Vous êtes sur la page 1sur 45

UNIVERSITE ADVENTISTE COSENDAI

FACULTE DE THEOLOGIE
Année académique 2020/2021
Semestre II

RELT 310 RELIGION TRADITIONNELLE AFRICAINE

Notes de cours préparées


Par
Pasteur Jean-Pourrat METING
Ph.D

1
Chapitre premier

INTRODUCTION A LA RELIGION TRADITIONNELLE


AFRICAINE

Pour les premiers Européens découvreurs de l’Afrique Noire, il n’existait pas de religion
à proprement parler, tout juste des croyances. Les indigènes étaient simplement des païens.
Par la suite, les ethnologues ont parlé d’idolâtrie, de totémisme, de paganisme, de naturisme, de
mânisme pour se mettre d’accord sur le mot « animisme ». Les Africains parlent plus volontiers
de « fétichisme ». Aucun de ces termes, et probablement aucun de leur regroupement, ne rend
compte de la réalité. On s’est entêté à définir une religion africaine syncrétique alors que chaque
ethnie a ses propres conceptions, ses mythes et ses rites.
La plupart des pratiques, considérées comme sataniques par les missionnaires, ont été
définitivement condamnées. En fait, l’Africain Noir vit en communion étroite avec l’invisible et
le sacré. Tous les évènements et les actes ont un rapport avec le surnaturel ; il est foncièrement
religieux. La religion est vécue mais rarement conceptualisée et il n’y a pas de théologie
élaborée. La connaissance est empirique. Les rites – très ésotériques – sont confiés à des
« initiés » et la transmission des mythes et des rites est orale. Il s’agit de religion de familles, de
clan, qui ne prétend jamais à l’universalité ni à l’expansionnisme.
La spiritualité est le complément de la vie matérielle : âme et corps sont indissociables,
comme le sont religion et politique. Il est artificiel de distinguer le religieux et le profane.
Pour tous, il y a un Être Suprême / Dieu Créateur. Ce Dieu unique est relativement
inaccessible aux hommes car trop grand, trop divin. Chaque ethnie possède des mythes relatant
pourquoi et comment Dieu s’est éloigné de sa création. Pour l’atteindre, il y a nécessité de
s’adresser à des puissances intermédiaires, créées par lui pour cette fonction : des êtres
surnaturels, des génies appelés aussi « fétiches »1, les esprits des ancêtres décédés. Certains
auteurs les ont qualifiés de « dieux secondaires » et, de ce fait, ont laissé croire à un polythéisme.
Il y a un ailleurs où se tient Dieu. Il y a un monde invisible ou monde de l’invisible
comprenant des êtres surnaturels spécialisés dans différentes fonctions (en rapport avec
l’environnement et le mode de vie de chaque population) et l’Esprit des ancêtres. Le concept du
monde de l’invisible est différent de celui du « ciel » éloigné, ailleurs. Le monde invisible est
autour de nous. Il y a un monde visible ou monde du visible, en première approximation celui
des vivants. Les Africains – par les rites - ont aménagé des passerelles entre ces deux mondes. Il
existe des génies locaux propres à une famille ou à un clan et même des génies domestiques. Des
divinités sont spécifiques à des activités (la chasse, la cueillette etc) à des métiers (forgerons,
tisserands etc) à la fécondité etc. Les génies sont donc des émanations du Dieu unique, mais pour
beaucoup, ils sont primordiaux : souvent, on oublie l’essentiel pour l’accessoire. On retrouve
souvent parmi les divinités, les trois maîtres des éléments : celui de l’eau (pour les pêcheurs,
représenté en général par un poisson), celui de l’air (honoré par les chasseurs et les voyageurs et

1 Mot qui, en Occident ne désigne souvent que leur représentation

2
représenté par un oiseau), celui de la terre (capital pour les agriculteurs et souvent représenté par
un serpent).
Les génies sont souvent capricieux ou irritables ; il est nécessaire de les amadouer ou de
les apaiser par des sacrifices. Encore faut-il respecter le rituel car, en cas de faute, la divinité peut
refuser d’agréer le sacrifice. Les génies peuvent être représentés par des objets symboliques
(masques, statuettes..) et peuvent s’incarner dans les lieux où ils se tiennent (arbres, forêts ou
mares sacrées), d’autres peuvent s’incarner dans des animaux (animaux totems).
Ce qui paraît capital est l’importance accordée à l’Esprit des ancêtres. Tout homme ne
peut y participer, il faut avoir été initié, avoir montré de la sagesse et un respect des traditions
durant sa vie, ce qui, pour beaucoup, n’a été possible qu’aux hommes âgés qui ont assumé des
responsabilités.
Que la religion joue un rôle significatif dans les vies des personnes partout dans le monde n'est
pas une sous-estimation. Cette vérité est davantage établie dans la vie de beaucoup d’Africains.
Ce chapitre présente la religion qui était et continue d’être pratiquée en Afrique avant et après
l'arrivée du Christianisme et de l'Islam. Le but de ce cours n'est pas de vous inviter à professer la
RTA, mais plutôt il s’agit de donner une vue de la vision du monde selon les adhérents de la foi
traditionnelle africaine. Avec cet arrière-plan, vous pouvez leur apporter l’Evangile eu égard à
leurs besoins spécifiques car

La Religion traditionnelle africaine exerce encore une forte influence sur les Africains qui
sont naturellement religieux (…) si l’on veut répondre à la question : en quoi l’évangile a-t-il
quelque chose de nouveau à dire aux Africains, il est indispensable de connaître et d’apprécier les
racines religieuses des peuples de ce continent puisque, selon la sagesse africaine, "c’est en
enfonçant ses racines dans la terre nourricière que l’arbre s’élève " »2.

QU’EST-CE-QUE LA RTA
Définir la RTA peut se révéler une entreprise bien difficile. Pas mal de choses en ont été
dites, à tort ou à raison. Toutefois, bien que n’ayant aucunement la prétention de donner une
définition définitive de la RTA, nous disons qu’elle est la Religion indigène des Africains qui
s’est transmise d’une génération à une autre par la voie orale. C’est un système de croyance qui
ne se définit pas par rapport à un dogme ou un acte de foi, mais par une certaine manière de
penser, de sentir et d’expérimenter les relations entre les différentes composantes de l’univers.
La société africaine est manifestement religieuse. Dans les sociétés africaines, la religion
est une partie intégrale de la vie de l’individu, de la famille et de la communauté dans
l’ensemble. La religion africaine est décrite par Dennis L. Thompson en ces termes :

« La religion indigène et la famille sont étroitement liées en Afrique. En fait, la religion


africaine peut être vue comme un système des rites, des règles, et des pratiques qui vise à préserver et
renforcer la fraternité du peuple, de la tribu et de la famille, et à accroitre la puissance. »

2
Cardinal Jean-Louis Tauran

3
Quand ceci est correctement cerné, on peut comprendre pourquoi la religion est centrale à la
vie africaine. Par exemple, de la naissance à travers toutes les phases principales de la vie, il y a
toujours un contact religieux pour l’Africain. Quand un enfant naît, il est tout à fait normal de le
porter aux devins pour avoir un aperçu du destin de l’enfant pour ne pas commettre des erreurs
au cours de l’éducation de celui-ci. A l’âge de la puberté, l’enfant passe également un autre
ensemble de rituels religieux. Quand il est temps de se marier, des consultations sont faites au
sujet du choix du conjoint et les divinités ancestrales sont invoquées pour bénir le mariage. Enfin
quand la mort vient à frapper, la religion a également un rôle central à jouer. Dans l’ensemble de
la vie africaine, il n’y a pas une distinction claire entre le sacré et le profane comme c’est le cas
en Occident. La vie africaine est totalement imbibée de la religion.

OBSTACLES A L’ETUDE DE LA RTA

Quelques obstacles rendent l’étude de la RTA difficile. Nous pouvons citer :

1. Le Syndrome du Continent obscur


Le premier problème auquel les chercheurs ont fait face est la géographie du continent qui a
rendu très difficile leurs déplacements autour et à l’intérieur du continent afin de recueillir
l'information nécessaire. Ceci a rendu l'Afrique fortement inaccessible au début et lui a valu le
sobriquet de « continent obscur ». Ceci pour dire que l’Afrique était un continent au sujet duquel
on ne connaissait pas grand-chose. En dépit de ce fait, beaucoup d'auteurs étrangers ont
progressé en Afrique et publié des informations incorrectes et insuffisantes sur la Religion
africaine.
Il est dommage que jusqu'à ce jour, ces informations fassent toujours école non seulement
parmi les Étrangers mais également parmi les Africains. En d'autres termes, en raison du fait que
les premiers auteurs et même quelques-uns d’aujourd’hui n’ont pas une connaissance appropriée
du peuple et de la Religion africaine, nombre de publications sont soit partiellement fausses, soit
exagérées ou tordues pour différentes raisons.

2. La grande taille du continent


Le dictionnaire de Microsoft Encarta déclare que l'Afrique est le deuxième plus grand
continent avec une superficie de 30. 243. 910 kilomètres carrés. Avec cette grande superficie, la
tendance de généraliser parmi les premiers chercheurs a eu comme conséquence l'erreur. Par
exemple, il est très difficile d'avoir une vue africaine générale de Dieu parce qu'il y a quelques
sociétés africaines qui conçoivent Dieu en termes féminins alors que d’autres le conçoivent en
termes masculins.

3. L’Endoctrinement colonial direct et indirect


A l’époque coloniale il a y eu beaucoup d'endoctrinement de l'esprit africain contre leur
culture et leur religion. Aujourd'hui, même à l'ère postcoloniale, les effets de l'endoctrinement
sont toujours présents et c’est pourquoi il n'est pas rare d'entendre des Africains se référer à leur
culture comme étant démoniaque et mauvaise. En conséquence, la plupart des Africains ne sont
même pas intéressés à étudier leur religion et ceux qui le font sont regardés avec mépris et
suspicion. Cette polarisation affecte également le travail des chercheurs qui sont devenus

4
chrétiens ou musulmans. Le manque d'intérêt pour la religion et la culture africaines a mené à
l'extinction progressive de ladite religion et tout ce qu'elle représente.

4. La mort
L’obstacle suivant après l'endoctrinement, et qui est beaucoup plus dévastateur est la mort
des fidèles adhérents de cette religion. Tandis que l'endoctrinement maintient les jeunes et la
crème de la société loin de la religion africaine, la mort elle, emporte ceux qui étaient censés
transmettre cette foi traditionnelle aux jeunes générations intacte et non diluée.
Malheureusement au fur et à mesure que disparaissent ces fidèles adhérents de la Religion
africaine le souvenir des détails des traditions religieuses africaines s’amenuise également.
Naturellement les dislocations, les déformations et les lacunes commencent à se produire dans le
contenu de la connaissance de cette religion. Cette situation est sensiblement malheureuse parce
que la Religion africaine est fortement orale et dépend de la transmission orale. En conséquence,
quand un prêtre meurt, une bonne partie des valeurs, références et repères de la connaissance
religieuse africaine se perd.

5. Le Secret ou l’ésotérisme
Habituellement, les pratiques et informations sur la plupart des aspects de la Religion sont
gardées secrètes. Ces secrets ne sont révélés qu’aux initiés. Et ceux qui disposent de ces
informations secrètes sur la religion sont également sous le serment de ne jamais les révéler aux
non-initiés. Cet ésotérisme rend très difficile une connaissance appropriée ou vraie de la Religion
africaine par un non initié.

6. La Multiplicité de langues
La multiplicité de langues en Afrique est également un obstacle important à l'étude de la
religion. Si on prend le cas du Cameroun comme exemple, il y a plus de 250 langues ou
dialectes. Aucun chercheur ne voudrait maîtriser 250 langues en raison de l'intérêt qu’il a pour la
Religion africaine. Cependant, une étude appropriée et approfondie de n'importe quelle religion
exige une compréhension complète de la langue originale des adhérents de ladite religion.

7. L’Influence d'autres religions


L'influence d'autres religions, particulièrement, le Christianisme et l’Islam sur la Religion
africaine ne saurait être éludée. Une fois que l’Africain se trouve sous l’influence des religions
étrangères ou qu’il embrasse la foi d’une religion étrangère, il ya en général deux types de
comportements qu’on observe : soit il néglige la pratique de la Religion traditionnelle jusqu’à ce
qu’elle disparaisse progressivement, soit il vit en lui l’influence des deux systèmes religieux :
l’ancien et le nouveau. Un syncrétisme religieux.

8. L'influence de l'éducation et de la culture occidentales


L'éducation occidentale a de tout temps extrait les gens de leur réalité naturelle pour les
exposer à une éducation et une culture étrangères. En conséquence, ils perdent le contact avec
leur patrie et leur culture et cela les conduit à perdre contact avec leur religion. Très souvent,
certaines personnes ayant cette éducation et cette culture occidentales sont nommées Chefs
traditionnels malgré leur méconnaissance de la Religion traditionnelle. Cet état de choses a fini
par poser un sérieux problème à l’existence et à l’étude de la Religion africaine.

5
SOURCES D’INFORMATIONS POUR ETUDIER LA RTA
Etant donné que l'Afrique est en grande partie de tradition orale, la question qui a toujours été
posée est de savoir où recueillir les faits à partir desquels nous pouvons mettre en évidence les
enseignements et les concepts de la Religion africaine. Voici quelques sources physiques et
orales d’information :

1. Les sources physiques

 Autels et Endroits sacrés


Ce sont les endroits qui sont liés au culte des divinités. On peut les trouver dans les maisons
où des rituels religieux de famille sont accomplis ou dans des grottes qui sont normalement
cachées au non initié. Ces endroits sont importants parce que des concepts religieux peuvent être
exprimés par eux.

 Musique, danse et mise en scène


Les Africains sont un peuple de danseurs et leur religion est habituellement incluse dans des
cérémonies, festivals et rituels religieux. La musique, la danse et la mise en scène religieuses
sont des canaux puissants de communication, particulièrement dans les sociétés traditionnelles.
Les Africains chantent et dansent en dehors des sentiments religieux. Ainsi quand les gens
participent à la danse, elle leur sert comme expression de leurs sentiments religieux.

 Articles et objets religieux


La Religion traditionnelle ne fronce pas les sourcils à l'utilisation des articles et des objets
religieux. Ceux-ci incluent des objets portés autour du cou, de la taille, sur les bras et les jambes.
L'importance de ces objets se situe dans le fait qu’ils aident les chercheurs à appréhender le
concept à travers les objets.

 Œuvres d’art et symboles


Les différentes catégories des œuvres peuvent être des sources inestimables de croyance
religieuse. Elles fournissent une richesse d'information sur la croyance religieuse passée et
présente du peuple. Celles-ci incluent les sculptures en bois et en argile qu’on trouve dans les
autels familiaux, les autels généraux et les grottes. Ces objets et symboles de culte simples
projettent beaucoup de lumière sur l’ensemble de la complexité des croyances et des pratiques
liées à leur utilisation.

 Spécialistes religieux ou personnel du Culte


Ce sont les gens qu’on trouve dans chaque société qui sont des encyclopédies de la religion.
Ils en savent suffisamment sur les rituels, les cérémonies et les sujets concernant la religion. La
liste inclut les guérisseurs, les prêtres, les faiseurs de pluies, les devins, les musiciens et les
artisans. Chacune de ces personnes est un spécialiste formé dans sa profession et dans la plupart
des cas fortement expérimenté. Beaucoup peut être rassemblé au sujet de la Religion africaine à
partir de l’ensemble de ces personnes.

6
2. Sources non physiques

 Les Mythes
Ce sont des histoires effrayantes centrées sur les êtres spirituels et les divinités et qu’on
croit généralement comme étant des réalités. La plupart des mythes africains donnent des
réponses explicatives aux questions de l'humanité et de l’environnement physique. Les mythes
servent de manière pratique à documenter les croyances orales et à les transmettre de
génération en génération. Les mythes incluent les mythes étiologiques (ceux qui essayent
d'expliquer les mystères de la vie), les mythes cosmogoniques (mythes expliquant l'origine de la
terre) et les mythes crédo (ceux qui sont des formules rituelles qui sont apprises et récitées
comme des prières). Les mythes jouissent d’un degré élevé d'authenticité et quand ceux-ci sont
correctement étudiés, ils pourraient fournir une inestimable lumière sur la Religion africaine.

 Les Noms théophaniques


L'importance des noms comme sources de Religion africaine dérive de la signification et de
l'impact des noms parmi les Africains. Pour les Africains, un nom est un présage. Il est censé
représenter la pensée la plus admirable, le vœu le plus cher ou les circonstances entourant la
conception, la gestation ou la naissance de l'enfant. Les noms reflètent ainsi la philosophie
africaine de la vie, un souhait ou une prière. En conséquence, beaucoup de noms affirment
l'existence de Dieu et décrivent également la pensée Africaine sur Dieu.

 Les Proverbes
Les Africains ont un répertoire riche des proverbes dans lesquels sont enchâssées la sagesse
antique, les croyances et les expériences accumulées des générations passées. La valeur des
proverbes comme source pour les croyances religieuses des peuples de tradition orale dérive du
grand respect qu’on a des proverbes dans les sociétés africaines. Dans certaines sociétés
africaines il y a différents proverbes qui ont la croyance en Dieu comme thème principal.
Par exemple : « Si tu veux le dire à Dieu, dis-le au vent ». C'est un proverbe qui établit
l'omniprésence de Dieu. Il y a également des proverbes qui concernent la relation de l'homme
avec les divinités. Si une liste de proverbes africains est établie et que ces derniers sont étudiés,
ils donneraient de très importantes informations sur la Religion africaine.
 Les Prières
Les prières sont des activités spécifiquement religieuses et contiennent beaucoup
d'informations sur les croyances religieuses. En Afrique, les prières sont habituellement faites à
Dieu, aux divinités et aux ancêtres. Par les prières on peut voir la dépendance de l'homme à
l’égard de Dieu et la croyance que Dieu a la capacité de satisfaire les besoins exprimés de
l'homme.

7
CARACTERISTIQUES GENERALES DES RELIGIONS DITES TRADITIONNELLES

Les religions dites traditionnelles partagent entre elles un certain nombre de caractéristiques
générales. En voici quelques-unes :

 Le Dieu suprême
On admet maintenant généralement qu'est attestée dans les religions traditionnelles
l'existence d'un Dieu Suprême, unique, invisible, incréé, sans commencement ni fin, ne pouvant
être représenté par aucune image, créateur de tout ce qui existe et dont la caractéristique
principale est la bonté.

 La séparation de Dieu d'avec les hommes


Les traditions mentionnent que ce Dieu qui, dans les temps primordiaux, vivait auprès des
hommes, s'en est séparé à la suite de la rupture d'un interdit, rupture perpétrée le plus souvent par
une femme. Dieu est alors parti avec son habitation, le ciel, dans les hauteurs, loin des hommes
qui n'ont donc plus de relations directe avec lui et ne lui rendent plus directement de culte.

 Les divinités créées


Le Dieu Suprême a créé les deux grandes divinités principales : le ciel et la terre, ainsi que
tout ce qui s'y trouve, en particulier toutes les divinités secondaires, les génies des différentes
catégories, les sorciers (ceux qu'on appelle mangeurs d'âmes) et enfin les hommes.

 Soumission des hommes aux divinités créées


Dieu étant séparé des hommes, non à cause d'une différence de nature, mais par la faute des
hommes eux-mêmes, ceux-ci sont soumis aux divinités créées à qui ils rendent un culte et offrent
des sacrifices d'expiation, de propitiation et d'action de grâces, car c'est d'elles qu'ils attendent
aide et protection. Les sacrifices peuvent être également destinés à se préserver de l'action
néfaste de certaines divinités hostiles.

 La divination
La divination sera le moyen attesté dans toutes les religions traditionnelles d'entrer en
communication avec ces divinités pour connaître leur volonté, ce qui leur plaît et ce qui leur
déplaît, afin de s'y conformer. Ainsi pourra-t-on leur offrir, au moment qui leur convient, des
sacrifices dont eux-mêmes détermineront la nature et qui leur seront donc agréables. Par là on
évitera qu'elles retirent aux hommes leur protection et les abandonnent sans défense aux
entreprises funestes des sorciers et des malfaisants.

 Les défunts
Les morts ne sont pas des « disparus », mais ils continuent de vivre au village des morts d'où
ils peuvent revenir dans un nouveau-né de leur lignage, s'ils sont morts avant d'avoir achevé leur
temps. De toute façon ils continuent à être présents à leur groupe dont ils sont les vrais
dirigeants. Ce ne sont pas des divinités mais ils ont accès au monde des génies, et, au même titre
qu'eux, ils protègent les membres de leur lignage contre les attaques des sorciers. A ce titre, ils
font également l'objet d'un culte et se voient offrir les différents types de sacrifices. Comme les
génies ils font partie du sacré. Comme eux, ils ne punissent pas directement les ruptures d'interdit

8
ou les infractions à l'ordre du monde, mais se contentent de retirer leur protection, livrant ainsi le
coupable et souvent, avec lui, son groupe aux sorciers et aux malfaisants.

 Les interdits
Les interdits alimentaires sont souvent édictés par les génies ou sont liés à un pacte avec un
animal bienfaiteur. Les autres interdits sont l'expression de l'ordre du monde : interdits
matrimoniaux, exogamie, période menstruelle, continence avant tout sacrifice offert à une
divinité, sang, cadavre, etc.

 La Magie
La Magie, constante dans toutes les cultures traditionnelles, se différencie de la religion,
laquelle est relation avec un sacré transcendant, alors que la magie s'appuie sur une force
immanente appelée Mana. Certains hommes naissent « puissants ». Ils possèdent beaucoup de
Mana et cherchent à l'augmenter par différentes pratiques. Cette puissance peut être utilisée pour
le bien comme pour le mal. Les compétitions magiques sont fréquentes, chaque « puissant »
cherchant à faire reconnaître sa supériorité sur les autres. Les compétitions entre quartiers d'un
même village, les guerres traditionnelles entre villages et même les luttes traditionnelles sont des
compétitions magiques. Même la thérapeutique traditionnelle est une lutte entre puissants. Vis-à-
vis du Sacré, l'homme est humble, sollicite des faveurs, implore une réconciliation (sacrifice,
expiation).
Dans la pratique magique, l'homme exalte sa propre puissance, s'affirme lui-même. Il est
important de noter que ces caractéristiques générales ne s'appliquent pas seulement à la Religion
Traditionnelle Africaine, mais aussi à bien d'autres en dehors de l'Afrique. Les considérer comme
des inventions, fruits d'une imagination débordante, serait contraire à l'esprit scientifique, car
cela ne rendrait pas compte de leur unanimité. Ces caractéristiques communes doivent donc être
plutôt considérées comme se référant à une tradition qui vient des origines de l'humanité.
De tout ce qui vient d’être dit plus haut, nous relevons que la RTA n’est pas un fourre-
tout de croyances sans une assise véritable. Bien au contraire, il s’agit d’une Religion qui peut
être étudiée sur des bases solides et scientifiques. Son étude, comme celle de toutes les autres
religions du monde rencontre des difficultés telles que nous les avons relevées plus haut.
Cependant, malgré ces difficultés, la RTA s’offre au chercheur comme une réalité du vécu
quotidien de l’Africain. Partout où se trouve un Africain traditionnel, là se trouve aussi sa
religion.
Il ne s’agit pas d’un système de culte qui serait confiné à un endroit où les adhérents se
rencontrent de façon saisonnière ou à des jours fixes. Pour le système de croyances africain, la
vie religieuse est envahissante et dynamique, elle est omniprésente et se discerne en toute chose
dans le monde visible aussi bien que dans le monde invisible. Pour tout dire, le manuel d’étude
de la RTA est l’univers tout entier avec toutes ses composantes. L’Africain a appris très tôt à
savoir y rechercher, rencontrer et adorer le Suprême.

9
CHAPITRE II

LE SYSTEME DE CROYANCES TRADITIONNEL AFRICAIN

Dans ce chapitre, nous abordons les croyances de la RTA. Pour les regrouper de façon
systématique, nous les envisagerons sous trois angles complémentaires : les croyances relatives
au cosmos, à l’homme et à la société. Ces diverses croyances sont, elles-mêmes, issues de la
vision que l’Africain a du cosmos, de l’homme et de la société.

LE COSMOS DANS LE SYSTEME DE CROYANCES TRADITIONNELLES AFRICAINES

Dans cette section, nous présentons la conception du cosmos dans le système de


croyance traditionnel africain. C’est une composante essentielle de la vision du monde chez les
Africains. Il va s’agir d’aborder les questions relatives à Dieu, aux origines de l’univers, de
comprendre la conception africaine du cosmos dans sa structure et son fonctionnement.

L’EXISTENCE D’UN DIEU SUPREME SUPERIEUR A TOUTE DIVINITE

Bien qu’il y ait des difficultés à cerner tous les contours de la conception africaine de
Dieu, il ressort néanmoins, de la quasi-totalité des travaux de recherches que nous avons
consultés et des entretiens réalisés sur le terrain, que les Africains croient en un Être Suprême,
qui est reconnu comme Dieu. Sans aucune initiation préalable, chaque enfant noir africain
grandit avec la connaissance d’un Suprême. Cette connaissance de Dieu comme Suprême est
visible dans les actes de cultes des Africains traditionnels. Dieu est reconnu comme le Créateur
de toute chose et le sustentateur de la vie.
Reconnu comme tel, il est admis que tout vient de Lui et tout dépend de lui. La présence
du Suprême est reconnue partout à la fois. D’où son omniprésence. Aussi Dieu est-il assimilé à
l’air, considéré comme celui qui remplit toute chose, celui qu’on rencontre partout. De ce point
de vue, le Suprême semble bien être au milieu des humains, et non éloigné d’eux comme
semblent par ailleurs le présumer certains aspects du système de croyance africain.
En effet, des récits mythiques africains font valoir que le Suprême s’est retiré du milieu
des hommes à cause de sa colère contre ces derniers. Il s’est ainsi refugié très loin dans les cieux.
Toutefois il a laissé la voix ouverte aux humains pour l’atteindre, à travers des intermédiaires.
Dès lors le Suprême ne s’implique pas directement dans les affaires des humains et de la terre. Il
agit à travers ses intermédiaires auxquels il a transmis certains de ses attributs divins et assigné
des tâches spécifiques et des domaines précis d’intervention. Ainsi s’explique la conception
ambivalente qu’ont les Africains de l’Être suprême.
S’il est spécifiquement reconnu à l’Être Suprême ses attributs d’omniprésence,
d’omnipotence et d’omniscience, il est difficile de dire si ses intermédiaires partagent ces
attributs divins. Ceci est assez difficile à établir. Visiblement seul l’Être Suprême possède en lui

10
l’ensemble des attributs, mais chacun des intermédiaires possède le pouvoir nécessaire et
suffisant pour agir dans le domaine spécifique que lui a assigné le Suprême.
L’Etre suprême auquel croit l’Africain traditionnel est désigné par diverses appellations
dans les groupes culturels d’Afrique. Par exemple, chez les Beti du Cameroun, il est tantôt
Zambe, Nkombodo, Ntondobe, Nkongo, Zambe Yemebe’e Me Nkpwaévo tantôt Eyo, Zobeyo.3
Pourtant, en milieu Beti, la désignation la plus répandue du Suprême est Zambe ou Zamba. Cette
désignation est celle retenue d’ailleurs par les premiers traducteurs de la Bible en langue Beti. Il
semble cependant que cette désignation ne correspondante pas et ne se réfère pas au Suprême
mais plutôt à sa première créature humaine.
En effet, un mythe Beti relatant la création de l’homme nous fait savoir que lorsque le
Suprême décida de créer l’homme, Il le façonna sous la forme d’un lézard pendant cinq jours.
Après lesquels Il l’immergea dans l’eau pendant sept jours. Au huitième jour, Il intima ordre à
l’homme de sortir. L’homme sortit et le Suprême lui donna son souffle de vie. Ce premier
homme fut appelé Zame ou Zambe par le Suprême.
Il est donc l’ancêtre le plus lointain des hommes. Et puisque, pour atteindre le Suprême
l’homme doit passer par ses ancêtres, les premiers hommes adressaient leurs prières et vœux à
Zambe ou Zame pour que ce dernier les répercute au Suprême. La mauvaise compréhension de
cette intermédiation a fini par faire croire que Zambe ou Zame est le Suprême, Créateur et
sustentateur de toutes choses. Cette erreur aurait été définitivement enregistrée comme vérité
quand les traducteurs de la Bible ont retenu Zambe ou Zamba pour se référer à Dieu. Le Suprême
se présente donc comme un ȇtre qu’on ne peut connaitre que partiellement et de façon
insuffisante. Cependant Il reste que l’Africain croit pleinement en Lui. C’est dans cette
perspective que P. Mviena4 remarque pour les Beti (et pour les Africains en général) que
Certes le mystère de cet Etre qui les dépasse-Etre Surnaturel- n’est pas percé ; du
moins les attributs qu’ils lui donnent gardent-ils une grande valeur à leurs yeux parce qu’ils

3 Zambe de Za a mbe : littéralement « qui était ? » Cf Gen.1 :1 ; Job 38 : 4. Une autre forme de cette désignation est Zam mba :
littéralement « agrément de celui qui façonne, joie du polisseur, joie du fabricant » Cf Gen. 1 :4
Nkombodo : littéralement « le fabricant des hommes », l’Eternel notre paix. Cette appellation résume ce que Dieu fait pour l’humanité :
ses attributs qui ont pour nom : L’Amour (Rom. 5 : 8), La Grâce (Rom 3 : 24), La Miséricorde (Ps.145 : 9), La Patience (2Pi.3 :
15), La Sainteté (Ps. 99 : 9).

Ntondobe : (traduction littérale : le germe qui était). Par cette application, le Bantu reconnait que Dieu est le créateur, la source de
toute vie, le créateur de tout ce qui a vie.

NTONDO. Dieu existe par lui-même, or ce Dieu présent qu’on éprouve dans son expérience quotidienne est le même Dieu
qu’autrefois. C’est la leçon contenue dans la forme passée du mot (Obe) du verbe être à l’imparfait. Obe, « qui était ». Le Dieu du
souvenir, le Dieu des racines (Ntondo – évoque le germe de l’arbre) qui témoigne de la vitalité de la racine. La racine de la vie, de
l’Existence.

Ntondo Obe, souligne la source ultime de toute vie. Ntondo : le germe, le commencement. Il est au commencement de toute chose.
Il est l’alpha et l’oméga. Il connaît la fin dès le commencement. Cf. Es. 46 :8

Nkongo : C’est lui qui est tout, et il peut faire tout ce qu’il veut. Dieu tout puissant omnipotent et omniprésent. Transcendant
l’espace. Néanmoins, il est pleinement présent dans chaque élément de l’espace. Celui qui dépasse les limites du temps, quoiqu’il
soit pleinement présent à chaque instant du temps qui passe. Cf. Ps. 139 : 7-12 ; Ps. 90 :2 ; Héb. 4 :13 ; Mal. 3 :6 ; Ps. 135 : 6

4
P. Mviena, Univers culturel et religieux du peuple Beti. Imprimatur, Yaoundé, 1970. P. 66

11
les trouvent, en quelque sorte, correspondants à leur conception et susceptibles d’imposer à
leurs descendants une vision identique de cet Etre Suprême.
C’est toute cette croyance en un Être Suprême, ayant tous les attributs exclusifs de Dieu,
qui justifie le culte que lui rendent les Africains. Pourtant ce culte ne lui est pas rendu à Lui
directement, mais plutôt à travers ses intermédiaires présents dans l’ensemble du monde comme
nous allons le voir à travers la présentation et l’analyse de la structure du cosmos selon la
conception africaine.

LE MONDE : UN ENSEMBLE STRUCTURE

Pour les Africains, Dieu est le Créateur de l’univers. C’est un fait indiscutable dans le
système de croyance traditionnel africain. Le monde n’existe que parce que Dieu l’a voulu. Les
récits relatifs à la création peuvent différer d’une aire culturelle à une autre, mais leur substance
reste la même. Le monde est venu à l’existence grâce à une activité de Dieu. Dans les mythes
relatifs à la création du monde se dévoile le génie religieux des peuples africains. Par exemple
dans l’aire culturelle Fang-Beti, un des mythes expliquant l’origine de tout ce qui existe
distingue le créateur initial et les créatures chargées de poursuivre et parachever la création.
Ohouo Djoman Nathanael5 nous rapporte ce mythe en ces termes :
Tous les êtres qui vivent et se meuvent sur cette terre ont une même origine. Mais
quant à ce qui est à l’origine des choses, nul ne sait rien de cela… Personne ne sait de ce qui est
à l’origine des choses. De cela, nous ne connaissons que le nom ; nous savons que cela
s’appelait EYO. Nous sommes incapables de dire où cela est né, d’où il vient, d’où il tient ce
nom. C’est parce que cela a existé que nous avons le terme de EYO. Est-ce que vous saisissez ma
pensée ? Cela a pensé se donner le nom EYO. C’est de lui-même que lui est venue cette idée. Par
la seule lumière de son intelligence, de sa propre réflexion, il a trouvé le terme de vie.
Se parlant à lui-même, il s’est dit : je ne pourrai jamais rester ainsi. Je vais réfléchir et trouver
une solution. Cela réfléchit et chercha conseil en lui-même.
Cela engendra en premier lieu la terre. Cette terre sur laquelle nous sommes debout. Il nomma
la terre SI EYO.
Après avoir engendré la terre, EYO s’arrêta ; il souffla. Vous savez que de ses narines sortit du
souffle ; à ce souffle, il donna le nom de NKUR EYO.
EYO eut donc deux enfants : SI EYO et NKUR EYO ;
EYO se recueillit et contempla son œuvre. Il dit : je ne ferai plus rien, je mets un terme à mes
actions.

5Croyance à la vie après la vie chez les Israélites et chez les Africains face à Jésus Christ comme la résurrection, Cours d’histoire
de Religions, Master I, année 2005-2006, FTPSR. PP.51-52

12
Nul ne sait si la terre est un homme ou une femme ; car nous ignorons les choses de EYO, nous
ne les connaissons pas bien. La seule chose que nous savons de cette terre, c’est qu’elle a des
bras, une tête et des pieds.
EYO dit alors à la terre ; dispose de tout ce qui existe comme tu l’entends. La terre se demanda
alors si elle allait demeurer seule ; la terre alors engendra NKOM, c’est lui qui a ordonné toutes
les choses de ce monde. NKOM à son tour engendra MEBEGUE… Il le nomme MEBEGUE ME
NKOM SI EYO. Vous savez que MEBEGUE à son tour engendra NKWA MEBEGUE et YO
MEBEGUE, en tout deux enfants. Tous des garçons. Il leur dit : vous êtes trop différents
physiquement. YO est un peu petit. NKWA est beaucoup plus grand que YO. Si vous habitez
ensemble l’un se moquera de l’autre, et ça n’ira pas. Il les sépara. YO s’en alla ; il engendra
NZAME YO, c’est-à-dire Dieu fils de YO… Dès que Dieu (NZAME YO) commença à marcher,
son père YO lui dit : Il te revient de continuer l’ouvre commencée… Dieu continua ce qui restait
à faire. Il fut considéré comme l’auteur des choses. Mais nous savons que ce n’est pas lui qui est
à l’origine de la vie, du monde. C’est EYO. NZAME YO a été lui-même engendré. Il n’est pas au
commencement. Il est au milieu, tout comme les autres membres de la famille humaine.
Voilà comment la tradition Fang-Beti explique l’origine du monde et de l’ensemble de ce
qui le composent.
Ce monde créé ou cosmos est un ensemble ayant deux composantes indissociables
comme les deux faces d’une pièce de monnaie. Il s’agit de la composante invisible appelée
monde de l’invisible et la composante visible appelée monde du visible. Ces deux composantes
se tiennent ensemble et fonctionnent en interconnexion. Il y a une unité parfaite entre les deux
composantes de l’ensemble du monde. Et aucune distinction n’est faite entre monde du visible et
monde de l’invisible, entre monde naturel et monde surnaturel. L’homme y occupe une position
centrale et vit en interconnexion permanente avec tous les éléments constitutifs des deux
composantes de l’ensemble du monde. Comme le dit Dominique Zahan 6, l’homme, dans
l’ensemble cosmique africain traditionnel est un
« Microcosme auquel aboutissent, invisibles, les innombrables fils que les êtres
et les choses tissent entre eux »
Ceci pour dire concrètement que le cosmos et l’homme ne peuvent ȇtre bien compris que
l’un avec l’autre. Ce microcosme qu’est l’homme présente donc beaucoup de caractéristiques
propres au macrocosme.
Au sujet de la conception africaine du cosmos, Fouellefak Kana 7 nous fait savoir que
certains chercheurs africains groupés autour de Kotto Essomè8 ont mis en relief une notion qui, à
elle seule permet de cerner le cosmos selon les Africains. Il s’agit de la notion l’endocentrisme 9.

6Dominique Zahan, Religion, spiritualité et pensée africaines, Paris, 1970. P.25


7
Fouellefak Kana, Le christianisme occidental à l’épreuve des valeurs religieuses africaines : le cas du catholicisme en pays
Bamiléké au Cameroun (1906-1995), thèse de Doctorat en Histoire, Université Lumière Lyon II, 2004-2005. P. 75

8 Cité par Fouellefak selon qui Kotto Essomè est agrégé de Philosophie, épistémologue, ethnologue et mathématicien.
9 Fouellefak Kana explique l’endocentrisme comme étant « la vision théologique cosmique africaine de l’univers. Il est un système
religieux cohérent, qui possède pour principales fonctions d’abord d’expliquer la perception à priori du cosmos par l’homme noir.
Ensuite d’analyser la raison fondamentale de toute cette fonctionnalité, résumée en un etre supérieur, initiateur et ordonnateur de
tout cycle bio-vital. L’endocentrisme perçoit deux mondes liés : le visible et l’invisible, chacun exerçant une action sur l’autre. C’est
avec ces deux mondes dans leur globalité que le sujet africain entend s’ajuster et

13
Cette notion met en relief l’inter connexion existentielle entre toutes les composantes de
l’univers ou cosmos. Le tout prenant en compte les deux ordres bien connus du cosmos africain :
l’ordre du visible et l’ordre de l’invisible. Prenant en compte les travaux de Kotto Essomè,
Kange Ewane a projeté l’endocentrisme dans un diagramme qui expose l’ensemble de la
conception africaine du cosmos. Il l’a appelé la sphère de la totalité. Nous nous appuyons sur la
thèse de Fouellefak pour présenter et expliquer ledit diagramme.
Le transcendant
Les esprits
Les génies
Les ancêtres

L’homme spirituel
L’homme physique

L’ordre animal

L’ordre végétal

L’ordre minéral

La sphère de la totalité

Relativement à cette sphère de la totalité de Kange Ewane, nous faisons nȏtre ce


commentaire de Fouellefak10 :
Le diagramme présente neuf (9) spirales qui sont les neuf (9) ordres du monde.
La première située au centre est génératrice des huit (8) autres qui s’imbriquent
progressivement l’une dans l’autre. Des huit (8), trois constituent la sphère invisible faite
des génies et des ancêtres ou saints. Les trois autres forment la sphère visible faite des
ordres animal, végétal et minéral. Entre les deux sphères à composition triptyque, se
situent les deux spirales qui constituent l’homme. Celui-ci participe donc sous l’influence
des énergies immatérielles, spirituelles et invisibles et à la sphère matérielle et visible. Il
est donc sous l’influence des énergies venant d’en haut, ordre invisible et de celles
venant d’en bas, ordre visible. »

En considérant le diagramme, nous pouvons nous rendre compte qu’il renforce le lien qui
existe entre tous les éléments qui composent le cosmos. En effet tous les éléments des deux
ordres visible et invisible se partagent une même énergie qui se dégage d’une seule source : le
Suprême ou Transcendant. Ainsi chaque élément possède en lui des propriétés émanant du divin,
lesquelles propriétés lui permettent de subsister tout en étant en harmonie fondamentale avec le

10
Op. cit. P.76

14
divin et toutes les autres composantes de l’univers. C’est ce qui justifie que l’Africain
traditionnel porte une attention religieuse à chacun des éléments de son milieu de vie : pierres,
arbres, animaux et êtres humains.
Il n’est pas question pour l’Africain d’adorer ces éléments comme l’ont pensé certains
chercheurs, mais plutôt de reconnaitre en eux une énergie vitale issue du Transcendant ou Etre
suprême. Ceci exprime la croyance qu’a l’Africain de l’omniprésence et de l’omnipotence de
l’Etre Suprême. En effet, pour l’Africain tout l’univers dépend entièrement de celui qui l’a créé
et qui le soutient. Ces chercheurs, n’ayant pas pris le temps de comprendre la conception
africaine du cosmos ont tôt fait de parler d’animisme, pour faire croire que l’Africain voit une
âme dans tout ce qui existe. Il s’agit plutôt d’une reconnaissance de l’émanation du divin en
chaque élément du cosmos, reconnaissance essentielle au maintien de l’équilibre cosmique, gage
de paix, de stabilité et de prospérité dans la société. Les deux composantes du cosmos, tel que
conçus par l’Africain comportent chacune un certain nombre d’éléments qui les caractérisent.

1) Le monde de l’invisible
Prenant en compte les informations recueillies auprès de certains patriarches Beti, et
considérant les données documentaires11 que nous avons à notre disposition, il semble se dégager
que le monde de l’invisible peut être subdivisé en trois :
a) Le ciel
Faire allusion au ciel, dans la conception traditionnelle africaine, c’est se référer au
Suprême. Le ciel ici est beaucoup plus que ce que la voute au-dessus de nos têtes peut suggérer.
Le ciel est inexplicable parce qu’il est inconcevable : c’est le domaine de vie du Suprême. Bien
plus, il se confond au Suprême Lui-même. Par exemple, chez les Beti, lorsque quelqu’un est
contrarié, il dit en appeler « au ciel », il déclare par exemple « Yop da yen » (le Ciel voit), pour
dire concrètement que Dieu seul est Juge, que le Suprême est son Témoin. A l’observation on
peut affirmer que pour le Beti, le ciel se trouve au-dessus des têtes des hommes, il se trouve en
haut. C’est pourquoi, lorsqu’un Beti jure, il lève la main et les yeux vers le haut. De cette façon,
il se réfère au Suprême.
Le ciel est aussi habité par des divinités supérieures, ce sont des créatures du Suprême,
qui sont à son service et qui, en son nom interagissent avec l’homme et l’univers créé. Ce sont
les « qualités » du Suprême. Ces « qualités » ne résident pas seulement dans les airs (au ciel),
mais aussi dans les forêts, dans les montagnes, les cours d’eau etc.
b) Le village des esprits
Parlant de ce village des esprits, nous pouvons tirer des informations reçues qu’il est le
domaine des forces chargées de maintenir l’ordre hiérarchique dans l’ensemble du monde et
d’exécuter la volonté du Suprême. Ce sont des puissances cosmiques qui règlementent les
phénomènes de la nature. Ohouo Djoman Nathanael12 précise qu’il « s’agit des génies
aquatiques, des gardiens des forets, etc, des esprits constitués des restes d’animaux morts et
ceux des êtres humains momentanément rejetés du village des mânes des ancêtres. » Ce village
est localisé tantôt dans l’espace, tantôt dans les forêts. Ces divinités célestes et terrestres, comme

11 Nathanael Ohouo Djoman, Phénomène de double appartenance religieuse, réalité existentielle ou préjugés ? Cas des Akan de
Cote d’Ivoire. Thèse de Doctorat en Théologie, FTPY, 1995
12 Phénomène de double appartenance religieuse, réalité existentielle ou préjugés ? Cas des Akan de Cote d’Ivoire. Thèse de

Doctorat en Théologie, FTPY, 1995, p. 88

15
nous l’avons déjà dit ne forment qu’un avec le Suprême dont elles ne sont que des émanations ou
des altérations.
c) Le village des ancêtres ou morts-vivants
Géographiquement, ce village des ancêtres ou morts vivants est situé tantôt sous terre,
tantôt dans les airs ou alors à la périphérie des maisons. Cette dernière localisation semble bien
ȇtre celle des Beti, car chez ces derniers par exemple, il ne faut pas verser des ordures au fumier
ou à l’arrière des maisons le soir. Il est admis que les morts y rodent pour continuer à veiller sur
leurs descendants restés dans le monde du visible. Cette troisième partie du monde de l’invisible
est le domaine de règne des mânes des ancêtres. En Beti on le désigne comme nnam bekon
(village des Bekon : en général fantômes) ou ndong bivo (lit. La vallée du silence). Ce village
des morts est l’aboutissement de la marche de l’homme vers sa destinée. En fait, l’Africain
traditionnel vit dans la perspective d’entrer un jour dans le village des ancêtres pour continuer à y
vivre, une vie paisible et sans peine. C’est pourquoi le village des ancêtres n’est ouvert qu’aux
esprits des défunts ayant atteint l’âge de la sagesse. Ohouo13 explique que :
Pour y accéder, tout homme est tenu d’observer et de mettre en application les
lois… du Suprême telles qu’elles ont été communiquées par les ancêtres, il s’agit des lois
sociales qui instaurent le respect de la nature, de l’individu, du groupe familial et de la
communauté. En fin sa mémoire doit etre marquée par les funérailles. En sont exclus, en
plus des contrevenants, les suicidés, les accidentés et les femmes mortes en couches. Les
enfants et les adultes en sont exclus momentanément, ils n’entrent dans ce village
qu’après une nouvelle vie sur terre pouvant leur permettre d’acquérir le statut d’ancêtre.

Ce statut d’ancêtre, dans la conception africaine traditionnelle est réellement


l’aboutissement souhaité de la vie de quiconque. C’est pourquoi, ne devient pas ancêtre qui veut
mais qui mérite. En effet, des critères d’ordre social, moral et spirituel sont à remplir pour
devenir un ancêtre et donc intermédiaire entre le monde du visible et celui de l’invisible.
Sur le plan social relevons que l’ancêtre doit 1) avoir laissé une nombreuse progéniture,
2) avoir éduqué sa progéniture selon les lois sociales et religieuses en vigueur de sa communauté,
3) avoir œuvré de façon déterminante au maintien de l’harmonie et de la cohésion dans la
société, 4) avoir exercé une influence positive sur sa communauté.
Pour tout dire, il faut avoir été d’une intégrité sans faille dans la vie sociale pour espérer
entrer dans le village des ancêtres et en devenir un. L’ancêtre est un véritable héros social.
Sur le plan moral il s’agit surtout d’avoir fait preuve d’une pureté de vie sociale sans
faille et d’avoir assuré la continuité de la vie au sein de la communauté. Sur le plan spirituel,
l’ancêtre est celui qui, de son vivant a reconnu et vécu les valeurs religieuses de sa communauté,
a été initié dans les traditions religieuses de son groupe d’appartenance et a participé à
promouvoir, par l’éducation et son mode de vie, les croyances traditionnelles reçues des ainés et
transmises à travers des générations. Ainsi Domique Zahan14 commente avec pertinence qu’

13 Op. Cit. P. 89
14
Op. Cit. P. 84

16
Il est intéressant de remarquer que les éléments qui permettent de caractériser
l’ancêtre : la sagesse, l’intégrité physique et morale, le passage dans la vie sans entorse
à son cours normal, ainsi que l’indentification ‘communielle’ au groupe dont on fait
partie, constituent des attributs impliquant l’idée d’achèvement et que si idéalement, on
prolonge ces éléments en les portant à leur degré le plus haut, on aboutit à l’idéal par
excellence, à la perfection extrahumaine, à la divinité.
On ne s’improvise donc pas ancêtre, il faut le mériter. Cet idéal fonde donc et sous-tend
toute la vie sociale et communautaire en milieu africain traditionnel. Il s’agit finalement d’une
invitation à mener une vie conforme à la nature divine qui s’exprime en la personne de l’ancêtre
et ainsi accomplir sa raison d’ȇtre sur terre : appliquer la volonté du Suprême. Quant au monde
du visible, nous pouvons également le saisir, chez les Beti à trois niveaux:

a) L’espace bâti, habité et ses environs


Cet espace bâti est celui habité par les hommes et les animaux domestiques. On le
désigne sous l’appellation dzal (concession, village). Cette concession comporte des parties
essentielles qui la caractérisent. Devant les maisons se trouve la nseng (la cour avant). Elle est le
lieu de déploiement de quiconque. On s’y retrouve en famille et quelquefois, on y prend des
repas. La cour avant est généralement gardée propre, malgré que les animaux domestiques y
trainent le plus souvent.
Derrière les maisons se trouve la falak (la cour arrière). C’est un endroit qui revêt un
caractère presque sacré. En effet, c’est un cadre intime de la concession. Là se trouvent
généralement l’éduck (WC), l’Ewobo (lieu de bain), l’akun (le fumier) etc. Là débouchent aussi
les sentiers des champs. Cet espace est peu fréquenté, de jour comme de nuit. En général, il est
réputé dangereux pour les enfants. En investiguant à ce sujet, il nous a été révélé que le falak est
le domaine des ancêtres protecteurs (be mvamba). Aussi ne doit-on pas par exemple verser des
ordures au fumier de nuit, verser de l’eau chaude dehors de nuit etc. L’arrière des maisons donne
toujours l’impression d’ȇtre habité, on y ressent comme des présences invisibles.
Autour de ces espaces que sont le nseng et le falak, se trouvent quelques productions
végétales. On y retrouve des denrées alimentaires de première main auquel on a recourt en cas de
besoin pressent ou en cas d’empêchement d’aller en brousse : bananiers plantains, patates
douces, piment, gombo etc.
b) La brousse (afane)
C’est ici que se font les productions vivrières : champs de vivres, plantations etc. On
retrouve également les plantes médicinales dans cette zone, de même qu’on y pratique la chasse
et la cueillette. Le Beti admet en général que ce domaine est celui où règnent des esprits créés,
matérialisés en certains éléments de la nature, et avec eux les mânes des ancêtres.

c) La forêt (ngomba afane)


Cette dernière partie du monde du visible est reconnue comme dangereuse. En effet, elle
est le domaine des grands animaux, des génies et des divinités associées au Suprême. On n’y
passe pas la nuit et d’ailleurs ne s’y rend pas qui veut.
De cette présentation sommaire du monde du visible, nous relevons que l’espace bâti et
ses environs constituent le domaine de prédilection de l’homme. Par contre, la brousse et la forêt

17
sont déshumanisés et habités par des esprits de diverses catégories. Nous devons également
remarquer que le visible et l’invisible se chevauchent sans cesse et se confondent ensemble pour
donner un cadre de vie harmonieux. Ici se révèle encore la croyance en la bi dimensionnalité du
cosmos qu’ont en partage les peuples d’Afrique traditionnelle.
Nous retenons donc que pour l’Africain traditionnel, le cosmos ou univers est un tout
créé par le Suprême. Il s’agit d’un ensemble comportant deux grandes composantes, visible et
invisible. Ces composantes sont indissociables et interagissent l’une sur l’autre. Chacune des
composantes comportent des éléments qui, tous, tirent leur énergie de subsistance de l’Etre
Suprême, leur créateur et leur sustentateur. Ces différents éléments entretiennent entre eux des
rapports d’harmonie et d’interconnexion vitale pour tous et pour chacun. Pour l’Africain
traditionnel, la force vitale de Dieu influence tout l’univers créé par lui et cette même force
soutient la vie dans toutes ses dimensions.
Dans cet ensemble harmonieux se trouve l’homme qui, à lui seul, entretient des rapports
tant avec la composante visible qu’avec la composante invisible du cosmos. Ainsi, l’homme est
une sorte de synthèse du cosmos, il est au centre de tout. Comme le dit Dominique Zahan 15 « le
ciel et la divinité ne sont pensés qu’en fonction des représentations au sujet de l’homme. Ce
dernier constitue pour ainsi dire, la clef de voute de tout l’édifice religieux. »
Cette mise au point de Domique Zahan nous permet de nous intéresser maintenant à la
conception africaine traditionnelle de l’homme.

L’HOMME DANS LE SYSTEME DE CROYANCE TRADITIONNELLE AFRICAINE

La conception de l’homme dans le système de croyances traditionnel africain est aussi


difficile à cerner qu’elle l’est dans tous les autres systèmes de pensée. En Afrique traditionnel,
l’homme est à lui tout seul, la somme du monde existant. En général, l’homme est considéré
comme une créature de l’Être Suprême. Il est un tout fait essentiellement de deux composantes,
une composante visible et une composante invisible. Dans les différentes aires culturelles,
l’homme reste un être exceptionnel de l’ensemble du monde. Etant donné que nous ne pouvons
pas cerner complètement la conception traditionnelle africaine de l’homme, nous présentons dans
cette section les données essentielles de ladite conception de l’homme : ses origines, ses
composantes visible et invisible, le cycle de vie de l’homme.

ORIGINE ET ESSENCE DES ETRES HUMAINS DANS LA RTA

En Afrique sub-saharienne en général, l’homme est considéré comme une créature de


Dieu. Bien que les récits mythiques décrivant la manière dont l’être humain est venu à
l’existence soient très souvent assez différents les uns les autres, ils restent tous constants sur le
fait que l’homme existe du seul fait de l’action créatrice de Dieu.
Bien plus, dans le système de croyance traditionnel Africain, il est admis que les êtres
humains jouissent d’une relation spéciale avec Dieu. En effet, l’Africain traditionnel croit que
Dieu a placé l’homme au-dessus de toute la création en lui accordant l’intelligence et la liberté de

15
Op. cit. P.13

18
choisir. Ainsi l’homme est considéré de ce point de vue comme étant semblable à son créateur.
Très souvent, l’homme est identifié dans les sociétés traditionnelles africaines comme étant fils
de Dieu. La relation entre Dieu et l’homme est donc une relation père-fils. Cette relation ne
consiste pas seulement en la soumission, l’obéissance et l’acceptation de la volonté de Dieu de la
part de l’homme, mais aussi elle implique amour, protection et soin de la part de Dieu.
Dans plusieurs de leurs mythes, les Africains ont également essayé d’expliquer la
séparation actuelle entre les humains et Dieu. Les récits mythiques à ce sujet sont assez différents
d’une aire culturelle à une autre, certes, mais le contenu reste presque d’un même sens. En
général, dans ces récits, il ressort qu’au commencement, Dieu vivait en bonne harmonie avec les
humains et au milieu de ces derniers. Mais à cause de certains comportements des humains,
Dieu s’est retiré de leur milieu immédiat, tout en laissant la possibilité à ces derniers d’accéder à
lui. Dans certains mythes, la raison du retrait de Dieu est tantôt la désobéissance des humains à
des règles établies par Dieu, tantôt un embêtement provoqué par des activités domestiques des
êtres humains. De toutes les manières, de ces récits mythiques, il ressort que c’est à cause de
l’homme que Dieu s’est retiré de la société des hommes.
Sur le plan de l’essence de l’homme, les Africains admettent que l’être humain est
beaucoup plus que la chair et le sang. Ils reconnaissent qu’il y a quelque chose qui forme
l’essence de l’homme. Cette chose bien qu’étant de l’ordre de l’invisible est tout de même réelle
et se manifeste de plusieurs manières. Selon les cultures, cette essence de l’homme prend divers
noms et avec eux diverses fonctions et conceptions.
En analysant ladite conception de l’essence de l’homme chez les Yebekolo du Cameroun,
nous constatons que pour eux, c’est Dieu qui a créé les êtres humains et qui leur a en même
temps communiqué une chose d’essence divine reconnue sous l’appellation nsinsim. Ainsi l’être
humain est connecté à Dieu avant, pendant et après sa vie terrestre. C’est cette chose d’essence
divine qui agit dans ce sens.
Ainsi l’origine de l’homme dans le système de croyance traditionnel africain peut être
reconnue à travers les solides liens qui lient l’Africain au monde de l’invisible et qui se reflètent
dans la riche spiritualité africaine. Pour l’Africain donc, Dieu est l’incontestable créateur de
l’être humain qui, de ce fait dépend entièrement du Créateur, par ailleurs considéré par l’Africain
comme ultime recours, Juge Suprême. L’Africain traditionnel est pour ainsi dire fortement
attaché à Dieu, bien que le redoutant en même temps.

COMPOSANTES DE L’ETRE HUMAIN DANS LE SYSTEME DE CROYANCE TRADITIONNEL


AFRICAIN

Pour l’Africain, il est clair que l’homme est un être à double composante : une
composante visible et une composante invisible. Ces deux composantes lui permettent d’interagir
avec les dimensions visible et invisible du monde.

a) La composante visible de l’homme


L’être humain est composé de l’élément visible et de l’élément invisible, les deux
éléments étant nécessaires pour former un homme. Les parties physiques des humains peuvent
être vues, touchées et décrites comme structure physique du corps humain. Ceci comprend la
tête, le tronc, les bras, le ventre et les jambes. Chacune de ces parties est appelée d’une certaine
manière dans les diverses aires culturelles en Afrique. Chez les Béti du Cameroun, la tête est nlo,
le tronc est connu comme nkug, les bras sont appelés moo, le ventre abum et les jambes mebo.

19
Ces différentes appellations dans le milieu Béti sont toutes signifiantes. Ainsi par exemple le
nkug désigne finalement le centre vital de l’homme. C’est pourquoi l’acte de l’étiende nkug16 qui
consiste à faire mourir un être humain à la place d’un autre, semble directement lié au tronc de
l’être humain. Le nkug ne désigne pas seulement l’aspect visible du tronc de l’homme, mais
aussi le siège des organes vitaux de ce dernier : cœur, poumons etc.
Pour l’Africain, la composante visible de l’homme permet à ce dernier d’inter agir avec
le milieu environnant. Ainsi les activités telles la chasse, la pêche, l’agriculture, l’élevage sont
comme des conséquences de l’action de la composante visible ou physique de l’être humain. Il
faut aussi ajouter que pour l’Africain, le corps humain ou la composante visible de l’être humain
constitue une sorte de « conteneur » pour certaines structures non physiques de l’homme.
Prendre soin du corps est considéré comme la responsabilité de chaque individu. Quelquefois
c’est aussi la responsabilité de la communauté, par exemple dans le cas d’une femme enceinte.
Dans la conception africaine, la composante visible des êtres humains dépérit à la mort de
chaque être humain à travers le processus de décomposition. Outre la composante visible, il y a
aussi la composante invisible de l’homme.

b) Composante invisible ou double de l’homme

De même que l’Africain conçoit que le monde est un tout à deux composantes, de même
l’homme comporte deux composantes. La composante visible qui est le corps et la composante
invisible qui est l’être intérieur. S’il est assez aisé de cerner la composante visible de l’homme,
définir la composante invisible par contre est complexe.
Dans la conception Béti par exemple, la silhouette est décrite comme ce qui se tient à mi-
chemin entre la structure physique et la structure non physique de l’homme. La silhouette
humaine dans cette culture Béti a une signification sociale et rituelle. En Béti, on l’appelle
nsinsiῆ. La silhouette humaine est inséparable du corps humain mais ne peut pas être
manuellement touchée. Dès lors elle est conçue comme combinaison des caractéristiques
physiques et non physiques des êtres humains. Selon les gardiens des traditions, cette silhouette
humaine disparait à la mort de chaque individu17. Dans cette perspective, l’Africain conçoit la
silhouette de l’homme comme étant la représentation de l’âme personnelle de chaque individu.
Ainsi dans un sens rituel, tout enchantement fait sur la silhouette d’un individu affecte
automatiquement ce dernier. Pour l’Africain, la silhouette est le symbole de l’âme propre d’un
individu.18
Le principe vital, qui est représenté par le souffle de vie des êtres humains, est une
structure invisible du corps humain. Le souffle de vie des êtres humains représente aussi l’âme
personnelle de chaque individu. Ce principe de vie a sa source en Dieu le Créateur, l’Être
Suprême qui a donné le souffle de vie à toutes les créatures vivantes. Selon certains récits
16 Il nous a été expliqué, au cours de l’enquête du 19 juillet 2016 à Ayos, par des anciens de la société traditionnelle Yebekolo que
l’étiende nkug (littéralement : le changement du tronc humain) est une pratique utile dans le maintien de l’équilibre social chez les
Béti. Selon ces anciens, lorsqu’une personne de grande valeur pour la communauté est sur le point de mourir, des initiés sont
appelés à intervenir pour procéder à la substitution des vies. Il s’agit de récupérer la force vitale d’une personne de moindre
importance et de la transférer au moribond de grande valeur sociale. Ainsi celui qui n’a aucune valeur sociale va mourir et celui qui
a de la valeur va continuer à vivre. Pour les garants de la tradition Yebekolo, cette substitution n’est aucunement un meurtre, mais
plutôt une nécessité pour le maintien du bien-être de l’ensemble de la communauté.
17 Nous aurions aimé vérifier ce fait. Mais nous n’avons pas malheureusement eu la possibilité de le faire. Surtout à cause des

différentes conceptions justement qui tournent autour de la mort d’un individu en milieu Beti ou nous avons mené nos investigations.
Toute mort est suspecte et dès lors, toute activité autour du cadavre d’un décédé est très surveillée. Cependant, nous avons trouvé
mention de la disparition de la silhouette à la mort d’individu dans certains documents que nous avons consultés.
18
Cf la silhouette guérissante de Pierre dans la bible (Ac.5 :15)

20
cosmologiques africains, l’Être Suprême aurait délégué la mise en forme des structures
physiques de l’homme à certaines divinités spécifiques, toutefois Il s’est réservé la prérogative
unique de donner le souffle de vie à ces structures physiques pour faire d’elles des êtres vivants.
Cette force vitale ou souffle de vie cesse d’exister à la mort de chaque individu.19
L’âme personnelle est une autre structure de la composante invisible des êtres humains.
Ce concept d’âme individuelle ou personnelle est très répandu parmi les peuples africains. A la
base, ce concept n’est que l’expression de la croyance selon laquelle il existe un aspect invisible
de l’homme, lequel aspect reste en constante interaction avec le monde de l’invisible. Cette
composante invisible de l’homme est désignée par différents noms. Mais très souvent, les noms
employés pour la désigner sont imprécis. Par exemple, chez les Béti on appelle âme et esprit
nsinsim.
Une fois de plus ici, Dieu est la source de l’âme personnelle de chaque individu. Selon les
Africains, elle est accordée à l’homme par Dieu pour distinguer les humains les uns les autres, et
pour les distinguer du reste des êtres créés. Cette âme, à l’origine, est positive. Mais certains
facteurs peuvent altérer cette disposition positive et la rendre mauvaise. Entre autres facteurs,
nous pouvons citer les méchants que l’homme côtoie, certaines divinités négatives et le caractère
personnel de l’individu.
Pour les Africains, la composante invisible de l’homme est essentielle à l’existence même
de ce dernier en ce que c’est elle qui maintient l’interaction permanente avec le monde de
l’invisible. Lequel monde de l’invisible détermine le monde du visible. On peut donc affirmer,
dans cette perspective que, selon la conception africaine, sans sa composante invisible, l’homme
serait complètement déséquilibré et sans repère dans le monde du visible. Engelbert Mveng20
résume tout ceci en disant que

L’homme est à la fois du monde des Vivants et de celui des Morts ; il est esprits,
animaux, végétaux, minéraux : il est feu, il est eau, il est vent ; il est Geb et Nut, c’est-à-
dire ciel et terre…L’homme appartient à la totalité de la durée : il est racine initiatique,
à la fois aboutissement et commencement absolu ; il est fondement de l’histoire qui donne
à la durée son sens et son contenu. A la fois, terre et ciel, esprits et forces cosmiques,
passé, présent et avenir, l’homme est réellement l’’univers en miniature, microcosme au
sein du macrocosme.

En milieu Beti, une réalité très répandue constitue visiblement une des structures de la
composante invisible de l’homme. Il s’agit de l’Evu. Nous présentons ici ce que nous avons pu
recueillir comme information à son sujet et ainsi dégager le sens de cette réalité dans les milieux
Beti.

19 Au cours de la même enquête du 19 juillet 2016 auprès d’un groupe de Chefs traditionnels, il n’y a pas eu de consensus sur ce
que devient le souffle de vie à la mort de l’individu. Pour certains, le souffle de vie retourne à Dieu qui l’a donné, pour d’autres il se
réincarne en une autre créature. Pour d’autres encore, il se dissout dans l’air. Cependant pendant la discussion, il est apparu
clairement que ce souffle de vie est incontestablement d’essence divine et que seul Dieu sait ce qu’il en est lorsqu’un humain meurt.
Une tendance générale semblait quand même montrer qu’il est impossible qu’une chose d’essence divine vienne à mourir. Cette
conception par ailleurs participe à fonder et justifier la croyance en la perpétuation de la vie chez les Yebekolo.
20
Engelbert Mveng, L’Afrique dans l’Eglise, paroles d’un croyant. Paris, Harmattan, 1985. PP.11, 12.

21
1) Qu’est-ce- que l’Evu ?

En Beti, Evu vient du verbe Vou qui renvoie à prospérer, se développer, s’épanouir,
fertiliser. Vou donne l’idée d’apporter de l’abondance en termes de ce qui est bien. C’est ainsi
qu’on entendra par exemple en Beti que Bidi bia vu afut té abui (ce champ est fertile, il produit
beaucoup de vivres). Le patriarche Engelbert Fouda Etoundi21 dit de l’Evu qu’il « est un esprit
que Dieu créateur a insufflé en l’homme pour que celui-ci soit à son image, c’est-à-dire qu’il
pose comme lui des actions de création…Tout homme est donc habité par l’Evu qui, au départ,
n’a que des manifestations positives. »
Pourtant, le plus souvent, quand on fait allusion à l’Evu, on pense tout de suite au mal. La
forme d’Evu la plus connue est donc l’Evu maléfique qui finalement incarne cette réalité qu’on
appelle Evu dans les milieux Beti. Parlant de l’Evu, Engelbert Mveng reconnait son ambivalence.
Il dit que l’Evu est

Une force ambiguë, principe du bien et du mal, qui dédouble la personnalité


de certains individus et en fait des êtres supérieurs…Dans sa forme négative, l’Evu
incarne le génie du mal. Ce génie dans l’homme, se manifeste par deux vices :
l’égoïsme qui fait le vide autour de soi et la concupiscence insatiable.

La tradition Beti a d’ailleurs conservé des mythes qui illustrent ce double visage de l’Evu. Nous
donnerons deux de ces mythes ici car chacun d’eux apporte des éléments complémentaires à
l’autre.

2) Les mythes d’Evu

Voici le premier mythe22 d’Evu, encore appelé Evu Mana :


Une femme partit un jour en forêt pour une partie de pêche. Elle alla de ruisseau en
ruisseau sans le moindre butin, car tous les ruisseaux avaient été fouillés. Au bout de son
chemin, elle vit devant elle une nappe d’eau saumâtre : c’était un grand marigot. Elle s’arrêta.
Elle allait se pencher pour y pêcher quand tout à coup, elle aperçut à quelques pas de là, une
superbe antilope qui gisait morte. La bête était fraîche, pas une trace sur le corps, pas une ficelle
à la patte. La femme surprise hésita un moment, puis : « c’était ma chance, dit-elle ! Tant de
viande, ça vaut bien mieux qu’un peu de poisson ». Ainsi, après avoir mis la bête en parties, la
femme rentra au village. Elle fit bonne cuisine et tous les siens en mangèrent.
La provision terminée, la femme reprit le chemin du marigot. Quelle ne fut pas sa
surprise de trouver, au même endroit, une antilope en tout semblable à la première. Elle débita
la bête, rentra au village, fit bonne cuisine et tous les siens en mangèrent.
Pour la troisième fois, la femme reprit le chemin du marigot. Pour la troisième fois, elle
retrouva la même chance. Elle revint une quatrième, une cinquième fois… Son gibier l’attendait
chaque fois, à la place habituelle.
Alors, un sentiment étrange l’envahit, un mélange d’inquiétude et de crainte. N’y a-t-il
pas un mystère caché derrière cette aubaine ?

21 Op. Cit. P. 83
22
Engelbert Mveng, op. cit.P. 29

22
- Elle était encore à se demander quand, tout à coup, elle aperçut devant elle, un être
étrange campé sur ses pattes et qui la dévisageait. Toute tremblante, elle posa une
question : « Qui es-tu, être étrange ?
- Est-ce toi le chasseur qui tue ces animaux ? C’est moi, répondit une voix caverneuse,
oui c’est moi le tueur qui tue ces animaux !
Et la femme d’ajouter : « puisque tu es si généreux, accompagne-moi donc au village des
hommes ». La bête répliqua : « je veux bien, mais trouverai-je de quoi manger au village des
hommes ? » « Qu’à cela ne tienne, reprit la femme – chèvres, chiens, chats et volaille, tu
trouveras tout à gogo au village des hommes ».
« Alors, porte moi et partons », lui répondit la bête.
La femme lui tendit les bras comme on fait à un bébé ; Evu-Mana refusa. Elle tendit la
hanche, même refus. Elle lui tendit le dos, même refus. Elle lui proposa toutes les parties du
corps où l’on a l’habitude de porter ; Evu-Mana refusait toujours.
Etonnée, la femme lui demanda comment il voulait se faire porter. Evu-Mana lui
répondit : « Femme ne t’en déplaise, accroupis-toi, et laisse-moi rentrer par où les hommes
naissent, car je ne suis pas un être de lumière, je vis dans les ténèbres ».
La femme s’accroupit. Evu-Mana rentra dans son ventre. Et les voilà partis au village
des hommes.
Ils étaient à peine au village que la femme entendit une voix : « Femme, j’ai faim ! » - la
femme lui proposa des bâtons de manioc. La voix refusa ; du couscous, même refus ; un plat de
viande fumée, refus toujours. Alors la femme lui demanda : « Quelle nourriture te faut-il, ô Etre
étrange ? » La voix répondit : « Il me faut des bêtes vives. Je suis le dévoreur du troupeau des
vivants : je ne mange que les vies, et non les corps ! ».
La femme lui montra le troupeau de son mari. Jour après jour, le troupeau fut décimé.
Puis, chiens, chats, volaille, passèrent à leur tour. Mais Evu-Mana avait toujours faim et
réclamait de quoi manger.
Après les bêtes, ce fut le tour des hommes : enfants encore dans le sein de leur mère,
bébés, adolescents, hommes et femmes, vieux et vieilles, tous y passèrent à leur tour. Mais Evu-
Mana avait toujours faim et réclamait de quoi manger. La femme dut lui livrer son mari, ses
propres enfants…La voix criait toujours. J’ai faim, j’ai faim, j’ai faim ! « Je n’ai plus rien à te
donner, répliqua la femme ! » - « Si, reprit la voix. Tant qu’il y a une vie sur la terre, j’ai de quoi
manger. Tu es encore vivante, femme, viens que je te mange ! Car je suis le génie, le génie de la
mort ! « La femme n’eut pas le temps de crier : Evu-Mana avait dévoré sa vie »

Dans ce mythe apparaissent clairement les deux visages d’Evu Mana. Au départ, il donne
gracieusement de la viande en abondance à la femme et à sa famille. Pendant qu’il reste dans les
marais, Evu Mana ne pose aucune exigence pour faire le bien. Dès lors que la femme le sollicite
pour des services permanents que la femme lui demanderait, Evu Mana pose ses conditions et
révèle ainsi son deuxième visage qui finalement deviendra le plus connu. Ainsi selon le mythe,
pour bénéficier des pouvoirs surnaturels d’Evu Mana, il y a des conditions à remplir. Cela est
assez visible dans les pratiques Beti de manducation du pouvoir (A di byan).
Dans ces pratiques, une première exigence est d’avoir ce que le Beti appelle Ngul Evu (un
Evu puissant). Cet Evu devient puissant lorsqu’on l’a aiguisé, affuté ou réveillé (a koé evu) par
une initiation ; il définit la personnalité d’un individu au sein de sa communauté. Dès lors que
son détenteur a été initié, il développe la capacité d’accéder à des pouvoirs supérieurs, bien sûr
moyennant des sacrifices exigés par Evu Mana. Il en est ainsi par exemple de la manducation des

23
pouvoirs thérapeutiques, de protection, économiques, sexuels, etc. Le donneur humain de ces
pouvoirs est un initié qui doit s’assurer que le récepteur possède un Evu puissant.
Il nous a été expliqué que l’appropriation, la détention et la conservation de ces pouvoirs
s’accompagnent des interdits (bityi) auxquels le postulant doit obligatoirement se soumettre. Par
ailleurs la transmission de plusieurs de ces pouvoirs exigent un sacrifice de grande valeur qui
s’exprime en terme d’offrir un être humain cher. Cette alliance est exigée parce qu’elle permet de
« fermer la bouche » au postulant qui, à cause de la commission d’un meurtre ne saurait porter
atteinte au secret de leurs pratiques mystiques. En général, cet ȇtre offert se transforme en Nkug,
une sorte de totem qui accompagne son possesseur partout comme un ange gardien. Voici
maintenant le deuxième mythe23 se rapportant à Evu :
Dans le commencement « Zambe Nkom Bôdô » Dieu (faiseur) créateur des hommes, a
fait le ciel et la terre comme nous l’avons déjà dit plus haut, le monde visible et le monde
invisible. C’est lui qui a fait les êtres humains vivant en paix et en communion. Les parties de
chasse étaient organisées de temps en temps et la viande distribuée à tous dans le village. Dans
ce grand village « Nne Bôdô » (rien au-delà, ou la limite où vivent les hommes) ; vivait un
homme très gourmand. Il était si gourmand qu’il décida d’aller de temps en temps tout seul
chasser. Après des parties de chasses infructueuses dans la forêt appelée « Afan Mvom » forêt
du bonheur où tout le monde pouvait et avait la liberté d’aller chasser, cet homme décida d’aller
chasser dans l’autre partie de la forêt « Afan Ebabôdô » forêt de la décapitation. Les deux forêts
étaient séparées par un petit ruisseau aux eaux claires. L’homme traversa le ruisseau et alla
très loin à l’intérieur de la forêt « interdite ». Il vit un sanglier mort. Comme il était entrain de se
demander qui pouvait avoir tué cet animal, une voix répondit de l’ « Engas » (marécage) c’est
moi ! « Qui es-tu ? demanda l’homme » mon nom est « Evu » (le sorcier ; le corps astral). Je te
donne cet animal.
L’homme gourmand qui s’appelait Tefe’e (sans sagesse) prit le sanglier et rentra au
village en prenant soin de n’avoir pas été vu. Et, à des périodes pas très espacées, Tefe’e allait
chez celui qui était devenu « son ami Evu », et ramenait de la bonne viande pour sa femme et son
fils.
Un jour, Tefe’e partit pour un voyage qui dura trois lunes (trois mois). Il n’y avait plus
de viande à la maison et la grande chasse n’était pas prête à être organisée, car on commençait
toujours par une série de rites, spécifiquement faits de danses, et d’invocations des ancêtres pour
que la chasse soit rendue fructueuse. Madame Tefe’e qui s’appelait Abo Nlame (destructrice de
village) se décida d’aller chercher de la viande chez « l’ami de son mari » qui se trouvait dans
la forêt interdite.
Elle suivit le petit chemin discret que son mari lui avait décrit. Après quelques temps de
marche, elle arriva près du marécage, et subitement elle vit une biche (Mvine). Comme son mari,
elle demanda qui pouvait avoir tué un animal si robuste et frais ! « C’est moi Evu, l’ami de ton
mari vas-y prend l’animal. Abô Nlame, toute joyeuse prit la biche et rentra au village ».
Puis, de façon régulière, après le temps qu’il leur aura pris à elle et à son fils de manger
la biche, Abo Nlame alla chercher de la bonne viande chez l’ami de la famille. Et un jour, Abô
Nlame dit à « Evu » je ne veux pas que quelqu’un d’autre vienne te trouver ici et que tu
commences aussi à lui donner de la viande. Pourquoi ne viendrais-tu pas vivre avec nous ?
Non ! répondit « Evu » il sera très difficile de me transporter de cette eau du marécage pour
vivre au village, car il n’y a qu’une seule place où je peux vivre en dehors d’ici c’est dans ton

23Rapporté par Marcel Ngbwa Oyono, La contribution des traditions à la compréhension de l’Evangile en Afrique. Yaoundé,
Presses universitaires Protestantes d’Afrique centrale, 2013. PP 45-48

24
ventre. « Oui je te porterai et tu vivras dans mon ventre ». Evu demanda à Abô Nlame
d’approcher et d’écarter ses cuisses pour qu’il puisse entrer car, c’était la voie normale qui
conduirait au nouvel habitacle. Evu entra dans le ventre. Le jour suivant, Evu demanda à
manger à la femme. Et selon sa forme de nutrition bien expliquée à la femme au bord du
marécage, qui consistait pour la femme à ne pointer que du doigt tout animal, alors le sang de
l’animal était sucé d’un coup par la voix mystique de l’Evu et l’animal tombait mort !
Ce jour-là, Abô Nlame pointa un bélier, et mystérieusement le bélier tomba mort. Cette
façon de nourrir Evu continua plus exigeante et trop fréquente jusqu’au jour où elle n’avait plus
rien à donner à Evu qui devenait de plus en plus menaçant. Et Abô Nlame pointa du doigt leur
fils qui tomba mystérieusement mort.
C’était la première mort d’un être humain ; disait Mezang M’oyono. Un message par
Tam-tam d’appel fut envoyé à Tefe’e que son fils n’était plus en vie, l’on ne sait pas ce qui se
passait, qu’il vienne. C’était le premier mort, c’est alors que les hommes connurent « la mort ».
Quand Tefe’e arriva, tout le village se rassembla et l’on demanda à sa femme Abô Nlame
ce qui était arrivé à son fils. Après que les deux eurent raconté leur histoire avec leur ami
« Evu », ils furent accusés d’être les auteurs de la mort de leur fils. Et alors Zambe Nkôm Bôdô
(Dieu) quitta les humains et alla habiter au-delà des nuages. Tefe’e et sa femme Abô Nlame
furent aussi chassés du village. Et, depuis ce temps ; la mort est avec les êtres humains, ne
laissant aucune occasion pour frapper.

De ce deuxième mythe d’Evu Mana, nous relevons quatre points essentiels des croyances
traditionnelles africaines en général, et Beti en particulier.
D’abord, comme le premier mythe l’a fait, celui-ci explique l’origine d’Evu Mana. Il
s’agit d’une force à double visage qui se retrouve chez les hommes de par la volonté de ces
derniers. Evu Mana est capable de bien et capable de mal. Le plus grand mal dont il frappe la
race humaine, c’est la mort.
Ensuite le mythe met en exergue l’origine de la mort24. Il l’attribue à l’action d’Evu
Mana. En effet, pour l’Africain en général et le Beti en particulier, il n’y a presque pas de mort
naturelle. En général, la mort chez les Beti traditionnels est attribuée à l’action d’Evu Mana.

24Un autre mythe est raconté par les anciens de la société traditionnelle Beti pour expliquer spécifiquement pourquoi les gens
meurent et ne reviennent pas. Le voici : Le premier couple humain engendré par Zamba ne connaissait pas la mort ; il ne
connaissait que le sommeil. Zamba leur dit : « Je pars en voyage ; si votre enfant tombe dans le sommeil, ne le mettez surtout pas
en terre ; conservez-le et attendez que je revienne »

Peu après l’enfant tomba dans le grand sommeil, et les parents voulurent le conserver comme Zamba le leur avait prescrit. Mais sa
décomposition suscita une pestilence telle que les mouches attirées, obligèrent les hommes à décider de déposer le cave dans un
caveau souterrain en attendant le retour de Zamba. Ce qu’ils firent. Zamba vit le tertre et demanda ce que c’était. On lui répondit
que c’était là où l’enfant avait été enterré.

Devant le courroux de Zamba, il se résolut que tout homme mourra et sera enterré comme les hommes l’ont voulu… Après quoi,
Zamba se leva et s’enfuit, jetant entre lui et les hommes l’océan et un gouffre de feu. Ne voulant plus traiter avec les hommes en
direct, il choisit deux messagers ; le lézard et le caméléon. Au lézard il dit : « fais savoir aux hommes qu’ils mourront et s’en iront
pour toujours ».

Au caméléon il dit : « fais savoir aux hommes qu’ils mourront et se réveilleront ». Les deux messagers se mirent en route. Le lézard
qui était malin s’approcha du caméléon et lui dit : prends le chemin de gauche, moi je prends celui de droite. Mais retiens bien mon
conseil : la terre sur laquelle nous nous tenons est fragiles ; si tu cours, tu vas l’ébranler sous tes pas… Marche lentement,
lentement.

Le lézard prit les devants, rencontra l’homme et lui dit : « Désormais, dit Dieu, les hommes meurent, et meurent pour toujours ».

Quand le caméléon arriva, c’était trop tard. Depuis ce jour les hommes meurent et ne reviennent plus.

25
C’est pourquoi le programme des obsèques commence toujours par le nsili awu25 (lit. la question
du décès). Il nous a été expliqué qu’à l’époque des ancêtres, une autopsie traditionnelle était
pratiquée sur tout cadavre d’un décès suspect. Ainsi, il était question que les spécialistes en la
matière examinent les viscères du défunt. S’ils étaient blessés ou déchirés, on concluait de deux
manières au moins : soit l’Evu du défunt s’était échappé au moment de l’expiration du défunt,
soit que ce dernier avait été mangé par Evu.
Ce mythe explique aussi la raison du départ du Suprême de la société des hommes.
L’arrivée d’Evu Mana et ses conséquences parmi les hommes entraine le départ de Zambe et sa
séparation complète d’avec les humains.26 Pour l’Africain, cette séparation demeure effective
jusqu’à ce jour. Il n’y a d’ailleurs pas de lueur d’espoir de voir le Suprême revenir parmi les
humains.
Enfin, nous pouvons également voir ici, une des réalités du monde du visible dans son
organisation. La petite forêt (ou brousse), ouverte à tous, appelée Afan mvom (lit: forêt de la
chance, de la grâce) dans le mythe et la grande forêt, qui n’est pas l’apanage de tous (afan
ebabodo : foret ou on dépèce les humains). Cette grande forêt n’est ouverte qu’à des initiés qui
savent comment s’y prendre et qu’y prendre pour le bien et la prospérité de la communauté.

LA SOCIETE DANS LE SYSTEME DE CROYANCE TRADITIONNEL AFRICAIN

Dans cette section, nous essayons de cerner la conception traditionnelle africaine de la


société. Notre intérêt portera essentiellement sur l’organisation de la société (organisation
traditionnelle et l’actuelle organisation administrative), la communauté de vie et une institution
sociale de premier ordre : le mariage. Comme nous l’avons déjà mentionné, il est très difficile
actuellement de retracer les conceptions traditionnelles de l’époque précoloniale et missionnaire.
Au cours de nos enquêtes, nous nous sommes rendus compte que ceux mêmes qui sont
reconnus comme gardiens des traditions culturelles et religieuses présentent prioritairement ce
qui tient lieu aujourd’hui de pratique traditionnelle et, avec une pointe de nostalgie, ils signalent
« qu’aux temps de nos ancêtres » cela n’était pas ainsi. Ce qui pour nous est l’évidence que la
pratique d’aujourd’hui n’est pas du tout originale. Cependant c’est avec elle que les courants
missionnaires continuent d’avoir à faire car quoi qu’il en soit, cette tradition continue
d’influencer profondément la vie des chrétiens. C’est avec cet arrière-plan que nous exposons ici
ce que nous retenons comme conception traditionnelle de la société. Notre exposé sera
abondamment inspiré de la société traditionnelle Béti du Cameroun.

25La plupart du temps et en principe, les oncles maternels du défunt sont ceux qui, en premier, posent la question qui consiste à
demander de quoi est mort leur neveu ou nièce. Ce nsili awu peut donc donner lieu à deux explications : le ndong okoan et le ndong
awu. Si le défunt est mort de maladie, on expliquera d’abord tout le processus de la maladie, du début jusqu’au décès. C’est le
ndong okoan. Sinon une explication sur le décès devra etre donné par le coryphée de la famille du défunt. Tout ce processus chez
les Beti est reconnu comme première étape du programme des obsèques : medjo m’awu.

26
On ferait ici un parallèle assez évident avec le récit de la chute dans le livre de la Genèse.

26
L’ORGANISATION TRADITIONNELLE DE LA SOCIETE

Les documents consultés et les informateurs rencontrés sur le terrain semblent faire
l’unanimité sur un fait : la société traditionnelle africaine était simple et avait un caractère
religieux plutôt qu’administratif. C’était un milieu de vie paisible qui fonctionnait suivant des
règles non écrites mais connues et acceptées de tous. La société s’organisait essentiellement
autour des liens de sang, qui constituent une norme de vie sacrée. Ainsi, le dirigeant à tous les
niveaux de l’échelle organisationnelle de la société était l’ainé (ntol) du groupe concerné. Ce
dirigeant avait un rôle de régulateur, de conseiller, gardien, dépositaire et de médiateur. En fait il
n’était pas un Chef au sens occidental du terme. Il était un conducteur, chargé de maintenir
l’harmonie au sein de son groupe, l’harmonie entre son groupe et les autres composantes de la
société y compris les morts vivants. Selon Engelbert Fouda Etoundi, chez les Béti « La société
est organisée selon une hiérarchie qui va de la plus petite unité à la plus grande, c’est-à-dire de
la famille à la tribu en passant par le clan. »27 Ce patriarche Béti appelé Zomolo’o28 soutient que
la société traditionnelle comporte : a) la famille avec trois subdivisions : famille nucléaire,
famille élargie, le lignage, b) Le clan.
a) La famille

Selon le patriarche Fouda Etoundi29, « La famille est constituée d’un ensemble de


personnes dont la parenté est établie par le lien de sang. Ces personnes sont issues d’un même
parent selon une hiérarchie qui va de l’ainé (ntol) au dernier né (melig mvoa). »
Cette conception de la famille que l’on trouve dans une publication récente, se trouve
déjà exposée dans des publications plus anciennes, telles que celles de Laburthe Tolra30 et Pierre
Alexandre31. Selon ces auteurs, l’organisation de la société traditionnelle Béti s’appuie
essentiellement sur la cellule de base qu’est la famille directe. Ainsi lorsqu’un jeune homme a
grandi et qu’il s’est marié et doit par conséquent fonder son village (dzal), il se sépare de la
maison paternelle et va s’installer sur un endroit indiqué par son père ou par le ntol mod. C’est ce
processus de segmentation qui donnera lieu plus tard au regroupement de différentes familles
(nda bot) en clan (mvog) et en tribu (ayong).
Comme nous le disions plus haut, il y a plusieurs types de familles. Ceci, au départ ne
suggère absolument rien d’égoïste dans la société traditionnelle africaine béti. La vie sociale est
fondamentalement communautaire comme nous le verrons tout au long de cet exposé. Nous
présentons ici ces différents types de famille pour rendre plus compréhensible l’organisation
traditionnelle de la société africaine.

27 Engelbert Fouda Etoundi, La tradition beti et la pratique de ses rites, Yaoundé, Editions Sopecam, 2012. P.21
28 Selon Fouda Etoundi, le zomelo’o est l’encadreur spirituel des gens de son clan. Sa présence doit etre effective à toute affaire qui
se déroule dans son rayon d’action, car connaissant poser les oracles beti, il est indiqué pour orienter et faire réussir les populations
dans toutes leurs entreprises. Par sa seule parole, il donne force, énergie et vie. Pour ce faire, il doit s’abstenir des paroles de
malédiction. Plutôt, il est habileté à bénir, à diriger les réunions secrètes (ésoak), les obsèques et les funérailles. Il fait procréer les
femmes stériles. En un mot, il est le gardien du clan dans tous les domaines.
29 Idem
30 Cf. Minlaaba I
31
Cf. Le groupe dit Pahouin

27
A.1) La famille nucléaire (tin nda bot)
Elle représente la plus petite entité de la société traditionnelle. En son sein se trouve le
père, la mère et les enfants. Le père évidemment est le dirigeant de la famille dont il est par
ailleurs le fondateur. En son absence ou après lui c’est l’ainé des enfants qui prend le leadership
familial, secondé dans ce rôle par le puiné.
A.2) La famille élargie (nkug nda bot)
Ici il s’agit d’un regroupement de familles nucléaires issues d’un même géniteur reconnu
comme grand père. Selon le vocabulaire occidental, cette famille s’étend aux cousins et cousines,
de même qu’aux oncles et tantes. Comme dans la famille dite nucléaire, le dirigeant ici est le
fondateur du nkug nda bot (le grand père). En son absence ou après lui, ce rôle est dévolu à
l’ainé des enfants. Il faut souligner que dans la tradition africaine en général et Beti en
particulier, la prise de fonction de leader de la famille est sujette à un ensemble d’opérations
conduites par des initiés. Pour le cas Beti, il s’agit du zomeloh. Cette obligation se justifie par le
désir de perpétuer les bienfaits de la société traditionnelle et de maintenir le nécessaire équilibre
social et cosmique.
A.3) La lignée32
Dans ce type de famille, le fondateur est l’arrière grand parent. La lignée, en général,
agnatique, est donc le regroupement de plusieurs familles élargies issues d’un même géniteur.
Soulignons encore une fois de plus que pour l’Africain traditionnel, le chef de famille est la
personne chargée de coordonner les affaires de ladite famille. Ainsi le chef de la famille
nucléaire est responsable devant celui de la famille élargie qui lui-même rend compte au chef de
la lignée. Il peut arriver que dans la famille élargie et le lignage, celui qui naturellement (ntol)
doit en ȇtre le chef ne possède pas les qualités requises. Dans ce cas, le doyen de la famille
choisira l’un des enfants ayant des qualités d’homme remarquables. Il en fera le chef de famille
Choisi pour connaitre toute affaire concernant cette famille avant de saisir
quelques autres autorités traditionnelles, il est investi de l’autorité traditionnelle dans sa
famille, raison pour laquelle il est le premier à prendre la parole lors de toute réunion
concernant cette famille. Il donne le compte rendu de tout ce qui se passe dans la famille.
En l’absence de zomelo’o, il donne les filles en mariage et demande les causes de décès
dans d’autres familles. 33
Ceci montre encore que dans la tradition africaine, le chef de famille est essentiellement et
foncièrement un dirigeant, un leader beaucoup plus encore qu’un administrateur. Il est désigné
sur la base de critères précis, entre autre l’ainesse ou des qualités particulières relevant de sa
personnalité propre.
A.4) Le clan (mvog)34

Selon la conception traditionnelle35, il est constitué de plusieurs lignages issus d’un


même ancêtre. Ici le chef de clan est le zomelo’o. Célestin Nkou Nkou36 dit du zomelo’o qu’il

32 Certains l’appellent Mvog.


33 Engelbert Fouda Etoundi, op cit. P. 23
34
Certains auteurs l’appellent ayong (tribu ou ethnie ?)

28
Apparait comme quelqu’un qui a l’obligation morale d’etre un modèle
exemplaire, à la limite de l’exceptionnel. Formé, informé, volontaire, fin médiateur et
décidemment, incorruptible. Pareil à la colombe qui représente le symbole universel de
la paix, chez les Beti : le zomeloh est le témoignage vivant de la quête séculaire
d’équilibre social. Par conséquent, le zomeloh doit etre doté d’un savoir-faire, d’un
savoir-etre moral et physique, enfin d’un savoir- faire faire à toute épreuve.
Plusieurs chercheurs ont parfois confondu zomelo’o et Chef traditionnel. En fait le chef
traditionnel est un auxiliaire de l’administration tandis que le zomelo’o est le garant et le
protecteur de la tradition Beti. Parlant toujours du zomelo’o, Engelbert Fouda Etoundi le décrit
comme
Un homme intègre, juste, réfléchi, digne, patient, ponctuel, hardi, bienveillant,
aimable, intelligent, charitable, parfois dur et surtout nanti des pouvoirs traditionnels.
C’est le coryphée de la société à qui on a transmis tous les pouvoirs dont disposaient les
ancêtres pour officier et présider tous les rites y relatifs.37
Nous retenons donc que la société traditionnelle Béti s’organise essentiellement autour de
la famille (nda bot) et le clan (mvog). D’autres chercheurs verront plusieurs autres niveaux :
famille nucléaire, famille élargie, lignage, clan, tribu, ethnie etc. Dans tous les cas, il reste des
constantes :

 cette organisation s’articule autour des liens de sang et non sur la base du territoire
géographique occupé
 le chef est un dirigeant-encadreur, il veille au bon ordre des choses dans la société des
vivants et à l’harmonie entre la société des vivants et les morts vivants, qui eux-mêmes
font encore partie de la société des vivants
 on parlera selon le cas, du ntol, ntolan, mbi ntum et du zomelo’o
C’est au sein de cette organisation traditionnelle que va surgir, par l’action du colon, une
autre organisation sociale qui semble mettre dans l’ombre l’organisation traditionnelle. Il s’agit
de l’organisation administrative appelée Chefferie traditionnelle. Une institution hybride,
aujourd’hui solidement établie.
L’ORGANISATION ADMINISTRATIVE

Cette organisation qui prend le devant de la scène aujourd’hui dans les milieux
traditionnels africains est, selon nos informateurs, une création récente. Pour eux, elle est un
produit à la fois de la colonisation et de l’action des missionnaires « qui travaillaient main dans
la mains avec les colons. » En ce qui concerne le peuple Beti, Engelbert Fouda Etoundi affirme
ce qui suit :
Le peuple Beti ignorait l’organisation sociétale telle qu’elle existe de nos jours.
Jadis le chef de famille faisait en même temps office de chef religieux et de meneur
d’hommes. C’est le colon qui, ayant échoué dans sa tentative d’infiltration de la société
35 Il y a une confusion dans le vocabulaire français au sujet de ces entités de la société africaine. Pourtant l’Africain lui-même sait se
retrouver dans son organisation familiale traditionnelle et dans les mots désignant les diverses entités.
36 Opuscule intitulé Zomeloh, le patriarche Beti. Editions cnnBantou. Sd. P. 17
37
Op. cit. p. 24

29
bantou, a introduit l’organisation administrative de la société traditionnelle telle que
nous la connaissons aujourd’hui. Il était alors question pour lui de trouver des
interlocuteurs valables, capables de jouer le rôle de pompes aspirantes et refoulantes
entre l’administration coloniale et la société traditionnelle.38
Cette organisation administrative de type hybride conçue et mise en place par le colon en
vue de faciliter son action en Afrique traditionnelle est articulée essentiellement autour de trois
grandes entités : le village, le groupement et le canton. La présentation qu’en fait Fouda Etoundi
est simple et complète. Nous nous en inspirons.

a) Le village

Cette entité désignée village (nnam), correspond quelquefois au clan (mvog) dans
l’organisation traditionnelle. Mais en général, le village obéit à un découpage géographique qui
ignore pratiquement les liens du sang. C’est ainsi que dans un même village on peut avoir sans
gêne les membres de plusieurs clans, de même, les membres d’un seul clan peuvent se retrouver
éparpillés dans plusieurs villages.
Chaque village est administré par une chefferie à la tête de laquelle se trouve un chef du
village, abusivement appelé chef traditionnel. Il est un auxiliaire de l’administration civile. Pour
les villages du Cameroun, il est reconnu comme chef de 3e degré. Son choix est aujourd’hui fait
par voie électorale sous l’encadrement de l’autorité administrative compétente. Au Cameroun,
cette autorité est le Sous-préfet. Cette même autorité administrative sera chargée de l’introniser
le moment venu. Cependant, à l’observation, le choix du Chef de village par voie élective semble
être juste de façade. Généralement la désignation se fait par voie de succession. C’est le chef à
succéder qui, de son vivant, désigne son successeur.
b) Le groupement
Au-dessus du village se trouve un groupement. Comme son nom l’indique, il est un
groupement de villages (de deux à sept). Cette entité est dirigée par un chef de 2e degré appelé
Chef de groupement. Son territoire est délimité par des frontières géographiques. Sa désignation
se fait comme celle du chef de village.

c) Le canton
Au Cameroun, le canton est une unité administrative constituée de plusieurs
groupements. Il est dirigé par un Chef de 1er degré ou chef supérieur. Il est désigné par
nomination du Ministre de l’Administration territoriale et intronisé par le Gouverneur de Région
concerné.
Ces trois unités administratives qui jouent à fois sur le plan traditionnel et sur le plan
politique et administratif sont aujourd’hui celles que plusieurs reconnaissent comme organisation
de la société traditionnelle africaine. Dès lors, on se réfère toujours aux différents chefs comme
étant les gardiens des traditions. Ce qui n’est pas très souvent le cas. C’est pourquoi, dans ces
chefferies, il y a des notables, qui en général sont très versés dans la tradition. Le chef titulaire a
donc besoin de leur collaboration pour conduire les affaires de son unité administrative, surtout
en matière d’affaires traditionnelles.

38
Op. cit. P. 27

30
Cependant, l’organisation traditionnelle ancienne garde la main mise sur certaines
questions sociales dans lesquelles ni le chef du village ni ses notables n’interfèrent s’ils ne sont
impliqués par les liens du sang, ou s’ils ne sont pas reconnus comme patriarches (zomelo’o). Tel
est par exemple le cas en ce qui concerne le mariage dans la société traditionnelle Béti.
LE MARIAGE EN MILIEU TRADITIONNEL BETI (ALUG BETI)
Comme dans l’organisation sociale des peuples Béti du Cameroun, nous distinguerons
aussi deux temps en ce qui concerne le mariage. Le temps du mariage traditionnel (ancestral), et
celui du mariage dit évolué. Ce deuxième type de mariage est celui qui aujourd’hui est le plus
répandu. Aussi beaucoup le perçoivent ils comme mariage traditionnel Béti. Au regard des
informations recueillies sur le terrain et celles trouvées dans les documents consultés, il est
vraiment difficile d’affirmer une nette distinction entre les deux types de mariage.
Ainsi que nous le verrons, il y a dans le mariage dit traditionnel, des éléments de
l’époque postcoloniale qui se mêlent aux éléments traditionnels. Sur le plan opérationnel, le
missionnaire devra travailler sur le mariage d’aujourd’hui, tout en ayant un regard sur celui de
l’époque ancestrale dont il devra autant que possible retrouver les repères.
LE MARIAGE TRADITIONNEL BETI
Pour l’homme Béti, le mariage est l’union entre un homme et une ou plusieurs femmes.
L’Africain traditionnel n’a jamais connu un autre type de mariage que celui entre des sexes
naturellement opposés. C’est pourquoi aujourd’hui la question de l’homosexualité en Afrique
subsaharienne est perçue comme une absurdité, voire comme de la sorcellerie. Le mariage entre
l’homme et la femme lui, est vu comme un signe de prospérité, un gage de stabilité sociale et de
perpétuation du lignage. C’est une source de joie et de fierté pour la société traditionnelle
africaine. Nous présentons ici un résumé des articulations du mariage en milieu traditionnel Béti.
Nous sommes guidés dans cet exercice par nos informateurs de terrain et par le patriarche
Engelbert Fouda Etoundi.39
Chez les anciens Béti, on demandait la main d’une fille pendant qu’elle était encore bébé.
Le prétendant, c’est-à-dire sa famille devait verser une dot à la famille de la fille. Cette dot
semble avoir longtemps été constituée d’objets d’usage courant dans la société. Pour nos
informateurs, il s’agissait généralement des fléchettes. Cette formalité étant accomplie, on
attendait que la fille soit sevrée. Tout de suite après le sevrage, elle était transférée chez son mari
pour que ce dernier se charge lui-même de l’éduquer comme un père. La fille n’ayant donc pas
été élevé par son père, voyait en son époux un père. Pour les anciens Béti, c’était une bonne
manière de préparer la femme à ȇtre soumise à son époux. Comme le souligne justement Fouda
Etoundi :40
Le mariage des filles encore petites avait pour but d’incliner les femmes à
craindre leurs maris et à leur obéir servilement, car la fille ayant été élevée par cette
personne, était pénétrée de ses habitudes et la considérait comme son propre père qu’elle
avait quitté toute petite.
Aujourd’hui, la procédure de mariage a beaucoup évolué. La relation commence entre un jeune
homme et une jeune fille, puis elle met en marche un certain nombre d’étapes et d’intervenants.

39 Op cit.
40
Op. cit. P. 61

31
a) La demande de la main (nsili alug)
Cette étape est décisive dans la procédure de mariage. La famille du prétendant prend des
dispositions pour faire savoir à celle de la fille concernée qu’elle viendra la visiter dans un délai
d’environ un mois. Quelquefois, c’est la fille elle-même qui en informe ses parents géniteurs ou
bien le chef de famille. Une fois cette information donnée, la famille de la fille se prépare pour
accueillir celle du prétendant.
Pour cette étape, la famille du prétendant prévoit certains biens à remettre à celle de la
fille. La liste de ces biens varie sensiblement d’un groupe Béti à un autre. En général, on
retrouve : du vin rouge (en dame-jeanne), de la bière, des jus, du whisky (Rhum de plantation),
de la cigarette, des allumettes, un ou deux grands verres dits « tais-toi », des pagnes, un tire-
bouchon et une enveloppe symbolique renfermant une somme de dix mille francs.
Lorsque toutes les parties prenantes sont réunies, le chef de famille de la fille ou le
zomelo’o prend la parole et demande au chef de la délégation du prétendant la raison de sa visite.
Celui-ci sans dérobade déclare la raison de sa visite. Il fait savoir clairement qu’il est venu
demander la main de telle fille qu’il a choisie pour son fils. Il présente les cadeaux qu’il a
apportés. Le chef de famille de la fille ou le zomelo’o ordonne donc à sa fille de manifester sa
décision devant toute l’assistance. Si la fille accepte de devenir l’épouse du garçon en question,
elle ramasse l’enveloppe contenant la somme de dix mille et la remet au chef de sa famille. Dans
ce cas, la main de la fille est accordée et il ne reste plus qu’à fixer la date de la dot.
Dans d’autres groupes composant l’aire culturelle Béti, il y a des noix de kola qui
interviennent. Dans ce cas, la fille consentante remet une noix de kola au chef de sa famille. Elle
peut tout aussi remettre une bouteille de whisky apportée par le camp d’en face. De toute façon,
c’est la jeune fille qui marque sa décision d’accepter ou de refuser la main demandée. Elle
manifeste son accord en prenant et en remettant au chef de sa famille un des cadeaux apportés
par la délégation de son prétendant. Au cas contraire, il ne reste à la famille du prétendant qu’une
seule option : reprendre ses biens et se retirer avec honte et dans la consternation.
b) La dot (évega ou éve’a)
De la description faite de la cérémonie de la dot par Fouda Etoundi, nous retenons que le
rituel et le contenu de la dot peuvent varier selon les contrées. En général, le jour de la dot, la
délégation du prétendant entrepose tout le nécessaire de la dot dans la cour. Lorsque les deux
familles sont déjà réunies, assises face à face, le chef de la délégation du prétendant demande
qu’on lui remette sa femme. La famille de la fille, sur demande de son chef se retire avec tous les
biens pour un conciliabule (ésoak). Il s’agit pour l’essentiel de vérifier que tout ce qui avait été
demandé a été donné. Il arrive quelque fois que tout n’ait pas été apporté le jour de la dot. Il
revient au chef de délégation du prétendant de demander à la belle –famille de prendre patience,
il lui rappelle que « la dot ne finit jamais ».
En général, selon ce que nous avons pu recueillir comme information, la dot exigible
comporte entre autres : un bouc castré, deux dames jeannes de vin rouge (Gandia), un ou deux
casiers de bière, un ou deux casiers de jus, deux whisky (rhum de plantation), un sac d’oignons,
deux sacs de riz (cinquante kilos chacun), un sac de sel de cuisine, un ou deux cageots de
tomates, une cartouche de cigarettes, quelques tissus pagnes et une enveloppe contenant de
l’argent (en général cent mille francs CFA).

32
Lorsqu’il est vérifié que toute la dot est versée, la famille de la fille revient du
conciliabule. Aussitôt, le chef de ladite famille interpelle celui de la famille du prétendant et lui
remet la femme, qu’on va immédiatement placer aux côtés du chef de famille du prétendant. A
ce moment, les présents préparés par la famille de la fille à l’intention de la famille du garçon
sont remis. La famille du prétendant peut alors se retirer, de même que celle de la fille qui se
retire pour procéder à un partage équitable de la dot. Au cours du partage, le chef de famille ou le
zomelo’o de la famille de la fille doit s’assurer que personne ne sera oublié au terme du partage.
Des festivités marquant la réussite de la dot peuvent alors se poursuivre pendant la soirée. Le
lendemain, ce sera le moment de dire au revoir aux époux. Parlant de ce moment d’au revoir
dans le contexte des Ewondo, le patriarche Fouda Etoundi41 explique que
Celui qui conduisait la cérémonie ou bien celui qu’on avait désigné pour ce genre
de service se présente le matin avec sa machette, il égorge la chèvre. Il prend le sang sur
la machette et le met sur le ventre et sur le dos de la fille. Son mari en reçoit de la même
manière. Immédiatement après, ils doivent partir, quitter les lieux munis de la tête de la
chèvre, sans jamais regarder en arrière jusqu’à ce qu’ils aient traversé un cours d’eau…
ils devront manger cette tête de chèvre et le cœur sans donner à personne ni laisser le
reste.
Il nous a été expliqué que ce rituel d’au revoir est la matérialisation de l’alliance qui
existe désormais entre les deux époux et à travers eux entre les deux familles. Pour marquer cette
alliance, un sacrifice sanglant est nécessaire et la consommation de la tête de chèvre uniquement
par les époux achève de sceller cette alliance qui ne saurait ȇtre rompue sans conséquences
majeures sur les époux et sur leurs familles.

c) L’accompagnement de la mariée (meliri me ngon)


Après les adieux faits à la famille de l’époux, celle de l’épouse se prépare pour aller
accompagner la nouvelle dame dans son village et voir sa nouvelle demeure. C’est une
cérémonie qui consiste en principe à rassurer la jeune mariée du soutien de sa famille d’origine et
en même temps de prouver à la famille de l’époux que la mariée « n’est pas seule ». En se
rendant dans la famille de l’époux, la famille de la mariée prend soin de lui apporter tout ce qui
lui est nécessaire pour s’installer confortablement dans son foyer. Cela va des ustensiles de
cuisine au mobilier de la maison (surtout de la cuisine), en passant par des semences de toutes
sortes pour ses champs. Des animaux domestiques surtout les oiseaux de la basse-cour ne seront
pas en reste. Hommes et femmes apportent selon leur sexe ce qu’ils estiment utile pour aider le
nouveau couple à s’installer.
La famille de l’époux accueille chaleureusement celle qui est venue accompagner
l’épouse. En général, au premier jour après leur arrivée, le chef de famille de l’époux présente à
ses visiteurs une bête domestique et de la boisson. Ce qui démontre la joie qu’éprouve la famille
de l’époux d’accueillir en son sein la nouvelle mariée. Au deuxième jour de leur visite, le chef de
famille de l’époux réunit sa famille qui rencontre à nouveau les visiteurs pour leur dire au revoir.
A l’occasion, d’autres présents sont remis aux visiteurs pour leur retour. Généralement, une bête
domestique leur est encore remise pour ȇtre ramenée vivante dans le village d’origine, et pour
témoigner de la dimension de la réception à eux offerte. Pendant la visite d’accompagnement de

41
Op cit. P. 65

33
la nouvelle mariée, il y a des éléments tels que l’angara (lit. marché), le nkukuma koe (lit. Roi
panier) et le nnam (mets à base de pistaches ou d’arachides) qui interviennent.42
De nos jours, d’autres composantes de la procédure de mariage se sont ajoutés : on parle
de la demande de la liste, de l’avion43 et bien sûr des composantes administratives et religieuses
que sont le mariage civil et le mariage religieux.
LES REGIMES MATRIMONIAUX
Pour l’Africain traditionnel en général et le Béti en particulier, le régime matrimonial de
règle est la polygamie et le régime d’exception est la monogamie.

a) La polygamie
La sagesse africaine affirme qu’avoir une seule femme est synonyme d’ȇtre encore
célibataire. Etre polygame dans ce contexte est signe de dignité, de virilité et même de
prospérité. Dans la culture traditionnelle Béti, l’homme doit avoir deux ou plusieurs femmes. Le
patriarche Fouda Etoundi énonce quatre raisons justifiant la polygamie chez l’homme Béti :
fonder sa propre descendance et créer sa seigneurie, posséder une main d’œuvre suffisante
destinée à effectuer des travaux pénibles, la chasse et la pêche, ȇtre prêt pour les invasions et les
guerres et assurer la subsistance alimentaire de la famille et du village. Voici le commentaire
qu’Engelbert Fouda Etoundi44 fait de la polygamie chez les Béti :
En effet, du temps de nos ancêtres, de nos grands-parents et de nos parents, le
village d’un seigneur était remarquable par une suite de cases alignées de part et d’autre
de la route, avec au beau milieu la maison seigneuriale ou grouillaient des gens de toute
provenance. Ces harems étaient-ils formés par une seule femme ? Assurément pas. Grace
à cette multitude de femmes, on trouvait beaucoup de gaillards devant accomplir
plusieurs taches : les travaux de champs, les parties de chasse, la tenderie des pièges, la
cueillette de vin de palme, etc… Ces conditions remplies faisaient du polygame un
homme heureux disposant à sa portée les biens nécessaires à sa vie pour améliorer son
existence.
La polygamie chez les Béti est donc essentiellement à but utilitaire et fonctionnel. Cette
conception s’insère bien dans l’approche de vie communautaire de l’Africain traditionnel,
chaque homme doit conquérir le respect de la communauté en étant capable de perpétuer le
lignage, en renforçant la vie communautaire par ses biens matériels et en prenant soin des siens
et du reste de la communauté. Pour tout cela, il doit se marier en régime polygamique.

b) La monogamie
Dans ce type de régime, un homme ou une femme ne peut avoir plusieurs conjoints en
même temps. Ce régime était très contesté par les anciens Beti pour qui, avoir une seule femme
était synonyme d’ȇtre célibataire. L’arrivée des missionnaires sonna le glas du mariage
polygamique. Pour le patriarche beti Fouda Etoundi,
Il faut dire que c’est avec la venue et l’installation des missionnaires de l’Eglise
catholique romaine dans la région Beti que s’est installé chez ce peuple le mariage

42 Le patriarche Engelbert Fouda Etoundi en parle largement dans son écrit déjà cité plus haut. Cf p. 67-68
43 Pour le détail de la demande de la liste et ce qu’on appelle Avion, cf. Engelbert Fouda Etoundi. P.68-70
44
Op. cit. P.73

34
monogamique. En effet, selon ces missionnaires, tout ce qui concernait la culture des
autochtones était satanique et donc du domaine du péché. Le mariage polygamique fut
particulièrement combattu, car assimilé à une œuvre de Satan. Pour accéder aux
sacrements, il fallait abandonner toutes ses épouses et n’en garder qu’une seule. Des
foyers furent ainsi disloqués en grand nombre. La monogamie fut institutionnalisée et
imposée au peuple Beti par une culture étrangère…
Dans sa démonstration, le patriarche fait d’ailleurs allusion aux dignitaires de la bible
qu’ils assimilent à des zomelo’o. En se référant principalement à celui qui, selon lui, est le
premier zomelo’o, en la personne d’Abraham, Fouda Etoundi fait du problème de régime
matrimonial un simple problème de culture et non un problème d’Evangile ayant des
conséquences sur la destinée éternelle de l’homme. A bien y regarder, pour les anciens Béti et
même pour plusieurs de ceux d’aujourd’hui, l’Eglise chrétienne n’est autre chose qu’un
instrument véhiculant une culture étrangère, expansionniste et intolérante.

c) La communauté : modèle de vie sociale


La société traditionnelle africaine met un accent particulier sur la vie communautaire.
Comme les éléments de l’organisation sociale et les procédures de mariage que nous avons
présenté ci-dessus le montrent, l’individu, en Afrique traditionnelle se fond dans la communauté.
En fait l’individu n’est que ce qu’en fait la communauté. Dans ce contexte, la société n’est pas
un ensemble d’individualités mais l’expression d’un modèle de vie. Ici les obligations envers la
famille et envers la communauté priment sur les besoins personnels. Les décisions majeures sont
prises de façon communautaire et s’imposent à tous invariablement. L’individualisme dans ce
modèle de vie sociale est fortement dédaigné. Aussi la valeur d’un individu ne se fait elle savoir
que dans le cadre de la communauté. En fait, l’individu n’a de valeur que parce que la
communauté la lui donne et parce qu’il est utile pour la communauté. Pour l’Africain
traditionnel, « je suis parce que nous sommes et nous sommes parce que je suis ».45
Dans ce modèle de vie, les activités et évènements à caractère communautaire sont les
bienvenus (mariages, activités agricoles, deuils, rites d’initiations etc). Pour l’Africain
traditionnel, ces activités et évènements concourent à élargir et renforcer la communauté. On
peut aisément observer que les Africains traditionnels se rendent visite les uns les autres sans
prendre un rendez-vous préalable comme en Occident. En général, dans ce type de visites,
l’accent n’est pas mis sur un problème particulier, il s’agit simplement d’un besoin de socialiser,
de renforcer les liens de la communauté. Lorsque des gens se rencontrent, ils se saluent
longuement parce que leur intérêt se porte aussi sur les membres des familles respectives dont on
prendra soin de demander des nouvelles. Ces salutations très élaborées témoignent elles aussi du
même modèle de vie communautaire.
Selon les révélations d’un de nos informateurs46, il était tout à fait ordinaire de voir un
homme céder une de ses épouses à son frère venu lui rendre visite, pour que cette dernière
tienne compagnie au lit au dit frère pendant tout son séjour. Il est bien sûr clair que dans ce
contexte, la femme était considérée comme un bien semblable aux autres biens (biom, mebii)
appartenant à l’époux, donc appartenant à l’ensemble de la communauté, entendue ici comme
famille, clan ou fraction quelconque de l’organisation sociale ayant comme base le lien du sang.

45 David Burnett
46
M. Mbarga François, patriarche Ewondo, habitant le quartier Nkolo I, Yaoundé.

35
Il faut aussi relever que pour les peuples africains traditionnels, certaines pratiques initiatiques et
rites portant par exemple sur la circoncision, la dation et autres rites d’initiation, en dehors du fait
qu’elles ont en elles même une valeur propre, elles avaient aussi pour vocation de promouvoir et
renforcer la vie communautaire. Plusieurs des éléments qui entrent en compte dans l’exercice de
ces rites ont un caractère éducatif concernant la vie communautaire africaine, de même qu’ils
établissent une alliance entre les jeunes gens en cours d’initiation ou bien ceux subissant un rite
quelconque, et l’ensemble de la communauté des vivants et des morts. D’où l’importance du
sang dans plusieurs de ces pratiques traditionnelles. Ceci semble même justifier la pratique de
l’excision dans certaines aires culturelles en Afrique. En effet, la fille aussi doit faire alliance
avec sa communauté et ainsi une parfaite unité entre filles et garçons d’un même clan par
exemple est obtenue.
Dans ce contexte où la vie sociale est fortement communautaire, les personnes âgées
jouent un rôle des plus significatifs comme nous l’avons déjà souligné. Elles sont très respectées
et leur expérience est grandement valorisée. Leur rôle essentiel consiste à assurer la continuité du
mode de vie légué par les ancêtres, de le transmettre aux générations montantes. Ces personnes
jouent donc le rôle de médiateur entre les vivants, et entre les vivants et les morts-vivants ; ils
veillent à l’harmonie et à l’équilibre des composantes de l’ensemble du monde. C’est ce qui
explique qu’en Afrique traditionnelle, ne pas avoir d’enfant est un sérieux fléau. En effet, non
seulement le lignage familial est en danger de s’interrompre après la mort des parents, mais aussi
du fait que l’Africain traditionnel croit qu’un mort peut revenir vivre à travers un de ses
descendants, et ainsi continuer à faire bénéficier sa communauté des bienfaits dont elle
bénéficiait de lui de son vivant. Une femme sans enfants est, dans ce contexte, presque inutile.
Son époux est donc contraint de prendre d’autres épouses jusqu’à ce qu’il ait des enfants,
particulièrement des garçons qui pourront perpétuer le nom de la famille et le lignage. Etant
donné les restrictions du Christianisme, ceux des Beti qui se retrouvent sans enfant, surtout
garçons, et qui ne peuvent pas se marier en polygamie sont très souvent amenés à faire des
enfants en concubinage (éboan) hors mariage. Au terme de cet exposé de la conception
traditionnelle Africaine de la société, conception que nous avons étayée avec des exemples tirés
du contexte Beti du Cameroun, nous pouvons relever ce qui suit :
a) La société traditionnelle africaine avait une organisation assez simple qui s’appuyait
essentiellement sur les liens de sang. Bien que le vocabulaire occidental ne parvienne pas à
rendre compte fidèlement des différentes entités de l’organisation sociale en Afrique
traditionnelle et que le vocabulaire local lui-même soit assez pauvre et imprécis pour le faire,
l’Africain traditionnel reconnait personnellement le système organisationnel de sa société, il s’y
reconnait et y souscrit de bon cœur.
b) Pour l’Africain traditionnel, le modèle de vie sociale est la communauté. Ici l’individu ne
prime pas sur l’ensemble. Et cet ensemble va au-delà du visible, il inclut le monde de
l’invisible. Les activités et manifestations populaires sont là pour exprimer la vie
communautaire des Africains traditionnels. La communauté vient avant l’individu et ce dernier
n’a de valeur que dans et pour la communauté. Contrairement au modèle occidental dans lequel
ce sont les individus qui font la société, en Afrique traditionnelle, c’est la communauté qui fait
les individus.

36
Chapitre trois

L’APPORT SPECIFIQUE DE LA REVELATION JUDEO-CHRETIENNE

La religion traditionnelle, tout en affirmant l'existence du Dieu suprême, n'a


pratiquement plus aucun contact avec Lui depuis la rupture originelle. Or dans aucune de ces
traditions ne sont mentionnés, ni un éventuel retour de Dieu parmi les hommes, ni même la
possibilité d'une telle réconciliation. Pour ces cultures : « Nos ancêtres étaient là, nous sommes
là, nos enfants seront là », ce qui signifie que rien ne bouge et que rien ne changera, que depuis
la séparation d'avec Dieu « il n'y a rien de nouveau sous le soleil » comme le dit l'Ecclésiaste
(Ecc. 1.9). Le présent se continue indéfiniment, il n'y a pas d'avenir (à venir), pas de fin du
monde, l'homme est sans Espérance (cf. 1 Th 4.13).

ABRAHAM ET LA REVELATION DE L'ANCIEN TESTAMENT

Or, pour la première et l'unique fois dans l'ensemble de l'histoire des religions, le Dieu
suprême se révéla à un homme - Abraham - pour lui dire qu'il voulait être son Dieu propre et
celui de toute sa descendance après lui, de tout son lignage par lequel seront bénies aussi « toutes
les familles de la terre » (Gn 12ss ; Ac 3.25). Donc, avec Abraham la tradition hébraïque est la
seule qui annonce le retour de Dieu parmi les hommes et non seulement parmi quelques-uns,
mais, à partir de ceux-là, la promesse s'étend à toutes les familles de la terre.

1) La vocation (l'appel) d'Abraham


Dieu dit à Abraham : « Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, pour le pays
que je t'indiquerai » (Gn 12.1). Dieu lui demande de quitter son lignage, son groupe, le seul dans
lequel il soit reconnu et puisse donc vivre. Dans ces cultures traditionnelles cela équivaut à un
bannissement volontaire, à un véritable suicide. Mais Abraham, loin de se comporter comme
Caïn, qui, bien que meurtrier, refusait d'être banni (Gn 4.13-14), ne protesta pas mais « il partit
ne sachant où il allait » (Hé 11.8). Il obéit car il faisait confiance à Dieu, il avait foi en Lui. Pour
lui Dieu était Dieu. En même temps qu'il lui demandait de partir, Dieu promettait à Abraham de
faire de lui un grand peuple (Gn 12.2). Il lui réitéra cette promesse plusieurs années après alors
qu'Abraham était déjà vieux (Gn 15.5-6) et, là encore, « Abraham crut en Dieu qui le lui imputa
à justice »
Il fit confiance à Dieu qui, contre toute vraisemblance, lui donna, alors qu'il avait cent
ans, un fils de sa femme Sara, qui, elle, avait quatre-vingt-dix ans (Gn 17.16-17). Cette confiance
allait encore être éprouvée quelques années après lorsque Dieu lui a demandé de lui offrir en
sacrifice ce fils unique qu'il aimait (Gn 22.1). En soi, dans l'environnement culturel d'alors, ce
n'était pas chose extraordinaire. L'offrande des premiers-nés comme de tous les prémices, était
chose courante dans ces ethnies. Mais ici, cette demande de Dieu allait à l'encontre de ses
propres promesses ; faire d'Abraham un grand peuple. Isaac, né miraculeusement, était le seul
descendant d'Abraham, le seul par qui il pouvait avoir une postérité nombreuse « comme les
étoiles du ciel » (cf. Gn 15.5). Or Abraham ne fit aucune objection à Dieu, il obéit sans rien dire,
comme la première fois, lorsqu'il dût quitter son lignage. Abraham avait une foi totale en Dieu
(cf. Hé 11.17), quelle que fût la situation.

37
Il acceptait totalement l'autorité souveraine de Dieu qui régnait en lui sans restriction. On
peut donc dire avec certitude qu'il aimait Dieu de tout son être (cf. Es 41.8). Abraham était lui-
même le royaume de Dieu. Dieu avait enfin trouvé l'homme qui le reconnaissait comme
souverain Seigneur et par qui il pouvait donc revenir parmi les hommes. Aussi Dieu l'aima-t-il
comme un ami à qui l'on ne cache rien de ce que l'on a l'intention de faire (cf. Gn 18.17). C'est
cela la révélation. Dieu révèle progressivement à Abraham et à sa descendance ce qu'il va
accomplir (Ps 147.19, 20 ; Am 3.7 ; 16.2, 9) pour réconcilier à nouveau tous les hommes avec
lui.
Ainsi la religion hébraïque n'est-elle pas seulement, comme les religions traditionnelles,
basée sur le souvenir des événements primordiaux, mais elle est fondée sur la Parole même de
Dieu qui se manifeste pleinement en Jésus- Christ, lequel pouvait dire à ses disciples : « Je vous
appelle amis car tout ce que j'ai appris de mon Père je vous l'ai fait connaître » (Jn 15.15). Il est
évident que cette relation unique d'amitié entre Dieu et Abraham, relation qui subsiste pour ses
descendants, comme entre Jésus, Fils de Dieu, et ses disciples, exclut tout recours et toute
soumission aux divinités créées. C'est le Dieu Suprême qui désormais est le Dieu particulier de
chaque homme.
Ce retour de Dieu vers les hommes est le fruit de la libre initiative de Dieu (cf. 1 Co 2.9)
à un moment et en un lieu donnés. On ne peut donc en trouver de trace dans les religions
traditionnelles qui n'ont pas eu cette révélation (cf. Ps 147.19, 20).

2) Contenu de la révélation
Toutes les traditions font état de la proximité primordiale de Dieu et de sa séparation
d'avec les hommes à la suite de la rupture d'un interdit. Dieu a révélé peu à peu à la descendance
d'Abraham la véritable dimension du drame.
Après que Dieu eut créé les anges, il confia toute sa création au « Chérubin protecteur »,
le plus élevé de ces créatures célestes, « le sceau de la perfection, parfait en beauté et parfait dans
toutes ses voies... jusqu'au jour où l'iniquité entra en lui... et où il pervertit sa Sagesse par l'éclat
de sa splendeur » (Ez 28.11-17). « Son cœur s'est enflé d'orgueil » ; « il disait en son cœur :
j'escaladerai les cieux, par-dessus les étoiles de Dieu j'érigerai mon trône, je siégerai sur la
montagne de Dieu dans les profondeurs du Nord », « Je monterai au sommet des nues, je serai
semblable au Très-Haut » (Es 14. 13, 14).
Par là même, le chérubin protecteur se surestimait d'une manière démentielle, aboutissant
au mensonge ultime par lequel étant créature finie il s'affirmait créateur infini. C'est pourquoi
Jésus a pu dire de lui qu'il était le « père du mensonge » (Lc 8.44).
Par cette révolte insensée il se posait en ennemi de Dieu et par conséquent ennemi de la
création. Or Dieu aime tout ce qu'il a fait et il veut que rien ne périsse. Il n'a donc pas voulu que
sa création restât aux mains du prévaricateur. C'est pourquoi il prit de la poussière du sol,
façonna Adam, souffla son souffle de vie dans ses narines et en fit une âme vivante (cf. Gn 2.7),
« le dernier des esprits dans un corps animal », comme disent avec raison les juifs et les plaça
tous deux dans le jardin d'Eden « pour le cultiver et le garder » (Gn 2.15) avec mission d'être
féconds, de se multiplier, de « remplir toute la terre », de la soumettre (Gn 1.28) et par
conséquent de soustraire à la domination de Satan cette création que Dieu lui avait confiée, car
en se séparant de la Source de Vie, le prévaricateur non seulement se condamnait à mort, mais y
entraînait aussi toute la création de Dieu sur laquelle il avait pouvoir.
Il déplut fort à Satan de se voir ainsi supplanté par ce dernier des esprits, lui qui était le
premier. C'est pourquoi il projeta de faire échouer le plan de Dieu en détournant de lui le cœur de

38
l'homme, en suscitant méfiance et convoitise. Aussi prit-il la forme d'un serpent (un dragon, car
il avait des pattes et aborda-t-il la femme, la jugeant plus vulnérable à son discours déstabilisant.
Il commença par plaider le faux pour savoir le vrai : Dieu a bien dit : Vous ne mangerez pas de
tous les arbres du jardin. La femme naïve tombe dans le piège et répond : Nous pouvons manger
du fruit des arbres du jardin. Mais le fruit de l'arbre qui est au milieu du jardin, Dieu dit : Vous
n'en mangerez pas car le jour où vous en mangerez vous mourrez. A partir de cette réponse,
Satan va insinuer la méfiance vis-à-vis de Dieu. Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! Mais Dieu
sait que le jour où vous en mangerez, vos yeux s'ouvriront et vous serez comme Dieu,
connaissant le bien et le mal (Gn 3.2-5).
Il présente ainsi Dieu comme celui qui veut maintenir l'homme dans son abaissement et
l'empêcher d'être comme lui, de décider ce qui est bien et ce qui est mal. Or Jésus dira plus tard :
« un seul est Bon » (Lc 18.18). Car pour la créature le bien et le mal ne se distinguent que par
rapport à son Créateur : est bon ce qui est conforme à la volonté de Celui qui, Seul, est bon. La
créature qui veut en décider par rapport à elle-même se met, comme le chérubin prévaricateur, à
la place de Dieu : « vous serez comme dieu ». Ainsi le soupçon a-t-il été semé en Eve comme un
poison. C'est avec un tel soupçon, une telle méfiance qu'agit le diable depuis la chute. Le résultat
ne se fit point attendre : « La femme vit que l'arbre était bon à manger et séduisant à voir et qu'il
était désirable pour acquérir l'intelligence. Elle prit de son fruit et en mangea. Elle en donna aussi
à son mari qui était avec elle et il mangea. Alors leurs yeux, à tous deux, s'ouvrirent et ils
connurent... qu'ils étaient nus » (Gn 3.6, 7a).
Ainsi, loin de devenir des « clairvoyants » possédant la connaissance, ayant le pouvoir de
décider du bien et du mal, comme Dieu, leurs yeux ne s'ouvrirent que pour constater qu'ils
étaient nus, car ils avaient perdu la gloire de Dieu qui les revêtait.
Aussi lorsqu'ils « entendirent le pas de Dieu qui se promenait dans le jardin à la brise du jour...
l'homme et sa femme se cachèrent-ils devant Dieu parmi les arbres du jardin » (Gn 3.8).
Rempli d'amour pour ses créatures qu'il avait « couronnées de gloire et de splendeur »
(Ps.8.6), Dieu venait le soir dans le jardin pour partager leur joie. Et les voilà qui s'enfuient et se
cachent à son approche. Quelle déception, quelle douleur de perdre la confiance de ceux qu'il
aime et à qui il a tout donné ! Dieu appela l'homme : « Où es-tu » ? dit-il. « J'ai entendu ton pas
dans le jardin, répondit l'homme ; j'ai eu peur, parce que je suis nu et je me suis caché ». Il reprit
: « Et qui t'a appris que tu étais nu ? Tu as donc mangé de l'arbre dont je t'avais défendu de
manger » ! L'homme répondit : «C'est la femme que tu as mise auprès de moi qui m'a donné de
l'arbre, et j'en ai mangé» ! Dieu dit à la femme : « Qu'as-tu fait là » ? Et la femme répondit : «
C'est le serpent qui m'a séduite, et j'en ai mangé » (Gn 3.9-13).
Ni regrets ni repentir, mais une autojustification ; la responsabilité de la faute est rejetée
sur autrui et, pourquoi pas, sur Dieu lui-même : « La femme que tu m'as donnée » ; alors que
s'ils s'étaient repentis du fond du cœur, humblement, Dieu, dans son immense amour leur aurait
pardonné et les aurait réconciliés avec lui. Mais Adam et Eve ne croyaient plus en l'amour de
Dieu et c'est pourquoi ils ne se sont pas repentis et se sont exclus de la réconciliation. On ne peut
recevoir le pardon que pour une faute que l'on reconnaît. Mais si l'on se justifie soi-même, quel
pardon peut-on recevoir pour une faute que l'on récuse ?
Refuser de reconnaître sa faute, refuser de se repentir, refuser la confiance à Dieu à qui
l'on doit tout, voilà ce qui entraîne le malheur. En détournant leur cœur de Dieu, Adam et Ève
faisaient du même coup confiance à Satan qui leur avait insufflé cette méfiance et ils se mettaient
donc sous son pouvoir.

39
Ainsi l'homme fut-il séparé de Dieu et devint-il par là même incapable d'accomplir la
mission pour laquelle il avait été créé. Au lieu de collaborer avec Dieu pour soustraire la création
à la domination de Satan, Adam et Ève se retrouvaient subordonnés à celui-ci dans l'ordre
ancien. Satan pouvait savourer sa victoire : il s'était soumis celui qui devait le détrôner. Mais
pour Dieu ce n'était que le premier round du combat : « Je mettrai une hostilité entre toi et la
femme, entre ton lignage et le sien. Il t'écrasera la tête et tu l'atteindras au talon » (Gn 3.15).
Le Prince de ce monde semble toutefois victorieux ; « Dieu regarda la terre : elle était
pervertie, car toute chair avait une conduite perverse sur la terre » (Gn 6.12). Et pourtant Dieu
poursuit son dessein. Noé lui faisait totalement confiance, et c'est pourquoi il le sauva du déluge
avec sa famille. En lui c'est Adam qui était sauvé. Mais les descendants de Noé ne persévérèrent
pas dans cette confiance en Dieu, aussi peu à peu les choses redevinrent-elles comme avant le
déluge. C'est pourquoi Dieu chercha un autre homme et trouva en Abraham celui qui avait
totalement foi en lui.
Toutefois Dieu ne voulut pas recommencer à zéro comme au temps de Noé, mais, par
Abraham, fonder un lignage qui lui soit fidèle et qui l'aime, pour être le jalon du Royaume, ce
Royaume où Dieu règne sans partage. La descendance d'Abraham devait être, au milieu d'un
monde sous la domination de l'adversaire, la manifestation du royaume. Malheureusement, les
descendants d'Abraham s'éloignèrent aussi de Dieu. Pourtant, Dieu ne les a pas détruits par
fidélité à la promesse faite à Abraham. Mais au contraire, après qu'il les eut fait sortir d'Egypte «
à main forte et à bras étendu », Dieu les conduisit au désert pour parler à leur cœur (Os.3.16), là
il leur donna la loi de la vie et de la science et fit alliance avec eux afin qu'ils soient son peuple et
qu'il soit leur Dieu. C'est pourquoi Il leur prescrivit de n'avoir pas d'autre dieu devant sa face (cf.
Ex 20.3).
Le commandement n'est ni arbitraire ni intolérant mais il apparaît comme la conséquence
logique du fait que le Dieu suprême, le Créateur tout-puissant, a voulu être leur propre Dieu.
Bien sûr, pour ce petit groupe, c'était difficile de se comporter différemment des autres
populations qui l'entouraient et c'était pour eux une tentation perpétuelle de se soumettre aux
divinités créées. Mais Dieu a toujours été miséricordieux et leur a envoyé des prophètes pour leur
rappeler son amour et les avertir des conséquences tragiques de leur séparation d'avec lui.

JESUS-CHRIST ET LA REVELATION DU NOUVEAU TESTAMENT

Il en fut ainsi jusqu'à la naissance de Jésus par qui le royaume de Dieu doit s'étendre à toute
la création. « Et la Parole s'est faite chair et il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire,
gloire qu'il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité » (Jn 1.14). C'est là le
grand mystère de notre foi et de plus totalement imprévisible, car résultant uniquement de la
volonté absolument libre de Dieu, comme l'avait été le choix d'Abraham. C'est pourquoi aucune
tradition ne prévoit ni même ne peut pressentir cet événement, pas plus que le premier acte du
retour de Dieu en Abraham. Seule la révélation faite par les prophètes à la descendance
d'Abraham pourra annoncer la venue du Messie.
Mais ce qu'il y a de plus insondable, c'est que ce Messie n'est pas simplement un prophète
supérieur aux autres, il est Parole de Dieu, sa Parole toute-puissante qui s'est librement faite
homme. Il n'a pas pris simplement l'apparence de l'homme (ceci est à la portée de n'importe quel
génie) mais, tout en restant Dieu, il s'est fait homme, né d'une femme. Il est passé de l'autre côté
de la barrière, il est devenu fils d’Adam (Ps 8.5), le Fils de l'Homme. Il est le nouvel Adam sans
péché comme Adam à l'origine. Il peut donc prendre sur lui le péché d'Adam, ce qui lui aurait été
impossible s'il n'avait été simplement qu'un homme. Tout homme doit en effet subir pour lui-

40
même les conséquences du premier péché, de la séparation d'Adam d'avec Dieu dont la
conséquence est la mort (Rm 6.23a), car coupé de Dieu, l'homme ne peut vivre.
Vrai Dieu et vrai homme, sans péché, il pourra « être fait péché pour nous » (2 Co 5.21) et
subir à la pace d'Adam et de sa descendance le « salaire » du péché c'est-à-dire la première mort
physique sur la croix et la seconde mort (Ap 20.14) qui est la séparation totale d'avec Dieu, la
damnation, lorsqu'il s'est écrié « Eli, Eli, lama sabachtani »? Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi
m'as-tu abandonné (Mt 27.46) ? Tout cela il l'a subi bien qu'il ne se fût jamais séparé de Dieu, lui
dont la nourriture était de faire la volonté de Dieu, et qu'il fût sorti victorieux de l'épreuve de la
tentation que le Diable lui avait fait subir d'une manière plus subtile et plus intense qu'il ne l'avait
fait subir à Eve et Adam. Jésus demeura toujours fidèle à Dieu (Mt 4.1-11). Il ne tomba dans
aucun piège, il refusa de se faire valoir. La troisième tentation fut la plus terrible. Le Diable joua
carte sur table :
« Je sais pourquoi tu es venu, pour me reprendre la création. Eh bien ne te donne pas tant de
mal, finalement je suis un bon Diable, tout cela je te le donne, gratuitement. Un seul petit geste
tout simple : tu te prosternes à mes pieds et du m'adores » (cf. Mt 4.9).
Si Jésus en tant qu'homme s'était laissé séduire, c'est, en lui, Dieu qui se serait renié lui même
se plaçant sous le pouvoir de Satan. Le Diable aurait enfin atteint son but ; Dieu lui aurait laissé
son trône (cf. Es 14.13, 14). Mais Jésus, là encore, resta fidèle à Dieu : « Retire-toi Satan, car il
est écrit : Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et tu le serviras lui seul » (Mt 4.8). Ainsi pour la
première fois le Diable fut-il vaincu.
C'est alors qu'avec ses anges il décida de faire crucifier Jésus pour le vaincre. Mais s'ils
avaient su la signification de cette mort ils ne l'auraient pas perpétrée (cf. 1 Co 2.7-9). Car c'est
précisément par sa mort que Jésus a soustrait Adam à la domination du Diable.

L'annonce de la Bonne Nouvelle

Mais Jésus ne se contente pas de restaurer l'homme dans sa dignité première, il va plus loin et
va faire part à Adam de « ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment » (1 Co 2.9) : « Nous
sommes enfants de Dieu et ce que nous serons n'a pas encore été manifesté. Nous savons que
lors de cette manifestation nous lui serons semblables parce que nous le verrons tel qu'il est »
(1 Jn 3.2).
Ainsi, ce que Satan voulait ravir, ce qu'Eve et Adam convoitaient, Jésus le donna
gratuitement. Il en a lui-même payé le prix fort. C'est cela le pardon. En Jésus-Christ nous
sommes assis à la droite du Père (Ép 2.6), fils avec le Fils, partageant sa divinité, élevés en lui
au-dessus de toutes les divinités créées (cf. Ép 1.20-22) auxquelles Adam s'était soumis et avait
soumis sa descendance. En Jésus la hiérarchie est bouleversée ; non seulement nous ne leur
sommes plus soumis, mais encore nous sommes appelés à les juger, à les gouverner (1 Co 6.3).
Dès maintenant ces anges sont envoyés par Dieu à notre service (Hé 1.14). Il serait donc absurde,
inconvenant et blasphématoire de leur rendre un culte ou de les invoquer, alors que Dieu a tout
donné en Jésus- Christ (Ap 19.10), le don par excellence étant le Saint-Esprit (Ac 2.38, etc.) par
qui nous sommes revêtus de la puissance même de Dieu, d'autant supérieure au Mana de
n'importe quel clairvoyant ou même génie que le Saint-Esprit n'est pas une force immanente : il
est Dieu lui-même.
C'est tout cela qu'il faut annoncer à tous les hommes, comme Jésus donne l'ordre à ses
apôtres : « Allez par le monde entier, proclamez la bonne nouvelle à toute la création » (Mc
16.15). Depuis qu'Adam s'était séparé de Dieu, il n'y avait « rien de nouveau sous le soleil ».

41
Maintenant enfin en Jésus-Christ il y a quelque chose de nouveau, de merveilleux, qui ne pouvait
même pas être pressenti : c'est la bonne nouvelle. Les populations qui en étaient restées à
l'éloignement de Dieu, qui étaient soumises à toutes les divinités créées, pour qui il n'y avait ni
avenir, ni espérance, ces peuples, par la mission, apprennent la Bonne Nouvelle : Dieu a lui-
même aboli la séparation par Jésus-Christ et « avec lui, il nous a ressuscités et fait asseoir aux
cieux » (Ép 2.6 ; cf. Col 3.1-4).
Désormais ils ne sont plus soumis à toute la hiérarchie des divinités créées, mais en Jésus-
Christ ils sont placés au-dessus d'elles. C'est cela la véritable libération. De plus, l'avenir n'est
plus bouché, mais, en Jésus-Christ s'ouvre la perspective du royaume de Dieu et du siècle à
venir. Il y a une espérance et quelle espérance ! Toutefois, il faut que ceux à qui cette Bonne
Nouvelle est annoncée puissent se rendre compte que ce n'est pas là une belle histoire ni des
fables sophistiquées (2 Pi 1.16), mais qu'elle vient de Dieu. Pour cela il faut que la prédication
soit accompagnée de «démonstration d'Esprit et de puissance» (1 Co 2.4 ; 1 Th 2.5). Ceci est
particulièrement important dans les cultures traditionnelles où les compétitions entre « puissants
» sont constantes. En se montrant plus puissant que les magiciens ou les génies, le missionnaire
prouvera que l'esprit qu'il a en lui est bien l'Esprit de Dieu. Et tous s'inclineront.
C'est bien ainsi qu'a fait Jésus, guérissant les malades, chassant les démons et donnant à ses
disciples le pouvoir d'en faire autant, pour détruire les œuvres du diable et délivrer tous ceux qui
sont sous son emprise (cf. Mt 12.18 ; Ac 2.22 ; 10.38). C'est également ainsi que les apôtres ont
proclamé la Bonne Nouvelle : « Nombreux étaient les signes et les prodiges accomplis par les
apôtres». « Dieu appuyant leur témoignage par des signes, des prodiges, des miracles de toutes
sortes, ainsi que par des communications d'Esprit-Saint qu'il distribue à son gré » (Hé 2.4).
Ceci est d'autant plus important que, voyant la puissance de l'Esprit, ou l'éprouvant eux-
mêmes, ils ne seront plus portés à demander à un « puissant » (cf. Ac 13.12) ou à un génie de les
protéger contre les « malfaisants ». Ils reconnaîtront aussi que le Saint-Esprit n'est pas une
puissance créée que l'on peut mettre à son service, par un super Mana, il est l'Esprit incréé de
Dieu, il est Dieu. On ne peut en disposer, mais c'est lui qui dispose de nous pour l'œuvre de Dieu.
Il conduit nos pas, nous montre ce que nous devons faire, nous donne force et puissance pour
annoncer l'Evangile et, selon sa volonté, confirme notre parole par des signes et des prodiges.

CONCLUSION
L'attitude conflictuelle que les Eglises Institutionnalisées entretiennent avec les
expressions de la spiritualité en Afrique, est un héritage qui puise son origine dans l'histoire
même du christianisme. Aujourd'hui, ces Eglises doivent comprendre qu'il est malheureux d'être
le prolongement d'une tradition dont la compréhension ne se fonde que sur des préjugés et qui est
particulièrement animée par un esprit de destruction, d'intolérance et d'affirmation. L'Evangile
qu'elles annoncent invite les croyants Africains à se référer au Dieu Créateur de l'ensemble du
monde dont l'Afrique.
Pas au Dieu qui du lieu de sa royauté se contente de promulguer des commandements
pour le bon ordre du monde africain sans que ces commandements ne tiennent compte de la
réalité des contextes culturels africains. Depuis le commencement, Dieu est engagé dans la vie de
l'Afrique, dans son histoire, ses manières de penser, d'agir et de sentir. L'Evangile n'est pas une

42
réalité surnaturelle qui vient se plaquer sur la vie d'une Afrique dont Il ignore les contours.
L'Afrique et son histoire demeurent dans son projet.
Le Fétichisme, le Totémisme, l'Animisme, le Vitalisme, le Paganisme, le Panthéisme, le
Polythéisme, le Culte des Ancêtres, le Culte des Esprits, les Possessions Démoniaques, le Tabou,
l'Idolâtrie, la Sorcellerie, les Religions Archaïques, les Religions des Peuples sans Ecritures, les
Religions Traditionnelles Africaines, les Religions Indigènes, les Religions Aborigènes, les
Religions Naturelles, les Religions Autochtones etc, tels se présentent encore aujourd'hui, les
mots dont on affuble les différentes " Expressions de la Spiritualité " telles qu'elles s'observent
dans les diverses attitudes quotidiennes de l'homme africain.
Au-delà de ces diverses dérives, peut-on reconnaître dans le monde traditionnel africain ce
qui unifie les diverses manières par lesquelles les Africains expriment extérieurement leurs
expériences intérieures du Divin ? La conscience religieuse de l'Homme africain, se cristallise
autour de quatre grands concepts : l'Unicité du Divin qui a enfanté le monde ; la bi
dimensionnalité du monde : le monde de l'invisible et le monde du visible ; la bi dimensionnalité
de l'Homme : l'homme du visible et l'homme de l'invisible ; la symbiose de vie entre le Divin et
l'ensemble de sa créature. Cette unité s'exprime essentiellement par la croyance en une
communauté de vie entre les deux dimensions du monde, entre les deux aspects de l'Homme et
entre le monde et l'homme. C'est à partir de cette vision communautaire du monde et de
l'homme, inspirée par l'unité du Divin que l'Africain donne une signification à son existence dans
le monde et dans la communauté. Ces quatre représentations sont explicitées par la culture de
chaque société africaine.
C'est une grande grâce que Dieu nous fait de vouloir se servir de nous pour annoncer son
Royaume. Pour y répondre, il nous faut, comme Jésus, être doux et humble de cœur (Mt 11.29)
et pouvoir dire avec lui : « Ma nourriture est de faire la volonté de Dieu (Jn4.34) ».

BIBLIOGRAPHIE

AKOA MBARGA G : Symbolismes Africain et Chrétien : similitudes et divergences. Editions


Sopecam, 2013.
ALEXANDRE P et BINET J : Le groupe dit Pahouin (Fang-Boulou-Beti). Paris: PUF, 1958.
BAUMANN H. et BAYILI B : Perceptions Négro-africaines et vision chrétienne de l’homme,
herméneutique d’une anthropologie théologique. Harmattan, 2011.

CORNELIS E: Valeurs chrétiennes des religions non-chrétiennes. Le Cerf, 1962.


DAVIDSON B. : Les Africains, Introduction à l’histoire d’une culture. Seuil, 1971.
DOURNES J. : Dieu aime les Païens. Paris, 1963.
DUPUIS J : Jésus- Christ à la rencontre des religions. Desclée, sd.

43
La rencontre du Christianisme et des religions, de l’affrontement au dialogue. Paris : Editions du
CERF, 2002.
FOUDA ETOUNDI E : La tradition Beti et la pratique de ses rites. Editions SOPECAM, 2012.
FRIEDLI R. : Le Christ dans les Cultures. Paris : Cerf, 1989.
FROELICH J.C : Animisme, les Religions païennes de l’Afrique de l’Ouest. Paris : Orantes 1964.
JUNOD H. : Mœurs et coutumes des Bantou. Payot 1936.
KA MANA : Le Christ d’Afrique, enjeux éthiques de la foi africaine en Jésus-Christ. Editions
Karthala, 1994.
KUNG H. : Le christianisme et les Religions du monde. Paris: le Seuil. 1986.
KWABENA DONKOR (Edit.): The church, culture and spirits: Adventism in Africa. Copyright
2011.
LABURTHE TOLRA P : Les seigneurs de la forêt : essai sur le passé historique, l’organisation
sociale et les normes éthiques des anciens Beti du Cameroun. Paris : publications de la
Sorbonne, 1981.
LADO L et KOUOKAM M : Le pluralisme religieux en Afrique. PUCAC, 2013
LANTERNARI V. : Les mouvements religieux des peuples opprimés. Paris : François Maspero,
1962.
LIPAWING et MVENG E: Théologie, libération et cultures africaines, dialogue sur
l’anthropologie africaine. Yaoundé : CLE et Paris : Présence africaine, 1996.
MASSI GAMS D : La rencontre de l’Evangile avec les cultures des peuples de l’Est Cameroun
(1916-1961), perspective d’une historiographie de Chrétienté africaine. Yaoundé, CLE, 2017.
MBITI JS : Religions et philosophie africaines. Yaoundé, CLE, 1972.
METING J. P : Adventisme du septième jour et Religion traditionnelle africaine : étude
comparative des deux systèmes de croyances. Thèse de Doctorat PhD, UPAC, 2018.
MVENG E : L’Afrique dans l’Eglise : paroles d’un croyant. Editions Harmattan, 1985.
Spiritualité et libération en Afrique. Harmattan, 1987.
MVIENA P : L’univers culturel et religieux du peuple Beti. Yaoundé, Imprimerie Saint Paul,
1970.
N’GINDU M : Combat pour un christianisme africain. Problème des fondements. Paris :
Harmattan, 1981.
Les thèmes majeurs de la théologie Africaine. Paris, Harmattan, 1989
NGBWA OYONO M : La contribution des traditions à la compréhension de l’Evangile en
Afrique. Yaoundé, Presses des Universités Protestantes d’Afrique Centrale, 2013.

44
NKOU NKOU C : Zomeloh, le patriarche Beti. Editions cnnBantou. Sd.
ORTIGUES E. : Religions du livre, Religions de la coutume. Paris : le Sycomore, 1981.
OWONO J F : Pauvreté ou paupérisation en Afrique, une étude exégético-éthique de la pauvreté
chez les Beti-Fang du Cameroun. University of Bamberg Press, 2011.
P VAN EETVELDE A : L’homme et sa vision du monde dans la société traditionnelle négro-
africaine. Bruylant académia. Sd.
PENOUKOU : Eglise d’Afrique. Paris, Karthala 1984.
PERNOT P (Préf.) : Les religions africaines traditionnelles in Rencontres internationales de
Bouaké. Paris : Seuil, 1965.
PRICHARD E.E : La religion des primitifs. Payot, 1971.
THOMAS LV et LUNEAU R : La terre africaine et ses religions, traditions et changements.
Nouvelle édition, Paris : Harmattan, 2014.
TURIKUBWIGENGE JB : Religiosité africaine traditionnelle dans les documents du Magistère
de l’Eglise catholique (1951-1995). Editions Harmattan, 2006.
VIDAL J. : L’Eglise et les religions. Albin-Michel, Le Cerf, 1992.
WELTER G. : Les croyances primitives et leurs survivances. Armand Collin, 1960.
WESTERMANN D. : Les peuples et les civilisations de l’Afrique. Paris : Payot, 1948.

ZAHAN D. : Religion, spiritualité et pensée africaines. Paris : Payot, 1970.


FOUELLEFAK KANA C: Le Christianisme occidental à l’épreuve des valeurs religieuses
africaines : le cas du Catholicisme en pays Bamiléké au Cameroun (1906-1995). Thèse de
Doctorat en Histoire contemporaine, Université Lumière II, 2005.

GERMAIN Ph : La culture des contraires : éclectisme, syncrétisme et bricolage religieux. Thèse


de Doctorat en Sciences des religions. Université de Montréal Québec. 2010.

OHOUO DJOMAN N : Phénomène de double appartenance religieuse. Réalité existentielle ou


préjugés ? Cas des Akan de Côte-d’Ivoire. Thèse de Doctorat en Théologie FTPY. Yaoundé,
avril 2005.

45

Vous aimerez peut-être aussi