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Couverture : Hachette Romans Studio

Visuels : © Svitlana Sokolova / Shutterstock

Traduit de l’anglais (États-Unis) par


Brigitte Hébert
Le texte original de cet ouvrage a paru
en langue anglaise sur Wattpad sous le même titre :
© Zaireb Al-Shamary (aka thefreakoffreaks), 2014, pour le texte.
The author is represented by Wattpad.

© Hachette Livre, 2018, pour la présente édition.

Hachette Livre, 58 rue Jean Bleuzen, 92170 Vanves.

ISBN : 978-2-01-625965-8
Je dédie Mr. Popular & I à tous mes lecteurs
et lectrices Wattpad. Votre soutien,
vos commentaires m’ont portée, motivée, encouragée à réaliser cette
histoire d’amour.
Sans vous, rien n’aurait été possible.
1

Officiellement SDF
Léa

Surtout, ne me demandez pas pourquoi on est dehors à se peler de froid, mes parents et moi, tous
les trois en robe de chambre, devant ce qu’il reste de notre maison.
— Saletés de cochonneries de termites, ronchonne mon père.
— Comment va-t-on faire ? soupire ma mère.
J’avoue que c’est dommage pour son joli pyjama de soie. Mauvaise pioche, maman.
Je tente une manœuvre en me déplaçant sous le lampadaire, histoire de me réchauffer. Raté. La
chair de poule galope sur moi et gagne chaque centimètre carré de ma peau jusqu’à mes cheveux qui
se hérissent un par un.
On reste plantés comme des chandelles encore un bon quart d’heure, parce que les pompiers
vérifient les décombres. Il n’y a plus de toit, nos chambres sont ouvertes aux quatre vents, les vitres
ont volé en éclats. Notre maison ressemble à un panini aplati. Le capitaine des pompiers vient nous
expliquer qu’elle n’est plus habitable. Brillante conclusion, merci chef.
Positivons, nous sommes en vie.
Le voisinage est de sortie, chacun y va de son petit commentaire. Les bonnes âmes présentent leurs
condoléances attristées à mes parents, leurs rejetons sont pliés de rire. C’est le pompon. Les termites
ont fait coup double : nous voilà sans-abri et la risée du quartier.
Je voudrais hurler, trépigner, cracher par terre, mais je me retiens. Au lieu de ça, je me récite tous
les blasphèmes possibles et imaginables, ça fait moins de vagues. Dire qu’il y a deux heures à peine,
on était prêts à monter se coucher, quand BOOOUMM, le toit nous est tombé sur la tête. On reste
entiers, mais on n’a plus rien… Zut, mon ordi.
— Papa, on dormira où cette nuit ?
— Je vais nous chercher un hôtel, ma chérie. T’inquiète pas, répond mon père en me tapotant la
tête comme si j’étais son clébard.
J’ai froid, j’ai faim, je suis crevée et je crois que je vais avoir mes règles. J’en ai marre de faire le
poireau au milieu des curieux. Génial, n’est-ce pas ? Au cas où vous ne l’auriez pas encore capté, je
déteste être le centre de l’attention, or ce soir, j’ai tiré le gros lot.
Mille pétards, ma trousse de maquillage…
Léa, ressaisis-toi, c’est du futile.
J’entends alors une voix que je connais bien. Marissa.
— Léa ! Léa ! Bordel de merde, c’est ta maison ? Tu vas bien ?
Ma mère lui lance un regard furibond pour son langage peu châtié.
— Euh, pardon madame… Purée de purée, se reprend Marissa.
— Salut Marissa ! Oui ça va, et oui c’est ma maison.
— Bon Dieu de bon Dieu de bois, c’est complètement ouf.
— C’est les termites.
— Ces petites salop…
— Oui, c’est ça !
— Bon Dieu de…
Cette fille commence à m’énerver avec ces « bon Dieu », faut toujours qu’elle en fasse des tonnes.
— Quoi encore, Marissa ?
— Regarde là-bas, chuchote-t-elle.
Je suis son regard et découvre trois visages familiers qui dominent la foule. Non seulement ces
trois garçons sont grands à l’air impérieux, mais ils dégagent aussi une aura qui les distingue de la
masse. C’est comme ça dans la vie, certains font tourner les têtes, même quand on ignore leur nom.
Dans le cas présent, tout le monde connaît River, Jake et Ky. Incroyablement attirants, populaires
au lycée, physiquement parfaits, avec des pectoraux à se damner. Leurs familles sont aisées,
influentes par ici, rien à voir avec la mienne qui travaille à la sueur de son front. Attention, n’allez
pas croire que je me plains, c’est juste que la vie serait très différente si mon père joignait les deux
bouts plus facilement.
Le dernier « bon Dieu » de Marissa est justifié : River a les yeux fixés sur moi. Gênée qu’il m’ait
vue en train de le zieuter, je lui tourne le dos. Vous vous dites, cette Léa, elle sait résister à la
tentation, elle a du caractère, bah non : je ne peux pas m’empêcher de jeter encore un petit coup d’œil
par-dessus mon épaule. Quelle idiote. Les trois garçons me regardent toujours, Jake a même un petit
sourire en coin. Pauv’ type. Ky s’ennuie, River soutient mon regard. Je lâche prise la première.
— Pourquoi c’est à moi qu’il arrive un truc pareil ? dis-je, désespérée.
— Ils te regardent toujours, c’est dingue ! déblatère Marissa-la-surdouée.
— Merci, Sherlock.
Un homme s’approche en appelant mon père par son prénom. Ils tombent dans les bras l’un de
l’autre. Papa lui raconte nos misères.
— Demain, je sèche, c’est trop la honte. Ils vont me mater avec leurs têtes débiles.
— River te mate déjà avec une tête débile ! dit Marissa.
Vlan ! Je lui flanque un coup dans les côtes. Je sais que c’est la vérité, mais pas la peine d’en
rajouter.
— Sorry, Léa, je n’aurais pas dû !
Une phrase parvient jusqu’à mes oreilles : « Venez vous installer chez nous. » Je ne savais pas que
cet homme était un si bon ami de mon père. À vrai dire, je m’en fiche, parce que là tout de suite, je
pourrais l’embrasser !
— Merci, Malcom, mais je ne peux pas accepter.
Il s’appelle Malcom et… minute, le paternel a fumé la moquette ou quoi ? Il refuse une gentille
invitation totalement désintéressée, dans une maison bien chauffée ? Pincez-moi, c’est un cauchemar.
— Permets-moi d’insister, reprend Malcom.
Oui, Malcom, insiste, je t’en prie !
— Je ne sais pas… C’est beaucoup trop, répond papa.
— Mais non ! Allez, on y verra plus clair demain, conclut Malcom avec un grand sourire.
Le saint homme !
Nous montons en voiture et suivons la BMW noire de Malcom. Papa s’engage dans l’allée qui
mène à sa maison, puis coupe le moteur. Ouah, devant nous, un véritable palais avec un parterre de
gazon et une fontaine ornée de tritons qui crachent de l’eau. Sur le fronton, des colonnes, une double-
porte à poignées en cuivre rutilantes. La lumière qui s’échappe des hautes fenêtres de la villa
illumine la nuit, ce qui ajoute encore à la féerie.
— Malcom est un copain de lycée. Nous sommes toujours restés en contact. Sors tes bonnes
manières, Léa, dit papa de sa voix tu-obéis-à-ton-père.
OK, OK, je suis une brave fille qui sait se tenir, mais tout ce que je veux pour l’instant, c’est
dormir.
2

Chez les Parker


Léa

On est à quinze minutes de chez nous, pourtant le quartier est totalement différent par ici, plus chic,
plus cossu, avec de superbes voitures garées devant de grandes pelouses.
Léa, remercie le ciel, tu es en vie. Ne sois pas bassement matérialiste.
— Bienvenue chez moi ! nous lance Malcom en nous précédant sur le perron.
Je me demande s’il a des enfants. C’est là que je réalise vraiment quel est l’état de ma tenue :
pantoufles, mini-pyjama, robe de chambre à fleurs… Chouette.
Malcom farfouille dans sa poche, puis en sort un trousseau de clés. Un badge rectangulaire de
couleur jaune attire mon attention : c’est le laissez-passer distribué à l’école avant la dernière
réunion parents-profs. Il a donc un enfant scolarisé dans le même lycée que moi. Vu que je ne connais
toujours pas son nom de famille, je n’ai aucune idée de qui il s’agit.
Nous entrons. Ma mâchoire se décroche, mais je la retiens à deux mains. Une douce chaleur nous
accueille. Quel intérieur ravissant, mes félicitations, Malcom.
Des talons résonnent sur le marbre, une brune souriante vient à notre rencontre.
— Entrez, entrez ! Soyez les bienvenus !
La charmante dame serre maman dans ses bras, puis c’est à mon tour. Ouille, ses bracelets me
défoncent une vertèbre, je reste stoïque.
— Si seulement j’avais une fille comme toi ! s’exclame-t-elle.
Ah. Ils ont donc un garçon.
Allô, Léa, tu fréquentes une école mixte, t’as oublié ?
— Je suis sûre que tu t’entendras très bien avec mon fils, Léa. Il s’intéresse beaucoup aux jolies
filles ! pépie à nouveau notre hôtesse.
Une mouche l’a piquée ou quoi ?
Malcom nous conduit au salon. Leur maison est immense, la nôtre tiendrait dans leur hall d’entrée.
J’admire au passage la rampe dorée de l’escalier menant à l’étage. Se laisser glisser dessus serait
super fun – mais n’allez pas vous imaginer que je le ferais, hein !
Dans le salon, le festival continue : j’adore la couleur crème des canapés (trois, rien que ça)
disposés autour d’une table basse en noyer. Mes parents et moi nous nous serrons sur l’un d’eux,
Brenda (c’est le nom de la dame) et Malcom s’installent en face de nous, à l’aise.
— Comment t’appelles-tu ? me demande Brenda.
— Léa.
— Quel prénom adorable…
Brenda soupire, je souris bêtement. C’est vrai quoi, je ne récolte pas tous les jours autant de
compliments.
Mon père et Malcom assurent la conversation en se remémorant leurs vieux souvenirs. Dix minutes
passent, puis on entend un cliquetis dans l’entrée.
— Notre fils, précise Malcom.
— Chéri ! appelle Brenda. Rejoins-nous au salon, nous avons des invités !
Je ne sais pas pourquoi, mais je suis soudain nerveuse.
Seigneur, s’il te plaît, fais que ce ne soit pas un mec craquant, je t’en supplie.
Les pas se rapprochent.
Keep cool, Léa, c’est un garçon, juste un garçon.
J’entends un froissement dans mon dos. Je me raidis.
— Bonjour !
Bon Dieu.
Allons bon, voilà que je jure comme Marissa.
Il faudrait que je tourne la tête pour le voir. Vous me prendrez pour une tarée, mais je lui trouve
une voix sympa au timbre grave, un peu rauque, sexy en diable, celle d’un dieu du stade, forcément.
Pourquoi suis-je aussi anxieuse alors que ce n’est rien qu’un garçon, un gar-çon, Léa. L’envie me
bouffe, mais taratata, cette fois-ci je ne tournerai pas la tête. Peut-être que le toit m’est vraiment
tombé sur le pif, je suis déjà au ciel, un ange a parlé ?
Léa, t’es barge.
Ses chaussures couinent sur le marbre, il vient s’asseoir dans le troisième canapé. Je garde la tête
baissée.
Pauvre crétine, il va te prendre pour une givrée.
— Andrew, Katie, Léa, je vous présente notre fils, River, annonce Malcom.
Non, non, non, NON. Pas possible. Il n’y a qu’une seule personne dans le patelin qui s’appelle
River, je n’en ai jamais rencontré d’autre. Ça ne peut pas être celui auquel je pense ? Je lève
lentement la tête vers le superbe spécimen qui se prélasse maintenant dans le canapé.
Dieu de nom de Dieu : c’est bien River Parker.
Ses traits tirés atténuent à peine sa beauté. Oui, je sais, je parle de beauté pour un mec, ce n’est pas
courant, mais c’est vrai. Faudrait être neuneu pour soutenir le contraire.
Sa bouche superbe dessine un sourire qui étire ses beaux yeux en amande. Ses cheveux blonds sont
décoiffés juste comme il faut pour que ça soit sexy et naturel, la ligne carrée de ses mâchoires est
parfaite.
Je sais, j’ai tout d’une godiche ado qui se pâme, mais je vous assure, y a pas photo : ce mec est
sublime.
3

Tête de nœud
Léa

Une fois qu’il a salué les parents, River me remarque enfin. Son sourire Colgate pâlit, une ombre
traverse son visage. On dirait qu’il essaye de me remettre… Ben voyons, ducon, t’as oublié mon
prénom alors qu’on est dans le même cours d’anglais. Je ne suis pas populaire, mais je ne pensais
pas non plus être invisible. Mes joues ont la sale idée de rosir. C’est malheureux, mais je n’y peux
rien. Oh là là, stop… Ouf, il se tourne à nouveau vers les parents.
— Ravi de vous avoir rencontrés, mais je suis fatigué. Je vous souhaite une très bonne nuit chez
nous.
OK, va te coucher, mec. Ça me soulage et ça me déprime à la fois, il est tellement… tellement…
— River, tu peux montrer la chambre jaune à Léa, s’il te plaît ? lui demande alors Brenda.
Et merde.
— Avec plaisir, répond ce faux-cul.
Léa, calme-toi, imagine-le à poil par exemple… Depuis quand un mec tout nu me calmerait les
nerfs ? Je chasse vite cette pensée débile. Hors de question que je me pâme devant River en tenue
d’Apollon. Je me lève pour le rejoindre. Et là, bien sûr, il m’arrive un truc bête à manger du foin : je
me prends les pieds dans le tapis. Je ne serais pas la vraie Léa autrement… Mais pour une fois, je me
rattrape in extremis sans le bras que vient tendre Superman. J’atterris quand même à quelques
centimètres de son torse et j’ai droit à un petit sourire narquois.
Respire, Léa.
— Tout va bien, Léa ? me demande gentiment Brenda.
— Oui. Pardon. Désolée, je n’ai pas vu le… Bonne nuit tout le monde !
River a déjà tourné les talons. Je me balance trois bonnes gifles virtuelles pour ma balourdise
légendaire tout en me dépêchant de monter les marches. Quelle baraque d’enfer, c’est encore plus
chouette d’en haut. C’est vrai que j’ai toujours entendu dire qu’il était d’une famille très aisée
puisque son père est le fondateur de Parker Designs, une boîte de déco intérieure archi connue. Il
paraît que les célébrités s’arrachent leurs services.
— ’tention, y a une marche !
Je rêve, il me cherche ou quoi ?
— T’as peur de te casser un ongle en me rattrapant ?
— T’inquiète, demain, j’ai manucure.
— Ah oui ? Ton côté féminin, sûrement.
Léa, où tu t’embarques avec cette conversation de coiffeuse ?
— Tu me traites de nana ?
— J’assume.
Bravo Léa, tu viens officiellement d’entrer dans la catégorie des frappadingues.
— J’entretiens pourtant mes pectoraux, répond River en bandant fièrement ses muscles.
— T’as l’ego surdimensionné. Les filles aussi ont des muscles.
Il s’avance d’un pas et me toise de toute sa hauteur, ce qui n’est pas difficile, vu mon petit mètre-
soixante-sur-la-pointe-des-pieds.
— Mon ego ?
— Affirmatif.
— T’es pas aussi sage que je le pensais.
— T’es encore plus vantard que je l’imaginais, je réponds en reculant stratégiquement, sauf que
derrière moi, c’est la rambarde de l’escalier.
— Un peu trop sûre de toi, ma jolie.
— Dit le mec arrogant.
Zut. Je suis coincée. Son souffle chaud me chatouille le front, provoquant une explosion
thermonucléaire : j’ai les mains moites, ma robe de chambre me semble soudain trop étroite, mon
pouls s’emballe comme une centrale à vapeur.
Ses yeux me détaillent par le menu. Mon Dieu que c’est indécent. Soudain, j’ai une grosse
angoisse : ça bâille du côté de mon décolleté. Je me dresse comme un manche à balai puis le
repousse à deux mains. Halte-là, mateur. Le problème, c’est que mes petits muscles ne font pas le
poids. River ne bouge pas d’un pouce, mais éclate de rire. Il est même plié en deux, ce con.
— Ha ! Ha ! Manchote avec ça ! Trop drôle !
— Je ne te permets pas, on n’a pas élevé les cochons ensemble.
— Oooh, madame n’aime pas que je lui donne un petit nom ? Pourtant, je trouve que ça te va bien.
— Tête de nœud.
— Mais c’est que le chaton sort ses griffes !
— Ça ira pour ce soir. Où est ma chambre ?
C’est vrai quoi, qu’on en finisse.
— Première porte à droite, chaton. Fais attention, y a un tapis !
Je m’éloigne la tête haute et claque la porte derrière moi pour ne plus entendre son rire
démoniaque. Quelle journée de merde, je vous jure. J’ai tout perdu et maintenant, c’est en train de
virer au cauchemar dans cette maison tombée du ciel. C’est fou comme la vie peut basculer en
quelques heures. Demain, quand ils sauront au lycée que je loge chez River Parker, l’horreur va
encore monter d’un cran. Super.
N’empêche que cette fameuse chambre jaune est sublime, je m’en aperçois seulement maintenant. Il
y a même un lustre en cristal suspendu au plafond et un lit pour au moins trois princesses. La salle de
bains est couleur dorée, vanille des îles, un enchantement. J’ose à peine faire trois pas dans cette
pièce somptueuse…
Toc toc toc.
Aïe, non, pas lui.
4

Foutu bahut
Léa

La poignée tourne lentement, la porte s’ouvre en grinçant, mes yeux sortent de leur orbite. Ouf,
finalement, c’est la tête de mon père qui pointe dans l’entrebâillement !
— Coucou, papa !
— Dis donc ma poulette, quelle chambre ! Il y a même des moulures au plafond. Tu seras très bien
installée ici.
— Je m’en fiche un peu, c’est pour une nuit.
— Euh… En fait, ta mère et moi avons décidé que ce serait mieux de rester quelque temps.
— Quoi ?
— Ce sera plus facile pour se chercher une maison dans le coin…
Les Parker sont bien gentils de nous accueillir, mais leur fils est un connard, alors pour ce qui est
de loger ici…
— Combien de temps ?
— Le temps qu’il faudra, ma chérie. Quelques semaines, un mois ou deux.
Bordel, ça va être une sacrée expérience de crécher sous le même toit que River Parker pendant
deux mois.
— Et nos affaires ? La maison ?
— J’appellerai l’assurance demain matin, ne t’inquiète pas. Tout ce qu’on te demande, c’est de
rester concentrée sur ton année scolaire.
Ah ça, merci papa, sujet de conversation numéro un, les notes, les bulletins, les appréciations des
profs. Je sais bien que c’est le rôle des parents, mais c’est gonflant à la longue.
— Ça va aller, papa, je gère.
Cette nuit-là, j’ai dormi comme un bébé dans le formidable lit de princesse-triplette. Imaginez un
matelas plus confortable qu’un nuage de plumes et une couette encore plus chaude qu’un radiateur. Je
n’ai jamais été aussi béate de bonheur à 7 heures du matin quand mon réveil a sonné. Sauf que ça n’a
pas duré puisque je me suis souvenue pourquoi il sonnait : le bahut. Je nuance : j’aime l’école, je
déteste les élèves.
Bref, debout. J’en profite pour aller admirer la vue depuis le balcon. Oui, un balcon ! Ce que je
vois est d’enfer, un vrai parc de château avec des massifs de fleurs, du gazon vert tendre et moelleux
à se rouler dedans, un petit potager coloré. Plus loin, j’aperçois une jolie serre dont les vitres brillent
sous les premiers rayons du soleil. Il y a même une piscine en forme de haricot géant. Je ne suis pas
du genre envieuse, n’empêche que voir tout ceci en vrai et non à la télé, ça donne à réfléchir.
— On admire la vue ? fait une voix ironique, sur ma droite.
Elle appartient à River, qui est sorti sur son propre balcon. Qui d’autre, à votre avis ?
— Jusqu’à ce que t’arrives, oui.
— Toujours aussi aimable, le chaton !
Ses cheveux sont en bataille, ses yeux sont encore gonflés de sommeil, mais j’avoue qu’il reste
franchement craquant. Sans parler de sa carrure moulée dans son t-shirt, de ses… Stop, ça suffit Léa,
tu t’égares.
— J’ai froissé ton ego ?
— Un peu ! concède-t-il. Petit déj dans dix minutes, dépêche-toi.
Et il disparaît dans sa chambre.
— River ! Attends !
Il ressort la tête.
— Je n’ai rien pour m’habiller, tout est chez moi.
— Vas-y en pyjama, t’es très mignonne comme ça !
Ses yeux chocolat me détaillent avec application, je me sens effeuillée comme une marguerite.
— Arrête de me mater, pervers !
— Ouh là là, River, t’es en train de mater ! raille-t-il d’une voix moqueuse.
— T’as quel âge déjà ?
— Dit la fille qui croit que je la mate.
Je ne sais pas pourquoi, mais son commentaire me blesse. Évidemment, un mec pareil ne
s’intéressera jamais à une fille comme moi, me souffle une petite voix dans un coin de ma tête. Bref,
revenons à nos moutons
— S’il te plaît, t’as rien à me prêter ?
— Je vais voir.
Bon, on progresse, il n’est peut-être pas si enflure que ça. J’attends patiemment sur le balcon, mais
au bout de dix minutes, mes espoirs retombent. Je suis sur le point de hurler quand on toque à la porte
de ma chambre. Je me précipite pour ouvrir, et là, devant moi, le beau River tenant une pile de linge
entre les mains.
— Oooh, bel effort, merci River !
— Va pas te faire d’idées, hein, ce sont les fringues de ma copine.
River a une copine, première nouvelle. D’un autre côté, c’est normal, non ?
— Remercie-la pour moi, alors.
— J’y manquerai pas.
Et il se barre.
5

Fou du volant
Léa

Je me douche dans une merveilleuse salle de bains avant de retourner en vitesse dans la chambre
pour me choisir une tenue. Mille pétards ! La copine de River n’a pas des goûts de dinde : Chanel,
Armani, Paul & Joe… que des marques. Après mûre réflexion, je me décide pour un jeans moulant
qui a l’air tout neuf et un joli petit haut blanc assorti à mes tennis. Côté sous-vêtements – que je
n’avais pas, bien sûr – ma mère en a récupéré auprès de Brenda, elle a promis qu’ils n’avaient
jamais été portés. Tout ça est tellement gênant, je vous jure.
Le bon côté, c’est qu’une fois habillée de pied en cap, le résultat me plaît beaucoup ! Vu que le
temps passe, je ne traîne pas devant le miroir – une sublime psyché plus haute que moi – et sors sur le
palier. Je suis un peu stressée à l’idée de quitter ce havre doré pour replonger dans mon quotidien.
Dois-je raconter à Marissa que j’ai dormi chez River ?
En bas des escaliers, trois couloirs. Zut, je suis paumée, c’est par où la cuisine ?
— À droite, chaton !
Grrr, ce River ! Je ne l’ai pas entendu descendre. Il passe devant moi, ce qui m’offre l’occasion
gratuite d’admirer son postérieur moulé dans un pantalon gris. Pas mal, pas mal du tout. Je vous
avoue que j’ai un faible pour les petits culs de mec !
Allez, un peu de sérieux, Léa.
— Bonjour tout le monde ! je lance en entrant dans la salle à manger.
— Bonjour Léa, bien dormi ? répond Brenda, en peignoir de soie vert pâle (maman doit baver
d’envie).
— Très bien, merci.
Inutile de raconter ma nuit de bébé rose, River en profiterait pour me charrier. En plus il a une
copine, donc… Tiens ? Elle n’est pas là. Bizarre. Il s’assoit près de ses parents. La table croule sous
les victuailles. Fruits, céréales, pain, croissants, jambon, fromage… de quoi nourrir tout un régiment.
Miam ! Je tends la main pour attraper une pomme, manque de bol, River a la même idée au même
moment. Zut. Ça y est, mes joues virent rouge tomate. À ma grande surprise, il place la pomme sur
une assiette et me la tend. Trop mignon ! Mon cœur s’emballe aussitôt. Sa pomme est rouge, sucrée et
juteuse à souhait, que du bonheur.
— Faut que j’y aille, dit alors River en se levant.
Le charme est rompu.
— Tu emmènes Léa, n’est-ce pas ? demande son père.
Non ! Seigneur, Jésus, Marie, non, je ne veux pas ! Débarquer au bahut dans sa voiture, jamais.
— Merci Malcom, mais je préfère marcher ! je dis, le sourire crispé.
— Voyons, Léa, tu ne connais même pas le trajet, intervient Brenda.
Faites-la taire, quelqu’un !
— OK, je m’en charge, répond River en tournant les talons.
J’abandonne à regret ma super pomme pour le suivre. Mes cheveux sont encore mouillés, la
poisse. Je vais avoir l’air d’un rat qui sort de l’eau.
Je monte dans sa Mercedes décapotable, il démarre en trombe. Le con. Heureusement que j’avais
bouclé ma ceinture de sécurité.
— Hé ho, les limitations de vitesse, tu connais ?
— Petit chaton mouillé a peur de la vitesse ?
— Oui, j’ai peur. Je te conseille de ralentir, espèce de dingue.
— Oh ! Encore des menaces ?
— Bravo, Einstein, t’as inventé la poudre, toi.
— Tu comptes me punir ? Me faire un truc spécial ? ajoute-t-il avec un sourire salace.
— Pervers ! Avance, c’est vert.
Il enfonce le champignon, la voiture bondit. Je m’agrippe à mon siège alors que le paysage défile à
toute allure. Je n’ose même plus regarder le compteur.
— Stop ! Arrête-toi tout de suite ! T’es un malade, toi, dis-je en débouclant ma ceinture.
— T’as eu vraiment peur.
— Non, je simulais, pauv’ naze. Déverrouille les portes.
— Reste. Je te promets de rouler plus lentement.
— Je préfère marcher. Salut.
— Attends ! J’ai un truc à te dire : pas la peine de raconter que tu dors chez moi, OK ?
Ouille. Je n’en avais pas l’intention, mais l’entendre me le dire aussi directement, ça me blesse.
Allez savoir pourquoi. Je descends puis claque la porte derrière moi. Ducon.
6

Roméo et Juliette
Léa

Au bout de dix minutes de marche rapide, j’arrive au lycée alors que la dernière sonnerie retentit.
Je file aux casiers récupérer mes manuels. Marissa la curieuse m’attend là.
— Te voilà ! me lance-t-elle en me dévisageant étrangement.
J’ouvre la porte de mon casier et trouve un papier plié en quatre sur la pile de mes affaires.
— Alors ? Comment tu vas depuis hier soir ? me demande mon amie.
— Bien, quand j’oublie que je suis SDF.
— Si je peux t’aider, surtout n’hésite pas.
Mouais, c’est gentil, mais les petits bras et la bonne volonté de Marissa ne serviront pas à grand-
chose. Bref. Je déplie la feuille et lis :
Salut Léa, teuf chez moi, ce soir.
À partir de 20 heures, 16, Widow Drive, Brentary.
Ramène tes copines.
Nick Convey

Hé bé, c’est le pompon. Moi, invitée chez Nick Convey, le golden-boy du coin. Encore un mec qui
a tout pour lui : le look, le charisme, les muscles. Dans n’importe quel sport, les équipes se
l’arrachent, il est trop fort. Le plus étrange, c’est que je ne le connais pas vraiment. On a dû être
ensemble en chimie pendant un trimestre, il y a deux ans. Il n’ouvrait pas la bouche sauf pour parler
chimie. Du coup, je ne sais pas quelle mouche le pique de m’inviter à sa soirée.
— Lis ça, dis-je en tendant l’invitation à Marissa.
— Oh ? T’es pote avec lui ?
— Pas spécialement. Genre, pas du tout.
— Tu vas y aller ?
— Tu connais mon père ! Donc : sûrement pas.
Je lui reprends le papier pour en faire une boulette que je jette au fond de mon casier. Les cours
vont commencer. J’ai d’abord maths, puis SVT, chimie et anglais, où River sera avec moi.
— Euh… Léa, tu peux toujours dire à tes parents que tu dors chez moi, non ?
— T’as envie d’y aller, c’est ça !
— J’adore sortir de chez moi, tu sais bien.
— Si je vivais dans une maison comme la tienne, je ne mettrais jamais le nez dehors.
Sa réponse n’atteint pas mon cerveau, car mon regard est capté ailleurs : j’aperçois River qui
arrive, encadré par Ky et Jake. Ils ont l’air morts de rire. Un groupe de filles ne se prive pas de les
fixer. Soudain, River tourne les yeux vers moi en souriant. Ben voyons, mec, tu crois que je vais
oublier tes vacheries de ce matin ?
Les cours filent, c’est déjà l’heure de l’anglais, avec M. Sepriars. La première personne que je
remarque en entrant dans la salle est River, assis au fond à gauche, toujours flanqué de Jay et Ky. Il
regarde le terrain de foot par la fenêtre.
Je me dépêche de rejoindre ma place attitrée, au milieu. Je sens une paire d’yeux me griller le dos.
En me penchant pour sortir mon cahier, je jette un coup d’œil… Devinez qui me reluque, je vous
aide, son prénom commence par un R…
Léa, un peu de concentration, STP.
Le prof arrive enfin. Ah, l’anglais, ma matière préférée ! Autant dire que ça m’agace d’être
distraite par qui vous savez.
— Bonjour. Roméo et Juliette, reprenons où nous en sommes restés hier, lance M. Sepriars.
J’ouvre mon livre. J’ai une furieuse envie de tourner la tête vers le fond de la classe, mais je me
retiens. Pour qui me prenez-vous !
— Angela, lisez, s’il vous plaît.
J’adore cette pièce, même si la fin est trop, trop triste et me fait pleurer comme une madeleine.
Moi aussi, j’aimerais trouver mon Roméo, mais sans mourir à cause d’un bête problème de
communication. J’aurais une fin à la Disney : « Ils furent heureux pour toujours et eurent beaucoup
d’enfants ! »
— Merci, Angela.
Oups, j’ai zappé deux pages.
— River, à vous.
Toutes les filles – moi, y compris – se tournent vers lui, un vrai ballet synchronisé. River se raidit,
s’éclaircit la voix, puis se lance.
— Oh ! Elle apprend aux flambeaux à illuminer ! Sa beauté est suspendue à la face de la nuit
comme un riche joyau à l’oreille d’une Éthiopienne ! Beauté trop précieuse pour la possession,
trop exquise pour la terre ! Telle la colombe de neige dans une troupe de corneilles, telle apparaît
cette jeune dame au milieu de ses compagnes. Cette danse finie, j’épierai la place où elle se tient,
et je donnerai à ma main grossière le bonheur de toucher la sienne. Mon cœur a-t-il aimé
jusqu’ici ? Non, jurez-le, mes yeux ! Car jusqu’à ce soir, je n’avais pas vu la vraie beauté1.
La voix chaude et forte de River m’interpelle, m’intrigue, je voudrais qu’il n’arrête jamais de lire.
— Merci, River, dit M. Sepriars.
Dommage ! Vous allez me détester, mais je ne peux pas m’empêcher de regarder du côté de River.
Je découvre que ses yeux sont fixés sur moi, encore. Mon cœur s’emballe.
Notes
1. Traduction de François-Victor Hugo.
7

Manchote
Léa

La lecture à haute voix se poursuit avec des volontaires, puis un débat s’engage sur la question :
Juliette a-t-elle eu raison d’épouser Roméo ? Je reste muette et ne participe pas, ce qui ne me
ressemble pas. M. Sepriars tente bien de m’appâter, mais je réponds à peine. Ce n’est pas dans mes
habitudes, mais avouez que depuis hier soir, j’ai de quoi être un peu chamboulée.
Ma maladresse légendaire refait pourtant surface quand ma trousse s’écrase sur le sol avec un gros
flop à cause de mon coude. À croire que j’ai largué une grenade, la moitié de la classe me fusille du
regard. Allez, on se calme, je suis juste un peu manchote comme dirait qui vous savez…
— Devoir pour le prochain cours ! s’exclame le prof.
Rooh, du travail, c’est que je suis fatiguée, moi. J’attrape mon cahier de textes d’un air grincheux.
— Puisque nous sommes dans la romance, j’aimerais que vous écriviez un poème. Trois strophes,
minimum, en vers. Je vous donne le thème : qu’est-ce que l’amour ? Merci et bonne fin de semaine à
tous.
La sonnerie retentit. Je rassemble mes affaires, me lève, boum, collision, l’allée entre les tables
n’est pas assez large… et c’est encore River. Il n’a pas fait attention.
River

En pleine conversation avec Ky, je sens qu’on me tamponne sur la gauche… Ben voyons, Léa,
évidemment. Elle est même collée à moi, on est coincés par les tables. Galant, je recule pour la
laisser passer. Elle se taille en vitesse comme si elle avait le feu aux fesses.
— C’était quoi ça ? me demande Ky qui ouvre des yeux comme des soucoupes.
— Rien. Une nana qui m’a aidé à la bibli.
— Tu vas à la bibli, toi ? ironise Jake.
Jake et Ky se contrefichent de leurs notes, persuadés que l’argent de papa et maman leur ouvrira
les portes des écoles qu’ils désirent. Je trouve ça crétin. Moi, je ne suis pas comme eux, j’aime
étudier, j’aime les bonnes notes, je suis un intello. Je crois bien que Léa est pareille.
— Oui, je vais à la bibli, tête de nœud. J’ai perdu mon exemplaire de Roméo et Juliette.
Et hors de question de me pointer en cours sans. Mais bien sûr, pour ce qui est de Léa, ce n’est pas
là que je l’ai rencontrée…
— Moi, le théâtre, la poésie… soupire Jake. Au fait, tu vas à la soirée ?
Jake ne me regarde même pas en me parlant, ses yeux sont vissés sur le dos de Rachel, qui est en
train de sortir de la salle. Je suis obligé de claquer des doigts sous son nez pour le ramener à la
réalité. Jake est un don Juan au tableau de chasse étoffé, il tombe amoureux tous les deux jours et
saute sur tout ce qui bouge. Mon pote Ky est l’opposé, il a eu un seul grand amour qui lui a brisé le
cœur et ne s’en est pas encore remis.
— Quelle soirée ?
— Celle de Nick, me répond Ky.
— Alors sûrement pas ! je m’exclame. Parce que toi, t’y vas ?
Je regrette aussitôt d’avoir dit ça, après tout, mes problèmes avec Nick ne sont pas les siens. Jake
fait ce qu’il veut.
— J’y vais pour foutre la merde chez lui !
Bon, chacun ses raisons. Une fois dans le couloir, Georgia fonce sur moi et me plante un baiser
sonore sur la joue. Super, je pue le gloss à la fraise.
— Alors, mon BG, c’était comment l’anglais ? minaude-t-elle.
Faut être patient avec Georgia, le problème c’est qu’aujourd’hui, je ne suis pas d’humeur. Je n’ai
pas envie qu’elle joue les crampons.
— Allô, River, ici la Terre !
Elle n’attend pas que je réponde, et se lance dans un monologue radio-ragots, le truc qu’elle adore.
— Nick a invité une nouvelle nana à sa fête, je capte dans son fatras d’informations.
— Qui ça ? demande Jake.
— Sorry, je ne sais pas, lui répond Georgia.
J’espère que la pauvre nana brûlera l’invitation de cet enfoiré de Nick. Finalement, je suis curieux
de savoir qui ça peut être, vu que Georgia en fait des tonnes.
— Oh, c’est elle, là-bas ! s’interrompt soudain Georgia.
— Laquelle ?
Elle lève le doigt et pointe une fille en train de fourrager dans son casier… Léa ! Encore Léa.
— Léa ? je m’exclame.
— Oui, elle. Tu la connais ? ajoute-t-elle, déjà jalouse.
— Elle a aidé River à la bibli ! répond Jake, crâneur.
Ça m’embête soudain que Léa aille se fourrer dans les pattes de Nick. J’ai envie de la prévenir, ce
sale type a toujours de mauvaises intentions. Ça me démange d’aller la trouver…
— J’ai un truc à faire, salut !
Et je les plante.
Léa

Dehors, j’aperçois Marissa appuyée contre sa voiture, en pleine conversation téléphonique. Elle
m’adresse de grands gestes.
— Oui, elle est devant moi ! dit-elle.
— C’est qui ? je murmure.
— Ta mère !
— Maman ? je m’exclame en lui arrachant le portable.
— Allô, ma chérie, tu préfères dormir chez ton amie ce soir, c’est bien ça ?
À midi, on a décidé que Marissa essaierait de convaincre mes parents. Les siens, tous les deux
médecins, sont de garde à l’hosto ce soir. Du coup, la voie sera libre chez elle si on veut sortir.
— Oui, ce serait sympa, je réponds, un peu ennuyée de mentir, mais bon, connaissant mes parents,
faut bien trouver des solutions !
— D’accord, mais ne te couche pas trop tard. Ton père se démène pour nous trouver une solution,
tu sais.
— Oui, je sais. Promis, maman. Merci. Embrasse papa !
J’ai quand même droit à un petit sermon, sinon ma mère ne serait plus ma mère. Marissa s’amuse
devant mes grimaces, quand soudain, son visage se fige. Apparemment, il y a quelqu’un derrière moi.
Je me retourne, vlan !
— Merde !
Un mur de muscles me barre la vue, le portable m’échappe des mains, ma mère s’égosille toujours
à l’autre bout du fil. Vite, j’appuie sur le bouton pour couper la communication.
— Encore gagné, manchote !
Je le savais, je le sentais que c’était encore lui. Mortifiée, je garde les yeux baissés, une main se
tend devant mon nez pour m’aider à me relever. Veut-il encore m’humilier ? Non, il sourit. Un sourire
angélique, même.
8

Fête ou pas fête??


Léa

J’ai de bonnes raisons d’être surprise, non ? Ce mec m’a quand même dit droit dans les yeux et pas
plus tard que ce matin qu’on devait s’éviter au bahut. Et le voilà qui me barre la route. Marissa va se
poser des questions, c’est malin. Comme j’hésite à saisir sa main, son sourire s’étire encore d’un
cran.
— J’ai des pustules ? glousse-t-il.
— Ça va, ça va, je ronchonne en attrapant ses doigts.
Sa main serre d’abord la mienne, puis, un bref instant, relâche son étreinte, j’en ai presque une
crise cardiaque. Il éclate de rire, content de son entourloupe aussi débile que lui.
— Rappelle-moi de ne plus jamais accepter ton aide, connard.
Il est tellement occupé à rire qu’il ne capte rien. Pas comme Marissa qui bondit.
— Tu l’as traité de connard ?
— Oui ! je m’écrie en même temps que River qui retombe sur Terre.
— Je ne comprends pas très bien, répond Marissa en nous regardant l’un après l’autre. Vous vous
connaissez ?
— Tu ne lui as rien dit ? me demande alors River.
— C’est ce que tu m’as demandé, pauv’ naze !
— Je ne pensais pas que tu obéirais…
— Allô ? C’est quoi l’histoire entre vous ? nous interrompt Marissa d’une voix forte.
— L’ami de mon père, hier soir, tu te souviens ? je soupire. C’est le père de River.
La mâchoire de Marissa se décroche, du grand art.
— Tu habites chez lui ? bégaye-t-elle.
River et moi acquiesçons. Marissa nous mime alors le numéro de la fille choquée. Franchement, je
ne pige toujours pas pourquoi elle a arrêté le club de théâtre.
— Maintenant tu vas te remettre, Marissa, et on s’en va, OK ? dis-je en contournant sa voiture.
— Léa, attends ! s’écrie River en m’empêchant de refermer la portière.
— Quoi ?
— Où tu vas ?
— T’es mon père ?
— S’il te plaît, Léa, réponds-moi.
— Chez Marissa, ça te regarde ?
— Tu comptes y passer la soirée ou t’as prévu autre chose ?
— C’est quoi ces questions, mec ?
— Léa, je suis sérieux.
— Pourquoi tu veux tellement le savoir ?
— Au cas où… mes parents me demanderaient où tu es.
— Menteur. Ma mère les a prévenus. Maintenant, ça suffit. Marissa, on se tire !
Elle m’obéit en démarrant le moteur. River ne bouge pas, je le vois dans le rétroviseur. Il nous
regarde sortir du parking. Je ne sais pas pourquoi, mais je ne voulais pas lui dire que j’irai chez
Nick. Georgia Blakeman rejoint River et le prend par la taille. Tiens donc, la voilà sa petite amie.
Pourquoi ça m’énerve ?

— Ouah ! T’es canon ! s’exclame Marissa.


Grâce à sa garde-robe et à ses talents de maquilleuse, je reconnais que je ne suis pas trop moche.
Pour une fois, j’ai laissé mes cheveux blonds détachés. Comme ils sont longs jusqu’à la taille, ça se
remarque, en effet. J’ai choisi un short en jeans et un t-shirt blanc, ma couleur préférée.
— Nick va adorer ! ajoute-t-elle.
— Euh, je m’en fiche, tu sais.
— Je t’ai préparé un sac de fringues, je te les donne. J’en ai trop de toute façon.
— Merci, c’est super sympa.
— Tu crois que River sera là ? Il avait l’air hyper intéressé par ce que tu comptes faire ce soir.
— Arrête de me parler de River. Je me suis tellement ridiculisée devant lui aujourd’hui.
— Je suis sûre que t’aimerais bien qu’il vienne !
— Mais non.
— Mouais… Attendons la suite !

Un quart d’heure plus tard, Marissa se gare près de chez Nick. Encore une superbe maison.
Décidément, je fréquente une école de nantis.
Les boum boum boum de la musique résonnent dans tout le quartier. Dans le jardin devant chez lui,
je reconnais quelques lycéens, les fumeurs de service.
— Bon Dieu de bon Dieu de…
— Marissa, abrège !
— Regarde qui est en train de te mater, murmure-t-elle.
Nick est sur les marches, il me fixe de ses yeux bleus. Attention, danger, pas question de se noyer
dedans !
— Salut, Léa ! C’est cool que tu sois venue ! T’as même ramené une copine ! Marissa, c’est ça ?
Oh là, Léa, tu aurais manqué un épisode ? On dirait que ces deux-là se connaissent.
J’ai souvent entendu dire du mal de Nick, surtout par ses anciennes petites copines qu’il aligne sur
son tableau de chasse. Je lui trouve quand même l’air sympa.
9

Louables intentions
Léa

À l’intérieur, c’est la cinquième dimension, les mots me manquent pour décrire l’ambiance. Je
précise que c’est aussi ma toute première soirée. C’est complètement dingue, il y a des vibrations de
ouf ! L’entrée est plus peuplée qu’un hall de gare à l’heure de pointe. Ça se trémousse, ça swingue, ça
balance, un groupe de filles pousse des cris perçants, j’en ai les oreilles qui sonnent.
— Venez par ici ! nous crie Nick en plaçant sa main sur mon épaule.
Son contact me gêne, surtout que ses doigts glissent dans mon dos. Il continue de m’adresser un
drôle de sourire. Léa, il n’y a pas de fumée sans feu, méfie-toi, ce mec est relou. Nick nous conduit
par l’escalier jusqu’à une pièce plus calme. Je me sens soudain moins claustro.
— Jacky ! Jacky ! appelle Nick.
Le Jacky en question a les yeux rouges et plane complètement, un énorme joint coincé entre les
doigts.
— Jacky, c’est Léa et Marissa, dit alors Nick.
— Ah, la nana ! répond Jacky en tirant une énorme bouffée.
Cette soirée me plaît de moins en moins. Marissa n’est pas plus à l’aise que moi.
— Pardon ? Je suis quoi exactement ? je m’exclame.
— La nana que j’ai invitée ce soir, répond Nick, un peu gêné.
— T’en as invité des tas, non ?
— Tout faux, baby ! fanfaronne Jacky.
— Elles se sont invitées, précise Nick. Toi, je t’ai officiellement invitée !
— Ah. Ça veut dire quoi exactement ?
— Qu’il t’aime bien ! glousse Jacky.
Non seulement ce type fume de la beuh, mais il est rond comme une barrique. Nick le bouscule
pour qu’il la ferme.
— Désolé, Léa, me dit Nick. Tu es mon invitée.
Qu’est-ce qu’il s’imagine par là, ce crétin des bois ?
— Peut-être, mais je ne sais pas ce que t’entends par là et vu que je ne tiens pas à le savoir, je
préfère me tirer. Salut.
J’entraîne Marissa dans mon sillage.
— Hé, Léa ! Attends une minute ! s’exclame Nick en m’attrapant le bras.
— Qu’est-ce qu’il te prend ?
Un cercle de curieux se forme alors autour de nous. Deux filles me montrent du doigt. Des
exclamations salaces fusent au-dessus de ma tête. J’entends même quelqu’un dire : « Sûrement sa
nouvelle pute. » Je rêve, moi, une pute ? Un mauvais goût de bile me remonte de l’estomac.
— Non, je te jure que je n’ai pas de mauvaises intentions ! lance Nick.
— C’est ce que tu dis toujours.
Figurez-vous que ce n’est pas moi qui prononce cette phrase parfaite, mais quelqu’un qui vient de
m’ôter les mots de la bouche. Vous l’aurez deviné, ce quelqu’un à la voix calme et posée, n’est autre
que River.
River

UNE DEMI-HEURE PLUS TÔT


Écroulé sur mon lit à compter les mouches, j’ignore pourquoi, mais j’ai les nerfs en pelote.
— Qu’est-ce que t’as, River ? implore Georgia, simplement vêtue de l’un de mes t-shirts trop
grand pour elle.
La maison est vide, même Wilson, le majordome, est de sortie. Du coup, j’ai ramené Georgia pour
une petite partie de jambes en l’air, mais je n’arrive pas à me motiver. C’est bizarre, d’habitude le
sexe marche bien entre elle et moi. Je crois que c’est à cause de Léa, je me fais du souci pour elle.
Foutue nana avec son foutu caractère.
— Y a quelque chose qui te tracasse ? insiste Georgia en s’approchant de moi avec un déhanché
étudié.
Elle saute sur le lit et se colle à moi comme une chatte langoureuse. Rien à faire, cela ne m’excite
toujours pas.
Léa, tu t’es pas pointée là-bas, j’espère ?
— Non, rien du tout, je soupire en la prenant dans mes bras.
— Si je te fais ça… et ça, tu aimes ? murmure-t-elle en aventurant ses doigts de plus en plus bas
sur mon ventre.
Toujours rien. Pas l’ombre d’une érection.
— Laisse tomber, Georgia, dis-je en sautant du lit.
— River, t’es malade ou quoi ? C’est la première fois que tu me repousses. T’aimes plus baiser ?
— Pas aujourd’hui. Désolé.
— Tu me caches un truc ? T’as été bizarre toute la journée.
Vous connaissez l’expression « sauvé par le gong » ? C’est exactement ce qui se passe : alors que
je cherche une excuse bidon à lui sortir, mon portable sonne ! Je demande à Georgia de se taire.
— Allô ? Parle plus fort, je t’entends mal.
C’est Jake qui est chez Nick. La musique est assourdissante.
— Tu te souviens de Lila, Léa, je ne sais plus trop ? me crie-t-il, sûrement bourré. Elle est là.
Pourquoi tu voulais que je te prévienne ?
Je raccroche. Réponse inutile vu son état.
— Je dois y aller, Georgia ! Si t’as faim, commande du japonais, il y a de l’argent dans le tiroir. À
plus !
Et je me barre en courant.
— River ! Tu vas où ? me crie-t-elle.
— Quelque part !
Je l’entends qui dévale l’escalier pour me rattraper.
— Je reviens dans une demi-heure. Occupe-toi de la bouffe !
Léa, pas de conneries, tu vaux mieux que ça.
Moins de dix minutes plus tard, je me gare près de chez Nick. L’allée qui mène chez lui est jonchée
de canettes et de bouteilles de vodka vides. Ça promet.
L’intérieur de la maison est plus calme que ce à quoi je m’attendais. On dirait même qu’il se passe
quelque chose en haut. Je monte puis joue des coudes pour me frayer un chemin parmi les curieux
attroupés. J’entends la voix de Léa, peu rassurée, dirait-on.
— Qu’est-ce qui te prend ?
Nick, salaud de Nick, si tu touches à un cheveu de Léa. Des mecs sifflent. La ferme, bande de
connards.
Léa est au centre de l’attention, elle a les joues en feu, rouges de honte. Pauvre chaton.
— Non, je te jure que je n’ai pas de mauvaises intentions, dit Nick.
Ben voyons, comme si je ne connaissais pas ce trouduc.
Nick me fusille du regard dès qu’il me reconnaît, Léa semble soulagée de m’entendre.
10

Saint-Bernard
Léa

Ouah, le grand River en personne et en jean noir ! Ses inséparables acolytes, Jake et Ky, viennent
se placer à ses côtés. La bande de choc. Je surprends même un regard appuyé de Ky en direction de
Marissa. Tiens, tiens…
— Le spectacle est terminé, s’exclame Ky.
— Léa, je te jure ! insiste encore Nick.
— Ça suffit ! le coupe River.
Il m’attrape le poignet et me guide hors de la maison. Marissa, Ky et Jake suivent comme de gentils
moutons.
— T’es venue en voiture ? demande River à Marissa, comme si je n’existais pas. Tu te sens
capable de conduire ?
Je rêve, qu’est-ce qui lui prend ?
— Oui, répond mon amie aussi choquée que moi.
— Ky, raccompagne-la.
— River, ça va pas la tête, tu t’entends ? je gronde.
— Toi, tu m’avais dit que tu allais chez Marissa, rien d’autre. Ça veut dire quoi ça ? me répond-il
d’une voix sourde.
— Hé ! Je te permets pas !
— J’ai raté un épisode ? intervient alors Jake. Y a un truc entre vous deux ?
— Non… Oui… Enfin, c’est compliqué, répond River.
— Laisse béton, Ky, je rentre avec ma copine, dis-je en tirant Marissa par le bras.
— Non, non, non, pour toi, c’est bonne nuit les petits, direction la maison ! s’exclame River.
— Ah oui, sinon quoi ?
— Je préviens papounet et mamounette ! susurre-t-il.
Merde, pas ça. S’ils l’apprennent, je suis punie à vie, sans parler des leçons de morale en
perfusion.
— Parker, je te préviens, si tu oses, je te fais bouffer tes couilles.
— Vulgaire aujourd’hui, notre petit chaton ! J’appelle ma mère pour lui demander de me passer la
tienne.
— Comment t’es sûr qu’elles sont ensemble ? s’étonne Ky.
— Chut ! répond River.
— Léa, rentre avec River, me dit alors Marissa, soudain soucieuse comme moi.
— Salut, maman, c’est moi ! La mère de Léa est près de toi ? demande River au téléphone.
— OK, je rentre ! je m’exclame aussitôt.
— T’inquiète, maman… oui, bien sûr. Bisous.
— Elle rentre chez toi ? Merde, tu vas m’expliquer ? s’écrie Jake.
Finalement, je trouve cette petite scène plutôt drôle, surtout la tronche que tirent les potes de
River !
— On vous dira ça plus tard, fait River en éclatant de rire. Ky, je compte sur toi pour Marissa.
Jake, rejoins-moi au cabanon.
— Au cabanon ? Je croyais qu’on rentrait chez toi, je m’inquiète aussitôt.
— C’est chez moi, au fond du jardin, me répond River.
— Notre petit jardin secret ! ajoute Jake en montant dans sa voiture.
Celle de River est garée bien plus loin dans la rue. On y va. La brise déplace une mèche de ses
cheveux, je le trouve encore plus craquant. Quoi ? Vous en auriez dit autant à ma place !
Une fois en route, je remarque que River respecte les limitations de vitesse. Bravo, mec. Ferait-il
des efforts pour moi ?
— T’as jamais dit que t’irais à cette soirée, je lance, histoire de meubler le silence.
— Toi non plus.
— Ça ne te regardait pas.
— Et toi, t’étais pas obligée de mentir, répond-il en me jetant un bref coup d’œil.
Mensonge par omission. J’avoue – à moi-même, pas à lui ! – que je ne sais pas pourquoi je l’ai
fait.
— Nick voulait juste te mettre la main au cul, tu sais ça ? reprend River en s’arrêtant au feu
orange.
— Et si c’était moi qui avais voulu lui mettre la main au cul !
— Je crois pas, non ! Ce n’est pas ton genre, Léa.
— Alors c’est quoi mon genre, puisque tu le sais si bien ?
— Hum… Une méga bosseuse dont le pire cauchemar est de se choper une sale note.
Tsss, tellement vrai.
— Je crois aussi que tu détestes te retrouver au centre de l’attention.
Encore gagné.
— Et que tu veux qu’on te prenne pour une dure à cuire inaccessible ! achève-t-il avec un sourire
malicieux.
— River, je ne joue pas la fille inaccessible, je suis inaccessible.
Enfin, en ce qui te concerne, je me pose des questions.
On n’échange plus un mot. Une fois la voiture garée devant chez lui, River contourne la maison et
se dirige vers le petit bois au fond de son jardin. Le clair de lune est lumineux, je fais quand même
attention à où je mets les pieds.
— Tu t’en sors, la manchote ? me demande River en écartant une branche basse.
— Faudrait renouveler tes surnoms, tête de nœud.
— Je peux en dire autant. Les tiens manquent d’originalité. Allez, avance, pervenche !
Ce mec m’énerve. Je ramasse un petit caillou et le lui jette à la figure mais il l’évite d’une
pichenette en éclatant de rire. Léa, tu es pathétique.
— Pauvre chaton ! T’as perdu ta pelote de laine ?
— River, tu viens ? crie Jake dans la nuit.
J’aperçois la porte ouverte du cabanon niché au milieu des arbres. River rejoint son ami en trois
enjambées.
— Hé, mec, t’as jamais parlé du cabanon à Georgia, n’est-ce pas ? demande Jake.
— Non pourquoi ?
— Qu’est-ce qu’elle fout ici ? murmure-t-il.
Georgia apparaît sur le seuil. Génial, le plan du cabanon.
— Salut, dit-elle d’une voix grand-fluide-glacial dès qu’elle me voit.
— Léa, je te présente Georgia, ma copine.
11

Explications au sommet
River

C’est bizarre, mais j’ai du mal à le prononcer. Ça fait pourtant trois ans qu’on sort ensemble.
C’était sympa à quatorze ans, beaucoup moins aujourd’hui.
Je me rends compte que Léa déglutit comme si elle avait avalé de travers. Quand je pense qu’elle
m’a menti à propos de la soirée chez Nick. Je ne devrais pas en faire un fromage, un tas d’autres
filles étaient à cette saleté de soirée, mais que Léa soit peut-être attirée par Nick, ça me tue.
— Léa Wilson, la fameuse copine de Nick, c’est ça ? précise Georgia.
— Pas du tout ! s’écrie Léa en même temps que moi.
Les deux filles me lancent un drôle de regard.
— Comment était la fête ? Tu y étais, Léa, n’est-ce pas ? demande encore Georgia.
— Parlons d’autre chose, tu veux.
— River risquerait encore de s’énerver ! ajoute Jake, ce faux frère.
— Ça s’est si mal passé ? insiste Georgia, sans quitter Léa des yeux.
Je pousse Jake à l’intérieur du cabanon, les filles traînent derrière. J’entends Georgia chuchoter à
Léa : « Contrairement à ce qu’on pourrait croire, River déteste Nick et réciproquement. »
— La ferme, Georgia !
Cette nana et sa langue bien pendue, quelle purge.
— T’es chatouilleux ce soir, River, me répond-elle.
— Pourquoi tu détestes Nick ? me demande alors Léa.
— C’est pas…
Non, Léa n’a pas besoin d’être mêlée à mes problèmes. Changeons de sujet.
— Au fait, Georgia, comment t’as fait pour trouver le cabanon ?
— Ta mère m’en a parlé quand je lui ai dit que t’avais disparu.
Évidemment, au premier rang des bavardes, j’oubliais ma mère.
— Pourquoi c’est secret ici ? embraye Georgia, pipelette ex aequo.
Le cabanon rempli de mes souvenirs d’enfance.
— Parce que. Léa, tu veux boire un verre ?
— Moi ? Oui, de l’eau, s’il te plaît.
— J’en veux un aussi, mais bien sûr, tu ne m’en proposes pas. Ah, les mecs, Léa si tu savais !
lance Georgia en se précipitant vers la cuisine.
— J’ai rarement vu Georgia aussi serviable, t’as trop de chance ! plaisante Jake.
— Ah bon ? Elle a plutôt l’air sympa, répond Léa, innocente.
— N’approche pas de ses griffes roses ! dit encore Jake.
Ky entre à ce moment-là dans le cabanon, il tombe bien celui-là.
— Hé, vieux, tu ramènerais Georgia, s’il te plaît ? je lui demande en lui lançant mes clés de
voiture.
— Pourquoi il faut toujours que je sois ton chauffeur à gonzesses ? ronchonne-t-il.
— Parce que t’es mon super pote !
Georgia revient de la cuisine avec deux verres d’eau.
— Ky te ramène, Gigi ! Avale ta flotte !
— Quoi, déjà ? Mais j’ai envie de rester !
— Non, ma jolie, il est tard.
— Promets-moi que tu m’appelleras en te couchant, minaude-t-elle.
— Allez, au pieu la Georgia, grommelle Jake.
Léa pouffe de rire. Son regard fait la navette entre Georgia et moi, j’ai honte du comportement de
ma copine. Quelle glu. D’un autre côté, je ne lui ai rien dit à propos de la famille Wilson installée
chez nous.
C’est seulement après que l’envahissante Georgia est partie, que je remarque combien Léa est bien
sapée. Et maquillée avec ça. Hum, mignon comme un cœur, le chaton.
— Alors, vous m’expliquez ? lance cet abruti de Jake.
— Vas-y, Léa, renseigne ce gros lard, je réponds.
Mon portable vibre. Je le sors de ma poche et découvre un message de Georgia : Pourquoi tu
m’as pas dit qu’elle dormait chez toi ???
Quand je vous disais que ma mère était la pipelette-mondiale numéro un.
Bordel, Georgia, ma copine.
12

Rêve ou réalité
Léa

— Bah oui, les termites ont grignoté ma maison ! je conclus face à un Jake plié de rire par mon
histoire.
Le pire, c’est que je dois la reprendre à zéro au retour de Ky. À chaque fois que je prononce le mot
« termites », Jake repart pour un tour, ce crétin.
— Je suis désolé pour toi, dit Ky, bien plus normal que son pote. Tais-toi, Jake, tu crains !
— Avoue que c’est drôle ! On n’entend pas un truc aussi délirant tous les jours !
River, qui est vautré dans le canapé, arbore un sourire jusqu’aux oreilles. Ces mecs commencent
sérieusement à me courir sur le haricot… Mais j’avoue qu’ils sont mignons à se bidonner comme des
baleines.
— Du coup, tu dors dans la chambre jaune, c’est ça ? résume Ky.
— Oui.
— Pourquoi pas ici ? C’est vide sauf quand on vient, commente Jake.
— Sûrement pas ! tranche River. C’est plus sûr à la maison.
— Euh, comment ça, c’est plus sûr ? je demande.
— À cause des bois et des bêtes, me répond River.
Il est bizarre, on dirait plutôt que c’est lui qui a besoin de surprotéger les autres. Ça frisait même
le ridicule chez Nick.
— T’inquiète, Léa, t’es pas la première nana à qui River refuse le cabanon, dit alors Jake.
Les garçons se lancent un regard que je n’arrive pas à interpréter. Il y a un non-dit, comme si un
truc clochait. Hum, River, ce ne sont pas mes oignons, mais je suis une fille curieuse.
— Je parie que t’aimes les jeux vidéo, Léa ! me demande Jake.
— Gagné ! J’adore Call of Duty.

Cette nuit-là, je nage dans le plus beau rêve de tout mon catalogue de rêves. Cherchez le mot
« heureuse » dans le dico, vous trouverez mon nom pour la définition. Un rêve merveilleux, je suis
dans les bois. Ils sont baignés d’une lumière irréelle parce que le clair de lune est rayonnant, la brise
me rafraîchit et me réchauffe en même temps. Je suis dans ses bras, il m’emporte comme une
princesse à libérer. La traîne de ma robe ondule derrière nous.
Crac, crac, fait le bruit de ses pas sur les branches mortes.
Boum, boum, fait mon cœur qui s’emballe.
Minute papillon !
Mon regard s’ajuste à la pénombre, je commence à distinguer sa mâchoire carrée, l’ombre de sa
barbe. River…
River !
Bordel, je suis dans les bras de River !
Gloups. Ce n’est pas un rêve. Double gloups. J’ai mal au cou.
— Aïe !
— Arrête de remuer, manchote, on y est presque.
On dirait qu’il se marre, j’ai sûrement encore réussi à me faire mal. Une fois de plus. Hum, j’adore
l’odeur de son eau de toilette, j’inspire à fond pour m’en mettre plein le nez.
— T’es enrhumée ? me demande River.
— Moi ? Non !
Zut, j’aurais dû dire oui, j’aurais eu l’air moins bête.
— Tu m’emmènes où comme ça ?
— À la maison. Rendors-toi, chaton !
Vu que je ne me rendors pas, il me dépose sur mes deux pieds. Dommage. C’était trop cool. Je me
demande même si j’ai rêvé.
— On arrivait d’où ?
— Du cabanon.
— Il est quelle heure ?
— Léa ! tu poses trop de questions. Il est 2 heures du mat’.
— Quoi ? Mais qu’est-ce qu’on foutait !
— On parlait. Tu t’es endormie à 1 heure.
Les rouages de mon cerveau se remettent en branle. Je commence à me souvenir, je m’inquiète
aussitôt.
— J’ai pas dit de conneries, n’est-ce pas ?
— Si ! Des tonnes ! chuchote-t-il parce qu’on vient d’entrer dans le hall.
— Hé, ho, ça fait juste deux jours que tu me connais.
— On va passer beaucoup de temps ensemble maintenant.
— Qu’est-ce qui te fait dire ça ?
— Tu vis chez moi, au cas où tu l’aurais oublié !
— Et je dois t’éviter, je sais.
— Non ! Enfin… On est amis maintenant, ajoute-t-il soudain sérieux.
Mon cœur faisait déjà la java, mais là, il est carrément fou furieux, River l’entend, c’est forcé.
— T’arriveras à retrouver ta chambre ? reprend-il en souriant.
— Oui ! Merci de m’avoir ramenée en mode… princesse !
Ah là là, et dire qu’il aurait pu me porter jusqu’à ma chambre…
— Bonne nuit, Léa !
13

Seule à la maison
(1
REPARTIE)
Léa

J’ai rêvé, n’est-ce pas ? Oui. Non ! Et ce n’était pas non plus un cauchemar. River m’a portée dans
ses bras, ma tête était nichée contre sa poitrine, son parfum me chatouillait les narines.
River, arrête de m’ensorceler, merde.
Aujourd’hui, on est samedi, ça tombe bien. Le lit est divin, cette chambre est magique, cette maison
est… Stop ! Debout Léa. À croire que ma mère parle dans ma tête. Je repousse lentement la couette,
pose les pieds sur le plancher, doucement.
Midi à l’horloge.
Midi ! Mille pompons, vous ne le saviez pas encore, mais je déteste les grasses mat’, moi. Le choc
du constat me fait retomber sur le matelas… Ouille ! Pas de chance, je vise à côté, me prends les
pieds dans la couette qui a glissé et je m’affale lamentablement. Cette fois-ci, je suis bien réveillée,
merci.
— Tout va bien, Léa ? glousse une voix.
Ben voyons, encore lui, et dans ma chambre.
— Réussir à tomber d’un lit king size californien, faut le faire ! Bel exploit, petite manchote !
— J’ai du talent, je grommelle, les yeux fermés, pour m’éviter la honte de son sourire moqueur.
Je l’entends qui approche. Quand je rouvre les yeux, River est à quatre pattes devant moi. En
voulant retirer la perfide couette, ses doigts effleurent mon ventre, ma peau réagit au quart de tour,
mes joues s’enflamment. Triple horreur : j’ai le nombril à l’air, mon pyjama s’est enroulé. Au
secours ! Les yeux chocolat de River sont scotchés sur mon anatomie. Je rabats mon pyjama traître,
fin du Léa-show. J’essaye de reprendre contenance alors qu’il me tend la main.
— Debout, Léa.
River, fée du logis, ramasse aussi la couette et la replace sur le lit. Je me sens bête dans mon petit
pyjama blanc à cœurs roses.
— C’est drôle, dit-il en reprenant son examen détaillé de ma personne.
— Qu’est-ce qui est drôle ?
Je croise les bras sur ma poitrine, histoire de me donner une pose plus digne, mais je réalise trois
secondes plus tard que mes seins ont remonté dans mon décolleté comme deux montgolfières prêtes à
s’envoler. Purée, Léa !
— Tu ne me fais aucun effet, pourtant, ton pyj’ ne cache pas grand-chose !
Hein ? Les bras m’en tombent. Vous avez entendu ce connard, ce bâtard, ce macho, ce… OK, vous
avez pigé. River est un enfoiré jusqu’à la moelle, moi qui pensais qu’une infime part de lui était
rattrapable.
— Dis donc, le mufle de service, garde tes réflexions pour toi et sors de cette chambre. Je ne t’ai
jamais dit d’entrer.
Sur ce, je lui tourne le dos et attends que la porte se referme. N’empêche, je suis mortifiée jusqu’à
l’os. Jamais personne ne m’avait débité un truc pareil.
— Les parents sont sortis. Si t’as faim, je peux préparer un repas, lance River. Rejoins-moi quand
tu seras habillée. On cuisinera ensemble.
Hein ? Ce mec est ahurissant, d’abord il m’humilie et deux secondes plus tard, il joue à l’hôte
parfait.
14

Seul à la maison
E
(2 PARTIE)
River

River, t’es con, con, archi con, le roi des cons. Qu’est-ce qui t’as pris ? Foutre la honte à une fille
de façon aussi dégradante, ce n’est pas du tout ton truc d’habitude.
Je n’en reviens pas. Ai-je voulu la faire réagir ? N’importe quoi, sombre abruti. Moi qui avais
déjà mal au crâne en me levant… Quand on parle du loup – quand on pense à lui, plutôt ! – il arrive.
— Ah, zut, c’est la cuisine, je cherchais la salle à manger, lance Léa, sur le seuil de la cuisine.
— T’es unique, toi !
Elle croise encore ses bras, un réflexe d’auto-défense sûrement. Ses petits seins remontent. Oups,
stop, River, regarde ailleurs.
— T’en n’as pas marre de te moquer de moi ? enrage-t-elle.
— T’es marrante comme fille, pire qu’un Cluedo !
— Ah.
Elle est vraiment fâchée. River, arrête tes conneries.
— Pourquoi tu cherchais la salle à manger ?
— Comme ça.
Je t’en supplie, Léa, desserre tes bras, j’ai les yeux qui louchent. Heureusement, elle s’est
changée, quoique son décolleté en V reste très suggestif.
— Tu veux une visite guidée de la maison ?
— Non merci.
— Alors tu viens et tu m’aides à préparer ?
Elle hésite, reste sur le pas de la porte, avec une moue craquante.
— Je cuisinerai ce que tu veux, tu gagnes un super repas et un après-midi de rêve avec un chef
quatre étoiles ! dis-je, histoire de la convaincre.
— Mouais.
Méfiant, le chaton.
— Allez, Léa, ça sera sympa !
— Je ne lèverai pas le petit doigt, même si tu te crames les pattes ou que tu pleurniches en
épluchant des oignons.
— OK ! Tu veux quoi comme plat ?
— Ta spécialité, évidemment.
— Alors, ce sera des pâtes à la carbonara dégoulinantes de crème fraîche pour madame !
Léa sourit, c’est déjà ça. Elle s’approche du comptoir, s’accoude, ce qui provoque du remue-
ménage dans son décolleté… Cette fille est le diable en personne.
— Si tu coupais les oignons ! je propose pour faire diversion.
— Je vais pleurer.
— Bah quoi, chaton, ce sera très…
Stop. Elle rougit encore. Décidément, elle réagit au quart de tour… Au turbin. J’attrape un couteau,
la planche à découper, un chapelet d’oignons, et installe le tout sur le comptoir devant elle.
— Et ne te coupe pas un doigt, Léa.
— Non. Et toi, ne laisse pas traîner les tiens !
— Maman, j’ai peur ! dis-je en enfilant le tablier de ma mère.
— River, je peux te poser une question ?
— Yep, chaton.
— Qu’est-ce que tu faisais près de chez moi, le soir où ma maison s’est écroulée ?
— Avec Ky et Jake ? On revenait d’une soirée quand on a entendu le bruit.
— Une fête un jeudi soir ?
— Oui, des potes d’université. Ils en organisent tous les soirs… Au fait, je suis désolé pour ta
baraque.
Grand couillon, tu devrais aussi t’excuser pour tout à l’heure.
Les oignons commencent leur boulot, Léa a les yeux rouges et cille pour éviter les larmes. Elle
devrait plutôt arrêter de les couper.
— Moi aussi, je peux te poser une question ?
Le sujet « Nick et sa soirée » me titille toujours, je n’arrive pas à m’en débarrasser.
— T’aurais fait comment si je n’étais pas intervenu chez Nick ?
— J’étais en train de partir.
— T’es sûre ?
Crétin, puisqu’elle te le dit.
— Pourquoi je te mentirais ? me répond-elle.
— Bah, ce serait pas la première fois…
— River, tu m’énerves, t’es pas mon père !
— Et toi, tu ne sais pas de quoi Nick est capable avec les nanas…
— Il est pire que toi ?
C’est vrai que je suis loin d’être un saint, mais je ne suis pas un salaud. Ça non. Et je ne serai
jamais comme Nick.
— Moi, je ne couche pas à droite à gauche, je dis en espérant qu’elle me croira.
— Ce que tu fais ou ne fais pas ne me regarde pas, River, répond-elle avec des yeux revolver.
J’aimerais surtout que tu arrêtes de me chaperonner.
— Désolé.
L’après-midi prend une sale tournure, merde.
— Tu me détestes ? je demande alors.
Décidément, je suis taré, ça sort d’où une question pareille ?
— Non.
— Ah !
— Mais je ne t’aime pas non plus.
— Oh, Léa, tu me crèves le cœur !
— Aïe !
Bordel, elle vient de se couper le doigt.
— Je t’avais pourtant prévenue, je soupire. Montre-moi, c’est profond ?
— C’est de ta faute !
— Mes pectoraux t’ont éblouie ?
— Tsss, toujours aussi égocentrique.
J’attrape son poignet pour l’obliger à venir rincer sa plaie sous le robinet.
— C’est bon, assieds-toi là maintenant.
Elle essaye de se hisser sur le comptoir, mais toujours aussi maladroite, glisse sur le carrelage.
— Léa ! Léa !
— C’est trop haut.
Je l’attrape par la taille pour la soulever et l’installer. Surprise, elle me dévisage, mais j’évite son
regard en farfouillant dans le tiroir à la recherche de la trousse de secours.
— Je l’ai ! Donne ta main.
— Laquelle ?
Sa bonne humeur revient, c’est bon signe. Je joue au parfait infirmier, désinfecte la plaie et lui fait
un joli pansement. Je crois qu’on est aussi gênés l’un que l’autre.
15

Seule à la maison
E
(3 PARTIE)
Léa

River se tient face moi, entre mes jambes, à quelques centimètres, si près que sa chaleur m’irradie.
Mon cœur s’emballe, ma respiration s’accélère. Forcément. Je sens encore le contour de ses mains
imprimé sur ma taille, comme si elles y avaient laissé une brûlure. Tiens, River a l’air aussi gêné que
moi. C’est nouveau ça.
Il va s’approcher encore… Je le sens…
Non, impossible, il a une copine et moi, je ne suis pas une briseuse de couple. Jamais, jamais je ne
ferai ça. Du coup, je m’écarte imperceptiblement. Il a fini de soigner mon doigt.
— Je peux descendre maintenant ?
C’est fou ce qu’il me rend fiévreuse. Ça y est, il recule, j’ai la place de sauter par terre. Il se gratte
la tête maintenant. Mal à l’aise ou ennuyé, le grand River ? Je n’arrive pas à décider.
Un bruit nous fait sursauter. Deux silhouettes sont visibles à travers la vitre dépolie de la porte,
côté patio. Jake et Ky. Ouf, ils n’ont rien pu voir. River leur ouvre.
— Qu’est-ce que vous foutez là ? s’exclame-t-il.
— Désolé, vieux, dit Jake, la clé du cabanon n’est plus sous le paillasson… T’as l’air stressé, toi,
y a un…
Ky m’aperçoit alors.
— Je crois qu’on est de trop, Jake !
— N’importe quoi, répond River. Léa m’aidait à préparer des pâtes. Entrez.
— Salut Léa ! me lance Jake. Ça te plaît de croiser River en caleçon ?
— Euh…
— Ne l’écoute pas, Léa, dit Ky, Jake crève d’envie que tu viennes habiter chez lui !
— Pfff. Désolé Léa, mais t’es pas mon genre, je préfère les nanas plus… expérimentées ! précise
Jake avec un sourire grivois.
Quel crétin des Bahamas. Ce qui m’agace, c’est que River rit, alors que l’humour de son pote est
lourdingue. Laisse béton, Léa, ces machos musclés n’ont aucun intérêt.
— Vous sortez d’où pour parler comme ça devant Léa ? s’exclame alors Ky.
Oh ? Je suis tellement scotchée que le troisième de la bande ait des manières que je ne peux
m’empêcher de le remercier avec mon plus beau sourire. J’aurais volontiers giflé les deux autres.
— Bon, vu que je me suis charcutée le doigt, je vous laisse entre vous… River, si tu vois mes
parents, dis-leur que je suis sortie. Salut.
Et je me tire en vitesse. Bravo Léa, belle sortie.
— Léa ! Attends !
C’est Ky.
— Tu vas où ?
— Chez une copine très sympa avec moi.
— Euh… Léa, fais pas attention à Jake. Il est… juste égal à lui-même. Pareil pour River. Je
t’assure que tu finiras par les aimer quand tu les connaîtras mieux.
— Autrement dit, je finirai par m’habituer à leur bêtise, c’est ça ?
— Oui !
— Heureusement que tu es différent, parce que trois comme ça…
— Merci. Mais ils sont moins pires que ce que tu crois.
— Mouais. T’es leur pote, surtout.
— C’est vrai qu’ils sont pourris gâtés et qu’ils ont des manières lamentables, mais ce sont aussi
mes meilleurs amis, je les ai choisis, alors, fais-moi confiance : donne-leur une chance.
Ky est vraiment un garçon bien et droit dans ses bottes. Je m’étais déjà fait la réflexion il y a un an
ou deux, lorsqu’il m’avait demandé de l’aider sur un problème de maths.
— Je peux te déposer quelque part, il y a marqué chauffeur ici, tu le sais bien ! ajoute-t-il avec le
geste.
Avant que je ne puisse répondre, River se pointe et me demande, hargneux :
— Tu vas où ?
— Je sors.
— Je t’emmène.
— Ky me l’a déjà proposé, alors non merci, River.
Un ange passe.
— Euh, je vais aller voir si Jake a besoin de moi, dit Ky après un bref coup d’œil à River.
— Tu étais prête à aller avec Ky, mais pas avec moi ? gronde River.
— T’écoutes aux portes ?
— Tu parles fort.
— Horreur ! Le grand River ment !
— T’as pas confiance en moi ?
— Surprenant, n’est-ce pas !
Et je le plante dans le couloir. Ce mec me rend folle avec ses montagnes russes émotionnelles.
— Léa ! Laisse-moi t’emmener, s’il te plaît.
— Mais enfin, pourquoi ?
— Parce que…
— Parce que quoi ?
— Je te dépose où ?
— River ! On va mettre les choses au point : tu es abject avec moi quatre-vingt-dix-neuf pour cent
du temps, pourquoi je devrais accepter de monter dans ta voiture ?
— Je suis désolé… C’est vrai que je suis un gros crétin, je n’aurais jamais dû te parler comme je
l’ai fait dans la chambre. Et pour Jake, laisse tomber, il a un sens de l’humour très particulier.
Je savoure un instant ma petite victoire. River est penaud, ses yeux chocolat s’attardent même un
instant sur ma bouche, j’en frémis.
— Alors Léa, je t’emmène ?
— OK !
— Tu manges mes pâtes d’abord !
16

Pas de chance
Léa

J’ai mis du temps à choisir ma tenue dans le stock de vêtements de Marissa, mais maintenant, c’est
bon et tout simple : jeans et t-shirt ! J’ai coiffé mes cheveux en chignon. Pas de maquillage, sauf les
valises sous mes yeux ! Si j’avais du fond de teint, j’en aurais mis. Tant pis. Oups, 13 h 30 : River
attend depuis une demi-heure ! Je me précipite sur le palier.
— Léa, tes parents viennent d’arriver ! me crie-t-il.
Je rejoins la parenté au salon. Ils ont l’air sérieux. Aïe, ça sent mauvais, c’est le moment de te
montrer gentille, Léa.
— Coucou papa et maman !
Ma mère me regarde avec des yeux de Calimero. Mon père se tord les mains.
— Qu’est-ce qui se passe ?
— Nous sommes allés à la maison avec l’expert, commence mon père.
— Et alors ?
— Elle est irrécupérable, les dommages sont trop importants pour la structure. À cause des
canalisations qui ont éclaté au premier, tout est fichu. On ne peut quasiment rien récupérer de nos
affaires.
Le méga coup dur. Mon père s’est tué au boulot pendant des années pour l’emprunt, on n’a plus
rien aujourd’hui.
— Ils vont la reconstruire ?
— Oui. Mais ça prendra du temps.
C’est la bonne nouvelle, n’est-ce pas ? Les boules, les super-giga boules. Je fais un petit inventaire
mental de tout ce que j’ai perdu : mes vêtements, mes chaussures, mon maquillage, mon ordi, mon
portable, mes photos… Je sais, c’est bassement matériel, mais mettez-vous à ma place cinq minutes.
— Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? je demande d’une petite voix.
— On se serre la ceinture pour louer une autre maison. En attendant, Malcom et Brenda nous
proposent de rester chez eux.
Ouah, ils sont généreux ces gens-là…
Je laisse mes parents à leurs discussions et vais trouver River dans la cuisine.
— Tout va bien ? me demande-t-il en me voyant entrer.
— Impec’, je mens encore. Où sont Jake et Ky ?
— Au cabanon. T’es sûre que ça va, Léa ?
— Oui, oui… C’est juste que je n’ai plus faim. Tant pis pour tes pâtes.
— Quoi !
— Désolée.
— Je t’emmène toujours ?
— Non, ça ira. Merci, River.
*

La fin du week-end et la semaine se passent comme dans du brouillard : je me lève, je mange, je


vais au lycée, je fais mes devoirs. C’est tout. Ça craint, mais j’essaye de voir le bon côté des choses :
nous sommes en vie sous un toit formidable, même si ce n’est pas le nôtre.
Évidemment, je croise River – ou je lui fonce dedans – sans arrêt : on quitte nos chambres en
même temps, on s’étire sur nos balcons, on saisit la poignée du frigidaire au même moment, ce genre
de coïncidences. Un jour, Brenda était pliée de rire devant nos civilités à propos de la brique de
lait : « Après toi, mais non, après toi, je te dis ! »
Du coup, j’avoue que je pense souvent à lui et aux moments sympas qu’on a eus ensemble : quand
il m’a portée dans les bois, quand ses yeux ont dévoré mes lèvres, quand il m’a bandé le doigt – qui
me fait encore un peu mal. Je sais que je devrais l’oublier parce qu’il a une copine et tout, mais j’ai
beau me faire hara-kiri dans la tête, il revient toujours.
Un jour, il m’a conduite au lycée. Cette fois-là, je suis restée dans sa voiture jusqu’au parking de
l’école. On est même entrés côte à côte. Du coup, on n’est pas passés inaperçus…
Une autre fois, il m’a dit un truc sympa : « Je suis désolé pour tes affaires, Léa. Si t’as besoin de
quoi que soit, n’hésite pas. » Après ça, j’étais sur mon petit nuage bleu !
Aujourd’hui, c’est samedi. J’ai pris la sale manie de me lever tard. Sûrement à cause de ma literie
de princesse. En sortant de ma chambre, je me surprends à être déçue de ne pas croiser River. Mais
je le retrouve dans la cuisine, il a même sorti le lait !
— Bonjour, River !
— Bon après-midi, tu veux dire ! Céréales ?
— Hello les marmottes ! claironne Brenda. River, pourquoi tu n’emmènes pas Léa déjeuner
quelque part ? Je n’ai pas eu le temps de remplir le frigidaire.
— Léa, ça te dit ? me demande-t-il.
Y a rien de mal à accepter un déj, n’est-ce pas ?
— OK !
— Je préviendrai tes parents. Allez-y ! s’enthousiasme Brenda.
Je file m’habiller, sans faire attendre River cette fois-ci. Je choisis une tenue de Georgia. C’est
drôle qu’elle n’ait jamais fait de remarques, pourtant je les porte souvent à l’école. Elle en a
tellement dans ses placards qu’elle a dû oublier…
— Prête ? me demande River avec un sourire.
— Oui !
— Après vous, chaton !
Et il s’efface en m’ouvrant la porte ! En progrès, non ?
17

Le dernier informé
River

Juste avant de monter en voiture avec Léa, j’envoie un texto à Georgia que j’étais censé retrouver
cet aprèm. Sorry Georgi, suis obligé d’annuler. J’appelle plus tard. Hop, une bonne chose de faite.
— Tu penses à un endroit en particulier ? je demande à Léa.
— Non. Toi ?
— Qu’est-ce que tu dirais d’aller chez Smithie ?
— Connais pas ! Let’s go !
— T’as jamais entendu parler de Smithie ! Ta vie va être transformée, chaton !
Je la trouve mignonne avec son chignon tout fou et ses taches de rousseur qui parsèment le bout de
son nez.
— Ça marche les exams pour toi ? me demande-t-elle en rougissant.
— Yep (gros mensonge), et toi ?
— Heureusement que ce sont des exams blancs. J’avais la tête ailleurs si tu vois ce que je veux
dire…
Sûr, mais que répondre à part « Je suis désolé » ? Du coup, je m’abstiens. On arrive. Je la laisse
choisir une table.
— J’espère que t’as faim, Léa, leurs tartes sont à tomber !
Zut, est-ce qu’elle aime ?
— Quel crétin, j’ai oublié de te demander si tu aimais la tarte et les tourtes ?
— J’aime, oui… River, je peux te poser une question, tu ne te vexeras pas ?
— Demande, chaton !
— Ta copine, ça ne la dérange pas qu’on… que tu…
— Que je t’invite à déjeuner ? Pas du tout !
Ben voyons, connaissant Georgia, vaut mieux pas qu’elle sache, la tigresse.
Je l’ai déjà trompée, elle l’a su mais est restée malgré tout avec moi. Je n’étais pas fier, mais ce
qui est fait est fait.
— Moi aussi, j’ai une question, Léa. Vous n’avez vraiment rien vu venir tes parents et toi pour les
termites ?
— Bonne question, soupire-t-elle. Ça a commencé dans le grenier, où on n’allait jamais. Elles se
sont développées dans les murs, les conduits, partout. On s’en est rendu compte le jour où le toit nous
est tombé sur la tête.
— Pas de chance… J’espère que tu te plais chez nous.
— Non, parce que tu y es !
— Oh… Ah ! C’est de l’humour à la Léa !
— Tu t’habitues ! Et toi, ça ne te dérange pas que je sois là ?
— Pas du tout.
— Ah ouais !
— Pourquoi tu dis ça ?
— Parce que tu m’as snobée ou rabaissée dès la première minute.
— C’était de la maladresse. Je ne le pensais pas.
— Ah ouais ?
— Oui, Léa, je n’ai jamais voulu t’insulter.
— OK. En tout cas, merci de nous accueillir, votre maison est fantastique. T’as trop de chance.
— Mon père serait ravi de t’entendre. La construction lui a pris six ans.
— Tu veux devenir architecte comme lui ?
— Non. Je préférerais être médecin, comme ma mère.
— Sérieux ?
Depuis que je vois le dévouement des médecins qui aident ma sœur, oui, j’ai trouvé ma vocation.
— Très sérieux, oui.
— Moi aussi !
— Tu veux devenir médecin ?
— J’aimerais, mais il y a une différence entre vouloir et réussir.
Mon portable vibre à ce moment-là. Je découvre un texto de Georgia plus un courriel de l’hôpital
que j’ouvre sur-le-champ… Rien de grave, juste un rappel des nouveaux horaires. D’ailleurs, si je
me dépêche je pourrais y aller maintenant.
— Tout va bien ? me demande Léa.
Ses yeux sont sublimes, on a envie de se noyer dedans.
— Léa, est-ce que tu…
Je la connais à peine, comment lui confier un truc pareil ? Elle attend patiemment que je continue,
comme si elle comprenait ce qui m’agite.
— Tu serais d’accord pour que je t’emmène quelque part ?
— Où ça ?
Quand la coupe est un peu trop pleine, parler à quelqu’un fait du bien, c’est peut-être même plus
facile avec une personne qui ne vous connaît pas par cœur.
— Surprise.
Ducon, tu l’emmènes à l’hosto et t’oses appeler ça une surprise ?
Le serveur fait diversion en arrivant avec la note. Léa cherche son porte-monnaie.
— Je t’invite, Léa.
— Merci !
— Prête ?
Elle me répond d’un sourire rayonnant et me suit jusqu’à la voiture. Le trajet est court jusqu’au
centre hospitalier. Une fois devant l’entrée du parking, elle s’agite sur son siège.
— Tu m’emmènes à l’hôpital, River ?
— Je… J’aimerais te montrer… Tu verras.
Elle fronce les sourcils et ne dit plus rien. L’hôpital est une ruche bourdonnante comme la
première fois que j’y suis venu, il y a un an, lorsqu’Emily, ma sœur jumelle, y a été admise. J’avais
blindé comme un malade sur la route. Les voitures des parents et de nos amis étaient déjà garées.
J’avais été le dernier informé, un truc que je n’ai toujours pas digéré…
Aujourd’hui, je viens avec Léa, qui est entrée dans ma vie depuis dix jours à peine, mais quelque
chose me dit que je peux avoir confiance en elle. Il me tarde d’alléger le fardeau.
18

Espoir et hôpital
Léa

Ça a l’air hyper important pour lui. Je préfère me taire plutôt que de sortir une énormité. Dans la
liste des surprises possibles, je n’avais pas imaginé l’hôpital.
— River, t’es sûr que c’est bien moi que tu veux conduire ici ?
— Cent pour cent sûr.
Il est malade ? Il veut déposer un CV pour un stage ? Léa, t’es neuneu, pas le dimanche.
Son visage est grave, distant, peiné même. Ce n’est plus du tout le River moqueur ou pédant.
— Prête ?
— C’est la deuxième fois que tu me poses la question.
— T’as pas peur des hôpitaux, n’est-ce pas ?
— Non, ce n’est pas mon endroit préféré, mais quand on veut devenir médecin, faut bien
s’habituer.
— Pour moi, je le suis déjà, grommelle-t-il.
Oh ? Serais-je en train de découvrir le vrai River ?
Il marche vite, j’ai du mal à le suivre. Ça a l’air pénible pour lui d’être ici.
— River ? Est-ce que…
Tais-toi, bécasse, tu vas encore te ridiculiser. Je me retiens juste à temps. Pour une fois. River a
l’air trop sérieux. Il s’est passé quelque chose qui l’a affecté, c’est certain. Soudain, il me tend la
main. Si je fais un arrêt cardiaque, il y aura bien un gentil médecin pour me ranimer, n’est-ce pas ?
J’oublie qu’il a une copine, j’enlace mes doigts aux siens. Une décharge électrique me traverse le
corps. Zen, Léa, tout va bien.
— Viens, murmure-t-il.
L’infirmière de la réception, une dame aux cheveux grisonnants, lui adresse un grand sourire.
— Hello River ! Tu as maigri toi, tu dors suffisamment ?
— Bonjour Jane, je vous rappelle que vous m’avez vu la semaine dernière !
— Ah oui, tu as raison ! Trop de gardes ! Tu viens voir Emily ?
— Bien sûr, répond-il en m’adressant un long regard.
— Vas-y mon grand, tu connais le chemin.
River m’entraîne dans le couloir en me tenant toujours par la main.
— S’il te plaît, qui est Emily ?
— C’est… Emily est…
Il s’arrête devant une porte, un petit écriteau est fixé dessus, un nom y est inscrit : Emily Collins.
— … ma sœur jumelle.
Oh là, c’est quoi cette histoire ? Une sœur jumelle qui ne porte pas le même nom que lui ? Et le
petit laïus d’accueil de Brenda « je voudrais tellement avoir une fille qui te ressemble, Léa ». C’est
le pataquès dans ma tête. En plus, j’ai clairement l’impression que je vais découvrir quelque chose
d’horrible derrière cette porte.
— Promis, je t’expliquerai, Léa.
Il entre. J’entends d’abord les bip bip d’une machine d’où partent des tubes reliés à une forme
allongée sur le lit. Emily. Son visage est d’une pâleur extrême mais elle reste très belle. Son corps
semble particulièrement menu sous le drap blanc qui la couvre. C’est fou ce qu’elle lui ressemble.
Une version féminine de River.
Il s’approche, repousse une mèche de ses cheveux caramel et l’embrasse sur la joue.
— Salut, Em, dit-il d’une voix étranglée.
Elle dort et ne répond pas. River tire deux chaises près de la fenêtre.
— Assieds-toi, Léa… Emily est dans le coma depuis son accident de voiture.
— Oh… Je suis désolée.
— Non, ne le sois pas.
Il a l’air si fragile, si accablé, je le reconnais à peine.
— Le plus dur à avaler, c’est que ce n’était pas de sa faute. Son petit copain conduisait. Il avait
consommé de la pourriture, des substances.
Mon Dieu, mon Dieu, River… Je suis effondrée, je lutte contre les larmes, je ne veux pas
l’interrompre, j’ai trop peur de sortir une connerie grosse comme moi. Je serre sa main dans la
mienne.
— Merci, me dit-il en caressant ma peau avec son pouce.
— Elle est si belle, je parviens à articuler. J’ignorais que tu avais une sœur jumelle.
— C’est la partie compliquée de l’histoire : Emily n’est pas une Parker. Moi non plus tu me diras,
j’ai été adopté par Malcom et Brenda. Emily et moi avons été abandonnés à la naissance. Deux
familles étaient sur les rangs, j’imagine.
Purée. Le choc, je ne vous dis pas.
— J’ai fait la connaissance de ma sœur il y a quatre ans. Elle vivait près d’ici, dans une famille
bien, mais pas aussi riche que la mienne.
J’ai l’impression de nager en plein roman.
— Je suis la première à qui tu racontes ça ?
— Mes parents sont au courant, quelques amis aussi… et toi.
— Pourquoi ?
— Pourquoi ?
— Pourquoi tu me dis ça ?
Bordel, Léa, choisis mieux tes mots.
— Pardon, River, mais pourquoi tu as choisi de me parler d’Emily ?
Ce n’est guère mieux.
— Je… Je ne sais pas.
Qu’il me fasse confiance à ce point me flatte et me terrifie en même temps.
— J’avais besoin d’en parler. Ça me soulage.
— Merci, River. Tu as bien fait.
Je suis cramoisie de honte d’être aussi maladroite, stupide, triviale, nunuche, mais voilà qu’il me
sourit. T’as au moins réussi ça avec tes joues roses, Léa.
— L’accident est arrivé quand ?
— Il y a un an.
Un an. Douze mois. Emily est dans le coma depuis tout ce temps.
— Je suis désolée.
— Arrête d’être désolée !
— Pardon, je suis…
River rit encore.
— Oh là là, moi qui croyais que…
— Qui croyait quoi ?
— Euh… je ne sais pas, mais pas ça, je soupire.
— Personne ne peut imaginer un truc pareil. Même moi, j’ai parfois encore du mal… Aujourd’hui,
j’essaye de voir le bon côté des choses. Qu’elle soit dans cet état m’a ouvert les yeux : je veux aider
les autres.
— C’est pour elle que tu veux devenir médecin ?
— Elle et ma mère, oui… Je suis désolé de t’avoir piégée pour venir ici. Mais c’est dur. Et je me
sentais bien avec toi.
Ces derniers mots résonnent à mes oreilles comme des clochettes. Mon cœur s’emballe, j’ai des
picotements le long du dos. Sans même réfléchir, j’attrape ses deux mains dans les miennes.
— Ce qui est surtout très dur, c’est que… je commence à perdre espoir. Je ne suis pas certain
qu’Emily se réveillera un jour.
19

Miam, le beau mec?!


River

Voilà, j’ai tout raconté à Léa, comme si une digue avait lâché en moi. Elle va me prendre pour un
angoissé de première, mais ça m’a fait un bien fou. Léa n’a pas la même sensibilité que mes potes.
Jake est trop immature, il perd les pédales quand j’ai l’air de m’épancher. Et pour Ky, vu qu’il avait
un faible pour Emily mais qu’il n’a jamais osé le lui avouer, je crois qu’il se sent encore plus
coupable que Jake et moi réunis. Il l’a vue partir avec… lui, mais n’a rien fait pour les retenir.
Je n’en veux pas à Ky, non, c’est après moi que j’en ai, terriblement même. J’aurais dû sauver ma
sœur des griffes de Nick.
Nick était mon ami, je le respectais, je l’estimais, alors quand il a commencé à sortir avec Emily,
je trouvais ça super. J’avais même davantage confiance en lui qu’en Jake ou Ky. Tout s’est écroulé il
y a un an. Un an déjà. Le jour anniversaire de ma rencontre, avec Georgia. La veille, Emily avait
appelé pour m’inviter à une soirée. Elle a été déçue que je décline, mais a fait celle qui comprenait
que je réserve ma soirée pour ma copine.
Quel sombre crétin quand j’y pense.
J’aurais dû deviner au son de sa voix qu’un truc clochait. Elle n’avait pas l’air dans son assiette.
Pourquoi ne lui ai-je rien demandé ? On s’est mutuellement souhaité une bonne soirée… J’en tremble
encore.
Ky m’a raconté qu’il avait vu Nick et Emily se disputer. Le ton serait monté, il l’a forcée à venir
dans sa voiture alors qu’il avait consommé une saleté de cocktail drogue alcool. Aujourd’hui encore,
je ne comprends toujours pas ce qui lui a pris. Envoyer à la mort la fille qu’il aimait. Cette question
m’obsède depuis un an. Quand je pense que Nick n’a jamais payé pour sa faute parce que son friqué
de père lui a trouvé un excellent avocat. C’est à peine s’il a été condamné à une cure de
désintoxication. Je pourrais lui cracher à la figure chaque fois que je le croise. Ça a bien failli
arriver quand je l’ai vu avec Léa, le fourbe. Fallait que je la sorte de ses griffes même si je la
connais à peine. Il n’y aura pas de deuxième Emily.
— River, tu vas bien ?
Léa me tire des pensées que je rumine.
— Oui. Merci d’être venue, Léa. Ce n’était pas évident pour toi.
— Tu me connais mal ! Maintenant tu sais que tu peux compter sur moi !
J’adore son petit sourire qui creuse une fossette sur ses joues qui s’empourprent pour un rien ! Je
crève d’envie de l’embrasser.
On se calme, River. T’es avec Georgia, pas avec Léa.
J’essaye de me dominer. Ça ne m’aide pas du tout qu’elle garde sa main dans la mienne. On étouffe
ici, il fait chaud ou quoi ?
Non, c’est non, River.
— Tu n’as pas soif, Léa ?
— Non, ça va.
— Je vais aller me chercher une bouteille d’eau, tu tiens compagnie à Emily ?
— Avec plaisir !
Hé bé, cette fille est un ange.
Faut que je m’éloigne de la bouche de Léa. Je n’ai pas le droit de tromper encore Georgia.
Léa

Ça fait déjà dix bonnes minutes qu’il est parti à la cafétéria. Je ne compte pas les secondes mais ce
silence avec Emily est stressant. Elle est dans le coma, je le sais bien, mais tout ça me retourne. Et
dire que je me croyais malchanceuse avec mes histoires de termites…
Je décide d’aller ouvrir les rideaux. Ce sera plus agréable pour Emily d’avoir un peu de soleil.
— Bonjour !
— Oups !
Idiote, ce n’est pas Emily qui se réveille ! J’ai eu tellement peur que j’en ai arraché le rideau qui
me tombe dessus avec la tringle.
— Et merde !
— Pardon ! Pardon ! fait la voix inconnue.
Je me désemberlificote du voilage et découvre un blond barbu aux yeux bruns, carré d’épaules.
Encore un dieu du stade qui m’aide à me relever ! Il a les mains baladeuses. C’est qui celui-là ?
Au même moment, River entre avec sa bouteille. Tiens, il a l’air fâché. Jaloux ? Léa, arrête de te
faire des films, River n’est pas sur le marché, capito ? N’empêche, cette lueur dans ses yeux, on
dirait bien qu’il est contrarié…
20

Béat
River

Il avait la main sur sa hanche. Je n’ai pas rêvé, le mec en a profité pour foutre sa main sur sa
hanche ! Conner et Léa, les yeux dans les yeux, ça me défrise.
— River, te voilà ! s’exclame Conner en me voyant. Ça fait un bail, vieux !
— Ah, vous vous connaissez, commente Léa.
— Vous deux aussi compte tenu du petit spectacle que vous venez de me servir, je ronchonne.
Conner fronce les sourcils, Léa rougit encore. Charmante !
— Hé vieux, j’aidais la demoiselle à se relever !
— Ah ouais ?
— River ! Je me suis fait tomber le rideau sur la tête ! Il m’a aidée, fin de l’histoire, OK ?
Depuis que cette nana est entrée dans ma vie, ou disons plutôt, depuis que je l’ai vue dans la rue en
robe de chambre devant sa maison en miettes, je ne suis plus moi-même, elle me hante. Faut vraiment
que je me la sorte du crâne.
— J’ai fait une boulette ? se ravise alors Conner. Y a un truc entre vous ?
— Non ! s’exclame-t-on en chœur, Léa et moi.
Léa mériterait un type comme lui. Emily m’a souvent dit que Conner était adorable, charmant,
gentil, mais c’est plus fort que moi : le voir tournicoter autour d’elle me fout en rogne.
— J’habite chez River depuis que ma maison s’est écroulée, clarifie-t-elle alors pour Conner.
— Oh ! Je suis le frère adoptif d’Emily. C’est pas banal ce qui t’est arrivé, dis donc !
— Les termites sont de sacrées voraces.
— Ma pauvre !
— OK, je vous laisse maintenant que les présentations sont faites. Léa, je t’attendrai dans la
voiture.
Barre-toi de cette chambre en vitesse sinon tu vas faire un malheur.
J’envoie un message à Georgia pour lui demander de me rejoindre dans une heure. Alors que
j’entre dans l’ascenseur, j’aperçois Léa qui vient vers moi. Je l’attends finalement.
— Qu’est-ce qui t’a pris ? me demande-t-elle.
Cette bouche, putain.
Je me secoue et presse le bouton rez-de-chaussée.
— Tu es fâché à cause de moi, River ?
— Quoi ? Euh… non pas du tout, je…
On est au septième étage. Si l’ascenseur descend directement, j’ai à peu près une minute et demie
devant moi. Sans perdre une seconde, j’avance d’un pas. Elle lève les yeux. Deuxième pas. Elle
rougit. Je la prends dans mes bras. J’attrape son menton. Cinquième étage. J’approche lentement mes
lèvres des siennes, si elle veut, elle a encore le temps de refuser.
Léa, je comprendrai si tu me repousses.
Troisième étage. Elle ferme les yeux. Sa respiration s’accélère. C’est une invitation ! Deuxième
étage. Je l’embrasse doucement, tendrement, elle entrouvre sa bouche, elle s’offre.
Qu’est-ce qui m’arrive ?
Elle s’abandonne. Ses mains caressent ma nuque, son corps épouse le mien, ses lèvres sont
incroyablement douces et chaudes et accueillantes.
Ding ! Les portes s’ouvrent. On est au rez-de-chaussée. Léa rompt notre baiser et me sourit.
J’appuie sur le bouton pour refermer l’ascenseur, ce nid douillet ! Je reprends là où nous avons été
interrompus, ma langue cherche la sienne, c’est le bonheur, j’en suis béat !
21

Erreur
Léa

Je rêve, dites-moi que je rêve ! Pincez-moi ! Aïe ! Ben non, c’est pour de vrai. Ses lèvres sont sur
les miennes, sa langue danse avec la mienne. J’ai toujours pensé que ce serait dégueu d’embrasser un
garçon, bah pas du tout ! C’est tout le contraire, c’est magique ! Un premier baiser, c’est féerique !
Quand mes copines racontaient ça, je levais les yeux au ciel, et bien je me trompais. Et plus qu’un
peu. Parce que c’est fan-tas-ti-que.
Son corps se moule au mien, mes mains se perdent dans ses boucles, je n’ai jamais rien éprouvé
d’aussi sensuel, d’aussi infini.
Ding ! Ding ! Zut, l’ascenseur. Deux infirmières et un médecin entrent en souriant bêtement.
River, tout décoiffé, me couve des yeux. Ses lèvres sont gonflées. Vu sa tête, j’ose à peine
imaginer la mienne !
Bon sang, qu’est-ce qu’on vient de faire. C’est mal. River a une copine. C’est contre mes
principes… Mais c’est lui qui a fait le premier pas, n’est-ce pas ? Ce n’est pas entièrement de ma
faute.
Crétine, tu ne t’es pas gênée pour lui rendre son baiser.
Je vire rouge-écarlate-tomate-trop-mûre. Ce baiser était partagé, il n’y a pas de doute. Il t’aime
bien… Il t’aime ! Il a une copine… C’est le méli-mélo intégral dans ma tête. Qu’est-ce que je dois
faire ? Je suis tétanisée. River me prend la main et m’entraîne vers sa voiture. Il reste silencieux et
c’est tant mieux vu que je redescends avec difficulté de mon petit nuage. Mon cœur court toujours le
marathon. Imaginez ce qu’on inscrira sur ma tombe si je ne me calme pas : « Ci-gît Léa, foudroyée à
la suite de son premier baiser. » Grotesque.
Galant, River m’ouvre la portière. J’ai tellement honte que je n’ose plus le regarder. Pourtant, quel
spectacle ! Il démarre. Finalement, c’est lui qui parle le premier :
— Je suis désolé.
—…
— Léa ?
— Euh…
— Tu crois que c’était une erreur ?
— … Peut-être.
Une grosse erreur, une énorme erreur, oui, jamais, jamais je n’aurais dû goûter à ce plaisir
avec lui.
— Je suis vraiment désolé, Léa, je n’aurais pas dû t’embrasser.
Bouh.
Au bout de vingt minutes d’un silence assourdissant, une vraie torture, on arrive enfin. Il remonte
l’allée, gare sa voiture, coupe le moteur, déboucle sa ceinture pour sortir, et là, je l’arrête.
— River, je te promets de ne jamais rien dire à personne de ce qui s’est passé aujourd’hui. Tu as
ma parole.
Il me regarde bizarrement puis sort sans un mot. Mon rythme cardiaque passe de trop rapide à trop
lent. J’étouffe. Ça fait cliché, je vous l’accorde, mais c’est la vérité : je me sens pulvérisée en mille
morceaux.
Et là, juste dans mon champ de vision, le cauchemar incarné : Georgia, en chair et en os.
22

Briseuse de couple
Léa

Si j’avais pu entrer dans un trou de souris ou m’enfouir la tête comme une autruche, croyez-moi, je
l’aurais fait avec plaisir. J’essaye juste de sortir de la voiture aussi discrètement que possible.
Georgia fixe River d’un air furibond, de la fumée blanche sort de ses naseaux. Ça s’annonce épique.
Elle ne peut pas déjà être au courant, n’est-ce pas ? Une nana en couple a-t-elle un sixième
sens quand son petit copain la trompe ?
— Je peux savoir ce qui se passe ? lance-t-elle, hargneuse.
Je souris jaune. Merde, je porte son t-shirt. Damned !
— Je rêve ou quoi, s’étrangle-t-elle alors, c’est MON t-shirt !
Venimeuse comme une mygale, Georgia me scanne de la tête aux pieds. Qu’est-ce que je peux
répondre ? Oui, très chère amie, sinon telle que tu me verrais, je serais en pyjama à cœurs roses,
et ton mec adore, d’ailleurs. Définitivement, non.
— T’as perdu ta langue ? Ce sont mes fringues, oui ou non ?
— Oui, répond River. C’est moi qui les lui ai données, elle n’avait plus rien.
— J’en étais sûre ! Déjà vendredi, j’avais un doute, espèce de…
— Hé ! Hé ! s’interpose River pour l’empêcher de me sauter à la gorge.
— Pourquoi tu défends cette espèce de… ça !
De mieux en mieux, je suis « ça » maintenant.
— Parce que tu pètes les plombs, Georgia ! Léa avait besoin de fringues, les tiennes étaient à la
bonne taille, pas les miennes. Point barre.
Georgia pousse un profond soupir, on dirait un ballon de baudruche qui se dégonfle, mais ses yeux
lancent toujours des éclairs de fin du monde.
— Cette fille va rester encore longtemps chez toi ? Merde.
— Si tu connais un entrepreneur, te gêne pas, je grogne.
— Comment elle me parle ! bondit aussitôt la folle furieuse.
— Georgia, arrête !
River l’attrape par la taille. J’en profite pour tourner les talons, après tout, ce ne sont pas mes
oignons, qu’elle passe ses nerfs sur lui, il est mieux bâti que moi.
— Qu’est-ce que tu fous là ? j’entends River lui demander.
— C’est toi qui m’as dit de venir par texto, t’as zappé ? Je comprends mieux pourquoi, d’ailleurs.
T’as l’air très occupé ici !
Quoi ? Il l’invite et il m’embrasse ? Bravo mec, premier prix de la muflerie.
S’il lui a écrit avant de m’embrasser, c’est un neuneu ; s’il lui a écrit après m’avoir embrassé,
c’est un salopard pervers. Dans les deux cas, il a trompé sa copine. On n’aurait donc jamais dû
s’embrasser. Ce mec est malhonnête, c’est une certitude.
Vu que je n’ai pas les clés de la maison, je suis obligée de sonner à la porte et d’attendre qu’on
m’ouvre.
— Hé, toi ! Où tu vas avec mes fringues ! hurle Georgia.
— Je les lave ce soir et je te les rends lundi. Contente ?
Je me défoule sur la pauvre sonnette. Bon Dieu, que quelqu’un ait pitié de moi. Enfin ça remue à
l’intérieur. Brenda ouvre.
— Coucou ma petite Léa ! Alors ce tête-à-tête avec River !
— Très bien, merci Brenda.
Elle n’est que l’innocente mère adoptive du monstre, épargnons-la. Je me dépêche de retirer la
veste de l’autre dinde, inutile d’attraper ses maladies.
— River n’est pas avec toi ?
— Georgia est dehors.
— Oh, répond-elle en fronçant les sourcils.
Tiens donc, penserait-elle comme moi à propos de la frappadingue de son fiston ?
— Je vais me doucher, à plus tard Brenda.
— On dînera à 19 heures. N’oublie pas de redescendre !
Sur le palier, je me rends compte que la chambre de River est entrouverte. L’antre du pervers, je
ne l’ai jamais vue. Je m’arrête pour jeter un petit coup d’œil – on ne se refait pas, je crois que je l’ai
déjà dit. J’aperçois sa table de nuit, un bout de son lit et le mur. Tout est blanc. Blanc de blanc.
Bizarre comme couleur pour un mec. Je pousse la porte du doigt pour qu’elle s’ouvre davantage. Léa,
tu abuses. Je sais mais je veux voir la chambre du mec qui m’a embrassée comme un dieu vivant… et
que je dois apprendre à détester.
Oui, parce qu’il n’est pas pour toi, petite briseuse de couple.
Tsss, quel combat intérieur, je vous jure.
Il y a une étagère qui déborde de bouquins. Ouah, des tas et des tas de livres, des piles au pied du
lit. J’ignorais qu’il aimait autant lire.
Au-dessus de son bureau, un pêle-mêle de photos. Oh, deuxième surprise : les clichés sont des
tirages en noir et blanc de qualité. Il doit faire de la photographie.
Je remarque une photo de groupe sur son bureau : River, Jake, Ky, Conner, Emily, bras dessus,
bras dessous et tout sourire. Nick est là. Nick… Oh, et Florence Brine. Incroyable ! Flo, une fille
adorable, gentille, populaire, tout le monde l’aimait au lycée. Et puis, elle a disparu du jour au
lendemain, soi-disant pour rejoindre son père en Australie.
— Tu fais quoi ?
Merde, River.
— Euh, je…
Il tire méchamment la tronche.
— Désolée. Ta porte était ouverte, je suis entrée.
Il s’efface d’abord pour me laisser passer, puis change d’avis et me rattrape par le bras.
— Pas un mot, même à Marissa, OK ?
— Ah, tu n’as rien dit à Georgia.
— À moins que t’aies envie de finir en chair à pâté.
— Je m’en fiche qu’elle me trucide ou non, mais c’est malhonnête que tu ne lui dises pas.
— T’es du côté de Georgia, maintenant ?
— Oui. Parce que tu n’aurais jamais dû m’embrasser, River, c’est ta copine, et tu lui as demandé
de te rejoindre en plus.
Je fonds en larmes, une vraie madeleine. C’est quoi ça ?
— Léa, attends ! Attends, je te dis ! Je lui ai écrit avant qu’on s’embrasse. C’est la vérité.
— Tu n’as quand même aucun respect pour elle.
Ça me tue de la part de ce mec. Je m’enfuis en pleurant toutes les larmes de mon corps, appelez-
moi fontaine. Il m’a embrassée, je l’ai embrassé, je suis autant responsable que lui. Georgia, je suis
désolée.
River

J’ai toujours détesté le dimanche soir. Je dois me coller aux corvées de rangement de chambre, de
linge et faire mes devoirs. J’ai ajouté le classement des photos depuis que Léa est tombée dans mon
tas.
Léa. C’est vrai que je n’aurais pas dû l’embrasser, mais bon, ce n’était qu’un baiser, hein… Un
super baiser, je l’avoue. J’ai embrassé des tas de filles, mais avec Léa, c’est différent. Je n’arrive
pas à me la sortir du crâne.
On ne s’est pas adressé la parole depuis hier. Je n’ose même pas passer devant sa chambre encore
moins imaginer aller la consoler. Les filles, c’est compliqué.
— River ? T’as l’air distrait, me demande Ky.
— Ça va, ça va.
— Moi, je ne trouve pas, dit Jake. T’es zarbi, mec, tu ne dis rien, tu ne regardes même pas le film
avec nous, il n’y a que le mur qui t’intéresse.
— Tu nous caches un truc ? reprend Ky.
— Une gazelle ? s’exclame Jake.
— Hé ho, les deux comiques, vous allez me lâcher, oui ?
— Si t’en as marre de Georgia, je te trouve un autre plan, ironise Jake.
Georgia. Comme si j’avais envie de parler d’elle. N’empêche, pourquoi je ne casse pas ? Parce
que tu ne peux pas. Ah ouais, tu la trompes mais tu ne peux pas lui dire que c’est fini entre vous ?
— River, t’as un problème avec Georgia ? insiste Ky.
— Lâche-moi les baskets !
— Je te demande juste de répondre par oui ou par non.
— Non !
— Emily ?
— Non.
— T’as chopé une MST ? demande Jake.
— Arrête tes conneries ! s’exclame Ky.
— Non ! je réponds en rigolant.
— Alors c’est une histoire de fille, conclut Ky, sérieux.
— Léa, dit Jake.
Gros silence.
— Bingo. T’as fait quoi ? dit Ky.
— J’ai pas commencé mes devoirs surtout.
— Crache ta Valda, River ! dit Jake.
Je leur tourne le dos et m’installe au bureau.
— Ah ! ah ! Tu le prends comme ça ? On va aller demander à Léa ! suggère Ky.
— Fous-lui la paix ! Elle t’aime pas, elle nous aime pas. C’est pour ça qu’elle boude.
— River ! River ? s’amuse Ky, fier de son coup. T’as fait quoi exactement ?
Je n’aurais pas dû l’embrasser.
Léa

— Je l’ai embrassée.
— Léa, descends, ton amie Marissa est en bas, vient me dire maman.
Zut. Il ne manquait plus qu’elle. D’un autre côté, j’en ai marre de fixer le plafond et mes quatre
jolis murs. Je sors sur la pointe des pieds, non sans avoir vérifié que River n’était pas en vue.
— Salut, Léa !
— Marissa, reste dîner à la maison, cela fera de la compagnie féminine, propose alors Brenda.
— Merci, madame ! s’empresse de répondre mon amie avant que je n’émette la moindre opinion.
— Viens, Marissa, on va s’installer dans le jardin.
— Ouah ! Je savais que River était friqué, mais pas à ce point ! s’extasie mon amie en traversant le
salon.
— Moins fort !
Marissa inspecte la pièce du regard avec ravissement, puis sort et s’installe près de moi.
— Maintenant, raconte !
— Quoi ?
— Tout ce qui s’est passé avec River, répond mon amie le plus sérieusement du monde.
Quand je vous disais que les filles, ça a des antennes.
— Pas maintenant.
— OK, alors c’est moi qui vais te raconter : Ky a été hyper hyper gentil avec moi vendredi soir,
quand il m’a accompagnée à la maison !
— Oh là là, non ! Pas ça !
— Quoi, « pas ça » ?
— Tu ne peux pas aimer Ky. C’est impossible.
T’es pas gonflée, Léa.
— Je ne suis pas amoureuse, il est gentil, c’est tout ! Mais ce n’est pas toi qui décides ce genre de
trucs, tu sais !
— Pardon, tu as raison Marissa. Tu as le droit d’aimer qui tu veux, bien sûr.
— T’inquiète ! Pas de garçons, je veux réussir mon année.
Soudain, ça remue au fond du jardin, du côté de l’accès au cabanon. Ky, Jake et River débarquent
en file indienne.
— Ils arrivent d’où ? me demande Marissa.
— Je ne sais pas. C’est pas chez moi ici, je réponds, grincheuse.
Léa, vilaine menteuse.
Mon cœur s’emballe. Je le maudis.
23

Ne l’entraîne pas là-dedans


River

— Je l’ai embrassée.
À peine prononcée, j’ai envie de ravaler ma phrase. C’est vrai que je n’aurais pas dû.
— T’as embrassé Léa ? s’exclame Ky, incrédule.
— Bravo, mec ! renchérit Jake, ce qui lui attire aussitôt un regard furibond de Ky.
— Quand ? reprend ce dernier.
— Hier à l’…
Merde, ça aussi je vais être obligé de leur avouer.
— Où ça ?
— À l’hôpital, je soupire.
— Nan ! Tu lui as parlé d’Emily ? s’étonne Ky.
— Mec, tu la connais seulement depuis hier ! ajoute Jake.
— Depuis une semaine. Et puis, merde, Emily est ma sœur, j’en parle à qui je veux, OK ?
— Je te rappelle que t’étais prêt à nous couper les couilles si on ouvrait la bouche, grogne Jake.
— Parce qu’à l’époque, Emily ne voulait pas de pub. Il m’a fallu un mois pour la convaincre, je
vous rappelle aussi.
— N’empêche qu’avec Léa, ça fait une personne de plus.
— Bah c’est comme ça. Vous m’énervez de toute façon !
— Comment t’es sûr qu’elle n’en parlera pas à Marissa ? tempère Ky.
— Tu l’as vue comme moi, c’est pas son genre, dis-je.
— Tu disais pareil de Flo qui s’est empressée d’aller tout raconter à Georgia, maugrée Jake.
— Tu peux éviter de ramener Flo dans l’histoire, s’il te plaît ?
— Moi je trouve que Léa et Flo se ressemblent, pas toi Ky ? poursuit Jake.
Mes deux potes se liguent contre moi. Dispute en vue, une de plus après celle d’hier avec Léa.
— River, je ne sais pas à quoi tu joues, mais tu deviens lourd et tu t’embrouilles avec tout le
monde, me dit alors Ky d’un ton sérieux. Tu devrais arrêter.
— Quoi, je deviens lourd ? Merde à la fin ! Qu’est-ce que ça peut vous faire que j’aie parlé
d’Emily à Léa ?
— Lourdingue, River, même avec Léa, une nana que tu connais depuis une semaine, comme tu le
dis si bien, me répond Ky sans s’énerver. Emily nous avait fait promettre de rester discrets, t’as
oublié ? Pourquoi Léa n’en parlerait pas à sa meilleure amie, comme Flo avec Georgia ? Maintenant,
je vais te dire pourquoi je me sens concerné : parce que j’aime Emily, que j’ai essayé de l’empêcher
de monter dans la putain de voiture de Nick, un mec qui te plaisait à l’époque, je te rappelle. Emily,
qui voulait te rejoindre pour te souhaiter une bonne soirée d’anniversaire avec Georgia, tu l’as aussi
oublié.
Putain, Ky. Je lui collerais volontiers mon poing dans la gueule, mais Jake s’interpose déjà.
— T’es qu’un salaud, Ky ! Si tu l’aimais tant que ça, pourquoi c’est avec Nick qu’elle sortait et
pas avec toi ? Viens pas me dire aujourd’hui qu’elle est montée dans la voiture de l’autre parce
qu’elle voulait me rejoindre ! T’as pas le droit !
— Du calme, River… Il ne le pensait pas, dit Jake.
— Rien à foutre de me calmer ! Emily est ma sœur, je peux le dire à la terre entière si je le veux !
Pousse-toi, Jake, de toute façon je ne m’abaisserai pas à cogner ce loser.
On ne s’adresse plus la parole, la tension retombe un peu. Quand soudain, Ky reprend, toujours
aussi calme :
— T’as rompu un autre engagement, River. T’as trompé Georgia.
Comme si je ne le savais pas. Merci Ky.
— Mais je reconnais que j’ai mérité que tu me frappes, ajoute-t-il encore.
Brut de décoffrage et honnête, la vraie nature de Ky.
— Je pense quand même que tu n’aurais pas dû entraîner Léa dans cette histoire. C’est une fille
bien, qui a déjà ses propres problèmes, tu lui ajoutes les tiens… Espérons qu’elle sortira rapidement
de ta vie pour que tu reprennes la tienne avec Georgia. Ça reste malhonnête de l’avoir trompée,
conclut-il. Pardon pour ce que j’ai dit avant.
— OK, on oublie.
— Hé bé, vous êtes bipolaires ou quoi ? grommèle Jake. Si on allait bouffer maintenant ? J’ai
faim.
On sort du cabanon en laissant les problèmes derrière nous. Jake marche en tête, pressé par son
estomac. En débouchant dans le jardin, mon regard est attiré comme un aimant par le balcon de la
chambre de Léa. Ky a raison, faut que je me la sorte du crâne.
Maman et la mère de Léa sont dans la cuisine en train de papoter et de cuisiner. On dirait deux
vieilles copines. Jake n’hésite pas une seconde et entre.
— Hello, les garçons ! Le dîner est prêt. River, peux-tu aller chercher Léa, s’il te plaît ?
Gloups. Je n’avais pas prévu ça.
— Et sois gentil avec elle.
Oui, maman.
Je n’ai pas le temps de monter jusqu’en haut, que j’aperçois deux paires de jambes en train de
descendre. Léa et Marissa. Léa sursaute en remarquant que c’est moi, nos regards se croisent, elle
détourne les yeux la première et poursuit son chemin en me contournant… Aïe, ça promet pour le
dîner.
24

Petite confession
Léa

C’est glauque.
Je suis assise à la grande table de salle à manger, les yeux braqués droit devant moi parce que j’ai
peur de croiser ceux de River. C’est stressant. Soudain, je sens un coup de coude. Zut, Marissa.
— Tu en penses quoi, Léa ? dit Malcom.
— Oh, pardon ! À propos de quoi ?
— De ta chambre ! répète-t-il en riant.
— Très grande.
Éclat de rire général. Ah. On dirait que je viens de me donner en spectacle. Une fois de plus.
— River est gentil avec toi ? reprend son père.
La question qui tue.
— Oui, oui, dis-je avec un sourire jaune.
Beaucoup trop gentil même.
La conversation se poursuit essentiellement entre les quatre adultes. Nous autres, les moins de dix-
huit ans, restons silencieux. La politique, ce n’est pas mon truc de toute façon. Mais j’ai beau fixer le
mur d’en face, mon regard croise deux fois celui de River.
À la fin du repas, Marissa et moi proposons de débarrasser. Opération périlleuse vu la jolie
vaisselle en porcelaine. Je fais hyper gaffe. Dans la cuisine, je me retrouve bête avec ma pile
d’assiettes.
— Marissa, tu sais où est le…
Merde, merde, merde, c’est River qui entre pour déposer des verres. Il contourne l’îlot, laissant un
agréable parfum de lotion après-rasage dans son sillage.
— Le lave-vaisselle est ici, me répond-il en ouvrant la porte.
— Merci, je marmonne sans lever les yeux.
Je commence à ranger les assiettes en m’appliquant.
— Léa, je crois qu’on devrait parler, dit alors River.
— De quoi ?
— De nous.
— Y a pas de « nous ».
— T’es sérieuse ?
— Très. Y a rien à dire, on s’est embrassés, grosse erreur, fin de l’histoire.
Le plus beau baiser de toute ma vie, et en même temps, le pire, mais vu que ça ne comptait pas
pour lui, point final, n’est-ce pas ?
— Pourquoi t’es nulle parfois ?
— Moi ?
OK, cette conversation ne mènera nulle part, autant partir. Mais voilà qu’il me barre le passage
puis me coince contre l’îlot en me prenant par la taille. Hé ! En plus, il y a des curieux à la porte de
la cuisine. Brenda, ma mère et Marissa. Je repousse River vite fait.
Marissa et maman ouvrent la bouche comme des poissons en manque d’air, alors que Brenda nous
couve d’un regard attendri.
— On va revenir plus tard ! suggère-t-elle. Finissez de ranger la cuisine, vous deux !
Elle entraîne les deux poissons dans le salon. Je rêve, c’est une entremetteuse ou quoi ?
— Tu m’écoutes maintenant ? demande River.
— OK.
— Voilà, je… je ne sais pas ce qui m’arrive depuis que t’es là, mais j’ai tout le temps envie d’être
avec toi, de m’occuper de toi, de te conduire au lycée, de t’empêcher d’aller chez Nick parce que
c’est un sale type et qu’il ne te mérite pas.
Je me pince.
— Je t’ai amenée au cabanon et à l’hôpital parce que tu m’inspires confiance. Je t’ai embrassée
parce que… j’avais une envie folle de le faire. Je sais que je n’aurais pas dû et que tu m’en veux à
mort, mais je te jure que j’étais sincère. Tu ne voudras pas me croire, mais…
J’essaye de me souvenir comment on respire.
— Je t’aime, Léa.
25

Tout change
River

Voilà, c’est dit, j’y ai réfléchi pendant tout le repas. Elle est sous le choc. Je crève d’envie de
l’embrasser à nouveau, mais je me retiens : je dois d’abord rompre avec Georgia.
J’entends la porte de la cuisine s’ouvrir. Ce n’est pas mère, mais Jake et Ky. Un vrai hall de gare
ici.
— Léa ? Ta mère t’appelle, dit Jake d’une voix embarrassée.
— OK, répond Léa, rouge tomate.
J’adore quand elle rougit. Je la libère, elle sort de la cuisine en quatrième vitesse. Mes deux potes
s’approchent de moi en mode gorilles.
— T’as intérêt à clarifier la situation mec, soupire Ky.
— Entièrement d’accord avec Ky, renchérit Jake. Tu peux pas continuer comme ça.
— Je sais. Je vais rompre avec Georgia.
— T’es sûr de toi ? dit Ky.
— Promesse ou pas promesse, je ne vais pas me forcer à rester avec elle s’il n’y a plus d’amour.
— River, c’était un très sérieux engagement, me rappelle Ky.
— Ça ne sert à rien de me rabâcher les oreilles avec ça, Georgia ne me rend pas heureux.
— Pourtant tu l’aimais, glisse Jake.
— Suffisamment pour la coller enceinte, renchérit Ky, perfide.
— Merci de me le rappeler.
— Je veux juste que tu sois sûr de prendre la bonne décision, mec.
On reste quelques secondes en chiens de faïence. Ce sont les appels de ma mère qui nous
interrompent.
— Les garçons, venez ! On va jouer aux charades !
Qu’est-ce qui lui prend ?
— Si tu veux, je dis à Brenda que t’es parti voir Georgia parce qu’elle est malade, me propose Ky.
— Non. Léa fera la tête… Dis plutôt que je suis parti faire un jogging.
— Alors qu’il fait nuit et qu’on sort de table ? répond Jake, incrédule.
— Oui. Je soigne ma ligne !
— Tu sais quoi, t’es ouf comme mec, River. On dira ça, mais toi, t’as intérêt à régler les choses
avec Georgia. Et sans bavure, sinon je te casse la gueule.
Bon. Yapluka. Ça fait des mois que j’y pensais, c’est ce soir que je tire un trait sur Georgia. Léa
aura joué le rôle de catalyseur.
Dehors, le ciel est déjà constellé d’étoiles. En voiture. J’espère que j’ai pris la bonne décision.
Léa

Il est presque 2 heures du mat’, je n’arrive pas à dormir. Je n’aurais vraiment pas dû boire ce café.
Je me tourne et me retourne dans mon lit de princesse. Finalement, je décide d’aller me chercher un
verre d’eau à la cuisine. Sur le palier, je me rends compte que la porte de chambre de River est
grande ouverte. Il n’est pas là.
Je réussis à rejoindre la cuisine sans casse ni bruit ! Incroyable, non ? Allez hop, j’attrape un verre
dans l’égouttoir.
— Tu devrais allumer la lumière ! lance une voix que je connais trop bien.
Bing, le verre me tombe des mains.
— Merde, River ! Tu veux que je meure d’une crise cardiaque ?
— Pas du tout. Qu’est-ce que tu fous ici à 2 heures du mat’ ?
— Et toi alors ?
— Je… je suis allé courir.
— Quoi ? Tu cours la nuit ?
— J’étais stressé, ça m’aide à me calmer.
— Stressé par quoi ?
— Le lycée, les exams, Emily… Les trucs habituels. Et toi ?
— Je n’arrivais pas à dormir… Zut. Le verre est cassé.
— Attends ! Je m’en occupe, tu vas encore te…
Et il s’approche de moi. Je sens sa chaleur m’envahir. Je vire rouge tomate.
— Tu es tellement manchote !
— C’est ta faute aussi ! On n’a pas idée de faire peur aux gens comme ça.
Il m’aime. Il m’aime !
— Léa ? On ferait mieux de monter, il y a cours demain…

Le lendemain au lycée, quand j’avance dans le couloir, tout le monde – je dis bien tout le monde –
me regarde passer. Je ne comprends pas ce qu’il y a de changé par rapport à la semaine dernière, le
fait que je vive sous le même toit que River était déjà digéré. Y aurait-il un nouveau ragot ?
L’histoire du baiser a fuité ?
Ça chuchote, ça murmure, ça cancane. Finalement, j’entends « River a rompu ». C’est une fille aux
yeux verts qui le dit près de moi.
River a rompu avec Georgia ? Pas possible.
Je reprends ma route jusqu’aux casiers en rasant les murs. Profil bas, je veux qu’on me foute la
paix… Raté. La voilà. Georgia vient se planter devant moi, sûre d’elle.
— Salut, Léa !
Ça sonne faux et ça attire aussitôt les curieux.
— Euh… Salut.
— Tu sais que t’as arts plastiques avec moi aujourd’hui.
— Oui. Et alors.
— On va y aller ensemble.
— Non, je n’ai pas encore badgé.
— Pas de problème. On passe par là d’abord.
La voilà qui glisse son bras sous le mien et m’entraîne à travers les couloirs. Qu’est-ce qui lui
prend ? Je suis devenue sa meilleure ennemie ou quoi ? River lui a sûrement parlé du baiser… Je fais
quoi moi ?
— J’ai besoin de passer aux toilettes d’abord, me dit brusquement Georgia.
Aïe. C’est là-dedans qu’elle compte m’étrangler ? À moins qu’elle n’ait un couteau…
— On dirait que tu as de nouvelles fringues ? dit-elle en lâchant mon bras, mais en farfouillant
dans son sac.
Poignard ? Non, rouge à lèvres.
— Une amie me les a données. Tes affaires sont en train de sécher, désolée de…
— T’inquiète, c’est bon.
Avec le cirque qu’elle m’a fait, c’est bon ? Non, je lui trouve un sourire de hyène.
— Tu sais quoi, Léa, tu me rappelles quelqu’un.
— Ah oui, qui ça ?
— Je suis sûre que tu la connaissais : Flo.
— Un peu, oui.
— Tu veux savoir pourquoi tu me fais penser à elle ?
La chair de poule me gagne, mes cheveux se dressent sur ma tête.
— Euh… Oui.
Elle me balance alors son poing en pleine figure. Un énorme coup de poing qui m’envoie valser
contre le mur et qui va sûrement me laisser l’œil au beurre noir pendant quinze jours.
— Toi et elle, vous êtes deux belles salopes, incapables de vous trouver un mec, du coup vous me
piquez le mien. Tu peux être contente de toi.
La douleur irradie dans ma mâchoire, la culpabilité me ronge l’intérieur, mais je ne peux pas lui en
vouloir de m’avoir frappée. River et moi n’aurions jamais dû nous embrasser.
— Je suis désolée, Georgia.
— Non, surtout pas d’excuses. Tu es bien comme Flo. River est à toi, il a rompu hier soir,
félicitations… Je te trouvais sympa, je voulais qu’on soit amies, mais tu ne vaux pas mieux que les
autres.
Georgia ramasse ses affaires et s’en va, le sourire figé aux lèvres, comme si rien ne s’était passé.
J’écoute le bruit de ses talons marteler le sol en s’éloignant.
Je me regarde dans le miroir. Ma joue a gonflé, déformée par un énorme coquard bleu-rose. Bravo,
Léa, t’as gagné une tronche de boxeur dans cette histoire. J’avoue aussi que je ne me reconnais pas en
cette fille amochée et voleuse de mec…
26

Excuses
Léa

Si la douleur n’existait pas, la vie serait plus belle, foi de Léa. Si j’arrêtais de pleurer, mes yeux
seraient moins bouffis, je pourrais sortir de ces toilettes où je me suis enfermée. Ma vie de lycéenne
reprendrait son cours normal, mais non, la fontaine n’en finit pas de couler.
Allez, on se calme, c’est fini.
C’est moins le gnon que la honte qui me transforme en madeleine. Georgia n’a pas supporté le
baiser, elle en a pondu une pendule, River l’a larguée et tout ça à cause de moi. C’est de ma faute, ma
faute, ma faute.
Stop ! Je me concentre sur ma respiration, j’inspire, je bloque, j’expire, je bloque, encore, encore,
je me tamponne les yeux, ça va s’arrêter… Non, ça continue !
— Léa, tout va bien, tu vas bien, je vais bien.
Méthode Coué. J’hésite d’abord, puis je me force à me lever. Il faut sortir des toilettes. Je jette un
coup d’œil par la porte, personne devant les lavabos. Ma joue a encore gonflé. Je retire l’élastique
de ma queue-de-cheval pour tenter de la dissimuler sous mes cheveux. Cache-misère.
Par chance, les couloirs sont presque déserts, les élèves sont en cours. Je dois juste traverser le
lycée pour rejoindre mon casier, prendre mes affaires et partir.
Partir.
Go, je rase les murs à toute allure jusqu’au préau. J’y suis. Combinaison casier, OK, manuels,
cahiers, hop, récupérés, je referme. C’est reparti.
Je traverse le hall d’entrée sans lever le nez, je retiens mes larmes de toutes mes forces mais ma
vue est brouillée comme dans un scaphandre. Fatalement, ce qui devait arriver m’arrive : je fonce
tête baissée dans un torse.
— Pardon, je marmonne sans même m’arrêter.
Une main attrape mon poignet.
— Léa ! Je t’ai cherchée toute la matinée… Léa ?
Bien sûr, c’est River. Il lève doucement mon menton pour que je le regarde. Ses yeux
s’écarquillent à mesure qu’il découvre mes paupières tuméfiées, mes larmes, ma joue cramoisie.
— Qui t’a fait ça ? gronde-t-il.
— River, pas ici, s’il te plaît. Et pas maintenant surtout.
— OK. Je te ramène. Donne-moi ton sac.
— C’est bon, je…
— Donne… Maintenant, dis-moi qui t’a frappée ?
— Je… Je n’ai pas envie d’en parler.
Cela ne lui plaît pas du tout, mais il se contient, puis enlace ses doigts dans les miens. Un geste
d’une infinie douceur qui me réchauffe le cœur.
River est tellement… tellement attirant.
Je ne devrais pas parce qu’il a trompé sa copine à cause de moi, mais à cet instant, c’est plus fort
que moi : je suis incapable de lui résister, ma main est collée à la sienne avec de la super glu. Il me
sourit puis m’entraîne jusqu’à sa voiture.
River roule prudemment. Je jette un coup d’œil à son compteur, c’est parfait : 48 km/h pour une
limite à 50 !
— Gros progrès, le chauffeur !
— Oui… Faut qu’on s’occupe de ta joue, Léa, répond-il, soucieux.
— C’est bon, c’est juste un gnon.
— Un énorme gnon, Léa ! Je t’emmène à la clinique de ma mère. OK ?
— Oui, mais je t’assure que…
— Je préfère.
Après dix minutes de trajet, River s’engage dans un petit parking, devant un bâtiment blanc et
moderne. La réceptionniste nous accueille.
— Bonjour Christine, tu sais si maman est libre ?
— Attends, je vérifie son emploi du temps… Oui ! Tu as de la chance, son prochain patient arrive
dans une demi-heure. Fonce !
— Merci.
River me reprend la main et me guide au bout d’un long couloir aux teintes douces. Il toque.
Brenda nous ouvre.
— River ? Et Léa ! Vous n’êtes pas au lycée ?
— Non… Il s’est passé un truc. Regarde…
Léa, tu comptes pour lui on dirait !
— Non, non, rien de grave, Brenda !
Juste une torgnole qui fait un mal de chien !
Brenda m’invite dans son cabinet, puis examine ma joue à la lumière. Je ne quitte pas River des
yeux, sa bouche, ses yeux me disent « Je suis désolé, Léa ».
27

Bonne chance
River

Je suis rassuré une fois que Docteur-maman confirme qu’il n’y a rien de cassé : plus de peur que
de mal, comme on dit. J’ai peut-être réagi avec excès. Maman prévient aussi le lycée pour justifier
notre absence. On a donc l’après-midi devant nous.
Je n’ai toujours pas lâché la main de Léa et je n’en ai pas envie ! J’ai besoin d’elle, c’est certain.
Ça a dû s’aggraver depuis que j’ai entendu ses parents discuter de la location d’un logement pendant
les travaux de leur maison.
Je voudrais que Léa reste chez moi.
J’abandonne sa main pour remonter en voiture. On s’installe. Léa boucle aussitôt sa ceinture.
— Merci, murmure-t-elle.
— Bah ? Pourquoi ?
— Parce que tu n’étais pas obligé de m’amener ici. C’était super sympa de ta part.
— Je suis toujours gentil !
— Quand tu ne fais pas ta tête de nœud, oui !
— Pas faux, il y a un fond de vérité là-dedans !
— Un fond ?
On éclate de rire ! Le sien est merveilleux. Comme ses adorables fossettes… Bref, ne nous
attardons pas, car même si je suis célibataire à présent, je ne sais pas trop où ça peut aller, elle et
moi.
— Tu me diras un jour qui t’a fait ça ?
La gaieté de Léa retombe comme un soufflé. Elle détourne les yeux.
— On s’en fiche River. C’est pas si grave…
— Si, c’est grave.
— Tu ne peux plus rien y faire.
— Promets-moi une chose, Léa.
— Euh… ça dépend quoi.
— Si Georgia te refait du mal, tu me le dis sur-le-champ, sans le cacher.
Elle sursaute et me dévisage avec des yeux ronds.
— T’as deviné ? Mais ça aurait pu être n’importe qui d’autre.
— Bien sûr que non… En plus c’est déjà arrivé, je marmonne.
— Comment ça, c’est déjà arrivé ?
Zut, conversation minée, t’as raté une occasion de te taire, River.
— Oublie, s’il te plaît, dis-je en faisant mine de me concentrer sur la route.
— Sûrement pas ! C’est arrivé quand ?
— J’ai pas envie d’en parler.
— Ça concerne Flo, n’est-ce pas ? T’as trompé Georgia avec Flo et elle lui a balancé un pain…
River, réponds.
— Flo était une amie, oui, dis-je à contre-cœur.
— Que tu as embrassée.
— Je l’aimais bien.
— Autant que moi, c’est ça ?
Je déteste la tournure que prend cette conversation et la vitesse à laquelle l’ambiance se dégrade.
— Non, Léa, ce n’était pas pareil. C’est vrai que je ne suis pas un mec parfait et que j’ai trompé
Georgia plusieurs fois. Mais avec Flo, ça a été une grosse erreur. Elle était l’amie de Georgia. Quand
elle l’a su, elle l’a frappée… Mais toi, Léa, tu n’es pas une erreur. Je ne regrette rien… Flo a disparu
en Australie, ce baiser idiot a foutu notre amitié en l’air. Je n’ai plus jamais entendu parler d’elle.
Léa est nerveuse, mais n’ouvre pas la bouche.
— Léa ?
— Pourquoi tu es infidèle ?
— Parce que je… non, je n’ai aucune excuse. J’étais juste très con.
Léa plonge ses yeux dans les miens comme pour me sonder jusqu’au plus profond de mon âme. Je
jure qu’à ce moment précis, je la sens sur le point de m’avouer son amour, mais on dirait qu’elle a
peur de se lancer.
Léa

La semaine qui suit se passe dans un brouillard : je vais chaque jour au lycée avec River en
voiture, on ne parle que de la pluie et du beau temps. Grâce à Brenda et à un brin de fond de teint, je
réussis à dissimuler l’arc-en-ciel de ma pommette et de mon œil.
C’est la semaine des DST, donc ma dose de stress grimpe au sommet. Malcom m’a proposé son
bureau pour que je révise au calme. Manque de chance, j’ai laissé mon manuel de chimie au lycée.
— Merde ! Merde ! Merde !
— Je peux t’aider ? me propose River en se pointant comme par enchantement.
— Non, ça ira.
— T’en es si sûre ?
— J’ai oublié mes affaires de physique-chimie, je soupire.
Le visage de River s’illumine, j’adore. Il se dirige vers une étagère de la bibliothèque de son père,
la parcourt quelques secondes, puis en tire un manuel. Ah, ah ! exactement celui qu’il me fallait.
— Merci, River.
— Pas de quoi. Travaille bien chaton !

Le jour du contrôle, je suis dans tous mes états. Impossible d’avaler une bouchée au petit déjeuner,
j’ai le gosier coincé. Je pars avec River, comme chaque matin. On nous regarde toujours autant, un
truc auquel je ne m’habitue pas, mais qui ne semble pas incommoder River. Juste avant de descendre
de voiture, il me demande gentiment :
— C’est bon, tu n’as rien oublié ? Ta trousse est pleine ?
— Oui ! Et toi ?
— J’ai vérifié quinze fois entre hier soir et ce matin.
— Pareil.
— Alors, go !
Au moment de se séparer devant l’entrée de la salle, River me glisse un « bonne chance » à
l’oreille. Hum, son contact, son odeur me font frissonner.
À la fin de la semaine des exams, je m’écroule sur mon lit, soulagée : fini, fini, fini. Les résultats
seront déterminants, car je choisirai l’université en fonction de mon classement.
Avec tout ça, je ne sais pas où en sont mes parents dans les recherches de location. Aïe, je vais
bientôt devoir quitter ma chambre de princesse. J’étais si bien ici.
Nostalgique, je sors sur le balcon pour apprécier la vue sur le merveilleux jardin. C’est le
printemps, les fleurs commencent à s’ouvrir. Un régal pour les yeux. Un petit raclement de gorge me
fait tourner la tête. River sur son balcon, les cheveux en bataille et en caleçon. Ouah ! Oh ?
— Tu fumes maintenant ? je m’exclame.
— Non.
— T’appelles ça comment alors ?
— Je suis juste en train de fumer une cigarette, ça ne veut pas dire que je fume.
— Tu m’expliques la nuance ?
— C’est une cigarette occasionnelle. Rien de plus.
— Beurk, quand même.
Il me fixe sans ciller et aspire une grande bouffée puis rejette la fumée en volutes. Quelque chose
le chiffonne, mais je ne veux pas lui demander quoi.
— Tout va bien ? dis-je.
Incorrigible tu es, Léa.
— Oui, ça va, répond-il d’une voix sombre.
Il me tourne le dos et rentre dans sa chambre.
28

Compliqué
Léa

Ça alors, je n’en reviens pas, River est vexé, fâché, blessé, je ne sais pas quoi exactement, mais il
y a un truc. Je suis désemparée comme jamais, je ne vois pas comment l’approcher… Lui qui m’a
pourtant si souvent aidée. Je me sens nulle.
Je reste comme une idiote sur le balcon à regarder sa fenêtre aux rideaux tirés. Quand je me décide
enfin à rentrer, bing, je me prends la porte en pleine figure. Ouille, un œuf de pigeon sur le front, un.
Vous n’imaginez pas comme c’est fatigant d’être moi.
— Qu’est-ce que t’as foutu encore ? j’entends alors.
Bien sûr, vous devinez qui est ressorti sur son balcon.
— Je… J’ai…
— Tu as quoi ?
— Rien. C’est pas grave.
— Ah ouais ? Pourtant y a eu un gros bang.
J’avoue que s’il n’était pas là, je me défoulerais volontiers sur cette saleté de porte à grands coups
de pied.
River est mal à l’aise, on dirait qu’il veut me dire quelque chose mais n’ose pas.
— Le dîner est prêt, articule-t-il finalement.
Intéressant.
Je descends à la cuisine où Brenda et maman s’affairent. Le téléphone sonne.
— Tu peux décrocher, Léa ? me demande Brenda.
— Bien sûr… Allô, j’écoute ?
— Bonjour. Docteur Rallen à l’appareil. J’aimerais parler à River Parker, s’il vous plaît.
— Euh, oui, oui, je vais le chercher.
Pas la peine, il est déjà derrière moi. Le combiné pèse soudain une tonne dans ma main. C’est
l’hôpital. Le visage de River est tendu, il s’attendait à ce coup de fil. Comment l’aider ?
Brenda me donne un coup de pouce une fois que River est remonté téléphoner dans sa chambre.
— Rejoins-le, ma chérie.
— Moi ?
— Oui. River a besoin de toi.
— Ça m’étonnerait. Je suis la dernière personne qu’il…
— Léa ! Je ne sais pas d’où t’est venue une idée pareille, mais tu te trompes. Crois-moi.
Maintenant, monte. Si River a besoin de quelqu’un, c’est bien de toi.
J’y vais. En montant, j’entends sa voix depuis l’escalier, fragile, désespérée. Cela me brise le
cœur.
— Combien de temps ? OK… J’arrive, oui… Au revoir.
Il renifle, se mouche. Mon Dieu. Sa porte s’ouvre en grand, je suis juste devant.
— Pardon, River… Ta mère m’a dit de venir te voir.
— T’as entendu ?
— Euh… Non.
— Léa, t’as entendu quoi ?
— Je te jure, tu disais au revoir… River, qu’est-ce qui se passe ? Tu peux me parler, tu sais.
Il me prend la main, les deux mains. Oui !
— Je ne peux pas t’entraîner là-dedans, Léa. Faut que je m’en sorte tout seul.
— S’il te plaît…
— Non. J’y vais.
Ce mec m’énerve, bordel.
— T’es qu’une girouette, tu dis que tu m’aimes et deux minutes plus tard, tu m’ignores. Maintenant,
tu me repousses. T’as pensé à ce que ça pouvait me faire ?
On dirait que j’ai touché une corde sensible chez lui. J’enfonce le clou :
— Ouais. Faut pas être devin pour comprendre ce que j’éprouve…
— Je suis désolé… J’essayais de t’éviter vu que mon amour te pesait. Je ne vais pas non plus me
torturer.
Il est con ou quoi ? Il ne voit pas que je l’aime !
— Si seulement t’avais raison… Je n’ai jamais rien vécu d’aussi dur, t’aimer, c’est…
River se raidit.
— Léa, attention, pas de paroles en l’air, s’il te plaît.
— Je suis sérieuse, River… très sérieuse.
Quelques centimètres nous séparent encore, je franchis le dernier pas, l’attire à moi et pose mes
lèvres sur les siennes. Ses bras se referment et m’enlacent. Je me hisse sur la pointe des pieds. Nous
ne sommes plus qu’un. C’est merveilleux, mon cœur s’envole, mes jambes flageolent ! Heureusement
que River me tient, sinon je m’écroulerais !
— Je dois y aller, Léa.
— C’est Emily ? Elle va comment ?
— Je ne sais pas trop.
— Je peux t’accompagner, tu sais.
Le regard de River est d’une tendresse infinie quand il me répond simplement :
— Merci.
29

Milk-shakes
River

Habituellement, je suis plutôt fort pour dissimuler mes émotions, mais avec Léa, l’armure tombe.
On est dans la salle d’attente à l’hôpital. Il y a un va-et-vient incroyable, comme toujours.
J’aperçois soudain une tête connue : Ky est là. Il nous repère et vient s’installer près de nous.
— Ta mère m’a dit que je vous trouverai ici.
— T’étais pas obligé de venir.
— Si.
Je m’en veux de n’avoir pas compris plus tôt que Ky était mille fois meilleur que Nick pour Emily.
J’espère qu’elle aura la chance de s’en rendre compte à son réveil.
— River Parker ? appelle une infirmière. Le docteur Rallen vous attend… Par ici. Vos amis
peuvent vous accompagner.
Serait-ce une bonne nouvelle aujourd’hui ?
Léa

C’en était une ! Le docteur a annoncé qu’Emily réagissait bien au nouveau traitement. Ses chances
de sortir du coma augmentent sensiblement. River est ressorti transformé de l’hôpital.
Nous fêtons ça chez le glacier, où Jake nous a rejoints. Il me bombarde de questions avec Ky.
— Allez Léa, quand River t’a parlé d’Emily ? me demande l’un.
— Euh… Y a quelque temps déjà.
— Tu la connaissais ? me demande l’autre.
— Non.
River est debout au comptoir, en train d’attendre nos milk-shakes. Reviens, River !
— Toi et River, c’est… ? enchaîne Jake.
— … compliqué.
River arrive enfin avec le plateau. Il place un grand milk-shake à la framboise devant moi. Yeah,
mon préféré !
— L’amour, l’amour, grommèle Jake en nous regardant.
— Ta gueule, mec ! le coupe River. On en reparlera quand tu resteras plus d’une demi-heure avec
une fille.
Jake et Ky repartent dans leur tourbillon de paroles, je décroche, captivée par River qui est si
détendu, si craquant, si…
— Allô, la Terre ! j’entends.
Les trois garçons me regardent en rigolant. J’ai dû zapper un épisode.
— Tu iras à Graceland ? répète Ky.
— Graceland ? C’est quoi ?
— T’as jamais été là-bas ? s’exclame Jake.
— Bah non.
— C’est près d’ici, tout le monde y va après les exams, m’explique River. Tu aimerais ?
— Faut que j’en parle à mes parents.
Merde, la cruche gnangnan qui doit « en parler à ses parents ». Jake se marre, River le tape sur
la tête, Ky lui balance un coup de poing dans l’épaule.
— Ça va pas les mecs ! explose ce dernier.
— Désolé, Léa, Jake est jaloux, ses parents n’en ont rien à foutre de lui !
— N’importe quoi ! fulmine encore Jake.
— Bah voyons ! Ils t’ont pas flanqué à la porte ? rigole Ky.
— Moi, j’ai mon propre appart, au moins. Pas comme vous, les deux couillons chez papa-maman.
Ils me font rire ces trois-là.
River

Il est 22 heures quand je me gare devant la maison.


— T’as passé une bonne soirée, Léa ?
— Oui ! Ils sont trop drôles tes copains.
À peine on est entrés dans le hall que la mère de Léa nous saute dessus, l’air mécontente.
— Léa, t’as vu l’heure ?
— C’est de ma faute, madame Wilson. Je suis désolé. Je n’ai pas surveillé l’heure.
Ma mère se pointe juste derrière, tout aussi contrariée, puis c’est au tour du père de Léa. Aïe, la
parentèle au grand complet sur le dos, super le retour au bercail.
— Pardon, dit Léa d’une petite voix.
— Viens dans notre chambre qu’on parle, dit alors son père. Bonne nuit River, Brenda.
Maman m’adresse un petit signe pour que je la suive dans le salon. Pétard.
— Avant qu’on aborde le sujet Léa, donne-moi des nouvelles d’Emily, commence maman.
— Elle va mieux !
— Formidable… Tu crois qu’elle emménagera chez nous ?
Sans l’accident, Emily serait déjà installée dans le cabanon. C’était entendu avec ses parents.
— J’espère bien. Croisons les doigts.
— Parfait. Deuxième sujet. Je suis encore ta mère et donc je…
— Maman, il y a rien à…
— Stop. C’est toi qui m’écoutes : la famille de Léa est stricte. Léa n’a rien à voir avec les filles
que tu fréquentais jusqu’à présent. Tu le comprends ?
— Oui.
— Tu ne peux donc pas l’enlever sans prévenir et la ramener quand ça te chante.
— J’ai compris. Je suis désolé.
— Je dis ça pour ton bien, River ! Si jamais tu la forces à faire… ce qu’elle n’a pas envie de faire,
tu auras de mes nouvelles, OK ?
— Maman !
— Je t’informe, c’est tout. Dieu merci, tu as rompu avec Georgia. Cette fille n’était pas pour toi.
— Bon, ça y est maintenant ?
— Non ! Tu as fait plein de bêtises dans ta vie, mais on dirait enfin que tu commences à ouvrir les
yeux. J’aimerais bien que ça continue, River.
— Tu peux éviter de ramener le passé, s’il te plaît ?
— Léa sait-elle que Georgia est tombée enceinte ?
— Non. Maintenant je vais me coucher.
— River Robert Parker, assieds-toi, je n’ai pas terminé !
Aïe. Champ de mines et tirs de boulets en vue.
— Plus tôt elle le saura, mieux ce sera, River.
— Maman… c’était il y a plus d’un an, Georgia a perdu le bébé, pourquoi revenir là-dessus ?
— Si tu veux avoir une chance avec Léa, ne lui cache rien et évite qu’elle ne l’apprenne par un ou
une autre que toi.
— Léa sait que j’ai été adopté, elle sait aussi pour Emily.
— Oh ? Toi qui as mis un an à le dire aux garçons !
— En progrès, tu vois !
— River Robert Parker, tu l’as dans la peau, cette fille !
30

Colère incompréhensible
Léa

OK, c’est parti pour le sermon des familles. Ça me tue, mes parents vont me foutre en l’air ma
journée de rêve. Si seulement ils pouvaient me lâcher les baskets de temps en temps, on ne s’en
porterait pas plus mal, eux et moi.
De mauvaise grâce, je les suis dans leur chambre, qui se trouve d’ailleurs dans une aile de la
maison que je ne connais même pas. La décoration est sublime, mais je suis trop énervée pour
l’admirer.
— Assieds-toi, Léa, m’ordonne mon père. J’avais pourtant été très clair quand nous sommes
arrivés ici : j’attendais de toi un comportement exemplaire.
— Papa, je…
— Je parle. Une autre règle, qui ne date pas d’hier, est que tu ne sortes pas après une certaine
heure, au risque de tomber sur des gens mal intentionnés et…
— Papa ! J’étais avec River et ses amis.
— River Parker, justement. Parlons-en.
La grande scène des familles, je vous disais.
— Ta mère et moi avions été limpides : pas de distraction en terminale, une année cruciale pour le
choix de tes études supérieures.
— C’est quoi pour toi une distraction ?
— Ce garçon en est une.
— Arrête, c’est complètement…
— Non ! Plus de sorties avec ce garçon. Nous te l’interdisons. C’est clair ?
— River est juste un ami.
Mon père m’observe en silence. Sa fille unique est-elle en train de lui mentir ou non ?
— Entendu.
Hum, je suis incapable d’affirmer s’il m’a crue ou non. Mon père et ma mère échangent un regard
de parents-contents-d’eux, moi je compte les dalles de marbre du sol. Elles sont jolies.
— Tu peux aller te coucher maintenant. Il y a cours demain. Bonne nuit, Léa, dit ma mère.
— Bonne nuit, la parenté.
Je sors, pressée d’en finir avec le tribunal, et bing, je me retrouve nez à nez avec River. Oh ! Oh !
Mr Popular écoute aux portes !
— Vraiment ? je chuchote.
— Non… C’est pas ce que tu crois.
— Tu écoutais, oui ou non ?
— Moins fort ! Tu veux que ton père me fusille à l’aube ? dit River en m’entraînant en direction de
notre couloir.
— Donc, tu écoutais !
— Mais non, chaton !
— Il est l’heure d’aller au lit, les tourtereaux.
Pétrifiés, River et moi cessons de nous chamailler. C’est Brenda.
— Grrr, maman.
— Quoi ?
River passe devant sa mère en la fusillant des yeux, lui lance un « bonne nuit » glacial et s’éloigne
vers sa chambre. Brenda a un sourire jusqu’aux oreilles. Qu’est-ce qui leur arrive ?
— Léa, deux mots avant de te libérer : tu me plais, tu es mignonne, intelligente et adorable, mais…
tu dois aussi savoir que si par ta faute, River est malheureux, je serai très fâchée. J’en ai dit autant à
mon fils : je ne veux pas qu’il te fasse du mal… ça ira pour ce soir, les sermons ! Dors bien, ma
chérie.
J’aime vraiment Brenda avec sa franchise et sa spontanéité.

Le lendemain midi, Marissa me rejoint à la cafétéria du lycée, elle a sa tête des mauvais jours. Zut.
— Bon Dieu de bon Dieu de…
— Quoi, Marissa ?
— J’ai deux DST demain, trois essais à rendre d’ici mercredi, autant mourir tout de suite.
— Si ça peut te consoler, moi c’est pire : j’ai un exposé à présenter vendredi en plus des DST et
des essais.
— J’avoue… Merde, ne te ret…
Trop tard, évidemment. Je croise le regard bleu de Nick, il est accompagné de Jacky, son
inséparable âme damnée.
— Salut, Léa. Salut Marissa. On peut s’asseoir ?
— Euh… OK.
Léa, t’es trop conne parfois.
Nick saute littéralement sur le siège à côté de moi, Jacky s’installe près de Marissa qui me fusille
du regard. Oups.
— Alors, les filles, vous y allez ou non ? demande Nick.
— Où ça ? lui répond-on.
— À Graceland, bien sûr !
Qu’est-ce qu’ils ont tous avec Graceland ?
— Non, pas moi, dis-je.
— Oh. J’espérais que tu irais, rétorque Nick, déçu.
— C’est quand ? demande Marissa.
— La semaine prochaine.
Vu la petite conversation d’hier soir, aucune chance pour moi. Pourquoi ce mec s’accroche-t-il à
mes basques comme ça ? Soudain, Marissa nous joue La Dame aux camélias avec une quinte de toux
de phtisique. Qu’est-ce qui lui prend encore ?
— T’as avalé de travers ? je lui demande.
— Qu’est-ce que tu fous là, Nick ? j’entends alors.
River.
Accompagné de Jake et Ky. Les trois ont des têtes patibulaires. Ouah. Ça sent les cow-boys à plein
nez. Non, non, non, les mecs, épargnez-nous le règlement de comptes entre coqs.
— J’y vais, dit prudemment Nick.
Il a à peine le temps de se lever que Ky l’alpague par le col et le jette à deux mètres. Il est dingue
ou quoi ? Nick rajuste son vêtement puis lève le poing pour cogner Ky.
— Arrêtez ! je crie.
— Dégage Nick ! lance Jake tout en retenant Ky, qui se rue sur lui comme un diable.
— Dépêche-toi, enflure ! hurle Ky.
Je n’ai jamais vu Ky dans un tel état, lui qui est d’habitude si calme et posé. Jacky intervient
prudemment en tirant la manche de Nick pour l’emmener hors d’ici.
— Plus jamais tu t’approches d’elles, pigé, Nick ? lui crie River.
— OK, mec, mais toi tu oublies ta guéguerre contre moi, rétorque Nick.
C’est quoi cette histoire de guéguerre entre eux ? Ils étaient pourtant amis à l’époque d’Emily…
— Fin du spectacle ! s’exclame Jake à l’attention du petit attroupement de curieux.
J’en profite pour ramasser mes affaires et faire signe à Marissa de lever le camp. C’est trop zarbi
ce midi.
— Hé ! Léa ! me crie River.
— Quoi ?
— Ne juge pas, tu ne connais pas l’histoire, me glisse-t-il à l’oreille.
— Nick ne faisait rien de mal.
— Il méritait que je lui casse la gueule ! intervient Ky.
— Mais il vous a fait quoi à la fin ?
— N’approche pas de ce mec, Léa, je te l’ai déjà dit, insiste River.
— Et moi, je t’ai déjà dit que t’étais pas mon père… Salut.
31

Question
River

Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit, du coup boutonner ma chemise me demande une concentration
hors du commun ! Je rumine trop de trucs. Emily, sa sortie de coma, l’après-hôpital, ma rage de
démolir Nick… D’ailleurs, Ky en est arrivé au même stade que moi, si on ne l’avait pas retenu hier,
le connard se prenait un gros pain sur la tronche.
Je reconnais que pour comprendre le dégoût qu’il nous inspire, il faut être au courant. Léa n’a pas
toutes les cartes en main, c’est obligé qu’elle nous ait trouvés trop violents… Je ne voudrais surtout
pas qu’elle me prenne pour un caïd, au contraire, je veux qu’elle m’aime.
Pourquoi est-ce si dur de plaire à une fille comme elle ?
Je dois lui parler de Nick, c’est la seule solution pour qu’elle ouvre les yeux et évite ce mec
comme la peste.
Deux coups frappés à ma porte me sortent de mes cogitations. Ma mère passe la tête, puis sourit en
voyant ma chemise.
— C’est celle que je t’ai offerte !
— Ouais.
— Grincheux ou amoureux, mon grand garçon ?
— Maman !
— Je pourrais t’appeler Roméo vu que ta Juliette est au balcon d’à côté ! Je rigole, River ! Je suis
venue te prévenir que je partais, ils ont besoin de moi à la clinique. Ton père est déjà au boulot, les
parents de ta Juliette sont en repérage location de maison. Je compte sur toi pour t’occuper d’elle,
d’accord, Roméo ?
— Ils pourraient rester chez nous jusqu’à la fin de leurs travaux, je ronchonne.
— C’est normal qu’ils cherchent à se reloger… Allez, va te mettre aux fourneaux, les filles adorent
trouver leurs tartines déjà beurrées ! Bonne journée, mon Roméo ! Et attends-moi pour ouvrir les
résultats.
C’est aujourd’hui que nous recevons le rapport de notes des examens blancs. Mon père a menacé
de me confisquer ma voiture si je n’avais pas la moyenne. L’horreur, sans ma caisse, je ne suis plus
rien.
C’est l’heure de réveiller Juliette. Je finis de me préparer et vais toquer à sa porte. Pas de réponse.
— Léa ?
Zut, qu’est-ce qu’elle fout ? Je n’entends pas l’eau couler dans sa salle de bains, manquerait plus
que ça, que j’entre et qu’elle soit à poil…
— Léa !
Toujours pas de réponse. J’ouvre lentement sa porte. Elle dort ! Je m’approche. Cette fille me
remue les sangs, ça ne m’est jamais arrivé avec Georgia.
— Léa, je murmure près de sa joue chaude.
Elle marmonne quelques mots incompréhensibles, sa main sort de sous la couette et vient se poser
sur mon visage. Je suis scotché, incapable de bouger. Ses doigts contournent ma mâchoire puis
stoppent. Léa ouvre enfin les yeux et bondit en l’air à la vue du monstre que je dois être !
— Bon Dieu ! s’exclame-t-elle en ramenant la couette sur sa poitrine.
Je confirme qu’elle est en pyjama, pas de quoi jurer ses grands dieux, même si je devine ses
formes. En parfait gentleman, je ne dévie pas le regard sur son anatomie.
— Quoi ?
— Je croyais que t’étais mon réveil !
— Bah non, tu vois !
— Qu’est-ce que tu fous là ?
— Je te réveille, princesse.
— J’ai un réveil pour ça, merde.
— Hé ho, chaton, on se calme. Il est 7 h 30, debout si tu veux être à l’heure.
— OK, OK, je me prépare, grogne-t-elle, les mains toujours agrippées à cette pauvre couette.
Léa m’en veut encore à cause de Nick, c’est sûr. Les boules. Elle doit le trouver mieux que moi…
Merde alors. Non, tais-toi.
— Je dois me taire ? dit alors Léa, les yeux ronds.
— Pardon, non, non ! Je t’attends en bas. Je prépare le petit déj…
Dix minutes plus tard, je l’entends qui descend. Les pancakes sont dorés à point, dressés dans les
assiettes avec des fraises pour décorer. Je suis fier de moi !
Aïe, Léa est bizarre.
— Bien dormi, chaton ?
— Oui. Et toi ?
— Ça va. Assieds-toi, je m’occupe de tout. T’es un peu du genre manchote dans une cuisine !
Elle sourit. Un point. On attaque nos pancakes en silence. Allez River, secoue-toi les méninges,
trouve un truc à lui dire.
— Tes parents cherchent une maison à louer ? je bafouille.
Quel con, mais quel con, le pire des sujets de conversation.
— T’as envie de partir d’ici ? je me reprends.
— Ça dépend.
— Ça dépend de quoi ?
— Si on veut toujours de nous ici.
— Quoi ! Tu crois que tu n’es pas la bienvenue ici ?
— Je n’ai pas dit ça.
— Explique-toi alors.
Le silence retombe entre nous, c’est insupportable.
— Moi, je ne veux pas que tu t’en ailles.
Cette fois-ci, elle réagit et plonge ses yeux dans les miens.
— Pourquoi tu me regardes comme ça, tu ne me crois pas ? Tu m’en veux pour Nick ?
— Non ! C’était juste zarbi, c’est tout, murmure-t-elle.
— Alors quoi ? Qu’est-ce qui cloche ? Un jour, c’est le nirvana, le lendemain, c’est la banquise
avec toi.
— Non ! C’est juste que…
— Que quoi !
— C’est juste que je ne veux pas être une nana de plus sur ton tableau de chasse.
Elle rougit, elle est nerveuse, gênée, elle est sublime. Je la prends dans mes bras. Mon cœur
adopte le rythme d’une mitraillette en action. J’adore cette sensation. Je la serre contre moi, je me
retiens de ne pas la dévorer tout cru sur-le-champ. Non, non, j’y vais lentement, je caresse ses
hanches, je respire ses cheveux, j’épouse ses formes. Elle ne me repousse pas. Au contraire, ses
doigts se glissent derrière ma nuque, montent dans mes cheveux, descendent dans mon dos.
Maintenant je peux chercher ses lèvres, elles s’ouvrent pour m’accueillir dans un baiser chaud,
long, réjouissant. Léa s’abandonne comme moi, son cœur explose comme le mien. Je suce sa lèvre,
ses petits gémissements m’encouragent.
Je la soulève pour l’installer sur le comptoir, ses jambes se referment autour de ma taille. La
température monte d’un cran. Notre baiser s’enflamme. C’est bon, ça me rend fou, mais je me
contiens. Léa est sûrement encore vierge, je ne la brusquerai pas.
Elle finit par rompre notre étreinte, je retombe sur terre. Dommage, je serais bien resté une éternité
dans sa chaleur. Ses joues sont écarlates, ses cheveux décoiffés ! Je dépose de petits baisers dans son
cou qu’elle offre à ma gourmandise. C’est tellement tentant que je lui fais un suçon. Elle frissonne
délicieusement.
Je me cale contre elle, je me gave de son odeur, je respire chaque centimètre carré de sa peau
tendre. Ses mains, qu’elle a glissées sous ma chemise, m’encouragent encore.
— River, chuchote-t-elle.
— Humm…
— Faudrait y aller.
— On s’en fiche !
Je reprends mon exploration, elle rit en labourant ma poitrine de ses ongles. Divin.
— River !
— Une question d’abord : toi et moi, c’est oui ? On est ensemble maintenant ?
32

Confiance
Léa

Il fait grand beau sur la route du retour, River roule le toit replié. C’est chouette, mais vu que j’ai
perdu mon bandeau au lycée, j’ai les cheveux en pétard ou en rideau devant les yeux ! Sur mes
genoux, l’enveloppe des résultats d’examens blancs distribuée par le prof principal. Je la tripote
depuis qu’on est partis.
— Ouvre-la ! me dit River avec un clin d’œil.
— Non, je ferai ça avec mes parents.
De toute façon, je ne suis toujours pas redescendue de mon petit nuage et je n’en ai pas envie.
River éclate de rire devant mon sourire béat. C’est encore le feu d’artifice dans mon ventre.
On est ensemble. Ensemble ! Lui, River Parker, le mec sublime et moi, Léa Wilson, la fille
normale au look normal !
Il se gare devant la maison.
— Léa, tu sors ? On va quand même attendre tes parents à l’intérieur !
Il me rejoint et pose son bras sur mes épaules. Oups. Son geste me fait sursauter.
— Bah quoi ?
— Mon père…
— Il n’est pas là ! Et puis, t’es ma petite amie maintenant.
Sa petite amie ! Cette simple phrase me redonne le sourire jusqu’aux oreilles, une vraie neuneu
rouge pivoine.
— Léa, quand tu rougis, je craque, murmure-t-il à mon oreille, en la mordillant ensuite
délicieusement.
— Alors, faut que t’arrête de me faire rougir, River !
— Non, j’adore trop ! Ton père va finir par s’en rendre compte pour nous, tu le sais ça.
— Je crois qu’il s’en doute déjà, je soupire.
— Dis-lui alors, on n’aura plus besoin de se cacher.
— Je préfère attendre la fin de tous les exams.
— Ah oui, c’est vrai : pas de distraction !
— Voilà !
— T’es une fille qui se laisse distraire par les garçons, toi ? s’amuse River.
— Jamais !
— Jamais ? Même pas par moi ? ajoute-t-il en me volant un baiser.
— Jamais de la vie !
River éclate de rire et me serre contre lui. Faut quand même que je fasse redescendre ma centrale à
vapeur intérieure.
— Je vais me chercher un verre d’eau, River.
Il me suit, toujours plié de rire. Dans la cuisine, il insiste pour servir « la manchote ». Je plane.
River garde son air angélique pendant que je bois. Une fois mon verre terminé, il l’écarte
prudemment et me prend par la taille pour me coincer contre le mur. J’adore les frissons qui me
gagnent tout entière.
— River ! Léa ! appelle alors Brenda. On est là !
Bordel, non, pas les parents.
— Vous avez les résultats ?
— Oui, maman, on arrive, répond River.
Après un dernier petit baiser, on se sépare.
— Bonne chance, murmure River. Et n’oublie pas, ce ne sont que des notes, tu vaux bien plus
qu’elles !
— Merci, River !
Je le quitte, toujours aussi shootée par mes papillons dans le ventre.

La séance ouverture de l’enveloppe est un succès : j’ai obtenu des A partout. Mes parents ne
peuvent que me féliciter. Trop cool.
Je remonte dans ma chambre en admirant mes résultats, des fois que les notes se transforment en C
ou D si je les quitte des yeux ! River arrive au bout de dix minutes.
— Alors ? me demande-t-il à peine entré.
— Quoi !
— Tes résultats, nounouille !
— Et toi, tu ne m’as jamais dit les tiens.
— C’est toi qui n’as jamais demandé, ma belle.
— Je te le demande maintenant, et je te dis pour moi, après.
— Cinq A.
J’en ai la mâchoire qui se décroche. J’ignorais que River était une tronche.
— Mais t’es… t’es un…
— Bah quoi, t’as l’air surprise ?
— Je ne te croyais pas bosseur du tout.
— Je ne bosse pas !
— Prétentieux avec ça !
— Et toi, je peux savoir maintenant ?
Je lui tends ma feuille. Son sourire s’élargit à mesure qu’il découvre mes notes et les
commentaires. Sa joie me réchauffe le cœur comme jamais.
— Tu pourrais venir avec nous à Graceland pour fêter ça ? me propose-t-il alors.
— J’aimerais trop ! Mais mes parents ne voudront jamais.
— Bon, on va chercher autre chose.
Il me prend dans ses bras, me serre contre lui, caresse ma joue puis dépose un baiser sur mes
lèvres.
— À plus, Léa, je reviens.
Et il s’en va. Je suis déjà en manque
River

J’ignore comment je vais m’y prendre, ni si c’est la bonne méthode, mais je m’en voudrais de ne
rien tenter. Parce que, y a pas photo, si je veux que Léa m’accompagne à Graceland, faut que je
soutire l’autorisation de son père. Il me foutra peut-être son poing dans la figure ? Non, c’est dans les
films ça, River !
Allez, go. Ses parents sont dans le salon.
— Bonjour, monsieur Wilson, madame Wilson… Je vous dérange ?
Ils se lancent un drôle de regard. Gloups.
— Pas du tout, entre, River, répond Mme Wilson.
— La semaine prochaine, on a un week-end prolongé pour marquer la fin des examens. La tradition
au lycée est de se retrouver tous ensemble à Graceland. À quelques heures d’ici. J’y vais avec mes
amis. Est-ce que Léa peut venir avec nous et… ?
— Non, River, sûrement pas, me coupe M. Wilson. Ma fille ne mettra jamais les pieds dans une
beuverie de…
— Pardon, monsieur, je n’ai pas fini. Je n’ai jamais eu l’intention d’inviter Léa à ce genre de
soirées. C’est un week-end de détente au grand air. Marissa viendra, par exemple.
En fait, je n’en ai aucune idée. Merde.
— Non, River. Ma décision est prise, dit M. Wilson.
— Léa a travaillé dur pour réussir ses examens, c’est une fille sérieuse, responsable. Elle a
vraiment envie de nous accompagner, vous savez.
— Oui, elle est sérieuse et responsable, mais ce sont plutôt ses congénères dont je crains les
réactions.
— Vous n’avez pas confiance en moi, monsieur ?
Re-gloups. Fallait l’oser celle-ci.
Le père de Léa m’observe en silence, on dirait qu’il jauge le tréfonds de mon âme.
— Si vous me prenez pour un voyou, je comprends votre réaction. Mais ce n’est pas le cas,
monsieur. Je suis très sérieux et attentif à Léa, elle compte pour moi. Beaucoup même.
— Combien de jours sont prévus là-bas ? demande Mme Wilson.
— Trois.
— Vous êtes hébergés où ?
— À l’hôtel.
— Vous y allez comment ?
— En voiture. La mienne et celle d’un ami.
Mme Wilson place une main sur le genou de son mari.
— Chéri, laissons-la y aller avec ses amis. Pour une fois.
M. Wilson mâchouille son stylo, regarde sa femme, puis moi, puis à nouveau sa femme. Le silence
devient oppressant ou bien ce sont mes poumons qui ont oublié de se remplir.
— River, je peux te faire confiance ? articule-t-il enfin.
— Oui, monsieur !
33

Graceland
(1
RE PARTIE)
River

Je parviens à convaincre Marissa, je m’occupe de la réservation d’hôtel, je prévois même le


restaurant du premier soir puisqu’on arrivera tard. Tout baigne ! Le seul truc que j’oublie, c’est de
prévenir Léa.
Le jour du départ, Marissa et moi débarquons à l’aube dans la chambre de la princesse, qui dort à
poings fermés. Ky et Jake sont là aussi.
— J’arrive pas à croire que tu lui aies rien dit ! ne cesse de répéter Ky.
— J’ai zappé.
Léa marmonne dans son sommeil, une histoire de chocolat. Je la trouve craquante.
— C’est mieux si c’est toi qui la réveilles, je murmure à Marissa.
— Et rapidos, parce qu’on a de la route à faire, grogne Jake.
— Ta gueule, Jake ! Marissa, à toi de jouer. T’as bien mis son sac dans le coffre, n’est-ce pas ?
— Oui, oui !
J’embarque Ky et Jake pour laisser les filles tranquilles. Je ne suis pas si certain non plus que Léa
sautera de joie.
Au bout d’une demi-heure d’attente près des voitures, Marissa nous rejoint.
— Alors ? je demande, inquiet.
— Je lui ai dit qu’on allait au zoo ! Elle a trouvé ça bizarre, mais a dit OK. Elle finit de s’habiller.
Il est déjà 11 heures. Si on part maintenant on devrait y être pour 16 heures. Ky est écroulé sur la
banquette arrière de Jake, le casque sur les oreilles, les pieds sur le siège avant, dans sa bulle.
— Pousse-toi, gros lard ! je lui dis en soulevant ses écouteurs. Laisse une place à Marissa.
— Il est en train de saloper ma caisse en plus ! s’écrie Jake en se précipitant vers lui.
— Hum, on va au zoo ? fait une voix derrière moi.
Léa. Ses longs cheveux blonds encore mouillés sont rassemblés en un chignon flou d’où
s’échappent déjà quelques mèches. Elle est sublime.
— Si ! Si ! Les gorilles, tout ça ! je bafouille.
— Mon père est au courant ?
— Oui. J’ai prévenu tes parents avant qu’ils partent… euh… en visite.
Mais qu’est-ce qui m’arrive, je suis incapable de sortir une phrase complète.
— OK ! On y va alors ? demande Léa.
— Installe-toi, dis-je en lui tendant les clés. J’ai un truc à demander à Jake.
Je veux que Jake me suive sur la route, je vérifie au passage que Marissa a de la place. Ky est
bizarre avec elle. Enfin, on part. Au bout de vingt minutes, Léa m’interroge :
— Il est où ton zoo ?
— Euh…
Quel couillon, encore une question que je n’avais pas prévue.
— En fait… On ne va pas tout à fait au zoo.
— Mais on va où alors ?
— En week-end.
— Quoi !
— À Graceland.
— Pas possible !
— Si ! Trois jours à Graceland.
— Mes parents ne…
— J’ai demandé l’autorisation à ton père.
— Tu as quoi ?
— Demandé à ton père, Léa !
— Il a dit oui ?
— Quand il a su comment ça se passerait, oui.
— J’en reviens pas. Mon père m’aurait envoyée bouler si j’avais demandé moi-même. Quel talent,
River !
J’adore quand elle rit.
— Léa, t’es encore mieux sans maquillage ! j’ose alors.
— Non… Je n’ai pas eu le temps surtout, répond-elle en piquant un fard.
Un de plus !
— Je te jure. Tu es… plus fraîche.
Aïe, c’est romantique ça ?
— C’est bien ? me demande-t-elle, pas rassurée.
— Bien sûr. T’es encore plus craquante, quoi !
— Tu préfères les filles sans maquillage ?
— Les filles font ce qu’elles veulent, mais toi, tu es encore plus belle sans maquillage. Voilà !
Ça m’ennuie de ne pas pouvoir la regarder comme je veux parce que je conduis, mais je suis sûr
que je rate un véritable arc-en-ciel à la Léa !
— Merci, répond-elle simplement.
— C’est quoi cette cicatrice que tu as derrière l’oreille ?
Elle la cache aussitôt avec une mèche de cheveux.
— Rien.
— On dirait pas.
— C’est vieux.
— Alors, raconte, y a prescription.
— Tu ne me racontes pas tout, River.
— Qu’est-ce que tu veux savoir ?
— Pourquoi t’es sorti avec Georgia ?
Ah. Évidemment. Le dernier truc dont j’avais envie de parler.
— Tu vois ! Tu refuses d’en parler, s’exclame alors Léa.
— Je te réponds si tu me réponds ensuite.
— Ça marche.
— On a d’abord été amis Georgia et moi, on s’entendait bien et puis, un jour, on est sortis
ensemble, comme ça, par hasard.
— Combien de temps ça a duré ?
— Trois ans.
— Tu l’aimais ?
— Tricheuse, on avait dit une question !
— Pardon.
— Je l’ai aimée, oui, mais la Georgia du début était complètement différente de celle
d’aujourd’hui. Elle a changé, moi aussi. On s’est éloignés l’un de l’autre…
Le silence retombe. Léa fredonne l’air de musique qui passe à la radio.
— Et cette cicatrice ? je reprends.
— On m’a poussée. Je suis tombée sur un rebord où dépassait une pointe.
— Ouille.
— Oui, ce n’est pas un très bon souvenir.
— C’était qui ?
— Elle ne l’a pas fait exprès et s’est même excusée après. Mais comme tu disais, elle a beaucoup
changé depuis.
— Attends, me dit pas que c’était…
— Si, Georgia.
— Elle s’est excusée aussi pour le coup de poing de l’autre jour ?
— Je ne t’ai jamais dit que c’était elle !
— Léa, bien sûr que c’était elle… Je suis désolé.
— Arrête de t’excuser, tu n’y es pour rien.
— N’empêche. Je suis désolé quand même.
Elle sourit. Les kilomètres défilent. C’est agréable, on n’a pas besoin de parler pour se sentir bien
ensemble. C’est divin.
Après vingt minutes de sur place dans un embouteillage, j’appelle Jake qui est quelques voitures
en arrière. Je mets le haut-parleur, il m’accueille avec une perle dont il a le secret :
— Ras-le-cul de ces bagnoles !
— Je sais. Du coup, on pourrait s’arrêter pour acheter à manger, non ?
— Bon plan, mec !
On se retrouve à la station-service. Jake sort de sa voiture comme un diable de sa boîte, Ky
ronchonne, Marissa dort à moitié. Je leur montre la buvette et demande à Léa de m’attendre dans la
voiture, il faut que je lui parle en privé.
34

Graceland
(2
DE PARTIE)
Léa

J’attends sagement River. Il revient au bout de dix minutes avec un sac plein de victuailles.
— Je crève de faim ! me dit-il. Je t’ai pris un panini tomate pesto, il paraît que tu adores. Et un jus
de pomme.
Je le remercie et me mets à croquer avec délice mon panini. Je suis curieuse de savoir ce qu’il a à
me dire, mais pour une fois, je patiente ! Je l’entends successivement soupirer, mastiquer, avaler,
puis enfin, poser son sandwich :
— Quand tu me traitais de tête de nœud, t’avais raison, Léa.
— De quoi tu parles, River ?
— Georgia était une fille sympa, on pouvait se confier à elle sans qu’elle cancane derrière. Une
qualité que j’appréciais chez elle. Aujourd’hui, elle n’est plus pareille et c’est de ma faute… Il y a
deux ans, quand Georgia a découvert ce qui s’était passé avec Flo, j’ai d’abord cru qu’elle romprait,
mais non, elle refusait. Je ne comprenais pas pourquoi, elle était d’une humeur de chien avec moi. Un
jour, elle m’a avoué qu’elle était enceinte.
Quoi ?
La voix de River n’est plus qu’un souffle, son regard reste fixé sur le volant.
— Elle était enceinte de toi ? j’articule péniblement.
— Oui… Et moi, je l’avais trompée avec sa meilleure amie.
L’image de Flo surgit devant mes yeux. La Flo de la photo, celle que je prenais pour une fille
adorable, populaire, toujours enthousiaste. Elle a trompé Georgia… Je ne vaux guère mieux.
— Léa, je te raconte tout ça pour que tu saches que j’ai fait des bêtises. Des grosses bêtises.
J’étais stupide, je m’en veux terriblement. Mais ce River n’existe plus. Je ne recommencerai plus
jamais, surtout pas avec toi. Jamais, je ne te ferai du mal.
— Je te crois. C’est bizarre, mais je te crois, River.
— Tu as confiance en moi ?
— Bien sûr, sinon je ne serais pas assise à côté de toi.
Une myriade d’émotions traversent alors son visage, un petit sourire vient l’éclairer.
— Toi aussi, tu me crois, River ?
— Depuis le premier jour ! Sinon, je ne t’aurais pas parlé d’Emily. Ça m’a pris un an avant de le
dire aux garçons, même pas une journée avec toi ! Je me sens en confiance, Léa, pas jugé, pas traité
de mauviette…
— Ça c’est du Jake tout craché, je parie !
— Gagné.
— Mais alors, tu es… papa ?
Son sourire disparaît aussitôt, ses sourcils se froncent.
— Non.
Ouuuf.
— Elle a avorté ?
— Elle a fait une fausse couche.
— Merde alors.
— Oui. Merde.
— Je suis désolée, je…
Je quoi ? Qu’est-ce que je peux dire ?
— Tu n’as pas à être désolée, Léa.
— C’est pour ça que tu restais avec elle ?
— Oui.
— Et tu as rompu à cause de moi ? je murmure, pas fière d’être la nouvelle cause des malheurs de
Georgia.
— Non. Ça serait arrivé, avec toi ou sans toi dans le paysage. Je n’étais plus heureux, je te l’ai dit,
Georgia n’est plus celle qu’elle était… Après sa fauche couche, j’étais au fond du trou, je me sentais
coupable rien qu’en la regardant. Je lui ai fait cette promesse stupide de rester avec elle, quoi qu’il
arrive. Une promesse impossible à tenir, évidemment… Après, il y a eu l’accident d’Emily, la
disparition de Flo, c’était de plus en plus dur entre Georgia et moi. Elle aussi m’a trompé. On se
pourrissait l’existence. Notre relation devenait toxique… C’est à ce moment-là que tu es arrivée dans
ma vie.
Son visage s’adoucit aussitôt. Ses yeux chocolat me couvent. Ses doigts caressent doucement ma
joue.
— T’imagines pas comme j’en suis heureux, Léa.
Sa pomme d’Adam monte et descend.
— J’ai vraiment envie de t’embrasser, tu sais, reprend-il.
— Qu’est-ce que t’attends alors ?
— Je… J’aimerais être sûr qu’on est toujours sur la même longueur d’ondes, toi et moi. Surtout
après ce que je viens de te raconter…
Mon Dieu qu’il est bête.
Je me penche vers lui et presse mes lèvres sur les siennes, sans hésitation, avec ferveur. Bien sûr
que je suis sur la même longueur d’ondes. Et plus qu’un peu. Ses bras se referment sur moi, sa main
se promène le long de mon dos, ses doigts viennent se perdre dans mes cheveux.
Ce baiser va me foutre en arrêt cardiaque, je vous jure !
Trois coups frappés à la vitre nous font sursauter. River se cogne dans le rétroviseur, son coude
retombe sur le klaxon. Pouêêêt ! Et moi, je m’éborgne à moitié contre l’appuie-tête.
— Aïe !
— Léa ! Tu t’es fais mal ?
— Je vois des étoiles ! C’était qui ?
— Jake, évidemment. Qui d’autre ? grogne River. Je finirai par tuer ce mec.
Furieux, River jaillit hors de la voiture comme un diable.
— Tu peux pas nous foutre la paix, connard ?
— Je voulais juste vous sauver du sauna ! Tes vitres étaient pleines de buée ! rigole Jake.
River soupire, résigné.
— On y va ? demande Jake. Léa, ne le distrais pas trop, s’il te plaît, c’est un fragile !
Paf ! C’est le bruit que fait le coup de poing de River sur la mâchoire de Jake.
— Hé, frère ! T’es malade ou quoi ?
— La ferme. Remonte dans ta voiture et roule.
River en fait de même. Il boucle sa ceinture, puis se tourne vers moi, guilleret.
— S’il savait ! Tu me distrais rien qu’en étant assise ici !
Je rougis. Forcément.
— Ah ! Ah ! Ce fard, chaton !
— Stop, River ! Démarre !
Il m’attrape d’abord le menton pour me plaquer un gros bisou sur la bouche.

On arrive à destination vers 18 heures, au soleil couchant. Le ciel est une palette de rose et
d’orangé. Graceland est une jolie petite station balnéaire bâtie autour d’un lac, avec des hôtels cinq
étoiles à chaque coin de rue. Les garçons connaissent évidemment, ça sent la villégiature pour
richissimes. Ce n’est pas mon truc, mais j’avoue que je trouve l’endroit charmant. River se gare dans
le parking d’un magnifique hôtel de style victorien. On dirait un château de conte de fées avec sa
vigne vierge et ses tourelles.
— Trop cool d’être ici ! s’exclame Jake en se dégourdissant les jambes.
— Bienvenue au Amberlind ! lance un valet en habit rouge qui vient à notre rencontre. De retour
parmi nous, monsieur Parker !
Ouah. Donc, il vient souvent.
— Bonjour Frédéric, répond River, très à l’aise.
— Je m’occupe de vos bagages. Bon séjour et… pas de bêtises, les garçons, n’est-ce pas ? ajoute-
t-il avec un sourire sibyllin.
Ah. Vraiment très connue, la bande.
Je n’ai pas le temps d’approfondir la question car River m’entraîne vers l’entrée du luxueux hôtel.
Une fois les clés des chambres récupérées, nous montons en ascenseur. Déjà vu ! Je songe à mon
premier baiser dans l’ascenseur de l’hôpital. River m’adresse un clin d’œil. On est sur la même
longueur d’ondes !
Au quatrième étage, Jake s’arrête devant la chambre 404.
— Ce sera la tienne, Ky. River, chambre 405, Marissa, 407, Léa, 406, je prends la 408, dit Jake en
distribuant les cartes magnétiques d’ouverture de porte.
— Une chambre par personne ? s’exclame Marissa en même temps que moi.
— Oui. À plus, tout le monde, répond River en me prenant par la main.
Il déverrouille la porte de la 406, puis me pousse à l’intérieur. Sans mentir, c’est une chambre de
ouf. Tout est gigantesque, à commencer par le lit. Il y a un nombre incroyable d’oreillers, une couette
épaisse comme trois duvets, une coiffeuse et une salle de bains de rêve. Je suis scotchée.
— Tu aimes ? me demande River.
— Si j’aime ? C’est… c’est…
— Tant mieux ! J’avais envie de te faire plaisir.
— Mais ça doit coûter une fortune, je…
— T’inquiète pas. Je veux que tu passes un bon week-end, c’est tout, répond-il en m’attirant contre
lui. T’as oublié de fermer la porte, chaton !
— Tu la fermeras en sortant !
— T’en as déjà marre de moi ! murmure-t-il en m’étouffant de baisers.
— River ! Faut que je me change pour ce soir !
— Un vrai baiser et je m’en vais.
Et c’est reparti, entre mon estomac, mon cœur, et mes joues qui s’emballent comme des centrales à
vapeur !
35

Problèmes
River

On passe une super soirée à manger des sushis et à rigoler. Léa a l’air d’apprécier, ça me réjouit.
Une fois de retour à l’hôtel, chacun réintègre sa chambre. Je me sens bête, tout seul sur mon lit à fixer
le plafond, alors que Léa est juste en face.
J’hésite. Je ne veux pas lui sauter dessus, mais seulement rester un peu plus longtemps avec elle. Je
sais qu’elle n’est pas prête pour plus…
J’y vais, j’y vais pas ?
Non, elle doit dormir.
Grand couillon, tu te décides ?
Quand on rentrera, ses parents auront sûrement trouvé une maison et elle partira. Ce sera moins
facile.
Go !
J’enfile un bas de pyjama et un t-shirt, autant ne pas débarquer en caleçon chez la princesse.
Quoique ! Stop, remballe la testostérone, River.
En trois pas, je suis devant sa porte. Je toque doucement… Pas de réponse. Merde. Elle dort.
J’essaye encore ? Oui. Toc, toc, toc. Cette fois-ci, ça bouge à l’intérieur ! La porte s’entrouvre.
— River ? murmure-t-elle d’une voix ensommeillée.
— Euh… Je t’ai réveillée ?
— Non, je suis somnambule ! En plus, je suis toute décoiffée là, ronchonne-t-elle.
— J’adore ! Désolé, j’arrivais pas à dormir, je te laisse alors.
— Quoi ? Tu me réveilles et maintenant tu repars ?
— T’as l’air fatiguée, chaton, on se verra demain, dis-je en m’approchant dangereusement.
— Je suis trop moche, c’est ça ?
— Jamais de la vie !
— Pourquoi t’es venu alors ?
— Je peux dormir avec toi ?
Oups. Les mots m’ont échappé. Mon Dieu, faites qu’elle ne me gifle pas. Léa me regarde avec des
yeux ronds, complètement réveillée cette fois-ci.
— Les mecs sont toujours aussi directs quand ils veulent coucher avec une nana ? dit-elle alors.
— Non, non, pardon, Léa, c’est pas ce que tu crois… Je voulais juste dormir près de toi, pas
coucher avec toi…
— C’est hyper gênant, murmure-t-elle en rougissant.
Elle est trop mignonne !
— Léa, tes joues ! Tu me fais craquer, Léa !
— Chut !
— Ça veut dire oui ?
— Non ! Je ne savais pas que les mecs aimaient ce genre de choses.
— Quelles choses ?
— Se faire des câlins, murmure-t-elle, de plus en plus rouge tomate.
— Tout le monde aime les câlins !
Je la pousse dans sa chambre et j’entre sans permission.
— J’en déduis que tu dors ici, conclut-elle.
Elle est hyper nerveuse.
— Je m’en vais si tu veux.
— Reste ! Mais t’as pas le droit de prendre toute la couette ou d’empiéter sur ma moitié de lit !
— Ah. Et les câlins ?
Pour toute réponse, elle s’enroule dans la couette en gloussant.
Le lendemain matin, alors que la lumière du soleil me déchire les yeux, je prends conscience d’une
délicieuse sensation : Léa est collée contre moi, bien au chaud sous mon bras ! Quelques mèches de
ses cheveux me chatouillent le visage. Je les repousse. Elle dort à poings fermés, une main sous la
joue. L’image parfaite !
— Léaaaaa ! Debout ! appelle quelqu’un à sa porte.
Merde. Marissa.
— Léa, je murmure à son oreille.
— Encore cinq minutes, marmonne-t-elle.
— Marissa est dans le couloir.
Léa se redresse comme un ressort.
— Euh…
— Tu veux que je lui ouvre ? Tu veux que je me cache ? Tu crois que ça va la choquer que je sois
ici ?
— Euh…
— C’est pas très clair ! Je lui ouvre alors.
— On lui ouvre ensemble, me répond-elle.
— Léaaaa ! tambourine Marissa.
Je la suis jusqu’à la porte. Elle prend une grande respiration avant de tourner la poignée.
— T’en as mis du…
Comme prévu, la mâchoire de Marissa se décroche, ses yeux sortent de leurs orbites.
— Oups. Je dérange, dit-elle d’une voix suraiguë.
— Non, non ! Je partais. À plus les filles !
Et je file dans ma chambre, trop content d’échapper à l’interrogatoire qui va suivre !
— Alors, t’as baisé avec elle ? j’entends alors.
Putain.
Jake est installé sur mon lit, Ky, accoudé au balcon.
— Qu’est-ce que vous foutez dans ma chambre, vous deux ?
— Chambre que tu avais laissée ouverte, don Juan, me répond Ky.
— T’as baisé avec elle ? reprend Jake.
— De quoi je me mêle, ducon ? Non, je n’ai pas couché avec Léa. Surveille ton langage.
— T’as fait quoi alors ? Du tricot ?
— Voilà. T’auras ton cache-nez pour l’hiver, mec ! Maintenant, il vous reste deux secondes pour
dégager, je prends ma douche.
Léa

— Tu as quoi ? je redemande à Marissa, complètement ahurie.


— Je l’ai embrassé, répète-t-elle pour la troisième fois.
— Toi et Ky ? Et tu ne m’as jamais rien dit. T’as couché avec lui ?
— Mais non, Léa !
— Ça date de quand ?
— Un an. C’est arrivé à une fête d’anniversaire. Le soir où Nick a eu son accident de voiture.
— Pardon ?
— Mais oui, tu te souviens ? Sa petite amie était avec lui. Une fille qu’on ne connaissait pas trop.
— Pourquoi tu me dis ça maintenant, Marissa ?
— Je ne sais pas, j’avais envie… Ce soir-là, Ky m’a dit que c’était une erreur, que je devais
l’oublier parce qu’il y avait une autre fille dans sa vie. On n’en a plus jamais parlé, lui et moi.
Maintenant, je me retrouve en week-end avec lui. Il n’ose même pas me regarder en face.
— Pourquoi est-ce qu’il t’a embrassée alors ?
— Il avait l’air seul, triste, soupire-t-elle.
— Vous avez fait quoi après ce baiser ?
— Son portable a sonné. Ça avait l’air important. Il m’a dit qu’il reviendrait pour me
raccompagner à la maison et il est parti en vitesse. Il n’est jamais revenu, c’est la police qui est
arrivée à cause de l’accident de Nick.
— Y a un an, c’est ça ?
Elle hoche la tête. Les infos commencent à se rassembler dans mon cerveau.
— Nick était là ?
— Oui, avec sa copine.
— Une fille du lycée ?
— Non. Elle s’appelait… Ellie ? Emmie ? Un nom comme ça.
— Emily ? je demande d’une voix blanche.
— Oui !
Bon Dieu, pourquoi River ne me l’a jamais dit.
Nick, responsable du coma de sa sœur. La raison qui explique pourquoi les garçons le haïssent
autant, pourquoi River est si incontrôlable quand il est en sa présence. Je blêmis. Je devrais compatir
pour Marissa, mais j’en ai la chique coupée.
— Léa, t’es fâchée ?
— Fâchée ?
— Parce que je te l’ai caché.
— Bien sûr que non, Marissa. J’en veux plutôt à Ky.
Cela ne lui ressemble pas du tout, en plus.
— On ne peut pas lui en vouloir, Ky est trop gentil !
— Tu l’aimes toujours ?
— Disons que je pense souvent à lui, surtout depuis que tu es avec River. Ce week-end n’arrange
rien…
On toque à la porte, je vais ouvrir. Quand on parle du loup… C’est Ky. Il lance un regard gêné à
Marissa.
— Bonjour… On vous attend pour le petit déj. On partira juste après, nous dit-il.
— OK. Merci Ky, on descend dans cinq minutes.
Je referme la porte.
— Marissa, faut faire quelque chose, on dirait deux lapins pris au piège. Parle-lui !
— Non ! Je ne suis pas comme toi, Léa. Je n’ai pas ton aplomb.
— Mon aplomb ?
— Bah oui. T’as couché avec River, c’est ouf ça.
— Hé, t’es folle ! On n’a pas couché ensemble, il a juste dormi dans mon lit. Capito ?
— Ah bon ? C’est possible ça ?
— Si je te le dis.
Marissa glousse comme une dinde avant de reprendre :
— Tu crois que toi et lui, vous finirez par… crac crac !
Oh là, ce n’est pas mon genre de conversation. Je rougis.
— Je ne sais pas, Marissa, je grommelle.
— Tu l’aimes ?
— Oui, je l’aime, c’est bien ça le problème !
— Y a un problème ? Je ne vois pas où est le…
— Marissa laisse tomber, j’ai faim.
— Moi aussi. Let’s go.
Le sujet River étant bien assez compliqué comme ça, inutile de le partager avec Marissa-la-
pipelette.
36

Oublié
Léa

— Mais je ne suis pas assez habillée pour une fête ! je tente d’expliquer à River, maintenant que je
connais le programme des réjouissances.
Je suis descendue en jeans, t-shirt et baskets, le tout prêté par Marissa. Il faut vraiment que je me
rachète mes propres affaires.
— Tu es très bien comme ça, la plus mignonne, tranche River.
— Tu aurais pu me prévenir qu’on irait à une soirée, je ronchonne.
— Je viens de l’apprendre. Arrête de stresser, Léa. Y aura plein de potes du lycée pour fêter la fin
des exams. Ça sera sympa.
Peut-être, mais Nick sera là aussi. Maintenant que j’ai découvert ce que River ne m’a pas avoué, je
suis méga stressée à l’idée de le croiser.
— Je te le promets, ajoute encore River.
Feu rouge, River se penche vers moi et cherche mes lèvres. Je le laisse faire en fermant les yeux,
je suis sur mon petit nuage ! Encore un de ces baisers profonds, remuants, époustouflants. Jamais je
n’aurais imaginé le pouvoir magique des baisers. River me comble, il représente plus qu’une simple
amourette.
— Léa, si je te dis que t’es la plus belle, t’auras la grosse tête ?
Le feu passe au vert, ça m’évite de répondre ! Cinq minutes plus tard, on arrive devant une belle
maison à étages. Il y a déjà de nombreuses voitures garées aux alentours. River coupe le moteur, nous
sortons, ses doigts s’enlacent automatiquement aux miens.
Un petit groupe de garçons fument devant l’entrée, une fille est avec eux, qui rit aux éclats. Je
réalise qu’elle est déjà pompette.
— Hello, River ! lance l’un des garçons en aspirant une bouffée sur sa cigarette.
— Salut Mike, ça va ?
— Tu vois ! Je m’occupe de Julie, comme d’hab.
La fameuse Julie a maintenant le nez dans son cou, comme si elle y cherchait quelque chose.
— La forme, Julie ! s’exclame River en riant.
Elle glousse en lui adressant un signe de la main.
— Je vous présente Léa, ma copine, fait alors River.
Sa copine. Là, je fais un arrêt cardiaque. Mon estomac tombe d’un étage, mon cerveau se met à
trembloter, je me mords la langue en serrant la main de River.
Léa, reprends-toi, on te cause.
— Salut, Mike, je réponds comme une demeurée.
— À plus, les mecs, on a faim, dit River pour me sauver la mise.
On sort de table, mais lui et moi, on est sur la même longueur d’ondes, donc on se comprend !
À l’intérieur, la musique tambourine à fond les ballons. Il faut crier pour se parler. C’est également
la foule des grands jours, avec du monde partout. Ça boit, ça danse, ça rit, ça papote. River me serre
contre lui, je suis rassurée. Juste au moment où il m’embrasse délicatement sur le front, un flash nous
surprend. Hé c’était quoi ? Une petite rousse bouclée abaisse son appareil. Je la reconnais, c’est
Martha, qui est en première.
— Vous étiez trop mignons ! dit-elle avec un sourire jusqu’aux oreilles.
— Martha ! s’écrie River en tendant la main. Donne !
— Non, non, non ! C’est de l’art ! Et puis cet appareil est un cadeau, t’as pas le droit de me le
reprendre.
— Tu veux qu’elle l’efface ? me demande River.
— C’est bon !
Je crève surtout d’envie d’avoir cette photo !
— Ta copine est plus sympa que toi ! conclut Martha en s’éloignant, rapidement quand même.
— Je suis son parrain au lycée, m’explique River. Ça fait sérieux sur les dossiers d’inscription
universitaires. Tu devrais te prendre un petit de seconde, toi aussi.
— Bof ! Régler les pinailleries de casiers ou de réfectoire, non merci !
— C’est vrai que ce n’est pas la meilleure partie.
River m’entraîne vers le jardin pour soulager nos tympans. En chemin, je remarque les regards
appuyés de certaines filles. Ça m’énerve un peu. Mais pour bien leur montrer que c’est moi l’élue, il
me tient solidement par la taille ! Et toc !
Le jardin est sublime, encore plus beau que celui des Parker. Il y a même une petite passerelle
fleurie au-dessus d’un ruisseau. La pleine lune irise la surface de l’eau, les reflets argentés scintillent
dans la nuit. Le volume de la musique est nettement plus supportable ici. River m’attire contre lui.
— Je ne sais pas danser, je murmure.
— Un petit effort, manchote !
— Tout, mais pas ça !
— Laisse-toi aller, chuchote-t-il à mon oreille en la mordillant. Commence par mettre tes bras
autour de moi.
J’enlace son cou et me hisse sur la pointe des pieds. Son front se pose sur le mien, ses mains
descendent le long de mon dos.
— Tu serais fâchée si je t’embrasse, là, maintenant, en public ? me susurre River.
La réponse se lit sur mon visage épanoui.
— À vos ordres, princesse !
Ses lèvres cherchent les miennes, se collent, se frottent, chaudes, légères. Nous dansons serrés l’un
contre l’autre, seuls au monde, jusqu’à la fin de la chanson et même au début de la suivante, je ne sais
plus. Je suis dans un cocon tout doux et ne veux plus en sortir. Finalement, River se détache de
quelques centimètres.
— Tu veux boire, Léa ?
— D’acc !
— Je reviens dans deux minutes.
Je m’assois sur un des bancs qui borde le ruisseau en attendant. Cette nuit est magique, je n’ai
jamais été aussi heureuse.
— Léa ?
Je sursaute. Nick. La dernière personne que je souhaitais voir. Intuitif, il hésite, danse d’un pied
sur l’autre durant quelques secondes, puis s’éclaircit la voix.
— Tu t’amuses bien ?
— Ça va.
— Je suis désolé pour l’autre soir, vraiment… Je n’ai jamais eu l’intention de me servir de toi,
malgré ce qu’on a pu te dire.
— Pourquoi tu m’as invitée ?
— Je… Tu…
— Je, quoi ?
— Tu me rappelles quelqu’un.
— Qui ?
— Emily Collins, lâche-t-il d’une voix sourde.
Qu’est-ce qu’il raconte ? Je ne lui ressemble même pas.
— Je sais que tu la connais, River a dû t’en parler, reprend-il. Ne me demande pas pourquoi tu me
fais penser à elle, je ne sais pas. Elle a eu un accident à cause de moi. Je devrais être en prison, mais
mon père a payé un super avocat. Crois-moi, Léa, je…
— Nick !
Vous avez deviné qui vient de hurler. Le visage de Nick se referme comme une huître.
— Fin de la conversation, gronde River en posant son bras sur mon épaule.
Nous plantons Nick et repartons vers l’intérieur de la maison. River n’ouvre pas la bouche. Il
avance raide comme un piquet, mâchoires crispées. On ressort à l’avant pour rejoindre la voiture.
— River, je suis désolée.
— Tu n’as pas à l’être.
— Si. Je sais que ça te met très mal à l’aise que je lui parle. Nick sortait avec Emily, c’est ça ?
— Comment tu le sais ?
— Je l’ai deviné. Pourquoi tu ne m’as jamais rien dit ?
— Aujourd’hui, je le hais, mais je l’aimais comme un frère, soupire River. On était hyper proches
quand c’est arrivé. J’ai voulu protéger sa réputation, éviter que ça se sache.
Accablé, il pose sa tête sur le volant.
— River ?
— J’ai reçu un coup de fil. De Conner.
Le frère adoptif. Je crains le pire.
— Emily a un problème ?
— Elle est réveillée.
— C’est une super nouvelle ! Pourquoi tu…
— Elle a perdu la mémoire et nous a tous oubliés. Même moi.
37

Amour
Léa

Vous avez sûrement déjà couru après le temps qui passe trop vite : quand on est en retard au lycée,
qu’on doit attraper un train ou retrouver un ami. On compte avec angoisse les minutes qui restent
jusqu’à l’heure fatidique. On voudrait que l’horloge ralentisse pour se donner un peu d’air.
Eh bien, c’est ce que je ressens. J’aimerais qu’on me laisse cinq minutes de pause pour trier mes
émotions et mes pensées. Parce que là c’est le grand bazar. River speede comme un malade sur la
route, il pile, entre dans une station-service pour faire le plein, repart à fond la caisse, tout ça sans
dire un mot, le visage blême. Il est ailleurs, fermé comme une huître.
J’ai arrêté de meubler le silence, vu qu’il ne répond pas ou marmonne des mots inintelligibles. Je
le laisse tranquille, mais je mentirais si je ne disais pas qu’il me fait peur.
Il me flanque une trouille bleue.
Après trois heures de route, on quitte l’autoroute pour Colston centre-ville. En moins de vingt
minutes, on rejoint l’hôpital. Il est 2 heures du matin.
— Tu m’accompagnes ? me demande-t-il en débouclant sa ceinture.
— Si tu veux bien de moi, oui.
— Ils ne te laisseront peut-être pas entrer dans sa chambre.
— J’irai en salle d’attente.
— OK.
Toute son attitude crie que ce n’est pas OK, pas du tout même. Il s’empêche de crier, se retient de
pleurer, d’être consolé ou encouragé.
Lâche-toi, River.
Il garde les poings enfoncés dans ses poches, sans faire le moindre geste pour être près de moi.
Dans l’ascenseur qui nous conduit au septième étage, il desserre enfin les dents.
— Merci d’être là, Léa.
Sa voix tremble. Maintenant, je le sens fragile et effrayé. Les portes s’ouvrent. River demande à
l’infirmière de garde où se trouve Emily. Au bout du couloir à droite.
Brenda est là, endormie, la tête sur l’épaule de Malcom. Conner est assis en face d’eux.
— River ! s’exclame son père.
— Elle est où ? demande River.
— Ici. Elle dort, répond Conner. Mon père et ma mère sont dans sa chambre. On ne peut pas y
aller à plus de deux personnes à la…
River n’écoute déjà plus et entre. La porte se referme derrière lui avec un clic.
— Assieds-toi, me propose Conner.
— Merci.
— Alors, Graceland, t’as aimé ?
Je ne me sens pas de faire la conversation, mais on dirait qu’il cherche à se distraire.
— C’était chouette.
— Content de savoir que tu as aimé, intervient Malcom.
— Je me suis bien amusée, River aussi.
— Tant mieux. Il mérite de se détendre un peu.
Oui, River devrait s’amuser, pas porter une telle épreuve sur ses épaules. Les yeux rivés sur la
porte d’Emily, j’attends son retour avec impatience.
C’est la lumière du couloir qui me réveille, puis la pression que je sens sur mon bras. Brenda se
tient devant moi.
— Léa ? Léa, réveille-toi.
— Oups. Il est quelle heure ?
Il n’y a plus qu’elle et moi dans la salle d’attente.
— 4 heures du matin. Je te ramène à la maison.
— Et River ?
— Toujours avec Emily. Il ne rentre pas maintenant.
J’aimerais l’embrasser avant de partir mais je n’ose pas troubler cet instant solennel qu’il partage
avec sa sœur. Brenda attrape mon sac, je me lève et la suis.
Le trajet jusqu’à la maison se passe en silence, ni elle ni moi n’étant particulièrement en forme
pour la causette. Aussitôt arrivée, je file à l’étage, mais une fois sur le palier, je ne peux m’empêcher
de jeter un œil à la chambre de River dont la porte est grande ouverte.
Je suis attirée comme un papillon, son odeur flotte dans l’air. Je décide de m’allonger sur son lit.
Au mur, quelques photographies et un grand poster. Je réalise que River ne m’a jamais dit s’il était
photographe. De fil en aiguille, je repense à cette photo avec sa sœur et leurs amis. Il avait l’air si
heureux, mille fois plus joyeux. Je donnerais cher pour le revoir aussi détendu aujourd’hui…
Quand je me réveille, le soleil brille. J’ai fait des rêves bizarres peuplés de River et d’Emily. Je
me débarbouille dans sa salle de bains, j’ai les cheveux d’une folle. Quand je reviens dans la
chambre, River est là, assis sur son lit.
— Hey, River !
— Salut.
Ses yeux sont injectés de sang, il a les traits tirés, les joues livides. Son visage est d’une pâleur
inquiétante.
— Ça va ?
Question stupide, Léa.
— Non.
— Tu préfères que je te laisse seul ?
Décidément, Léa, tu ne gères pas du tout.
River m’observe un long moment puis secoue la tête et me tend la main pour que j’approche. Il
pose alors sa tête contre mon ventre et ferme les yeux. Son premier instant de détente. Il cherche
ensuite mes lèvres. Son baiser est doux, lent, rassurant. Mon cœur s’emballe, évidemment.
Ses bras me font alors basculer sur le lit, sans jamais que nos bouches ne se séparent. Je me
retrouve allongée, écrasée sous le poids de son corps. Moi aussi je goûte ce moment merveilleux et
j’oublie tout. Mais voilà qu’il rompt notre étreinte. Son regard est triste, éteint. Je me sens démunie,
incapable de l’aider.
— Tu avais raison, Léa, je ne suis qu’une tête de nœud, dit-il alors.
— Quoi ?
— Un crétin, un nul, un…
— Arrête ! Tu dis n’importe quoi, River.
— Pourtant tu le pensais, avoue. Tu me détestais avant qu’on se connaisse, non ?
— Mais qu’est-ce que tu racontes ? Je ne t’ai jamais détesté.
— Si, mais tu n’oses plus me le dire.
— River, qu’est-ce qui te prend tout d’un coup ? De quoi tu parles ?
— Non, pas tout d’un coup. Je suis comme ça depuis longtemps. Un nul, un zéro, un…
— Je te connais beaucoup mieux maintenant, je sais que tu n’es pas une tête de nœud !
— T’es trop bête.
— S’il te plaît, calme-toi. C’est juste que… que…
— Que quoi ? s’écrie-t-il, hors de lui.
— Que tu es blessé. En état de choc. Je comprends, River.
— Non, tu ne piges pas ! Tu peux pas comprendre ce que ça fait d’avoir sa propre sœur qui ne te
reconnaît plus. Une sœur jumelle que t’as pas connu avant tes dix-huit ans et que tu perds déjà alors
que tu viens de la retrouver.
Son accablement me fait peur, mais au moins, en criant River extériorise enfin ce qu’il ressent. Sa
voix est méconnaissable, grave, blanche.
— Je vais te dire pourquoi je suis un méga connard, Léa : j’aimerais qu’un autre soit à ma place,
qu’il subisse ce que je suis en train de vivre. Je voudrais me débarrasser du problème sur sa tête,
évacuer tout ça.
Mon Dieu, je sais que c’est normal qu’il soit en colère, mais qu’est-ce que je peux faire pour
l’aider ?
— C’est pas juste, Léa. Putain, c’est super injuste.
Cette dernière phrase déclenche ma crise de larmes. La pauv’ fille qui ne sait que pleurer. Léa,
sois forte !
Les yeux de River s’embuent aussi, mais rien n’en coule. C’est un roc alors que je suis une vraie
fontaine.
— Je me hais, Léa. Je suis trop nul. Et égoïste en plus.
— Non, c’est pas vrai, j’articule péniblement. Tu n’es rien de tout ça, River.
— Qu’est-ce que t’en sais ?
— Tu es mille fois meilleur que ce que tu penses.
— Je ne suis qu’un égoïste. Tu mérites mille fois mieux qu’un mec comme moi… Mais je ne
pourrai jamais te lâcher…
Ses larmes roulent enfin sur ses joues.
— Je suis foutu, Léa, je t’aime.
38

Courage
River

Ouah, ouah, ouah. Je t’aime, Léa. C’est dit. Je viens de lui avouer que j’étais amoureux.
Bordel.
J’attends sa réaction. J’ai besoin de savoir si elle pense comme moi, besoin d’entendre ses mots.
J’ai besoin d’elle. C’est sûrement la seule personne au monde qui pourrait m’empêcher de faire une
connerie.
En plus, je pleure.
Léa se secoue comme si elle venait de recevoir un choc sur la tête. Elle essuie la larme qui roule
sur ma joue avec son doigt. Le temps dure une éternité.
— Je suis foutue aussi, River : je t’aime.
Elle l’a dit ? Elle vient de le dire.
Elle a l’air aussi surprise que moi. Ce sont ses mains qui se glissent en premier derrière ma nuque.
Elle m’attire à elle et me serre contre elle. Je ne savais pas qu’être amoureux comme je le suis
apportait aussi le réconfort, le soulagement, l’abandon. Elle est si belle, si douce, si parfaite. Je le
sens même les yeux fermés.
— Je t’aime, Léa, je murmure encore.
— Je t’aime.
Malheureusement pour notre instant magique, on frappe à la porte. Zut. Ce n’est pas le moment de
se prendre un savon de sa mère ou de la mienne. Encore moins que son père nous surprenne.
Léa se redresse et arrange ses vêtements. Elle me manque déjà.
— Entrez, je crie.
Ma mère entre, le téléphone collé à l’oreille. Elle nous lance un regard soucieux.
— Ky aimerait te parler, River.
— Qu’est-ce qu’il y a ? Allô, Ky ?
— Il est là. Il est venu aussi, me répond Ky, énervé.
— T’es à l’hôpital ? Qui ? Non, me dis pas que…
— Nick est avec Emily.
— Qui lui a dit ? Qui a osé ? je hurle.
— Emily l’a demandé.
Je raccroche. Mon cerveau assimile lentement ce que je viens d’entendre. Emily se souviendrait de
lui et pas de moi ?
— River ? Mon chéri ? dit maman.
Le poison entre dans chaque cellule grise de mon crâne. Nick. Nick ?
— J’y vais.
— River, non ! Ce n’est pas une bonne…
— Pourquoi ? Je suis son frère, je dois être avec elle.
— Pas quand Nick y est, chéri.
— C’est bon, maman, je ne vais pas me battre… Léa, tu viens avec moi ? Ça me ferait plaisir.
— Bien sûr.
— Léa, qu’est-ce que je dis à tes parents ? me demande Brenda, de plus en plus soucieuse.
— Qu’elle est avec moi, maman. Je leur expliquerai en rentrant.
Je m’en fous de ses parents du moment que Léa est à mes côtés. Je me sens incapable de retourner
là-bas sans elle et surtout, incapable de rester calme face à Nick si elle ne me retient pas.

Dans l’ascenseur de l’hôpital, Léa me serre la main encore plus fort.


— Promets-moi une chose, River.
— Ce que tu veux.
— De ne rien faire d’idiot.
— Idiot comme quoi ?
— Promets-le.
— Promis. Moi aussi, j’ai un truc à te demander, Léa.
— Ce que tu veux.
— Garde ma main dans la tienne.
— Promis !
L’ascenseur ouvre ses portes au septième, Ky et Conner sont devant nous, assis près de la
réception, l’air accablé. Conner lève la tête en premier.
— Du calme, River, du calme, s’il te plaît ! s’exclame-t-il aussitôt. Emily l’a réclamé ce matin.
Mes parents l’ont prévenu, c’est pour ça qu’il est venu.
— Putain, mais qu’est-ce qui leur a pris ?
Les doigts de Léa pressent les miens.
— River, ils ont cru bien faire, me répond Ky.
— Parce que toi, t’es d’accord ? je persifle.
— Non, bien sûr que non, moi, je l’aurais buté il y a un an, mais il aidera peut-être Emily à
retrouver la mémoire.
— J’y vais.
Conner s’interpose.
— Laisse-moi passer, Conner.
— Attends au moins qu’il ressorte !
— S’il te plaît, Conner, ne l’empêche pas d’y aller, intervient Léa, qui lit dans mes pensées.
Faut que je règle ça maintenant. Faut que je voie Emily et Nick. Avec Léa près de moi.
Léa

Emily se trouve à présent dans l’aile la plus éloignée. Il y a une véritable effervescence de ce côté-
ci, un groupe de médecins et d’infirmières s’agite, discute, entre et sort de sa chambre. Je ne
comprends pas la moitié des termes médicaux qu’ils échangent.
Les parents d’Emily se tiennent les mains, ils sont en pleurs, hébétés. Quand je lève les yeux sur
River, mon cœur se brise en mille morceaux, au sens propre du terme : son visage est le reflet même
de la douleur. Son expression mêle le choc, les regrets et la culpabilité. Le peu de couleur qu’il avait
disparaît. River est maintenant plus blafard qu’un fantôme.
Ses doigts lâchent imperceptiblement les miens. Non, je les garde, j’ai promis. Si seulement, je
pouvais le décharger d’une infime partie de sa peine, rien qu’un tout petit peu… Mais comment ?
Ky et Conner nous ont rejoints. Ils blêmissent en comprenant le spectacle qui se joue devant nous.
Il y a une telle tension, une telle confusion entre le corps médical qui s’agite pour Emily et nous
autres qui nous liquéfions. L’amour, c’est à la fois le plus beau et le pire des sentiments qu’on puisse
éprouver.
River est en train de perdre Emily. Je prie pour qu’il trouve la force d’endurer cette nouvelle
épreuve.
39

Elle est si parfaite


Léa

Qu’arrive-t-il à Emily ? Nick est-il avec elle ?


La réponse à ma seconde question ne tarde pas à arriver : deux agents de sécurité traînent Nick
hors de la chambre. Il se débat comme un diable.
— Lâchez-moi ! Je veux y retourner ! Emily !
À ces mots, River se tend comme un arc. Je resserre mon étreinte. Garde ma main dans la tienne.
Ses mots tournent en boucle dans ma tête. Leur sens était bien plus profond qu’il n’y paraissait.
Emily. Qu’arrive-t-il à Emily ? Nick a t-il provoqué un malheur ? Non, je ne peux pas croire qu’il
lui ait fait du mal dans cette chambre. L’assaut de River m’arrache à mes réflexions.
— Fils de pute ! hurle-t-il.
Nick sursaute. Il ne nous avait pas remarqués. Cette fois-ci, je retiens River de toutes mes forces.
Je m’interpose même et le repousse pour l’éloigner de sa proie. Conner et Ky réagissent enfin en
bloquant River de chaque côté.
— River, calme-toi, s’il te plaît, je répète.
Ses yeux lancent des éclairs, des flammes, des torpilles. Il me terrifie, mais je prends son visage
entre les mains, pour détourner son attention de Nick.
— River, regarde-moi ! Tu as promis de ne pas faire l’idiot. Souviens-toi.
— Ce salaud mérite une énorme raclée, gronde River. Ça rendrait service au genre humain.
Comment le calmer ? River est pire qu’un taureau en furie.
D’un coup d’épaule, Nick parvient à se dégager de la poigne de l’agent et s’élance vers la chambre
d’Emily.
— Je t’aime, Emily ! Je t’aime !
— Calmez-vous ou je serai obligé de vous menotter ! s’exclame l’un des officiers.
Nick se calme, puis se laisse escorter vers la sortie. River le suit avec des yeux venimeux, mais il
est aussi choqué que moi, tout comme Ky qui semble accablé : les mots d’amour de Nick pour Emily
résonnent à nos oreilles.
— S’il vous plaît, évacuez le couloir, nous demande alors une infirmière. Merci d’aller patienter
en salle d’attente.
— Comment va ma sœur ? Qu’est-ce qui s’est passé ? s’enquiert River.
Il fait un effort surhumain pour se contenir, mais je le sens sur le point de craquer.
— Le médecin viendra vous trouver quand la situation sera stabilisée, répond-elle d’une voix
neutre.
— Ça va aller pour elle ? ne peut s’empêcher de demander River.
— River, viens, je murmure.
Faites que ça aille pour Emily, s’il vous plaît, je vous en supplie, River n’a pas mérité ça.
— Nous faisons tout pour, monsieur, lui répond-elle.
Je tire sur la main de River pour qu’il me suive.
River

Quand j’ai vu la horde de médecins et d’infirmières entrer et sortir de la chambre d’Emily, ça m’a
rappelé la nuit de l’accident. J’ai été le dernier informé. Même Jake et Ky l’avaient su avant moi.
J’étais au pieu avec Georgia. Risible.
Ces dernières vingt-quatre heures sont un brouillard opaque. Je suis resté auprès d’Emily à peine
quelques minutes à cause de Nick. Je n’ai plus de mots pour décrire ma haine. Rien ne serait jamais
arrivé sans lui, sans ce…
— Salut, frère, je suis venu dès que j’ai su, me secoue Jake.
Emily ne doit pas mourir. Je ne peux pas la perdre… Elle est peut-être déjà morte. Comment je
surmonterai ça ? Ma sœur…
— River, tu veux un café ? Je descends à la cafétéria, demande Ky.
« Emily est dans le coma. Dépêche-toi de venir. » L’appel téléphonique de Ky reçu il y a un an me
hante.
— River ?
Cette fois-ci, c’est Léa. Je lève la tête et croise ses magnifiques yeux bleus. Ses lèvres sont roses
et charnues. Si je n’étais pas englué dans cette panade je l’enlèverais sur-le-champ pour l’emmener
loin d’ici.
— River, tu veux manger ? Boire quelque chose ? Je descends avec Ky.
Est-ce qu’elle se doute que je suis au bord du précipice ? Je me sens si fatigué, épuisé, à bout. Elle
est ma seule raison d’espérer encore de la vie.
— Non. Tu m’accompagnes dehors, s’il te plaît ?
On laisse Ky et Jake se charger des cafés. Une fois dans la cour de l’hôpital, je sors mon paquet de
cigarettes. Je ne suis pas accro mais il faut que je décompresse cinq minutes.
— Tu fais quoi là ? demande Léa en fronçant ses jolis sourcils.
— Juste une seule, chaton !
La première bouffée me calme, c’est magique. En revanche, Léa me regarde avec une moue
rigolote, bras croisés sur la poitrine comme une enfant boudeuse.
— Tu n’aimes pas me voir fumer, toi !
— Pas du tout, ronchonne-t-elle.
— Allez ! C’est pas comme si je fumais comme un pompier.
— Tu le sais très bien, le tabac tue.
— On finit tous par mourir.
— Le plus tard est le mieux.
— Et si j’en avais envie plus tôt ?
Léa voit rouge et me pousse de toutes ses forces. Je trébuche, la cigarette m’échappe des doigts.
— Dis donc, t’as pris du muscle !
— Ne change pas de sujet, tu veux. T’as pas le droit de me dire des horreurs pareilles ! s’énerve-t-
elle.
Merde, je ne voulais pas la blesser. Je suis tellement à cran que ça rejaillit sur les autres. Quel
crétin maladroit.
— Pardon, Léa.
— Je sais que c’est dur en ce moment, River, mais tu n’as pas le droit de dire ça. Encore moins à
moi. Je t’aime.
Quel con, je m’en veux. Réussir à faire du mal à la seule personne qui m’aime et que j’aime. Je la
prends dans mes bras et la berce doucement.
— Pardon, petite Léa. C’est vrai que je ne suis pas dans mon assiette, mais je n’aurais jamais dû
dire ça.
— Tu arrêteras de fumer, n’est-ce pas ? me supplie-t-elle.
Je plonge la main dans ma poche et en ressort le paquet acheté il y a un an.
— Regarde ! Plus de cigarettes !
Je le jette dans la poubelle avec le briquet. Le visage de Léa s’illumine. Elle est si parfaite !
— Tu es tellement belle quand tu souris !
Paf, elle rougit ! C’est top !
— Je t’aime, Léa, tu le sais maintenant ? je murmure en cherchant ses lèvres.
40

Amitié brisée
River

Mon baiser est reçu cinq sur cinq, accord parfait ! Je ne m’en lasse pas. Mais soudain, elle me
repousse. Qu’est-ce qui lui prend ? J’embrasse mal ?
— Bah quoi ? je demande, penaud.
Elle tousse et rit en même temps.
— Tu pues la cigarette ! Avale un tube de pastilles Vichy et je t’embrasserai !
— Le nez du petit chaton est délicat ! je réponds en soufflant dessus.
— Traître !
J’avoue que j’abuse de ma force pour la coincer contre le mur, mais j’adore quand elle rit.
— Je suis très sérieuse, River !
On chahute comme deux gamins jusqu’à ce que la sonnerie de mon téléphone nous arrête. Retour à
la réalité, c’est un texto de Jake : reviens les médecins sont là.
Mon niveau de stress remonte en flèche.
— Faut qu’on y aille.
Léa comprend instantanément.

J’entends les mots que prononce le médecin mais mon cerveau refuse de les décrypter. Non, ce
n’est possible. Pas ça. Je fais quoi maintenant ? Tous les regards sont fixés sur moi. Léa, papa et
maman, les parents d’Emily, les médecins… Je n’y arriverai pas. Je vais craquer. Je ne veux pas
pleurer devant eux, je dois être fort. Pour elle. Emily ne voudrait pas que je pleure.
Faut que je me tire d’ici.
Léa comprendra.
Ce n’est pas possible, n’est-ce pas ?
Si, River, c’est même déjà réglé.
Je m’enfuis. J’entends ma mère crier mon nom. Mes jambes pèsent une tonne. Quand j’atteins
l’ascenseur, une première larme s’échappe et roule sur ma joue. Ça me met encore plus en rage.
Non, non, non. Ce n’est pas possible.
Pourtant, c’est vrai.
Une fois dehors, j’aspire l’air à pleins poumons. Les yeux me brûlent, la gorge me pique. Je cours
vers ma voiture.
Barre-toi de là, River. Éloigne-toi de ce cauchemar.
En tournant la clé de contact, je me souviens que je m’étais juré d’offrir ma voiture à Emily pour
nos dix-huit ans.
Elle est morte, River. C’est fini.
Je hurle comme un malade, je hurle comme un fou à m’en déchirer les cordes vocales. Les larmes
me brouillent la vue. Je tambourine sur le volant de cette saleté de caisse que je voulais lui offrir.
*

Deux jours plus tard, sans manger, sans parler, sans voir personne. Juste scotché sur mon lit à fixer
le plafond du cabanon. Mes yeux suivent les lattes de bois qui le tapissent. J’ai dormi par
intermittences mais ce n’était que des visions cauchemardesques.
Je n’ai plus de larmes, elles ont séché. Maman est venue hier. J’ai pris conscience de sa présence
quand elle m’a secoué. Elle m’a parlé, ses lèvres remuaient, mais je n’ai rien capté. Peut-être que
c’est un réflexe d’auto-défense pour ne pas être rattrapé par la réalité ? Emily n’est pas morte, c’est
juste un horrible cauchemar dont je ressortirai.
Peut-être.
Emily devait venir s’installer dans le cabanon. Je suis sur son lit.
Stop, River, arrête de planer. Emily est morte. C’est fini.
Si seulement je pouvais revenir en arrière, faire quelque chose pour empêcher ce qui s’est passé.
Pleure River. Évacue ton chagrin. Crie, défoule-toi, commence ton deuil.
— River ?
La voix de Léa. Ma Léa si parfaite. Elle est sur le seuil de la porte, les cheveux rassemblés en
queue-de-cheval. Ses yeux sont cernés, sa bouche est triste, elle est si belle. Je ne l’ai pas vue depuis
deux jours, une éternité. Elle est là maintenant, c’est tout ce qui compte.
Je me lève et la prends dans mes bras. Sa tête se niche contre ma poitrine. Je la serre fort, fort,
fort. Je sens les battements de son cœur qui résonnent en moi.
Je l’aime.
— Je t’aime, Léa. Je dois te…
— Tu n’es pas obligé de parler, River. Je veux juste que tu saches que je suis là pour toi et que je
t’aime.
Je réalise soudain que je n’ai jamais été amoureux avant elle. Je n’ai jamais rien éprouvé de
comparable pour Georgia. Elle ne comptait pas. Je devrais être le plus heureux des mecs d’avoir
rencontré une fille comme Léa, pourtant, je suis aussi le plus angoissé tant j’ai peur de la perdre.
Et j’ai déjà perdu Emily.
— Tu es parfaite.
Je me force à sourire parce qu’elle le vaut bien, pourtant j’ai du mal. Je pose mes lèvres sur les
siennes. Je la sens nerveuse.
— Qu’est-ce qu’y a ?
— T’as une tête à faire peur, River. Il faut que tu dormes.
— Alors reste avec moi.
River, tu n’es qu’une brute.
— Pardon, je…
— J’ai compris, River ! répond-elle en riant. Tu préfères quel côté ?

*
On s’allonge, on se regarde, je l’embrasse sur le front, sur les lèvres, je lui caresse les joues. Je la
décoiffe pour le plaisir de passer mes doigts dans ses longs cheveux.
Rester dans sa chaleur, du pur bonheur.
Ses doigts s’enlacent aux miens, suivent le contour de ma mâchoire, de mon épaule, de mon bras.
Sa main épouse ma joue, se niche dans mon cou.
Je ferme les paupières.
Tout oublier, ne penser qu’à l’instant présent. Si seulement.
C’est ça l’amour, pas besoin de se parler pour se comprendre. Même le silence vous comble…
Malheureusement, mes idées noires s’incrustent à nouveau, même Léa n’a pas le pouvoir de les tenir
en laisse. Elles sont vissées dans mon crâne.
— Léa ?
— Mmmm ?
— Tu viendras à l’enterrement ?
Les caresses de son pouce sur ma peau s’arrêtent.
— Si tu le souhaites, bien sûr que je serai là.
— Je n’y arriverai pas sans toi…
Elle reprend ma main et la serre à faire blanchir les jointures de ses doigts. Sa chaleur me pénètre.
— Je ne lâcherai pas ta main. Je te l’ai promis.
Bon Dieu, Léa, tu sauras toujours trouver les mots qui me remuent jusqu’à l’os.
J’attrape sa bouche, j’ai faim de ses lèvres, de son corps. Elle laisse ma langue s’introduire en
elle. Notre baiser s’approfondit, sa chaleur irradie en moi… Et là, comme si le diable s’en mêlait,
mon téléphone sonne sur la table de nuit. Je m’en fous, qu’il sonne.
— River ? Tu ne réponds pas ?
— Il ou elle n’a qu’à me laisser un message. C’est pas le moment.
Je pose mon front contre le sien pour reprendre là où nous en étions. Sa main revient se poser sur
ma nuque, ses ongles s’enfoncent légèrement dans ma peau.
Manque de bol, mon téléphone recommence. Un message vient d’être laissé.
— Tu l’écoutes ? me demande Léa. Je peux sortir si tu veux.
— Reste.
Elle se colle contre moi. Je mets le haut-parleur :
« Reçu à 15 h 18. River, c’est moi, Nick. Ça fait plusieurs fois que j’essaye de t’appeler mais tu ne
décroches pas. T’as raison, moi non plus, je ne voudrais pas me parler. Mais faut quand même que je
te le dise. J’ai merdé, River, je le sais, tout le monde le sait. Je suis désolé, frère… J’aimais Emily
plus que tout. Je ne sais pas comment je survivrai à ça. Je l’aimais, je l’aime toujours. Je n’ai pas
voulu ce qui est arrivé, je te le jure. Je voudrais tellement que ce soit moi et pas elle qui soit dans le
cercueil. Désolé, je pleure, je peux pas m’arrêter… Une vraie tapette. J’ai merdé avec elle, j’ai
merdé avec toi, mon ami, mon frère… Emily n’arrêtait pas de parler de son super frangin. Je veux
que tu saches qu’elle était heureuse, tellement heureuse de t’avoir retrouvé, River. Elle t’aimait.
N’oublie jamais ça, ta sœur t’aimait. Je sais qu’elle aurait voulu que tu sois heureux. Fin du
message. »
41

Fière de toi
(1
RE PARTIE)
Léa

Cela fait maintenant une semaine que Nick a laissé son message. River ne l’a toujours pas rappelé,
alors que je l’ai souvent encouragé à le faire. Il refuse obstinément mais je vois bien qu’il y pense
tout le temps. Nick n’est pas si mauvais finalement. C’est de sa faute mais il est aussi meurtri que
River par cette histoire.
Ce qui me fait peur, c’est le ton et la teneur du message de Nick : et si c’était le dernier ? River est
persuadé qu’il n’a pas un tempérament suicidaire, mais est-ce qu’on peut en être toujours si sûr ? La
mort d’Emily nous bouleverse tous, Nick pourrait craquer. Je sais que River y songe comme moi.
Aujourd’hui, c’est l’enterrement d’Emily. Nous sommes en route. Cela ne sera pas une journée
facile. Mes parents sont dans la voiture de Malcom et Brenda, ils m’ont laissée monter avec River. Je
crois que mon père comprend la profondeur de ma relation avec River et il a davantage confiance en
lui depuis Graceland.
River soupire. Il a les paupières gonflées et des cernes de koala. Son week-end était dur, mais il
refuse d’en parler. Il porte un costume sombre et s’est rasé de frais. Je le trouve élégant malgré le
chagrin et la fatigue.
— Ça va ? me demande-t-il en s’arrêtant à un feu.
Non, évidemment.
— Euh… Oui, et toi ?
— Pas trop.
Je pose ma main sur la sienne.
— J’ai appelé Nick, reprend-il.
— Ah bon ?
— Son portable bascule directement sur la messagerie. J’ai appelé chez lui, sa mère m’a dit
qu’elle ne l’avait pas vu depuis plusieurs jours.
Je blêmis.
— Tu crois que…
— Non. Il ne le fera pas. Je le connais.
River cherche autant à se convaincre lui-même que moi. Je n’insiste pas, il a l’air épuisé et
vulnérable. Et puis, aujourd’hui, il n’est pas question de Nick mais d’Emily.
On arrive. Je ne suis jamais entrée dans un cimetière. L’ambiance lugubre des tombes me fait
frissonner.
— Garde ma main dans la tienne, Léa… Merci d’être venue.
— Arrête de me remercier, tête de nœud, je réponds en me forçant à sourire.
Quelle cruche, ce n’est ni le moment ni le lieu pour se moquer.
Mais à ma grande surprise, River se détend, un petit rire lui échappe.
— Tu l’as trouvé comment ce surnom déjà ?
— En te regardant !
La cérémonie commence à midi, il nous reste une demi-heure. River ralentit près de l’entrée
principale, puis s’arrête.
— River ?
— Laisse-moi deux minutes, murmure-t-il en fermant les yeux.
J’essaye de le réconforter en lui massant le dos.
— Tu sais quoi, Léa, on devrait partir quelque part, toi et moi quand tout sera terminé.
— Ça serait génial !
Je me rends compte que c’est ça aussi, l’amour : ça rend les pires moments de la vie un peu plus
supportables.
— Emily t’aurait adorée, dit-il alors, la voix brisée.
Je l’aurais tellement aimée, moi-aussi.
On reste encore un petit moment dans la voiture, en silence, les mains jointes, ma tête sur son
épaule. Puis on sort.
Brenda réconforte River qui n’arrive pas à regarder le cercueil posé devant nous. Une fois que
l’assemblée est réunie, il se lance :
— Merci d’être venus si nombreux, votre présence est un grand réconfort. Emily et moi étions
jumeaux, mais très différents, deux images contraires même. Ma sœur était la meilleure de nous deux.
La plus attentive des sœurs qu’on puisse rêver d’avoir… Mon plus profond regret est de ne pas avoir
eu assez de temps à partager avec elle et de ne pas avoir été capable de la sauver. Mais plus j’y
pense, plus je perçois combien sa courte vie a été intense : Emily était une personne généreuse,
douce, rigolote, ouverte aux autres. Une formidable amie, une fille aimante, une sœur adorable, un
être exceptionnel… Trop parfaite pour traîner longtemps parmi nous. Emily, tu seras toujours dans
mon cœur, j’espère rester le frère dont tu étais si fière.
42

Fière de toi
(2
DE PARTIE)
Léa

Il y a plein de mots pour décrire l’enterrement d’Emily, je me contenterai de trois : magnifique,


émouvant, déchirant. Magnifique grâce aux nombreuses personnes venues soutenir River. Émouvant
pour les flots de larmes versées. Déchirant lorsque River a jeté la première poignée de terre sur le
cercueil de sa sœur.
J’ai serré sa main autant que j’ai pu, sans me soucier de mon père, de Georgia ou de quiconque
pouvant s’en étonner. Il a pleuré sur mon épaule, je l’ai tenu longtemps dans mes bras.
Le buffet après l’enterrement a lieu chez les Parker. River me remercie un million de fois sur le
trajet du retour.
— Arrête, River. C’est juste normal.
— Ça représente beaucoup pour moi, dit-il entre ses larmes.
On nous regarde entrer. J’essaye de ne pas trop montrer combien je suis heureuse du lien qui se
raffermit chaque jour un peu plus entre River et moi.
Pendant la demi-heure suivante, River remercie, serre des mains, embrasse des personnes que je
n’ai jamais vues. Certaines lui demandent qui je suis, River me présente alors comme sa petite amie.
Entre deux politesses, il me murmure « je t’aime, Léa » ou « merci » à l’oreille. Je réponds « moi
aussi » et « arrête avec ça ».
On dirait qu’il a une dette envers moi, une impression qu’il devrait vraiment reconsidérer, parce
que c’est plutôt moi qui lui en dois une : j’ai davantage mûri depuis que je le connais qu’au cours des
dix dernières années.
— Tu veux manger ? me demande-t-il.
— Si tu manges aussi, oui.
Un sourire vient éclairer son visage.
Je l’aime, c’est dingue !
Il me prend par la taille et m’entraîne vers la salle à manger. Je remarque Brenda et Malcom dans
un coin de la pièce, en grande conversation. Ça a l’air sérieux. Brenda se détend un peu en nous
apercevant.
— Mon chéri, tu as été formidable, lui dit-elle.
Malcom serre son fils contre lui. Un sanglot m’échappe.
— Léa, comment ça va ? me demande Brenda.
— Bien.
— Je suis si heureuse que River t’ait trouvée, murmure-t-elle.
Des mots bénis quand ils viennent de la mère de celui que j’aime, je vous jure. Des mots qui me
consolent et me portent.
— C’était une grande joie de t’avoir eue à la maison, ajoute Malcom.
J’avoue que ça va être dur de partir, les Parker forment une famille soudée, chaleureuse, l’opposé
de la nôtre avec mes parents toujours stressés.
— Pour moi aussi, Malcom, j’articule péniblement.
La fin de cette cohabitation est proche. Ça me déchire de devoir bientôt quitter River alors qu’il a
tant besoin de moi.
— Allez manger, les enfants, on s’occupe des invités, propose Brenda en attrapant son mari par la
manche.
Malcom a l’air aussi surpris que nous deux de cette volte-face.
— Ma mère est zarbi, s’étonne River. Léa, ça te dirait qu’on aille manger dans le cabanon ? Vas-y
avec de la bouffe, je te rejoins dès que je saurai ce qui se passe pour mes parents. .
— OK !
— Mer…
— River, faut que t’arrêtes de me remercier à tout bout de champ !
— Je ne le dirais plus… je t’embrasserai à la place ! répond-il en butinant ma joue. La clé est sous
le pot de fleurs, à moins que Ky et Jake n’y soient déjà.
— Ça marche. Prends ton temps.
Je le regarde partir, puis attrape deux assiettes que je remplis de pizzas et de salade. Autour de
moi, du noir, que du noir, pourtant, j’entends des éclats de rire. J’ai du mal à comprendre.
Moi aussi, je suis en robe noire, collant noir, escarpins noirs prêtés par Marissa. Je n’ai pas connu
Emily, j’aurais beaucoup voulu. Je la connais à travers River… Un énorme sentiment de désolation
m’accable alors, comme si je comprenais seulement qu’elle est partie pour toujours.
Je traverse le jardin avec mes deux assiettes. Pas facile de ne pas se salir dans la boue. Je dois
avoir l’air cruche à marcher comme un échassier entre les mottes de terre. Coup de chance, la porte
n’est pas fermée à clé. J’entre et me débarrasse de mes chaussures.
— Léa ?
Je me fige. Ce n’est ni la voix de Ky ni celle de Jake : Nick est là, prostré, les yeux injectés de
sang, les cheveux en bataille. Mon Dieu.
— Nick ? Tu vas bien ?
Il se lève en vacillant.
— Reste, Léa.
J’aimerais que River arrive.
— C’était comment l’enterrement ? me demande-t-il d’une voix rauque.
— Apaisant.
Oui, je complète ma liste.
Les yeux de Nick s’accrochent aux miens comme un naufragé à son écueil. Même si la colère de
River était légitime, on ne peut pas ignorer la souffrance de Nick. Il est hagard, perdu. Cela n’excuse
pas la faute stupide qu’il a commise et qui le hantera jusqu’à la fin de ses jours. Mais j’avoue que je
suis soulagée de le trouver ici, en vie. On ne peut pas en perdre un de plus.
— Comment va River ? me demande-t-il, les larmes aux yeux.
— Moyen, mais il prend sur lui.
Nick tremble de partout puis craque. Je me précipite.
— C’est de ma faute, de ma faute, je l’ai tuée, crie-t-il en s’enfonçant les ongles dans la chair et en
se labourant le visage.
— Nick… Arrête… Tu as fait une bêtise, mais tu n’as pas voulu la tuer.
Il est secoué de violents sanglots, ses jambes flanchent. Soudain, sa main glisse vers la poche
arrière de son pantalon. Mon cœur s’arrête quand je reconnais ce qu’il en sort. Un revolver.
— Nick ! je hurle.
43
Nick

TROIS ANS AUPARAVANT


Nick ne s’est jamais entendu avec son père, la machine à fric sans âme de la famille. Pas étonnant
que le fils se prenne quelques gifles bien senties lorsqu’il répond ou refuse d’obtempérer. Quand son
père le houspille trop fort, il téléphone invariablement à un pote pour fuir le domicile familial et les
assauts paternels. Souvent River. Rien de surprenant, ils sont proches comme des frères.
— Allô, répond un soir River, la voix ensommeillée.
— Je peux finir la nuit chez toi, vieux ? demande Nick.
— Bien sûr. Envoie un texto quand t’es devant la porte.
Nick se pointe vingt minutes plus tard, la lèvre ensanglantée. Brenda est encore en bas et s’inquiète
de le voir blessé.
— Rien de neuf sous le soleil, madame Parker ! lance-t-il, faussement bonhomme.
Ce soir-là, River descend accompagné d’une fille que Nick n’a jamais vue. La ressemblance entre
eux deux est frappante.
— Aïe, ça va aller, Nick ? dit River en le voyant.
— Je survivrai.
River serre les poings en songeant au père de Nick, cet homme implacable et sans cœur.
— Tu me présentes ? fait Nick pour changer de sujet de conversation.
— Pardon. Ma sœur Emily. Je comptais vous la présenter demain. Tu seras le premier de la bande.
— Salut, Nick, dit simplement Emily.
Elle lui plaît instantanément. Ils se rapprochent encore durant les semaines suivantes.
Nick ignore alors qu’Emily deviendra le centre de son monde… et que celui-ci volera en éclats, à
cause de lui.
44

Coup de feu
River

Impossible de trouver les parents. Ça m’ennuie de ne pas savoir, surtout que cela ne leur
ressemble pas de me cacher des choses. Je vais toquer à la porte de leur chambre. Pas de réponse.
J’entends pourtant leurs voix. Mon père ouvre enfin.
— Ah. River.
— Qu’est-ce qui se passe ?
— Entre. Je ne veux pas qu’on nous entende.
— Quoi ?
Ma mère s’assoit, mon père boit une gorgée d’eau. Je les sens distants, soucieux.
— Mais enfin, vous allez m’expliquer oui ou non ?
— Ce n’est peut-être rien du tout, dit ma mère, de plus en plus énigmatique.
— Chérie, ne lui donne pas de faux espoirs, intervient mon père. On voulait attendre la fin de la
réception pour t’en parler. Apparemment, on n’est pas très doués !
— Susan Convey a appelé, la police aussi, me dit ma mère.
La mère de Nick.
— Il n’est pas rentré depuis plusieurs jours… Depuis que…
— Depuis qu’Emily est morte, j’achève.
— Oui. Personne ne sait où il est. La police aimerait te poser quelques questions.
— Tout ira bien, River, ajoute mon père.
Si seulement tu savais, papa.
Nick a appelé au secours, je n’ai pas levé le petit doigt. Pire, je lui ai tourné le dos, trop accaparé
par ma colère et mon chagrin.
Pourquoi n’ai-je pas répondu à ses appels ?
Je saurais où il est si je n’avais pas été aussi égoïste. Il faut que j’aille retrouver Léa et les potes
pour en discuter avec eux. Je traverse la maison, mais je suis sans cesse intercepté par des invités qui
veulent m’exprimer leur sympathie.
— River ? fait encore une voix dans mon dos.
C’est Georgia. Pour une fois, je la trouve humble.
— Merci d’être venue, Georgia.
Une phrase que j’ai répétée des dizaines de fois, je ne sais plus quoi dire.
— Je suis désolée.
J’ai le sentiment qu’elle l’est pour Emily et pour le reste.
— River, pardon, je n’ai pas été sympa avec toi ni avec Léa. Tu n’as sûrement pas envie
d’entendre ça aujourd’hui, mais j’avais besoin de m’excuser.
Moi non plus, je n’ai pas été correct avec elle. J’essaye de trouver les mots qu’aurait répondus
Emily. Après tout, elle était un exemple en matière de gentillesse et d’empathie. Je n’atteindrai
jamais son niveau mais je peux essayer de tendre vers lui.
— C’est moi qui dois te présenter des excuses, Georgia. Je n’ai pas su gérer, j’en suis désolé. Tu
ne méritais pas ce que je t’ai fait subir. J’espère que tu me pardonneras.
Ses yeux s’emplissent de larmes, elle fixe le plafond pour essayer de les retenir. Elle a déjà
beaucoup pleuré à cause de moi, je comprends qu’elle s’en empêche.
— Merci, River. Toi aussi, pardonne-moi.
C’est dur de la voir aussi défaite. Je me remémore ce jour horrible, quand elle est venue
m’annoncer sa fausse couche. J’étais froid comme un glaçon, fermé comme une huître. Oui, je lui ai
fait du mal. Alors que je m’apprête à faire un geste, j’entends une détonation.
Un coup de feu en provenance du cabanon.
Léa.
45

Rouge la couleur
River

Fonce, River.
Je cours comme un fou en me disant que le jardin est bien trop grand. J’entends des craquements de
branches sur ma droite. C’est Jake et Ky.
— Où est Léa ? je leur crie.
— Aucune idée, on arrive à l’instant ! répond Ky.
Je ne perds pas une minute de plus. Les garçons ont du mal à me suivre. J’ouvre la porte du
cabanon d’une main tremblante.
Léa

CINQ MINUTES PLUS TÔT


— Je t’en supplie, Nick, laisse cette arme.
— Donne-moi juste une raison. Je n’ai plus rien à perdre.
J’essaye de le regarder dans les yeux en oubliant le revolver qui luit à la lumière filtrant par le
Velux. À croire que Satan me nargue.
— On est là, Nick. On va t’aider à surmonter ça.
— Tu ne m’as jamais aidé ! River encore moins ! s’exclame-t-il.
Je soupèse les différentes options : rester calme sans bouger ou plonger pour lui arracher son
arme.
N’importe quoi, Léa, tu te prends pour Lara Croft ? Il est trop loin et bien plus fort que toi.
— C’est vrai, Nick, j’ai eu tort. On fait tous des erreurs, mais tu ne dois pas commettre
l’irréparable.
Continue de lui parler, Léa, trouve les bons mots.
— Mon erreur m’a transformé en meurtrier. J’avais bu, j’ai tellement merdé en la forçant à monter
dans cette putain de voiture, dit-il d’une voix blanche.
Jamais je ne m’en serais crue capable – l’émotion, l’adrénaline sûrement – et j’espère avoir bien
calculé le timing : je m’élance sur lui pendant qu’il parle. Ses gestes lents et fatigués me donnent un
avantage. J’attrape son poignet à deux mains puis le tords pour le forcer à lâcher le revolver. Dans
ma précipitation et sa surprise, l’inévitable se produit : la gâchette s’enfonce.
River

Je ne sais pas trop à quoi m’attendre quand je pousse la porte, mais mon intuition était la bonne :
c’était bien un coup de feu. Il y a un revolver et du sang. Léa et Nick. Le sang de qui ?
Léa, je t’en supplie, pas toi… Nick, pas toi, non plus.
Je me précipite en hurlant.
Léa a les mains couvertes de sang, elle est en état de choc et comprime la cuisse de Nick. Je
comprends alors qu’il a un trou au-dessus du genou, son sang gicle. Une image douloureuse de
l’accident de voiture me revient en mémoire : Nick souffrait de blessures et d’égratignures mineures,
mais il hurlait comme un fou, n’arrêtait pas d’appeler Emily, encore et encore. Comme maintenant.
Cette folie le bouffe depuis un an.
J’attrape Léa pour l’écarter de Nick.
— Aide-le, River, il est blessé, articule-t-elle en fixant ses mains ensanglantées.
— Salaud, qu’est-ce que t’as encore fait ? hurle Ky en découvrant la scène.
Je tourne enfin la tête vers Nick. Il a le visage tordu de douleur. Jake donne un coup de pied dans
le revolver pour le mettre hors de portée de Nick. J’imagine qu’il a voulu en finir, ce con. On n’a rien
inventé de neuf depuis Shakespeare.
— Chaton, regarde-moi. Dis-moi ce qui s’est passé ? je demande à Léa, le plus doucement
possible.
— Je ne voulais pas… Je… River, appelle une ambulance, s’il te plaît.
— C’est toi qui… ?
C’était de la légitime défense ou elle lui a tiré dessus ?
— Non, j’ai juste essayé de lui retirer son revolver et… Je t’en supplie, River, fais quelque chose
pour lui.
— Ky, du calme, c’est pas le moment de régler tes comptes. Jake, t’as ton portable ? Appelle une
ambulance. Et la police. Ça va aller, Léa.
Je la serre contre moi pour qu’elle cesse de fixer la flaque de sang, puis la dépose sur le canapé. Il
y a une trousse de secours dans le placard de l’entrée, je dois agir. Nick est très pâle, il perd
beaucoup de sang.
— Je vais comprimer ta plaie avec une bande, Nick, OK ?
Il rouvre les yeux et acquiesce. Son front est moite de sueur, il souffre le martyr.
— River. Je suis désolé.
Si Emily était encore là, elle m’obligerait à lui pardonner, à dépasser la rancune. Ce n’est pas à
moi de punir Nick. Son karma, Dieu ou la vie s’en chargera.
La sirène de l’ambulance se rapproche.
— Je te pardonne, Nick.
46
Emily

Un an auparavant
Ça s’annonçait comme la plus belle teuf de l’année en ce début de vacances de Pâques. Autrement
dit, la dernière avant les révisions d’exams. Musique, alcool et potes à gogos.
Emily, resplendissante, maquillée, auréolée de ses boucles brunes, était pressée d’aller souhaiter
un bon anniversaire à l’organisatrice.
Les habituels fumeurs de cigarettes la regardèrent passer en sifflant ou avec des clins d’œil qu’elle
ignora. Dès qu’elle entra, son petit ami la repéra :
— Em’ ! Par ici ! appela Nick.
Il se fraya un chemin jusqu’à elle.
— T’en as mis du temps, lui reprocha-t-il, l’haleine chargée.
— J’ai attendu l’autobus, répondit-elle en lui plaçant un petit bisou sur la joue. Où est la fille qui
organise ?
— En haut. Hé ! J’ai une marque de rouge à lèvres maintenant !
Emily s’éloigna en riant. Elle monta les marches et tomba sur Ky.
— Salut, Ky.
Emily adorait Ky. Elle avait d’abord essayé de se convaincre que c’était platonique et non de
l’amour, mais la réalité l’avait rattrapée : Emily était amoureuse de deux garçons à la fois. Un vrai
problème.
Elle tenta de garder ses distances pour que la situation ne tourne pas au désastre, malheureusement,
son attirance pour Ky fut la plus forte.
— Ky… À propos de l’autre jour, je voulais te dire que…
Vous vous demandez ce qui a bien pu se passer ? Ils se sont presque embrassés. Presque. Pour Ky,
Emily est son premier amour, mais se retrouver face à son frère et à son petit copain lui coupe ses
élans. Tout comme Emily qui ne veut pas faire de mal à Nick. Mais voilà, les êtres humains
commettent des erreurs.
— On n’est pas obligés d’en parler, fait-il en commençant à descendre.
— Si ! Quand est-ce que tu arrêteras d’ignorer ce qui se passe entre nous ?
— T’as déjà un copain, gronde Ky.
— Tu comprends donc pas ? C’est toi que j’aime !
— Tais-toi. Surtout si tu ne le penses pas.
— Je te jure que si, dit-elle en lui caressant la joue.
Ky et Emily se jetèrent l’un sur l’autre pour un baiser passionné. Ils cherchèrent une chambre sans
même se détacher. La fougue, la passion, la précipitation les dévoraient. Mais la porte s’ouvrit
brusquement. Nick entra, comme fou. Il se rua sur Emily, l’arracha aux bras de Ky. L’alcool et le rail
de cocaïne qu’il avait consommés brouillaient sa perception des choses. Ky tenta de l’arrêter, le
supplia de ne pas conduire. Nick le repoussa violemment.
— Tu parles d’un pote ! railla Nick. Un salaud, oui. Une ordure.
— Nick, je t’en prie, arrête…
— La ferme ! Et toi, Ky, dégage, t’approche plus jamais d’elle !
Ky se dégonfla. C’était normal que Nick soit hors de lui, pensa-t-il. Bien sûr qu’il aurait voulu
stopper Nick, mais en avait-il le droit ? Il les regarda donc partir, sans rien tenter.
Pour oublier ce fiasco, il embrassa même une autre fille, Marissa, moins d’un quart d’heure après.
La sonnerie de son téléphone l’interrompit durant ce moment confus. Quand il décrocha, il entendit
d’abord un bruit de sirènes, des cris, puis la voix paniquée de Jake :
— Dépêche-toi, Ky, la voiture de Nick a eu un accident. Emily était dedans.

Un voile blanc passa devant ses yeux. Ky comprit à cet instant précis qu’il avait commis la plus
grande erreur de toute sa vie.
47

Parents biologiques
Léa

Je ne me fourre pas dans les problèmes, ils viennent à moi. Si vous m’aviez soutenu il y a un an
que je me retrouverais assise dans un commissariat, en train de raconter ma vie à un officier de
police exténué, je vous aurais ri au nez.
Maintenant, c’est à vous de rire. La scène du cabanon défile en boucle dans ma tête, la détonation
qui claque, le sang qui dégouline. L’inspecteur a répété plusieurs fois ses questions pour que je
comprenne. Mais à quoi bon ? Je moisis ici depuis des heures.
— Merci, mademoiselle Wilson, vous pouvez rentrer. Je vous recontacterai. Si vous entendez quoi
que ce soit sur la provenance du revolver, appelez-moi.
Il me raccompagne jusqu’à l’entrée où ma mère me saute dessus.
— Léa ? Ma petite fille, comment ça va ?
— Qu’est-ce qui s’est passé ? demande mon père.
— Laisse-la, Andrew, on rentre d’abord, coupe maman.
Ils ne sont pas d’accord, comme d’hab. Une silhouette bouge derrière eux. River, la seule personne
qui puisse m’apporter le réconfort dont j’ai besoin en cet instant. Je me demande comment il va, alors
que j’ai été retenue loin de lui pendant des heures.
Je me serre contre sa large poitrine rassurante.
— Léa ? Comment tu vas ?
— Bien. Et toi ?
Qu’est-ce que je peux dire d’autre ?
— Beaucoup mieux, maintenant que tu es là !
— Et Nick ?
— Il a perdu beaucoup de sang mais ça ira.
— Je suis vraiment trop nulle d’avoir…
— Stop, tu n’as rien fait de mal.
J’aurais dû continuer de parler avec Nick au lieu de jouer la baroudeuse. Mon père nous
interrompt brutalement.
— On y va, Léa.
Il est manifestement contrarié et cherche à m’écarter de River.
— Je peux ramener Léa, monsieur ?
— Non. On s’en charge. Merci, River.
— Papa, je vais avec River !
Merde, alors. River vient d’enterrer sa sœur, de retrouver son ami avec une balle dans la jambe, et
mon père ose se montrer pète-sec ? Il est peut-être mon géniteur, mais ça ne lui donne pas le droit
d’être aussi ingrat.
— Tu viens avec nous, dit-il en m’attrapant violemment le bras.
— S’il vous plaît, monsieur, s’interpose River. Inutile de lui faire du mal.
Mon père le toise.
— Y a un problème ? interroge le policier de garde.
— Non, répond River.
Le voir soupçonné comme un petit garçon pris en faute me brise le cœur. River n’a pas mérité
d’être rabaissé comme ça. Ma mère profite de ce moment confus pour m’entraîner hors du
commissariat. Mon père nous suit d’un pas rageur. Je ne peux m’empêcher de regarder River qui ne
bouge toujours pas.
Une fois rentrée et assignée à ma chambre avec l’interdiction d’en sortir, je me sens nulle, nulle,
nulle. Une poule mouillée incapable de tenir tête à ses géniteurs archi pénibles. Ça me rend folle de
savoir River malheureux. Quand je n’entends plus rien dans la maison, j’ose sortir la tête. C’est bon,
pas un chat dans le couloir. En moins de dix secondes, je suis devant sa porte et je gratte. Il ouvre et
me tire à l’intérieur.
— T’en as mis du temps, chaton !
— Mes parents patrouillaient devant ma chambre. Pour un peu, ils m’auraient obligée à dormir
dans leur lit.
— Je sais. Ma mère m’a dit de ne pas essayer de te rejoindre. Ton père m’aurait tranché la tête
paraît-il !
— Jamais, je t’aurais sauvé avant !
— Léa, faut que je te parle d’un truc… Ton père s’est déjà montré brutal avec toi ?
— … Non.
— Dis-moi la vérité.
— Laisse tomber, River. C’est du passé. On fait tous des erreurs…
— S’il te plaît, Léa.
— Une seule fois. Quand j’étais plus petite. Il n’a plus jamais recommencé.
River m’encourage à continuer.
— La cicatrice que j’ai derrière l’oreille. Ce n’est pas Georgia. Ça s’est rouvert quand elle m’a
poussée, mais je l’avais déjà. C’est arrivé un jour où mes parents se disputaient très fort, j’ai voulu
défendre ma mère. Il m’a projetée contre un meuble.
River se crispe, pousse deux trois jurons à faire pâlir.
— Pourquoi tu ne m’as jamais rien dit ?
— C’est du passé, River !
— Peut-être, mais cela n’excuse pas ton père. Il ne t’a jamais rien fait d’autre ?
— Mis à part se montrer borné, moralisateur et vieux jeu, non.
— Je te jure que je ne laisserai jamais personne te faire du mal.
— Je le sais ! Je t’aime aussi pour ça ! dis-je en me blottissant contre lui.
— Tu restes avec moi cette nuit ?
À votre avis !
On s’enferme à clé, au cas où mes chers parents auraient la mauvaise idée de crapahuter la nuit,
puis on s’installe gentiment dans son lit. La dernière fois qu’on a eu un moment aussi paisible, c’était
le soir du message téléphonique de Nick.
— Nick a toujours eu des problèmes avec son père, me dit River comme s’il lisait dans mes
pensées. Quand son père dépassait les bornes, il venait se réfugier ici. C’est pour ça que j’ai vu
rouge quand le tien t’a attrapé le bras. Les pères n’ont pas le droit d’abuser de leur force sur leurs
enfants ou leur femme. Que ce soit par amour ou au nom de l’éducation, ils n’ont pas le droit. Point
barre.
— T’as de la chance avec tes parents.
— C’est vrai. Mais ça m’arrive souvent de penser à mes parents biologiques.
— Tu sais quelque chose sur eux ?
— Juste qu’ils étaient trop jeunes pour nous élever. Maintenant qu’Emily n’est plus là, j’aimerais
en savoir plus sur eux… La seule famille de sang qu’il me reste encore.
Je me mords la langue. C’est bien trop tôt, il va me trouver complètement folle de me projeter
aussi loin. Mais c’est vrai que j’aimerais lui dire qu’un jour, lui et moi, nous formerons peut-être une
vraie famille…
48

Ensemble
River

DEUX MOIS PLUS TARD


C’est mauvais de ne pas mettre le nez dehors, on ressasse les mêmes questions : pourquoi n’étais-
je pas à la fête ce soir-là ? Pourquoi Emily est-elle montée dans sa voiture ? Pourquoi ? Pourquoi ?
Les montagnes russes émotionnelles.
Quand je me réveille le matin, je crois que ça ira, dès que je me lève, la réalité me flanque par
terre. J’essaye de me raisonner en me disant que c’est juste un coup de blues passager, mais non.
Ce matin, je me suis lancé dans le classement des photos, elles s’empilaient sur le bureau. La
première que j’ai attrapée, c’est nous, il y a deux ans : Emily, Nick, Jake, Flo, Ky, Georgia et moi,
bras dessus bras dessous, dans le jardin en fleurs. C’est fou ce qu’on a changé depuis. Sans parler de
ce que la vie nous a réservé : les disputes, les brouilles, les départs et les arrivées de nouvelles
personnes. Tout allait bien quand cette photo a été prise…
Il est l’heure de partir pour la maison d’arrêt d’Ashbridge. Je fourre la photo dans ma poche.
J’aurais appris deux choses cette année :
1 – Ne pas se comporter en connard.
2 – Éviter d’être un connard avec mes congénères, ce n’est vraiment pas cool.
Mais là maintenant, assis en face de Nick, je trouve ça franchement difficile. Il a les mains
menottées, une vitre nous sépare. Je ne peux pas m’empêcher de penser que c’est lui l’unique
responsable de la mort de ma sœur. Cela me demande un gros effort pour rester assis au lieu de
dégager en vitesse.
Grâce à l’argent et aux relations de son père, Nick a échappé à la justice après l’accident. Un père
qui refusait que son fils ternisse la réputation familiale. Ça vous donne une belle image de la justice.
Mais après la mort d’Emily, papa Convey n’a rien pu faire parce que son cher rejeton a plaidé
coupable. Résultat, Nick a pris dix ans. C’est ce que je voulais, non ? Que justice soit faite… Oui,
mais non. Trouver Nick dans cet état après avoir contemplé la photo de ce matin, je n’en suis plus si
sûr. Cette photo me brûle dans la poche. Nick avait la vie devant lui, un avenir, l’espoir d’échapper à
l’emprise de son père grâce à ses études. Le garçon assis devant moi, le dos voûté, la boule à zéro,
les ongles rongés, est coincé ici pour dix ans. Cela me renverse. Je me sens blessé d’avoir perdu mon
ami en route, mortifié de le savoir dans ce trou à rats et qu’il soit responsable pour Emily, anéanti
qu’elle soit morte.
— La nourriture est dégueu ? je demande dans le micro qui nous permet d’échanger.
— Non, ça va.
Il a les joues creuses, les bras amaigris, le teint grisâtre.
— Tu vas bien ? me demande-t-il pour changer de sujet.
— Pas mal. Et ta jambe ?
— Encore un peu douloureuse quand je m’appuie dessus, mais ça progresse.
— T’es bien traité ici ?
— Oui ! répond-il après un bref coup d’œil vers le surveillant.
— Faut que je te montre un truc, dis-je en sortant la photo. Je voulais te la donner, mais ils ont
refusé à l’entrée.
Je colle la photo à la vitre, Nick se penche et sourit.
— Les têtes qu’on avait en seconde ! dit-il sans pouvoir détacher son regard de la photo. On a
tellement changé…
— Je suis désolé que ça ait si mal tourné…
— Moi aussi… River, il faut que tu saches, quand Emily s’est réveillée, elle m’a dit que… qu’elle
était désolée, elle n’arrêtait pas de le répéter.
— De quoi ?
— De ce qu’elle nous avait fait, à Ky et à moi.
Je reste sans voix, à la fois pétrifié et trop curieux de connaître la suite. Nick me raconte alors la
fameuse nuit, le baiser d’Emily et Ky, sa colère quand il les a surpris dans la chambre et le départ
funeste en voiture.
Les dernières paroles d’Emily me font bouillonner. Mon Emily ne trompait pas, elle n’était pas
assez idiote pour partir avec Nick qui avait visiblement trop bu. À quoi pensait-elle ?
— Si je te le raconte aujourd’hui, c’est pour que tu le transmettes à Ky. Je n’y arriverais pas.
C’était déjà bien assez dur quand il a débarqué dans le cabanon. Mais il a le droit de savoir.
— Ky aurait pu la sauver alors, je murmure.
— Quoi ? Parle plus fort, River.
— Je lui dirai, j’articule, encore sous le choc.
— Emily a aussi parlé de toi, River.
Je blêmis.
— Non. Elle ne se souvenait pas de moi.
— Emily a prononcé très distinctement : « Dis à mes parents et à mes frères que je les aime. »
Léa

LE LENDEMAIN
Repartir de la maison Parker aura été une épreuve. Pas le déménagement, bien sûr, on n’avait
aucune affaire, mais quitter cette chère famille.
Malcom, qui nous a invités dès le premier soir, devant les ruines de notre maison. Brenda, toujours
de bonne humeur et pleine d’entrain, si accueillante et attentive à notre bien-être chez elle. Je lui dois
beaucoup, sans ses petits coups de pouce, nous ne serions peut-être pas ensemble, River et moi.
River, le Mr Popular du lycée, le beau gosse au physique parfait, à la vie de rêve. Celui que je
regardais de loin sans même imaginer qu’on pourrait se parler… Aujourd’hui, nous sommes
inséparables. On ne se voit plus tous les jours depuis que j’ai réintégré le domicile parental, mais je
l’ai dans la peau et toujours dans un coin de la tête ! Je lui dois tant. Il m’a montré que la vie ne se
résumait pas aux résultats scolaires. Grâce à lui je suis heureuse, j’ai pris confiance en moi, ma vie
est mille fois plus belle qu’avant, même quand elle n’est pas un long fleuve tranquille. Moi aussi, je
suis sa source de bonheur. Alors, même si c’était triste de quitter les Parker après trois mois de vie
commune, le bilan est positif.
Mes parents louent un appartement proche du lycée en attendant la fin des réparations. J’y vais à
pied. Fini les cheveux au vent dans la décapotable de River ! D’ailleurs, il est dispensé de cours
jusqu’aux examens. Une décision conjointe entre ses parents et l’école, vu son état dépressif.
C’est différent sans lui, au lycée. Je remarque parfois des regards pesants quand je traverse un
couloir. Radio-moquette fonctionne toujours très bien. Je m’en fiche. Ça me demanderait trop
d’énergie de réagir.
Quand j’ouvre mon casier pour y déposer des affaires, je remarque un carton blanc. Une
impression de déjà-vu qui me rappelle l’invitation de Nick… Finalement c’est une photographie. Au
dos est écrit :
Trop mignonne la photo, alors je te l’offre !
J’espère que vous allez bien les amoureux.
Je pense à vous, à River et à sa famille.
Martha Bea

La petite rousse bouclée ressurgit dans ma mémoire. C’est la photo de nous deux qu’elle avait
prise à Graceland. River est là, les lèvres posées sur mon front, paupières closes, ses mains
encerclant mes hanches. On distingue le rond rose de ma joue gauche et mon sourire épanoui. Rien
qu’en la regardant, mon humeur bondit.
Je referme mon casier avec la précieuse photo à l’intérieur. C’est l’heure du dernier cours de la
matinée. Au détour du couloir, je tombe sur :
— Georgia.
Hum.
— Salut, Léa. Tu vas bien ?
Elle me gratifie même d’un léger sourire.
— Bien, merci. Et toi ?
— Justement, je… Je voulais te parler… Je tiens à m’excuser pour ce que j’ai fait. C’était
n’importe quoi. Je suis désolée.
Il me faut quelques secondes avant de déterrer ce vieux souvenir enfoui sous de nombreuses
couches.
— Moi aussi, je suis désolée, Georgia. Ce n’était pas correct de ma part non plus.
— J’espère que River va mieux.
Georgia en a encore gros sur le cœur, ça s’entend dans sa voix. Elle s’éloigne après un petit signe
de tête.
À midi, Marissa me rejoint à la cafétéria. Mon sandwich est sur la table, pas entamé. Je n’ai pas
faim en ce moment.
— T’as une mine affreuse, dit mon amie en s’asseyant.
— Merci du compliment !
— Pardon. Mais je m’inquiète, Léa. Tu ne réponds plus à mes messages, tu ne manges plus, tu ne
souris plus, tu dépéris à vue d’œil.
— Arrête, je vais bien ! J’avais un exam à préparer et je déteste taper des textos sur ce vieux
Nokia.
Le téléphone pourri que mon père m’a refilé pour remplacer mon super iPhone.
— Oh, oh ! Regarde qui arrive…
Pour une fois, c’est moi qui joue à Miss Potin. Ky et Jake entrent dans la salle et depuis que
Marissa s’est retrouvée seule avec eux deux, après notre départ de Graceland, elle ne saute pas de
joie.
— Nooooon, pas eux, murmure-t-elle.
— On peut ? fait Jake en s’asseyant.
— Fais comme chez toi ! je réponds.
— Salut Léa, salut Marissa, dit Ky.
Lui aussi a l’air fatigué et sans appétit pour son sandwich.
— Comment va River ? demande Jake.
La question qui tue parce que c’est beaucoup moins facile maintenant que je ne suis plus chez lui.
Je suis obligée d’inventer des tonnes de révisions et d’innombrables préparations d’exposés avec des
copines pour sortir de chez moi et aller le retrouver. Je n’aime pas mentir à mes parents, mais je
supporte encore moins de ne pas voir River.
— Mieux. Il ne devrait pas tarder avec l’exam d’aujourd’hui.
— Vu tous les cours qu’il a ratés, ça va pas être simple pour lui, commente Ky.
— Pfff, il nous enfoncera tous ! dit Jake.
— Et comment ! lance River qui arrive à l’instant.
Un poids s’envole de mes épaules ! Il est là, le sourire aux lèvres, l’œil pétillant. J’oublie combien
il m’a manqué ces dernières semaines. Il contourne la table et s’installe à côté de moi, non sans me
déposer un petit bisou dans le cou. La cafétéria semble soudain étonnamment silencieuse, tous les
regards sont braqués sur nous. Je rougis comme une tomate au soleil. River glisse sa main sur ma
cuisse.
— C’est pas ici que t’aurais dû la retrouver, c’est à l’hôtel ! lance Jake, toujours aussi fin.
— Je suis étonné que les profs te laissent passer l’exam ! rétorque River.
— J’ai révisé, monsieur !
— Depuis quand tu révises avant un exam ? répond Ky.
River les observe sans plus se mêler de leur fausse dispute. Je trouve ça bizarre de sa part.
— River ?
— Oui, chaton. Viens.
Il se lève et m’entraîne, un bras protecteur posé sur mon épaule. Marissa et les deux gugusses nous
suivent.
— On a des poissons d’avril collés sur le front ou quoi ? demande River. Pourquoi tout le monde
nous mate comme ça ?
— Ils sont surpris.
— Que je sois avec la plus jolie fille du bahut ? Pas moi ! Ma mère m’a toujours dit que je
trouverais ma Juliette.
— Je n’en peux plus de cette pièce ! Le sujet de la dissert’ va sûrement tomber là-dessus en plus.
— Je croyais que tu adorais Roméo !
— Je déteste la fin surtout.
— On ne finira pas comme eux, chaton ! Je ne peux pas garantir du bonheur et des petites fleurs
pour chaque jour, mais je serai toujours là pour toi, murmure-t-il dans le creux de mon oreille.
Le bonheur à l’état pur avec River !
L’examen ne s’est pas trop mal passé pour moi, j’aurai la moyenne mais sans plus. Je n’avais pas
révisé comme une folle, mais mes parents n’accepteront jamais que j’aie pu avoir la tête ailleurs.
Tant pis.
— Je me suis planté, soupire River.
— Ça m’étonnerait, je te connais !
— On s’en fout, c’est fini ! Viens, j’ai organisé un petit truc. Faut se dépêcher si on veut éviter les
embouteillages.
— On va quelque part ?
— Évidemment, tu crois pas que j’allais t’abandonner à tes parents alors que les exams sont
terminés !
— Ils vont encore me faire un sketch si je…
— Tout est déjà arrangé ! me répond-il avec un clin d’œil.
Je cours avec lui jusqu’à sa voiture, heureuse de me sentir libre à ses côtés. River prend à
l’opposé de la route habituelle.
— On va au zoo !
— Non, au resto, bécassine !
Et pas n’importe quel resto. Un voiturier ouvre ma portière. River lui tend les clés de sa voiture.
Un majordome à l’entrée nous salue. Je ne suis pas au bout de mes surprises : l’intérieur du « resto »
est somptueux, les tables sont joliment décorées de fleurs et de chandeliers qui diffusent une lumière
tamisée. C’est archi romantique !
— Je ne suis pas assez bien habillée pour dîner ici, je murmure.
— Même avec un sac-poubelle tu resterais la plus mignonne !
Mouais, n’exagérons pas, hein !
Une hôtesse nous conduit à notre table. Les flammes vacillantes du chandelier se reflètent dans les
prunelles de River.
— Un apéritif pour commencer ? nous propose-t-elle.
— Deux laits de coco pétillants, s’il vous plaît, commande River.
Ouah, vous connaissez ? Moi pas !
Le dîner est sublime, River est adorable. Soudain, sorti de nulle part, il commence comme ça :
— Tu as quel âge, Léa ?
— Bah ! Dix-sept ans.
— On est vraiment jeunes, n’est-ce pas ?
— Euh… oui !
— Ma mère m’a dit que si j’avais la chance de trouver la bonne personne, celle qui m’aiderait à
traverser les mauvais jours de ma vie, je devrais la chérir et la garder près de moi… C’est toi, cette
personne, Léa. Tu m’as soutenu, écouté, consolé quand j’étais au fond du trou. Tu sais aussi que je ne
suis pas parfait, que j’ai fait des erreurs, mais tu m’as accepté comme j’étais. Je voudrais te
remercier pour tout ça.
River est très ému, il choisit chacun des mots avec soin. Un moment très solennel. Il est en train de
balayer la mélancolie qui me hantait durant ces deux derniers mois. Il plonge la main dans sa poche
pour en sortir un petit pochon violet.
— Oui, on est jeunes, reprend-il, et j’ignore ce que la vie nous réservera, mais ce qui est certain,
Léa, c’est que je veux la passer avec toi.
Il détache le nœud du pochon et vide son contenu dans sa paume. J’ai les yeux qui sortent des
orbites, mon cœur s’affole, pour mes joues, vous savez déjà.
— Ne stresse pas ! Ce n’est pas une bague de fiançailles !
C’est pourtant un anneau d’or incrusté d’un diamant.
— OK, ça ressemble à une alliance ! J’aimerais marquer notre engagement, le rendre apparent si tu
vois ce que je veux dire… Pas top, mon discours, mais j’espère que tu m’as compris, chaton !
Je n’ai jamais autant aimé être son chaton qu’en cet instant ! River attrape ma main gauche et y
passe l’anneau.
— Léa, je suis à toi, rien qu’à toi et je ferai tout pour te rendre heureuse. Cette bague est la
première que mon père a achetée à ma mère. Il la lui a offerte quand ils avaient dix-sept ans, comme
nous aujourd’hui.
— Je… Je ne sais pas quoi dire, c’est…
— J’espère juste que tu ne me trouves pas trop crétin et que tu ne penses pas que c’est trop rapide
entre nous deux. Mais, avec ce qui s’est passé, j’ai réalisé que la vie était… si imprévisible, prête à
te voler du jour au lendemain les gens que tu aimes le plus. Alors tu es là, je suis là, soyons heureux.
Nous sommes seuls au monde dans ce restaurant. Plus rien ne compte. Oui, notre rencontre est un
coup du destin. Si ma maison ne s’était pas effondrée, nos chemins ne se seraient jamais croisés. J’en
suis persuadée aujourd’hui.
— Accepte cette bague comme le signe de mon amour pour toi, Léa.

Et voilà ! Deux jeunes gens frappés par l’amour et qui ont encore du mal à y croire. La vie n’a pas
été tendre avec eux, ils ont eu leur lot d’épreuves, mais Léa et River les ont affrontées avec courage.
Et ce qu’il faut surtout retenir, c’est qu’ils les ont affrontées ENSEMBLE.
Épilogue
CET ÉTÉ-LÀ
6 heures du matin. River se met en route pour le long périple jusqu’à la maison d’arrêt de Nick.
Une fois sur place, il se laisse porter par la routine habituelle : l’attente dans le couloir, les trois
fouilles successives, la nouvelle attente dans la salle des visites. River est déjà venu à plusieurs
reprises, il a réussi à surmonter le passé, à évacuer sa rancœur pour pardonner Nick.
— Comment va Léa ? demande celui-ci.
— Très bien ! Elle te dit bonjour.
— T’as l’air super heureux, vieux.
— Plus que ça… Après la mort d’Emily, j’étais sur le point de tout envoyer valdinguer. C’est
grâce à Léa que j’ai repris le fil…
— Quoi ?
— Démarrer mes études de médecine.
— C’est vrai que tu voulais être médecin !
— Tu t’en souviens ?
— T’avais même un stéthoscope en plastique !
— Oui ! Enfin, c’est pas gagné non plus.
— Tu y arriveras, je le sais.
River quitte la prison l’esprit plus léger qu’à l’arrivée sur cette note encourageante. C’est en
marchant vers sa voiture qu’il l’aperçoit. Plus qu’une coïncidence, c’est un signe : River sent que le
moment est venu de parler à son ami dont il s’est éloigné depuis la mort d’Emily.
— Ky, appelle-t-il.
— Salut, River.
C’est un triste été pour Ky qui tue le temps chez lui, incapable d’oublier Emily et sa propre
culpabilité. Entre Jake, très occupé, et River, trop distant, il ne voit presque personne. Sauf Marissa,
qu’il a l’impression d’avoir trahie le même jour qu’Emily. Ils ont échangé d’abord par textos, puis
Ky lui a présenté ses excuses. Ils apprennent doucement à se connaître.
— Je ne savais pas que tu rendais visite à Nick.
— C’est la première fois.
Ky a besoin de poursuivre son cheminement, de laver sa conscience chargée en présentant ses
excuses à Nick. Pour l’instant, entre les deux amis, il y a beaucoup de non-dits et de silence. River
hésite quand même à mettre les pieds dans le plat.
— Comment va Jake ? demande-t-il.
— Il est en Californie depuis hier pour un match de boxe.
C’est la carrière choisie par Jake, il passe tout son temps sur le ring pour s’entraîner. Sauf qu’il
n’a pas prévu le retour de Flo, la seule fille qui l’a fait vibrer.
Ils discutent encore un peu, puis se séparent. River se jure d’essayer de renouer avec ses amis et
d’oublier la lâcheté de Ky envers Emily. Elle semble déjà peser bien lourd sur ses épaules.
Profitant d’un feu rouge, il compose le numéro de Léa.
— Bonjour ma tête de nœud préférée ! lui répond une voix joyeuse.
— Salut chaton ! T’es libre ?
— Pas avant cet aprèm. On va voir où en sont les travaux de la maison. C’est presque fini.
— Comment ça va avec ton père ?
Depuis que le père de Léa s’est rendu compte que sa fille faisait le mur pour rejoindre son
amoureux, il a cessé de lui adresser la parole. Léa s’en fiche, mais River attend le bon moment pour
en discuter avec Mme Wilson.
— Tu m’appelles quand c’est fini, je viendrai te chercher.
— OK. On fera quoi ?
— Ciné et dîner en tête à tête. Normal quoi. Ça te va ?
— J’ai déjà envie d’être à cet aprèm !
Ils raccrochent. River sait comment s’occuper en attendant Léa. Il se dirige vers le cimetière, fait
d’abord une halte chez le fleuriste pour acheter deux bouquets. Il en place un sur la tombe d’Emily et
offre l’autre à Léa quand il la retrouve.
— On fête quelque chose ? s’étonne Léa.
— Faut une raison pour offrir des fleurs ?
— Non, non ! Hum, elles sentent bon ! Merci, River.
— De rien. Tu peux sortir mon portefeuille de la boîte à gants, s’il te plaît ? Sinon je vais
l’oublier.
Une feuille pliée en huit tombe au moment où elle l’attrape. Respectueuse, Léa la replace dans le
compartiment. Elle ne lira pas immédiatement cette petite composition sans importance, écrite
quelques mois auparavant par River, en réponse à la demande du prof de littérature.

Qu’est-ce que l’amour ?


Je croyais que l’amour c’était quand le cœur battait à toute allure,
Que c’était de penser à l’autre nuit et jour,
Parce qu’elle est la seule qui compte.

Mais l’amour n’est-ce pas davantage encore ?


La respecter, l’encourager, lui pardonner,
La placer avant moi,
La traiter comme une princesse,
La chérir.

Aimer c’est difficile,


C’est prenant, éprouvant,
Mais c’est énorme,
Alors je ne suis pas encore sûr de connaître
à fond l’amour.
Une amorce de réflexion en quelques lignes, jamais rendue au professeur. River prétendait ne pas
connaître l’amour, il en a une assez bonne idée aujourd’hui !
Devant le cinéma, River entrelace ses doigts à ceux de Léa, la couve du regard alors qu’elle lui
parle et rit. Il se fait une promesse supplémentaire : tant que Léa voudra de lui, il ne la quittera
jamais.
Et River est un homme de parole, il tient toujours ses promesses.

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