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imaginaire ?
Vous répondrez à cette question en vous appuyant sur Le Malade imaginaire de Molière
ainsi que sur des lectures personnelles.
Béralde dit à son frère : “J’aurais souhaité de pouvoir un peu vous tirer de l’erreur où vous
êtes, et, pour vous divertir, vous mener voir sur ce chapitre quelqu’une des comédies de
Molière”. Dans quelle mesure la comédie du Malade Imaginaire peut-elle à la fois “tirer de
l’erreur” et “divertir” le public ?
Comme disait Robert Sabatier : “On appelle comédie, la tragédie envisagée d’un
point de vue humoristique”. Nous comprenons ici que la comédie tire ses origines de la
tragédie, malgré de nombreuses différences qui en font deux genres théâtraux
diamétralement opposés. Depuis la création du théâtre, coutume remontant à la Grèce
antique, ce genre littéraire a traversé les époques, portant la tragédie et la comédie en
classiques de la littérature française. Parmi ces classiques littéraires, se trouve le Malade
Imaginaire une comédie écrite en 1673 par le célèbre dramaturge Molière. Cette pièce met
en scène, Argan, un homme hypocondriaque, qui est victime de la médecine de son temps.
Dans la scène III de l’acte III de la pièce qui fut fatale à Molière, Béralde dit à son frère
Argan : “J’aurais souhaité de pouvoir un peu vous tirer de l’erreur où vous êtes, et, pour
vous divertir, vous mener voir sur ce chapitre quelqu’une des comédies de Molière”. Cette
réplique où Molière cite sa propre personne, rapproche le fait de tirer de l’erreur ou dénoncer
et de divertir, cette relation est le symbole-même de la comédie classique : “castigat ridendo
mores”. En outre, la comédie a souvent été considérée comme un spectacle léger : le but
qu’elle affiche, faire rire le spectateur, l’a souvent reléguée au rang de simple distraction
sans conséquence. Nombre d’auteurs comiques ont revendiqué haut et fort le simple droit
d’amuser par tous les moyens leur public. Néanmoins, le rire provoqué par la comédie est
souvent un rire « aux dépens de » : un personnage, une situation suscitent la moquerie du
spectateur, mettant ainsi en évidence un défaut, un ridicule. Cette capacité à faire rire que
détient la comédie s’avère alors libératrice et curative. Donc, la comédie et plus
particulièrement le Malade Imaginaire fait rire à gorge déployée à partir de petits riens, de
situations futiles, mais cela signifie-t-il pour autant que son unique fonction est de divertir ?
Comment Le Malade imaginaire propose-t-il un divertissement total au service de la
réflexion ? Pour répondre à cette question, nous verrons que le Malade Imaginaire a
indéniablement une visée divertissante, puis nous analyserons ses autres fonctions telles
que la dénonciation, enfin nous montrerons que le rire et la dénonciation vont de paire dans
cette comédie en faisant et la transforment en un réel médicament.
Le mot “théâtre” vient du grec et veut dire “le lieu où l’on regarde”, le théâtre est donc
avant tout un espace de spectacle. La comédie apporte le rire et le divertissement au
spectateur à travers son spectacle. On peut prendre le comique comme responsable de ce
divertissement qui, sous différents angles, fait rire le public.
En effet, surnommé “le premier farceur de France” par ses contemporains, Molière
donne à cette comédie, un aspect humoristique. L’action du spectacle répond à des
schémas typiques de la comédie. Au centre se situe un couple de jeunes amoureux dont la
relation est contrariée par un père acariâtre, qui veut forcer sa fille à épouser un gendre qu’il
a lui-même choisi. C’est une action comique et divertissante. Pour faire rire les spectateurs,
Molière use de nombreux procédés comiques, parmi lesquels se trouvent le comique de
situation. Il s’agit généralement d’un dialogue entre divers personnages qui ne parlent pas
de la même chose, résultant en un quiproquo comique ayant comme complice le spectateur.
Ce dramaturge hors pair utilise ce procédé à de nombreuses reprises dans le Malade
Imaginaire. Le meilleur exemple pour étayer cet argument est la scène V de l’acte I de la
dernière pièce du dramaturge : Argan, le personnage principal de l’ouvrage, veut marier sa
fille à un médecin, Thomas Diafoirus, c’est ainsi que durant cette scène, il va lui annoncer la
nouvelle mais celle-ci croit qu’il parle de son amant, Cléante et donc comprend le discours
de son père de travers. Un autre comique caractéristique de Molière est celui qu’on nomme
comique de caractère, en effet, dans la majorité des œuvres de Molière, le personnage
principal possède un seul trait de caractère : un défaut qui est exacerbé. C’est le cas dans le
Malade Imaginaire, puisque les côtés hypocondriaque, tyrannique et naïf d’Argan sont
exagérés tout au long de la pièce. De plus, l’exemple de Thomas Diafoirus est très
intéressant. Son nom tarabiscoté annonce à quel point le personnage sera comique et
divertissant. Son entrée en scène est très comique et spectaculaire, et permet de bien
montrer le caractère divertissant des personnages de Molière (acte II, scène 6). Un autre
comique qui peut être complémentaire avec le comique de situation et celui en rapport avec
la gestuelle et les mimiques des acteurs. L’exemple typique de ce genre de comique est
celui des coups de bâtons ou des poursuites qui sont présentes dans la scène 5 de l’acte 1
de la pièce. En effet, Toinette étant impertinente et tenant tête à son maître pendant toute la
pièce et ensuite poursuivie par celui-ci qui essaye de la taper avec son bâton. Le comique
est aussi marqué par les jeux de mots (ou calembours) ou l’insistance sur certains termes.
Nous pouvons citer l'exemple de la scène I de l’acte I où Argan perché sur sa chaise, ne
cesse de répéter le mot “drelin” afin d’appeler Toinette, sa servante, il essaye ainsi d’imiter
le bruit d’une clochette. Un autre exemple particulier à cette pièce et qui la rend
particulièrement risible est l’utilisation des médecins du “latin de cuisine” qui rend tous les
mots très drôles. L’aspect humoristique de cette pièce tient aussi des plaisanteries
prosaïques puisqu’elle puise dans l’héritage de la farce. Effectivement, pour faire sourire le
public, Molière n’hésite pas à recourir au comique décrié, mais toujours efficace du « bas
corporel » : coups de bâton, grossièretés, grivoiseries, parfois allusions scatologiques. Le
Malade imaginaire lui consacre une place non négligeable en mentionnant les maux d’Argan
et les ordonnances des médecins. Ce comique culmine lorsque Monsieur Purgon se met à
maudire Argan à grand renfort de maladies digestives : de la « bradypepsie » à la «
dyspepsie », de la « dyspepsie » à l’« apepsie », de l’« apepsie » à la « lienterie », etc. (III,
5). De plus, une grande partie des noms des personnages de la pièce font référence à la
scatologie comme le nom Diafoirus dont le radical est “foirer” (terme vulgaire pour dire
évacuer les excréments).
La comédie a donc pour première fonction de provoquer le rire. Cependant, d’autres
aspects du spectacle comique peuvent susciter le plaisir du spectateur. La comédie peut
mobiliser d’autres arts, tels la musique et la danse, et créer ainsi, outre des occasions de
rire, la joie, la surprise ou encore l’émerveillement. Et, le Malade Imaginaire est l’exemple-
même d’un mélange de différents arts dans le dessein d’offrir un spectacle inouïe. En effet,
cette pièce est une comédie-ballet, un genre nouveau au XVIIe siècle, mélangeant ainsi les
arts pour former un spectacle complet propre à charmer tous les sens du spectateur. Dans
Le Malade imaginaire, c’est une « églogue en musique et en danse » ainsi que des ballets
champêtres qui ouvrent la pièce. Les actes traditionnels sont ponctués par des intermèdes
chorégraphiques comme les « danses entremêlées de chansons » des Mores, censés faire
sauter des singes sur scène ! De plus, durant la scène, nous assistons à un opéra chanté
par Cléante et sa dulcinée, Angélique. Par ailleurs, dans le Malade Imaginaire et plus
généralement, au théâtre, tout est illusion : le lieu, le temps, l’action ; le plaisir du spectateur
repose sur cette illusion. Quand les personnages d’une comédie jouent eux-mêmes la
comédie sur scène, l’artifice est à son comble, et le public jubile. C’est ainsi que dans Le
Malade imaginaire, Toinette se déguise en médecin, se dédoublant aux yeux du spectateur,
dans de rapides allers-retours sur scène ; Argan, quant à lui, feint d’être mort pour piéger sa
femme. Jouissif, le jeu théâtral permet aussi de faire éclater la vérité des êtres. Par
conséquent, cette comédie s'affirme comme un divertissement préoccupé seulement de
plaire et d'amuser. Pourtant le rire qu'elle provoque n'est pas aussi bénin qu'il le semble.
Sous couvert de faire (innocemment) rire le spectateur, cette pièce pourrait être
qualifiée d'engagée, car elle dénonce, en les tournant en dérision, les injustices socio-
politiques et les vices de son temps.
En effet, lorsque Molière écrit cette œuvre, son but est de véhiculer un message et
particulièrement une leçon morale. Le classicisme a pour but de diffuser des leçons de
morale et de modération. La phrase “aurea mediocritas” représente la devise des auteurs
classiques : tout défaut ou qualité poussé à l’extrême est mauvais. C’est dans cette
philosophie que Molière exagère et exacerbe les manies de ses personnages principaux. La
folie maladive d’Argan est un travers moral à éviter. La comédie, en exagérant les manies
d'un individu au point d'en faire un « type », se révèle aussi être une école de sagesse.
S'ouvrant au plus fort de la crise monomaniaque d'un personnage qui tyrannise son
entourage, elle mène peu à peu à sa défaite en ridiculisant au fur et à mesure toutes ses
obsessions. Dans Le Malade imaginaire, la scène d'ouverture lors de laquelle Argan fait ses
comptes et énumère à n'en plus finir tout ce qu'il a payé aux médecins, donne une juste idée
de sa folie, dont les autres personnages tentent de le guérir en lui faisant prendre
conscience de l'excès dans lequel il est tombé. Le rire provoqué par cette scène est moins
anodin qu'il ne le semble à première vue : le spectateur rit de personnages ou de situations
qui lui apparaissent tout à coup risibles, car il en perçoit, par un effet de grossissement
comique, tout le ridicule. Certains personnages de servantes demeurent cependant les
garants du bon sens domestique : citons Toinette tentant de faire entendre raison à Argan.
Par ailleurs, le Malade Imaginaire a également une portée sociale. En représentant
sur scène les erreurs de la société, cette comédie suscite aux spectateurs une réflexion et
une prise de conscience sur l’ordre social. De la sorte, le Malade Imaginaire peut s’attaquer,
en les ridiculisant, à des forces politiques, sociales ou religieuses. Il propose une satire
acerbe de la médecine : tous les médecins y sont présentés comme des charlatans, à
commencer par ce « grand benêt » de Thomas Diafoirus. Le travestissement de Toinette,
ainsi que la « cérémonie burlesque d’un homme qu’on fait médecin en récit, chant et danse
» qui clôt la pièce, achèvent de dénoncer l’imposture médicale. Molière s’attaque à de
nombreux problèmes de sa société : le mariage forcé, l'héritage, etc., mais en utilisant des
procédés de mise en scène qui relèvent du divertissement. Le mariage forcé d’Angélique est
fortement critiqué : le père tyrannique et despote au sein de sa maison, tente de marier sa
fille de force avec un homme pour diverses raisons (argent, médecine, réputation…). Ainsi,
dans la scène 5 de l’acte 1 du Malade Imaginaire, Argan clame “C'est pour moi que je lui
donne ce médecin; et une fille de bon naturel doit être ravie d'épouser ce qui est utile à la
santé de son père”, une phrase assez choquante à notre époque mais surtout qui tourne en
ridicule le personnage d’Argan. Dans la fameuse scène entre Argan et Béralde (acte III,
scène 3), Molière exprime directement l’objectif de sa comédie : divertir et instruire. En effet,
Béralde dit : « J’aurais souhaité de pouvoir un peu vous tirer de l’erreur où vous êtes, et,
pour vous divertir, vous mener voir, sur ce chapitre, quelqu'une des comédies de Molière. »
Le mot « divertir » est présent, mais étroitement lié à la notion d’apprentissage et
d’éducation.
La comédie permet de corriger les mœurs au moyen d’une certaine dérision ; elle
donne aux spectateurs un « miroir » exagéré et ridicule d’eux-mêmes et de leurs défauts.
Dans la comédie, on peut dire que le rire remplit une fonction éducative, car en même temps
que le spectateur s’amuse beaucoup, celui-ci s’interroge sur le comportement de certains
personnages. Ainsi, la comédie permet de pointer du doigt les vices des hommes et sous le
rire, se cache un enseignement dont nous devons tirer les leçons. En ridiculisant les avares,
les hypocrites, les faux dévots, les pères tyranniques, en leur opposant l’idéal « honnête
homme », Molière a tendu un miroir à ses contemporains. En effet, dans Tartuffe, Molière
montre l’exemple typique de ce qu’il ne faut pas devenir en grossissant un peu le trait des
personnages. Aussi, dans L’Avare, Harpagon est obsédé par l’argent et Molière y critique
les riches avares. On peut parfois suggérer des choses sérieuses sous la légèreté ; ainsi la
comédie évite la censure et dénonçait ce que l’Etat ne voulait pas admettre. Donc, la
comédie permet de corriger les vices et les injustices sociales à travers le rire (Castigat
ridendo mores) ce qui agit de manière curative chez le spectateur/lecteur.