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COMPLEXES
OLIVIER CECHMAN
© IDEO 2022, un département de City Éditions
Couverture : Shutterstock/Studio City
ISBN : 9782824636382
Code Hachette : 32 1345 3
Collection dirigée par Christian English & Frédéric Thibaud
Catalogues et manuscrits : city-editions.com/IDEO
Conformément au Code de la Propriété Intellectuelle, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le présent
ouvrage, et ce, par quelque moyen que ce soit, sans l’autorisation préalable de l’éditeur.
Dépôt légal : Avril 2022
Introduction
C’est une réalité indéniable, notre société est gouvernée par les
apparences et les stéréotypes. On porte ainsi aux nues une prétendue
perfection et les performances physiques, intellectuelles, sociales et
professionnelles censées l’accompagner. Seulement, sur quels critères
s’appuie-t-on pour décider ce qui est parfait ou pas ? De par son absurdité,
cette quête du Graal illusoire prêterait à la plaisanterie si elle n’entrainait
pas un mal-être collectif et individuel, avec, à la clé, névroses et troubles
comportementaux. D’ailleurs, parmi ces troubles, devinez qui a les
honneurs du podium. Les fameux (et nombreux) « complexes ».
Dans sa Parisienne, Marie-Paule Belle chante avec humour qu’il est
impossible de vivre en ville si l’on est, hélas, dénué de complexes. Eh bien,
elle a raison ! Et pour cause : le complexe n’existe que par rapport au regard
de l’autre, et dans une ville, difficile de se soustraire à l’appréciation de ses
congénères. Mais, rassurez-vous, il n’y a pas que la ville. La campagne
n’est pas en reste, et à moins de vivre en totale autarcie, entouré de veaux,
vaches, cochons, couvées, on n’échappe jamais au regard de l’autre.
Si, d’instinct, la prétendue imperfection que l’on nomme complexe est
associée au physique, vous allez découvrir que son champ d’action est
infiniment plus large. Car, de la même façon que tous les handicaps ne sont
pas nécessairement visibles, tous les complexes ne se voient pas au premier
coup d’œil. En effet, certaines personnes dont le physique ne présente
apparemment aucun signe distinctif peuvent souffrir d’autres gênes.
Installez-vous confortablement, car la liste est sans fin : zozotement, accent,
nom pas assez couleur locale, dyslexie, supposée inculture littéraire,
orientation sexuelle, absence de diplômes, adresse dans un coin mal famé
de la ville, salaire peu élevé, etc. Néanmoins, que le complexe soit
physique, identitaire ou socioculturel, une donnée reste commune : la
sensation d’être « indigne ». Mais indigne de quoi et de qui, voilà la grande
question !
Un complexe ne surgit jamais spontanément, comme un mauvais génie
échappé d’une lampe à huile. Il lui faut un terreau propice pour prendre
racine et prospérer. Et les bonnes âmes ne manquent pas pour charrier ce
terreau et le déposer gracieusement à nos pieds (avec notre assentiment, et
ça, c’est un point crucial que nous devrons revoir ensemble). Le terreau se
compose à parts égales de réflexions, railleries, méchancetés dirigées vers
une de nos particularités. Autoproclamées directrices de conscience et
arbitres de ce qui est correct ou acceptable, ces âmes charitables et
généreuses nous offrent d’ailleurs plus de terreau qu’on ne saurait utiliser.
Mais un terreau sans engrais ne serait pas des plus accueillants pour la
croissance du complexe. N’ayons crainte, l’engrais viendra à profusion,
sous forme de répétitions d’occurrences. On le sait tous, ce n’est pas une
simple réflexion, même odieuse, qui génère un malaise, c’est sa répétition.
Cela dit, les terreaux les plus riches et les engrais les plus nutritifs
n’auraient aucun pouvoir ni impact, et notez bien cela, sans notre propre
accord. Oui, vous avez bien lu ! Nous participons activement et plus ou
moins consciemment à notre conditionnement. C’est un peu comme si nous
tenions pour vrai un sophisme, vous savez, ce raisonnement qui a
l’apparence de la vérité, mais qui est une contre-vérité absolue (une intox,
en somme).
Même l’avocat le plus aguerri ne trouverait rien d’anodin ni d’amusant à
la décharge du complexe. Et à juste titre, puisque le complexe entraine une
modification du comportement – avec soi-même et avec les autres. Et gavé
aux engrais surpuissants, le complexe prospère et s’accompagne de
ramifications très perturbantes : diminution de l’estime de soi, perte de
confiance (et de repères), dépression, isolement, acceptation de tout et
n’importe quoi, oubli de soi-même au profit des autres, etc. Subrepticement,
on admet que les autres valent mieux et plus que nous, et leurs opinions
deviennent alors paroles d’évangile. Puis, en fin de compte, on perd sa
propre identité et l’on met sa vie entière sur pause.
Nous sommes d’accord, tout cela ressemble au scénario déprimant d’un
film d’épouvante de série Z. Jusqu’au réveil ! Parce que la bonne nouvelle,
c’est que ce qui est conditionné peut être déconditionné. Les contre-vérités
et autres raisonnements spécieux que nous avons avalés sans mot dire, tels
des agneaux gambadant naïvement vers l’abattoir, c’est terminé ! Nous
allons repenser nos modes de fonctionnement et nous réapproprier nos vies,
nos identités et notre bonheur. Et le terreau et l’engrais, on les réserve aux
géraniums !
Pour cela, nous procéderons en deux temps. Nous allons d’abord
identifier, comprendre, décrypter et explorer les mécanismes du complexe.
Nous verrons comment un complexe prend forme et les nombreuses
problématiques qu’il suscite. Une fois que nous aurons recensé les
interactions délétères du complexe, nous pourrons passer à la résolution.
Nous apprendrons alors à soulager, partager, solutionner et revivre. Par
ailleurs, les exercices guidés et les pistes de réflexion rendent cet ouvrage
interactif et vous associent étroitement au processus de guérison.
Évidemment, vous connaissez le dicton sur Rome. Non, pas « À Rome,
faites comme les Romains », mais « Rome ne s’est pas faite en un jour » !
De même qu’un complexe n’apparait pas par combustion spontanée, il ne
disparait pas d’un coup de baguette magique. Et c’est tant mieux, parce que
le cheminement permet de comprendre pourquoi nous nous sommes
retrouvés dans cette situation et comment y mettre un terme une fois pour
toutes. Le plus beau de l’histoire, c’est que cet ouvrage est une sorte de
couteau suisse, parce que les outils proposés permettent de gérer toutes
sortes de situations dévalorisantes (pour nous).
Alors, en avant toutes, nous allons mettre les points sur les « i » et les
barres aux « t » pour repartir enfin sur des bases saines. Que le voyage vers
la libération, la sérénité et le bonheur commence !
PREMIÈRE PARTIE
Identifier, comprendre,
décrypter, explorer
1
Complexe, vous avez dit
complexe ?
Pourquoi certains termes, dont « imperfection » ou, encore pire,
« défaut », mériteraient-ils systématiquement des guillemets ? Par
coquetterie ou souci du politiquement correct ? Rien de tout cela !
Imperfection et défaut mériteraient leurs guillemets, car pour qu’il y ait une
prétendue imperfection ou un supposé défaut, faudrait-il déjà que la
perfection existe. En effet, l’imperfection ou le défaut n’auraient de sens
que par rapport à un standard ou point de repère, ici, la fameuse perfection.
En d’autres termes, une chose jugée imparfaite ou défectueuse est
imparfaite ou défectueuse uniquement si l’on se base sur ce qui devrait être
parfait. Seulement voilà, parfait selon quels critères ? Qu’est-ce qui est
parfait ? Pourquoi est-ce parfait ? Et a contrario, pourquoi ce qui est
considéré comme imparfait serait-il plus imparfait qu’autre chose ?
Or, et ce n’est un secret pour personne, la perfection n’existe pas. Par
conséquent, et c’est très logique, si la perfection n’existe pas, l’imperfection
n’existe pas non plus, puisque les deux notions sont liées. Si la perfection
est donc illusoire, l’imperfection l’est tout autant. Et ce que l’on nomme à
tort et à travers imperfection n’est rien d’autre qu’une particularité, une
caractéristique, un simple trait physique, identitaire ou socioculturel. Dans
la mesure où nous sommes tous uniques, et donc différents, il parait
cohérent de démystifier ce concept d’imperfection pour se recentrer sur
l’essentiel : notre (belle) singularité.
Attention, il ne s’agit pas là d’un point de détail. Pourquoi ? Parce qu’un
complexe est précisément une prétendue imperfection sur laquelle on
braque une sorte de projecteur ou de loupe et qui va devenir l’épicentre de
toutes nos pensées, suggestions et sentiments (et nous gâcher la vie).
Le mot et l’idée
Nous gagnerions plus de nous laisser voir tels que nous sommes, que d’essayer de
paraitre ce que nous ne sommes pas.
LA ROCHEFOUCAULD
Le divan du psy
En psychiatrie, un complexe est la focalisation douloureuse et obsédante, constante ou
très fréquente, de l’ensemble de ses pensées sur une partie de son corps, jugée
disgracieuse, ou une dimension de sa personnalité, jugée insuffisante ou inadéquate, et
qui va perturber le bien-être moral et le comportement social. Un complexe, c’est un doute
qui se transforme en douleur. C’est toute l’estime de soi qui souffre, mais le mal-être se
concentre sur le complexe.
CHRISTOPHE ANDRÉ, PSYCHIATRE
Le parasite extérieur
Eliza Doolittle, l’héroïne du roman de Bernard Shaw, Pygmalion, dont a
été tirée la comédie musicale de George Cukor, My Fair Lady, avec
Audrey Hepburn, se serait-elle interrogée sur ses manières, sa façon de
parler et ses tenues vestimentaires si le professeur Henry Higgins ne s’était
pas donné pour mission d’en faire une « dame du monde » en lui expliquant
tout ce qui « n’allait pas » chez elle ? Sous couvert de motivations plus ou
moins discutables (il s’agit quand même d’une sorte de pari), le professeur
va donc chercher à étouffer l’authenticité de la jeune Eliza pour la faire
entrer dans un moule. Et donc toutes les caractéristiques intrinsèques de la
marchande de fleurs sont considérées comme des défauts qu’il faut
impérativement corriger. De là à ce que ces défauts virent aux complexes, il
n’y a qu’un pas !
Par conséquent, un complexe n’existe que dans la mesure où il est
confronté à un regard externe ou, disons-le tout net, à un parasite externe.
Mais pour que le plant du complexe prenne dans le terreau, il faut déjà un
terrain propice…
Confidences en aparté
J’avais six ans et j’avais été fasciné par un jeans à pattes d’éléphant avec
des fleurs rouges et vertes brodées dans le bas. Étant très enrobé, il n’y en
avait pas dans la boutique, mais la gentille vendeuse en avait trouvé un avec
des fleurs jaunes et orangées et avait fait retoucher la ceinture pour que j’y
entre. Tout fier de mon nouveau pantalon, je l’ai aussitôt porté à l’école,
j’étais en CP. Inutile de vous mentir, on me regardait bizarrement et on riait
sous cape, et moi, je commençais à me sentir très mal à l’aise. Puis, comble
de malchance, ce jour-là, l’instituteur m’a demandé de porter le livre de
présence dans la classe des CM2. Et là, j’entre pour remettre le gros cahier
vert bouteille, quand tout à coup, un tonnerre de rires s’est déclenché à mon
arrivée. Même l’instituteur riait, mais il a quand même ordonné aux autres
« Chut, suffit ! » Rouge de honte et prêt à fondre en larmes, j’ai dit au
revoir, puis, le cœur battant à tout rompre, je suis reparti en courant dans les
couloirs pour rejoindre ma classe. Vous pouvez imaginer mon désarroi et
mon chagrin. Je n’osais plus faire le moindre geste et, subitement, ce
pantalon, que j’avais adoré et qui m’avait procuré tant de plaisir, devenait
objet de rejet. Je me suis dit, avec raison et objectivité, que les moqueries
avaient été amenées par mon jeans à fleurs (et mon embonpoint, ça, c’est
une évidence). En revanche, avec déraison et subjectivité, j’ai décidé de ne
plus jamais porter ce pantalon et je l’ai détesté, alors qu’au fond, il me
plaisait toujours. Parce que lorsque je regardais le jeans, je revivais les
railleries et les rires qui m’avaient tant blessé.
La sensibilité
Pour qu’un complexe puisse se développer, faut-il déjà avoir certaines
prédispositions, à commencer par une estime de soi en berne, une certaine
instabilité émotionnelle, une confiance en soi défaillante, un manque
d’affirmation de soi et, plus généralement, une sensibilité exacerbée. Nous
avons tous une sensibilité plus ou moins développée et qui peut également
fluctuer en fonction des épisodes de vie que nous traversons (il est évident
que nous nous sentons plus vulnérables pendant une période éprouvante que
par beau temps).
La sensibilité favorise une lecture plus ou moins émotive, affective et
personnelle d’un évènement. Or les personnes sensibles, voire
hypersensibles1, sont capables de capter des éléments non visibles ou qui
échappent à l’individu lambda. Par exemple, en entrant dans une pièce,
elles peuvent aussitôt déceler des tensions sans qu’aucune parole n’ait été
échangée.
Ce n’est pas la sensibilité en elle-même qui pose un problème, c’est la
perméabilité aux émotions et aux sentiments des autres. Les personnes
sensibles sont en effet tournées vers les autres et leurs besoins. Elles
s’oublient donc et acceptent pour argent comptant ce qui leur est envoyé par
l’autre. Si l’autre envoie des compliments, c’est plutôt positif, mais si ce
sont des remarques désobligeantes, ça l’est beaucoup moins. Or, comme la
personne sensible attache trop d’importance à l’opinion d’autrui, les
complexes peuvent s’installer et prospérer très facilement. (En réalité,
même laudateur, un commentaire ne devrait en aucun cas trouver prise ni
laisser d’empreinte, car cela confirmerait une sorte de codépendance.)
Le divan du psy
C’est la honte qui transforme la conscience d’un défaut en complexe. Les
deux meilleurs alliés de la honte sont le silence et la solitude.
Je sais, moi, qu’à la minute où l’on admet sa honte, elle disparait.
SIR VIDIADHAR SURAJPRASAD NAIPAUL, ÉCRIVAIN
Le mot et l’idée
Personne ne peut vous faire sentir inférieur sans votre consentement.
ELEANOR ROOSEVELT, POLITICIENNE
Est-ce que ça se soigne, un complexe ?
On pourrait légitimement inclure le complexe dans les troubles
psychosomatiques, puisqu’en réalité, il n’existe pas de pathologie
physiologique (on aura beau faire tous les examens possibles et
imaginables, aucune maladie réelle ne pourrait être identifiée). Un trouble
psychosomatique est un trouble déclenché par un désordre psychique.
Vous savez, c’est le fameux : « Tout est dans la tête ! » Or, nous l’avons
vu, personne ne nait complexé, et l’installation du complexe dépend de
nous et de nos ressentis subjectifs. En d’autres termes, si nous sommes à
l’origine de l’installation du complexe, nous pouvons tout aussi bien être à
l’origine de sa disparition, puisque, justement, tout cela est bel et bien dans
la tête. Et ça, c’est une excellente nouvelle ! Parce que nous avons tous les
moyens et les capacités de retrouver un fonctionnement sain et réaliste et
reprendre les rênes de nos vies.
Repérage
Un complexe est un trait physique, identitaire ou socioculturel que
nous jugeons embarrassant ou insatisfaisant et sur lequel nous
braquons un projecteur ou une loupe.
Un complexe n’est jamais inné, il s’acquiert.
Un complexe émerge à la suite d’une intervention extérieure et
s’installe avec notre assentiment, plus ou moins conscient.
Le complexe peut toucher tout le monde, sans exception.
Nous réagissons tous différemment face aux complexes, selon nos
propres sensibilités et vulnérabilités.
Nous possédons toutes les compétences pour nous débarrasser de nos
complexes.
1. Aucune notion péjorative dans ce terme, bien au contraire, puisqu’il s’agit d’une sensibilité hors du commun.
2
Le complexe dans tous ses états
Les déclinaisons du complexe sont si nombreuses qu’en lister l’intégralité
s’apparenterait au tonneau des Danaïdes. Voici donc un aperçu des
caractéristiques et situations qui, sous le regard de l’autre, la pression
sociale et/ou une supposée anormalité, deviennent trop ceci ou pas assez
cela et des prétextes à la honte et au mal-être :
Complexes identitaires
Nom, âge, religion, origines familiales, orientation sexuelle, langage,
accent, lieu de naissance, us et coutumes, alimentation, milieu familial ou
amical…
Complexes socioculturels
Profession, expression orale et écrite, illettrisme, éducation,
établissements scolaires fréquentés, lieu d’habitation, loisirs, goûts
musicaux/décoratifs/vestimentaires…, salaire, situation familiale (mère
célibataire, parents de même sexe, divorce, adoption…), accidents de vie
(chômage, burn-out, harcèlement…), maladies…
Mais peu importe, finalement, la typologie du complexe, puisque le
résultat est le même : un mal-être généralisé, d’abord en compagnie de
l’autre, puis avec soi-même.
Dans normal, il y a mal
Par définition, la norme est la règle établie conformément à une moyenne
qui devient ipso facto critère de référence. Autrement dit, en se basant sur
des chiffres, on décide ce qui est normal ou ne l’est pas, ce qui entre dans
les normes et ce qui en est exclu. La norme fait alors office de livre blanc
ou de bible (aucune notion religieuse dans le terme, il s’agit d’un document
regroupant les règles et usages en vigueur faisant foi).
Seulement voilà, on va considérer la norme comme un outil de référence,
mais également comme la cible à atteindre. La norme devient alors une
sorte de perfection, puisqu’elle correspond à ce qui est attendu de nous tous.
Or rappelons que la norme est fondée sur une moyenne, pas une somme.
Par conséquent, est-elle légitime pour représenter la majorité ? Et s’il
existait en réalité plusieurs normes ? Et si, tout compte fait, la norme ne
signifiait pas grand-chose, hormis pour des statistiques ou des législations
appliquées à l’électricité, la construction, etc. ?
Le vrai danger de la norme appliquée à l’humain est qu’elle exclut
d’office une multitude d’individus qui ne rentrent pas dans les cases et se
voient rapidement attribuer le statut d’« anormal », c’est-à-dire qui sort de
la norme. Par la force des choses, une personne cataloguée anormale est
aussitôt mise à l’index, hors du groupe. Cette forme d’ostracisme conduit la
personne à se sentir elle-même anormale, puisqu’elle n’entre pas dans la
norme, et à développer un sentiment de honte vis-à-vis des caractéristiques
qui l’empêchent d’entrer dans la norme. Et ce sentiment de honte se traduit
par des complexes. L’objectif sera alors de camoufler, transformer, renier ou
« soigner » les particularités dont on a honte.
Le mot et l’idée
Quel courage il faut pour être soi ! On a contre soi la masse des autres qui ont abdiqué
d’avance. Ils se regardent, ils se copient, ils se singent mutuellement.
ABBÉ MUGNIER, PRÊTRE
Le surréalisme du complexe
Vous connaissez certainement les dictons populaires comme « L’herbe est
toujours plus verte ailleurs » ou « On veut toujours ce que l’on n’a pas ».
D’ailleurs, qui n’a pas eu envie, une fois dans sa vie, de ressembler à
M. Truc ou avoir ce que Mme Bidule possède, en imaginant naturellement
que M. Truc et Mme Bidule nagent dans la félicité et que, nous aussi, nous
serions les plus heureux du monde si seulement la vie nous avait fait cadeau
de leurs attributs ? Mais que savons-nous précisément de la vie de M. Truc
et Mme Bidule, hormis ce que l’on voit de l’extérieur et qui n’est que le
masque qu’ils présentent ? Oui, mais M. Truc est si beau et Mme Bidule si
riche, comment pourraient-ils aller mal ? Leur vie est parfaite, non ?
Qu’est-ce qu’on en sait, si leur vie est parfaite ? Et peut-on résumer une vie
parfaite à une apparence physique ou un compte en banque ?
En réalité, on a envie d’être quelqu’un d’autre, sans se demander un seul
instant si ce que nous sommes n’est pas déjà largement suffisant et si nous
ne pourrions pas être heureux en l’état. Sans exagérer, c’est un peu comme
si une banane mourait d’envie d’être une tomate, ou si une marmotte se
rêvait antilope. Un seul mot pour décrire ces velléités : absurde. D’ailleurs,
La Fontaine en avait fait une fable avec une grenouille et un bœuf, et nous
connaissons tous la fin de l’histoire…
Le divan du psy
On se culpabilise de ce que l’on a fait, mais on a honte de ce que l’on est : le dommage
est plus grave. Ainsi, la honte est toujours une honte de soi : c’est soi-même que l’on
rejette tout entier, pas seulement ses actes.
CHRISTOPHE ANDRÉ, PSYCHIATRE
Confidences en aparté
Je m’interroge souvent sur le pourquoi du comment des tatouages. Au
début, assez anecdotiques et plutôt réservés à une population marginale
(matelots, vedettes, fétichistes…), les tatouages sont devenus un véritable
phénomène sociétal. Subitement, tout le monde a voulu son tatouage. Pour
quelle(s) raison(s) ? Pour faire comme le voisin ou le rappeur ? Par passage
obligé pour appartenir à un groupe ? Pour se démarquer du lot ? Par amour
de l’art ? Pour affirmer son identité ou sa différence ? Pour rentrer dans le
moule ?... Ou alors, pour masquer quelque chose et détourner l’attention de
ce quelque chose ? Par exemple, une personne souffrant de calvitie et le
vivant mal qui va se faire tatouer un emblème sur le crâne ; une personne en
surpoids qui se fait tatouer le cou et les bras ; un individu mal dans sa peau
à cause d’une profession jugée subalterne qui couvre son épiderme de
tatouages… Qu’en ressort-il ? Va-t-on définir ou désigner ces personnes par
leur calvitie, leur surpoids ou leur job ? Ou alors, va-t-on s’extasier ou
contempler leurs tatouages ? Le tatouage pourrait-il faire office de masque
ou écran de fumée ? Idem pour les accessoires de piercings. Par ailleurs, j’ai
lu récemment que certaines femmes ayant subi une mastectomie avaient
recours à des tatouages pour recouvrir les cicatrices et tenter d’oublier leur
cancer du sein. Il y a alors le regard de l’autre et son propre regard sur cette
ablation de poitrine. Ce qui est compréhensif et, en même temps, cette
cicatrice, c’est quand même le signe d’une victoire et le signe que la vie a
été plus forte. Ça rappelle un peu les cicatrices « d’honneur » des membres
de gangs qui étaient fiers de les arborer. Pour des raisons éminemment
différentes, la cicatrice de la mastectomie est également une cicatrice dont
on peut être fier, puisqu’elle signifie que nous sommes vivants et que nous
avons dû combattre pour le rester. Et le regard de l’autre ne devrait jamais
être qu’admiratif et empreint non pas de pitié ni de compassion, mais
d’émerveillement. Et le nôtre aussi.
Le divan du psy
L’ego, c’est le sentiment exacerbé de l’importance de soi qui découle de cette
construction mentale. Il place son identité fictive au centre de toutes nos expériences.
Notre identification à l’ego est fondamentalement dysfonctionnelle, car elle est en porte-à-
faux avec la réalité. L’ego ne peut procurer qu’une confiance en soi factice, fondée sur
des attributs précaires – le pouvoir, le succès, la beauté et la force physiques, le brio
intellectuel et l’opinion d’autrui – et sur tout ce qui constitue notre image. La vraie
confiance en soi est tout autre.
MATTHIEU RICARD, MOINE BOUDDHISTE
La course à l’échalote
Égotisme, égocentrisme, égoïsme, autant de termes centrés sur une même
racine : l’ego. Pour faire simple, l’ego c’est le « moi je ». Et d’où vient le
« moi je » ? Ni de l’affect ni de l’émotionnel, encore moins du spirituel.
L’ego est le produit du mental. On a tous entendu des commentaires comme
« Il a un ego surdimensionné ! », « C’est l’ego qui parle ! », « Il n’y en a
que pour sa petite personne ! »
Nombreux sont ceux qui confondent ego et estime de soi. Un exemple
pour mieux comprendre. Un ami fête son anniversaire, mais pour x raisons,
il ne vous invite pas directement et charge un autre ami de vous inviter. Une
personne dans l’ego va considérer cela comme un affront : « Je ne suis pas
n’importe qui, la moindre des choses est de m’appeler directement ! S’il fait
passer l’invitation par Audrey, c’est parce qu’il se fiche bien que je vienne
ou non, et donc, pas question que j’y aille ! Je ne suis pas la cousine Bette !
Si ça se trouve, c’est parce qu’il a eu des désistements et voilà, je joue le
bouche-trou ! Ah, il va voir de quel bois je me chauffe ! Il n’est pas près de
me revoir celui-là ni d’être invité à une de mes fêtes ! » Il pense punir l’ami,
mais se punit lui-même, bien évidemment, et, surtout, il interprète et
échafaude des théories irrationnelles. Il y a un côté très puéril dans le
fonctionnement de l’ego. Maintenant, la personne qui n’est pas dans l’ego,
mais dans l’estime de soi, va réagir tout autrement. Si l’invitation lui fait
plaisir, elle s’y rendra de bon cœur. Si l’invitation ne lui dit rien, elle la
refusera. Peu importe qu’elle ait été transmise par un tiers. Elle se dira aussi
que s’il y a beaucoup d’invités, l’hôte a préféré déléguer, car les appels sont
chronophages ou qu’il est débordé au travail ou autre. En aucun cas, elle ne
prendra la démarche de manière personnelle ou ne se perdra dans des
élucubrations.
En fait, regardez autour de vous, la société offre un trône à l’ego, alors
qu’elle devrait lui réserver tout au plus un strapontin. Dans la vie
quotidienne, lorsque les médias titrent en se réjouissant : « Le ministre de X
a dit ceci et monsieur Machin l’a remis à sa place en lui rétorquant cela » ou
« Madame Z : la petite phrase qui ne passe pas ! Réponse cinglante de
Monsieur Y ! », on nage dans l’ego (et le néant). L’ego, c’est aussi avoir le
plus gros ou le plus petit ou le plus grand, selon l’objet du désir, et se
réjouir de pouvoir l’afficher alentour. C’est un peu comme dans la chanson
pour enfants J’ai du bon tabac, vous savez : « J’ai du bon tabac dans ma
tabatière, mais toi, tu n’en auras pas ! »
Autre terrain de jeu de choix et image très suggestive de l’ego : le duel.
Supposé « civilisé », le duel n’est rien de plus qu’un de ces règlements de
comptes au révolver que l’on voit dans les westerns de série B.
Évidemment, la forêt de Fontainebleau remplace le désert du Texas, mais le
principe reste identique : les querelles d’ego se règlent à la gâchette. En
France, lorsqu’une personne se considérait comme offensée (les sujets à
outrage étaient vastes et variés), elle pouvait provoquer l’outrecuidant en
duel. L’invitation au duel frisait la caricature, car l’initiateur du duel devait
frapper son adversaire avec un gant. Et s’il ne relevait pas le défi,
l’offenseur était considéré comme un poltron et la risée de l’entourage.
L’ego dans toute sa splendeur ! La personne qui s’est sentie outragée doit ce
ressenti à son ego et si l’offenseur a également un ego puissant, il va bien
entendu relever le défi et, finalement, pour une question d’ego, chacun
risque sa vie. Il faudra attendre 1627 et Richelieu pour réprimer légalement
cette pratique, même si cela n’a pas empêché des tas d’égotistes de se battre
en clandestinité. Et ne croyez pas que seuls les plus batailleurs et les plus
gros bras étaient concernés, car le 6 février 1897, dans la plus parfaite
illégalité, qui s’est retrouvé pour un face à face des plus grotesques ?
Marcel Proust et Jean Lorrain, un écrivain/critique ! En effet, Jean Lorrain,
qui ne portait pas Proust dans son cœur, écrivait des papiers très moqueurs
et virulents sur l’auteur de la Recherche. Un jour, il est allé un peu plus loin
en insinuant que si Alphonse Daudet allait préfacer le nouvel ouvrage de
Proust, c’était pour faire plaisir à son fils, Lucien Daudet, compagnon
intime de Proust. Proust, souffrant du complexe de l’homosexualité, s’est
senti outragé, bien que son orientation sexuelle ait été un secret de
Polichinelle. Le duel initié par Proust ne servait pas à prouver qu’il n’était
pas peureux, mais plutôt à prouver, si l’on peut dire, qu’il n’était pas gay.
Le duel avait pour but de camoufler le complexe. Le plus amusant de
l’histoire, c’est que Lorrain était lui-même homosexuel, mais dirons-nous,
d’une obédience bien différente, puisqu’il était aussi flamboyant et assumé
que Proust était discret et complexé. La fin de l’histoire est aussi farfelue
que le début, puisque, selon les versions, ils auraient chacun tiré une balle
en l’air ou une balle dans le sol, et se seraient finalement serré la main.
Toujours est-il que chacun est reparti chez soi avec son aréopage, sans
doute bien soulagé de l’issue.
L’ego mental
Pourquoi dit-on que l’ego provient du mental ? Parce que pour interpréter,
parvenir à des conclusions douteuses et prévoir des mesures de rétorsion, il
faut que les informations transitent par le mental, comme une sorte de
pseudo-analyse ou pseudo-déduction.
Par ailleurs, l’ego n’est jamais dans le moment présent ni dans la
spontanéité. Il vit systématiquement dans le passé, dans l’avenir et dans
l’arithmétique. L’ego n’en a jamais assez et ne vit que pour le paraitre.
D’après vous, les compliments et les honneurs font plaisir à qui ? Se voir
acclamé par une foule plus ou moins en délire, crouler sous les invitations
de personnalités plus ou moins importantes, rechercher la gloire ou le
pouvoir plus ou moins à tout prix, ça fait plaisir à qui ? Ça flatte qui,
exactement, sinon l’ego ? On ne ressent jamais qu’on est au-dessus de la
mêlée et au panthéon de la gloriole, on se le dit. Et c’est très différent,
puisque si l’on se le dit, c’est que les infos sont passées à la moulinette du
mental.
Et pourquoi parle-t-on de l’ego dans un ouvrage sur les complexes ? Parce
que le complexe est fomenté par le mental et l’ego. Lorsque l’on est sûr de
soi et que l’on estime que sa valeur ne dépend en rien de l’approbation de
l’autre, peu importe les ricanements ou commentaires extérieurs. Ils glissent
comme de l’eau sur les plumes d’un canard. En revanche, lorsqu’on est
gouverné par l’ego, les plumes du canard perdent leur qualité hydrofuge, et
l’eau pénètre profondément dans tout l’être et finit par le submerger.
L’ego incite au superficiel et aux apparences. Lorsqu’on se promène avec
une personne à la plastique attrayante, qui se délecte d’être le centre des
regards et s’imagine que les passants l’envient ? Qui vérifie qu’aucune autre
personne n’est plus attrayante que celle que l’on promène à son bras ? Qui
préfèrerait annuler une soirée plutôt que de s’afficher avec une personne au
charme plus confidentiel ? Qui juge la valeur d’un individu en fonction de
sa tenue, son compte en banque ou ses fréquentations ? L’ego. L’ego. L’ego.
Toujours l’ego.
Voilà pourquoi il est primordial de se détacher de l’ego et de son
fonctionnement qui fait des complexes sa profession de foi.
Le mot et l’idée
Je ne vends que la façade, sa propre vérité, on ne la doit qu’à soi-même.
KARL LAGERFELD, COUTURIER
Repérage
Ce que l’on appelle « norme » n’est qu’une tendance basée sur des
chiffres et ne doit pas devenir une fin en soi.
Chercher à être quelqu’un d’autre est aussi absurde que si une
asperge cherchait à devenir un abricot.
Plusieurs types de complexes cohabitent : les complexes physiques,
les complexes identitaires et les complexes socioculturels.
Le culte de l’image entretient le complexe et incite à une perfection
virtuelle et factice.
Le matérialisme, l’apparence et la superficialité favorisent
l’émergence de complexes tous liés à la honte de soi. De véritables
tragédies en découlent.
L’ego est très mauvais conseiller, car il se focalise sur des éléments
sans valeur, insignifiants et artificiels, source de complexes. L’ego
est un imposteur dont il faut se méfier et se détacher.
2. Lorsque l’on demande sa profession à une personne qui a perdu son emploi et qui se sent complexée par cette situation, elle
répond fréquemment « Je suis au chômage », « J’ai signé une rupture conventionnelle », reste floue ou alors détourne la
conversation. Or la réponse est totalement hors sujet, puisqu’elle ne renseigne pas sur la profession, mais sur la situation. Ce n’est
pas parce que l’on est sans emploi que l’on est sans profession. Un comptable reste comptable, même s’il n’est pour le moment
pas employé par une entreprise. Et cette nuance est très importante, parce que « chômage » n’est pas une profession, mais un état.
Et il n’y a aucune raison cohérente d’avoir honte de quoi que ce soit.
3
Et le complexe fut !
Si le patrimoine génétique peut expliquer la couleur des yeux, la pilosité
ou la taille, il n’a absolument aucune incidence sur les complexes.
Autrement dit, à la naissance, un bébé ne peut pas être complexé. S’il
intègre des complexes, ce sera plus tard. Certains évoquent la période de la
préadolescence, entre 8 et 12 ans, lorsque les enfants deviennent plus
attentifs à leur image et à celle des autres, et se comparent volontiers à ceux
qui l’entourent. Pour la plupart, il y a également une volonté d’être et de
faire comme les autres, d’appartenir à un groupe et/ou d’être accepté par ses
pairs.
Toutefois, selon le contexte environnemental et les sensibilités
individuelles, certains petits ressentent un mal-être et développent leurs
premiers complexes dès l’âge de 5 ou 6 ans. Ces complexes précoces sont
principalement axés sur le physique (surpoids, taille, éléments
ophtalmologiques ou orthophoniques, etc.).
L’homme est parfois un loup pour l’homme, et les enfants ne sont, hélas,
pas en reste. On dit que les enfants sont cruels, et c’est la vérité, mais si la
forme varie, le fond reste le même, et les adultes peuvent l’être tout autant.
Quoi qu’il en soit, une fois le complexe intégré par l’enfant, il peut
s’installer durablement, prendre de l’ampleur ou se résorber. Mais
indépendamment de son évolution, un complexe reste toujours dormant,
prêt à se réveiller lorsque des propos ou des situations le réactivent.
Heureusement, avec un peu de travail, il sera très facile de le renvoyer faire
sa sieste.
Qui prononce cette parole ? Est-ce une personne que l’on aime, que
l’on admire, que l’on craint ? Une personne représentant l’autorité
et/ou la connaissance ? Une personne en qui l’on a confiance ? Si
oui, l’impact est important. Sinon, il reste un peu plus atténué.
Comment cette parole est-elle prononcée ? Est-ce en privé ? Est-ce
devant témoins ? Est-ce en public ? Est-ce sur un ton menaçant,
agacé, taquin, moqueur, neutre ? La personne crie-t-elle ou énonce-t-
elle sa remarque calmement ? Il est évident que des propos tenus
devant témoins, surtout des inconnus, et émis avec une voix
colérique ou froide vont laisser des empreintes. Mais même en privé,
les paroles blessent, surtout si l’enfant craint de décevoir ou de
perdre l’amour de ceux qui les prononcent.
Quelle est la fréquence de cette parole ? Est-ce une parole isolée,
prononcée sans réfléchir, à l’emporte-pièce, et qui est plus maladroite
que méchante ? Est-ce une parole qui prend la forme d’un leitmotiv ?
Est-elle répétée à tort et à travers, toutes les occasions étant bonnes
pour la répéter ? Bien entendu, on imagine aisément l’empreinte
laissée par une parole que l’on rabâche à l’envi et qui s’inscrit alors
dans la psyché de l’enfant.
Le mot et l’idée
On se critique, car on a appris à croire qu’on n’est pas assez bien.
LOUISE HAY, PSYCHOLOGUE
Le poids de l’entourage
Voltaire comprenait-il les dégâts que nos proches peuvent occasionner
lorsqu’il disait : « Mon Dieu, gardez-moi de mes amis. Quant à mes
ennemis, je m’en charge ! » ? En effet, le milieu familial est propice au
développement de complexes divers et variés. Ainsi, des parents ou
proches, eux-mêmes mal dans leur peau pour x raisons, sans doute très
légitimes, peuvent facilement répéter un schéma malsain, communiquer
leur mal-être et engendrer des complexes chez leurs enfants. Il faut savoir
que d’une façon générale, les adultes ont tendance à reproduire le monde
émotionnel de leur enfance. Si leur enfance a été heureuse, tout va bien,
mais si au contraire, elle a été difficile et malmenée, leurs propres enfants
en subiront les conséquences par ricochet. Seuls des parents construits,
donc qui ont travaillé sur leurs doutes et difficultés, sauront comment éviter
la répétition de scénarios délétères, capables de blesser (inconsciemment)
leurs propres enfants.
Outre les principes éducatifs auxquels chacun adhère ou pas, certaines
familles valorisent certains traits : performances sportives, intellectuelles,
sociales… Or si l’enfant n’est ni sportif ni intellectuel, et a peu d’amis,
forcément, il se sent exclu du schéma familial et développe des complexes
sur ses supposées lacunes. Si dans une famille de notables, l’enfant est attiré
par un métier manuel ou catalogué peu « respectable », il peut ressentir une
honte de ne pas être à la hauteur de ce qui est attendu de lui et considérer
ses choix ou inclinaisons comme autant de mauvais points. Et si, par-dessus
le marché, les parents ou frères et sœurs insistent régulièrement sur les
« défaillances » de l’enfant, celui-ci pourra à son tour s’en vouloir d’être
comme ceci ou comme cela, et ne pourra pas s’épanouir.
Par ailleurs, dans une société aussi compétitive que la nôtre, les parents,
croyant agir pour le bien de leurs enfants, peuvent les pousser à toujours
mieux faire, encore et encore. Autrement dit, le bien n’est jamais assez et
l’insatisfaction permanente parait inévitable dans la quête à la perfection.
Or les enfants ne sont pas des robots et, comme nous, ont tous des plafonds
de verre, un seuil au-delà duquel ils ne peuvent aller, que ce soit
physiquement ou intellectuellement. Le problème, c’est quand les
difficultés d’apprentissage se muent en complexes, car les enfants se sentent
incapables précisément de « faire mieux ». On voit cela régulièrement dans
certains milieux concurrentiels, comme celui de la danse ou de la musique.
Les enfants, peut-être attirés par une discipline, sont ensuite poussés bien
au-delà de leurs capacités et risquent non seulement de tout abandonner,
mais aussi de se sentir « pas assez bien », alors que leur niveau est déjà plus
qu’excellent. Dès lors que l’irrationnel et la perte de repères frappent à la
porte et s’emparent des performances, on perd pied avec la réalité et
l’objectivité.
L’humour, ou ce qui prétend s’y apparenter, peut aussi faire des ravages,
parce que ce qui amuse les parents peut au contraire vexer et blesser les
enfants. Si jamais un parent se permet une réflexion, même anodine, en
apparence, sur un détail physique de son enfant, comment celui-ci peut-il
réagir ? Par une bouderie ou un rire, mais aussi par le doute. Le doute sur
lui-même et sur la correction du détail physique. Nous l’avons vu, si en
plus, la réflexion se répète, le complexe s’installe encore plus facilement.
Mais le cercle familial n’est pas le seul en cause. Les amis, les camarades
d’école, les professeurs et autres jouent aussi un rôle non négligeable. En
dehors de leur participation active dans la transmission du complexe
(paroles, brimades, ricanements…), il y a également la dimension
d’appartenance à prendre en compte. À moins d’accepter une solitude plus
ou moins forcée, l’enfant va chercher par tous les moyens à se faire
accepter. Et pour se faire accepter, il faut souvent gommer ses différences
pour entrer dans le moule. La différence peut être physique, identitaire ou
socioculturelle. Ce qui est assez paradoxal, quand on y pense, parce que les
enfants veulent à la fois affirmer leur individualité et entrer dans un cadre
normé. Il y a une certaine incompatibilité, contournée par l’émergence de
plusieurs groupes d’amis atypiques, mais normés dans leur différence. Par
exemple, les geeks, vous savez les petits génies de la classe, vont être
rejetés par les cool kids, les meneurs et influenceurs de la classe, et se
regrouper. Mais au sein de ce groupe de geeks, souvent pas de place pour
autre chose que des geeks. C’est un peu le même processus pour les adultes
et ce que l’on nomme « minorités ». Les minorités sont rejetées, se
rassemblent et deviennent à leur tour des cool kids qui excluent. C’est un
cercle beaucoup plus vicieux qu’il n’apparait en surface.
Le divan du psy
Il faut prendre conscience que les émotions et les peurs qui nous paralysent n’ont plus
cours à l’âge adulte, que certaines idées qui régissent nos comportements ne sont que
croyances infantiles et que nous continuons à rejouer nos scénarios d’enfants. Ce sont
des formatages d’hier, qui ne correspondent plus à rien aujourd’hui. Comme un refrain qui
nous entête et qu’on ne peut taire, ces scripts tournent en boucle au fin fond de notre
conscience, répétant inlassablement le même scénario erroné fait de certitudes obsolètes
et de convictions infantiles.
SUSANNA MCMAHON, PSYCHIATRE CLINICIENNE
Le mot et l’idée
Très sérieusement, je crois que vous ne savez pas, sur le plan le plus profond, qui vous
êtes. Vous vous regardez dans le miroir chaque matin et vous vous trouvez trop gros, trop
maigre ou trop ridé. Mais tout cela n’a aucun sens. Vous êtes beau, parce que vous êtes
vous, parce que vous êtes unique. Parmi les milliards de gens qui vivent sur Terre, il n’y
en a pas deux semblables.
ELISABETH KÜBLER-ROSS, PSYCHIATRE
Le divan du psy
Nos ressentis dépendent intégralement de notre vision d’une situation. Il est
scientifiquement prouvé qu’avant de ressentir une chose, il faut d’abord l’avoir fait passer
par le cerveau et lui avoir donné une signification. Nous devons obligatoirement
comprendre ce qu’il se passe avant de pouvoir le ressentir. Si notre compréhension d’un
évènement est correcte, nos ressentis seront normaux.
Si notre perception est faussée, notre réaction émotionnelle sera anormale.
DAVID BURNS, PSYCHIATRE ET PROFESSEUR
Confidences en aparté
J’ai pris très tôt conscience de mon surpoids, ou plus exactement, on m’a
fait prendre très tôt conscience de mon surpoids. Dans les boutiques de
vêtements, la vendeuse disait « On n’a pas sa taille, il faut l’habiller chez
les adultes ! », les invités disaient « Il est drôlement costaud pour son âge »,
la famille disait « Ah oui, il est très fort, espérons qu’il grandisse pour que
ça se voie moins » (pour info, je n’ai pas tant grandi) et la diététicienne
disait « Mais tu t’es vu ? T’as envie de ressembler à Bibendum ? » (pour
info, j’ignorais qui était ce Bibendum, j’avais sept ans, et j’ai dit « non »
parce que je pensais que c’était la réponse appropriée), à l’école, on me
disait « Gros patapouf ! [ou pire] » (je rougissais et j’avais envie de
disparaitre), la dame de la balançoire, au square, acceptait mon frère, mince,
et me refusait, car elle avait peur que je lui casse la nacelle, les amis de mes
parents prenaient mon frère dans leurs bras en m’expliquant « Pas toi, tu es
trop lourd ! » Entre autres.
Mes parents, conseillés par les médecins, m’avaient fait suivre une
quantité de régimes impressionnante, sans grands résultats que celui de me
faire sentir de moins en moins bien et de grignoter en cachette. Mais avant
que tout le monde se mêle de me faire connaitre son avis sur ma
morphologie et mes kilos en trop, oui, je me rendais bien compte que j’étais
rondouillet, mais ça ne me posait pas de problème particulier. C’est à la
suite des commentaires et des railleries que la honte s’est installée,
accompagnée d’une timidité maladive, ce qui est paradoxal pour une
personne plutôt sociable. Avec du recul, j’ai compris que le regard de
l’autre et les apparences étaient primordiaux pour mes parents et que mon
surpoids leur renvoyait un reflet peu gratifiant à la fois pour eux et leur
entourage. Il y avait l’image, l’esthétisme, bien entendu, mais également
l’opinion qu’on pourrait avoir d’eux : « Vous avez vu, ils laissent leur fils
grossir comme ça ! Parents indignes ! » Mes parents voyaient aussi les
réactions que mon surpoids déclenchait et me faire maigrir était aussi pour
eux une façon de me protéger pour que je ne sois plus différent des autres et
que l’on cesse de se moquer de moi. Toujours est-il que mes complexes se
sont installés durablement et qu’il a fallu attendre de nombreuses années et
un travail important sur moi-même pour m’en dégager.
Le deuil de l’idéal
Puisque nous venons de parler de l’enfance et du passé, et vu combien il
était important de lâcher prise et de vivre dans le présent, un autre sujet
s’impose, celui du deuil de l’idéal. Il faut en effet pouvoir et savoir « mourir
de son passé » pour vivre pleinement sa vie actuelle. Les deuils sont variés :
deuil d’une enfance qu’on aurait souhaité plus heureuse, deuil de l’amour
et/ou du soutien de nos parents, deuil de ne pas avoir correspondu aux
espoirs de nos proches, deuil de la vie qu’on aurait pu choisir, deuil des
blessures que l’on nous a infligées, etc.
Et naturellement, le deuil de tout ce qu’on qualifie d’idéal : le parent
idéal, l’enfant idéal, la situation idéale, le parcours de vie idéal… L’idéal
correspond à une variante de la perfection. C’est la perfection non pas selon
les critères d’une norme collective, mais selon les critères subjectifs de
croyances individuelles. Par exemple, l’enfant idéal pour M. et Mme Chose
doit se marier, avoir trois enfants, vivre en pavillon et travailler dans
l’entrepreneuriat. Mais pour M. et Mme Truc, l’enfant idéal doit se consacrer
à l’humanitaire, être indépendant et avoir fait le tour du monde à la voile. Il
n’existe d’idéal que par rapport aux uns et aux autres qui projettent leurs
désirs, peurs et frustrations sur un individu sur lequel ils s’arrogent des
droits.
Concernant les complexes, oui, nous aurions tous préféré une vie plus
facile dénuée de ces moments déplaisants et mortifiants, nous aurions tous
aimé recevoir plus de soutien et de compréhension de ceux que l’on aimait
et en qui nous avions confiance, nous aurions souhaité beaucoup de choses
qui correspondent à notre vision de l’idéal. Mais l’idéal, filiale de la
perfection, n’est qu’un vœu pieux et n’existe pas dans le monde réel : c’est
un mirage ! Et plus vite nous aurons compris cela, plus vite nous nous
accepterons, avec nos complexes ou pas.
Repérage
Les complexes ne sont jamais innés, mais acquis, et peuvent
apparaitre dès l’âge de cinq ou six ans comme bien plus tard, à l’âge
adulte, voire très avancé.
La répétition, le ton, la manière, le lieu, le public, l’interlocuteur
jouent tous un rôle dans l’intégration ou non du complexe, en
fonction de l’importance que nous leur accordons. Et notre
entourage, familial ou social, y participe aussi activement.
Celui qui se sent bien n’a jamais besoin d’attaquer ni de ridiculiser
quelqu’un d’autre. Autrement dit, ceux qui nous blessent et nous
adressent des moqueries sur nos particularités sont eux-mêmes mal
dans leur peau.
Nous possédons trois cerveaux interconnectés : le reptilien, le
limbique et le cortex (ou néocortex). Le reptilien est le cerveau le
plus instinctif et primaire qui dicte les saillies et les vexations à
l’emporte-pièce.
Face à un évènement ou une situation, une pensée va émerger. Elle
va ensuite générer un ressenti qui, à son tour, entrainera une action
ou un comportement spécifique.
Il existe cinq blessures de l’âme (le rejet, l’humiliation, l’abandon, la
trahison et l’injustice) et le complexe est intimement lié à celle
d’humiliation.
La souffrance que nous ressentons par rapport à nos complexes
affecte particulièrement notre enfant intérieur. Il convient de le
rassurer, le protéger et l’aimer en apprenant à nous aimer nous-
mêmes, adultes.
Nous ne pouvons agir que sur le présent et nous devons absolument
nous libérer du passé, sur lequel nous n’avons aucune action
possible, et qui nous bloque et nous emprisonne dans une situation
épouvantable.
Pour avancer, faisons le deuil de l’enfant idéal, du parent idéal et de
tous les états ou situations que nous aurions souhaité expérimenter.
Ce sont des mirages.
Le quotidien du complexe
Pour gérer le quotidien, des mécanismes de protection, voire de survie,
vont se mettre en place, un peu inconsciemment ou, plus exactement,
instinctivement. Personne n’aime délibérément souffrir, même dans le cas
d’une estime de soi déficiente, et nous recherchons donc ce qui peut nous
éviter de souffrir. Rappelons que les complexes sont particulièrement
polarisateurs et, par conséquent, occupent tout notre esprit en permanence,
un peu comme un ordinateur en veille et qui, à la moindre sollicitation, se
rallume. Aucune vision à 360°, nous restons dans le monocle.
Plusieurs stratégies vont donc émerger :
Chacun adopte les mesures qu’il juge les plus efficaces pour adoucir les
souffrances, mais en réalité, quelles qu’elles soient, elles ne font que les
renforcer et consolider le mal-être.
La conscience de soi-même
Il existe en anglais un terme aussi explicite et précis qu’intraduisible : la
« self-consciousness », que l’on pourrait traduire comme « conscience de
soi-même ». Rien à voir avec de vagues doctrines psychiatriques obscures
et absconses, c’est une expression très couramment utilisée aux États-Unis
pour dire qu’on se surveille soi-même, car on se sent observé, et donc qu’on
devient gauche et peu naturel. La self-consciousness, c’est un peu comme si
l’on vivait en permanence devant une caméra ou comme si l’on s’imaginait
que ses moindres faits et gestes étaient retransmis sur un écran de
télévision.
Par exemple, quand nous entrons dans la salle d’attente bondée d’un
médecin, nous sommes nombreux à devenir « self-conscious », c’est-à-dire
à perdre de notre spontanéité et être un peu dans nos petits souliers. Déjà,
on va rarement chez le médecin pour le plaisir, donc on est un peu inquiet et
tendu ; les autres patients ressentent certainement des choses similaires ; le
silence ponctué de quelques toussotements n’arrange rien, et dans ce petit
espace, où chacun se tient prêt à se lever pour suivre le médecin, le moindre
mouvement prend des dimensions extraordinaires. Et en sortant du cabinet,
la self-consciousness disparait aussitôt, on souffle à l’air libre.
Eh bien, imaginez que les personnes complexées soient self-conscious en
permanence. Habituées aux railleries ou autres commentaires, sans cesse
sur le qui-vive, elles conscientisent chacun de leurs gestes et de leurs
paroles. C’est comme si elles s’observaient de l’extérieur, ce qui, sans
surprise, rappelle une sorte de dédoublement de la personnalité, le fameux
« je est un autre » d’Arthur Rimbaud. Bien entendu, la conscience de soi-
même provient du mental, en réponse au regard de l’autre et à la sensation
que nos particularités sont auréolées d’une sirène de pompier hurlante. Dans
un contexte spécifique et d’une durée limitée, la conscience de soi-même
prend une coloration sociale de bienséance et ne prête pas à conséquences.
En revanche, si cet état perdure, quelle que soit la situation, en raison d’un
mal-être et de la honte de particularités, le sujet vit dans un état de tension
permanente, n’est jamais dans l’authenticité et participe activement à sa
souffrance. Il peut même déclencher de réelles pathologies.
Le mot et l’idée
La vie heureuse est donc celle qui est en accord avec sa propre nature.
SÉNÈQUE, PHILOSOPHE ROMAIN
La haine de soi
La haine est une émotion particulièrement toxique, qu’elle soit dirigée
vers autrui ou vers soi-même, les deux étant souvent intimement liés.
Comme tout ressenti, la haine n’apparait pas spontanément, mais fait suite à
une pensée. La pensée génère le sentiment, qui génère une action. On peut
considérer la haine comme une colère intérieure, des besoins non satisfaits
ou une souffrance niée que nous projetons sur une autre personne, une
situation ou nous-mêmes. Dans le cas du complexe, lors des premières
railleries sur nos particularités, instinctivement, on en veut d’abord à
l’assaillant, et c’est tout à fait normal. Par la suite, on dirige cette colère,
transformée en haine, bien plus virulente et durable, sur nous-mêmes. Le
problème de la haine, c’est qu’elle finit par tout envahir et nous entrainer
dans un cercle d’autodestruction. En effet, comment peut-on s’aimer si l’on
abrite autant de haine en soi ?
Mais est-ce que la haine ne serait pas composée de différents sentiments,
comme la tristesse, la colère, la peur, la frustration… ? Une personne
complexée qui éprouve de la haine pour elle-même n’est-elle pas en réalité
triste, en colère, effrayée et frustrée à la fois de ses particularités, mais aussi
des réactions qu’elles suscitent et qu’elles considèrent, à juste titre, comme
infondées, injustes et blessantes ? Comme tous les ressentis, la haine reste
un état qui n’est pas voué à durer dans le temps. Or, s’il se pérennise, il peut
faire beaucoup de dégâts, et les faits divers regorgent d’individus qui,
moqués et complexés pour telle ou telle raison, perdent la raison et
redirigent vers autrui la haine qu’ils éprouvaient pour eux-mêmes, jusqu’à
perpétrer des tueries ou autres sauvageries.
Il est dans notre plus grand intérêt de nous débarrasser au plus vite de
cette haine. Pour cela, le meilleur moyen est de résoudre les sentiments qui
l’engendrent, de combler nos désirs jusque-là insatisfaits et de reconnaitre
notre souffrance. On peut toujours trouver des raisons de haïr quelque chose
ou quelqu’un, mais partant du principe qu’il nous est impossible de changer
l’autre, seulement nos réactions, on perdrait son temps et son énergie à se
battre contre des moulins à vent. Et rien ne s’arrangerait.
Maintenant, examinons la notion de haine de l’autre côté du miroir.
Pourquoi les gens nous haïssent-ils ? Ils nous haïssent lorsque nous les
blessons, leur refusons quelque chose ou leur infligeons des souffrances
volontaires. Le plus étonnant, c’est que souvent, les gens nous haïssent pour
nos faiblesses supposées qu’ils redoutent de retrouver en eux ! Ils peuvent
aussi nous haïr pour nos atouts et nos coups de chance, dont ils s’imaginent
être privés (la jalousie ou l’envie qui se muent en haine). Et parfois, on nous
hait sans aucune raison rationnelle. En acceptant le fait que nous n’avons
rien à nous reprocher et que le monde n’est pas toujours très juste, on peut
passer à autre chose plutôt que de gaspiller ses forces.
Le cas Le Luron
Thierry Le Luron (1952-1986) a été un humoriste vedette dans les
années 1970-1980, et s’il présentait le visage épanoui de celui à qui tout
sourit et qui réussit tout ce qu’il touche, c’était un leurre, ou plus
exactement, un masque. En effet, le jeune homme souffrait d’un complexe
physique (il se trouvait trop petit), d’un complexe identitaire (il était
homosexuel et en avait honte) et d’un complexe socioculturel (il était atteint
du sida, particulièrement stigmatisant à l’époque). Comment s’est-il
comporté vis-à-vis de ses trois complexes ? Il tournait en dérision sa petite
taille, il réfutait son orientation sexuelle et niait violemment être atteint de
sa pathologie immunodépressive. Parallèlement, Thierry Le Luron,
souffrant d’une grande solitude et d’un grand isolement, se réfugiait dans
les dépenses somptuaires, les paradis artificiels et la vie nocturne en
s’adonnant à tous les excès.
Pourquoi ? Par souci du regard des autres, de son image, de sa réputation,
mais aussi par haine de soi-même. Détestation et honte de ses particularités.
D’ailleurs, d’un point de vue psychologique, il est intéressant de souligner
que Le Luron imitait les autres, comme s’il cherchait tout le temps à être
quelqu’un d’autre. Mais tout étant lié, ses imitations étaient rarement bon
enfant. Il remarquait les particularités, souvent source de complexes, chez
ses contemporains et en faisait sujet à railleries pour le moins cruelles. En
fait, ses propos blessants, voire impitoyables, traduisaient son propre mal-
être. Et dans son mode de fonctionnement, admettre ses particularités aurait
été un aveu de faiblesse et une perche tendue aux moqueries en tout genre.
Pour sa taille, il prenait les devants par une sorte d’autodérision souvent
spirituelle, et bon, des célébrités pas très grandes, il y en avait, il n’était pas
le seul, et la particularité semblait acceptable. En revanche, ajoutée à
l’homosexualité et la maladie sans nom, il n’aurait pu le supporter. Parce
que vu le nombre de personnes qu’il avait blessées par son comportement,
ses commentaires ou ses sketches, il savait qu’il deviendrait la cible de tous
les quolibets, un peu selon la loi du talion. Pourtant, son orientation sexuelle
comme sa pathologie étaient des secrets de Polichinelle. Mais les
complexes sont tellement polarisants, nous l’avons dit, qu’ils tuent dans
l’œuf tout soupçon de rationalisme. Il faudra d’ailleurs attendre quelque
temps avant que des témoins n’admettent la véritable cause de son décès.
Parti à trente-quatre ans, la phrase qui revenait sans cesse était : « Quel
gâchis ! » Effectivement et à tous les niveaux. Renier son soi profond ne
donne jamais de happy end. Et si vous pensez que la situation de
Thierry Le Luron est unique ou due au milieu dans lequel il évoluait,
détrompez-vous. Tout un chacun, selon son environnement et sa
construction psychologique, peut être concerné. Là, il y a honte et
stigmatisation, il y a des complexes florissants qui finissent par tuer.
Le triangle dramatique
Tous les jeux ne sont pas amusants et certains sont même à éviter.
Notamment les jeux dits « psychologiques ». En effet, ils obéissent à des
stratégies de manipulation et de contrôle tout ce qu’il y a de plus dangereux
et nuisibles. Et le triangle de Karpman ou triangle dramatique mis en
lumière par le psychiatre Stephen Karpman en 1968 est précisément un jeu
de rôles psychologique dans lequel nous avons tous plus ou moins tendance
à nous laisser entrainer, consciemment ou pas.
Lorsque nous sommes dans une relation (amoureuse, amicale,
professionnelle, sociale…) négative, décourageante ou frustrante, il y a de
fortes chances pour que nous jouions au triangle de Karpman. Ce jeu est
très simple et nécessite trois joueurs : un joueur va tenir le rôle de la
victime, un autre celui du bourreau et un troisième celui du sauveur. La
victime sera innocente, impuissante, démunie, pathétique, maladroite et
agaçante. Le bourreau sera dévalorisant, cruel, blessant, colérique, voire
violent, frustré et impatient. Le sauveur sera généreux, bon, fort, protecteur,
bienveillant, mais infantilisant et culpabilisant. Les trois rôles sont
naturellement interdépendants et se nourrissent les uns des autres. La petite
subtilité, c’est que les rôles peuvent changer, comme les chaises musicales,
et une victime peut devenir bourreau puis sauveur, avant de retourner à son
personnage de victime.
Bien évidemment, pas de jeu sans joueurs. Mais la question ne se pose
généralement pas, car la plupart d’entre nous ont, consciemment ou non,
une attitude de victime, bien sûr à divers degrés et dans divers domaines. Et
lorsqu’il y a victime, il ne faut pas chercher bien loin un bourreau et un
sauveur. Si l’on reste dans la géométrie, le triangle dramatique fait penser
au cercle vicieux, dans le sens où les protagonistes tournent en rond. Les
applications du triangle de Karpman sont aussi diverses que variées.
Prenons le cas d’une personne complexée par son poids. La personne en
surpoids joue le rôle de la victime et va se plaindre de son poids, du regard
des autres, des moqueries, etc. Survient alors le bourreau qui, pour des
raisons qui lui appartiennent, ne se sent pas bien dans sa peau, et qui va
rabrouer la victime, la railler, lui ordonner de faire un régime et cesser de
brailler, etc. Le jeu entre ces deux protagonistes bascule rapidement dans
une sorte de rapports sadomasochistes des plus malsains. Heureusement
surgit le sauveur, par exemple une amie de la personne en surpoids, qui va
intimider le bourreau et jouer le rôle du chevalier blanc, sans peur et sans
reproche. Mais dès lors, le sauveur peut à son tour devenir bourreau, excédé
par les lamentations de la victime ou la victime peut devenir bourreau vis-à-
vis de son ancien persécuteur qui devient à son tour victime. Et ainsi de
suite : les rôles s’échangent, les souffrances se poursuivent et les
problématiques ne se résolvent pas. Paradoxalement pour le plus grand
plaisir (inconscient, bien sûr) des joueurs, qui se trouveraient bien démunis
si l’un d’eux décidait de sortir du triangle.
Un point essentiel du triangle de Karpman est qu’aucune persécution n’est
possible sans victime consentante. Dans notre exemple, si à la première
injonction ou parole blessante, la victime avait mis le holà, le bourreau
n’aurait pas gagné en assurance et la victime n’aurait pas perdu en estime.
Évidemment, pour sortir du triangle ou ne pas y entrer, il faut le vouloir. Or,
pour diverses raisons, toutes liées à la peur, la victime reste auprès de son
bourreau et subit. Mais attention, elle ne subit pas son sort, elle subit tout
court ce qu’elle accepte et/ou la situation où elle s’estime bloquée et vouée.
Ce n’est en aucun cas une affaire de destinée, mais de choix. La peur peut
être la peur de se retrouver seule, peur des représailles, peur de l’avenir,
peur de ne pas gérer la situation, etc. Cela dit, les options existent. Dont
celle de dire stop.
En principe, le jeu se pratique avec des individus, mais il se joue aussi
avec des organisations, associations, communautés, etc. Le gros problème
du triangle de Karpman, qu’on ne nomme pas triangle dramatique par
hasard, est qu’il entraine de véritables tragédies humaines. Par exemple, les
situations de harcèlement qui font la une des journaux sont une application
du triangle. Quelle que soit la situation, il est très facile de se laisser happer
dans un triangle, surtout lorsqu’on souffre de complexes. Rappelons que la
violence s’installe toujours progressivement, par un dépassement furtif et
insidieux des limites. Par conséquent, il ne faut laisser passer aucune
transgression qui est en réalité un test. Le bourreau teste les limites de la
victime et va de plus en plus loin dans la persécution. À moins, bien
entendu, que la victime impose une limite dès le premier test.
Donc, que faire ? Refuser de jouer, certes, mais cela ne suffit pas toujours.
Il faut d’abord identifier l’invitation à jouer et, ensuite, continuer de refuser
malgré les multiples relances. Il existe un moyen très simple : quand un
bourreau vous invite sous forme de commentaire désobligeant ou de
moqueries ou autres, imaginez-le sur un ring, gants à la main. Le
commentaire ou la moquerie sert de faire-part, il vous tend la main pour
vous attirer sur le ring et entrer dans le jeu du triangle. Il est parfois très
tentant de monter sur le ring, mais ce n’est jamais une bonne idée.
Néanmoins, rappelons-nous que la victime, elle aussi, peut être à
l’instigation du jeu, et c’est aussi elle qui peut monter sur le ring en premier
et lancer l’invitation… Et elle, c’est aussi nous.
Le mot et l’idée
Il n’est pire haine que la haine de soi, car elle vous interdit d’aimer les autres.
JEAN-MICHEL GOLDBERG, ÉCRIVAIN
Le divan du psy
Plus nous cherchons dans le regard de l’autre cette confiance qui nous fait défaut, plus
nous sommes à l’affût du geste ou de la réflexion qui contribue à nous faire douter.
CATHERINE BENSAÏD, PSYCHIATRE
À chacun sa réaction
Nous sommes tous différents et, par conséquent, nous réagissons tous
différemment face aux railleries et autres commentaires plus ou moins
désobligeants. Prenons par exemple une phrase toute simple : « Oui, mais
toi, qu’est-ce que tu es spécial alors ! » Trois principales voies sont alors
possibles :
Confidences en aparté
Pour une personne en surpoids et complexée, la Via Dolorosa, c’est la
plage. Pour moi, c’était mon chemin de croix et je devais me préparer
psychologiquement aux supplices qui m’attendaient. Je savais par
expérience et anticipation que les regards et les commentaires seraient au
rendez-vous, et que je devrais prendre sur moi pour ne pas me laisser trop
décontenancer ni blesser par eux. Self-conscious jusqu’au bout des orteils,
je faisais bien attention à ne rien manger en public, car j’imaginais déjà les
commentaires, et je faisais en sorte de me déshabiller le plus vite possible
pour foncer dissimuler mon corps dans la mer. Seules ma tête et les épaules
étaient alors visibles, et ça, je pouvais gérer.
Je faisais tout pour rester dans l’eau le plus longtemps possible, mais à un
moment ou un autre, il faut bien en ressortir. Là, c’était plus compliqué.
Prenant mon courage à deux mains, je sortais alors le plus rapidement que
je pouvais, quitte à me casser la figure, pour aller m’étendre sur ma
serviette, sur le ventre, bien évidemment. Je me faisais un devoir de me
plonger alors dans un livre ou un magazine en veillant à ne jamais regarder
aux alentours. Une fois, un enfant a demandé à sa mère : « Regarde, le
garçon a des seins comme une femme ». Rouge de honte et de confusion,
j’aurais voulu disparaitre dans un trou de souris. Puis la tristesse et le
découragement ont pris le relais. Je me concentrais sur ma lecture, tout
glacé en dedans, et ne retenais pas un seul mot de ce que je lisais. Si jamais
je devais me lever pour aller aux toilettes ou acheter une bouteille d’eau, je
mettais systématiquement un tee-shirt ou une chemise pour ne pas
m’exposer à davantage de commentaires. Ensuite, j’avais pris l’habitude
d’aller sur des places dites sauvages, en réalité sans maitre nageur et à
l’écart, sans grand-monde. Là, je pouvais alors m’étendre sur le dos et être
moi-même.
Ce qui vaut à la plage vaut bien entendu à la piscine. Une fois, une fille
qui paraissait plutôt sympa me fait signe de venir vers elle. J’y vais, assez
confiant, et elle me dit : « Approche-toi, j’ai envie de toucher ton ventre,
j’aime bien toucher la graisse. » Mortifié, j’ai haussé les épaules et suis
reparti dans l’eau. Mais comme on peut s’en douter, tous ces commentaires
me causaient beaucoup de chagrin, et mes complexes s’en trouvaient encore
renforcés. Et je recherchais de plus en plus l’isolement pour ne plus subir de
telles situations, qui ont duré du milieu de l’enfance à la fin de
l’adolescence. Ensuite, je n’allais plus ni à la plage ni à la piscine, me
privant volontairement de ces plaisirs pour adoucir ma vie, la tactique de
l’évitement.
L’autosabotage
Le complexe étant souvent lié à la blessure d’humiliation, il en résulte des
tendances masochistes chez les individus complexés. Bien entendu, la
démarche reste inconsciente, mais les actions qui en découlent sont bien
réelles – et les conséquences aussi. Ainsi, pour compléter l’épisode de la
plage ci-dessus, je ne mangeais certes rien en public pour éviter les
remontrances et paroles blessantes, mais me livrais à de véritables crises de
boulimie une fois chez moi et en cachette de ma famille, bien évidemment.
Parce qu’il faut bien comprendre que les blessures ont besoin de douceur
pour cicatriser ou faire moins mal, et que la nourriture (dans mon cas)
servait de pansement. On le sait, le pansement est souvent éphémère et
entraine dans un cercle vicieux, puisque renforçant la sensation de mal-être.
Le masochisme incite à l’autosabotage, c’est-à-dire à agir pour nourrir et
renforcer les complexes, et à œuvrer contre nos propres intérêts. Tout cela,
nous le répétons, reste de l’ordre de l’inconscient, mais les postures
adoptées en cas de complexes éloignent de toute manière du réel et du
rationnel.
En fait, les complexes invitent aux excès divers et variés pour remédier à
un mal de vivre et soulager momentanément. Mais ces excès engendrent
toujours des remords, et les remords nous font entrer de plain-pied dans un
cercle vicieux duquel il est ensuite très difficile de s’échapper. Tous les
excès proviennent d’un sentiment d’insécurité intérieure et sont des moyens
d’extérioriser notre manque d’amour pour nous-mêmes.
Repérage
Chacun adopte les mesures qu’il juge les plus efficaces pour adoucir
ses souffrances, mais qui renforcent et consolident le mal-être :
dissimulation des particularités, isolement, autodérision, trou de
souris, compensation, politique de la terre brûlée.
Les personnes complexées s’adonnent très souvent à la conscience
de soi-même et à l’hypervigilance, supposées atténuer les effets de la
parole blessante de l’autre.
La haine est un ressenti particulièrement toxique, qu’elle soit dirigée
vers autrui ou vers soi-même, les deux étant souvent intimement liés.
Rien de positif ne peut en émerger.
Le triangle de Karpman est un jeu de manipulation psychologique
dans lequel tout le monde peut se trouver pris au piège et qui a des
répercussions dévastatrices. La victime, le bourreau et le sauveur
sont les trois identités des joueurs, et il faut refuser d’entrer dans le
jeu.
Face à un évènement, nous avons le choix entre la tristesse, la colère
ou la satisfaction. Seule la satisfaction permet d’échapper aux
complexes, mais elle reste conditionnée à un minimum d’estime de
soi.
L’autosabotage est souvent une réponse inconsciente et nuisible à un
état complexé. Il est très important d’identifier les occurrences où
nous cédons à l’autosabotage, afin de nous en dégager.
L’indulgence du procureur
Diverses études montrent que nous sommes moins regardés que nous ne
le pensons, et que lorsque nous sommes regardés et évalués, nous le
sommes moins sévèrement que nous ne le pensons. Bonne nouvelle, les
jugements extérieurs sont toujours beaucoup plus favorables que nous ne le
pensons nous-mêmes. Autrement dit, nous sommes nos juges les plus
impitoyables !
Si le regard de l’autre peut meurtrir ou interpeler selon l’accueil de ce
regard, à froid, avec un peu de recul, notre ego ne serait-il pas encore en
train de nous jouer un tour ? En imaginant que notre petite personne, avec
toutes ses particularités, est au centre de l’intérêt de l’autre et occupe toutes
ses pensées, ne serait-ce pas un tantinet prétentieux (et surréaliste) ?
N’inverserions-nous pas les rôles ? Parce que, oui, nos complexes sont au
cœur d’un système : le nôtre ! Nous plaçons nos particularités au centre de
notre intérêt et elles monopolisent toutes nos pensées. L’autre a, en effet,
très bien pu émettre des horreurs. Combien de temps cela a-t-il duré chez
l’autre ? Quelques secondes, le temps d’évacuer un peu de son mal-être ? Et
chez nous ? Quelques secondes ou quelques années ?
En fait, notre perception de la gravité et de l’intensité du regard de l’autre
est faussée, car elle s’appuie non pas sur des faits objectifs, mais sur notre
propre sensibilité, notre propre fonctionnement et notre propre
interprétation. Aie, aie, aie… Est-ce que, tout compte fait, je ne ferais pas
une montagne d’un rien ? Ou, plus exactement, est-ce que je pourrais
envisager que ma perception des propos de l’autre et surtout de leur portée,
leur valeur et leur importance n’est pas entièrement correcte ni appropriée ?
En réalité, le complexe ne dépend pas du regard de l’autre, mais de
l’importance et la valeur qu’on accorde à ce regard. Le complexe est
finalement une histoire entre soi et soi.
Le mot et l’idée
Je ne quête plus d’autre approbation que la mienne.
MICHEL DÉON, ÉCRIVAIN
Sens et contresens
En traduction, si la signification générale du texte peut généralement être
retranscrite, la phrase proprement dite perd ou gagne toujours quelque
chose, et l’on n’est jamais à l’abri d’un contresens. Or l’interprétation que
nous faisons du regard de l’autre peut s’apparenter à une traduction. Nous
allons donc ajouter ou soustraire des éléments, voire faire fausse route.
Et finalement, on met un peu ce que l’on veut dans le regard de l’autre,
quitte à s’improviser voyant, puisqu’on imagine ce que l’autre pense et l’on
déduit que ce qui nous plait et nous déplait chez nous lui plait ou lui déplait
aussi. Des quiproquos sont alors tout à fait possibles.
Par ailleurs, le principe de généralisation prête aussi à confusion. Parce
que le regard de certains autres est blessant, nous concluons souvent que le
regard de ces certains autres est celui de la terre entière (ou tout au moins de
ceux que l’on croise). Or le 100 % n’existe pas. C’est un peu comme en
politique, en démocratie, un candidat n’est jamais élu avec 100 % des voix :
des électeurs ont voté pour, d’autres ont voté contre, certains ont voté blanc
ou alors se sont abstenus. En appliquant ce schéma à nos complexes, on
peut raisonnablement affirmer que certains regards seront malveillants,
certains positifs, et la grande majorité neutres, car les gens ont autre chose à
faire que se concentrer sur nous. Et tant mieux !
Le divan du psy
Plus notre estime de nous dépend de conditions extérieures (regard d’autrui,
comparaison), plus nous sommes exposés à ses effets secondaires négatifs.
ILIOS KOTSOU, PSYCHOLOGUE
Le besoin d’approbation
Dans le chapitre 3, nous avons évoqué les cinq injonctions qui
conditionnaient bon nombre de nos réactions depuis notre enfance : « fais
plaisir », « sois fort », « dépêche-toi », « fais des efforts » et « sois parfait ».
Quel que soit le module dominant qui nous guide, la motivation reste
identique : quêter l’approbation de l’autre. Ces mécanismes, mis en place
par nos parents, professeurs ou proches, visent avant tout à recevoir leur
approbation. Si l’on fait ceci ou cela, cela correspond aux souhaits de
l’autre, et l’autre peut alors signifier son approbation pour nos actions. Le
regard de l’autre devient alors le passage obligé pour avoir le droit de se
sentir dans le « droit chemin ». Si l’autre ne valide pas une partie de nos
actions, comportements ou paroles, une sorte de frustration, de honte, de
colère, de tristesse peut émerger. Et notre existence tout entière finit par
dépendre du bon vouloir de l’autre.
Admettons que l’autre refuse son approbation sur des points identitaires,
physiques ou socioculturels, quelles sont nos réactions et nos options ? La
réaction la plus fréquente est de se sentir mal, parce que l’approbation ne
vient pas et que l’approbation est la condition sine qua non à notre
fonctionnement. On imagine, bien entendu à tort, que nous ne pouvons
fonctionner correctement sans l’approbation de l’autre qui correspond à un
assentiment. L’autre réaction est de modifier, nier ou dissimuler nos
particularités identitaires, physiques ou socioculturelles, au risque de perdre
son identité et de porter un masque pour recevoir la sacro-sainte
approbation. Bien évidemment, ces réactions favorisent l’émergence de
complexes, de la honte, voire de la haine de soi et de la confusion de tous
ses repères. Y aurait-il d’autres options ? Oui, celle de se dispenser de notre
besoin d’approbation en comprenant qu’on ne doit quelque chose qu’à une
seule personne : nous-mêmes. L’autre a le droit de penser et vouloir ce qu’il
veut, mais nous devons comprendre (dans le sens analytique de « prendre
avec soi ») que notre bien-être ne doit pas en dépendre.
Aucune permission n’est nécessaire pour exister et agir selon nos besoins.
Et le besoin d’approbation est un besoin niché dans l’enfance. Il devient
donc caduc à mesure que nous grandissons et gagnons en autonomie. Notre
enfant intérieur (voir chapitre 3) a peut-être encore besoin de ce besoin
d’approbation, mais nous, non. Il nous appartient alors de rassurer notre
enfant intérieur et lui faire comprendre que dorénavant, nous allons nous
passer de l’approbation de qui que ce soit et prendre la responsabilité de nos
actes et de nos besoins.
Pourquoi est-il si important de se défaire de notre besoin d’approbation ?
Parce que notre valeur dépend alors de facteurs extérieurs à nous-mêmes,
d’éléments dont n’avons aucune maitrise et qui sont très subjectifs. Tous les
facteurs extérieurs sont déstabilisants, parce qu’ils sont temporaires et
transitoires. En effet, ils ne font pas partie de notre « nous » et, par
conséquent, nous n’avons aucune garantie de les conserver, puisqu’il faut
sans cesse rechercher une validation de nos moindres faits et gestes.
L’approbation de l’autre conditionne l’image que nous avons alors de nous-
mêmes et favorise l’émergence de nos complexes, car si l’autre
désapprouve, ipso facto, nous nous sentons mal et nous nous désapprouvons
nous-mêmes par ricochet. Parce que le gros problème de l’approbation est
sa généralisation et le flou de ses périmètres : en approuvant ou désavouant
une action, en réalité, on approuve ou l’on désavoue la personne dans son
ensemble. Nous ne sommes donc plus dans l’approbation du « faire », mais
dans celle de l’« être ».
Voici quelques principes utiles à connaitre :
Subjectivité et irrationalité sont souvent au cœur du comportement
de l’autre.
L’approbation peut s’apparenter à un contrôle et un pouvoir que
l’autre cherche à exercer sur nous.
Si la désapprobation est justifiée, il est toujours possible de redresser
la barre. Inutile de perdre du temps et de l’énergie dans des
autoreproches stériles. L’erreur ne remet aucunement en cause notre
valeur et il n’y a pas lieu de se sentir honteux de quoi que ce soit.
L’autre ne peut pas juger notre valeur d’être humain. Il ne donne son
aval ou non que sur la validité ou le mérite de nos actions ou paroles.
Chacun voit midi à sa porte et l’approbation de l’un peut être la
désapprobation d’un autre.
Il serait contre-productif et puéril d’accorder une importance
démesurée à une désapprobation, même émise par une personne que
l’on aime beaucoup. Elle a certainement ses raisons de désapprouver,
comme nous, nous avons nos raisons d’avoir agi ainsi.
La portée de l’approbation ou la désapprobation dépend de la valeur
que nous donnons aux éléments à charge et à notre droit d’exister par
nous-mêmes.
La désapprobation est rarement permanente. Les discussions et
divergences d’opinions sont normales, et ce n’est pas parce que l’on
n’est pas d’accord avec quelque chose qu’on cesse d’aimer ou de
respecter l’autre.
Pourquoi l’opinion de l’autre nous est-elle si importante au point de
la redouter et de ne vivre qu’à ses conditions ? L’opinion de l’autre
est valide, mais elle lui appartient, tout comme nos actions nous
appartiennent.
Le mot et l’idée
Si quelque objet extérieur te chagrine, ce n’est pas lui, c’est le jugement que tu portes sur
lui qui te trouble.
MARC AURÈLE, EMPEREUR
Le divan du psy
La codépendance est l’inaptitude à ériger des frontières saines entre soi et les autres. Le
comportement d’autrui détermine notre estime de soi, notre bonheur, notre sentiment de
paix et fluidité.
SUSAN JEFFERS, PSYCHOLOGUE
La codépendance
Nous l’avons vu avec le principe du besoin d’approbation, la
codépendance est un facteur non négligeable dans l’émergence du
complexe et du mal-être qui en découle. Pour faire simple, la codépendance
consiste à ne vivre qu’au rythme des états d’âme de l’autre. Si l’autre est
heureux, on se donne le droit d’être heureux, si l’autre est triste, on est triste
à son tour, si l’autre est en colère, on est en colère, etc. Et non content de
réagir en fonction de l’autre, on va tout mettre en œuvre pour le « sauver »
et tenter de résoudre ses difficultés. Par conséquent, si l’autre est en colère à
la suite de quelque chose que nous avons fait pour nous-mêmes parce que
nous le souhaitions et/ou que cela nous était utile, comment espérer nous
sentir heureux si nous conditionnons nos réactions aux siennes ?
Le codépendant se préoccupe avant tout de l’autre et se place ipso facto
au second plan. Pour vivre, il a besoin des stimuli émis par l’autre. Le sujet
peut laisser perplexe, mais en réalité, nous avons tous des tendances à la
codépendance, ne serait-ce que parce qu’une des cinq injonctions (voir
chapitre 3) reste présente en nous et qu’il est difficile de se déconditionner
de plis pris depuis l’enfance. Appliqué au triangle de Karpman, le
codépendant peut être le sauveur, car le sauveur se satisfait du secours qu’il
apporte, parfois sans que personne ne lui ait demandé. Pour rappel, il y a
une grande différence entre secourir et aider : secourir signifie « faire à la
place de », tandis qu’aider signifie « donner un coup de main pour que
l’autre s’en sorte ». Ici, personne ne demande rien au codépendant, c’est lui
qui choisit en toute conscience de calquer ses ressentis sur ceux de l’autre.
Cela ne signifie pas pour autant que nous devons nous couper des
ressentis de l’autre. La différence entre la codépendance et l’attention à
l’autre est simplement une question de graduation. C’est également une
question de prise d’indépendance et de recentrage sur soi-même. Il s’agit de
nous remettre au centre de nos préoccupations et de laisser l’autre au centre
des siennes. C’est ainsi retrouver un mode de fonctionnement plus sain.
Confidences en aparté
Mon oncle et sa compagne du moment nous avaient invités au restaurant,
mon frère et moi. J’avais une quinzaine d’années. Tout d’abord un peu mal
à l’aise, car nous ne la connaissions pas, elle paraissait aimable, donc ma
timidité a baissé d’un cran. J’avais commandé un steak-frites ou un plat du
même genre, ce n’est pas le détail le plus important de l’anecdote. Lorsque
le serveur est venu avec la carte des douceurs, cette femme s’est alors écriée
en me fixant droit dans les yeux : « Pas de dessert pour moi ni Olivier ! »
J’étais dans un état de mortification intense. Le visage écarlate et les yeux
humides, j’aurais voulu me lever de table et m’enfuir, ce que j’ai d’ailleurs
fait en prétextant une visite aux toilettes. À mon retour, s’apercevant sans
doute de mon trouble, elle a dit : « Non, mais je disais ça comme ça, pour le
dessert, si tu en veux, prends-en un, bien sûr ! »
Évidemment que j’en aurais voulu un, mais plus maintenant, et d’ailleurs,
j’ignore si je donnais le change avec des sourires, mais tout mon plaisir du
déjeuner avait été réduit à néant. J’avais toujours envie de pleurer, je me
sentais mal, et ma timidité avait refait surface en une fraction de seconde.
Nous sommes restés avec notre oncle qui devait nous ramener chez nos
parents, tandis que sa compagne allait de son côté. Quand mon oncle a dit :
« Vous avez vu comme elle est sympa ! » J’ai répondu légèrement : « Oui,
très sympa », alors que vous vous en doutez, je la trouvais tout sauf sympa !
Peu centré sur moi-même et peu sûr de moi, j’attachais au regard de
l’autre une importance démesurée et inconsidérée. Une parole, peut-être
maladroite et non malveillante, suffisait à me mettre dans tous mes états et
dicter mes états d’âme. Si j’avais revu cette personne pour déjeuner, dans
mon fonctionnement de protection et de codépendance (deux termes
difficilement conciliables, en réalité), j’aurais évidemment choisi une salade
et pas de dessert, pour m’éviter des remarques et rechercher son
approbation. En supposant que le même schéma se reproduise dans une
autre situation (il s’est d’ailleurs reproduit maintes fois) et avec d’autres
protagonistes, mon comportement n’aurait, hélas pour moi, pas varié,
puisque l’autre avait forcément raison et que mes particularités étaient
forcément problématiques.
Repérage
Si la naissance d’un complexe est toujours liée au regard de l’autre,
ce n’est pas l’autre qui donne naissance au complexe, mais notre
propre perception du regard de l’autre.
Nous sommes moins observés que nous le pensons, et si nous le
sommes, le regard de l’autre est souvent moins sévère que nous
l’imaginons.
Le complexe est une histoire entre soi et soi.
L’interprétation que nous faisons du regard de l’autre n’est pas
toujours correcte. Et finalement, nous mettons un peu ce que nous
voulons dans le regard de l’autre.
Le besoin d’approbation prend sa source dans notre enfance et
conduit à des comportements nuisibles pour nous. En effet, nos
actions sont sujettes à la validation de l’autre, et notre existence tout
entière finit par dépendre des états d’âme de l’autre.
La codépendance consiste à placer les besoins et les opinions de
l’autre avant les siens, quitte à se desservir, s’oublier et vivre par
procuration une autre vie que la nôtre.
Même lorsque le regard de l’autre est positif, il ne doit pas nous
marquer outre mesure, car notre bien-être ne doit jamais dépendre
d’un élément extérieur, fût-il des plus gratifiants. Car la logique
signifierait qu’un regard négatif aurait un impact négatif sur nous
aussi.
Le mirage de la perfection
La perfection en soi n’est pas un réel problème. Le problème, c’est de
croire que la perfection existe. Parce que, bon, c’est comme avec les contes
de fées, rien ne nous empêche d’y croire s’ils nous font du bien, mais il faut
quand même être conscient qu’ils n’existent pas. Or, si l’être humain
accepte d’entendre que la perfection est un mythe, il y croit pourtant dur
comme fer. Et par voie de fait, il va chercher à atteindre une perfection qui
n’existe que dans ses fantasmes. La perfection, c’est un peu le mirage de
l’oasis dans le désert de Gobi : on croit l’apercevoir, on hâte le pas, mais
plus on se rapproche, plus l’oasis recule, jusqu’à se volatiliser.
Un jour, à l’école primaire, interrogation orale surprise ! Nous devions
chacun donner un exemple de proverbe. Pris au dépourvu, j’ai répondu « Le
mieux est l’ennemi du bien », pas seulement parce que le dicton me
rassurait, mais aussi parce que c’était le plus court et celui que j’avais le
mieux mémorisé. (L’instituteur avait quand même tiqué et m’avait demandé
un autre exemple, plus long, et je ne me souviens plus de ce que j’avais
répondu, mais forcément, quelque chose de moins percutant !) Je me suis
souvent interrogé sur ce « mieux » qui serait l’ennemi du « bien ». Lorsque
quelque chose est bien, c’est-à-dire qu’il convient et répond aux attentes,
que gagne-t-on à chercher à l’améliorer sans cesse ? Les scientifiques
pousseraient bien sûr de hauts cris en lisant cette phrase, parce que, oui, il
est toujours possible de faire mieux et/ou davantage. Mais nous ne sommes
pas des robots ni des cobayes, et en cherchant incessamment le toujours
mieux, on part, inconsciemment ou pas, à la recherche de la perfection.
Comme la perfection n’existe pas, la déception guette souvent. Par ailleurs,
rechercher toujours mieux est chronophage, et l’on peut se perdre dans des
détails, alors que ce que nous avons fait était suffisant et déjà parfait,
puisqu’il répondait aux besoins exprimés.
Bien évidemment, ce n’est pas parce que la perfection n’existe pas que
cela fournit un passe-droit pour bâcler ce qu’on entreprend. Loin de là,
même ! Il faut simplement faire de son mieux, quel que soit le domaine, et
avoir la sagesse de s’arrêter à temps, quand on considère avoir rempli son
devoir. C’est un peu comme un manuscrit. Il est toujours possible de le
perfectionner et de corriger des tournures de phrase ou remplacer un mot
par un autre, mais à un moment, il faut aussi remettre ce manuscrit pour une
publication, sinon, on poursuit toujours ses relectures et corrections, et
l’ouvrage ne voit jamais le jour. Pourquoi ? Parce que le manuscrit ne sera
jamais parfait. Comme nous et comme tout le reste.
Venons-en à l’une des pires conséquences de la perfection : tuer dans
l’œuf les bonnes volontés et les envies d’entreprendre quoi que ce soit. En
effet, pour qui vise la perfection, mieux vaut abandonner un projet plutôt
que de ne pas atteindre une supposée perfection. Le projet peut être de tout
ordre : parce qu’on ne sera jamais Glenn Gould, on ne fait pas de piano,
alors qu’on en meurt d’envie ; parce que nos pâtisseries ne sont pas
sublimes, on cesse d’en faire, alors que ça nous procure une grande joie ;
parce que notre accent espagnol n’est pas parfait, on dit qu’on ne parle pas
espagnol, alors que si, on le parle, mais avec notre accent français. Or, peu
importe que ce que nous entreprenions n’atteigne pas une perfection
illusoire, ce n’est pas l’essentiel ! L’essentiel est de se lancer et de se faire
plaisir ! Connaissez-vous le dicton « Un imbécile qui marche va plus loin
qu’un érudit qui reste assis sur place » ? Pourquoi l’érudit ne bouge-t-il
pas ? Certainement parce qu’il doute d’atteindre la perfection. C’est sûr,
quand on ne fait rien, pas de risque de faire des erreurs. Et l’imbécile, qui
ne se pose pas de questions, fonce, puisque le concept de la perfection lui
échappe. En fin de compte, dans cette histoire, qui est l’idiot et qui est le
sage ?
En fait, la perfection est la pire des illusions et la plus grande escroquerie
de l’univers. Elle promet monts et merveilles, mais n’offre finalement que
déceptions et mal-être. Plus nous recherchons la perfection, plus nous nous
exposons aux pires désillusions. En effet, la perfection n’est rien d’autre
qu’une abstraction, un concept qui n’a pas sa place dans le monde réel.
Tout, absolument tout, peut être amélioré : chaque individu, chaque idée,
chaque œuvre d’art, chaque expérience, tout, tout, tout. Mais qui entre dans
le jeu de la perfection est toujours perdant, puisqu’après tout, comme
l’affirmait doctement le philosophe néerlandais du XVIIe siècle
Baruch Spinoza : « L’homme n’aura jamais la perfection du cheval » !
Le mot et l’idée
Quel jour agréable que celui où nous renonçons à être jeunes ou sveltes !
WILLIAM JAMES, L’UN DES FONDATEURS DE LA PSYCHOLOGIE SCIENTIFIQUE MODERNE
Éloge de l’imperfection
Qu’y a-t-il de si terrible à commettre des erreurs ? Le monde va-t-il
s’écrouler si nous avons tort ? Celui qui a peur de l’imperfection a peur de
prendre des risques et a renoncé à grandir. Il a, quelque part, abdiqué à la
vie. Or l’être humain, imparfait par essence, est sur Terre pour
expérimenter, apprendre, découvrir, créer, imaginer, entreprendre… Il n’est
pas sur Terre pour y être parfait, et quand bien même il le voudrait qu’il ne
le pourrait pas, car ce n’est ni dans sa vocation ni dans ses capacités. Or le
désir de perfection nous entrave dans nos mouvements et nos choix, et nous
empêche de profiter pleinement de la vie. En effet, lorsque, par exemple,
nous renonçons à certains projets par crainte de ne pas y exceller, nous nous
privons de plaisirs et de petits bonheurs qui font, justement, tout le miel de
la vie.
Accepter l’imperfection, c’est aussi s’accepter soi-même, tel que l’on est.
C’est comprendre que nous n’avons ni à rougir ni à polariser sur nos
particularités. Nos particularités sont là et sont à considérer comme des
évidences, de la même manière que nous acceptons sans rechigner que le
ciel est bleu et l’herbe est verte. Et que si des nuages constellent le ciel ou
que des trèfles à quatre feuilles parsèment une pelouse, c’est ainsi et c’est
même tant mieux.
En fait, paradoxalement, se donner le droit à l’imperfection nous rehausse
en tant qu’êtres humains, car nous gagnons en sagesse, en acceptation de
soi, en confiance, en indulgence, bref, en humanité. Lorsque nous lâchons
prise avec nos velléités de perfectionnisme, nous cessons de réagir avec
colère ou embarras et d’être sur la défensive, prêts à l’attaque et à la
justification. La honte disparait alors et les complexes n’ont plus de raison
d’être.
Le divan du psy
Nous avons deux options possibles : décider de s’accepter tel que l’on est, c’est-à-dire un
être humain imparfait doté de connaissances limitées et capable de faire des erreurs, ou
décider de se haïr de ne pas être parfait.
DAVID BURNS, PSYCHIATRE
Le coup du bistouri
Certains s’imaginent qu’en gommant les particularités labellisées
imperfections, ils vont trouver le bonheur. Comme si un coup de scalpel ici
et là suffisait réellement à tout changer. Remarquez, ça aurait du sens,
quelque part, puisque le complexe provient toujours d’une réaction au
regard de l’autre, et par conséquent, reste un élément externe et visible. On
pense alors que la chirurgie ou autre poudre de perlimpinpin effacera les
complexes physiques, qu’un changement d’état civil ou la comédie des
erreurs fera disparaitre les complexes identitaires, et que des cours de ceci
ou de cela ou un poste à responsabilités cloueront le bec aux complexes
socioculturels.
Pourquoi cette croyance est-elle erronée ? Pourquoi les individus, une fois
débarrassés de ce qu’ils considéraient comme des imperfections, ne se
sentent-ils pas aussi bien qu’ils l’avaient imaginé ? Bien sûr, il y a d’abord
un haut sentiment de satisfaction, tout le monde le reconnait. Mais ce
ressenti positif ne dure pas. Pourquoi ? D’abord, sachant que le complexe
est une histoire entre soi et soi, il est évident qu’il est profondément ancré
en nous et que ce que l’on cherche à supprimer n’est que la partie émergée
de l’iceberg. En dessous, c’est diantrement plus complexe et plus difficile à
éradiquer. Autrement dit, chercher à supprimer les manifestations physiques
revient à prendre du paracétamol pour un mal de dents : ça fait peut-être
disparaitre (momentanément) la fièvre ou la douleur, mais la carie ou
l’infection persiste. À moins d’appliquer le traitement qui convient.
En réalité, on met la charrue avant les bœufs. Parce que le plus important
n’est pas le détail physique, celui qui se voit, mais celui qui est dans la tête
et qui donne sa validation au complexe. C’est d’abord au niveau mental et
émotionnel qu’il faut œuvrer avant d’envisager quoi que ce soit sur le plan
physique, administratif ou éducatif.
Sinon, ça ne marche pas. En tout cas, pas à long terme. Si l’on regarde
autour de nous, malgré les réductions gastriques ou les régimes exotiques,
au bout d’un certain temps, les kilos reviennent. Une personne qui détestait
son nom de famille et qui dispose d’un nouveau patronyme a toujours le
vague à l’âme. Un individu qui avait honte de son manque de culture a
obtenu un master 2, mais se sent toujours un peu usurpateur. Il y a de quoi
s’étonner ? Non, rien de surprenant, parce que si la forme change, le fond
reste le même. Mais le fond ne reconnait plus la forme et n’est plus en
concordance avec les ressentis. Et puis, la confusion s’empare de nous :
nous sommes toujours nous, mais autrement. Si bien que face au regard de
l’autre qui, à présent, nous regarde moins, voire plus du tout, nous pouvons
penser que ce que l’autre voit n’est en réalité pas le vrai nous.
Nous avions conditionné notre bonheur et notre bien-être à la disparition
de nos particularités. Or, maintenant qu’elles ont disparu, on se retrouve
comme orphelin de quelque chose. On a tellement vécu avec ses
particularités que, subitement, on ressent un vide. D’autant que nos
complexes étaient tellement polarisés qu’ils occupaient tout dans notre vie,
comblant chaque espace libre. Par ailleurs, on imaginait, bien évidemment à
tort, que les autres, dépourvus de nos particularités et nos complexes,
menaient une existence idéale et que, dorénavant, on irait rejoindre le
groupe des cool kids ! Plus dure est alors la chute quand nous nous
retrouvons toujours nous-mêmes, avec un costume différent, mais toujours
nous-mêmes. C’est un peu le syndrome du membre fantôme : une personne
ayant subi une amputation continue d’avoir des sensations et des douleurs
au membre pourtant retiré. Par exemple, une personne dont la main a été
amputée la ressentira alors qu’elle n’existe plus. Le complexe, c’est le
même système. Si dans notre tête, nous n’avons pas travaillé sur
l’acceptation de nos particularités, elles ne pourront jamais disparaitre
physiquement, identitairement ou socioculturellement. Parce que pour
initier un changement, quel qu’il soit, il faut d’abord s’accepter tel que l’on
est (avec toutes ses particularités/imperfections).
Le mot et l’idée
Si la perfection n’était pas chimérique, elle n’aurait pas tant de succès.
NAPOLÉON BONAPARTE, EMPEREUR
Changer pour moi ou pour l’autre ?
La volonté de changement pose toujours question, car si l’on veut
changer, c’est que quelque chose dans notre vie actuelle ne va pas ou que
nous ne sommes pas heureux en l’état. Deux questions principales se posent
alors : est-ce qu’en changeant ce que nous souhaitons changer, nous allons
être plus heureux ? Et est-ce que je veux changer pour moi ou pour l’autre ?
Autre sujet d’importance : si je veux changer, c’est que je n’aime pas ce
que je suis, n’est-ce pas ? Parce que, lorsqu’on aime qui l’on est, on n’a pas
envie de devenir quelqu’un d’autre. Et qui dit qu’une fois devenu cet autre
que je cible, promesse hypothétique de perfection ou de bonheur, je vais me
sentir mieux avec moi-même, clé de voûte du développement personnel ?
En fait, et c’est un point crucial, l’acceptation préalable de notre identité
actuelle est un prérequis à tout souhait de changement. Et il convient
également de replacer sémantiquement le terme « changement ». Il s’agit
davantage d’une modification de certains comportements que de l’abandon
d’une identité pour une autre.
Enfin, pour un résultat pérenne et satisfaisant, tout changement doit
provenir de soi et être entrepris pour soi. Si la démarche est entreprise pour
plaire à l’autre, personne physique ou entité collective, elle est vouée à
l’échec, car initiée pour de mauvaises motivations. En effet, toute
motivation liée à un élément extérieur à soi est une mauvaise motivation.
Le divan du psy
La sagesse des humains ordinaires, c’est d’accepter l’imperfection, chez les autres
comme chez soi : elle n’est pas toujours preuve de laisser-aller ou de médiocrité.
Accepter l’imperfection, c’est aussi la preuve que le goût de la vie l’a emporté sur
l’obsession de l’image de soi.
CHRISTOPHE ANDRÉ, PSYCHIATRE
Confidences en aparté
Le complexe se nourrit de la perfection. Après avoir suivi un régime
alimentaire conséquent (et sur le moment efficace, puisque j’avais perdu
40 kilos), si, bien évidemment, j’étais ravi des commentaires élogieux que
je recevais, « il en restait toujours encore un peu à perdre »… Plutôt que de
me satisfaire de ma nouvelle silhouette, je quêtais le regard de l’autre et
pour le contenter, je devais encore faire mieux.
Seulement, il y a un plateau en tout et je n’ai pas tardé à l’atteindre,
puisque mon poids stagnait. Parallèlement, le moral en prenait un coup : pas
seulement parce que mes efforts ne payaient plus, mais aussi parce que
j’étais épuisé. On aurait pu croire que dès lors, j’étais plus à l’aise avec mon
corps, mais pas vraiment, non. Les kilos et leur fonte avaient laissé des
traces sur tout mon épiderme, et de grosses et nombreuses vergetures
zébraient mon corps, des cuisses aux épaules, surtout au ventre et au buste.
On aurait dit des cicatrices. Et quand on y pense, c’était un peu ça, les
cicatrices d’un mal-être, comme si mon histoire personnelle était gravée
dans ma chair. Donc, toujours pas question de trop m’exposer sur une plage,
encore que c’était beaucoup plus facile qu’avant. Et si, oui, ma garde-robe
avait changé, je prenais systématiquement des vêtements en taille XL (deux
tailles trop grandes), comme pour chercher à me dissimuler.
La perte de poids n’avait pas été accompagnée d’un suivi psychologique
et pour moi, maigrir signifiait vraiment retrouver une nouvelle vie et un
nouveau moi. Mais à l’intérieur, j’étais toujours la même personne. En plus,
à 16 ans, les changements liés à l’adolescence sont aussi très prégnants.
J’imaginais qu’en supprimant les kilos, tout allait rentrer dans l’ordre et que
j’allais devenir « normal », comme tout le monde. Ça n’a pas vraiment été
le cas et pour cause, nous sommes tous différents (et c’est plutôt une bonne
nouvelle, mais à l’époque, je voyais les choses un peu autrement). En fait,
j’avais essayé tellement de régimes depuis mes cinq ans que j’avais
l’impression d’être devenu diététicien par assimilation. À l’âge de 16 ans, je
me suis mis à me sentir très mal physiquement, c’est apparu subitement,
même si le mal-être couvait depuis un certain temps. C’était comme si tout
mon organisme s’était emballé et ne pouvait plus rien gérer. J’ai subi toute
une batterie d’examens, mais rien n’expliquait mes symptômes et les
manifestations physiques. Il y avait une grande frustration en moi, parce
qu’on avait beau me dire que tout allait bien, non, tout n’allait pas bien du
tout, la preuve, je n’allais plus au lycée et la moindre sortie en extérieur
décuplait mon mal-être. Il faudra attendre plusieurs années avant que je
comprenne que j’avais crise de panique sur crise d’angoisse en non-stop et
que tout cela était bien entendu lié à mes complexes.
Toujours est-il qu’une amie de ma mère nous a adressés à un médecin
naturopathe qui était supposé faire des miracles. Nous y sommes allés, j’ai
expliqué mes symptômes, et il a dit, très sèchement : « Tu es trop gros. Il
faut maigrir. Voilà le régime et l’ordonnance pour les compléments. On se
revoit dans deux mois. » En sortant, j’étais bouleversé par l’attitude du
médecin et en colère aussi, car j’en étais au même point, puisqu’il n’avait
rien fait pour mes symptômes. J’ai annoncé ne jamais suivre ce régime, au
demeurant draconien. Or, un mercredi matin, je me sentais tellement mal, et
comme je n’avais encore rien mangé, je me suis dit que je n’avais rien à
perdre à tenter ce régime. J’étais tellement perdu que je me suis dit, après
tout, pourquoi pas ? Et voilà comment ma perte de poids a débuté. Aux
visites suivantes, j’étais fier de moi, bien sûr, mais je quêtais les signes
d’approbation ou d’encouragement du médecin, qui ne venaient pas
vraiment, puisqu’il fallait toujours et toujours perdre quelques kilos
supplémentaires. Cela dit, et c’est le plus positif, j’ai vraiment mené ce
régime pour moi, c’est moi qui l’ai décidé, pas pour plaire à qui que ce soit
(à la base, en tout cas), mais parce que je me sentais très mal. Et je confirme
qu’un changement n’est possible que si on le décide soi-même et pour soi-
même. Moi, j’ai entrepris un changement parce que je me sentais vraiment
trop mal et que je n’avais plus trop le choix.
Repérage
La perfection est la pire des illusions et n’offre que déceptions et
mal-être. En effet, la perfection n’est rien d’autre qu’une abstraction,
un concept qui n’a pas sa place dans le monde réel. Tout, absolument
tout peut toujours être amélioré, et la sagesse consiste à savoir
s’arrêter à temps.
Un individu perfectionniste est un individu perpétuellement
insatisfait qui mène la vie dure à son entourage (personnel,
professionnel, social…) et à lui-même. Pour un perfectionniste, rien
n’est jamais suffisant ni assez bien.
Se donner le droit à l’imperfection nous rehausse en tant qu’être
humain, car nous gagnons en sagesse, en acceptation de soi, en
confiance, en indulgence, bref, en humanité. Lorsque nous lâchons
prise avec nos velléités de perfectionnisme, nous cessons de réagir
avec colère ou embarras et d’être sur la défensive, prêts à l’attaque et
à la justification. La honte disparait alors et les complexes n’ont plus
de raison d’être.
Le plus important n’est pas le détail physique, celui qui se voit, mais
celui qui est dans la tête et qui donne sa validation au complexe.
C’est d’abord au niveau mental et émotionnel qu’il faut œuvrer,
avant d’envisager quoi que ce soit sur le plan physique, administratif
ou éducatif. Sinon, ça ne marche pas.
Pour un résultat pérenne et satisfaisant, tout changement doit
provenir de soi et être entrepris pour soi.
Chacun a sa propre idée de la perfection et, par conséquent, la
perfection de l’autre n’est pas nécessairement la mienne.
Le mot et l’idée
La confiance en soi est le premier secret du succès.
RALPH WALDO EMERSON, ÉCRIVAIN
L’affirmation de soi
L’estime de soi et l’affirmation de soi sont intimement liées. Le schéma
est le suivant : j’ai une basse estime de moi > par conséquent, j’ai peur du
rejet si je m’affirme > aussi, je ne m’affirme pas > donc, je continue d’avoir
peur du rejet (que se serait-il passé si je m’étais affirmé ?) > et bien sûr, je
ne prends pas l’habitude de m’affirmer ou alors je ne me donne pas le droit
de m’affirmer face aux autres > forcément, j’ai donc toujours une basse
estime de moi > et j’entretiens un cercle vicieux. Or, si l’estime de soi
remonte, l’affirmation de soi remonte aussi, et vice versa. Il est donc
intéressant de travailler sur les deux modules, indépendamment ou en
association.
S’affirmer, c’est être capable d’exprimer librement ce qu’on pense, ce
qu’on désire, ce qu’on ressent, indépendamment du regard de l’autre. Bien
entendu, cela suppose respecter aussi ce que l’autre pense, désire et ressent.
C’est grâce à l’affirmation de soi que l’on ose dire non calmement et sans
avoir à se justifier outre mesure ou que l’on répond sans agressivité à une
remarque potentiellement désobligeante.
S’affirmer, ce serait aussi par exemple affronter le regard de l’autre en
étant à l’aise et en paix avec ses particularités. S’affirmer, c’est savoir qu’on
existe indépendamment de tout élément extérieur et que nous n’avons rien à
prouver ni expliquer à quiconque. Et encore moins justifier notre droit
d’exister tels que nous sommes.
Le mot et l’idée
La seule alchimie est une alchimie intérieure.
JEAN CHALON, ÉCRIVAIN
La confiance en soi
La confiance en soi permet de comprendre et d’intégrer que nous avons
les capacités nécessaires pour tout affronter. La confiance en soi permet
d’aller de l’avant, d’entreprendre des actions, d’accepter d’avoir tort ou de
ne pas tout connaitre, de contourner la perfection, de trouver l’existence
belle, même quand on n’est pas au sommet de sa forme, bref, de suivre son
chemin de vie. Par ailleurs, une personne avec de la confiance en soi se
sentira en sécurité et ne laissera pas la peur dicter ses actes. Si j’ai confiance
en moi, je ne vais pas m’avouer vaincu ou imaginer le pire avant
d’entreprendre la moindre chose.
Au contraire, je me dis que j’ai toutes les chances et le potentiel d’arriver
à mes fins. Et si je n’y arrive pas, tant pis, je tenterai autre chose. Comme
claironnerait avec panache Coco Chanel, qui n’a jamais eu de problème de
confiance en soi : « Prenez mes idées, ça m’est égal, j’en aurai d’autres ! »
Naturellement, sans confiance en soi, on reste à la merci des évènements
et du regard de l’autre. Un complexe, c’est aussi un manque de confiance en
soi, parce que si je suis complexé par une particularité, j’imagine ne pas
disposer des compétences pour la gérer ni pour affronter le regard de
l’autre. Et sans grande confiance en moi-même, j’ai beau savoir au fond de
moi que j’ai des talents, je n’ose pas les exploiter et je me morfonds dans un
poste, une relation amoureuse, un cercle amical qui ne m’apportent
strictement rien. Si bien que je finis par passer à côté de ma vie.
Le divan du psy
À la base de chacune de nos angoisses, il y a un manque de confiance en soi. Chaque
fois qu’on est confronté à une situation dramatique ou périlleuse, on en ressort plus fort.
La sécurité n’est pas de posséder des choses, mais de savoir gérer les situations.
SUSAN JEFFERS, PSYCHOLOGUE
Et je me détacherai
Même la Joconde a un drôle d’air et donne une impression de vertige
lorsque l’on a le nez dessus, à quelques millimètres de la toile. C’est
exactement la même chose avec les situations, les gens et les évènements
que nous rencontrons. Au cinéma, certains se mettent d’office au premier
rang, comme pour mieux s’immerger dans le film, mais d’autres préfèrent
s’asseoir à l’arrière, d’où ils ont une vue d’ensemble plus nette et plus large.
En prenant du recul, on découvre des détails impossibles à distinguer de
près et l’on bénéficie d’un autre regard, plus mesuré et plus objectif.
Lorsque l’on est dans l’œil du cyclone, effectivement, il est difficile de voir
plus loin que le bout de son nez, ce qui peut occasionner angoisse et
sensation de perte de repères.
Dans la vie, c’est comme au cinéma. En prenant un peu de distance, on se
détache de l’insécurité, du remords, de l’angoisse, de la perfection, des
illusions, bref, de tout ce qui peut nous bloquer et nous mener en bateau, à
commencer par la valorisation que nous attendons d’éléments externes.
Lorsque l’on prend du recul, on s’aperçoit aussi que ce qui paraissait
énorme et essentiel ne l’est finalement pas tant que ça. Ce qui nous effrayait
tant n’est sans doute pas aussi effrayant que ça non plus, tout cela n’était
qu’une sorte d’effet d’optique.
Pour nos complexes, c’est pareil. Vues de près, nos imperfections
semblent incommensurables et affreuses au-delà de toute expression et le
regard de l’autre tellement important pour nous. Mais vues d’un peu plus
loin, nos imperfections paraissent beaucoup plus anodines et innocentes, et
le regard de l’autre, finalement, ni si important ni si menaçant. Et plus nous
développons notre estime, notre confiance et notre affirmation de soi, plus
nous parvenons à nous détacher et prendre de la hauteur avec les
évènements et les autres. Nous retrouvons alors peu à peu notre authenticité
et l’essence de notre véritable nous. Pour notre plus grand bien.
Confidences en aparté
J’étais tellement complexé et je manquais tant de confiance et d’estime de
moi que je me mettais sans cesse dans des situations inextricables (pour
moi, évidemment). Ainsi, il m’était quasiment impossible de dire non à
quelque chose, quitte à me torturer plus tard en me reprochant d’avoir
accepté quelque chose que je ne souhaitais absolument pas et qui me coûtait
beaucoup. Vous vous doutez que je m’affirmais très peu en public. En
réalité, à froid et en toute lucidité, je savais que j’avais des capacités et que
je n’avais pas à me sous-estimer. J’étais tout à fait conscient d’avoir autant
de valeur qu’un autre, mais en présence d’autres personnes, mes complexes
occupaient tout mon esprit, et le regard de l’autre reprenait tous ses droits
sur moi (et mon comportement). Je disais donc oui à tout ce que l’autre
voulait en me consolant d’un « non, mais ce n’est pas grave ». Évidemment,
rien n’était jamais grave, du moment où je m’oubliais, mais il ne me serait
jamais venu à l’esprit que si, en réalité, c’était très grave, au contraire. Mais
mon besoin d’acceptation et d’approbation était plus fort que tout
raisonnement rationnel.
J’allais souvent chercher mon frère, plus jeune, après les goûters
d’anniversaire auxquels il était convié. Comme d’habitude, j’arrivais
toujours en avance, notamment parce que je n’avais rien d’autre à faire et
puis parce qu’arriver en retard aurait été catastrophique pour moi, car mon
frère aurait dû attendre et se serait peut-être fait du souci. Bref, je sonnais,
la maman m’ouvrait et me disait qu’ils en étaient au gâteau et que je
pouvais entrer et prendre une part avec tout le monde et que mon frère
repartirait dans une petite heure. Que croyez-vous que je faisais alors ?
Rouge de confusion, je refusais en balbutiant et j’attendais mon frère, à
l’extérieur, assis sur une marche de l’escalier de l’immeuble.
À l’époque, les téléphones portables n’existaient pas pour se distraire et
faire passer le temps. Alors, je patientais, sagement. Lorsqu’une personne
montait dans l’escalier, ce que je redoutais bien sûr, elle me demandait ce
que je faisais là et j’expliquais que j’attendais mon frère. Parfois, c’était la
mère d’un autre enfant et lorsque l’hôtesse, en ouvrant la porte,
m’apercevait, je devenais écarlate et elle me disait « Mais enfin, Olivier,
entre, tu ne peux pas rester sur une marche d’escalier ! » Je refusais
toujours, car le regard de l’autre me torturait littéralement et, de toute
manière, je n’aurais jamais osé manger quoi que ce soit devant toutes ces
personnes. J’ânonnais toujours le même leitmotiv : « Ne vous inquiétez pas,
madame, ce n’est pas grave, je peux attendre ! » Je ne me rendais pas
compte que je me victimisais, j’étais tellement dans l’œil du cyclone, tourné
vers moi et mes complexes, et réagissant en fonction de la signification que
j’interprétais dans le regard de l’autre. Mais finalement, tout cela n’était
effectivement pas bien grave, parce que si mon frère était très populaire et
souvent invité, il a fini par être suffisamment grand pour que je n’aie plus
besoin d’aller le chercher…
Repérage
L’estime de soi consiste à s’aimer soi-même, se respecter, répondre à
ses propres besoins, s’accorder de la considération.
L’estime de soi ne dépend jamais des compliments ou de facteurs
extérieurs, l’ego, si.
S’affirmer, c’est être capable d’exprimer librement ce qu’on pense,
ce qu’on désire, ce qu’on ressent, indépendamment du regard de
l’autre.
Un déficit assertif affecte le domaine comportemental, émotionnel et
psychologique. Il favorise naturellement les complexes physiques,
identitaires et socioculturels.
La confiance en soi permet de comprendre et d’intégrer que nous
avons les capacités nécessaires pour tout affronter.
Les autres ressentent les mêmes peurs et les mêmes doutes que nous,
mais leur ressenti est transitoire et ne les empêche pas d’agir.
Il est essentiel de prendre du recul pour remettre à leur juste place ce
qui nous pose un problème.
Nous n’avons pas le pouvoir de rendre heureux ou malheureux
l’autre, et l’autre n’a pas le pouvoir de nous rendre heureux ou
malheureux.
La petite voix qui sape tous nos efforts et nous critique sans cesse est
un véritable poison que nous devons éradiquer.
Le déclic
Si l’on continue à faire ce que l’on a toujours fait… on obtient toujours ce
que l’on a toujours obtenu. La Palice aurait pu en dire autant et la formule
pourrait prêter à sourire, mais combien sommes-nous à savoir que quelque
chose ne va pas, qu’une situation nous rend malheureux ou que nous
dépérissons en l’état ? Combien sommes-nous à comprendre qu’il faudrait
vraiment que l’on change quelque chose parce que tout va de mal en pis ?
Et combien sommes-nous à oser le changement ? Et par changement, on
englobe toutes les graduations, du baby step au pas de géant.
Pourquoi cet immobilisme, alors que nous savons pertinemment que le
changement permettrait un mieux-être ? Pour différentes raisons : la peur,
des contreparties au statu quo, la paresse, le découragement… Pourtant,
nous avons tous conscience que rien ne peut changer dans notre vie tant que
nous ne prenons pas la décision d’entreprendre une action. Et si nous ne
prenons pas toujours la décision de bouger de notre plein gré, à un moment
ou un autre, la vie, sous la forme d’un évènement ou d’une rencontre, se
chargera de nous pousser à agir, sans que l’on puisse finalement s’y
opposer, simple question de survie.
En effet, quand nous allons plus ou moins bien, que nous vivotons tant
bien que mal et que nous nous accommodons d’une situation, certes pas
extraordinaire, mais supportable quand on regarde autour de soi, nous ne
sommes pas réellement incités à changer quoi que ce soit. Le changement
reste alors un vœu pieux qui sera rarement suivi d’effet. Non, nous
changeons quand quelque chose ne va vraiment plus, que toutes nos limites
ont été atteintes, que nous avons l’impression d’être devant une impasse,
que nous étouffons et que nous risquons de perdre gros si nous ne bougeons
pas. Dans ce cas, le changement aura bien lieu, mais il sera nécessairement
plus douloureux que s’il avait été entrepris de plein gré.
Cependant, les douleurs engendrées par le changement permettent de
grandir, de se développer et de (re)découvrir ses capacités. C’est face à un
évènement douloureux ou déplaisant que nous nous rendons compte de nos
capacités et de nos forces à affronter l’extérieur. Pourtant, ces douleurs ne
viennent jamais du changement en lui-même, mais de nos propres
résistances au changement. C’est un peu comme pour le surf : si on lutte
contre le courant, on rame, mais si l’on vogue dessus, on s’envole loin. Pour
le changement, c’est la même chose. Si l’on décide de vivre ici et
maintenant, le changement se fait en douceur, mais si l’on résiste en
s’agrippant de toutes ses forces à ce que l’on connaissait jusque-là, ça
coince.
Les résistances au changement
Souvent, on sait qu’on veut changer, on sait qu’on doit changer et on sait
qu’on peut changer, mais pour des raisons qui nous échappent, on ne
change pas. Pas parce que nous échouons, mais parce que nous ne tentons
pas le coup. Pourquoi ? Parce que le mental prend le relais, et avec la peur
et la petite voix qui sapent en copilotes, il va au contraire nous expliquer
pourquoi il ne faut surtout pas changer quoi que ce soit. La démotivation
par des affirmations supposées rationnelles, mais qui ne le sont en réalité
que de très loin. On appelle ces affirmations des « résistances au
changement ». Il en existe plusieurs, que vous reconnaitrez certainement
pour les avoir expérimentées (on le fait tous) :
Le mot et l’idée
Rien ne se produit tant que rien ne bouge.
ALBERT EINSTEIN, PHYSICIEN, THÉORICIEN
Les contreparties
Cela peut sembler paradoxal, mais même si nous savons que le
changement nous serait bénéfique, nous préférons ne pas bouger. Les
résistances évoquées plus haut jouent bien sûr un rôle primordial, mais elles
n’expliquent pas tout. Parfois, on ne fait rien et l’on se complait dans notre
situation, car on y trouve des contreparties, c’est-à-dire des avantages.
Comment est-ce possible ? Tout simplement parce que la situation dans
laquelle nous vivons (et qui demeure désagréable, voire nocive) nous
arrange, quelque part. C’est un peu le processus de la phobie : une phobie
joue un rôle de catalyseur et permet d’exprimer et de regrouper divers
phénomènes, émotions, peurs, etc. Or, si l’on supprime la phobie (par
thérapie comportementale ou même hypnothérapie), une autre phobie se
manifestera, afin de combler le vide engendré par la disparition de la
première.
On retrouve un fonctionnement similaire avec les contreparties au
changement. Si, par exemple, je ne cesse de me plaindre de mon lieu de vie,
mais ne fais rien pour entreprendre un changement, il y a un vrai sujet. Je ne
fais rien parce que je peux résister au changement (peur, croyance limitante,
etc.), c’est juste, mais je ne fais rien parce qu’en réalité, la situation me
permet de me plaindre à qui veut l’entendre, d’engager la conversation avec
qui passe par là, de catalyser tous mes autres soucis (le lieu de vie sert de
bouc émissaire), de trouver des prétextes utiles quand je n’ai pas envie de
faire quelque chose et, surtout… de me placer en victime, démunie et sans
défense, et de tenir ainsi à la perfection mon rôle dans le triangle de
Karpman (voir chapitre 4). Et si je changeais quelque chose, par exemple,
en mettant des bouchons d’oreille la nuit, en prospectant aux alentours pour
un autre lieu de vie ou en isolant mes fenêtres, nécessairement, il me
faudrait trouver un autre sujet capable de cristalliser mes angoisses et mes
besoins non comblés. En fait, ce que j’expérimente dans ma situation
actuelle me permet d’exister. Et par conséquent, si je change quoi que ce
soit (complexe ou autre phénomène problématique), je cesse d’exister. Et
c’est pourquoi, inconsciemment, je ne veux pas changer et je n’ai pas
réellement envie d’aller mieux.
Le divan du psy
Pour changer, il faut commencer par s’accepter tel que l’on est. Or il est particulièrement
difficile de s’accepter tant que l’on est obnubilé par la nécessité de changer. Le fait de se
concentrer aveuglément sur le changement équivaut à se cogner la tête contre le mur
pour passer dans la pièce voisine. En s’acceptant soi-même, on prend un pas de recul
par rapport à ce mur, on observe la situation sans préjugé et l’on finit par apercevoir la
porte. L’acceptation, c’est la porte dans le mur ; c’est elle qui rend le changement
possible. L’acceptation, c’est la condition sine qua non du changement.
SUSANNA MCMAHON, PSYCHIATRE
Confidences en aparté
Pour faire plaisir ou sous la pression, j’ai suivi un nombre de régimes
alimentaires assez impressionnant. Bien entendu, j’estimais que les résultats
n’étaient jamais à la hauteur de mes efforts (et surtout de mes privations).
Pour moi, au bout de trois jours de diète, j’espérais voir quelque chose
changer, parce que ces trois jours m’avaient beaucoup coûté. Et si jamais je
perdais 500 grammes, inutile de vous dire que je jugeais le fruit de mon
labeur bien vert et bien amer. S’ensuivaient alors découragement, tristesse,
sensation que rien ne changerait jamais, et je me consolais en replongeant
dans les aliments gras et sucrés, vous savez, ceux que l’on dit réconfortants.
Parce que, oui, j’avais besoin d’être réconforté.
Et le cercle vicieux se poursuivait avec les injonctions de mes parents :
« Tu n’as aucune volonté ! Tu vas grossir jusqu’à quand ? Tu mets ta santé
en péril ! etc. » Culpabilisé comme jamais, je m’en voulais de ne pas avoir
suffisamment bien fait, et je me résolvais à un nouveau régime. Le régime
prenait ensuite la place du complexe, dans le sens où il occupait tout mon
esprit et devenait polarisateur. Je ne pensais plus qu’à la nourriture, ce qui
n’était pas le cas hors régime. Admettons que je perde alors quelques kilos,
le cheminement me coûtait plus que je ne pourrais l’exprimer ici, même des
années et des années plus tard. C’était comme si je me martyrisais et,
quelque part, c’est ce que je faisais, puisque je ne m’acceptais pas en l’état.
Je ne me disais pas : « Tu as des kilos en trop, oui, mais ce n’est pas pour
cela que tu n’es pas aimable [dans le sens de pouvoir être aimé] ». Je fuyais
tout miroir, naturellement, sauf une fois.
Petite anecdote. J’étais au Jardin d’acclimatation ou à la Foire du Trône, à
Paris, je ne m’en souviens plus trop, et il y avait une galerie des glaces.
Certaines grossissaient, mais d’autres amincissaient. Et en passant devant
un miroir amincissant, je ne pouvais pas détacher mon regard de mon
reflet : je me plaisais et j’aurais voulu être comme ce reflet. Bien sûr,
toujours conscient du regard de l’autre, je n’osais pas trop m’aventurer
devant ce miroir, mais je suis repassé souvent devant. Comme on peut
l’imaginer, une fois face à mon reflet véritable, le choc, la honte, la
déception, la tristesse et l’envie de disparaitre. Pas une seule seconde je n’ai
pensé que le moi du miroir amincissant et celui du miroir classique ne
faisaient qu’un. Et que si je me plaisais mince, j’étais la même personne
ronde. Par conséquent, j’avais toutes les raisons d’aimer qui j’étais et de me
respecter et m’accepter en l’état. Ce n’était évidemment pas mon
raisonnement de l’époque. J’avais quatorze ans.
Repassons à l’histoire des kilos en moins, consécutifs aux régimes
draconiens. Mes parents et le médecin étaient contents et m’encourageaient
de phases du type : « Bon, il y en a encore pas mal à perdre ! C’est bien,
mais ça ne suffit pas ! Il ne faut pas relâcher ses efforts ! » Autant de
paroles qui se voulaient stimulantes et qui étaient pour moi décourageantes,
un peu comme si ce que je faisais n’était jamais assez bien ni assez
suffisant. Et loin de me dynamiser, ces injonctions m’incitaient au contraire
à grignoter en cachette. Le cercle vicieux reprenait (ou continuait), les kilos
revenaient, le mal-être ne s’estompait pas, et bis repetita.
Je n’avais pas spécialement de contreparties à conserver mes kilos, mon
estime de moi était tellement basse qu’elles n’étaient pas nécessaires. En
revanche, il y avait bien une résistance au changement : moi. Je ne voulais
pas changer, parce que j’y étais contraint et forcé d’une manière que je
trouvais violente et qui m’accablait. Parce que l’initiative ne partait pas de
moi, et même si j’étais en souffrance, je refusais inconsciemment une
soumission de plus. Il a fallu que la situation dégénère au point de ressentir
des troubles physiologiques pour que je décide en pleine conscience
d’entamer un régime. J’étais acculé, car je ne savais pas quoi faire pour
aller mieux. Et cette fois, l’entreprise fut couronnée de succès. À plus ou
moins long terme, certes, mais avec un changement radical, pour un mieux.
Il faudra attendre encore quelques années pour que je fasse la paix avec
mon corps et avec moi-même. Car, qu’il soit initié de notre propre volonté
ou non, tout changement pérenne et valable demeure un processus.
Double cible
Le changement ne peut passer que par moi et moi seul, et il ne peut agir
que sur moi et moi seul. En d’autres termes, je peux changer la manière
dont j’accueille ce qui me blesse, mais je ne peux pas changer celui qui me
blesse. À moins, bien sûr, de s’appeler Merlin ou Mélusine, personne n’a le
pouvoir de changer l’autre. Pour atténuer nos souffrances, nous allons donc
devoir entreprendre un travail sur nous-mêmes, car nous ne pouvons
modifier que les entités sur lesquelles nous avons le contrôle, c’est-à-dire
nous-mêmes.
La gestion du complexe nécessite un travail double : vis-à-vis de soi-
même envers soi-même, et vis-à-vis de soi-même envers l’autre. Mais
attendez, vous venez de dire que je ne pouvais pas changer l’autre !
Effectivement, on ne peut pas le changer, mais il y a cependant un travail à
réaliser sur ce que moi, je ressens envers l’autre.
Un exemple très simple va rapidement vous éclairer. Je passe devant
quelqu’un qui ricane en disant à son amie : « Oh, t’as vu le gros ! Où il peut
bien trouver quelque chose à sa taille ? » Le travail que je vais avoir à faire
sera d’abord sur ce que moi je ressens envers moi (honte, dégoût de mes
kilos en trop, volonté de disparaitre, tristesse…) et sur ce que moi je ressens
envers l’autre (colère, honte, soumission, fuite…). Dans ce cas précis,
lorsque je ressens du dégoût envers mes formes, je pourrais me dire : « Oui,
j’ai des formes, et alors ? Qu’y a-t-il de si répugnant à avoir des formes ? Et
les minces qui n’ont pas de formes, ce serait plus joli ou moins joli, ou alors
juste différent ? Et des vêtements, oui, merci pour la sollicitude, j’en trouve,
et des modèles qui me plaisent ! » (Vous remarquerez en passant qu’à
aucun moment, je ne cherche à me justifier, ni à me morfondre, ni à
m’excuser d’être comme je suis. Au contraire, j’accueille avec bienveillance
ce que je suis et, surtout, je reste dans le factuel et la réalité.) Passons à
présent à ce que je pourrais faire pour atténuer l’impact de l’autre sur moi.
Je pourrais me dire par exemple : « Toto, je crois que nous n’avons pas le
même sens de l’humour ! Mais si mes kilos te font un tel effet, qu’est-ce
que ça cache ? Aurais-tu un cadavre dans le placard ? Est-ce que j’ai
quelque chose à gagner à me mettre en colère ou à pleurer ? Si je me mets
en colère ou si je pleure, quelque part, je donne du poids [sans jeu de mots]
aux propos de l’autre, et j’accepte donc leur pertinence, n’est-ce pas ? Ne
serait-ce pas faire trop d’honneur à un commentaire proféré par une
personne peu construite psychologiquement ? » Et donc, dès que la pensée
décourageante surgit, on lui coupe aussitôt l’herbe sous le pied afin qu’elle
n’engendre pas les sentiments associés, et on la balaie négligemment d’un
haussement d’épaules et d’un petit sourire. Et puis, on passe à autre chose
de plus important et plus intéressant. (Pour info, le sourire est le joker
absolu qui désarme tout assaillant et qui envoie à notre cerveau un message
très positif.)
Le divan du psy
L’erreur que nous faisons tous est de croire que la motivation vient en
premier et qu’elle entraine ensuite l’action (et la réussite). Or ça ne se passe
pas du tout comme ça, en réalité ! C’est même tout le contraire ! L’action
vient en premier, et la motivation suit. En effet, il faut d’abord actionner la
pompe avant de se sentir motivé, un peu comme la pompe d’une bouteille
de savon liquide : si l’on appuie mollement une première fois, rien ne se
passe, il faut appuyer à plusieurs reprises pour amorcer la pompe et avoir du
savon qui en jaillit. Parce que si je soupire d’un air langoureux : « Oh, bof,
je n’ai pas très envie, j’ai la flemme ! », rien ne se passera jamais, parce
que, si pour agir, j’attends « d’avoir envie », je peux attendre longtemps !
Donc notez bien le schéma de la motivation : en premier, l’action ; en
deuxième, la motivation ; en troisième, encore plus d’action (rassurez-vous,
la pompe est déjà amorcée, donc c’est plus facile).
Le mot et l’idée
Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, c’est parce que
nous n’osons pas qu’elles sont difficiles.
SÉNÈQUE, PHILOSOPHE ROMAIN
Repérage
Si l’on continue à faire ce que l’on a toujours fait… on obtient
toujours ce que l’on a toujours obtenu.
Les affirmations supposées rationnelles utilisées pour expliquer
l’inertie s’appellent des résistances au changement et sont toutes
trompeuses.
Parfois, on ne fait rien et l’on se complait dans sa situation, car on y
trouve des contreparties, c’est-à-dire des avantages.
Pour changer, il faut commencer par s’accepter tel que l’on est.
Tout changement amorcé pour l’autre et/ou à son initiative suppose
une estime de soi très basse, une peur de l’abandon ou du rejet, et un
manque d’amour pour soi-même. Il est donc voué à l’échec et ne
peut rien résoudre de façon pérenne.
Le changement réussit seulement s’il est décidé par moi et pour moi.
La gestion du complexe nécessite un travail double : vis-à-vis de soi-
même envers soi-même et vis-à-vis de soi-même envers l’autre.
L’action vient toujours en premier, et la motivation suit. Pas le
contraire.
Le réalisme peut conditionner la réussite ou l’échec d’une entreprise.
Avant d’entreprendre quoi que ce soit, il faut dresser un plan d’action
en y listant l’objectif, les moyens, les attentes et le cadre temporel.
La pyramide de Maslow
Le psychologue humaniste Abraham Maslow (1908-1970) a développé
une théorie de la motivation appuyée sur une hiérarchie des besoins
humains. Cette hiérarchie est représentée par une pyramide comprenant
cinq niveaux :
À vous de jouer !
Voici un ensemble de besoins reliés aux besoins d’appartenance et aux
besoins d’estime.
Amour, appartenance, attention, chaleur humaine, compagnie, contact,
empathie, respect, honnêteté, intimité, partage, proximité, délicatesse, tact,
gentillesse, compassion, affirmation de soi, authenticité, estime de soi,
confiance, cohérence avec mes valeurs, compréhension, acceptation,
tolérance, intégrité, harmonie, paix, protection, réconfort, sécurité affective,
soutien, chaleur humaine…
Sur votre cahier, listez les besoins les plus importants pour vous. Prenez le
temps de réfléchir et limitez-vous à une dizaine. N’hésitez pas à inclure des
besoins qui ne seraient pas énumérés ici. Ensuite, posez-vous la question
suivante pour chaque besoin énoncé : « Lorsqu’un jugement ou une raillerie
est émis sur mes particularités, quel besoin n’est pas satisfait ? » et mettez
une croix devant chacun des besoins non satisfaits. Listez ensuite ces
besoins non satisfaits.
Puis posez-vous la question : « Que faire pour satisfaire ces besoins non
satisfaits ? » Réfléchissez quelques instants, mais vous avez déjà la
solution : « Ces besoins non satisfaits par l’autre, je les satisfais moi-
même ! » Inscrivez cette phrase et encadrez-la. Elle est essentielle.
Par exemple, quand on me traite de « serpent à lunettes », de « grosse
baleine » ou de « Dumbo l’éléphant » en raison de mes lunettes, mon poids
ou mes oreilles décollées, si j’ai besoin de réconfort et de gentillesse, qui,
sinon moi-même, à cet instant précis, peut m’offrir réconfort et gentillesse ?
Et si je ne m’offre pas réconfort ou gentillesse, mais à la place, je m’accable
de honte ou de tristesse, c’est exactement comme si un pauvre bougre
lynché en place publique se flagellait par-dessus le marché ! C’est comme si
je disais à l’autre : « Tu as entièrement raison, je suis un serpent à lunettes,
une grosse baleine ou Dumbo l’éléphant, et je te supplie d’accepter toutes
mes excuses pour être ce que je suis, je sais que je ne suis pas digne de toi,
et regarde comme je m’en veux et je me déteste ! »
Pourquoi cette tactique est-elle essentielle et pourquoi fonctionne-t-elle ?
Parce que je réponds à mon besoin du moment, donc il est satisfait, parce
que je découvre que j’ai en moi les capacités de répondre à mon besoin,
indépendamment de tout facteur extérieur, parce que je renforce mon
estime, ma confiance et mon affirmation de soi, parce que je tue dans l’œuf
toute pulsion masochiste et que, finalement, je laisse le quolibet pour ce
qu’il est : un commentaire imbécile qui entre par une oreille et ressort de
l’autre avec zéro impact sur moi.
Donc, à partir de maintenant, chaque fois que la situation se présentera,
bloquez la pensée instinctive qui surgit et réfléchissez à vos besoins du
moment. Offrez-vous alors ces besoins. Comment ? La méthode la plus
simple consiste à émettre une affirmation positive, à voix haute ou basse,
peu importe, c’est un cadeau pour vous-même, comme « Je m’aime et je
m’approuve » ou « Je suis en totale sécurité avec moi-même et je suis
parfait comme je suis ». Autre méthode qui porte ses fruits : sourire et se
caresser la main ou la joue. Pour ma part, je chatouille le bout de mon nez
avec mon index, comme si je cherchais à me faire sourire après une
bouderie ou un bobo. (Et je vous confirme, ça fonctionne vraiment.)
Bien entendu, comme pour tout exercice, il faut pratiquer. Soyez très
indulgent avec vous-même si, malgré votre bonne volonté, ça cafouille un
peu. C’est tout à fait normal. Surtout pas de reproche, ce serait contre-
productif. Il n’y a rien de méchant et pas de juge au chronomètre. Par
ailleurs, vous consignerez par écrit sur votre cahier tous vos essais. Vous
indiquerez ce que vous avez tiré de l’expérience et pourquoi cela a
fonctionné ou pas. Notez ensuite ce que vous pourriez faire pour que cela
fonctionne mieux la prochaine fois. L’objectif, vous le devinez, est que cela
devienne un automatisme.
Le mot et l’idée
L’émeraude ne perd pas de sa valeur faute de louanges.
MARC AURÈLE, EMPEREUR
Les valeurs
Une valeur reflète ce que l’on est et ce que l’on croit être essentiel pour
nous. Pour vous donner une image plus parlante, considérez vos valeurs
comme faisant partie de votre ADN. L’ADN est unique et indissociable de
notre être tout entier. Autrement dit, on pourrait dresser le portrait-robot de
notre personnalité grâce à nos valeurs. En énonçant mes valeurs, je donne
une vision claire de ce que je suis. Par conséquent, mon comportement, mes
joies et mes blessures sont reliés à mes valeurs. Et lorsque mes valeurs sont
bafouées, j’ai naturellement une réaction épidermique, puisque mes valeurs
font partie intrinsèque de moi. Par exemple, si j’ai la valeur justice et que je
suis témoin ou victime d’une injustice, c’est comme si je prenais un coup de
poing en pleine figure. Je peux alors perdre tout esprit rationnel et me
laisser guider par mon cerveau reptilien (voir chapitre 3), le cerveau
primaire qui réagit instinctivement aux stimuli extérieurs.
Pourquoi les valeurs et les besoins sont-ils liés ? Parce que les besoins
permettent de respecter et faire respecter les valeurs. Si j’ai la valeur justice,
j’ai besoin de justice et d’équité autour de moi. Je vais donc agir en
conséquence, et je sais que si ces besoins ne sont pas satisfaits, ma valeur
sera contrariée et je risque de mal réagir. Connaitre ses valeurs permet
également de fixer des limites à ce que l’on peut accepter ou non, une sorte
de ligne rouge ou de plafond de verre. C’est parce que les besoins ne sont
pas satisfaits et que les limites sont bafouées que certaines personnes
complexées, timides, résignées et soumises ont subitement un revirement et
osent des réactions foudroyantes qui saisissent tout l’entourage. Ces
réactions sont dangereuses, parce qu’irrationnelles et incontrôlables, c’est
un peu l’effet cocotte-minute, tout finit par exploser sous la pression. D’où
l’importance d’identifier ses valeurs pour anticiper et comprendre le
mécanisme de réactivité.
À vous de jouer !
Vous allez à présent identifier vos valeurs personnelles. Pour ce faire,
notez sur votre cahier les quatre questions clés suivantes et répondez-y de
votre mieux, en prenant votre temps et en inscrivant tout ce qu’il vous vient
à l’esprit, sans vous soucier des termes :
Le mot et l’idée
Dans le domaine des sentiments, le réel ne se distingue pas de l’imaginaire.
ANDRÉ GIDE, ÉCRIVAIN
L’émotion et le complexe
Nos émotions sont des réactions d’adaptation de l’organisme à son
environnement et jouent un double rôle biologique : réguler l’état interne de
l’organisme et produire une réaction adaptée à une situation. Cependant, et
c’est un point essentiel, l’émotion reste propre à chaque individu. Les
émotions ont beau être universelles, elles ne vont pas se manifester de la
même manière ni à la même fréquence pour tout le monde. Leur intensité
est également très variable. Pourquoi ? Parce qu’elles dépendent de notre
interprétation personnelle et subjective de la réalité (consciente ou
intuitive), ce qui explique pourquoi face à une même situation, deux
individus pourront avoir des émotions différentes. Par exemple, alors que
moi, en passant devant le berger allemand de la grille, j’éprouve de la peur,
une autre personne pourrait ne même pas prêter attention au chien et à ses
aboiements. L’émotion dépend bien entendu de notre sensibilité, mais aussi
de notre histoire personnelle et de l’état d’âme/d’esprit dans lequel nous
nous trouvons au moment du stimulus. Rappelons cependant que toute
émotion a une raison et qu’elle vise avant tout à nous protéger, car elle
entraine une impulsion à (ré)agir.
Ainsi, lorsque l’autre se moque de nos particularités, l’émotion qui surgit
sans crier gare est un moyen de nous avertir que quelque chose ne va pas et
que ce que dit l’autre n’est pas dans notre intérêt. L’émotion indique que
l’organisme interprète les propos de l’autre comme un danger ou une
agression.
Mais l’émotion doit rester éphémère. Imaginez le mécanisme de l’émotion
un peu comme l’ascension et la descente d’une colline. Le stimulus marque
le début de la montée, le sommet de la colline marque le point culminant de
l’émotion, c’est-à-dire quand le signal d’alarme est le plus sonore et que
l’organisme mobilise toutes ses capacités pour se tirer d’affaire au cas où la
situation s’envenime, et la décrue de l’émotion s’amorce sur le versant de la
descente. L’émotion disparait à l’arrivée au pied de la colline.
À vous de jouer !
Maintenant que vous connaissez la différence entre une émotion et un
sentiment, réfléchissez à vos ressentis face à vos complexes. Dans quels cas
peut-on parler d’émotion et dans quels cas peut-on parler de sentiment ? Sur
votre cahier, vous allez noter les sensations que vous éprouvez par rapport à
vos complexes et vous interroger sur leur origine. Est-ce que la sensation
provient d’un stimulus extérieur ou d’une modification de l’environnement,
ou est-elle le fruit d’une ou de plusieurs de vos pensées ? Notez les stimuli
et les pensées nourricières. Rappelez-vous que la durée de la sensation est
un moyen de distinguer l’émotion du sentiment.
Le mot et l’idée
Sans émotions, il est impossible de transformer les ténèbres en lumière et l’apathie en
mouvement.
CARL GUSTAV JUNG, PSYCHIATRE
À vous de jouer !
À partir de maintenant, vous allez considérer chaque émotion que vous
ressentirez comme une simple vague sur laquelle vous allez surfer en toute
sécurité et qui va vous ramener paisiblement jusqu’au rivage, où elle
deviendra une innocente vaguelette. Vous pouvez même faire un travail de
visualisation en imaginant une vague surgir au moment où vous ressentez
l’émotion. Puis, contrairement à ce que vous avez l’habitude de faire
instinctivement, c’est-à-dire lutter contre l’émotion ou chercher à l’étouffer,
vous allez vous détendre et la laisser passer en imaginant que vous surfez
sur cette vague, finalement très douce, à l’eau tiède, et toute cotonneuse et
moelleuse. La démarche nécessite un petit entrainement, mais elle
deviendra rapidement un automatisme. Notez bien vos progrès sur votre
cahier.
À vous de jouer !
En prenant votre temps, réfléchissez aux stimuli qui déclenchent vos
émotions, et plus particulièrement lorsqu’elles touchent vos complexes.
Listez-les sur votre cahier. Essayez ensuite d’identifier les émotions qui
surgissent. Par exemple : Monsieur Truc m’a dit ça, et moi, j’ai ressenti ça.
Attention, nous restons bien sur le terrain de l’émotion et non du sentiment.
En d’autres termes, la pensée ne doit pas être intervenue dans le processus.
Notez alors les émotions éprouvées face aux stimuli. L’idéal serait d’obtenir
une dizaine d’exemples afin de souligner les émotions qui surgissent le plus
souvent. Une fois ce travail effectué, posez-vous la question suivante :
qu’évoquent ces émotions pour moi ? Qu’ont-elles déclenché en moi ? Ont-
elles bien été transitoires ? Ont-elles entrainé une pensée qui aurait à son
tour entrainé un sentiment ?
Vous pouvez lister les émotions qui vous viennent à l’esprit, mais ensuite,
il faudra les rattacher à l’une des six émotions primaires. Pour vous aider à
faire le rapprochement, voici un bref rappel de ces émotions :
Stimulus > émotion > pensée > sentiment > action, comportement ou
état d’âme.
Stimulus > pensée > sentiment > action, comportement ou état
d’âme.
Pensée > sentiment > action, comportement ou état d’âme.
Quel que soit le scénario envisagé, nous voyons que la pensée précède
toujours le sentiment. Par conséquent, si l’on veut agir sur le sentiment,
nous devons agir sur la pensée. Un exemple tout simple : « Tiens, tu as l’air
triste ! » « Oui, je pensais à ceci ou cela. » ou « Oui, je me disais ceci ou
cela. » Tout part de nous-mêmes, de nos réflexions et de nos interprétations
réelles ou supposées d’un évènement, d’une situation ou d’une personne.
Certains affirment qu’il suffit de supprimer la pensée pour supprimer le
sentiment. C’est très séduisant sur le papier, mais dans la vraie vie, est-ce
qu’ordonner à une pensée « Va-t’en ! » suffit à la faire déguerpir ? C’est un
peu comme si nous chassions une mouche en nous écriant « Va jouer
dehors » ! D’après vous, la mouche va-t-elle nous obéir et filer par la
fenêtre (en supposant qu’elle soit ouverte, d’ailleurs) ou va-t-elle revenir
nous taquiner ? Donc, non, pas la formule magique (sauf pour les pensées
épouvantail - voir page 240). En revanche, comme la pensée provient du
mental, nous allons solliciter le mental pour lui faire comprendre qu’il est
en train de se fourvoyer. Nous allons ainsi lui expliquer pourquoi la pensée
est erronée. Dès que le mental acceptera nos explications, étant très
intelligent, il rectifiera de lui-même le tir, et le sentiment sera ajusté en
conséquence. Car le sentiment a un gros avantage sur l’émotion : il est très
réceptif à la logique. Et qui bénéficiera de cette volte-face providentielle ?
Nous !
Il est indispensable de comprendre que le travail sur les sentiments est la
pierre angulaire du traitement des complexes. C’est par un questionnement
de nos pensées et l’application d’un prisme correcteur que nous allons
pouvoir nous ancrer dans le réel et reprendre le contrôle de notre bien-être.
À vous de jouer !
Pouvez-vous identifier, parmi les trois schémas ci-dessous, celui qui se
présente le plus fréquemment pour vous ?
Stimulus > émotion > pensée > sentiment > action, comportement ou
état d’âme.
Stimulus > pensée > sentiment > action, comportement ou état
d’âme.
Pensée > sentiment > action, comportement ou état d’âme.
Sur votre cahier, notez tous les exemples qui vous viennent à l’esprit.
Indiquez également la durée et l’intensité du sentiment, voire de l’émotion
si elle est à la base de la pensée. Voyez-vous une récurrence dans les
situations ? Quel est le stimulus, l’émotion ou la situation qui entraine vos
pensées et vos sentiments ? Imaginez maintenant que vous ayez eu une
pensée différente à la suite de stimulus, de l’émotion ou de la situation. Pas
nécessairement une pensée dite positive, qui induit un schéma artificiel et
ne résout pas grand-chose, mais une pensée plus rationnelle et objective.
D’après vous, en quoi un questionnement de la validité de vos pensées
pourrait-il avoir une incidence sur vos sentiments ? Notez tout ce qui vous
vient à l’esprit.
À présent, un petit jeu de devinettes. D’après vous, dans les situations
suivantes, est-ce l’émotion ou le sentiment qui entre en jeu ?
Réponses :
Adaptation lexicale
Nous allons clôturer ce chapitre par une modification de notre lexique. Ça
n’a peut-être l’air de rien, mais croyez-moi, c’est un pas de plus vers la
gestion bienveillante et efficace de nos émotions, de nos pensées et de nos
sentiments. Aussi, à partir de maintenant :
L’illusion de la pensée
Nous sommes tous des illusionnistes. En effet, chacun de nous, dans un
domaine ou un autre, s’écarte de la réalité et du réalisme pour favoriser
l’illusion. Consciemment ou non. Lorsque l’illusion permet d’atténuer les
souffrances, pourquoi pas ? Après tout, la vie est trop courte pour
s’embarrasser de négatif et de misère. Si l’illusion apporte un peu de
lumière et de douceur, il faudrait être sans cœur et sans beaucoup
d’humanité pour percer le joli ballon rose bonbon. En revanche, lorsque
l’illusion nous dessert, c’est une autre histoire, et c’est pour notre bien que
nous devons nous réveiller et découvrir les marécages qui se cachent
derrière le joli cyprès.
Or chacune de nos pensées accroit soit la vérité, soit l’illusion. Avec un
effet domino sur nos sentiments, nos comportements et nos actions. C’est
pour cela que nous devons recadrer nos pensées et leur appliquer un filtre
correcteur qui les éloignera de l’illusion et les rapprochera de la vérité. Et
c’est un véritable travail de fond parce que, mine de rien, aussi factices
soient-elles, nos pensées créent un puissant mirage et nous paraissent aussi
réelles et valides que possible.
Première chose à intégrer : nos pensées et les sentiments qui en découlent
ne sont pas systématiquement des données fiables. Nous le savons à
présent, nos sentiments reflètent simplement nos pensées. Nous supprimons
la pensée, le sentiment disparait avec. Donc, si ce que nous percevons d’une
situation, d’un évènement, d’une personne ou d’une particularité n’est pas
logique ni approprié, les sentiments qui naitront ensuite seront
obligatoirement déformés. Pourtant, ces sentiments déformés paraissent
réels, n’est-ce pas ? À l’instar du mal-être et de l’inconfort qu’ils
déclenchent et qui, eux, en revanche, sont tout à fait réels. Et c’est bien ça,
le problème. On fait du réel avec du faux. On pourrait même dire que nos
sentiments et notre mal-être sont victimes d’une escroquerie mentale.
En effet, le mental tord la réalité, l’arrange à sa sauce et la livre prête à
consommer et, surtout, prête à consumer tout sur son passage… Donc,
seconde chose à intégrer : nos sentiments ne prouvent jamais que nos
pensées sont exactes et dignes de confiance. Un ressenti déplaisant indique
tout simplement que nous pensons à quelque chose de déplaisant et que
nous croyons en la validité de ce quelque chose.
Donc, quand je ressens de la honte, de la colère ou du découragement vis-
à-vis d’une de mes particularités, c’est parce que je pense que cette
particularité mérite la honte, la colère ou le découragement et que moi, je
prends ce que je pense pour argent comptant. C’est l’illusion de la pensée.
En revanche, si je pense que cette particularité fait partie de moi et qu’à ce
titre, je l’accepte en l’état comme je m’accepte en l’état, je n’ai plus de
raison de ressentir autre chose que de l’acceptation. Si je pense que je suis
bien comme je suis, je ne peux pas ressentir de honte, de colère ou de
découragement.
Autre problématique : le conditionnement. En effet, la plupart du temps,
les pensées surgissent automatiquement, un peu comme les émotions. Un
stimulus et, sans réfléchir, une pensée automatique se met en place.
Comment est-ce possible, puisque la pensée transite par le mental ?
Comment peut-elle devenir une sorte de réflexe ? Tout simplement parce
que les stimuli déclencheurs sont répétitifs. Une personne complexée s’est
conditionnée plus ou moins consciemment à générer des pensées
automatiques dès qu’un projecteur se braque sur sa particularité. Le
projecteur peut être le regard de l’autre ou son propre regard. C’est donc en
revoyant notre mécanisme de pensée que nous retrouverons des sentiments
sains et réels.
Le mot et l’idée
Nous ne voyons pas les choses comme elles sont, nous les voyons comme nous
sommes.
LE TALMUD (L’UN DES TEXTES FONDAMENTAUX DU JUDAÏSME RABBINIQUE)
Le mentaliste
Quand on y songe, en fait, les pensées n’ont aucune prise sur nous, à
moins que nous ne les y autorisions. Elles ne sont qu’une succession de
mots. Elles n’ont aucune signification. Nous seuls leur en donnons une.
C’est vrai pour nos pensées, comme pour celles des autres à notre égard.
Une démonstration toute simple : admettons que je décide de vous adresser
une pensée (très positive et bienveillante, ou très négative et désobligeante)
et que je vous demande de me dire comment elle vous affecte. Vous seriez
bien incapable de me le dire et pour cause, elle ne vous affecterait en rien,
puisque vous ne savez pas celle que je vous ai envoyée. Ce qui est une
excellente nouvelle, n’est-ce pas ?
Les pensées de l’autre ne peuvent pas nous affecter. Seules nos propres
pensées peuvent nous affecter. Et elles peuvent nous affecter très fortement
et influer sur notre comportement et nos capacités. Ainsi, des paroles
positives et encourageantes rendent physiquement fort, tandis que des
paroles négatives et démotivantes nous affaiblissent. Preuve par l’exemple :
si je demande à une personne de se répéter dix fois « je suis forte et digne »
puis de tendre le bras sur le côté et que j’essaie de lui faire baisser le bras
avec ma main, je vais avoir du mal ; maintenant, si je lui demande de
baisser le bras, de fermer les yeux et de se répéter dix fois « je suis faible et
indigne » puis d’ouvrir les yeux et de retendre le bras, comme par magie, je
n’aurai plus aucune difficulté à lui abaisser le bras avec ma main. Les
conditions n’ont pas changé et les protagonistes non plus. Seule
l’information (donc la pensée) transmise et acceptée est différente.
Et comme vous le constatez, peu importe que l’information transmise soit
véridique ou fausse, nous lui faisons confiance aveuglément. Cela prouve
qu’il faut se méfier de nos pensées et des sentiments qu’elles engendrent,
car les unes comme les autres ne sont pas toujours justes. Si l’on rapporte
ces conclusions à notre propre comportement envers nos complexes, nos
particularités et le regard de l’autre, quel peut en être leur enseignement ? Si
je me répète dix fois, et on le sait tous, c’est bien plus que dix fois, « je suis
trop ceci ou trop cela », « je ne mérite pas ceci ou cela », « ils vont me
trouver ceci ou cela », « ils ont raison, je suis indigne, moche, nul,
minable… », que croyez-vous qu’il advienne ? Est-ce que physiquement,
psychologiquement et émotionnellement, je me vais me sentir fort ou alors
faible, confiant ou alors démuni, joyeux ou alors triste ? Bref, nous
finissons par croire toutes les âneries qui nous traversent l’esprit et nous
rendent malades à tout point de vue.
À vous de jouer !
Amusez-vous à reproduire l’exercice du bras tendu avec vos proches et
notez les résultats sur votre cahier. À présent, réfléchissez aux phrases ou
aux réflexions automatiques et erronées que vous vous répétez le plus
souvent. Quelles sont leurs occurrences et dans quel cadre ? Comment vous
sentez-vous après ? Imaginez que vous les remplaciez par des phrases ou
des réflexions plus réalistes et positives. Dans quelle mesure cette stratégie
pourrait-elle permettre, à votre avis, d’améliorer votre estime, votre
confiance et votre affirmation de soi ?
Le divan du psy
Les pensées automatiques que l’on développe par rapport à certains
stimuli, situations, individus ou environnement, et qui paraissent très
rationnelles, mais qui n’en ont que l’apparence, et qui nous incitent à des
décisions ou des attitudes déconnectées de la réalité s’appellent, en jargon
psychologique, des biais cognitifs. Le principe des biais cognitifs a été
introduit en 1972 par deux psychologues, Amos Tversky et
Daniel Kahneman. À l’origine, leurs recherches s’appliquaient à la sphère
économique, avant d’être élargies à la psychologie cognitive et sociale.
Certains parlent également de distorsions cognitives. Ici, nous utiliserons
également les termes de raisonnements toxiques ou distorsions, moins
intimidants et tout aussi parlants. Les chercheurs ont trouvé plusieurs
centaines de biais cognitifs, mais nous nous contenterons ici des plus
pertinents pour la gestion du complexe. Ce sont également des distorsions
cognitives de base, très utiles et facilement applicables à de nombreuses
situations.
À vous de jouer !
Sur votre cahier, vous allez noter toutes les pensées, automatiques ou non,
qui concernent vos complexes. Peu importe le stimulus, l’évènement, la
situation, l’émotion ou le regard de l’autre à l’origine de ces pensées.
Prenez votre temps, l’essentiel est d’en identifier le plus grand nombre, et
au moins une bonne dizaine. Rapprochez-les ensuite des dix raisonnements
automatiques/erronés détaillés ci-dessus. Par exemple, si je m’aperçois que
chaque fois qu’on me fait un compliment, à la place de remercier et
d’apprécier le moment, j’assure à l’autre qu’en réalité, je ne mérite pas son
compliment, je note « disqualification du positif » en face de la pensée
concernée.
Le mot et l’idée
La fleur de l’illusion produit le fruit de la réalité.
PAUL CLAUDEL, DRAMATURGE
Le syndrome de l’imposteur
Savez-vous ce qu’est un imposteur ? C’est un individu qui se fait passer
pour quelqu’un d’autre. Alors, bien sûr, nous serions dans un James Bond,
nous parlerions d’usurpation d’identité, avec de faux passeports et une
panoplie de gadgets, mais dans la vie réelle, celle du commun des mortels,
un imposteur est quelqu’un qui prétend avoir des connaissances, des
diplômes, des expériences inventés de toutes pièces. Seulement, parfois,
l’imposteur n’est pas du tout un imposteur, mais s’imagine l’être, à tort
évidemment, grâce aux pernicieuses pensées automatiques. C’est le
syndrome de l’imposteur.
Dès lors qu’on en est atteint, l’angoisse et l’irrationnel prennent leurs
quartiers d’été pour empoisonner notre existence. En effet, on pense être
indigne de la confiance que l’on nous accorde, manquer de compétences
pour le poste que l’on occupe, et qu’un jour ou l’autre, notre imposture va
finir par être démasquée et alors, là, droit au peloton d’exécution !
Or, à aucun moment, on ne tente de questionner ces impressions, qui ne
sont que des sentiments incorrects issus de pensées incorrectes. En réalité,
le syndrome de l’imposteur est avant tout lié à un manque d’estime, de
confiance et d’affirmation de soi. Ces déficits favorisent les raisonnements
erronés et un véritable mal-être. Il suffirait pourtant d’un peu de bon sens :
logiquement, combien de temps peut-on prétendre être un champion en
informatique alors qu’on s’imagine que Windows est simplement la
traduction anglaise du mot « fenêtres » ? Et puis, nos diplômes et nos
expériences, on ne les a pas inventés ou achetés sur Internet !
C’est pourquoi, quels que soient la situation, l’environnement, le stimulus
ou autre, il faut prendre le temps de remettre en question chaque pensée qui
amène un sentiment de mal-être et d’inadéquation. Et quoi de mieux que le
factuel et le réalisme ?
Attention, guet-apens !
Vous connaissez la petite voix qui nous sert de critique intérieur et nous
pollue avec des propos démotivants ? Elle se nourrit justement de
raisonnements aussi toxiques qu’erronés. Voici cinq de ses petites phrases
favorites et leur impact sur nous :
Donc, dorénavant, chaque fois que votre petite voix se lancera dans sa
diatribe éculée, dites-lui : « Bon, ça suffit maintenant, tout ça, je connais par
cœur, tu me l’as assez répété ! Moi, j’en ai ma claque, je t’ai assez
entendue ! Alors, ouste, du vent, va voir ailleurs si j’y suis ! » Et sans
regret.
Les passoires de Socrate
La légende prétend que le philosophe grec Socrate se serait fait alpaguer
par un individu qui voulait lui raconter les derniers commérages sur l’un de
ses amis. Socrate l’aurait alors invité à filtrer son propos à travers trois
passoires : celle de la vérité, de la bienveillance et de l’utilité. Finalement la
commère était repartie bredouille, parce qu’il n’y avait rien de véridique, ni
de bienveillant, ni d’utile dans ce qu’elle avait l’intention de raconter.
À notre tour, nous allons adapter la théorie des passoires de Socrate à nos
pensées et nos complexes. Ainsi, lorsqu’une pensée décourageante ou
attristante surgira, vous vous poserez les quatre questions suivantes :
Mais que dois-je faire pour me sentir mieux, une fois mes pensées
toxiques mises au rebut ? Déjà, si je me suis affranchi de mes pensées
toxiques, en principe, je dois aller mieux. Et puis, pour opérer un vrai
changement pérenne, je m’inspire de la méthode qui suit.
Phase théorique
Afin que les nouveaux automatismes remplacent les anciens, trois étapes
sont nécessaires :
Au début, il serait utile de tout mettre par écrit, pas seulement pour s’en
souvenir plus tard et vérifier le chemin parcouru, mais aussi, et surtout,
parce que la méthode peut sembler conceptuelle et abstraite de prime abord
(il n’en est rien, en réalité). Puis, au fur et à mesure, vous pourrez vous
passer de l’écrit, car vous maitriserez alors la technique, d’autant que vous
aurez repéré les pensées toxiques qui reviennent le plus souvent et saurez
les détecter immédiatement. Point important : appliquez la méthode dès
l’apparition de la pensée toxique et erronée. N’attendez pas de l’avoir
ruminée et de ressentir des sentiments désagréables. Rappelez-vous, il s’agit
avant tout de vous sentir bien. Et d’ailleurs, votre estime, votre confiance et
votre affirmation de soi vont grandement bénéficier de vos progrès.
Phase pratique
Nous allons travailler avec la formule des trois colonnes. Divisez en trois
une page de votre cahier en mode paysage, de manière à obtenir trois
colonnes suffisamment larges pour y inscrire vos notes. En titre de la
première colonne, indiquez « Pensées automatiques ». Pour la deuxième,
donc celle du milieu, indiquez « Distorsions ». Pour la troisième, indiquez
« Réponses rationnelles ».
Il suffit ensuite de remplir le tableau de gauche à droite. Prenons un
exemple :
À vous de jouer !
Reprenez les pensées que vous avez identifiées un peu plus haut et notées
sur votre cahier. Puis revoyez-les avec la formule des trois colonnes. Prenez
votre temps et amusez-vous en les décortiquant. Vous constaterez qu’il y a
en effet de quoi rire gentiment des excès de langage que nous employons.
Progressivement, le questionnement deviendra un automatisme et vous le
ferez sans y penser et sans avoir besoin de support écrit.
Confidences en aparté
Quand on a été obèse pendant de nombreuses années comme moi, le poids
reste un sujet très sensible. Avant de faire la paix avec mon corps et moi-
même, je surveillais sans cesse mon alimentation de façon draconienne, et
la moindre fluctuation de l’aiguille de la balance vers la droite entrainait
panique et privations. Je vais vous raconter deux évènements qui m’ont
blessé et qui se seraient bien prêtés à la formule des trois colonnes. Vous
constaterez que la réalité rattrape la fiction ou la théorie.
J’ai rendez-vous avec une éditrice pour finaliser un projet d’écriture. Tout
se passe très bien et elle me propose même un nouveau projet de traduction
que j’accepte avec plaisir. Je sors de notre entrevue tout joyeux et heureux,
et avant de quitter les locaux, je vais saluer un directeur éditorial que je
connaissais assez bien. Il me demande si tout va bien, je lui annonce mon
nouveau projet et il me dit : « Oui, ils te le refilent parce que c’est plus
pratique pour eux, ils t’ont sous la main, et puis c’est un petit livre, pas très
intéressant, ça finira au pilon, alors bon, la traduction, bonne ou mauvaise,
on s’en fiche un peu ! » Évidemment, douche froide pour moi, et sensation
d’être rabaissé. Sensation d’injustice aussi, parce que l’ouvrage était au
contraire très intéressant. Je rougis, donc émotions de surprise et tristesse.
Puis je dis que je suis aussi content parce que j’ai perdu trois kilos. Et là, il
me répond : « Ah oui ? Moi, je te trouve toujours aussi énorme ! »
Nouvelles émotions de surprise, tristesse et colère. Je réponds de la voix la
plus assurée que je peux : « Mais tu te rends compte de ce que tu me dis ?
Tu trouves ça gentil ? » Il a alors balbutié des regrets et je suis reparti.
Que croyez-vous qu’il arriva ? J’étais décomposé, surtout que les pensées
automatiques avaient pris le relais de mes émotions et instruit des
sentiments que je connaissais trop bien (honte, découragement, tristesse,
solitude…) Avec du recul, pour le premier échange, j’aurais pu dire par
exemple : « Ah, tu le vois comme ça ? L’ouvrage me parait au contraire très
intéressant et je suis très heureux que l’on m’ait proposé le projet. Et si on
me l’a proposé, c’est parce que je collabore régulièrement avec cette
éditrice et cette maison d’édition, et que mes travaux donnent satisfaction.
D’ailleurs, un packager (entreprise qui met en page et imprime les livres)
m’a récemment envoyé un mail de compliments (véridique). Quant à partir
au pilon (lorsque les livres ne se vendent pas, ils sont “pilonnés” ou
revendus à des solderies), je pense que le sujet est tellement bien traité qu’il
rencontrera sans doute beaucoup de succès. » Et pour le second évènement,
qui m’avait beaucoup peiné, j’aurais pu me dire : « Allons, tu vois bien
qu’il est mal dans sa peau et obnubilé par les apparences (effectivement,
l’image avait une importance démesurée pour lui et je ne l’ai jamais connu
très authentique). L’important, c’est que toi, tu sois satisfait des kilos
perdus. Il peut penser ou dire ce qu’il veut, ça ne doit avoir aucun impact
sur toi. Et si tu laisses ses pensées ou ses paroles te chagriner, tu te places
dans un schéma perdant-perdant. Et tu mérites mieux que ça ! »
Pour la petite histoire, j’avais dû paraitre si choqué que le directeur
éditorial m’avait appelé et envoyé un SMS pour me présenter ses excuses.
J’en ai quand même tiré une leçon, je n’ai plus jamais mentionné mon
poids, et quand je passais voir une éditrice, je ne passais plus le saluer (non
pas parce que j’étais fâché, je ne l’étais pas, mais parce que j’ignorais l’état
d’esprit dans lequel il se trouverait et que je ne souhaitais pas de nouvel
échange sans intérêt).
Par exemple, si l’autre fait un commentaire neutre, sans lien direct avec
mes particularités, moi, je n’entends pas la neutralité du commentaire et je
le prends comme une attaque sur une de mes particularités. D’où
nécessairement une réponse mal adaptée de ma part et l’apparition de
malentendus susceptibles d’affecter la relation tout entière. Autre point non
négligeable auquel on ne songe pas immédiatement : en interprétant les
pensées et propos de l’autre, on lui impose notre modèle de pensée et on le
prive de sa liberté de choix et de pensée. Par exemple, si moi, je me trouve
trop ceci ou trop cela, je considère que l’autre aussi doit me trouver trop
ceci ou trop cela, et je ne lui laisse pas le choix. Or, ne serait-il pas
envisageable que l’autre aime justement ce trop ceci ou trop cela, ou ne l’ait
même pas remarqué, puisqu’attiré par d’autres composantes, plus
importantes, de ma personnalité ? C’est un peu comme si je disais : « Moi,
je n’aime pas la rhubarbe, donc l’autre n’aime pas la rhubarbe ». Pourquoi
l’autre n’aimerait-il pas la rhubarbe ? Encore une interprétation
fallacieuse…
Pour rappel : je suis responsable de ce que je dis, mais pas responsable de
ce que l’autre entend. Cette information est d’autant plus importante pour
les personnes complexées que leurs particularités occupent la majeure partie
de leur attention et qu’elles sont très sensibles à la moindre évocation de ces
particularités. Et pour notre plus grand intérêt, il est essentiel de ne pas
interpréter le regard de l’autre, surtout que notre interprétation a de grandes
chances d’être totalement fausse. N’oubliez jamais que ce que je pense de
moi-même et de mes particularités n’est pas ce que l’autre pense de moi et
de mes particularités. Et justement, ces particularités qui semblent me poser
autant de problèmes ne posent sûrement aucun problème à l’autre. Et ça,
c’est encore une très bonne nouvelle !
La pensée épouvantail
Même en étant fair-play, patient et indulgent, il existe des pensées, parfois
émises verbalement, qui ne méritent pas une seconde de notre attention. Ce
sont les pensées épouvantails. Ces pensées, nous les connaissons par cœur :
je passe devant un miroir et je m’écrie : « Oh la la, qu’est-ce que je suis
moche/gros/petit/boudiné/maigre/chauve/mal habillé ! » Ou je fais une
erreur et je m’écrie : « Oh la la, qu’est-ce que je suis bête/idiot/bon à
rien/coupable/nul ! » Et pour qu’elles s’inscrivent bien profondément en
nous pour faire le maximum de dégâts, nous les répétons plusieurs fois.
Alors, ces pensées, maintenant, c’est terminé ! On tire un trait dessus !
Dès que le premier mot vous vient à l’esprit ou aux lèvres, un drapeau
rouge doit apparaitre et vous devez dire « Stop ! » Exprimez-le à haute voix
au besoin les premiers temps, mais le stop doit être suffisamment ferme
pour couper court à toute émission de la pensée. Ce mécanisme doit devenir
automatique. Donc, dorénavant, si je passe devant un miroir, même affublé
d’une robe de mariée fuchsia et d’une perruque verte, pas de commentaire
désobligeant ! Si je me trompe quelque part, pas de commentaire
désobligeant ! Dans la cabine d’essayage, si la chemise est trop serrée ou
trop large, pas de commentaire désobligeant ! L’autoflagellation stérile,
c’était avant. Maintenant, c’est persona non grata !
À vous de jouer !
Notez et encadrez la phrase suivante sur votre cahier : « Je fais une chasse
impitoyable aux pensées épouvantails ! » Listez ensuite les pensées que
vous vous répétez le plus souvent. Puis surveillez attentivement vos paroles.
Dès qu’une pensée épouvantail vous tente, dites « non » et passez à autre
chose. Pour renforcer l’effet thérapeutique, vous pouvez porter un élastique
au poignet. Chaque fois que vous prononcerez ou penserez une pensée
épouvantail, tirez sur l’élastique. Vous intègrerez très rapidement le concept
et n’aurez plus besoin de cet accessoire.
12
Renouer avec soi-même
Avant de renouer avec l’autre, il faut d’abord renouer avec soi-même. En
effet, comment nouer des relations stables et épanouissantes avec l’autre si
l’on n’en a pas déjà noué avec soi-même ? Et pour renouer avec soi-même,
il faut commencer par s’accepter tel que l’on est.
Le mot et l’idée
Quel jour agréable que celui où nous renonçons à être jeunes ou sveltes !
WILLIAM JAMES, PSYCHOLOGUE
Réapprendre à s’aimer
L’acceptation de soi va de pair avec l’amour de soi. Parce que pour
s’accepter, il faut s’aimer un minimum. Or, nous l’avons vu, une personne
complexée ne s’aime pas. Au début, elle n’aime pas ses particularités, puis
elle finit par ne pas aimer tout son être. C’est la partie pour le tout. L’amour
et l’acceptation de notre personnalité nous procurent un sentiment de
sécurité, de sérénité et de confiance, et sont les prérequis à toute volonté de
changement.
Comment s’accepter ? En travaillant sur notre estime, notre confiance et
notre affirmation de soi, nos besoins, nos valeurs, nos attentes, nos pensées,
nos sentiments et, bien entendu, notre perception du regard de l’autre. Pour
réapprendre à m’aimer, j’accepte de tomber amoureux de moi, un peu
comme je tomberais amoureux d’une autre personne. Je m’accepte tel que
je suis, de la même manière que j’accepte la personne pour qui mon cœur
bat plus vite. Et bien sûr, j’agis en conséquence : je me pardonne mes
erreurs, je me complimente de mes réussites, je suis gentil, bienveillant et
indulgent envers moi. Je me murmure de douces paroles. Je prends du
temps pour moi, je me console si j’ai du chagrin. Et je me souris souvent et
je me dis plusieurs fois par jour que je m’aime et je m’approuve.
Alors oui, à froid, la démarche peut paraitre insolite et inconfortable, mais
la nouveauté bouscule toujours un peu. D’ailleurs, il n’est pas nécessaire
d’y souscrire totalement pour la mettre en pratique. L’important est de se
lancer et d’entreprendre un changement dans notre manière de nous voir.
Peu à peu, nous apprendrons à nous aimer et nous accepter chaque jour
davantage. Et qu’une chose soit claire : il ne s’agit en rien d’égocentrisme
ni d’égoïsme, et encore moins de narcissisme, qui sont des notions gérées
par l’ego. Il s’agit ici de reprendre la main sur ce qui nous échappe depuis
trop longtemps, à commencer par notre estime, notre confiance et notre
affirmation de soi. Il s’agit de se donner le droit d’être soi-même et de
s’accepter et s’aimer en l’état. Ici, aucune névrose cachée, aucune action
destinée à séduire ou manipuler l’autre, aucun caprice puéril, aucune
volonté de se comparer à l’autre ni d’entrer en compétition avec lui.
Simplement découvrir que nous sommes parfaits tels que nous sommes,
avec nos particularités, quelles qu’elles soient, et réapprendre à accueillir
ces particularités avec bienveillance.
Le divan du psy
Certains praticiens fustigent ce qu’ils appellent « l’egopsychologie »,
c’est-à-dire la psychologie recentrée sur soi-même, en expliquant que nous
vivons en société et qu’il faut donc prendre en compte l’autre dans
l’équation. Alors, bien sûr, il faut séparer le bon grain de l’ivraie et se
méfier des dérives et des raccourcis réducteurs, mais il faut aussi
reconnaitre que les seules choses que nous pouvons maitriser sont la façon
dont on se perçoit soi-même et les actes qui découlent de ces sentiments.
Nous vivons avec l’autre et, justement, comme nous ne pouvons pas le
changer, il faut se recentrer sur soi-même pour souffrir le moins possible.
Le complexe n’apparait jamais en tête à tête avec soi-même, le regard de
l’autre a dû passer par là auparavant. Et ce n’est pas respecter, accepter et
aimer l’autre que de ne pas se respecter, s’accepter et s’aimer soi-même. En
travaillant sur soi, on s’affranchit des névroses et du mal-être qui perturbent
nos relations avec l’autre. Et nous pouvons alors affirmer que tout le monde
est gagnant dans l’équation.
À vous de jouer !
Réfléchissez aux actions que vous pouvez mettre en place pour vous
accepter et vous aimer davantage au jour le jour. Inutile de chercher à en
faire trop dès le début, de petites actions suffisent. Et pour officialiser la
démarche, établissez un contrat avec vous-même. Sur votre cahier, notez
par exemple : « Je m’engage à me dire “je t’aime” deux fois par jour
minimum, à me complimenter une fois par jour, à me sourire dans le miroir
trois fois par jour et à me répéter trois fois par jour “je m’accepte tel que je
suis” ». Datez et signez cet engagement. Puis réservez quelques pages pour
suivre vos progrès (et le respect du contrat) grâce à un tableau que vous
aurez tracé avec une ligne pour chaque engagement et une date pour chaque
colonne. Pour notre exemple, nous aurons donc « dire “je t’aime” » sur la
première ligne, « me complimenter » sur la deuxième, « me sourire », sur la
troisième et « me répéter “je m’accepte” » sur la quatrième. Chaque
colonne représentera une date et il suffira de mettre une croix dans la case
de chaque engagement si je l’ai bien respecté. Si je ne l’ai pas respecté, je
mets un point d’interrogation et je fais mieux le jour suivant. Au fur et à
mesure de votre avancement, vous pourrez ajouter les engagements qui
vous paraissent utiles au quotidien.
À vous de jouer !
Vous serez certainement d’accord avec moi, le changement passe par une
certaine logique et une certaine cohérence. On ne peut pas, d’un côté,
œuvrer à l’acceptation et l’amour de soi, et, d’un autre côté, se maltraiter.
Ce ne serait pas seulement contre-productif, ce serait schizophrène ! Un peu
comme un agent d’espionnage double ou triple ! Donc, à partir de
maintenant, il est interdit de se maltraiter. Que ce soit par des actions, des
pensées ou des paroles. Avec tout ce que l’on a vu dans les chapitres
précédents, ce devrait d’ailleurs être un jeu d’enfants ! Donc, sur votre
cahier, vous allez identifier les comportements qui pourraient s’apparenter à
de la maltraitance. Pour rappel, la maltraitance est le fait de brutaliser, de
faire subir des sévices ; c’est aussi faire un mauvais usage de quelque
chose ; et c’est critiquer et/ou malmener en paroles une personne. Vous
voyez certainement où je veux en venir…
Par conséquent, vous allez enfin laisser en paix toutes vos particularités,
quelles qu’elles soient, et quels que soient les reproches que vous êtes tenté
de leur faire. Vous allez faire comme si vos particularités étaient
d’adorables petits bébés que vous aimez énormément et qui, après avoir
trop joué dans le bac à griefs, ont besoin de repos. À la moindre
maltraitance, même murmurée, vous risquez de les réveiller et c’est ce que
vous devez éviter à tout prix. Aussi, dès qu’une pensée, une action ou une
parole maltraitante envers vous-même ou votre bébé/particularité pointera
le bout du nez, vous lui imposerez de se taire.
À toutes fins utiles, ajoutons une précieuse information : l’autosabotage
fait partie de la maltraitance. L’autosabotage, ce n’est certes pas le bébé
d’une personne complexée, c’est son ami intime. L’autosabotage, c’est
imaginer que nous ne sommes pas dignes de mériter le meilleur ou de
mériter ce qui nous fait du bien ou plaisir, et de faire en sorte d’y mettre un
terme en redevenant malheureux le plus vite possible. L’autosabotage, on
sait tous comment il fonctionne. L’autre nous dit quelque chose de gentil,
on le croit un moment, on vit quelque chose de délicieux, et boum, on se dit
que ce qui nous arrive est trop beau pour être vrai (et surtout pour les
pauvres complexés que nous sommes), et l’on œuvre, consciemment ou
non, à tout faire capoter. Autre cas de figure : l’autre s’intéresse à nous,
mais nous allons lui opposer systématiquement des arguments pour lui faire
comprendre qu’il se trompe à notre sujet. Non, nous ne sommes ni gentils,
ni intelligents, ni mignons, ni drôles, ni sympathiques, ni bienveillants, ni
rien d’ailleurs de positif. Et c’est ainsi que nous passons à côté d’une foule
de choses et de gens merveilleux, qui nous veulent du bien et avec lesquels
nous serions heureux. Et c’est ainsi que nous passons à côté de notre vie.
Donc, ça, nous sommes bien d’accord, c’est terminé ! À bon entendeur,
merci !
Le mot et l’idée
S’aimer soi-même est le début d’une histoire d’amour qui durera toute une vie.
OSCAR WILDE, ÉCRIVAIN
À vous de jouer !
Notez la phrase suivante sur votre cahier et encadrez-la : « Jamais de
justification ni d’explication quand l’autre fait un commentaire désobligeant
sur mes particularités. » (Et, bien évidemment, jamais de raisonnements
toxiques et de pensées irrationnelles, mais ça, vous le savez déjà et vous le
mettez déjà en action !)
Dorénavant, surveillez attentivement vos réponses face à une attaque.
Visualisez l’autre sur un ring et rappelez-vous qu’à chaque argument que
vous lancez, vous faites un pas de plus vers le ring et les jeux de
manipulation psychologique malsains. Réfléchissez à des situations que
vous avez connues et aux tactiques que vous aviez adoptées. D’après vous,
que se serait-il passé si vous n’aviez pas cherché à vous justifier ou à vous
expliquer ? Si jamais une situation analogue se reproduisait, vous saurez
donc comment la gérer. (Pensez à tout consigner sur votre cahier, ce sera
utile pour suivre vos progrès.)
Le divan du psy
Savez-vous que le « ah » est l’interjection favorite des thérapeutes ?
Pourquoi ? Parce qu’elle n’implique pas. En disant « ah », je n’approuve
pas ce que j’entends et je ne désapprouve pas ce que j’entends, j’acte
simplement ce que j’entends, sans aucun engagement de ma part. Je suis
alors dans la neutralité absolue. Pratique, non ? Alors, la prochaine fois que
vous monterez sur la balance et que vous aurez pris quelques kilos, vous
connaissez la seule chose que vous pouvez vous permettre de vous
adresser… Ah ?!
À vous de jouer !
Identifiez des situations qui vous embarrassent avec l’autre quand il cible
vos particularités. Puis, en vous inspirant du schéma
observation/sentiment/besoin/demande de la CNV, formulez ce que vous
souhaiteriez communiquer à l’autre. Une fois le schéma personnalisé avec
vos expériences, vérifiez qu’il suit bien le descriptif : « Quand je
vois/j’entends… alors je me sens… parce que j’ai besoin de… et j’aimerais
savoir/que tu me dises/que tu fasses… » Il ne vous reste alors plus qu’à
mettre en pratique vos modules CNV et exprimer à haute voix ce que vous
avez exprimé par écrit. Un petit conseil : effectuez votre demande en tête à
tête, pas devant un public, même des connaissances proches. Vous n’avez
pas besoin de témoins et, surtout, même en langage CNV, chacun réagit à sa
manière et l’autre pourrait se sentir heurté. Mettons donc toutes les chances
de notre côté !
À vous de jouer !
Réfléchissez à des échanges qui ont pu vous blesser et transposez-les ici et
maintenant. Puis imaginez ce que vous auriez pu répondre avec le jeu des
trois passoires de Socrate. Puis, si une situation analogue se reproduit,
gérez-la avec l’aide de Socrate et consignez le dialogue dans votre cahier en
indiquant également vos ressentis. Si cette méthode vous convient mieux
que la CNV, n’hésitez pas à l’employer. Elle est sans doute plus directe,
mais fonctionne très bien, et cerise sur le gâteau, elle renforce la confiance
et l’affirmation de soi.
Confidences en aparté
Mon parcours d’acceptation aura pris du temps, mais comme vous le
savez à présent, c’est le processus qui importe. Après mon régime et avoir
perdu plusieurs dizaines de kilos, l’apparence et le regard de l’autre
comptaient tellement pour moi que j’ai mis ma santé en danger. Comme je
ne me trouvais jamais assez mince, j’étais en permanence au régime et je ne
connaissais que les privations. Je m’affamais littéralement. Jusqu’à ce que
je craque de nouveau et reprenne quelques kilos (jamais jusqu’à l’obésité).
Alors, le régime reprenait de plus belle. Et bien entendu, tout au long du
yoyo, vous pouvez deviner les injonctions et les reproches que je
m’adressais à moi-même. À cela s’ajoutait mon apparence physique.
Les prises et pertes de poids avaient étiré mon épiderme et laissé, comme
je l’ai déjà mentionné, de grosses vergetures, semblables à des crevasses
peu esthétiques. Pour retendre ma peau qui était très relâchée, j’avais
entrepris de pratiquer la musculation en salle. Mais j’avais beau m’épuiser,
mon corps restait mon corps et ne ressemblait pas à ce que je voulais. Loin
de là, d’ailleurs. Les séances de tortures d’abdominaux ou pectoraux ? Du
vent ! Aucun effet visible sur moi. Je m’épuisais aussi aux activités de
cardiotraining, tapis de course, escaliers, etc. Je me forçais, bien entendu,
parce que ça ne me plaisait pas. Et je forçais jusqu’à mes limites. D’ailleurs,
une séance manquée déclenchait en moi une vague de panique, car
j’imaginais les kilos revenir en force. Jusqu’à ce qu’en dépit des alertes de
mon organisme, je dépasse la mesure et que je doive me faire opérer d’un
genou. Vous imaginez mon désarroi. Pas seulement en raison de
l’intervention chirurgicale qui me terrorisait, mais aussi en raison de la
longue convalescence qui a suivi, avec interdiction d’efforts musculaires
intenses. J’ai alors repris du poids. Puis j’en ai reperdu. Et j’en ai repris.
Puis je me suis lancé dans un travail d’acceptation et j’ai réappris à
m’aimer et à m’écouter. Je me suis rendu compte que mes vergetures
n’étaient rien d’autres que les hiéroglyphes narrant mon histoire, mon mal-
être et mes complexes. Je les ai acceptées pour ce qu’elles sont : une partie
de moi-même. J’ai accepté aussi le fait que ma peau soit relâchée et j’ai
réappris à me regarder dans le miroir, sans baisser les yeux ni me couvrir
immédiatement pour ne pas apercevoir mon corps bien en chair. En
m’acceptant tel que je suis, j’ai pu faire la paix avec moi-même et, surtout,
j’ai pu concentrer mon attention et réserver mon énergie à des choses qui en
valaient la peine. Je ne me tue plus la santé dans une salle de sport tapissée
de miroirs, je fais du vélo en plein air depuis plusieurs années, ce qui me
procure un plaisir immense. Je ne m’affame plus, je mange ce qui me fait
envie en essayant d’être raisonnable, ce que je ne suis pas toujours et ce que
j’assume totalement. Avec du recul, je me dis : que de temps perdu et de
larmes inutiles versées ! Puis je me raisonne, parce qu’en réalité, peu
importe, ce qui compte vraiment, c’est d’être bien avec moi-même
aujourd’hui. Avec mon embonpoint, mes vergetures… et mon sourire.
Le mot et l’idée
On a besoin de patience avec tout le monde, mais particulièrement avec soi-même.
SAINT FRANÇOIS DE SALES, PRÉLAT, SAINT PATRON DES JOURNALISTES ET DES ÉCRIVAINS
Tiens-toi droit !
Nous avons principalement axé notre travail sur la pensée, la parole et les
émotions, parce qu’elles sont à la base de nos complexes, mais accordons
quelques instants à tout ce qui est non verbal, vous savez, les signes que
notre corps émet, qui peuvent paraitre anodins, alors qu’au contraire, ils
sont très importants, car des outils de communication capables de nous
« trahir » si l’on n’y prend pas garde. La communication dite non verbale,
puisqu’indépendante de nos paroles, correspond à l’expression du visage,
aux contacts visuels, à la gestuelle et aux postures du corps. Ainsi, le corps
peut émettre et transmettre un message très efficacement, sans que l’on ait
besoin de parler, mais parfois, son message n’est pas du tout en accord avec
notre discours. À notre insu, le corps s’exprime et envoie de nombreuses
informations à l’autre. Un exemple que chacun connait : une personne qui
affirme qu’elle a entière confiance en vous et qui se tient les bras croisés sur
la poitrine n’a sans doute pas autant confiance en vous qu’elle le prétend,
puisque sa posture est défensive.
À présent, rapportons la communication non verbale aux complexes.
D’après vous, qu’est-ce que le corps d’une personne complexée envoie
subrepticement à l’autre et comment s’y prend-il ? Sans s’en rendre compte,
notamment parce que c’est devenu une habitude, la personne complexée se
tient par exemple souvent voûtée, la tête un peu baissée, le regard parfois
fuyant, le geste et le sourire nerveux, ou alors son corps sera en grande
tension, comme prêt à s’enfuir à toute vitesse (conséquence de l’alerte
émise par l’émotion). Et même si la personne affirme verbalement qu’elle
va bien et qu’elle se sent à l’aise avec ses particularités, son corps, lui, dit
tout le contraire. En fait, c’est comme si elle voulait disparaitre, s’excuser
d’exister ou d’être comme elle est. Le message n’est pas seulement envoyé
à l’autre, il est aussi envoyé à soi-même.
Heureusement, à mesure que nous allons mieux et que nous faisons la
paix avec nous-mêmes, la communication non verbale s’adapte peu à peu.
Mais comme il est des automatismes qui refusent de céder du terrain, à nous
de les y aider. Très simplement. Il suffit de vérifier quelques points chaque
fois que nous rencontrons l’autre. Cette vérification, un peu comme on
vérifie les freins et la hauteur d’une selle de vélo, deviendra à son tour un
automatisme qui prendra le relais des anciens mécanismes. Donc
dorénavant :
À vous de jouer !
Sur votre cahier, notez les quatre vérifications de l’expression non
verbale : posture, regard, port de tête et gestuelle. Puis, chaque fois que
vous vous trouverez face à un interlocuteur, vérifiez automatiquement et
systématiquement ces quatre points et, bien entendu, corrigez-les au besoin.
Vous serez étonné de l’impact de ces modifications corporelles. Au fur et à
mesure, vous le ferez d’ailleurs sans y penser. Au besoin, observez-vous
régulièrement, par exemple dans le reflet d’une vitrine, d’un miroir ou
d’une voiture. Au début, il peut être utile de lister par écrit les corrections
que vous apportez à votre communication non verbale et de tenir une sorte
de journal. Par exemple : « Mardi, j’ai rencontré Machin ou Bidule au café,
et je me suis redressé et j’ai décroisé les bras. »
L’arc de Gallien
Dans la Rome antique, pour célébrer et honorer le retour des vainqueurs
de quelque conquête, on érigeait des arcs de triomphe sous lesquels
passaient les vaillants guerriers, acclamés par une foule en liesse. Comme
l’arc de Gallien, élevé en l’honneur de l’empereur du même nom en 260
apr. J.-C. Eh bien, à notre tour de nous élever un arc de triomphe pour fêter
nos progrès et nos réussites. Hélas, nous risquons d’avoir quelques
difficultés à convaincre notre mairie locale de nous délivrer un permis de
construire. Aussi, faisons chic et cheap, chaque soir, nous allons nous
envoyer un SMS ou un mail pour nous féliciter de trois accomplissements
liés à nos complexes. Il est également possible de s’écrire un petit billet
papier et de le ranger ensuite dans une grande enveloppe ou une petite boite
(dans ce cas, il faut bien dater le billet). Par exemple, je pourrais m’envoyer
le message suivant : « Cher Olivier, bravo pour avoir gardé le sourire
malgré la réflexion désobligeante de Martine. Bravo pour avoir résisté au
découragement après la pesée chez le médecin. Bravo pour avoir identifié le
mécanisme toxique et erroné qui revient chaque fois que tu vois Patrick. Tu
peux être fier de toi ! À demain pour de nouvelles aventures ! »
L’objectif est clair et très simple : renforcer notre estime, notre confiance
et notre affirmation de soi, souligner nos progrès et accomplissements, et
encourager nos efforts.
Le mot et l’idée
Ce qui importe, c’est de connaitre son propre talon d’Achille, vivre avec et surtout ne pas
le combattre.
MARLENE DIETRICH, ARTISTE
Le jeu du miroir
De nombreuses personnes complexées ont une sorte d’aversion pour le
miroir, qui reflète ce qu’elles souhaitent dissimuler ou changer.
Contrairement aux narcissiques, qui pourraient se perdre dedans, les
complexés redoutent le passage devant le miroir et privilégient la stratégie
de l’évitement, qui leur parait plus simple pour échapper à leur propre
regard. Mais lorsque l’on évite quelque chose, ce quelque chose prend une
signification de plus en plus importante, démesurée… et illusoire. Savez-
vous que certaines personnes ont même banni tout miroir de leur domicile ?
Pour diverses raisons, mais toujours avec les mêmes objectifs : refuser
consciemment son reflet dans la glace (et ailleurs) et entretenir
inconsciemment les complexes (et le mal-être). Dans notre intérêt, nous
allons donc tourner la page et entamer une nouvelle histoire d’amitié avec
le miroir et d’amour avec notre reflet.
Si quelqu’un a une phobie des manèges de foire, bien évidemment, on ne
va pas l’inciter à débuter par un tour de Grand Huit ! On va plutôt l’inviter
au toboggan et au tourniquet pour débuter son initiation. Pour le jeu des
miroirs, c’est la même chose. Deux aspects sont à considérer : l’exposition
et la durée de cette exposition.
Par la force des choses, nous avons tous au moins un miroir dans la salle
de bain, au-dessus du lavabo. Ce miroir, nous pouvons le détester et, une
fois devant, nous accabler de réflexions et de pensées épouvantails (voir
chapitre 11). Alors, à partir de maintenant, vous allez tuer dans l’œuf toute
pensée ou parole épouvantail, de manière à adopter une approche neutre. Ce
que le miroir vous reflète n’est ni bien ni mal, il est, du verbe être. Pas de
jugement, pas d’interprétation.
Pour le moment, l’initiation commence avec un miroir de poche, vous
savez, ces petits miroirs ronds ou carrés qui permettent de se maquiller ou
de placer correctement ses lentilles de contact. Choisissez le modèle qui
vous plait. Puis, chaque jour, de préférence le soir, promenez ce miroir sur
votre visage et votre corps. Complimentez-vous sur ce que vous voyez : le
grain de la peau, des lèvres bien dessinées, de jolis ongles… N’évitez pas
les particularités qui vous gênent, mais ne vous y attardez pas non plus.
Tout doit avoir été passé devant le miroir, corps et visage. Bien entendu,
aucune réflexion désobligeante. Vous bloquez le mental. Effectuez ceci
pendant une dizaine de jours.
Il est alors temps d’acquérir un miroir de rasage. C’est un miroir
rectangulaire ou rond d’une bonne vingtaine de centimètres. Vous allez
répéter l’opération du miroir de poche avec ce miroir de rasage. Cette fois,
vous allez explorer votre enveloppe physique en caressant délicatement,
sans insister, chaque centimètre de votre épiderme (corps et visage) passé
devant le miroir. Lâchez prise, résistez à toute pensée polluante et tout autre
mécanisme automatique, et vivez en pleine conscience le moment présent.
Vous devez être dans l’ici et le maintenant et apprécier l’expérience
sensitive, c’est-à-dire relative aux cinq sens. Il s’agit de redécouvrir le
toucher et de refaire connaissance avec son corps et son visage. Répétez
l’opération chaque soir pendant une dizaine de jours.
Au terme de ces vingt jours, devant le miroir de la salle de bain, vous
allez apprendre à vous sourire. Chaque fois que vous serez devant ce miroir
ou un autre miroir, quel qu’il soit (ascenseur, boutique, toilettes
publiques…), vous offrirez un sourire à votre reflet. Par ailleurs, vous ferez
en sorte de passer aussi souvent que possible devant des vitrines de
boutiques et/ou des portes vitrées d’immeubles ou de maisons, et/ou vitres
de voitures. Qu’importe le support, tant que le matériau permet de réfléchir
la silhouette ou le visage. Attention quand-même où vous mettez les pieds.
Toujours aucune pensée polluante ni aucun jugement de valeur. Cette phase
dure une semaine dans le programme, mais elle sera à poursuivre tout le
temps.
Si vous n’en possédez pas un chez vous, faites l’acquisition d’un miroir
sur pied (il en existe de très abordables dans les magasins de bricolage,
moins d’une vingtaine d’euros). Peu importe ses dimensions exactes, mais
vous devez pouvoir vous voir dedans des pieds à la tête à une distance
raisonnable. Installez le miroir, même temporairement, simplement posé
contre un pan de mur, dans un endroit où vous passez régulièrement.
Chaque fois que vous passez devant, attardez-vous pendant au minimum
cinq secondes et souriez à votre reflet. Tout en poursuivant la manœuvre
pendant une semaine, répétez la phase du miroir de rasage.
Puis installez le miroir sur pied dans un endroit intime, par exemple votre
chambre à coucher ou une pièce dont la porte ferme à clé. Vous vous
posterez alors devant ce miroir et vous vous déshabillerez puis vous
rhabillerez. À aucun moment, vous ne fuirez votre reflet. Si vous ne vous
regardez pas pendant quelques secondes, c’est pour ne pas perdre
l’équilibre, mais c’est tout. Et n’oubliez pas de vous sourire. Cet exercice
est à effectuer pendant une semaine.
La dernière étape consiste à se déshabiller devant le miroir et s’y attarder.
En souriant avec bienveillance, observez-vous. Tournez sur vous-même,
admirez-vous, contemplez vos particularités. Réfrénez toute pensée
négative ou désobligeante. L’expérience reste axée sur le ressenti, pas le
mental. Comptez cinq minutes devant le miroir, chronomètre ou réveil à
portée de main. Tout en vous regardant dans le miroir, dites-vous : « Je me
plais tel que je suis. Je suis parfait tel que je suis. » Répétez cette étape
pendant une quinzaine de jours.
Au terme de ce programme, vous aurez fait à nouveau connaissance avec
vous-même et votre enveloppe corporelle. Comme tout processus
d’adaptation et de réappropriation, vous pouvez vous sentir un peu remué.
C’est tout à fait normal et la preuve que quelque chose d’important est en
train de se passer. Si les larmes vous viennent, ne les intellectualisez surtout
pas et laissez-les couler. Soyez toujours dans la bienveillance et la douceur
envers vous-même et votre corps. Et aussi dans l’humour. Un indice
imparable de succès serait par exemple de se regarder dans le miroir et de
s’écrier : « Hum, mais qu’est-ce que je suis appétissant, moi, alors ! » ou
« Ah, je ris de me voir si belle ! » puis d’éclater d’un rire joyeux et
complice.
Ce programme cible tous les complexes physiques visibles en inertie.
Pour d’autres complexes, comme une particularité d’élocution, on peut
adapter le programme en utilisant un enregistreur. On enregistre sa voix,
puis on l’écoute peu à peu. D’abord avec de simples mots puisés au hasard
dans le dictionnaire, puis un texte littéraire ou un extrait de journal. Puis on
parle librement de ce que l’on ressent et on conclut toujours par une phrase
comme : « Ma voix et mon élocution sont parfaites comme elles sont. Je me
plais beaucoup tel que je suis. »
Le jeu du miroir est aussi particulièrement efficace et nécessaire pour
apprivoiser le complexe de l’âge. Parce que plus que n’importe quel autre
complexe physique, le complexe de l’âge est intimement lié à l’apparence, à
la superficialité et au refus de l’acceptation de la réalité (et aussi à la peur
exacerbée de la mort, mais ça, c’est un autre sujet). Lorsque je travaillais en
entreprise, une de mes collègues était très complexée par son âge et avait
décrété, par exemple, ne plus accepter de se faire photographier sans ses
lunettes de soleil, afin de masquer ses ridules autour des yeux qui, selon
elle, « trahissaient » sa date anniversaire. Un matin, elle était arrivée avec
des espèces de brûlures sur tout le visage et avait annoncé à la ronde, avant
que personne n’émette la moindre question : « Ce n’est pas de la chirurgie
esthétique, c’est un problème de couperose. » Personne n’a fait de
commentaire. Il est essentiel pour une personne complexée par son âge de
réapprendre à se regarder avec bienveillance dans un miroir. Mais les TCC
peuvent ne pas suffire, car il faut aussi identifier la cause de ce refus de
vieillir. Ici, le complexe se complexifie et touche au trouble phobique. Une
phobie est une peur excessive et irrationnelle qui dépend d’un ressenti,
d’une croyance, d’un objet ou d’une situation précise. Nous sommes dans le
subconscient, avec la phobie, et non dans le conscient, d’où la nécessité
d’un travail de parole annexe avec un thérapeute.
Pour les complexes identitaires, le jeu du miroir fonctionne aussi très
bien, parce que l’on s’y livre sans artifice. Devant le miroir, il s’agira aussi
de répéter une affirmation en rapport avec la particularité identitaire : « Je
suis homosexuel, j’ai un nom byzantin, j’ai la peau rouge… et je suis parfait
tel que je suis. Je me plais et je suis fier de moi. » En complément, il faudra
prévoir de rappeler sa particularité dès qu’on le pourra et que ça ne tombe
pas comme un cheveu sur la soupe, évidemment. Par exemple, il ne s’agit
pas de répéter à qui veut l’entendre son orientation sexuelle quand on fait
ses courses alimentaires. D’abord, ça n’intéresserait pas grand monde, et ce
serait hors sujet et hors contexte. En revanche, il s’agit de ne plus éluder les
questions et être suffisamment bien avec soi-même pour ne plus se laisser
polluer par ses pensées automatiques et autres raisonnements toxiques.
Quelqu’un vous demande l’origine de votre nom de famille ? Vous le dites
et vous passez à autre chose. C’est juste un détail et donc il faut le prendre
pour ce que c’est, une information, rien de plus.
Ce qui est valable pour les complexes identitaires est valable et applicable
aux complexes socioculturels. Ce n’est pas votre nom que vous accepterez
de dévoiler, c’est votre profession ou votre niveau d’études. Là encore, il
s’agit d’une simple information. Les interprétations et jugements de valeur,
on les laisse à l’autre. On ne les accueille pas, puisqu’ils ne nous
appartiennent pas. Et l’on passe à autre chose.
Comme vous pouvez le deviner, l’idée générale est de favoriser
l’exposition des particularités. D’abord à son propre regard puis au regard
de l’autre. Car si l’on s’accepte tel que l’on est, en tête à tête avec soi-
même, on finira nécessairement et facilement par s’accepter tel que l’on est
en face de l’autre. C’est une question d’assiduité et d’entrainement, rien de
plus. En suivant le programme, vous ressentirez comme une sorte de
libération et de mieux-être.
NB : la durée des différentes étapes est indicative. N’hésitez pas à écouter
vos besoins et vos ressentis, et le cas échéant, à réduire ou augmenter la
durée de certaines phases. L’idée première est d’enregistrer des progrès et
un mieux-être.
Recréer du lien
Le jeu du miroir est primordial, parce qu’il permet de se redécouvrir en
toute intimité, loin des regards extérieurs. Il existe d’autres méthodes
d’exposition, toutes valides et valables, qui aident à accueillir et rencontrer
le regard de l’autre. Vous remarquerez que je n’ai pas dit « affronter » le
regard de l’autre, parce que dans le terme affronter, il y a une sorte de
combat, voire de rapport de forces. Ce n’est pas l’objectif, puisque de toute
manière, lorsque l’on est bien avec soi-même, on n’a pas besoin de se
mesurer à qui que ce soit. L’objectif est de retrouver du lien social sain, à
présent que nous sommes plus en phase avec nous-mêmes. Voici donc
quelques suggestions d’exercices d’exposition que vous pouvez compléter
avec tous ceux que vous pourrez imaginer :
Confidences en aparté
Le chemin vers l’acceptation de soi et la renaissance prend du temps et
demande implication et efforts, et j’en sais quelque chose. Parfois, quand je
pensais avoir « tout compris », badaboum, je replongeais et je me sentais
plus Sisyphe que jamais, vous savez, le très astucieux fondateur de Corinthe
qui fut condamné par Zeus à rouler un gros rocher au sommet d’une
montagne qui dévalait la pente une fois en haut (supplice d’éternité). Puis
j’ai enfin compris que mon poids n’était pas le véritable problème, c’étaient
mon estime, ma confiance et mon affirmation de soi. Et l’amour que je me
portais, ou plus exactement, que je ne me portais pas suffisamment, toujours
trop occupé à plaire et faire plaisir aux autres (à mon grand détriment, dois-
je le préciser ?).
J’ai alors cessé tous les régimes aberrants, les frustrations, la quête
d’approbation dans le regard de l’autre, la recherche de séduction à tout
prix… pour me recentrer sur moi et mon authenticité. Pour m’accepter
enfin tel que j’étais, en l’état, avec tous mes signes distinctifs. J’ai
commencé par apprendre à être bien avec moi-même, sans fioritures. Parce
qu’il faut d’abord être à l’aise avec soi-même avant de pouvoir l’être avec
l’autre. Accepter la nudité du haut de mon corps et son reflet dans un miroir
a été le plus difficile pour moi, parce que je me trouvais difforme, dans le
sens dénué de toutes formes ou toutes formes esthétiques établies et
acceptées. Pas seulement à cause des vergetures, ça, j’en avais fait le deuil,
mais en raison de bourrelets et de chair flasque. En fait, je n’aime pas ce
mot de « flasque », parce que je trouve qu’il y a un jugement derrière.
Disons que ma peau, très fine et douce au demeurant, n’était pas tendue (et
elle ne l’est toujours pas, et ça me convient bien). Je me suis donc obligé à
me regarder tel que j’étais dans le miroir. Je peux vous affirmer que ce fut
laborieux, parce que mon premier réflexe était de saisir un tee-shirt pour
l’enfiler et « couvrir ce sein que je ne saurais voir, car par de pareils objets,
les âmes sont blessées » (Molière). J’ai résisté. Mon objectif était d’abord
de ne plus ressentir d’aversion envers mon corps (et moi-même, car je
prenais la partie pour le tout), puis d’obtenir un ressenti neutre et, enfin, de
me trouver à mon goût, ou devrais-je dire « appétissant ».
Parallèlement, j’ai aussi travaillé à ne plus m’escrimer à prendre des
vêtements une taille au-dessous pour flatter mon ego et martyriser mon
corps et mon esprit. Effectivement, j’arrivais tant bien que mal à fermer la
ceinture du pantalon trop petit (il suffisait de retenir mon souffle et de
prévoir une pommade antalgique lorsque la sciatique se déclencherait), ce
qui me renvoyait l’image de moi engoncé et mal à l’aise dans des vêtements
qui ne m’allaient pas et perpétuaient le complexe en accentuant
visuellement mes particularités (bouée autour de la taille, pectoraux
épais…). Donc j’ai décidé d’acheter des tenues à ma taille. Ensuite, j’ai
travaillé à ne plus chercher à dissimuler le haut de mon corps. Je
m’explique. Si je portais un polo ou un tee-shirt près du corps, je me sentais
un peu mis à nu, puisque mes formes étaient dessinées et j’avais tendance
soit à rentrer le ventre, quitte à déclencher un syndrome d’hyperventilation,
soit à le recouvrir, par exemple avec un sweater ample ou même avec mes
bras croisés.
Tout cela, c’était en solo, avec moi-même. Puis j’ai commencé à
m’exposer au regard de l’autre. Bon, alors, évidemment, ce n’était pas du
pole dancing, mais pour vous donner une idée, je m’exerçais à ne plus
détourner le regard lorsque je passais devant un miroir ou une vitrine. En
public, par exemple dans le train, je n’ai plus cherché à camoufler mon
ventre en posant ma besace sur mes genoux. Et j’ai également réappris à
manger en public, ce qui était un véritable sujet pour moi. J’ai parlé de
processus au début de l’ouvrage et c’est bien cela. Comme un panel
d’actions qui paraissent indépendantes les unes des autres, mais qui sont en
réalité interconnectées. Chaque action apporte sa pierre à l’édifice. Et même
si les TCC sont très efficaces, un travail simultané sur les pensées, les
émotions, l’affirmation de soi, les raisonnements toxiques renforce
nettement leurs performances.
Aujourd’hui, quand je pense à toutes les misères que j’ai fait subir à mon
corps et que je me suis fait subir à moi tout entier, l’embarras me monte aux
joues. Mais un sourire amusé l’accompagne, parce que tout ça, c’est du
passé, et il m’a fallu transiter par toutes ces étapes avant d’être celui que je
suis aujourd’hui. Avec ses failles, ses particularités, ses atouts, ses doutes,
ses questions, ses hésitations…
Bref, avant d’être celui qui est moi-même.
À vous de jouer à présent ! La tribune est à vous !
Conclusion
Vous disposez à présent des outils et des méthodes pour faire la paix avec
vos particularités et réapprendre à vous aimer. Avant de nous quitter, voici
les recommandations d’un ami qui vous veut du bien :
Chaleureusement vôtre,
Olivier Cechman
Ressources
Marie Andersen, L’Emprise familiale, Paris, Marabout, 2015.
Christophe André, Imparfaits, libres et heureux, Paris, Odile Jacob,
2009.
Christophe André et François Lelord, Comment gérer les
personnalités difficiles, Paris, Odile Jacob, 2000.
Christophe André et François Lelord, L’Estime de soi, Paris,
Odile Jacob, 2008.
Catherine Bensaid, La Musique des anges, Paris, Le Grand livre du
mois, 2003.
Lise Bourbeau, Les Cinq Blessures qui empêchent d’être soi-même,
Paris, Pocket, 2013.
David D Burns, Feeling good, New-York, Harper Collins, 1980.
Barbara Fredrickson, Vivre heureux grâce à la pensée positive, Paris,
Larousse, 2015.
Susan Jeffers, Feel the fear and do it anyway, New York, Ballantine
Books, 1987.
Elisabeth Kubler-Ross, La mort est une question vitale, Paris,
Albin Michel, 2010.
Susanna McMahon, Le Psy de poche, Paris, Marabout, 2019.
Thomas Moore, Le Soin de l’âme, Montréal, Éditions du club
Québec Loisirs inc., 1992
Christel Petitcollin, Victime, bourreau ou sauveur : comment sortir
du piège ?, Saint-Julien-en-Genevois, Éditions Jouvence, 2011.
Kay Pollak, Aucune rencontre n’arrive par hasard, Saint-Julien-en-
Genevois, Éditions Jouvence, 1998.
Matthieu Ricard, L’Art de la méditation, Paris, Pocket, 2010.
Martine Simon-Le Luron, La vie est si courte, après tout, Paris,
Éditions Jean-Claude Lattès, 2013.
http://www.psychomedia.qc.ca/psychologie/2015-01-12/10-valeurs-
schwartz
Sommaire
1. Introduction
2. Première partie
3. 1
4. 2
5. 3
6. 4
7. 5
8. 6
9. 7
10. Seconde partie
11. 8
12. 9
13. 10
14. 11
15. 12
16. 13
17. Conclusion
18. Ressources
Landmarks
1. Cover