de La Mecque – se
rapprochèrent du Prophète. En plus d’embrasser la nouvelle religion, ils
avaient le désir de le voir venir s’installer dans leur ville afin d’unifier les
deux tribus principales – les Aws et les Khazraj – qui y étaient en lutte
perpétuelle.
Deux ans plus tard, le Prophète émigra à Yathrib en secret, car les chefs de
La Mecque avaient décidé de l’assassiner. La plus grande partie des
musulmans de La Mecque dut émigrer également. Quelques années après
la mort du Prophète, cet exil, appelé «  l’Hégire  » (al-hijra), sera choisi
comme point de départ du calendrier musulman.
En arrivant dans la palmeraie de Yathrib, les premières paroles du
Prophète, loin d’inciter à une quelconque vengeance contre les Mecquois,
furent un message de paix  : «  Répandez la paix, nourrissez le pauvre,
honorez les liens de famille et priez la nuit alors que les gens dorment  :
vous entrerez au Paradis dans la paix13. »
Yathrib fut dès lors appelée al-Madîna al-munawwara, «  la Ville
illuminée », d’où son nom français « Médine ». En tant que première cité
musulmane, Médine fut le lieu où, pour la première fois, une vie religieuse
communautaire fut possible  : prières quotidiennes en commun, grande
prière du vendredi, etc.
Outre les tribus arabes, des tribus juives vivaient à Médine. Pour unifier
tous les habitants de la ville, le Prophète promulgua une charte appelée
«  Charte de Médine  » (Mîthâq al-Madîna). Elle stipule que tous les
habitants de Médine, quelle que soit leur confession, possèdent les mêmes
droits et les mêmes devoirs. De plus, ils se doivent soutien et assistance
mutuelle. En particulier, la charte stipule que les juifs ne forment qu’une
seule communauté avec tous les autres croyants. Leurs lieux de culte sont
protégés et la liberté de conscience leur est garantie. La charte de Médine
protège même les polythéistes, à condition qu’ils ne s’en prennent pas aux
croyants monothéistes et qu’ils ne soutiennent pas les Mecquois contre les
Médinois14.
En outre, le Prophète fit fraterniser les habitants de Médine avec les
nouveaux exilés mecquois. Pour cela, il demanda à chaque Médinois de
prendre un frère d’adoption parmi les exilés et de partager avec lui toutes
ses possessions. L’islam apporta ainsi un souffle spirituel nécessaire à la
nouvelle vie collective de la cité de Médine.
Pour autant, la période médinoise ne fut pas une période facile pour le
Prophète et les croyants autour de lui. Les chefs de La Mecque étaient, en
effet, déterminés à éradiquer la nouvelle religion et à empêcher la cité de
Médine d’être un foyer de rayonnement pour l’islam. En 624, une
première bataille opposa les musulmans aux Mecquois  : elle eut lieu à
Badr, au sud-ouest de Médine, et fut une victoire éclatante pour les
musulmans, alors que ceux-ci étaient trois fois moins nombreux que les
Mecquois. L’année suivante, les chefs de La Mecque, ayant rallié à eux
certaines tribus arabes, levèrent une armée de 3 000 hommes pour attaquer
les musulmans. Les combats eurent lieu à Uhud, au nord de Médine, et
tournèrent à l’avantage des Mecquois. Le Prophète fut blessé et beaucoup
de Compagnons y trouvèrent la mort. C’est là que fut tué Hamza, l’oncle
du Prophète.

Le « Serment de l’Agrément divin » et le retour à La


Mecque
En 628, le Prophète décida d’accomplir un « petit pèlerinage » (‘umra) à
La Mecque, pensant que les Qurayshites ne s’y opposeraient pas. Près de 1
500 musulmans l’accompagnèrent. Mais les Qurayshites refusèrent de
laisser entrer les pèlerins à La Mecque. Alors que tout espoir d’accomplir
la ‘umra était perdu, le Prophète fut saisi d’un état comparable à celui qui
s’emparait de lui lors de la révélation des versets du Coran. Assis sous un
arbre, dans la plaine de Hudaybiyya, située non loin de La Mecque, le
Prophète demanda à l’un de ses Compagnons de transmettre aux autres ce
message : « L’Esprit Saint (Rûh al-qudus) est descendu sur le Prophète et
ordonne l’allégeance. Avancez-vous donc, au Nom de Dieu, pour lui prêter
serment15. »
Ce serment d’allégeance est appelé «  le Serment de l’Agrément divin  »
(Bay‘at al-Ridwân) en référence à l’Agrément de Dieu évoqué par ce
verset  : «  Dieu agréa les croyants lorsqu’ils firent avec toi le pacte
d’allégeance, sous l’arbre. Il savait parfaitement ce qui était en leurs
cœurs. Il a fait descendre sur eux Sa Présence de Paix (Sakîna) et leur a
accordé une proche victoire16. »
Ayant toujours cherché à favoriser la paix, le Prophète accepta ce jour-là
de signer un traité avec les Mecquois, bien que celui-ci fût en défaveur des
croyants. Certains Compagnons furent déçus que le Prophète acceptât les
termes de ce traité. Or ce qui intéressait le Prophète était avant tout la trêve
de dix ans prévue par ce traité. Il percevait cette trêve comme une
possibilité précieuse de pouvoir se concentrer sur la transmission de son
message. L’intuition du Prophète se révéla juste : durant les deux années
suivantes eurent lieu de nombreuses conversions, et les rangs de l’islam se
renforcèrent considérablement.
Lorsqu’en 630, les Mecquois rompirent la trêve en tuant vingt musulmans,
le Prophète décida de marcher sur La Mecque accompagné de 10 000
hommes. Espérant pouvoir prendre la ville pacifiquement, il donna la
consigne de ne combattre personne, sauf en cas d’attaque. Après avoir subi
un exil forcé, le Prophète fit ainsi un retour triomphal à La Mecque. Alors
que les Mecquois craignaient des représailles de la part du Prophète, celui-
ci accorda son pardon à tous ses ennemis. La générosité du Prophète
toucha les cœurs de la majorité des Mecquois qui entrèrent alors en islam.
Durant les deux années qui suivirent cet événement, des délégations de
l’Arabie entière vinrent vers le Prophète pour embrasser l’islam. Une des
dernières sourates révélées souligne ce mouvement : « Lorsque le secours
de Dieu et Son ouverture viennent, lorsque tu vois les hommes embrasser
en masse la religion de Dieu, célèbre les louanges de ton Seigneur et
implore Son pardon, car Il est prompt à revenir vers l’homme17. »

La fin de vie et le « Sermon d’adieu »


Lorsqu’en 632, le Prophète sentit que sa vie touchait à sa fin, il décida
d’accomplir une dernière fois les rites du Pèlerinage. Il y délivra un
sermon appelé le «  Sermon d’adieu  » (khutbat al-wada‘) dans lequel il
donna ses ultimes recommandations à plus de 120 000 croyants présents.
En voici quelques extraits :
« Ô peuple ! Écoutez-moi attentivement, car je ne sais pas si, après cette
année-ci, je serai encore parmi vous.
Ô peuple  ! Tout comme vous considérez ce mois, ce jour et cette cité
comme sacrés, considérez aussi la vie et les biens de chaque personne
comme sacrés. […] Ne blessez personne afin que personne ne vous blesse.
Ô peuple ! Vos épouses ont des droits sur vous, et vous avez des droits sur
elles… Traitez donc vos femmes de la meilleure façon et soyez
bienveillants envers elles, car elles sont vos partenaires et elles sont
dévouées envers vous.
Ô peuple ! Vous êtes tous des descendants d’Adam, et Adam fut créé de
poussière. L’Arabe n’a aucune supériorité sur le non-Arabe et inversement,
sinon par le degré de piété. »
Dans les dernières années de sa vie, le Prophète était parfois souffrant.
Lorsqu’il fut âgé de 63 ans, une douleur intense à la tête et une forte fièvre
s’installèrent pour ne plus le quitter. Alors que le Prophète était alité chez
sa jeune épouse, ‘Â’isha, celle-ci l’entendit réciter ce verset  : «  … voici
ceux qui seront avec ceux que Dieu a comblés de Sa grâce parmi les
prophètes, les véridiques, les martyrs et les saints. Et quels excellents
compagnons que ceux-là18  !  » Puis elle l’entendit murmurer plusieurs
fois : « Mon Dieu, vers Toi qui es le Compagnon suprême ! » Ce furent-là
ses dernières paroles, et peu après son âme quitta ce monde.

Les Compagnons du Prophète


La première génération d’hommes et de femmes qui suivit les
enseignements du Prophète est appelée la génération des « Compagnons »
(sahâba). On estime qu’il y avait environ 500 Compagnons à la fin de la
période mecquoise. Toutefois, leur nombre augmenta très rapidement
durant les dix années de la période médinoise. Selon les estimations, le
nombre total de Compagnons à la mort du Prophète se situait entre 60 000
et 140 000.

Les quatre « califes bien guidés »


Parmi les Compagnons qui furent très proches du Prophète, ceux qui
devinrent les quatre premiers califes après lui ont joué un rôle
prépondérant dans la structuration de l’islam comme dans son expansion
géographique. Ils sont désignés par l’expression « les califes bien guidés »
(al-khulafâ’ al-râshidûn).
Le premier successeur du Prophète fut son ami intime et beau-père Abû
Bakr (573-634). Ce riche négociant de La Mecque fut l’un des tout
premiers convertis à l’islam et fit preuve d’un soutien indéfectible envers
le Prophète. Ainsi, lorsque Muhammad annonça qu’il avait été transporté
miraculeusement de La Mecque à Jérusalem, pour ensuite être élevé à
travers les cieux jusqu’au plus près de la Présence divine, une partie des
Mecquois se moquèrent de lui et le traitèrent de fou. Lorsque les railleurs
rapportèrent cela à Abû Bakr, il se contenta de dire : « S’il a dit une telle
chose, elle ne peut qu’être vraie. » Ayant appris la réaction d’Abû Bakr, le
Prophète lui donna le surnom d’al-Siddîq, ce qui signifie «  celui qui
témoigne avec force de la vérité ».

Témoignages du Prophète en faveur d’Abû Bakr


Le Prophète lui dit un jour : « Tu seras à mes côtés pour t’abreuver au Bassin céleste lors
de la Résurrection, comme tu as été à mes côtés dans la grotte de Hirâ’ lors de
l’Hégire19. »
« Si je devais prendre un ami intime parmi les hommes, je prendrais Abû Bakr. Mais, vous
le savez, je suis l’intime de Dieu20. »

Le second calife fut ‘Umar ibn al-Khattâb (584-644), un proche dont la


fille, Hafsa, fut l’une des épouses du Prophète. Lui aussi riche négociant
de La Mecque, il fut dans un premier temps un grand ennemi de l’islam.
L’hostilité de ‘Umar était telle qu’il avait décidé d’assassiner le Prophète
« pour mettre fin à la division entre ceux qui avaient embrassé l’islam et
ceux qui rejetaient la nouvelle religion ». Alors qu’il était en chemin pour
passer à l’acte, ‘Umar rencontra une personne qui lui apprit que sa propre
sœur s’était convertie à l’islam. Il rebroussa chemin et se rendit d’abord
chez elle, fou de colère. Mais alors qu’il voulait pénétrer chez elle, il
l’entendit réciter un passage du Coran qui le toucha profondément21.
Quand il demanda à sa sœur de pouvoir lire les versets qui étaient écrits
sur un parchemin, la foi entra dans son cœur. Immédiatement après cela, il
se rendit chez le Prophète, non plus pour le tuer, mais pour embrasser
l’islam.
Durant le califat de ‘Umar, de nombreux territoires furent conquis  :
Jérusalem, Damas mais aussi l’Irak et la Perse, ainsi que le nord de
l’Égypte furent intégrés à l’Empire islamique. On doit également à ‘Umar
l’instauration du calendrier hégirien. En effet, il choisit l’Hégire du
Prophète – qui eut lieu le 16 juillet 622 – comme point de départ du
nouveau calendrier. ‘Umar mourut assassiné par un captif perse dans la
mosquée de Médine, lors de la prière du matin.

Témoignages du Prophète en faveur de ‘Umar


Sur l’éminence particulière de ‘Umar, on rapporte les paroles suivantes du Prophète :
«  S’il était possible qu’un prophète soit envoyé après moi, ce serait ‘Umar ibn al-
Khattâb22. »
«  Parmi ceux qui vous ont précédés, il y avait des hommes à qui Dieu parlait
(muhaddathûn). S’il n’y en avait qu’un aujourd’hui, ce serait ‘Umar23. »

Le troisième calife fut ‘Uthmân ibn ‘Affân (574-656), l’un des beaux-fils
du Prophète. Il est celui à qui l’on doit la recension du Coran en un
volume unique. Alors que plusieurs Compagnons avaient rassemblé
l’ensemble des fragments révélés du Coran pour leur usage personnel,
‘Uthmân décida une uniformisation du Livre sacré afin d’offrir à la
communauté musulmane une version de référence. Nous verrons cela en
détail lorsque nous aborderons le Coran et sa recension. Comme ‘Umar,
‘Uthmân mourut assassiné. Assiégé par des insurgés venus de grandes
villes d’Irak et d’Égypte lors du pèlerinage annuel, ‘Uthmân demeura
retranché chez lui durant quarante jours avant d’être poignardé par l’un
d’entre eux.

Témoignages du Prophète en faveur de ‘Uthmân


Le Prophète dit un jour à sa fille Ruqayya qui était mariée à ‘Uthmân : « Prends bien soin
de ‘Uthmân car il est celui qui me ressemble le plus par le caractère24. »
Interrogé sur la pudeur dont il faisait preuve face à ‘Uthmân, le Prophète dit : « Ne serai-je
pas pudique en face de ‘Uthmân quand les anges eux-mêmes sont pudiques face à
lui25 ? »
Enfin, le quatrième calife est ‘Alî ibn Abî Tâlib (vers 600-661), cousin et
gendre du Prophète. Après l’assassinat de ‘Uthmân, ‘Alî se retira chez lui,
horrifié par les événements. Mais les Compagnons qui avaient élu
‘Uthmân comme calife, demandèrent à ‘Alî de lui succéder.
Ayant grandi avec le Prophète dans la maison de son père, ‘Alî fut un
proche de Muhammad dès son enfance. Le Prophète lui fit part des toutes
premières révélations qui lui avait été accordées et ‘Alî entra en islam
alors qu’il était encore très jeune.
Marié à Fâtima, fille du Prophète, ‘Alî est le père de Hasan et de Husayn.
Avec le Prophète, le couple et les enfants forment les Âl al-Bayt, la
«  Famille du Prophète  ». L’importance de celle-ci est capitale dans le
chiisme puisque les Âl al-Bayt sont à l’origine de la lignée des « Imams »,
lesquels sont considérés comme les plus hautes autorités spirituelles après
le Prophète. ‘Alî est ainsi le premier Imam des chiites.
Bien que n’ayant pas la même importance pour les sunnites, tous les
descendants du Prophète (sharîf, pl. shurafâ’) jouissent tout de même d’un
grand respect jusqu’à aujourd’hui.

Témoignages du Prophète en faveur de ‘Alî


Sur l’éminence particulière de ‘Alî, on rapporte les paroles suivantes du Prophète :
« Je suis la cité de la connaissance et ‘Alî en est la porte. Que celui qui désire pénétrer
dans la cité passe par la porte26 ! »
« Celui dont je suis le maître, ‘Alî en est également le maître27. »

Les grands transmetteurs de hadiths


Parmi les Compagnons, certains devinrent des témoins privilégiés des
enseignements du Prophète. C’est le cas de sa jeune épouse, ‘Â’isha (vers
614-678), qui vécut plus de quarante-cinq ans après lui. Très cultivée,
‘Â’isha était férue de poésie et de médecine. Près de 2 200 hadiths – si
l’on exclut les variantes d’un même hadith – sont rapportés par elle dans
les divers recueils canoniques.
Mention spéciale doit être faite d’Abû Hurayra (vers 602-678) qui, bien
que n’ayant connu le Prophète que tardivement à Médine, a rapporté près
de 5 300 hadiths disséminés dans les recueils canoniques. Il n’avait aucune
activité professionnelle et passait son temps à écouter le Prophète ou à
recueillir ses paroles auprès de Compagnons plus anciens que lui.
D’autres Compagnons jouèrent également un rôle de première importance
dans la transmission des hadiths. C’est le cas de ‘Abd Allâh ibn ‘Umar, un
des fils du calife ‘Umar, qui transmit plus de 2 200 hadiths. C’est
également le cas de ‘Abd Allâh ibn ‘Abbâs, un jeune cousin du Prophète.
Malgré son jeune âge – il n’avait que treize ans à la mort du Prophète –, il
transmit environ 1 700 hadiths.

La Grande discorde
Dès la mort du Prophète, la question de sa succession créa des dissensions
dans la communauté musulmane. Le Prophète n’ayant désigné personne,
certains Compagnons étaient persuadés que le successeur légitime du
Prophète ne pouvait être que ‘Alî eu égard à son statut privilégié de
membre de la « Famille du Prophète ». D’autres soutinrent Abû Bakr pour
la grande proximité qui le liait au Prophète, ainsi que pour son âge et son
expérience.
Bien que ‘Alî acceptât la nomination de trois califes avant lui, les
dissensions ne cessèrent jamais totalement. Elles s’amplifièrent même
jusqu’à donner lieu à ce qui fut appelé la « Grande discorde » (al-Fitna al-
kubrâ). Parmi les événements ainsi désignés citons la «  Bataille du
Chameau » qui eut lieu en 656 près de Bassora, en Irak. ‘Â’isha, dont le
cousin – le calife ‘Uthmân – venait d’être assassiné, réclamait de la part de
‘Alî, alors calife, que tous les moyens fussent mis en œuvre pour retrouver
et châtier les coupables. ‘Alî souhaitait le faire mais considérait toutefois
qu’il fallait agir avec prudence et diplomatie étant donné la situation très
troublée. ‘Â’isha et ses partisans furent déçus par ce qu’ils considéraient
comme de la mollesse et un désintérêt pour le sort de ‘Uthmân. ‘Â’isha se
rendit à Bassora à dos de chameau, dans son palanquin, accompagnée de
son neveu ‘Urwa ibn Zubayr et d’autres notables parmi les Qurayshites de
La Mecque. Alors qu’un accord pacifique avait été trouvé, satisfaisant les
deux partis, un groupe de partisans de ‘Â’isha lança une attaque le
lendemain, à l’aube. À la fin des heurts, qui firent plusieurs dizaines de
morts, ‘Â’isha et ‘Alî appelèrent leurs partisans respectifs à la cessation de
tout combat. Cette courte bataille laissa comme une blessure dans la
mémoire collective de la jeune communauté musulmane.

Les générations suivantes


Les générations venant après celle des Compagnons furent appelées « les
Suivants » (al-Tâbi‘ûn). Au sein de ces derniers, les plus importants sont
ceux qui furent directement éduqués par des Compagnons proches du
Prophète. C’est ainsi que se formèrent des noyaux qui donnèrent naissance
à ce qui devint plus tard des courants religieux et spirituels. On peut citer
les cercles des Compagnons Ibn ‘Abbâs et Ibn ‘Umar à La Mecque et à
Médine, Abû Dharr al-Ghifârî en Syrie, Ibn Mas‘ûd à Koufa et Anas ibn
Mâlik à Bassora.
Parmi les Suivants qui marquèrent durablement la communauté
musulmane, il faut citer les cas de Sa‘îd ibn al-Musayyib (642-715) à
Médine et d’al-Hasan al-Basrî (642-728) à Bassora. Le premier fut
surnommé « le maître des Suivants » (sayyid al-tâbi‘în) et « le savant de
Médine  » (‘âlim ahl al-Madîna), tandis que le second est considéré
comme le plus grand représentant du courant mystique au début du VIIIe
siècle. Le célèbre al-Ghazâlî disait qu’al-Hasan al-Basrî « était celui dont
les paroles ressemblaient le plus à celles des prophètes, et celui dont la
guidance était la plus proche de celle des Compagnons28. »

1. Coran : 33, 40.


2. Sur cette position voir, par exemple, l’article de Jacqueline Chabbi : « Histoire et tradition sacrée.
La biographie impossible de Mahomet », dans Arabica, tome 43, fascicule 1, 1996, p. 189-205.
3. Voir Andreas Görke, Harald Motzki et Gregor Schoeler, «  First Century Sources for the Life of
Muhammad? A Debate », dans Islam, n° 89 (2), 2012 p. 2-59.
4. Sur les hadiths, voir le chapitre 2 de la présente partie.
5. Toutes ces sources sont croisées et mises à profit dans l’ouvrage de Martin Lings intitulé  : Le
Prophète Muhammad. Sa vie d’après les sources les plus anciennes, éditions du Seuil, Paris, 2002.
6. Coran : 105, 1-5.
7. Coran : 94, 1-3.
8. Voir Martin Lings, op. cit., p. 37.
9. Coran : 96, 1-5.
10. Cité par al-Bukhârî dans son Sahîh, n° 3.
11. Voir Martin Lings, op. cit., p. 121.
12. Coran : 53, 9.
13. Cité par al-Tirmidhî dans ses Sunan, n° 2673.
14. Le texte de la charte de Médine est donné par Ibn Ishâq dans al-Sîra.
15. Voir Martin Lings, op.cit., p. 300.
16. Coran : 48, 18.
17. Coran : 110, 1-3.
18. Coran : 4, 69.
19. Cité par al-Tirmidhî dans ses Sunan, n° 4033.
20. Cité par Muslim dans son Sahîh, n° 6328.
21. Il s’agit du début de la sourate 20.
22. Cité par al-Hâkim dans al-Mustadrak, n° 4495.
23. Cité par al-Bukhârî dans son Sahîh, n° 3833.
24. Cité par al-Hâkim dans al-Mustadrak, n° 6854.
25. Cité par Muslim dans son Sahîh, n° 2362.
26. Cité par al-Hâkim dans al-Mustadrak, n° 4638.
27. Cité par al-Tirmidhî dans ses Sunan, n° 4078.
28. Ihyâ’ ‘ulûm al-Dîn, éd. Dâr al-Minhâj, Riyad, 2011, vol. I, p. 287.
CHAPITRE 2

LES TEXTES FONDATEURS

Le Coran
Lorsque l’on souhaite découvrir l’islam et se faire une idée de ce qu’est la
foi musulmane, le réflexe premier est de se diriger vers le Coran. Mais
face au Texte sacré de l’islam, le lecteur se heurte très rapidement à
certains obstacles se révélant parfois insurmontables. Le Coran, en effet,
se présente comme un texte sans structure logique apparente  : il s’agit
d’une compilation de versets révélés sur une période de vingt-trois années
lunaires, et réunis en cent quatorze unités appelées «  sourates  ». Il faut
mobiliser l’ensemble du Livre révélé pour réellement saisir ce que le
Coran enseigne sur un thème donné. De plus, sans une connaissance
suffisante de la période de l’islam naissant, on ne peut que se méprendre
sur le Livre sacré. L’actualité nous offre, malheureusement, très
régulièrement des cas d’école… Isolant un verset de son contexte de
révélation et du reste du Livre, tel essayiste nous dira que le Coran est « un
texte violent » ; tel autre qu’il est « un texte misogyne », etc.
En réalité, le Coran possède de multiples facettes. Il est donc normal qu’il
suscite des interprétations divergentes selon que l’on se réclame de telle ou
telle lecture. Ainsi, un littéraliste ne verra pas, dans un verset, la même
richesse qu’un exégète traditionnel rompu à la diversité des avis. De
même, un théologien ne tirera pas d’un verset évoquant la nature humaine
ou la Réalité divine les mêmes conclusions qu’un maître spirituel.
Le Coran se présente lui-même comme une révélation s’insérant dans la
lignée des Écritures appartenant aux religions abrahamiques :
«  Il t’a révélé graduellement le Livre en toute Vérité pour confirmer les
Écritures antérieures, de même qu’avant cela Il a révélé la Thora et
l’Évangile pour servir de guidance aux hommes1… »
Le processus de révélation
La conception courante de la révélation du Coran relève d’une vision très
simplifiée : l’ange Gabriel (Jibrîl) transmet des versets au Prophète qui les
mémorise puis les enseigne aux croyants autour de lui. Mais en réalité, les
modes de révélation sont pluriels :
1. D’abord durant le mois de ramadan de l’année 610 dans la grotte de
Hirâ’ : « Certes, Nous l’avons fait descendre durant une nuit bénie, et
certes Nous n’avons cessé d’avertir les hommes. Durant cette nuit, tout
ordre sage est précisé2.  » Ce passage fait référence à la descente
globale du Coran, c’est-à-dire à sa descente «  de la Table gardée
jusqu’au Ciel de ce monde », selon la formulation traditionnelle.
2. Par la suite, des fragments du Coran furent révélés pendant vingt-trois
ans, répondant souvent à un besoin contextuel vécu par le Prophète et
les croyants autour de lui : « C’est un Coran que Nous avons révélé par
fragments, afin que tu le récites progressivement aux hommes. Nous
l’avons donc fait descendre graduellement3. »
3. Mais le Coran parle aussi de la descente de la Révélation « sur le cœur
du Prophète  »  : « Le livre est bien une révélation du Seigneur des
mondes. L’Esprit fidèle est descendu avec lui sur ton cœur afin que tu
sois de ceux qui avertissent le monde, en une langue arabe explicite4. »
L’ange Gabriel prenait parfois apparence humaine et transmettait
verbalement de nouveaux passages du Coran au Prophète, mais la
Révélation pouvait également venir sous la forme d’un son de cloche.
C’était là le mode de transmission le plus difficile à supporter pour le
Prophète, selon son propre témoignage. Ce n’est qu’après la disparition du
son strident de la « cloche » qu’il comprenait le message qui venait de lui
être révélé sous cette forme particulière5.

La collecte des versets et les recensions du Coran


Selon la Tradition musulmane, les fragments révélés furent d’abord l’objet
d’une transmission orale et d’une mémorisation. Le Prophète chargea
certains Compagnons de les communiquer aux autres  : c’est le cas de
Mus‘ab ibn ‘Umayr (583-vers 624) qui fut envoyé à Médine, avant
l’Hégire.
Jalâl al-Dîn al-Suyûtî (1545-1505), l’un des grands spécialistes des
sciences du Coran dans l’islam classique, affirme que l’ensemble du Coran
avait été consigné par écrit du vivant du Prophète. Il ajoute que cet
ensemble était dispersé et n’avait pas l’objet d’un recueil unique.
Toutefois, l’ordre des fragments à l’intérieur des sourates fut fixé par le
Prophète lui-même et préservé par la transmission orale.
Le récit de la conversion de ‘Umar témoigne de l’existence de fragments
consignés par écrit dès les débuts de l’islam, alors que le Prophète
réunissait les premiers croyants dans la maison d’al-Arqam, un des tout
premiers Compagnons.

Le premier lieu de réunions spirituelles

La maison d’al-Arqam, également appelée la « maison de l’islam », fut le premier


endroit où le Prophète put réunir les croyants autour de lui pour réciter le Coran,
prier et invoquer Dieu. Appartenant à une riche famille mecquoise, al-Arqam se
convertit à l’islam à l’âge de 17 ans. Sa maison était située tout près du mont al-
Safâ, à quelques centaines de mètres de la Kaaba. Il mourut à Médine en 675.

En plus de l’initiative personnelle de certains croyants, le Prophète avait


des scribes à qui il dictait la révélation quand elle lui venait. Le plus
éminent parmi eux était le jeune médinois Zayd ibn Thâbit (610-665). Il
existait divers supports sur lesquels les versets pouvaient être inscrits  :
morceaux de cuir, omoplates de chameau, branches de palmier. Le
Prophète demandait que les notes écrites soient lues devant lui pour
corriger les éventuelles fautes du copiste. On comprend dès lors qu’il faut
distinguer suhuf (feuillets épars) et mushaf (recueil, volume) car ce dernier
est plus tardif que les premiers.
Après la disparition de beaucoup de ceux qui connaissaient une grande
partie du Coran par cœur, à la bataille de Yamâma en 633 contre
Musaylima6, ‘Umar finit par convaincre Abû Bakr de constituer un
volume unique. Il chargea Zayd de le faire. Les feuillets préparés par Zayd
furent gardés chez Abû Bakr. Puis, ils passèrent chez ‘Umar. Après la mort
de ce dernier, sa fille Hafsa en hérita.
À l’époque du califat de ‘Uthmân, le Compagnon Hudhayfa ibn al-Yamân
fut surpris d’entendre les soldats qu’il avait sous ses ordres durant la
campagne d’Arménie et d’Azerbaïdjan, en 653, réciter le Coran avec des
variations importantes de l’un à l’autre. Ayant appris cela, ‘Uthmân
demanda les feuillets de Hafsa, établit des copies et les envoya aux
principaux centres musulmans de l’époque, comme Koufa, Bassora,
Damas ou Le Caire.
Toutefois, la version de ‘Uthmân ne fit pas disparaître les autres versions
car celles-ci continuèrent à être transmises par la tradition orale. De plus,
en lisant les mots de cette vulgate uthmânienne, le lecteur restait libre
d’adopter la lecture des autres autorités comme celles d’Ibn Mas‘ûd et
d’Ubayy ibn Ka‘b, par exemple. En effet, le texte établi ne comportait ni
les voyelles brèves ni les points permettant de distinguer certaines
consonnes entre elles.
Dans le mushaf de ‘Alî, les sourates étaient disposées dans l’ordre
chronologique de révélation. Il l’aurait brûlé lorsque ‘Uthmân rendit
officielle sa recension.
On rapporte qu’Ibn Mas‘ûd refusa de détruire son mushaf, lequel ne
contenait pas les deux dernières sourates. De son côté, Abû Mûsâ al-
Ash‘arî a dit : « Ce que vous trouverez dans mon exemplaire qui ne figure
pas dans le sien7, ne le supprimez pas mais ce qui manquera dans le mien,
ajoutez-le. »

L’intérêt de certaines variantes

Certaines variantes d’Ibn Mas‘ûd sont intéressantes, comme celle qui concerne le
verset 3, 19 :
« En vérité, la religion auprès de Dieu est al-islâm8. » (Mushaf de ‘Uthmân)
« En vérité, la religion auprès de Dieu est al-hanîfiyya9. » (Mushaf d’Ibn Mas‘ûd)
De même, pour le verset «  le Prophète a plus de droits sur les croyants qu’ils
n’en ont sur eux-mêmes, et ses épouses sont leurs mères10  », on trouve chez
Ubayy et Ibn ‘Abbâs le complément suivant  : «… il est un père pour eux et ses
épouses sont leurs mères11. »

Ajoutons enfin que l’historiographe Ibn Nadîm (vers 936-vers 995)


affirme, dans son ouvrage intitulé al-Fihrist, que des exemplaires de la
recension d’Ubayy circulaient encore au IXe siècle dans la région de
Bassora.
Après avoir remis en cause l’histoire de la collecte et de la transmission du
Coran telles que les présente la Tradition musulmane, l’érudition
occidentale a tendance aujourd’hui à se rapprocher de cette narration.
Toutefois, elle souligne que certains éléments du récit ne sont pas prouvés
historiquement12.

Structure, style et grands thèmes du Coran


S’il est vrai que l’on peut percevoir un même souffle spirituel dans les
divers fragments du Coran révélés sur vingt-trois ans, il faut souligner la
grande diversité des types de discours dans le Livre sacré  : serments,
récits, paraboles, autoréférences, etc.
Une des particularités du Coran, lorsqu’on le compare aux textes sacrés du
judaïsme et du christianisme, est l’auto-référence, c’est-à-dire que l’un des
grands thèmes du Coran est le Coran lui-même ! En de nombreux versets,
en effet, le Coran se décrit lui-même, parle de ses effets sur le cœur des
croyants, donne des recommandations sur la façon de le lire, etc. :
«  Voici un Livre béni  ! Nous l’avons fait descendre sur toi afin que les
hommes méditent ses versets et que se remémorent ceux qui sont doués
d’intelligence profonde13. »
Le Coran affirme à plusieurs reprises l’importance des paraboles qu’il
contient  : «  Nous avons révélé pour les hommes dans ce Coran toutes
sortes de paraboles. » (17, 89 ; 18, 54 ; 30, 58 ; 39, 27)
Le terme mathal (pl. amthâl) que nous rendons par parabole désigne avant
tout une image ou un récit symbolique. Par son caractère allusif, la
parabole suggère une pluralité de sens et permet à la Parole révélée de ne
pas être tributaire des limites du langage humain. La raison d’être des
paraboles dans le Coran est d’amener le fidèle à dépasser le sens littéral en
suscitant chez lui la méditation  : «  Certes, Nous avons proposé aux
hommes toutes sortes de paraboles dans ce Coran. Puissent-ils
méditer14 ! »
Le Hadith
Le terme arabe hadîth («  propos  », «  nouvelle  ») désigne une tradition
remontant au Prophète et rapportant un de ses actes (fi‘l), une de ses
paroles (qawl), une approbation (taqrîr) explicite ou non, ou encore des
caractéristiques (sifât, shamâ’il) le concernant.
La littérature du Hadith est donc censée consigner ce qui est appelé la
Sunna du Prophète, la « pratique prophétique ».

La collecte des hadiths


On sait que le Prophète avait, dans un premier temps, défendu à ses
Compagnons de recueillir le Hadith par écrit pour donner priorité au Coran
et éviter toute interférence avec le Livre révélé : « Ne transcrivez de moi
rien d’autre que le Coran. Quiconque a transcrit de moi autre chose, qu’il
l’efface15 ! »
Le Hadith s’est donc constitué et transmis en tradition orale jusqu’au
moment où le Prophète, considérant que le Coran était suffisamment
connu et répandu, autorisa, entre autres Compagnons, ‘Abd Allâh ibn
‘Amr (616-682) à le mettre par écrit16.
Cette autorisation du Prophète valut à ‘Abd Allâh ibn ‘Amr d’être
considéré comme l’un des meilleurs connaisseurs des traditions
prophétiques. Des notes qu’il avait accumulées, il rédigea un livre qu’il
nomma al-Sahîfa al-sâdiqa (Les Feuillets authentiques). Cet ouvrage
regroupait, selon certains témoignages, plus de 600 hadiths.
C’est ainsi que des collections écrites de hadiths apparurent du vivant du
Prophète. Toutefois, elles n’étaient qu’à usage personnel et n’étaient pas
destinées à être distribuées à grande échelle.
Après une première phase de transmission orale, un processus de mise par
écrit fut initié au début du VIIIe siècle. Le plus ancien recueil qui nous soit
parvenu est celui de Hammâm ibn Munabbih (660-720), auteur de la
célèbre Sahîfa portant son nom. Cet élève d’Abû Hurayra – comme lui
d’origine yéménite – consigna 138 hadiths dans son recueil17.
Des écrits qui virent le jour au IIe siècle de l’Hégire, nous possédons aussi
le Jâmi‘ de Ma‘mar ibn Râshid18 (713-770), élève de Hammâm dont nous
avons déjà parlé, et le Musannaf de ‘Abd al-Razzâq al-San‘ânî19 (744-
826), élève de Ma‘mar. De dimension imposante, le Musannaf contient un
peu plus de 19 400 hadiths et occupe dix volumes imprimés.
‘Abd al-Razzâq eut pour élève le célèbre Ahmad ibn Hanbal (780-855) qui
fut à son tour un des maîtres d’al-Bukhârî (810-870) dont le recueil de
hadiths devint rapidement l’un des grands ouvrages de référence en la
matière. La préservation de tous ces documents ainsi que l’analyse de
leurs contenus plaident pour le sérieux du travail critique qui fut mené lors
de la transmission du Hadith20.
Il existe deux principaux types d’ouvrages de hadiths  : le musnad (pl.
masânid) et le musannaf (pl. musannafât). Les masânid sont des recueils
de hadiths dénués de classification thématique car ils sont classés par
rapporteur : un chapitre est ainsi consacré à tous les hadiths qu’une même
personne rapporte du Prophète. C’est le cas du Musnad d’Abû Dâwud al-
Tayâlisî21 (751-818) et de celui d’Ahmad ibn Hanbal, par exemple. De tels
ouvrages ne sont donc pas pratiques pour prendre connaissance de
l’enseignement du Prophète sur un sujet donné. Quant aux musannafât, ce
sont des recueils de hadiths structurés autour d’une classification
thématique souvent liée aux principaux domaines du Droit islamique
(fiqh). On dit d’eux qu’ils sont répartis « en chapitres » (‘alâ l-abwâb), et
cette disposition se révéla beaucoup plus pratique pour les juristes et les
théologiens. En islam sunnite, six livres de cette catégorie prirent
définitivement le pas sur les autres. On considère comme jouissant de la
plus grande autorité le Sahîh d’al-Bukhârî et celui de Muslim (821-875).
Viennent ensuite les Sunan d’Abû Dâwud (817-889), d’al-Tirmidhî (824-
892), d’al-Nasâ’î (830-915) et d’Ibn Mâjah (824-886). Dans le cadre du
chiisme, quatre ouvrages, composés durant le Xe et le XIe siècles, forment
le corpus de référence22.

Les recueils de hadiths canoniques dans le chiisme

Al-Kâfi fî ‘ilm al-dîn d’al-Kulaynî (864-939).


Man lâ yahduruhu l-faqîh d’Ibn Bâbawayh (m. 991).
Tahdhîb al-ahkâm et al-Istibsâr fîmâ ukhtulifa fîhi l-akhbâr de Muhammad al-Tûsî
(vers 995-1067).

L’authentification des hadiths : méthodologies et


pratiques
Dans l’élaboration des méthodologies visant à authentifier les hadiths, il
faut distinguer deux périodes historiques  : les débuts de la science du
Hadith (720-1000 environ), et la science tardive du Hadith (d’environ
1000 à nos jours). L’impulsion a été donnée par la multiplication des
hadiths forgés durant le IIe siècle de l’Hégire (VIIIe siècle).
Après la mort d’un des derniers grands Compagnons, Anas ibn Mâlik, à
Basra en 711, les faux hadiths sur le Prophète se multiplièrent à grande
vitesse. Pour lutter contre ce phénomène les savants du Hadith ont
développé trois approches principales.
L’étude de la chaîne de transmission (isnâd)  : les transmetteurs se
sont-ils connus ? La transmission entre eux est-elle attestée ? La chaîne
de transmission est-elle complète ? Etc.
La connaissance des transmetteurs (al-jarh wa-l-ta‘dîl)  : les
transmetteurs sont-ils honnêtes et dignes de confiance  ? Les
transmetteurs ont-ils une mémoire fiable ?
La corroboration : lorsqu’un hadith dont la chaîne de transmission est
sujette à caution transmet le même enseignement qu’un autre dont la
chaîne est bien établie, on dit que le second est un témoin (shâhid)
pour le premier ; lorsqu’un transmetteur A corrobore un transmetteur B
en relatant un même hadith qu’ils ont tous deux entendu de la même
source, on parle de « parallélisme » (mutâba‘a).
Face à la nécessité de trier les hadiths attribués au Prophète, pour ne
garder que ceux qui résistent à l’examen critique, l’érudition musulmane
en arriva à proposer une classification extrêmement précise des différents
degrés d’acceptabilité d’un hadith.
Le hadith authentifié (sahîh) est celui dont la chaîne de transmetteurs
est continue, dont chacun des transmetteurs est honorable (‘adl) et
fiable (dâbit) et cela, jusqu’à la fin de cette chaîne sans qu’apparaisse
une marginalité (shudhûdh23) ou un défaut (‘illa).
Le hadith validé (hasan) est celui dont la chaîne de transmetteurs est
continue jusqu’à sa fin, dont chaque transmetteur est honorable mais de
fiabilité non totale. Sa chaîne ne doit comporter ni marginalité ni
défaut.
En dehors des catégories de l’authentifié et du validé, le hadith sera dit
«  faible  » (da‘îf). Quant au hadith considéré comme forgé, il est appelé
« apocryphe » (mawdû’).

Les usages du Hadith


Les hadiths abordent tous les domaines de la spiritualité. C’est pourquoi
on a pu dire que « les paroles prophétiques concernent tous les domaines,
de la métaphysique pure à la façon de se tenir à table »24.
Considéré comme la deuxième source scripturaire, venant juste après le
Coran, le Hadith a une place considérable dans la plupart des disciplines
islamiques  : exégèse du Coran, Droit, théologie, etc. Le recours aux
hadiths est souvent nécessaire pour préciser ce que le Coran ne fait
qu’évoquer brièvement. Ainsi, seuls les hadiths permettent de préciser
quels sont les moments précis et les modalités selon lesquelles le fidèle
doit accomplir les cinq prières quotidiennes.
Les recueils canoniques que nous avons évoqués sont d’un accès difficile
pour le simple fidèle et sont plutôt des instruments qu’utiliseront les
savants dans les différentes disciplines islamiques. Pour nourrir leur foi,
les croyants se tournent vers la lecture de recueils secondaires tels Riyâd
al-sâlihîn (Les Jardins des vertueux) d’al-Nawawî (1233-1277) et al-
Targhîb wa-l-tarhîb (L’Incitation et la mise en garde) d’al-Mundhirî
(1185-1258).

1. Coran : 3, 3-4.
2. Coran : 44, 3-4.
3. Coran : 17, 106.
4. Coran : 26, 192-195.
5. Voir al-Bukhârî, dans son Sahîh, n° 2.
6. Musaylima s’était déclaré « prophète » et contestait l’autorité d’Abû Bakr.
7. C’est-à-dire celui de ‘Uthmân.
8. Le terme islâm signifiant littéralement « obéissance à la Volonté divine », « soumission ».
9. Le monothéisme primordial.
10. Coran : 33, 6.
11. Cité par al-Hâkim dans al-Mustadrak, n° 3556.
12. Pour un bon résumé de l’évolution des thèses des orientalistes, de la moitié du XIXe siècle
jusqu’à nos jours, voir l’article de Harald Motzki  : «  The Collection of the Qur’ân. A
Reconsideration of Western Views in Light of Recent Methodological Developments », Der Islam, n°
78, 2001, p. 1-34.
13. Coran : 38, 29.
14. Coran : 39, 27.
15. Cité par Muslim dans son Sahîh, n° 7702.
16. Voir Ahmad ibn Hanbal, al-Musnad, n° 7141.
17. Ce recueil a été retrouvé et édité par Muhammad Hamidullah en 1953 à Damas.
18. Son recueil fut imprimé à la suite de celui de ‘Abd al-Razzâq al-San‘ânî et contient 1614 hadiths.
Voir note suivante.
19. Édité à Beyrouth (1972).
20. À ce sujet, voir les travaux scientifiques de Harald Motzki (1948-2019).
21. Son Musnad contient 2 890 hadiths.
22. Sur la science du Hadith dans le chiisme et son développement, voir Jonathan Brown, Le Hadith,
éditions Tasnîm, Wattrelos, 2019, p. 193-228.
23. Ce terme désigne dans les sciences du Hadith l’opposition avec une version plus sûre de la même
tradition prophétique.
24. Seyyed Hossein Nasr, Islam. Perspectives et réalités, éditions Tasnîm, Wattrelos, 2019, p. 117.
CHAPITRE 3

L’ISLAM D’HIER À AUJOURD’HUI

Sunnisme et chiisme
Dès les tout premiers temps de l’islam, des sensibilités spirituelles
différentes et complémentaires virent le jour. Il est naturel, en effet, que
certains Compagnons aient pu retenir tels ou tels aspects de la nature
spirituelle du Prophète et mettre l’accent sur eux.
Lors des dissensions qui apparurent pour savoir qui devait succéder au
Prophète à la tête de la communauté des croyants, certains Compagnons
étaient convaincus que l’autorité légitime revenait à ‘Alî et non à Abû
Bakr qui devint le premier calife de l’islam. Étant touchés par la
spiritualité profonde du gendre du Prophète, ces Compagnons ne voyaient
pas d’autres héritiers spirituels que ‘Alî.
C’est ainsi que naquit le «  parti de ‘Alî  » (shî‘at ‘Alî)  : ceux qui furent
appelés par la suite « chiites » sont donc, à l’origine, les partisans de ‘Alî.
Mais cette « origine politique » ne doit pas masquer l’origine spirituelle de
la différence d’approche qui donna naissance au chiisme et au sunnisme.
Ce dernier terme a pour origine le mot sunna qui désigne, nous l’avons vu,
la « Pratique prophétique ». Comme le souligne S. H. Nasr, le sunnisme et
le chiisme «  sont l’un et l’autre des interprétations orthodoxes de la
révélation islamique, providentiellement contenues dans l’islam pour que
puissent s’y intégrer des hommes de constitutions psychologiques
différentes1 ».
Alors que le sunnisme reconnaît pleinement la valeur spirituelle de tous les
Compagnons qui furent des proches du Prophète, le chiisme ne reconnaît
comme autorité suprême que les « Imams », c’est-à-dire ‘Alî et certains de
ses descendants. Dans la perspective chiite, le rôle de l’Imam n’est pas
seulement de veiller à la bonne application de la Loi sacrée, mais il en est
également l’interprète par excellence. Considérés comme des héritiers de
la « Lumière muhammadienne », les Imams ont la charge d’interpréter les
aspects intérieurs ou ésotériques (bâtin) des enseignements du Prophète.
C’est en Perse que le chiisme s’installa le plus durablement, jusqu’à
devenir religion d’État avec la dynastie des Safavides, au XVIe siècle.
Pour sa part, le sunnisme a toujours été majoritaire dans le monde arabo-
musulman. On estime que les chiites représentent aujourd’hui 10 à 15 %
de la population musulmane totale, soit 150 à 200 millions de fidèles. La
plus grande communauté chiite se trouve actuellement en Iran, avec 90 %
de la population du pays. Leurs autres lieux d’implantation sont
principalement l’Irak, le Liban, l’Azerbaïdjan, le Pakistan, l’Inde,
l’Afghanistan et le Bahreïn.
Les deux principales obédiences du chiisme sont le chiisme duodécimain2
et l’ismaélisme. Ces deux obédiences se sont séparées à la mort du sixième
Imam, Ja‘far al-Sâdiq, en 765.
Parmi les textes importants du chiisme, il faut mentionner La Voie de
l’éloquence (Nahj al-balâgha) qui est un recueil de paroles attribuées à
‘Alî. Citons quelques passages de cet ouvrage dans lesquels ‘Alî donne
des enseignements à son disciple Kumayl ibn Ziyâd sur la primauté de la
connaissance :
« Il existe trois types d’hommes : le savant inspiré par Dieu, l’homme en
quête de connaissance pour son salut et l’ignorant qui suit quiconque le
séduira par son discours…
Ô Kumayl ! La véritable connaissance est une voie d’adoration de Dieu…
Il y a là une science immense (et ‘Alî désigna du doigt sa poitrine). Ah, si
je pouvais trouver quelqu’un qui soit digne de la recevoir. Oui, je n’ai
trouvé que des personnes qui veulent la connaître sans être dignes de la
porter3. »

Qu’est-ce que la « charia » ?


Le Coran et la Sunna contiennent un certain nombre de prescriptions.
Celles-ci concernent aussi bien des commandements divins que des
interdictions. Contrairement à un préjugé relativement répandu
aujourd’hui, le Coran contient assez peu de prescriptions régissant les
actes et la vie sociale du croyant. Les spécialistes estiment qu’environ 8 %
des versets du Coran relèvent de cette catégorie.
L’ensemble des prescriptions islamiques est désigné par le terme sharî‘a,
dont la version francisée est «  charia  ». Selon une conception que l’on
retrouve de nos jours aussi bien dans certains milieux musulmans que non-
musulmans, la sharî‘a serait «  la loi islamique codifiant l’ensemble des
droits et des devoirs tant individuels que collectifs des musulmans ». Rien
n’est plus faux, et cela pour plusieurs raisons.
Tout d’abord le terme sharî‘a désigne, dans son étymologie, la voie, le
chemin. Plus précisément, c’est le sentier qui mène à une source. Or, le
Coran souligne que ce sentier n’est ni figé dans le temps ni unique pour
toute l’humanité. S’adressant aux diverses communautés religieuses, le
Livre sacré affirme :
«  Pour chaque communauté d’entre les vôtres, Nous avons institué une
voie (shir‘a) et établi une règle de conduite (minhâj) qui lui est propre. Et
si Dieu l’avait voulu, Il aurait fait de vous une seule et même
communauté ; mais Il a voulu vous éprouver pour voir l’usage que chaque
communauté ferait de ce qu’Il lui a donné4… »
S’il est juste de dire que la sharî‘a est l’ensemble des prescriptions
présentes dans les sources de l’islam, il faut ajouter que cet ensemble ne
prend de valeur normative qu’après avoir été contextualisé et interprété.
C’est là le rôle du fiqh, terme que l’on peut traduire par «  Droit  » ou
«  jurisprudence  ». C’est donc cette discipline islamique, fruit d’intenses
efforts d’interprétation, qui énonce les dispositions religieuses auxquelles
se conforme le fidèle, et non la sharî‘a.
On présente parfois la sharî‘a, avec une volonté dépréciative, comme un
bloc immuable de lois divines, enfermant le musulman dans un carcan
dont il ne pourrait sortir qu’en reniant sa foi. Considérés en eux-mêmes,
les éléments de la sharî‘a induisent des orientations générales éclairant le
fidèle sur ce qui est attendu de lui dans les diverses situations de la vie.
Ces orientations sont rapportées à cinq domaines par les savants de l’islam
et sont appelées « les finalités de la sharî‘a » (maqâsid al-sharî‘a) :
la préservation de la vie humaine ;
la préservation de la religion ;
la préservation de la lucidité de la conscience ;
la préservation de la filiation ;
la préservation des biens et des richesses.
Ce sont là des valeurs morales et non des dispositions juridiques
particulières, et, comme telles, elles relèvent de l’éthique.
Une des affirmations les plus fortes de l’éthique islamique découle du
verset suivant : « Point de contrainte en religion ! C’est ainsi que doit se
faire la distinction claire entre la vérité et l’égarement5.  » D’après ce
verset, seule la libre adhésion au Message révélé possède une valeur
spirituelle. Pour sa part, le Prophète a dit : « En vérité, Dieu ne tient pas
compte de ce qu’une personne de ma communauté a fait par erreur, par
oubli ou sous la contrainte6. »
À rebours de cette libre adhésion, on entend parfois dire que la sharî‘a
condamne à mort ceux qui se rendent coupables d’apostasie (ridda), c’est-
à-dire ceux qui quittent l’islam. Or, le Coran n’évoque jamais de châtiment
terrestre pour les apostats. Le Livre souligne seulement que l’apostat se
fait du tort à lui-même en perdant la possibilité du salut dans l’au-delà. Un
verset souligne que l’apostasie est le résultat d’une pratique religieuse sans
relation à Dieu fondée sur l’amour  : «  Ô vous qui croyez, que celui qui
apostasie sache que Dieu fera surgir des gens qu’Il aimera et qui
L’aimeront7. »
Pourtant, certains oulémas se sont appuyés sur un hadith pour justifier la
condamnation à la peine de mort en cas d’apostasie : « Quiconque change
de religion, mettez-le à mort8.  » Les théologiens qui rejettent cette
interprétation soulignent que ce hadith ne peut s’appliquer qu’à celui qui
veut changer la religion en créant une hérésie (zindîq). Ils lisent donc
l’expression man baddala dînahu fa-qtulûh ainsi : « Quiconque change la
religion, mettez-le à mort. »
Ce que l’on a appelé « les guerres d’apostasie » (hurûb al-ridda) sont des
combats qui eurent lieu en 632-633, durant le califat d’Abû Bakr. À
l’origine des événements se trouve la rébellion de certaines tribus d’Arabie
qui, après être entrées en islam, décidèrent de ne plus verser la zakât et de
s’opposer au pouvoir califal. Il s’agit donc de conflits politiques et non
d’orientation religieuse à proprement parler. Mais dans les siècles qui
suivirent, les guerres d’apostasie servirent de précédent aux oulémas qui
voulaient sanctionner l’abandon de l’islam par un fidèle.
Puisque, d’après le Coran, les hommes n’ont aucune sanction à infliger à
la personne qui ne se sent plus appartenir à l’islam, cette position devint
progressivement très majoritaire chez les oulémas du monde arabo-
musulman.
De manière générale, il y eut, dès les débuts de l’islam, diverses tendances
interprétatives concernant les prescriptions religieuses. C’est cela qui
donna naissance aux différentes Écoles juridiques que nous allons
maintenant aborder.

Les Écoles juridiques


La jurisprudence (ou le Droit : fiqh) est la discipline islamique qui traite du
statut juridique des prescriptions religieuses. Il s’agit donc d’un effort
d’interprétation (ijtihâd) visant à l’observance et à la mise en pratique de
la Loi divine (sharî‘a). Ses sources principales sont tout d’abord le Coran
et la Sunna du Prophète telle qu’elle se présente dans les hadiths. Mais
selon les différentes Écoles juridiques (madhhab, pl. madhâhib), certains
instruments peuvent compléter ces deux sources : le consensus des savants
(ijmâ‘), l’opinion individuelle (ra’y) du juriste et le raisonnement par
analogie (qiyâs).

Que signifie « le consensus des savants » ?

Cette notion suscita de nombreuses discussions : quand peut-on considérer que


le consensus est atteint  ? Certains juristes furent partisans de restreindre le
consensus à celui des seuls Compagnons, alors que d’autres l’élargirent aux
savants d’une même génération. D’autres, enfin, proposèrent de réduire le
consensus à l’accord des savants d’une même région sur une question donnée.

Le terme technique fiqh – qui finit par désigner la jurisprudence islamique


ou science du Droit religieux en islam – signifiait dans le Coran et les
hadiths «  compréhension, connaissance, intelligence  ». Selon l’opinion
traditionnelle des savants musulmans, les origines de la jurisprudence
islamique remontent aux quatre premiers califes et à quelques
Compagnons spécialisés en Droit religieux. Ils auraient énoncé des
conclusions à partir du Coran et des hadiths afin d’éclairer des situations
non explicitement prévues par ces sources scripturaires. Mais ce n’est que
vers le début du VIIIe siècle qu’apparurent les premiers spécialistes dont
l’activité peut être considérée comme fondamentale dans la formation du
fiqh, notamment Ibrâhîm al-Nakha‘î (670-714) à Koufa et Sa‘îd al-
Musayyib (642-715) à Médine. Plusieurs voies de transmission du savoir
juridique sont demeurées célèbres. Ainsi, ‘Â’isha, l’épouse du Prophète,
enseigna de nombreux points de jurisprudence à son neveu ‘Urwa ibn
Zubayr (644-713). Ce dernier transmit à son tour ce savoir à son fils
Hishâm ibn ‘Urwa (680-763), lequel fut le principal enseignant de Mâlik
ibn Anas, le fondateur de l’École malékite, l’une des quatre Écoles
juridiques sunnites.
Ainsi, un travail de synthèse et de catégorisation des éléments du Droit fut
réalisé au fil des décennies. Les traités classiques de fiqh, qui apparurent
progressivement entre le IIe et le IVe siècle de l’Hégire, contiennent un
ensemble de prescriptions relevant du culte ou des relations
interpersonnelles. Les règles cultuelles sont abordées sous le titre « ‘ibâdât
» lesquelles détaillent ce que sont les cinq piliers de l’islam (arkân al-
islâm)  : la profession de foi, la prière et les ablutions, l’aumône de
purification des biens, le jeûne ainsi que le pèlerinage à La Mecque. Mais
les règles cultuelles peuvent également concerner le vêtement, la
convivialité, les rites funéraires, etc. Les ‘ibâdât sont ainsi désignées par
opposition aux relations interpersonnelles (mu‘âmalât), lesquelles
correspondent aux dispositions qui relèvent du Droit de la famille
(mariage, divorce, héritage), du Droit des contrats (achats, ventes et prêts),
du Droit pénal, du Droit de la guerre, etc.

Les statuts juridiques dans le fiqh

Dans la perspective du fiqh, toute prescription religieuse occupe l’un des cinq
statuts juridiques suivants :
obligatoire (wâjib) ;
recommandé (mandûb ou mustahabb) ;
neutre (mubâh) ;
déconseillé (makrûh) ;
interdit (mahzûr ou harâm).

Parmi les nombreuses Écoles juridiques qui apparurent dans le sunnisme,


quatre prirent une importance fondamentale et sont encore vivantes
aujourd’hui.

L’École juridique d’Abû Hanîfa


Abû Hanîfa al-Nu‘mân ibn Thâbit (699-767) vécut à Koufa et fut le
fondateur de l’École juridique hanafite. Nous ne savons que peu de choses
sur sa formation intellectuelle et spirituelle, si ce n’est qu’il assista aux
assemblées de science (majâlis al-‘ilm) dans lesquelles enseignait
Hammâd ibn Abî Sulaymân (m. 738) à Koufa. Après la mort de Hammâd,
Abû Hanîfa devint la plus grande autorité à Koufa en matière de loi
religieuse.
Il ne composa lui-même aucun ouvrage de fiqh, mais discuta de ses
opinions avec ses disciples et les leur dicta. Ayant vécu à une époque où
les hadiths circulaient assez peu et n’avaient pas encore bénéficié de
l’attention dont ils seront l’objet par la suite, Abû Hanîfa développa une
méthodologie juridique marquée par le recours au raisonnement individuel
(ra’y) et aux solutions analogiques (qiyâs).
Ses disciples et continuateurs ne furent pas toujours d’accord avec toutes
ses positions juridiques mais maintinrent les éléments fondamentaux de sa
méthodologie.
Parmi les ouvrages reconnus comme des références incontournables de
cette École juridique, mentionnons Nûr al-îdâh du juriste égyptien Hassân
ibn ‘Ammâr al-Shurunbulâlî (1585-1659)9.

La présence actuelle du hanafisme

Il est aujourd’hui majoritaire dans les régions suivantes  : Turquie, Balkans,


Proche-Orient, ouest de l’Irak, Asie centrale et sous-continent indien.

L’École juridique de Mâlik


Né entre 708 et 716, Mâlik ibn Anas passa presque toute sa vie à Médine.
Parmi ses maîtres, on retrouve Ibn Shihâb al-Zuhrî (671-742) et Nâfi‘ (m.
735), l’affranchi du Compagnon Ibn ‘Umar, Ja‘far al-Sâdiq (699 ou 702-
765) et Hishâm ibn ‘Urwa dont nous avons déjà parlé. Les deux premiers
maîtres cités sont des transmetteurs de hadiths de premier plan.
Mâlik est l’auteur du premier traité de Droit musulman qui nous soit
parvenu. Cet ouvrage a pour titre al-Muwatta’, ce qui signifie «  la voie
aplanie »10. Mâlik y expose la « pratique médinoise » (‘amal al-Madîna)
en matière de fiqh. Il se rattache donc à la tradition juridique de la ville qui
vit l’éclosion de la première communauté musulmane organisée en cité.
La matière juridique est présentée dans al-Muwatta’ sous forme de
chapitres. Ceux-ci contiennent non seulement des hadiths mais également
des paroles de Compagnons ou de Suivants. À cela s’ajoutent les avis des
juristes antérieurs ainsi que les positions juridiques propres de Mâlik. Al-
Muwatta’ est considéré par les grandes autorités du Hadith comme un des
ouvrages les plus sûrs. Ainsi, al-Bukhârî désignait la chaîne de
transmission suivante comme « la chaîne d’or » (silsilat al-dhahab)  : Ibn
‘Umar Nâfi‘ Mâlik. Après une courte maladie, Mâlik mourut à
Médine en 796.
L’une des références majeures de l’École malékite est al-Risâla d’Ibn Abî
Zayd al-Qayrawânî (922-996), grand juriste de Kairouan qui fut appelé
«  le petit Mâlik  ». Cet ouvrage concis expose en quarante-cinq chapitres
l’ensemble des positions juridiques qui furent celles de Mâlik et de ses
premiers continuateurs, comme ‘Abd al-Salâm Sahnûn (777-855)11.

La présence actuelle du malékisme

L’École malékite est, aujourd’hui, implantée au Maghreb, en Afrique de l’Ouest,


au Tchad, au Soudan, en Haute Égypte, au Koweït et dans l’émirat de Dubaï.

L’École juridique d’al-Shâfi‘î


En 767 mourait Abû Hanîfa et naissait al-Shâfi‘î dans une famille
qurayshite, descendant de ‘Abd al-Muttalib, le grand-père du Prophète. Il
grandit à La Mecque où ses principaux maîtres furent Muslim ibn Khâlid
al-Zanjî (m. 796) et Sufyân ibn ‘Uyayna (725-814). La réputation de
Mâlik ibn Anas l’attira à Médine. Quand al-Shâfi‘î se rendit auprès de lui,
il avait déjà appris par cœur le Muwatta’ du grand juriste de Médine. Al-
Shâfi‘î demeura son élève une dizaine d’années et le considéra toujours
comme son maître par excellence.
Toutefois, cette fidélité ne l’empêcha pas de développer une approche
juridique originale. Alors que l’approche de ses prédécesseurs se voulait
explicative et descriptive, al-Shâfi‘î propose une méthodologie très
élaborée de la production de la norme juridique dans un ouvrage
simplement intitulé al-Risâla12. Cela fit de lui l’instigateur de « la science
des fondements du fiqh » (usûl al-fiqh) laquelle devait considérablement
se développer après lui. Ainsi naquit l’opposition entre «  les racines  »
(usûl) et «  les branches  » (furû‘) du Droit, ces dernières constituant
l’ensemble des règles pratiques dérivant des «  racines  ». On doit
notamment à al-Shâfi‘î la théorisation du raisonnement par analogie
(qiyâs). La grande utilité du qiyâs est de pallier l’absence de données
scripturaires (Coran et hadiths) et de permettre ainsi de combler les vides
juridiques. Les écrits d’al-Shâfi‘î, composés en grande partie sous forme
de dialogues, furent réunis par ses disciples dans un recueil qui reçut le
titre de Kitâb al-Umm. Son disciple le plus célèbre fut Ismâ‘îl ibn Yahyâ
al-Muzanî (791-878). Il résuma les enseignements de son maître dans un
ouvrage intitulé al-Mukhtasar.
Un des grands classiques de l’école juridique chaféite est le Minhâj al-
tâlibîn d’al-Nawawî (1233-1277). Cet ouvrage reprend et développe les
avis qui font référence dans cette École13.

La présence actuelle du chaféisme

L’École chaféite est, aujourd’hui, prédominante au Yémen, en Afrique de l’Est, en


Égypte, au Kurdistan, au Daghestan, au Kerala, en Asie du Sud-Est (Indonésie,
Thaïlande et Philippines). Elle est même École juridique d’État en Malaisie et à
Brunei.

L’École juridique d’Ibn Hanbal


Ahmad ibn Hanbal naquit à Bagdad en 780. Après avoir étudié la
jurisprudence et la lexicographie, il décida, à partir de 795, de se consacrer
à l’étude du Hadith. Pour cela, il parcourut l’Irak, le Hedjaz, le Yémen et
la Syrie. Parmi ses principaux maîtres, mentionnons Sufyân ibn ‘Uyayna
et al-Shâfi‘î.
Profitant des progrès réalisés dans la collecte et l’étude des hadiths, Ibn
Hanbal exclut autant que possible le recours au raisonnement individuel
dans l’élaboration du Droit islamique. Il est significatif que son principal
ouvrage soit un immense recueil de près de 30 000 hadiths intitulé al-
Musnad. S’il est vrai qu’Ibn Hanbal voulut accorder la plus grande place
possible aux sources scripturaires – raison pour laquelle il est considéré
comme le chef de file des « Gens de la tradition » (ashâb al-hadîth) –, il
n’en fit pas moins usage du jugement personnel pour comprendre les
hadiths et résoudre leurs divergences éventuelles. Il ne s’agit donc pas
d’un littéralisme simpliste.
Par ailleurs, ses avis juridiques furent consignés par ses disciples sous le
titre Kitâb al-masâ’il. Cet ouvrage montre qu’il n’a jamais voulu donner à
son enseignement la forme d’un système, craignant une codification
excessive du fiqh.
La jurisprudence hanbalite fut présentée sous une forme résumée par l’une
des grandes figures de cette École, à savoir Ibn Qudâma (1147-1223)  :
‘Umdat al-fiqh14. Cet ouvrage devint rapidement une référence
incontournable de l’École fondée par Ibn Hanbal.

La présence actuelle du hanbalisme

Aujourd’hui, le hanbalisme est essentiellement implanté en Arabie saoudite et au


Qatar.

Les autres Écoles juridiques


Aux quatre grandes Écoles juridiques du sunnisme que nous venons de
présenter, il faut ajouter l’École juridique ja‘farite – la plus importante du
chiisme – et l’École ibâdite, laquelle ne relève ni du sunnisme ni du
chiisme mais du kharijisme. Ce dernier mouvement naquit lors de
l’arbitrage entre ‘Alî et Mu‘âwiya à l’issue de la bataille de Siffîn qui les
avaient opposés en 657. À l’origine partisans de ‘Alî, ceux qui furent
appelés les khawârij (les «  sortants  », les «  dissidents  »), refusèrent le
principe de l’arbitrage et rejetèrent les deux camps. Depuis son apparition,
le kharijisme s’est scindé en divers courants. Aujourd’hui, il n’est
représenté que par les Ibâdites, lesquels ne se trouvent que dans de rares
régions du monde arabo-musulman (région du Mzab en Algérie, Île de
Djerba, sultanat d’Oman).
Quant à l’École juridique ja‘farite, elle doit son nom au sixième Imam du
chiisme, Ja‘far al-Sâdiq. La vaste connaissance juridique de Ja‘far et sa
profonde spiritualité ont marqué ses contemporains, qu’ils soient de
tendance chiite ou sunnite. Depuis la fatwa émise par le doyen de
l’université al-Azhar du Caire en 1959, l’École ja‘farite bénéficie d’une
pleine reconnaissance dans le monde sunnite.

Le soufisme
Comme toute religion d’institution divine, l’islam possède une dimension
exotérique (sharî‘a) et une autre ésotérique (haqîqa). Affirmer cela revient
à dire que le rituel ne se suffit pas à lui-même et qu’il trouve sa raison
d’être dans le spirituel, dans une relation intérieure avec le divin.

Que signifie « ésotérique » ?

Dérivé du grec esôterikos signifiant «  de l’intérieur  », l’adjectif «  ésotérique  »


qualifie la vérité intérieure et cachée d’une doctrine ou d’un enseignement. En
islam, l’ésotérisme appelé ‘ilm al-bâtin (« science de l’intérieur ») et l’exotérisme
(‘ilm al-zâhir) sont considérés comme des dimensions complémentaires. C’est
pourquoi al-Ghazâlî affirme que «  tout acte du culte possède un aspect
exotérique et un autre ésotérique, une écorce et une pulpe15 ».
L’entrée effective dans le domaine ésotérique nécessite, pour ceux qui possèdent
les qualifications requises, une initiation donnée par un maître spirituel puis un
long cheminement intérieur16.

En islam, le passage de l’exotérisme à l’ésotérisme nécessite un


cheminement initiatique (tarîq ilâ Llâh ou sulûk) rendu possible par un
enseignement et un influx spirituel (baraka) remontant au Prophète lui-
même et se transmettant, de génération en génération, à travers la lignée
des maîtres soufis (silsila). Le soufisme se présente précisément comme la
dimension ésotérique de l’islam dont le rôle est de transmettre cet
enseignement et cet influx spirituel. La voie soufie se veut donc avant tout
une voie de réalisation de ce que le Prophète appelait l’ihsân, terme que
l’on peut traduire par « excellence » ou encore « vertu parfaite » et qui fut
défini par lui comme consistant «  à adorer Dieu comme si tu Le voyais,
car si tu ne Le vois pas, certes Lui te voit17 ».
Le soufisme peut être considéré comme la mystique de l’islam à condition
d’entendre le terme « mystique » dans son sens originel : en ce sens, est
mystique ce qui relève de la connaissance des « mystères » de la religion.
Les maîtres soufis ont toujours insisté sur la difficulté – voire
l’impossibilité – de définir le soufisme. C’est pourquoi les façons de le
définir sont si nombreuses.

Quelques définitions du soufisme

« Le soufisme c’est être avec Dieu, le Très-Haut, sans lien de dépendance à quoi
que ce soit. » (al-Junayd)
«  Le soufisme est la conformation de l’âme à tout ce que veut le Très-Haut.  »
(Ruwaym)
« Le soufisme c’est ne rien posséder et n’être possédé par rien. » (Samnûn)18

Le soufisme a exercé, de tout temps, une très grande influence sur la vie
religieuse et sociale des peuples musulmans, ainsi que sur leurs arts et
leurs littératures.

Origine et nature du soufisme


Le mot « soufisme » provient du terme arabe sûfî et il traduit le vocable
tasawwuf, lequel désigne l’action d’être soufi, ou plutôt d’y tendre. On ne
peut relier le terme sûfî à une étymologie unique. Certains le font dériver
du verbe arabe sûfiya : « Il a été purifié. » D’autres considèrent qu’il vient
du mot sûf, la laine, parce que les premiers ascètes portaient des vêtements
de laine. On a encore proposé d’autres origines étymologiques, mais elles
se révèlent beaucoup moins convaincantes que les deux précédentes.
Le soufisme se présente essentiellement comme la transmission initiatique
d’un influx spirituel remontant au Prophète et rendant possible un
cheminement intérieur visant à la purification de l’âme, à la connaissance
de soi et à la contemplation de Dieu. Le disciple (murîd) reçoit l’initiation
de son guide spirituel (murshid) à travers un rite pouvant prendre plusieurs
formes, dont les principales sont « l’investiture du manteau » (khirqa), « la
prise du pacte  » (‘ahd ou bay‘a) et «  l’enseignement secret de formule
d’invocation » (talqîn).
Lors de « l’investiture du manteau » – pratique qui fut répandue surtout au
Moyen-Orient et qui tend à disparaître aujourd’hui – le maître plaçait son
manteau ou une autre pièce de tissu sur les épaules de l’aspirant. Certains
maîtres soufis font remonter cette pratique au Prophète qui a revêtu d’une
étoffe une Éthiopienne nommée Umm Khâlid, lui disant  : «  Revêts-la et
acquiers une noble conduite. » Puis le Prophète ajouta en éthiopien : « Ô
Umm Khâlid, il y a là un grand bien19. »
La «  prise du pacte  » est aujourd’hui le rite d’initiation soufie le plus
répandu. Il est également celui qui bénéficie des plus nombreux appuis
dans le Coran et le Hadith. Ainsi, ce rite renoue l’engagement contracté
par un groupe de près de 1 500 Compagnons – hommes et femmes
confondus – avec le Prophète lors du pacte de Hudaybiyya en l’an VI de
l’Hégire. C’est à cela que fait écho la sourate 48 à deux reprises : « Ceux
qui te prêtent serment d’allégeance, c’est à Dieu en réalité qu’ils le prêtent.
La Main de Dieu est au-dessus de leurs mains…  » (v. 10), «  Dieu fut
satisfait des croyants lorsqu’ils te prêtèrent serment sous l’arbre…  » (v.
18).
Les maîtres spirituels présentent souvent le soufisme comme une voie
permettant de recevoir l’amour et la connaissance de Dieu lui-même.
Même un historien comme Ibn Khaldûn (1332-1406) le définit, dans sa
célèbre Muqaddima, comme « la science provenant directement de Dieu »
(al-‘ilm al-ladunî) en référence au verset 18, 65  : «  Nous lui avons
enseigné [au Khidr] une science émanant de chez Nous. »

Le soufisme à travers l’histoire


Outre le cas emblématique du Prophète, les premières vocations mystiques
sont celles de certains Compagnons connus pour leur ascétisme comme
‘Alî, Abû Dharr al-Ghifârî ou encore les « Gens de la Banquette » (Ahl al-
suffa) ainsi désignés parce que trop pauvres pour posséder un logement, ils
s’installèrent sous un portique situé dans la partie sud de la mosquée du
Prophète à Médine.
Fidèle à la tradition ascétique des deux premiers siècles de l’Hégire, al-
Hasan al-Basrî (642-728) enseigna surtout le détachement du monde et
l’adoration de Dieu. Avec Râbi‘a al-‘Adawiyya (713-801), la célèbre
sainte originaire de Bassora, l’amour exclusif de Dieu devint un thème
privilégié du soufisme. Son fameux poème Je t’aime de deux amours
influença de nombreux poètes soufis. Au siècle suivant, al-Junayd al-
Baghdâdî (vers 830-911) insistera sur la connaissance spirituelle de
l’Unicité divine. Tout en intégrant les dimensions de détachement du
monde et d’amour de Dieu, celui qui fut surnommé «  le maître de la
Troupe des spirituels » (sayyid al-Tâ’ifa) montra pourquoi la connaissance
spirituelle constitue le degré suprême du cheminement intérieur  : «  La
connaissance de l’Unicité qui est particulière aux soufis consiste à isoler
l’éternité de la temporalité, à quitter sa demeure, à rompre les liens avec
les choses auxquelles on est attaché, à laisser de côté ce que l’on sait et ce
que l’on ignore, et elle consiste enfin dans le fait que l’Être divin tient
alors lieu de tout20. »
Deux siècles plus tard, Ghazâlî (1058-1111) proposa, dans son ouvrage
majeur La Revivification des sciences de la religion (Ihyâ’ ‘ulûm al-dîn),
une synthèse entre les disciplines islamiques de premier plan que sont la
théologie, le Droit et le soufisme. Mais le plus grand porte-parole des
doctrines soufies est l’Andalou Ibn ‘Arabî (1165-1240) surnommé al-
Shaykh al-akbar, le plus grand des maîtres spirituels. Son œuvre majeure,
de dimensions colossales et intitulée al-Futûhât al-makkiyya21, aborde en
profondeur l’ensemble des doctrines soufies. Métaphysique, théologie,
cosmologie, rituel, science des lettres et eschatologie y trouvent d’amples
développements.
Parallèlement à cette amplification doctrinale, le soufisme évolua dans son
organisation extérieure et l’on vit l’apparition des confréries ou voies
spirituelles (tarîqa, pl. turuq) dès le XIIe siècle. Cela lui donna une vitalité
et une prégnance encore très fortes aujourd’hui dans le monde musulman.
Les principales voies soufies

Ce sont, dans l’ordre chronologique d’apparition, la Qâdiriyya dont le fondateur


est le célèbre ‘Abd al-Qâdir al-Jîlânî (1078-1166), la Rifâ‘iyya (fondée par Ahmad
al-Rifâ‘î, 1118-1182), la Shâdhiliyya (fondée par Abû l-Hasan al-Shâdhilî, 1196-
1258) et la Naqshabandiyya (fondée par Bahâ’ al-Dîn Naqshaband, 1318-1389).

Les Écoles théologiques


La théologie est une science qui traite du credo (‘aqîda), de tout ce en quoi
doit croire le fidèle. Comme toutes les autres disciplines islamiques, la
théologie se constitua progressivement en science autonome à partir du IIe
siècle de l’Hégire. Les discussions autour de deux questions principales
sont à l’origine de cette discipline  : la question de l’articulation entre le
libre arbitre et la prédestination, et celle de la nature créée ou incréée du
Coran. C’est probablement en référence à cette dernière question que la
théologie est désignée par le terme kalâm, lorsqu’elle prend la forme d’un
exposé argumenté. Ce terme signifie en effet « parole » ou «  discours ».
Or, nous l’avons dit, le problème de la nature de la Parole divine révélée a
eu un rôle majeur dans le développement de la théologie.

Le mutazilisme
Le fondateur de ce courant théologique est Wâsil ibn ‘Atâ’ (700-748) qui
enseigna à Bassora. Ses idées gagnèrent rapidement Bagdad et s’y
développèrent. Le terme arabe mu‘tazila dérive du vocable i‘tizâl qui
désigne l’action de se séparer, de se tenir à l’écart. Wâsil, qui était un
disciple d’al-Hasan al-Basrî, se serait «  séparé  » de son maître à la suite
d’un différend sur le statut à accorder au croyant qui a commis un « péché
majeur  ». Selon Wâsil, un tel pécheur (fâsiq) n’est ni croyant ni infidèle
mais occupe une position intermédiaire (fî manzila bayna l-manzilatayn)
tant qu’il ne s’est pas repenti de son péché.
Les mutazilites prônent un usage étendu de la raison pour interpréter et
comprendre ce que le Coran et les hadiths enseignent sur la nature de
Dieu, la condition humaine et la réalité de l’Au-delà. Le mutazilisme
énonce cinq grandes thèses qui forment l’armature de sa doctrine :
1. L’Unicité divine (tawhîd)
Certains versets du Coran décrivent Dieu de manière
anthropomorphique, c’est-à-dire qu’ils attribuent au Créateur des
caractères appartenant aux créatures. Ces versets évoquent la « Face
de Dieu » (par ex. 2, 115), la « Main de Dieu » (par ex. 48, 10), etc.
Mais, par ailleurs, le Coran affirme également que «  rien ne Lui
ressemble » (42, 11). La position des mutazilites est alors la suivante :
rien de ce qui est créé ne peut correspondre réellement à Dieu. Il
s’agit pour eux de préserver l’absolue transcendance de Dieu (tanzîh).
Pour cela, les mutazilites ont recours à l’interprétation symbolique
(ta’wîl) des versets en question. Voulant insister sur l’Unicité divine,
les mutazilites considèrent que les divers Attributs divins (la
miséricorde, l’omniscience, la toute-puissance, etc.) n’ont pas
d’existence autonome et ne sont rien d’autre que l’Essence divine.
2. La Justice divine (‘adl)
Cette thèse, jointe à la première, est si essentielle au mutazilisme que
ses partisans se désignaient eux-mêmes comme «  les Gens de la
Justice et de l’Unicité  » (Ahl al-‘adl wa-l-tawhîd). Par «  Justice
divine » les mutazilites entendent que tout ce que fait Dieu obéit à un
objectif sage. C’est pourquoi la Volonté divine ne saurait désirer que
le bien : seul l’homme est responsable du mal qui existe.
3. La Promesse et la Menace divines (al-wa‘d wa-l-wa‘îd)
Puisque l’homme est libre et responsable de ses choix, Dieu a promis
que le bien sera récompensé par le Paradis et le mal accompli
appellera le châtiment de l’Enfer, sauf si son auteur s’est repenti.
4. La position intermédiaire du pécheur
Dès lors que le croyant est promis au Paradis et que les «  péchés
majeurs  » (kabâ’ir) appellent le châtiment de l’Enfer, le pêcheur ne
peut être dit «  croyant  ». C’est pourquoi le mutazilisme place le
pêcheur dans une position intermédiaire qui n’est ni celle du croyant
ni celle de l’infidèle.
5. La commanderie du bien et l’interdiction du mal
Face à un «  mal  » qui touche la société, certains musulmans se
contentaient d’une réprobation intérieure et évitaient de prendre parti
extérieurement «  de peur d’ajouter du trouble au trouble existant  ».
Pour les mutazilites le commandement coranique « de commander le
bien et d’interdire le mal  » (al-amr bi-l-ma‘rûf wa-l-nahy ‘an al-
munkar)22 doit se faire par tous les moyens possibles, y compris par
l’usage de la force.
S’il est vrai que les mutazilites encouragent l’usage de la raison dans
la compréhension des éléments de la foi, on aurait tort de les
considérer, pour cette raison, comme les « libéraux » de l’islam. Leur
intransigeance farouche s’exprima pleinement lorsqu’ils furent
soutenus par le calife al-Ma’mûn, qui régna de 813 à 833, et ses
successeurs. Les mutazilites mirent alors en place une persécution
(mihna) durant laquelle leurs opposants furent pourchassés. C’est
ainsi qu’Ibn Hanbal – qui s’opposait à leur théologie en donnant la
primauté au Coran et au Hadith sur la raison – fut longuement
interrogé puis emprisonné. D’autres, moins célèbres que lui, furent
exécutés.
Une des questions qui opposaient Ibn Hanbal aux mutazilites est celle
de la nature du Coran  : pour le premier, le fidèle doit croire que le
Livre révélé est incréé alors que pour les seconds, le fidèle doit
admettre qu’il est créé.
Finalement, le calife al-Mutawakkil – qui régna de 847 à 861 –
abandonna le mutazilisme et mit à l’honneur les «  Partisans de la
Tradition  » (Ahl al-hadîth) dont faisait partie Ibn Hanbal. Entre le
mutazilisme strict et l’approche littérale des Ahl al-hadîth, une
position intermédiaire était possible. Il revint à al-Ash‘arî de
l’assumer.

La naissance de l’asharisme
Abû l-Hasan al-Ash‘arî naquit à Bassora en 874, ville où apparut le
mutazilisme. Il étudia auprès d’al-Jubbâ’î (849-915) qui était la plus
grande autorité mutazilite de la ville. Après être resté son disciple pendant
une quarantaine d’années, al-Ash‘arî finit par quitter son maître. Selon
certains récits, il aurait vu le Prophète en songe qui lui enjoignait de suivre
« les véritables croyants ». Il se rapprocha alors des enseignements d’Ibn
Hanbal tout en prenant soin de ne pas verser dans le littéralisme.
La théologie asharite subordonne l’examen rationnel des thèses
théologiques aux données de la Révélation et du Hadith. La raison n’est
donc pas rejetée en tant que telle mais, en cas de contradiction avec les
Textes fondateurs, ce sont ces derniers qui doivent être privilégiés. Par cet
équilibre, al-Ash‘arî propose une voie médiane qui préserve la
transcendance de Dieu sans rejeter la lettre des anthropomorphismes qui
Le décrivent dans les textes sacrés. Ainsi la Main et la Face de Dieu
doivent être considérées comme « réelles », et non simplement comme des
allégories, mais elles ne sont pas les parties d’un corps et diffèrent
radicalement de ce que l’entendement humain peut se représenter.
Concernant la question de la nature du Coran, l’asharisme enseigne que le
Livre sacré est la parole de Dieu éternelle et incréée, mais que les lettres
qui le composent ainsi que l’encre avec laquelle il est écrit sont créés.
Lorsqu’al-Ash‘arî meurt à Bagdad en 936, ses enseignements sont déjà
largement répandus. Ses principaux ouvrages, Kitâb al-ibâna et Maqâlât
al-islâmiyyîn, forment le noyau doctrinal sur lequel s’appuieront ses
continuateurs.
Proche de l’asharisme, l’École théologique fondée par al-Mâturîdî (853-
944, mort à Samarcande) empreinte toutefois davantage à la méthodologie
des mutazilites. Adhérant aux enseignements d’Abû Hanîfa, al-Mâturîdî
fut beaucoup moins marqué qu’al-Ash‘arî par les positions des Partisans
de la Tradition.
Bien qu’il n’eût pas le succès de l’asharisme, le maturidisme s’est
perpétué à travers les siècles et compte, encore aujourd’hui, des
représentants.

La théologie mystique
Par son insistance sur l’illumination du cœur (fath) comme accès à la
véritable connaissance de Dieu, le soufisme enseigne que ni la raison ni
une lecture littérale des textes ne suffisent pour proposer une théologie
digne de ce nom.
Dans cette perspective, la faculté permettant de connaître Dieu est le ‘aql,
non en tant que « raison » capable de raisonnement logique mais en tant
qu’«  intellect  » donnant accès à une connaissance transcendante. La
distinction entre «  raison  » et «  intellect  » est parfois soulignée dans le
soufisme comme étant celle entre la «  petite intelligence  » (al-‘aql al-
saghîr) et la «  grande intelligence  » (al-‘aql al-kabîr). La Réalité divine
(Essence, Attributs et Actes) est trop élevée pour que la raison et le
langage humain puissent en rendre compte de manière adéquate. Les
premiers manuels de soufisme, rédigés entre la fin du IXe siècle et celle du
XIe, insistent sur ce point. C’est ainsi qu’al-Kalâbâdhî (m. 995) écrit dans
son Kitâb al-ta‘arruf :
« Les soufis sont unanimes à proclamer que Dieu est Unique et Un, Seul et
Impénétrable, Éternel et Savant, Puissant et Vivant, Audient et Voyant,
Omnipotent et Infini, Majestueux et Grand, Généreux et Bon […].
L’attribution que nous Lui faisons nous-mêmes de telle qualité n’est pas
forcément un Attribut pour Lui, mais notre attribution est celle d’une
qualité qui existe en nous et qui est la transposition d’un Attribut
subsistant en Lui23. »
D’abord formé à la théologie asharite, le célèbre al-Ghazâlî, animé par sa
puissante expérience spirituelle, fit la synthèse entre l’asharisme et la
connaissance de Dieu telle qu’elle peut être obtenue à la suite d’un
cheminement intérieur dans le soufisme. Ainsi, al-Ghazâlî distingue trois
degrés d’approfondissement de l’Unicité divine (tawhîd) : ce qu’il appelle
«  la première écorce  » est l’affirmation de l’Unicité par la langue  ; «  la
seconde écorce  » est l’acceptation intérieure de l’Unicité (laquelle
n’empêche pas cependant certaines passions de dominer le cœur) ; enfin,
«  la moelle  » consiste à tout rapporter à Dieu et à percevoir de manière
effective qu’Il est l’Agent unique dans toute la Création24.

L’essor des sciences profanes


En de nombreux versets, le Coran invite à méditer sur l’harmonie présente
dans la Création. Les éléments de la Nature sont autant de signes qui
renvoient le croyant à la sagesse du Créateur : « En vérité, il y a dans la
création des cieux et de la terre et dans l’alternance de la nuit et du jour
des signes pour les gens doués d’intelligence profonde…25 » D’ailleurs, le
terme âyât désigne aussi bien les « signes » de Dieu dans la Nature que les
versets qu’Il révèle.
À l’élan vers la connaissance du monde impulsé par le Coran, vinrent
s’ajouter les connaissances que possédaient déjà les divers peuples qui
entrèrent en islam. Deux siècles après la mort du Prophète, la civilisation
islamique – qui s’étendait de l’Indus à l’Espagne – commença à
rassembler les ouvrages traitant des sciences qu’avaient développées non
seulement les Grecs mais également les Indiens, les Persans et les
Chaldéens.
Parmi les initiatives qui furent prises pour permettre l’assimilation de ces
sciences, il faut mentionner la création de Bayt al-hikma, la « Maison de la
sagesse  » à Bagdad en 832 par le calife al-Ma’mûn. Astronomes,
mathématiciens, penseurs, lettrés, traducteurs, la fréquentaient et des
croyants de diverses religions s’y retrouvaient.
De nombreuses sciences furent particulièrement à l’honneur dans la
civilisation islamique  : nous allons maintenant aborder les plus
marquantes.

L’astronomie
Elle bénéficia du besoin rituel de mieux connaître la course apparente du
soleil dans le ciel afin de déterminer les heures des cinq prières
quotidiennes, ainsi que les cycles lunaires puisque le calendrier religieux
de l’islam est basé sur ces cycles. Un des premiers grands astronomes
musulmans fut al-Farghânî (l’Alfraganus du Moyen Âge latin), mort vers
861 à Damas. Grâce à diverses observations astronomiques faites à
Bagdad, il put déterminer avec précision les longitudes terrestres et fut le
premier à découvrir que le Soleil et les planètes décrivent des orbites en
sens contraire du mouvement diurne.
Mais le plus grand astronome fut sans conteste al-Bîrûnî (973-vers 1050).
Ce savant à l’esprit encyclopédique excella dans de nombreuses
disciplines  : médecine, pharmacologie, géographie, philosophie, etc. Son
traité intitulé al-Qânûn al-mas‘ûdî fut pendant des siècles une référence
majeure dans le domaine de l’astronomie aussi bien en terre d’islam que
dans l’Europe médiévale.

Les mathématiques
Dans la perspective islamique, les mathématiques constituent une sorte de
pont jeté entre le sensible et l’intelligible, entre le monde terrestre en
changement constant et le ciel immuable des archétypes.
De même que la multiplicité visible dans la Nature provient du Créateur
qui est l’Un, tout nombre n’est qu’une répétition de l’unité. Cette
conception traditionnelle du nombre – d’origine pythagoricienne, puis
platonicienne – ne considère pas le nombre seulement sous son aspect
quantitatif, mais l’envisage également sous son aspect qualitatif et
symbolique. Ainsi, le «  un  » peut-il être représenté par le point et
symbolise le principe et l’origine de toute chose  ; le «  deux  » peut être
représenté par une ligne joignant deux points et symbolise la dualité  ; le
«  trois  » peut être représenté par le triangle et symbolise l’harmonie  ; le
« quatre » peut être représenté par un carré et symbolise la stabilité, etc.
Ayant adopté, dès la fin du VIIIe siècle, les chiffres indiens ainsi que le
système décimal de calcul, les mathématiciens arabo-musulmans purent
grandement développer leur discipline. Ils firent la synthèse de deux
domaines  : l’approche pratique visant à donner des formules de calcul
(détermination des heures de prière, partages successoraux, évaluation du
montant de l’aumône légale, etc.) et une approche plus théorique (algèbre
et arithmétique).

Aux origines de l’algèbre

Le terme «  algèbre  » dérive de l’arabe al-jabr et signifie «  réduction d’une


fracture  » ou encore «  restauration  ». En mathématiques, al-jabr désigne la
transformation ou la réduction d’une équation. Le premier à l’utiliser semble être
al-Khwârizmî, un grand mathématicien d’origine persane qui mourut à Bagdad
vers 850.

Les mathématiciens arabo-musulmans firent de la trigono-métrie un


champ d’étude autonome – jusque-là rattaché à l’astronomie – et
développèrent considérablement les connaissances héritées des Grecs et
des Indiens dans ce domaine.

La médecine
Cette discipline a toujours joui d’une aura particulière en islam car les
textes sacrés évoquent divers remèdes pouvant soigner des maladies
spécifiques. Ainsi, le Coran évoque les vertus thérapeutiques du miel : «…
il sort de leur abdomen (les abeilles) une liqueur de couleur variée
contenant une guérison pour les hommes. Il y a, en cela, un signe pour des
gens qui méditent26.  » Quant au Prophète, il donna de nombreuses
recommandations relevant de la médecine : recours à la pose de ventouses
(hijâma) ; utilisation de l’huile de nigelle (habba sawda) contre la plupart
des infections ; administration par le nez de poudre de costus indien contre
les douleurs aux amygdales, etc.
La médecine arabo-musulmane enrichit considérablement ces
recommandations grâce à l’apport de la médecine grecque (Hippocrate et
Galien) dans un premier temps. Mais le souci de l’observation qu’avaient
les médecins musulmans leur fit faire des progrès remarquables. C’est
ainsi qu’Abû Bakr al-Râzî (le Rhazès des Latins, 854-vers 930) attachait
une grande importance aux signes cliniques. Il décrivit précisément la
variole qu’il savait traiter de manière efficace. On lui doit également
l’usage de l’alcool comme antiseptique. Al-Râzî dirigea l’hôpital principal
de Bagdad où il mit en pratique son approche de la médecine.
L’autre grand nom de la médecine arabo-musulmane est celui du célèbre
Ibn Sînâ (Avicenne) qui vécut entre 980 et 1037. Son ouvrage principal en
médecine est al-Qânûn fî l-tibb (Le Canon de la médecine). Ibn Sînâ y
expose en détail ses vues théoriques et pratiques. Par exemple, il distingue
avec plus de précision que Rhazès la rougeole de la variole ; il propose de
traiter la douleur par l’administration d’antalgiques, des massages ou
encore la pose de compresses chaudes ; il recommande d’adapter le régime
alimentaire selon l’âge, le mode de vie et l’environnement du sujet. Le
Canon de la médecine d’Avicenne fut enseigné en Europe jusqu’au XIXe
siècle, dans de nombreuses facultés de médecine.

La philosophie
Alors qu’elle avait disparu de l’Occident latin, la philosophie (falsafa) se
développa en terre d’islam au IXe siècle à la faveur de la traduction en
arabe d’ouvrages majeurs des philosophes grecs. Les grands traducteurs
appartiennent principalement à une famille chrétienne, celle constituée par
Hunayn Ibn Ishâqd, son fils (Ishâq) et son neveu (Hubaysh). Ils furent
formés à la philosophie aristotélicienne dans la tradition syriaque.
Les plus anciens textes de philosophie islamique que nous possédons sont
ceux d’al-Kindî (vers 800-vers 866). Né à Koufa, celui qui fut surnommé
«  le philosophe des Arabes  » était proche des mutazilites sur plusieurs
points de doctrine. Dans ses écrits, il prône une exégèse philosophique du
Coran27. Pour ce faire, il développa une approche rationnelle de
l’interprétation du Livre révélé. Mais c’est surtout la pensée d’Aristote qui
le marqua, et il eut un rôle décisif dans l’introduction de l’aristotélisme
dans le monde arabo-musulman.
Al-Fârâbî, né dans le Turkestan en 870 et mort à Damas en 950, enrichit
considérablement la falsafa et eut une grande influence sur l’Occident
médiéval où il fut connu sous le nom d’Alfarabius. L’une de ses grandes
préoccupations philosophiques consista à montrer l’harmonie possible
entre l’œuvre de Platon et celle d’Aristote. Il s’inspira également du
platonisme pour élaborer sa pensée politique. Son grand traité en la
matière s’intitule Les Idées des habitants de la cité vertueuse28. Il y
développe l’idée selon laquelle la cité vertueuse est celle qui reproduit
dans sa structure l’harmonie présente à la fois dans le cosmos et dans le
microcosme qu’est chaque être humain.
Avec Ibn Sînâ, connu en Occident sous le nom d’Avicenne, la falsafa
atteint sa maturité. Pour Ibn Sînâ, les trois grands domaines que
représentent la connaissance sensible, la connaissance rationnelle et la
connaissance purement spirituelle forment une hiérarchie en harmonie
avec les différents degrés d’existence présents dans le cosmos. Sa grande
somme philosophique intitulée Kitâb al-shifâ’ («  Le Livre de la
guérison ») est l’œuvre la plus complète de l’aristotélisme islamique. Ibn
Sînâ y traite des sciences de la Nature, des sciences rationnelles (logique et
mathématiques) et de la métaphysique.

Qu’est-ce que la métaphysique ?

Construit à partir des termes grecs méta (après, au-delà) et phusika (physique), le
vocable métaphysique désigne la connaissance de ce qui est au-delà de la
Nature. La métaphysique peut traiter des principes universels  ; elle peut
également traiter de «  l’être en tant qu’être  » comme chez Aristote, mais à
rigoureusement parler, son objet est l’Absolu avec ses dimensions d’infinité et de
perfection.

Mais Ibn Sînâ ne fit pas que reprendre les idées d’Aristote : il les nuança
grandement avec des éléments empruntés au néoplatonisme. De plus, la
pensée d’Ibn Sînâ prit une orientation nettement spirituelle dans la
dernière partie de sa vie, comme le montrent les ouvrages qu’il rédigea
alors. C’est le cas, notamment, de sa trilogie – Hayy ibn Yaqzân, al-Tayr et
Salmân wa-Absâl 29 – dans laquelle il expose les différentes étapes que
traverse l’esprit dans son voyage du monde terrestre vers le monde de la
Présence divine.
Un siècle plus tard, al-Ghazâlî composa une somme philosophique, pour
exposer ses vues sur la falsafa et montrer en quoi certaines thèses
soutenues par les philosophes sont incompatibles avec le credo musulman.
De cette somme, seule la première partie (intitulée Maqâsid al-falâsifa,
«  Les Intentions des philosophes  »), dans laquelle al-Ghazâlî résume les
enseignements de la falsafa, fut traduite en latin. C’est pourquoi al-
Ghazâlî fut paradoxalement considéré par l’Occident médiéval comme un
défenseur de la philosophie. Dans la partie dédiée à la réfutation des
philosophes, intitulée Tahâfut al-falâsifa («  L’Incohérence des
philosophes  »), al-Ghazâlî rejette vingt thèses – relevant de la
métaphysique pour l’essentiel – comme étant incompatibles avec les
enseignements de l’islam. C’est le cas, notamment, de l’éternité du monde,
de la négation des Attributs divins et de la négation de la résurrection des
corps.
Il reviendra à Ibn Rushd (1126-1198), philosophe, juriste et médecin
andalou, d’écrire une réfutation de la réfutation ghazalienne. D’où le titre
de cet ouvrage  : Tahâfut al-tahâfut (L’Incohérence de l’incohérence).
Connu des Latins sous le nom d’Averroès, Ibn Rushd fut considéré en
Occident médiéval comme le « Commentateur d’Aristote par excellence ».
Il reproche à al-Ghazâlî des démonstrations insuffisamment fondées, et
remet donc en cause ses compétences de logicien. Quant aux critiques
ghazaliennes qu’accepte Ibn Rushd, elles ne réfutent pas, selon lui, la
philosophie en tant que telle mais seulement certaines idées d’Ibn Sînâ qui
s’écartent du « véritable aristotélisme ».
L’autre ouvrage marquant d’Ibn Rushd est le Fasl al-maqâl 30, dans lequel
il entreprend d’expliciter ce que doit être la relation entre la Révélation et
la philosophie. Cette épître prend la forme d’une fatwa, d’un avis légal
dans lequel l’auteur entend montrer que la Loi religieuse permet non
seulement l’exercice de la philosophie mais le recommande même31.
Contrairement à ce que l’on peut lire parfois, la philosophie islamique n’a
pas disparu sous les coups de butoir de la critique ghazalienne. Mais il est
vrai qu’elle se développa essentiellement dans le monde chiite. C’est donc
en Perse que l’œuvre d’Ibn Sînâ fut amplifiée et considérablement
enrichie, notamment avec les ouvrages d’Ibn ‘Arabî. Parmi les grands
philosophes chiites, citons Haydar Âmolî (1319- 1385 ou 1408) qui opéra
la jonction entre le chiisme et la métaphysique du soufisme, et Mollâ
Sadrâ (1572-1641) qui développa une métaphysique de « l’acte d’être »32,
rompant ainsi avec la métaphysique des essences telle qu’on la trouve chez
Ibn Sînâ.

Les arts islamiques


Le caractère abstrait des arts islamiques est souvent mis en avant par les
spécialistes, et ils soulignent alors l’absence d’image. Nous l’avons vu,
l’islam insiste fortement sur la transcendance de Dieu. Dès lors, aucune
image ne saurait Le représenter.
Les racines des arts islamiques sont dans le Coran lui-même. Il s’agit de
répondre à un impératif  : traduire les valeurs spirituelles du message
coranique sur le plan formel. En ce sens, les deux premiers arts de l’islam
sont la psalmodie du Coran (tajwîd) et la calligraphie arabe (al-khatt
al-‘arabî).
La psalmodie donne une forme auditive à la beauté de la Parole révélée,
tandis que la calligraphie donne à cette dernière une forme visible. Le
Coran invite à la psalmodie lente de ses versets33, et plusieurs hadiths
insistent sur l’importance de l’harmonie et la beauté de la voix en ce
domaine : « Embellissez le Coran par vos voix, car la belle voix amplifie
la beauté du Coran34. »
Quant aux divers styles calligraphiques qui apparurent à travers les siècles,
ils représentent des accentuations différentes des formes et des proportions
des lettres arabes, mettant ainsi en lumière tel ou tel aspect des Attributs
divins  : « Ainsi, la Majesté, la Rigueur et la Transcendance divines sont
évoquées par les lignes verticales, notamment celle du alif, symbole de
l’Unité du Principe suprême qui imprime sa marque au rythme du
discours  ; la Beauté, la Douceur, l’Immanence sont exprimées par les
lignes horizontales… la Perfection, la Plénitude, enfin, sont suggérées par
les formes arrondies, celle du nûn par exemple dans l’écriture
maghrébine35. »
L’architecture possède, elle aussi, une place centrale dans les arts
islamiques. Bien qu’étant une simple construction cubique d’une douzaine
de mètres de côté, la Kaaba a influencé l’architecture islamique par sa
place centrale en islam et son rôle liturgique pour les prières quotidiennes.
L’intérieur de la Kaaba est vide pour laisser la place entière à la
transcendance divine, et ses six faces symbolisent les directions de
l’espace : les quatre points cardinaux, le zénith et le nadir.
La plus ancienne mosquée conservée est celle du Dôme du Rocher à
Jérusalem. Elle fut construite entre 688 et 692, soit une soixantaine
d’années après la mort du Prophète. On y perçoit certains emprunts à l’art
byzantin, mais ceux-ci sont intégrés à la perspective propre de l’art
islamique. Comme le souligne Titus Burckhardt : « L’art ne crée jamais ex
nihilo. Son originalité réside dans la synthèse d’éléments préexistants.
C’est ainsi que l’architecture sacrée de l’islam est née le jour même où
l’on réussit à créer non pas de nouvelles formes de piliers et de voûtes,
mais un nouvel espace, conforme au culte islamique36. »
Quinze ans plus tard, les travaux de la Grande Mosquée de Damas
commencèrent. Ils devaient s’achever en 715. Appelée également
«  Mosquée des Omeyyades  », elle fut bâtie sur l’emplacement d’une
ancienne église et d’un tombeau contenant la tête du prophète Yahyâ (Jean
le Baptiste).
Bien que l’architecture islamique comporte de nombreux styles qui se sont
développés à travers les siècles, un même souffle spirituel est perceptible
malgré cette diversité. Ainsi, des édifices aussi éloignés dans l’espace et le
temps que la mosquée al-Qarawiyyîn au Maroc (IXe siècle) et le Taj Mahal
en Inde (XVIIe siècle) sont immédiatement identifiables comme appartenant
à l’architecture islamique.
On ne saurait traiter des arts en islam sans évoquer la poésie. Celle-ci avait
une place centrale dans la culture des Arabes avant l’islam. Chaque tribu
était représentée par un poète qui chantait ses hauts faits : batailles, vertus
des personnages célèbres, etc. Parmi les nombreux poèmes
qu’appréciaient les Arabes, certains jouissaient d’un statut particulier : ils
furent brodés en lettres d’or et suspendus dans la Kaaba pour marquer leur
excellence. D’où le nom de Mu‘allaqât qui leur fut attribué, ce qui signifie
«  les Suspendues  ». C’est le cas du poème du célèbre Imrû l-Qays (vers
500-vers 550) ou de celui de Zuhayr ibn Abî Sulmâ (vers 520-entre 602 et
627).
Le Prophète appréciait hautement la poésie comme en témoigne ce hadith :
«  Certes il y a, dans la poésie, une sagesse37.  » Dans sa mosquée à
Médine, il faisait monter le poète Hassân ibn Thâbit sur son minbar et
disait de lui  : «  En vérité, Dieu assiste Hassân par l’Esprit de sainteté
lorsqu’il fait l’éloge du Messager de Dieu38. »
Avec l’avènement de l’islam, la poésie assuma trois nouvelles fonctions
principales : rôle pédagogique destiné à préserver le lexique et la syntaxe
de l’arabe ancien  ; résumés doctrinaux en vers destinés à faciliter la
mémorisation du contenu (théologie, Droit, soufisme, etc.) ; expression de
l’amour de Dieu dans le soufisme.
Parmi les plus célèbres résumés doctrinaux versifiés, il faut mentionner al-
Murshid al-mu‘în du savant marocain ‘Abd al-Wâhid ibn ‘Âshir (1582-
1631). Ce poème de 318 vers expose de manière concise la théologie
asharite, la jurisprudence malékite et le soufisme de l’École d’al-Junayd. Il
est, aujourd’hui encore, couramment étudié et appris par cœur.
Citons également le poème de Sharaf al-Dîn al-Bûsîrî (1213-1295) intitulé
al-Burda. En 160 vers, al-Bûsîrî fait un vibrant éloge des qualités du
Prophète. Mais il insiste moins sur le modèle qu’incarna le Prophète que
sur sa réalité spirituelle, laquelle préexiste à sa venue sur terre :
«  La compréhension de sa réalité spirituelle déroute l’entendement
ordinaire des hommes.
Près de lui et loin de lui, on ne voit que des gens réduits au silence.
Le Prophète est tel le soleil qui de loin semble petit pour les yeux, mais
éblouit ceux qui le regardent de face.
Comment des gens endormis et satisfaits de leurs rêves pourraient-ils, ici-
bas, saisir sa réalité39 ? »
Ce poème devint rapidement célèbre dans le monde musulman et continue,
de nos jours, à être récité et chanté lors de célébrations religieuses.

Les autorités dans l’islam classique


Le pouvoir exécutif
Le pouvoir exécutif central fut, pendant plusieurs siècles, celui du calife.
Avec l’instauration de la dynastie des Omeyyades, qui régna de 661 à 750,
la capitale califale ne fut plus en Arabie : c’est à Damas que s’installa le
premier calife omeyyade, Mu‘âwiya (602-680). Cette dynastie fut suivie
par celle des Abbassides qui régna de 750 à 1258. Installés à Bagdad, les
Abbassides durent quitter le pouvoir avec la mise à sac de la ville en 1258
par l’armée mongole dirigée par Houlagou Khan, petit-fils de Gengis
Khan, durant lequel plus de 800 000 habitants furent massacrés. Mais
plusieurs siècles avant ce terrible événement, le calife avait déjà perdu
l’essentiel de ses attributions pour n’être plus que le symbole de l’unité de
la communauté musulmane. Après Hârûn al-Rashîd (765-809) qui marque
l’apogée de la dynastie abbasside, le pouvoir effectif sera entre les mains
de sultans, comme les Bouyides (dynastie chiite qui régna de 945 à 1055)
ou les Seldjoukides (sunnites qui régnèrent du XIe au XIIIe siècle).
À la chute de Bagdad, en 1258, une branche de la dynastie abbasside
s’exila au Caire  : elle put conserver le titre de calife sous la tutelle des
sultans mamelouks. Cette situation perdura jusqu’à la conquête de
l’Égypte par les Ottomans, en 1517.
Fondé à la fin du XIIIe siècle dans la Turquie actuelle, l’Empire ottoman
connut son apogée au XVIe siècle lors du règne de Soliman Ier (1494-
1566). Avec Constantinople (conquise en 1453) comme capitale, l’Empire
ottoman s’étendait du Moyen-Orient à Tlemcen en Algérie, et incluait une
partie de l’Europe centrale. Il subsistera jusqu’au début du XXe siècle.
Appartenant au camp des puissances vaincues (Allemagne, Autriche-
Hongrie et Bulgarie) lors de la Première Guerre mondiale, l’Empire
ottoman fut démantelé conformément au traité de Sèvres (1920). En 1923,
Mustafa Kemal, futur Atatürk, fit proclamer la République turque et abolit
le califat, le 3 mars 1924.
La disparition du califat fut difficilement vécue par nombre de nations
musulmanes. C’est pourquoi, quelques semaines après, des tentatives de
restauration du califat furent menées, comme celle du chérif de La
Mecque, Husayn ibn ‘Alî, et celle du roi d’Égypte, Fouad Ier. Toutes deux
se révélèrent infructueuses.

L’autorité judiciaire
À l’époque du Prophète, il n’y avait pas de système judiciaire élaboré.
Durant la période mecquoise, l’islam demeura une pratique strictement
personnelle  : les lois en vigueur étaient celles des coutumes païennes, et
les chefs de La Mecque étaient chargés de les faire respecter.
À Médine, la justice était rendue directement par le Prophète, et était basée
sur les prescriptions coraniques progressivement révélées ainsi que sur
l’inspiration personnelle que Dieu accordait à Son Messager. À la mort du
Prophète, seule une partie des Compagnons était qualifiée pour prendre
des décisions légales. Comme le souligne Ibn Khaldûn «  seuls certains
d’entre eux connaissaient le Coran, avec ses versets abrogeants (nâsikh) ou
abrogés (mansûkh), ses passages obscurs ou clairs, et toutes les indications
fournies par le Livre40 ».
Les historiens contemporains, comme la Tradition musulmane, font
remonter l’institution du juge (qâdî en arabe, qui donna «  cadi  » en
français) aux quatre premiers califes ou encore au calife Mu‘âwiya, lequel
régna de 661 à 680. Selon Ibn Khaldûn, le premier calife qui nomma un
cadi fut ‘Umar  : il nomma ainsi Abû l-Dardâ’ cadi de Médine et Abû
Mûsâ al-Ash‘arî cadi de Koufa41.
Dans l’islam classique, les décisions rendues par le tribunal du cadi
devaient se fonder sur le Droit islamique (fiqh) et se rattacher à une École
juridique en vigueur dans son territoire de juridiction. Par ailleurs, il faut
souligner que les cadis ont joué un rôle majeur dans le développement du
Droit islamique.

Les prérogatives du cadi

Selon Al-Mâwardî, célèbre juriste du XIe siècle, les attributions du cadi sont les
suivantes : « Il solutionne les différends et met un terme aux conflits soit à l’aide
d’un arrangement consenti par les deux parties, soit par la contrainte. Il pourvoit
à la tutelle de ceux que la démence ou le jeune âge empêchent d’administrer
leurs biens. Il surveille les fondations pieuses et nomme, pour elles, des
administrateurs. Il assure l’exécution des actes de dernières volontés dans les
conditions légales. Il applique les peines légales prescrites à ceux qui les ont
encourues. Il juge en mettant sur un pied d’égalité le puissant et le faible, et
décide avec équité entre le noble et l’homme du peuple42. »

L’enseignement religieux
Le Coran et l’enseignement oral du Prophète insistent sur la nécessité,
pour tout croyant, d’acquérir la connaissance religieuse. À ce propos, on
rapporte cette parole du Prophète : « La recherche de la connaissance est
une obligation pour toute personne musulmane43. »
Après la mort du Prophète, des Compagnons dirigèrent des «  cercles de
science » (halaqât) dans lesquels ils retransmettaient leurs connaissances
en matière religieuse. C’est le cas de ‘Alî, le gendre du Prophète, qui eut
de nombreux élèves à Médine, d’Ibn Mas‘ûd (m. 653) à Médine et à
Koufa, d’Abû l-Dardâ’ (580-653) à Damas, et de bien d’autres.
À partir des IIe et IIIe siècles de l’Hégire, le développement des sciences
nécessita l’instauration d’institutions dédiées à la transmission de
l’enseignement religieux. C’est ainsi que fut fondée al-Qarawiyyîn, à Fès
en 857, par Fâtima al-Fihriyya. Il s’agit de la plus ancienne université du
monde. Ce haut lieu du savoir n’accueillait pas seulement des musulmans
puisque le grand penseur juif Maïmonide y fut formé, et que le Pape
Sylvestre II y fut étudiant et joua un rôle important dans l’introduction des
chiffres arabes en Europe. Citons également la médersa al-Zaytûna, fondée
en 737 à Tunis, qui eut un rôle de premier plan dans la transmission du
savoir religieux au Maghreb. Enfin, il faut évoquer la mosquée-université
d’al-Azhar au Caire : fondée en 970 par la dynastie chiite des Fatimides.
Après la chute de cette dynastie en 1171, al-Azhar devint un important
foyer de rayonnement du sunnisme. Toutes ces institutions gardent, encore
aujourd’hui, un rôle marquant dans l’islam sunnite.
À l’époque classique, la transmission du savoir se faisait de maître à
disciple. L’enseignant se devait de bien connaître ses élèves pour les
évaluer tant sur le plan scolaire que sur le plan moral et spirituel. Lorsque
l’enseignant jugeait l’élève digne de transmettre à son tour les
connaissances religieuses qu’il lui avait données, il lui remettait une ijâza
(autorisation, licence). Celle-ci permettait à l’élève d’enseigner les
matières et les ouvrages pour lesquels il l’avait reçue. Aujourd’hui, la
remise d’ijâza subsiste encore sous sa forme traditionnelle dans certains
endroits du monde musulman, mais elle a tendance à être de plus en plus
remplacée par des formes modernes de cursus et d’évaluation (licence-
master-doctorat), calquées sur le modèle des universités occidentales.

Peut-on parler de déclin culturel (XVIIe – XIXe


siècle) ?
Bon nombre d’historiographes musulmans anciens tentèrent de justifier
l’affaiblissement politique du monde dans lequel ils vivaient par le recours
à la notion de « corruption du temps » (fasâd al-zamân). Il s’agit de l’idée,
confortée par plusieurs hadiths, que les hommes et les sociétés perdent
leurs qualités de manière progressive et inéluctable au fil des siècles. Il
existe ainsi une «  littérature du déclin  » produite par les chroniqueurs
ottomans eux-mêmes pour les sultans et les gouverneurs. La domination
occidentale, à travers le colonialisme, ne fit que conforter ce sentiment.
Les orientalistes occidentaux, pour beaucoup d’entre eux, ont considéré
que la période allant du XVIIe au XIXe siècle fut marquée par le vide
intellectuel et la léthargie culturelle44.
Depuis deux décennies, le « paradigme du déclin » a été largement remis
en cause par les recherches les plus récentes qui ont montré la richesse et
la vitalité des productions dans les domaines les plus divers : exégèse
coranique, soufisme, littérature, etc. Du point de vue de la profondeur de
la pensée et de l’élévation spirituelle, des figures telles que le cheikh al-
Darqâwî (vers 1737-1823), l’émir Abdelkader (1808-1883) ou Ahmad
al-‘Alawî (1869 ou 1874-1934) ont laissé un héritage aussi important que
celui de leurs illustres prédécesseurs de l’époque médiévale.

Salafisme et wahhabisme
Les premières générations des musulmans – appelées en arabe al-Salaf –
ont de tout temps été perçues comme des modèles de piété et de fidélité
aussi bien au message du Coran qu’à l’enseignement du Prophète. En
particulier, l’École hanbalite a toujours mis l’accent sur le modèle des
Salaf. Ainsi, Ibn Taymiyya (1263-1328), théologien hanbalite syrien, lutta
toute sa vie contre tout ce qui lui semblait être un écart à la foi et aux
pratiques des Salaf. Ce faisant, il fut amené à considérer comme une
«  innovation blâmable  » (bid‘a dalâla) bon nombre des enseignements
considérés comme parfaitement orthodoxes par la majorité des oulémas de
son époque. Voulant opposer à ces « innovations » une lecture littéraliste
du Coran et des hadiths, Ibn Taymiyya fut accusé d’anthropomorphisme
(tashbîh) – c’est-à-dire d’attribuer à Dieu des caractères humains – et fut
emprisonné à plusieurs reprises.
Bien qu’assez radical, le salafisme d’Ibn Taymiyya n’en demeure pas
moins solidaire de l’islam traditionnel et n’a jamais complètement rejeté la
légitimité des Écoles juridiques ni celle du soufisme. De fait, il demeura
toute sa vie attaché à l’École hanbalite et appartenait à une voie soufie, la
Qâdiriyya, fondée au XIIe siècle par ‘Abd al-Qâdir al-Jîlânî.
Bien différent est le salafisme extrême de Muhammad ibn ‘Abd al-
Wahhâb (1703-1792), prêcheur originaire d’Arabie qui prétendait
«  purifier  » la religion et retourner à l’islam originel. En particulier, il
dénonça sans relâche tout ce qui lui semblait relever du shirk, c’est-à-dire
au fait d’associer des créatures au culte qui est dû à Dieu. Pour Ibn ‘Abd
al-Wahhâb, fondateur du wahhabisme, la révérence envers les saints telle
qu’elle s’exprime dans le soufisme ou l’attribution d’une bénédiction
(baraka) particulière aux effets ayant appartenus au Prophète sont du shirk
et font perdre la qualité de musulman. Autrement dit, quiconque
n’abandonne pas les positions condamnées par la doctrine wahhabite est
un mécréant (kâfir). De là à le condamner à mort, il n’y a qu’un pas qui fut
trop souvent franchi dans l’histoire du wahhabisme. En 1744, le caractère
simpliste des enseignements du wahhabisme lui permit d’être adopté par
un chef tribal du centre de l’Arabie appartenant à la famille des Séoud.
Cette alliance a rendu possible le rayonnement du wahhabisme depuis sa
création : jusqu’à aujourd’hui l’Arabie saoudite a toujours été le principal
foyer de propagation de cette doctrine. Bien qu’Ibn ‘Abd al-Wahhâb se
soit toujours réclamé du hanbalisme et de l’héritage d’Ibn Taymiyya, ses
plus farouches opposants, déjà de son vivant, furent des oulémas
hanbalites. Dès 1754, le propre frère d’Ibn ‘Abd al-Wahhâb, Sulaymân,
écrivit une virulente réfutation de la doctrine qui allait devenir célèbre
sous le nom de « wahhabisme ».
Récemment, un grand nombre d’oulémas, parmi les autorités religieuses
les plus importantes de l’islam sunnite, se sont réunis afin de clarifier le
statut du wahhabisme en tant que courant religieux. Les participants à ce
sommet qui s’est tenu en Tchétchénie, en octobre 2016, ont affirmé dans
leurs conclusions que le wahhabisme n’est pas un courant religieux
sunnite mais une idéologie en rupture avec les fondements de l’islam. Ils
ont convenu que «  ceux qui appartiennent à la communauté sunnite sont
les Acharites et les Maturidites, au niveau de la doctrine, les quatre Écoles
de jurisprudence sunnite, au niveau de la pratique, et les Soufis, au niveau
de la connaissance spirituelle, du cheminement intérieur et de l’éthique ».
Le salafisme wahhabite regroupe, aujourd’hui, différentes mouvances
allant d’une position quiétiste au djihadisme terroriste.

L’irruption de la modernité et le réformisme


Face aux deux grands défis que représentaient la colonisation de
nombreux territoires musulmans par des puissances européennes et la
supériorité technologique de l’Occident, certains penseurs musulmans de
la fin du XIXe siècle et du début du XXe tentèrent une relecture des Sources
islamiques afin de renouveler l’approche de la religion, et de proposer une
alternative crédible à l’occidentalisation des sociétés musulmanes. Ce
courant de pensée s’insère dans ce qui fut appelé al-Nahda (l’essor ou le
réveil) et qui fut à l’origine un mouvement de renaissance culturelle,
mouvement dont des chrétiens comme Jorge Zaydan (m. 1914) et Khalil
Gibran (m. 1931) furent des figures importantes. L’un des premiers grands
porte-parole de la Nahda musulmane fut Jamâl al-Dîn al-Afghânî (1838-
1897). Déplorant l’affaiblissement politique des États musulmans, il
souhaitait lutter contre les impérialismes anglais, français et russe. Du
point de vue religieux, il soutint l’entière compatibilité entre la Révélation
coranique et la raison. Mais ayant subi de multiples influences
(philosophie, rationalisme, franc-maçonnerie, etc.), sa pensée fut souvent
accusée de manquer de cohérence. Il alla même jusqu’à fonder une loge
maçonnique en Égypte, qui fut rattachée au Grand Orient de France.
Toutefois, cela ne l’empêcha pas d’avoir quelques disciples qui
marquèrent leur époque. C’est le cas de Muhammad ‘Abduh (1849-1905)
qui fut franc-maçon comme son maître et qui occupa la fonction de grand
mufti d’Égypte, de 1899 à sa mort. Il prône un réformisme touchant de
nombreux aspects de la religion et de la culture musulmanes. Dans ses
écrits, ‘Abduh insiste tout particulièrement sur l’effort d’interprétation
(ijtihâd) et sur le rejet de l’imitation aveugle (taqlîd) pratiquée, selon lui,
par une partie des oulémas. Il considère le renouveau de l’ijtihâd comme
un élément décisif pour faire sortir la pensée islamique de ce qui lui
apparaît comme une dangereuse sclérose. Prêchant la fraternité entre
toutes les obédiences de l’islam, ‘Abduh prône le rapprochement entre
sunnisme et chiisme.
Rashîd Ridâ (1865-1935), qui fonda en Égypte la revue al-Manâr (le
Phare), voulut prolonger l’œuvre de ‘Abduh en adjoignant le panarabisme
au réformisme islamique. Dans sa perspective, les Arabes doivent avoir un
rôle central dans l’exercice du pouvoir temporel au sein de la communauté
musulmane. Par ailleurs, il est également influencé par le wahhabisme,
lequel prône une interprétation littérale des Sources islamiques et un rejet
catégorique des développements théologiques et juridiques de l’islam
classique.
À la mort de Rashîd Ridâ, Hasan al-Bannâ (1906-1949) – qui fonda le
mouvement des « Frères musulmans » (al-ikhwân al-muslimûn) en 1928 –
reprit la direction du journal al-Manâr. Rattaché à une confrérie soufie
dans sa jeunesse, il s’en détacha peu à peu pour fonder son mouvement
politico-religieux. S’il n’a jamais rejeté la théologie musulmane classique
et les Écoles juridiques du sunnisme, al-Bannâ prit toutefois certaines
distances avec elles, influencé en cela par le wahhabisme. L’idée sous-
jacente étant que, pour unifier la communauté musulmane, il faut s’en
tenir aux sources scripturaires incontestables  : le Coran et le Hadith. Or,
cette unification est nécessaire pour al-Bannâ, dont l’un des objectifs est la
restauration du califat.
Très tournés vers l’action extérieure, les Frères musulmans ont fondé en
Égypte de nombreuses associations de charité, des écoles, des
bibliothèques, des dispensaires et des entreprises. De nos jours, des
formations politiques comme le Hamas palestinien, le parti tunisien
Ennahda ou encore le Parti de la justice et du développement au Maroc
sont rattachés idéologiquement au mouvement des Frères musulmans.

L’École traditionnelle
Ce courant intellectuel et spirituel – parfois appelé « pérennialisme » – est
né en Europe au début du XXe siècle avec des auteurs comme le Suédois
Ivan Aguéli (1869-1917) et René Guénon (1886-1951). Tous deux furent
convertis à l’islam et rattachés au soufisme. Toutefois, leur approche n’est
pas purement confessionnelle  : il ne s’agit pas pour eux d’affirmer que
l’islam serait seul détenteur de la vérité. Ils désignent par le terme
«  tradition  » un ensemble de principes et d’applications d’origine
suprahumaine, c’est-à-dire, une voie révélée reliant l’homme au Ciel et lui
assurant par-là un accès à la transcendance. Ainsi, René Guénon tenta dans
ses œuvres écrites d’exposer les principes universels dont sont encore
gardiennes les spiritualités d’Orient et qu’a perdus l’Occident moderne.
Dans cette perspective, seule la connaissance métaphysique – qui n’est
accessible que par un cheminement initiatique – donne accès à l’unité
essentielle de toutes les traditions spirituelles divinement instituées. Cela
signifie qu’au cœur de chacune des trois religions abrahamiques – ainsi
que du taoïsme, de l’hindouisme et du bouddhisme – réside la même
Vérité universelle. Seules les formes d’enseignement et les moyens de
réalisation spirituelle varient d’une religion à l’autre. C’est ce qu’expose,
dans un ouvrage décisif intitulé De l’Unité transcendante des religions,
Frithjof Schuon (1907-1998), éminent représentant de l’École
traditionnelle. Dès les premières pages de son ouvrage, Schuon souligne
que l’unité dont il s’agit n’implique nullement le syncrétisme, c’est-à-dire
le mélange d’enseignements ou de rites appartenant à des religions
différentes : « Si nous parlons “d’unité transcendante”, nous voulons dire
par là que l’unité des formes traditionnelles doit être réalisée d’une façon
purement intérieure et spirituelle, et sans trahison d’aucune forme
particulière. Les antagonismes de ces formes ne portent pas plus atteinte à
la Vérité une et universelle que les antagonismes entre les couleurs
opposées ne portent atteinte à la transmission de la lumière une et
incolore45.  » Dans son ouvrage intitulé Comprendre l’Islam, Schuon
souhaite mettre en lumière les fondements spirituels de l’islam et ses
orientations les plus profondes. Entre autres choses, il montre comment
toutes les vérités métaphysiques sont implicitement comprises dans la
Profession de foi (shahâda), laquelle est l’une des formules sacrées les
plus importantes en islam.
Guide spirituel d’une voie soufie, Frithjof Schuon eut de nombreux
disciples, principalement en Europe et aux États-Unis. Parmi les plus
importants, il faut mentionner Titus Burckhardt (1908-1984), Martin Lings
(1909-2005) et Seyyed Hossein Nasr (né en 1933). Les ouvrages de ces
auteurs sur l’islam et le soufisme ont bénéficié d’une large diffusion tant
en Occident que dans des pays orientaux, et ont eu un impact profond sur
de nombreux intellectuels et hommes politiques46.
Connue dans le monde arabo-musulman sous le nom de Madrasat al-
turâth, l’École traditionnelle et son apport déterminant sont aujourd’hui
défendus par des figures importantes comme ‘Alî Jum‘a, l’ancien Grand
mufti d’Égypte, et Ahmad Tayyib, l’actuel recteur d’al-Azhar. Avant eux,
un autre Égyptien, ‘Abd al-Halîm Mahmûd (1910-1978), qui occupa la
fonction de recteur d’al-Azhar de 1973 à sa mort, avait consacré des pages
importantes à la présentation de René Guénon, permettant ainsi de faire
découvrir au lectorat arabophone l’œuvre du grand métaphysicien
français47.
Parmi les travaux d’Ahmad Tayyib, il faut mentionner l’excellente
traduction arabe de l’ouvrage Le Sceau des saints48 de Michel
Chodkiewicz (1929-2020), spécialiste majeur du soufisme qui fut
personnellement marqué par l’œuvre guénonienne.
Dans un article consacré à la vie et à l’œuvre de Martin Lings, ‘Alî Jum‘a
écrit : « L’École traditionnelle dénonce le matérialisme du monde moderne
et lui oppose la sagesse présente au cœur de chaque religion révélée, que
ce soit l’hindouisme, le bouddhisme, le judaïsme, le christianisme ou
l’islam. Cette sagesse est la lumière primordiale que Dieu a placée dans le
cœur de chaque homme, lumière par laquelle les hommes peuvent
rejoindre la Vérité. » Il conclut alors son article en soulignant ce que peut
apporter l’École traditionnelle au monde musulman actuel : « Nous avons
besoin d’étudier l’œuvre de ces grands hommes qui se sont convertis à
l’islam et l’ont présenté d’une manière qui confirme l’universalité de cette
religion et son caractère approprié à toute époque et à tout lieu49. »

La notion de renouveau spirituel (tajdîd)


Tout ce que nous avons vu jusqu’ici, concernant la diversité des positions
théologiques et juridiques qui apparurent à travers les siècles, ne s’écarte
nullement de l’orthodoxie originelle. Bien au contraire, les sources de
l’islam insistent sur sa capacité à se renouveler. Pour comprendre la
nécessité de ce renouveau, il faut souligner que toute religion a tendance à
perdre la pureté de ses enseignements originels, l’attachement à l’ici-bas,
la faiblesse humaine et le poids des siècles faisant leur travail. À ce sujet,
le Prophète donna l’enseignement suivant : « L’Islam a débuté étranger et
il finira étranger comme à ses débuts  : bienheureux seront alors les
étrangers50. »
Mais puisque l’islam se présente comme la dernière religion révélée pour
cette humanité, un retour à la profondeur des enseignements du Coran et
de la Sunna doit toujours être possible et ce, jusqu’à la fin des temps. C’est
pourquoi le renouveau spirituel (tajdîd) doit nécessairement être un
processus faisant partie intégrante du dynamisme interne de l’islam. Un
célèbre hadith enseigne qu’un rénovateur (mujaddid) doit apparaître au
début de chaque siècle afin de revivifier l’islam : « Dieu envoie au début
de chaque siècle, pour cette communauté, ceux qui sont chargés de
rénover la religion51. »

Quelques rénovateurs célèbres

Parmi ceux qui furent considérés comme des rénovateurs, on peut mentionner al-
Shâfi‘î (767-820), al-Ghazâlî (1058-1111), al-Suyûtî (1445-1505), Ahmad al-Sirhindî
(1564-1624), Shâh Walî Allâh (1703-1763), ou encore al-‘Arabî al-Darqâwî et
Ahmad al-‘Alawî que nous avons déjà évoqués.
Bien entendu, le travail de rénovation n’est pas nécessairement accompli
par un seul individu et peut être une tâche collective. C’est ainsi qu’en
janvier 2016, plus de 300 personnalités venant de plus de 120 pays
(oulémas, intellectuels, ministres et muftis, de différents rites et tendances
de l’islam) se sont réunies à Marrakech pour statuer sur la liberté
religieuse en islam et sur la protection des minorités. Cette initiative de
grande ampleur a débouché sur un texte qui porte désormais le nom de
«  Déclaration de Marrakech  ». Entre autres choses, ce texte affirme la
liberté de conscience et rejette toute instrumentalisation de la religion. Il se
conclut ainsi : « Il n’est pas autorisé d’instrumentaliser la religion aux fins
de priver les minorités religieuses de leurs droits dans les pays
musulmans52. »
De manière générale, la fonction des rénovateurs consiste à proposer de
nouvelles approches méthodologiques afin de répondre aux défis auxquels
fait face l’islam à chaque époque. Ce faisant, le processus de rénovation
permet au souffle originel de l’islam de demeurer vivant.

Les fonctions de rénovateur

Commentant un écrit d’al-Suyûtî sur la fonction de rénovateur, al-Munâwî (1545-


1622) précise  : «  Rénover la religion, c’est rétablir les dispositions de la Loi
sacrée, offrir un accès à la Sunna et mettre en lumière les sciences exotériques et
ésotériques de l’islam. En faisant du prophète Muhammad le dernier messager, le
Très-Haut savait que la communauté aurait besoin de savants pouvant assumer
la fonction qui fut celle des prophètes chez les fils d’Israël53. »

1. Islam. Perspectives et réalités, op. cit., p. 203-204.


2. Le terme «  duodécimain  » insiste sur le fait que cette obédience reconnaît une lignée de douze
Imams.
3. Ali Ibn abi Talib, trad. par Sayyid Attia Abul naga, La Voie de l’éloquence, éditions Ansariyan,
Qom (Iran), 1989, p. 651-653.
4. Coran : 5, 48.
5. Coran : 2, 256. Sur ce verset et sa portée, voir Citations coraniques expliquées, p. 184.
6. Cité par Ibn Mâjah dans ses Sunan, n° 2121.
7. Coran : 5, 54.
8. Cité par al-Bukhârî dans son Sahîh, n° 7008.
9. Il existe une traduction commentée de cet ouvrage en français sous le titre L’Explication
judicieuse. Petite épître de jurisprudence islamique, trad. fr. N. Penot-Maaded, éditions Alif, Lyon,
1998.
10. Voir la traduction française de cet ouvrage  : par Hood Jhumka, revu et corrigé par l’équipe
littéraire des éditions Maison d’Ennour, al-Muwatta’, 2 volumes, éditions Maison d’Ennour, 2017.
11. Cet ouvrage fut traduit en français par Léon Bercher : La Risâla, ou Épître sur les éléments du
dogme et de la loi de l’islam selon le rite malikite, éditions Jules Carbonel, Alger, 1948.
12. Il existe une traduction en français de cet ouvrage  : La Risâla. Les fondements du droit
musulman, trad. fr. par Lakhdar Souami, éditions Actes Sud, Arles, 1997.
13. Cet ouvrage fut traduit en français dès la fin du XIXe siècle par L. W. C. Van Der Berg : Minhâj
al-Tâlibîn. Le Guide des zélés croyants, 3 volumes, Batavia (Jakarta), Imprimerie du gouvernement,
1882.
14. Il existe une traduction française de cet ouvrage : Le Précis de droit d’Ibn Qudāma, trad. fr. par
Henri Laoust, éditions de l’Institut français de Damas, Beyrouth, 1950.
15. Ihyâ’ ‘ulûm al-Dîn, éditions Dâr al-Minhâj, Riyad, 2011, vol. II, p. 119.
16. Pour un exposé approfondi, voir l’ouvrage magistral de Frithjof Schuon, L’Ésotérisme comme
principe et comme voie, éditions Dervy, Paris, 1997.
17. Cette définition est tirée d’un célèbre hadith, dit « hadith de Gabriel », considéré en islam comme
l’une des traditions prophétiques les plus essentielles.
18. Kitâb al-luma‘, éditions Dâr al-kutub al-hadîtha, Le Caire, 1960, p. 45.
19. Cité par al-Bukhârî dans son Sahîh, n° 5882.
20. Junayd, Enseignement spirituel, trad. fr. par Roger Deladrière, éditions Acte Sud, Arles, 1983, p.
131.
21. Il existe en français une présentation et une traduction partielle de cet ouvrage : Les Illuminations
de La Mecque, anthologie présentée par Michel Chodkiewicz, éditions Albin Michel, Paris, 1997.
22. Voir, par ex., Coran : 3, 104.
23. Al-Kalâbâdhî, Traité de soufisme, trad. fr. par Roger Deladrière, éditions Actes Sud, Arles, 1981,
p. 33-36.
24. Ihyâ’, I, p. 126-127.
25. Coran : 3, 190.
26. Coran : 16, 69.
27. Notamment dans son épître intitulée al-Ibâna ‘an sujûd al-jaram al-aqsâ.
28. Texte arabe et traduction par Y. Karam, J. Chlala et A. Jaussen, éditions Ifao et Commission
libanaise pour la traduction des chefs-d’œuvre, Beyrouth, 1986.
29. Voir les traductions d’Henry Corbin dans Avicenne et le récit visionnaire, éditions de l’Institut
franco-iranien, Téhéran, 1952-1954, 3 volumes.
30. Voir la traduction de Marc Geoffroy : Discours décisif, éditions Flammarion, Paris, 1996.
31. Ibid., p. 105.
32. Voir l’ouvrage de Christian Jambet : L’Acte d’être. La philosophie de la révélation chez Mollâ
Sadrâ, éditions Fayard, Paris, 2002.
33. Coran : 73, 4.
34. Voir Les Enseignements spirituels du Prophète, op. cit., p. 239.
35. Jean-Louis Michon, Lumières d’islam, éditions Archè, Milan, 1994, p. 62-63.
36. Titus Burckhardt, L’Art de l’islam, éditions Tasnîm, Wattrelos, 2022, p. 19-20.
37. Voir Les Enseignements spirituels du Prophète, op. cit., p. 175.
38. Ibid., p. 173.
39. Vers 48-50. Il existe plusieurs traductions françaises de ce poème. Par exemple : Al-Burda, trad.
fr. par Hassan Boutaleb, éditions Albouraq, Paris, 2012.
40. Discours sur l’Histoire universelle (al-Muqaddima), trad. fr. par Vincent Monteil, éditions Actes
Sud, Arles, 1997, p. 713.
41. Ibid., p. 342.
42. Les Statuts gouvernementaux, trad. fr. par Edmond Fagnan, éditions Adolphe Jourdan, Alger,
1915, p. 143-146.
43. Cité par Ibn Mâjah dans ses Sunan, n° 229.
44. Voir l’ouvrage collectif intitulé Classicisme et déclin culturel dans l’histoire de l’islam (Actes du
symposium international d’Histoire de la civilisation musulmane), éditions Besson, Paris, 1957.
45. Frithjof Schuon, De l’Unité transcendante des religions, éditions Gallimard, Paris, 1948, p. 15.
46. À ce sujet, voir la préface de Seyyed Hossein Nasr à son ouvrage intitulé Islam. Perspectives et
réalités, éditions Tasnîm, Wattrelos, 2019.
47. Voir la traduction française de cet écrit : René Guénon, un soufi d’Occident, trad. fr. par Abd al-
Wadoud Jean Gouraud, Éditions Albouraq, Paris, 2007.
48. Celle-ci a pour titre al-Walâya wa-l-nubuwwa (Le Caire, Éditions Dâr al-shurûq, 2004).
49. Nous traduisons. Cet article est paru dans le quotidien égyptien al-Ahrâm, le 11 juin 2005.
50. Cité par Muslim dans son Sahîh (389).
51. Cité par Ibn Mâjah dans ses Sunan, n° 4291 et authentifié par Sakhâwî dans al-Maqâsid al-
hasana, n° 149.
52. Sur la «  Déclaration de Marrakech  », voir Reza Shah-Kazemi, L’Esprit de tolérance en islam,
éditions Tasnîm, Wattrelos, 2016, p. 13-17.
53. Fayd al-Qadîr, I, p. 13-14.
PARTIE 2

LES ÉLÉMENTS DE LA FOI


CHAPITRE 4

LE DOUBLE TÉMOIGNAGE DE FOI

Nous l’avons vu, l’islam n’est pas une religion basée sur le caractère
exceptionnel de son fondateur mais sur Dieu, Lui-même. En tant que
perspective centrée sur l’Absolu, l’islam rejette la divinisation de toute
chose en dehors de Dieu : seul l’Absolu est absolu, tout le reste est relatif,
c’est-à-dire limité. Il ne faut donc pas se laisser induire en erreur par
l’apparente tautologie du premier témoignage de foi : « Il n’est de dieu que
Dieu. » En effet, s’il est aisé d’accepter l’évidence de ce témoignage de
foi, il est autrement plus difficile d’en réaliser le contenu profond car il
existe dans la nature humaine une tendance à absolutiser – donc à diviniser
– des êtres ou des phénomènes.

L’Unicité divine
Le véritable monothéisme ne saurait se réduire à une simple affirmation :
ne reconnaître qu’un seul Dieu n’est que la première étape d’un long
processus spirituel, car on ne se défait pas facilement des fausses idoles.
Le fait de vouer un culte ou d’idolâtrer un être ou une chose en dehors de
Dieu est appelé «  associationnisme » (shirk). Or, il en existe des formes
subtiles  : ce sont les diverses formes du culte de l’ego. À ce sujet, le
Prophète mit en garde ses Compagnons contre l’ostentation de manière
très claire en la qualifiant d’ « associationnisme caché » (shirk khafî)1.
Selon al-Ghazâlî, on peut ramener les nombreux degrés de l’affirmation de
l’Unicité divine à quatre paliers fondamentaux. Le premier palier
(martaba) consiste en une simple affirmation de la langue sans
participation du cœur. Le deuxième est l’acceptation de la formule par le
cœur. Ces deux premiers paliers concernent le commun des musulmans,
dont l’adhésion à l’islam relève souvent d’une appartenance extérieure. Le
troisième palier est celui où le croyant contemple la vérité du témoignage
de foi par dévoilement initiatique (kashf). Il ne s’agit plus alors d’une
adhésion extérieure à un dogme mais d’une perception intérieure. C’est le
degré des Rapprochés (muqarrabûn) – évoqués au début de la sourate 56 –
qui «  voient les choses créées multiples, tout en percevant cette
multiplicité comme émanant de l’Unique ». Quant au quatrième palier, il
concerne les plus hauts degrés de la spiritualité en islam : « Il consiste à ne
voir dans l’Existence que l’Unique. Telle est la contemplation des
véridiques que les soufis appellent “l’extinction de l’ego dans l’affirmation
de l’Unicité” (al-fanâ’ fî l-tawhîd). En effet, ceux qui réalisent ce degré ne
perçoivent plus que l’Unique et donc meurent à leur propre ego2. »
Le monothéisme radical enseigné par l’islam ne fut pas simplement une
négation des idoles adorées par les tribus d’Arabie, mais s’accompagna en
outre d’une véritable révolution éthique. La religiosité des polythéistes, en
effet, n’impliquait aucune éthique ni aucune spiritualité. De fait, le
domaine de l’éthique était régi dans l’Arabie antéislamique par les valeurs
tribales. Le bien et le mal n’étaient que ce que la tribu reconnaissait
comme tel. Ils étaient donc des valeurs sociales et ne découlaient pas de la
volonté du Créateur. Le rapport aux divinités était en réalité purement
mercantile : on leur offrait des sacrifices pour obtenir d’elles des avantages
terrestres. Tout cela montre suffisamment pourquoi le monothéisme
islamique suscita tant d’hostilité parmi les polythéistes d’Arabie.
L’affirmation de l’Unicité divine, à l’inverse, se présente comme le
fondement le plus important de la foi, fondement qui implique que tous les
aspects de la vie peuvent être vivifiés par un lien intime avec Dieu. En ce
sens, on rapporte cette parole du Prophète  : «  Le meilleur de la foi c’est
que tu saches que Dieu est avec toi où que tu sois3. »

L’ultime messager du Ciel


Le second témoignage de foi affirme la mission de messager de Dieu qui
échut à Muhammad (Muhammad rasûl Allâh). Si le premier témoignage
de foi insiste sur la transcendance absolue de Dieu, le second souligne Sa
volonté de sauver les hommes et de leur offrir une voie d’accès à Lui  :
« Dis-leur : “Si vous aimez Dieu, suivez-moi et Dieu vous aimera4.” » Ce
verset présente le Prophète comme un modèle d’amour et de proximité de
Dieu. Mais d’autres versets détaillent davantage sa fonction auprès des
croyants : « Dieu a certes accordé un don inestimable aux croyants en leur
envoyant un prophète issu d’eux-mêmes  : il leur récite Ses versets, les
purifie et leur enseigne le Livre et la Sagesse, alors qu’ils étaient
auparavant dans un égarement manifeste5. »
La place du Prophète est importante dans la vie des croyants, jusque dans
les menus détails de la vie quotidienne. Ainsi, lorsque le Prophète est
évoqué, il est demandé au fidèle musulman d’appeler la grâce et la paix de
Dieu sur lui  : «  En vérité Dieu et Ses anges appellent la grâce sur le
Prophète  : ô vous qui avez la foi, appelez la grâce et la paix divines sur
lui6. » Pour ce faire, il existe plusieurs formules, par exemple : sallâ Llâhu
‘alayhi wa-sallam («  Que Dieu lui accorde Sa grâce et Sa paix  »). Cet
appel de grâce, souvent traduit par « prière sur le Prophète », peut devenir
un acte d’adoration de première importance. Beaucoup de musulmans
cherchent, en effet, à approfondir leur amour de l’Envoyé de Dieu par une
pratique abondante de la « prière sur le Prophète ». De nombreux hadiths
insistent sur les vertus et les mérites de cette pratique, par exemple : « Qui
appelle la grâce de Dieu sur moi une fois se verra accorder la grâce de
Dieu dix fois. De plus, Dieu effacera dix de ses fautes et l’élèvera de dix
degrés7. »
Nous l’avons vu au tout début de la première partie, le prophète
Muhammad est présenté dans le Coran comme le « Sceau des prophètes »
(khâtim al-nabiyyîn). Croire que Muhammad a clos la série des prophètes
est donc un élément du credo, un article de foi essentiel.
Mais l’ultime messager est aussi et surtout un « modèle excellent » (uswa
hasana) pour le croyant  : « Il y a, en vérité, dans l’Envoyé de Dieu un
modèle excellent pour celui qui aspire à Dieu ainsi qu’à l’Au-delà, et qui
invoque Dieu abondamment8.  » Dans le chapitre 3 de la présente partie,
nous aurons l’occasion de voir en détail comment l’imitation du Prophète
détermine l’acquisition des vertus et l’élévation spirituelle chez le fidèle.

1. Voir Ibn Mâjah, Sunan n° 4204.


2. Ihyâ’, VIII, p. 202-203.
3. Cité par al-Tabarânî dans al-Mu‘jam al-kabîr.
4. Coran : 3, 31.
5. Coran : 3, 164.
6. Coran : 33, 56.
7. Cité par al-Hâkim dans al-Mustadrak, n° 2018.
8. Coran : 33, 21.
CHAPITRE 5

LES SIX ÉLÉMENTS DU CREDO

L’ensemble des articles de foi, c’est-à-dire tout ce en quoi le fidèle


musulman doit croire, se trouve contenu en germe dans le hadith dit « de
Gabriel ». Ce hadith est appelé ainsi parce que l’ange Gabriel se présenta
au Prophète, qui était entouré de ses Compagnons à Médine, sous
l’apparence d’un voyageur pour l’interroger sur les éléments
fondamentaux de la religion. Il lui demanda d’abord : « Qu’est-ce que la
soumission à la Volonté divine (al-islâm)  ?  » Le Prophète répondit  :
«  C’est témoigner qu’il n’est de dieu que Dieu et que Muhammad est le
Messager de Dieu  ; que tu accomplisses la prière  ; verses l’aumône
purificatrice  ; jeûnes le mois de ramadan et effectues le pèlerinage à la
Demeure sacrée, si tu en as la possibilité.  » Le «  voyageur  » demanda
encore : « Qu’est-ce que la foi (al-îmân) ? » Le Prophète expliqua : « La
foi consiste à croire en Dieu, en Ses anges, en Ses Livres, en Ses
messagers, au Jour dernier et à la prédestination du bien comme du mal. »
En troisième lieu, le «  voyageur  » demanda  : «  Qu’est-ce que la vertu
parfaite (al-ihsân) ? » Et le Prophète de répondre : « C’est que tu adores
Dieu comme si tu Le voyais, car si tu ne Le vois pas, certes, Lui te voit. »
Enfin, le «  voyageur  » interrogea le Prophète sur l’Heure dernière. Sa
réponse fut  : «  À ce sujet, l’interrogé n’en sait pas plus que celui qui
interroge.  » Le Prophète se contenta alors de donner quelques signes
précurseurs de la fin des temps1.

Dieu
L’islam distingue, en Dieu, l’Essence (Dhât) et les Attributs (Sifât). Cette
distinction est fondamentale car elle permet de sauvegarder l’Unité divine
malgré la pluralité des Attributs. Ces derniers, en effet, sont multiples et
peuvent même s’opposer les uns aux autres. Ainsi Dieu est à la fois Celui
qui élève (al-Mu‘izz) et Celui qui abaisse (al-Mudhill) ; Celui qui donne la
vie (al-Muhyî) et Celui qui fait mourir (al-Mumît) ; Celui qui pardonne
(al-Ghafûr) et Celui qui se venge (al-Muntaqim), etc. C’est pourquoi
l’islam considère que seule l’Essence divine est au-delà de toute
opposition et de toute distinction. Dieu peut être connu par Ses Attributs et
invoqué par Ses Noms, mais l’Essence divine ne saurait jamais être l’objet
de la connaissance humaine.
Toutefois, certains Noms divins renvoient à l’Essence, comme l’Un (al-
Ahad) ou l’Absolu (al-Samad). Cela explique l’importance prise par la
sourate al-Ikhlâs (le culte pur) dans la vie religieuse du musulman : « Dis :
Lui, Dieu, est Un  ! Dieu est l’Absolu  ! Il n’engendre pas et Il n’est pas
engendré ; nul n’est égal à Lui2. » Interrogé par des polythéistes sur « la
généalogie de Dieu  », le Prophète reçut la révélation de cette sourate de
quatre versets comme réponse. Par ailleurs, il enseigna ceci : « Qui récite
la sourate “Dis : Lui, Dieu, est Un !” est considéré comme ayant récité le
tiers du Coran3. »
L’islam reconnaît un grand nombre de Noms divins. La liste la plus
célèbre est celle dite d’« al-Tirmidhî » car la tradition prophétique suivante
se trouve dans son recueil de hadiths  : «  Dieu possède quatre-vingt-dix-
neuf Noms – cent moins un – et celui qui les connaîtra entrera au Paradis.
Il est Dieu, Celui en dehors duquel il n’y a pas de divinité, le Tout-
Miséricordieux, le Très-Miséricordieux, le Roi, le Très-Saint, la Paix4… »
Toutefois, cette liste ne contient pas tous les Noms divins cités dans le
Coran et les hadiths. À proprement parler, le nombre des Noms divins est
indéfini puisque Dieu possède une infinité de perfections.

Une imploration du Prophète au moyen des Noms divins


« Mon Dieu, je Te demande, par tout Nom qui T’appartient – par lequel tu T’es Toi-même
nommé ; que Tu as révélé dans Ton Livre ; que Tu as enseigné à l’un de Tes serviteurs ou
que Tu as gardé auprès de Toi dans la science du Mystère –, de faire du Coran le
renouveau de mon cœur, la lumière de ma poitrine et la dissipation de ma tristesse et de
mes soucis5. »

Voici le résumé théologique concernant l’Unicité divine que donne Ibn


Abî Zayd al-Qayrawânî (922-996) dans sa célèbre Risâla  : «  Parmi les
devoirs religieux est la croyance, que le cœur doit contenir et la bouche
proclamer, selon laquelle on confesse que Dieu est une divinité unique,
qu’il n’y en a point d’autre, qu’Il n’a point de pareil, point d’égal, point de
fils ni de père, point de compagne et point d’associé. Son antériorité est
sans commencement, et Sa postériorité est sans fin. La réalité profonde de
Ses Attributs échappe à la description des hommes. Les esprits humains ne
peuvent L’embrasser. Ceux qui méditent tirent un enseignement de Ses
signes, mais ils ne sauraient méditer sur Son Essence6. »

Les anges
Alors que l’homme a été créé à partir d’argile et les djinns à partir de feu,
les anges (malak, pl. malâ’ika) sont des êtres créés de lumière. Ils ne
possèdent pas le libre arbitre et ne peuvent donc pas choisir entre le bien et
le mal. C’est pourquoi les anges sont présentés comme de purs serviteurs
de Dieu : ils sont « dénués de tout orgueil » et « exécutent tout ce que Dieu
leur ordonne »7. Par ailleurs, ils n’ont nul besoin de nourriture, de boisson,
de vie sexuelle ou de sommeil.
Dans l’Arabie antéislamique, il existait une croyance selon laquelle les
anges sont de sexe féminin. Un verset du Coran vint rejeter cette
croyance  : «  Et ils firent des anges, qui sont les serviteurs du Tout-
Miséricordieux, des êtres féminins. Étaient-ils témoins de leur création  ?
Leur témoignage sera consigné et ils auront à en répondre8. »
Il existe diverses espèces d’anges occupant des fonctions précises dans la
Création. Les plus importants sont les suivants : Isrâfîl, chargé de souffler
dans la Corne pour annoncer le Jour du Jugement dernier  ; Mîkâ’îl
(Michel) chargé de faire tomber la pluie ; Ridwân, le gardien du Paradis ;
Mâlik, le gardien de l’Enfer ; et Jibrîl (Gabriel), chargé de transmettre la
Parole de Dieu aux prophètes.
Les anges peuvent prendre des apparences diverses selon les situations.
C’est ainsi que l’ange Jibrîl apparaissait parfois au Prophète sous une
apparence humaine  : il lui arrivait de prendre l’apparence de Dihya al-
Kalbî (m. 670), un Compagnon du Prophète connu pour sa beauté
exceptionnelle9, ou encore celle d’un étranger de passage à Médine.
Chaque être humain est constamment accompagné par deux anges
gardiens (al-hafaza). Leur rôle est de mettre par écrit chaque action, bonne
ou mauvaise, accomplie par la personne dont ils ont la charge : « Et vous
êtes constamment surveillés par des anges gardiens, des anges nobles qui
notent tout par écrit : ils savent parfaitement tout ce que vous faites10. » Le
livre des actions consignées par les anges sera remis à chaque être humain
qui se verra dire, le Jour de la Résurrection : « Lis ton livre : ton âme suffit
aujourd’hui à te juger11. »
De manière générale, le rôle des anges est de célébrer les louanges de
Dieu12 et d’implorer Son pardon en faveur des hommes13.

Les livres révélés


Selon l’islam, l’humanité a reçu depuis ses débuts un grand nombre de
livres révélés. Le phénomène de la révélation commença avec Adam dont
le repentir, après sa chute et son exil terrestre, fut accepté par Dieu  :
«  Cependant, Adam reçut des paroles de la part de son Seigneur qui
accepta son repentir. Certes Dieu est plein de mansuétude et de
miséricorde14. »
Parmi les Écritures anciennes mentionnées dans le Coran se trouvent les
feuillets d’Abraham, la Torah (Moïse), les Psaumes de David (al-Zabûr) et
l’Évangile (al-Injîl) ou les enseignements de Jésus.
Toutefois, le Coran considère que certains passages des Écritures
anciennes ont été altérés  : «  Gardez-vous encore l’espoir de les voir un
jour partager votre foi, alors que certains d’entre eux ont déjà altéré
sciemment la parole de Dieu après en avoir saisi le sens15  ?  » Selon le
Coran, Jésus annonça la venue du prophète Muhammad  : «  Souviens-toi
également de Jésus, fils de Marie, qui disait  : Ô Fils d’Israël, je suis le
messager de Dieu envoyé vers vous. Je viens confirmer la Torah qui m’a
précédée, et vous annoncer la venue après moi d’un prophète du nom
d’Ahmad16.  » Un autre verset affirme que la mission du prophète
Muhammad était déjà annoncée dans la Torah  : «  Ceux qui suivront
l’Envoyé, qui est le prophète illettré qu’ils trouvent mentionné dans leurs
Écritures, dans la Torah et l’Évangile, […] ceux-là connaîtront la
félicité17. »

Les prophètes et les messagers


L’islam, comme les autres religions abrahamiques, considère que l’être
humain ne peut tirer de lui-même la lumière suffisante pour échapper à la
tyrannie de ses tendances négatives. Une courte sourate des débuts de la
révélation coranique décrit cet aspect de la condition humaine avec
éloquence : « Par le temps qui s’écoule ! En vérité, les hommes courent à
leur perte, sauf ceux qui ont la foi, pratiquent les bonnes œuvres, se
recommandent mutuellement la vérité et se recommandent mutuellement
la patience18. »
Cela signifie qu’avec le temps, le message apporté par un prophète est de
moins en moins saisi par ceux qui s’en réclament. La religion dégénère
alors inéluctablement. Cette déchéance appelle un nouveau message, afin
qu’un renouveau religieux et spirituel puisse se produire.
Selon les enseignements de l’islam, les prophètes furent au nombre de 124
000, et le premier n’est autre qu’Adam. Parmi eux, 313 sont considérés
comme des envoyés ou des messagers19. Précisons ici qu’un prophète
(nabî) et un messager (rasûl20) n’ont pas la même mission : la fonction du
second englobe celle du premier – tout messager est nécessairement
prophète alors que l’inverse n’est pas vrai – et implique un message de
force majeure, lequel aboutit souvent à la fondation d’une nouvelle
religion.
Parmi le nombre impressionnant des prophètes de toute l’humanité, le
Coran en cite nommément 25 dont beaucoup sont des prophètes bibliques,
sauf Hûd et Sâlih qui sont des prophètes d’Arabie21.
Le cas des porte-parole des religions n’appartenant pas à la famille
abrahamique a été étudié par plusieurs savants musulmans, ayant vécu
pour la plupart dans les zones culturelles perse, indienne et chinoise du
monde islamique. Ils furent ainsi amenés à reconnaître le statut
prophétique de Bouddha22, Confucius, Lao Tseu, Zoroastre, Rama et
Krishna23.
Cette reconnaissance avait été préparée par l’attribution du statut de
«  Gens du Livre  » accordé aux hindous ou aux bouddhistes. Dès 711, le
jeune général Muhammad ibn Qâsim al-Thaqafî relaya auprès des
autorités califales la demande des hindous et des bouddhistes de la région
du Sind concernant la restauration de leurs temples et le maintien de leurs
droits religieux. Il reçut alors une lettre contenant des dispositions qui
furent appelées, par la suite, le « Règlement de Brahmanabad ».

Extraits du « Règlement de Brahmanabad »


« La requête des chefs de Brahmanabad à propos de la construction de Budh et d’autres
temples, et à propos de la tolérance en matière de religion, est juste et raisonnable. Je ne
vois pas quels autres droits nous pourrions avoir sur eux à part l’impôt habituel. Ils nous
ont rendu hommage et ont décidé de verser au Calife l’impôt de capitation fixé (jizya).
Puisqu’ils sont devenus nos protégés (dhimmî), nous n’avons aucun droit quel qu’il soit de
nous immiscer dans leurs vies et leurs possessions. Autorisez-les à suivre leur propre
religion. Personne ne devrait les en empêcher24. »

Avoir foi en la mission de tous les prophètes est un élément fondamental


du credo en islam : « L’Envoyé a pleinement foi en ce que lui a révélé son
Seigneur ; il en est de même pour les croyants. Tous ensemble croient en
Dieu, à Ses anges, à Ses Écritures et à Ses messagers : “Nous ne faisons
aucune distinction entre Ses messagers.” Ils affirment  : “Nous avons
entendu et nous avons obéi. Pardonne-nous, Seigneur, car c’est vers Toi
que tout doit faire retour25.” »
La Révélation affirme que tous les peuples, de toutes les époques
antérieures à celle de Muhammad, ont reçu un ou plusieurs prophètes, tous
chargés de leur délivrer des messages divins  : «  Et à  chaque
communauté  il a été  désigné un prophète en présence duquel elle sera
jugée en toute justice, sans qu’elle subisse la moindre iniquité26  », «  …
chaque peuple a eu son guide27 ».

L’Au-delà
Contrairement à l’acceptation de l’Unicité divine, la foi dans la
Résurrection et dans la vie après la mort fut une partie du message très
difficile à concevoir pour une grande partie des Arabes de l’époque du
Prophète. De nombreux passages du Coran se font l’écho de cette
difficulté. C’est le cas de ce verset  : «  Oubliant même jusqu’à sa propre
création, l’homme Nous lance ce proverbe  : “Qui peut rendre la vie aux
ossements devenus poussière  ?” Réponds-lui  : “Leur rendra la vie Celui
qui les a créés la première fois, car Il est Celui qui ne cesse de créer et Il
est l’Omniscient28.” »
Selon les enseignements de l’islam, tous les êtres humains seront
ressuscités après la fin de ce monde pour être jugés  : «  Le jour où nous
mettrons les montagnes en mouvement et où la terre sera toute aplanie,
Nous rassemblerons les hommes sans en omettre aucun. Et ils seront
présentés en rangs devant ton Seigneur qui leur dira : “Vous voilà revenus
à Nous tels que Nous vous avons créés la première fois  ! Pourtant vous
prétendiez que jamais ce rendez-vous n’aurait lieu29 !” »
Les actions et surtout les intentions de chaque individu lui vaudront la
récompense de vivre éternellement dans un des degrés du Paradis ou, à
l’inverse, le châtiment des supplices de l’un des degrés de l’Enfer. Si
l’entrée au Paradis est définitive, l’entrée en Enfer peut être temporaire
lorsque l’individu n’a pas été foncièrement mauvais sur terre.
Le Coran et les hadiths décrivent avec force détails le Paradis et l’Enfer.
Toutefois, ces descriptions sont présentées comme des «  images
symboliques  » (mathal, pl. amthâl)  : «  Voici l’image symbolique du
Paradis promis aux pieux : il y coulera des ruisseaux à l’eau toujours pure
et limpide, des ruisseaux de lait à la saveur inaltérable, des ruisseaux d’un
vin délicieux à boire, des ruisseaux d’un miel pur et distillé. Et des fruits
de toutes sortes qui seront offerts aux croyants, ainsi que le pardon de leur
Seigneur…30 » De même, de nombreux détails concernant les supplices de
l’Enfer sont donnés dans le Coran  : «  … Aux négateurs on taillera des
vêtements de feu, et il leur sera versé sur la tête un liquide bouillant qui
fera fondre leurs entrailles et leur peau, pendant que des massues de fer
seront préparées à leur intention. Et toutes les fois que, transis de douleur,
ils tenteront de s’en évader, on les y ramènera et on leur dira  : “Goûtez
donc le supplice du Feu dévorant31 !” »
Mais à proprement parler, l’Au-delà (al-Âkhira) est indescriptible car il
dépasse ce que l’âme humaine peut concevoir  : «  Aucune âme ne peut
connaître le bonheur qui est réservé aux croyants en récompense des
œuvres qu’ils ont accomplies. Le croyant serait-il semblable au pervers ?
Ils ne sont point égaux32  !  » Selon un hadith, Dieu a dit  : «  J’ai préparé
pour Mes serviteurs vertueux ce que nul œil n’a vu, ce que nulle oreille n’a
entendu et ce qui n’est monté au cœur d’aucun homme33. »

Le destin
La question de la prédestination a suscité de nombreux débats en islam,
tout comme ce fut le cas dans d’autres religions. Dire que tout ce qui
arrive dans la vie de l’homme est prédestiné semble s’opposer à la liberté
humaine et au libre arbitre puisqu’il n’est plus question de pouvoir faire
des choix. Or, la prédestination aussi bien que le libre arbitre humain sont
affirmés par les textes sacrés de l’islam. Ainsi, certains versets du Coran
affirment avec force que toute chose est prédestinée : « Aucun malheur ne
s’abat sur la terre ou sur vos propres personnes qui ne figure déjà dans un
Livre, avant même que Nous le fassions survenir. Et c’est là une chose
aisée pour Dieu34.  » Ce verset est immédiatement suivi par un autre qui
justifie la prédestination comme une protection contre la déception face à
l’échec et la vanité lors d’un succès : « Il en est ainsi afin que vous ne vous
tourmentiez pas au sujet d’un bien qui vous échappe ou que vous ne vous
réjouissiez pas outre mesure de celui que Dieu vous accorde, car Dieu
n’aime point les vaniteux pleins de gloriole35. »
Cela n’empêche pas le Coran, toutefois, d’inviter le croyant à faire le
choix des bonnes actions  : «  Dis-leur  : Agissez  ! Dieu observera vos
œuvres, ainsi que le Prophète et les croyants. Et quand vous serez ramenés
vers Celui qui connaît l’invisible et l’apparent, Il vous renseignera sur ce
que vous aurez fait36. »
L’opposition logique entre la prédestination et le libre arbitre est
insurmontable pour la raison livrée à elle-même. La pensée discursive, en
effet, procède par alternative et par opposition. De plus, elle est limitée par
les conditions d’existence que sont l’espace et le temps. La pensée
discursive a besoin de replacer les événements dans une succession
chronologique pour y introduire une causalité, c’est-à-dire une succession
de causes et d’effets. Or, Dieu est au-delà du temps  : pour Lui, tout se
déroule dans un éternel présent. Ainsi, il n’y a pas, du point de vue divin,
«  d’abord  » un choix «  puis  » un passage à l’acte. Sans succession
temporelle, on ne peut plus dire, en effet, que l’acte a pour « origine » un
choix.
Or, la pensée humaine ordinaire ne peut se placer au point de vue divin –
qui relève de l’éternel présent – sans le secours de la grâce. C’est pourquoi
la prédestination reste un mystère pour la raison. Seul le cœur illuminé par
la lumière de la foi peut saisir dans un même mouvement la réalité de la
prédestination et celle du libre arbitre. C’est ce qui explique l’attitude du
Prophète qui nous est rapportée dans ce hadith : « Le Prophète entendit les
Compagnons émettre diverses opinions au sujet de la prédestination. Il se
mit alors extrêmement en colère et ses joues rougirent. Il s’adressa à eux et
leur dit : “Est-ce cela qui vous a été ordonné ? Est-ce avec cela que j’ai été
envoyé comme messager vers vous  ? Les communautés qui vous ont
précédés ont déchu précisément lorsqu’elles se mirent à avoir différentes
opinions sur ce point. Je vous l’ordonne ! Je vous l’ordonne ! N’ayez pas
de divergences à ce sujet37.” »
Puisque prédestination et libre arbitre sont tous deux présentés comme des
réalités, on peut poser la question suivante  : pourquoi, en islam, seule la
prédestination est un article de foi  ? La réponse en est simple : faire des
choix est une expérience quotidienne et spontanée pour tout un chacun. Il
n’en va pas de même de la prédestination qui est une conception méta-
physique s’appliquant au devenir des choses. Risquant d’être éclipsée par
l’expérience psychologique quotidienne du libre arbitre, la prédestination a
besoin d’être rappelée et d’être affirmée en tant qu’article de foi.

La question du djihad
Certains théologiens font entrer le djihad dans la liste des devoirs du
croyant. Mais que désigne ce terme dans leur langage ? S’agit-il, dans leur
perspective, d’imposer l’islam par la force aux non-musulmans, comme
dans le djihadisme contemporain ? La violence aveugle serait-elle sacrée à
leurs yeux  ? Par ailleurs, y a-t-il dans le Coran et les hadiths un appel à
propager l’islam par l’épée ?
Le djihad : entre réalité et fantasme
Beaucoup de lecteurs du Coran sont désarçonnés face à l’opposition
brutale qui paraît exister entre des versets qui invitent au pacifisme et
d’autres qui semblent légitimer la violence. C’est pourquoi il nous faut
examiner de près, en les contextualisant, les versets en question.
En préambule, il faut remarquer que toute doctrine – qu’elle soit d’essence
religieuse, philosophique ou politique – est susceptible d’être
instrumentalisée et utilisée à des fins meurtrières. Cela reste valable
quelles que soient les idées généreuses qu’une doctrine présente. Pour
nous en tenir au cas des doctrines religieuses, nous ferons remarquer que
la générosité des idées présentes dans la doctrine chrétienne n’a empêché
ni les croisades ni l’Inquisition, et la «  compassion pour tous les êtres  »
enseignée par le bouddhisme n’empêche pas, de nos jours, un grand
nombre de moines bouddhistes birmans de massacrer sauvagement des
enfants, des femmes et des hommes appartenant à la minorité musulmane
des Rohingyas.
Mais pour qu’une doctrine soit instrumentalisée, il faut d’abord qu’elle
devienne une idéologie. Dans ce contexte, il faut entendre par
« idéologie » un corpus d’idées bien définies et des réponses toutes faites à
l’ensemble des problèmes qui peuvent se présenter. Alors qu’une doctrine
religieuse est avant tout un point de départ en vue du cheminement
spirituel du fidèle qui y adhère, une idéologie religieuse est un point
d’arrivée définitif. À ce propos, l’un des critères les plus sûrs pour
démasquer une idéologie religieuse est le rejet de la pluralité des avis. À
l’inverse, tant qu’une doctrine religieuse demeure fidèle à ce qu’elle doit
être, elle reste ouverte à une pluralité d’approches et de réponses. Ainsi,
nombre des fondateurs d’Écoles juridiques islamiques furent disciples les
uns des autres – Mâlik fut le maître d’al-Shafî‘î, par exemple – tout en
adoptant une méthodologie propre et des positions différentes sur certaines
questions. Cependant, ils n’en respectaient pas moins les avis de leurs
pairs. Cette attitude d’ouverture à la pluralité des avis religieux fut appelée
« l’éthique du désaccord » (adab al-ikhtilâf).

Est-il question de « guerre sainte » dans le Coran ?


Après ce préambule, venons-en aux réponses à apporter aux questions
précédemment posées. Puisqu’aucun reproche concernant l’islam n’est
aussi récurrent de nos jours que celui de violence, il convient de
commencer par ce qu’en disent le Coran et les hadiths. Le terme jihâd –
invariablement traduit par « guerre sainte » – est devenu le symbole même
de la sanctification d’une violence qui serait prônée par le Coran.
Désignant le combat au sens large, le verbe qâtala et le substantif qitâl
reviennent souvent dans le Coran  : «  Qu’est-ce qui vous retient de
combattre dans la Voie de Dieu pour défendre les opprimés, hommes,
femmes et enfants dont les cris ne cessent de retentir : “Seigneur ! Délivre-
nous de cette cité à la population si cruelle  ! Envoie-nous de Ta part un
protecteur et désigne-nous un défenseur38 !” »
Mais la guerre au sens propre du terme est souvent désignée dans le Coran
par le vocable harb. Non seulement Dieu ne souhaite pas la guerre, mais
bien souvent « Il éteint les conflits » afin qu’elle n’ait pas lieu : « Chaque
fois que les ennemis du Prophète39 allument le feu de la guerre (harb),
Dieu l’éteint40… »
Loin de sanctifier la guerre, le Coran s’oppose à toute cruauté gratuite
envers les ennemis et pose les fondements du traitement respectueux des
prisonniers  : «  Lorsque vous êtes en guerre (harb) contre les ennemis,
frappez-les durement jusqu’à leur reddition. Faites-les prisonniers  : vous
les libérerez ensuite gracieusement ou contre une rançon quand la guerre
aura pris fin41. » Il arriva que la rançon demandée ne fût pas matérielle, tel
le fait d’enseigner à lire à dix illettrés. Un verset souligne même que le
bon traitement des prisonniers est aussi important que la charité envers les
pauvres et les orphelins : « Bien qu’étant dans le besoin, ils nourrissent le
pauvre, l’orphelin et le prisonnier : “Nous vous nourrissons par amour de
Dieu et n’attendons ni compensation, ni remerciement42.” »

Les premiers combats de la période médinoise


La période mecquoise fut un temps où le Prophète et les croyants autour
de lui subirent l’hostilité grandissante des puissants de La Mecque.
Pendant treize années, le Prophète et les Compagnons subirent insultes,
brimades et persécutions de la part des maîtres de La Mecque, les
Qurayshites. Arrivés à Médine, les Compagnons qui avaient quitté La
Mecque en laissant une grande partie de leurs biens furent spoliés. Le
Prophète leur interdit de réagir tant que la Révélation ne leur en donnait
pas le droit. Deux ans après l’installation à Médine, deux versets
apportèrent la permission tant attendue :
« Permission est donnée désormais à ceux qui ont été injustement agressés
de combattre. Et Dieu est en mesure de leur assurer la victoire.
À ceux qui ont été expulsés de leur territoire sans autre motif que d’avoir
proclamé  : “Dieu est notre Seigneur  !” Et si Dieu n’avait pas repoussé
certains hommes par d’autres, des ermitages auraient été détruits, ainsi que
des synagogues, des oratoires et des mosquées où le Nom de Dieu est
abondamment invoqué. Oui, Dieu sauvera ceux qui soutiennent Sa cause.
Dieu est, en vérité, le Fort, le Puissant43. »
Ces deux versets contiennent une justification du devoir de défense de la
religion. Nous avons ici l’affirmation que toute religion révélée a été
combattue par ses détracteurs et que sans défense active, elles auraient
subi des pertes irréparables.
Ces versets, révélés à Médine en l’an II de l’Hégire, replacent donc la
défense de l’islam dans le cadre plus général de la défense du droit à vivre
sa foi pour tout croyant, qu’il se rattache au judaïsme, au christianisme ou
à l’islam, d’où la mention des ermitages et des synagogues. C’est à Badr,
au sud-ouest de Médine, qu’eut lieu le premier combat entre les
musulmans et les Mecquois. Ce fut une victoire éclatante pour le Prophète
et ses Compagnons.
Un an plus tard, eut lieu une deuxième bataille opposant l’armée
musulmane à l’armée mecquoise à Uhud, non loin de Médine. La bataille
fut remportée par les Mecquois, plus nombreux et mieux préparés. Le
Prophète fut blessé à la joue et Hamza, son oncle, fut tué puis mutilé : son
ventre avait été ouvert afin d’en extraire le foie à la demande de Hind44
qui avait juré de l’obtenir et de mordre dedans. Son nez et ses oreilles
furent également arrachés. Face à tant de cruauté, le Coran invite le
Prophète et les croyants à ne pas céder à la tentation de répondre par la
haine ni à se laisser ronger par la soif de vengeance : « Invite les hommes
à la voie de ton Seigneur par la sagesse et la belle exhortation : dialogue
avec eux de la meilleure manière  ! Certes ton Seigneur connaît
parfaitement ceux qui se sont écartés de Sa Voie comme ceux qui sont bien
guidés45.  » La vengeance ne saurait éteindre le feu de la haine. C’est au
contraire la sagesse qui doit vaincre la folie meurtrière. La fonction de la
bonne exhortation est de montrer à ceux qui se sont laissés aller à des actes
ignobles qu’ils doivent sortir des ténèbres dans lesquelles ils se trouvent. Il
s’agit de toucher leurs cœurs et d’éveiller leur conscience, dans la mesure
du possible.
Le verset précédent est suivi d’une recommandation dans le cas où il n’est
pas possible d’éveiller la sagesse dans le cœur de son adversaire  : «  Si
vous devez exercer des représailles, que cela soit à la mesure du préjudice
subi  ; mais si vous supportez les offenses avec patience, cela est bien
meilleur pour ceux qui en sont capables. Fais preuve de patience ! Mais tu
n’y parviendras qu’avec l’aide de Dieu46. »
Ce passage coranique propose deux voies possibles lorsque les croyants
sont injustement attaqués. La première est celle de la riposte mesurée et
proportionnée au préjudice subi. La seconde voie proposée par le verset
est spirituellement supérieure à la première  : il s’agit de supporter les
offenses avec patience et de pardonner. Mais il n’en demeure pas moins
que le Livre n’impose pas aux victimes l’obligation de pardonner. Seuls
ceux qui ont reçu la grâce de Dieu peuvent dépasser le « besoin » de voir
puni, par exemple, l’auteur du meurtre d’un proche, pour pouvoir faire
leur deuil. Aussi, le réalisme social dont fait preuve le Coran à de
nombreuses reprises constitue-t-il une reconnaissance des diverses
possibilités spirituelles que l’on ne manque pas de trouver dans toute
communauté étendue.

Les relations avec les Gens du Livre dans le Coran


En dehors des polythéistes mecquois, il est parfois fait reproche au Coran
de s’en prendre aux chrétiens et aux juifs. Si le Livre rejette bien certaines
interprétations théologiques qui ont pu être adoptées par des courants
chrétiens ou juifs, soutenir qu’il s’en prend à l’ensemble des fidèles de ces
deux religions est un contresens. En effet, lorsque le Coran évoque «  les
chrétiens  » et «  les juifs  », il ne s’agit pas de la totalité des croyants
appartenant à ces deux confessions mais de groupes restreints parmi les
contemporains du Prophète. Ainsi en est-il du verset suivant : « Ô vous qui
avez la foi  ! Ne prenez pas les juifs et les chrétiens pour alliés. Ils sont
alliés les uns des autres. Quiconque parmi vous les prend pour alliés sera
des leurs. Dieu ne guide pas les traîtres47. »
Ce verset, comme beaucoup dans le Coran, est lié à des circonstances
précises et concerne seulement des groupes qui, tout en appartenant à ces
religions, se comportaient en hypocrites et en traîtres. Malgré les accords
de paix passés entre eux et le Prophète, ils cherchaient à pousser les
Mecquois à attaquer Médine. Leur haine de la nouvelle religion n’était
donc pas motivée par des raisons théologiques mais par des intérêts
d’alliances entre tribus.
Cette attitude hypocrite était soigneusement cachée et n’apparut que
tardivement. Du reste, le Coran se fait l’écho de la naïveté politique et de
la candeur de certains Compagnons : « Ô vous qui avez la foi ! Ne prenez
pas de confidents en dehors de votre communauté, qui feraient tout pour
vous nuire, car rien ne leur ferait plus plaisir que de vous voir en difficulté.
La haine qu’ils portent perce déjà dans leurs propos. Que dire alors de
celle qu’ils cachent dans leur cœur  ? Vous voilà donc suffisamment
avertis ! Puissiez-vous être capables de discernement ! Vous avez pour eux
de l’affection, et eux vous considèrent comme des ennemis48… »
En dehors des cas particuliers, la relation « normale » avec les fidèles des
religions abrahamiques doit être l’entente respectueuse : « Dialoguez avec
les Gens du Livre de la manière la plus cordiale49.  » Plus encore, la
recherche de la paix doit être universelle et englober tous les hommes, au-
delà des religions abrahamiques  : «  Et s’ils [les païens] sont enclins à la
paix, opte pour la paix et place ta confiance en Dieu50. »
Cela dit, tout État est confronté à la nécessité de défendre son intégrité
territoriale et de protéger ceux dont il a la charge. En tant que chef de la
cité de Médine, le Prophète ne put échapper à la règle. C’est pourquoi le
verset précédent, qui insiste sur la préservation de la paix, est suivi par un
autre qui invite les membres de la communauté de Médine à acquérir une
force de dissuasion : « Préparez contre les négateurs vos troupes et votre
cavalerie  : c’est ainsi que vous dissuaderez l’ennemi de Dieu et le vôtre
ainsi que les ennemis dont vous ignorez l’identité et que Dieu seul
connaît51… » En invitant la communauté des croyants à Médine attaquée
par les gens de La Mecque à acquérir une force suffisante pour
impressionner leurs adversaires, le but que vise ce verset est clairement
d’éviter les conflits armés par la dissuasion.

Le pacifisme conditionnel du Coran et de la Sunna


Néanmoins, cette charge est liée à des circonstances bien précises – fonder
une nouvelle communauté religieuse en milieu hostile – et n’appartient pas
au domaine de la foi en tant que tel. Elle relève de ce que l’on peut appeler
le «  réalisme social  » de l’islam. Mais ce réalisme n’est pas destiné à
supplanter l’idéal spirituel que doivent viser les croyants. Du point de vue
de la spiritualité individuelle, l’attitude à observer est même contraire au
réalisme social dont nous avons parlé. En ce domaine, en effet, c’est le
pardon et la non-violence qui sont donnés comme modèles à suivre. Ainsi,
le Prophète donna en exemple Abel qui ne voulut pas se défendre contre
son frère Caïn lorsque celui-ci s’apprêta à le tuer : « [Vers la fin des temps]
la personne assise sera en meilleure posture que celle qui est debout ; de
même, celui qui marche sera en meilleure posture que celui qui
s’empresse. Brisez donc vos arcs, arrachez-en les cordes et frappez le
tranchant de vos épées contre un rocher ! Et si un agresseur pénètre dans
votre demeure, comportez-vous comme le meilleur des deux fils
d’Adam. » Un verset du Coran rapporte l’ultime dialogue qui eut lieu entre
les deux frères : « Si tu portes la main sur moi pour me tuer, je ne porterai
pas la mienne sur toi pour te tuer car je crains Dieu le Seigneur des
mondes52. »
En dehors de la période de fondation de l’islam en tant que religion
communautaire, le point de vue du réalisme social n’a plus lieu d’être  :
seule la démarche spirituelle importe. C’est pourquoi le Prophète
recommanda pour les temps à venir un pacifisme inconditionnel, en
donnant Abel pour modèle.
Mais malgré son réalisme social face à l’hostilité des Mecquois, le
Prophète n’hésitait pas à réfréner le caractère belliqueux de certains de ses
partisans  : «  Ne recherchez pas à rencontrer l’ennemi pour le combattre,
mais demandez plutôt à Dieu qu’Il vous garde dans la paix53. » Du reste,
le Coran lui-même dénonce l’avidité de certains musulmans qui
recherchaient le combat contre l’ennemi afin de spolier les biens d’autrui
sous couvert de défense de la religion  : «  Ô vous qui croyez  ! Lorsque
vous entrez en campagne pour la Cause de Dieu, faites preuve de
discernement ! Et ne dites pas à celui qui vous propose la paix : “Tu n’es
pas croyant !”, dans le but inavoué de lui prendre ses biens. Sachez que les
richesses auprès de Dieu sont bien plus grandes. D’ailleurs, vous-mêmes
n’étiez pas croyants avant que Dieu vous accorde une grâce. Faites donc
preuve de discernement ! Certes, Dieu est parfaitement informé de ce que
vous faites54. »
Toutefois, le pacifisme conditionnel, tel qu’on le trouve dans le Coran et
les hadiths, ne fut pas toujours suivi par les musulmans après la mort du
Prophète. Ainsi, dès le IIe siècle de l’Hégire, al-Dahhâq ibn Muzâhim (m.
723), à la fois militaire de carrière et exégète du Coran, se fit le porte-
parole d’une doctrine du djihad permanent contre les non-musulmans.
Pour ce faire, il utilisa de manière très extensive la notion de «  verset
abrogé  » et de «  verset abrogeant  », et considéra que tous les versets
invitant à la paix et la concorde avec les non-musulmans ont été abrogés
par les versets 9, 5 et 48, 4. On ne s’étonnera donc pas que des
mouvements djihadistes contemporains se réfèrent volontiers aux
interprétations d’al-Dahhâq pour justifier leurs exactions55.
Cependant, un survol historique de ce que fut l’attitude des autorités de
l’islam envers les non-musulmans à travers les siècles montre que les
positions d’al-Dahhâq demeurèrent marginales et que, globalement, les
minorités non musulmanes vécurent en paix en terre d’islam56.
Même le grand porte-parole de la non-violence que fut Gandhi fut amené à
estimer à leur juste valeur la place de l’usage de la force et celle du
pacifisme en islam : « Je suis devenu tout à fait convaincu que ce n’est pas
l’épée qui a donné à l’islam la place qu’il occupe aujourd’hui. Ce sont
l’entière simplicité du Prophète, son effacement volontaire, son respect
scrupuleux de ses engagements, son intrépidité, son courage, et sa
confiance absolue en Dieu et en sa propre mission. Après avoir refermé le
second volume [de sa biographie], j’étais triste de ne pas pouvoir en lire
davantage sur sa vie éminente57. »

La non-violence dans l’islam contemporain


De nos jours, un des plus grands défenseurs de la non-violence (lâ ‘unf)
est l’intellectuel syrien et militant pacifiste Jawdat Saïd. Né en 1931 dans
un village du plateau de Golan, il fut envoyé à 15 ans au Caire par sa
famille afin d’étudier les sciences islamiques. Après des études à al-Azhar,
il retourna en Syrie et devint professeur de langue arabe à l’École
supérieure de Damas.
Dès 1966, il publia un ouvrage pour répondre aux thèses du penseur
égyptien Sayyid Qutb (1906-1966), l’un des théoriciens du mouvement
des Frères musulmans. Jawdat Saïd y présente le concept de non-violence
en s’appuyant sur les sources de l’islam.
Mais, dans un contexte politique tendu à la suite de la création de l’État
d’Israël, son militantisme en faveur de la non-violence déplaît aux
autorités syriennes. Dès lors, Jawdat Saïd fait l’objet de plusieurs
arrestations. Parfois surnommé «  le Gandhi syrien  », ces intimidations
n’ont rien changé à sa détermination. Auteur de plusieurs ouvrages,
Jawdat Saïd continue aujourd’hui encore ses activités intellectuelles et ses
débats avec de nombreux acteurs du monde arabo-musulman58.
De même, on peut citer l’exemple de l’ancien vice-président de Bosnie,
Rusmir Mahmutćehajić, qui lutte toujours contre l’engrenage de la
violence malgré tout ce qu’ont subi son pays et son peuple durant la guerre
de Bosnie (1992-1995). Aujourd’hui encore, il est un inlassable défenseur
du pacifisme inspiré des sources de l’islam59.
Jawdat Saïd et Rusmir Mahmutćehajić – comme tous les porte-parole du
pacifisme islamique – aiment à citer un verset qui affirme avec force le
caractère sacré de toute vie humaine : « Quiconque tue un être humain non
coupable de meurtre ou de sédition sur la Terre est considéré comme le
meurtrier de l’humanité tout entière. Quiconque sauve la vie d’un seul être
humain est considéré comme ayant sauvé la vie de l’humanité tout
entière60. »

1. Cité par al-Bukhârî dans son Sahîh, n° 50.


2. Coran : 112, 1-4.
3. Cité par al-Bukhârî dans son Sahîh, n° 5065.
4. Cité par al-Tirmidhî, dans ses Sunan, n° 3849. La suite du hadith énumère le reste des Noms
divins.
5. Cité par Ibn Hibbân dans son Sahîh, n° 972.
6. La Risâla, texte arabe et trad. fr. par Léon Bercher, éditions Jules Carbonel, Alger, 1949, p. 19-21.
Nous avons modifié la traduction.
7. Coran : 16, 49-50.
8. Coran : 43, 19.
9. Voir, par exemple, al-Bukhârî, Sahîh, n° 5031.
10. Coran : 82, 10-12.
11. Coran : 17, 14.
12. Coran : 2, 30 ; 13, 13 ; 21, 19-29, etc.
13. Coran : 40, 7-9 ; 42, 5.
14. Coran : 2, 37.
15. Coran : 2, 75.
16. Coran : 61, 6.
17. Coran : 7, 157.
18. Coran : 103, 1-3.
19. Ces chiffres ne sont pas reconnus par tous les théologiens. Certains, en effet, pensent qu’il est
impossible d’avancer des chiffres exacts.
20. On peut également traduire ce terme par « envoyé ».
21. Sur Hûd, voir Coran : 7, 65 et 26, 123-140. Sur Sâlih, voir Coran : 7, 73-79 ; 27, 45-53 ; 91, 11-
15.
22. Il est parfois identifié à Dhû l-kifl, un prophète cité dans le Coran : 21, 85.
23. Voir, par exemple, Bîrûnî, Le Livre de l’Inde, trad. fr. par Vincent-Mansour Monteil, éditions Acte
Sud, Arles, 1996.
24. Cité par Reza Shah-Kazemi dans L’Esprit de tolérance en islam, éditons Tasnîm, Wattrelos, p.
118.
25. Coran : 2, 285.
26. Coran : 10, 47.
27. Coran : 13, 7.
28. Coran : 36, 78-79.
29. Coran : 18, 47-48.
30. Coran : 47, 15.
31. Coran : 22, 19-22.
32. Coran : 32, 17-18.
33. Cité par al-Bukhârî dans son Sahîh, n° 3280.
34. Coran : 57, 22.
35. Coran : 57, 23.
36. Coran : 9, 105.
37. Cité par al-Tirmidhî dans ses Sunan, n° 2280.
38. Coran : 4, 75.
39. Il s’agit dans ce contexte des juifs de Médine.
40. Coran : 5, 64.
41. Coran : 47, 4.
42. Coran : 76, 31.
43. Coran : 22, 39-40.
44. La femme d’Abû Sufyân, l’un des chefs de La Mecque.
45. Coran : 16, 125.
46. Coran : 16, 126-127.
47. Coran : 5, 51.
48. Coran : 3, 118-119.
49. Coran : 29, 46.
50. Coran : 8, 61.
51. Coran : 8, 62.
52. Coran : 5, 28.
53. Cité par al-Bukhârî dans son Sahîh, n° 3023.
54. Coran : 4, 94.
55. Sur la doctrine du jihad permanent et sa reprise par des courants ultérieurs, je renvoie à mon
article paru dans Les Cahiers de l’islam (n° 2, 2017, p. 17-32)  : «  Le “Verset de l’Épée” et son
interprétation par al-Dahhâq ».
56. Voir l’étude approfondie de Reza Shah-Kazemi intitulée L’Esprit de tolérance en islam, éditions
Tasnîm, Wattrelos, 2016.
57. Mahatma Gandhi, Young India, cité par Douglas M. Johnston dans Religion, Terror and Error,
Praeger Publishers, Westport (États-Unis), 2011, p. 26.
58. Jawdat Saïd est loin d’être le seul porte-parole de la non-violence en islam. Ainsi, quelques
décennies avant lui, Khan Abdul Ghaffar Khan (1890-1988), né dans l’actuel Pakistan en 1890,
fonda le mouvement des «  Servants de Dieu  » (Khudâî Khidmatgâr). Cet ami de Gandhi milita
pacifiquement pour l’indépendance afghane contre les visées coloniales britanniques.
59. Parmi ses ouvrages traduits en français, on pourra lire Une Réponse bosniaque  : Modernité et
tradition, éditions Paris Méditerranée, 2006  ; Le Meurtre de la Bosnie, éditions Non Lieu, Paris,
2008.
60. Coran : 5, 32.
CHAPITRE 6

LE MODÈLE PROPHÉTIQUE ET LES


NOBLES VERTUS

Le Prophète est présenté dans le Coran comme un modèle d’excellence


spirituelle  : «  En vérité, il y a pour vous, dans le Messager de Dieu, un
modèle excellent : pour ceux qui aspirent à Dieu et au Jour dernier, et qui
invoquent Dieu abondamment1.  » Dans une sourate des débuts de la
révélation, le Coran s’adresse au Prophète pour qu’il prenne conscience,
entre autres choses, qu’il est doué d’un « caractère suréminent2 » (khuluq
‘azîm). De son côté, le Prophète justifia toute sa mission de la manière
suivante : « Je n’étais envoyé que pour parfaire la noblesse de caractère3. »
Si les enseignements de l’islam ont pour objectif de permettre au croyant
de réaliser la noblesse de caractère, l’imitation du Prophète ne saurait se
réduire à l’adoption extérieure d’un code de conduite. Marcher sur les pas
du Prophète, s’inspirer de ce « modèle excellent », implique une véritable
transformation intérieure. C’est en effet celle-ci qui permet la réalisation
des vertus que nous allons évoquer dans ce chapitre.

Le détachement
La vertu de détachement (zuhd) est souvent considérée comme la première
que le croyant doit cultiver en son cœur. Elle concerne aussi bien le
domaine des biens matériels que le domaine relationnel. À ce propos, le
Prophète donna les enseignements suivants à un homme qui l’interrogeait
sur le moyen d’être aimé par les hommes et par Dieu : « Détache-toi des
choses de l’ici-bas, Dieu t’aimera  ; détache-toi de ce qui concerne les
autres, les autres t’aimeront4. »
Le premier pas dans la réalisation du détachement consiste, avant toute
chose, à prendre conscience de l’avidité propre à l’ego.

Un hadith sur l’avidité de l’ego


« Si l’être humain avait une vallée pleine d’or, il en voudrait absolument une deuxième. Or,
sa bouche ne sera remplie par rien d’autre que la terre [lorsqu’il sera enterré]. Et Dieu
revient vers celui qui se repent5. »

Le caractère insatiable de l’ego est également souligné dans le Coran par


l’expression «  désir d’accumulation » (takâthur)  : « Le désir
d’accumulation vous accapare jusqu’à ce que vous vous retrouviez au
cimetière6… »
Par l’éducation spirituelle que le Prophète donnait à ses Compagnons, il
les amenait à privilégier la richesse intérieure sur les biens matériels : « La
richesse ne provient pas de l’accumulation des possessions  : la véritable
richesse est la richesse intérieure7. »
Afin d’inciter les croyants à privilégier cette richesse intérieure, le
Prophète enseignait que le détachement envers les choses de ce monde
permet de réaliser la paix du cœur : « Le détachement vis-à-vis du monde
repose le cœur et le corps alors que le désir des choses du monde génère le
souci et la tristesse, et l’oisiveté durcit le cœur8. »
Toutefois, le détachement ne signifie pas l’indifférence, et il ne s’oppose
donc pas à la bienveillance et à la compassion dont nous reparlerons.

Le contentement
Le repos du cœur et du corps évoqué par le hadith précédemment cité
permet de cultiver cette vertu essentielle qu’est le contentement (ridâ).
Afin que le croyant puisse se défaire du caractère insatiable de l’ego, il lui
est nécessaire d’apprendre à apprécier ce qu’il possède et de ne pas se
focaliser sur ce qu’il ne possède pas.

Un conseil prophétique pour réaliser le contentement


« Lorsque l’un d’entre vous voit quelqu’un qui a été favorisé par rapport à lui au niveau de
la création [c’est-à-dire l’apparence physique] ou au niveau de la richesse matérielle (rizq),
alors qu’il regarde vers quelqu’un qui est au-dessous de lui et par rapport à qui il a été
favorisé9. »

Le Coran souligne la noblesse du contentement ou de la satisfaction et


indique que lorsque le croyant est sincèrement satisfait de Dieu, il est lui-
même l’objet de la Satisfaction divine :
«  … ceux qui ont suivi le [Prophète et les croyants] dans l’excellence
spirituelle (ihsân), Dieu est satisfait d’eux et ils sont satisfaits de Lui10… »
« Dieu est satisfait d’eux et ils sont satisfaits de Dieu : voilà la plénitude
du bonheur11. »

La patience
La patience au sens du mot arabe sabr ne doit pas être entendue comme
une passivité – attendre, sans agir, que les choses aillent mieux – mais au
contraire comme un effort pour atteindre la maîtrise de soi, notamment
lors des épreuves. Ce n’est donc pas une attente passive mais une
persévérance active. En ce sens, la vertu désignée par le terme sabr
englobe la patience, la constance et la persévérance. C’est pourquoi al-
Ghazâlî proposa la définition suivante  : «  La patience désigne la ferme
constance (thabât) de l’élan vers Dieu face à l’élan passionnel12. »
Cette vertu implique un changement radical du regard sur les épreuves. Au
lieu de ne les voir que sous leurs aspects négatifs, le croyant doit
apprendre à percevoir ce que les épreuves peuvent lui apporter
intérieurement, comment elles peuvent l’aider à approfondir sa spiritualité.
À ce propos, le Prophète enseignait cette «  conversion du regard  »  :
«  N’est pas un croyant accompli quiconque ne considère pas l’épreuve
comme une grâce et l’aisance comme un malheur13. » Il enseignait même
que l’épreuve, loin d’être une malédiction, témoigne de l’amour de Dieu
pour Son serviteur  : «  Lorsque Dieu aime des personnes, Il les
éprouve14. »
De nombreux versets insistent sur les effets spirituels de cette vertu et son
rôle dans l’obtention de la proximité de Dieu :
«  Ô vous qui avez la foi, trouvez une aide dans la patience et la prière.
Certes Dieu est avec ceux qui font preuve de patience15. »
« Fais preuve de patience envers ce que disent tes détracteurs. Célèbre les
louanges de ton Seigneur avant le lever du soleil et avant son coucher  ;
Glorifie-Le au cours de la nuit ainsi qu’aux extrémités de la journée.
Puisses-tu accéder à la satisfaction16 ! »

La gratitude
Le sentiment de gratitude (shukr) – qui n’est autre que l’attitude de
reconnaissance envers les bienfaits de Dieu – est un sentiment qui offre
une plénitude intérieure. Il permet au croyant d’être satisfait de ce qu’il vit
et de ce que Dieu lui accorde. Cette attitude amène le croyant à relativiser
ses difficultés – et en cela elle est déjà précieuse –, mais elle le dispose
également à recevoir de nouveaux bienfaits de la part de Dieu : « Certes, si
vous vous montrez reconnaissants, Nous ajouterons encore aux bienfaits
que Nous vous avons accordés17. » Tout en attirant l’attention du croyant
sur l’importance de la gratitude, le Coran souligne également qu’elle est
une vertu rare :
« Bien peu nombreux sont Mes serviteurs reconnaissants18. »
« Comme vous êtes peu reconnaissants19. »
L’éducation que donnait le Prophète aux hommes et aux femmes qui
l’entouraient insiste inlassablement sur le détachement, le contentement et
la gratitude. D’où cette recommandation alors que ses Compagnons
s’interrogeaient pour savoir quelle part du butin revenait à chacun : « Que
votre part de la richesse soit de posséder un cœur reconnaissant, une
langue qui invoque Dieu et une épouse croyante qui l’aide en vue de l’Au-
delà20… »
Rappelons ici que la patience et la gratitude sont des attitudes
complémentaires dans la mesure où la première concerne surtout les
situations où le croyant éprouve une difficulté et la seconde, celles où il est
favorisé par un bienfait quelconque. Les deux attitudes concernent donc
toutes les situations possibles de la vie.

Un émerveillement du Prophète
« Comme je m’émerveille de l’état du croyant : toute chose est un bien pour lui ! Mais cela
n’est vrai que pour le croyant  : lorsqu’il reçoit une facilité, il se montre reconnaissant et
cette facilité est alors un bien pour lui ; et lorsqu’il éprouve une difficulté, il fait preuve de
patience et cette difficulté est alors un bien pour lui21. »

Mais la gratitude envers Dieu ne saurait être réelle ou totale sans


reconnaissance envers les créatures qu’Il choisit pour nous faire parvenir
Ses bienfaits. Si Dieu les a élus pour cette noble tâche, c’est que ces êtres
possèdent une disposition intérieure pour accomplir le bien. La
reconnaissance envers les créatures est donc à la fois de la gratitude envers
elles et envers le Créateur. C’est en ce sens que le Prophète déclara : « Qui
n’est pas reconnaissant envers les hommes ne l’est pas envers Dieu22. »

La confiance en Dieu
L’attitude que l’on appelle « confiance en Dieu » (al-tawakkul ‘alâ Llâh)
consiste à ne pas s’appuyer exclusivement sur les causes secondes (asbâb),
c’est-à-dire les causes ordinaires par lesquelles surviennent les
événements. Il est ainsi demandé au croyant de demeurer conscient que
Dieu est la « Cause première » de toutes choses.
Sans rejeter les causes secondes, le croyant s’appuiera intérieurement sur
le «  Causateur des causes  » (Musabbib al-asbâb). C’est ce qui peut lui
permettre de ne pas désespérer lorsque la situation extérieure semble
défavorable. Conscient que Dieu demeure souverain et accorde ce qu’Il
veut à qui Il veut, le croyant peut espérer une aide divine inattendue,
comme l’affirme le Coran : « Qui fait preuve de piété envers Dieu se verra
accorder une issue favorable, et Dieu lui accordera un don d’une façon à
laquelle il ne s’attendait pas. Qui place sa confiance en Dieu, Dieu lui
suffit23… »
Le caractère indissociable de la foi en Dieu et de la confiance en Lui est
souligné dans un verset dans lequel Moïse dit aux Fils d’Israël : « Ô mon
peuple, si vous avez foi en Dieu et êtes soumis à Sa volonté, placez votre
confiance en Lui24… »
Pour être profondément réalisée, la confiance en Dieu doit être
inconditionnelle, au sens propre du terme. Cela signifie qu’elle ne doit pas
dépendre de conditions apparentes. En ce sens, il ne s’agit pas simplement
d’être optimiste lorsque la situation paraît favorable, mais il faut l’être
également lorsqu’aucune solution ne semble se profiler. Cette confiance
inconditionnelle en Dieu est évoquée par le Prophète dans un hadith où il
donne l’attitude des oiseaux comme exemple à méditer sur la façon
d’obtenir le don de Dieu : « Si vous placiez réellement votre confiance en
Dieu, vous recevriez votre subsistance de Dieu, comme le font les oiseaux
qui sortent le ventre vide et rentrent rassasiés25. »

La générosité
Dès les premières révélations, le Coran insiste sur la place centrale
qu’occupe la générosité (karam) dans le domaine de la foi. C’est pourquoi
le manque de charité s’y trouve souvent associé à l’incroyance :
« As-tu vu celui qui traite la religion de mensonge  ? C’est le même qui
repousse brutalement l’orphelin et n’incite point à nourrir l’homme dans le
besoin26. »
Un passage révélé appartenant à la période mecquoise affirme que les
prophètes ayant précédé l’islam avaient déjà reçu l’injonction de pratiquer
la générosité parallèlement à leur dévotion à Dieu. Sont alors nommément
cités Abraham (Ibrâhîm), Loth (Lût), Isaac (Ishâq) et Jacob (Ya‘qûb) : « Et
Nous avons fait d’eux des guides pour orienter les hommes selon Nos
ordres. Et Nous leur avons inspiré la pratique du bien, l’accomplissement
de la prière et l’acquittement de l’aumône. Ce furent pour Nous de fidèles
serviteurs27. »
Dans les sourates médinoises, la prière et l’aumône sont présentées,
comme des actes complémentaires :
« Voici le Livre qui n’est sujet à aucun doute. C’est un guide pour ceux qui
font preuve de piété, ceux qui ont foi dans le Mystère, qui accomplissent la
prière et qui effectuent des œuvres charitables sur les biens que Nous leur
avons accordés28. »
En conséquence, le Coran souligne que la foi ne saurait être complète si le
croyant ne possède pas la vertu de générosité : « La fidélité pieuse (birr)
ne consiste pas à tourner sa face vers l’Orient ou l’Occident, mais la piété
consiste à croire en Dieu, au Jour dernier, aux anges, aux livres révélés et
aux prophètes ; la piété consiste à donner de ses biens matériels – quelque
attachement qu’on leur porte – aux proches, aux orphelins, aux pauvres,
aux voyageurs, aux mendiants, et de racheter les esclaves pour les
libérer29… »
Le Coran souligne que les actes de générosité nécessitent souvent une lutte
contre soi-même. Cette lutte – présentée comme un véritable jihâd – est
une forme de sacrifice de l’ego et n’est pas moins importante que le fait de
donner sa vie pour la défense du Message révélé  : «  Les véritables
croyants sont ceux qui ont foi en Dieu et en Son Messager, sans changer
d’orientation, et qui luttent dans la voie de Dieu avec leurs biens et leurs
personnes30. »
Pour sa part, le Prophète était connu pour sa grande générosité. Il ne
gardait pour lui et sa famille que le strict nécessaire et distribuait ce qu’il
possédait et les cadeaux qu’on lui offrait aux nombreux nécessiteux de
Médine.

Générosité et proximité divine


« La personne généreuse est proche de Dieu, proche du Paradis, proche des gens et loin
de l’Enfer ; la personne avare est loin de Dieu, loin du Paradis, loin des gens et proche de
l’Enfer. Certes, un ignorant généreux est plus aimé par Dieu qu’un adorateur avare31. »

Dans un hadith qudsî – c’est-à-dire un propos divin transmis par le


Prophète –, il nous est rapporté ce que Dieu dira, le Jour du Jugement, à
ceux qui auront manqué de générosité durant leur vie : « Dieu – qu’Il soit
exalté – dira le jour de la Résurrection :
— Ô fils d’Adam, J’ai été malade et tu ne M’as pas visité !
— Seigneur ! Comment T’aurais-je visité alors que Tu es le Seigneur des
mondes ?
— Ne sais-tu pas que Mon serviteur Untel a été malade ? Tu ne l’as pas
visité ! Si tu l’avais fait, tu aurais retrouvé cela auprès de Moi !
— Ô fils d’Adam ! Je t’ai demandé à manger et tu ne M’as pas nourri !
— Seigneur ! Comment T’aurais-je nourri alors que Tu es le Seigneur des
mondes ?
— Ne sais-tu pas que Mon serviteur Untel t’a demandé à manger ? Tu ne
l’as pas nourri  ! Si tu l’avais fait, tu aurais retrouvé cela auprès de
Moi32 ! »
Ce hadith n’est pas seulement une incitation à l’empathie et à la générosité
envers ceux qui souffrent : il souligne que toute action altruiste du croyant
n’est pas seulement faite pour Dieu mais qu’elle est aussi, en quelque
sorte, faite à Dieu. Rien d’autre que « le voile des apparences » – l’illusion
de la multiplicité – ne masque cette réalité. C’est pourquoi le Coran
évoque, pour les bonnes actions accomplies par le croyant, un «  prêt  »
(qard) qui est fait à Dieu : « Quiconque consent à faire un prêt généreux à
Dieu, Dieu le lui rendra au centuple, car c’est Lui qui décrète l’abondance
ou la parcimonie et c’est vers Lui que se fera votre retour33. »

La sincérité
Deux notions coraniques correspondent à la vertu de sincérité  : la pureté
d’intention (ikhlâs) et la véracité (sidq). Toutes deux présupposent un rejet
des tendances négatives de l’âme et un effort pour se défaire de l’emprise
de l’ego.
La véracité ne consiste pas, pour le croyant, à adhérer extérieurement au
message révélé. Une telle adhésion peut, en effet, être motivée par des
intérêts personnels. Ce fut le cas de certains Médinois qui, après que le
Prophète devint le chef de leur cité, entrèrent en islam pour ne pas perdre
le rang social qui était le leur. Lorsqu’il devint évident que leur conversion
n’était pas sincère, ils furent appelés «  les hypocrites  » (munâfiqûn). Le
Coran se fait l’écho de leur absence totale de ferveur spirituelle  : «  Les
hypocrites croient pouvoir tromper Dieu, mais Dieu fait toujours retourner
leurs stratagèmes contre eux-mêmes. C’est ainsi que lorsqu’ils s’apprêtent
à accomplir la prière, ils le font avec paresse et cherchent à se montrer
pieux devant les autres. Ils n’invoquent Dieu que très rarement34. »
Bien au contraire, la véracité suppose une véritable implication intérieure.
Or, celle-ci ne peut réellement être révélée que par les épreuves :
« Les hommes s’imaginent-ils qu’on les laissera dire : “Nous avons la foi”
sans les mettre à l’épreuve ? Nous avons déjà mis à l’épreuve ceux qui les
ont précédés. Dieu connaît parfaitement ceux qui sont véridiques et ceux
qui ne font que mentir35. »
Être véridique n’est pas toujours à l’avantage terrestre du croyant. Mais il
s’agit pourtant là de son intérêt spirituel, lequel apparaîtra pleinement dans
l’Au-delà  : «  Dieu dira le Jour du jugement  : “Voici venu le jour où les
sincères tireront profit de leur véracité et auront pour séjour éternel des
jardins sous lesquels coulent des ruisseaux.” Dieu sera satisfait d’eux et ils
seront satisfaits de Lui. Voilà la plus grande béatitude36. »
Quant à la notion de pureté d’intention (ikhlâs), elle implique la
consécration sincère à Dieu et donc l’abandon de toute ostentation dans
l’adoration qui lui est due :
« Nous t’avons révélé le Livre en toute vérité. Adore donc Dieu et voue-
Lui un culte d’intention pure. N’est-ce pas à Dieu que revient le culte
d’intention pure37 ? »
« Il est le Vivant en dehors duquel il n’est nulle divinité. Aussi implorez-
Le en Lui vouant un culte d’intention pure38. »
Soulignant que la pureté d’intention doit accompagner chaque acte
accompli, le Prophète donna l’enseignement suivant : « Les actes ne valent
que par les intentions, et chacun ne récoltera que les fruits de ses
intentions39… »

L’importance du hadith sur les intentions

Commentant ce hadith, le soufi égyptien al-Munâwî (1545-1622) écrit : « Ce hadith


est un des fondements scripturaires de la pureté d’intention et fait partie des
paroles totalisantes qu’a reçues le Prophète. Toute action a besoin d’être purifiée
par la pureté d’intention. Cela explique pourquoi il existe tant de voies de
transmission de ce hadith, et pourquoi tant de savants le citent. Les imams al-
Shâfi‘î et Ibn Hanbal ainsi que bien d’autres sont d’accord pour dire que ce hadith
constitue un tiers de la science40. »

L’insistance sur la pureté d’intention signifie que ce n’est pas l’aspect


quantitatif des actes accomplis qui importe mais la qualité de la motivation
intérieure. D’où cet enseignement du Prophète  : «  Fais preuve de pureté
d’intention dans ta religion, et un petit nombre d’actes de piété suffiront
pour toi41. »

La compassion
La vertu de compassion ou de miséricorde (rahma) envers autrui fait partie
des qualités les plus importantes dont doit se revêtir le croyant car elle
correspond à deux Attributs divins qui relèvent directement de l’Essence
divine. Les sourates du Coran s’ouvrent en effet par la formule appelée
Basmala  : «  Au Nom de Dieu42, le Tout-Miséricordieux, le Très-
Miséricordieux. »
Dans l’enseignement du Prophète, la miséricorde est si importante qu’il en
a fait une des conditions de la foi et de l’obtention du salut : « Par celui qui
tient mon âme en Sa Main, vous n’entrerez pas au Paradis tant que vous ne
ferez pas preuve de miséricorde entre vous. Les Compagnons répondirent :
“Nous le faisons tous.” Le Prophète reprit  : “Il ne s’agit pas du lien de
sang qui vous lie les uns aux autres, mais il s’agit de la miséricorde envers
tous les êtres. Oui, la miséricorde envers tous les êtres43.” »
Du reste, les traditionnistes – les oulémas spécialistes des traditions
prophétiques – ont, depuis de nombreux siècles, pris l’habitude
d’enseigner les hadiths à leurs élèves en commençant par leur faire
mémoriser le hadith suivant, qu’ils appellent « le hadith à transmettre en
priorité » (al-hadith al-musalsal bi-l-awwaliyya) : « Les miséricordieux, le
Tout-Miséricordieux leur fera miséricorde, qu’Il soit exalté. Faites
miséricorde aux êtres se trouvant sur terre, Celui qui est au ciel vous fera
miséricorde44. »
La bienveillance
Cette vertu est l’expression pratique de la compassion. Pratiquer la
bienveillance (rifq) consiste avant tout à vouloir le bien d’autrui et requiert
du croyant qu’il recherche le meilleur pour l’autre. En d’autres termes, le
croyant doit traiter l’autre comme il aimerait être traité  : «  Le serviteur
n’atteint la réalité de la foi que lorsqu’il aime le bien pour tous les
hommes, comme il l’aime pour lui-même45. »
La qualité humaine de bienveillance dérive d’un Attribut divin. Or, nous
avons déjà vu que Dieu aime retrouver le reflet de Ses Attributs dans le
cœur de l’être humain  : «  Certes, Dieu est bienveillant et Il aime la
bienveillance  : Il accorde par elle ce qui ne saurait être atteint par
l’utilisation de la violence ni par quoi que ce soit d’autre46. »
D’après ce hadith, le pouvoir de la bienveillance est supérieur à celui de la
coercition. En ce sens, le Coran affirme que celui qui sait rendre le bien
pour le mal est détenteur d’une grâce capable de transformer le pire
ennemi en ami chaleureux  : «  La bonne action et la mauvaise action ne
sont point égales. Rends le bien pour le mal, et tu verras ton ennemi se
muer en ami chaleureux ! Mais une telle grandeur d’âme est seulement le
privilège de ceux qui savent faire preuve de patience et qui sont touchés
par une grâce immense47. »

Pardonner les offenses

Lorsque le Prophète voyait certains de ses Compagnons être incapables d’une


telle attitude, il donnait en exemple Abû Damdam, un homme qui vécut en Arabie
avant l’avènement de l’islam et pardonnait toutes les offenses qui lui étaient
faites  : «  Êtes-vous incapables d’être comme Abû Damdam qui disait chaque
matin : “Ô mon Dieu, je donne mon honneur en aumône pour Tes créatures48.” »

L’amour
De nos jours, nombreux sont ceux qui considèrent l’islam comme une
religion de l’obéissance à la Volonté de Dieu dans laquelle la dimension de
l’amour serait absente. Cette conception se rencontre aussi bien à
l’intérieur de la communauté musulmane que chez des non-musulmans.
Or, une étude attentive des sources scripturaires de l’islam (Coran et
Hadith) bat en brèche ce préjugé.
Tout d’abord, il faut remarquer que la Révélation insiste sur l’amour
comme conséquence de la foi dès la période mecquoise : « Certes, le Tout-
Miséricordieux placera en ceux qui auront cru et pratiqué les bonnes
œuvres un amour constant49. » Ce verset vint réconforter les croyants qui
subissaient l’hostilité des polythéistes de La Mecque : il leur annonce que
lorsque l’amour envers Dieu est constant – c’est le sens du terme arabe
wudd utilisé dans ce verset –, il permet de dépasser toutes les déceptions et
toutes les difficultés terrestres.
Bien que la période médinoise soit celle de la constitution de la cité
musulmane, la dimension de l’amour continue à être rappelée par le
Coran. À cet effet, le Livre présente Dieu comme digne du plus grand
amour pouvant résider dans le cœur de l’homme, même si ce dernier
cherche parfois des substituts à l’amour de son Seigneur  : «  Il est des
hommes qui prennent en dehors de Dieu des associés qu’ils se mettent à
aimer à l’égal de Dieu lui-même  ! Mais les croyants vouent à Dieu un
amour plus grand encore50… » Les exégètes considèrent ce verset comme
une condamnation de toute idolâtrie, qu’elle prenne la forme du paganisme
ou qu’elle soit plus subtile comme l’amour du pouvoir, de la renommée,
des richesses matérielles, etc.
Mais dans le Coran, l’amour ne caractérise pas seulement la relation qui
lie le croyant à son Seigneur  : il désigne également le lien que Dieu
entretient avec Ses créatures. Cette réciprocité de l’amour est évoquée
dans l’une des dernières révélations reçues par le Prophète : « Ô vous qui
avez cru, si certains d’entre vous renient leur foi, Dieu fera surgir d’autres
hommes qu’Il aimera et qui L’aimeront51. »
Un peu avant la révélation du verset précédent, un autre verset vint mettre
en lumière le rôle du modèle prophétique dans la réalisation de la
réciprocité d’amour entre l’homme et Dieu : « Dis-leur : “Si vous aimez
Dieu réellement, suivez-moi et Dieu vous aimera et vous pardonnera vos
péchés. Dieu est Pardonneur et Miséricordieux52.”  » Dans son
commentaire du Coran intitulé Mafâtîh al-ghayb, Fakhr al-Dîn al-Râzî
(1150-1209) aborde ce verset en soulignant que quiconque aime
véritablement Dieu aspire à se rapprocher de Lui. Or, pour se rapprocher
de Dieu il est nécessaire de suivre un Message révélé, l’homme n’étant pas
capable de connaître par lui-même les conditions du cheminement menant
à Dieu.
Dans son rôle d’éducateur spirituel, le Prophète sut tisser des liens
d’amour avec ceux qui l’entouraient, et sa patience ainsi que sa générosité
lui permirent de toucher les cœurs parfois fermés de ses contemporains :
« C’est par l’effet d’une miséricorde venant de Dieu que tu as pu être doux
envers les hommes. En effet, si tu t’étais montré inhumain ou dur de cœur
avec eux, ils se seraient éloignés de toi53. »
Ainsi, il importe de souligner que suivre le Prophète et le prendre comme
« modèle d’excellence » ne saurait être une imitation extérieure et aveugle,
laquelle est dénoncée par nombre de théologiens sous le nom de taqlîd.
C’est avant tout un lien d’amour qui doit lier le croyant au Messager de
Dieu  : «  Nul d’entre vous n’a la foi s’il ne m’aime pas plus que ses
parents, ses enfants et tous les gens54. »
Enfin, le Prophète enseigna que la foi en Dieu ne saurait être authentique
sans l’amour du prochain : « Vous n’entrerez pas au Paradis tant que vous
n’aurez pas la foi et vous n’aurez pas la foi tant que vous ne vous aimerez
pas les uns les autres. Ne voulez-vous pas que je vous indique une action
qui vous permettra de vous aimer les uns les autres  ? Répandez la paix
parmi vous55. »

1. Coran : 33, 21.


2. Coran : 68, 4.
3. Cité par al-Hâkim dans al-Mustadrak, n° 4221.
4. Cité par Ibn Mâjah dans ses Sunan, n° 4241.
5. Cité par al-Bukhârî dans son Sahîh, n° 6515.
6. Coran : 102, 1-2.
7. Cité par al-Bukhârî dans son Sahîh, n° 6523.
8. Cité par al-Tabarânî dans al-Mu‘jam al-awsat, n° 6120.
9. Cité par al-Bukhârî dans son Sahîh, n° 6569.
10. Coran : 9, 100.
11. Coran : 5, 119.
12. Le Livre de la patience, éditions La Ruche, Paris, 2001, p. 25-26.
13. Cité par al-Suyûtî dans al-Jâmi‘ al-saghîr, n° 7596.
14. Cité par al-Suyûtî dans al-Jâmi‘ al-saghîr, n° 354.
15. Coran : 2, 153.
16. Coran : 20, 131.
17. Coran : 14, 7.
18. Coran : 34, 13.
19. Coran : 67, 23.
20. Cité par Ibn Mâjah dans ses Sunan, n° 1856.
21. Cité par Muslim dans son Sahîh, n° 5452.
22. Cité par al-Tirmidhî dans ses Sunan, n° 2082.
23. Coran : 65, 2-3.
24. Coran : 10, 84.
25. Cité par al-Tirmidhî dans ses Sunan, n° 2515.
26. Coran : 107, 1-3.
27. Coran : 21, 73.
28. Coran : 2, 1-3.
29. Coran : 2, 177.
30. Coran : 49, 15.
31. Cité par al-Tirmidhî dans ses Sunan, n° 2088.
32. Cité par Muslim dans son Sahîh, n° 6721.
33. Coran : 2, 245.
34. Coran : 4, 142.
35. Coran : 29, 2-3.
36. Coran : 5, 119.
37. Coran : 39, 2-3.
38. Coran : 40, 65.
39. Cité par al-Bukhârî dans son Sahîh, n° 1.
40. Fayd al-Qadîr, I, p. 42, hadith n° 1.
41. Cité par al-Hâkim dans al-Mustadrak, n° 4221.
42. Ou encore : « Par le Nom de Dieu… »
43. Cité par al-Hâkim dans al-Mustradrak, n° 7310.
44. Cité par Abû Dâwud dans ses Sunan, n° 4941.
45. Cité par Ibn Hibbân dans son Sahîh, n° 235.
46. Cité par Muslim dans son Sahîh, n° 6766.
47. Coran : 41, 34-35.
48. Cité par Abû Dâwud dans ses Sunan, n° 4888.
49. Coran : 19, 96.
50. Coran : 2, 165.
51. Coran : 5, 54.
52. Coran : 3, 31.
53. Coran : 3, 159.
54. Cité par Muslim dans son Sahîh, n° 178.
55. Cité par Muslim dans son Sahîh, n° 203.
PARTIE 3

LA PRATIQUE AU QUOTIDIEN
CHAPITRE 7

LES RITES DE L’ISLAM

Les rites islamiques occupent une place importante dans le quotidien des
fidèles. Ils forment le cadre rituel dans lequel la foi en Dieu et l’intimité
avec Lui peuvent être cultivés. En ce sens, le domaine du rituel n’est pas
une fin en soi mais doit soutenir et nourrir la vie spirituelle : « Dis : “Ma
prière et les rites que j’accomplis, ma vie et mon trépas sont entièrement
voués à mon Seigneur, le Maître des mondes1.” »
La plupart des rites islamiques se rattachent à l’un des cinq piliers de
l’islam (arkân al-islâm). Ces piliers sont énumérés dans plusieurs hadiths,
dont le suivant : « L’islam est construit sur cinq piliers : l’attestation qu’il
n’est de divinité que Dieu et que Muhammad est l’Envoyé de Dieu  ;
l’accomplissement de la prière ; le versement de l’aumône légale ; le jeûne
du mois de ramadan et le pèlerinage à la Maison sacrée2. »

La purification rituelle
Certains rites ne peuvent être accomplis par le fidèle que s’il est en état de
pureté rituelle. C’est le cas de la prière, de la lecture du Coran, des
tournées rituelles autour de la Kaaba, etc. C’est ainsi que le Coran appelle
les fidèles à la pratique de l’ablution afin de se préparer à la prière : « Ô
vous qui croyez ! Lorsque vous vous levez pour accomplir la prière, lavez
votre visage, vos mains et vos avant-bras jusqu’au coude, frottez-vous la
tête de votre main humide et lavez-vous les pieds jusqu’aux chevilles3… »
Ce verset instaure la pratique de l’ablution dite «  mineure  » (wudû’)
laquelle doit être répétée si le fidèle urine, émet un gaz, va à la selle,
s’endort profondément ou s’évanouit. Ce sont là ce que les juristes de
l’islam appellent les « impuretés mineures ».
En l’absence d’eau, le croyant pourra se purifier rituellement en recourant
à l’ablution sèche (tayammum) : elle consiste à mettre les mains en contact
avec la terre, le sable ou la roche puis à les passer sur le visage et se frotter
les mains en incluant les poignets.
L’eau pure ramène virtuellement le croyant à l’état de pureté originelle
(fitra) lequel est l’état premier de la Création. C’est, en effet, de l’eau que
« fut créée toute chose vivante », selon les termes d’un verset4. Du reste,
un hadith affirme clairement l’importance spirituelle de la purification par
l’eau : « La pureté rituelle est la moitié de la foi5. »
La notion de fitra permet de comprendre pourquoi beaucoup d’auteurs
considèrent la pureté rituelle comme une préparation à la pureté intérieure.
Ainsi, al-Ghazâlî distingue, dans son ouvrage majeur, quatre degrés de
purification  : «  Il existe quatre degrés de purification  : la purification
extérieure des impuretés et des souillures  ; la purification des membres
d’action des fautes et des péchés  ; la purification du cœur des traits de
caractère blâmables et des défauts ; et, enfin, la purification de l’intime de
l’être de tout ce qui n’est pas Dieu, le Très-Haut. Ce dernier degré est celui
des prophètes – sur eux la Paix – et des véridiques6. »
La fin du verset précédemment cité évoque une autre forme de purification
rituelle, celle appelée « ablution majeure » (ghusl) : « … et, si vous avez
accompli l’acte sexuel, purifiez-vous entièrement le corps7.  » À la
différence des «  impuretés mineures  » que nous avons évoquées, l’acte
sexuel fait entrer en état d’impureté majeure (janâba). Toute émission de
sperme – volontaire ou non –, le flux menstruel et les lochies doivent être
purifiés par l’ablution majeure. Celle-ci consiste à passer de l’eau sur
toutes les zones du corps, de la tête aux pieds.
Pour la majorité des oulémas, le fidèle en état d’impureté majeure ne doit
pas réciter le Coran. Ils s’appuient sur une parole de ‘Alî, cousin et gendre
du Prophète, affirmant que rien n’éloignait l’Envoyé de Dieu de la lecture
du Coran sauf l’état d’impureté majeure.
En dehors des cas que nous avons mentionnés, il est recommandé au fidèle
d’accomplir les ablutions majeures avant de se rendre à la mosquée pour la
prière du vendredi. De même, il lui est recommandé de le faire pour se
rendre à la prière des deux grandes fêtes religieuses de l’islam : l’Aïd de
fin de ramadan et l’Aïd commémorant le sacrifice d’Abraham. Enfin,
quiconque accomplit la toilette mortuaire pour un défunt devra se purifier
par les ablutions majeures.
La purification du corps par les deux types d’ablution, lors de nombreuses
situations quotidiennes, rappelle au croyant que la vie terrestre a besoin
d’être rattachée toujours à nouveau à sa source céleste. La pesanteur de la
matière dense du corps est en quelque sorte neutralisée par la fluidité et la
pureté de l’eau  : «  Dieu aime ceux qui ne cessent de revenir à Lui et Il
aime ceux qui se purifient8. »

La prière
La prière rituelle est le seul acte d’adoration que le Prophète ne reçut pas
par inspiration ou révélation. Second pilier de l’islam, elle lui fut imposée
lors de son Ascension (mi‘râj) alors qu’il était «  à une distance de deux
arcs ou plus près encore »9 de Dieu.
Lors de l’Ascension, le Prophète put converser sans médiation avec son
Seigneur. Il reçut l’injonction divine de transmettre à sa communauté
l’ordre d’accomplir cinquante prières quotidiennes. Pendant sa redescente,
il rencontra Moïse dans l’un des sept cieux, qui lui recommanda de
retourner vers Dieu pour obtenir un allègement. L’expérience que Moïse
eut avec son propre peuple lui permettait de saisir que peu de croyants
peuvent supporter une telle obligation. Le Prophète obtint plusieurs
allégements mais à chaque fois Moïse lui recommanda de retourner vers
son Seigneur pour en obtenir un nouveau. Quand le nombre de prières
quotidiennes fut ramené à cinq, le Prophète fut gêné de retourner à
nouveau vers Dieu pour lui demander un nouvel allégement, mais il obtint
la garantie que la valeur des cinq prières quotidiennes était équivalente à
celle des cinquante initialement prescrites10.
Ce mode exceptionnel d’enseignement et cette proximité de Dieu font dire
aux exégètes du Coran que la prière (salât) est ce qui relie (sila) le
serviteur et son Seigneur. C’est pourquoi elle est appelée, dans un hadith,
« la colonne centrale de la religion » (‘imâd al-dîn).
Toutefois, c’est sur terre que furent montrés au Prophète les cinq
intervalles de temps durant lesquels doivent être accomplies les prières
quotidiennes. L’ange Gabriel vint voir le Prophète un premier jour pour lui
montrer à quel moment de la course du soleil dans le ciel débutait chaque
intervalle de temps, et un second jour pour lui indiquer la fin de ces
intervalles  : aube (subh), zénith (zuhr), mi-hauteur dans le ciel (‘asr),
crépuscule (maghrib), nuit complète (‘ishâ’). Ainsi, en plus du lien avec
son Seigneur, le croyant se trouve mis en harmonie avec les cycles du jour
et de la nuit  : «  Certes la prière est prescrite aux croyants en des heures
déterminées11. »
En dehors des cinq prières obligatoires, le fidèle peut accomplir des
prières surérogatoires (nâfila) dont les plus connues sont celle qui précède
la prière de l’aube appelée al-fajr et celle qui suit la prière de la nuit
complète appelée witr. La prière surérogatoire a pour rôle essentiel de
préparer ou de prolonger la prière obligatoire. Mais elle peut également
compenser l’éventuel manque de recueillement et de présence du cœur de
la part du fidèle au moment où il accomplissait une prière obligatoire.
Contrairement à la prière libre ou imploration (du‘â’), la prière rituelle
s’accompagne de postures corporelles  : la station debout (qiyâm),
l’inclinaison (rukû‘), la prosternation (sujûd) et la station assise sur les
genoux (julûs), les fesses touchant les talons. Ces quatre postures forment
un cycle de la prière (rak‘a). Le nombre de cycles que contient chacune
des cinq prières quotidiennes varie  : deux pour la prière de l’aube, trois
pour la prière du crépuscule, et quatre pour les autres.
Chacune de ces postures doit être la manifestation d’une attitude
spirituelle. Se tenant debout devant Dieu, le croyant anticipe le Jour de la
Résurrection (qiyâma) où chaque être humain sera présenté devant son
Seigneur. Ensuite, le fidèle s’incline devant la grandeur de son Créateur.
Après cela, il se prosterne reconnaissant ainsi sa petitesse et sa faiblesse.
Enfin, il s’assoit sur les genoux – position considérée comme la plus stable
entre toutes – manifestant ainsi un équilibre et une stabilité lui permettant
de ne plus être victime de ses limitations et de ses faiblesses : « En vérité,
la prière préserve des turpitudes et de ce qui est blâmable12… »
Parmi les conditions de validité de la prière, il y a, lors de chaque posture,
des versets du Coran ou des formules rituelles à réciter. Ainsi, durant la
station debout, le fidèle doit réciter la sourate al-Fâtiha13, accompagnée
d’un autre passage du Coran dans les deux premiers cycles de la prière, et
seule dans le reste. De même, la prière rituelle n’est valide que si le fidèle
est orienté vers La Mecque, où qu’il se trouve dans le monde. Cette
orientation, appelée qibla, est le symbole de l’orientation du cœur du
croyant vers Dieu durant la prière.

Le changement de qibla

Jusqu’à l’installation du Prophète à Médine, il était demandé aux fidèles de se


tourner vers Jérusalem au moment d’accomplir la prière rituelle : « Nous t’avons
vu souvent interroger le ciel du regard. Aussi t’orientons-Nous dorénavant dans
une direction que tu agréeras. Tourne donc ta face vers la Mosquée sacrée [de La
Mecque]  ! Et vous qui avez la foi, où que vous soyez, tournez-vous dans cette
même direction14. »

En présence de ses Compagnons, le Prophète insista sur le rôle


purificateur de la prière par le fait qu’elle relie toujours à nouveau
l’homme à sa Source : « Si l’un d’entre vous possédait une rivière passant
près de chez lui et qu’il puisse s’y baigner cinq fois par jour, pensez-vous
qu’il demeurerait sur son corps la moindre salissure ? Eh bien, ainsi en est-
il des cinq prières quotidiennes : par elles, Dieu efface les péchés15. »
Par ailleurs, le Coran invite le fidèle à puiser dans la prière la force de
faire face aux épreuves de la vie : « Cherchez assistance dans la patience
et la prière. Certes, la prière peut être lourde sauf pour ceux qui goûtent au
recueillement, qui savent qu’ils rencontreront leur Seigneur et qu’ils
retourneront à Lui16. » Selon ce verset, l’accomplissement extérieur de la
prière n’est pas suffisant  : le cœur du fidèle doit apprendre à goûter au
recueillement (khushû‘). La patience et la prière peuvent être des soutiens
fondamentaux pour affronter les épreuves, à condition que la prière ne soit
pas accomplie de manière mécanique et qu’elle soit l’occasion d’un
véritable recueillement. À ce propos, le verset donne une indication sur la
façon de faire naître le recueillement  : le croyant doit emplir son cœur
avec la certitude qu’il rencontrera, tôt ou tard, son Seigneur. Chaque jour
qui passe rapproche inexorablement l’être humain de cette rencontre, bon
gré mal gré.

L’aumône légale
L’aumône légale (zakât), troisième pilier de l’islam, inscrit clairement le
lien entre la foi et la générosité envers autrui dans le cadre des obligations
rituelles. Dans ce cadre, le fidèle doit donner 1/40 (soit 2,5  %) des
possessions matérielles qu’il a gardées pendant une année17, à condition
que le montant total de ses possessions dépasse un minimum appelé nisâb.
Ce montant minimum, en dessous duquel le fidèle n’aura pas de zakât à
payer, est l’équivalent de 85 grammes d’or ou de 595 grammes d’argent.
Actuellement, le montant du nisâb basé sur le cours de l’or est d’environ 4
500 euros.

Qui peut recevoir la zakât ?

Le Coran désigne huit catégories de bénéficiaires de la zakât  : «  Les aumônes


légales sont destinées aux pauvres, aux nécessiteux, à ceux qui sont chargés de
recueillir ces dons et de les répartir, à ceux dont les cœurs sont à gagner, au
rachat des captifs, aux endettés insolvables, à ceux qui se consacrent à la cause
de Dieu et aux voyageurs démunis. C’est une obligation prescrite par Dieu. Et
Dieu est Omniscient et Sage18. »

La zakât est parfois qualifiée d’impôt social de l’islam. S’il est vrai qu’elle
n’a été instituée qu’après la fondation de la cité musulmane de Médine, on
aurait tort de n’y voir qu’un impôt légal visant à consolider les liens de la
première communauté musulmane organisée. Tout d’abord, il faut
remarquer que le terme arabe zakât possède le double sens de purification
et d’accroissement. C’est ainsi que le Prophète affirmait : « Les aumônes
ne font pas diminuer les biens matériels que l’on possède19  !  » De plus,
nous avons vu que l’insistance sur la charité comme composante de la foi
est présente dès les premières révélations à La Mecque.
Du point de vue spirituel, la zakât peut être considérée comme le point de
départ d’une pédagogie qui doit amener le fidèle à se détacher du désir
d’accumulation des richesses matérielles, désir fortement ancré dans
l’ego : « Annonce à ceux qui accumulent l’or et l’argent et qui refusent de
le dépenser dans la voie de Dieu un châtiment douloureux20. » À l’inverse,
le partage et la solidarité avec ceux qui souffrent sont l’expression de la
fidélité pieuse (al-birr) envers Dieu  : «  … la fidélité pieuse consiste à
donner de ses biens matériels – quelque attachement qu’on leur porte –
aux proches, aux orphelins, aux pauvres, aux voyageurs, aux mendiants, et
de racheter les esclaves pour les libérer21… »

Le jeûne de ramadan
«  Ô vous qui avez la foi  ! Le jeûne vous a été prescrit comme il a été
prescrit aux peuples qui vous ont précédés. Puissiez-vous atteindre la
piété22. »
Lorsque ce verset fut révélé, en l’an 2 de l’Hégire, la pratique du jeûne
était connue des Arabes depuis la période antéislamique. Les juifs et
chrétiens d’Arabie le pratiquaient, mais également les polythéistes.
On rapporte que lorsque le Prophète arriva à Médine, il apprit que les juifs
jeûnaient le dixième jour du mois lunaire de muharram en souvenir de
Moïse et de la sortie d’Égypte. Il ordonna alors aux musulmans de jeûner
le neuvième et le dixième jour de muharram. Ce jeûne fut une obligation
rituelle jusqu’à la révélation de ce verset. Le jeûne du mois de ramadan
devint alors l’obligation rituelle. C’est ainsi que le jeûne du neuvième
mois de l’année musulmane constitue le quatrième pilier de l’islam.
Le verset précédent, tout en inscrivant le jeûne dans la continuité des
religions abrahamiques, en fait une aide pour réaliser la piété (taqwâ).
Cette attitude intérieure, que l’on traduit parfois par «  crainte de Dieu  »,
désigne une vigilance sur soi-même dans laquelle le fidèle s’astreint à
n’accomplir que des actes qui le rapprochent de Dieu et à s’abstenir de
tout ce qui pourrait lui faire perdre l’Agrément divin.
Le mois de ramadan est le neuvième mois du calendrier musulman.
Comme ce calendrier est basé sur les cycles de la lune, le mois de ramadan
commence avec l’apparition du nouveau croissant lunaire  : «  Ce jeûne
devra être observé pendant un nombre de jours bien déterminé. Celui
d’entre vous qui, malade ou en voyage, aura été empêché de l’observer
devra jeûner plus tard un nombre de jours équivalents à celui des jours de
rupture. Mais ceux qui ne peuvent le supporter qu’avec grande difficulté
devront assumer, à titre de compensation, la nourriture d’un pauvre pour
chaque jour de jeûne non observé. Le mérite de celui qui en nourrira
davantage ne sera que plus grand. Toutefois, jeûner est meilleur pour vous,
si vous pouviez le comprendre23. »
Comme le souligne ce verset, le jeûne de ramadan n’est prescrit qu’à ceux
qui ont la force physique de l’accomplir et qui se trouvent dans des
conditions adéquates pour le faire. Ainsi, le malade ou le voyageur peut
reporter son jeûne à plus tard. Quant à la personne incapable de jeûner
(maladie chronique invalidante, vieillesse, etc.), elle devra compenser son
jeûne en nourrissant un pauvre par jour non jeûné. Actuellement, les
théologiens musulmans ont fixé le montant minimal de la compensation
(fidya) à 7 euros par jour.
La femme en période de menstrues ou de lochies (après un accouchement)
ne jeûnera pas et reportera à plus tard les jours non jeûnés.

Les jeûnes facultatifs en dehors du mois de ramadan

En dehors du mois du jeûne, le fidèle est invité à jeûner certains jours de l’année
s’il en a la possibilité :
Six jours au choix durant le mois de shawwâl (qui suit celui de ramadan).
D’après un hadith, le fidèle qui aura jeûné ces six jours, en plus du mois de
ramadan, reçoit le mérite d’avoir « jeûné l’année entière ».
Les trois jours du milieu du mois lunaire. Ils sont appelés les jours blancs (al-
ayyâm al-bîd) car ils correspondent au moment de la pleine lune.
Les 9e et 10e jours du mois de muharram, que nous avons déjà évoqués.
Le jour de ‘Arafa qui est le 9e jour du mois du pèlerinage. Plusieurs hadiths
enseignent que ce jeûne « efface les péchés de l’année écoulée et de l’année
suivante ».

Les aspects spirituels du jeûne sont peut-être moins faciles à saisir que
ceux d’autres actes d’adoration comme la prière ou l’invocation.
Extérieurement, le jeûne n’est, en effet, qu’une abstinence de nourriture,
de boisson et de relation conjugale, du lever du soleil jusqu’à son coucher.
Mais cela n’est qu’un point de départ, car le jeûne doit devenir tout à la
fois purification du corps et de l’âme. Pour cela, il faut que le jeûne
s’accompagne d’une attitude de détachement envers les choses de l’ici-bas
et de générosité envers les autres. En ce sens, le Prophète disait  : «  Le
jeûne ne consiste pas seulement à se priver de nourriture et de boisson : le
jeûne implique d’abandonner paroles frivoles et paroles indécentes. Et si
quelqu’un t’insulte ou se comporte mal envers toi dis-lui : “Je jeûne ! Je
jeûne24 !” »
Au coucher du soleil, le jeûne doit être rompu. Mais cela ne signifie pas
que les nuits du mois de ramadan auraient moins de valeur spirituelle que
les journées. Pour les fidèles, elles sont, au contraire, un temps privilégié
de récitation du Coran et de prière. C’est ainsi que, dans la majorité des
mosquées, sont accomplies les prières appelées tarâwîh, durant lesquelles
environ un trentième du Coran peut être récité chaque soir, de façon à
avoir été récité dans son entièreté à la fin du mois.
La nuit la plus précieuse du mois de ramadan – et même de tout le
calendrier musulman – est celle qui est appelée «  la Nuit de la
Détermination  » (Laylat al-qadr25). Une courte sourate du Coran lui est
entièrement consacrée : « Certes, Nous l’avons fait descendre au cours de
la Nuit de la Détermination. Et qui te fera connaître la nature de la Nuit de
la Détermination  ? La Nuit de la Détermination est préférable à mille
mois. Les anges et l’Esprit descendent avec la permission de leur Seigneur
afin de tout régir. Elle est paix jusqu’au lever de l’aube26. »
La Nuit de la Détermination est, selon l’avis majoritaire en islam, une des
nuits impaires de la dernière décade du mois de ramadan. Toutefois, la
plupart des fidèles accordent une importance particulière à la 27e nuit : ils
la passent en prière, en récitations du Coran et en implorations, chez eux
ou à la mosquée.
Les exégètes précisent que la «  descente du Coran  » évoquée par ces
versets n’est pas la révélation puisqu’elle eut lieu de façon fragmentée
pendant vingt-trois ans, mais une descente globale du Livre, de la Table
gardée – se situant au plus haut des cieux – jusqu’au ciel de notre monde.
Ils ajoutent que cette nuit est celle où le destin annuel de chaque créature
est apporté sur terre par les anges et l’Esprit. La valeur des actes pieux
accomplis durant cette nuit est démultipliée  : en temps ordinaire, mille
mois ne suffiraient pas pour accomplir l’équivalent.
De tout ce qui précède, il apparaît que le jeûne possède des aspects
extérieurs et une dimension intérieure. Lorsqu’elle est amplement
développée, cette dimension intérieure peut déboucher sur la plus haute
spiritualité. Les différents degrés d’approfondissement du jeûne culminent,
selon al-Ghazâlî, avec le «  jeûne du cœur  ». Reprenant la division
traditionnelle des croyants en trois catégories, al-Ghazâlî distingue le
jeûne du commun des croyants (sawm al-‘umûm), le jeûne de l’élite (sawm
al-khusûs) et le jeûne de l’élite de l’élite (sawm khusûs al-khusûs). Le
jeûne du commun est caractérisé par l’abstention des désirs du ventre et du
sexe. En plus de cela, le jeûne de l’élite consiste à préserver du péché
l’ouïe, la vue, la langue, les mains, les pieds, qui sont les parties
corporelles désignées en islam comme étant « les organes d’action » (al-
jawârih). Outre tout cela, le jeûne de l’élite de l’élite consiste à « préserver
le cœur des préoccupations mondaines et de toutes pensées vaines, de
manière à avoir le cœur entièrement présent à Dieu le Très-Haut27…  »
Selon al-Ghazâlî, le jeûne du cœur est celui des prophètes et des saints.

Le pèlerinage à La Mecque
Cinquième et ultime pilier de l’islam, le pèlerinage à La Mecque (al-hajj)
existait bien avant l’islam, comme le souligne ce verset  : «  En vérité, le
premier temple qui ait été fondé à l’intention des hommes est bien celui de
Bakka : il est à la fois une bénédiction et une guidance pour les mondes.
Terre de signes sacrés, c’est aussi l’Oratoire d’Abraham. Quiconque y
pénètre sera en sécurité28… »
La Mecque est appelée Bakka dans ce verset car c’est le nom originel du
lieu, nom qui devint par la suite Makka. Déjà dans les Psaumes, il est fait
allusion à la vallée aride de La Mecque par son nom originel : « Béni est
celui qui place sa force en Toi, et qui trouve en son cœur les chemins de
ceux qui, passant à travers la vallée de Bacca, en ont fait un lieu plein de
sources29. »
Selon la tradition musulmane, le temple de Bakka fut construit par les
anges avant la descente d’Adam sur terre. Après la perte du Paradis, Adam
reçut l’ordre de Dieu de s’y rendre en pèlerinage. Détruit à l’époque de
Noé par le Déluge, le temple fut reconstruit par Abraham et son fils
Ismaël. Puis, Abraham reçut l’ordre d’appeler les hommes à accomplir le
pèlerinage à cet endroit  : «  Appelle les hommes au pèlerinage  ! Ils
répondront à ton appel, à pied et sur toute monture, venant des contrées les
plus éloignées30. »
Tout cela nous permet de voir comment le Coran rattache explicitement
l’islam – et en particulier les rites du pèlerinage – à la Tradition
primordiale qui n’est autre que la spiritualité vécue aux premiers temps de
l’humanité. L’essence de la Tradition primordiale est désignée dans le
Coran par l’expression « Religion immuable » (al-Dîn al-qayyim)31.
Le pèlerinage à La Mecque doit être accompli par le fidèle, s’il en a les
moyens physiques et matériels, au moins une fois dans sa vie. Les rites du
pèlerinage se déroulent au début du mois de dhû l-hijja, dernier mois du
calendrier musulman. Les rites essentiels du pèlerinage sont les tournées
rituelles (tawâf) autour de la Kaaba, les sept allées et venues entre les
monts de Safâ et de Marwa, la Station dans la plaine de ‘Arafa et la
lapidation des stèles à Muzdalifa.
La Station (wuqûf) dans la plaine de ‘Arafa a lieu le 9 de dhû l-hijja et
constitue le point culminant du pèlerinage. Cette plaine est située au pied
du Mont de la Miséricorde (Jabal al-Rahma). Enveloppés dans leur
vêtement de pèlerin, qui n’est pas sans rappeler le linceul, les fidèles sont
rassemblés – comme une anticipation du Jour de la Résurrection – pour
implorer le pardon de Dieu et Sa Miséricorde, jusqu’au coucher du soleil.
C’est alors qu’ils peuvent quitter la plaine de ‘Arafa pour se rendre à
Muzdalifa où ils auront à lapider des stèles symbolisant le Diable.
Selon al-Ghazâlî, les tournées rituelles autour de la Kaaba sont le symbole
de la Présence divine dans le cœur : « Sache que les tournées rituelles sont
en réalité celles du cœur autour de la Présence divine. Le Temple de la
Kaaba est un symbole, dans le monde sensible (mulk), de cette Présence
que l’œil ne peut percevoir et qui appartient au monde céleste (malakût).
De la même façon, le corps est le symbole visible du cœur qui relève du
monde de la réalité occultée (‘âlam al-ghayb). »
Dans la même perspective spirituelle, al-Ghazâlî souligne qu’il existe une
« analogie » entre l’adoration des hommes et celle des anges : « En vertu
de l’analogie entre le plan terrestre et le plan spirituel, la Kaaba
correspond au “Temple fréquenté” (al-Bayt al-ma‘mûr) qui se situe dans
les cieux. Les tournées rituelles que font les anges autour de ce temple
sont l’archétype de celles que font les hommes autour de la Kaaba32. »
Les fêtes religieuses
À proprement parler, il n’y a que deux fêtes religieuses en islam : ce sont
les deux Aïds.
La première fête du calendrier musulman est celle qui clôt le mois de
ramadan : elle est appelée ‘Îd al-fitr, c’est-à-dire la fête de la rupture du
jeûne. Également appelé al-‘Îd al-saghîr (le « petit Aïd »), elle débute par
une prière collective qui est précédée par des formules de glorification de
Dieu (tasbîh). Cette prière est suivie par un sermon rappelant aux fidèles
les bienfaits spirituels du jeûne et la récompense divine qui lui est liée. Il
est recommandé aux fidèles, avant même de se rendre à cette prière, de se
purifier par les grandes ablutions.
Le reste de la journée se déroule dans une ambiance familiale et festive.
De nombreuses pâtisseries sont confectionnées spécialement pour ce jour.
Le ‘Îd al-fitr est ainsi un moment de réjouissance, mais c’est également un
temps de pardon durant lequel il est particulièrement recommandé de
rétablir les liens qui se sont distendus et d’effacer toute rancune envers
quiconque.
La seconde fête est celle du ‘Îd al-adhâ, la fête du sacrifice. Également
appelée ‘Îd al-kabîr (le « grand Aïd »), la fête religieuse du sacrifice est
une commémoration du sacrifice d’Abraham. Comme dans la Bible, le
Coran enseigne que la sincérité d’Abraham fut mise à l’épreuve par Dieu.
Pour ce faire, Dieu lui fit savoir qu’Il attendait de lui qu’il sacrifiât le fils
qu’il avait eu de manière miraculeuse alors qu’il était très âgé et ne pensait
plus pouvoir être père  : « – Mon cher fils  ! J’ai vu en songe que je
t’immolais. Vois ce qu’il y a lieu de faire ! – Ô mon père, fais ce qui t’est
ordonné  ! Tu me verras, s’il plaît à Dieu, parmi ceux qui font preuve de
patience33. »
Le fils qui répond à Abraham dans ce verset n’est pas identifié mais la
plupart des exégètes l’identifient à Ismaël, l’ancêtre des Arabes.
Alors qu’Abraham, pleinement soumis à l’ordre divin, s’apprêtait à
immoler son fils consentant, Dieu arrêta la main du père pour préserver la
vie de l’enfant : « Tous les deux s’étaient résignés à la Volonté divine. Et
déjà le père avait couché le front de son fils contre terre, lorsque nous
l’appelâmes : “Ô Abraham ! Tu as certes été sincère envers la vision que
tu as reçue.” C’est ainsi que Nous rétribuons les vertueux. Ce fut une
épreuve très révélatrice  ! Nous avons racheté son sacrifice par une
offrande de grande valeur et Nous fîmes perdurer sa renommée à travers
les générations ultérieures. Que la paix soit sur Abraham34 ! »
Un bélier fut alors substitué pour le sacrifice demandé par Dieu. C’est
cette substitution miséricordieuse qui est commémorée chaque année par
les musulmans lors de la fête religieuse du ‘Îd al-adhâ qui a lieu le 10 du
mois de dhû l-hijja, le mois du grand pèlerinage à La Mecque.
Comme pour l’Aïd de rupture du jeûne, la journée de la fête du sacrifice
débute par la récitation de formules de glorification de Dieu, puis les
fidèles assistent à une prière collective suivie d’un sermon.
Ce sacrifice rappelle aux croyants qu’ils doivent être en mesure de faire
des sacrifices s’ils veulent être fidèles à la Volonté de Dieu. Le soufisme
donne un sens universel au sacrifice demandé à Abraham et le considère
comme une invitation à sacrifier entièrement l’ego. En tant qu’obstacle
entre le croyant et son Seigneur, l’ego doit s’éteindre complètement face à
la Volonté divine. Cet effort, parfois douloureux, est désigné dans le
soufisme par l’expression «  abandon de la volonté propre  » (tark al-
tadbîr)  : «  Sache qu’il est une catégorie de serviteurs de Dieu qui ont
renoncé à toute autonomie en Sa Présence… leurs connaissances et leurs
secrets ont fait voler en éclats les “montagnes” de leur volonté propre35. »
En dehors des deux Aïds, certains événements marquants sont célébrés
annuellement par les musulmans. C’est le cas de la naissance du Prophète
(al-Mawlid) commémorée le 12 du mois de rabî‘ al-awwal, troisième mois
du calendrier musulman. Sans être une fête religieuse au même titre que
les deux Aïds, la célébration du Mawlid est considérée par les oulémas
comme une expression de la gratitude du fidèle envers Dieu pour l’envoi
de Son ultime messager.

Comment se célèbre le Mawlid ?

Dans un ouvrage consacré à cette question, le célèbre savant égyptien al-Suyûtî


écrit  : «  Il est bénéfique pour nous de manifester notre gratitude pour la
naissance du Prophète en réunissant les frères, en offrant de la nourriture aux
pauvres, en accomplissant différentes actions de piété qui rapprochent de Dieu,
et enfin en exprimant sa joie36. »

L’imploration
En dehors de la prière canonique (salât), il existe une forme de prière libre
et spontanée dans laquelle le croyant peut s’adresser à Dieu en toute
situation et sans condition de pureté rituelle. Cette forme de prière est
appelée du‘â’, c’est-à-dire « imploration » ou « supplication ».
Dans l’imploration, le fidèle peut s’adresser à Dieu dans n’importe quelle
langue et dans ses propres termes, mais certaines implorations coraniques
ou prophétiques sont très souvent utilisées.

Quelques exemples d’implorations


«  Seigneur, accorde-nous une belle part dans ce monde et une belle part dans la vie
future, et préserve-nous des tourments de l’Enfer37. »
«  Seigneur, ne laisse pas dévier nos cœurs après que Tu nous as guidés  ; et accorde-
nous une miséricorde venant de Toi. C’est Toi, certes, le Grand donateur38. »
« Mon Dieu, accorde à mon âme sa piété et purifie-la. Toi seul peut vraiment la purifier car
Tu es son maître et son souverain. Je cherche refuge en Toi contre un savoir qui n’est pas
bénéfique, un cœur qui ne connaît pas le recueillement, une âme insatiable et une
imploration qui n’est pas exaucée39. »

Les implorations précédentes ont une portée générale et concernent les


éléments fondamentaux de la vie spirituelle, mais il existe également des
implorations pour les diverses situations de la vie quotidienne : elles sont
récitées en sortant de chez soi, avant de manger, au moment
d’entreprendre un voyage, etc.40.
Le Coran promet l’exaucement des implorations faites par le croyant : « Si
Mes serviteurs t’interrogent à Mon sujet, qu’ils sachent que Je suis très
proche, et que J’exauce les demandes de celui qui M’implore41…  »
Toutefois, cela ne signifie pas que le fidèle puisse obtenir de Dieu tout ce
qu’il Lui demande car le don de Dieu peut être «  différé  »  : «  Aucun
croyant ne prononce une imploration sans être exaucé  : la réponse à ses
demandes peut lui être donnée dès cette vie-ci ou, au contraire, être
réservée pour l’Au-delà42… »
De la même façon, le grand maître spirituel que fut Ibn ‘Atâ’ Allâh (1260-
1309) enseigne dans son recueil de sagesses qu’il ne faut pas se méprendre
sur la signification de l’exaucement des implorations : « Que le délai que
Dieu met à t’accorder ce que tu as demandé par des implorations
insistantes ne cause pas ton désespoir ; l’exaucement de tes implorations
t’es garantie pour les choses qu’Il a choisies de t’accorder, et non pas pour
celle que tu as choisies pour toi-même  ; et elles te seront accordées au
moment où Il le veut et non pas au moment que tu souhaites43. »
Si l’imploration peut être pratiquée en toute situation, il existe des
moments privilégiés où elle est particulièrement recommandée : le dernier
tiers de chaque nuit, le moment de la rupture du jeûne, la Nuit de la
Détermination, etc.

L’invocation (dhikr)
« N’est-ce pas par l’invocation de Dieu que les cœurs s’apaisent44 ? »
Le terme arabe dhikr que nous avons rendu en français par « invocation »
peut aussi être traduit par «  souvenir  », «  rappel  » ou «  mention  ». Pour
respecter cette polysémie, on peut proposer la périphrase suivante  :
«  Rappel de Dieu par la répétition d’un Nom divin ou d’une formule
sacrée. »
L’obstacle majeur à la paix intérieure est constitué par les pensées qui
s’imposent par leur force au mental. Quelle qu’en soit l’origine – craintes
ou désirs –, ces pensées créent une agitation intérieure qui s’oppose au
recueillement et à la sérénité. La nature agitée du mental est donc une
prison dont le fidèle doit apprendre à se libérer.
La répétition abondante d’une formule sacrée permet de concentrer la
pensée du croyant sur le contenu spirituel de ladite formule. Par ce biais,
l’amour de Dieu s’empare progressivement du cœur et y infuse la paix et
la sérénité. En d’autres termes, l’invocation persévérante de Dieu dissout
le mental dans la bienheureuse Lumière divine qui embrasse toute chose.
À ce sujet, le Prophète déclara  : «  Nul groupe ne s’assoit pour invoquer
Dieu sans que les anges les entourent, que la Miséricorde les enveloppe,
que la Paix de Dieu (Sakîna) descende sur eux et que Dieu les mentionne
aux anges qui sont auprès de Lui45. »
En de nombreux versets, le Coran présente l’attachement du cœur à
l’invocation de Dieu comme un des signes majeurs de la foi : « Seuls sont
croyants ceux dont les cœurs frémissent à l’invocation de Dieu, ceux dont
la foi augmente quand Ses versets leur sont récités et qui, en toutes choses,
s’en remettent à Lui46… » Selon ce verset, la foi ne saurait être véritable
sans la réceptivité du cœur à l’invocation de Dieu. Cette réceptivité est
marquée par une réaction appelée wajal dans le verset, terme que nous
rendons par « frémissement ». Un autre passage du Coran met en relation
la paix du cœur (ikhbât) avec le frémissement produit par l’invocation de
Dieu : « Annonce la bonne nouvelle à ceux qui demeurent dans la paix du
cœur : ce sont ceux dont le cœur frémit à l’invocation de Dieu47… »
Mais le frémissement du cœur est loin de représenter, à lui tout seul, une
transformation intérieure complète. Il n’est, en effet, que les prémices
d’une illumination possible. C’est pourquoi le Coran insiste sur
l’invocation abondante et persévérante : « Ô vous qui avez la foi, invoquez
Dieu abondamment et glorifiez-Le en début et en fin de journée. C’est Lui
qui appelle la grâce sur vous – ainsi que Ses anges – afin de vous faire
passer des ténèbres à la lumière48… »
De même, le Prophète insista sur l’invocation comme remède à la tiédeur
de la foi  : «  Renouvelez votre foi en multipliant la répétition de la
formule : “Il n’est de divinité que Dieu” (lâ ilâha illâ Llâh)49. »

Les bienfaits spirituels de l’invocation

Commentant le hadith précédent, al-Munâwî écrit  : «  Pratiquer cette invocation


régulièrement et avec persévérance renouvelle la foi dans le cœur, le remplit de
lumière et fait croître la certitude (yaqîn) qui l’habite. Cette invocation lui ouvre
l’accès à des secrets que connaissent les gens de perception spirituelle et que ne
nient que les ignorants50. »

Dans le soufisme, l’invocation de Dieu tient une place tout à fait centrale.
En effet, le soufisme transmet, outre les formules d’invocation accessibles
à tout fidèle, des formes d’invocation qui ont un caractère initiatique,
c’est-à-dire qu’elles doivent être reçues lors d’une initiation (talqîn) et se
transmettre grâce à une chaîne de transmission (silsila) remontant au
Prophète. L’initiation transmet la bénédiction prophétique (barakat al-
Rasûl), laquelle soutient l’initié dans ses efforts spirituels.

1. Coran : 6, 162.
2. Cité par al-Tirmidhî dans ses Sunan, n° 2813.
3. Coran : 5, 6.
4. Coran : 21, 30.
5. Cité par Muslim dans son Sahîh, n° 223.
6. Ihyâ’, I, p. 464.
7. Coran : 5, 6.
8. Coran : 2, 222.
9. Coran : 53, 9.
10. Voir à ce sujet les deux hadiths suivants : al-Bukhârî, al-Sahîh, n° 350 et Muslim, al-Sahîh, n°
434.
11. Coran : 4, 103.
12. Coran : 29, 45.
13. Litt. L’Ouvrante. Elle est appelée ainsi parce que, bien que n’étant pas la première révélation,
c’est par elle que s’ouvre le recueil du Coran.
14. Coran : 2, 144.
15. Cité par al-Bukhârî, al-Sahîh, n° 505.
16. Coran : 2, 45-46.
17. Il s’agit ici d’une année lunaire puisque le calendrier musulman est basé sur le cycle de la lune.
S’il prend pour référence une année solaire (365 jours), le fidèle devra donner 2,579 % de ses biens.
18. Coran : 9, 60.
19. Suyûtî, al-Jâmi‘ al-saghîr, n° 3449.
20. Coran : 9, 34.
21. Coran : 2, 177.
22. Coran : 2, 183.
23. Coran : 2, 184.
24. Cité par al-Hâkim dans al-Mustadrak, n° 1579.
25. On traduit parfois cette expression par « Nuit du Destin » ou encore « Nuit de la Valeur ».
26. Coran : 97, 1-5.
27. Voir Le Ramadan et les vertus du jeûne, trad. fr. par Maurice Gloton, éditions Albouraq, Paris,
2009, ch. 2.
28. Coran : 3, 96.
29. Psaume 84, « Chant du Pèlerinage », versets 6-7.
30. Coran : 22, 27. Sur ce sujet, voir également Martin Lings, La Mecque. Des origines à nos jours,
éditions Tasnîm, Wattrelos, 2012, chapitre 2.
31. Coran : 30, 30.
32. Al-Ghazâlî, Ihyâ’, II, p. 245.
33. Coran : 37, 102.
34. Coran : 37, 103-109.
35. Ibn ‘Atâ’ Allâh, L’Abandon de la volonté propre, éditions Alif, Paris, 1997, p. 87.
36. Al-Suyûtî, Le Mawlid. Fatwa sur la célébration de la naissance du Prophète, trad. fr. par Fayçal
Znati, éditions Tasnîm, Wattrelos, 2014, p. 70.
37. Coran : 2, 201.
38. Coran : 3, 8.
39. Cité par Muslim dans son Sahîh, n° 7081.
40. Il existe des ouvrages de piété qui présentent toutes ces implorations. Voir, par exemple, Sadik
Charaf, Le Rappel et les invocations du musulman, éditions Maison Ennour, Paris, 2011.
41. Coran : 2, 186.
42. Cité par al-Tirmidhî dans ses Sunan, n° 3957.
43. Ibn ‘Atâ’ Allâh, Hikam. Paroles de sagesse, éditions Arché, Milan, 1999, sagesse n° 6.
44. Coran : 13, 28.
45. Cité par Muslim dans son Sahîh, n° 7030.
46. Coran : 8, 2.
47. Coran : 22, 34-35.
48. Coran : 33, 41.
49. Cité par al-Hâkim dans al-Mustadrak, n° 7657.
50. Fayd al-Qadîr, hadith n° 3581.
CHAPITRE 8

LES LIENS HUMAINS

Nous avons vu dans les chapitres précédents la nécessaire


complémentarité entre la «  dimension verticale  » de la foi, reliant le
croyant à son Seigneur, et la « dimension horizontale », celle qui concerne
le lien avec les hommes et l’ensemble des créatures. Dans les pages qui
suivent, nous aborderons différents domaines de la vie où ces deux
dimensions se croisent et s’interpénètrent.

Le mariage
« C’est un de Ses signes d’avoir créé, à partir de vous-mêmes, des épouses
afin que vous trouviez auprès d’elles votre sérénité, et d’avoir suscité entre
elles et vous affection et tendresse1. »
L’expression «  à partir de vous-mêmes  » fait référence à la création du
premier être humain qui fut un être androgynique, donc ni masculin ni
féminin. Dans un second temps, Dieu divisa cet être pour en faire le
couple originel, celui d’Adam et Ève.
À cette séparation en deux, vint s’ajouter la désobéissance du couple qui
mangea du fruit de l’arbre défendu au Paradis : « Ô fils d’Adam ! Ne vous
laissez pas tenter par Satan, comme vos parents qu’il a fait sortir du
Paradis, en les dépouillant de leurs vêtements pour leur montrer leur
nudité2.  » En prenant conscience de leur «  nudité  », Adam et Ève
oublièrent leur origine androgynique et se perçurent comme des individus
entièrement indépendants. Ils furent par là même entraînés vers un état de
dualité et d’opposition.
Toute spiritualité suppose, entre autres choses, de garder à l’esprit la
nécessité pour l’homme de dépasser la perception dualiste des choses et de
rechercher, à l’inverse, l’harmonie des contraires. Dans ce cadre, la
sexualité ne saurait donc être une simple recherche de sensations et de
plaisir personnel. Elle représente, en islam, une voie d’accomplissement
de soi. Mais pour véhiculer une spiritualité de cet ordre, l’union sexuelle
doit être bénie par le Créateur. C’est là le rôle du mariage, comme
bénédiction des liens sacrés entre les époux.
De cette manière, il s’agit pour l’homme et la femme de retrouver la
plénitude de l’être humain dans son état originel, plénitude désignée dans
le verset 30, 21 précédemment cité par le terme « sérénité ». Toutefois, la
plénitude qui peut être réalisée dans le cadre du mariage préexiste au fond
de chaque être humain, qu’il soit homme ou femme. L’être humain, en
effet, outre le corps et la psychè [ou l’âme (nafs)], possède l’esprit (rûh)
qui seul est au-delà du masculin et du féminin.

La complémentarité homme-femme et son dépassement

Pour souligner l’importance de cette complémentarité, un hadith enseigne que le


mariage est la moitié de la religion3. Pour autant, l’esprit humain est resté fidèle à
sa vocation première et se situe au-delà de la distinction homme-femme. En ce
sens, Frithjof Schuon résume, dans les termes suivants, ce que la psychè
masculine et la féminine recherchent dans la relation homme-femme  : «  Si la
femme en tant que telle aspire à un centre situé en dehors d’elle, à savoir dans le
sexe complémentaire – comme celui-ci, sous le même rapport, cherche son
espace vital dans son complément sexuel –, en tant qu’être humain, au contraire,
elle jouit de sa personnalité intégrale à la seule condition d’être humainement
conforme à la norme, celle-ci impliquant la capacité de penser objectivement,
surtout dans des cas où la vertu l’exige4. »

À cette dimension purement spirituelle du mariage trop peu connue


aujourd’hui, vient s’ajouter une dimension sociale. C’est cette dernière qui
génère le plus de malentendus et de préjugés à notre époque.
Le mariage arrangé, voire forcé, bien que présent dans les sociétés
musulmanes traditionnelles, est incompatible avec l’objectif spirituel
qu’assigne le Coran à l’union de deux êtres. Pour que le mariage puisse
être un cadre propice à la réalisation de la plénitude primordiale dont nous
avons parlé, il doit être fondé sur l’amour réciproque. C’est pourquoi le
Prophète disait : « Pour les amoureux, on ne connaît rien de plus beau que
le mariage5. »
Il est vrai que le mariage en islam, en tant que structure sociale essentielle,
donne au mari une certaine précellence qui se traduit notamment par le
statut de chef de famille  : «  Les hommes ont la charge de préserver les
femmes en vertu des avantages que Dieu a accordés aux uns sur les autres
et des biens qu’ils dépensent [pour elles]6…  » L’expression al-rijâl
qawwâmûn ‘alâ al-nisâ’, que nous avons traduite par « les hommes ont la
charge de préserver les femmes », ne désigne pas une supériorité ou une
autorité absolue mais une distribution des obligations sociales. Ainsi, la
femme n’est pas tenue de participer aux dépenses familiales : elle est libre
de garder ses biens et ses revenus pour son usage personnel, si elle le
souhaite. Selon le grand exégète al-Tabarî (839-923), l’expression arabe
précédente souligne le devoir qu’a l’époux de protéger son épouse et
d’être pour elle un exemple vertueux. L’exemple dont il s’agit est identifié,
dans de nombreux versets, aux « bonnes convenances » (al-ma‘rûf) : « …
Traitez vos épouses selon les bonnes convenances. Si vous éprouvez de
l’antipathie pour votre épouse, sachez que l’on peut avoir parfois de
l’aversion pour une chose alors que Dieu y a mis un grand bien7 ! »
Toutefois, la distribution des obligations sociales ne donne pas toute
l’autorité à l’homme seul. Ainsi, les décisions concernant la famille
doivent être prises d’un commun accord entre les époux. Un des exemples
clairement évoqués dans le Coran est celui du sevrage du nourrisson8. En
cas de désaccord, l’avis du mari fera autorité à condition qu’il respecte le
ma‘rûf : « Les épouses ont des droits équivalents à leurs devoirs qu’il faut
respecter selon le ma‘rûf, bien qu’une certaine préséance reste acquise aux
maris9. »

La question du divorce

L’islam reconnaît le caractère sacré des liens du mariage. C’est pourquoi un


hadith déclare : « La chose permise la plus détestée par Dieu est le divorce10. »
Pour autant, et à contre-courant de ce qui se faisait dans la plupart des
civilisations de l’époque, l’islam a accordé à la femme le droit d’initier le divorce.
C’est ainsi qu’un verset interdit à l’homme d’obliger son épouse à rester dans le
mariage contre son gré11.
À titre de comparaison, la position traditionnelle de l’Église catholique romaine
est de considérer le mariage comme indissoluble. C’est pourquoi, en France, la
première loi autorisant le divorce fut promulguée en 1792 pendant la Révolution,
pour être abrogée en 1816 sous la Restauration. La possibilité du divorce ne fut
rétablie qu’en juillet 1884.

De nos jours, il est un verset qui est parfois cité comme argument censé
prouver la misogynie du Coran  : «  Les épouses vertueuses demeurent
toujours fidèles à leur mari pendant leur absence et préservent leur
honneur, conformément à l’ordre que Dieu a prescrit. Quant à celles dont
vous craignez les incartades, commencez par les exhorter, puis faites lit à
part et, si nécessaire, corrigez-les. Mais dès qu’elles reviennent au bon
comportement, ne leur cherchez plus querelle12.  » Même si elle n’est
donnée qu’en ultime recours, la possibilité pour le mari d’infliger une
correction à son épouse peut heurter légitimement la sensibilité, surtout
lorsque l’on ne possède pas l’éclairage contextuel et culturel permettant de
comprendre la raison d’être de ce verset.
Dans l’Arabie du VIIe siècle, les époux pouvaient s’absenter pour de
longues périodes – par exemple, pour le commerce – et il arrivait que les
femmes restées seules trompent leur mari et les déshonorent, ce qui
donnait lieu à des drames. Ce verset propose au mari trois attitudes
graduelles visant à consolider la fidélité et restaurer les liens du couple.
Tout d’abord le dialogue et l’exhortation. Si cela ne suffit pas, il est
proposé à l’époux de faire lit à part. La correction physique n’est donc
qu’un pis-aller  : si elle est tolérée comme ultime recours, elle n’est pas
encouragée pour elle-même.
Encore faut-il ajouter qu’al-Tabarî et nombre d’exégètes précisent qu’il
s’agit d’une frappe non douloureuse (ghayr mubarrih), et citent en
exemple la correction symbolique que le prophète Job donna à son épouse
avec une gerbe de brindilles13.
La clef pour comprendre cette permission réside dans la rudesse des
relations humaines qui existait dans toutes les civilisations anciennes.
L’adoucissement des mœurs marque l’Occident depuis environ un siècle,
et s’étend peu à peu au reste du monde. On ne saurait s’en plaindre. Mais
il faut toutefois remarquer que cet adoucissement donne parfois lieu à un
ramollissement et un affaiblissement qui n’ont rien d’enviable. Comme le
remarque F. Schuon : « L’adoucissement des mœurs – dans la mesure où il
n’est pas illusoire – ne peut être une supériorité intrinsèque qu’à deux
conditions, à savoir, premièrement, qu’il soit un avantage concret pour la
société, et deuxièmement que son prix ne soit pas ce qui donne un sens à
la vie14. »
Enfin, il faut remarquer que l’adoucissement des mœurs contemporain
n’est pas capable, à lui seul, de faire disparaître de l’Occident moderne les
violences faites aux femmes, comme le montrent le nombre
impressionnant de féminicides, la persistance de la violence domestique et
les cas d’agressions sexuelles dont on commence à peine à parler plus
ouvertement.
Dès lors que le Coran ne s’adresse pas qu’à des hommes et des femmes de
haute spiritualité, il doit tenir compte des capacités humaines très diverses
que l’on ne manque pas de rencontrer dès qu’il s’agit d’une communauté
humaine élargie. Et il revient au Prophète d’incarner et d’enseigner la voie
à suivre pour réaliser la perfection vers laquelle peut tendre l’être humain.
Ainsi, le Prophète ne leva jamais la main sur aucune de ses épouses et
disait  : «  Les croyants les plus parfaits sont ceux qui possèdent la plus
grande noblesse de caractère et les meilleurs d’entre vous sont ceux qui
sont les meilleurs avec leur épouse15. » Et il ajoutait : « … les meilleurs
hommes ne frappent pas leur femme16. »

La parentalité
Parmi les dimensions de la vie qui peuvent nourrir la spiritualité du fidèle,
la parentalité occupe une place de choix. L’éducation d’un ou plusieurs
enfants met le parent concerné dans des situations tantôt sources de
bonheur, tantôt sources de souffrance. Face aux difficultés inévitables de
l’éducation, deux attitudes existent  : la remise en cause ou l’entêtement.
Cela explique le rôle de moteur spirituel que peut avoir la parentalité. En
ce sens, on ne peut éduquer un enfant qu’en travaillant sur soi-même.
En particulier, les parents doivent apprendre à dépasser l’anxiété
concernant l’avenir et la peur de manquer. Dans l’Arabie antéislamique, la
crainte de la misère pouvait pousser certains parents jusqu’à la mise à mort
de leurs enfants, surtout les filles puisqu’elles étaient considérées comme
une charge économique pour la famille  : «  Ne mettez pas à mort vos
enfants par crainte de la misère. C’est Nous qui pourvoyons à leurs
besoins ainsi qu’aux vôtres. Les tuer est un crime abominable17.  » C’est
pourquoi le Prophète enseigna qu’il faut considérer chaque enfant, garçon
ou fille, comme un «  cadeau de Dieu  » (hibat Allâh)  : «  En vérité, vos
enfants sont un cadeau que Dieu vous a fait : Il accorde des filles à qui Il
veut, et Il accorde des garçons à qui Il veut18… »
Du reste, le Prophète fut un exemple de parentalité pour ses contemporains
par la façon dont il éduqua ses filles et par sa tendresse paternelle envers
elles. À ce propos, ‘Â’isha était admirative de la relation qui existait entre
le Prophète et Fâtima, une des filles qu’il eut avec Khadîja, sa toute
première épouse : « Je n’ai vu personne qui ressemble autant à l’Envoyé
de Dieu que Fâtima dans ses attitudes. Lorsqu’elle entrait chez lui, il se
levait pour l’embrasser et la faire assoir à sa place  ; lorsque le Prophète
entrait chez elle, elle se levait pour l’embrasser et le faire assoir à sa
place19. »
Ainsi, l’amour du Prophète pour ses enfants et petits-enfants est demeuré
célèbre en islam. Son épouse rapporte qu’un jour, alors que le Prophète
était assis dans sa mosquée, al-Hasan, l’un de ses deux petits-fils passa
devant lui. L’amour envahit le cœur du grand-père à la simple vue d’al-
Hasan. Le Prophète attrapa alors son petit-fils et l’embrassa. Un musulman
de passage à Médine lui dit alors : « Vous embrassez donc vos enfants ? »
L’homme ajouta : « Par Dieu, j’ai dix enfants et je n’en ai jamais embrassé
aucun ! » Le Prophète conclut alors : « Que puis-je pour toi si Dieu a retiré
de ton cœur la miséricorde (rahma)  ? Qui ne fait pas miséricorde, ne
recevra pas la Miséricorde de Dieu20 ! »

Le voisinage
Dans l’ordre des relations sociales en islam, la relation entre voisins est
considérée comme l’une des plus fondamentales. Ne pas faire subir de
nuisance à son voisin est présenté par le Prophète comme une des
conditions de l’obtention du salut dans l’Au-delà  : «  N’entrera pas au
Paradis celui dont le voisin n’est pas à l’abri de ses nuisances21. »
Selon un hadith, l’ange Gabriel recommanda si souvent au Prophète de
rappeler aux croyants l’importance de bien traiter ses voisins que ce
dernier fit à ses Compagnons la confidence suivante : « L’ange Gabriel a
tellement insisté auprès de moi sur l’obligation de prendre soin de ses
voisins que je croyais qu’il allait leur accorder une part dans les droits
d’héritage22. »
L’expression «  prendre soin de ses voisins  » ne doit pas être comprise
comme se limitant au respect qui leur est dû. L’islam instaure, en effet, un
devoir de solidarité du croyant envers ses voisins. En ce sens, le Prophète
déclara : « N’est pas croyant celui qui se rassasie alors que son voisin est
affamé23. »
Enfin, ajoutons ici que le respect et l’aide à apporter au voisin dépassent
les frontières confessionnelles. Il ne s’agit donc pas de solidarité
intracommunautaire, mais d’un sentiment de fraternité humaine. C’est
ainsi que ‘Abd Allâh ibn ‘Umar, Compagnon éminent et fils du deuxième
calife, prenait grand soin de son voisin juif. Un jour, alors que les
membres de sa famille venaient de procéder à l’abattage rituel d’un
mouton chez lui, il leur demanda à plusieurs reprises : « Avez-vous offert
une part à notre voisin juif  ? Avez-vous offert une part à notre voisin
juif24 ? »

La vie professionnelle
L’islam, comme toutes les religions révélées, intègre le travail dans la vie
spirituelle du fidèle. Qu’il soit salarié ou non, le travail au sens large n’est
pas considéré comme une fin en soi, ni même comme une simple façon de
« gagner sa vie ». Pour acquérir un sens spirituel, le travail – comme toute
action exercée dans le monde – doit devenir le prolongement de la vie
intérieure. C’est pourquoi, il a existé en islam, comme dans toutes les
sociétés traditionnelles, des corporations de métiers (futuwwa ou
ukhuwwa) dans lesquelles des enseignements spirituels étaient transmis
parallèlement aux techniques propres d’une profession donnée.
Si les métiers traditionnels étaient si aisément compatibles avec une
démarche spirituelle, c’est parce qu’ils reflétaient, à un niveau ou un autre,
l’action du Créateur. La relation entre l’activité exercée et l’Acte divin
repose moins sur la matérialité de l’acte que sur le symbolisme. Il y a
analogie entre la création du monde et les procédés utilisés dans les
métiers traditionnels  : de même que l’Acte divin (Principe actif) met en
ordre la Nature (Principe passif), l’artisan muni de ses outils imprime
ordre et harmonie à une matière brute.
Au-delà des métiers particuliers, l’être humain, en tant que « représentant
de Dieu sur terre  » (khalîfatu Llâhi fî l-ard25), a la charge de perpétuer
l’ordre divin sur terre26.
Les œuvres d’adoration de Dieu (prière, jeûne, aumônes, etc.) et les actes
accomplis dans le cadre du travail sont désignés par le même terme en
Islam : dans les deux cas, c’est le terme ‘amal qui sert à les désigner. Cela
montre qu’il n’y a pas de frontière étanche entre les deux domaines.
Toutefois, le travail accompli dans le cadre de la vie professionnelle ne
peut prendre une dimension spirituelle que s’il respecte certains critères.
Ces critères sont essentiellement les suivants : la nécessité, la licéité et le
souci de perfection ou excellence. Le caractère nécessaire d’une action
signifie que l’activité envisagée répond à une exigence de la vie  : se
nourrir, se vêtir, se loger, se soigner, acquérir la connaissance, etc.
L’activité qui n’est qu’une réponse à un caprice ou à la frivolité ne saurait
donc satisfaire à ce critère. Le caractère licite d’une activité, pour sa part,
est conforme aux prescriptions du Coran et de la Sunna, et plus
généralement de la jurisprudence islamique. Quant au souci de perfection
(ihsân), il désigne la recherche de l’harmonie et de la beauté dans
l’accomplissement de tout acte. Deux hadiths éclairent ce souci de
perfection : « En vérité, Dieu est Beau et Il aime la beauté27 », « Dieu a
prescrit le souci de perfection (ou l’excellence) pour toutes choses28… ».
L’éthique islamique du travail repose sur deux principes fondamentaux. Le
premier est le respect des engagements contractuels  : «  Ô vous qui
croyez ! Respectez vos engagements29. » L’autre principe est l’honnêteté
scrupuleuse : « Respectez la juste mesure et le bon poids en toute équité !
Nous n’imposons à une âme que ce qu’elle peut supporter30 ! » Ce verset,
comme plusieurs autres, insiste sur l’honnêteté dont il faut faire preuve
dans les transactions commerciales, mais il peut bien sûr s’appliquer à
d’autres domaines.

1. Coran : 30, 21.


2. Coran : 7, 27.
3. Voir al-Hâkim, al-Mustaadrak, n° 2671.
4. Frithjof Schuon, Avoir un centre, éditions Maisonneuve & Larose, Paris, 1988, p. 18.
5. Cité par al-Hâkim dans al-Mustadrak, n° 2677.
6. Coran : 4, 34.
7. Coran : 4, 19.
8. Coran : 2, 233.
9. Coran : 2, 228.
10. Cité par Abû Dâwud dans ses Sunan, n° 2180.
11. Voir le début du verset 4, 19.
12. Coran : 4, 34.
13. Coran : 38, 44.
14. Frithjof Schuon, Regards sur les mondes anciens, éditions L’Harmattan, Paris, 2016.
15. Cité par al-Tirmidhî dans ses Sunan, n° 1195.
16. Cité par Ibn Mâjah dans ses Sunan, n° 1985.
17. Coran : 17, 31.
18. Cité par al-Hâkim dans al-Mustadrak, n° 3049.
19. Cité par al-Hâkim dans al-Mustadrak, n° 7824.
20. Cité par al-Bukhârî dans son Sahîh, n° 5652.
21. Cité par Muslim dans son Sahîh, n° 181.
22. Cité par al-Bukhârî dans son Sahîh, n° 6083.
23. Cité par Abû Ya‘lâ dans son Musnad, n° 2699.
24. Cité par al-Tirmidhî dans ses Sunan, n° 2069.
25. Ce rôle de khalîfa est abordé dans plusieurs versets du Coran, notamment les versets : 2, 30-33 ;
6, 165 ; 10, 14 et 38, 26.
26. Sur les aspects spirituels du travail, voir mon ouvrage intitulé Travail et spiritualité en islam,
éditions Tasnîm, Wattrelos, 2019.
27. Cité par Muslim dans son Sahîh.
28. Cité par Muslim dans son Sahîh.
29. Coran : 5, 1.
30. Coran : 6, 152.
CHAPITRE 9

LA SPIRITUALITÉ AU QUOTIDIEN

L’ancrage de la foi dans le quotidien est une des dimensions importantes


du vécu spirituel du fidèle. Sans cet ancrage, la foi risque de n’être qu’une
adhésion extérieure à une croyance, sans transformation du cœur. Or, la foi
n’est authentique, selon le Coran, que lorsqu’elle induit une véritable
élévation spirituelle : « Les Bédouins ont affirmé : “Nous avons la foi !”
Dis-leur  : “Vous n’avez pas encore la foi.” Dites plutôt  : “Nous nous
sommes soumis (ou  : Nous sommes entrés en islam)”, car la foi n’a pas
encore pénétré vos cœurs1. »

La question des interdits en islam


On entend parfois dire que le quotidien du fidèle musulman serait
déterminé par un grand nombre d’interdits. S’il existe bien certaines
interdictions religieuses en islam, leur nombre est cependant assez réduit.
Cela découle du principe juridique appelé par les oulémas al-ibâha al-
asliyya, la licéité originelle. Selon ce principe, le monde créé est, dans son
ensemble, une réalité positive. En ce sens, les interdits ne peuvent être que
des exceptions.
Certains interdits islamiques sont communs à ceux qui furent donnés à
Moïse : ne pas adorer de divinité en dehors de Dieu ; ne pas représenter
Dieu sous forme d’image ou de statue ; interdiction du vol, du meurtre et
de l’adultère  ; interdiction du porc, etc. Mais alors que le judaïsme
n’exclut le prêt usuraire qu’entre juifs2, l’islam l’interdit sans restriction :
« Ô vous qui croyez ! Faites preuve de piété envers Dieu et renoncez à ce
qui subsiste de l’usure, si vous êtes authentiquement croyants3. »
Il existe, bien entendu, des interdits propres à l’islam, comme la
consommation d’alcool : « Ô vous qui croyez ! Les boissons alcoolisées,
les jeux de hasard, les statues d’idoles et les flèches divinatoires ne sont
autres qu’une souillure diabolique. Fuyez-les  ! Puissiez-vous atteindre le
vrai bonheur4. »
Les principales interdictions alimentaires de l’islam sont contenues dans le
verset suivant : « Vous sont interdits à la consommation la bête morte, le
sang, la viande de porc, celle d’un animal immolé à d’autres divinités que
Dieu, la bête étranglée, assommée, morte d’une chute ou d’un coup de
corne, ou celle qui a été entamée par un carnassier – à moins qu’elle n’ait
été égorgée à temps –, ainsi que celle qui a été immolée sur un autel
païen5… »
Lorsqu’une pratique a été déclarée illicite par le Coran ou les hadiths, cela
ne signifie pas que celle-ci soit mauvaise en elle-même. Cela signifie
seulement qu’une telle pratique peut induire, chez beaucoup de fidèles, de
mauvaises attitudes. Ainsi, le port de vêtements de soie et les bijoux en or
ne sont pas permis aux hommes musulmans, alors qu’ils le sont pour les
femmes. Pour autant, la soie et l’or feront partie des parures dont se
revêtiront tous les croyants au Paradis. Il en est de même pour le vin. Bien
qu’illicite sur terre pour le fidèle, celui-ci pourra se délecter du vin céleste
dans l’Au-delà : « Voici l’image du Paradis promis aux pieux : il y coulera
des ruisseaux à l’eau toujours pure et limpide, des ruisseaux de lait à la
saveur inaltérable, des ruisseaux d’un vin délicieux à boire, des ruisseaux
d’un miel pur et distillé. Et des fruits de toutes sortes qui seront offerts aux
croyants, ainsi que le pardon de leur Seigneur6… »

La question vestimentaire et celle du « foulard


islamique »
À proprement parler, on ne peut pas dire que tel vêtement serait islamique
à l’exclusion des autres. C’est pourquoi, les tenues vestimentaires ont
toujours été très diverses d’une région du monde musulman à l’autre. Les
normes enseignées par l’islam sont très larges et peuvent être adaptées au
contexte culturel. Ces normes stipulent simplement – pour les hommes
comme pour les femmes – que le vêtement doit être ample et couvrir le
corps de l’encolure aux chevilles.
Le vêtement, comme toutes les formes dans lesquelles vit le croyant
(architecture, mobilier, décoration d’intérieur etc.), fait partie intégrante
des moyens spirituels qui peuvent nourrir et soutenir la foi. L’homme vit,
en effet, entouré de formes plus ou moins harmonieuses, lesquelles
participent à modeler son âme. En particulier, toutes les formes qui
accompagnent le rituel doivent être compatibles avec les attitudes
spirituelles que le croyant doit réaliser grâce aux rites  : l’humilité, le
détachement, l’aspiration à l’Au-delà, etc. Traditionnellement, les
vêtements recommandés pour la prière doivent être amples, parfaitement
propres et parfumés. Parmi les couleurs, le blanc est particulièrement
apprécié comme symbole de la pureté et de l’innocence.
Un passage du Coran appelle les fidèles à «  se revêtir de beauté  » en
particulier pour la prière  : «  Ô fils d’Adam  ! Revêtez-vous de beauté en
tout lieu de prière. Mangez et buvez mais ne soyez pas excessifs car Dieu
n’aime pas les excessifs. Dis  : “Qui donc a déclaré illicite la Beauté de
Dieu, celle qu’Il a rendue manifeste pour Ses serviteurs7… ?” »
Certains courants rigoristes ont développé une véritable allergie à tout ce
qui relève de la beauté, que celle-ci concerne le vêtement, l’architecture ou
la décoration des mosquées. Ils n’y voient que luxe inutile et attachement
mondain. Ce faisant, ils ne se rendent pas compte qu’ils agissent en
opposition directe au verset précédent…
Une des caractéristiques de notre époque est la place démesurée accordée
à la recherche de la beauté physique, entendue au sens le plus superficiel.
Soit. Mais étant rapporté à Dieu, l’amour de la beauté ne saurait
s’interpréter, dans ce verset, en un sens mondain et individualiste. Du
reste, un célèbre hadith enseigne l’origine divine de la beauté : « En vérité,
Dieu est Beau et Il aime la Beauté8. »
De nos jours, la question du «  foulard islamique  » est de celles qui
cristallisent les tensions. En France, cette question est entrée dans le débat
public depuis l’affaire dite du «  foulard de Creil  », en octobre 1989. Il
s’agit de l’exclusion de trois collégiennes refusant d’enlever leur foulard
(hijâb) pour entrer en classe.
D’un côté, se trouvent certains courants rigoristes de l’islam qui ne
considèrent pas le port du foulard par la musulmane pratiquante comme
une simple prescription parmi d’autres, mais comme une véritable
« condition d’islamité ». L’obligation pour les femmes de porter le foulard,
décrétée par les autorités religieuses d’Iran et d’Arabie saoudite, par
exemple, témoigne de cette attitude. De l’autre côté, certains font valoir
que le Coran n’évoque pas le fait de se couvrir les cheveux pour les
femmes musulmanes. À cela, viennent s’ajouter les discours de certains
acteurs de la vie médiatique française actuelle qui considèrent le port du
foulard non comme une démarche spirituelle mais comme une
revendication identitaire, voire un « étendard politique  ». Tout cela sème
beaucoup de confusion…
Que dit le Coran sur cette question ? Le Livre sacré de l’islam n’évoque le
sujet qu’à deux reprises :
«  … Dis aux croyantes qu’elles ramènent leur voile (khimâr) sur leur
encolure9… »
«  Ô Prophète, dis à tes épouses, à tes filles et aux épouses des croyants
qu’elles rabattent un pan de leur tunique (jilbâb) sur elles10… »
Le Coran, en effet, ne précise pas que la femme doit se couvrir les cheveux
car cela était une évidence à l’époque, et cette pratique était très largement
observée. En revanche, certaines femmes pouvaient laisser apparaître le
décolleté. Autrement dit, le voile était posé sur les cheveux et retombait de
chaque côté des épaules. C’est pourquoi le Coran se contente de préciser
qu’il leur faut rabattre un pan du voile ou de la tunique sur leur poitrine.
Certaines confusions proviennent également du fait de considérer le port
du foulard par les croyantes comme une disposition sociale visant à ne pas
séduire les hommes. Or, se couvrir les cheveux est avant tout une façon de
sacraliser le corps et de marquer la consécration à Dieu. Ainsi, la croyante
qui désire accomplir la prière se couvre les cheveux même si elle est
parfaitement seule. Comme dans le christianisme, dans lequel le port du
voile marque l’entrée au couvent et symbolise la consécration à Dieu, le
port du foulard en islam est avant tout une démarche spirituelle.
Du reste, il est recommandé également aux hommes de se couvrir les
cheveux, même si la prescription est moins forte dans leur cas. D’où le
port de la chéchia ou du turban, pratique qui est encore très répandue
aujourd’hui dans le monde musulman.
Apprendre de chaque situation
Le Coran revient inlassablement sur les signes de Dieu dans le monde
créé. Les expressions comme «  il y a en ceci des signes pour ceux qui
méditent  » et «  il y a en ceci des signes pour ceux qui sont doués
d’intelligence profonde » reviennent plusieurs dizaines de fois. C’est donc
une nécessité pour le croyant d’apprendre à déchiffrer les signes de Dieu,
en particulier les événements qu’il est amené à vivre  : «  Béni soit Celui
qui détient la souveraineté et qui est Puissant sur toute chose. Il a créé la
mort et la vie pour vous éprouver et connaître ceux d’entre vous qui se
conduisent le mieux. Il est le Tout-Puissant, Celui qui pardonne11. »
Pour le croyant, les événements n’ont rien de fortuit  : il n’y a pas de
hasard, il n’y a que des choix divins. Mais les choix divins concernant
chaque être humain ne procèdent pas d’une volonté arbitraire puisque
Dieu consent à s’adapter à l’orientation intérieure de chacun  : «  Dieu,
Puissant et Majestueux, a dit  : “J’agis en conformité avec ce que Mon
serviteur pense que Je ferai : s’il pense que J’agirai en sa faveur, cela lui
sera profitable, et s’il pense que J’agirai en sa défaveur, cela lui sera
préjudiciable12.” »
C’est ainsi que le croyant cherchant à mettre du sens sur chaque aspect de
sa vie peut faire progressivement l’acquisition de la sagesse : « Il donne la
sagesse à qui Il veut, et certes, celui à qui la sagesse a été donnée bénéficie
d’un grand bien. Ceux doués d’une profonde intelligence sont les seuls à
s’en souvenir13. » Ainsi, la diversité des convictions, des religions et des
orientations spirituelles peut troubler le croyant s’il s’enferme dans un
exclusivisme partisan ou, au contraire, être pour lui une source
d’enrichissement et d’approfondissement de la foi s’il en saisit la raison
d’être. Le Coran affirme avec force que la diversité humaine est voulue de
Dieu, ce qui a souvent été oublié des musulmans par le passé comme
aujourd’hui  : «  Pour chaque communauté d’entre les vôtres, Nous avons
institué une voie et établi une règle de conduite qui lui est propre. Et si
Dieu l’avait voulu, Il aurait fait de vous une seule et même communauté ;
mais Il a voulu vous éprouver pour voir l’usage que chaque communauté
ferait de ce qu’Il lui a donné. Rivalisez donc d’efforts dans
l’accomplissement de bonnes œuvres, car c’est vers Dieu que vous ferez
tous retour, et Il vous éclairera alors sur l’origine de vos différends14. »
Sortir grandi des épreuves
De nombreux passages du Coran insistent sur le rôle des épreuves dans la
clarification intérieure du croyant  : «  Les hommes s’imaginent-ils qu’on
les laissera dire : “Nous avons la foi” sans les mettre à l’épreuve ? Nous
avons déjà mis à l’épreuve ceux qui les ont précédés. Dieu connaît
parfaitement ceux qui disent la vérité et ceux qui ne font que mentir15. »
Un Compagnon nommé Abû Sa‘îd al-Khudrî demanda au Prophète qui
sont les personnes les plus éprouvées sur terre. La réponse fut  : «  Les
prophètes, puis ceux qui possèdent la connaissance, puis les personnes de
haute vertu (al-sâlihûn)16. »
Cette énumération, qui peut étonner, se comprend lorsqu’on la rapproche
d’un autre enseignement du Prophète  : «  Lorsque Dieu aime des
personnes, Il les éprouve17. »
Dès lors que les épreuves sont des signes de l’amour de Dieu pour le
croyant, celui-ci doit apprendre à changer son regard sur les difficultés
qu’il peut rencontrer  : «  N’est pas un croyant accompli quiconque ne
considère pas l’épreuve comme une grâce et l’aisance comme un
malheur18. »
Selon ce hadith, la foi ne saurait être entièrement réalisée que par celui qui
considère chaque événement qu’il est amené à vivre sous l’angle de la
progression spirituelle. Dans cette perspective, l’épreuve sera ressentie
comme une grâce parce qu’elle permet une victoire sur l’ego. L’épreuve
est alors acceptée sans amertume, même si elle peut être difficile à vivre
au quotidien.
Parce qu’elle bouscule l’ego, l’épreuve peut être une occasion de
libération intérieure. C’est pourquoi un verset, se répétant dans deux
sourates, affirme  : «  Ceux qui se préservent de leur propre égocentrisme
(shuhh), voilà ceux qui sont les bienheureux19. »
Il faut préciser ici que Dieu peut éprouver par la difficulté mais également
par la facilité : « Ne porte pas tes regards vers les jouissances éphémères
que nous avons accordées à certains groupes d’entre eux. Ce ne sont que
les parures de la vie de l’ici-bas au moyen desquelles Nous les éprouvons
alors que le don de ton Seigneur est préférable et plus durable20. »
Face à chacun des deux types d’épreuves, le croyant doit cultiver une
vertu  : lorsqu’il est éprouvé par la difficulté, il doit faire preuve de
patience (sabr), et lorsqu’il est éprouvé par la facilité, il doit faire preuve
de gratitude (shukr).

Aimer Dieu à travers toutes les créatures


Dans l’Arabie du VIIe siècle, la solidarité à l’intérieur de la tribu
déterminait tous les liens sociaux. Soutenir les membres de la tribu, qu’ils
aient raison ou tort, primait sur toute autre considération morale. C’est
pourquoi le Coran invite les croyants à changer d’attitude : « Ô hommes !
Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle, et Nous vous avons
répartis en peuples et en tribus dans le but que vous appreniez à vous
entre-connaître. En vérité, le plus noble d’entre vous auprès de Dieu est
celui qui est le plus pieux21. »
Le terme rahma, utilisé dans le Coran pour désigner la Miséricorde divine,
évoquait surtout les liens du sang (silat al-rahim) dans la culture arabe de
l’époque. L’éducation spirituelle que donna le Prophète aux croyants
autour de lui consistait, entre autres choses, à les faire passer du tribalisme
à une fraternité universelle : « Vous ne posséderez pas la foi tant que vous
ne ferez pas preuve de miséricorde entre vous. Ils dirent : “Ô Envoyé de
Dieu, nous le faisons tous.” L’Envoyé de Dieu reprit : “Il ne s’agit pas des
liens du sang qui vous lient aux membres de votre famille, mais il s’agit de
la miséricorde pour tous les hommes, la miséricorde pour tous les
êtres22.” »
Mais pour le Prophète, la fraternité doit dépasser le cadre confessionnel.
C’est ainsi qu’en voyant un convoi mortuaire, le Prophète se leva en signe
de respect. On lui dit alors que le défunt était juif, et il répondit : « N’est-
ce pas là une âme humaine23 ? »
Ainsi, l’amour de Dieu que porte en son cœur le croyant l’amène à un
sentiment de fraternité humaine. Mais cet amour peut encore rayonner au-
delà et s’étendre à tous les êtres vivants.

La compassion envers les animaux


Le Prophète eut à sensibiliser ses Compagnons qui, lors d’un voyage avec lui,
trouvèrent un nid contenant un oiseau et ses deux petits. Ils prirent les petits en
l’absence de la mère, et celle-ci revint peu après, battant des ailes. Lorsque le
Prophète vint vers ses Compagnons, il vit la scène et dit alors  : «  Qui a effrayé
cette mère en la séparant de ses petits ? Rendez-les-lui24 ! »

Finalement, tout ce qui précède nous aura aidés à comprendre que, dans le
cadre de la spiritualité islamique, l’amour ne saurait se réduire à un pur
sentimentalisme. L’amour spirituel, en effet, est intimement lié à la
connaissance spirituelle. La connaissance du Créateur nous amène à
L’aimer, et cet amour nous amène à aimer Ses créatures. En retour, qui
aime les créatures de Dieu sera aimé du Créateur, et il lui sera permis de
Le connaître plus profondément. Il y a là un cercle vertueux de première
importance.
Décrivant la réciprocité entre l’amour et la connaissance dans les
enseignements spirituels de l’islam, Titus Burckhardt écrit  : «  La
connaissance de Dieu engendre toujours l’amour, et l’amour présuppose
une connaissance – au moins indirecte et par reflet – de l’objet aimé.
L’amour spirituel a pour objet la Beauté divine, qui est un aspect de
l’Infinité  ; par cet objet, le désir devient lucide… C’est par son objet, la
Beauté, que l’amour coïncide virtuellement avec la connaissance25. »
Terminons cette évocation de l’importance de l’amour en islam par un
hadith qui affirme que la foi n’est authentique que si elle devient le point
de rencontre entre la dimension verticale de l’amour de Dieu et la
dimension horizontale de l’amour d’autrui : « Dès lors que deux individus
s’aiment en Dieu, le plus aimé par Dieu est celui qui possède le plus grand
amour pour l’autre26. »

1. Coran : 49, 14.


2. Voir Deutéronome : 23, 19.
3. Coran : 2, 278.
4. Coran : 5, 90.
5. Coran : 5, 3.
6. Coran : 47, 15.
7. Coran : 7, 31-32.
8. Muslim, Sahîh, n° 147.
9. Coran : 24, 31.
10. Coran : 33, 59.
11. Coran : 67, 1-2.
12. Cité par Ibn Hanbal dans son Musnad, n° 9199.
13. Coran : 2, 269.
14. Coran : 5, 48.
15. Coran : 29, 2-3.
16. Cité par al-Hâkim dans son Mustadrak, n° 119.
17. Cité par al-Suyûtî dans al-Jâmi‘ al-saghîr, n° 354.
18. Cité par al-Suyûtî dans al-Jâmi‘ al-saghîr, n° 7596.
19. Coran : 59, 9 et 64, 16.
20. Coran : 20, 131.
21. Coran : 49, 13.
22. Cité par al-Hâkim dans al-Mustadrak, n° 7310.
23. Cité par al-Bukhârî dans son Sahîh, n° 1324.
24. Cité par Abû Dawûd dans al-Sunan, n° 2675.
25. Titus Burckhardt, Introduction aux doctrines ésotériques de l’Islam, éditions Dervy, Paris, 1985,
p. 43-44.
26. Cité par Ibn Hibbân dans son Sahîh, n° 566.
INDEX GÉNÉRAL

A
‘Abd Allâh ibn ‘Umar 34, 179
‘Abd al-Salâm Sahnûn 58
Abdelkader (émir) 88
‘Abduh, Muhammad 91
Abel 124
Abraham (Ibrâhîm) 12, 25, 109, 136, 151, 161, 164, 165
Abû Bakr 30, 31, 35, 40, 49, 54
Abû Damdam 143
Abû Dâwud 46
Abû Dharr al-Ghifârî 36, 65
Abû Hanîfa al-Nu‘mân 56
Abû Hurayra 34, 44
Abû l-Dardâ’ 85, 86
Abû Mûsâ al-Ash‘arî 41, 85
Abû Tâlib 22, 24
adab al-ikhtilâf (éthique du désaccord) 118
Afghânî, Jamal al-Dîn al- 91
Aguéli, Ivan 92
Ahl al-suffa (les « Gens de la Banquette ») 65
‘Â’isha 29, 34, 35, 55, 177
âkhira, al- (l’Au-delà) 114
Âl al-Bayt (La Famille du Prophète) 33
‘Alawî, Ahmad al- 88, 96
Algérie 11, 61, 84
‘Alî ibn Abî Tâlib 33
Âmolî, Haydar 79
Anas ibn Mâlik 36, 46
‘aqîda (credo) 67
‘aql (raison, intellect) 71
Arabie 20, 24, 28, 54, 61, 83, 89, 102, 103, 108, 111, 143, 157, 175,
177, 186, 191
Aristote 77, 78, 79
arkân al-islâm (piliers de l’islam) 56, 149
Arménie 40
Ash‘arî, Abû l-Hasan al- 70, 71
Avicenne (Ibn Sînâ) 76, 77

B
Badr 27, 120
Bagdad 60, 67, 71, 73, 74, 75, 76, 84
Bannâ, Hasan al- 92
baraka (bénédiction, influx spirituel) 62, 89
Basrî, al-Hasan al- 36, 65, 67
Bassora 35, 36, 41, 42, 65, 67, 70
Bibliander, Théodore 9
bid‘a (innovation) 88
birr (fidélité pieuse) 137, 156
Bosnie 127
Bouddha 111
Bukhârî, Muhammad ibn Ismâ‘îl al- 45, 46, 58
Burckhardt, Titus 81, 93, 192
Bûsîrî, Sharaf al-Dîn al- 83

C
Caïn 124
chiisme 33, 46, 49, 50, 61, 79, 91
Chodkiewicz, Michel 94
chrétiens 9, 90, 122, 157
Compagnons (sahâba) 22, 27, 28, 30, 32, 33, 34, 35, 36, 39, 40, 44,
46, 49, 50, 55, 58, 65, 85, 86, 102, 105, 116, 119, 120, 122, 130,
134, 141, 143, 154, 178, 192
Confucius 111
Constantinople 84

D
Dahhâq ibn Muzâhim, al- 125, 126
da‘îf (hadith faible) 47
Damas 32, 41, 74, 77, 81, 83, 86, 126
Darqâwî, al-‘Arabî al- 88, 96
David 109
Dhât (Essence divine) 106
dhikr (invocation) 168
Dihya al-Kalbî 108
du‘â’ (imploration) 153, 166

E
Égypte 12, 32, 58, 60, 84, 91, 92, 94, 157
Empire byzantin 20

F
fanâ’ (extinction de l’ego) 102
Fârâbî, al- 77
Farghânî, al- 74
fath (illumination du cœur) 71
Fâtima (fille du Prophète) 22, 33, 177
Fihriyya, Fâtima al- 86
fiqh (Droit islamique, jurisprudence) 45, 52, 54, 55, 56, 57, 58, 59,
61, 85
fitra (pureté originelle) 150
Frédéric II 10

G
Gabriel (Jibrîl) 23, 25, 38, 39, 105, 108, 152, 178
Gandhi 126, 127
Ghazâlî, Abû Hâmid al- 36, 62, 66, 72, 78, 79, 96, 102, 132, 150,
160, 161, 162, 163
ghusl (ablution majeure) 151
Gibran, Khalil 91
Goethe 10
Görke, Andreas 20
Guénon, René 92, 94

H
hafaza (anges gardiens) 109
Hafez 11
Hafsa 31, 40, 41
Hammâm ibn Munabbih 44
Hamza 27, 120
haqîqa (vérité, dimension ésotérique) 62
harb (guerre) 118, 119
Hârûn al-Rashîd 84
hasan (hadith validé) 47
hijâb (foulard, voile) 186
Hind 120
Hirâ’, grotte de 22, 23, 31, 38
Hishâm ibn ‘Urwa 55, 57
Hûd 111
Hudaybiyya 27, 65
Hudhayfa ibn al-Yamân 40
Hunayn Ibn Ishâq 77

I
‘ibâdât (règles cultuelles, actes d’adoration) 56
ibâha (licéité originelle) 183
Ibn ‘Abbâs 34, 36, 42
Ibn Abî Zayd al-Qayrawânî 58, 107
Ibn ‘Arabî 66, 79
Ibn ‘Âshir, ‘Abd al-Wâhid 82
Ibn ‘Atâ’ Allâh 167
Ibn Bâbawayh 46
Ibn Hanbal, Ahmad 45, 60, 61, 69, 70, 140
Ibn Hishâm 20
Ibn Ishâq 20
Ibn Khaldûn 65, 85
Ibn Mâjah 46
Ibn Mas‘ûd 36, 41, 42, 86
Ibn Nadîm 42
Ibn Qudâma 61
Ibn Rushd (Averroès) 79
Ibn Taymiyya 88, 89
‘Îd al-adhâ (fête du sacrifice) 164, 165
‘Îd al-fitr (fête de la rupture du jeûne) 163, 164
ihsân (excellence, vertu parfaite) 63, 105, 132, 180
ijmâ‘ (consensus des savants) 55
ijtihâd (effort d’interprétation) 54, 91
ikhbât (paix du cœur) 169
ikhlâs (pureté d’intention) 139, 140
îmân (foi) 105
Imrû l-Qays 82
Inde 14, 50, 82
Irak 32, 35, 50, 57, 60
Iran 11, 50, 186
Isaac (Ishâq) 136
islâm (soumission à la Volonté divine) 42, 105
Ismaël (Ismâ‘îl) 161, 164
isnâd (chaîne de transmission) 46
Isrâfîl 108

J
Jacob (Ya‘qûb) 136
Ja‘far al-Sâdiq 50, 57, 61
Jean le Baptiste (Yahyâ) 81
Jérusalem 25, 30, 32, 81, 154
Jésus 12, 13, 25, 109, 110
jihâd (effort, djihad) 118, 137
Jîlânî, ‘Abd al-Qâdir al- 67, 89
jilbâb (tunique) 187
Jubbâ’î, Abû ‘Alî al- 70
juifs 26, 122, 157, 184
Jum‘a, ‘Alî 94
Junayd, al-Baghdâdî al- 63, 65, 83

K
Kaaba 21, 25, 40, 81, 82, 149, 162, 163
Kalâbâdhî, al- 72
karam (générosité) 136
kashf (dévoilement initiatique) 102
Ketton (de), Robert 9
Khan, Gengis 84
Khan, Houlagou 84
Khâtim al-nabiyyîn (Sceau des prophètes) 19, 104
khatt al-‘arabî, al- (calligraphie arabe) 80
khimâr (voile) 187
khushû‘ (recueillement) 155
khutbat al-wada‘ (Sermon d’adieu) 29
Kindî, al- 77
Koufa 36, 41, 55, 56, 57, 77, 85, 86
Krishna 111
Kulaynî, Muhammad ibn Ya‘qûb al- 46
Kumayl ibn Ziyâd 51

L
Lamartine 11
La Mecque 20, 21, 22, 23, 24, 25, 27, 28, 30, 31, 35, 36, 56, 59, 84,
85, 119, 123, 143, 154, 156, 161, 162, 165
Lao Tseu 111
Laylat al-qadr (Nuit de la Détermination) 159
Le Caire 41
Lings, Martin 94
Loth (Lût) 136
Lulle, Raymond 10

M
madhhab, pl. madhâhib (Écoles juridiques) 54
Maghreb 58, 87
Mahmûd, ‘Abd al-Halîm 94
Mahmutćehajić, Rusmir 127
Maïmonide 86
malak, pl. malâ’ika (ange) 108
Mâlik ibn Anas 55, 57, 59
Ma‘mar ibn Râshid 45
Ma’mûn, al- 69, 73
Marie (Maryam) 13, 110
Maroc 82, 92
Marrakech 96
mathal, pl. amthâl (symbole, parabole) 43, 113
Mâturîdî, al- 71
Mâwardî, al- 86
mawdû’ (hadith apocryphe) 47
Médine 26, 27, 32, 34, 36, 39, 40, 55, 57, 58, 59, 65, 82, 85, 86, 105,
108, 119, 120, 122, 123, 137, 154, 156, 157, 178
mihna (persécution) 69
Mîkâ’îl (Michel) 108
mi‘râj (Ascension) 25, 152
Moïse (Mûsâ) 13, 20, 25, 109, 135, 152, 157, 183
Mollâ Sadrâ 80
Motzki, Harald 20, 42
mu‘âmalât (relations interpersonnelles) 56
Mu‘âwiya 61, 83, 85
Muhammad ibn ‘Abd al-Wahhâb 89
Munâwî, al- 97, 140, 169
Mundhirî, al- 48
murîd (disciple) 64
murshid (guide spirituel) 64
Musabbib al-asbâb (Causateur des causes) 135
Mus‘ab ibn ‘Umayr 39
Musaylima 40
Muslim ibn al-Hajjâj 46
Muslim ibn Khâlid al-Zanjî 59
Mustafa Kemal 84
Mutawakkil, al- 70
Mutazilisme 68, 69, 70

N
Nâfi‘ 57, 58
nafs (âme) 172
Nakha‘î, Ibrâhîm al- 55
Naqshaband, Bahâ’ al-Dîn 67
Nasâ’î, al- 46
Nasr, Seyyed Hossein 49, 94
Nawawî, al- 48, 60
Nerval (de), Gérard 11

O
Occident 9, 11, 76, 77, 79, 90, 93, 94, 137, 175, 176

P
Perse 20, 32, 50, 79

Q
qâdî (juge, cadi) 85
qitâl (combat) 118
qiyâs (raisonnement par analogie) 55, 57, 59
Qurayshites 21, 27, 35, 119
Qutb, Sayyid 126

R
Râbi‘a al-‘Adawiyya 65
Rahîm, (Très-Miséricordieux) 107, 141
rahma (miséricorde) 178, 191
Rahmân, (Tout-Miséricordieux) 106, 108, 141, 143
rak‘a (cycle de la prière) 153
Rama 111
rasûl, pl. rusul (messagers ou envoyés de Dieu) 111
ra’y (opinion individuelle) 55, 57
Râzî, Abû Bakr 76
Râzî, Fakhr al-Dîn al- 144
ridâ (contentement) 131
Ridâ, Rashîd 91, 92
ridda (apostasie) 53
Rifâ‘î, Ahmad al- 67
rifq (bienveillance) 142
rûh (esprit) 172
Ryer (du), André 9

S
sabr (patience, persévérance) 132, 190
sahîh (hadith authentifié) 47
Sa‘îd ibn al-Musayyib 36
Saïd, Jawdat 126, 127
Sakîna (Paix divine) 28, 168
salât pl. salawât (prière) 152, 166
Sâlih 111
Samarcande 71
Schoeler, Gregor 20
Schuon, Frithjof 93, 172, 176
Shâdhilî, Abû l-Hasan al- 67
Shâfi‘î, Muhammad ibn Idrîs al- 59, 60, 96, 140
shahâda (Profession de foi) 13, 93
Shâh Walî Allâh 96
sharî‘a (Loi sacrée, charia) 51, 52, 53, 54, 62
sharîf, pl. shurafâ’ (descendants du Prophète) 33
shirk (associationnisme) 89, 101, 102
shuhh (égocentrisme) 190
shukr (gratitude) 133, 190
Shurunbulâlî, Hassân ibn ‘Ammâr al- 57
sidq (véracité) 139
sifa (Attributs divins) 68, 79, 80, 141
silsila (lignée des maîtres soufis) 62
Sirhindî, Ahmad al- 96
Soliman Ier 84
Soudan 58
soufisme 11, 63, 64, 65, 66, 71, 72, 79, 82, 83, 88, 89, 92, 94, 165,
170
Sufyân ibn ‘Uyayna 59, 60
sujûd (prosternation) 153
Sunna 44, 49, 51, 54, 95, 97, 180
sunnisme 49, 50, 56, 61, 87, 91, 92
Suyûtî, Jalâl al-Dîn al- 39, 96, 97, 166
Sylvestre II 86
Syrie 21, 36, 60, 126

T
Tabarî, al- 173, 175
Tâbi‘ûn (Suivants) 36
Tâ’if 24
tajdîd (renouveau spirituel) 95
tajwîd (psalmodie du Coran) 80
takâthur (désir d’accumulation) 130
tanzîh (transcendance de Dieu) 68
taqwâ (piété) 157
tashbîh (immanence de Dieu ; anthropomorphisme) 89
tawâf (tournées rituelles) 162
tawakkul (confiance en Dieu) 135
tawhîd (unicité divine) 68, 72
ta’wîl (interprétation symbolique) 68
Tayâlisî, Abû Dâwud al- 45
tayammum (ablution sèche) 150
Tayyib, Ahmad 94
Tchad 58
thabât (ferme constance) 132
Tirmidhî, al- 46, 106
Tlemcen 84
Tûsî, Muhammad 46

U
Ubayy ibn Ka‘b 41
Uhud 27, 120
‘Umar ibn al-Khattâb 31, 32
‘umra (petit pèlerinage) 27
‘Urwa ibn Zubayr 35, 55
uswa hasana (modèle excellent) 104
‘Uthmân ibn ‘Affân 32

V
Vénérable (le), Pierre 9

W
wajal (frémissement) 169
Waraqa ibn Nawfal 23
Wâsil ibn ‘Atâ’ 67
wudd (amour constant) 143
wudû’ (ablution mineure) 150

Y
Yathrib 25, 26
Yémen 21, 60

Z
zakât (aumône légale) 54, 155, 156
Zaydan, Jorge 91
Zayd ibn Thâbit 40
zindîq (hérétique) 54
Zoroastre 111
Zuhayr ibn Abî Sulmâ 82
zuhd (détachement) 130
BIBLIOGRAPHIE ESSENTIELLE

L’islam
Du Pasquier Roger, Découverte de l’islam, éditions du Seuil, 1984.
Nasr Seyyed Hossein, Islam. Perspectives et réalités, éd. Tasnîm, 2018.

Traductions du Coran
Le Noble Coran, traduit par Mohamed Chiadmi, éd. Tawhid, 2004.
Le Coran, traduit par Dominique Penot, éd. Alif, 2007.

L’exégèse du Coran
Godin Asma, Les sciences du Coran, éd. Al Qalam, 2012.
Chouiref Tayeb, Citations coraniques expliquées, éd. Eyrolles, 2015.
al-Ghazâlî, Lire et comprendre le Coran, éd. Tasnîm, 2014.
Lory Pierre, Les Commentaires ésotériques du Coran, éd. Les Deux
Océans, 1980.

La vie du Prophète
Lings Martin, Le Prophète Muhammad. Sa vie d’après les sources les plus
anciennes, Paris, 1986.
Hamidullah Muhammad, Le Prophète de l’islam. Sa vie, son œuvre, éd.
A.E.I.F., 1980.

Le Hadith
Brown Jonathan A. C., Le Hadith. L’héritage du prophète Muhammad, des
origines à nos jours, éd. Tasnîm, 2019.
Chouiref Tayeb, Les Enseignements spirituels du Prophète, éd. Tasnîm,
2021.

La théologie
al-Râzî Fakhr al-Dîn, Traité sur les Noms divins, éd. Dervy, 1988.
Gardet Louis et Anawati Georges, Introduction à la théologie musulmane,
éd. Vrin, 1970.

Le Droit islamique
Toualbi Issam, Introduction historique au droit musulman, éd. AlBouraq,
2013.
al-Qayrawânî Abû Zayd, La Risâla, ou Épître sur les éléments du dogme
et de la loi de l’islam selon le rite malikite, trad. fr. par Léon Bercher,
éd. Jules Carbonel (Alger), 1948. (Il existe aujourd’hui de nombreuses
rééditions.)

Le soufisme
Lings Martin, Qu’est-ce que le soufisme ?, éd. du Seuil, 1977.
Burckhardt Titus, Introduction aux doctrines ésotériques de l’Islam, éd.
Dervy, 1985.
Nasr Seyyed Hossein, Le Jardin de la Vérité, éd. Tasnîm, 2017.
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