Résumé
La surdité est le handicap sensoriel le plus fréquent. Affectant un enfant sur 1000 naissances, la surdité peut être d’origine
génétique ou environnementale. Les formes génétiques, représentant environ deux tiers des cas, sont en très grande majorité
des maladies monogéniques. Elles sont extrêmement hétérogènes, aussi bien sur le plan clinique que génétique. Tous les
modes de transmission génétique peuvent être observés : autosomique dominant ou récessif, lié à l’X, lié à l’Y ou lié à l’ADN
mitochondrial. Dans les formes de surdité dite isolées, un gène est largement prédominant dans la majorité des pays, celui de la
connexine 26 (appelé GJB2), responsable de la forme de surdité autosomique récessive DFNB1. Une des mutations de ce gène,
appelée 35delG, est largement prédominante (70 % des mutations détectées), ce qui en fait, avec la mutation delta F508 du
gène CFTR de la mucoviscidose, la mutation pathogène humaine la plus fréquente connue à ce jour. Les surdités peuvent aussi
être associées à divers déficits fonctionnels ou malformations affectant différents organes. Plusieurs centaines de syndromes
avec surdité ont été décrits. Certains doivent être recherchés systématiquement en raison de leur fréquence, de leur
présentation possible comme une surdité isolée ou de la possibilité d’un traitement médical spécifique.
ß 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Abstract
Hearing loss is the most common sensory disability with an incidence of one over 1000 newborns. Hearing loss may be
caused by environmental and genetic factors; inherited causes are assumed in two thirds of cases. There is a great clinical
and genetic heterogenicity. All inheritance modes have been described. Mutations in the GJB2 gene, which encodes
connexin 26, are mainly responsible for sensorineural deafness resulting in prelingual non syndromic autosomal recessive
phenotypes DFNB1. The 35delG mutation of this gene is very frequent (70% of the cases). Thus, 35delG is, with the delta
F508 mutation of the CFTR gene, the most frequent human pathogenic mutation known. Hearing loss might also be
associated with other clinical features. Some of these syndromes, including hearing loss, have to be looked for
systematically because of their frequency, of their possible clinical presentation as an isolated hearing loss and of the
possibility of a medical treatment.
ß 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
La surdité est le handicap sensoriel le plus fréquent. On surdités moins importantes et celles apparaissant secondaire-
considère qu’un enfant sur 1000 présente une surdité sévère ment. La surdité peut être d’origine génétique ou environne-
ou profonde à la naissance [1]. À ce chiffre, il faut ajouter les mentale. Les principales causes de surdité environnementale
(méningites bactériennes notamment à pneumocoque,
embryofœtopathies [CMV], traumatismes sonores, exposition
* Auteur correspondant. ototoxique, labyrinthite. . .) représentent 20 à 30 % de la
Adresse e-mail : marion.blanchard@trs.aphp.fr (M. Blanchard). totalité des surdités ; cette proportion est en nette diminution
0929-693X/$ see front matter ß 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
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dans les études les plus récentes. La génétique des surdités cliniquement). Ces loci se répartissent de la façon suivante :
neurosensorielles s’est développée de façon explosive depuis DFNA1 à 64, DFNB1 à 95, DFNX1 à 5, DFNY. Au sein de ces
15 ans. Parmi les causes génétiques, environ la moitié a une loci, 60 gènes sont identifiés, auxquels on peut ajouter sept
cause génétique reconnue, soit par l’intégration dans un mutations du génome mitochondrial [3].
syndrome (environ 10 % de l’ensemble des surdités congéni- Un gène est largement prédominant dans la majorité des
tales), soit par l’existence de cas familiaux de surdité (environ pays, celui de la connexine 26 (appelé GJB2) [4] responsable de
25 %) ; l’autre moitié est composée de cas sporadiques de la forme de surdité autosomique récessive DFNB1. DFNB1 est
surdité (un seul enfant sourd, famille normoentendante), qui une surdité de perception congénitale non progressive,
sont en majorité des formes génétiques autosomiques pouvant être de tous degrés, mais le plus souvent profonde,
récessives [2]. avec des courbes audiométriques plates ou descendantes. Les
Les formes génétiques sont en très grande majorité des épreuves vestibulaires caloriques et le scanner des rochers sont
maladies monogéniques. L’atteinte d’un seul gène est en cause normaux.
dans chaque forme de surdité et la déficience auditive est due, DFNB1 rend compte de près de 60 % des surdités non
en général, à une atteinte cochléaire, en dehors de quelques syndromiques congénitales autosomiques récessives et 30 à
formes de neuropathies auditives génétiques et de rares 40 % des cas sporadiques (enfant sourd sans aucun antécédent
syndromes avec surdité d’origine centrale. de surdité familial) en France [5]. Dans 50 % des cas, la surdité
Les surdités génétiques sont des pathologies extrêmement de perception est profonde ; elle est sévère ou moyenne pour
hétérogènes, aussi bien sur le plan clinique que génétique. l’autre moitié des cas. Elle est généralement non progressive.
Sémiologiquement, on distingue les surdités survenues avant ou Une des mutations de ce gène, appelée 35delG, est largement
après l’apparition du langage, on dit alors qu’elles sont pré- ou prédominante (70 % des mutations détectées). Les porteurs
postlinguales. La sévérité de la surdité est classée par le Bureau hétérozygotes (normoentendants) de cette mutation sont très
international d’audiophonologie (BIAP) en fonction de la perte fréquents dans la population générale, entre 2,5 et 4 % de la
tonale : légère (21 à 40 dB), moyenne (41 à 70 dB), sévère (71 à population en Espagne et Italie et 2 % aux États-Unis. En
90 dB) et profonde (91 à 120 dB). L’âge du diagnostic et le conséquence, la mutation 35delG du gène GJB2 de la
retentissement sur le développement du langage sont, bien sûr, connexine 26 est, avec la mutation deltaF508 du gène CFTR
différents en fonction de la sévérité de la surdité. On décrit responsable de la mucoviscidose, la mutation pathogène
également le caractère stable, évolutif (avec dégradation humaine la plus fréquente connue à ce jour. Le diagnostic
progressive) ou fluctuant. Tous les modes de transmission moléculaire de mutations du gène de la connexine 26 est
génétique peuvent être observés. Le mode de transmission demandé en routine par les généticiens : au terme du bilan
permet de classer les loci de surdités génétiques dont la étiologique visant à éliminer une pathologie ou malformation
nomenclature est la suivante : autosomique récessif (DFNB), associée, la mise en évidence de mutations de GJB2 devant un
autosomique dominant (DFNA), lié à l’X (DFNX), mitochondrial cas sporadique de surdité congénitale permet d’affirmer le
(DFNM), et même lié à l’Y (DFNY) [3]. caractère génétique de la surdité et d’informer les familles du
Les gènes affectés codent pour une grande variété de risque de récurrence (25 %) pour les futures naissances, mais
protéines : protéines des jonctions communicantes (GJB2, aussi sur les faibles risques d’aggravation de la surdité dans cette
GJB6. . .), protéines des jonctions serrées (CLDN14, TJP2. . .), forme, non évolutive dans la grande majorité des cas. De plus,
protéines de structure (MYO7A, ACTG1, CDH23, COL11A1, dans certaines formes familiales, le diagnostic moléculaire de
MYH14. . .), canaux et transporteurs (SLC26A4, KCNQ4, mutations de GJB2 peut permettre de préciser un mode de
KCNQ1, SLC29A3. . .), facteurs de transcription (POU3F4, transmission peu clair.
POU4F3, GATA3, TFCP2L3. . .), enzymes (PRPS1, LRTOMT), Un deuxième gène est fréquemment en cause, estimé à 5 à
facteurs de croissance (HGF), ARN ribosomal (MTRNR1), 6 % des enfants sourds, celui de la pendrine (SLC26A4) [6,7]. La
ARN de transfert (MTTS1, MTTL1. . .), rôle inconnu (COCH, surdité s’appelle DFNB4. Elle ressemble en tous points à celle
WFS1. . .) et même microARN (miR-96). du syndrome de Pendred dû au même gène (progressive ou
Lorsqu’elle appartient à un syndrome, la surdité peut être fluctuante, malformation de l’oreille interne de type dilatation
associée à divers déficits fonctionnels ou malformations. Le de l’aqueduc du vestibule et/ou dilatation cochléovestibulaire)
vestibule, la peau, l’œil, le pancréas, le cœur, la thyroïde, le mais reste isolée c’est-à-dire sans atteinte thyroïdienne.
système nerveux central, les dents, la parathyroïde, le rein et le La reconnaissance des surdités DFNB4 est importante pour
squelette peuvent être affectés, ainsi que la fonction gonadique, le conseil génétique, mais aussi pronostique, car leur évolutivité
le métabolisme, le système immunitaire, les cellules prévisible peut aider l’orientation éducative et faire prendre des
sanguines. . . précautions vis-à-vis des microtraumatismes (certains sports,
barotraumatismes) chez ces enfants. L’imagerie des rochers est
1. LES SURDITÉS NON SYNDROMIQUES l’élément fondamental pour rattacher une surdité isolée à une
anomalie du gène de la pendrine.
Dans ces formes de surdité sans maladie ou malformation Un troisième gène rend compte d’une forme très
associée, on estime à près de 120 le nombre de gènes particulière de surdité liée à l’X : le gène POU3F4, responsable
localisés sur les chromosomes humains (responsables un à un de la surdité DFNX2 [8]. La surdité de perception
de formes de surdité parfois impossibles à différencier s’accompagne d’une part transmissionnelle importante. Le
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scanner des rochers permet de mettre en évidence dans l’oreille interne (dilatation de l’aqueduc du vestibule, cochlée
ce syndrome une dilatation majeure du conduit auditif interne incomplète de type « Mondini ») de façon constante.
ainsi qu’une dilatation cochléovestibulaire et surtout une
disparition de la segmentation osseuse de la cochlée (modiolus) 2.3. Syndrome de Jervell et Lange Nielsen
qui donne l’impression que le conduit auditif interne se jette à
plein canal dans la cochlée. La stapédectomie, qui entraînerait Le syndrome de Jervell et Lange Nielsen associe une surdité
un geyser massif et une cophose, est bien sûr contre-indiquée profonde et un allongement du QT, entraînant des risques de
mais ces enfants peuvent bénéficier d’un implant cochléaire. malaise et mort subite. Un électrocardiogramme est donc
Ainsi, toute intervention chirurgicale pour surdité de trans- nécessaire dans le bilan d’une surdité profonde.
mission chez l’enfant doit être précédée d’un scanner.
2.4. Syndrome branchio-otorénal
2. LES SURDITÉS SYNDROMIQUES
Le syndrome branchio-otorénal associe des anomalies des
Plusieurs centaines de syndromes avec surdité ont été arcs branchiaux (fentes, fistules ou kystes branchiaux), une
décrits et plus de 150 gènes sont identifiés à ce jour [9]. Un surdité (surdité de transmission ou surdité neurosensorielle),
certain nombre de syndromes peuvent bénéficier d’un des anomalies de l’oreille externe (oreilles mal ourlées,
diagnostic moléculaire, mais le diagnostic de surdité syndro- enchondromes,. . .) mais aussi de l’oreille moyenne et de
mique reste avant tout clinique. l’oreille interne, des anomalies rénales (malformation
En raison du très grand nombre de syndromes rares avec de l’arbre urinaire, hypoplasie ou agénésie rénale, dysplasie
surdité, toute pathologie malformative chez l’enfant doit faire rénale, kystes rénaux). Ainsi, l’échographie rénale est
pratiquer un bilan auditif systématique si le dépistage néonatal nécessaire devant la présence d’une surdité associée à des
n’a pas eu lieu. Certains syndromes avec surdité doivent être anomalies des arcs branchiaux ou à une malformation de
recherchés systématiquement en raison de leur fréquence, de l’oreille externe.
leur présentation possible comme une surdité isolé ou de la
possibilité d’un traitement médical spécifique. 2.5. Syndrome de Waardenburg
Le syndrome de Pendred, dû au même gène que la surdité 3. BILAN ÉTIOLOGIQUE D’UNE SURDITÉ DE
DFNB4, SLC26A4, est reconnu par l’association d’une surdité L’ENFANT
d’origine cochléaire le plus souvent évolutive, prélinguale ou
postlinguale précoce, à un trouble de l’organification de l’iode Devant une surdité, le bilan étiologique doit toujours être
qui se manifeste par un goître thyroïdien. Le goître est complet, notamment sans préjuger d’une éventuelle cause
euthyroïdien ; les dosages hormonaux sont donc inutiles. La périnatale (sauf cas très particulier d’étiologie évidente avec
surdité a la particularité, lorsqu’elle n’est pas très profonde surdité apparue de façon certaine après méningite ou
d’emblée, d’évoluer par paliers d’aggravation brutale suivis traumatisme). Les exemples sont très nombreux de surdités
d’une récupération en général partielle. Ces fluctuations sont considérées comme environnementales (anoxie néonatale,
extrêmement handicapantes et angoissantes pour l’enfant. réanimation néonatale) et pour lesquelles le diagnostic
L’âge d’apparition du goître thyroïdien est variable, le plus moléculaire a révélé une atteinte du gène de la connexine 26.
souvent au cours de la deuxième décennie. L’imagerie des Les objectifs d’une recherche étiologique devant une surdité
rochers met en évidence des anomalies morphologiques de sont :
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établir ou exclure un défaut génétique ; l’indication thérapeutique (implant cochléaire bilatéral dans le
rechercher d’autres anomalies associées ; syndrome d’Usher), la prévention de cas familiaux (par exemple
établir un pronostic d’évolution ; contre-indication des aminosides chez les patients portant la
évaluer le risque de récurrence ; mutation mitochondriale m.1555A>G. . .).
découvrir d’autres membres atteints.
Ce bilan comportera, comme nous l’avons vu, les examens
DÉCLARATION D’INTÉRÊTS
visant à rechercher une forme syndromique (examen clinique
ORL et pédiatrique centré sur la recherche d’un syndrome,
Les auteurs n’ont pas transmis de déclaration de conflits
examen ophtalmologique avec fond d’œil, scanner des rochers,
d’intérêts.
électrocardiogramme si la surdité est profonde, recherche
d’hématurie-protéinurie si la surdité est progressive, écho-
graphie rénale si microtie ou anomalie branchiale) avec parfois RÉFÉRENCES
des examens sur orientation clinique (ERG en cas de retard à la
marche et surdité profonde congénitale, échographie rénale si [1] HAS. Évaluation du dépistage néonatal systématique de la surdité
permanente bilatérale. 2007.
fistules multiples), mais aussi des audiogrammes des parents et [2] Hardelin JP, Denoyelle F, Levilliers J, et al. Hereditary deafness : molecular
de la fratrie. Chez le moins d’un an (nourrissons du dépistage genetics. Med Sci 2004;20(3):311–6.
néonatal), la recherche d’une virurie à cytomégalovirus (CMV) [3] Van Camp G, Smith R. Hereditary hearing loss homepage [Internet].
est utile. Dans tous les cas, récupérer le carton de Guthrie pour Available from: http://hereditaryhearingloss.org.
[4] Kelsell DP, Dunlop J, Stevens HP, et al. Connexin 26 mutations in hereditary
faire une recherche de CMV par polymerase chain reaction (PCR)
non-syndromic sensorineural deafness. Nature 1997;387(6628):80–3.
sur la goutte de sang peut permettre un diagnostic rétrospectif [5] Marlin S, Feldmann D, Blons H, et al. GJB2 and GJB6 mutations: genotypic
de CMV. and phenotypic correlations in a large cohort of hearing-impaired patients.
Au terme du bilan, il faut penser à vacciner,contre le Arch Otolaryngol Head Neck Surg 2005;131(6):481–7.
pneumocoque (Prévenar1, puis Pneumo231), les enfants avec [6] Albert S, Blons H, Jonard L, et al. SLC26A4 gene is frequently involved in
malformation de l’oreille interne, exposés à des risques de nonsyndromic hearing impairment with enlarged vestibular aqueduct in
Caucasian populations. EJHG 2006;14(6):773–9.
méningite accrus, et une consultation de conseil génétique, au 7. Jonard L, Niasme-Grare M, Bonnet C, et al. Screening of SLC26A4,
cours de laquelle pourront être fait certains diagnostics FOXI1 and KCNJ10 genes in unilateral hearing impairment with ipsilateral
moléculaires, doit être proposée à la famille. enlarged vestibular aqueduct. Int J Pediatr Otorhinolaryngol
2010;74(9):1049–53.
4. CONCLUSION [8] de Kok YJ, van der Maarel SM, Bitner-Glindzicz M, et al. Association
between X-linked mixed deafness and mutations in the POU domain gene
POU3F4. Science 1995;267(5198):685–8.
Les conclusions de l’enquête génétique peuvent éventuel- [9] Toriello HV, Reardon W, Gorlin RJ. Hereditary hearing loss and its
lement modifier : le suivi, le traitement d’un trouble associé, syndromes. Oxford: Oxford University Press; 2004.