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CULTES ET RITES

DAVID FABRE

dans Fr. Goddio, D. Fabre (éd.), Trésors engloutis d’Égypte, Catalogue de l’exposition
présentée au Grand Palais à Paris du 9 décembre 2006 au 16 mars 2007, Paris, 2006, p. 110-
127.

Source: D. Fabre, « Cultes et rites », dans Fr. Goddio, D. Fabre (éd.), Trésors engloutis d’Égypte, Catalogue de
l’exposition présentée au Grand Palais à Paris du 9 décembre 2006 au 16 mars 2007, Paris, 2006, p. 110-127.
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Dépôts et rites de fondation

Une plaquette en or portant, en pointillé, la dédicace en grec du roi Ptolémée III a été mise au
jour à Héracléion (SCA 876). Elle est la preuve manifeste de la fondation ou de la refondation
du sanctuaire de la cité par le pharaon lagide. Cette plaquette en or est à rapprocher d’un objet
similaire qui avait été découvert au centre de la péninsule d’Aboukir (« Canope-Ouest »),
portant la dédicace d’une enceinte sacrée (temenos) dédiée à Osiris au nom du même
Ptolémée III et de Bérénice II (British Museum, n° 1063). À ces témoignages exceptionnels, il
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faut joindre ceux du Serapeum d’Alexandrie , placés dans des niches aux angles de la
substructure. Là encore, il s’agit de plaquettes d’or, mais aussi d’argent, de verre et de faïence,
inscrites d’une dédicace. La diversité des matières est comparable à celle trouvée dans divers
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temples ptolémaïques, totalement « indigènes », de la chôra . Elles se singularisent par le fait
que la légende hiéroglyphique est accompagnée de son équivalent grec. Ce texte bilingue est
inscrit sur l’ensemble des plaques placées dans de petites cavités aux angles sud-est et sud-
ouest du grand mur d’enceinte. Il apparaît aussi sur les plaquettes de fondation d’un petit
er
bâtiment axial pour nous apprendre que Ptolémée III Évergète I « a fait le temenos (égyptien
per) et le naos (égyptien Hout-netjer) de Sérapis (égyptien Osiris-Apis) ». Une plaquette
découverte sous une chapelle latérale rapporte comment, « par ordre de Sérapis et d’Isis »,
er
Ptolémée IV Philopatôr I a dédié au dieu-fils Hapocrate le monument en question. Enfin, un
objet de ce type, également en or, retrouvé au centre de la ville moderne, consacrait une
er
fondation à Osiris-Apis, Sérapis, Isis, Ptolémée IV Philopatôr I et Arsinoé Philopatôr. Le
monument unissait lors du culte le couple divin et le couple royal. « La participation des prêtres
à la rédaction et à la mise en place des plaquettes selon une pratique égyptienne se serait-elle
réduite aux seules fondations de bâtiments sacrés ? Aurait-elle porté aussi sur la conception
des édifices, l’organisation du service divin et l’ameublement du temenos ? Faudrait-il envisager
qu’en recourant à des théologiens indigènes lorsqu’il embellit, sur l’acropole de sa capitale, le
sanctuaire d’un dieu patron de sa dynastie, le Pharaon gréco-macédonien ne fait que se prêter
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au folklore des natifs, sans implication plus profonde ?» Ces questions se posent pareillement
pour les sanctuaires de Canope et d’Héracléion. Ajoutons qu’un dépôt bien énigmatique,
découvert sous le sanctuaire de Khonsou, relance le débat (SCA 552, 555, 558, 559, 560, 562,
565, 583). Un ensemble d’amulettes et de figurines de très belle facture, dont un naos en bois
et une statuette de dieu-enfant, pourrait correspondre à un rite de consécration d’une enceinte
sacrée dédiée au fils d’Amon (assimilé à Héraclès), à l’instar de ces nombreux – et modestes –
dépôts de fondation des temples de la Vallée du Nil. La statuette de l’enfant divin, nu, debout,
est dotée d’un pilier dorsal. Il porte son index à la bouche ; la main gauche tient un objet
cylindrique, vraisemblablement le « testament des dieux » qui fait de lui le modèle de l’héritier
prédestiné. Le contexte semble indiquer que nous sommes en présence de Khonsou assimilé à
Harpocrate. La statuette peut être rapprochée de ces « dieux jeunes, dieux enfant » signalés à
Tanis, petits bronzes sans doute prophylactiques, qui servent de dépôt de fondation sous le

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mur nord du temple consacré au fils d’Amon.


Enfin, il n’est pas à exclure que certaines monnaies découvertes à l’intérieur ou à
proximité du « grand temenos » aient constitué des dépôts de fondation jouant en quelque sorte
le rôle des plaquettes rectangulaires gravées d’une titulature royale hiéroglyphique du pharaon.
Il pourrait en être ainsi des quatre monnaies retrouvées groupées sous un segment du « mur
central », frappées à l’image de Ptolémée II Philadelphe. Et les nombreuses monnaies de
Pumiyaton (362-312) auraient pu être envoyées de Chypre au sanctuaire égyptien d’Héraclès
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par le roi phénicien de Kition, connu pour son rôle de bienfaiteur dans la région (SCA 439).

Dans la barque sacrée d’Osiris, d’Héracléion à Canope


« […] la remontée de la barque sacrée d’Osiris jusqu’à ce sanctuaire se fait chaque
année à partir du sanctuaire de l’Héracléion, le 29 [du mois de Khoïak], tous les prêtres
des sanctuaires de premier ordre célébrant des sacrifices sur les autels qu’ils ont
élevés en faveur de chacun des sanctuaires de premier ordre sur les deux côtés de la
route […] » (traduit du grec).
« […] et qu’est introduit Osiris dans la barque-sekti vers ce temple [celui de Canope], à
la saison de l’année, depuis le temple d’Amon Gereb à l’entrée de la Hôné, en Khoïak,
le 29 […] » (traduit de l’égyptien hiéroglyphique).
« […] et quand advient l’entrée d’Osiris dans la barque-sekti vers ce temple,
annuellement, depuis le temple d’Amon Gereb, en Khoïak, le 29 […] » (traduit du
démotique).

Cet extrait du décret trilingue de Canope daté de mars 238 av. J.-C. traduit de manière explicite
l’union sacrée entre les temples de Canope et d’Héracléion. Il célèbre la fête pendant laquelle la
barque divine naviguait depuis un reposoir situé à Héracléion jusqu’au saint des saints de
l’Osireion de Canope. L’embarcation du dieu mort portait le nom du bateau mythique dans
lequel le soleil traversait la nuit. Prêtres, archiprêtres et prophètes (« serviteurs du dieu ») des
temples métropolitains participaient aux célébrations des mystères d’Osiris.
Chaque année, alors que les semailles commençaient à germer, des cérémonies
particulières étaient consacrées à la renaissance d’Osiris. Textes et figures des chapelles
osiriennes du toit du temple de Denderah décrivent les détails de la fête de la veillée et du réveil
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du dieu, « Celui dont la perfection existera éternellement ». Le traité est divisé en sept livres,
commençant par les mots « Connaître le mystère de… ». Le dernier permet de « Connaître le
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mystère que l’on ne voit pas, dont on n’entend pas parler et que le père transmet à son fils ».
Ces rites se déroulaient du douzième au dernier jour du quatrième mois de l’année, le mois de
Khoïak. Au cours de ces mystères d’Osiris, on fabriquait deux simulacres du dieu, l’un
essentiellement à base de matières végétales et de grains, l’autre composé principalement de
minéraux. Ces statuettes représentaient pendant une année le dieu revenu à la vie. Chaque
année elles étaient remplacées par de nouvelles figurines, tandis que les anciennes étaient

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solennellement enterrées dans un cimetière particulier.


Selon un savant dosage, de l’orge était mise à germer dans un moule tapissé d’un fin
tissu prenant la forme d’une momie à face humaine, les bras croisés sur sa poitrine, tenant la
crosse et le fouet, portant la perruque divine et l’uræus au front. Cet « Osiris végétant » était
déposé dans une cuve, entre deux couches de joncs. Jusqu’au 21 du mois de Khoïak, de l’eau
devait être régulièrement versée sur lui afin de faciliter la germination. Cette eau était
précieusement recueillie car elle représentait les humeurs morbides du dieu. Un couvercle en
bois recouvrait la cuve dont la protection était assurée par un cortège de divinités. Le 21, le dieu
était démoulé. Or, dans le saint des saints du grand temple d’Héracléion, derrière les deux naos
ptolémaïques d’Amon-Rê de Gereb et de Khonsou-Héraclès, a été retrouvé un grand récipient
de granite rose (SCA 459) dont il n’est pas à exclure qu’il ait joué le rôle de « cuve jardin » des
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mystères d’Osiris .
Le lendemain, trente-quatre barques en papyrus formaient une procession nautique
portant, à côté des divinités mineures, les statues d’Horus, de Thot, d’Anubis, d’Isis, de
Nephthys et des Enfants d’Horus. La flottille était illuminée de trois cent soixante-cinq lampes.
Les cérémonies qui entretenaient la vie d’Osiris et assuraient le renouveau de la
végétation attiraient de nombreux pèlerins. Le cortège divin était suivi de serviteurs chargés
d’offrandes et de porteurs d’enseignes. Les prêtres mimaient certains épisodes de la passion
d’Osiris, d’autres récitaient ou psalmodiaient les litanies funèbres. Le chacal Oupouaout guidait
et protégeait la sortie du dieu. Pour l’occasion, deux vierges, entièrement épilées, coiffées d’une
perruque et portant les tambourins, chantaient les Lamentations d’Isis et de Nephthys. Les
textes décrivent leur rôle : « Les Pleureuses se lamentent sur Celui dont le coeur est fatigué
[Osiris] avec un cri qui monte au ciel, avec une puissante lamentation qui descend au monde
infernal en disant : “Soyez dans la tristesse et le malheur, hommes ! Gémissez et lamentez-
vous femmes!” » Le premier rôle est tenu par la veuve, sœur et épouse du dieu : « Elle pousse
des cris de lamentations sur le grand dieu, elle coupe ses cheveux, elle se lamente dans la
terre entière ; elle crie de douleur à cause de la mort de son frère, elle est la pleureuse des
pleureuses qui se lamente pour lui avec affliction, ses paupières sont brûlées de larmes, ses
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yeux sont remplis de pleurs ». Les plaintes amoureuses d’Isis et les rites magiques appelaient
à la résurrection du dieu.
La marche liturgique observait celle du Soleil et de la Lune : la procession part de l’est
pour rejoindre l’ouest : « Le parcours férial fusionne avec le trajet cosmique : au matin divin, le
dieu parcourt sa ville dans l’allégresse : il a triomphé de la mort et se présente dans toute son
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intégrité, tout comme la lune a traversé l’invisibilité pour triompher dans sa plénitude . » C’est le
cas à Denderah comme entre Héracléion et Canope. Le navire du dieu empruntait
vraisemblablement le Grand Canal exploré par l’IEASM, prolongé droit vers l’ouest par le canal
qui mène au site de Canope. Cette voie fluviale entre Canope et Héracléion a livré un lot non
négligeable de plats à offrandes ou mortiers (SCA 265, 358, 362, 364, 373, 374), de barques
votives (SCA 405, 1017, 1039, 1072) et de lampes coupelles (SCA 980), témoignages

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supposés de ces processions sacrées. Toute une série de statuettes qui parsèment le site,
autant d’ex-voto qui témoignent de la ferveur populaire portée à Osiris, roi-dieu, mort et
ressuscité (SCA 411, 926, 952, 966, 982, 1004, 1013, 1031, 1079, 1081).
Ce chemin était jalonné d’une série d’objets appartenant selon toute apparence à des
lieux de culte individuels : des dépôts groupant des coupes de bronze, des offrandes
alimentaires (restes d’animaux), des passoires et des puisettes dont le long manche vertical se
recourbe en une spatule qui prend la forme d’une tête d’oiseau, de canard ou d’oie (SCA 387,
478, 579, 908, 909, 931, 936, 1014, 1029, 1032, 1034, 1042, 1043, 1062, 1063, 1064, 1071,
1095).
Le même type de louches, identiques aux modèles égyptiens, apparaît dans des scènes
e
de rites dionysiaques sur des vases à vin attiques (stamnos) datant du V siècle. Or les Grecs
avaient assimilé Osiris à Dionysos. Cet amalgame reposait notamment sur la ressemblance la
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plus remarquable qui se dessinait dans les légendes des deux dieux : leur destinée commune .
De la même manière qu’Osiris avait été démembré par Seth, Dionysos avait été assassiné et
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découpé en morceaux par les Titans . L’association des deux dieux, morts et ressuscités,
illustrait la renaissance dans le monde funéraire. Hérodote rapproche même les fêtes
populaires dionysiaques pratiquées en Égypte aux phallophories grecques qui consistaient à
porter en procession un sexe en érection : « la fête de Dionysos est célébrée par les Égyptiens
tout à fait, ou peu s’en faut, de la même façon que chez les Grecs, à cela près qu’il n’y a pas de
chœurs. Mais au lieu de phallus, ils ont imaginé autre chose : des statuettes articulées, d’une
coudée environ, que l’on fait se mouvoir avec des cordes, et dont le membre viril, lequel n’est
guère moins long que le reste du corps, s’agite ; les femmes promènent ces statuettes dans les
bourgs ; un joueur de flûte va devant ; elles, suivent en chantant Dionysos » (Hérodote,
Histoires, II, 48). C’était peut-être lors de fêtes de ce genre que les puisettes servaient à
transvaser le vin dans des « coupes de l’ivresse » destinées aux bacchants. On imagine alors
que lors de la procession d’Osiris retournant à son temple durant les mystères de Khoïak, les
fidèles de Dionysos accompagnaient leur sacrifice et leurs offrandes d’une libation de vin…
Certains rapprochements entre le culte dionysiaque et le culte osirien sont bien attestés dans
e 12
les milieux grecs d’Égypte dès le VI siècle . La référence à cette phallophorie pourrait trouver
son origine dans la procréation du fils d’Isis et d’Osiris. Momifié, le dieu mort est généralement
représenté le phallus en érection en train de s’accoupler avec son épouse sous forme d’oiseau.
De cette union naîtra Horus, continuateur de la lignée royale.
Cette mystique osirio-dionysiaque participa au programme religieux au service du pouvoir
lagide. Accompagné de satires, de ménades, d’acteurs et de musiciens, il occupe la première
place dans la procession de Ptolémée Philadelphe. La présentation d’une statue monumentale
du dieu à son retour d’Inde évoquait tant le triomphe du dieu que celui d’Alexandre. Le dernier
char du cortège transportait d’ailleurs les statues d’Alexandre et de Ptolémée Ier divinisés. Ainsi
le culte d’Osiris sert-il l’implantation de la dynastie en Égypte, ce qui entraîne la multiplication
des correspondances entre les cultes grec et égyptien. Ptolémée II Philadelphe accentue ainsi

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le culte phallique, présent dans la légende osiriaque, en incorporant au cortège un exubérant


phallus coloré et enrubanné, d’une longueur approximative de 70 m. Par ailleurs, les libations
de vin, pour honorer le dieu, se rapprochent des cultes orgiaques de Dionysos. Le dernier
couple royal continue la tradition : Marc Antoine se veut « le nouveau Dionysos », son épouse
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Cléopâtre l’incarnation d’Isis .

Témoignages des cultes et croyances de Canope à Alexandrie


« Seul des hommes qui vécurent jusqu’ici et de ceux qui maintenant encore impriment
à la surface de la poussière qu’ils foulent les traces chaudes de leurs pas, Ptolémée a
élevé à sa mère bien aimée et à son père des temples que l’encens parfume ; dans ces
temples, il leur a dressé de splendides statues en or et en ivoire, secourables à tous
ceux qui vivent sur la terre ; et, quand la révolution des mois en ramène l’époque, il
brûle sur leurs autels rougis de sang les cuisses de beaucoup de bœufs engraissés, lui
et sa noble épouse, la meilleure des femmes qui, dans la chambre conjugale, enlacent
de leurs bras un jeune époux ; elle chérit du fond de son cœur celui qui est son frère et
son mari. » (Théocrite, Éloge de Ptolémée, XVII, 120-130 14)

« Si tu veux jouir d’une jeunesse intacte, fonde une cité pleine de gloire. » Telles sont les
paroles de l’oracle qui poussèrent Alexandre à fonder, sur les rivages de l’Égypte, une ville.
Mais une ville grecque. À la cour, comme dans l’administration, on y parle et écrit grec. Son
musée et sa bibliothèque font d’Alexandrie, au bord de l’Égypte (ad Aegyptum), un haut lieu de
la science et de la culture grecque. L’urbanisme, l’art et le genre de vie alexandrins sont
hellénistiques : « Des temples sont bâtis à Zeus, à Poséidon et autres Olympiens,
l’iconographie gréco-romaine nous en montre les façades toutes grecques ; des confréries
dionysiaques prospèrent… Certes, Alexandrie a très tôt adopté comme patron, sous le nom de
Sérapis (ou Sarapis), et installé sur son acropole le dieu memphite Osiris-Apis que les Grecs et
Cariens installés en Égypte au temps des pharaons saïtes vénéraient déjà et elle vénère en
plusieurs sanctuaires la déesse Isis, magicienne qui ressuscite les morts et protège les gens,
populaire dans toute la contrée et que les mêmes résidents avaient adoptée. Cependant, ces
divinités indigènes furent revêtues par les artistes alexandrins de drapés à la grecque. Les
effigies de Sérapis ressemblèrent à celles de Zeus,Hadès et Asclépios et il s’élabora en formes
et en langue grecques une religion spécifique d’Isis qui jouissait d’une primauté théologique
qu’elle n’avait pas chez les Égyptiens et qui, devenue initiatique, essaima autour de la
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Méditerranée hellénistique puis jusque dans l’Occident romain ».
Les fouilles sous-marines dans le port oriental ont révélé de remarquables restes de
statuaires qui permettent d’ébaucher l’univers religieux de l’antique Alexandrie. Le torse du dieu
Hermès est un magnifique échantillon du talent des sculpteurs de l’époque hellénistique (SCA
532). Conservée presque entière, l’image d’un prêtre serrant le vase contenant la relique
d’Osiris paraît exprimer un sentiment de piété presque tendre pour le dieu sauveur qui

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ressuscite les initiés isiaques (SCA 449). Dans la vaste zone des basileia du front de mer, un
colosse royal de Césarion (SCA 88) et deux sphinx classiques (SCA 450, 451) sont des œuvres
de style pharaonique taillées dans le granite à l’époque gréco-romaine. Elles affichaient devant
la façade d’édifices auliques ou religieux la puissance divine du souverain. À l’institution du
culte des souverains s’ajoutent des adaptations à la fois originales et diverses de la rencontre
des dieux grecs et des dieux égyptiens.
Dans la même zone trône la tête gigantesque d’un monumental sphinx à visage de
rapace, une image incarnant, selon toute vraisemblance, un dieu protecteur universel qui fut
spécialement évoqué par les théologiens et invoqué par les magiciens de l’Égypte romaine
(SCA 541).
Plus loin, deux statues animales, un serpent hellénistique de granite (SCA 543) et un ibis
typiquement égyptien de calcaire (SCA 87), qu’on peut supposer peu éloignés de leur
emplacement initial, représentent deux dieux qui furent spécialement vénérés chez les
Alexandrins, le Bon Génie – Agathodaïmon – dont dépendaient les destinées de la Cité pour le
premier, le maître des savoirs et de la sagesse que fut Thot, alias Hermès Trismégiste, pour le
second. D’après le Pseudo-Callisthène, le culte d’Agathodaïmon remonterait à la fondation de
la ville par Alexandre le Grand (Pseudo-Callisthène, Le Roman d’Alexandre, I, 32). Lors de
l’édification d’un sanctuaire, de petits serpents seraient apparus puis se seraient répandus dans
toute la cité où les Alexandrins les auraient protégés et honorés. Néanmoins, « il est difficile de
se fonder sur cette légende pour prouver l’ancienneté du culte de l’Agathodaïmon, car il n’existe
e
que très peu de témoignages avant le II siècle av. J.-C. En revanche, à l’époque romaine, il est
très bien attesté sur des stèles, des monnaies, dans les décors de tombes comme à Kôm el-
Chougafâ ou encore pour nommer la branche canopique du Nil. Son origine paraît en fait liée
au serpent égyptien Shaï, dieu protecteur très populaire, dans lequel les Grecs auraient
reconnu le rôle agraire et domestique de Zeus Ktésios. La parèdre de Shaï, Renenoutet, ayant
été assimilée à Isis Thermoutis, Isis sous forme d’uræus, accompagne fréquemment
Agathodaïmon sur les reliefs. Cette association a également contribué à un rapprochement
16
entre le Bon Génie et Sérapis ». D’où, peut-être, la présence à Canope de cette stèle figurant
Isis-Thermouthis (SCA 207). Thot a pu aussi bénéficier de ce travail de réinterprétation, qui
sans lui faire perdre son identité égyptienne a développé autour de lui des idées plus
spécifiquement grecques : dieu de la sagesse, inventeur de l’écriture et patron des scribes, il
devient l’Hermès Trismégiste de la littérature grecque tardive. À noter que l’épithète grecque
trismegistos, le « trois fois grand », correspond à une épithète égyptienne employée pour Thot.
Les textes du Corpus hermeticum ont certainement eu des précédents dans des
« enseignements » égyptiens attribués à Thot ; « mais ces textes de caractère spéculatif,
fortement empreints de gnose, et qui font une large place à la magie syncrétique, s’écartent
17
assez sensiblement des doctrines et des pratiques de la religion traditionnelle ».
Quoi qu’il en soit, d’après Jean Yoyotte, ces trouvailles doivent évidemment être
rapprochées d’autres effigies divines qui avaient été relevées autrefois dans les portions

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contiguës de la même zone, aujourd’hui remblayée sous la Corniche, une petite statue
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d’Harpocrate et des statues d’Isis et de Sekhmet à tête de lion . On ne saurait, bien sûr,
s’autoriser de ces trouvailles pour localiser dans le quartier autant de temples qu’il y a de dieux
en question. Le patron de chaque temple majeur, qu’il fût de tradition égyptienne ou de tradition
grecque, accueillait les images et le culte d’autres couples de divinités. Un culte secondaire
pouvait même être institué de ces dieux « résidents » ou synnaoi, et certains étaient offerts à la
dévotion du peuple profane. On imaginera volontiers que le sphinx-faucon aux oreilles
bienveillantes, le Bon Génie de la ville et le Maître Thot-Hermès avaient été installés dans les
parties ouvertes des grands édifices ou dans des chapelles annexes. Les trois sculptures
précédemment citées trouvées dans les ruines d’un même point d’Antirhodos se prêtent à une
hypothèse forte. Les deux sphinx et le prêtre de granite qui représente Osiris sous forme de
vase-canope auraient pris place dans une chapelle, comparable, par exemple, au petit
Serapeum érigé sous Hadrien en avant de la façade du temple de Louqsor. Pour se rendre
compte de cette profusion d’oeuvres sacrées, on reliera volontiers la description du Sébasteion
(temple d’Auguste) par Philon d’Alexandrie :
« Temples, propylées, vestibules, portiques, aussi bien que tout ce que tant de villes
nouvelles ou antiques portent de splendides constructions élevées en l’honneur de
César, surtout dans notre ville d’Alexandrie. Car aucun sanctuaire n’est comparable à
celui qu’on appelle “Sébasteion”, temple de “César de l’arrivée à bon port” qui, face à
des ports aux excellents mouillages, se dresse sur la hauteur immense et bien en vue,
rempli, comme aucun autre ailleurs, d’ornements votifs, garni tout autour de peintures,
de statues, d’objets d’argent et d’or, vaste sanctuaire, pourvu de portiques, de
bibliothèques, de salles de réunion, de bosquets, de portes monumentales, de places
spacieuses, d’esplanades, de tout ce qui contribue à la plus somptueuse ordonnance,
espérance de salut pour ceux qui prennent le large et pour ceux qui entrent au port. »
19
(Legatio ad Caium, § 150-151)
De nouveaux modes de représentation des dieux égyptiens prennent donc naissance,
probablement en milieu alexandrin. Un des exemples les plus représentatifs est certainement
celui du Nil. Les Égyptiens voyaient en Hâpy la personnification divine de la crue de l’inondation
(et non le Nil), campé comme une figure androgyne, obèse, présent dans les processions
économiques aux côtés des personnifications des campagnes (voir le colosse Hâpy découvert
à Héracléion, SCA 281). En revanche, « le Nil est représenté dans l’art alexandrin sur le modèle
des dieux fleuves grecs et romains, c’est-à-dire comme un vieillard barbu, portant une corne
d’abondance, symbole grec de la fertilité. Il est généralement étendu sur une couche de
roseaux ; autour de lui jouent des petits enfants dont le nombre (16) correspond au nombre de
coudées considéré comme idéal pour la hauteur de la crue. Ce type est très répandu dans la
statuaire, et on le retrouve sur les monnaies impériales d’Alexandrie, où le dieu Nil incarne la
prospérité du pays, garantie par le retour de la crue, et par le sage gouvernement des
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empereurs » (SCA 842).

Source: D. Fabre, « Cultes et rites », dans Fr. Goddio, D. Fabre (éd.), Trésors engloutis d’Égypte, Catalogue de
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L’iconographie et les prérogatives du dieu-Nil ne sont pas sans rappeler celles de


Sérapis. Il n’y a donc rien de surprenant à découvrir leurs bustes dans un même secteur, celui
du sanctuaire de Canope dont le bénéficiaire connaît un destin exceptionnel (SCA 169, 165).
er
Sous le règne de Ptolémée I Sôter (305-283 av. J.-C.), le prêtre Manéthon fut chargé du
transfert de l’antique culte d’Osiris-Apis de Memphis à Alexandrie. Dans la cité nouvellement
créée, il prend le nom grec de Sérapis qui réunit les caractères des dieux égyptiens (Osiris-
Apis) et des dieux grecs (Zeus, Hadès et Dionysos). Sous les traits hellénistiques, barbu et
trônant, il est le dieu des morts, dieu guérisseur, dieu de la fertilité et protecteur des marins.
Dans son temple – le Serapeum –, construit dans le quartier égyptien de Rakhotis, le culte qui
lui était rendu était somptueux, à en croire Achille Tatius :
« C’était alors, par un heureux hasard, la fête mensuelle du grand dieu que les Grecs
appellent Zeus et les Égyptiens Sérapis, et il y avait une procession aux flambeaux. Je
n’avais rien vu d’aussi grandiose ; c’était le soir et le soleil était couché, mais il ne
faisait pas nuit – un autre soleil s’était levé, mais morcelé ; je vis, ce jour-là, que la ville
rivalisait en beauté avec le ciel […]. » (Achille Tatius, Leucippé et Clitophon, V, 1-2)

Les fouilles de Canope ont révélé le deuxième sanctuaire le plus important consacré à la
divinité. C’était là que l’on venait, parfois de fort loin, attendre des miracles de Sérapis, doué
21
d’un pouvoir guérisseur à l’instar d’Asclépios :
« Son temple est l’objet d’une grande dévotion et produit des guérisons telles que
même les hommes du plus grand mérite y ajoutent foi et viennent dormir là pour leur
propre guérison, ou bien envoient d’autres y dormir à leur place. » (Strabon,
Géographie, XVII, 1, 17)

La consultation oraculaire attirait les foules ; on pratiquait l’incubation, comme dans les grands
sanctuaires asclépiens du monde grec, Épidaure, Cos et Pergame. Au cours de la nuit passée
dans un espace proche du sanctuaire, un songe livrait la recette ou la thérapie appropriée à la
guérison. Les miracles de Sérapis étaient alors enregistrés dans les archives du temple. À
l’époque romaine, Sérapis sera honoré dans toute l’Égypte et au-delà. Vers 215, Sérapis devint
dieu d’Empire. À Rome, un temple fut bâti en son honneur ; un des plus grands à avoir été
22
construit dans la ville. Et dans la Villa Hadriana le Serapeum est associé au « Canope ». Dans
un vallon de sa villa de Tibur, l’empereur fit construire un ensemble architectural constitué de
bassins, de fontaines, d’exèdres, etc., qui évoque le canal qui reliait Alexandrie à la ville de
Canope, où se trouvait le temple de Sérapis. Ce même canal était célèbre pour ses fêtes et ses
banquets (qui dégénéraient bien souvent en orgies collectives), illustrés par la mosaïque de
Palestrina et décrits par Strabon :
« Canope est une ville située à une distance de cent vingt-cinq stades d’Alexandrie si
l’on prend la route de terre […]. Elle possède le temple de Sérapis […]. Mais avant tout
il y a la foule de ceux qui se rendent aux fêtes publiques et descendent d’Alexandrie

Source: D. Fabre, « Cultes et rites », dans Fr. Goddio, D. Fabre (éd.), Trésors engloutis d’Égypte, Catalogue de
l’exposition présentée au Grand Palais à Paris du 9 décembre 2006 au 16 mars 2007, Paris, 2006, p. 110-127.
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par le canal ; jour et nuit celui-ci est couvert d’embarcations où hommes et femmes
jouent de la flûte et dansent sans retenue, de la manière la plus lascive, avec la
population même de Canope, qui possède des pied-à-terre au bord du canal, bien
situés pour ce genre de licence et de festivités. » (Strabon, Géographie, XVII, 1, 17)

Associée à Sérapis, la déesse Isis connaissait un culte florissant comme en témoignent les
temples qui lui étaient consacrés. Ainsi, dans l’île de Pharos, se trouvait un temple d’Isis-Pharia.
Vers l’intérieur de la ville, un autre sanctuaire était érigé à Isis-Plousia et, sur les hauteurs en
face de Nicopolis, un édifice d’importance considérable était consacré à Isis-Déméter. Enfin, les
ruines de l’île d’Antirhodos ont révélé qu’un lieu de culte lui était dédié. Tout en conservant son
identité égyptienne, Isis connaissait également de multiples métamorphoses. La diversité de
ses apparences favorisait son assimilation à d’autres divinités : Déméter, Tyché, Aphrodite, etc.
Elle était encore et toujours la mère aimante de son fils qu’elle allaite. La transformation la plus
notable qui affecte l’image d’Isis est certainement le traitement du corps de la déesse plus
« réaliste » que dans les représentations traditionnelles des temples. La statuaire, les stèles, les
figurines en bronze ou en terre cuite donnent à voir « une recherche de la variété et du naturel
des attitudes ; coiffures et vêtements sont d’un type nouveau : chevelure en boucles étagées au
23
lieu de la perruque égyptienne, tunique et manteau drapés à la grecque ». Très exactement
e
comme la statue d’Isis de Canope découverte au début du XX siècle qui a tout récemment
retrouvé son enfant divin (Musée maritime d’Alexandrie Inv 56 et SCA 171). À ce sujet, Horus
l’enfant, Harpocrate, rejoint officiellement le couple divin Isis-Sérapis sous Ptolémée IV
Philopator qui lui dédie un sanctuaire au Serapeum d’Alexandrie.
L’Isis « alexandrine», qui conserve tous les aspects et les pouvoirs qu’elle avait en milieu
égyptien, devient de plus en plus universelle ; « Isis est la déesse secourable toute-puissante
dont les dix mille noms manifestent l’étendue de ses compétences. En tant que mère
nourricière de l’enfant Horus, elle est la mère des dieux et la protectrice de l’humanité
souffrante. Si de grands temples lui sont effectivement consacrés, dont celui de Philae à
l’extrême Sud, ou celui de Behbeit el-Hagar à l’extrême Nord, le plus grand s’édifie peu à peu
dans le cœur de tous les habitants de l’Égypte, avant de gagner celui des sujets de Rome, et
c’est sous un autre nom mais avec la même mission consolatrice qu’elle put échapper au
24
naufrage du paganisme antique ». L’universalité de la déesse est proclamée dans un des
er
hymnes (en grec) de son temple de Narmouthis (1 hymne de Médinêt Maadi, Narnouthis, v.
14-24.) :
« Tous les mortels qui vivent sur la terre infinie,
Thraces et Grecs, et barbares aussi,
Prononcent ton beau nom que tous honorent,
Chacun dans sa langue, chacun dans son pays.
Les Syriens te nomment Astarté,Artémis, Nanaia,
Et les peuples de Lycie Léto, souveraine,

Source: D. Fabre, « Cultes et rites », dans Fr. Goddio, D. Fabre (éd.), Trésors engloutis d’Égypte, Catalogue de
l’exposition présentée au Grand Palais à Paris du 9 décembre 2006 au 16 mars 2007, Paris, 2006, p. 110-127.
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Les hommes de Thrace te nomment Mère des Dieux,


Les Grecs Héra au trône élevé, ou bien Aphrodite,
Hestia la bienveillante, Rhéa,Déméter,
Mais les Égyptiens t’appellent Thioui parce que tu es, toi seule,
Toutes les déesses que les peuples nomment par d’autres noms. »

En formes et en langue grecques s’élabora donc une religion spécifique d’Isis qui jouissait
d’une primauté théologique qu’elle n’avait pas chez les Égyptiens et qui, devenue initiatique,
essaima autour de la Méditerranée hellénistique puis jusque dans l’Occident romain. J. Yoyotte
résume parfaitement les fondements de la religion isiaque : « Dès la fin du IVe siècle et plus
e
sûrement encore au cours du III siècle avant notre ère, des communautés de particuliers et
même des cités de l’Hellade avaient voué des cultes à Isis qu’Alexandrie elle-même adopta
pour patronne de sa dynastie et de ses navigateurs et à Sérapis, un dieu poliade de la Cité. Il
se développa en milieu grec une sorte de religion qu’on peut communément qualifier d’“isiaque”
qui partait des données de la mythologie osirienne et des rituels propres des Égyptiens. Une
piété égyptisante remania certaines croyances et pratiques de ceux-ci au point de transformer
ce qui était au départ une magie pour assurer aux gens une divine survie éternelle en une
e
doctrine globale de salut, réservée aux personnes initiées aux mystères égyptiens. Dès le III
siècle av. J.-C., dans les Isea de Grèce où des Égyptiens d’origine participent au culte, des
pharaonica importés, souvent modestes, peuvent figurer dans le mobilier. Cependant, pour
l’essentiel, cette religion se pense et s’exprime en langue grecque. Elle érige ses petits
sanctuaires et statufie ses divinités, ses prêtres et ses dévots selon l’esthétique grecque. Tout
porte à croire, évidemment, que c’est dans l’Alexandrie des Lagides que se créa au départ
25
l’iconographie grecque d’Isis comme celle de Sérapis . »
Mais il ressort des oeuvres – colosses et sphinx – exposées dans la cité que les
Ptolémées accordèrent une large place aux divinités populaires indigènes. Ils les ont
accueillies, sous leurs noms et formes propres, dans des temples de création gréco-
macédonienne à leur propre divinité fréquentés par leurs congénères. En définitive, Alexandrie
brille par la vitalité de ses cultes et les nouvelles formes d’expression religieuse. Et lorsque le
poète Hédyle de Samos décrit le rhyton que l’ingénieur Ctésibios offre à Arsinoé-Aphrodite en
son temple de Canope, c’est le dieu Bès qui invoque les eaux divines du Nil et ouvre la fête et
les beuveries sacrées. C’est également le dieu nain et monstrueux, danseur et musicien, qui
jouait, dans les villes de la chôra, le rôle de maître de cérémonie des fêtes de l’ivresse en
26
l’honneur d’Hathor, en qui les Grecs reconnaissaient Aphrodite .

Instruments de culte et mobilier des temples


Les rituels journaliers, la célébration des fêtes annuelles, cantiques et offrandes ainsi que la
somptuosité des processions réclamaient un nombre important d’instruments de culte. Le
devoir primordial du prêtre égyptien était en effet de perpétuer l’intégralité des hypostases

Source: D. Fabre, « Cultes et rites », dans Fr. Goddio, D. Fabre (éd.), Trésors engloutis d’Égypte, Catalogue de
l’exposition présentée au Grand Palais à Paris du 9 décembre 2006 au 16 mars 2007, Paris, 2006, p. 110-127.
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divines par la bonne exécution des rites prescrits depuis l’origine, seule manière de préserver
l’équilibre du monde sans cesse menacé par les forces du chaos. Les textes et les
représentations qui recouvraient la quasi-totalité des parois des temples consignaient
soigneusement la savante théologie de la divinité du lieu ainsi que le détail des rituels qui
devaient y être pratiqués. Les instruments de culte découverts en rade d’Aboukir révèlent ce
nécessaire accomplissement des tâches liturgiques rappelées aux serviteurs des dieux sur la
27
fameuse pierre de Rosette (datée de l’an 9 de Ptolémée V Épiphane) :
« Les prêtres serviront les statues de chaque temple trois fois par jour, ils déposeront le
nécessaire devant elles et ils feront également pour elles tout ce qui est de règle de
faire pour les dieux lors des jours de fête et de procession. »

Il reste néanmoins difficile de savoir si ces objets étaient les instruments nécessaires au bon
déroulement du rite ou s’ils en constituaient la finalité, sous forme d’offrandes ou d’ex-voto. En
outre, « certains rites pouvaient s’adresser indifféremment à la plupart des divinités du
panthéon, tandis que d’autres, les rites spécifiques, étaient intrinsèquement liés à tel ou tel
dieu, soit que l’objet lui appartienne exclusivement, soit qu’un symbolisme étroit unisse
28
l’offrande à la divinité ». Si l’on considère les scènes des temples, sans prétendre établir une
liste exhaustive, on peut répartir ces offrandes, pour la majorité d’entre elles, en grandes
catégories. Les libations alimentaires étaient fort nombreuses, incluant l’« offrande » générale,
les viandes, les végétaux, les pains, les liquides, eau, lait, bière, vin… qui se révèlent à nous
par les tables et les plats à offrandes (SCA 265, 267, 364, 367, 374, 1163). Les produits de
parfumerie se présentent sous la forme d’huile, d’encens, d’oliban proposés rituellement aux
divinités à l’aide d’encensoirs, de braseros, de brûle-parfum… (SCA 1010, 1024-1028, 1058,
1073, 1054-1061). On y ajoutera les fleurs, les parures et bijoux, les étoffes et les miroirs (SCA
934, 941, 984, 985, 1016, 1048, 1056). D’autres types de rites, par l’objet même qui est offert,
apparaissent d’emblée comme symboliques : les yeux-oudjat (SCA 1123), les sistres (SCA 581,
906, 977), les situles (SCA 223, 1025, 1060) et, plus que tout, Maât (SCA 1003).
Il faut s’imaginer les temples dotés de puits d’où l’on tire l’eau des lustrations, une
« piscine » destinée aux purifications des officiants, des cryptes où ranger les idoles et figurines
29
divines , porte-enseignes de dieux (SCA 1037), ainsi que les ustensiles les plus divers : pinces
(SCA 943), cuillères (SCA 580, 915, 1044, 1057, 1078), cloches (SCA 385, 388) et récipients
en pierre, en or, en argent et en bronze (SCA 216, 223, 296, 392, 433, 476, 390, 391, 916, 928,
940, 961, 964, 1023, 1045, 951, 406, 566, 586, 897, 899, 900, 904, 986, 987, 991, 992, 911,
1011, 222, 407, 896, 993, 1010, 1086).Tous ces objets étaient d’usage courant dans
la vie et dans les rituels des sanctuaires égyptiens.

L’individu face aux dieux


Au sein des sanctuaires qui abritent l’effigie du dieu, les cultes aux divinités sont hautement
institutionnalisés. La satisfaction des dieux par l’entremise de rituels codifiés et ancestraux est

Source: D. Fabre, « Cultes et rites », dans Fr. Goddio, D. Fabre (éd.), Trésors engloutis d’Égypte, Catalogue de
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nécessaire pour maintenir l’équilibre précaire du cosmos et de la terre. Ce culte divin journalier
est l’apanage du pharaon qui délègue ses fonctions et ses pouvoirs à un clergé de spécialistes.
De fait, « le peuple égyptien, exclu des temples, n’entre pas en jeu dans ce système, si ce n’est
au degré minimal d’une adhésion implicite à l’ordre cosmique : le consensus tacite de
l’ensemble de la société qui fait que le temple est reconnu par tous pour ce qu’il est, c’est-à-dire
un rouage nécessaire au fonctionnement du monde. En fait, il existe une participation, mais
indirecte et incomplète, des simples particuliers à la vie des temples. Cependant, cela ne
pourrait suffire à nourrir les aspirations de tout individu à une vie religieuse, à un rapport avec la
30
divinité ou ses manifestations sensibles ».

Les statues drapées de Canope et Héracléion


Si le fonctionnement du temple exclut la présence de toute personne non habilitée à effectuer
les gestes rituels, le peuple pouvait pénétrer jusque dans les cours et les avant-cours. Certains
notables étaient autorisés à y faire déposer leur statue, participant ainsi, indirectement et à
distance, à la vie de l’édifice sacré, usage qui se multiplia à partir du Nouvel Empire. Les
exemples les plus fameux de ces formes de truchement sont à rechercher dans le temple de
er
Basa, contemporain de Psammétique I , et chez le chef médecin Horkheb, contemporain
d’Amasis. Les représentations de personnages drapés découvertes à Héracléion et Canope en
sont certainement les héritières (SCA 460, 607, 452, 455, 1160). Ces sculptures, malgré leur
état lacunaire, suivent les critères de la statuaire traditionnelle : les personnages ont la jambe
gauche en avant et sont appuyés contre un pilier dorsal. La nouveauté réside dans le costume
tripartite, composé d’une chemise, d’une jupe et d’un châle drapé à franges. Il n’est très
probablement pas d’origine strictement égyptienne, mais il est propre à l’Égypte de la Basse
Époque et ptolémaïque. L’apparition de ce nouveau vêtement a du même coup nécessité une
posture et un traitement stylistique originaux : si le bras droit tombe le long du corps comme aux
époques précédentes, le bras gauche retient, dans une position inconnue jusqu’alors, le bord
31
du châle au niveau de l’aine .
Ces pièces remarquables furent produites par les ateliers égyptiens de l’époque
ptolémaïque avec leurs sculpteurs qui demeuraient fidèles aux normes égyptiennes. Pour
autant, ils pouvaient adopter tel ou tel détail, en le réinterprétant parfois, de la civilisation
grecque qui côtoyait la culture indigène. Ces images s’inscrivent parfaitement dans les courants
antérieurs de la tradition purement égyptienne tout en renouvelant, sous l’influence d’un autre
art présent dans le pays, la représentation des individus. Les têtes des statues de Canope et
d’Héracléion ont disparu. Il y a fort à parier qu’elles constituaient des portraits très réalistes, à
l’image de la magnifique tête verte exposée aujourd’hui à Berlin. Cette mise en exergue des
détails transcrivait en ronde-bosse un état et une condition qui diffèrent radicalement avec
l’idéalisation des souverains. L’apparence physique traduit la position sociale de ces personnes
influentes qui perpétuaient ainsi les traditions égyptiennes.
Si la valeur artistique de ces pièces est bien réelle, elle n’en constitue pas la finalité

Source: D. Fabre, « Cultes et rites », dans Fr. Goddio, D. Fabre (éd.), Trésors engloutis d’Égypte, Catalogue de
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première qu’il faut rechercher dans la dimension honorifique et religieuse, essentielle à la survie
post mortem de leur propriétaire. En effet, l’ostension par l’entremise d’une statue, parfois
complétée d’un texte autobiographique, est plus que jamais, semble-t-il, le moyen de laisser
une trace sur terre après la mort et de conserver vivant son nom.
L’étude détaillée des statues et des autobiographies de leurs propriétaires par Christiane
Zivie-Coche éclaire d’une façon décisive le monde social et religieux de ces personnages hauts
en couleur auxquels appartenait à n’en pas douter le « bienfaiteur » d’Héracléion : « Les
propriétaires de statues sont des membres de l’élite, jouant un rôle officiel dans leur ville. Leurs
effigies sont signes du décorum auquel ils ont accès et marques de leur richesse. À l’époque
qui nous occupe et depuis longtemps déjà, ces pièces étaient destinées à être déposées dans
les cours des temples, ce qui peut expliquer l’appel aux prêtres spécialistes qui fréquentaient
32
les lieux. » Les textes, lorsqu’ils sont présents, témoignent que « le propriétaire de la pièce a
vécu conformément aux principes éthiques en vigueur […]. La richesse de ces personnages
leur permet de prendre soin de ceux qui n’ont rien. La justice est exercée de manière équitable
selon les principes de Maât. Enfin, l’individu fait appel directement au dieu qu’il vénère, en
l’invoquant comme son maître. C’est celui-ci qui en dernier ressort est le seul juge susceptible
de récompenser son serviteur par un surcroît de durée de vie, s’il est satisfait. L’effigie, statue
et texte, devient un monument de commémoration destiné à conserver la trace d’un homme et
33
de sa vie et à lui assurer sa survie par-delà la mort ».
De telles œuvres étaient donc érigées dans les cours des temples et certaines, même,
dans des chapelles installées sur leurs parvis afin de les associer aux rituels. Panemerit,
gouverneur de Tanis à l’époque de Ptolémée XII Aulète, put de la sorte faire construire sa
chapelle sur le parvis du temple d’Amon. Le phénomène est exceptionnel : « Le culte qui lui
était rendu dépassait le cadre des simples rites funéraires pour se situer sur le même plan que
celui des dieux. Le “loué” devenait en quelque sorte un “saint”qui pouvait servir d’intercesseur
34
entre les humains et les “grands dieux”. »
Le coût requis pour posséder et installer de telles effigies dut être important. L’activité de
ces grands dignitaires aux moyens financiers considérables était vraisemblablement celle
d’administrateurs et de constructeurs. Une forme de piété personnelle s’exprimait aussi par ces
actes d’évergétisme. À Alexandrie, Jean Yoyotte rappelle que près de dix fragments au moins
de statues de particuliers sculptées à cette époque ont été recueillis, par exemple la fameuse
statue de Hor (Kôm el-Demas, CGC 697), les deux statues du prêtre memphite Pscherenptah
(Serapeum, Musée gréco-romain, 17533-34) et la dame Ptolémaia (British Museum, 985). Des
personnages importants se faisaient représenter dans les temples alexandrins. Les inscriptions
hiéroglyphiques qui paraient leurs effigies divulguent que ces notables pouvaient être soit des
visiteurs de passage dans la capitale, soit des personnages occupant une charge à Alexandrie.
e
Dès le III siècle av. J.-C., des prêtres égyptiens, issus parfois d’un père grec et d’une mère
égyptienne, étaient en étroite relation avec la cour : « Les indices ne manquent pas de la
présence, tout au long des époques grecque puis romaine, de prêtres et de hiérogrammates

Source: D. Fabre, « Cultes et rites », dans Fr. Goddio, D. Fabre (éd.), Trésors engloutis d’Égypte, Catalogue de
l’exposition présentée au Grand Palais à Paris du 9 décembre 2006 au 16 mars 2007, Paris, 2006, p. 110-127.
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e
bilingues exerçant dans la capitale. À partir du II siècle av. J.-C., des lettrés, titulaires de
prêtrises provinciales et intéressés par la science sacrée de leur ethnie, remplissent de hautes
fonctions ministérielles, jusqu’à celle de ministre des finances (diocète), dans l’administration
centrale. Toutes ces personnes dédiaient ou se voyaient dédier des statues auprès des dieux
d’Alexandrie, comme il en était auprès des dieux des nomes – des statues de personnes de
culture grecque, sculptées à la grecque et dédicacées en grec, étant par ailleurs installées dans
35
les temples de la chôra. »

Des cérémonies processionnelles à l’image en réduction du panthéon égyptien


Les sanctuaires abritaient une image du dieu, presque toujours cachée dans le naos. Seul son
prophète était habilité à y pénétrer. Rendu au nom du roi dans tous les temples d’Égypte, le
culte divin se pratiquait dans la pénombre du saint des saints, à l’exclusion de tout public. Afin
de contempler les images en bas-relief de la divinité et de participer un tant soit peu au
caractère sacré des temples, seules les entrées ou exceptionnellement les premières cours
étaient accessibles au peuple. Pour satisfaire ce désir de « voir le dieu », de grandes liturgies
étaient organisées pour présenter une fois l’an la divinité à la vue de tous. Lors de ces
manifestations publiques, tout le monde participait, membres de la cour et du clergé, hauts
dignitaires et petit peuple. Les reliefs des temples, les légendes inscrites ou le témoignage des
auteurs classiques permettent de nous faire une idée assez juste de ces célébrations
religieuses telles que la Belle Fête d’Opet de Karnak à Louqsor, la Belle Fête de la Vallée du
désert de Thèbes-Est à Thèbes-Ouest, la fête de la Bonne Rencontre de Denderah à Edfou.
Les cérémonies du mois de Khoïak entre Canope et Héracléion en sont aussi l’illustration
parfaite.
Une part importante de la population se rendait en pèlerinage dans les temples ; ceux qui
savaient écrire inscrivaient leur nom, parfois une formule d’adoration ou d’action de grâces, sur
les murs de l’édifice. Les pratiques pieuses pouvaient aussi s’exercer en privé. Chacun se
parait des amulettes représentant leurs dieux favoris. Elles prenaient alors la forme de la chatte
Bastet, du babouin Thot, du taureau Apis ou du scarabée. D’autres symbolisaient des objets
36
sacrés à « forte charge symbolique et protectrice » comme l’oeil oudjat – oeil fardé du dieu
faucon mis en pièces par Seth et reconstitué par Thot, symbole de la voyance totale, la
plénitude physique et la fécondité universelle –, la tige de papyrus ouadj – symbole de
croissance et de reverdissement – ou le pilier djed – symbole de la stabilité retrouvée d’Osiris.
Les emblèmes royaux, tels que le faucon d’Horus coiffé de la double couronne ou l’uræus,
conféraient la force suprahumaine de Pharaon. Portées par tout le monde, ces figurines étaient
généralement fabriquées dans un matériau “bon marché” comme la “faïence” (fritte émaillée).
Cependant, les personnes fortunées pouvaient les acquérir en métal. Beaucoup
possédaient de telles images chez eux. Les morts et les vivants se paraient donc de ces bijoux
talismaniques, véritables réceptacles de pouvoirs protecteurs et bienfaisants (SCA 523, 561,
841). D’innombrables images “populaires” des dieux égyptiens, et des animaux sacrés ont été

Source: D. Fabre, « Cultes et rites », dans Fr. Goddio, D. Fabre (éd.), Trésors engloutis d’Égypte, Catalogue de
l’exposition présentée au Grand Palais à Paris du 9 décembre 2006 au 16 mars 2007, Paris, 2006, p. 110-127.
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découverts à Canope et Héracléion (SCA 387, 411, 423, 474, 522, 895, 917, 925, 926, 927,
930, 952, 966, 968, 973, 972, 974, 975, 978, 981, 982, 995, 997, 1001, 1002, 1003, 1004,
1006, 1008, 1013, 1019, 1021, 1022, 1031, 1037, 1041, 1059, 1074, 1081, 1087, 1093, 1098,
1100). Elles étaient confectionnées en divers matériaux, l’argile, le plomb ou le bronze, et
l’emploi d’un moule permettait de les fabriquer en série. Des ateliers de bronzier ont produit
quantité de figurines de dieux égyptiens sous leur aspect traditionnel. Ce monde religieux en
miniature n’en raconte pas moins le panthéon égyptien et les aspirations spirituelles de tout un
chacun. En définitive, « si la piété personnelle n’est pas de type institutionnel, puisqu’elle se
pratique en dehors du circuit strict du temple, elle n’en est pas moins codifiée et répond à des
normes admises de tous, qui sont les truchements obligés du rapport homme/dieu […].
L’individu en appelle à la divinité par lui-même et pour lui-même,à la différence du prêtre qui
37
agit au nom du pharaon pour le maintien en état de l’ordre cosmique et de l’ordre terrestre ».

L’offrande d’ex-voto afin d’obtenir une guérison, un gage de fécondité (SCA 383), ou pour
remercier le dieu de ses bienfaits, était une pratique courante. Les cultes guérisseurs connurent
d’ailleurs un développement notable à Canope dans le sanctuaire de Sérapis. Entre Alexandrie
et Canope, sur le site actuel de Ras el-Soda, une fosse sacrée (favissa) était remplie
d’amulettes égyptiennes, de piliers hermaïques, de figurines d’Isis-Aphrodite et de statuettes
difformes et disgracieuses qui évoquent des cas de pathologie. En déposant de telles images
d’infirmes et de malades, « les pèlerins cherchaient à se prémunir de la déchéance et des maux
physiques dont ces objets portent les stigmates […]. Canope occupait ainsi une place très
particulière dans la topographie religieuse de la région alexandrine. L’identité des cultes
égyptiens et l’expression de la piété personnelle semblent s’y affirmer d’une façon
38
particulièrement marquée. » À l’époque ptolémaïque, peut-être sous l’influence des Grecs, la
pratique des rêves provoqués et interprétés dans des bâtiments annexes des temples se
développe. Christiane Zivie-Coche souligne qu’« Elle a ouvert un champ très vaste à
l’oniromancie à laquelle se consacraient désormais à plein temps des prêtres, scribes ou laïcs,
attachés aux oratoires réservés à l’incubation et au sanatorium. Car, bien souvent, on y venait
passer la nuit pour consulter le dieu et implorer une guérison ou un enfant en cas de stérilité,
bien que les questions posées puissent avoir trait à d’autres sujets, comme la construction d’un
39
temple. » À Canope, on venait dormir dans les dépendances du temple et faire interpréter ses
rêves dans lesquels s’était manifestée la divinité. Les appuie-tête en taille réelle (SCA 377, 379,
584) ou en miniature découverts dans la région canopique en sont peut-être l’ultime
témoignage. Comme l’oratoire de Deir el-Bahari, le sanatorium de Denderah, le Serapeum de
Memphis ou l’oratoire du dieu Bès à Abydos, le Serapeum de Canope était donc un sanctuaire
guérisseur. Aussi recevait-il un grand nombre d’offrandes votives, ornées parfois d’ingénieuses
dédicaces, telle cette lampe que le poète Callimaque fait parler en vers subtils et dont la bague
SCA 198 pourrait être
40
l’évocation tardive :

Source: D. Fabre, « Cultes et rites », dans Fr. Goddio, D. Fabre (éd.), Trésors engloutis d’Égypte, Catalogue de
l’exposition présentée au Grand Palais à Paris du 9 décembre 2006 au 16 mars 2007, Paris, 2006, p. 110-127.
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« Au dieu de Canope, fille de Critias, m’a dédié, moi, lampe riche de vingt mèches, après
avoir fait un voeu pour sa fille Apellis. Quand on aura tourné les yeux vers mes feux, on dira
“Étoile du soir, comment as-tu disparu ?” ».
En fin de compte, « les fidèles, même s’ils ne participaient pas au culte des temples,
disposaient de nombreux moyens pour manifester leur adhésion au système religieux dans
lequel ils vivaient ». Moins intéressés par le savoir sur le monde et sur les dieux qui s’exprime
dans les grands textes théologiques, « la masse de ceux qui vivaient en dehors des temples
n’avaient pas nécessairement les mêmes préoccupations et les mêmes intérêts que ceux qui
41
vivaient dans les temples ». Il n’en demeure pas moins que les nombreux dépôts d’offrandes,
émouvants par leur modestie, illustrent l’importance de la présence des dieux dans la vie
quotidienne et la confiance que les fidèles leur accordaient (SCA 370, 371, 404, 526, 923, 938-
939, 1005, 1009, 1046, 1050, 1051).

David Fabre
------------------------------------------------------------------------

1
A.B. Rowe, Discovery of the famous temple and enclosure of Serapis at Alexandria, CASAE 2, Service
des Antiquités de l’Égypte, Le Caire, 1946, p. 7-8, 12-13, 97-112 ; B. Tkaczow, Topography of Ancient
Alexandria, An Archaelogical Map, Travaux du Centre d’Archéologie méditerranéenne de l’Académie
polonaise des Sciences 32, Centre d’Archéologie Méditerranéenne de l’Académie Polonaise des
Sciences, Varsovie, 1993, p. 80 ; photographies dans La Gloire d’Alexandrie, Catalogue de l’exposition du
Cap d’Agde, Musée de l’Éphèbe, 29 août-29 novembre 1998, Agde, 1998, p. 95, n° 50-52.
2
J.M. Weinstein, Foundation Deposits in Ancient Egypt, University of Pennsylvania, UMI ed., 1973, p.
351-396.
3
Questions posées par J. Yoyotte, « Pharaonica », dans Fr. Goddio, et al., Alexandrie, Les quartiers
royaux submergés, Periplus, Londres, 1998, p. 211.
4
Le professeur J.Yoyotte avait émis cette hypothèse selon laquelle ces monnaies découvertes à
Héracléion pourraient être un dépôt de fondation.
5
Voir Denderah, X, 26-31 ; S. Cauville, Le Temple de Dendara. Les chapelles osiriennes, transcription et
traduction BdE 117, IFAO, Le Caire, 1997, I, p. 15-17, II, p. 17-19.
6
Résumé des mystères d’Osiris, dans S. Cauville, op. cit.
7
D’après J.Yoyotte. À l’instar d’une cuve de granite sur laquelle avait été gravé au temps de l’époque
er
sheshonquide (c. début du I millénaire av. J.-C.) un rituel des mystères de Khoïak dont la rédaction
remontait au règne de Thoutmosis III (Yoyotte, 1977-1978, p. 163-169 ; 88, 1979-1980, p. 194-197 ; 90,
1981-1982, p. 189-192).
8
Traduction S. Cauville, op. cit.
9
Id.
10
M. Détienne, Dionysos mis à mort, Gallimard, Paris, 1998, p. 42.
11
P. Goukowski, Essai sur les origines du mythe d’Alexandre (336-270 av. J.-C.), I, Les origines
politiques, II, Alexandre et Dionysos, Annales de l’Est publiées par l’Université de Nancy II, Mémoire n° 60,
Nancy, 1978 ; Chr. Froidefond, Plutarque, Isis et Osiris, Les Belles Lettres, Paris, 1992, p. 188.
12
J. Boardman, « A Greek vase from Egypt », JHS 78, Society for the Promotion of Hellenic Studies,
Londres, 1058, p. 4-12.
13
Sur « Osiris entre Héracléion et Canope », voir l’étude du professeur Jean Yoyotte, en préparation.
14
Traduction Legrand, 1940.
15
J. Yoyotte, « Pharaonica », dans Fr. Goddio, et al., Alexandrie, Les quartiers royaux submergés,
Periplus, Londres, 1998, p. 199.
16
Charron, 1998, p. 86.
17
Fr. Dunand, dans Fr. Dunand, Chr. Zivie-Coche, Dieux et hommes en Égypte, Armand Colin, 1991, p.
273.
18
J.G. Wilkinson, Modern Egypt and Thebes, J. Murray, Londres, 1848, p. 157 ; P. de Vaujany,
Recherches sur les anciens monuments situées sur le Grand Port d’Alexandrie, Paris, 1888, 1888, cité par
B. Tkaczow, op. cit., p. 120, n. 148.
19
Traduction d’A. Pelletier, 1972.

Source: D. Fabre, « Cultes et rites », dans Fr. Goddio, D. Fabre (éd.), Trésors engloutis d’Égypte, Catalogue de
l’exposition présentée au Grand Palais à Paris du 9 décembre 2006 au 16 mars 2007, Paris, 2006, p. 110-127.
www.ieasm.org 18/18

20
Fr. Dunand, op. cit., p. 268.
21
Strabon, Géographie, XVII, 1, 17.
22
J.-Cl. Grenier, « La décoration statuaire du "Serapeum" du "Canope" de la Villa Adriana », Rome,
Monumenti, musei e gallerie pontificie, École Française de Rome, Rome, 1990, p. 925-1019 ; F. Coarelli,
Guide archéologique de Rome, Hachette, Paris, 1994, p. 300.
23
Fr. Dunand, op. cit., p. 268-269.
24
M. Chauveau, L’Égypte au temps de Cléopâtre, Hachette, Paris, 1997, p. 148.
25
J. Yoyotte, op. cit., p. 204.
26
Id., p. 218.
27
D. Devauchelle, Pierre de Rosette, Présentation et traduction, Le Léopard d’or, s.l., 1990, p. 27.
28
Chr. Zivie-Coche, dans Fr. Dunand, Chr. Zivie-Coche, Dieux et hommes en Égypte, Armand Colin,
1991, p. 105.
29
Infra p. 123 sq.
30
Chr. Zivie-Coche, op. cit., p. 116.
31
À propos des statues drapées découvertes en Égypte.
32
Chr. Zivie-Coche, Statues et autobiographies de dignitaires, Tanis à l’époque ptolémaïque, Tanis
Travaux Récents 3, Paris, 2004, p. 291.
33
Id., p. 291
34
Id., p. 289.
35
J. Yoyotte, op. cit., p. 209
36
Fr. Dunand, op. cit., p. 294.
37
Chr. Zivie-Coche, dans Fr. Dunand, Chr. Zivie-Coche, Dieux et hommes en Égypte, Armand Colin,
1991, p. 115
38
P. Ballet, La Vie quotidienne à Alexandrie, 331-30 av. J.-C., Paris, 1999, p. 160.
39
Chr. Zivie-Coche, op. cit., p. 142.
40
Anthologie palatine, VI, 148, d’après É. Bernand, « Documents épigraphiques et Caracalla en Égypte »,
dans Fr. Goddio, et al., Alexandrie, Les quartiers royaux submergés, Periplus, Londres, 1998, p. 146.
41
Fr. Dunand, op. cit., p. 298-299.

Source: D. Fabre, « Cultes et rites », dans Fr. Goddio, D. Fabre (éd.), Trésors engloutis d’Égypte, Catalogue de
l’exposition présentée au Grand Palais à Paris du 9 décembre 2006 au 16 mars 2007, Paris, 2006, p. 110-127.

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