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Bulletin de l'Association de

géographes français

Risques naturels en Afrique équatoriale. L'exemple du Gabon


(Natural Hazards in Equatorial Africa. Gabon case)
Solange Loubamono, Lucien Faugères

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Loubamono Solange, Faugères Lucien. Risques naturels en Afrique équatoriale. L'exemple du Gabon (Natural Hazards in
Equatorial Africa. Gabon case ). In: Bulletin de l'Association de géographes français, 70e année, 1993-2 ( mars).
Morphogénèse et pédogénèse. Communications de l'étranger. pp. 114-128 ;

doi : https://doi.org/10.3406/bagf.1993.1677

https://www.persee.fr/doc/bagf_0004-5322_1993_num_70_2_1677

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Résumé
Résumé. - Les violents averses de la saison pluvieuse d'octobre 1988, réparties sur l'ensemble du
Gabon, ont provoqué des inondations catastrophiques le long du cours de l'Ogooué et de ses
principaux affluents. Les agglomérations ont été durement frappées, mais particulièrement Franceville
et la ville de Lambaréné, la plus exposée aux risques d'inondation.
La prise de conscience récente de l'importance des risques d'origine naturelle au Gabon, jusqu'alors
tenus pour négligeables, est liée à cet épisode au cours duquel des décisions importantes durent être
prises. Pour tenter de discerner les causes profondes de l'apparition récente du phénomène, ainsi que
pour évaluer l'efficacité du début de gestion des risques qui est alors mis en place pour lui répondre,
deux études ont été entreprises sur les deux secteurs représentatifs de Franceville et Lambaréné.
Elles montrent le rôle des dégradations du milieu d'origine anthropique, particulièrement sensibles le
long du tracé du chemin de fer transgabonais.

Abstract
Abstract. - Catastrophic floods happened to occur in different localities along Ogooue river during
October 1988 rain season. Severe impacts, of various nature (morphologic, socio-economic), were
reported, and authorities had to take decisions to face unexpected situations.
In order to assess their efficiency, two field surveys have been achieved along 1990 and 1991 summer
seasons. They cover Franceville and Lambarene areas, which suffered major disorders and damages
during the crisis and still stay under threat of renewed materializations of natural hazard.
Bull. Assoc. Géogr. Franc., Paris, 1993 - 2

Solange LOUBAMONO*, Lucien FAUGÈRES*

RISQUES NATURELS EN AFRIQUE ÉQUATORIALE.


L'EXEMPLE DU GABON
(NATURAL HAZARDS IN EQUATORIAL AFRICA. GABON CASE)

RÉSUMÉ. - Les violents averses de la saison pluvieuse d'octobre 1988, réparties


sur l'ensemble du Gabon, ont provoqué des inondations catastrophiques le long
du cours de l'Ogooué et de ses principaux affluents. Les agglomérations ont été
durement frappées, mais particulièrement Franceville et la ville de Lambaréné, la
plus exposée aux risques d'inondation.
La prise de conscience récente de l'importance des risques d'origine naturelle au
Gabon, jusqu'alors tenus pour négligeables, est liée à cet épisode au cours duquel
des décisions importantes durent être prises. Pour tenter de discerner les causes
profondes de l'apparition récente du phénomène, ainsi que pour évaluer l'efficacité
du début de gestion des risques qui est alors mis en place pour lui répondre, deux
études ont été entreprises sur les deux secteurs représentatifs de Franceville et
Lambaréné. Elles montrent le rôle des dégradations du milieu d'origine anthro-
pique, particulièrement sensibles le long du tracé du chemin de fer transgabonais.

ABSTRACT. - Catastrophic floods happened to occur in different localities along


Ogooue river during October 1988 rain season. Severe impacts, of various nature
(morphologic, socio-economic), were reported, and authorities had to take
decisions to face unexpected situations.
In order to assess their efficiency, two field surveys have been achieved along
1990 and 1991 summer seasons. They cover Franceville and Lambarene areas,
which suffered major disorders and damages during the crisis and still stay under
threat of renewed materializations of natural hazard.

Mots clés : risques naturels, inondations, érosion des sols.

1. Un phénomène naturel, des impacts variés, des réactions d'urgence

- Des pluies exceptionnelles

Sous l'équateur, le climat du Gabon comporte deux saisons humides, la


première de mars à mai, la seconde de septembre à décembre (fig. 1 et

* Université de Paris I.
RISQUES NATURELS AU GABON 115

fig. 2). En 1988, les mois d'octobre et novembre ont connu des précipitations
très supérieures à la normale. Lambaréné, par exemple, qui a enregistré la
plus forte pluviométrie, a reçu 650 mm en octobre et 550 en novembre, pour
des moyennes de 351 et 436 mm, respectivement, pour ces deux mois. Ces
pluies ont entraîné des inondations dans tout le bassin de l'Ogooué et de ses
affluents (Ngounie, Ivindo, Passa). Sept localités provinciales ont été
gravement inondées : Port-Gentil, Lambaréné, Ndjolé (Ogooué), Mouila (Ngounie),
Makokou (Ivindo), Koulamoutou et Franceville (Passa).

CAMEROUN

plateaux du
GUINEE
EQUATORIALE

PORT-CEI

LAGUNE
NDOGOU

ECHELLE M 3000000*
0 50 100 KM

TRACE DU TRANSGABONAIS

Fig. 1. -Le Gabon.


116 S, LOUBAMONO, L FAUGÈRES

Le phénomène, par son étendue, représentait une nouveauté dans les


préoccupations gabonaises. Il a été à l'origine d'une prise de conscience.
Depuis 1988, le problème des risques naturels ne cesse plus, de fait, d'être
au cœur de l'actualité du pays.

1983.1988

Pmm

550
Pmm
500 PLUVIOMETRIE
MENSUELLE

450
400 □ OCTOBRE

350 0 NOVEMBRE
1\ \
\ j
\
3a
250
20C
150
10C
50 1\
0
1983 1984 1985 I986 1987 1988

Fig. 2. - Précipitations moyennes mensuelles pour la période totale des observations à Lambaréné.
RISQUES NATURELS AU GABON 1 17

- Des impacts variés sur le milieu

Le risque majeur est ici clairement lié à l'éventualité de précipitations


anormalement fortes pendant les saisons pluvieuses. La montée rapide
des eaux dans certaines portions des vallées, la submersion de lits
majeurs et basses terrasses pendant des périodes qui vont de plusieurs
heures à plusieurs journées, ont des conséquences directes sur la
morphologie des fonds de vallées, l'hydrologie et la biogéographie des
cuvettes marécageuses, des levées et bancs de sables alluviaux.
Les dommages pour les populations sont d'autant plus importants que
ces zones constituent des espaces de plus en plus occupés par les
habitats, souvent fragiles, des migrants d'origine rurale. Ceux-ci créent des
quartiers très exposés, à la périphérie d'agglomérations dont le centre se
trouve en général situé dans une position plus sûre. Par ailleurs, sur
l'ensemble des bassins-versants, les pluies concentrées conduisent à la
généralisation de rigoles, ravines, mares, sur les routes latéritiques
notamment, et à l'affouillement des ouvrages d'art. Nombre de ceux-ci sont
emportés et on aboutit à une déstabilisation du réseau national,
préjudiciable aux opérations de secours et très coûteuse en termes d'entretien et
réparation. Cette situation révèle l'existence d'un système écologique et
socio-économique complexe, d'une grande sensibilité à l'égard des
intempéries climatiques. La vulnérabilité de ce système ne peut que s'accroître si
des mesures très efficaces ne sont pas adoptées - à commencer par des
recherches sur les modes de fonctionnement de ce système.
Les autorités du pays ne sont pas ignorantes du problème. Selon les
observations du Ministère de l'Environnement du Gabon à Libreville,
l'érosion s'est considérablement développée depuis une décennie.
« Contrairement à l'Afrique de l'Ouest, qui a connu la sécheresse, l'Afrique
centrale présente des risques réels d'être le siège d'inondations dans les
prochaines années. Le Gabon, dont la pluviométrie est la plus élevée en
Afrique, constituerait le point focal de ces inondations d'Afrique Centrale,
d'où l'intérêt de la restructuration des services météorologiques et
hydrologiques du pays ». La gravité des catastrophes de 1988, suivies par plusieurs
épisodes dangereux les années suivantes, a conduit les services de l'État et
en particulier les dirigeants directement concernés par la protection des
populations, à mettre en place des structures de secours ponctuels et à
initier des mesures qui peuvent préfigurer une véritable gestion des risques.

- Des réactions d'urgence

La réaction la plus rapide, face aux inondations, est venue des médias,
qui ont les premiers alerté sur l'ampleur de la catastrophe dans les villes
sinistrées. Journaux et télévision ont assuré un suivi des phénomènes,
dans l'espace et dans le temps, et ont constitué un instrument de base
pour atteindre et sensibiliser les populations les plus éloignées de la
capitale. Jamais un phénomène, aussi longtemps négligé, n'avait pris une
telle importance dans la vie du pays.
118 S. LOUBAMONO, L FAUGÈRES

Les réactions des autorités gouvernementales se sont progressivement


organisées, en tenant compte de la durée des inondations (en effet, la
baisse des eaux dans certaines localités était relayée par une reprise des
inondations dans d'autres villes) et du nombre des sinistrés (600
dénombrés dans 5 localités, fort heureusement on n'eut pas à déplorer de mort).
Elles ont été rythmées par plusieurs conseils des ministres successifs.
- Le Conseil extraordinaire du 28 novembre avait pour objectif d'évaluer
l'importance des dégâts, de collecter des informations en vue d'établir les
causes réelles des crues et d'organiser des secours d'urgence. Des
missions d'observation sont envoyées dans la journée dans les différentes
localités sinistrées, pour élaborer un rapport d'observation des dégâts.
Leur travail a été inégalement rapide. Dans certaines localités, elles
arrivèrent sur le terrain 3 semaines après les inondations, dans d'autres
pendant la descente des eaux. D'une manière générale, l'action des
représentants de l'Etat s'est faite a posteriori.
- Le Conseil du 1er décembre, sur la base des premiers rapports, déclare
Lambaréné « ville sinistrée », prioritaire dans les travaux d'aménagement.
Dans l'ensemble, les constats établis sur le terrain dégagent une certaine
unanimité : la persistance des inondations est partout mise en regard de
l'absence de moyens adéquats de prévention et de secours, le problème
étant donc à reprendre à la base. Par suite, la décision est prise de créer
5 commissions, chargées de gérer de manière globale les problèmes de
risques naturels :
• Commission de la Santé (Ministère de la Santé Publique), comprenant
une sous-commission chargée de la collecte des secours d'urgence),
• Commission des aides financières et matérielles (Ministères des affaires
sociales, de la sécurité sociale, des calamités et de la sécurité nationale),
• Commission des travaux (Ministères des travaux publics, de
l'équipement, de la construction et de l'aménagement du territoire),
• Commission de contrôle des aides et secours (Ministères des affaires
sociales, de la défense, de la santé publique...),
• Commission dite « spéciale » (Ministres originaires des provinces
sinistrées, Ministères des affaires sociales, des travaux publics...).
Dans le même ordre d'idée, des comités de centralisation des aides et
secours furent créés au niveau des localités sinistrées en vue de sensibiliser les
populations et d'obtenir une participation effective à la gestion des risques.
Parallèlement, un appel était lancé à la solidarité nationale et internationale,
qui fut suivi d'un afflux de messages et de donations. Sur le plan national, le
rôle des médias a été déterminant pour la sensibilisation des populations
de langues vernaculaires. Finalement, les mesures d'urgence comportèrent
une indemnisation des victimes à partir de fonds débloqués par le Conseil
(1 600 000 000 CFA = 32 millions FF - 1 FF = 50 CFA, parité fixe de 1949) et le
Comité national des aides et secours (200 000 000 CFA = 4 millions FF). Le
solde de ces sommes devait être affecté aux travaux d'assainissement et
d'aménagement des villes affectées. Enfin, 100 000 000 CFA étaient prévus
pour l'achat de médicaments qui furent acheminés les 7 et 8 décembre.
RISQUES NATURELS AU GABON 119

- Le Conseil du 12 décembre déboucha sur d'autres mesures


complémentaires : évaluation des travaux d'aménagement, octroi et
assainissement des zones de relogement des populations sinistrées.
L'aide d'urgence prévue se limitait à la double assistance mobilière et
immobilière. Elle fut répartie en fonction de l'importance des dégâts
constatés (Lambaréné : 53,3 millions de F CFA, Ndjolé : 26,9 millions, par
exemple). Au total, les dégâts directs, mobiliers, s'élevaient à eux seuls à
520 millions de F CFA (= 10,4 millions de FF), pour 5 des 7 localités. La
prise en compte des causes réelles des inondations était la plus difficile à
réaliser. De fait, une requête a été adressée à la Hollande, pour une étude
par des experts. Deux spécialistes, assistés par des responsables gabonais,
ont ainsi sillonné les lieux sinistrés en septembre 1989. Mais les décisions
d'affectation de reliquats de fonds en vue de travaux d'aménagement n'ont
pas encore été suivies d'effet à ce jour. L'étude des cas de Franceville et de
Lambaréné permet pourtant de montrer que la clé d'une maîtrise des
risques d'inondation passe par une meilleure connaissance du milieu
physique et par des aménagements tenant compte de cette connaissance.

2. Deux études de cas

- Les inondations à Franceville

Franceville (43 700 habitants) occupe une position intérieure au SE du


pays. Elle se situe au débouché du bassin supérieur de l'Ogooué, au
confluent de la rivière Passa dont le cours encaissé traverse une partie de
l'agglomération. Certaines sections des fonds de vallée sont occupées de
manière anarchique par les populations venues des régions rurales voisines
en 1972-1975 et installées soit sur les rives mêmes de la Passa, soit autour
de lacs marécageux, très vulnérables en périodes d'inondations. A l'image
de tous les bassins du Gabon, celui de la Passa est dépourvu de toute
structure urbaine solide, ce qui rend la maîtrise des problèmes plus délicate.

V Les manifestations du risque à l'automne 1988 (fig. 3)


Les pluies violentes enregistrées en octobre 1988 à Franceville et encore
plus dans le bassin amont de la Passa (plateaux Batéké) ont eu des
répercussions dramatiques. Les inondations les plus graves (plateaux Batéké)
ont eu des répercussions dramatiques. Les inondations les plus graves
sont intervenues en novembre. Elles ont duré une semaine. La nappe
d'inondation a atteint 2 m d'épaisseur sur les rives de la Passa. Elle a
contraint les populations à se réfugier dans les zones hautes. L'ensemble
des quartiers de fonds de vallée étant submergé, l'unique moyen de
locomotion disponible était alors la pirogue. Ces inondations furent le point de
départ de celles de l'ensemble du bassin de l'Ogooué. Elles se
répercutèrent de manière encore plus violente dans la région de Lambaréné.
Leur origine est à chercher certes dans les précipitations très fortes,
mais aussi dans l'évolution récente des paysages de la région de France-
120 S. LOUBAMONO, L FAUGERES

ech::?

LEGENDE
__ ROUTES REVETUES ^*** /// RAVINS EROSION VIVE RAVINES
=_ ROUTES LATERITIQUES €3****1 MARECAGES ARBRES MORTS MUR DE PROTECTION
—^3^ RIVIERE PRINCIPALE $ i=<. ROUTES DISSEQUEES PONTS
__, COURS D'EAU SECONDAIRE £=f /-O PONT DE BOIS BUSES
US MARECAGEUX ^ QUART|ERS

Fig. 3. - Franceville cartographie des impacts des inondations.


RISQUES NATURELS AU GABON 121

ville, caractérisée par le développement du ravinement sur des roches


profondément altérées. Le ravinement libère des masses de matériaux
sableux, argileux, et d'origine végétale, qui augmentent la charge des
rivières, et créent des conditions favorables à des inondations
catastrophiques de la Passa à Franceville. Or les formes les plus actives de ce
ravinement sont liées à l'action anthropique, aux aménagements notamment
routiers, effectués dans des zones à risques, le long des lignes de crêtes,
sur les interfluves et sur les versants, où ils participent à la déstabilisation
du milieu. Certaines parades (déviations de routes) à des dégâts liés aux
pluies, contribuent à une accélération de l'érosion, et donnent naissance à
de véritables ravines de grandes dimensions dans les zones sensibles.
Celles-ci sont constituées par les têtes de vallons et sources, également
par les versants de certaines sections de vallée à pente forte, ainsi que par
les zones de confluence. Le résultat observé est le démantèlement de la
chaîne (catena) des sols et altérations présents sur les versants de la
région. Les matériaux solides charriés sont déposés soit dans les fonds
des lacs soit sur les levées des cours d'eau, contribuant ainsi à accentuer
la vulnérabilité des zones basses.

2) Evaluation des impacts

Le relevé des impacts directs et indirects des inondations a été réalisé


au cours d'une mission de terrain l'été 1990. Les impacts concernent le
milieu physique et le milieu socio-économique, de manière indissociable.
Concernant le milieu physique, les impacts ne sont pas tous négatifs.
On a relevé la submersion, l'extension des zones lacustres et des
marécages, et leurs effets directs sur les populations. Parmi les effets
secondaires, on a observé la prolifération des reptiles provenant de l'amont,
et une dégradation durable des conditions sanitaires, en raison de
l'élargissement des zones insalubres. Mais par contre, la fertilité nouvelle
des laisses de crues recouvertes de limons a représenté une forme de
compensation pour des populations de tradition rurale encore vivante.
Du point de vue humain, le bilan est lourd, même si la valeur
économique des biens détruits est faible : il y a eu destruction, abandon des
habitats situés à proximité des rives, destruction de matériel
électroménager, pertes des biens vestimentaires. Les conséquences
sociologiques, politiques, deux années plus tard sont toujours sensibles.

3) Gestion de la crise, gestion du risque

Compte tenu de l'éloignement de Libreville, la gestion de la crise a


relevé d'initiatives locales, dans les premières heures, qu'il s'agisse de
celles de la population concernée ou de la municipalité. Les habitants des
bas quartiers, inondés dans leur ensemble, ont réagi collectivement,
parfois brutalement. Ceux de Ngoungounlou se sont rendus en masse par
exemple à la mairie de Franceville pour exposer leurs besoins. Une com-
122 S. LOUBAMONO, L FAUGERES

mission d'évacuation fut finalement créée par la mairie, sous la tutelle du


Ministère des affaires sociales.
Les actions entreprises pour maîtriser la situation se sont limitées en fait
à des promesses d'ordre social, Franceville ne faisant pas partie des
localités prioritaires dans la mise en place d'aménagements d'urgence. Un zone
de relogement a été accordée aux sinistrés, action qui a été accompagnée
d'une sensibilisation des populations aux dangers courus dans les zones à
risque. Le message, bien qu'il n'ait été assimilé que par un nombre
restreint de sinistrés, mérite d'être renouvelé. La difficulté, ou l'absence de
communication entre les sinistrés et les autorités (pour des raisons
socioculturelles, par manque de moyens) freine les initiatives de l'Etat et de la
mairie. Le bilan est donc décevant. En 1991, les sinistrés se plaignent de ne
pas avoir été indemnisés, et exigent réparation. Un obstacle majeur à une
gestion efficace du risque est sans doute le manque de moyens financiers
(par exemple, pour une campagne de communication par affichage).

- Les inondations à Lambaréné


Bâtie sur une île de l'Ogooué, au confluent de la Ngounié, Lambaréné se
développe dans une plaine alluviale, à la rencontre d'un important réseau
fluvial où rivières, lacs et fleuves coexistent et communiquent par un lacis
de chenaux. Dans cette partie du Gabon, le fleuve principal prend des
proportions considérables, sa largeur atteint un kilomètre. Il s'étale dans une
large zone de sédimentation. Dans le fond du lit se distinguent des bancs
de sable de dimensions très variables, qui se transforment en îles pendant
la grande saison sèche de juillet à septembre, tandis que pendant la saison
pluvieuse, ils se caractérisent par leur mobilité. Au sud de la ville, l'Ogooué
communique avec des lacs, dont certains (Ezanga, Onangué, Oguemoué)
jouent un rôle très important dans le processus des inondations.
Au centre de la ville de Lambaréné proprement dite, l'Ogooué se divise
en deux bras (le Rembo-wango au nord, le Rembo-nkomi au sud). Au sein
de ces embranchements, de grandes étendues marécageuses séparent les
bras du fleuve, et réduisent les différents quartiers en îlots. Dispersée
entre de nombreux quartiers disjoints les uns des autres, la population
côtoie en permanence les zones humides. Elle se localise le long des
branches du fleuve et des zones marécageuses, notamment de part et
d'autre du marécage central qui sépare et relie les deux éléments les plus
importants de la ville : Atongowanda et Grand-Village.
Dans de telles conditions, Lambaréné se trouve particulièrement exposée au
risque d'inondations. Et les conséquences de ces dernières sont-elles
extrêmement sérieuses pour la vie des 53 700 habitants que compte l'agglomération.

1) Les inondations de l'automne 1988 (fig. 4)

Les pluies d'octobre 1988 ont abouti à une inondation majeure, qui a
débuté à la pointe de l'île qui sépare les deux bras principaux de
l'Ogooué, puis progressé vers le centre ville, à la mi-novembre.
RISQUES NATURELS AU GABON 123

La carte des zones inondées donne l'extension de la nappe d'eau à sa


plus grande hauteur. Le marécage central a été envahi, subdivisé,
séparant ainsi les deux quartiers vitaux de la ville. La montée continue des
eaux a permis la fuite des populations riveraines vers les hauteurs, dont
certains secteurs furent isolés pendant plusieurs jours, le dénuement des

HOPITAL SCHWEI

LEGENDE 10°13
flHgill LIMITE D'EXTENSION DE LA CRUE DE 1988

\m%\ HAUTEUR D'EAU >A3M

^g BANC DE SABLE
VI MARECAGES ZONES HUMIDES Y//X QUARTIERS

Fig. 4. - Extension de la nappe de submersion de Lambaréné.


124 S. LOUBAMONO, L FAUGERES

sinistrés étant total. La coupure du réseau routier a été un élément majeur


des difficultés : seuls pirogues et hors-bords ont pu assurer les
communications. Dans ces conditions, les autorités se sont révélées impuissantes.
L'absence de moyens prévus pour faire face à une telle situation a été
révélée par la crise.

2) Impacts des inondations et dommages

Les modifications apportées aux bras, chenaux, bancs et îles de sable,


soit par érosion, soit par abandon de sédiments en fin de crue, ne peuvent
être établies avec précision faute d'observations précises réalisées
pendant la crue et immédiatement après. Le passage de la nappe d'eau a
provoqué la destruction des plantations dans les jardins de case (mais les
limons apportés ont favorisé les récoltes ultérieures) et une prolifération
dangereuse de reptiles, tout comme à Franceville.
Les conséquences socio-économiques ont été plus lourdes : outre les
pertes subies par l'habitat, les petits équipements ménagers, les réserves
alimentaires et vestimentaires, on relèvera que l'interruption des
communications a entraîné la fermeture des classes, que des stations services,
magasins, usines et night-club ont été submergés. L'activité économique
de la ville dans son ensemble a été profondément perturbée. Des
établissements ont été fermés (marché central, Société d'énergie et d'eau du
Gabon, scierie Vachet) et le personnel mis en chômage technique.

3) Efforts de gestion du risque

Pour faire face à la situation, une structure de secours a été organisée,


impliquant les responsables locaux et régionaux (maire, gouverneur,
secrétaire fédéral, préfet de la province du Moyen-Ogooué, secrétaire de
section du Parti unique du Moyen-Ogooué). Les dégâts observés à Lamba-
réné ont amené les autorités de Libreville à affecter à cette commission
une équipe composée de militaires, de spécialistes de génie civil et de
sapeurs-pompiers, sous la direction du vice-premier ministre de l'époque.
Sur le terrain, la commission s'est penchée sur la possibilité de mise en
place d'un système de surveillance des crues, suivie de la mise en place
d'un plan de secours en cas d'inondation, puis d'un programme
d'assainissement et de protection des berges du fleuve sur 5 km, conforme au
programme du Comité d'Infrastructure et d'Embellissement de la ville,
prévu pour 1985...
Ainsi, les travaux nécessaires à Lambaréné avaient-ils déjà retenu
l'attention des décideurs bien avant l'inondation de 1988, probablement à
la suite de la dernière grande catastrophe de 1961 (rapport ORSTOM). En
1962, en effet, le BCEOM s'était vu confier une étude sur la ville de
Lambaréné. A cette époque, un certain nombre de priorités avaient été
évoquées, entre autres l'assainissement urgent du marécage central et la
protection des bas quartiers contre l'inondation. De même, la défense de la
RISQUES NATURELS AU GABON 125

rive ouest et sa protection contre l'érosion par la création d'une digue.


Tous ces projets étaient demeurés sans suite concrète. Les nombreuses
propositions énumérées après les inondations de 1988 ne constituent
qu'une reprise des projets antérieurs de 1962.

- Actions anthropiques

De nombreux témoignages recueillis à Lambaréné, ainsi que dans les


services concernés, font état d'un lien possible entre la sévérité des
inondations de 1988 et les modifications d'origine anthropique apportées sur
de grandes étendues du territoire gabonais, soit par des industries
extractives, soit par des plantations industrielles, plus encore par les travaux du
chantier du chemin de fer transgabonais.
Bien que le précédent de 1961 montre que des inondations graves
étaient possibles dans un bassin de l'Ogooué encore très proche de son
état naturel, il ne fait pas de doute que les grands aménagements
entrepris pendant les deux dernières décennies ont créé les conditions pour
des manifestations plus fréquentes et renforcées du risque naturel, ceci
sans tenir compte d'une évolution éventuelle des données du climat. Le
milieu physique gabonais, encore très stable sur la quasi-totalité du pays
jusqu'à une période récente, sous sa couverture forestière, est aujourd'hui
en voie d'évolution rapide dans de nombreux secteurs, et notamment
dans la partie centrale du pays.
Le Transgabonais, œuvre colossale à l'échelle du pays, réalisée entre
1973 et 1985, devait assumer un rôle économique majeur, en permettant
la mise en valeur des richesses naturelles du pays. Son tracé traverse la
zone forestière d'est en ouest, tout en épousant pour l'essentiel la vallée
de l'Ogooué. Les ouvertures dans la forêt, principalement effectuées pour
la recherche des matériaux indispensables pour les terrassements, ont été
obtenues par déforestage intense, dessouchage et décapage de sols de
part et d'autre de la voie, avec des trouées jusqu'à 500 m de la
plateforme. La couverture végétale qui protégeait les rives du fleuve a été
saccagée dans certaines sections pour préparer des rétrécissements du cours
du fleuve. Les conséquences de ces travaux ont été importantes. Une
cartographie précise des zones dégradées, l'analyse des processus
morphologiques et sédimentologiques, sont à entreprendre pour mesurer
l'ampleur des phénomènes déclenchés par l'ouverture de la voie ferrée et
pour évaluer les corrections possibles. Ce travail, urgent, indispensable
pour la maîtrise du risque naturel mais aussi la pérennité des
équipements, exigera du temps et des moyens importants.
Une mission d'observation préliminaire le long du Transgabonais, en
septembre 1991, a dès à présent permis de relever les signes très clairs de
la déstabilisation durable du milieu de part et d'autre de la voie. On a ainsi
pu reconnaître 3 types de secteurs sensibles :
- affleurement nombreux de roches à nu, décapées des altérites, avec
ravinements ;
126 S. LOUBAMONO, L FAUGERES

- surfaces terrassées, plus ou moins compactées, ravinées, non


recolonisées par la végétation,
- zones de forêts, avec de nombreux arbres morts, sans reprise visible
des boisements.
Les conséquences de la situation en ce qui concerne le risque
d'inondation sont manifestes : renforcement des ruissellements superficiels et
augmentation des débits liquides dans les talwegs, augmentation de la
charge solide et de l'érosion mécanique, exhaussement et engravement
des lits mineurs, tendances accrues au débordement.
Les mêmes tendances s'observent dans d'autres secteurs du Gabon où
les versants sont moins fragiles que dans la vallée de l'Ogooué, mais où la
modification de la couverture forestière intéresse des superficies déjà très
importantes. Il s'agit des unités agro-alimentaires organisées autour des
plantations de palmiers, hévéas, cocotiers, réparties dans l'ensemble du
pays. Ce sont des projets très coûteux, d'un montant global de 89
milliards de F CFA, décidés à la veille de la clôture du plan intérimaire 1982-
1992 pour une période de 10 ans, et qui illustrent de nouvelles
orientations agricoles destinées à préparer l'après-pétrole. Les activités
agro-alimentaires consomment d'importantes superficies d'un seul tenant
où la forêt primitive (et la savane) sont détruites sans retour. Parmi les
unités industrielles mises en cause dans la déstructuration des sols,
figurent les unités de palmier à huile de la province du Moyen-Ogooué
(7 500 ha, AgroGabon), ainsi que des unités d'hévéas (7 930 ha). Les
conséquences de ces cultures sur la dynamique du milieu physique dans
son ensemble, et sur le régime hydrologique de l'Ogooué en particulier,
sont évoquées avec de plus en plus d'inquiétude.

3. Propositions

La mise en place d'une politique de maîtrise des risques d'inondations


se présente désormais comme une urgence et une priorité pour un pays
comme le Gabon. Elle doit comporter à la fois des travaux de protection et
une prévention. Certes, la réalisation des aménagements nécessaires dans
les villes sinistrées requiert des investissements assez lourds, en
concurrence avec d'autres types d'investissements, eux aussi nécessaires.
Toutefois, il est possible d'envisager à court terme l'application de mesures peu
onéreuses, susceptibles d'améliorer la sécurité des populations et
d'amortir les effets des crues les plus catastrophiques.
Ces mesures supposent, dans le cas du Gabon, dépourvu de techniques
de surveillance et d'analyse des crues dans les principaux bassins-versants
du pays, de tenir compte des revendications et propositions des sinistrés,
qui représentent les témoins oculaires des catastrophes. Dans l'ensemble
des localités où nous avons entrepris des études, et particulièrement à
Franceville et Lambaréné, la priorité est la satisfaction de besoins d'ordre
social, et d'abord de relogement des populations. Le relogement est la
réponse la plus rassurante pour les populations, de préférence à
l'indemnisation individuelle des victimes, qui pourraient dans ce cas affecter les
RISQUES NATURELS AU GABON 127

moyens distribués à de toutes autres fins. Des actions visant à la


sensibilisation des populations sur le risque encouru dans les zones vulnérables
sont imperatives si on veut parvenir au déplacement préventif des
quartiers vulnérables. La réalisation de cette tâche difficile suppose la
collaboration effective à la fois des sinistrés et des représentants de l'Etat.
Le contrôle de la dynamique du milieu grâce à des travaux de
protection est pour sa part une entreprise de longue haleine, coûteuse, peut-être
plus incertaine dans ses effets. Dans le cas de Franceville, le remblaiement
des ravines, la construction d'une digue le long de la rive gauche de la
rivière Passa, la substitution de techniques plus adaptées à certaines
techniques dangereuses (buses métalliques), seraient parmi les
aménagements techniques à envisager en priorité. Dans le cas de Lambaréné, les
efforts devraient être conduits de manière complémentaire dans plusieurs
directions. Les demandes des sinistrés concernant leur relogement
aboutissant à des estimations de coûts élevés, on pourrait envisager la
construction d'habitations sur pilotis, qui pourraient largement répondre à
la demande. Les travaux à effectuer porteraient essentiellement sur des
dragages des bancs de sable, combinés avec la construction de digues et
remblais et l'assainissement du marécage principal. Les digues réalisées
le long des branches du fleuve protégeront les quartiers riverains, mais
également les routes littorales dont la disponibilité est cruciale. Tous ces
travaux engagent la compétence et les moyens des services de l'Etat.
Les actions à entreprendre pour développer une prévention globale des
risques exigent des investissements inégalement importants. Elles
peuvent être décomposées en mesures de prévention au sens strict (distinctes
des aménagements) et mesure de préparation des populations, destinées
à limiter les impacts de processus naturels.
• Mesures de prévention au sens strict :
- conception des aménagements en vue d'une amélioration des
conditions d'écoulement des eaux,
- entretien régulier des aménagements (curage des lits, surveillance des
ouvrages, réparations...),
- installation d'un système de prévision et d'annonce des crues et de
leur évolution, collaborant étroitement avec les médias,
- application de règles d'occupation des sols en zones inondables (refus
de permis de construire, fiscalité dissuasive),
- instauration d'une prime de départ des zones inondables et à
l'aménagement dans des zones sûres,
- création d'une assurance-inondation pour des zones aménagées.
• Mesures de préparation :
- établissement d'une cartographie des zones à risques,
- communication d'une information sur les risques aux populations
exposées,
- organisation de plans de secours efficaces par la Direction de la
Protection Civile,
128 S. LOUBAMONO, L FAUGERES

- actions incitatives diverses auprès des populations, destinées à leur


apprendre à limiter la vulnérabilité intrinsèque de leurs biens,
- enfin, une réflexion et des décisions concernant une conduite des
grands aménagements agricoles ou industriels non préjudiciable aux
composantes majeures de l'environnement, élaboration de schémas
globaux d'aménagement des grands bassins hydrographiques.

Conclusion

D'une manière générale, le problème des risques naturels ne peut être


résolu que dans la mesure où existent les moyens, c'est-à-dire les
personnels compétents et le budget correspondant aux investissements requis
pour l'amélioration des connaissances, la préparation, la protection et la
prévention, les aménagements techniques. La période de crise
économique dans laquelle le pays est plongé depuis 1985 retarde l'exécution de
décisions officiellement engagées.
Il faut espérer que le redressement intervienne avant qu'une nouvelle
manifestation catastrophique de risque naturel ne vienne rappeler, de
manière dramatique, la situation d'une partie du pays, de ses populations
et de ses ressources, dont la vulnérabilité est devenue une donnée
durable. Des concours extérieurs - comme celui des Pays-Bas -,
l'intervention de spécialistes internationaux, sont sans doute aussi un des
éléments indispensables pour la mise en place d'une politique de gestion des
risques, globale, efficace, au Gabon, dans les années à venir.

REFERENCES

BOUET G., 1984. - Agriculture et deforestation au Gabon. In : Le développement en question. Paris, ORS-
TOM, pp. 381-387.
FAUGERES L., 1990. - Les risques naturels. Bull. Ass. Géogr. Fr. n° 2, pp. 89-98.
Revue africaine contemporaine, 1990. - L'environnement en Afrique, n° 161, janvier-mars.
Ministère des Travaux Publics. - Protection de Lambaréné, protection de la berge. République gabonaise,
15 p.
Ministère des Travaux Publics. - Protection de Lambaréné, surélévation de la route. République gabonaise,
15 p.
RAMADE F., 1987. - Les catastrophes écologiques, Paris, Mac Graw-Hill, 317 p.
FAUGERES L., 1991. —Risques naturels et sociétés, Bul. Ass. Géogr. Fr. n° 3, pp. 179-194.
Ministère de l'environnement. Délégation aux Risques majeurs, 1989, Procédures et réglementations, Pro-
cerisq, 112 p.

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