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VAINCRE SES

COMPLEXES
OLIVIER CECHMAN
© IDEO 2022, un département de City Éditions
Couverture : Shutterstock/Studio City
ISBN : 9782824636382
Code Hachette : 32 1345 3
Collection dirigée par Christian English & Frédéric Thibaud
Catalogues et manuscrits : city-editions.com/IDEO
Conformément au Code de la Propriété Intellectuelle, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le présent
ouvrage, et ce, par quelque moyen que ce soit, sans l’autorisation préalable de l’éditeur.
Dépôt légal : Avril 2022
Introduction
C’est une réalité indéniable, notre société est gouvernée par les
apparences et les stéréotypes. On porte ainsi aux nues une prétendue
perfection et les performances physiques, intellectuelles, sociales et
professionnelles censées l’accompagner. Seulement, sur quels critères
s’appuie-t-on pour décider ce qui est parfait ou pas ? De par son absurdité,
cette quête du Graal illusoire prêterait à la plaisanterie si elle n’entrainait
pas un mal-être collectif et individuel, avec, à la clé, névroses et troubles
comportementaux. D’ailleurs, parmi ces troubles, devinez qui a les
honneurs du podium. Les fameux (et nombreux) « complexes ».
Dans sa Parisienne, Marie-Paule Belle chante avec humour qu’il est
impossible de vivre en ville si l’on est, hélas, dénué de complexes. Eh bien,
elle a raison ! Et pour cause : le complexe n’existe que par rapport au regard
de l’autre, et dans une ville, difficile de se soustraire à l’appréciation de ses
congénères. Mais, rassurez-vous, il n’y a pas que la ville. La campagne
n’est pas en reste, et à moins de vivre en totale autarcie, entouré de veaux,
vaches, cochons, couvées, on n’échappe jamais au regard de l’autre.
Si, d’instinct, la prétendue imperfection que l’on nomme complexe est
associée au physique, vous allez découvrir que son champ d’action est
infiniment plus large. Car, de la même façon que tous les handicaps ne sont
pas nécessairement visibles, tous les complexes ne se voient pas au premier
coup d’œil. En effet, certaines personnes dont le physique ne présente
apparemment aucun signe distinctif peuvent souffrir d’autres gênes.
Installez-vous confortablement, car la liste est sans fin : zozotement, accent,
nom pas assez couleur locale, dyslexie, supposée inculture littéraire,
orientation sexuelle, absence de diplômes, adresse dans un coin mal famé
de la ville, salaire peu élevé, etc. Néanmoins, que le complexe soit
physique, identitaire ou socioculturel, une donnée reste commune : la
sensation d’être « indigne ». Mais indigne de quoi et de qui, voilà la grande
question !
Un complexe ne surgit jamais spontanément, comme un mauvais génie
échappé d’une lampe à huile. Il lui faut un terreau propice pour prendre
racine et prospérer. Et les bonnes âmes ne manquent pas pour charrier ce
terreau et le déposer gracieusement à nos pieds (avec notre assentiment, et
ça, c’est un point crucial que nous devrons revoir ensemble). Le terreau se
compose à parts égales de réflexions, railleries, méchancetés dirigées vers
une de nos particularités. Autoproclamées directrices de conscience et
arbitres de ce qui est correct ou acceptable, ces âmes charitables et
généreuses nous offrent d’ailleurs plus de terreau qu’on ne saurait utiliser.
Mais un terreau sans engrais ne serait pas des plus accueillants pour la
croissance du complexe. N’ayons crainte, l’engrais viendra à profusion,
sous forme de répétitions d’occurrences. On le sait tous, ce n’est pas une
simple réflexion, même odieuse, qui génère un malaise, c’est sa répétition.
Cela dit, les terreaux les plus riches et les engrais les plus nutritifs
n’auraient aucun pouvoir ni impact, et notez bien cela, sans notre propre
accord. Oui, vous avez bien lu ! Nous participons activement et plus ou
moins consciemment à notre conditionnement. C’est un peu comme si nous
tenions pour vrai un sophisme, vous savez, ce raisonnement qui a
l’apparence de la vérité, mais qui est une contre-vérité absolue (une intox,
en somme).
Même l’avocat le plus aguerri ne trouverait rien d’anodin ni d’amusant à
la décharge du complexe. Et à juste titre, puisque le complexe entraine une
modification du comportement – avec soi-même et avec les autres. Et gavé
aux engrais surpuissants, le complexe prospère et s’accompagne de
ramifications très perturbantes : diminution de l’estime de soi, perte de
confiance (et de repères), dépression, isolement, acceptation de tout et
n’importe quoi, oubli de soi-même au profit des autres, etc. Subrepticement,
on admet que les autres valent mieux et plus que nous, et leurs opinions
deviennent alors paroles d’évangile. Puis, en fin de compte, on perd sa
propre identité et l’on met sa vie entière sur pause.
Nous sommes d’accord, tout cela ressemble au scénario déprimant d’un
film d’épouvante de série Z. Jusqu’au réveil ! Parce que la bonne nouvelle,
c’est que ce qui est conditionné peut être déconditionné. Les contre-vérités
et autres raisonnements spécieux que nous avons avalés sans mot dire, tels
des agneaux gambadant naïvement vers l’abattoir, c’est terminé ! Nous
allons repenser nos modes de fonctionnement et nous réapproprier nos vies,
nos identités et notre bonheur. Et le terreau et l’engrais, on les réserve aux
géraniums !
Pour cela, nous procéderons en deux temps. Nous allons d’abord
identifier, comprendre, décrypter et explorer les mécanismes du complexe.
Nous verrons comment un complexe prend forme et les nombreuses
problématiques qu’il suscite. Une fois que nous aurons recensé les
interactions délétères du complexe, nous pourrons passer à la résolution.
Nous apprendrons alors à soulager, partager, solutionner et revivre. Par
ailleurs, les exercices guidés et les pistes de réflexion rendent cet ouvrage
interactif et vous associent étroitement au processus de guérison.
Évidemment, vous connaissez le dicton sur Rome. Non, pas « À Rome,
faites comme les Romains », mais « Rome ne s’est pas faite en un jour » !
De même qu’un complexe n’apparait pas par combustion spontanée, il ne
disparait pas d’un coup de baguette magique. Et c’est tant mieux, parce que
le cheminement permet de comprendre pourquoi nous nous sommes
retrouvés dans cette situation et comment y mettre un terme une fois pour
toutes. Le plus beau de l’histoire, c’est que cet ouvrage est une sorte de
couteau suisse, parce que les outils proposés permettent de gérer toutes
sortes de situations dévalorisantes (pour nous).
Alors, en avant toutes, nous allons mettre les points sur les « i » et les
barres aux « t » pour repartir enfin sur des bases saines. Que le voyage vers
la libération, la sérénité et le bonheur commence !
PREMIÈRE PARTIE

Identifier, comprendre,
décrypter, explorer
1
Complexe, vous avez dit
complexe ?
Pourquoi certains termes, dont « imperfection » ou, encore pire,
« défaut », mériteraient-ils systématiquement des guillemets ? Par
coquetterie ou souci du politiquement correct ? Rien de tout cela !
Imperfection et défaut mériteraient leurs guillemets, car pour qu’il y ait une
prétendue imperfection ou un supposé défaut, faudrait-il déjà que la
perfection existe. En effet, l’imperfection ou le défaut n’auraient de sens
que par rapport à un standard ou point de repère, ici, la fameuse perfection.
En d’autres termes, une chose jugée imparfaite ou défectueuse est
imparfaite ou défectueuse uniquement si l’on se base sur ce qui devrait être
parfait. Seulement voilà, parfait selon quels critères ? Qu’est-ce qui est
parfait ? Pourquoi est-ce parfait ? Et a contrario, pourquoi ce qui est
considéré comme imparfait serait-il plus imparfait qu’autre chose ?
Or, et ce n’est un secret pour personne, la perfection n’existe pas. Par
conséquent, et c’est très logique, si la perfection n’existe pas, l’imperfection
n’existe pas non plus, puisque les deux notions sont liées. Si la perfection
est donc illusoire, l’imperfection l’est tout autant. Et ce que l’on nomme à
tort et à travers imperfection n’est rien d’autre qu’une particularité, une
caractéristique, un simple trait physique, identitaire ou socioculturel. Dans
la mesure où nous sommes tous uniques, et donc différents, il parait
cohérent de démystifier ce concept d’imperfection pour se recentrer sur
l’essentiel : notre (belle) singularité.
Attention, il ne s’agit pas là d’un point de détail. Pourquoi ? Parce qu’un
complexe est précisément une prétendue imperfection sur laquelle on
braque une sorte de projecteur ou de loupe et qui va devenir l’épicentre de
toutes nos pensées, suggestions et sentiments (et nous gâcher la vie).
Le mot et l’idée
Nous gagnerions plus de nous laisser voir tels que nous sommes, que d’essayer de
paraitre ce que nous ne sommes pas.
LA ROCHEFOUCAULD

Un complexe, qu’est-ce que c’est ?


La perfection étant un mythe et l’être humain imparfait par nature, nous
avons tous, à des degrés divers, certains traits que nous aimerions peut-être
modifier. Les caractéristiques susceptibles de nous interpeler varient et
dépendent avant tout de la perception de chacun. Il peut s’agir d’un détail
physique (une grande majorité de complexes sont de type esthétique), mais
aussi identitaire ou socioculturel.
Quoi qu’il en soit, pour de multiples raisons (toutes reliées au regard de
l’autre), notre attention va se concentrer sur une caractéristique spécifique,
voire plusieurs. Inconsciemment, un glissement sémantique s’opère alors, et
par un tour de passe-passe, l’innocente caractéristique se transforme en
imperfection, défaut ou problème. Constatez-vous comment un élément
neutre se mue en élément subjectif (et à charge) ?
Si la personne identifie ce qu’elle appelle une imperfection et l’accepte,
avec plus ou moins de fatalisme, les répercussions restent gérables. Par
exemple, une personne trouve son tour de hanches trop important, mais
s’habille comme elle le souhaite, sans chercher à camoufler l’imperfection
ni à s’affamer pour entrer dans un vêtement plus petit, et poursuit sa vie
sans s’appesantir sur son poids. Elle aura peut-être des moments de gêne,
toujours par rapport au regard de l’autre, mais fera avec. En revanche,
lorsqu’une personne considère l’imperfection comme une composante
majeure de son être et y attache une importance démesurée, le
comportement sombre dans l’irrationnel, les conséquences deviennent
beaucoup plus hasardeuses et l’on peut parler de véritable complexe.
Or ce n’est pas la caractéristique jugée défaillante qui pose un problème,
mais l’interprétation que l’on en fait. Rappelez-vous, ce n’est pas parce que
l’on affirme « je suis trop ceci » ou « je suis trop cela » que c’est la réalité.
Et le complexe se joue justement du réalisme et du rationnel.

Le divan du psy
En psychiatrie, un complexe est la focalisation douloureuse et obsédante, constante ou
très fréquente, de l’ensemble de ses pensées sur une partie de son corps, jugée
disgracieuse, ou une dimension de sa personnalité, jugée insuffisante ou inadéquate, et
qui va perturber le bien-être moral et le comportement social. Un complexe, c’est un doute
qui se transforme en douleur. C’est toute l’estime de soi qui souffre, mais le mal-être se
concentre sur le complexe.
CHRISTOPHE ANDRÉ, PSYCHIATRE

Un complexe, c’est héréditaire, docteur ?


On peut naitre roux ou brun, avec des yeux bleus ou verts et un teint pâle
ou mat, question de génétique, mais en aucun cas, on ne peut naitre
complexé. À sa naissance, un bébé est totalement désinhibé et il ne lui
traverserait même pas l’esprit de se sentir trop ceci ou trop cela. Donc,
l’hérédité ne joue aucun rôle à la naissance.
Néanmoins, l’hérédité, ou plus exactement l’environnement familial, va
intervenir à un moment ou un autre, car les premiers regards auxquels
s’offre un bébé sont ceux de ses parents et ses proches. Il va donc se
découvrir à travers leur regard. Partant du principe qu’un enfant croit tout
ce que ses parents lui disent et dépend d’eux pour tous ses besoins (et sa
survie), il va intégrer très tôt ce qu’il perçoit vis-à-vis de lui-même.
En d’autres termes, nous ne sommes absolument pas dans l’inné, mais
dans l’acquis. Un complexe n’apparait ni à la naissance ni spontanément, il
s’acquiert.

Le complexe qui n’en est pas un


Le complexe d’Œdipe est un concept purement psychanalytique, introduit
en 1899 par Freud (1856-1939). Selon la théorie freudienne, qui a ses
adeptes et ses sceptiques, le complexe d’Œdipe se manifeste par une
passion d’un enfant pour son parent de sexe opposé. Elle se base sur la
légende d’Œdipe, roi de Thèbes, qui a tué son propre père, s’est marié avec
sa propre mère et lui a fait des enfants. Le tout, bien évidemment, sans le
savoir consciemment. Comme on le voit, il s’agit bien plus d’un syndrome
que d’un complexe proprement dit, en tout cas, dans le sens que nous lui
donnons dans cet ouvrage.

Le parasite extérieur
Eliza Doolittle, l’héroïne du roman de Bernard Shaw, Pygmalion, dont a
été tirée la comédie musicale de George Cukor, My Fair Lady, avec
Audrey Hepburn, se serait-elle interrogée sur ses manières, sa façon de
parler et ses tenues vestimentaires si le professeur Henry Higgins ne s’était
pas donné pour mission d’en faire une « dame du monde » en lui expliquant
tout ce qui « n’allait pas » chez elle ? Sous couvert de motivations plus ou
moins discutables (il s’agit quand même d’une sorte de pari), le professeur
va donc chercher à étouffer l’authenticité de la jeune Eliza pour la faire
entrer dans un moule. Et donc toutes les caractéristiques intrinsèques de la
marchande de fleurs sont considérées comme des défauts qu’il faut
impérativement corriger. De là à ce que ces défauts virent aux complexes, il
n’y a qu’un pas !
Par conséquent, un complexe n’existe que dans la mesure où il est
confronté à un regard externe ou, disons-le tout net, à un parasite externe.
Mais pour que le plant du complexe prenne dans le terreau, il faut déjà un
terrain propice…

Confidences en aparté
J’avais six ans et j’avais été fasciné par un jeans à pattes d’éléphant avec
des fleurs rouges et vertes brodées dans le bas. Étant très enrobé, il n’y en
avait pas dans la boutique, mais la gentille vendeuse en avait trouvé un avec
des fleurs jaunes et orangées et avait fait retoucher la ceinture pour que j’y
entre. Tout fier de mon nouveau pantalon, je l’ai aussitôt porté à l’école,
j’étais en CP. Inutile de vous mentir, on me regardait bizarrement et on riait
sous cape, et moi, je commençais à me sentir très mal à l’aise. Puis, comble
de malchance, ce jour-là, l’instituteur m’a demandé de porter le livre de
présence dans la classe des CM2. Et là, j’entre pour remettre le gros cahier
vert bouteille, quand tout à coup, un tonnerre de rires s’est déclenché à mon
arrivée. Même l’instituteur riait, mais il a quand même ordonné aux autres
« Chut, suffit ! » Rouge de honte et prêt à fondre en larmes, j’ai dit au
revoir, puis, le cœur battant à tout rompre, je suis reparti en courant dans les
couloirs pour rejoindre ma classe. Vous pouvez imaginer mon désarroi et
mon chagrin. Je n’osais plus faire le moindre geste et, subitement, ce
pantalon, que j’avais adoré et qui m’avait procuré tant de plaisir, devenait
objet de rejet. Je me suis dit, avec raison et objectivité, que les moqueries
avaient été amenées par mon jeans à fleurs (et mon embonpoint, ça, c’est
une évidence). En revanche, avec déraison et subjectivité, j’ai décidé de ne
plus jamais porter ce pantalon et je l’ai détesté, alors qu’au fond, il me
plaisait toujours. Parce que lorsque je regardais le jeans, je revivais les
railleries et les rires qui m’avaient tant blessé.

La tribune est à vous !


Vous êtes-vous déjà trouvé dans une situation similaire ? Si oui, laquelle ?
Sinon, vous souvenez-vous d’un épisode semblable incluant un tiers ? Que
vous inspire cette histoire, tout à fait réelle ? D’après vous, qu’est-ce qui
est susceptible de déclencher des réactions chez l’autre et pourquoi ?

La sensibilité
Pour qu’un complexe puisse se développer, faut-il déjà avoir certaines
prédispositions, à commencer par une estime de soi en berne, une certaine
instabilité émotionnelle, une confiance en soi défaillante, un manque
d’affirmation de soi et, plus généralement, une sensibilité exacerbée. Nous
avons tous une sensibilité plus ou moins développée et qui peut également
fluctuer en fonction des épisodes de vie que nous traversons (il est évident
que nous nous sentons plus vulnérables pendant une période éprouvante que
par beau temps).
La sensibilité favorise une lecture plus ou moins émotive, affective et
personnelle d’un évènement. Or les personnes sensibles, voire
hypersensibles1, sont capables de capter des éléments non visibles ou qui
échappent à l’individu lambda. Par exemple, en entrant dans une pièce,
elles peuvent aussitôt déceler des tensions sans qu’aucune parole n’ait été
échangée.
Ce n’est pas la sensibilité en elle-même qui pose un problème, c’est la
perméabilité aux émotions et aux sentiments des autres. Les personnes
sensibles sont en effet tournées vers les autres et leurs besoins. Elles
s’oublient donc et acceptent pour argent comptant ce qui leur est envoyé par
l’autre. Si l’autre envoie des compliments, c’est plutôt positif, mais si ce
sont des remarques désobligeantes, ça l’est beaucoup moins. Or, comme la
personne sensible attache trop d’importance à l’opinion d’autrui, les
complexes peuvent s’installer et prospérer très facilement. (En réalité,
même laudateur, un commentaire ne devrait en aucun cas trouver prise ni
laisser d’empreinte, car cela confirmerait une sorte de codépendance.)

La mariée est trop belle


On n’y pense pas instinctivement, mais le complexe peut toucher des
individus insoupçonnables. Je connais par exemple une personne très belle,
esthétiquement parlant et selon les canons traditionnels de la beauté, qui
supporte très mal les regards admiratifs et la profusion de compliments dont
elle est l’objet. Peut-on imaginer se sentir complexé parce qu’on serait trop
beau ?! Impensable, et pourtant, le mécanisme du complexe se confirme :
une caractéristique précise de l’individu devient un point de catalyse. On ne
voit plus que cette caractéristique, ici, en l’occurrence, la beauté. Dès lors,
de même qu’une personne en surpoids sera caractérisée par son surpoids,
une personne « belle » sera caractérisée par sa beauté. Le résultat est le
même, puisqu’il entraine un mal-être. Et une fois de plus, l’élément
déclencheur reste le regard de l’autre.

Le divan du psy
C’est la honte qui transforme la conscience d’un défaut en complexe. Les
deux meilleurs alliés de la honte sont le silence et la solitude.
Je sais, moi, qu’à la minute où l’on admet sa honte, elle disparait.
SIR VIDIADHAR SURAJPRASAD NAIPAUL, ÉCRIVAIN

Une question de dignité


Une personne complexée peut se définir comme une personne ayant un
sentiment d’infériorité. Autrement dit, suite à une caractéristique physique,
identitaire ou socioculturelle qui s’est vue requalifier en « défaut »,
l’individu développe des complexes et le sentiment d’infériorité qui
l’accompagne. En effet, le complexe est intimement lié à un sentiment de
honte et un sentiment d’indignité. Maintenant, honte et indigne de quoi et
de qui ?
Paradoxalement, le plus important n’est pourtant ni la honte ni
l’infériorité per se. C’est le sentiment de honte et d’infériorité que l’on doit
retenir. Cela veut dire quoi ? Que ni la honte ni l’infériorité ne
correspondent à une information tangible, mais à un ressenti. Et c’est un
élément essentiel pour aborder et résoudre ses complexes, car qui dit
ressenti dit impression, dit subjectivité, dit réalité non objective, dit
interprétation. Autant de nuances majeures !

Le mot et l’idée
Personne ne peut vous faire sentir inférieur sans votre consentement.
ELEANOR ROOSEVELT, POLITICIENNE
Est-ce que ça se soigne, un complexe ?
On pourrait légitimement inclure le complexe dans les troubles
psychosomatiques, puisqu’en réalité, il n’existe pas de pathologie
physiologique (on aura beau faire tous les examens possibles et
imaginables, aucune maladie réelle ne pourrait être identifiée). Un trouble
psychosomatique est un trouble déclenché par un désordre psychique.
Vous savez, c’est le fameux : « Tout est dans la tête ! » Or, nous l’avons
vu, personne ne nait complexé, et l’installation du complexe dépend de
nous et de nos ressentis subjectifs. En d’autres termes, si nous sommes à
l’origine de l’installation du complexe, nous pouvons tout aussi bien être à
l’origine de sa disparition, puisque, justement, tout cela est bel et bien dans
la tête. Et ça, c’est une excellente nouvelle ! Parce que nous avons tous les
moyens et les capacités de retrouver un fonctionnement sain et réaliste et
reprendre les rênes de nos vies.

Repérage
Un complexe est un trait physique, identitaire ou socioculturel que
nous jugeons embarrassant ou insatisfaisant et sur lequel nous
braquons un projecteur ou une loupe.
Un complexe n’est jamais inné, il s’acquiert.
Un complexe émerge à la suite d’une intervention extérieure et
s’installe avec notre assentiment, plus ou moins conscient.
Le complexe peut toucher tout le monde, sans exception.
Nous réagissons tous différemment face aux complexes, selon nos
propres sensibilités et vulnérabilités.
Nous possédons toutes les compétences pour nous débarrasser de nos
complexes.

Il fait plus clair


« Quand quelqu’un parle, il fait plus clair », disait Freud. Quand il écrit
aussi. Ce n’est pas seulement une question de mémoire visuelle, c’est une
question d’empreinte. Ce que l’on écrit reste consultable et, surtout,
s’inscrit plus profondément en nous. Aussi, je vous invite à acquérir un
carnet ou un cahier qui va vous accompagner tout au long de cette belle
aventure intime. Vous y consignerez les questions, les exercices, vos
réponses, vos réflexions et vos progrès. L’écriture participe grandement à la
« guérison » et permet de retracer le parcours que l’on pourrait qualifier
d’initiatique. Pensez à noter les dates de chaque entrée, car cela sera utile
pour vérifier le chemin parcouru.
Rassurez-vous, pas besoin d’être Voltaire, l’orthographe ou la grammaire
importent peu, même des gribouillis feront l’affaire (à condition que vous
puissiez quand même les relire, évidemment). Il s’agit avant tout de poser
les problématiques et faire ressurgir vos impressions et vos
questionnements. Considérez ce cahier comme un outil de travail personnel,
une sorte de journal intime ou de carnet de bord. A priori, il n’a donc de
vocation à être consulté que par vous-même, aussi vous pouvez vous livrer
en toute confiance et toute sérénité.
Ce cahier servira pour les rubriques « Et moi, dans tout ça ? », « La
tribune est à vous ! » et les « À vous de jouer ! » Rien ne vous empêche
également d’y inscrire des réflexions ou des notes personnelles.
Pour rappel, afin qu’il soit valable, viable, efficace et productif, tout
travail de développement personnel doit être basé sur la sincérité et
l’honnêteté, car si l’on se ment à soi-même ou si l’on travestit les faits et les
ressentis, les dés sont pipés d’avance. Par ailleurs, et c’est l’essentiel, la
démarche que vous avez entreprise est pour vous-même, pour personne
d’autre, et vise à vous débarrasser d’oripeaux encombrants et vous rendre le
plus heureux possible.

Et moi, dans tout ça ?


Insérer un test dont les conclusions assèneraient « vous êtes très
complexé », « vous êtes moyennement complexé », « vous n’êtes pas
complexé », etc. aurait été aussi artificiel qu’inutile. On sait tous
pertinemment si l’on a des complexes et à quel degré on en souffre. En
revanche, il serait pertinent d’entamer une réflexion sur quelques éléments,
notamment l’identification de points de vigilance.
Voici donc quelques sujets sur lesquels nous vous invitons à réfléchir :

Qu’est-ce qui vous complexe ?


Pourquoi vous sentez-vous complexé ?
Quand ces complexes sont-ils apparus ?
Quel a été l’élément déclencheur ?
Comment vivez-vous ces complexes au quotidien ?
Évitez-vous certaines situations dans lesquelles vos complexes
seraient exposés ?
Adoptez-vous consciemment un « masque » pour déguiser vos
complexes ?
Quelles sont vos émotions et vos pensées lorsque vos complexes sont
exposés ?
Dans votre entourage, connaissez-vous des personnes complexées ?
Parvenez-vous à identifier leurs complexes et leur comportement
d’évitement ?
Quelle est votre opinion sur les complexes des autres ? Est-ce que les
caractéristiques labellisées « imperfections » jouent un rôle dans la
considération que vous portez à ces personnes ?

1. Aucune notion péjorative dans ce terme, bien au contraire, puisqu’il s’agit d’une sensibilité hors du commun.
2
Le complexe dans tous ses états
Les déclinaisons du complexe sont si nombreuses qu’en lister l’intégralité
s’apparenterait au tonneau des Danaïdes. Voici donc un aperçu des
caractéristiques et situations qui, sous le regard de l’autre, la pression
sociale et/ou une supposée anormalité, deviennent trop ceci ou pas assez
cela et des prétextes à la honte et au mal-être :

Complexes physiques ou cosmétiques


Poids, taille, nez, lèvres, yeux, problèmes de peau, couleur de peau,
pilosité, handicaps, chevelure, dentition, lunettes, appareil auditif, prothèse
dentaire, ongles, vergetures…

Complexes identitaires
Nom, âge, religion, origines familiales, orientation sexuelle, langage,
accent, lieu de naissance, us et coutumes, alimentation, milieu familial ou
amical…

Complexes socioculturels
Profession, expression orale et écrite, illettrisme, éducation,
établissements scolaires fréquentés, lieu d’habitation, loisirs, goûts
musicaux/décoratifs/vestimentaires…, salaire, situation familiale (mère
célibataire, parents de même sexe, divorce, adoption…), accidents de vie
(chômage, burn-out, harcèlement…), maladies…
Mais peu importe, finalement, la typologie du complexe, puisque le
résultat est le même : un mal-être généralisé, d’abord en compagnie de
l’autre, puis avec soi-même.
Dans normal, il y a mal
Par définition, la norme est la règle établie conformément à une moyenne
qui devient ipso facto critère de référence. Autrement dit, en se basant sur
des chiffres, on décide ce qui est normal ou ne l’est pas, ce qui entre dans
les normes et ce qui en est exclu. La norme fait alors office de livre blanc
ou de bible (aucune notion religieuse dans le terme, il s’agit d’un document
regroupant les règles et usages en vigueur faisant foi).
Seulement voilà, on va considérer la norme comme un outil de référence,
mais également comme la cible à atteindre. La norme devient alors une
sorte de perfection, puisqu’elle correspond à ce qui est attendu de nous tous.
Or rappelons que la norme est fondée sur une moyenne, pas une somme.
Par conséquent, est-elle légitime pour représenter la majorité ? Et s’il
existait en réalité plusieurs normes ? Et si, tout compte fait, la norme ne
signifiait pas grand-chose, hormis pour des statistiques ou des législations
appliquées à l’électricité, la construction, etc. ?
Le vrai danger de la norme appliquée à l’humain est qu’elle exclut
d’office une multitude d’individus qui ne rentrent pas dans les cases et se
voient rapidement attribuer le statut d’« anormal », c’est-à-dire qui sort de
la norme. Par la force des choses, une personne cataloguée anormale est
aussitôt mise à l’index, hors du groupe. Cette forme d’ostracisme conduit la
personne à se sentir elle-même anormale, puisqu’elle n’entre pas dans la
norme, et à développer un sentiment de honte vis-à-vis des caractéristiques
qui l’empêchent d’entrer dans la norme. Et ce sentiment de honte se traduit
par des complexes. L’objectif sera alors de camoufler, transformer, renier ou
« soigner » les particularités dont on a honte.

Le mot et l’idée
Quel courage il faut pour être soi ! On a contre soi la masse des autres qui ont abdiqué
d’avance. Ils se regardent, ils se copient, ils se singent mutuellement.
ABBÉ MUGNIER, PRÊTRE
Le surréalisme du complexe
Vous connaissez certainement les dictons populaires comme « L’herbe est
toujours plus verte ailleurs » ou « On veut toujours ce que l’on n’a pas ».
D’ailleurs, qui n’a pas eu envie, une fois dans sa vie, de ressembler à
M. Truc ou avoir ce que Mme Bidule possède, en imaginant naturellement
que M. Truc et Mme Bidule nagent dans la félicité et que, nous aussi, nous
serions les plus heureux du monde si seulement la vie nous avait fait cadeau
de leurs attributs ? Mais que savons-nous précisément de la vie de M. Truc
et Mme Bidule, hormis ce que l’on voit de l’extérieur et qui n’est que le
masque qu’ils présentent ? Oui, mais M. Truc est si beau et Mme Bidule si
riche, comment pourraient-ils aller mal ? Leur vie est parfaite, non ?
Qu’est-ce qu’on en sait, si leur vie est parfaite ? Et peut-on résumer une vie
parfaite à une apparence physique ou un compte en banque ?
En réalité, on a envie d’être quelqu’un d’autre, sans se demander un seul
instant si ce que nous sommes n’est pas déjà largement suffisant et si nous
ne pourrions pas être heureux en l’état. Sans exagérer, c’est un peu comme
si une banane mourait d’envie d’être une tomate, ou si une marmotte se
rêvait antilope. Un seul mot pour décrire ces velléités : absurde. D’ailleurs,
La Fontaine en avait fait une fable avec une grenouille et un bœuf, et nous
connaissons tous la fin de l’histoire…

Le divan du psy
On se culpabilise de ce que l’on a fait, mais on a honte de ce que l’on est : le dommage
est plus grave. Ainsi, la honte est toujours une honte de soi : c’est soi-même que l’on
rejette tout entier, pas seulement ses actes.
CHRISTOPHE ANDRÉ, PSYCHIATRE

Le syndrome du toujours plus et toujours mieux


L’image étant au cœur de l’existence même des réseaux sociaux, le rôle de
ces derniers dans l’entretien des complexes ne fait aucun doute. La réalité
devenant chaque jour de plus en plus virtuelle et à portée de simples clics,
comment s’étonner de l’arc de triomphe érigé à la gloire de l’apparence, la
superficialité et une perfection de pacotille ? D’autant que les logiciels de
retouche photos permettent de transformer n’importe qui en pseudo vedette
et que les outils de correction automatique et autres copier/coller offrent à
tout un chacun des capacités balzaciennes.
Et pour s’assurer de la pérennité des stéréotypes et du culte de l’extérieur
et de l’apparat, les entreprises visent des influenceurs, rétribués pour vanter
le mérite de tel ou tel produit miracle, supposé valider votre appartenance
(ou pas) au groupe des initiés.
Seulement, il faut pouvoir suivre. À tout point de vue. Il faut déjà avoir le
physique et les moyens financiers. Et surtout, nous tombons dans le cercle
vicieux du « toujours plus et toujours mieux », un concept développé par
Internet, notamment les sites de rencontres. Le processus est immuable :
deux individus se rencontrent et se plaisent bien, au moins sur Internet et/ou
au téléphone. Mais bon, qui dit qu’ils ne peuvent pas trouver mieux ? Et
puis, pourquoi se contenter d’un seul contact ? Qu’à cela ne tienne, on
clique ici et là, et voilà, les contacts se multiplient comme des petits pains.
Et nous voici avec le miroir aux alouettes, l’écran protégeant
temporairement des complexes, puisque l’on peut être un peu qui l’on veut
et ressembler à ce que l’on veut. Or, s’il y a rencontre physique, ce qui est
loin d’être acquis, les déceptions sont légion et les complexes renforcés (ce
qui n’empêche pas de poursuivre la ronde infernale).
Le syndrome du « toujours plus et toujours mieux » entretient les
complexes, car on n’est jamais « assez » qualitativement ni
quantitativement.

Inférieur, supérieur ou égal


Le complexe d’infériorité ou de supériorité est un drôle de complexe, très
à part, puisque ciblant la globalité de la personnalité et non plus une partie.
C’est un peu le « tout ou rien ». Pour des raisons qui lui appartiennent et qui
n’en sont pas plus valides, un individu va ainsi s’estimer inférieur à son
entourage, présent et à venir, et va s’effacer devant ses interlocuteurs. Les
autres sont mieux en tout et font tout mieux (que lui). Comme dans tout ce
qui est irrationnel, pas de place pour la demi-mesure. À l’opposé, on
retrouve le complexe de supériorité, pendant inverse au complexe
d’infériorité. L’individu s’estime supérieur en tout, est mieux que tout le
monde et fait mieux que tout le monde.
Monsieur de Talleyrand l’a dit, « tout ce qui est exagéré devient
insignifiant » et, effectivement, nous sommes ici dans un schéma tellement
caricatural qu’il lasse et laisse de marbre. Néanmoins, les complexes
d’infériorité et de supériorité dissimulent de réelles et profondes blessures
liées aux particularités que l’on ne sait pas accueillir et encore moins gérer.

Confidences en aparté
Je m’interroge souvent sur le pourquoi du comment des tatouages. Au
début, assez anecdotiques et plutôt réservés à une population marginale
(matelots, vedettes, fétichistes…), les tatouages sont devenus un véritable
phénomène sociétal. Subitement, tout le monde a voulu son tatouage. Pour
quelle(s) raison(s) ? Pour faire comme le voisin ou le rappeur ? Par passage
obligé pour appartenir à un groupe ? Pour se démarquer du lot ? Par amour
de l’art ? Pour affirmer son identité ou sa différence ? Pour rentrer dans le
moule ?... Ou alors, pour masquer quelque chose et détourner l’attention de
ce quelque chose ? Par exemple, une personne souffrant de calvitie et le
vivant mal qui va se faire tatouer un emblème sur le crâne ; une personne en
surpoids qui se fait tatouer le cou et les bras ; un individu mal dans sa peau
à cause d’une profession jugée subalterne qui couvre son épiderme de
tatouages… Qu’en ressort-il ? Va-t-on définir ou désigner ces personnes par
leur calvitie, leur surpoids ou leur job ? Ou alors, va-t-on s’extasier ou
contempler leurs tatouages ? Le tatouage pourrait-il faire office de masque
ou écran de fumée ? Idem pour les accessoires de piercings. Par ailleurs, j’ai
lu récemment que certaines femmes ayant subi une mastectomie avaient
recours à des tatouages pour recouvrir les cicatrices et tenter d’oublier leur
cancer du sein. Il y a alors le regard de l’autre et son propre regard sur cette
ablation de poitrine. Ce qui est compréhensif et, en même temps, cette
cicatrice, c’est quand même le signe d’une victoire et le signe que la vie a
été plus forte. Ça rappelle un peu les cicatrices « d’honneur » des membres
de gangs qui étaient fiers de les arborer. Pour des raisons éminemment
différentes, la cicatrice de la mastectomie est également une cicatrice dont
on peut être fier, puisqu’elle signifie que nous sommes vivants et que nous
avons dû combattre pour le rester. Et le regard de l’autre ne devrait jamais
être qu’admiratif et empreint non pas de pitié ni de compassion, mais
d’émerveillement. Et le nôtre aussi.

La tribune est à vous !


Vous êtes-vous déjà interrogé sur les personnes qui se tatouent ?
Pourquoi, d’après vous, se tatouent-elles ? Existerait-il un lien ou une
passerelle avec les complexes ? Observez des personnes tatouées autour de
vous et interrogez-vous sur leurs motivations. Constatez-vous des
caractéristiques susceptibles de donner naissance à des complexes ?

La foire aux vanités


Comment mesure-t-on le bonheur et le succès ? Nous mesurons notre
valeur en fonction de nos possessions, notre profession, notre cercle amical,
nos compagnons de vie, notre salaire, l’appréciation de notre allure, notre
capacité de séduction, notre notoriété… Bref, que des éléments extérieurs.
Or tout ce qui est extérieur à nous-mêmes n’est jamais garanti, puisque
dépendant des autres. Et en parlant des autres, nous vérifions bien souvent
notre statut en nous comparant justement à Pierre, Paul, Jacques, Thérèse.
Est-ce que j’ai plus et mieux qu’eux ? Si je n’ai pas plus et mieux, que dois-
je faire pour y parvenir ?
Bien évidemment, nous ne parlons pas de qualités ou de valeurs ici, mais
bien de matériel. Personne n’envie son voisin s’il est gentil et bienveillant.
On n’a d’ailleurs jamais vu quiconque se battre pour acquérir plus de
gentillesse ou de bienveillance. Non, on convoite plutôt la nouvelle voiture
ou les vacances à Bora-Bora de l’autre. Le matérialisme qui marche main
dans la main avec le paraitre. Ainsi, on évolue dans un univers friable où la
situation sociale tient lieu d’identité. On organise des mariages grandioses
ou des fêtes démesurées où l’on invite tout son carnet d’adresses, à la fois
pour épater la galerie et tisser des liens professionnels, on ne sait jamais ce
que l’avenir réserve. Et justement, que se passe-t-il lorsque le travail
disparait et les amis avec ?
Le monde s’écroule. Littéralement, parce que l’on a tout misé sur le
superficiel, l’image et le regard de l’autre. Doit-on alors s’étonner de
retrouver de véritables tragédies étalées dans les faits divers ? Comme cet
homme qui n’a pas osé avouer à sa famille qu’il a perdu son emploi et qui
part chaque matin avec sa petite sacoche pour faire semblant d’aller
travailler et qui finit par se suicider ? Tout ça parce qu’il était complexé de
se retrouver au chômage2 et qu’il avait honte de sa situation/de lui et peur
et/ou honte d’affronter le regard des siens. Peur de perdre leur estime, leur
respect, leur amour, etc. Une interprétation totalement irrationnelle d’une
situation donnée et un traitement désastreux à tout point de vue pour toutes
les parties impliquées. Toujours dans le cas d’une perte d’emploi et donc
d’un complexe social, il est aussi courant de voir la personne sans emploi se
jugeant subitement indigne d’être aimée par l’autre et faisant de
l’autosabotage, incitant l’autre à prendre la fuite, finir par tomber au fond
du gouffre.

Le jeu des neuf cases


Un fonctionnement basé sur le matériel, les titres, les honneurs et l’ego est
tôt ou tard voué à l’échec, parce que si l’on mise, par exemple, tout sur son
travail et que le poste disparait, l’existence parait subitement bien vide.
C’est pourquoi il est indispensable d’avoir plusieurs cordes à sa harpe et
varier ses occupations, un peu comme les financiers parlent de diversifier
leur portefeuille… Pourquoi ? Parce que lorsqu’une corde cède, la harpe ne
s’écroule pas.
Petit exercice pratique : sur votre cahier, dessinez un tableau comprenant
neuf cases, par exemple, trois rangées et trois colonnes. Dans chaque case,
notez un élément fondamental de votre vie (travail, amis, équitation,
bénévolat, jardinage, etc.). Pouvez-vous remplir facilement ces neuf cases
ou bien devez-vous réfléchir longuement, car une seule activité occupe
plusieurs cases ? Par exemple, le travail est majoritaire, car vous ne vivez
que pour ça, y compris le weekend ou le soir à la maison.
Il n’est pas question de conclure ce qui est bien ou pas, il s’agit ici de
comprendre que si une ou deux activités remplissent le tableau, en cas de
disparition d’une des deux, il n’en reste qu’une à laquelle se raccrocher. En
revanche, lorsque les neuf cases sont remplies avec des domaines distincts,
si l’un de ces domaines s’écroule, il en reste huit en soutien.
Vous voyez où je veux en venir… Donc, une fois le bilan réalisé, il est de
l’intérêt de chacun de trouver ses centres d’intérêt, non pas pour meubler le
temps ou un tableau, mais pour enrichir son existence et équilibrer les
forces.

Le divan du psy
L’ego, c’est le sentiment exacerbé de l’importance de soi qui découle de cette
construction mentale. Il place son identité fictive au centre de toutes nos expériences.
Notre identification à l’ego est fondamentalement dysfonctionnelle, car elle est en porte-à-
faux avec la réalité. L’ego ne peut procurer qu’une confiance en soi factice, fondée sur
des attributs précaires – le pouvoir, le succès, la beauté et la force physiques, le brio
intellectuel et l’opinion d’autrui – et sur tout ce qui constitue notre image. La vraie
confiance en soi est tout autre.
MATTHIEU RICARD, MOINE BOUDDHISTE

La course à l’échalote
Égotisme, égocentrisme, égoïsme, autant de termes centrés sur une même
racine : l’ego. Pour faire simple, l’ego c’est le « moi je ». Et d’où vient le
« moi je » ? Ni de l’affect ni de l’émotionnel, encore moins du spirituel.
L’ego est le produit du mental. On a tous entendu des commentaires comme
« Il a un ego surdimensionné ! », « C’est l’ego qui parle ! », « Il n’y en a
que pour sa petite personne ! »
Nombreux sont ceux qui confondent ego et estime de soi. Un exemple
pour mieux comprendre. Un ami fête son anniversaire, mais pour x raisons,
il ne vous invite pas directement et charge un autre ami de vous inviter. Une
personne dans l’ego va considérer cela comme un affront : « Je ne suis pas
n’importe qui, la moindre des choses est de m’appeler directement ! S’il fait
passer l’invitation par Audrey, c’est parce qu’il se fiche bien que je vienne
ou non, et donc, pas question que j’y aille ! Je ne suis pas la cousine Bette !
Si ça se trouve, c’est parce qu’il a eu des désistements et voilà, je joue le
bouche-trou ! Ah, il va voir de quel bois je me chauffe ! Il n’est pas près de
me revoir celui-là ni d’être invité à une de mes fêtes ! » Il pense punir l’ami,
mais se punit lui-même, bien évidemment, et, surtout, il interprète et
échafaude des théories irrationnelles. Il y a un côté très puéril dans le
fonctionnement de l’ego. Maintenant, la personne qui n’est pas dans l’ego,
mais dans l’estime de soi, va réagir tout autrement. Si l’invitation lui fait
plaisir, elle s’y rendra de bon cœur. Si l’invitation ne lui dit rien, elle la
refusera. Peu importe qu’elle ait été transmise par un tiers. Elle se dira aussi
que s’il y a beaucoup d’invités, l’hôte a préféré déléguer, car les appels sont
chronophages ou qu’il est débordé au travail ou autre. En aucun cas, elle ne
prendra la démarche de manière personnelle ou ne se perdra dans des
élucubrations.
En fait, regardez autour de vous, la société offre un trône à l’ego, alors
qu’elle devrait lui réserver tout au plus un strapontin. Dans la vie
quotidienne, lorsque les médias titrent en se réjouissant : « Le ministre de X
a dit ceci et monsieur Machin l’a remis à sa place en lui rétorquant cela » ou
« Madame Z : la petite phrase qui ne passe pas ! Réponse cinglante de
Monsieur Y ! », on nage dans l’ego (et le néant). L’ego, c’est aussi avoir le
plus gros ou le plus petit ou le plus grand, selon l’objet du désir, et se
réjouir de pouvoir l’afficher alentour. C’est un peu comme dans la chanson
pour enfants J’ai du bon tabac, vous savez : « J’ai du bon tabac dans ma
tabatière, mais toi, tu n’en auras pas ! »
Autre terrain de jeu de choix et image très suggestive de l’ego : le duel.
Supposé « civilisé », le duel n’est rien de plus qu’un de ces règlements de
comptes au révolver que l’on voit dans les westerns de série B.
Évidemment, la forêt de Fontainebleau remplace le désert du Texas, mais le
principe reste identique : les querelles d’ego se règlent à la gâchette. En
France, lorsqu’une personne se considérait comme offensée (les sujets à
outrage étaient vastes et variés), elle pouvait provoquer l’outrecuidant en
duel. L’invitation au duel frisait la caricature, car l’initiateur du duel devait
frapper son adversaire avec un gant. Et s’il ne relevait pas le défi,
l’offenseur était considéré comme un poltron et la risée de l’entourage.
L’ego dans toute sa splendeur ! La personne qui s’est sentie outragée doit ce
ressenti à son ego et si l’offenseur a également un ego puissant, il va bien
entendu relever le défi et, finalement, pour une question d’ego, chacun
risque sa vie. Il faudra attendre 1627 et Richelieu pour réprimer légalement
cette pratique, même si cela n’a pas empêché des tas d’égotistes de se battre
en clandestinité. Et ne croyez pas que seuls les plus batailleurs et les plus
gros bras étaient concernés, car le 6 février 1897, dans la plus parfaite
illégalité, qui s’est retrouvé pour un face à face des plus grotesques ?
Marcel Proust et Jean Lorrain, un écrivain/critique ! En effet, Jean Lorrain,
qui ne portait pas Proust dans son cœur, écrivait des papiers très moqueurs
et virulents sur l’auteur de la Recherche. Un jour, il est allé un peu plus loin
en insinuant que si Alphonse Daudet allait préfacer le nouvel ouvrage de
Proust, c’était pour faire plaisir à son fils, Lucien Daudet, compagnon
intime de Proust. Proust, souffrant du complexe de l’homosexualité, s’est
senti outragé, bien que son orientation sexuelle ait été un secret de
Polichinelle. Le duel initié par Proust ne servait pas à prouver qu’il n’était
pas peureux, mais plutôt à prouver, si l’on peut dire, qu’il n’était pas gay.
Le duel avait pour but de camoufler le complexe. Le plus amusant de
l’histoire, c’est que Lorrain était lui-même homosexuel, mais dirons-nous,
d’une obédience bien différente, puisqu’il était aussi flamboyant et assumé
que Proust était discret et complexé. La fin de l’histoire est aussi farfelue
que le début, puisque, selon les versions, ils auraient chacun tiré une balle
en l’air ou une balle dans le sol, et se seraient finalement serré la main.
Toujours est-il que chacun est reparti chez soi avec son aréopage, sans
doute bien soulagé de l’issue.
L’ego mental
Pourquoi dit-on que l’ego provient du mental ? Parce que pour interpréter,
parvenir à des conclusions douteuses et prévoir des mesures de rétorsion, il
faut que les informations transitent par le mental, comme une sorte de
pseudo-analyse ou pseudo-déduction.
Par ailleurs, l’ego n’est jamais dans le moment présent ni dans la
spontanéité. Il vit systématiquement dans le passé, dans l’avenir et dans
l’arithmétique. L’ego n’en a jamais assez et ne vit que pour le paraitre.
D’après vous, les compliments et les honneurs font plaisir à qui ? Se voir
acclamé par une foule plus ou moins en délire, crouler sous les invitations
de personnalités plus ou moins importantes, rechercher la gloire ou le
pouvoir plus ou moins à tout prix, ça fait plaisir à qui ? Ça flatte qui,
exactement, sinon l’ego ? On ne ressent jamais qu’on est au-dessus de la
mêlée et au panthéon de la gloriole, on se le dit. Et c’est très différent,
puisque si l’on se le dit, c’est que les infos sont passées à la moulinette du
mental.
Et pourquoi parle-t-on de l’ego dans un ouvrage sur les complexes ? Parce
que le complexe est fomenté par le mental et l’ego. Lorsque l’on est sûr de
soi et que l’on estime que sa valeur ne dépend en rien de l’approbation de
l’autre, peu importe les ricanements ou commentaires extérieurs. Ils glissent
comme de l’eau sur les plumes d’un canard. En revanche, lorsqu’on est
gouverné par l’ego, les plumes du canard perdent leur qualité hydrofuge, et
l’eau pénètre profondément dans tout l’être et finit par le submerger.
L’ego incite au superficiel et aux apparences. Lorsqu’on se promène avec
une personne à la plastique attrayante, qui se délecte d’être le centre des
regards et s’imagine que les passants l’envient ? Qui vérifie qu’aucune autre
personne n’est plus attrayante que celle que l’on promène à son bras ? Qui
préfèrerait annuler une soirée plutôt que de s’afficher avec une personne au
charme plus confidentiel ? Qui juge la valeur d’un individu en fonction de
sa tenue, son compte en banque ou ses fréquentations ? L’ego. L’ego. L’ego.
Toujours l’ego.
Voilà pourquoi il est primordial de se détacher de l’ego et de son
fonctionnement qui fait des complexes sa profession de foi.

Le mot et l’idée
Je ne vends que la façade, sa propre vérité, on ne la doit qu’à soi-même.
KARL LAGERFELD, COUTURIER

Ils ont tout compris !


Et si nous parlions d’individus qui, bien que tournés vers eux-mêmes, ont
refusé de se laisser anéantir par les complexes ? Puisque la mode est la
vitrine du paraitre, commençons par Coco Chanel qui, alors que la tendance
était aux fourrures, avait préféré faire doubler un vieil imperméable avec du
vison, car ce qui lui importait n’était pas de faire de l’effet, mais d’avoir
chaud.
Beauté atypique, Barbra Streisand a toujours donné une fin de non-
recevoir à ceux qui lui conseillaient lourdement de changer son nez, son
nom ou son rire. Elle est restée elle-même, a réussi au-delà de ses
espérances et est devenue un modèle pour tous ceux qui ne sont pas dans la
« norme ». Mais cette acceptation n’est pas venue du jour au lendemain, et
la chanteuse a reconnu avoir beaucoup souffert des railleries et de ses
complexes physiques. Par ailleurs, ajoutons un bémol, car Barbra Streisand
se fait toujours prendre en photo sous un certain angle pour que l’on ne la
voie pas sous son « mauvais » profil.
En parlant de Streisand, dont il était un fan absolu, un de mes amis avait
subi une importante opération et ne vivait plus qu’avec un seul poumon. Il
était pourtant très coquet, mais devait s’habiller d’une certaine façon pour
pouvoir respirer correctement. Il mettait donc des pantalons à taille
élastique, trois fois trop larges pour lui, et des chaussures quasi
orthopédiques pour se déplacer.
Or il rencontrait beaucoup de succès, car il restait lui-même, sans se
préoccuper du regard de l’autre. Il s’habillait pour lui et son confort, si bien
qu’il restait dans l’authenticité et séduisait ainsi. Un peu comme Chanel, il
n’avait cure des apparences et d’ailleurs, il retirait systématiquement les
étiquettes de ses vêtements, y compris ceux de marques très onéreuses,
parce que ça le grattait dans le cou. La plupart des personnes auraient au
contraire préféré souffrir que de se départir de la signature de la marque qui
faisait aussi le prix et satisfaisait l’ego.
Brigitte Bardot est aussi un bon exemple. Adulée, elle est toujours restée
fidèle à elle-même (en positif comme en négatif) et quand on lui parlait de
sa beauté, elle haussait les épaules. Puis, quand elle en a eu assez des
crépitements de flashs, elle s’est consacrée à la cause animale, sans se
soucier le moins du monde de son apparence et du regard de l’autre. Elle
n’a jamais essayé d’être quelqu’un d’autre.
Et félicitons certaines enseignes de cosmétiques ou de prêt-à-porter qui,
aujourd’hui, mettent en scène des modèles de toutes les morphologies. Et
même les marques de jouets, comme Mattel et sa Barbie, ont évolué,
puisque la silhouette de la célèbre poupée s’est étoffée.
Terminons avec une citation de Chanel : « La mode, c’est ce qui se
démode ! » En réalité, la seule mode qui ne se démodera jamais, c’est la
vôtre !

Repérage
Ce que l’on appelle « norme » n’est qu’une tendance basée sur des
chiffres et ne doit pas devenir une fin en soi.
Chercher à être quelqu’un d’autre est aussi absurde que si une
asperge cherchait à devenir un abricot.
Plusieurs types de complexes cohabitent : les complexes physiques,
les complexes identitaires et les complexes socioculturels.
Le culte de l’image entretient le complexe et incite à une perfection
virtuelle et factice.
Le matérialisme, l’apparence et la superficialité favorisent
l’émergence de complexes tous liés à la honte de soi. De véritables
tragédies en découlent.
L’ego est très mauvais conseiller, car il se focalise sur des éléments
sans valeur, insignifiants et artificiels, source de complexes. L’ego
est un imposteur dont il faut se méfier et se détacher.

Et moi, dans tout ça ?


Voici quelques sujets sur lesquels nous vous invitons à réfléchir (et à
consigner sur votre cahier/carnet) :

Qu’est-ce que la norme pour vous ? Où vous situez-vous par rapport


à la norme ?
À quelle typologie appartiennent vos complexes ?
En quoi l’ego participe-t-il à la naissance ou l’entretien de vos
complexes ?
Imaginez-vous sans ego. Y aurait-il des changements dans votre
perception des complexes et du regard de l’autre ?
Connaissez-vous des personnes de votre entourage qui se sont
affranchies de l’ego et donnent l’impression de ne pas souffrir de
complexes ? Si oui, comment les percevez-vous ? Pensez-vous que
vous pourriez prendre exemple sur elles ? Si vous trouvez cela trop
difficile, pourquoi ? Vos hésitations sont-elles liées à l’ego ?
Y a-t-il des célébrités qui forcent votre admiration pour leur liberté
de comportement assumée ?
Quelles sont les personnes les plus authentiques de votre entourage ?
Qu’est-ce qui les rend authentiques à vos yeux ?
Quels sont les points positifs et négatifs de l’authenticité, au travail,
en amour, en famille… ?

2. Lorsque l’on demande sa profession à une personne qui a perdu son emploi et qui se sent complexée par cette situation, elle
répond fréquemment « Je suis au chômage », « J’ai signé une rupture conventionnelle », reste floue ou alors détourne la
conversation. Or la réponse est totalement hors sujet, puisqu’elle ne renseigne pas sur la profession, mais sur la situation. Ce n’est
pas parce que l’on est sans emploi que l’on est sans profession. Un comptable reste comptable, même s’il n’est pour le moment
pas employé par une entreprise. Et cette nuance est très importante, parce que « chômage » n’est pas une profession, mais un état.
Et il n’y a aucune raison cohérente d’avoir honte de quoi que ce soit.
3
Et le complexe fut !
Si le patrimoine génétique peut expliquer la couleur des yeux, la pilosité
ou la taille, il n’a absolument aucune incidence sur les complexes.
Autrement dit, à la naissance, un bébé ne peut pas être complexé. S’il
intègre des complexes, ce sera plus tard. Certains évoquent la période de la
préadolescence, entre 8 et 12 ans, lorsque les enfants deviennent plus
attentifs à leur image et à celle des autres, et se comparent volontiers à ceux
qui l’entourent. Pour la plupart, il y a également une volonté d’être et de
faire comme les autres, d’appartenir à un groupe et/ou d’être accepté par ses
pairs.
Toutefois, selon le contexte environnemental et les sensibilités
individuelles, certains petits ressentent un mal-être et développent leurs
premiers complexes dès l’âge de 5 ou 6 ans. Ces complexes précoces sont
principalement axés sur le physique (surpoids, taille, éléments
ophtalmologiques ou orthophoniques, etc.).
L’homme est parfois un loup pour l’homme, et les enfants ne sont, hélas,
pas en reste. On dit que les enfants sont cruels, et c’est la vérité, mais si la
forme varie, le fond reste le même, et les adultes peuvent l’être tout autant.
Quoi qu’il en soit, une fois le complexe intégré par l’enfant, il peut
s’installer durablement, prendre de l’ampleur ou se résorber. Mais
indépendamment de son évolution, un complexe reste toujours dormant,
prêt à se réveiller lorsque des propos ou des situations le réactivent.
Heureusement, avec un peu de travail, il sera très facile de le renvoyer faire
sa sieste.

On ne nait jamais complexé, on le devient


De même qu’une hirondelle ne fait pas le printemps, une parole
malheureuse, déplacée, maladroite ou malveillante ne fait pas le complexe.
Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte :

Qui prononce cette parole ? Est-ce une personne que l’on aime, que
l’on admire, que l’on craint ? Une personne représentant l’autorité
et/ou la connaissance ? Une personne en qui l’on a confiance ? Si
oui, l’impact est important. Sinon, il reste un peu plus atténué.
Comment cette parole est-elle prononcée ? Est-ce en privé ? Est-ce
devant témoins ? Est-ce en public ? Est-ce sur un ton menaçant,
agacé, taquin, moqueur, neutre ? La personne crie-t-elle ou énonce-t-
elle sa remarque calmement ? Il est évident que des propos tenus
devant témoins, surtout des inconnus, et émis avec une voix
colérique ou froide vont laisser des empreintes. Mais même en privé,
les paroles blessent, surtout si l’enfant craint de décevoir ou de
perdre l’amour de ceux qui les prononcent.
Quelle est la fréquence de cette parole ? Est-ce une parole isolée,
prononcée sans réfléchir, à l’emporte-pièce, et qui est plus maladroite
que méchante ? Est-ce une parole qui prend la forme d’un leitmotiv ?
Est-elle répétée à tort et à travers, toutes les occasions étant bonnes
pour la répéter ? Bien entendu, on imagine aisément l’empreinte
laissée par une parole que l’on rabâche à l’envi et qui s’inscrit alors
dans la psyché de l’enfant.

Une fois le complexe ancré dans l’esprit de l’enfant, celui-ci va lui


conférer une certaine légitimité. Puisque des individus qu’il aime et en qui
il a confiance lui ont fait des réflexions sur un trait de sa personne, elles ont
nécessairement raison et savent pertinemment ce qu’elles disent. Il n’y a
donc pas lieu de remettre en question le prédicat, quelle que soit sa nature
erronée. Et comme les chiens de Pavlov, dès qu’une allusion au trait
incriminé sera émise, l’enfant réagira par un sentiment de honte. Honte de
lui-même, puisque le trait lui appartient. Progressivement, le complexe
s’installe alors, et l’enfant, devenu adolescent, puis adulte, baigne dans le
mal-être et cherchera à dissimuler ou se débarrasser de ses « défauts »,
polarisés à l’extrême.
Mais le complexe ne trouve pas toujours sa source dans l’enfance. Ainsi,
certains complexes, notamment socioculturels, peuvent émerger à l’âge
adulte. Par exemple, un cadre supérieur qui se fait licencier sans retrouver
de poste immédiat peut ressentir un sentiment de honte, puisqu’il ne rentre
plus dans la fameuse norme. Tous les accidents de vie sont susceptibles de
déclencher un sentiment de mal-être, car le mode d’existence et les repères
tels qu’on les connaissait ne sont plus d’actualité et doivent être modifiés.
Le complexe d’inutilité et de différence vient alors poindre, l’individu se
sentant exclu de ce qu’il connaissait jusque-là. L’adulte, comme l’enfant
avant lui, cherche avant tout à entrer dans la norme, faire partie d’un groupe
et être accepté par le plus grand nombre.
Or, quelle que soit la particularité, physique, identitaire ou socioculturelle,
l’individu se sent marginalisé, donc fragilisé lorsque le regard de l’autre
tient lieu de gouvernail. Indépendamment des vicissitudes inévitables, un
parcours de vie classique peut également abriter le complexe en son sein.
Par exemple, l’étape de la retraite. Si l’on a tout misé sur son emploi et que
l’emploi prend fin, que reste-t-il ? L’impression de vide alliée à la mise à
l’écart de la société active peut frapper de plein fouet n’importe quel
individu qui, jusque-là, ne connaissait pas de complexe. Là encore, le
regard de l’autre, ici, celui de la société tout entière, est le catalyseur du
complexe. On célèbre le jeunisme et les activités effrénées, et par
conséquent, un retraité peut se sentir trop âgé et en dehors du coup. Mais, et
c’est une bonne nouvelle, avec un peu de réflexion et de recul, les accidents
de vie ou les terminaisons d’étapes peuvent aussi donner lieu à une
renaissance et un nouveau cheminement, peut-être mieux adaptés et plus
épanouissants.

Le mot et l’idée
On se critique, car on a appris à croire qu’on n’est pas assez bien.
LOUISE HAY, PSYCHOLOGUE
Le poids de l’entourage
Voltaire comprenait-il les dégâts que nos proches peuvent occasionner
lorsqu’il disait : « Mon Dieu, gardez-moi de mes amis. Quant à mes
ennemis, je m’en charge ! » ? En effet, le milieu familial est propice au
développement de complexes divers et variés. Ainsi, des parents ou
proches, eux-mêmes mal dans leur peau pour x raisons, sans doute très
légitimes, peuvent facilement répéter un schéma malsain, communiquer
leur mal-être et engendrer des complexes chez leurs enfants. Il faut savoir
que d’une façon générale, les adultes ont tendance à reproduire le monde
émotionnel de leur enfance. Si leur enfance a été heureuse, tout va bien,
mais si au contraire, elle a été difficile et malmenée, leurs propres enfants
en subiront les conséquences par ricochet. Seuls des parents construits,
donc qui ont travaillé sur leurs doutes et difficultés, sauront comment éviter
la répétition de scénarios délétères, capables de blesser (inconsciemment)
leurs propres enfants.
Outre les principes éducatifs auxquels chacun adhère ou pas, certaines
familles valorisent certains traits : performances sportives, intellectuelles,
sociales… Or si l’enfant n’est ni sportif ni intellectuel, et a peu d’amis,
forcément, il se sent exclu du schéma familial et développe des complexes
sur ses supposées lacunes. Si dans une famille de notables, l’enfant est attiré
par un métier manuel ou catalogué peu « respectable », il peut ressentir une
honte de ne pas être à la hauteur de ce qui est attendu de lui et considérer
ses choix ou inclinaisons comme autant de mauvais points. Et si, par-dessus
le marché, les parents ou frères et sœurs insistent régulièrement sur les
« défaillances » de l’enfant, celui-ci pourra à son tour s’en vouloir d’être
comme ceci ou comme cela, et ne pourra pas s’épanouir.
Par ailleurs, dans une société aussi compétitive que la nôtre, les parents,
croyant agir pour le bien de leurs enfants, peuvent les pousser à toujours
mieux faire, encore et encore. Autrement dit, le bien n’est jamais assez et
l’insatisfaction permanente parait inévitable dans la quête à la perfection.
Or les enfants ne sont pas des robots et, comme nous, ont tous des plafonds
de verre, un seuil au-delà duquel ils ne peuvent aller, que ce soit
physiquement ou intellectuellement. Le problème, c’est quand les
difficultés d’apprentissage se muent en complexes, car les enfants se sentent
incapables précisément de « faire mieux ». On voit cela régulièrement dans
certains milieux concurrentiels, comme celui de la danse ou de la musique.
Les enfants, peut-être attirés par une discipline, sont ensuite poussés bien
au-delà de leurs capacités et risquent non seulement de tout abandonner,
mais aussi de se sentir « pas assez bien », alors que leur niveau est déjà plus
qu’excellent. Dès lors que l’irrationnel et la perte de repères frappent à la
porte et s’emparent des performances, on perd pied avec la réalité et
l’objectivité.
L’humour, ou ce qui prétend s’y apparenter, peut aussi faire des ravages,
parce que ce qui amuse les parents peut au contraire vexer et blesser les
enfants. Si jamais un parent se permet une réflexion, même anodine, en
apparence, sur un détail physique de son enfant, comment celui-ci peut-il
réagir ? Par une bouderie ou un rire, mais aussi par le doute. Le doute sur
lui-même et sur la correction du détail physique. Nous l’avons vu, si en
plus, la réflexion se répète, le complexe s’installe encore plus facilement.
Mais le cercle familial n’est pas le seul en cause. Les amis, les camarades
d’école, les professeurs et autres jouent aussi un rôle non négligeable. En
dehors de leur participation active dans la transmission du complexe
(paroles, brimades, ricanements…), il y a également la dimension
d’appartenance à prendre en compte. À moins d’accepter une solitude plus
ou moins forcée, l’enfant va chercher par tous les moyens à se faire
accepter. Et pour se faire accepter, il faut souvent gommer ses différences
pour entrer dans le moule. La différence peut être physique, identitaire ou
socioculturelle. Ce qui est assez paradoxal, quand on y pense, parce que les
enfants veulent à la fois affirmer leur individualité et entrer dans un cadre
normé. Il y a une certaine incompatibilité, contournée par l’émergence de
plusieurs groupes d’amis atypiques, mais normés dans leur différence. Par
exemple, les geeks, vous savez les petits génies de la classe, vont être
rejetés par les cool kids, les meneurs et influenceurs de la classe, et se
regrouper. Mais au sein de ce groupe de geeks, souvent pas de place pour
autre chose que des geeks. C’est un peu le même processus pour les adultes
et ce que l’on nomme « minorités ». Les minorités sont rejetées, se
rassemblent et deviennent à leur tour des cool kids qui excluent. C’est un
cercle beaucoup plus vicieux qu’il n’apparait en surface.

Le divan du psy
Il faut prendre conscience que les émotions et les peurs qui nous paralysent n’ont plus
cours à l’âge adulte, que certaines idées qui régissent nos comportements ne sont que
croyances infantiles et que nous continuons à rejouer nos scénarios d’enfants. Ce sont
des formatages d’hier, qui ne correspondent plus à rien aujourd’hui. Comme un refrain qui
nous entête et qu’on ne peut taire, ces scripts tournent en boucle au fin fond de notre
conscience, répétant inlassablement le même scénario erroné fait de certitudes obsolètes
et de convictions infantiles.
SUSANNA MCMAHON, PSYCHIATRE CLINICIENNE

Mais pourquoi tant de haine ?


Par essence, l’être humain est-il bon ou mauvais ? On pourrait gloser à
l’infini sur la question, mais de la même manière que la perfection n’est pas
de ce monde, l’individu entièrement bon ou entièrement mauvais n’existe
pas. Nous avons tous notre part d’ombre et notre part de lumière. Mieux
vaut évidemment que l’ombre forme la portion congrue ! Dans le cas des
complexes, est-ce que ceux qui nous blessent par leurs moqueries sont
réellement mauvais ? Ou alors bêtes et méchants, comme on dit ? Et si, en
fin de compte, ils étaient eux-mêmes complexés et/ou mal dans leur peau ?
Et si, pour masquer leurs fragilités, ils s’attaquaient à celles des autres ? Il
est bien connu que la meilleure défense reste l’attaque, et que l’adversaire,
c’est soi-même. Si je dégaine le premier, je coupe l’herbe sous le pied de
l’autre. J’aboie le plus fort, je tourne en dérision un trait de l’autre, et qui,
après cela, oserait m’attaquer sur mes complexes à moi, qui ne se voient
peut-être pas ? Et si, indépendamment des complexes, les petites terreurs
vivaient des drames chez eux et, pour évacuer, s’en prenaient
instinctivement, de manière primitive, aux plus faibles ou ceux dont il
semble si facile de se moquer ? En fait, ce que je nie et supprime en moi, je
m’en moque et l’attaque chez autrui.
Qu’y a-t-il de tellement risible chez une personne en surpoids, un individu
avec des oreilles décollées, un enfant affublé de lunettes à double foyer ou
un adolescent acnéique ? Rien. Il n’y a rien de drôle. C’est un peu comme si
l’on trouvait risible une mandarine un peu verte ou un kiwi jaune. Dans ce
cas, s’il n’y a rien de drôle, pourquoi se moquer ? En fait, sait-on seulement
pourquoi on se moque, et est-on conscient des blessures que l’on inflige ?
Et si l’on reconnaissait chez l’autre des traits que l’on possède soi-même et
que l’on cherchait à camoufler à tout prix ? Si les petits durs aux airs
haineux souffraient eux-mêmes, et pour paraitre « forts », se muaient en
dobermans ? Parce qu’en réalité, celui qui se sent bien n’a jamais besoin
d’attaquer ni de ridiculiser quelqu’un d’autre.
Il existe cinq injonctions qui nous conditionnent depuis l’enfance : « fais
plaisir », « dépêche-toi », « sois parfait », « fais des efforts » et « sois fort ».
Nos comportements et nos vulnérabilités sont intimement liés à ces
injonctions. Comme on peut se douter, le milieu familial et socioculturel
cultive ces entraves. On ne les a pas tous, bien entendu, et leur empreinte
dépend du conditionnement et de notre réceptivité. Dans une société où l’on
prône une prétendue force, le moindre trait pouvant être assimilé de près ou
de loin à une fragilité suscite des réactions aussi irrationnelles que
violentes. Mais ce n’est en aucun cas la cible qui a des problèmes à régler,
c’est le tireur. C’est le tireur qui devrait s’interroger sur ses motivations à
attaquer un individu sans autre raison que celle de la différence.. Et
lorsqu’on en sera là, un grand pas pour l’humanité aura été franchi.

Oh, mon cortex !


Blesser autrui gratuitement n’est pas une action intelligente, c’est une
réaction primaire. Parce que si elle était intelligente, c’est-à-dire passée à la
moulinette du rationnel et du bon sens, elle serait aussitôt tuée dans l’œuf.
Les attaques et autres railleries qui fusent instinctivement devant une
personne différente ne sont jamais réfléchies, à l’instar des réactions
épidermiques. Nous sommes dans ce qu’il y a de plus primitif chez l’être
humain, et ce n’est pas un jugement de valeur, juste une réalité scientifique.
Nous avons trois cerveaux : le reptilien, le limbique et le cortex (ou
néocortex). Le reptilien représente le présent, l’instinct de survie, le plaisir,
la peur et la défense de son territoire. C’est le cerveau le plus instinctif et
primaire. Le limbique est le siège des émotions, de l’affectif, de la mémoire
à long terme, de l’apprentissage et du passé. Il est beaucoup plus évolué. Et
encore plus évolué est le cortex, où l’on retrouve l’intelligence, la créativité,
les raisonnements, la stratégie, la solidarité et le futur. Mais les trois
cerveaux sont liés, et lorsqu’une information leur parvient, elle passe par
chacun d’entre eux.
Un exemple pour mieux comprendre : on aperçoit une personne avec une
particularité. L’information parvient au reptilien. Si l’on s’arrête ici, on se
met à hurler de rire et à railler l’autre, sans bien comprendre ni savoir
pourquoi. Toujours est-il qu’on blesse l’autre. Si l’information ne s’arrête
pas au reptilien et monte jusqu’au limbique, on va alors se dire que si l’on
rit, on peut vexer l’autre et lui faire de la peine. Donc, on ne rit pas. Et si
l’information passe au cortex, on ne fait même pas attention à la
particularité, puisqu’on est en état de raisonner et se dire qu’il ne s’agit que
d’une particularité qui ne prête pas à rire. Bien entendu, le cheminement de
l’information, ici détaillé, ne met qu’une fraction de seconde à transiter par
les cerveaux. Sauf, bien évidemment, si l’on se contente de réagir
primitivement, avec le reptilien.
Attention, le reptilien est indispensable à notre survie, car c’est grâce à
lui, par exemple, qu’on fait un bond en arrière pour éviter une trottinette ou
que l’on se couvre quand on a froid. Hélas, c’est aussi grâce au reptilien
qu’on mise des sommes déraisonnables au jeu, qu’on achète un article hors
de nos moyens ou que l’on répond du tac au tac des horreurs, quand ce n’est
pas la gifle ou le coup de tête qui part. Et c’est toujours le reptilien qui
incite à s’en prendre à une particularité physique, identitaire ou
socioculturelle de son interlocuteur en cas de différend. Observez autour de
vous, et vous constaterez que lors d’une dispute échaudée, l’un des
protagonistes va lancer une remarque désobligeante sur un trait de l’autre.
Ce qui, naturellement est hors sujet, puisque la taille, le poids ou l’ethnie de
l’autre n’ont rien à voir dans l’histoire, ce sont ses actions qui posent
problème à l’autre, pas la personne dans son ensemble. C’est un
comportement très enfantin, comme un petit de sept ans qui dirait à un
autre, parce qu’il ne veut pas lui prêter son jouet : « Je m’en fous, t’es gros
et t’es moche ! » Quel rapport ? Pourquoi l’aspect physique de son
camarade entre-t-il subitement en ligne de compte ? Parce que le petit est
déçu du refus de l’autre, et s’en tenant au reptilien, l’attaque comme il peut
pour marquer son mécontentement.
Néanmoins, ce qui vaut pour l’assaillant vaut pour la cible. Donc,
lorsqu’une raillerie ou un mot méchant nous est envoyé, si l’on reste dans le
reptilien, soit on se recroqueville de peur, soit on s’enfuit loin, soit on
décroche une droite. En tout cas, il y a des conséquences. Si l’on transmet
l’information au limbique, là, on peut pleurer ou se sentir glacé d’effroi et
meurtri. Pas l’idéal non plus, puisque nous accordons une importance
démesurée à un commentaire irrationnel et imbécile. Maintenant, si
l’information remonte au cortex, nous sommes mieux armés pour fomenter
une réponse spirituelle et originale ou riposter par le mépris.

Le mot et l’idée
Très sérieusement, je crois que vous ne savez pas, sur le plan le plus profond, qui vous
êtes. Vous vous regardez dans le miroir chaque matin et vous vous trouvez trop gros, trop
maigre ou trop ridé. Mais tout cela n’a aucun sens. Vous êtes beau, parce que vous êtes
vous, parce que vous êtes unique. Parmi les milliards de gens qui vivent sur Terre, il n’y
en a pas deux semblables.
ELISABETH KÜBLER-ROSS, PSYCHIATRE

Je pense, donc je ressens


Une émotion est un état qui survient brusquement, apparemment sans
raison, mais en réponse à une situation ou un évènement spécifique. Puis
une pensée (initiée par nous) prend le relais et induit un sentiment ou un
ressenti.
Ainsi, quand je rougis, ça n’arrive pas subitement, par l’opération du
Saint-Esprit, il y a un facteur déclencheur. Ce facteur peut être externe (le
froid, le chaud, une remarque de quelqu’un, etc.) ou interne (une pensée que
j’ai et qui me traverse l’esprit et me fait monter le rouge aux joues).
Il existe des émotions positives et négatives, et en réalité, aucune émotion
ne pose un problème tant qu’elle ne fait que passer. L’émotion étant un état,
elle est sans conséquence si elle reste transitoire. En revanche, elle devient
un sujet à partir du moment où elle entraine une réaction, un sentiment et/ou
un comportement disproportionné et qui nous met mal à l’aise, pour ne pas
dire qui nous rend malades. Pourtant, le mal-être proprement dit débute par
une pensée et son traitement par les trois cerveaux que l’on a évoqués plus
haut. En effet, l’émotion devient une stimulation qui va générer une
pensée ; en fonction de ce que l’on fait de cette pensée, elle génère à son
tour un sentiment qui perdure et entraine une nouvelle action.
Ainsi, un parent qui dit à son enfant qu’il est trop ceci ou trop cela.
L’enfant peut alors penser qu’il est effectivement trop ceci ou trop cela, ce
qui entraine un ou plusieurs sentiments et une réaction. Par exemple,
l’enfant pourra ressentir de la honte, de la gêne, de la tristesse, un mal-être,
une sensation de rejet, une colère, etc. Ces ressentis, pas des plus
réjouissants, vont nécessairement l’inciter à une action qui pourra être un
repli sur soi-même, la détestation de soi-même ou de ses parents, une crise
de rage, etc. Le complexe s’installera et deviendra de plus en plus prégnant
au fur et à mesure de la répétition des occurrences. Mais l’enfant peut aussi
penser que ses parents ont tout faux et racontent n’importe quoi. Dans ce
cas, ses pensées donneront naissance à des ressentis pouvant osciller entre
amusement, indifférence, pitié, mépris… Et sa réaction sera consécutive à
ses sentiments : il pourra par exemple reprocher à ses parents leurs paroles
vexantes, leur rire au nez ou leur asséner leurs quatre vérités. En aucun cas,
sa réaction ne sera dirigée vers lui, puisqu’il sait qu’à la base, l’affirmation
de ses parents est fausse.
Par conséquent, rappelons-nous un point essentiel : chacune de nos
pensées accroit la vérité ou l’illusion. Nos pensées créent nos ressentis. Par
conséquent, nos ressentis ne démontrent pas que nos pensées sont correctes.
Le ressenti d’émotions déplaisantes indique seulement que ce à quoi nous
pensons est déplaisant et que nous croyons dur comme fer à ce que nous
pensons. Nos sentiments suivent nos pensées un peu comme des canetons
suivent leur mère. Or ce n’est pas parce que les canetons suivent
aveuglément leur mère que leur mère sait où elle va ! Terminons par un mot
de Shakespeare : « Il n’y a rien qui soit bien ou mal, c’est la pensée qui le
rend ainsi. »

Le divan du psy
Nos ressentis dépendent intégralement de notre vision d’une situation. Il est
scientifiquement prouvé qu’avant de ressentir une chose, il faut d’abord l’avoir fait passer
par le cerveau et lui avoir donné une signification. Nous devons obligatoirement
comprendre ce qu’il se passe avant de pouvoir le ressentir. Si notre compréhension d’un
évènement est correcte, nos ressentis seront normaux.
Si notre perception est faussée, notre réaction émotionnelle sera anormale.
DAVID BURNS, PSYCHIATRE ET PROFESSEUR

Les blessures de l’âme


Ce que l’on nomme « blessure de l’âme » est une blessure intense et
profonde, acquise dès l’enfance, et qui va influer sur tous les aspects de
notre vie. Généralement identifiées à l’âge adulte, lorsque l’on sait mettre
des mots sur les situations et comportements récurrents, ces blessures sont
au nombre de cinq : rejet, abandon, humiliation, trahison et injustice. Nous
avons tous au moins deux blessures, plus ou moins présentes et plus moins
sensibles. Bien entendu, ces blessures sont enfouies dans le subconscient et
ne se manifestent que lorsqu’un évènement extérieur (situation, propos,
discussion…) les réactive. Certaines blessures, et notamment celle
d’humiliation, offrent un terrain privilégié au développement des
complexes. Elles prédisposent à accepter et intégrer des contre-vérités
affirmant que nous sommes toujours inférieurs aux autres et que nous ne
sommes jamais assez bien. Pour nous protéger, nous adoptons une stratégie
visant à minimiser les impacts de la blessure. On parle alors de « masque ».
La blessure d’humiliation exposant davantage aux complexes que les
autres, c’est celle que nous allons souligner.
L’individu possédant cette blessure a ressenti très tôt une humiliation,
initiée le plus souvent en famille et plus particulièrement par le parent qui
s’est occupé de l’éducation. L’humiliation est ici couplée au manque de
liberté, le tout étant lié au contrôle du parent impliqué. Comme souvent, les
méthodes d’évitement renforcent la blessure au lieu de l’apaiser, et c’est
d’autant plus vrai dans le cas du masque de l’humiliation qui est le
masochisme. Dans une démarche précisément masochiste, l’individu va
rechercher ce qu’il fuit le plus, à savoir l’humiliation. Bien entendu, tout
cela reste inconscient, l’individu ne cherchant pas délibérément à souffrir.
Seulement, il recrée des situations dans lesquelles il sera en position
« honteuse ».
Le risque est que l’individu ne s’aime pas suffisamment et cherche à faire
plaisir aux autres à tout prix, même à celui de se perdre. Hypersensible,
n’osant pas dire non, car il s’imaginerait « mauvais », l’individu perd tout
repère et tout sens des réalités, puisqu’il vit au rythme de son entourage,
quitte à s’épuiser. Par ailleurs, c’est sa liberté qui est en jeu, car l’individu
aura tendance à nouer des relations aliénantes. La guérison passe
naturellement par une prise de conscience : s’accepter avec ses
particularités, apprendre à s’aimer et se respecter, et surtout, prendre en
compte ses propres besoins et non seulement ceux des autres. Comprendre
aussi que l’on n’a pas besoin de plaire aux autres pour pouvoir vivre sa vie.
Autrement dit, oser dire non aux autres et oui à soi-même.

Confidences en aparté
J’ai pris très tôt conscience de mon surpoids, ou plus exactement, on m’a
fait prendre très tôt conscience de mon surpoids. Dans les boutiques de
vêtements, la vendeuse disait « On n’a pas sa taille, il faut l’habiller chez
les adultes ! », les invités disaient « Il est drôlement costaud pour son âge »,
la famille disait « Ah oui, il est très fort, espérons qu’il grandisse pour que
ça se voie moins » (pour info, je n’ai pas tant grandi) et la diététicienne
disait « Mais tu t’es vu ? T’as envie de ressembler à Bibendum ? » (pour
info, j’ignorais qui était ce Bibendum, j’avais sept ans, et j’ai dit « non »
parce que je pensais que c’était la réponse appropriée), à l’école, on me
disait « Gros patapouf ! [ou pire] » (je rougissais et j’avais envie de
disparaitre), la dame de la balançoire, au square, acceptait mon frère, mince,
et me refusait, car elle avait peur que je lui casse la nacelle, les amis de mes
parents prenaient mon frère dans leurs bras en m’expliquant « Pas toi, tu es
trop lourd ! » Entre autres.
Mes parents, conseillés par les médecins, m’avaient fait suivre une
quantité de régimes impressionnante, sans grands résultats que celui de me
faire sentir de moins en moins bien et de grignoter en cachette. Mais avant
que tout le monde se mêle de me faire connaitre son avis sur ma
morphologie et mes kilos en trop, oui, je me rendais bien compte que j’étais
rondouillet, mais ça ne me posait pas de problème particulier. C’est à la
suite des commentaires et des railleries que la honte s’est installée,
accompagnée d’une timidité maladive, ce qui est paradoxal pour une
personne plutôt sociable. Avec du recul, j’ai compris que le regard de
l’autre et les apparences étaient primordiaux pour mes parents et que mon
surpoids leur renvoyait un reflet peu gratifiant à la fois pour eux et leur
entourage. Il y avait l’image, l’esthétisme, bien entendu, mais également
l’opinion qu’on pourrait avoir d’eux : « Vous avez vu, ils laissent leur fils
grossir comme ça ! Parents indignes ! » Mes parents voyaient aussi les
réactions que mon surpoids déclenchait et me faire maigrir était aussi pour
eux une façon de me protéger pour que je ne sois plus différent des autres et
que l’on cesse de se moquer de moi. Toujours est-il que mes complexes se
sont installés durablement et qu’il a fallu attendre de nombreuses années et
un travail important sur moi-même pour m’en dégager.

La tribune est à vous !


Pouvez-vous dater vos premiers signes de complexes ? Quels ont été les
éléments déclencheurs ? Comment avez-vous réagi ? Quelles ont été les
émotions associées ? De qui sont venus les commentaires qui vous ont le
plus blessé ?

Votre enfant intérieur a besoin d’amour


Nous avons beaucoup parlé de l’enfance, puisque les complexes se
développent très tôt, mais il ne faut pas imaginer que l’enfant s’efface
derrière l’adolescent et l’adulte, et qu’on n’en parle plus. Au contraire,
l’enveloppe corporelle change, certes, mais affectivement, on ne devient
jamais adulte. On conserve au fond de nous cette âme d’enfant que l’on va
nommer « enfant intérieur ». Ainsi, le chagrin d’un enfant de deux ans reste
le même qu’un adulte de trente ans. L’expression de nos sentiments peut
être mûre ou immature, selon l’évolution et le développement personnel,
mais les émotions restent immuables.
Les blessures de l’âme que nous avons évoquées sont régies par l’enfant
intérieur et l’on peut y ajouter la souffrance, la solitude et les peurs diverses
et variées. Lorsque nous réagissons de façon disproportionnée face à une
situation, un évènement ou une personne, c’est notre enfant intérieur qui est
à la manœuvre. Et donc, quand on nous assène des paroles douloureuses
et/ou des railleries réactivant nos complexes, notre enfant intérieur est
touché de plein fouet et comme, affectivement, ça reste un enfant, il se sent
blessé, démuni, accablé, et peut agir de manière erratique. Il peut tempêter,
comme s’il se roulait par terre de rage, ou alors se replier sur lui-même en
attendant qu’on vienne le secourir.
Par conséquent, la prochaine fois que nous réagirons trop vivement ou que
nous nous sentirons démunis ou dépassés par une situation, il faudra
accorder un peu d’attention à notre enfant intérieur. Il convient déjà de se
rappeler que si l’enfant intérieur est prisonnier du passé, puisque c’est dans
le passé que les blessures et les complexes se sont installés, nous, en tant
qu’adultes, nous vivons dans le présent. Nous devons nous comporter
envers notre enfant intérieur un peu comme un parent, mais un parent
aimant, sécurisant et rassurant. L’enfant ne peut guérir qu’avec de l’amour,
et nous sommes les seuls à pouvoir lui apporter cet amour, puisque cet
enfant, c’est nous. Une fois notre enfant intérieur rassuré et aimé, il cessera
d’interférer avec nos ressentis et nos émotions. C’est pourquoi il est
essentiel d’apprendre à s’aimer soi-même pour pouvoir aimer son enfant
intérieur et gagner en maturité dans la gestion d’évènements ou de
situations déplaisants.

Le passé ne se conjugue qu’au passé


On dit que le poids du passé est souvent trop lourd. Mais en réalité, ce
n’est pas le passé qui est lourd, c’est la place que nous lui accordons dans
notre vie actuelle et les pouvoirs que nous lui octroyons aujourd’hui. Un
passé douloureux ne doit servir qu’à une chose : digérer les traumatismes,
tirer les leçons éventuelles et faire la paix avec ce qui n’est plus. Combien
d’entre nous laissent le passé régir leur vie présente ? Combien d’entre nous
retournent invariablement vers leur passé en disant « si j’avais su » ou
« c’était mieux avant » ? Or nous n’avons pas le don d’ubiquité, et si nous
allons sans cesse dans le passé, nous cessons ipso facto d’être dans le
présent.
Pourtant, seul le présent compte. Pas parce que des auteurs à succès
l’affirment, mais parce que notre pouvoir d’action se limite dans le présent.
Quoi que nous ayons fait ou subi dans notre passé, il est matériellement
impossible de revenir dessus et d’en changer le cours, à moins bien entendu
d’avoir une machine à remonter le temps, ce qui n’est pas encore d’actualité
(enfin, à ma connaissance). Les regrets et les remords n’ont aucun sens et
n’apportent strictement rien de bon, puisque nous n’avons aucun pouvoir
dessus. Ils ne servent qu’à empoisonner notre vie actuelle et nous bloquer.
Le plus terrible est que nous nous accrochons trop souvent à notre passé,
comme à une bouée de secours, et il est urgent de comprendre que le passé
n’est pas une bouée, mais un boulet, surtout lorsqu’il fait ressurgir des
sentiments négatifs et nous rend malheureux.
Ainsi, les situations et les personnes qui nous ont blessés et ont pu être
source de nos complexes appartiennent au passé. Et le passé n’a pas besoin
d’être ancien, il peut être très récent. Hier appartient déjà au passé. Bien
entendu, les souvenirs agréables et l’amour que l’on nous a témoigné dans
notre passé restent ancrés en nous et nous réchauffent le cœur, c’est
totalement autre chose. Ils nous épaulent dans notre présent, car ils nous ont
permis de nous construire.
Tout est une question de pouvoir. Pas de pouvoir dans le sens du contrôle
et de la suprématie, mais dans le sens de la capacité et de l’action. Les seuls
éléments sur lesquels je peux agir actuellement, c’est ici et maintenant. Ni
dans ce qui est passé ni dans ce qui est futur. Dans ces deux cas, en effet,
nous restons dans le conditionnel, donc pas dans le réel. Nos formatages
d’hier ne correspondent ainsi plus à rien aujourd’hui, et ressasser à l’envi
des évènements passés ne fait qu’entretenir un cercle vicieux duquel nous
pouvons difficilement sortir indemnes.
Laisser au passé ce qui est au passé est le premier pas vers la récupération
de notre pouvoir d’action sur tout ce qui nous empoisonne l’existence
aujourd’hui, y compris les complexes, même les plus récalcitrants.
Rappelons-nous que la pensée génère le ressenti, qui génère le
comportement. Donc, si nous pensons à un évènement douloureux du passé,
le sentiment qui sera généré appartiendra au registre douloureux et le
comportement aussi. Nous avons donc tous intérêt à nous recentrer sur le
présent.

Le deuil de l’idéal
Puisque nous venons de parler de l’enfance et du passé, et vu combien il
était important de lâcher prise et de vivre dans le présent, un autre sujet
s’impose, celui du deuil de l’idéal. Il faut en effet pouvoir et savoir « mourir
de son passé » pour vivre pleinement sa vie actuelle. Les deuils sont variés :
deuil d’une enfance qu’on aurait souhaité plus heureuse, deuil de l’amour
et/ou du soutien de nos parents, deuil de ne pas avoir correspondu aux
espoirs de nos proches, deuil de la vie qu’on aurait pu choisir, deuil des
blessures que l’on nous a infligées, etc.
Et naturellement, le deuil de tout ce qu’on qualifie d’idéal : le parent
idéal, l’enfant idéal, la situation idéale, le parcours de vie idéal… L’idéal
correspond à une variante de la perfection. C’est la perfection non pas selon
les critères d’une norme collective, mais selon les critères subjectifs de
croyances individuelles. Par exemple, l’enfant idéal pour M. et Mme Chose
doit se marier, avoir trois enfants, vivre en pavillon et travailler dans
l’entrepreneuriat. Mais pour M. et Mme Truc, l’enfant idéal doit se consacrer
à l’humanitaire, être indépendant et avoir fait le tour du monde à la voile. Il
n’existe d’idéal que par rapport aux uns et aux autres qui projettent leurs
désirs, peurs et frustrations sur un individu sur lequel ils s’arrogent des
droits.
Concernant les complexes, oui, nous aurions tous préféré une vie plus
facile dénuée de ces moments déplaisants et mortifiants, nous aurions tous
aimé recevoir plus de soutien et de compréhension de ceux que l’on aimait
et en qui nous avions confiance, nous aurions souhaité beaucoup de choses
qui correspondent à notre vision de l’idéal. Mais l’idéal, filiale de la
perfection, n’est qu’un vœu pieux et n’existe pas dans le monde réel : c’est
un mirage ! Et plus vite nous aurons compris cela, plus vite nous nous
accepterons, avec nos complexes ou pas.

Repérage
Les complexes ne sont jamais innés, mais acquis, et peuvent
apparaitre dès l’âge de cinq ou six ans comme bien plus tard, à l’âge
adulte, voire très avancé.
La répétition, le ton, la manière, le lieu, le public, l’interlocuteur
jouent tous un rôle dans l’intégration ou non du complexe, en
fonction de l’importance que nous leur accordons. Et notre
entourage, familial ou social, y participe aussi activement.
Celui qui se sent bien n’a jamais besoin d’attaquer ni de ridiculiser
quelqu’un d’autre. Autrement dit, ceux qui nous blessent et nous
adressent des moqueries sur nos particularités sont eux-mêmes mal
dans leur peau.
Nous possédons trois cerveaux interconnectés : le reptilien, le
limbique et le cortex (ou néocortex). Le reptilien est le cerveau le
plus instinctif et primaire qui dicte les saillies et les vexations à
l’emporte-pièce.
Face à un évènement ou une situation, une pensée va émerger. Elle
va ensuite générer un ressenti qui, à son tour, entrainera une action
ou un comportement spécifique.
Il existe cinq blessures de l’âme (le rejet, l’humiliation, l’abandon, la
trahison et l’injustice) et le complexe est intimement lié à celle
d’humiliation.
La souffrance que nous ressentons par rapport à nos complexes
affecte particulièrement notre enfant intérieur. Il convient de le
rassurer, le protéger et l’aimer en apprenant à nous aimer nous-
mêmes, adultes.
Nous ne pouvons agir que sur le présent et nous devons absolument
nous libérer du passé, sur lequel nous n’avons aucune action
possible, et qui nous bloque et nous emprisonne dans une situation
épouvantable.
Pour avancer, faisons le deuil de l’enfant idéal, du parent idéal et de
tous les états ou situations que nous aurions souhaité expérimenter.
Ce sont des mirages.

Et moi, dans tout ça ?


Voici quelques sujets sur lesquels nous vous invitons à réfléchir (et à
consigner sur votre cahier/carnet) :

Votre entourage a-t-il joué un rôle dans le développement de vos


complexes ? Plus particulièrement, était-ce votre cercle amical,
social ou professionnel ?
À quand dateriez-vous vos premiers complexes ?
Pouvez-vous retranscrire vos schémas pensée >
ressenti > action/comportement face à un évènement qui réactive vos
complexes ? Par exemple, si une personne vous adresse une
moquerie, quel est votre cheminement personnel ?
En cas de différend avec un interlocuteur, quel qu’il soit, ce dernier
s’en est-il pris à vos particularités physiques, identitaires ou
socioculturelles ? Si oui, retracez le schéma
pensée > ressenti > action/comportement.
De l’autre côté de la barrière, vous est-il arrivé, à bout d’argument ou
de patience, d’oser un commentaire dépréciatif sur une
caractéristique physique, identitaire ou socioculturelle de votre
interlocuteur ? Si oui, pourquoi en êtes-vous arrivé là ? Retracez le
schéma pensée > ressenti > action/comportement qui vous a amené à
émettre une parole blessante.
Au jour le jour, quel cerveau semble le plus prégnant ? Le reptilien,
avec des réactions instinctives, le limbique, avec des réactions
émotionnelles, ou le cortex, avec des réactions réfléchies ? Y a-t-il
une constance, ou les réactions sont-elles fonction de
l’environnement et/ou de votre état d’esprit ? Quelles sont, d’après
vous, les répercussions positives ou négatives de ces réactions ?
Diriez-vous que vous vivez ici et maintenant, ou que vous laissez le
passé empiéter sur le présent ? Quels évènements passés continuent
de vous poursuivre ? Quelle importance leur donnez-vous et
pourquoi ? Pensez-vous qu’aujourd’hui, il vous est possible d’avoir
un impact sur ces évènements ou de modifier leur cours ? Notez tous
les évènements ou situations passés qui vous polluent encore
aujourd’hui et appliquez-leur le schéma
pensée > ressenti > action/comportement.
Considérez-vous être la même personne au présent qu’au passé ? Si
oui, pourquoi, sinon, quelles sont les différences ?
4
Le complexe en embuscade
Une fois le complexe accueilli et installé, comment s’en accommode-t-on
au jour le jour ? Plus ou moins bien en fonction du tempérament de chacun
et surtout des situations et des personnes rencontrées. Une sorte de routine
se met en place par le jeu de la répétition. Dans le milieu familial ou social,
par exemple, à force d’entendre des railleries ou des commentaires peu
amènes, on finit par ne plus y prêter attention. Cela ne veut pas dire que la
souffrance et la douleur disparaissent, bien au contraire, cela veut dire
qu’elles s’ancrent plus profondément, jusqu’à faire un tout avec notre
identité, et ne nécessitent donc plus de rappels.
En présence de nouvelles personnes ou de nouvelles situations, la
situation est différente, parce que nous pouvons espérer des comportements
nouveaux. Tout le monde, en effet et heureusement, ne trouve pas
nécessaire, amusant ou gratifiant de s’en prendre aux particularités d’autrui.
Si le comportement est identique à celui que nous connaissons, le
renforcement du mal-être se généralise un peu plus et ajoute une épaisseur
supplémentaire au fardeau que l’on porte déjà. En revanche, si nous avons
affaire à des interlocuteurs matures et équilibrés, un allègement du fardeau
s’opère, car nous constatons qu’il existe d’autres options et qu’une partie ne
fait pas le tout.

Le quotidien du complexe
Pour gérer le quotidien, des mécanismes de protection, voire de survie,
vont se mettre en place, un peu inconsciemment ou, plus exactement,
instinctivement. Personne n’aime délibérément souffrir, même dans le cas
d’une estime de soi déficiente, et nous recherchons donc ce qui peut nous
éviter de souffrir. Rappelons que les complexes sont particulièrement
polarisateurs et, par conséquent, occupent tout notre esprit en permanence,
un peu comme un ordinateur en veille et qui, à la moindre sollicitation, se
rallume. Aucune vision à 360°, nous restons dans le monocle.
Plusieurs stratégies vont donc émerger :

La dissimulation des particularités (en tout cas, la tentative, car on


sait tous que ce que l’on cherche à cacher ressort encore plus
vivement). Par exemple, l’utilisation d’accessoires ou de trompe-
l’œil, ou le recours aux régimes ou à la chirurgie esthétique, dans le
cas d’un complexe physique ; la modification d’un prénom ou de la
prononciation d’un nom, ou encore le gommage de l’orientation
sexuelle ou l’adoption d’habitudes alimentaires diverses, dans le cas
d’un complexe identitaire ; l’évitement, la réécriture de la réalité ou
un apprentissage tous azimuts pour se fondre dans la masse, dans le
cas d’un complexe socioculturel.
L’isolement. Si ce sont les autres qui nous blessent, il suffit de les
fuir pour ne pas souffrir, n’est-ce pas ? Quitte, bien entendu, à fuir
aussi ceux qui pourraient nous aider. Or cet isolement volontaire et
prophylactique va peu à peu nous désocialiser et renforcer le
sentiment de détresse, d’exclusion et de rejet.
L’autodérision. Hélas, rarement dans un sens positif. Ralliant le parti
des assaillants pour chercher à nous intégrer, nous allons reprendre
leurs railleries contre nous-mêmes. Cela peut s’apparenter à une
forme de masochisme, mais en réalité, c’est le désespoir, la non-
acceptation de nos particularités et la mauvaise estime de soi qui
incitent à cette irrationalité. C’est également exister aux yeux des
autres, et tout est bon pour y accéder, y compris se blesser
intentionnellement (mais certainement pas en pleine conscience de
ses faits et gestes).
Le trou de souris. Il s’agit de se faire le plus petit possible et de faire
le moins de vagues. Donc on dit oui à tout, surtout à ce qui ne nous
convient pas, on se perd dans les besoins et les désirs de l’autre, et
notre stratégie paie, puisqu’effectivement, on finit par ne plus exister
en tant qu’individu.
La compensation. Pour compenser nos particularités, on fait tout
pour se démarquer dans l’excellence quelque part, comme si le fait
de briller dans un domaine permettait d’annihiler les traits
embarrassants. On peut aussi développer une vertu, souvent la bonté,
de façon que l’autre nous trouve des circonstances atténuantes :
« Elle a un physique ingrat, mais elle est brave, vous savez ! »
Et nous de poursuivre sur notre lancée, au risque de nous perdre,
comme si nous cherchions à nous excuser d’exister ou d’être tels que
nous sommes.
La politique de la terre brûlée. On fait n’importe quoi, dans tous les
sens du terme et dans tous les domaines. On accentue ses
particularités jusqu’à devenir une caricature de soi-même, on plonge
dans tous les excès possibles et imaginables, on se comporte de la
manière la plus erratique qui soit, on plonge dans la détestation de
soi et des autres, ou l’on recherche une échappatoire dans les paradis
artificiels, addictifs et nocifs. On met en danger soi et les autres.

Chacun adopte les mesures qu’il juge les plus efficaces pour adoucir les
souffrances, mais en réalité, quelles qu’elles soient, elles ne font que les
renforcer et consolider le mal-être.

La conscience de soi-même
Il existe en anglais un terme aussi explicite et précis qu’intraduisible : la
« self-consciousness », que l’on pourrait traduire comme « conscience de
soi-même ». Rien à voir avec de vagues doctrines psychiatriques obscures
et absconses, c’est une expression très couramment utilisée aux États-Unis
pour dire qu’on se surveille soi-même, car on se sent observé, et donc qu’on
devient gauche et peu naturel. La self-consciousness, c’est un peu comme si
l’on vivait en permanence devant une caméra ou comme si l’on s’imaginait
que ses moindres faits et gestes étaient retransmis sur un écran de
télévision.
Par exemple, quand nous entrons dans la salle d’attente bondée d’un
médecin, nous sommes nombreux à devenir « self-conscious », c’est-à-dire
à perdre de notre spontanéité et être un peu dans nos petits souliers. Déjà,
on va rarement chez le médecin pour le plaisir, donc on est un peu inquiet et
tendu ; les autres patients ressentent certainement des choses similaires ; le
silence ponctué de quelques toussotements n’arrange rien, et dans ce petit
espace, où chacun se tient prêt à se lever pour suivre le médecin, le moindre
mouvement prend des dimensions extraordinaires. Et en sortant du cabinet,
la self-consciousness disparait aussitôt, on souffle à l’air libre.
Eh bien, imaginez que les personnes complexées soient self-conscious en
permanence. Habituées aux railleries ou autres commentaires, sans cesse
sur le qui-vive, elles conscientisent chacun de leurs gestes et de leurs
paroles. C’est comme si elles s’observaient de l’extérieur, ce qui, sans
surprise, rappelle une sorte de dédoublement de la personnalité, le fameux
« je est un autre » d’Arthur Rimbaud. Bien entendu, la conscience de soi-
même provient du mental, en réponse au regard de l’autre et à la sensation
que nos particularités sont auréolées d’une sirène de pompier hurlante. Dans
un contexte spécifique et d’une durée limitée, la conscience de soi-même
prend une coloration sociale de bienséance et ne prête pas à conséquences.
En revanche, si cet état perdure, quelle que soit la situation, en raison d’un
mal-être et de la honte de particularités, le sujet vit dans un état de tension
permanente, n’est jamais dans l’authenticité et participe activement à sa
souffrance. Il peut même déclencher de réelles pathologies.

Le mot et l’idée
La vie heureuse est donc celle qui est en accord avec sa propre nature.
SÉNÈQUE, PHILOSOPHE ROMAIN

La haine de soi
La haine est une émotion particulièrement toxique, qu’elle soit dirigée
vers autrui ou vers soi-même, les deux étant souvent intimement liés.
Comme tout ressenti, la haine n’apparait pas spontanément, mais fait suite à
une pensée. La pensée génère le sentiment, qui génère une action. On peut
considérer la haine comme une colère intérieure, des besoins non satisfaits
ou une souffrance niée que nous projetons sur une autre personne, une
situation ou nous-mêmes. Dans le cas du complexe, lors des premières
railleries sur nos particularités, instinctivement, on en veut d’abord à
l’assaillant, et c’est tout à fait normal. Par la suite, on dirige cette colère,
transformée en haine, bien plus virulente et durable, sur nous-mêmes. Le
problème de la haine, c’est qu’elle finit par tout envahir et nous entrainer
dans un cercle d’autodestruction. En effet, comment peut-on s’aimer si l’on
abrite autant de haine en soi ?
Mais est-ce que la haine ne serait pas composée de différents sentiments,
comme la tristesse, la colère, la peur, la frustration… ? Une personne
complexée qui éprouve de la haine pour elle-même n’est-elle pas en réalité
triste, en colère, effrayée et frustrée à la fois de ses particularités, mais aussi
des réactions qu’elles suscitent et qu’elles considèrent, à juste titre, comme
infondées, injustes et blessantes ? Comme tous les ressentis, la haine reste
un état qui n’est pas voué à durer dans le temps. Or, s’il se pérennise, il peut
faire beaucoup de dégâts, et les faits divers regorgent d’individus qui,
moqués et complexés pour telle ou telle raison, perdent la raison et
redirigent vers autrui la haine qu’ils éprouvaient pour eux-mêmes, jusqu’à
perpétrer des tueries ou autres sauvageries.
Il est dans notre plus grand intérêt de nous débarrasser au plus vite de
cette haine. Pour cela, le meilleur moyen est de résoudre les sentiments qui
l’engendrent, de combler nos désirs jusque-là insatisfaits et de reconnaitre
notre souffrance. On peut toujours trouver des raisons de haïr quelque chose
ou quelqu’un, mais partant du principe qu’il nous est impossible de changer
l’autre, seulement nos réactions, on perdrait son temps et son énergie à se
battre contre des moulins à vent. Et rien ne s’arrangerait.
Maintenant, examinons la notion de haine de l’autre côté du miroir.
Pourquoi les gens nous haïssent-ils ? Ils nous haïssent lorsque nous les
blessons, leur refusons quelque chose ou leur infligeons des souffrances
volontaires. Le plus étonnant, c’est que souvent, les gens nous haïssent pour
nos faiblesses supposées qu’ils redoutent de retrouver en eux ! Ils peuvent
aussi nous haïr pour nos atouts et nos coups de chance, dont ils s’imaginent
être privés (la jalousie ou l’envie qui se muent en haine). Et parfois, on nous
hait sans aucune raison rationnelle. En acceptant le fait que nous n’avons
rien à nous reprocher et que le monde n’est pas toujours très juste, on peut
passer à autre chose plutôt que de gaspiller ses forces.

Le cas Le Luron
Thierry Le Luron (1952-1986) a été un humoriste vedette dans les
années 1970-1980, et s’il présentait le visage épanoui de celui à qui tout
sourit et qui réussit tout ce qu’il touche, c’était un leurre, ou plus
exactement, un masque. En effet, le jeune homme souffrait d’un complexe
physique (il se trouvait trop petit), d’un complexe identitaire (il était
homosexuel et en avait honte) et d’un complexe socioculturel (il était atteint
du sida, particulièrement stigmatisant à l’époque). Comment s’est-il
comporté vis-à-vis de ses trois complexes ? Il tournait en dérision sa petite
taille, il réfutait son orientation sexuelle et niait violemment être atteint de
sa pathologie immunodépressive. Parallèlement, Thierry Le Luron,
souffrant d’une grande solitude et d’un grand isolement, se réfugiait dans
les dépenses somptuaires, les paradis artificiels et la vie nocturne en
s’adonnant à tous les excès.
Pourquoi ? Par souci du regard des autres, de son image, de sa réputation,
mais aussi par haine de soi-même. Détestation et honte de ses particularités.
D’ailleurs, d’un point de vue psychologique, il est intéressant de souligner
que Le Luron imitait les autres, comme s’il cherchait tout le temps à être
quelqu’un d’autre. Mais tout étant lié, ses imitations étaient rarement bon
enfant. Il remarquait les particularités, souvent source de complexes, chez
ses contemporains et en faisait sujet à railleries pour le moins cruelles. En
fait, ses propos blessants, voire impitoyables, traduisaient son propre mal-
être. Et dans son mode de fonctionnement, admettre ses particularités aurait
été un aveu de faiblesse et une perche tendue aux moqueries en tout genre.
Pour sa taille, il prenait les devants par une sorte d’autodérision souvent
spirituelle, et bon, des célébrités pas très grandes, il y en avait, il n’était pas
le seul, et la particularité semblait acceptable. En revanche, ajoutée à
l’homosexualité et la maladie sans nom, il n’aurait pu le supporter. Parce
que vu le nombre de personnes qu’il avait blessées par son comportement,
ses commentaires ou ses sketches, il savait qu’il deviendrait la cible de tous
les quolibets, un peu selon la loi du talion. Pourtant, son orientation sexuelle
comme sa pathologie étaient des secrets de Polichinelle. Mais les
complexes sont tellement polarisants, nous l’avons dit, qu’ils tuent dans
l’œuf tout soupçon de rationalisme. Il faudra d’ailleurs attendre quelque
temps avant que des témoins n’admettent la véritable cause de son décès.
Parti à trente-quatre ans, la phrase qui revenait sans cesse était : « Quel
gâchis ! » Effectivement et à tous les niveaux. Renier son soi profond ne
donne jamais de happy end. Et si vous pensez que la situation de
Thierry Le Luron est unique ou due au milieu dans lequel il évoluait,
détrompez-vous. Tout un chacun, selon son environnement et sa
construction psychologique, peut être concerné. Là, il y a honte et
stigmatisation, il y a des complexes florissants qui finissent par tuer.

Le divan du psy : info scientifique


On se culpabilise de ce que l’on a fait, mais on a honte de ce que l’on est : le dommage
est plus grave. Ainsi, la honte est toujours une honte de soi : c’est soi-même que l’on
rejette tout entier, pas seulement ses actes.
CHRISTOPHE ANDRÉ, PSYCHIATRE

La confusion des sentiments


Si certains interprètent la moindre parole ou le moindre geste ni toujours à
bon escient ni correctement, la plupart d’entre nous ne disposent pas de
traducteur automatique de pensées et de ressentis. Pour se faire une idée
d’un individu, on se fie à son regard, son instinct et nos interactions. Par
conséquent, si la personne que je rencontre parait sûre d’elle et épanouie, a
priori, je n’ai aucune raison de douter de ce que je vois. Or les personnes
complexées affichent rarement leur véritable personnalité, parce qu’elles
cherchent avant tout à plaire et à ce que l’autre ne détecte pas leurs
particularités. Qu’importe la nature de la relation : sentimentale,
professionnelle, amicale, sociale…
Ainsi, les dés sont pipés dès le début. En présentant une fausse image de
soi, forcément, on attire des personnes séduites par cette fausse image. Or
nous ne sommes pas cette image. Si bien que nous finissons par rester avec
des individus qui ne nous correspondent en rien et avec lesquels nous ne
sommes pas compatibles. Ah oui, nous pouvons nous sentir flattés de
l’attention de telle ou telle personne pour diverses raisons, mais cela flatte
avant tout notre ego. Or nous connaissons à présent le rôle délétère tenu par
l’ego. Il est toujours possible de poursuivre la mascarade pendant un laps de
temps plus ou moins long, mais il est impossible d’en tirer la moindre
satisfaction authentique, celle qui nourrit notre âme, nos besoins et nos
valeurs. Le plus souvent, du reste, une rupture scelle le sort d’une telle
relation, souvent pour une broutille, d’ailleurs, qui n’est en réalité que la
goutte qui fait déborder le vase.
En parlant de relation, il ne faut pas confondre plaire et aimer. Plaire
signifie faire plaisir à l’autre. Nous restons donc dans l’avoir et le faire, et
non dans l’être. Or on ne tombe pas amoureux d’une personne en fonction
de ses actes, mais en fonction de son être tout entier. Sinon, ce n’est pas de
l’amour, mais de la reconnaissance ou de l’amitié. D’un point de vue
général, nos relations reflètent les relations que nous entretenons avec nous-
mêmes. Si nous nous sentons bien et acceptons nos particularités, nous
créerons des liens sains et positifs avec des personnes saines et positives. Et
vice versa. D’où, justement, la répétition de schémas. Certains se
demandent souvent pourquoi leurs histoires d’amour ou d’amitiés se
terminent toujours en queue de poisson. Très simple : pour nourrir des
relations authentiques, faut-il déjà être soi-même dans l’authenticité ; pour
rencontrer des personnes aimantes et sincères, faut-il déjà être aimant et
sincère avec soi-même ; et pour accepter l’autre dans son ensemble, faut-il
déjà s’accepter soi-même en l’état, avec toutes les particularités éventuelles.
Donc, avant de plonger la tête la première dans une relation, entrainons-
nous d’abord à nous sentir à l’aise… avec nous-mêmes !

Le triangle dramatique
Tous les jeux ne sont pas amusants et certains sont même à éviter.
Notamment les jeux dits « psychologiques ». En effet, ils obéissent à des
stratégies de manipulation et de contrôle tout ce qu’il y a de plus dangereux
et nuisibles. Et le triangle de Karpman ou triangle dramatique mis en
lumière par le psychiatre Stephen Karpman en 1968 est précisément un jeu
de rôles psychologique dans lequel nous avons tous plus ou moins tendance
à nous laisser entrainer, consciemment ou pas.
Lorsque nous sommes dans une relation (amoureuse, amicale,
professionnelle, sociale…) négative, décourageante ou frustrante, il y a de
fortes chances pour que nous jouions au triangle de Karpman. Ce jeu est
très simple et nécessite trois joueurs : un joueur va tenir le rôle de la
victime, un autre celui du bourreau et un troisième celui du sauveur. La
victime sera innocente, impuissante, démunie, pathétique, maladroite et
agaçante. Le bourreau sera dévalorisant, cruel, blessant, colérique, voire
violent, frustré et impatient. Le sauveur sera généreux, bon, fort, protecteur,
bienveillant, mais infantilisant et culpabilisant. Les trois rôles sont
naturellement interdépendants et se nourrissent les uns des autres. La petite
subtilité, c’est que les rôles peuvent changer, comme les chaises musicales,
et une victime peut devenir bourreau puis sauveur, avant de retourner à son
personnage de victime.
Bien évidemment, pas de jeu sans joueurs. Mais la question ne se pose
généralement pas, car la plupart d’entre nous ont, consciemment ou non,
une attitude de victime, bien sûr à divers degrés et dans divers domaines. Et
lorsqu’il y a victime, il ne faut pas chercher bien loin un bourreau et un
sauveur. Si l’on reste dans la géométrie, le triangle dramatique fait penser
au cercle vicieux, dans le sens où les protagonistes tournent en rond. Les
applications du triangle de Karpman sont aussi diverses que variées.
Prenons le cas d’une personne complexée par son poids. La personne en
surpoids joue le rôle de la victime et va se plaindre de son poids, du regard
des autres, des moqueries, etc. Survient alors le bourreau qui, pour des
raisons qui lui appartiennent, ne se sent pas bien dans sa peau, et qui va
rabrouer la victime, la railler, lui ordonner de faire un régime et cesser de
brailler, etc. Le jeu entre ces deux protagonistes bascule rapidement dans
une sorte de rapports sadomasochistes des plus malsains. Heureusement
surgit le sauveur, par exemple une amie de la personne en surpoids, qui va
intimider le bourreau et jouer le rôle du chevalier blanc, sans peur et sans
reproche. Mais dès lors, le sauveur peut à son tour devenir bourreau, excédé
par les lamentations de la victime ou la victime peut devenir bourreau vis-à-
vis de son ancien persécuteur qui devient à son tour victime. Et ainsi de
suite : les rôles s’échangent, les souffrances se poursuivent et les
problématiques ne se résolvent pas. Paradoxalement pour le plus grand
plaisir (inconscient, bien sûr) des joueurs, qui se trouveraient bien démunis
si l’un d’eux décidait de sortir du triangle.
Un point essentiel du triangle de Karpman est qu’aucune persécution n’est
possible sans victime consentante. Dans notre exemple, si à la première
injonction ou parole blessante, la victime avait mis le holà, le bourreau
n’aurait pas gagné en assurance et la victime n’aurait pas perdu en estime.
Évidemment, pour sortir du triangle ou ne pas y entrer, il faut le vouloir. Or,
pour diverses raisons, toutes liées à la peur, la victime reste auprès de son
bourreau et subit. Mais attention, elle ne subit pas son sort, elle subit tout
court ce qu’elle accepte et/ou la situation où elle s’estime bloquée et vouée.
Ce n’est en aucun cas une affaire de destinée, mais de choix. La peur peut
être la peur de se retrouver seule, peur des représailles, peur de l’avenir,
peur de ne pas gérer la situation, etc. Cela dit, les options existent. Dont
celle de dire stop.
En principe, le jeu se pratique avec des individus, mais il se joue aussi
avec des organisations, associations, communautés, etc. Le gros problème
du triangle de Karpman, qu’on ne nomme pas triangle dramatique par
hasard, est qu’il entraine de véritables tragédies humaines. Par exemple, les
situations de harcèlement qui font la une des journaux sont une application
du triangle. Quelle que soit la situation, il est très facile de se laisser happer
dans un triangle, surtout lorsqu’on souffre de complexes. Rappelons que la
violence s’installe toujours progressivement, par un dépassement furtif et
insidieux des limites. Par conséquent, il ne faut laisser passer aucune
transgression qui est en réalité un test. Le bourreau teste les limites de la
victime et va de plus en plus loin dans la persécution. À moins, bien
entendu, que la victime impose une limite dès le premier test.
Donc, que faire ? Refuser de jouer, certes, mais cela ne suffit pas toujours.
Il faut d’abord identifier l’invitation à jouer et, ensuite, continuer de refuser
malgré les multiples relances. Il existe un moyen très simple : quand un
bourreau vous invite sous forme de commentaire désobligeant ou de
moqueries ou autres, imaginez-le sur un ring, gants à la main. Le
commentaire ou la moquerie sert de faire-part, il vous tend la main pour
vous attirer sur le ring et entrer dans le jeu du triangle. Il est parfois très
tentant de monter sur le ring, mais ce n’est jamais une bonne idée.
Néanmoins, rappelons-nous que la victime, elle aussi, peut être à
l’instigation du jeu, et c’est aussi elle qui peut monter sur le ring en premier
et lancer l’invitation… Et elle, c’est aussi nous.

Le mot et l’idée
Il n’est pire haine que la haine de soi, car elle vous interdit d’aimer les autres.
JEAN-MICHEL GOLDBERG, ÉCRIVAIN

Les sens en alerte


Le pendant de la conscience de soi-même est l’hypervigilance, c’est-à-
dire la mobilisation exacerbée (et exagérée) de la vigilance.
L’hypervigilance, c’est un peu comme regarder sans cesse derrière son
épaule, se retourner toutes les minutes pour vérifier qu’un danger ne nous
menace pas. Évidemment, il est normal et souhaitable de se placer en
hypervigilance lors d’une promenade dans la jungle, où n’importe quelle
bête sauvage peut vous sauter dessus à tout moment, mais pas en
permanence dans la vie quotidienne, quand rien ne menace réellement notre
intégrité physique. L’hypervigilance permet de mobiliser tous les sens et
préparer l’organisme à la fuite ou au combat. Cet état se traduit d’ailleurs
par des manifestations physiologiques : augmentation de la fréquence
cardiaque, élévation de la tension artérielle, respiration plus courte, tensions
musculaires, etc. Une personne en hypervigilance est à l’affût du moindre
signe de danger ou considéré comme tel. Cette hypervigilance peut être
dirigée vers l’environnement ou vers soi-même.
Une personne complexée se place instinctivement en mode
d’hypervigilance dès lors qu’elle n’est plus seule avec elle-même. Tous ses
sens en alerte et au maximum de leur capacité, elle va prêter une attention
démesurée aux signaux émis par son entourage, anticipant bien souvent
leurs réactions. Par exemple, un individu atteint d’une pathologie cutanée
sur le visage sait qu’il peut s’attendre à des œillades lorsqu’il est dans un
bus ou un restaurant. Il va alors capter les éventuels regards ou
commentaires et les analyser immédiatement. L’analyse passe bien entendu
par le mental et s’ensuivent ressentis et action/réaction. Son hypervigilance
pourra également l’alerter sur un groupe de jeunes gens qui paraissent
agités et dont il craint la réaction, à tort ou à raison, et il va alors opter pour
l’évitement en changeant de trottoir ou d’itinéraire. Si l’évitement n’est pas
possible, dans ce cas, son hypervigilance l’aura averti du danger, et
s’attendant à des commentaires blessants, quand ils arriveront, il s’y sera
préparé. Évidemment, est-on jamais préparé à la douleur et la méchanceté ?
Mais chacun fait comme il peut et comme il pense être le mieux au moment
où il le fait. Ainsi, l’hypervigilance est une stratégie que bon nombre de
personnes complexées adoptent comme mesure de protection.

Le divan du psy
Plus nous cherchons dans le regard de l’autre cette confiance qui nous fait défaut, plus
nous sommes à l’affût du geste ou de la réflexion qui contribue à nous faire douter.
CATHERINE BENSAÏD, PSYCHIATRE

À chacun sa réaction
Nous sommes tous différents et, par conséquent, nous réagissons tous
différemment face aux railleries et autres commentaires plus ou moins
désobligeants. Prenons par exemple une phrase toute simple : « Oui, mais
toi, qu’est-ce que tu es spécial alors ! » Trois principales voies sont alors
possibles :

La réponse triste : on assume automatiquement que ce que l’autre


nous dit est vrai. Sans chercher plus loin ni remettre la moindre
parole en doute, on en déduit que nous sommes « mauvais » ou
avons fait une erreur, bref que nous faisons ou avons fait quelque
chose de mal. Forcément, les ressentis seront à la hauteur des
pensées et l’on se sentira triste, découragé, honteux, mal dans sa
peau, etc. Pour notre exemple, on se dit, oui, effectivement, je suis
spécial et c’est une mauvaise chose. Voie royale pour le
développement des complexes.
La réponse colérique : on se défend vigoureusement face à toutes les
horreurs injustes et injustifiées qu’on nous lance au visage. On se
justifie pour convaincre qu’en réalité, le monstre, c’est l’autre et pas
nous. On hurle et l’on tempête, et l’on se répète que l’autre est ceci et
cela. En pensant toutes ces choses négatives, nécessairement, on
entretient des pensées de colère, d’injustice, voire de haine, qui
s’autoalimentent et tournent en boucle. En fin de compte, on perd
contact avec la réalité, car on se retranche dans une bulle et l’on se
sent physiquement épuisé, car lorsqu’on est en colère, on génère de
fortes tensions dans tout son corps. Par ailleurs, c’est avant tout l’ego
qui mène la danse ici. On prend la parole de l’autre très
personnellement, preuve que l’on y accorde beaucoup trop
d’attention (et de crédit). Pour notre exemple, on se dit : « Mais non,
je ne suis pas plus spécial qu’un autre, qu’est-ce que c’est que cette
histoire ? Ce n’est pas moi qui suis spécial, c’est plutôt toi, oui ! »
Même si cela peut paraitre étrange, la colère ne supprime pas le
complexe, loin de là.
La réponse satisfaite : on sait que la perfection n’existe pas et qu’il
serait donc irrationnel et contre-productif de s’en vouloir de ne pas
être parfait. On entend le discours de l’autre, mais on ne l’accueille
pas et, par conséquent, il ne laisse pas d’empreinte. Cette réponse
nécessite cependant une bonne dose d’estime de soi, réelle ou
supposée : réelle pour ceux qui ont fait un travail sur eux-mêmes et
dont la démarche devient instinctive, et supposée pour ceux qui
travaillent sur eux-mêmes et en sont à l’intégration des principes,
d’où une étape de réflexion avant que les automatismes s’installent.
Pour notre exemple, on se dit : « Oui, effectivement, je suis spécial,
mais ne le sommes-nous pas tous, puisque nous sommes tous
différents ? » Pas de place alors pour les complexes, puisque les
émotions et les paroles restent transitoires et/ou anecdotiques, et sont
gérées ici et maintenant.

Confidences en aparté
Pour une personne en surpoids et complexée, la Via Dolorosa, c’est la
plage. Pour moi, c’était mon chemin de croix et je devais me préparer
psychologiquement aux supplices qui m’attendaient. Je savais par
expérience et anticipation que les regards et les commentaires seraient au
rendez-vous, et que je devrais prendre sur moi pour ne pas me laisser trop
décontenancer ni blesser par eux. Self-conscious jusqu’au bout des orteils,
je faisais bien attention à ne rien manger en public, car j’imaginais déjà les
commentaires, et je faisais en sorte de me déshabiller le plus vite possible
pour foncer dissimuler mon corps dans la mer. Seules ma tête et les épaules
étaient alors visibles, et ça, je pouvais gérer.
Je faisais tout pour rester dans l’eau le plus longtemps possible, mais à un
moment ou un autre, il faut bien en ressortir. Là, c’était plus compliqué.
Prenant mon courage à deux mains, je sortais alors le plus rapidement que
je pouvais, quitte à me casser la figure, pour aller m’étendre sur ma
serviette, sur le ventre, bien évidemment. Je me faisais un devoir de me
plonger alors dans un livre ou un magazine en veillant à ne jamais regarder
aux alentours. Une fois, un enfant a demandé à sa mère : « Regarde, le
garçon a des seins comme une femme ». Rouge de honte et de confusion,
j’aurais voulu disparaitre dans un trou de souris. Puis la tristesse et le
découragement ont pris le relais. Je me concentrais sur ma lecture, tout
glacé en dedans, et ne retenais pas un seul mot de ce que je lisais. Si jamais
je devais me lever pour aller aux toilettes ou acheter une bouteille d’eau, je
mettais systématiquement un tee-shirt ou une chemise pour ne pas
m’exposer à davantage de commentaires. Ensuite, j’avais pris l’habitude
d’aller sur des places dites sauvages, en réalité sans maitre nageur et à
l’écart, sans grand-monde. Là, je pouvais alors m’étendre sur le dos et être
moi-même.
Ce qui vaut à la plage vaut bien entendu à la piscine. Une fois, une fille
qui paraissait plutôt sympa me fait signe de venir vers elle. J’y vais, assez
confiant, et elle me dit : « Approche-toi, j’ai envie de toucher ton ventre,
j’aime bien toucher la graisse. » Mortifié, j’ai haussé les épaules et suis
reparti dans l’eau. Mais comme on peut s’en douter, tous ces commentaires
me causaient beaucoup de chagrin, et mes complexes s’en trouvaient encore
renforcés. Et je recherchais de plus en plus l’isolement pour ne plus subir de
telles situations, qui ont duré du milieu de l’enfance à la fin de
l’adolescence. Ensuite, je n’allais plus ni à la plage ni à la piscine, me
privant volontairement de ces plaisirs pour adoucir ma vie, la tactique de
l’évitement.

La tribune est à vous !


Pouvez-vous penser à des situations où vous avez été conscient de vous-
même ? Est-ce que cela vous aidait à gérer le regard et la parole de
l’autre ? Anticipiez-vous certains comportements ? Vous placiez-vous en
hypervigilance ? Si oui, comment cela se traduisait-il ? Avez-vous renoncé
à certaines activités pour éviter une réactivation de vos complexes ?

L’autosabotage
Le complexe étant souvent lié à la blessure d’humiliation, il en résulte des
tendances masochistes chez les individus complexés. Bien entendu, la
démarche reste inconsciente, mais les actions qui en découlent sont bien
réelles – et les conséquences aussi. Ainsi, pour compléter l’épisode de la
plage ci-dessus, je ne mangeais certes rien en public pour éviter les
remontrances et paroles blessantes, mais me livrais à de véritables crises de
boulimie une fois chez moi et en cachette de ma famille, bien évidemment.
Parce qu’il faut bien comprendre que les blessures ont besoin de douceur
pour cicatriser ou faire moins mal, et que la nourriture (dans mon cas)
servait de pansement. On le sait, le pansement est souvent éphémère et
entraine dans un cercle vicieux, puisque renforçant la sensation de mal-être.
Le masochisme incite à l’autosabotage, c’est-à-dire à agir pour nourrir et
renforcer les complexes, et à œuvrer contre nos propres intérêts. Tout cela,
nous le répétons, reste de l’ordre de l’inconscient, mais les postures
adoptées en cas de complexes éloignent de toute manière du réel et du
rationnel.
En fait, les complexes invitent aux excès divers et variés pour remédier à
un mal de vivre et soulager momentanément. Mais ces excès engendrent
toujours des remords, et les remords nous font entrer de plain-pied dans un
cercle vicieux duquel il est ensuite très difficile de s’échapper. Tous les
excès proviennent d’un sentiment d’insécurité intérieure et sont des moyens
d’extérioriser notre manque d’amour pour nous-mêmes.

Repérage
Chacun adopte les mesures qu’il juge les plus efficaces pour adoucir
ses souffrances, mais qui renforcent et consolident le mal-être :
dissimulation des particularités, isolement, autodérision, trou de
souris, compensation, politique de la terre brûlée.
Les personnes complexées s’adonnent très souvent à la conscience
de soi-même et à l’hypervigilance, supposées atténuer les effets de la
parole blessante de l’autre.
La haine est un ressenti particulièrement toxique, qu’elle soit dirigée
vers autrui ou vers soi-même, les deux étant souvent intimement liés.
Rien de positif ne peut en émerger.
Le triangle de Karpman est un jeu de manipulation psychologique
dans lequel tout le monde peut se trouver pris au piège et qui a des
répercussions dévastatrices. La victime, le bourreau et le sauveur
sont les trois identités des joueurs, et il faut refuser d’entrer dans le
jeu.
Face à un évènement, nous avons le choix entre la tristesse, la colère
ou la satisfaction. Seule la satisfaction permet d’échapper aux
complexes, mais elle reste conditionnée à un minimum d’estime de
soi.
L’autosabotage est souvent une réponse inconsciente et nuisible à un
état complexé. Il est très important d’identifier les occurrences où
nous cédons à l’autosabotage, afin de nous en dégager.

Et moi, dans tout ça ?


Voici quelques sujets sur lesquels nous vous invitons à réfléchir (et à
consigner sur votre cahier/carnet) :

Quelles sont vos stratégies pour adoucir vos complexes et vous


protéger du regard et/ou des commentaires de l’autre ?
Avez-vous ressenti de la haine pour vous ou l’autre ? Si oui,
comment s’est-elle manifestée ? A-t-elle perduré ? En avez-vous tiré
des bienfaits ?
Pensez-vous avoir déjà participé, volontairement ou non, à un
triangle de Karpman ? Si oui, quels rôles avez-vous adoptés ? Est-ce
que les rôles ont été modifiés ? Si oui, comment et pourquoi ? Autour
de vous, dans la vie de tous les jours, observez-vous des situations
pouvant rappeler ce jeu de manipulation psychologique ?
Réfléchissez aux moyens de refuser d’entrer dans le triangle.
Face au regard et à la parole de l’autre, réagissez-vous plutôt par la
tristesse, la colère ou la satisfaction ? Notez les principales
occurrences auxquelles vous avez réagi d’une façon ou d’une autre.
Avez-vous conscience de faire ou d’avoir fait de l’autosabotage ?
Notez les situations et les répercussions sur votre vie et vos
complexes.
5
Le regard de l’autre
Aucun doute là-dessus, la naissance d’un complexe est toujours liée au
regard de l’autre. Cependant, ce n’est pas l’autre qui donne naissance au
complexe, mais notre propre perception du regard de l’autre. Ce qui est très
différent, puisque cela laisse supposer que l’installation du complexe est de
notre fait et qu’il dépend de la façon dont on traduit ce regard (et les
commentaires blessants qui l’accompagnent).
Or, si nous participons activement à l’assimilation du complexe, cela
signifie que nous sommes quelque part, et bien entendu toujours de manière
inconsciente, victimes consentantes. Mais le point le plus important est que
si nous sommes à des degrés divers responsables de l’accueil du complexe,
nous pouvons tout aussi bien être responsables de sa suppression. En effet,
logiquement, ce que nous faisons, nous pouvons aussi le défaire. Voilà une
nouvelle rassurante !

L’autre, reflet ou miroir ?


Lorsqu’on parle du regard de l’autre, on ne se cantonne pas au regard
proprement dit, mais on élargit aux commentaires, rires, railleries, etc. Ce
regard peut être individuel (une personne physique) ou collectif (un groupe
de personnes physiques ou une entité représentant un ensemble de
personnes ou d’opinions). Ainsi, une particularité physique est souvent
assujettie au regard individuel et collectif. Si l’on prend le surpoids
(complexe physique) ou l’homosexualité (complexe identitaire), par
exemple, nous avons affaire au regard d’un individu (celui qu’on croise
dans la rue et qui lance une invective) et au regard de la collectivité
(grossophobie et homophobie relayées un peu partout et, surtout, présentes
dans l’inconscient collectif).
La différence entre regard individuel et regard collectif est assez
importante, parce que d’un côté, on peut parler de cas isolé, et de l’autre, de
véritable syndrome. Ce n’est pas la même chose d’être montré du doigt par
un ou deux individus et montré du doigt par une société tout entière, même
si, c’est vrai, la société est composée par ces « un ou deux individus ». La
généralisation conduit à la banalisation, qui conduit à l’acceptation forcée.
Maintenant, que voit-on dans le regard de l’autre ? Y voit-on son propre
reflet ou un regard qui se reflète dans le nôtre et devient un miroir, comme
une sorte de double, mais différent ? Est-ce que nous ne projetons pas notre
mal-être dans le regard de l’autre en nous imaginant qu’il nous voit comme
nous, nous nous voyons ? Nous sommes dans les jeux de miroir. Or chacun
sait qu’il faut se méfier des miroirs, parce que ce que l’on y voit et
interprète n’est pas toujours le reflet de la réalité.

L’indulgence du procureur
Diverses études montrent que nous sommes moins regardés que nous ne
le pensons, et que lorsque nous sommes regardés et évalués, nous le
sommes moins sévèrement que nous ne le pensons. Bonne nouvelle, les
jugements extérieurs sont toujours beaucoup plus favorables que nous ne le
pensons nous-mêmes. Autrement dit, nous sommes nos juges les plus
impitoyables !
Si le regard de l’autre peut meurtrir ou interpeler selon l’accueil de ce
regard, à froid, avec un peu de recul, notre ego ne serait-il pas encore en
train de nous jouer un tour ? En imaginant que notre petite personne, avec
toutes ses particularités, est au centre de l’intérêt de l’autre et occupe toutes
ses pensées, ne serait-ce pas un tantinet prétentieux (et surréaliste) ?
N’inverserions-nous pas les rôles ? Parce que, oui, nos complexes sont au
cœur d’un système : le nôtre ! Nous plaçons nos particularités au centre de
notre intérêt et elles monopolisent toutes nos pensées. L’autre a, en effet,
très bien pu émettre des horreurs. Combien de temps cela a-t-il duré chez
l’autre ? Quelques secondes, le temps d’évacuer un peu de son mal-être ? Et
chez nous ? Quelques secondes ou quelques années ?
En fait, notre perception de la gravité et de l’intensité du regard de l’autre
est faussée, car elle s’appuie non pas sur des faits objectifs, mais sur notre
propre sensibilité, notre propre fonctionnement et notre propre
interprétation. Aie, aie, aie… Est-ce que, tout compte fait, je ne ferais pas
une montagne d’un rien ? Ou, plus exactement, est-ce que je pourrais
envisager que ma perception des propos de l’autre et surtout de leur portée,
leur valeur et leur importance n’est pas entièrement correcte ni appropriée ?
En réalité, le complexe ne dépend pas du regard de l’autre, mais de
l’importance et la valeur qu’on accorde à ce regard. Le complexe est
finalement une histoire entre soi et soi.

Le mot et l’idée
Je ne quête plus d’autre approbation que la mienne.
MICHEL DÉON, ÉCRIVAIN

Sens et contresens
En traduction, si la signification générale du texte peut généralement être
retranscrite, la phrase proprement dite perd ou gagne toujours quelque
chose, et l’on n’est jamais à l’abri d’un contresens. Or l’interprétation que
nous faisons du regard de l’autre peut s’apparenter à une traduction. Nous
allons donc ajouter ou soustraire des éléments, voire faire fausse route.
Et finalement, on met un peu ce que l’on veut dans le regard de l’autre,
quitte à s’improviser voyant, puisqu’on imagine ce que l’autre pense et l’on
déduit que ce qui nous plait et nous déplait chez nous lui plait ou lui déplait
aussi. Des quiproquos sont alors tout à fait possibles.
Par ailleurs, le principe de généralisation prête aussi à confusion. Parce
que le regard de certains autres est blessant, nous concluons souvent que le
regard de ces certains autres est celui de la terre entière (ou tout au moins de
ceux que l’on croise). Or le 100 % n’existe pas. C’est un peu comme en
politique, en démocratie, un candidat n’est jamais élu avec 100 % des voix :
des électeurs ont voté pour, d’autres ont voté contre, certains ont voté blanc
ou alors se sont abstenus. En appliquant ce schéma à nos complexes, on
peut raisonnablement affirmer que certains regards seront malveillants,
certains positifs, et la grande majorité neutres, car les gens ont autre chose à
faire que se concentrer sur nous. Et tant mieux !

Le divan du psy
Plus notre estime de nous dépend de conditions extérieures (regard d’autrui,
comparaison), plus nous sommes exposés à ses effets secondaires négatifs.
ILIOS KOTSOU, PSYCHOLOGUE

Le besoin d’approbation
Dans le chapitre 3, nous avons évoqué les cinq injonctions qui
conditionnaient bon nombre de nos réactions depuis notre enfance : « fais
plaisir », « sois fort », « dépêche-toi », « fais des efforts » et « sois parfait ».
Quel que soit le module dominant qui nous guide, la motivation reste
identique : quêter l’approbation de l’autre. Ces mécanismes, mis en place
par nos parents, professeurs ou proches, visent avant tout à recevoir leur
approbation. Si l’on fait ceci ou cela, cela correspond aux souhaits de
l’autre, et l’autre peut alors signifier son approbation pour nos actions. Le
regard de l’autre devient alors le passage obligé pour avoir le droit de se
sentir dans le « droit chemin ». Si l’autre ne valide pas une partie de nos
actions, comportements ou paroles, une sorte de frustration, de honte, de
colère, de tristesse peut émerger. Et notre existence tout entière finit par
dépendre du bon vouloir de l’autre.
Admettons que l’autre refuse son approbation sur des points identitaires,
physiques ou socioculturels, quelles sont nos réactions et nos options ? La
réaction la plus fréquente est de se sentir mal, parce que l’approbation ne
vient pas et que l’approbation est la condition sine qua non à notre
fonctionnement. On imagine, bien entendu à tort, que nous ne pouvons
fonctionner correctement sans l’approbation de l’autre qui correspond à un
assentiment. L’autre réaction est de modifier, nier ou dissimuler nos
particularités identitaires, physiques ou socioculturelles, au risque de perdre
son identité et de porter un masque pour recevoir la sacro-sainte
approbation. Bien évidemment, ces réactions favorisent l’émergence de
complexes, de la honte, voire de la haine de soi et de la confusion de tous
ses repères. Y aurait-il d’autres options ? Oui, celle de se dispenser de notre
besoin d’approbation en comprenant qu’on ne doit quelque chose qu’à une
seule personne : nous-mêmes. L’autre a le droit de penser et vouloir ce qu’il
veut, mais nous devons comprendre (dans le sens analytique de « prendre
avec soi ») que notre bien-être ne doit pas en dépendre.
Aucune permission n’est nécessaire pour exister et agir selon nos besoins.
Et le besoin d’approbation est un besoin niché dans l’enfance. Il devient
donc caduc à mesure que nous grandissons et gagnons en autonomie. Notre
enfant intérieur (voir chapitre 3) a peut-être encore besoin de ce besoin
d’approbation, mais nous, non. Il nous appartient alors de rassurer notre
enfant intérieur et lui faire comprendre que dorénavant, nous allons nous
passer de l’approbation de qui que ce soit et prendre la responsabilité de nos
actes et de nos besoins.
Pourquoi est-il si important de se défaire de notre besoin d’approbation ?
Parce que notre valeur dépend alors de facteurs extérieurs à nous-mêmes,
d’éléments dont n’avons aucune maitrise et qui sont très subjectifs. Tous les
facteurs extérieurs sont déstabilisants, parce qu’ils sont temporaires et
transitoires. En effet, ils ne font pas partie de notre « nous » et, par
conséquent, nous n’avons aucune garantie de les conserver, puisqu’il faut
sans cesse rechercher une validation de nos moindres faits et gestes.
L’approbation de l’autre conditionne l’image que nous avons alors de nous-
mêmes et favorise l’émergence de nos complexes, car si l’autre
désapprouve, ipso facto, nous nous sentons mal et nous nous désapprouvons
nous-mêmes par ricochet. Parce que le gros problème de l’approbation est
sa généralisation et le flou de ses périmètres : en approuvant ou désavouant
une action, en réalité, on approuve ou l’on désavoue la personne dans son
ensemble. Nous ne sommes donc plus dans l’approbation du « faire », mais
dans celle de l’« être ».
Voici quelques principes utiles à connaitre :
Subjectivité et irrationalité sont souvent au cœur du comportement
de l’autre.
L’approbation peut s’apparenter à un contrôle et un pouvoir que
l’autre cherche à exercer sur nous.
Si la désapprobation est justifiée, il est toujours possible de redresser
la barre. Inutile de perdre du temps et de l’énergie dans des
autoreproches stériles. L’erreur ne remet aucunement en cause notre
valeur et il n’y a pas lieu de se sentir honteux de quoi que ce soit.
L’autre ne peut pas juger notre valeur d’être humain. Il ne donne son
aval ou non que sur la validité ou le mérite de nos actions ou paroles.
Chacun voit midi à sa porte et l’approbation de l’un peut être la
désapprobation d’un autre.
Il serait contre-productif et puéril d’accorder une importance
démesurée à une désapprobation, même émise par une personne que
l’on aime beaucoup. Elle a certainement ses raisons de désapprouver,
comme nous, nous avons nos raisons d’avoir agi ainsi.
La portée de l’approbation ou la désapprobation dépend de la valeur
que nous donnons aux éléments à charge et à notre droit d’exister par
nous-mêmes.
La désapprobation est rarement permanente. Les discussions et
divergences d’opinions sont normales, et ce n’est pas parce que l’on
n’est pas d’accord avec quelque chose qu’on cesse d’aimer ou de
respecter l’autre.
Pourquoi l’opinion de l’autre nous est-elle si importante au point de
la redouter et de ne vivre qu’à ses conditions ? L’opinion de l’autre
est valide, mais elle lui appartient, tout comme nos actions nous
appartiennent.

La preuve par l’effort (et l’erreur)


Pourquoi s’imagine-t-on que l’on a quelque chose à prouver à l’autre ? En
s’imaginant qu’on a quelque chose à prouver à l’autre, on sous-entend que
l’on n’œuvre pas pour soi-même, mais pour l’autre. Par conséquent, ce ne
sont pas nos besoins sur lesquels nous travaillons, mais c’est sur ceux de
l’autre. Nous ne travaillons pas non plus pour nous faire plaisir, mais pour
faire plaisir à l’autre, puisqu’à l’évidence, le regard et l’opinion de l’autre
priment sur les nôtres. Et que cherche-t-on précisément à prouver à l’autre ?
Que l’on a raison ? Que l’on est digne de lui ? Que l’on est digne d’exister ?
Nous nous démenons trop souvent pour satisfaire l’autre, dont le regard va
à son tour nous satisfaire (ou pas). Nous entrons alors dans un cercle
infernal où l’autre a un droit de regard sur tout ce que l’on fait, dit ou pense.
Nous laissons donc des éléments extérieurs précaires (et contestables)
prendre le contrôle. C’est pourquoi il est urgent de comprendre que l’on n’a
rien à prouver à qui que ce soit. Et si nous décidons de prouver quelque
chose à nous-mêmes, il faut vraiment nous interroger sur nos motivations.
Par exemple, je veux prouver à moi-même que je peux faire un marathon
entier. Si c’est un objectif individuel et personnel qui n’engage que moi et
permet un élargissement de mes limites, et surtout, que cela me fait plaisir,
pourquoi pas ? En revanche, si c’est pour aller le claironner sur tous les toits
ou s’afficher sur tous les réseaux sociaux, la motivation semble plus
nébuleuse. Oui, il y a nécessairement soi-même au cœur de la démarche,
mais avec en plus la sollicitation d’une réaction extérieure. L’ego recherche
le regard de l’autre, son intérêt et son admiration. Dans ce cas, ce qu’on
cherche à prouver n’est pas à vocation personnelle, mais collective, pour
espérer récolter quelque chose qui ne dépend pas de nous. Et l’on compte
alors sur notre réalisation/exploit (ici, le marathon) pour exister aux yeux
des autres. Alors qu’en réalité, sans ou avec notre réalisation/exploit, nous
existons en l’état.

Quand le regard de l’autre tue


L’être humain est paradoxal : il veut être comme tout le monde et en
même temps se différencier des autres. Or, quand on est comme tout le
monde, on choisit la norme, et quand on est différent, on choisit la
marginalisation. Comment concilier ces deux fonctionnements opposés ?
Partant du principe que nous sommes tous uniques, le clonage est sans
doute l’option la plus éloignée de notre moi véritable. En effet, pour entrer
dans le moule de la conformité et la normalité, nous allons devoir gommer
toutes nos particularités qui constituent précisément notre individualité et
notre authenticité.
Si chacun acceptait que l’autre est par essence différent, mais à la fois
semblable (nous appartenons tous au genre humain), la norme et la
conformité consisteraient alors à être tels que nous sommes. Nous serions
alors comme tout le monde, mais en différents, ce qui ne poserait plus de
question d’antinomie ni d’exclusion.
Parce que le regard de l’autre lié aux diktats de la conformité peut tuer. Il
n’y a qu’à voir les suicides qui inondent les faits divers. L’âge importe peu,
puisqu’on trouve aujourd’hui des enfants qui, harcelés pour des raisons
aussi irrationnelles qu’absurdes, n’en peuvent plus et préfèrent se
supprimer. En cause : le besoin d’approbation, le besoin d’appartenance et
d’acceptation, et des particularités, même anodines, transformées en
complexes. Le complexe génère la haine de soi et l’irrationnel. Sur les
réseaux sociaux, derrière son écran, si l’on accepte de se laisser happer dans
les triangles dramatiques de manipulation psychologique (voir chapitre 4),
on risque sa vie, parce que, hélas, le sauveur, vous savez, le troisième
joueur du triangle de Karpman, ne se manifestera peut-être pas à temps. Et
le regard de l’autre est alors un regard collectif et non plus individuel,
source de pression d’autant plus grande.
Parce que, comme partout et plus encore derrière un écran, où l’on se croit
tout permis, l’effet loupe et l’effet de groupe jouent un rôle très actif. Si l’on
prenait à part les harceleurs individuellement, on ne tarderait pas à
découvrir des individus en mal-être qui reconnaitraient l’aberration et la
méchanceté gratuite de leur comportement et qui finiraient peut-être par
tomber le masque et révéler leurs propres fragilités et blessures. Or, associés
à d’autres individus aussi perdus et mal dans leur peau qu’eux, l’effet
d’entrainement du groupe fait boule de neige, et l’on se retrouve avec un
ensemble de personnes aussi violent que leur mal de vivre.
Dès lors, un détail va attirer l’attention d’un de ces individus, l’effet loupe
va œuvrer à faire croire à la personne ciblée que sa particularité est
innommable et contre nature. Puis l’effet de groupe intensifiera la pression
et décuplera les effets par la répétition. Le décor est donc planté pour une
partie de jeu dramatique du triangle.
D’où l’importance extrême de se dégager de son besoin d’approbation et
d’appartenance à des groupes où nous ne pourrons jamais rien trouver de
valable, puisque ses membres sont en souffrance et auraient besoin d’un
sérieux travail sur eux-mêmes.

Le mot et l’idée
Si quelque objet extérieur te chagrine, ce n’est pas lui, c’est le jugement que tu portes sur
lui qui te trouble.
MARC AURÈLE, EMPEREUR

Le divan du psy
La codépendance est l’inaptitude à ériger des frontières saines entre soi et les autres. Le
comportement d’autrui détermine notre estime de soi, notre bonheur, notre sentiment de
paix et fluidité.
SUSAN JEFFERS, PSYCHOLOGUE

La codépendance
Nous l’avons vu avec le principe du besoin d’approbation, la
codépendance est un facteur non négligeable dans l’émergence du
complexe et du mal-être qui en découle. Pour faire simple, la codépendance
consiste à ne vivre qu’au rythme des états d’âme de l’autre. Si l’autre est
heureux, on se donne le droit d’être heureux, si l’autre est triste, on est triste
à son tour, si l’autre est en colère, on est en colère, etc. Et non content de
réagir en fonction de l’autre, on va tout mettre en œuvre pour le « sauver »
et tenter de résoudre ses difficultés. Par conséquent, si l’autre est en colère à
la suite de quelque chose que nous avons fait pour nous-mêmes parce que
nous le souhaitions et/ou que cela nous était utile, comment espérer nous
sentir heureux si nous conditionnons nos réactions aux siennes ?
Le codépendant se préoccupe avant tout de l’autre et se place ipso facto
au second plan. Pour vivre, il a besoin des stimuli émis par l’autre. Le sujet
peut laisser perplexe, mais en réalité, nous avons tous des tendances à la
codépendance, ne serait-ce que parce qu’une des cinq injonctions (voir
chapitre 3) reste présente en nous et qu’il est difficile de se déconditionner
de plis pris depuis l’enfance. Appliqué au triangle de Karpman, le
codépendant peut être le sauveur, car le sauveur se satisfait du secours qu’il
apporte, parfois sans que personne ne lui ait demandé. Pour rappel, il y a
une grande différence entre secourir et aider : secourir signifie « faire à la
place de », tandis qu’aider signifie « donner un coup de main pour que
l’autre s’en sorte ». Ici, personne ne demande rien au codépendant, c’est lui
qui choisit en toute conscience de calquer ses ressentis sur ceux de l’autre.
Cela ne signifie pas pour autant que nous devons nous couper des
ressentis de l’autre. La différence entre la codépendance et l’attention à
l’autre est simplement une question de graduation. C’est également une
question de prise d’indépendance et de recentrage sur soi-même. Il s’agit de
nous remettre au centre de nos préoccupations et de laisser l’autre au centre
des siennes. C’est ainsi retrouver un mode de fonctionnement plus sain.

Confidences en aparté
Mon oncle et sa compagne du moment nous avaient invités au restaurant,
mon frère et moi. J’avais une quinzaine d’années. Tout d’abord un peu mal
à l’aise, car nous ne la connaissions pas, elle paraissait aimable, donc ma
timidité a baissé d’un cran. J’avais commandé un steak-frites ou un plat du
même genre, ce n’est pas le détail le plus important de l’anecdote. Lorsque
le serveur est venu avec la carte des douceurs, cette femme s’est alors écriée
en me fixant droit dans les yeux : « Pas de dessert pour moi ni Olivier ! »
J’étais dans un état de mortification intense. Le visage écarlate et les yeux
humides, j’aurais voulu me lever de table et m’enfuir, ce que j’ai d’ailleurs
fait en prétextant une visite aux toilettes. À mon retour, s’apercevant sans
doute de mon trouble, elle a dit : « Non, mais je disais ça comme ça, pour le
dessert, si tu en veux, prends-en un, bien sûr ! »
Évidemment que j’en aurais voulu un, mais plus maintenant, et d’ailleurs,
j’ignore si je donnais le change avec des sourires, mais tout mon plaisir du
déjeuner avait été réduit à néant. J’avais toujours envie de pleurer, je me
sentais mal, et ma timidité avait refait surface en une fraction de seconde.
Nous sommes restés avec notre oncle qui devait nous ramener chez nos
parents, tandis que sa compagne allait de son côté. Quand mon oncle a dit :
« Vous avez vu comme elle est sympa ! » J’ai répondu légèrement : « Oui,
très sympa », alors que vous vous en doutez, je la trouvais tout sauf sympa !
Peu centré sur moi-même et peu sûr de moi, j’attachais au regard de
l’autre une importance démesurée et inconsidérée. Une parole, peut-être
maladroite et non malveillante, suffisait à me mettre dans tous mes états et
dicter mes états d’âme. Si j’avais revu cette personne pour déjeuner, dans
mon fonctionnement de protection et de codépendance (deux termes
difficilement conciliables, en réalité), j’aurais évidemment choisi une salade
et pas de dessert, pour m’éviter des remarques et rechercher son
approbation. En supposant que le même schéma se reproduise dans une
autre situation (il s’est d’ailleurs reproduit maintes fois) et avec d’autres
protagonistes, mon comportement n’aurait, hélas pour moi, pas varié,
puisque l’autre avait forcément raison et que mes particularités étaient
forcément problématiques.

La tribune est à vous !


Avez-vous déjà vécu une situation similaire ? Si oui, dans quel contexte ?
Le regard de l’autre était-il connu ou inconnu ? Aviez-vous adapté vos
désirs pour plaire à l’autre ? Pourquoi, d’après vous, le regard de l’autre
comptait autant pour vous ?

Quand le regard de l’autre est positif


On est en droit de se poser une question toute bête : peut-il y avoir du
positif dans le regard de l’autre ? Parce que, jusqu’à présent, nous n’avons
parlé que du rôle délétère du regard de l’autre. Le regard de l’autre peut être
neutre, comme dans le cas du médecin ou du garagiste. Le regard de l’autre
se pose sur des éléments précis pour établir un diagnostic objectif. On a
forcément besoin de ce regard pour résoudre un problème ou une difficulté.
De plus, en société, le regard de l’autre peut également être une sorte de
garde-fou, car nous vivons tous les uns avec les autres, et pour que la
cohabitation se déroule au mieux, certaines règles de savoir-vivre sont à
observer. Le savoir-vivre, intimement lié au savoir-être, garantit ainsi le
respect de chacun (la fameuse liberté qui s’arrête là où commence celle de
l’autre). C’est ainsi qu’on n’assistera pas à un enterrement en bikini, car
l’image serait peu solennelle et peu compatible avec le chagrin de la perte
d’un être cher. Et s’il nous venait à l’esprit de nous aventurer en maillot de
bain au funérarium, le regard de l’autre n’aurait rien à voir avec notre
propre personnalité, nos particularités ou nos complexes, mais avec un
comportement jugé irrespectueux et inadapté aux circonstances.
Maintenant, me direz-vous, et si le regard de l’autre est élogieux et
admirateur, c’est très positif, ça, non ? Quand par exemple, un comédien se
produit sur scène et que les spectateurs applaudissent à tout rompre ? Ou
alors quand un proche vous acclame et vous comble de compliments à la
suite d’une de vos réussites ? Ou quand votre responsable vous encense en
réunion devant le grand patron ? Là, le regard fait vraiment du bien, n’est-
ce pas ?
Eh bien, non, il n’est pas si positif que ça. Pourquoi ? Imaginez que les
spectateurs n’applaudissent pas, que votre proche ne vous acclame pas et
que votre responsable ne vous encense pas. Que se passerait-il alors ?
Trouveriez-vous le regard de l’autre aussi positif et vous sentiriez-vous
toujours aussi bien ? Vous pouvez objecter, surpris, que ce n’est pas du tout
la même chose. Et pourtant, si, ça l’est. En effet, vous conditionnez
l’appréciation de vous-même ou de vos réalisations à celle de l’autre. Si
l’autre vous trouve génial, vos émotions positives sont au sommet et vous
voilà fier de vous. Si l’autre vous trouve minable, vous voilà plongé dans
l’affliction. D’un côté comme de l’autre, nous restons dans la codépendance
et donnons au regard de l’autre une valeur et une importance inconsidérées.
D’autant que nous allons ensuite systématiquement rechercher le regard de
l’autre pour valider notre contentement de nous-mêmes (ou pas).
Par ailleurs, l’appréciation du public, du proche ou du patron séduit qui,
au juste, sinon l’ego ? Le plus important est de bien comprendre une chose :
quel que soit le regard de l’autre, notre valeur en tant que personne ne doit
jamais être impactée, dans un sens comme dans l’autre. Le regard de l’autre
porte sur une action ou une réalisation, mais n’a aucune légitimité à nous
définir. Nous pouvons, certes, nous réjouir des compliments, c’est toujours
agréable et cela peut booster, mais dans notre intérêt, nous devons à tout
prix observer un détachement émotionnel qui sera salutaire pour notre
estime de soi et notre propre regard sur nous-mêmes.

Braver le regard de l’autre


Chacun fait ce qu’il peut et réagit de son mieux face au regard de l’autre.
Et si la plupart des personnes complexées font souvent profil bas, d’autres,
au contraire, choisissent la flamboyance. Cela ne signifie pas pour autant
qu’elles soient à l’aise avec leurs particularités, mais qu’elles les
exacerbent, comme pour mieux les exorciser. Rappelons-nous que derrière
un clown gai, un clown triste se tapit dans l’ombre. Et combien de
personnes complexées donnent le change en paraissant bénéficier d’une
impressionnante joie de vivre, mais pleurent à chaudes larmes une fois
rentrées chez elles ? J’en parle en connaissance de cause, puisque sur une
photo de classe, plusieurs camarades avaient laissé un petit message
insistant sur ma bonne humeur et mes rires. Une fille avait même inscrit :
« À Olivier, qui ne doit jamais être triste ! » Or c’était tellement éloigné de
la réalité…
Toujours est-il que certains, loin de dissimuler leurs particularités, vont
envoyer valser les prétendues convenances et le regard de l’autre, écouter
leurs envies, sinon leurs besoins, et oser un pied de nez au monde entier.
Comme l’être humain a besoin de tout étiqueter pour se rassurer, ces
personnes vont rapidement être déclarées excentriques. Mais en fin de
compte, cette excentricité assumée est-elle un moyen d’apprivoiser ses
complexes ou de les camoufler ?
Je connais une personne d’un certain âge, avec plusieurs particularités,
dont quelques handicaps physiques. Elle passe pour extravagante et
fantasque, car elle sort avec des perruques de toutes les couleurs, s’est mise
à la boxe et à la zumba, et ne perd jamais une occasion d’en jeter plein la
vue à tout ce qui compte de plus conservateur. Je n’ai cependant jamais su
si elle faisait cela par goût personnel, pour détourner l’attention de ses
handicaps, par défi ou pour choquer. Une chose reste toutefois sujette à
caution : elle recherche à tout prix le regard de l’autre, positif ou non, et y
trouve une satisfaction et le désir de se dépasser toujours et encore. Elle se
met en scène comme une vedette, se filmant sous toutes les coutures pour
s’afficher ensuite sur les réseaux sociaux, où les commentaires amusés et
admiratifs l’encouragent et la stimulent encore davantage. Quoi qu’il en
soit, mieux vaut s’exposer coiffée d’une perruque bleue que s’enfermer
dans un cagibi la tête basse.

Repérage
Si la naissance d’un complexe est toujours liée au regard de l’autre,
ce n’est pas l’autre qui donne naissance au complexe, mais notre
propre perception du regard de l’autre.
Nous sommes moins observés que nous le pensons, et si nous le
sommes, le regard de l’autre est souvent moins sévère que nous
l’imaginons.
Le complexe est une histoire entre soi et soi.
L’interprétation que nous faisons du regard de l’autre n’est pas
toujours correcte. Et finalement, nous mettons un peu ce que nous
voulons dans le regard de l’autre.
Le besoin d’approbation prend sa source dans notre enfance et
conduit à des comportements nuisibles pour nous. En effet, nos
actions sont sujettes à la validation de l’autre, et notre existence tout
entière finit par dépendre des états d’âme de l’autre.
La codépendance consiste à placer les besoins et les opinions de
l’autre avant les siens, quitte à se desservir, s’oublier et vivre par
procuration une autre vie que la nôtre.
Même lorsque le regard de l’autre est positif, il ne doit pas nous
marquer outre mesure, car notre bien-être ne doit jamais dépendre
d’un élément extérieur, fût-il des plus gratifiants. Car la logique
signifierait qu’un regard négatif aurait un impact négatif sur nous
aussi.

Et moi, dans tout ça ?


Voici quelques sujets sur lesquels nous vous invitons à réfléchir (et à
consigner sur votre cahier/carnet) :

Pouvez-vous identifier dans quelle mesure vous avez pris part à


l’installation de vos complexes ? Quel rôle avez-vous joué ?
Réfléchissez au cheminement.
Vous sentez-vous observé en raison de vos particularités ? Savez-
vous précisément ce que l’autre pense de vous ? Si oui, comment le
savez-vous (on vous l’a dit ou vous l’avez supposé) ?
Que pensez-vous de l’affirmation : le complexe est finalement une
histoire entre soi et soi ?
Avez-vous déjà incorrectement interprété le regard de l’autre ? Par
exemple, en pensant que le regard était moqueur, alors qu’il était
seulement amical ? D’après vous, d’où provient cette interprétation
erronée ?
Comprenez-vous pourquoi le regard de l’autre, même positif, doit
avoir un impact neutre sur nous ? Comprenez-vous qu’il alimente
l’ego qui en veut toujours plus ?
6
Miroir, mon beau miroir !
Que faire lorsqu’on a une idée de la perfection profondément ancrée en
soi, qu’on se regarde dans un miroir et que celui-ci nous reflète tout sauf
cette idée de la perfection ? Détruire le miroir et risquer sept ans de
malheur, ou détruire le mythe de la perfection et risquer de renaitre ? Hum,
quel dilemme !

Le mirage de la perfection
La perfection en soi n’est pas un réel problème. Le problème, c’est de
croire que la perfection existe. Parce que, bon, c’est comme avec les contes
de fées, rien ne nous empêche d’y croire s’ils nous font du bien, mais il faut
quand même être conscient qu’ils n’existent pas. Or, si l’être humain
accepte d’entendre que la perfection est un mythe, il y croit pourtant dur
comme fer. Et par voie de fait, il va chercher à atteindre une perfection qui
n’existe que dans ses fantasmes. La perfection, c’est un peu le mirage de
l’oasis dans le désert de Gobi : on croit l’apercevoir, on hâte le pas, mais
plus on se rapproche, plus l’oasis recule, jusqu’à se volatiliser.
Un jour, à l’école primaire, interrogation orale surprise ! Nous devions
chacun donner un exemple de proverbe. Pris au dépourvu, j’ai répondu « Le
mieux est l’ennemi du bien », pas seulement parce que le dicton me
rassurait, mais aussi parce que c’était le plus court et celui que j’avais le
mieux mémorisé. (L’instituteur avait quand même tiqué et m’avait demandé
un autre exemple, plus long, et je ne me souviens plus de ce que j’avais
répondu, mais forcément, quelque chose de moins percutant !) Je me suis
souvent interrogé sur ce « mieux » qui serait l’ennemi du « bien ». Lorsque
quelque chose est bien, c’est-à-dire qu’il convient et répond aux attentes,
que gagne-t-on à chercher à l’améliorer sans cesse ? Les scientifiques
pousseraient bien sûr de hauts cris en lisant cette phrase, parce que, oui, il
est toujours possible de faire mieux et/ou davantage. Mais nous ne sommes
pas des robots ni des cobayes, et en cherchant incessamment le toujours
mieux, on part, inconsciemment ou pas, à la recherche de la perfection.
Comme la perfection n’existe pas, la déception guette souvent. Par ailleurs,
rechercher toujours mieux est chronophage, et l’on peut se perdre dans des
détails, alors que ce que nous avons fait était suffisant et déjà parfait,
puisqu’il répondait aux besoins exprimés.
Bien évidemment, ce n’est pas parce que la perfection n’existe pas que
cela fournit un passe-droit pour bâcler ce qu’on entreprend. Loin de là,
même ! Il faut simplement faire de son mieux, quel que soit le domaine, et
avoir la sagesse de s’arrêter à temps, quand on considère avoir rempli son
devoir. C’est un peu comme un manuscrit. Il est toujours possible de le
perfectionner et de corriger des tournures de phrase ou remplacer un mot
par un autre, mais à un moment, il faut aussi remettre ce manuscrit pour une
publication, sinon, on poursuit toujours ses relectures et corrections, et
l’ouvrage ne voit jamais le jour. Pourquoi ? Parce que le manuscrit ne sera
jamais parfait. Comme nous et comme tout le reste.
Venons-en à l’une des pires conséquences de la perfection : tuer dans
l’œuf les bonnes volontés et les envies d’entreprendre quoi que ce soit. En
effet, pour qui vise la perfection, mieux vaut abandonner un projet plutôt
que de ne pas atteindre une supposée perfection. Le projet peut être de tout
ordre : parce qu’on ne sera jamais Glenn Gould, on ne fait pas de piano,
alors qu’on en meurt d’envie ; parce que nos pâtisseries ne sont pas
sublimes, on cesse d’en faire, alors que ça nous procure une grande joie ;
parce que notre accent espagnol n’est pas parfait, on dit qu’on ne parle pas
espagnol, alors que si, on le parle, mais avec notre accent français. Or, peu
importe que ce que nous entreprenions n’atteigne pas une perfection
illusoire, ce n’est pas l’essentiel ! L’essentiel est de se lancer et de se faire
plaisir ! Connaissez-vous le dicton « Un imbécile qui marche va plus loin
qu’un érudit qui reste assis sur place » ? Pourquoi l’érudit ne bouge-t-il
pas ? Certainement parce qu’il doute d’atteindre la perfection. C’est sûr,
quand on ne fait rien, pas de risque de faire des erreurs. Et l’imbécile, qui
ne se pose pas de questions, fonce, puisque le concept de la perfection lui
échappe. En fin de compte, dans cette histoire, qui est l’idiot et qui est le
sage ?
En fait, la perfection est la pire des illusions et la plus grande escroquerie
de l’univers. Elle promet monts et merveilles, mais n’offre finalement que
déceptions et mal-être. Plus nous recherchons la perfection, plus nous nous
exposons aux pires désillusions. En effet, la perfection n’est rien d’autre
qu’une abstraction, un concept qui n’a pas sa place dans le monde réel.
Tout, absolument tout, peut être amélioré : chaque individu, chaque idée,
chaque œuvre d’art, chaque expérience, tout, tout, tout. Mais qui entre dans
le jeu de la perfection est toujours perdant, puisqu’après tout, comme
l’affirmait doctement le philosophe néerlandais du XVIIe siècle
Baruch Spinoza : « L’homme n’aura jamais la perfection du cheval » !

Qui veut être parfait ?


Clarifions immédiatement une contre-vérité absolue, qui perpétue un
mythe éculé et berne encore trop de monde : non, la perfection n’est pas une
valeur ni une qualité. Se prétendre perfectionniste dans l’espoir de susciter
l’admiration est totalement hors course. Pourquoi ? Parce qu’un individu
perfectionniste est un individu perpétuellement insatisfait qui mène la vie
dure à son entourage (personnel, professionnel, social…) et à lui-même.
Pour un perfectionniste, rien n’est jamais suffisant ni assez bien. Il entraine
alors tout son entourage dans une quête d’un Graal factice. On court après
quelque chose qui n’existe pas, ce serait prétexte à une fable humoristique
si la démarche n’était pas autant nuisible.
Mais au fait, pourquoi vouloir à tout prix être parfait ? Et si c’était encore
par rapport au regard de l’autre ? Ou une volonté de contrôle ? Ou une
manœuvre de l’ego ? Ou un manque d’amour envers soi-même ? Ou tout
cela à la fois ? Soyons conscients d’une chose : chacun d’entre nous fait de
son mieux et donne le meilleur de lui selon ses capacités au moment T.
Nous agissons tous avec le degré de conscience qui est le nôtre. L’idée est
de travailler sur soi, à la fois pour s’améliorer soi-même et acquérir plus de
sagesse. Et c’est grâce à la sagesse que nous contournerons l’écueil de la
perfection. Et comme tout processus, une action en amène une autre, et
ainsi de suite. En décidant de faire de notre mieux sans nous soumettre au
mythe de la perfection, nous commençons à faire la paix avec nous-mêmes.
Puis, dès qu’on commence à s’aimer soi-même, on devient plus indulgent
envers soi-même. Et une personne qui s’aime et se montre indulgente
envers elle-même le devient aussi envers l’autre.
Parce que l’un des écueils de la perfection est de s’accabler de reproches
lorsqu’on ne l’atteint pas. La moindre erreur ressemble à un cataclysme,
alors qu’en réalité, ce n’est qu’une porte que l’on a ouverte, comme ça,
pour essayer, parce qu’on pensait que c’était la bonne voie, et qui ne
correspond finalement pas à nos besoins. Est-ce grave ? Certainement pas !
On referme cette porte et l’on passe à une autre porte. C’est un peu comme
lorsqu’on se promène, qu’on prend une rue et qu’on découvre qu’elle ne
mène pas où nous souhaitons aller. On ne va quand même pas se rouler par
terre de rage ou se donner des gifles pour le choix de son parcours ! On
rebrousse chemin et l’on prend une autre rue, sans plus y accorder
d’importance. Avec la perfection, c’est pareil !
Enfin, la perfection nécessite une bonne dose d’irréalisme. Parce qu’il faut
bien être en dehors de la réalité pour se fixer des buts chimériques, tant leur
ambition est démesurée et surhumaine. C’est l’estime de soi qui nous
apprendra à sourire de nos erreurs et à prendre du recul. Elle nous permettra
aussi d’assumer nos actes, nos décisions et leurs conséquences en adultes
responsables. L’acceptation de la nature imparfaite de l’être humain est un
grand pas vers la sagesse et le mieux-être.

Le mot et l’idée
Quel jour agréable que celui où nous renonçons à être jeunes ou sveltes !
WILLIAM JAMES, L’UN DES FONDATEURS DE LA PSYCHOLOGIE SCIENTIFIQUE MODERNE

Éloge de l’imperfection
Qu’y a-t-il de si terrible à commettre des erreurs ? Le monde va-t-il
s’écrouler si nous avons tort ? Celui qui a peur de l’imperfection a peur de
prendre des risques et a renoncé à grandir. Il a, quelque part, abdiqué à la
vie. Or l’être humain, imparfait par essence, est sur Terre pour
expérimenter, apprendre, découvrir, créer, imaginer, entreprendre… Il n’est
pas sur Terre pour y être parfait, et quand bien même il le voudrait qu’il ne
le pourrait pas, car ce n’est ni dans sa vocation ni dans ses capacités. Or le
désir de perfection nous entrave dans nos mouvements et nos choix, et nous
empêche de profiter pleinement de la vie. En effet, lorsque, par exemple,
nous renonçons à certains projets par crainte de ne pas y exceller, nous nous
privons de plaisirs et de petits bonheurs qui font, justement, tout le miel de
la vie.
Accepter l’imperfection, c’est aussi s’accepter soi-même, tel que l’on est.
C’est comprendre que nous n’avons ni à rougir ni à polariser sur nos
particularités. Nos particularités sont là et sont à considérer comme des
évidences, de la même manière que nous acceptons sans rechigner que le
ciel est bleu et l’herbe est verte. Et que si des nuages constellent le ciel ou
que des trèfles à quatre feuilles parsèment une pelouse, c’est ainsi et c’est
même tant mieux.
En fait, paradoxalement, se donner le droit à l’imperfection nous rehausse
en tant qu’êtres humains, car nous gagnons en sagesse, en acceptation de
soi, en confiance, en indulgence, bref, en humanité. Lorsque nous lâchons
prise avec nos velléités de perfectionnisme, nous cessons de réagir avec
colère ou embarras et d’être sur la défensive, prêts à l’attaque et à la
justification. La honte disparait alors et les complexes n’ont plus de raison
d’être.

Le divan du psy
Nous avons deux options possibles : décider de s’accepter tel que l’on est, c’est-à-dire un
être humain imparfait doté de connaissances limitées et capable de faire des erreurs, ou
décider de se haïr de ne pas être parfait.
DAVID BURNS, PSYCHIATRE
Le coup du bistouri
Certains s’imaginent qu’en gommant les particularités labellisées
imperfections, ils vont trouver le bonheur. Comme si un coup de scalpel ici
et là suffisait réellement à tout changer. Remarquez, ça aurait du sens,
quelque part, puisque le complexe provient toujours d’une réaction au
regard de l’autre, et par conséquent, reste un élément externe et visible. On
pense alors que la chirurgie ou autre poudre de perlimpinpin effacera les
complexes physiques, qu’un changement d’état civil ou la comédie des
erreurs fera disparaitre les complexes identitaires, et que des cours de ceci
ou de cela ou un poste à responsabilités cloueront le bec aux complexes
socioculturels.
Pourquoi cette croyance est-elle erronée ? Pourquoi les individus, une fois
débarrassés de ce qu’ils considéraient comme des imperfections, ne se
sentent-ils pas aussi bien qu’ils l’avaient imaginé ? Bien sûr, il y a d’abord
un haut sentiment de satisfaction, tout le monde le reconnait. Mais ce
ressenti positif ne dure pas. Pourquoi ? D’abord, sachant que le complexe
est une histoire entre soi et soi, il est évident qu’il est profondément ancré
en nous et que ce que l’on cherche à supprimer n’est que la partie émergée
de l’iceberg. En dessous, c’est diantrement plus complexe et plus difficile à
éradiquer. Autrement dit, chercher à supprimer les manifestations physiques
revient à prendre du paracétamol pour un mal de dents : ça fait peut-être
disparaitre (momentanément) la fièvre ou la douleur, mais la carie ou
l’infection persiste. À moins d’appliquer le traitement qui convient.
En réalité, on met la charrue avant les bœufs. Parce que le plus important
n’est pas le détail physique, celui qui se voit, mais celui qui est dans la tête
et qui donne sa validation au complexe. C’est d’abord au niveau mental et
émotionnel qu’il faut œuvrer avant d’envisager quoi que ce soit sur le plan
physique, administratif ou éducatif.
Sinon, ça ne marche pas. En tout cas, pas à long terme. Si l’on regarde
autour de nous, malgré les réductions gastriques ou les régimes exotiques,
au bout d’un certain temps, les kilos reviennent. Une personne qui détestait
son nom de famille et qui dispose d’un nouveau patronyme a toujours le
vague à l’âme. Un individu qui avait honte de son manque de culture a
obtenu un master 2, mais se sent toujours un peu usurpateur. Il y a de quoi
s’étonner ? Non, rien de surprenant, parce que si la forme change, le fond
reste le même. Mais le fond ne reconnait plus la forme et n’est plus en
concordance avec les ressentis. Et puis, la confusion s’empare de nous :
nous sommes toujours nous, mais autrement. Si bien que face au regard de
l’autre qui, à présent, nous regarde moins, voire plus du tout, nous pouvons
penser que ce que l’autre voit n’est en réalité pas le vrai nous.
Nous avions conditionné notre bonheur et notre bien-être à la disparition
de nos particularités. Or, maintenant qu’elles ont disparu, on se retrouve
comme orphelin de quelque chose. On a tellement vécu avec ses
particularités que, subitement, on ressent un vide. D’autant que nos
complexes étaient tellement polarisés qu’ils occupaient tout dans notre vie,
comblant chaque espace libre. Par ailleurs, on imaginait, bien évidemment à
tort, que les autres, dépourvus de nos particularités et nos complexes,
menaient une existence idéale et que, dorénavant, on irait rejoindre le
groupe des cool kids ! Plus dure est alors la chute quand nous nous
retrouvons toujours nous-mêmes, avec un costume différent, mais toujours
nous-mêmes. C’est un peu le syndrome du membre fantôme : une personne
ayant subi une amputation continue d’avoir des sensations et des douleurs
au membre pourtant retiré. Par exemple, une personne dont la main a été
amputée la ressentira alors qu’elle n’existe plus. Le complexe, c’est le
même système. Si dans notre tête, nous n’avons pas travaillé sur
l’acceptation de nos particularités, elles ne pourront jamais disparaitre
physiquement, identitairement ou socioculturellement. Parce que pour
initier un changement, quel qu’il soit, il faut d’abord s’accepter tel que l’on
est (avec toutes ses particularités/imperfections).

Le mot et l’idée
Si la perfection n’était pas chimérique, elle n’aurait pas tant de succès.
NAPOLÉON BONAPARTE, EMPEREUR
Changer pour moi ou pour l’autre ?
La volonté de changement pose toujours question, car si l’on veut
changer, c’est que quelque chose dans notre vie actuelle ne va pas ou que
nous ne sommes pas heureux en l’état. Deux questions principales se posent
alors : est-ce qu’en changeant ce que nous souhaitons changer, nous allons
être plus heureux ? Et est-ce que je veux changer pour moi ou pour l’autre ?
Autre sujet d’importance : si je veux changer, c’est que je n’aime pas ce
que je suis, n’est-ce pas ? Parce que, lorsqu’on aime qui l’on est, on n’a pas
envie de devenir quelqu’un d’autre. Et qui dit qu’une fois devenu cet autre
que je cible, promesse hypothétique de perfection ou de bonheur, je vais me
sentir mieux avec moi-même, clé de voûte du développement personnel ?
En fait, et c’est un point crucial, l’acceptation préalable de notre identité
actuelle est un prérequis à tout souhait de changement. Et il convient
également de replacer sémantiquement le terme « changement ». Il s’agit
davantage d’une modification de certains comportements que de l’abandon
d’une identité pour une autre.
Enfin, pour un résultat pérenne et satisfaisant, tout changement doit
provenir de soi et être entrepris pour soi. Si la démarche est entreprise pour
plaire à l’autre, personne physique ou entité collective, elle est vouée à
l’échec, car initiée pour de mauvaises motivations. En effet, toute
motivation liée à un élément extérieur à soi est une mauvaise motivation.

Le divan du psy
La sagesse des humains ordinaires, c’est d’accepter l’imperfection, chez les autres
comme chez soi : elle n’est pas toujours preuve de laisser-aller ou de médiocrité.
Accepter l’imperfection, c’est aussi la preuve que le goût de la vie l’a emporté sur
l’obsession de l’image de soi.
CHRISTOPHE ANDRÉ, PSYCHIATRE

La perfection, selon quel évangile ?


Nous parlons de la perfection d’un point de vue général, mais qui définit
la perfection ? Sur quels critères s’appuie-t-on pour décider ce qu’est la
perfection ? Quel est le périmètre de la perfection ? Chacun de nous, en
fonction du domaine d’application, a une certaine idée de ce qui
constituerait la perfection. Enfin, plus exactement la perfection selon
M. Truc ou Mme Bidule. Parce que la perfection de M. Truc ne sera peut-
être pas la perfection de Mme Bidule.
C’est d’ailleurs en cela que le principe de perfection se rapproche du
principe de normalité. Chacun a sa norme, qui n’est certainement pas la
norme de tout le monde. Idem pour la perfection. Il y a quand même une
différence de taille : la norme, aussi fallacieuse et inadaptée soit-elle,
s’appuie sur des données, des chiffres et des informations réelles, mais la
perfection ne s’appuie sur rien de factuel, puisqu’elle n’est pas dans le réel.
Dans ce cas, il faut être très audacieux ou très taquin pour oser porter la
perfection au pinacle et la considérer comme une cible ultime, alors que
tout repose sur du vent…

Confidences en aparté
Le complexe se nourrit de la perfection. Après avoir suivi un régime
alimentaire conséquent (et sur le moment efficace, puisque j’avais perdu
40 kilos), si, bien évidemment, j’étais ravi des commentaires élogieux que
je recevais, « il en restait toujours encore un peu à perdre »… Plutôt que de
me satisfaire de ma nouvelle silhouette, je quêtais le regard de l’autre et
pour le contenter, je devais encore faire mieux.
Seulement, il y a un plateau en tout et je n’ai pas tardé à l’atteindre,
puisque mon poids stagnait. Parallèlement, le moral en prenait un coup : pas
seulement parce que mes efforts ne payaient plus, mais aussi parce que
j’étais épuisé. On aurait pu croire que dès lors, j’étais plus à l’aise avec mon
corps, mais pas vraiment, non. Les kilos et leur fonte avaient laissé des
traces sur tout mon épiderme, et de grosses et nombreuses vergetures
zébraient mon corps, des cuisses aux épaules, surtout au ventre et au buste.
On aurait dit des cicatrices. Et quand on y pense, c’était un peu ça, les
cicatrices d’un mal-être, comme si mon histoire personnelle était gravée
dans ma chair. Donc, toujours pas question de trop m’exposer sur une plage,
encore que c’était beaucoup plus facile qu’avant. Et si, oui, ma garde-robe
avait changé, je prenais systématiquement des vêtements en taille XL (deux
tailles trop grandes), comme pour chercher à me dissimuler.
La perte de poids n’avait pas été accompagnée d’un suivi psychologique
et pour moi, maigrir signifiait vraiment retrouver une nouvelle vie et un
nouveau moi. Mais à l’intérieur, j’étais toujours la même personne. En plus,
à 16 ans, les changements liés à l’adolescence sont aussi très prégnants.
J’imaginais qu’en supprimant les kilos, tout allait rentrer dans l’ordre et que
j’allais devenir « normal », comme tout le monde. Ça n’a pas vraiment été
le cas et pour cause, nous sommes tous différents (et c’est plutôt une bonne
nouvelle, mais à l’époque, je voyais les choses un peu autrement). En fait,
j’avais essayé tellement de régimes depuis mes cinq ans que j’avais
l’impression d’être devenu diététicien par assimilation. À l’âge de 16 ans, je
me suis mis à me sentir très mal physiquement, c’est apparu subitement,
même si le mal-être couvait depuis un certain temps. C’était comme si tout
mon organisme s’était emballé et ne pouvait plus rien gérer. J’ai subi toute
une batterie d’examens, mais rien n’expliquait mes symptômes et les
manifestations physiques. Il y avait une grande frustration en moi, parce
qu’on avait beau me dire que tout allait bien, non, tout n’allait pas bien du
tout, la preuve, je n’allais plus au lycée et la moindre sortie en extérieur
décuplait mon mal-être. Il faudra attendre plusieurs années avant que je
comprenne que j’avais crise de panique sur crise d’angoisse en non-stop et
que tout cela était bien entendu lié à mes complexes.
Toujours est-il qu’une amie de ma mère nous a adressés à un médecin
naturopathe qui était supposé faire des miracles. Nous y sommes allés, j’ai
expliqué mes symptômes, et il a dit, très sèchement : « Tu es trop gros. Il
faut maigrir. Voilà le régime et l’ordonnance pour les compléments. On se
revoit dans deux mois. » En sortant, j’étais bouleversé par l’attitude du
médecin et en colère aussi, car j’en étais au même point, puisqu’il n’avait
rien fait pour mes symptômes. J’ai annoncé ne jamais suivre ce régime, au
demeurant draconien. Or, un mercredi matin, je me sentais tellement mal, et
comme je n’avais encore rien mangé, je me suis dit que je n’avais rien à
perdre à tenter ce régime. J’étais tellement perdu que je me suis dit, après
tout, pourquoi pas ? Et voilà comment ma perte de poids a débuté. Aux
visites suivantes, j’étais fier de moi, bien sûr, mais je quêtais les signes
d’approbation ou d’encouragement du médecin, qui ne venaient pas
vraiment, puisqu’il fallait toujours et toujours perdre quelques kilos
supplémentaires. Cela dit, et c’est le plus positif, j’ai vraiment mené ce
régime pour moi, c’est moi qui l’ai décidé, pas pour plaire à qui que ce soit
(à la base, en tout cas), mais parce que je me sentais très mal. Et je confirme
qu’un changement n’est possible que si on le décide soi-même et pour soi-
même. Moi, j’ai entrepris un changement parce que je me sentais vraiment
trop mal et que je n’avais plus trop le choix.

La tribune est à vous !


Avez-vous déjà mis en place une action pour vous débarrasser de vos
complexes ? Si oui, laquelle ou lesquelles ? L’avez-vous fait contraint et
forcé (par autrui ou un évènement) ou de votre plein gré, en pleine
conscience ? Comment vous êtes-vous senti après ? Si c’était à refaire, que
modifieriez-vous ?

Narcisse n’est pas jouer


Qui ne connait pas le beau Narcisse, fils d’une nymphe et d’un dieu dans
la mythologie grecque, qui, ébloui par sa beauté, ne pouvait détourner son
regard de son reflet et a fini par périr noyé en voulant embrasser son image
dans l’eau ? Mais que vient donc faire Narcisse dans un ouvrage dédié aux
complexes et donc aux personnes cherchant justement à fuir leur reflet dans
le miroir ? Certains psychothérapeutes modernes ont imaginé une autre
interprétation du mythe de Narcisse : le jeune homme aurait été préoccupé
par sa beauté, mais pas totalement conscient d’être beau. Il cherchait alors à
se faire valoir auprès de l’autre sans pouvoir s’engager dans une relation. La
manifestation d’amour-propre narcissique indiquerait alors l’incapacité à
s’aimer soi-même. C’est seulement lorsque Narcisse se regarde dans l’eau
et découvre qu’il est réellement beau qu’il réussit à s’aimer plutôt qu’à
chercher la reconnaissance dans le regard de l’autre. Une transformation
profonde s’opère alors, représentée par la mort et sa résurrection en fleur
(mort symbolique de l’ego, épanouissement du soi). Autrement dit, celui
qui serait en pâmoison devant son propre reflet serait le même qui
chercherait à le fuir.
Effectivement, c’est exactement ce qui arrive à nombre de personnes
complexées qui, sans avoir fait de travail sur elles, leurs ressentis et leurs
particularités, modifient la forme avant le fond. Par exemple, une personne
en surpoids qui le vit mal et se fait poser un anneau gastrique. La personne
va perdre un certain nombre de kilos. Que croyez-vous qu’il advienne
ensuite ? Va-t-elle retrouver son train-train quotidien, juste en se sentant
mieux dans sa peau ? Ou alors, après avoir détesté son corps, va-t-elle se
mettre à lui vouer un culte ? Ne va-t-elle pas alors changer sa garde-robe
pour des vêtements plus révélateurs et découvrir la séduction ? Bien
entendu, comme une personne privée de sucreries pendant un certain temps,
elle va tenter de « rattraper le temps perdu » en se jetant corps et âme dans
un engrenage narcissique. Pas seulement physique, mais aussi intellectuel,
moral et affectif. Combien de personnes vont alors se séparer de leur
compagnon, car ce compagnon représente l’ancienne vie et l’ancien soi,
tout ce que l’on souhaite oublier maintenant qu’on a une nouvelle
silhouette ? Le comportement va également changer, avec des attitudes
souvent erratiques. Mais une chose ne change pas, puisqu’elle n’a pas été
travaillée : le rapport au regard de l’autre. L’appréciation de son nouveau
soi va rester fonction du regard que l’autre y porte. Parce que l’anneau
gastrique a peut-être réduit le tour de taille, mais n’a pas supprimé le besoin
d’approbation et d’acceptation extérieures.
Tout reste à la surface, au niveau de l’apparence et du superficiel. Mais
une fois que la personne se rend compte qu’il existe toujours un plafond de
verre à tout, y compris à son pouvoir de séduction, silhouette fine ou ronde,
le réveil est douloureux. La personne a beau porter moins de kilos, elle n’en
est pas plus heureuse. Et de là à ce que son nouveau reflet ne la fasse plus
rêver, il n’y a qu’un pas. Puis, la déprime aidant, avec le constat qu’au fond,
le nouveau soi et l’ancien soi ne font toujours qu’un et que les carences
émotionnelles subsistent, les kilos vont peu à peu se réinstaller. Il suffit du
reste de lire les titres des journaux people qui regorgent d’histoires de
vedettes et de leurs variations de forme. Parce qu’en fait, l’embonpoint est
la manifestation d’un problème plus profond : peur et besoin de protection.
Si nous ne nous trouvons pas assez bien et si nous ne nous aimons pas, les
kilos agiront comme un bouclier protecteur. Les régimes et autres
techniques ne fonctionneront jamais à long terme. Le seul moyen de s’en
sortir consiste à supprimer les pensées négatives et apprendre à s’aimer en
l’état. Le surpoids disparaitra alors de lui-même. Lorsqu’on dit qu’on ne
peut pas s’aimer parce qu’on est gros, on prend le problème à l’envers.
C’est parce qu’on ne s’aime pas qu’on est gros, pas le contraire. Et ceci est
valable pour tous les complexes, qu’ils soient physiques, identitaires ou
socioculturels.

Repérage
La perfection est la pire des illusions et n’offre que déceptions et
mal-être. En effet, la perfection n’est rien d’autre qu’une abstraction,
un concept qui n’a pas sa place dans le monde réel. Tout, absolument
tout peut toujours être amélioré, et la sagesse consiste à savoir
s’arrêter à temps.
Un individu perfectionniste est un individu perpétuellement
insatisfait qui mène la vie dure à son entourage (personnel,
professionnel, social…) et à lui-même. Pour un perfectionniste, rien
n’est jamais suffisant ni assez bien.
Se donner le droit à l’imperfection nous rehausse en tant qu’être
humain, car nous gagnons en sagesse, en acceptation de soi, en
confiance, en indulgence, bref, en humanité. Lorsque nous lâchons
prise avec nos velléités de perfectionnisme, nous cessons de réagir
avec colère ou embarras et d’être sur la défensive, prêts à l’attaque et
à la justification. La honte disparait alors et les complexes n’ont plus
de raison d’être.
Le plus important n’est pas le détail physique, celui qui se voit, mais
celui qui est dans la tête et qui donne sa validation au complexe.
C’est d’abord au niveau mental et émotionnel qu’il faut œuvrer,
avant d’envisager quoi que ce soit sur le plan physique, administratif
ou éducatif. Sinon, ça ne marche pas.
Pour un résultat pérenne et satisfaisant, tout changement doit
provenir de soi et être entrepris pour soi.
Chacun a sa propre idée de la perfection et, par conséquent, la
perfection de l’autre n’est pas nécessairement la mienne.

Et moi, dans tout ça ?


Voici quelques sujets sur lesquels nous vous invitons à réfléchir (et à
consigner sur votre cahier/carnet) :

Qu’évoque la perfection pour vous ? En quoi s’applique-t-elle à vous


et vos complexes ?
Vous considérez-vous comme perfectionniste ? Si oui, que pensez-
vous que cela apporte dans votre vie quotidienne ? Quelles
frustrations découlent de votre besoin de perfectionnisme ? Que se
passerait-il, à votre avis, si tout n’était pas aussi parfait que vous le
souhaitiez ou si vous lâchiez prise et acceptiez l’imperfection (la
vôtre et celle de l’autre) ?
Avez-vous déjà changé la forme sans changer le fond ? Si oui, avez-
vous expérimenté une dichotomie entre votre reflet dans le miroir, ou
l’œil de l’autre, et vos ressentis intimes ?
D’après vous, pourquoi un travail sur ses pensées, ses émotions et
son estime de soi est-il indispensable à tout changement profond et
pérenne ? Comprenez-vous pourquoi ce que l’on considère comme
l’élément principal de nos complexes (poids, identité, etc.) n’est en
réalité que l’élément secondaire, la manifestation d’un mal-être
intérieur ? Et que c’est ce mal-être intérieur dont il faut s’occuper en
priorité ?
Avez-vous déjà entrepris quelque chose pour traiter vos complexes à
l’initiative d’un tiers ou pour plaire à quelqu’un d’autre ? Si oui,
comment avez-vous ressenti cette démarche ? A-t-elle donné les
résultats escomptés ? Et ont-ils été pérennes ?
7
L’estime, la confiance et
l’affirmation de soi
Voici le sacro-saint triptyque du mal-être comme du mieux-être, et celui
qui mène aux complexes… ou à leur résolution. À l’origine du complexe,
que trouvons-nous en toile de fond récurrente ? Un déficit de l’estime, de la
confiance et de l’affirmation de soi. Lorsqu’on ne s’estime pas, qu’on
manque de confiance en soi et qu’on n’ose pas s’affirmer, on ouvre la porte
à tous les dérapages (en notre défaveur, est-il besoin de le préciser ?).
Heureusement, tout se corrige et tout peut s’acquérir, y compris ce
triptyque.

L’estime de soi ou se recentrer sur soi


Savez-vous comment on dit « je t’aime » en catalan ? On dit :
« t’estimo ». Le verbe provient, comme on s’en doute, de notre « estimer »,
dérivé lui-même du latin « aestimare » et qui signifie juger, déterminer la
valeur de quelque chose, évaluer, apprécier et aimer. L’estime de soi
consiste à s’aimer soi-même. On pourrait ajouter à se respecter, répondre à
ses propres besoins, s’accorder de la considération, bref, se trouver bien, se
trouver digne et se trouver à son goût. Quand on se trouve bien, digne et à
son goût, pensez-vous qu’un complexe quelconque puisse se développer ?
Pensez-vous que le regard de l’autre a des chances de nous plonger dans les
affres de la dépression et de la haine de soi ? Non, bien évidemment. En
revanche, quand on manque d’estime de soi, on ouvre grand les bras pour
accueillir tous les complexes possibles et imaginables et se rendre très
malheureux.
Attention, s’aimer soi-même et se mettre à la première place n’a rien à
voir avec l’ego et ses dérivés. On s’estime indépendamment de l’autre et de
son regard. On ne cherche rien à prouver à qui que ce soit, et c’est d’ailleurs
pour cela qu’on ne se laisse pas déstabiliser par un élément extérieur. L’ego,
c’est tout le contraire, puisqu’il cherche à s’afficher aux yeux de tous et
réagit en fonction de stimuli extérieurs à soi. L’estime de soi n’a pas besoin
de public, l’ego ne peut pas vivre sans public, puisque sa survie est
conditionnée au regard de l’autre. D’ailleurs, les personnes régies par l’ego
ont la plupart du temps de gros complexes et un véritable mal-être (qu’elles
ne traiteront évidemment pas instinctivement, puisque leur ego leur
interdirait de reconnaitre des failles dans leur fonctionnement).
L’estime de soi n’est pas un état, mais un processus que l’on développe ou
entretient au jour le jour. En cultivant l’estime de soi, c’est-à-dire en nous
traitant avec douceur, bienveillance, compréhension, respect, indulgence et
amour, nous ne risquons pas de la perdre quand tout s’effondre autour de
nous ou que le regard de l’autre se fait critique, voire malveillant. Il ne
suffit évidemment pas de décider d’avoir de l’estime pour soi-même, encore
faut-il la pratiquer. Et c’est chaque jour, même quand nous nous sentons
mal pour x raisons, que nous devons nous aimer et nous soutenir encore et
encore. L’estime de soi permet de cesser de nourrir des attentes vis-à-vis des
autres, attentes très souvent déçues, et de combler soi-même ses propres
attentes.
Par exemple, oui, il est très agréable et flatteur de recevoir des
compliments et de douces paroles, mais il est essentiel de ne pas en
dépendre pour se sentir bien, digne et valide. L’estime de soi n’en dépend
pas, l’ego si. Donc si nous accomplissons quelque chose dont nous sommes
fiers, félicitons-nous nous-mêmes au lieu d’attendre ou espérer les louanges
de l’autre. Ainsi, au cas où les louanges ne viennent pas, nous n’en serons
pas plus atteints que ça. (L’ego, lui, serait alors dans tous ses états.) Dès
que nous nous aimons nous-mêmes et comprenons que nous méritons d’être
aimés, l’intégration sociale s’acquiert tout naturellement, sans autres efforts.

Estime de soi et complexe


Une estime de soi défaillante, et le complexe prospère au-delà de toute
attente. Pourquoi ? Parce que la plupart de nos réactions émotionnelles
négatives n’ont d’impact que si l’estime de nous-mêmes est en berne. Une
mauvaise image de soi et un manque d’amour pour soi agissent comme une
loupe et transforment la moindre imperfection en échec personnel,
entrainant découragement et haine de soi. Il est important de comprendre
que l’estime de soi n’est pas fonction de ce que l’on fait. Nos réalisations
peuvent certainement nous procurer de la satisfaction, mais pas du bonheur.
Et déterminer notre valeur en fonction de nos accomplissements est une
pseudo-estime de soi, pas une estime de soi authentique. L’estime de soi est
également décorrélée de notre apparence, nos talents, nos compétences,
notre renommée ou notre compte en banque. Et l’amour, l’amitié ou
l’approbation de l’autre n’ajoutent pas un iota à notre estime de soi,
puisqu’ils sont extérieurs à nous. En fin de compte, et c’est l’essentiel, seule
notre propre évaluation de notre valeur peut déterminer nos ressentis.
Outre les complexes proprement dits, une estime de soi basse entraine
d’autres répercussions : dire oui à tout (ne pas savoir dire non), baser sa
valeur uniquement en fonction du regard de l’autre, agir le moins possible
pour éviter de se confronter à un échec potentiel, s’imaginer sans ressources
et démuni, manquer d’assurance, douter de tout et rien, etc.
Par ailleurs, combien sont ceux qui recherchent leur estime de soi dans le
paraitre, les achats et autres objets de marque, comme s’ils affirmaient :
« J’achète, donc je suis », alors qu’en réalité, « Je suis (j’existe) sans avoir
rien à démontrer » ? L’objet est alors supposé prouver une prétendue estime
de soi, alors qu’en réalité, elle ne prouve rien du tout et se contente de
soumettre une image pathétique (qui inspire la pitié) au regard de l’autre, en
s’imaginant que l’esbroufe devient qualité intrinsèque. Cette démarche est,
doit-on le préciser, vaine et non avenue, puisqu’elle n’a rien à voir avec
l’estime de soi, mais avec l’ego et sa soif d’apparence.

Le mot et l’idée
La confiance en soi est le premier secret du succès.
RALPH WALDO EMERSON, ÉCRIVAIN
L’affirmation de soi
L’estime de soi et l’affirmation de soi sont intimement liées. Le schéma
est le suivant : j’ai une basse estime de moi > par conséquent, j’ai peur du
rejet si je m’affirme > aussi, je ne m’affirme pas > donc, je continue d’avoir
peur du rejet (que se serait-il passé si je m’étais affirmé ?) > et bien sûr, je
ne prends pas l’habitude de m’affirmer ou alors je ne me donne pas le droit
de m’affirmer face aux autres > forcément, j’ai donc toujours une basse
estime de moi > et j’entretiens un cercle vicieux. Or, si l’estime de soi
remonte, l’affirmation de soi remonte aussi, et vice versa. Il est donc
intéressant de travailler sur les deux modules, indépendamment ou en
association.
S’affirmer, c’est être capable d’exprimer librement ce qu’on pense, ce
qu’on désire, ce qu’on ressent, indépendamment du regard de l’autre. Bien
entendu, cela suppose respecter aussi ce que l’autre pense, désire et ressent.
C’est grâce à l’affirmation de soi que l’on ose dire non calmement et sans
avoir à se justifier outre mesure ou que l’on répond sans agressivité à une
remarque potentiellement désobligeante.
S’affirmer, ce serait aussi par exemple affronter le regard de l’autre en
étant à l’aise et en paix avec ses particularités. S’affirmer, c’est savoir qu’on
existe indépendamment de tout élément extérieur et que nous n’avons rien à
prouver ni expliquer à quiconque. Et encore moins justifier notre droit
d’exister tels que nous sommes.

Le divan du psy : info scientifique


Le bonheur est souvent une affaire de perspective individuelle. Et il est toujours relié à
l’estime de soi : meilleure est cette dernière, plus le sujet se dira satisfait de sa vie.
CHRISTOPHE ANDRÉ, PSYCHIATRE, ET FRANÇOIS LELORD, PSYCHIATRE

La prison du soi défaillant


Quand je ne m’affirme pas, je ne prends pas en compte mes besoins ni
mes envies et je m’efface toujours devant l’autre, un peu comme si je
cherchais à disparaitre et me faire taire. Et progressivement, mon vœu sera
exaucé, puisque l’autre ne tiendra plus compte de moi. Je m’enfermerai
alors dans une sorte de cage que j’aurai moi-même construite et dans
laquelle, pris au piège, je serai, au fond de moi, malheureux comme les
pierres. Comment cette prison voit-elle le jour ? Elle voit le jour grâce aux
manifestations de ce que l’on nomme le « déficit assertif » et qui
correspond à une affirmation de soi défaillante.
Ce déficit assertif concerne trois grands domaines : le comportemental (ne
pas oser dire non ni demander quelque chose, avoir peur de déranger, ne pas
oser dire qu’on ne sait pas quelque chose, comme si c’était un crime, ne pas
oser donner son avis ni dire que l’on n’est pas d’accord avec quelqu’un, ne
pas savoir gérer les critiques ou autres commentaires désobligeants…) ;
l’émotionnel (frustration, rancœur, tristesse, colères muettes…) ; et le
psychologique (dépendance, soumission, renoncements à ce que l’on
souhaite, image de soi dégradée…). Par ailleurs, le déficit assertif nourrit le
complexe, ou alors, le complexe nourrit le déficit assertif. Qu’importe, au
fond, puisque le résultat est le même : les complexes physiques, identitaires
et socioculturels prospèrent.
Est-il nécessaire de souligner le caractère délétère et nocif de ce
fonctionnement ? Lorsque je ne m’affirme pas, je me laisse submerger par
les autres, les évènements et les situations. J’entretiens également un
rapport faux, incorrect et factice avec moi-même, puisque j’imagine être
une pauvre petite chose sans ressources et sans attraits, qui mérite à peine
de respirer. Mais ce n’est pas le cas, et d’ailleurs, l’instinct de survie se
réveille à un moment ou un autre, mais façon tsunami. C’est un peu comme
si on laissait l’eau monter, encore et encore, jusqu’à nous empêcher de
respirer. Puis, quand il n’y a plus de choix, soit on sort de l’eau, soit on
meurt, là, on se débat de toutes nos forces, souvent de façon
disproportionnée.
Par exemple, à force de dire oui à tout et de ne jamais oser dire ce que
l’on pense, on perd pied avec soi-même, ses valeurs, son identité, etc. Mais
subitement, un commentaire, un geste, souvent anodins, d’ailleurs, font
ressurgir les rancœurs enfouies, qui vont tout dévaster sur leur passage.
Pourquoi ? Parce que le plafond de verre des limites aura été dépassé depuis
trop longtemps. Vous savez, c’est la crise de colère qui surprend tout le
monde : « On ne l’a pas reconnu ! », « Mais qu’est-ce qui lui est passé par
la tête ? Ce n’est pas son genre du tout ! » Eh oui, parce qu’à force
d’encaisser et de ne pas donner assez à soi-même, on favorise l’émergence
des rancœurs. Nous donnons trop de nous-mêmes à l’autre et finissons par
nous sentir vides, seuls, maltraités, lésés (ce qui est très certainement exact,
mais qui est aussi de notre fait).
La rancœur est un sentiment primaire, comme la colère ou la tristesse, qui
aura muté. La rancœur, c’est quand on donne quelque chose (temps,
énergie, cadeau…) et que l’on attend quelque chose en retour qui ne vient
pas. Autrement dit, nous sommes dans l’attente de quelque chose. Or, pour
être dans l’attente, faut-il déjà qu’il y ait eu entente préalable. Si je paie un
artisan pour qu’il peigne ma salle de bain, oui, je suis en droit d’attendre
une salle de bain repeinte, puisqu’il y a entente préalable. Mais si j’offre un
cadeau ou rends service à quelqu’un, il n’y a pas d’entente préalable,
puisqu’il s’agit de ma propre initiative, et je le fais parce que j’ai envie de le
faire (quelles que soient les raisons, avouées ou non). Donc, si l’autre ne me
rend pas la pareille ou ne réagit pas comme moi je voudrais qu’il réagisse, il
n’y est pour rien, parce qu’il n’a rien promis. Pourtant, nous sommes
nombreux à ressentir de la colère, de la tristesse, du ressentiment et d’autres
émotions assez négatives si le remboursement de la dette présumée ne
survient pas. Et pourquoi ? Parce qu’à la base, notre manque d’affirmation
ou d’estime de soi nous incite à placer les besoins des autres avant les
nôtres. Rappelons que nous sommes toujours responsables de nos actes.
Donc, si je veux être responsable, je m’occupe d’abord de mes besoins à
moi et j’offre ce que je veux à qui je veux, parce que je le veux bien et non
parce que je m’y sens obligé. Toute notion de rancœur ou de mal-être
disparaitra aussitôt, ce sera comme si, avant d’offrir des chouquettes à la
ronde sans m’en autoriser une seule, je m’en étais déjà réservé quelques-
unes pour mon latté en solo.

Le mot et l’idée
La seule alchimie est une alchimie intérieure.
JEAN CHALON, ÉCRIVAIN

La confiance en soi
La confiance en soi permet de comprendre et d’intégrer que nous avons
les capacités nécessaires pour tout affronter. La confiance en soi permet
d’aller de l’avant, d’entreprendre des actions, d’accepter d’avoir tort ou de
ne pas tout connaitre, de contourner la perfection, de trouver l’existence
belle, même quand on n’est pas au sommet de sa forme, bref, de suivre son
chemin de vie. Par ailleurs, une personne avec de la confiance en soi se
sentira en sécurité et ne laissera pas la peur dicter ses actes. Si j’ai confiance
en moi, je ne vais pas m’avouer vaincu ou imaginer le pire avant
d’entreprendre la moindre chose.
Au contraire, je me dis que j’ai toutes les chances et le potentiel d’arriver
à mes fins. Et si je n’y arrive pas, tant pis, je tenterai autre chose. Comme
claironnerait avec panache Coco Chanel, qui n’a jamais eu de problème de
confiance en soi : « Prenez mes idées, ça m’est égal, j’en aurai d’autres ! »
Naturellement, sans confiance en soi, on reste à la merci des évènements
et du regard de l’autre. Un complexe, c’est aussi un manque de confiance en
soi, parce que si je suis complexé par une particularité, j’imagine ne pas
disposer des compétences pour la gérer ni pour affronter le regard de
l’autre. Et sans grande confiance en moi-même, j’ai beau savoir au fond de
moi que j’ai des talents, je n’ose pas les exploiter et je me morfonds dans un
poste, une relation amoureuse, un cercle amical qui ne m’apportent
strictement rien. Si bien que je finis par passer à côté de ma vie.

Le divan du psy
À la base de chacune de nos angoisses, il y a un manque de confiance en soi. Chaque
fois qu’on est confronté à une situation dramatique ou périlleuse, on en ressort plus fort.
La sécurité n’est pas de posséder des choses, mais de savoir gérer les situations.
SUSAN JEFFERS, PSYCHOLOGUE
Et je me détacherai
Même la Joconde a un drôle d’air et donne une impression de vertige
lorsque l’on a le nez dessus, à quelques millimètres de la toile. C’est
exactement la même chose avec les situations, les gens et les évènements
que nous rencontrons. Au cinéma, certains se mettent d’office au premier
rang, comme pour mieux s’immerger dans le film, mais d’autres préfèrent
s’asseoir à l’arrière, d’où ils ont une vue d’ensemble plus nette et plus large.
En prenant du recul, on découvre des détails impossibles à distinguer de
près et l’on bénéficie d’un autre regard, plus mesuré et plus objectif.
Lorsque l’on est dans l’œil du cyclone, effectivement, il est difficile de voir
plus loin que le bout de son nez, ce qui peut occasionner angoisse et
sensation de perte de repères.
Dans la vie, c’est comme au cinéma. En prenant un peu de distance, on se
détache de l’insécurité, du remords, de l’angoisse, de la perfection, des
illusions, bref, de tout ce qui peut nous bloquer et nous mener en bateau, à
commencer par la valorisation que nous attendons d’éléments externes.
Lorsque l’on prend du recul, on s’aperçoit aussi que ce qui paraissait
énorme et essentiel ne l’est finalement pas tant que ça. Ce qui nous effrayait
tant n’est sans doute pas aussi effrayant que ça non plus, tout cela n’était
qu’une sorte d’effet d’optique.
Pour nos complexes, c’est pareil. Vues de près, nos imperfections
semblent incommensurables et affreuses au-delà de toute expression et le
regard de l’autre tellement important pour nous. Mais vues d’un peu plus
loin, nos imperfections paraissent beaucoup plus anodines et innocentes, et
le regard de l’autre, finalement, ni si important ni si menaçant. Et plus nous
développons notre estime, notre confiance et notre affirmation de soi, plus
nous parvenons à nous détacher et prendre de la hauteur avec les
évènements et les autres. Nous retrouvons alors peu à peu notre authenticité
et l’essence de notre véritable nous. Pour notre plus grand bien.

Confidences en aparté
J’étais tellement complexé et je manquais tant de confiance et d’estime de
moi que je me mettais sans cesse dans des situations inextricables (pour
moi, évidemment). Ainsi, il m’était quasiment impossible de dire non à
quelque chose, quitte à me torturer plus tard en me reprochant d’avoir
accepté quelque chose que je ne souhaitais absolument pas et qui me coûtait
beaucoup. Vous vous doutez que je m’affirmais très peu en public. En
réalité, à froid et en toute lucidité, je savais que j’avais des capacités et que
je n’avais pas à me sous-estimer. J’étais tout à fait conscient d’avoir autant
de valeur qu’un autre, mais en présence d’autres personnes, mes complexes
occupaient tout mon esprit, et le regard de l’autre reprenait tous ses droits
sur moi (et mon comportement). Je disais donc oui à tout ce que l’autre
voulait en me consolant d’un « non, mais ce n’est pas grave ». Évidemment,
rien n’était jamais grave, du moment où je m’oubliais, mais il ne me serait
jamais venu à l’esprit que si, en réalité, c’était très grave, au contraire. Mais
mon besoin d’acceptation et d’approbation était plus fort que tout
raisonnement rationnel.
J’allais souvent chercher mon frère, plus jeune, après les goûters
d’anniversaire auxquels il était convié. Comme d’habitude, j’arrivais
toujours en avance, notamment parce que je n’avais rien d’autre à faire et
puis parce qu’arriver en retard aurait été catastrophique pour moi, car mon
frère aurait dû attendre et se serait peut-être fait du souci. Bref, je sonnais,
la maman m’ouvrait et me disait qu’ils en étaient au gâteau et que je
pouvais entrer et prendre une part avec tout le monde et que mon frère
repartirait dans une petite heure. Que croyez-vous que je faisais alors ?
Rouge de confusion, je refusais en balbutiant et j’attendais mon frère, à
l’extérieur, assis sur une marche de l’escalier de l’immeuble.
À l’époque, les téléphones portables n’existaient pas pour se distraire et
faire passer le temps. Alors, je patientais, sagement. Lorsqu’une personne
montait dans l’escalier, ce que je redoutais bien sûr, elle me demandait ce
que je faisais là et j’expliquais que j’attendais mon frère. Parfois, c’était la
mère d’un autre enfant et lorsque l’hôtesse, en ouvrant la porte,
m’apercevait, je devenais écarlate et elle me disait « Mais enfin, Olivier,
entre, tu ne peux pas rester sur une marche d’escalier ! » Je refusais
toujours, car le regard de l’autre me torturait littéralement et, de toute
manière, je n’aurais jamais osé manger quoi que ce soit devant toutes ces
personnes. J’ânonnais toujours le même leitmotiv : « Ne vous inquiétez pas,
madame, ce n’est pas grave, je peux attendre ! » Je ne me rendais pas
compte que je me victimisais, j’étais tellement dans l’œil du cyclone, tourné
vers moi et mes complexes, et réagissant en fonction de la signification que
j’interprétais dans le regard de l’autre. Mais finalement, tout cela n’était
effectivement pas bien grave, parce que si mon frère était très populaire et
souvent invité, il a fini par être suffisamment grand pour que je n’aie plus
besoin d’aller le chercher…

La tribune est à vous !


Vous êtes-vous déjà déjà trouvé dans une situation similaire ? Vous
rendiez-vous compte de l’isolement que vous déclenchiez vous-même ? Y
avait-il une différence entre ce que vous pensiez de vous-même et votre
attitude en présence d’autres personnes ? Est-ce que les complexes
balayaient toute rationalité comportementale ou, avec un peu de recul
aujourd’hui, c’était avant tout une question d’estime, de confiance et
d’affirmation de soi ? À moins que tout ne soit lié ?

Comment font les autres


Quand on ne vit qu’à travers le prisme du regard de l’autre, il est facile
d’imaginer que la vie des autres est très facile, qu’ils ont de l’estime de soi
à revendre et que rien ne peut les atteindre (en tout cas, aussi fortement que
nous). Voilà une croyance erronée de plus ! En effet, cela supposerait que
l’autre est parfait, un peu comme un superhéros, alors que l’on sait
pertinemment que la perfection n’existe pas. Les personnes dotées d’une
haute estime de soi, d’une confiance en soi sans bornes et d’une affirmation
de soi en acier galvanisé ont, tout comme nous, des doutes, des hésitations,
des regrets, des remords, des vulnérabilités, des craintes, l’impression
parfois de ne pas être à la hauteur, bref, tout ce qu’un être humain est en
droit de ressentir. La différence entre eux et nous, c’est la durée et la
puissance du ressenti. Chez eux, c’est un ressenti transitoire et léger, chez
nous, il est pérenne et profond. Autre différence : eux acceptent leurs
imperfections et agissent malgré tout. Nous, non, nous sommes bloqués,
nos complexes nous paralysent.
En fait, les autres ont pu construire une image globalement positive d’eux-
mêmes, avec l’estime, la confiance et l’affirmation de soi associées. Bien
évidemment, les autres sont affectés par les échecs ou les méchancetés,
mais ils sont capables de les gérer grâce au développement de leur
personnalité. Les autres ont également appris et compris qu’ils avaient tout
en eux pour affronter toutes sortes de situations. Et surtout, ils savent vivre
sans se laisser démonter ou téléguider par le regard de l’autre.
Et là, nous en venons à un point primordial : nous n’avons pas le pouvoir
de rendre l’autre heureux. Et par conséquent, l’autre n’a pas non plus le
pouvoir de nous rendre heureux. Donc, et suivez bien la démonstration,
nous n’avons pas plus le pouvoir de rendre l’autre malheureux, n’est-ce
pas ? Et… l’autre n’a pas non plus le pouvoir de nous rendre malheureux.
Sauf, bien évidemment, si j’en ai envie et que j’accepte de me rendre
heureux ou malheureux en fonction de l’autre.

Le souffleur qui sape


Au théâtre, il y a toujours un souffleur, au cas où un comédien aurait un
trou de mémoire (les textes sont si longs qu’on leur donne l’absolution les
yeux fermés). Ce souffleur, dissimulé sous la scène, va alors chuchoter les
mots qui semblent échapper au pauvre acteur sur lequel le public a les yeux
braqués. Imaginons que ce souffleur ait une dent contre le comédien et
souhaite se venger d’une broutille en lui soufflant une fausse tirade. Le
comédien va se sentir ridiculisé et toute la pièce va en subir les
conséquences. Eh bien, nous aussi, nous avons un souffleur qui, par sa
petite voix, n’attend pas une amnésie passagère pour nous induire en erreur
et nous bloquer dans notre élan.
La petite voix, vous savez, ce n’est pas celle de l’intuition, bien entendu,
non, c’est celle qui nous murmure, à la façon du serpent malveillant du
Livre de la Jungle : « Aie confiance en moi ! J’ai tes intérêts à cœur ! Et je
sais que tu vas droit dans le mur ! Ce que tu entreprends ne marchera
jamais ! Non, mais pour qui te prends-tu ? Tu t’es regardé ? Tu crois quoi ?
Qu’on t’a attendu ? Que les autres n’ont pas déjà fait en mieux ce que tu
veux faire ? Et puis, qu’est-ce que tu es gros/laid/grand/petit/maigre ! Et
avec un nom comme le tien, jamais on ne devient PDG ! Écoute-moi,
n’essaie même pas ! Reste à ta place, dans ton coin, ne fais pas de vague, et
ça ira, tu sais que je ne veux que ton bien, moi ! Imagine tous les échecs que
tu vas rencontrer ! » C’est cette petite voix qui nous dit aussi qu’on n’a
jamais assez bien fait et qu’on ne sera jamais assez bien. Elle nous susurre
des propos que l’on pense rassurants, alors que c’est tout le contraire,
puisqu’elle entretient la peur, l’addiction au regard de l’autre et le
développement des complexes. Et en simultané, elle diminue notre estime,
notre confiance et notre affirmation de soi. Ah, on peut dire qu’elle est
drôlement efficace, cette petite voix !
Mais si, comme l’épouvantable souffleur du théâtre, notre petite voix
soufflait des choses fausses ? Si, en réalité, elle n’avait pas du tout nos
intérêts à cœur, bien au contraire ? Si elle ne nous racontait en fait que des
sornettes qu’on est suffisamment naïf pour croire ? Que se passerait-il si
l’on refusait d’écouter cette petite voix qui fait un travail de sape en
profondeur ? Sans voix pour nous rabaisser et nous rabâcher qu’on est nul
et que les autres sont mieux ? Sans voix pour nous malmener quand un
résultat n’est pas à la hauteur de ce qu’elle escomptait ? Sans voix pour
nous conseiller de ne surtout rien entreprendre, parce que, c’est sûr, on va
droit dans le mur ? Sans cette petite voix, eh bien, nous agirions, nous
cesserions de nous critiquer à tout venant, nous oserions expérimenter, nous
apprendrions à nous respecter et nous aimer, nous n’aurions plus peur de
tout et de rien, nous progresserions, nous développerions une meilleure
estime, confiance et affirmation de soi, nous nous accepterions en l’état,
comme nous sommes avec nos particularités que l’on commencerait à
aimer, nous serions nos meilleurs supporters, nous dirions non à tout ce que
l’on ne veut pas et qui nous mine de l’intérieur, et nous serions enfin
heureux d’être qui nous sommes. Il serait donc temps de couper les cordes
vocales au méchant souffleur et à notre horripilante petite voix, ne croyez-
vous pas ?

Repérage
L’estime de soi consiste à s’aimer soi-même, se respecter, répondre à
ses propres besoins, s’accorder de la considération.
L’estime de soi ne dépend jamais des compliments ou de facteurs
extérieurs, l’ego, si.
S’affirmer, c’est être capable d’exprimer librement ce qu’on pense,
ce qu’on désire, ce qu’on ressent, indépendamment du regard de
l’autre.
Un déficit assertif affecte le domaine comportemental, émotionnel et
psychologique. Il favorise naturellement les complexes physiques,
identitaires et socioculturels.
La confiance en soi permet de comprendre et d’intégrer que nous
avons les capacités nécessaires pour tout affronter.
Les autres ressentent les mêmes peurs et les mêmes doutes que nous,
mais leur ressenti est transitoire et ne les empêche pas d’agir.
Il est essentiel de prendre du recul pour remettre à leur juste place ce
qui nous pose un problème.
Nous n’avons pas le pouvoir de rendre heureux ou malheureux
l’autre, et l’autre n’a pas le pouvoir de nous rendre heureux ou
malheureux.
La petite voix qui sape tous nos efforts et nous critique sans cesse est
un véritable poison que nous devons éradiquer.

Et moi, dans tout ça ?


Voici quelques sujets sur lesquels nous vous invitons à réfléchir (et à
consigner sur votre cahier/carnet) :
Considérez-vous avoir suffisamment d’estime, de confiance et
d’affirmation de soi ? En pourcentage, comment pourriez-vous
l’exprimer ?
Voyez-vous comment les facteurs extérieurs ont un impact sur votre
estime, confiance et affirmation de soi ? Pourriez-vous énumérer ces
facteurs dans votre cas ?
Y a-t-il des situations dans lesquelles il vous est plus facile de vous
affirmer ? Dans quels cas ? Comment vous sentez-vous lorsque vous
vous affirmez ?
Avez-vous peur de ne pas pouvoir ou savoir gérer des évènements,
des individus ou des situations ? Si oui, notez des exemples, avec un
coefficient « peur » de 1 à 5, 5 étant le degré de peur maximal.
Observez votre entourage. Avez-vous des exemples de personnes qui
ont entrepris des choses tout en ayant des doutes ou des craintes ?
D’après vous, les personnes qui osent sont-elles des têtes brûlées ou
des inconscientes, ou alors ont-elles aussi des peurs qu’elles
dépassent ?
Notez et encadrez la phrase : « Je n’ai pas le pouvoir de rendre
heureux ou malheureux l’autre, et l’autre n’a pas le pouvoir de me
rendre heureux ou malheureux. »
Comment se manifeste votre petite voix qui sape le moral et les
envies ? Listez des exemples. À votre avis, que se serait-il passé si
vous n’aviez pas écouté cette petite voix ? Savez-vous à partir de
quand cette petite voix a commencé à se faire entendre ? Était-ce lié
à un évènement particulier ?
SECONDE PARTIE

Soulager, partager, solutionner,


revivre
8
Le changement, c’est
maintenant !
Mais au fait, qu’est-ce que le changement ? Le changement, c’est
l’abandon d’habitudes ou de fonctionnements qui avaient certainement une
utilité dans le passé, mais qui sont à présent devenus obsolètes ou superflus.
Le changement consiste donc à laisser au passé ce qui appartient au passé et
à se recentrer sur le présent. Maintenant, il est compréhensible que le
changement effraie, voire paralyse, au début, mais cet état est transitoire,
c’est-à-dire qu’il va passer. Vous connaissez le dicton : « C’est le premier
pas qui coûte » ? Il se vérifie systématiquement. Mais une fois le premier
pas effectué, toute impatience renforcerait blocages et découragements, car
l’impatience n’est rien d’autre qu’une résistance au changement, et une
résistance particulièrement retorse. On parle ici de processus, donc de
travail sur la durée, et aucune baguette magique n’y pourrait rien changer.
Et puis, rappelez-vous : tout processus favorise la prise de conscience,
l’assimilation et la pérennité. En attendant, félicitez-vous d’avoir entrepris
une action menant au changement et au mieux-être !

Le déclic
Si l’on continue à faire ce que l’on a toujours fait… on obtient toujours ce
que l’on a toujours obtenu. La Palice aurait pu en dire autant et la formule
pourrait prêter à sourire, mais combien sommes-nous à savoir que quelque
chose ne va pas, qu’une situation nous rend malheureux ou que nous
dépérissons en l’état ? Combien sommes-nous à comprendre qu’il faudrait
vraiment que l’on change quelque chose parce que tout va de mal en pis ?
Et combien sommes-nous à oser le changement ? Et par changement, on
englobe toutes les graduations, du baby step au pas de géant.
Pourquoi cet immobilisme, alors que nous savons pertinemment que le
changement permettrait un mieux-être ? Pour différentes raisons : la peur,
des contreparties au statu quo, la paresse, le découragement… Pourtant,
nous avons tous conscience que rien ne peut changer dans notre vie tant que
nous ne prenons pas la décision d’entreprendre une action. Et si nous ne
prenons pas toujours la décision de bouger de notre plein gré, à un moment
ou un autre, la vie, sous la forme d’un évènement ou d’une rencontre, se
chargera de nous pousser à agir, sans que l’on puisse finalement s’y
opposer, simple question de survie.
En effet, quand nous allons plus ou moins bien, que nous vivotons tant
bien que mal et que nous nous accommodons d’une situation, certes pas
extraordinaire, mais supportable quand on regarde autour de soi, nous ne
sommes pas réellement incités à changer quoi que ce soit. Le changement
reste alors un vœu pieux qui sera rarement suivi d’effet. Non, nous
changeons quand quelque chose ne va vraiment plus, que toutes nos limites
ont été atteintes, que nous avons l’impression d’être devant une impasse,
que nous étouffons et que nous risquons de perdre gros si nous ne bougeons
pas. Dans ce cas, le changement aura bien lieu, mais il sera nécessairement
plus douloureux que s’il avait été entrepris de plein gré.
Cependant, les douleurs engendrées par le changement permettent de
grandir, de se développer et de (re)découvrir ses capacités. C’est face à un
évènement douloureux ou déplaisant que nous nous rendons compte de nos
capacités et de nos forces à affronter l’extérieur. Pourtant, ces douleurs ne
viennent jamais du changement en lui-même, mais de nos propres
résistances au changement. C’est un peu comme pour le surf : si on lutte
contre le courant, on rame, mais si l’on vogue dessus, on s’envole loin. Pour
le changement, c’est la même chose. Si l’on décide de vivre ici et
maintenant, le changement se fait en douceur, mais si l’on résiste en
s’agrippant de toutes ses forces à ce que l’on connaissait jusque-là, ça
coince.
Les résistances au changement
Souvent, on sait qu’on veut changer, on sait qu’on doit changer et on sait
qu’on peut changer, mais pour des raisons qui nous échappent, on ne
change pas. Pas parce que nous échouons, mais parce que nous ne tentons
pas le coup. Pourquoi ? Parce que le mental prend le relais, et avec la peur
et la petite voix qui sapent en copilotes, il va au contraire nous expliquer
pourquoi il ne faut surtout pas changer quoi que ce soit. La démotivation
par des affirmations supposées rationnelles, mais qui ne le sont en réalité
que de très loin. On appelle ces affirmations des « résistances au
changement ». Il en existe plusieurs, que vous reconnaitrez certainement
pour les avoir expérimentées (on le fait tous) :

L’impatience : il s’agit d’une résistance au changement, mais


également à tout apprentissage. C’est un peu le comportement assez
puéril du « tout, tout de suite ».
Les indices non verbaux : par exemple, arriver en retard, changer de
sujet de conversation, quitter la pièce à des moments cruciaux, faire
semblant de ne pas entendre ou pas comprendre…
Les suppositions bateau : vous savez, les phrases toutes faites comme
« De toute manière, ça ne servirait à rien », « Ça va passer », « Ça
s’arrangera tout seul avec le temps », etc. Bien évidemment, rien ne
risque de s’arranger si l’on ne fait rien.
Les croyances limitantes. Nous prenons des éléments factuels ou pas
comme prétextes pour ne rien faire : « C’est trop loin », « C’est trop
cher », « Cela prend trop de temps », etc.
Les autres. Tout le monde le sait depuis Sartre, l’enfer, c’est les
autres, et ils sont aussi très utiles pour esquiver le changement : « Je
voudrais bien changer, mais… ce n’est ni l’endroit ni le moment ;
c’est la faute de M. Machin ou Mme Bidule si je suis bloqué ; le
destin m’en veut ; j’attends la prochaine année bissextile, mon
voyant m’a juré que tous les feux seraient au vert ! »
Nos idées sur nous-mêmes. En réalité, des préjugés qui nous
arrangent bien : on est trop gros, trop vieux, pas assez intelligent,
trop intelligent, trop mince, pas assez mince… C’est la résistance au
changement du complexe.
Les tactiques d’ajournement : la procrastination dans toute sa
splendeur ! On reporte sans cesse à demain pour toutes sortes de
raisons : « Je veux le faire, je veux changer, et je vais le faire et je
vais changer, mais plus tard, là, maintenant, je n’ai pas une minute à
moi », ou « Je voudrais bien, mais il est trop tôt/tard… »
Le manque de réalisme : on se voile la face. On a beau réfléchir,
mais tout compte fait, on n’a pas vraiment de problème, tout va bien,
et puis, s’il y a un problème, une nuit de sommeil et au matin, tout
aura disparu, emporté par la petite souris ou la fée blanche.
La peur. Alors là, c’est un gros morceau, car la peur est une des
émotions les plus toxiques : elle bloque tout. Elle bloque le rationnel,
le mouvement, l’action. Elle empêche tout changement et, d’ailleurs,
à la seule évocation du fameux premier pas qui coûte, la crise de
panique surgit. Les petites phrases ressemblent à « Je ne suis pas
encore prêt », « C’est trop difficile, je risque de tout rater », « Je sais
ce que je perds, mais je ne sais pas ce que je gagne »…

Toutes ces résistances au changement sont normales et font partie du


processus. Nous les rencontrons tous, à des degrés différents, et ce n’est pas
un problème en soi. Le problème apparait lorsque nous n’identifions pas ces
résistances, que nous les considérons comme des affirmations cohérentes et
valides et que nous les laissons nous bloquer et nous noyer dans une
situation intenable. Ça, oui, c’est un problème. Mais rien d’insurmontable.
En effet, dès que ce genre d’affirmations nous vient à l’esprit, il suffit de les
conscientiser et de les remettre en question. Par exemple, si je souhaite
sortir avec mon pantalon pattes d’éléphant à fleurs et que je me dis « Non,
tout le monde va rigoler et je ne suis pas encore prêt à affronter des
ricanements », je dois m’interroger sur la nature de cette affirmation. Serait-
ce une résistance au changement ? Mais oui, bravo ! Et de quel genre ?
Serait-ce la peur qui me bloquerait ? Mais oui, encore bravo ! Et donc, je
fais quoi ? Je reste avec ma peur (et la satisfaction d’avoir découvert que
j’étais sous son emprise) ? Ou je relève la tête, je redresse les épaules et je
sors avec mon pantalon qui me plait tant, ne serait-ce que pour faire le tour
du pâté de maisons ? Je me féliciterai alors chaleureusement de ma
hardiesse, et la fois suivante, je m’aventurerai même un peu plus loin, car
j’aurais constaté que je surestimais dans ma tête les conséquences de cette
petite sortie en pattes d’éléphant.

Le mot et l’idée
Rien ne se produit tant que rien ne bouge.
ALBERT EINSTEIN, PHYSICIEN, THÉORICIEN

Les contreparties
Cela peut sembler paradoxal, mais même si nous savons que le
changement nous serait bénéfique, nous préférons ne pas bouger. Les
résistances évoquées plus haut jouent bien sûr un rôle primordial, mais elles
n’expliquent pas tout. Parfois, on ne fait rien et l’on se complait dans notre
situation, car on y trouve des contreparties, c’est-à-dire des avantages.
Comment est-ce possible ? Tout simplement parce que la situation dans
laquelle nous vivons (et qui demeure désagréable, voire nocive) nous
arrange, quelque part. C’est un peu le processus de la phobie : une phobie
joue un rôle de catalyseur et permet d’exprimer et de regrouper divers
phénomènes, émotions, peurs, etc. Or, si l’on supprime la phobie (par
thérapie comportementale ou même hypnothérapie), une autre phobie se
manifestera, afin de combler le vide engendré par la disparition de la
première.
On retrouve un fonctionnement similaire avec les contreparties au
changement. Si, par exemple, je ne cesse de me plaindre de mon lieu de vie,
mais ne fais rien pour entreprendre un changement, il y a un vrai sujet. Je ne
fais rien parce que je peux résister au changement (peur, croyance limitante,
etc.), c’est juste, mais je ne fais rien parce qu’en réalité, la situation me
permet de me plaindre à qui veut l’entendre, d’engager la conversation avec
qui passe par là, de catalyser tous mes autres soucis (le lieu de vie sert de
bouc émissaire), de trouver des prétextes utiles quand je n’ai pas envie de
faire quelque chose et, surtout… de me placer en victime, démunie et sans
défense, et de tenir ainsi à la perfection mon rôle dans le triangle de
Karpman (voir chapitre 4). Et si je changeais quelque chose, par exemple,
en mettant des bouchons d’oreille la nuit, en prospectant aux alentours pour
un autre lieu de vie ou en isolant mes fenêtres, nécessairement, il me
faudrait trouver un autre sujet capable de cristalliser mes angoisses et mes
besoins non comblés. En fait, ce que j’expérimente dans ma situation
actuelle me permet d’exister. Et par conséquent, si je change quoi que ce
soit (complexe ou autre phénomène problématique), je cesse d’exister. Et
c’est pourquoi, inconsciemment, je ne veux pas changer et je n’ai pas
réellement envie d’aller mieux.

Le divan du psy
Pour changer, il faut commencer par s’accepter tel que l’on est. Or il est particulièrement
difficile de s’accepter tant que l’on est obnubilé par la nécessité de changer. Le fait de se
concentrer aveuglément sur le changement équivaut à se cogner la tête contre le mur
pour passer dans la pièce voisine. En s’acceptant soi-même, on prend un pas de recul
par rapport à ce mur, on observe la situation sans préjugé et l’on finit par apercevoir la
porte. L’acceptation, c’est la porte dans le mur ; c’est elle qui rend le changement
possible. L’acceptation, c’est la condition sine qua non du changement.
SUSANNA MCMAHON, PSYCHIATRE

S’accepter en l’état avant de changer


Dans le cas du complexe, résistances et contreparties se renvoient la balle,
mais le phénomène est plus pernicieux, car le manque d’estime, de
confiance et d’affirmation de soi a inscrit au plus profond de l’être une
vision erronée de la réalité.
Autrement dit, ce n’est pas nécessairement parce que l’on a peur ou que
l’on se sent bien dans le rôle de victime que l’on ne change rien, c’est peut-
être parce qu’au fond de soi, on est persuadé qu’il n’existe pas d’alternative.
La réalité et les options envisageables sont déformées par un prisme
opacifiant. Il est donc nécessaire de retrouver un certain réalisme, qui
redonnera alors l’espoir.
Si je ne m’aime pas, si je n’ai pas confiance en moi, si je n’ose pas
m’affirmer, si je pense que je ne vaux pas grand-chose tel que je suis et
qu’il me faut changer à tout prix, je m’expose à de grandes déconvenues.
Ce serait un peu comme se sentir très déprimé, ne rien faire pour identifier
les causes ni pour soulager les symptômes, et partir à Capri ou ailleurs en se
disant qu’on ira mieux instantanément. Or on ne va pas mieux, on emporte
dans ses bagages son mal-être, et le soleil, la mer et les pizzaiolos agiront
comme un cataplasme sur une jambe de bois.
Lorsqu’on a des complexes, il est essentiel de s’accepter en l’état avant
d’entreprendre le moindre changement. En effet, en faisant la paix avec soi-
même et ses particularités, on est alors prêt à amorcer des changements qui
porteront leurs fruits.

Changer pourquoi et pour qui ?


Bien évidemment, la première question à se poser est : est-ce que je veux
vraiment entreprendre un changement ? Elle est essentielle au déclic. Mais
deux autres suivent immédiatement : pourquoi et pour qui je veux changer ?
Ces deux points sont essentiels pour évaluer la validité de la démarche et
son succès. Si l’on veut changer parce qu’en l’état, on vit un mal-être et que
la situation n’est plus tenable, le terrain est favorable, parce que nous
sommes les seuls concernés par l’entreprise. Je prends la décision parce que
je suis responsable de moi-même et que je veux aller mieux pour moi-
même. (Naturellement, par ricochet, si je vais mieux avec moi-même, j’irai
mieux avec l’autre.)
En revanche, si je cherche à changer, poussé par des facteurs externes
et/ou pour faire plaisir à Pierre, Paul, Jeanne, l’approche parait plus
hasardeuse, parce que j’entreprends une action que je n’ai pas décidée en
pleine conscience et qui ne répond pas à des besoins qui me sont propres.
En rapportant cette méthode au complexe, si je veux changer une
particularité parce que tout le monde se moque de moi et que je me sens
mal avec moi-même en raison de cette particularité que je finis par haïr
(autant que je me hais moi-même, car je ne fais plus vraiment la différence
entre la particularité et la personne dans son ensemble), je continuerai à haïr
cette particularité (et moi-même) si jamais cette particularité ne disparait
pas entièrement ou si elle revient. Je ne serai donc pas en paix avec moi-
même et cette particularité. Le regard de l’autre conditionnera alors une fois
de plus l’estime que j’aurai pour moi.
Par ailleurs, il y a aussi la validité de mon changement : si mon objectif
n’est pas réaliste ou s’il est démesuré, là encore, l’initiative se disqualifie
d’elle-même. Par exemple, si une banane veut devenir une tomate ou une
marmotte se rêve antilope, on tombe dans l’absurde, le futile et le vain.
En outre, changer en fonction du regard de l’autre est périlleux, parce que
justement, le regard de l’autre peut aussi changer. Les faits divers regorgent
d’ailleurs d’exemples de personnes opérant des changements conséquents,
comme le recours à la chirurgie esthétique, simplement pour plaire à leur
conjoint, qui finit par se lasser ou repousser encore les limites. Tout
changement amorcé pour l’autre et/ou à son initiative suppose une estime
de soi très basse, une peur de l’abandon ou du rejet, et un manque d’amour
pour soi-même. Il est donc voué à l’échec et ne peut rien résoudre de façon
pérenne.

Confidences en aparté
Pour faire plaisir ou sous la pression, j’ai suivi un nombre de régimes
alimentaires assez impressionnant. Bien entendu, j’estimais que les résultats
n’étaient jamais à la hauteur de mes efforts (et surtout de mes privations).
Pour moi, au bout de trois jours de diète, j’espérais voir quelque chose
changer, parce que ces trois jours m’avaient beaucoup coûté. Et si jamais je
perdais 500 grammes, inutile de vous dire que je jugeais le fruit de mon
labeur bien vert et bien amer. S’ensuivaient alors découragement, tristesse,
sensation que rien ne changerait jamais, et je me consolais en replongeant
dans les aliments gras et sucrés, vous savez, ceux que l’on dit réconfortants.
Parce que, oui, j’avais besoin d’être réconforté.
Et le cercle vicieux se poursuivait avec les injonctions de mes parents :
« Tu n’as aucune volonté ! Tu vas grossir jusqu’à quand ? Tu mets ta santé
en péril ! etc. » Culpabilisé comme jamais, je m’en voulais de ne pas avoir
suffisamment bien fait, et je me résolvais à un nouveau régime. Le régime
prenait ensuite la place du complexe, dans le sens où il occupait tout mon
esprit et devenait polarisateur. Je ne pensais plus qu’à la nourriture, ce qui
n’était pas le cas hors régime. Admettons que je perde alors quelques kilos,
le cheminement me coûtait plus que je ne pourrais l’exprimer ici, même des
années et des années plus tard. C’était comme si je me martyrisais et,
quelque part, c’est ce que je faisais, puisque je ne m’acceptais pas en l’état.
Je ne me disais pas : « Tu as des kilos en trop, oui, mais ce n’est pas pour
cela que tu n’es pas aimable [dans le sens de pouvoir être aimé] ». Je fuyais
tout miroir, naturellement, sauf une fois.
Petite anecdote. J’étais au Jardin d’acclimatation ou à la Foire du Trône, à
Paris, je ne m’en souviens plus trop, et il y avait une galerie des glaces.
Certaines grossissaient, mais d’autres amincissaient. Et en passant devant
un miroir amincissant, je ne pouvais pas détacher mon regard de mon
reflet : je me plaisais et j’aurais voulu être comme ce reflet. Bien sûr,
toujours conscient du regard de l’autre, je n’osais pas trop m’aventurer
devant ce miroir, mais je suis repassé souvent devant. Comme on peut
l’imaginer, une fois face à mon reflet véritable, le choc, la honte, la
déception, la tristesse et l’envie de disparaitre. Pas une seule seconde je n’ai
pensé que le moi du miroir amincissant et celui du miroir classique ne
faisaient qu’un. Et que si je me plaisais mince, j’étais la même personne
ronde. Par conséquent, j’avais toutes les raisons d’aimer qui j’étais et de me
respecter et m’accepter en l’état. Ce n’était évidemment pas mon
raisonnement de l’époque. J’avais quatorze ans.
Repassons à l’histoire des kilos en moins, consécutifs aux régimes
draconiens. Mes parents et le médecin étaient contents et m’encourageaient
de phases du type : « Bon, il y en a encore pas mal à perdre ! C’est bien,
mais ça ne suffit pas ! Il ne faut pas relâcher ses efforts ! » Autant de
paroles qui se voulaient stimulantes et qui étaient pour moi décourageantes,
un peu comme si ce que je faisais n’était jamais assez bien ni assez
suffisant. Et loin de me dynamiser, ces injonctions m’incitaient au contraire
à grignoter en cachette. Le cercle vicieux reprenait (ou continuait), les kilos
revenaient, le mal-être ne s’estompait pas, et bis repetita.
Je n’avais pas spécialement de contreparties à conserver mes kilos, mon
estime de moi était tellement basse qu’elles n’étaient pas nécessaires. En
revanche, il y avait bien une résistance au changement : moi. Je ne voulais
pas changer, parce que j’y étais contraint et forcé d’une manière que je
trouvais violente et qui m’accablait. Parce que l’initiative ne partait pas de
moi, et même si j’étais en souffrance, je refusais inconsciemment une
soumission de plus. Il a fallu que la situation dégénère au point de ressentir
des troubles physiologiques pour que je décide en pleine conscience
d’entamer un régime. J’étais acculé, car je ne savais pas quoi faire pour
aller mieux. Et cette fois, l’entreprise fut couronnée de succès. À plus ou
moins long terme, certes, mais avec un changement radical, pour un mieux.
Il faudra attendre encore quelques années pour que je fasse la paix avec
mon corps et avec moi-même. Car, qu’il soit initié de notre propre volonté
ou non, tout changement pérenne et valable demeure un processus.

La tribune est à vous !


Avez-vous déjà amorcé un changement pour faire plaisir à l’autre ? Si
oui, quels ont été les effets ? Avez-vous déjà entrepris quelque chose pour
vous-même, à votre initiative ? Pourquoi avez-vous entamé ce
changement ? Comment se comportait votre entourage et qu’en pensez-
vous, avec du recul ?

Double cible
Le changement ne peut passer que par moi et moi seul, et il ne peut agir
que sur moi et moi seul. En d’autres termes, je peux changer la manière
dont j’accueille ce qui me blesse, mais je ne peux pas changer celui qui me
blesse. À moins, bien sûr, de s’appeler Merlin ou Mélusine, personne n’a le
pouvoir de changer l’autre. Pour atténuer nos souffrances, nous allons donc
devoir entreprendre un travail sur nous-mêmes, car nous ne pouvons
modifier que les entités sur lesquelles nous avons le contrôle, c’est-à-dire
nous-mêmes.
La gestion du complexe nécessite un travail double : vis-à-vis de soi-
même envers soi-même, et vis-à-vis de soi-même envers l’autre. Mais
attendez, vous venez de dire que je ne pouvais pas changer l’autre !
Effectivement, on ne peut pas le changer, mais il y a cependant un travail à
réaliser sur ce que moi, je ressens envers l’autre.
Un exemple très simple va rapidement vous éclairer. Je passe devant
quelqu’un qui ricane en disant à son amie : « Oh, t’as vu le gros ! Où il peut
bien trouver quelque chose à sa taille ? » Le travail que je vais avoir à faire
sera d’abord sur ce que moi je ressens envers moi (honte, dégoût de mes
kilos en trop, volonté de disparaitre, tristesse…) et sur ce que moi je ressens
envers l’autre (colère, honte, soumission, fuite…). Dans ce cas précis,
lorsque je ressens du dégoût envers mes formes, je pourrais me dire : « Oui,
j’ai des formes, et alors ? Qu’y a-t-il de si répugnant à avoir des formes ? Et
les minces qui n’ont pas de formes, ce serait plus joli ou moins joli, ou alors
juste différent ? Et des vêtements, oui, merci pour la sollicitude, j’en trouve,
et des modèles qui me plaisent ! » (Vous remarquerez en passant qu’à
aucun moment, je ne cherche à me justifier, ni à me morfondre, ni à
m’excuser d’être comme je suis. Au contraire, j’accueille avec bienveillance
ce que je suis et, surtout, je reste dans le factuel et la réalité.) Passons à
présent à ce que je pourrais faire pour atténuer l’impact de l’autre sur moi.
Je pourrais me dire par exemple : « Toto, je crois que nous n’avons pas le
même sens de l’humour ! Mais si mes kilos te font un tel effet, qu’est-ce
que ça cache ? Aurais-tu un cadavre dans le placard ? Est-ce que j’ai
quelque chose à gagner à me mettre en colère ou à pleurer ? Si je me mets
en colère ou si je pleure, quelque part, je donne du poids [sans jeu de mots]
aux propos de l’autre, et j’accepte donc leur pertinence, n’est-ce pas ? Ne
serait-ce pas faire trop d’honneur à un commentaire proféré par une
personne peu construite psychologiquement ? » Et donc, dès que la pensée
décourageante surgit, on lui coupe aussitôt l’herbe sous le pied afin qu’elle
n’engendre pas les sentiments associés, et on la balaie négligemment d’un
haussement d’épaules et d’un petit sourire. Et puis, on passe à autre chose
de plus important et plus intéressant. (Pour info, le sourire est le joker
absolu qui désarme tout assaillant et qui envoie à notre cerveau un message
très positif.)

Le divan du psy
L’erreur que nous faisons tous est de croire que la motivation vient en
premier et qu’elle entraine ensuite l’action (et la réussite). Or ça ne se passe
pas du tout comme ça, en réalité ! C’est même tout le contraire ! L’action
vient en premier, et la motivation suit. En effet, il faut d’abord actionner la
pompe avant de se sentir motivé, un peu comme la pompe d’une bouteille
de savon liquide : si l’on appuie mollement une première fois, rien ne se
passe, il faut appuyer à plusieurs reprises pour amorcer la pompe et avoir du
savon qui en jaillit. Parce que si je soupire d’un air langoureux : « Oh, bof,
je n’ai pas très envie, j’ai la flemme ! », rien ne se passera jamais, parce
que, si pour agir, j’attends « d’avoir envie », je peux attendre longtemps !
Donc notez bien le schéma de la motivation : en premier, l’action ; en
deuxième, la motivation ; en troisième, encore plus d’action (rassurez-vous,
la pompe est déjà amorcée, donc c’est plus facile).

Le mot et l’idée
Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, c’est parce que
nous n’osons pas qu’elles sont difficiles.
SÉNÈQUE, PHILOSOPHE ROMAIN

La prudence de la tortue et la sagesse de


l’éléphant
Le réalisme est une valeur très utile lorsqu’on souhaite apprivoiser ses
complexes. En effet, à lui seul, il peut conditionner la réussite ou l’échec
d’une entreprise. L’être humain étant par essence impatient, il veut souvent
tout, tout de suite. Or, s’il peut parfois prendre ses désirs pour des réalités
grâce à Internet, dans la vraie vie, ça ne fonctionne pas comme ça.
Il faut dresser un plan d’action. D’abord, l’objectif, les moyens, les
attentes et le cadre temporel. L’objectif, parce que sans savoir où je veux
aller, je navigue à vue et, surtout, n’importe où. Les moyens, parce que si je
ne sais pas comment je vais faire pour aller où je veux aller, je fais de
l’auto-stop ou de l’aviron, et surtout du surplace. Les attentes, parce que si
je fais quelque chose sans savoir ce que je veux en tirer ni pourquoi je le
fais, la montagne accouchera d’une souris qui, oh non, se jettera
immédiatement dans une souricière. Le cadre temporel, parce que si je ne
fixe pas de délai, « je bats la campagne, je bats la campagne, tu bats la
campagne, il bat la campagne à coups de bâton3 », et rien ne se fait puisque
j’ai tout le temps, n’est-ce pas ?
Une fois les grandes lignes du plan d’action posées sur le papier, il faut les
faire passer à travers le prisme du réalisme. Ainsi, l’objectif doit être unique
(un plan d’action = un objectif), quantifiable (pas « je me mets à la
course », mais « je veux courir cinq kilomètres ») et réalisable (oui aux cinq
kilomètres, non aux soixante). Les moyens doivent être adaptés (si je
grimpe l’Everest, j’oublie le short et les tongs). Les attentes doivent être
associées à l’objectif, lui-même quantifiable (si je vise cinq kilomètres à
courir et que je les atteins, mes attentes seront comblées). Le cadre temporel
doit être fixé et, surtout, réalisable (si je n’ai jamais fait de course à pied et
que je veux courir cinq kilomètres dès le premier jour, l’échec guette et je
me découragerai ; donc je me donne, par exemple, trois semaines ou plus,
l’idée étant de procéder par étapes et décomposer l’objectif de manière à le
réussir).
Bien entendu, quel que soit le plan d’action décidé, il est crucial de se
rappeler que la perfection est illusoire et que le but ultime est d’aller mieux.
Donc je prends mon temps, je procède pas à pas et, surtout, je suis doux,
compréhensif, honnête et aimant envers moi-même. Je n’ai personne à
éblouir ni à convaincre de quoi que ce soit, et j’entreprends ce changement
pour moi-même. Et j’en suis fier.

Repérage
Si l’on continue à faire ce que l’on a toujours fait… on obtient
toujours ce que l’on a toujours obtenu.
Les affirmations supposées rationnelles utilisées pour expliquer
l’inertie s’appellent des résistances au changement et sont toutes
trompeuses.
Parfois, on ne fait rien et l’on se complait dans sa situation, car on y
trouve des contreparties, c’est-à-dire des avantages.
Pour changer, il faut commencer par s’accepter tel que l’on est.
Tout changement amorcé pour l’autre et/ou à son initiative suppose
une estime de soi très basse, une peur de l’abandon ou du rejet, et un
manque d’amour pour soi-même. Il est donc voué à l’échec et ne
peut rien résoudre de façon pérenne.
Le changement réussit seulement s’il est décidé par moi et pour moi.
La gestion du complexe nécessite un travail double : vis-à-vis de soi-
même envers soi-même et vis-à-vis de soi-même envers l’autre.
L’action vient toujours en premier, et la motivation suit. Pas le
contraire.
Le réalisme peut conditionner la réussite ou l’échec d’une entreprise.
Avant d’entreprendre quoi que ce soit, il faut dresser un plan d’action
en y listant l’objectif, les moyens, les attentes et le cadre temporel.

Et moi, dans tout ça ?


Voici donc quelques sujets sur lesquels nous vous invitons à réfléchir (et à
consigner sur votre cahier/carnet) :

Identifiez vos résistances au changement.


Pouvez-vous déceler les contreparties à votre envie d’initier un
changement ?
Jusqu’à présent, quels ont été vos blocages, ceux qui vous ont
dissuadé de changer quelque chose pour aller mieux ?
D’après vous, que faudrait-il faire pour que vous vous acceptiez ?
Comprenez-vous pourquoi il est indispensable de s’accepter avant de
pouvoir changer ?
Notez et encadrez la phrase suivante : « L’action vient toujours en
premier, et la motivation suit. Pas le contraire. »
Réfléchissez à ce que vous souhaitez changer chez vous, en rapport
avec vos complexes. Il peut y avoir plusieurs éléments, peu importe,
listez-les à la Prévert. Regroupez-les ensuite par catégorie ou affinité.
À partir de cette liste ordonnée, imaginez un plan d’action en listant
votre objectif, les moyens pour l’atteindre, vos attentes et le délai que
vous vous donneriez pour y parvenir. Il s’agit surtout de vous
entrainer à la technique et de comprendre les applications du plan
d’action.

3. Tiré d’un poème de Claude Roy, écrivain.


9
Besoins et valeurs, une affaire
complexe
Lorsque l’autre tourne en dérision nos particularités, les pensées
automatiques qui nous viennent à l’esprit n’apparaissent pas par hasard.
Elles sont liées à des valeurs et des besoins individuels et personnels. C’est
d’ailleurs pour cela que face à un évènement ou une situation, les réactions
instinctives diffèrent, puisque les besoins et les valeurs diffèrent aussi selon
les individus. Par exemple, si l’autre lance des propos désobligeants sur ma
particularité physique, identitaire ou socioculturelle, les pensées qui me
peuvent me venir sont : c’est injuste, c’est méchant, c’est idiot, c’est
déplacé, etc. Et je pense cela parce qu’à ce moment-là, mon besoin
d’équité, de respect, de tolérance, d’amabilité n’est pas satisfait. Et en
même temps, mes valeurs de justice et de respect sont également bafouées.
D’où ces pensées réflexes qui mènent ensuite aux ressentis et aux actions.
Il est donc très utile de se pencher sur les concepts de besoins et de
valeurs, parce qu’ils fournissent des indications sur nos attentes et nos
limites. Ainsi, quand nous explosons, c’est parce que nos limites ont été
dépassées (et que nous n’avons pas très bien su poser ces limites). Or nous
sommes nombreux à aller bien au-delà de nos limites et composer avec ce
et ceux qui heurte(nt) nos valeurs. Une personne complexée, vous l’aurez
deviné, n’est pas vraiment consciente de ses besoins ni de ses valeurs, ou
plus exactement, elle en est peut-être consciente, mais elle ne sait pas ou ne
se sent pas capable d’écouter ses besoins et de faire respecter ses valeurs.
D’où l’intérêt de travailler sur ces deux principes essentiels à notre équilibre
et notre bien-être.
Le mot et l’idée
Qui mieux que vous sait vos besoins ? Apprendre à se connaitre est le premier des soins.
JEAN DE LA FONTAINE, ÉCRIVAIN

La pyramide de Maslow
Le psychologue humaniste Abraham Maslow (1908-1970) a développé
une théorie de la motivation appuyée sur une hiérarchie des besoins
humains. Cette hiérarchie est représentée par une pyramide comprenant
cinq niveaux :

À la base, donc la strate la plus massive, on retrouve les besoins


physiologiques, c’est-à-dire manger, boire, respirer, dormir…
Ils sont complétés par les besoins de sécurité, c’est-à-dire se sentir en
confiance, avoir un toit sur la tête, se sentir protégé…
Viennent ensuite les besoins d’appartenance et d’amour, c’est-à-dire
les besoins sociaux et non plus matériels, comme faire partie d’une
famille, d’un groupe, se mettre en couple, avoir des relations
sentimentales et amicales…
L’avant-dernier niveau est dédié aux besoins d’estime, c’est-à-dire le
besoin de reconnaissance et d’appréciation que peut offrir le regard
de l’autre ; ce besoin dépend de facteurs extérieurs à nous.
Et les besoins d’accomplissement de soi concluent cette hiérarchie en
chapeautant la pyramide ; ce sont nos réalisations ou nos actions.

Tous les besoins sont interdépendants, le principe étant qu’une fois un


besoin satisfait, on passe au besoin suivant, en partant de la base pour
arriver au sommet. Aujourd’hui, ce schéma est parfois remis en question,
car on peut avoir besoin d’appartenance même si l’on ne mange pas à sa
faim, et on le voit chez de nombreuses personnes démunies qui ont besoin
d’être en groupe ou en compagnie d’animaux domestiques. Chez les
personnes motivées par l’ego, les besoins de reconnaissance, d’appréciation
et d’accomplissement surpassent également les autres. Et quand on est
complexé, tous les besoins se mélangent un peu et l’on finit par ne plus bien
savoir où donner de la tête, d’autant que l’on place les besoins de l’autre
avant les nôtres.
Quoi qu’il en soit, on considère qu’une personne est alignée, c’est-à-dire
bien avec elle-même et bien avec les autres, lorsque tous les besoins sont
satisfaits. Pour le complexe, les besoins d’appartenance et d’amour et les
besoins d’estime sont à scruter de près. Et pour cause, ce sont les deux
besoins directement liés à l’autre et supposés dépendre exclusivement de
l’autre. Ce sont ces deux catégories de besoins qui expliquent pourquoi
nous souffrons tant de nos complexes.
En effet, nos complexes peuvent nous empêcher de satisfaire notre besoin
d’appartenir à un groupe, de nous faire accepter par l’autre, et aussi de
trouver admiration, estime et reconnaissance chez l’autre. Il est donc
nécessaire d’engager un travail sur nous-mêmes pour faire en sorte de
satisfaire ces deux besoins, sans pour autant être assujettis au regard de
l’autre. Ce qui, à première vue, peut sembler insolite, mais qui ne l’est pas
tant que ça. Parce que si nous sommes déjà alignés avec nous-mêmes, que
nous acquérons confiance et estime de soi, que nous nous sentons bien en
notre propre compagnie, la satisfaction des besoins d’appartenance et
d’estime suivra naturellement. Parce que l’image que nous projetterons de
nous-mêmes sera une image saine et construite (et authentique,
naturellement), propre à attirer la sympathie et la bienveillance de l’autre.

À vous de jouer !
Voici un ensemble de besoins reliés aux besoins d’appartenance et aux
besoins d’estime.
Amour, appartenance, attention, chaleur humaine, compagnie, contact,
empathie, respect, honnêteté, intimité, partage, proximité, délicatesse, tact,
gentillesse, compassion, affirmation de soi, authenticité, estime de soi,
confiance, cohérence avec mes valeurs, compréhension, acceptation,
tolérance, intégrité, harmonie, paix, protection, réconfort, sécurité affective,
soutien, chaleur humaine…
Sur votre cahier, listez les besoins les plus importants pour vous. Prenez le
temps de réfléchir et limitez-vous à une dizaine. N’hésitez pas à inclure des
besoins qui ne seraient pas énumérés ici. Ensuite, posez-vous la question
suivante pour chaque besoin énoncé : « Lorsqu’un jugement ou une raillerie
est émis sur mes particularités, quel besoin n’est pas satisfait ? » et mettez
une croix devant chacun des besoins non satisfaits. Listez ensuite ces
besoins non satisfaits.
Puis posez-vous la question : « Que faire pour satisfaire ces besoins non
satisfaits ? » Réfléchissez quelques instants, mais vous avez déjà la
solution : « Ces besoins non satisfaits par l’autre, je les satisfais moi-
même ! » Inscrivez cette phrase et encadrez-la. Elle est essentielle.
Par exemple, quand on me traite de « serpent à lunettes », de « grosse
baleine » ou de « Dumbo l’éléphant » en raison de mes lunettes, mon poids
ou mes oreilles décollées, si j’ai besoin de réconfort et de gentillesse, qui,
sinon moi-même, à cet instant précis, peut m’offrir réconfort et gentillesse ?
Et si je ne m’offre pas réconfort ou gentillesse, mais à la place, je m’accable
de honte ou de tristesse, c’est exactement comme si un pauvre bougre
lynché en place publique se flagellait par-dessus le marché ! C’est comme si
je disais à l’autre : « Tu as entièrement raison, je suis un serpent à lunettes,
une grosse baleine ou Dumbo l’éléphant, et je te supplie d’accepter toutes
mes excuses pour être ce que je suis, je sais que je ne suis pas digne de toi,
et regarde comme je m’en veux et je me déteste ! »
Pourquoi cette tactique est-elle essentielle et pourquoi fonctionne-t-elle ?
Parce que je réponds à mon besoin du moment, donc il est satisfait, parce
que je découvre que j’ai en moi les capacités de répondre à mon besoin,
indépendamment de tout facteur extérieur, parce que je renforce mon
estime, ma confiance et mon affirmation de soi, parce que je tue dans l’œuf
toute pulsion masochiste et que, finalement, je laisse le quolibet pour ce
qu’il est : un commentaire imbécile qui entre par une oreille et ressort de
l’autre avec zéro impact sur moi.
Donc, à partir de maintenant, chaque fois que la situation se présentera,
bloquez la pensée instinctive qui surgit et réfléchissez à vos besoins du
moment. Offrez-vous alors ces besoins. Comment ? La méthode la plus
simple consiste à émettre une affirmation positive, à voix haute ou basse,
peu importe, c’est un cadeau pour vous-même, comme « Je m’aime et je
m’approuve » ou « Je suis en totale sécurité avec moi-même et je suis
parfait comme je suis ». Autre méthode qui porte ses fruits : sourire et se
caresser la main ou la joue. Pour ma part, je chatouille le bout de mon nez
avec mon index, comme si je cherchais à me faire sourire après une
bouderie ou un bobo. (Et je vous confirme, ça fonctionne vraiment.)
Bien entendu, comme pour tout exercice, il faut pratiquer. Soyez très
indulgent avec vous-même si, malgré votre bonne volonté, ça cafouille un
peu. C’est tout à fait normal. Surtout pas de reproche, ce serait contre-
productif. Il n’y a rien de méchant et pas de juge au chronomètre. Par
ailleurs, vous consignerez par écrit sur votre cahier tous vos essais. Vous
indiquerez ce que vous avez tiré de l’expérience et pourquoi cela a
fonctionné ou pas. Notez ensuite ce que vous pourriez faire pour que cela
fonctionne mieux la prochaine fois. L’objectif, vous le devinez, est que cela
devienne un automatisme.

Le mot et l’idée
L’émeraude ne perd pas de sa valeur faute de louanges.
MARC AURÈLE, EMPEREUR

Les valeurs
Une valeur reflète ce que l’on est et ce que l’on croit être essentiel pour
nous. Pour vous donner une image plus parlante, considérez vos valeurs
comme faisant partie de votre ADN. L’ADN est unique et indissociable de
notre être tout entier. Autrement dit, on pourrait dresser le portrait-robot de
notre personnalité grâce à nos valeurs. En énonçant mes valeurs, je donne
une vision claire de ce que je suis. Par conséquent, mon comportement, mes
joies et mes blessures sont reliés à mes valeurs. Et lorsque mes valeurs sont
bafouées, j’ai naturellement une réaction épidermique, puisque mes valeurs
font partie intrinsèque de moi. Par exemple, si j’ai la valeur justice et que je
suis témoin ou victime d’une injustice, c’est comme si je prenais un coup de
poing en pleine figure. Je peux alors perdre tout esprit rationnel et me
laisser guider par mon cerveau reptilien (voir chapitre 3), le cerveau
primaire qui réagit instinctivement aux stimuli extérieurs.
Pourquoi les valeurs et les besoins sont-ils liés ? Parce que les besoins
permettent de respecter et faire respecter les valeurs. Si j’ai la valeur justice,
j’ai besoin de justice et d’équité autour de moi. Je vais donc agir en
conséquence, et je sais que si ces besoins ne sont pas satisfaits, ma valeur
sera contrariée et je risque de mal réagir. Connaitre ses valeurs permet
également de fixer des limites à ce que l’on peut accepter ou non, une sorte
de ligne rouge ou de plafond de verre. C’est parce que les besoins ne sont
pas satisfaits et que les limites sont bafouées que certaines personnes
complexées, timides, résignées et soumises ont subitement un revirement et
osent des réactions foudroyantes qui saisissent tout l’entourage. Ces
réactions sont dangereuses, parce qu’irrationnelles et incontrôlables, c’est
un peu l’effet cocotte-minute, tout finit par exploser sous la pression. D’où
l’importance d’identifier ses valeurs pour anticiper et comprendre le
mécanisme de réactivité.

Les valeurs fondamentales de Schwartz


Un psychologue nommé Shalom Schwartz a développé une théorie sur les
valeurs humaines fondamentales. On dénombre ainsi dix catégories
principales considérées comme universelles, qui regroupent des valeurs
fondamentales et spécifiques (des études ont été menées dans soixante-dix
pays afin d’illustrer ces conclusions) :

1. Autonomie (ou autodétermination). Valeurs fondamentales :


indépendance de la pensée et de l’action, choisir, créer, explorer.
Valeurs spécifiques : créativité, liberté, indépendance, curiosité,
choisir ses propres buts.
2. Stimulation. Valeurs fondamentales : enthousiasme, nouveauté et
défis à relever dans la vie. Valeurs spécifiques : vie audacieuse,
variée et passionnante.
3. Hédonisme. Valeurs fondamentales : plaisir ou gratification
sensuelle personnelle. Valeurs spécifiques : plaisir, profiter de la vie.
4. Réussite (ou accomplissement). Valeurs fondamentales :
succès personnel obtenu grâce à la manifestation de compétences
socialement reconnues. Valeurs spécifiques : ambition, orientation
vers le succès, compétence, influence.
5. Pouvoir. Valeurs fondamentales : statut social prestigieux, contrôle
des ressources et domination des personnes. Valeurs spécifiques :
autorité, leadership, dominance.
6. Sécurité. Valeurs fondamentales : sûreté, harmonie et stabilité de la
société, des relations entre groupes et entre individus, et de soi-
même. Valeurs spécifiques : propreté, sécurité de la famille, sécurité
nationale, stabilité de l’ordre social, réciprocité des faveurs, santé,
sentiment d’appartenance.
7. Conformité. Valeurs fondamentales : modération des actions, des
goûts, des préférences et des impulsions susceptibles de déstabiliser
ou de blesser les autres, ou encore de transgresser les attentes ou les
normes sociales. Valeurs spécifiques : autodiscipline, obéissance.
8. Tradition. Valeurs fondamentales : respect, engagement et
acceptation des coutumes et des idées soutenues par la culture ou la
religion auxquelles on se rattache. Valeurs spécifiques : humilité,
dévotion, respect de la tradition, modération.
9. Bienveillance. Valeurs fondamentales : la préservation et
l’amélioration du bien-être des personnes avec lesquelles on se
trouve fréquemment en contact. Valeurs spécifiques : serviabilité,
honnêteté, pardon, loyauté, responsabilité, amitié.
10. Universalisme. Valeurs fondamentales : compréhension, estime,
tolérance et protection du bien-être de tous et de la nature. Valeurs
spécifiques : ouverture d’esprit, sagesse, justice sociale, égalité, paix
dans le monde, monde de beauté, unité avec la nature, protection de
l’environnement, harmonie intérieure.

À vous de jouer !
Vous allez à présent identifier vos valeurs personnelles. Pour ce faire,
notez sur votre cahier les quatre questions clés suivantes et répondez-y de
votre mieux, en prenant votre temps et en inscrivant tout ce qu’il vous vient
à l’esprit, sans vous soucier des termes :

Qu’est-ce qui est le plus important pour moi dans la vie ?


Qu’est-ce qui m’énerve le plus au monde ?
Quels sont mes comportements récurrents ? (J’entre en rage chaque
fois que… Je suis heureux chaque fois que… Je me sens mal chaque
fois que…)
Quelle serait mon oraison funèbre ? (Monsieur Machin était ceci et
cela, Madame Bidule était ceci et cela… les termes employés doivent
permettre à des inconnus d’avoir une idée de votre personnalité.)

Une fois que vous aurez répondu à ces questions, inspirez-vous de la


classification de Schwartz pour identifier les valeurs fondamentales et
spécifiques qui pourraient s’appliquer à vous et donc constituer votre ADN.
Si les termes de la classification ne suffisent pas, ajoutez les vôtres et reliez-
les à l’une des dix catégories universelles.
Dressez alors la liste de toutes les valeurs recensées et notez-les de 1 à 10,
selon leur importance pour vous. Isolez les sept à dix valeurs ayant récolté
le plus de points. Réécrivez alors ces valeurs et encadrez-les, parce que ce
sont vos valeurs fondamentales.
Réfléchissez ensuite aux questions suivantes : « Quand on s’attaque à mes
particularités, quelle valeur est bousculée ? », « Quand cette valeur est
bousculée, quel est mon besoin ? », « Quand cette valeur est bousculée et
que mon besoin n’est pas satisfait, quelle est ma réaction ? », « Cette
réaction me satisfait-elle ? », « Maintenant que je connais mes valeurs et
mes besoins, est-ce que je comprends mieux mon fonctionnement en
réponse à une attaque sur mes particularités ? »
Cette réflexion est essentielle pour dédramatiser un évènement, prendre
du recul, donner du sens à nos comportements, décomposer nos
mécanismes défensifs et, surtout, atténuer nos souffrances.

Quand le besoin se confond avec la valeur


Un besoin est quelque chose que l’on juge nécessaire. Une valeur est une
chose à laquelle on attache de l’importance, un idéal que l’on peut vouloir
défendre. Le besoin et la valeur peuvent alors se confondre. Par exemple,
on peut avoir la valeur justice, qui est aussi un besoin. En revanche, l’amour
peut être un besoin, mais pas nécessairement une valeur. Idem pour
l’autonomie : je peux avoir besoin d’autonomie, mais ne pas l’avoir en
valeur, si bien que si j’en manque, je peux composer avec, puisque son
absence n’attaque pas mon ADN.
10
Pleins feux sur les émotions
Le terme « émotion » est très galvaudé et s’utilise un peu à tort et à
travers. Ce n’est pas complètement prendre Le Pirée pour un homme, mais
l’amalgame n’est pas des plus heureux pour qui souhaite résoudre des
problématiques liées justement aux émotions… et aux sentiments. Une
émotion n’est pas un sentiment, et un sentiment n’est pas une émotion. La
différence est en effet de taille, car le mécanisme de l’un n’est pas celui de
l’autre, et par conséquent, sa gestion non plus.

La confusion des sentiments


Commençons par l’émotion. Une émotion est une réaction physiologique
et affective involontaire et brusque, comme une sorte de réflexe. Elle met
notre corps en mouvement (c’est d’ailleurs l’étymologie du mot, émotion
venant du latin emovere, formé de ex « hors de », et movere,
« mouvoir/susciter ») et fait suite à des stimuli ou une modification de notre
environnement. Le stimulus déclencheur de l’émotion est capté par nos cinq
sens, d’où le rapprochement avec le mécanisme du réflexe. Nous pouvons
donc considérer que l’émotion est une information que notre corps nous
transmet. Cette information est émise par le cerveau limbique, vous vous
rappelez, le cerveau émotionnel (voir chapitre 3). Le stimulus extérieur a en
effet été interprété comme une urgence et l’émotion déclenchée sert
d’alarme. Il faut donc bien comprendre que l’émotion est un mouvement
réflexe nécessaire à notre survie. Comme le cerveau limbique est
imperméable à toute logique, l’émotion n’est jamais raisonnée, mais
instinctive. Heureusement, l’émotion reste éphémère. Supprimez le
stimulus et l’émotion disparait. Par exemple, si je passe devant la grille du
jardin d’une maison, le nez au vent et la tête dans les nuages, et qu’un
berger allemand aboie de toutes ses forces en s’agrippant à la barrière,
instantanément, une ou plusieurs émotions se succèdent : surprise et peur,
par exemple. Mais dès que j’ai passé la grille, le berger allemand a beau
hurler comme un diable, je me sens en sécurité et donc les émotions se
volatilisent. Et la prochaine fois que je passerai devant cette maison, je serai
sur mes gardes, car je sais que le berger allemand risque de se manifester à
nouveau. Mes émotions seront alors atténuées, puisque j’anticiperai la
rencontre potentielle avec le chien.
Le psychologue américain Paul Ekman a démontré qu’il existait six
émotions universelles, donc communes à chaque être humain,
indépendamment de son environnement ou son éducation. Ces six émotions
sont la joie, la tristesse, la peur, la colère, le dégoût et la surprise. Ce sont
les émotions primaires desquelles découlent une multitude d’émotions
secondaires.
Passons à présent au sentiment. Le sentiment, qui vient du latin sentire,
« percevoir », est l’action ou la faculté de recevoir des impressions. Il
transite toujours par la pensée et n’a donc rien d’instantané. Il est induit par
nous-mêmes. Si l’on reprend l’exemple du berger allemand déchainé à la
grille de la maison, nous avons donc le stimulus qui déclenche l’émotion.
Mais une fois hors d’atteinte du chien, la pensée va prendre le relais de
l’émotion. Je peux alors me dire : « Mince, ce chien est terrorisant, ses
maitres sont fous de le laisser comme ça, il aurait pu sauter par la grille, elle
n’est pas si haute, et il m’aurait tué ! » Cette pensée va alors entretenir les
émotions préalablement ressenties et surtout ajouter d’autres sentiments,
comme la colère. Ce que l’on ressent alors n’est plus une émotion, mais un
sentiment. Le sentiment n’est plus conditionné au stimulus réel, puisqu’on
est bien hors de portée du berger allemand. Ce sont nos pensées qui le
déclenchent… et surtout l’entretiennent. Parce qu’à la différence de
l’émotion, passagère, le sentiment perdure et comme nous avons souvent
tendance à ressasser, inutile de préciser qu’il nous affecte beaucoup plus
que l’émotion. Puisque le sentiment est associé à la pensée, il se développe
au niveau du cortex, le cerveau « intelligent ». Par conséquent, et c’est la
bonne nouvelle, le sentiment est plus sensible au raisonnement que
l’émotion.
En fait, l’émotion se gère au niveau du ressenti et sur l’instant, tandis que
le sentiment se gère en continu et au niveau du mental. Or une personne
complexée par ses particularités entretient le sentiment et non pas
l’émotion. L’émotion qu’elle peut éprouver sera transitoire, lorsque par
exemple, l’autre aura proféré un commentaire désobligeant. Dès que l’autre
aura tourné le dos, l’émotion aura disparu, mais aura été remplacée par des
pensées qui amènent des sentiments et installent le mal-être.

Le mot et l’idée
Dans le domaine des sentiments, le réel ne se distingue pas de l’imaginaire.
ANDRÉ GIDE, ÉCRIVAIN

L’émotion et le complexe
Nos émotions sont des réactions d’adaptation de l’organisme à son
environnement et jouent un double rôle biologique : réguler l’état interne de
l’organisme et produire une réaction adaptée à une situation. Cependant, et
c’est un point essentiel, l’émotion reste propre à chaque individu. Les
émotions ont beau être universelles, elles ne vont pas se manifester de la
même manière ni à la même fréquence pour tout le monde. Leur intensité
est également très variable. Pourquoi ? Parce qu’elles dépendent de notre
interprétation personnelle et subjective de la réalité (consciente ou
intuitive), ce qui explique pourquoi face à une même situation, deux
individus pourront avoir des émotions différentes. Par exemple, alors que
moi, en passant devant le berger allemand de la grille, j’éprouve de la peur,
une autre personne pourrait ne même pas prêter attention au chien et à ses
aboiements. L’émotion dépend bien entendu de notre sensibilité, mais aussi
de notre histoire personnelle et de l’état d’âme/d’esprit dans lequel nous
nous trouvons au moment du stimulus. Rappelons cependant que toute
émotion a une raison et qu’elle vise avant tout à nous protéger, car elle
entraine une impulsion à (ré)agir.
Ainsi, lorsque l’autre se moque de nos particularités, l’émotion qui surgit
sans crier gare est un moyen de nous avertir que quelque chose ne va pas et
que ce que dit l’autre n’est pas dans notre intérêt. L’émotion indique que
l’organisme interprète les propos de l’autre comme un danger ou une
agression.
Mais l’émotion doit rester éphémère. Imaginez le mécanisme de l’émotion
un peu comme l’ascension et la descente d’une colline. Le stimulus marque
le début de la montée, le sommet de la colline marque le point culminant de
l’émotion, c’est-à-dire quand le signal d’alarme est le plus sonore et que
l’organisme mobilise toutes ses capacités pour se tirer d’affaire au cas où la
situation s’envenime, et la décrue de l’émotion s’amorce sur le versant de la
descente. L’émotion disparait à l’arrivée au pied de la colline.

Quand la coupe est pleine


Même si l’émotion est un phénomène psychophysiologique (impliquant le
mental et le physique) intuitif, par éducation ou pour diverses croyances,
certains la considèrent comme un signe de faiblesse ou de fragilité affective.
Par conséquent, ils vont tout faire pour étouffer leurs émotions. Comme
on ne prévoit pas une émotion, il est généralement difficile de s’y préparer,
mais avec un peu d’entrainement, il est possible de l’étouffer ou de faire en
sorte que l’autre ne la voit pas. (Vous constatez que le mental cherche
toujours à contrecarrer l’affect.) Le problème avec cette tactique est de
contrecarrer le mécanisme naturel de l’organisme. Or, à force de mettre un
couvercle sur nos émotions, phénomène cocotte-minute, tout finit par
exploser. Et nos réactions deviennent alors disproportionnées. Ces
débordements ne seraient pas si graves si nous évoluions en permanence sur
une scène théâtrale en compagnie d’extravagantes divas, mais au jour le
jour, dans la vraie vie, ils peuvent nous être nuisibles. En effet, sous
l’impulsion d’une émotion trop longtemps contenue, nous pouvons prendre
des décisions qui nous desservent.
D’où l’intérêt d’accueillir nos émotions sans leur donner plus
d’importance qu’elles n’en ont et surtout sans se laisser aller à un jugement
sur elles (ou nous-mêmes).
Par exemple, la surprise ou la tristesse qui amène des larmes aux yeux est,
contrairement à ce que certains imaginent, un phénomène très positif. Les
larmes permettent en effet d’évacuer l’émotion en douceur et naturellement.
À la suite d’un trop-plein, nous avons tous versé des larmes et nous avons
tous ressenti une libération après (évidemment, si les pensées prennent le
relais et engendrent des sentiments, c’est une autre histoire).
Les émotions sont également liées à nos limites. Lorsque nous ne mettons
pas de limites et acceptons tout de l’autre, nous ne sommes pas
suffisamment à l’écoute de nos émotions et participons inconsciemment à
l’installation d’un mal-être.

À vous de jouer !
Maintenant que vous connaissez la différence entre une émotion et un
sentiment, réfléchissez à vos ressentis face à vos complexes. Dans quels cas
peut-on parler d’émotion et dans quels cas peut-on parler de sentiment ? Sur
votre cahier, vous allez noter les sensations que vous éprouvez par rapport à
vos complexes et vous interroger sur leur origine. Est-ce que la sensation
provient d’un stimulus extérieur ou d’une modification de l’environnement,
ou est-elle le fruit d’une ou de plusieurs de vos pensées ? Notez les stimuli
et les pensées nourricières. Rappelez-vous que la durée de la sensation est
un moyen de distinguer l’émotion du sentiment.

Main-basse sur la peur


La peur est un sentiment particulièrement nocif, car il induit des
comportements inadaptés et nuisibles à nous-mêmes. Et surtout, la peur
favorise les blocages et le statu quo, un peu comme une araignée qui tisse
sa toile pour emprisonner sa proie et entraver tout mouvement. Si la peur en
tant qu’émotion est positive, car elle joue son rôle de lanceur d’alerte, la
peur en tant que sentiment l’est moins, car elle empêche d’agir pour
modifier sa situation et entreprendre une démarche de mieux-être. En
d’autres termes, la peur entretient nos souffrances. Pourtant, en refusant de
tenter un changement, on se crée un monde bien plus aliénant et inquiétant
qu’en s’exposant à des risques (mesurés, bien évidemment) qui nous
permettent, au bout du compte, de mieux vivre. En fait, peu à peu, grâce à
la peur, notre univers tout entier se rétrécit, et l’on finit par vivoter et
s’enfermer dans son malheur. Le plus étonnant, c’est qu’il n’existe que deux
peurs naturelles, autrement dit innées, chez l’être humain : la peur de
tomber et la peur du bruit. Toutes les autres peurs nous ont été léguées dès
notre plus jeune âge par les adultes, qui ont projeté sur nous leurs propres
angoisses – transmises ainsi de génération en génération.
Quoi qu’il en soit, apprenez par cœur la phrase suivante, soutenue par la
psychiatre Susan Jeffers, encadrez-la sur votre cahier et répétez-vous-la
autant de fois que possible et nécessaire : « Surmonter mon appréhension à
agir engendre moins d’angoisse que de vivre constamment avec la peur
souterraine créée par un sentiment d’impuissance et d’insatisfaction.
Autrement dit, la peur ne me quittera pas aussi longtemps que j’évoluerai,
mais la seule façon de vaincre ma peur est de passer à l’action. En agissant,
je me sens mieux et plus sûr de moi. »

Le mot et l’idée
Sans émotions, il est impossible de transformer les ténèbres en lumière et l’apathie en
mouvement.
CARL GUSTAV JUNG, PSYCHIATRE

Le guêpier aux complexes


Les sites de rencontres ont le vent en poupe depuis de longues années, et
de nombreuses personnes complexées par leurs particularités (visibles ou
non) s’y adonnent avec volupté, sans savoir qu’elles se précipitent la tête la
première dans un guêpier. Pourquoi ? Sur la toile, et notamment sur un site
de rencontres, chacun peut finalement être ce qu’il souhaite. On peut
s’inscrire avec une photo retouchée, voire une photo empruntée à quelqu’un
d’autre, un nom inventé, une profession imaginaire, des mensurations
fictives, bref, s’inventer un autre soi. Chacun peut comprendre la démarche,
vu que le site de rencontres est ce que l’on fait de mieux en foire aux
vanités. Mais dans un système où chacun n’est pas ce qu’il prétend être,
comment peut-on en tirer le moindre profit et le moindre mieux-être,
puisque nous restons dans le palais des apparences ?
À supposer qu’au fil des échanges plus ou moins authentiques, une
rencontre ait finalement lieu. Que se passe-t-il lorsque l’illusoire coup de
foudre cinématographique n’est pas au rendez-vous ? Une émotion ? Peut-
être. Mais à coup sûr une pensée, qui va alimenter un sentiment, qui va à
son tour renforcer le mal-être. C’est d’autant plus vrai pour une personne
complexée, qui va automatiquement attribuer l’échec de la rencontre à ses
particularités, quelle que soit la véritable raison de l’insuccès du rendez-
vous. Le rationnel n’a alors plus aucune prise, et l’affect, via les sentiments,
gère à présent toutes les réactions. Vous devinez aisément ce qu’il arrive
ensuite : la personne est de plus en plus complexée et de plus en plus
malheureuse. Néanmoins, ce n’est pas ce qui va l’inciter à renoncer au site,
bien au contraire, puisqu’elle vit alors dans une bulle qui, bien que virtuelle,
semble lui apporter du réconfort et du bien-être. Et voilà comment le cercle
vicieux s’autoentretient.
Parce que, si sur le moment, dialoguer et séduire l’autre derrière un écran
peut permettre de se sentir exister, l’effet est éphémère, pernicieux et
illusoire. Une fois déconnecté du site, on se retrouve toujours avec soi-
même. Il serait donc plus profitable de travailler sur son estime de soi et
apprendre à s’aimer soi-même que de rechercher une approbation vaine
dans une espèce de jeu de dupes. Il n’est bien entendu pas interdit de jouer,
mais il vaut mieux connaitre les règles dès le début. Si l’on comprend que
ces sites de rencontres sont justement des jeux qui peuvent, comme la
loterie, apporter une belle surprise, ils n’en restent pas moins basés sur
l’apparence et le virtuel.
Donc, pour éviter toute déconvenue, il est essentiel de prendre du recul et
de ne pas en attendre Monsieur Darcy ou la Belle au bois dormant. Et
surtout de ne pas sombrer dans le découragement ou le ruminement, qui
n’apportent strictement rien. Les rencontres qui tournent court ne remettent
jamais en cause votre valeur. Par ailleurs, les autres candidats ont aussi
leurs propres particularités et fragilités, ne l’oubliez jamais. Et s’ils se
retrouvent sur ces sites, ce n’est pas non plus un hasard. Eux aussi ont
besoin de se rassurer sur leur pouvoir de séduction ou sortir de leur
isolement. Eux aussi ont besoin de se prouver que d’autres les désirent. Eux
aussi quêtent l’approbation dans le regard de l’autre. Eux aussi auraient tout
intérêt à se recentrer sur l’essentiel, leurs besoins, leurs valeurs et
commencer par se sentir bien avec eux-mêmes avant de rechercher des
compagnons de route qui trouveront rarement grâce à leurs yeux,
puisqu’eux-mêmes ne trouvent pas grâce aux leurs…

Le surf des émotions


Avant d’entreprendre quoi que ce soit, je commence déjà par comprendre
et intégrer une information capitale : mon pouvoir d’action est limité à moi-
même. Autrement dit, je ne peux agir que sur mes réactions. De la même
façon que je ne peux pas changer l’autre, je ne peux pas forcer l’autre à agir
comme je le veux. C’est sûr, ce serait plus facile, mais ça laisserait aussi
peu de place au développement et à l’éveil personnels.
Passons à l’émotion proprement dite. Tout d’abord, comme l’émotion est
une réaction psychophysiologique, elle se manifeste avec ou sans notre
consentement. En accueillant l’émotion et en l’interprétant pour ce qu’elle
est, un état transitoire qui nous veut finalement du bien, nous pouvons
évacuer la charge affective que l’émotion contient et n’en garder ainsi
aucune séquelle. En revanche, si nous étouffons nos émotions ou leur
attribuons des pouvoirs qu’elles n’ont pas, nous nous exposons à des
comportements erratiques à plus ou moins long terme. En fait, en acceptant
nos émotions, nous nous acceptons nous-mêmes. Nous restons également
dans l’authenticité et l’essentiel.
Donc, lorsque l’autre fait des commentaires désobligeants sur mes
particularités et qu’une émotion surgit, je la laisse surgir en sachant qu’elle
va rapidement s’estomper et, quelque part, je la remercie de prendre soin de
moi en me prévenant que quelque chose ne va pas aux alentours. Le
principe est de surfer sur ses émotions : l’émotion est la vague qui pourrait
me submerger si je tente de lui résister, mais qui me fait juste voltiger avec
de petits frissons si je surfe sur elle, en me laissant porter par elle. Vous
comprenez où je veux en venir.

À vous de jouer !
À partir de maintenant, vous allez considérer chaque émotion que vous
ressentirez comme une simple vague sur laquelle vous allez surfer en toute
sécurité et qui va vous ramener paisiblement jusqu’au rivage, où elle
deviendra une innocente vaguelette. Vous pouvez même faire un travail de
visualisation en imaginant une vague surgir au moment où vous ressentez
l’émotion. Puis, contrairement à ce que vous avez l’habitude de faire
instinctivement, c’est-à-dire lutter contre l’émotion ou chercher à l’étouffer,
vous allez vous détendre et la laisser passer en imaginant que vous surfez
sur cette vague, finalement très douce, à l’eau tiède, et toute cotonneuse et
moelleuse. La démarche nécessite un petit entrainement, mais elle
deviendra rapidement un automatisme. Notez bien vos progrès sur votre
cahier.

La polarité des émotions


Certains ont coutume de polariser les émotions. D’un côté, les émotions
négatives, comme la tristesse, la colère, le dégoût et la peur. De l’autre, les
émotions positives, comme la joie et la surprise. Alors, bien évidemment, il
est plus agréable de se sentir joyeux que triste, mais ce raisonnement est un
peu vide de sens, quand on sait qu’une émotion est une information qui sert
d’alerte. Si, face au berger allemand qui va me sauter à la gorge, mon
organisme m’envoie l’émotion de la joie, il y a un petit problème, parce que
dans ce cas, la réaction psychophysiologique ne sera pas appropriée et
certainement pas dans mon meilleur intérêt. J’ai dans ce cas besoin de
l’émotion de la peur pour réagir. Par conséquent, polariser une émotion est
réducteur et sans grande utilité.
En revanche, quand on parle de sentiments, mieux vaut œuvrer à
privilégier les positifs que les négatifs, les négatifs étant ceux qui
témoignent d’un mal-être. Mais il ne s’agirait pas non plus de les étouffer ni
de les haïr, mais plutôt de comprendre ce qui les a déclenchés, et ainsi
mettre en place des actions pour résoudre ce qui ne va pas.

À vous de jouer !
En prenant votre temps, réfléchissez aux stimuli qui déclenchent vos
émotions, et plus particulièrement lorsqu’elles touchent vos complexes.
Listez-les sur votre cahier. Essayez ensuite d’identifier les émotions qui
surgissent. Par exemple : Monsieur Truc m’a dit ça, et moi, j’ai ressenti ça.
Attention, nous restons bien sur le terrain de l’émotion et non du sentiment.
En d’autres termes, la pensée ne doit pas être intervenue dans le processus.
Notez alors les émotions éprouvées face aux stimuli. L’idéal serait d’obtenir
une dizaine d’exemples afin de souligner les émotions qui surgissent le plus
souvent. Une fois ce travail effectué, posez-vous la question suivante :
qu’évoquent ces émotions pour moi ? Qu’ont-elles déclenché en moi ? Ont-
elles bien été transitoires ? Ont-elles entrainé une pensée qui aurait à son
tour entrainé un sentiment ?
Vous pouvez lister les émotions qui vous viennent à l’esprit, mais ensuite,
il faudra les rattacher à l’une des six émotions primaires. Pour vous aider à
faire le rapprochement, voici un bref rappel de ces émotions :

Peur : émotion ressentie en présence d’un danger ou d’une menace


réelle, à venir ou imaginaire, afin de se protéger.
Tristesse : émotion engendrée par une séparation, une perte, et qui
accompagne le deuil.
Joie : émotion de satisfaction pleine et entière qui affecte la totalité
de la conscience.
Surprise : émotion engendrée par un évènement inattendu ou une
révélation soudaine.
Colère : émotion conséquente à une blessure (physique ou
psychique), un manque ou une frustration.
Dégoût : émotion de rejet, de l’ordre de l’instinct ou de la culture.

Les sentiments et moi


Si je ne crée pas moi-même l’émotion, en revanche, je crée moi-même le
sentiment. Et ce, grâce à mes pensées, c’est-à-dire mon mental.
Contrairement à l’émotion, sur laquelle je surfe maintenant comme un
champion californien et qui n’est que transitoire, il va falloir adopter une
autre stratégie pour le sentiment. Pourquoi, d’après vous ? Parce que si je
surfe sur le sentiment, l’arrivée au rivage n’est pas pour demain, puisque la
pensée continuera de l’entretenir, comme un soufflet ravive un feu de camp.
Rappelons les processus du déclenchement du sentiment :

Stimulus > émotion > pensée > sentiment > action, comportement ou
état d’âme.
Stimulus > pensée > sentiment > action, comportement ou état
d’âme.
Pensée > sentiment > action, comportement ou état d’âme.

Quel que soit le scénario envisagé, nous voyons que la pensée précède
toujours le sentiment. Par conséquent, si l’on veut agir sur le sentiment,
nous devons agir sur la pensée. Un exemple tout simple : « Tiens, tu as l’air
triste ! » « Oui, je pensais à ceci ou cela. » ou « Oui, je me disais ceci ou
cela. » Tout part de nous-mêmes, de nos réflexions et de nos interprétations
réelles ou supposées d’un évènement, d’une situation ou d’une personne.
Certains affirment qu’il suffit de supprimer la pensée pour supprimer le
sentiment. C’est très séduisant sur le papier, mais dans la vraie vie, est-ce
qu’ordonner à une pensée « Va-t’en ! » suffit à la faire déguerpir ? C’est un
peu comme si nous chassions une mouche en nous écriant « Va jouer
dehors » ! D’après vous, la mouche va-t-elle nous obéir et filer par la
fenêtre (en supposant qu’elle soit ouverte, d’ailleurs) ou va-t-elle revenir
nous taquiner ? Donc, non, pas la formule magique (sauf pour les pensées
épouvantail - voir page 240). En revanche, comme la pensée provient du
mental, nous allons solliciter le mental pour lui faire comprendre qu’il est
en train de se fourvoyer. Nous allons ainsi lui expliquer pourquoi la pensée
est erronée. Dès que le mental acceptera nos explications, étant très
intelligent, il rectifiera de lui-même le tir, et le sentiment sera ajusté en
conséquence. Car le sentiment a un gros avantage sur l’émotion : il est très
réceptif à la logique. Et qui bénéficiera de cette volte-face providentielle ?
Nous !
Il est indispensable de comprendre que le travail sur les sentiments est la
pierre angulaire du traitement des complexes. C’est par un questionnement
de nos pensées et l’application d’un prisme correcteur que nous allons
pouvoir nous ancrer dans le réel et reprendre le contrôle de notre bien-être.

Le sentiment par le mot


Nous l’avons vu, il existe six émotions considérées comme primaires. Et
ces émotions primaires vont ensuite se conjuguer en mode sentiments. Voici
une liste de sentiments reliés à leur émotion de base.

Émotion de la peur : sentiment d’être affolé, alarmé, angoissé,


anxieux, apeuré, bloqué, chaviré, craintif, effarouché, effrayé,
embarrassé, en désarroi, fébrile, inquiet, mal à l’aise, paniqué,
préoccupé, prudent, réticent, sceptique, soucieux, soupçonneux, sur
la réserve, sur ses gardes, suspicieux, terrifié, tremblant,
vulnérable…
Émotion de la tristesse : sentiment d’être abattu, accablé,
affligé, assommé, attristé, bouleversé, chagriné, confondu, consterné,
contrarié, dans tous ses états, découragé, de mauvaise humeur,
démotivé, démuni, dépité, déprimé, désabusé, désappointé,
désenchanté, désespéré, désillusionné, désolé, ébranlé, ému, en
désarroi, en détresse, ennuyé, impuissant, inconfortable, mal à l’aise,
malheureux, mécontent, peiné, perturbé, pessimiste, préoccupé,
secoué, sombre, soucieux…
Émotion de la joie : sentiment d’être à l’aise, amusé, animé,
apaisé, attendri, bien disposé, calme, captivé, centré, comblé,
confiant, confortable, content, décontracté, détendu, déterminé,
disposé, emballé, encouragé, engagé, en paix, enthousiaste, éveillé,
exalté, excité, fasciné, fier, heureux, impliqué, joyeux, libre,
mobilisé, motivé, nourri, optimiste, ouvert, plein de gratitude,
rassuré, rayonnant, réceptif, réjoui, satisfait, stimulé, vivant…
Émotion de la surprise : sentiment d’être abasourdi, ahuri,
assommé, bouche bée, déboussolé, décontenancé, dépaysé,
désemparé, désorienté, déstabilisé, éberlué, embêté, estomaqué,
impressionné, interloqué, interpelé, intrigué, le souffle coupé,
perplexe, pris au dépourvu, pris de court, saisi, secoué, sidéré,
stupéfait, tombé des nues, troublé…
Émotion de la colère : sentiment d’être à bout, agacé, agité,
amer, choqué, contrarié, crispé, emporté, en avoir assez, énervé,
exaspéré, excédé, fâché, frustré, horrifié, impatient, mécontent, outré,
révolté, scandalisé, soupçonneux, sur les nerfs, surexcité, survolté,
susceptible, tendu, tourmenté, tracassé…
Émotion du dégoût : sentiment d’être dégoûté, écœuré, plein de
répulsion, rebuté, révulsé…

En revanche, et notez-le bien, car c’est crucial, surtout quand on parle du


complexe, certains termes sont trop souvent associés à tort au sentiment ou
à l’émotion. En voici quelques exemples : abandonné, abusé, acculé,
accusé, attaqué, blâmé, coupable, délaissé, détesté, dévalorisé, dominé,
écarté, écrasé, étouffé, floué, harcelé, humilié, ignoré, inadéquat,
incompétent, incompris, indigne, insulté, intimidé, invisible, isolé, jugé,
largué, manipulé, materné, menacé, méprisé, minable, mis sous pression,
négligé, pas aimé, pas considéré, pas écouté, pas respecté, pas utile, piégé,
rabaissé, rejeté, ridiculisé, stupide, trahi, utilisé…
Avez-vous décelé le point commun de ces termes ? Et comprenez-vous
pourquoi on ne peut pas les ranger avec les sentiments et encore moins avec
les émotions ?
Ces termes sont à dissocier et à prendre avec des pincettes, parce qu’ils
résultent d’un jugement. Jugement de soi sur soi-même ou jugement de
l’autre sur nous. Et je vous laisse deviner pourquoi ces termes reviennent
comme un leitmotiv chez les personnes complexées…
Par exemple, si je dis que je me sens abusé, harcelé, détesté, ignoré,
materné, indigne, négligé, minable, méprisé, pas aimé, pas respecté,
stupide, ridiculisé, c’est peut-être vrai, mais c’est aussi peut-être mon
interprétation de la situation. En revanche, si je dis que je me sens écœuré,
excédé, exaspéré, éberlué, affolé, anxieux, mal à l’aise, vulnérable, attristé,
soucieux, ému, amusé, calme, enthousiaste, excité, rassuré, joyeux, intrigué,
à bout, là, je suis bien dans le sentiment pur qui n’appartient qu’à moi et ne
dépend que de moi. Il n’y a pas d’interprétation qui entre en ligne de
compte. Juste la traduction d’un état et en aucun cas un jugement et la
justification d’un état conditionné par un élément externe. Parce que si je
dis que je suis ignoré ou méprisé, c’est que je juge que je suis ignoré ou
méprisé par l’autre. Je ne peux pas me sentir ignoré ou méprisé par moi-
même, ça n’aurait pas de sens. Et quand bien même je m’ignorerais et me
mépriserais, comme c’est, hélas, souvent le cas lorsqu’on est complexé,
cela resterait inconscient et je n’aurais jamais l’idée de le verbaliser.

À vous de jouer !
Pouvez-vous identifier, parmi les trois schémas ci-dessous, celui qui se
présente le plus fréquemment pour vous ?

Stimulus > émotion > pensée > sentiment > action, comportement ou
état d’âme.
Stimulus > pensée > sentiment > action, comportement ou état
d’âme.
Pensée > sentiment > action, comportement ou état d’âme.

Sur votre cahier, notez tous les exemples qui vous viennent à l’esprit.
Indiquez également la durée et l’intensité du sentiment, voire de l’émotion
si elle est à la base de la pensée. Voyez-vous une récurrence dans les
situations ? Quel est le stimulus, l’émotion ou la situation qui entraine vos
pensées et vos sentiments ? Imaginez maintenant que vous ayez eu une
pensée différente à la suite de stimulus, de l’émotion ou de la situation. Pas
nécessairement une pensée dite positive, qui induit un schéma artificiel et
ne résout pas grand-chose, mais une pensée plus rationnelle et objective.
D’après vous, en quoi un questionnement de la validité de vos pensées
pourrait-il avoir une incidence sur vos sentiments ? Notez tout ce qui vous
vient à l’esprit.
À présent, un petit jeu de devinettes. D’après vous, dans les situations
suivantes, est-ce l’émotion ou le sentiment qui entre en jeu ?

1. Avoir la boule au ventre ou la gorge sèche avant un évènement, une


rencontre, une situation, etc.
2. Avoir la boule au ventre ou la gorge sèche quand surviennent un
évènement, une rencontre, une situation, etc.
3. Sentir tout à coup son corps s’emballer sans raison apparente
(fréquence cardiaque augmentée, frissons, bouche sèche,
nervosité…).
4. Sentir son corps s’emballer à la suite d’un évènement qui est passé.
5. En réponse au regard de l’autre, rougir et balbutier.
6. En réponse au regard de l’autre, rechercher la solitude pour ne pas
souffrir.
7. S’apitoyer sur son sort.

Réponses :

1. C’est le sentiment. Parce que j’anticipe la situation en y pensant. Ce


que je ressens provient donc de ma pensée et non de la situation en
elle-même, puisqu’elle ne s’est pas encore produite.
2. C’est l’émotion. Parce que c’est mon système limbique, siège de
l’émotionnel, qui me prévient que quelque chose d’inhabituel se
produit et m’informe de me tenir en alerte.
3. C’est l’émotion, mais cela peut aussi être le sentiment, en fonction de
ce que l’on appelle « sans raison apparente ». C’est l’émotion si la
raison non apparente est, par exemple, une modification de
l’environnement qui nous parait négligeable, mais que notre
organisme a captée. C’est le sentiment si la raison non apparente est,
par exemple, une pensée automatique qui ne nous parait pas de notre
fait, un peu comme une rêverie venue sans prévenir.
4. C’est le sentiment. Parce que l’émotion que j’ai pu ressentir au
déclenchement de l’évènement doit à présent avoir disparu. Si la
sensation perdure, c’est parce que je l’entretiens avec une pensée. Et
si la sensation apparait bien après l’évènement, c’est parce que j’y
repense et que je déclenche moi-même une pensée qui va générer le
sentiment.
5. C’est l’émotion. Il y a eu un élément dans le regard de l’autre (qui
peut être aussi la parole ou le geste de l’autre bien sûr) qui a alerté
mon organisme et m’envoie une émotion qui joue le rôle
d’information.
6. C’est le sentiment, mais cela peut aussi être l’émotion. À première
vue, ce serait le sentiment, parce que pour rechercher la solitude ou
autre chose, il a fallu que je mentalise l’information et donc qu’une
pensée engendre un sentiment et une action. Mais en fonction de la
sensibilité du sujet et la répétition de l’occurrence (par exemple, un
commentaire désobligeant sur des oreilles décollées ou une autre
particularité), la recherche de solitude peut devenir instinctive,
comme un réflexe pavlovien, et ne dépendre donc d’aucune pensée
supplémentaire.
7. C’est le sentiment, car en s’apitoyant sur soi-même, pêché mignon
s’il en est tant il est tentant d’entrer dans le jeu du triangle
karpmanien (voir chapitre 4), on se pose sciemment en victime. Or,
pour se victimiser, il faut qu’il y ait eu une évaluation plus ou moins
réaliste de notre situation et donc des pensées.

Adaptation lexicale
Nous allons clôturer ce chapitre par une modification de notre lexique. Ça
n’a peut-être l’air de rien, mais croyez-moi, c’est un pas de plus vers la
gestion bienveillante et efficace de nos émotions, de nos pensées et de nos
sentiments. Aussi, à partir de maintenant :

Je remplace « je ne peux pas » par « je ne veux pas ».


Je remplace « je devrais » par « je pourrais ».
Je remplace « ce n’est pas ma faute » par « je suis entièrement
responsable ».
Je remplace « c’est un problème » par « c’est une chance ».
Je remplace « j’espère » par « je sais ».
Je remplace « si seulement » par « la prochaine fois ».
Je remplace « que vais-je faire ? » par « je vais assumer ».
Je remplace « c’est affreux » par « c’est une bonne leçon ».
Je remplace « je ne suis jamais satisfait » par « j’ai envie
d’apprendre ».
Je remplace « la vie est un combat » par « la vie est une aventure ».
11
Quand ma réalité n’est pas la
réalité
Voyons-nous les choses telles qu’elles sont ou voyons-nous les choses
telles que nous sommes ? Si je vois les choses telles que je suis, dans ce cas,
l’autre aussi peut voir les choses telles qu’il est. Or l’autre et moi sommes
différents. Donc on peut aussi imaginer que la description de la réalité de ce
que je vois sera aussi différente de la réalité de ce que l’autre voit. Où se
trouve alors la « vraie » réalité ?

L’illusion de la pensée
Nous sommes tous des illusionnistes. En effet, chacun de nous, dans un
domaine ou un autre, s’écarte de la réalité et du réalisme pour favoriser
l’illusion. Consciemment ou non. Lorsque l’illusion permet d’atténuer les
souffrances, pourquoi pas ? Après tout, la vie est trop courte pour
s’embarrasser de négatif et de misère. Si l’illusion apporte un peu de
lumière et de douceur, il faudrait être sans cœur et sans beaucoup
d’humanité pour percer le joli ballon rose bonbon. En revanche, lorsque
l’illusion nous dessert, c’est une autre histoire, et c’est pour notre bien que
nous devons nous réveiller et découvrir les marécages qui se cachent
derrière le joli cyprès.
Or chacune de nos pensées accroit soit la vérité, soit l’illusion. Avec un
effet domino sur nos sentiments, nos comportements et nos actions. C’est
pour cela que nous devons recadrer nos pensées et leur appliquer un filtre
correcteur qui les éloignera de l’illusion et les rapprochera de la vérité. Et
c’est un véritable travail de fond parce que, mine de rien, aussi factices
soient-elles, nos pensées créent un puissant mirage et nous paraissent aussi
réelles et valides que possible.
Première chose à intégrer : nos pensées et les sentiments qui en découlent
ne sont pas systématiquement des données fiables. Nous le savons à
présent, nos sentiments reflètent simplement nos pensées. Nous supprimons
la pensée, le sentiment disparait avec. Donc, si ce que nous percevons d’une
situation, d’un évènement, d’une personne ou d’une particularité n’est pas
logique ni approprié, les sentiments qui naitront ensuite seront
obligatoirement déformés. Pourtant, ces sentiments déformés paraissent
réels, n’est-ce pas ? À l’instar du mal-être et de l’inconfort qu’ils
déclenchent et qui, eux, en revanche, sont tout à fait réels. Et c’est bien ça,
le problème. On fait du réel avec du faux. On pourrait même dire que nos
sentiments et notre mal-être sont victimes d’une escroquerie mentale.
En effet, le mental tord la réalité, l’arrange à sa sauce et la livre prête à
consommer et, surtout, prête à consumer tout sur son passage… Donc,
seconde chose à intégrer : nos sentiments ne prouvent jamais que nos
pensées sont exactes et dignes de confiance. Un ressenti déplaisant indique
tout simplement que nous pensons à quelque chose de déplaisant et que
nous croyons en la validité de ce quelque chose.
Donc, quand je ressens de la honte, de la colère ou du découragement vis-
à-vis d’une de mes particularités, c’est parce que je pense que cette
particularité mérite la honte, la colère ou le découragement et que moi, je
prends ce que je pense pour argent comptant. C’est l’illusion de la pensée.
En revanche, si je pense que cette particularité fait partie de moi et qu’à ce
titre, je l’accepte en l’état comme je m’accepte en l’état, je n’ai plus de
raison de ressentir autre chose que de l’acceptation. Si je pense que je suis
bien comme je suis, je ne peux pas ressentir de honte, de colère ou de
découragement.
Autre problématique : le conditionnement. En effet, la plupart du temps,
les pensées surgissent automatiquement, un peu comme les émotions. Un
stimulus et, sans réfléchir, une pensée automatique se met en place.
Comment est-ce possible, puisque la pensée transite par le mental ?
Comment peut-elle devenir une sorte de réflexe ? Tout simplement parce
que les stimuli déclencheurs sont répétitifs. Une personne complexée s’est
conditionnée plus ou moins consciemment à générer des pensées
automatiques dès qu’un projecteur se braque sur sa particularité. Le
projecteur peut être le regard de l’autre ou son propre regard. C’est donc en
revoyant notre mécanisme de pensée que nous retrouverons des sentiments
sains et réels.

Le mot et l’idée
Nous ne voyons pas les choses comme elles sont, nous les voyons comme nous
sommes.
LE TALMUD (L’UN DES TEXTES FONDAMENTAUX DU JUDAÏSME RABBINIQUE)

Le mentaliste
Quand on y songe, en fait, les pensées n’ont aucune prise sur nous, à
moins que nous ne les y autorisions. Elles ne sont qu’une succession de
mots. Elles n’ont aucune signification. Nous seuls leur en donnons une.
C’est vrai pour nos pensées, comme pour celles des autres à notre égard.
Une démonstration toute simple : admettons que je décide de vous adresser
une pensée (très positive et bienveillante, ou très négative et désobligeante)
et que je vous demande de me dire comment elle vous affecte. Vous seriez
bien incapable de me le dire et pour cause, elle ne vous affecterait en rien,
puisque vous ne savez pas celle que je vous ai envoyée. Ce qui est une
excellente nouvelle, n’est-ce pas ?
Les pensées de l’autre ne peuvent pas nous affecter. Seules nos propres
pensées peuvent nous affecter. Et elles peuvent nous affecter très fortement
et influer sur notre comportement et nos capacités. Ainsi, des paroles
positives et encourageantes rendent physiquement fort, tandis que des
paroles négatives et démotivantes nous affaiblissent. Preuve par l’exemple :
si je demande à une personne de se répéter dix fois « je suis forte et digne »
puis de tendre le bras sur le côté et que j’essaie de lui faire baisser le bras
avec ma main, je vais avoir du mal ; maintenant, si je lui demande de
baisser le bras, de fermer les yeux et de se répéter dix fois « je suis faible et
indigne » puis d’ouvrir les yeux et de retendre le bras, comme par magie, je
n’aurai plus aucune difficulté à lui abaisser le bras avec ma main. Les
conditions n’ont pas changé et les protagonistes non plus. Seule
l’information (donc la pensée) transmise et acceptée est différente.
Et comme vous le constatez, peu importe que l’information transmise soit
véridique ou fausse, nous lui faisons confiance aveuglément. Cela prouve
qu’il faut se méfier de nos pensées et des sentiments qu’elles engendrent,
car les unes comme les autres ne sont pas toujours justes. Si l’on rapporte
ces conclusions à notre propre comportement envers nos complexes, nos
particularités et le regard de l’autre, quel peut en être leur enseignement ? Si
je me répète dix fois, et on le sait tous, c’est bien plus que dix fois, « je suis
trop ceci ou trop cela », « je ne mérite pas ceci ou cela », « ils vont me
trouver ceci ou cela », « ils ont raison, je suis indigne, moche, nul,
minable… », que croyez-vous qu’il advienne ? Est-ce que physiquement,
psychologiquement et émotionnellement, je me vais me sentir fort ou alors
faible, confiant ou alors démuni, joyeux ou alors triste ? Bref, nous
finissons par croire toutes les âneries qui nous traversent l’esprit et nous
rendent malades à tout point de vue.

À vous de jouer !
Amusez-vous à reproduire l’exercice du bras tendu avec vos proches et
notez les résultats sur votre cahier. À présent, réfléchissez aux phrases ou
aux réflexions automatiques et erronées que vous vous répétez le plus
souvent. Quelles sont leurs occurrences et dans quel cadre ? Comment vous
sentez-vous après ? Imaginez que vous les remplaciez par des phrases ou
des réflexions plus réalistes et positives. Dans quelle mesure cette stratégie
pourrait-elle permettre, à votre avis, d’améliorer votre estime, votre
confiance et votre affirmation de soi ?

Le divan du psy
Les pensées automatiques que l’on développe par rapport à certains
stimuli, situations, individus ou environnement, et qui paraissent très
rationnelles, mais qui n’en ont que l’apparence, et qui nous incitent à des
décisions ou des attitudes déconnectées de la réalité s’appellent, en jargon
psychologique, des biais cognitifs. Le principe des biais cognitifs a été
introduit en 1972 par deux psychologues, Amos Tversky et
Daniel Kahneman. À l’origine, leurs recherches s’appliquaient à la sphère
économique, avant d’être élargies à la psychologie cognitive et sociale.
Certains parlent également de distorsions cognitives. Ici, nous utiliserons
également les termes de raisonnements toxiques ou distorsions, moins
intimidants et tout aussi parlants. Les chercheurs ont trouvé plusieurs
centaines de biais cognitifs, mais nous nous contenterons ici des plus
pertinents pour la gestion du complexe. Ce sont également des distorsions
cognitives de base, très utiles et facilement applicables à de nombreuses
situations.

Les quiproquos de la pensée


Normalement, la pensée nécessite un effort du mental, et l’on pourrait
parler de démarche active. Mais parfois, à la suite de la répétition
d’évènements ou d’émotions semblables, la pensée, toujours issue par le
mental, devient automatique, un peu comme un réflexe. Or la pensée, active
ou automatique, est liée à des croyances que l’on considère comme
correctes, dans le sens de véridiques. Malheureusement, ce n’est pas
toujours le cas, et nos croyances peuvent être aussi erronées que les pensées
qu’elles entrainent.
Voici dix biais cognitifs ou raisonnements toxiques parmi les plus
fréquents et qui nous incitent trop souvent à croire et faire n’importe quoi,
et surtout ce qui ne sert pas nos intérêts :

La logique du tout ou rien. Pas de demi-mesure, c’est soit tout


blanc, soit tout noir, rien entre ces deux extrêmes. Pensez
perfectionnisme. Et si ce que je fais n’est pas absolument parfait
selon mes critères ou, dans le cas d’un examen, si je n’obtiens pas la
note maximale, je me considère comme un raté et un pauvre minable.
Dans le cas du complexe, par exemple, si ce que je vois dans mon
miroir n’est pas comparable à ce que je vois sur les pages glacées
d’un magazine, aucun doute là-dessus, je suis à mettre au rebut et j’ai
toutes les raisons de me lamenter sur mon sort.
La généralisation. Quelque chose ne se passe pas comme je le
souhaite, j’échoue quelque part, je me dis alors que je suis un loser
parce que tout ce que je fais finit par l’échec. Si je suis complexé par
une de mes particularités et qu’un entretien professionnel ou un
rendez-vous sentimental tourne court, je mets cela sur le compte de
mes particularités et je me dis que, quoi que j’entreprenne,
j’obtiendrai toujours le même résultat, tant que mes particularités
seront là.
Le filtre mental. Je choisis un détail négatif et je décide de m’y
dédier corps et âme. Je vais alors me concentrer uniquement sur ce
détail négatif, jusqu’à ce que mon sens des réalités soit
complètement altéré. Imaginez une goutte d’encre verte colorer un
saladier rempli d’eau. Tout finit par devenir vert, mais ça ne signifie
pas que tout est vert. Il n’y avait qu’une seule goutte, en réalité, et la
concentration en encre est très faible par rapport au volume total.
Avec le complexe, on est au cœur du filtre mental. Je me concentre
sur une particularité, car pour moi, c’est la cause de tous mes
malheurs. Et à force de le croire et de me le répéter, ça finit par
devenir ma réalité. Mais pas la réalité.
La disqualification du positif. Je rejette systématiquement
toutes mes expériences positives en répétant à qui veut l’entendre
qu’elles ne comptent pas vraiment. Je suis donc incapable
d’accueillir un compliment de l’autre ou de moi-même, et je préfère
entretenir mon sentiment de négativité. Si j’ai une nouvelle coupe de
cheveux et que quelqu’un me dit que ça me va bien, je vais lui
répondre qu’en fait, ça souligne la rondeur de mon visage et qu’on
voit mieux mon double menton et que, de toute manière, vu l’état des
pointes, le coiffeur ne m’a pas laissé le choix. J’oppose
systématiquement une insatisfaction, comme pour contrebalancer le
point positif.
Le syndrome des conclusions hâtives. J’interprète une
situation, un évènement, une réaction ou une particularité de façon
négative, même si je n’ai aucune preuve qui puisse étayer mes
conclusions. Je m’autorise des raccourcis sans m’appuyer sur la
moindre donnée factuelle. D’ailleurs, je n’en ai pas besoin, puisque
je m’autoproclame :
Mentaliste : je lis dans les pensées de l’autre et je devine, par
exemple, qu’il m’en veut pour quelque chose ou que ma tête
ne lui revient pas, ou qu’il trouve mes particularités
repoussantes et qu’il pense que je suis un pauvre nul incapable
de séduire qui que ce soit ou de réussir quoi que ce soit.
Diseuse de bonne aventure : dans ma boule de cristal, je
vois… je vois l’échec et le rejet ! Je sais que la situation va se
détériorer et que tout cela va très mal finir, puisque mon
pendule le confirme. Je me convaincs alors que ma prédiction
est une réalité et un fait établi. De toute manière, on le sait
tous, avec mes particularités, comment pourrait-on s’attendre
à autre chose ?
Le monocle grossissant ou amincissant. C’est un peu le
ballon de baudruche qui se gonfle ou se dégonfle selon l’évènement.
J’exagère démesurément l’importance de certaines choses (mes
prétendus échecs et imperfections, et les prétendues réussites et
perfections de l’autre) et je minimise démesurément l’importance
d’autres choses (mes qualités et mes réussites, et les lacunes et
impairs de l’autre). Donc, si je suis complexé, j’exagère l’importance
de la particularité à l’origine du complexe et en me comparant à
l’autre, j’exagère aussi la supposée perfection de l’autre duquel, bien
évidemment, je n’arrive pas à la cheville. Et en simultané, je
minimise mes atouts et les difficultés que l’autre peut rencontrer dans
sa propre vie. Mon jugement est alors grandement altéré, puisqu’en
fin de compte, je me considère comme très imparfait et considère
l’autre comme la perfection incarnée.
L’argument par l’affect. Je présuppose que mes sentiments
négatifs reflètent la réalité de la situation. Si je le ressens, c’est que
ce doit être vrai ! Eh bien, non, pas vraiment, nous l’avons vu. Le
sentiment découlant de la pensée, si la pensée est erronée, le
sentiment le sera tout autant. C’est le serpent qui se mord la queue.
Le mécanisme des injonctions. J’aurais dû faire ceci, j’aurais
dû faire cela, je n’aurais pas dû faire ceci, je n’aurais pas dû faire
cela, ad lib. On connait tous ce refrain. Quand je me répète ce genre
d’injonction, c’est comme si je cherchais à me flageller ou me punir
pour absoudre mes « mauvaises actions ». Forcément, quels
sentiments en découlent ? La culpabilité, bien sûr, suivie de la colère,
de la frustration et du ressentiment. D’autant que ces injonctions, je
les partage. Parce que le second refrain est « tu aurais dû faire ceci, il
aurait dû faire cela, elle n’aurait pas dû faire ceci, vous n’auriez pas
dû faire cela. » Le cercle vicieux par excellence. Si je suis complexé
par une prétendue inculture en histoire de l’art, que j’accepte une
invitation à dîner organisé par un galeriste, que tous les invités ont
l’air de savoir de quoi ils parlent et que je n’ose pas participer à la
conversation par peur qu’on découvre à quel point je suis ignare, en
rentrant chez moi, il y a de fortes chances que je me lance « je
n’aurais jamais dû accepter cette invitation, et puis le galeriste aurait
dû me mettre à l’aise et me parler davantage, et puis je devrais
parfaire mes connaissances parce que je suis trop nul ». Une soirée
réussie, en somme, à renouveler le plus vite possible…
L’erreur d’étiquetage. C’est une variante extrême de la
généralisation. Si j’ai fait une erreur, je ne vais pas décrire ou
expliquer cette erreur, mais écrire sur mon front au feutre indélébile
« tocard ». Idem pour la particularité du complexé. J’ai un cheveu sur
la langue, je suis un tocard. Mon nom de famille amuse la galerie, je
suis un tocard. Mon salaire ne me permet pas de m’offrir cette
montre pour faire comme tous mes « copains », je suis un tocard.
Donc je renforce encore mes impressions négatives sur mes
particularités. La charge émotionnelle est très forte ici, parce que l’on
tombe dans le jugement et la formulation assez violente.
La personnalisation. Je considère que je suis la cause d’un
évènement ou d’une situation, alors qu’en réalité, je n’en suis
absolument pas responsable. Par exemple, je suis en surpoids et
l’ascenseur se bloque. J’imagine, à tort ou à raison, que les autres
occupants me regardent d’un drôle d’air parce que, sous-entendu, si
je n’étais pas si gros, l’ascenseur ne se serait pas bloqué. Et donc je
me vois comme la cause du blocage. Il ne me vient pas à l’esprit que
chaque ascenseur tolère une charge maximale et que lorsqu’elle est
atteinte, une alarme se déclenche avant la fermeture des portes. Ni
que l’ascenseur peut avoir rencontré un problème technique
totalement indépendant du poids de ma petite personne. Je préfère
rester dans l’irrationnel, parfois renforcé encore par le regard de
l’autre.

À vous de jouer !
Sur votre cahier, vous allez noter toutes les pensées, automatiques ou non,
qui concernent vos complexes. Peu importe le stimulus, l’évènement, la
situation, l’émotion ou le regard de l’autre à l’origine de ces pensées.
Prenez votre temps, l’essentiel est d’en identifier le plus grand nombre, et
au moins une bonne dizaine. Rapprochez-les ensuite des dix raisonnements
automatiques/erronés détaillés ci-dessus. Par exemple, si je m’aperçois que
chaque fois qu’on me fait un compliment, à la place de remercier et
d’apprécier le moment, j’assure à l’autre qu’en réalité, je ne mérite pas son
compliment, je note « disqualification du positif » en face de la pensée
concernée.

Le mot et l’idée
La fleur de l’illusion produit le fruit de la réalité.
PAUL CLAUDEL, DRAMATURGE

Le syndrome de l’imposteur
Savez-vous ce qu’est un imposteur ? C’est un individu qui se fait passer
pour quelqu’un d’autre. Alors, bien sûr, nous serions dans un James Bond,
nous parlerions d’usurpation d’identité, avec de faux passeports et une
panoplie de gadgets, mais dans la vie réelle, celle du commun des mortels,
un imposteur est quelqu’un qui prétend avoir des connaissances, des
diplômes, des expériences inventés de toutes pièces. Seulement, parfois,
l’imposteur n’est pas du tout un imposteur, mais s’imagine l’être, à tort
évidemment, grâce aux pernicieuses pensées automatiques. C’est le
syndrome de l’imposteur.
Dès lors qu’on en est atteint, l’angoisse et l’irrationnel prennent leurs
quartiers d’été pour empoisonner notre existence. En effet, on pense être
indigne de la confiance que l’on nous accorde, manquer de compétences
pour le poste que l’on occupe, et qu’un jour ou l’autre, notre imposture va
finir par être démasquée et alors, là, droit au peloton d’exécution !
Or, à aucun moment, on ne tente de questionner ces impressions, qui ne
sont que des sentiments incorrects issus de pensées incorrectes. En réalité,
le syndrome de l’imposteur est avant tout lié à un manque d’estime, de
confiance et d’affirmation de soi. Ces déficits favorisent les raisonnements
erronés et un véritable mal-être. Il suffirait pourtant d’un peu de bon sens :
logiquement, combien de temps peut-on prétendre être un champion en
informatique alors qu’on s’imagine que Windows est simplement la
traduction anglaise du mot « fenêtres » ? Et puis, nos diplômes et nos
expériences, on ne les a pas inventés ou achetés sur Internet !
C’est pourquoi, quels que soient la situation, l’environnement, le stimulus
ou autre, il faut prendre le temps de remettre en question chaque pensée qui
amène un sentiment de mal-être et d’inadéquation. Et quoi de mieux que le
factuel et le réalisme ?

Attention, guet-apens !
Vous connaissez la petite voix qui nous sert de critique intérieur et nous
pollue avec des propos démotivants ? Elle se nourrit justement de
raisonnements aussi toxiques qu’erronés. Voici cinq de ses petites phrases
favorites et leur impact sur nous :

« C’est inutile, laisse tomber, à quoi bon t’embêter avec tout ça ? » :


la petite voix veut nous démotiver et nous dissuader d’agir.
« Pfff, fais-moi confiance, ça ne marchera jamais ! » : la petite voix
essaie de nous faire peur et de nous décourager.
« Tu vois bien, tu as été nul et grotesque ! J’espère que ça
t’apprendra ! » : la petite voix cherche à nous dévaloriser et à tuer le
peu d’estime de soi qui nous reste.
« Ah, qu’est-ce que je t’avais dit ? Tes efforts n’ont servi strictement
à rien ! La prochaine fois, tu m’écouteras ! » : la petite voix
s’emploie à nous empêcher de recommencer et de retenter d’agir.
« Oui, bon, quelques trucs ont fonctionné, mais franchement, tu
trouves que c’est suffisant ? Toi, tu trouves que c’est un bon travail,
ça ? » : la petite voix nous insuffle des pensées d’insatisfaction pour
minimiser notre réussite.

Donc, dorénavant, chaque fois que votre petite voix se lancera dans sa
diatribe éculée, dites-lui : « Bon, ça suffit maintenant, tout ça, je connais par
cœur, tu me l’as assez répété ! Moi, j’en ai ma claque, je t’ai assez
entendue ! Alors, ouste, du vent, va voir ailleurs si j’y suis ! » Et sans
regret.
Les passoires de Socrate
La légende prétend que le philosophe grec Socrate se serait fait alpaguer
par un individu qui voulait lui raconter les derniers commérages sur l’un de
ses amis. Socrate l’aurait alors invité à filtrer son propos à travers trois
passoires : celle de la vérité, de la bienveillance et de l’utilité. Finalement la
commère était repartie bredouille, parce qu’il n’y avait rien de véridique, ni
de bienveillant, ni d’utile dans ce qu’elle avait l’intention de raconter.
À notre tour, nous allons adapter la théorie des passoires de Socrate à nos
pensées et nos complexes. Ainsi, lorsqu’une pensée décourageante ou
attristante surgira, vous vous poserez les quatre questions suivantes :

Cette pensée est-elle réaliste ? Si vous répondez non à cette première


question, inutile d’aller plus loin, la pensée doit aller directement
dans le bac à déchets (non recyclables).
Cette pensée m’aide-t-elle à me sentir mieux ? Si la réponse est
négative, idem.
Cette pensée m’aide-t-elle à gérer la situation actuelle ? Si la réponse
est négative, idem.
Cette pensée m’aidera-t-elle à gérer une même situation si elle se
reproduit dans le futur ? Si la réponse est négative, idem.

Mais que dois-je faire pour me sentir mieux, une fois mes pensées
toxiques mises au rebut ? Déjà, si je me suis affranchi de mes pensées
toxiques, en principe, je dois aller mieux. Et puis, pour opérer un vrai
changement pérenne, je m’inspire de la méthode qui suit.

Le réajustement de mes pensées


Dans la vie, tout est processus. Par conséquent, modifier un mécanisme
devenu automatique nécessite des efforts, du temps et un travail quotidien.
L’objectif n’est pas de précipiter les choses ni de se décourager si l’on
retombe dans ses anciens fonctionnements. L’objectif est d’intégrer
progressivement de nouveaux modes opératoires afin de réguler nos
pensées et nos sentiments, qui nourrissent nos complexes.
Nous allons procéder en deux temps. D’abord, la phase théorique, puis la
phase pratique. Rassurez-vous, les deux sont simples et accessibles.

Phase théorique
Afin que les nouveaux automatismes remplacent les anciens, trois étapes
sont nécessaires :

La première consiste à repérer systématiquement les pensées


toxiques et erronées qui nous viennent spontanément à l’esprit.
La seconde consiste à identifier les distorsions, c’est-à-dire les
raisons pour lesquelles ces pensées sont toxiques et erronées.
La troisième consiste à remplacer ces pensées toxiques et erronées
par des pensées réalistes et qui servent nos intérêts.

Au début, il serait utile de tout mettre par écrit, pas seulement pour s’en
souvenir plus tard et vérifier le chemin parcouru, mais aussi, et surtout,
parce que la méthode peut sembler conceptuelle et abstraite de prime abord
(il n’en est rien, en réalité). Puis, au fur et à mesure, vous pourrez vous
passer de l’écrit, car vous maitriserez alors la technique, d’autant que vous
aurez repéré les pensées toxiques qui reviennent le plus souvent et saurez
les détecter immédiatement. Point important : appliquez la méthode dès
l’apparition de la pensée toxique et erronée. N’attendez pas de l’avoir
ruminée et de ressentir des sentiments désagréables. Rappelez-vous, il s’agit
avant tout de vous sentir bien. Et d’ailleurs, votre estime, votre confiance et
votre affirmation de soi vont grandement bénéficier de vos progrès.

Phase pratique
Nous allons travailler avec la formule des trois colonnes. Divisez en trois
une page de votre cahier en mode paysage, de manière à obtenir trois
colonnes suffisamment larges pour y inscrire vos notes. En titre de la
première colonne, indiquez « Pensées automatiques ». Pour la deuxième,
donc celle du milieu, indiquez « Distorsions ». Pour la troisième, indiquez
« Réponses rationnelles ».
Il suffit ensuite de remplir le tableau de gauche à droite. Prenons un
exemple :

Dans la première colonne, celle des pensées automatiques, je


pourrais écrire : « Je ne fais jamais rien de bien. » (C’est ce qui peut
me venir à l’esprit quand quelque chose n’a pas réussi comme je le
voulais.)
Dans la deuxième colonne, celle des distorsions, je pourrais écrire :
généralisation, logique du tout ou rien, disqualification du positif,
syndrome des conclusions hâtives et argument par l’affect. (Parce
que si je réfléchis, dans cette pensée, il y a un peu de tout cela.)
Dans la troisième colonne, celle des réponses rationnelles, je pourrais
écrire : « Mais enfin, je raconte n’importe quoi, il y a plein de choses
que je fais très bien, je réussis les quiches comme personne, je parle
trois langues, je fais du patin à glace comme un as, j’ai récolté plein
de dons pour l’association des démunis. Donc, non, je ne fais pas
“jamais rien de bien”. Oui, d’accord, j’ai échoué au code de
conduite, mais ce n’est pas la fin du monde. En plus, j’ai vu où
j’avais fait des erreurs et je vais donc retravailler ces points. Et en
plus, c’est une super expérience, parce que j’ai vu comment le test se
passait, donc la prochaine fois, je serai encore mieux préparé. Et avec
ce que je sais déjà et ce que je vais réviser, ce code, je vais l’avoir !
Donc j’arrête de ruminer parce que je n’ai absolument rien à me
reprocher. J’ai fait de mon mieux et c’est ce qui compte. »

Prenons un second exemple lié aux complexes :

Dans la première colonne, celle des pensées automatiques, je


pourrais écrire : « Je suis petit, gros, moche, avec les oreilles
décollées, et personne ne voudra jamais de moi et je vais finir ma vie
malheureux comme les pierres, seul avec mon perroquet Prosper. »
(C’est ce qui peut me venir à l’esprit quand je me sens découragé
et/ou qu’un rendez-vous ne s’est pas déroulé comme je le souhaitais
et/ou qu’une rupture vient de se produire…)
Dans la deuxième colonne, celle des distorsions, je pourrais écrire :
généralisation, logique du tout ou rien, disqualification du positif,
filtre mental, syndrome des conclusions hâtives, diseuse de bonne
aventure, monocle grossissant ou amincissant, argument par l’affect,
erreur d’étiquetage et personnalisation. (Alors là, bravo, carton
plein ! On fait rarement plus irrationnel ! Tous mes raisonnements
toxiques se bousculent, jusqu’à produire une sorte de soluté bien
amer et bien pessimiste…)
Dans la troisième colonne, celle des réponses rationnelles, je pourrais
écrire : « Bon, on respire avec le ventre et l’on reprend tout ça
calmement. “Je suis petit, gros, moche, avec les oreilles décollées”.
Si je regarde autour de moi, qu’est-ce que je vois ? Des gens petits,
grands, minces, maigres, gros, avec des oreilles de toutes les formes.
Est-ce que ces détails empêchent de vivre, d’aimer et d’être aimé ? Je
continue à observer autour de moi et je regarde les couples ou les
groupes d’amis. Je vois quoi ? De la diversité. Parce que chacun est
unique et tout le monde est différent. La seule particularité que nous
partageons tous est d’appartenir au genre humain (à moins bien sûr
que certains d’entre nous viennent de l’Atlantide, auquel cas, motus
et bouche cousue). Et puis, quand je dis “moche”, je veux dire quoi
exactement ? Ce n’est pas un constat comme les oreilles décollées,
c’est un jugement. Et c’est mon jugement. Pourquoi je me trouve
moche ? Le suis-je réellement ? Qu’est-ce que c’est “moche” et
qu’est-ce que c’est “beau” ? De la même manière, quand je dis petit
et gros, je ne suis pas dans le factuel. Le factuel serait de donner une
taille et un poids. Petit et gros, c’est une interprétation. Est-ce qu’un
petit ananas se lamente de ne pas être un gros ananas ? Aucun sens,
surtout que la saveur de l’ananas ne dépend pas de se taille… mais
de sa maturité. Donc, hormis les oreilles décollées qui sont un
constat et une réalité, le reste n’est qu’interprétation et jugement de
ma part. Passons maintenant au “personne ne voudra jamais de moi”.
D’abord, “jamais” est un terme tellement définitif et tellement
illusoire. Nous connaissons pourtant tous le dicton “Il ne faut jamais
dire : fontaine, je ne boirai pas de ton eau”… Ah, mais oui,
j’oubliais, je suis devenu Madame Irma, voyante diplômée de
Neverland, et mon jeu de tarot m’affirme mordicus que jamais
personne ne voudra de moi ! Si l’on passe outre les arcanes majeurs,
je m’appuie sur quoi, exactement, pour prouver ma prédiction ? Je
connais l’avenir ? Je sais déjà qui va croiser ma route demain ou
dans un mois ? Je sais déjà comment moi, je vais évoluer ? Je sais
déjà que toutes les personnes que je rencontrerai me rejetteront
comme un malpropre ? Et si elles me rejettent, je sais déjà que ce
sera parce que je suis “gros, petit et moche” ? Ah oui, et parce que
j’ai les oreilles décollées aussi ! Non, je ne le sais pas et personne ne
peut le savoir ! Tout est au contraire possible ! Mais pour bien
enfoncer le clou, j’en rajoute dans le mélodrame en affirmant
péremptoirement, toujours sans la moindre donnée factuelle ni
réaliste que “je vais finir ma vie malheureux comme les pierres, seul
avec mon perroquet Prosper”. Si je m’apitoie sans cesse sur mon sort
et me victimise, c’est sûr, il faudrait être un peu masochiste ou sans
grande estime de soi pour me trouver attirant. Mais cela n’a
strictement rien à voir avec mon physique, c’est mon attitude qui ne
va pas, là ! Heureusement, il ne tient qu’à moi que je me sente
mieux : il me suffit de décomposer mes pensées et d’y remettre un
peu d’ordre et de réel, comme je viens de le faire. Et puis, j’ai envie
de dire, pauvre Prosper ! Parce que s’il doit écouter mes lamentations
à longueur de journée et qu’il ne sait plus que répéter “Je suis gros, je
suis moche, je suis petit…”, lui aussi va finir par croire ces idioties,
se recroqueviller sur lui-même et perdre son merveilleux ramage.
Avouez que ce serait du gâchis, non ? Donc, en fin de compte, si je
fais le bilan de mes pensées, à part les oreilles décollées, il n’y a rien
de vrai. Et en incluant mes oreilles décollées, mes pensées ne sont ni
bienveillantes, ni utiles, ni dynamisantes. Donc je passe à autre
chose. D’ailleurs, c’est drôle, je me sens déjà bien mieux ! »

Vous comprenez le processus ? Je questionne mes pensées (et mes


sentiments, si je n’ai pas réagi immédiatement) et j’y remets de l’ordre et du
réalisme. En même temps, je renforce mon estime, ma confiance et mon
affirmation de soi. Et si malgré mes conclusions, une nouvelle pensée
polluante ou ma petite voix toxique s’aventurent à revenir m’empoisonner,
je répète sur-le-champ le processus. Croyez-moi, c’est comme les gammes
de solfège ou les tables de multiplication, on se demande si l’on va y arriver
un jour, mais on finit par tout maitriser sur le bout des doigts.

À vous de jouer !
Reprenez les pensées que vous avez identifiées un peu plus haut et notées
sur votre cahier. Puis revoyez-les avec la formule des trois colonnes. Prenez
votre temps et amusez-vous en les décortiquant. Vous constaterez qu’il y a
en effet de quoi rire gentiment des excès de langage que nous employons.
Progressivement, le questionnement deviendra un automatisme et vous le
ferez sans y penser et sans avoir besoin de support écrit.

Confidences en aparté
Quand on a été obèse pendant de nombreuses années comme moi, le poids
reste un sujet très sensible. Avant de faire la paix avec mon corps et moi-
même, je surveillais sans cesse mon alimentation de façon draconienne, et
la moindre fluctuation de l’aiguille de la balance vers la droite entrainait
panique et privations. Je vais vous raconter deux évènements qui m’ont
blessé et qui se seraient bien prêtés à la formule des trois colonnes. Vous
constaterez que la réalité rattrape la fiction ou la théorie.
J’ai rendez-vous avec une éditrice pour finaliser un projet d’écriture. Tout
se passe très bien et elle me propose même un nouveau projet de traduction
que j’accepte avec plaisir. Je sors de notre entrevue tout joyeux et heureux,
et avant de quitter les locaux, je vais saluer un directeur éditorial que je
connaissais assez bien. Il me demande si tout va bien, je lui annonce mon
nouveau projet et il me dit : « Oui, ils te le refilent parce que c’est plus
pratique pour eux, ils t’ont sous la main, et puis c’est un petit livre, pas très
intéressant, ça finira au pilon, alors bon, la traduction, bonne ou mauvaise,
on s’en fiche un peu ! » Évidemment, douche froide pour moi, et sensation
d’être rabaissé. Sensation d’injustice aussi, parce que l’ouvrage était au
contraire très intéressant. Je rougis, donc émotions de surprise et tristesse.
Puis je dis que je suis aussi content parce que j’ai perdu trois kilos. Et là, il
me répond : « Ah oui ? Moi, je te trouve toujours aussi énorme ! »
Nouvelles émotions de surprise, tristesse et colère. Je réponds de la voix la
plus assurée que je peux : « Mais tu te rends compte de ce que tu me dis ?
Tu trouves ça gentil ? » Il a alors balbutié des regrets et je suis reparti.
Que croyez-vous qu’il arriva ? J’étais décomposé, surtout que les pensées
automatiques avaient pris le relais de mes émotions et instruit des
sentiments que je connaissais trop bien (honte, découragement, tristesse,
solitude…) Avec du recul, pour le premier échange, j’aurais pu dire par
exemple : « Ah, tu le vois comme ça ? L’ouvrage me parait au contraire très
intéressant et je suis très heureux que l’on m’ait proposé le projet. Et si on
me l’a proposé, c’est parce que je collabore régulièrement avec cette
éditrice et cette maison d’édition, et que mes travaux donnent satisfaction.
D’ailleurs, un packager (entreprise qui met en page et imprime les livres)
m’a récemment envoyé un mail de compliments (véridique). Quant à partir
au pilon (lorsque les livres ne se vendent pas, ils sont “pilonnés” ou
revendus à des solderies), je pense que le sujet est tellement bien traité qu’il
rencontrera sans doute beaucoup de succès. » Et pour le second évènement,
qui m’avait beaucoup peiné, j’aurais pu me dire : « Allons, tu vois bien
qu’il est mal dans sa peau et obnubilé par les apparences (effectivement,
l’image avait une importance démesurée pour lui et je ne l’ai jamais connu
très authentique). L’important, c’est que toi, tu sois satisfait des kilos
perdus. Il peut penser ou dire ce qu’il veut, ça ne doit avoir aucun impact
sur toi. Et si tu laisses ses pensées ou ses paroles te chagriner, tu te places
dans un schéma perdant-perdant. Et tu mérites mieux que ça ! »
Pour la petite histoire, j’avais dû paraitre si choqué que le directeur
éditorial m’avait appelé et envoyé un SMS pour me présenter ses excuses.
J’en ai quand même tiré une leçon, je n’ai plus jamais mentionné mon
poids, et quand je passais voir une éditrice, je ne passais plus le saluer (non
pas parce que j’étais fâché, je ne l’étais pas, mais parce que j’ignorais l’état
d’esprit dans lequel il se trouverait et que je ne souhaitais pas de nouvel
échange sans intérêt).

La tribune est à vous !


Avez-vous vécu des situations similaires ? Si oui, avec du recul et ce que
vous savez à présent, imaginez comment vous auriez pu réagir pour
minimiser les impacts sur vous, vos pensées et vos sentiments.

Quand le traducteur cafouille


Restons dans le domaine des pensées et de l’interprétation avec les
projections que l’on fait sur l’autre. Il est très tentant de jouer au mentaliste
et on le fait très souvent, mais rarement à bon escient. Hélas, ces
interprétations entrainent des pensées aussi dévalorisantes que fausses, et
nous rendent malheureux. L’interprétation des pensées se manifeste dans
tout type de relation (sentimentale, professionnelle, amicale, sociale…). Il
suffit d’avoir en face de soi un interlocuteur − et pas nécessairement en
chair et en os, parce que le traducteur s’affaire aussi par téléphone, SMS ou
mail.
Il existe plusieurs mécanismes de traduction erronés :

L’autre dit quelque chose et moi, j’entends bien ce quelque chose,


mais au lieu de l’accepter en l’état, je l’interprète. C’est-à-dire que
j’entends bien ce que l’autre dit, mais que je me refuse à l’accepter
tel quel.
L’autre dit quelque chose et moi, je n’entends pas ce quelque chose,
mais j’entends ce que moi, je pense de moi-même ou de la situation.
C’est-à-dire que je n’entends même pas ce que l’autre dit, car je n’en
crois pas un mot.

Par exemple, si l’autre fait un commentaire neutre, sans lien direct avec
mes particularités, moi, je n’entends pas la neutralité du commentaire et je
le prends comme une attaque sur une de mes particularités. D’où
nécessairement une réponse mal adaptée de ma part et l’apparition de
malentendus susceptibles d’affecter la relation tout entière. Autre point non
négligeable auquel on ne songe pas immédiatement : en interprétant les
pensées et propos de l’autre, on lui impose notre modèle de pensée et on le
prive de sa liberté de choix et de pensée. Par exemple, si moi, je me trouve
trop ceci ou trop cela, je considère que l’autre aussi doit me trouver trop
ceci ou trop cela, et je ne lui laisse pas le choix. Or, ne serait-il pas
envisageable que l’autre aime justement ce trop ceci ou trop cela, ou ne l’ait
même pas remarqué, puisqu’attiré par d’autres composantes, plus
importantes, de ma personnalité ? C’est un peu comme si je disais : « Moi,
je n’aime pas la rhubarbe, donc l’autre n’aime pas la rhubarbe ». Pourquoi
l’autre n’aimerait-il pas la rhubarbe ? Encore une interprétation
fallacieuse…
Pour rappel : je suis responsable de ce que je dis, mais pas responsable de
ce que l’autre entend. Cette information est d’autant plus importante pour
les personnes complexées que leurs particularités occupent la majeure partie
de leur attention et qu’elles sont très sensibles à la moindre évocation de ces
particularités. Et pour notre plus grand intérêt, il est essentiel de ne pas
interpréter le regard de l’autre, surtout que notre interprétation a de grandes
chances d’être totalement fausse. N’oubliez jamais que ce que je pense de
moi-même et de mes particularités n’est pas ce que l’autre pense de moi et
de mes particularités. Et justement, ces particularités qui semblent me poser
autant de problèmes ne posent sûrement aucun problème à l’autre. Et ça,
c’est encore une très bonne nouvelle !

La pensée épouvantail
Même en étant fair-play, patient et indulgent, il existe des pensées, parfois
émises verbalement, qui ne méritent pas une seconde de notre attention. Ce
sont les pensées épouvantails. Ces pensées, nous les connaissons par cœur :
je passe devant un miroir et je m’écrie : « Oh la la, qu’est-ce que je suis
moche/gros/petit/boudiné/maigre/chauve/mal habillé ! » Ou je fais une
erreur et je m’écrie : « Oh la la, qu’est-ce que je suis bête/idiot/bon à
rien/coupable/nul ! » Et pour qu’elles s’inscrivent bien profondément en
nous pour faire le maximum de dégâts, nous les répétons plusieurs fois.
Alors, ces pensées, maintenant, c’est terminé ! On tire un trait dessus !
Dès que le premier mot vous vient à l’esprit ou aux lèvres, un drapeau
rouge doit apparaitre et vous devez dire « Stop ! » Exprimez-le à haute voix
au besoin les premiers temps, mais le stop doit être suffisamment ferme
pour couper court à toute émission de la pensée. Ce mécanisme doit devenir
automatique. Donc, dorénavant, si je passe devant un miroir, même affublé
d’une robe de mariée fuchsia et d’une perruque verte, pas de commentaire
désobligeant ! Si je me trompe quelque part, pas de commentaire
désobligeant ! Dans la cabine d’essayage, si la chemise est trop serrée ou
trop large, pas de commentaire désobligeant ! L’autoflagellation stérile,
c’était avant. Maintenant, c’est persona non grata !

À vous de jouer !
Notez et encadrez la phrase suivante sur votre cahier : « Je fais une chasse
impitoyable aux pensées épouvantails ! » Listez ensuite les pensées que
vous vous répétez le plus souvent. Puis surveillez attentivement vos paroles.
Dès qu’une pensée épouvantail vous tente, dites « non » et passez à autre
chose. Pour renforcer l’effet thérapeutique, vous pouvez porter un élastique
au poignet. Chaque fois que vous prononcerez ou penserez une pensée
épouvantail, tirez sur l’élastique. Vous intègrerez très rapidement le concept
et n’aurez plus besoin de cet accessoire.
12
Renouer avec soi-même
Avant de renouer avec l’autre, il faut d’abord renouer avec soi-même. En
effet, comment nouer des relations stables et épanouissantes avec l’autre si
l’on n’en a pas déjà noué avec soi-même ? Et pour renouer avec soi-même,
il faut commencer par s’accepter tel que l’on est.

S’accepter, ça veut dire quoi ?


S’accepter signifie se voir tel que l’on est dans l’instant présent et
s’autoriser à être ce que l’on est dans l’instant présent. C’est un peu comme
si je prenais une photo de moi et qu’en la regardant, je me trouvais bien
dessus, quelles que soient mes particularités. S’accepter ne s’applique pas
qu’à l’extérieur, cela s’applique aussi à l’intérieur, c’est-à-dire accepter de
se voir tel que l’on est, sans se juger. La non-acceptation de soi ou des
autres résulte toujours d’un jugement et d’une comparaison avec l’autre ou
d’une recherche de la perfection. Autrement dit, rien de très objectif.
Attention, ne pas juger ne signifie pas que l’on aime tout en soi, mais
qu’on accepte la réalité de notre être et toutes ses composantes. Accepter
quelque chose ne signifie pas non plus comprendre cette chose ni la tolérer.
Le mot « tolérer » est d’ailleurs un terme très ambigu, parce que quand je
dis que je tolère quelque chose, en réalité, je n’accepte pas ce quelque
chose, mais je préfère regarder ailleurs. Nous sommes très loin de
l’acceptation ! Et de la même façon, si je parviens à tolérer une particularité
chez moi, en fait, je ne l’accepte pas du tout. Je fais semblant de l’accepter,
alors qu’en toile de fond, elle m’empoisonne la vie. Or, l’acceptation, c’est
dire oui. Oui à ce qui existe, puisque cela existe et que cela constitue tout
mon être.
Bien évidemment, l’état actuel d’une situation peut engendrer des
souffrances ou un mal-être, et s’accepter ne signifie pas accepter de ruminer
ses souffrances et entretenir son mal-être. Ce ne serait alors pas de
l’acceptation, mais de la résignation, avec les attributs victimaires qu’elle
génère. Non, s’accepter, c’est reconnaitre que pour le moment, les choses ne
sont pas telles que je voudrais qu’elles soient. Mais qu’il n’y a pas de raison
pour que tout ne s’arrange pas. S’accepter, c’est regarder une problématique
droit dans les yeux et admettre son existence.
Alors, oui, c’est sûr, une personne complexée peut éprouver des
difficultés à s’approuver et s’accepter en l’état. Surtout si les complexes
sont installés depuis un certain temps et surtout si l’on aimerait tellement
être différent de ce que l’on est. Pourtant, l’acceptation de soi est une
démarche essentielle pour entamer un changement vers le mieux-être. Il est
impossible d’arriver à être ce que l’on veut être avant d’avoir accepté d’être
ce que l’on ne veut pas être.
Pourquoi ? Parce que l’acceptation ancre dans la réalité et la lucidité. Et
c’est en partant de la réalité que l’on peut envisager de changer quelque
chose. Avec lucidité.
En m’acceptant tel que je suis, je ne gaspille plus mes ressources en
gesticulations inutiles et pensées stériles. J’utilise ces ressources pour
modifier ce qui doit être modifié afin que je me sente mieux. L’acceptation
de soi favorise l’action et la mise en place d’un processus positif et très
bénéfique.

Le mot et l’idée
Quel jour agréable que celui où nous renonçons à être jeunes ou sveltes !
WILLIAM JAMES, PSYCHOLOGUE

Réapprendre à s’aimer
L’acceptation de soi va de pair avec l’amour de soi. Parce que pour
s’accepter, il faut s’aimer un minimum. Or, nous l’avons vu, une personne
complexée ne s’aime pas. Au début, elle n’aime pas ses particularités, puis
elle finit par ne pas aimer tout son être. C’est la partie pour le tout. L’amour
et l’acceptation de notre personnalité nous procurent un sentiment de
sécurité, de sérénité et de confiance, et sont les prérequis à toute volonté de
changement.
Comment s’accepter ? En travaillant sur notre estime, notre confiance et
notre affirmation de soi, nos besoins, nos valeurs, nos attentes, nos pensées,
nos sentiments et, bien entendu, notre perception du regard de l’autre. Pour
réapprendre à m’aimer, j’accepte de tomber amoureux de moi, un peu
comme je tomberais amoureux d’une autre personne. Je m’accepte tel que
je suis, de la même manière que j’accepte la personne pour qui mon cœur
bat plus vite. Et bien sûr, j’agis en conséquence : je me pardonne mes
erreurs, je me complimente de mes réussites, je suis gentil, bienveillant et
indulgent envers moi. Je me murmure de douces paroles. Je prends du
temps pour moi, je me console si j’ai du chagrin. Et je me souris souvent et
je me dis plusieurs fois par jour que je m’aime et je m’approuve.
Alors oui, à froid, la démarche peut paraitre insolite et inconfortable, mais
la nouveauté bouscule toujours un peu. D’ailleurs, il n’est pas nécessaire
d’y souscrire totalement pour la mettre en pratique. L’important est de se
lancer et d’entreprendre un changement dans notre manière de nous voir.
Peu à peu, nous apprendrons à nous aimer et nous accepter chaque jour
davantage. Et qu’une chose soit claire : il ne s’agit en rien d’égocentrisme
ni d’égoïsme, et encore moins de narcissisme, qui sont des notions gérées
par l’ego. Il s’agit ici de reprendre la main sur ce qui nous échappe depuis
trop longtemps, à commencer par notre estime, notre confiance et notre
affirmation de soi. Il s’agit de se donner le droit d’être soi-même et de
s’accepter et s’aimer en l’état. Ici, aucune névrose cachée, aucune action
destinée à séduire ou manipuler l’autre, aucun caprice puéril, aucune
volonté de se comparer à l’autre ni d’entrer en compétition avec lui.
Simplement découvrir que nous sommes parfaits tels que nous sommes,
avec nos particularités, quelles qu’elles soient, et réapprendre à accueillir
ces particularités avec bienveillance.
Le divan du psy
Certains praticiens fustigent ce qu’ils appellent « l’egopsychologie »,
c’est-à-dire la psychologie recentrée sur soi-même, en expliquant que nous
vivons en société et qu’il faut donc prendre en compte l’autre dans
l’équation. Alors, bien sûr, il faut séparer le bon grain de l’ivraie et se
méfier des dérives et des raccourcis réducteurs, mais il faut aussi
reconnaitre que les seules choses que nous pouvons maitriser sont la façon
dont on se perçoit soi-même et les actes qui découlent de ces sentiments.
Nous vivons avec l’autre et, justement, comme nous ne pouvons pas le
changer, il faut se recentrer sur soi-même pour souffrir le moins possible.
Le complexe n’apparait jamais en tête à tête avec soi-même, le regard de
l’autre a dû passer par là auparavant. Et ce n’est pas respecter, accepter et
aimer l’autre que de ne pas se respecter, s’accepter et s’aimer soi-même. En
travaillant sur soi, on s’affranchit des névroses et du mal-être qui perturbent
nos relations avec l’autre. Et nous pouvons alors affirmer que tout le monde
est gagnant dans l’équation.

À vous de jouer !
Réfléchissez aux actions que vous pouvez mettre en place pour vous
accepter et vous aimer davantage au jour le jour. Inutile de chercher à en
faire trop dès le début, de petites actions suffisent. Et pour officialiser la
démarche, établissez un contrat avec vous-même. Sur votre cahier, notez
par exemple : « Je m’engage à me dire “je t’aime” deux fois par jour
minimum, à me complimenter une fois par jour, à me sourire dans le miroir
trois fois par jour et à me répéter trois fois par jour “je m’accepte tel que je
suis” ». Datez et signez cet engagement. Puis réservez quelques pages pour
suivre vos progrès (et le respect du contrat) grâce à un tableau que vous
aurez tracé avec une ligne pour chaque engagement et une date pour chaque
colonne. Pour notre exemple, nous aurons donc « dire “je t’aime” » sur la
première ligne, « me complimenter » sur la deuxième, « me sourire », sur la
troisième et « me répéter “je m’accepte” » sur la quatrième. Chaque
colonne représentera une date et il suffira de mettre une croix dans la case
de chaque engagement si je l’ai bien respecté. Si je ne l’ai pas respecté, je
mets un point d’interrogation et je fais mieux le jour suivant. Au fur et à
mesure de votre avancement, vous pourrez ajouter les engagements qui
vous paraissent utiles au quotidien.

Renouer le dialogue avec soi-même


Au fur et à mesure que l’on s’accepte et qu’on s’aime, on se redécouvre et
l’on renoue avec soi-même. On renoue également le dialogue avec soi-
même, puisque des échanges se rétablissent entre soi et soi. Parce que l’on
ne s’en apercevait peut-être pas, mais nos complexes avaient grandement
perturbé notre communication interne. Nous tournions en rond, centrés sur
nos particularités et sur le regard de l’autre. Les raisonnements toxiques et
les sentiments qu’ils généraient faussaient complètement la donne et nous
induisaient en erreur. Heureusement, nous réapprenons à nous connaitre, à
nous écouter et à redonner sens, mesure et réalisme à nos pensées et nos
mécanismes. C’est un très beau cadeau que nous nous offrons et qui est tout
à fait mérité. Par ailleurs, en renouant le dialogue avec soi-même, on renoue
le dialogue avec l’autre.

À vous de jouer !
Vous serez certainement d’accord avec moi, le changement passe par une
certaine logique et une certaine cohérence. On ne peut pas, d’un côté,
œuvrer à l’acceptation et l’amour de soi, et, d’un autre côté, se maltraiter.
Ce ne serait pas seulement contre-productif, ce serait schizophrène ! Un peu
comme un agent d’espionnage double ou triple ! Donc, à partir de
maintenant, il est interdit de se maltraiter. Que ce soit par des actions, des
pensées ou des paroles. Avec tout ce que l’on a vu dans les chapitres
précédents, ce devrait d’ailleurs être un jeu d’enfants ! Donc, sur votre
cahier, vous allez identifier les comportements qui pourraient s’apparenter à
de la maltraitance. Pour rappel, la maltraitance est le fait de brutaliser, de
faire subir des sévices ; c’est aussi faire un mauvais usage de quelque
chose ; et c’est critiquer et/ou malmener en paroles une personne. Vous
voyez certainement où je veux en venir…
Par conséquent, vous allez enfin laisser en paix toutes vos particularités,
quelles qu’elles soient, et quels que soient les reproches que vous êtes tenté
de leur faire. Vous allez faire comme si vos particularités étaient
d’adorables petits bébés que vous aimez énormément et qui, après avoir
trop joué dans le bac à griefs, ont besoin de repos. À la moindre
maltraitance, même murmurée, vous risquez de les réveiller et c’est ce que
vous devez éviter à tout prix. Aussi, dès qu’une pensée, une action ou une
parole maltraitante envers vous-même ou votre bébé/particularité pointera
le bout du nez, vous lui imposerez de se taire.
À toutes fins utiles, ajoutons une précieuse information : l’autosabotage
fait partie de la maltraitance. L’autosabotage, ce n’est certes pas le bébé
d’une personne complexée, c’est son ami intime. L’autosabotage, c’est
imaginer que nous ne sommes pas dignes de mériter le meilleur ou de
mériter ce qui nous fait du bien ou plaisir, et de faire en sorte d’y mettre un
terme en redevenant malheureux le plus vite possible. L’autosabotage, on
sait tous comment il fonctionne. L’autre nous dit quelque chose de gentil,
on le croit un moment, on vit quelque chose de délicieux, et boum, on se dit
que ce qui nous arrive est trop beau pour être vrai (et surtout pour les
pauvres complexés que nous sommes), et l’on œuvre, consciemment ou
non, à tout faire capoter. Autre cas de figure : l’autre s’intéresse à nous,
mais nous allons lui opposer systématiquement des arguments pour lui faire
comprendre qu’il se trompe à notre sujet. Non, nous ne sommes ni gentils,
ni intelligents, ni mignons, ni drôles, ni sympathiques, ni bienveillants, ni
rien d’ailleurs de positif. Et c’est ainsi que nous passons à côté d’une foule
de choses et de gens merveilleux, qui nous veulent du bien et avec lesquels
nous serions heureux. Et c’est ainsi que nous passons à côté de notre vie.
Donc, ça, nous sommes bien d’accord, c’est terminé ! À bon entendeur,
merci !
Le mot et l’idée
S’aimer soi-même est le début d’une histoire d’amour qui durera toute une vie.
OSCAR WILDE, ÉCRIVAIN

La tactique défensive a tout faux


Lorsque l’autre nous adresse des critiques ou des commentaires
désobligeants sur nos signes distinctifs (ou sur autre chose), qu’avons-nous
tous tendance à faire ? C’est comme instinctif, nous avons tendance à nous
défendre. Et à expliquer pourquoi ceci et pourquoi cela. C’est une grosse
erreur. Pourquoi ? Parce que les critiques ou les commentaires de l’autre
vont alors gagner en intensité. Mais comment est-ce possible ?! En fait,
c’est paradoxal, mais chaque fois que nous nous défendons, nous donnons
des munitions à l’autre. Rappelez-vous le triangle de Karpman (voir
chapitre 4), lorsque l’autre nous attaque, imaginez-le sur un ring avec des
gants de boxe. Il s’ennuie tout seul et il a envie de se confronter à un
adversaire. Vous passez dans les parages, qu’à cela ne tienne, par sa critique
ou son commentaire, il vous invite à le rejoindre et à jouer avec lui. Et
comment acceptez-vous son invitation ? En répondant par la défensive à sa
critique ou son commentaire.
Cela ne veut évidemment pas dire que l’on doit tout accepter. Cela veut
dire que nous devons adopter une approche différente, pour que l’autre se
trouve un autre partenaire ou descende du ring. L’idée est de tuer dans l’œuf
tout échange irrationnel et de refuser de se prêter au jeu du punching-ball
(avec nous dans le rôle du punching-ball).
Par exemple, l’autre se moque de notre nom de famille, de notre tenue
vestimentaire, de notre cheveu sur la langue. Invariablement, une émotion
va naitre chez nous, en principe, la surprise, la tristesse et/ou la colère. Soit.
À nous ensuite de reprendre la main. Et de répondre calmement :
« Pourquoi tu me dis ça ? » ou « Qu’est-ce que cela t’apporte de me dire
ça ? » Je peux vous garantir que l’effet de surprise sera palpable. Nous
n’avons pas répondu à son invitation. Nous lui demandons pourquoi il nous
invite, c’est très différent. La réponse de l’autre importe peu, ensuite, parce
que nous avons brisé un schéma. L’autre va peut-être rire ou en rajouter
avec ses commentaires, parce qu’il se sent désarçonné et pris au dépourvu,
il ne sait plus quoi répondre, puisqu’à la base, ce qu’il voulait, c’était juste
de nous attirer sur le ring. S’il tente une explication, un « ah » suffira. Puis
nous passons à autre chose sans plus nous occuper de l’autre, parce que
nous avons bien d’autres choses beaucoup plus intéressantes à faire.
Rappelez-vous que celui qui est bien dans sa peau et dans sa tête n’a
jamais besoin d’attaquer ou de se moquer de qui que ce soit.

À vous de jouer !
Notez la phrase suivante sur votre cahier et encadrez-la : « Jamais de
justification ni d’explication quand l’autre fait un commentaire désobligeant
sur mes particularités. » (Et, bien évidemment, jamais de raisonnements
toxiques et de pensées irrationnelles, mais ça, vous le savez déjà et vous le
mettez déjà en action !)
Dorénavant, surveillez attentivement vos réponses face à une attaque.
Visualisez l’autre sur un ring et rappelez-vous qu’à chaque argument que
vous lancez, vous faites un pas de plus vers le ring et les jeux de
manipulation psychologique malsains. Réfléchissez à des situations que
vous avez connues et aux tactiques que vous aviez adoptées. D’après vous,
que se serait-il passé si vous n’aviez pas cherché à vous justifier ou à vous
expliquer ? Si jamais une situation analogue se reproduisait, vous saurez
donc comment la gérer. (Pensez à tout consigner sur votre cahier, ce sera
utile pour suivre vos progrès.)

Le divan du psy
Savez-vous que le « ah » est l’interjection favorite des thérapeutes ?
Pourquoi ? Parce qu’elle n’implique pas. En disant « ah », je n’approuve
pas ce que j’entends et je ne désapprouve pas ce que j’entends, j’acte
simplement ce que j’entends, sans aucun engagement de ma part. Je suis
alors dans la neutralité absolue. Pratique, non ? Alors, la prochaine fois que
vous monterez sur la balance et que vous aurez pris quelques kilos, vous
connaissez la seule chose que vous pouvez vous permettre de vous
adresser… Ah ?!

La communication non violente


Il existe également une méthode pour à la fois exprimer son besoin et son
ressenti, tout en désarmant son interlocuteur. Il s’agit de la communication
non violente, ou CNV, un concept élaboré dans les années 1970 par le
psychologue américain Marshall Rosenberg. C’est une méthode de
communication qui vise à résoudre des conflits, améliorer les relations et
rétablir du lien entre soi et l’autre. Elle repose sur quatre fondamentaux :
l’observation, le sentiment, le besoin et la demande.
On commence par 1/l’observation. Il s’agit d’observer sans évaluer,
autrement dit, de rester sur le constat neutre et factuel d’une situation qui
affecte mon bien-être. Par exemple : « Quand je vois ceci, quand j’entends
cela… » Puis on poursuit avec 2/le sentiment. On exprime ce que l’on
ressent face à la situation que l’on vient de décrire. Par exemple : « Je me
sens comme ceci, je me sens comme cela… » Et l’on fait part de 3/notre
besoin. Il s’agit d’énoncer le besoin qui n’est pas satisfait et qui a donné
naissance au sentiment que l’on vient de nommer. Par exemple : « J’ai
besoin de ceci, j’ai besoin de cela… » Il ne reste plus qu’à formuler 4/la
demande. Il ne s’agit bien entendu pas d’exiger quoi que ce soit ni
d’intimider l’autre, et encore moins de le menacer. Il s’agit d’exprimer à
l’autre une demande sous forme de question, afin de déclencher une action
ou un comportement qui contribuera à mon bien-être et satisfera mon
besoin. Par exemple : « Serait-il possible de… j’aimerais ceci ou cela ».
Bien évidemment, il n’est pas garanti que l’autre accède à notre demande,
on lui laisse le choix, chacun gérant ses propres responsabilités.
Par exemple :
1. Observation : « Chaque fois que nous nous rencontrons, tu me
fais des commentaires sur mon nez. »
2. Sentiment : « Je ressens alors beaucoup de tristesse et un peu de
colère. »
3. Besoin : « J’ai besoin de me sentir à l’aise et de parler d’autre
chose que mon physique. »
4. Demande : « Aussi, serait-il possible de ne plus aborder ce
sujet ? »

Bon, bien évidemment, la méthode nécessite un peu de pratique, mais elle


peut rendre de grands services et permettre une nette amélioration des
relations, surtout avec des proches ou des personnes que l’on voit plus ou
moins régulièrement. En effet, nous aurons pu réfléchir aux situations qui
nous embarrassent et mettre au point le schéma
observation/sentiment/besoin/demande. La CNV fonctionne très bien avec
les complexes, parce qu’au fond, la plupart des gens qui nous blessent ne le
font pas nécessairement exprès, et formuler une demande de manière
construite et pacifique a de grandes chances de résoudre le problème une
fois pour toutes.

À vous de jouer !
Identifiez des situations qui vous embarrassent avec l’autre quand il cible
vos particularités. Puis, en vous inspirant du schéma
observation/sentiment/besoin/demande de la CNV, formulez ce que vous
souhaiteriez communiquer à l’autre. Une fois le schéma personnalisé avec
vos expériences, vérifiez qu’il suit bien le descriptif : « Quand je
vois/j’entends… alors je me sens… parce que j’ai besoin de… et j’aimerais
savoir/que tu me dises/que tu fasses… » Il ne vous reste alors plus qu’à
mettre en pratique vos modules CNV et exprimer à haute voix ce que vous
avez exprimé par écrit. Un petit conseil : effectuez votre demande en tête à
tête, pas devant un public, même des connaissances proches. Vous n’avez
pas besoin de témoins et, surtout, même en langage CNV, chacun réagit à sa
manière et l’autre pourrait se sentir heurté. Mettons donc toutes les chances
de notre côté !

Socrate a plus d’un tour dans sa passoire


Nous avons déjà parlé des passoires de Socrate (voir chapitre 11) pour
gérer les pensées, mais la technique peut également s’appliquer à la gestion
des paroles de l’autre, en complément ou en remplacement de la
communication non violente. Pour rappel, avant d’accepter d’écouter les
histoires et potins des uns et des autres, Socrate passait d’abord les
intentions au tamis de ses passoires et demandait si l’information était
réelle, bienveillante et utile. Utilisons cette technique pour répondre à
l’autre.
Si, par exemple, je suis la cible de paroles que je juge désobligeantes et/ou
qui me déstabilisent ou m’attristent, je peux ainsi demander à mon
interlocuteur, très calmement (et avec un sourire, c’est encore mieux – pour
moi) : « Je vais te poser trois questions. D’après toi, me dire que j’ai un
gros nez et que mes oreilles sont décollées est-il vrai ? Oui, d’après toi, mon
nez est gros et mes oreilles sont décollées. OK. Maintenant, d’après toi, est-
ce que me le dire te semble bienveillant ? Non, ça ne l’est pas. Et d’après
toi, est-ce que me le dire te parait utile ? Qu’est-ce que ça m’apporte que tu
me dises que mon nez est gros et mes oreilles décollées ? Ça ne m’apporte
rien d’intéressant. Par conséquent, je te propose d’oublier cet échange et de
parler d’autre chose. » Et bien entendu, on passe vraiment à autre chose et
on lâche prise, puisqu’on a dit ce qu’on avait à dire et que l’incident est
clos. Si l’autre présente des excuses ou tente de s’expliquer, on peut le
laisser s’exprimer quelques instants, mais l’idée n’est pas de le mettre mal à
l’aise ni de jouer au jugement de Salomon. L’idée est de ne conserver
aucune empreinte négative de l’échange et de faire en sorte que la situation
ne se représente pas.
Vous remarquerez que j’utilise sans cesse le « je ». C’est le « je » de
responsabilité, c’est-à-dire que je prends la responsabilité de ce que je dis et
je l’assume, c’est le principe même de l’affirmation de soi. Il ne s’agit en
aucun cas du « je » de « moi, je suis le plus beau, le meilleur, etc. » qui est
le « je » égocentrique.

À vous de jouer !
Réfléchissez à des échanges qui ont pu vous blesser et transposez-les ici et
maintenant. Puis imaginez ce que vous auriez pu répondre avec le jeu des
trois passoires de Socrate. Puis, si une situation analogue se reproduit,
gérez-la avec l’aide de Socrate et consignez le dialogue dans votre cahier en
indiquant également vos ressentis. Si cette méthode vous convient mieux
que la CNV, n’hésitez pas à l’employer. Elle est sans doute plus directe,
mais fonctionne très bien, et cerise sur le gâteau, elle renforce la confiance
et l’affirmation de soi.

Changer quoi et pour quoi faire


Nous l’avons vu, le changement le plus important et le plus constructif
consiste à travailler sur soi-même pour s’accepter tel que l’on est, avec ses
particularités. Parce que, dès lors, ces particularités perdront leur effet
polarisant et les complexes n’auront plus lieu d’être. Il existe toutefois
d’autres changements, plus invasifs, qui ciblent directement les
particularités. Une intervention chirurgicale, un régime alimentaire, un
changement d’état civil, une nouvelle garde-robe, une reprise de cours
universitaires, etc. Il ne nous appartient pas ici d’apporter de jugement ni de
recommandation sur ces méthodes, mais il est néanmoins pertinent de
s’interroger avant de se lancer dans des travaux de grande envergure et
parfois irréversibles.
Par exemple, si je décide de changer mon prénom ou mon nom de famille
pour mettre un terme aux quolibets de l’autre, qu’est-ce que je change en
réalité ? Est-ce que je serai toujours la même personne ? J’ai juste changé le
prénom ou le nom, mais est-ce que je retrouve une nouvelle identité, est-ce
que j’ai perdu la mienne ? Pourquoi est-ce si important pour moi
d’abandonner mon prénom ou mon nom, alors qu’ils m’ont été donnés en
cadeau ? Autre exemple, j’ai honte de ma profession. Elle me fait vivre,
mais j’en ai honte quand même. Ce n’est pas assez « ronflant » comme job !
Et puis, je n’ai pas de diplôme, ou alors, un diplôme qui ne vaut pas grand-
chose. Vous l’avez deviné, ne pas avoir de diplôme, c’est du factuel. Dire
que notre diplôme ne vaut pas grand-chose, c’est du jugement et de
l’interprétation. Quoi qu’il en soit, je suis complexé par mon job et mon peu
d’éducation universitaire, aussi, je fais tout pour me sortir de ça, je passe le
plus clair de mon temps à m’instruire, même si j’ai beaucoup d’expérience
et de compétences dans ce que je fais actuellement, et qu’au fond, ça me
plait bien quand même. Pour preuve, je me suis même inscrit à des cours du
soir qui m’épuisent et m’ennuient profondément, mais c’est pour mon bien.
Vraiment, c’est pour mon bien ou pour mon ego ? Découvrir de nouvelles
choses, s’intéresser à de nouveaux domaines, être en alerte devant la
nouveauté, c’est merveilleux ! D’ailleurs, chacun de nous devrait chercher à
apprendre et connaitre de nouvelles choses, mais encore faut-il qu’elles
nous intéressent un minimum. Si je suis passionné par les poupées Barbie et
que je me force à apprendre les règles du football, sport que je déteste,
qu’est-ce que je gagne dans l’équation ? Et si l’on regarde autour de nous,
est-ce que les diplômes garantissent l’intelligence, la culture et la profession
idéale ? Est-ce que je serai plus heureux avec un diplôme sur la physique
quantique alors que les chiffres me donnent des sueurs froides et que je
préfèrerais en réalité employer ce temps à découvrir des œuvres de street
art ? Je ferai peut-être un petit effet autour de moi, mais après ? Il en restera
quoi ?
Loin de moi l’idée de décourager l’action, c’est même tout le contraire,
mais avant de se lancer tête baissée dans des solutions qui paraissent
séduisantes et promettent d’abolir les complexes, je suggère de se demander
d’abord pourquoi on tient tant que ça à modifier ses particularités. Est-ce
que l’on ne perd pas une partie de soi avec leur ablation ? Est-ce
qu’apprendre à accepter et aimer nos particularités n’est pas le plus beau
cadeau que l’on puisse se faire ? Lorsque l’on voit au-delà des apparences,
au-delà de ce qui est visible, est-ce qu’on ne se rapproche pas de l’essence
même de l’humanité, pour vivre ce que l’on a à vivre, en se déparant de
tous les oripeaux artificiels que l’on traine avec soi depuis tant d’années ?
Est-ce que l’on ne se recentre pas sur l’essentiel ? Est-ce que l’on ne rend
pas hommage à des valeurs plus profondes que les diktats de l’apparence ?
De toute manière, une chose est certaine : l’acceptation et l’amour de soi
nous permettent d’alléger nos souffrances jusqu’à les supprimer et d’œuvrer
dans notre meilleur intérêt. Par ailleurs, la bienveillance de notre nouveau
regard sur nos particularités favorise l’affranchissement du regard de l’autre
et des démarches visant à le satisfaire par tous les moyens. Nos relations
avec nous-mêmes changent alors, et celles avec les autres aussi.

Confidences en aparté
Mon parcours d’acceptation aura pris du temps, mais comme vous le
savez à présent, c’est le processus qui importe. Après mon régime et avoir
perdu plusieurs dizaines de kilos, l’apparence et le regard de l’autre
comptaient tellement pour moi que j’ai mis ma santé en danger. Comme je
ne me trouvais jamais assez mince, j’étais en permanence au régime et je ne
connaissais que les privations. Je m’affamais littéralement. Jusqu’à ce que
je craque de nouveau et reprenne quelques kilos (jamais jusqu’à l’obésité).
Alors, le régime reprenait de plus belle. Et bien entendu, tout au long du
yoyo, vous pouvez deviner les injonctions et les reproches que je
m’adressais à moi-même. À cela s’ajoutait mon apparence physique.
Les prises et pertes de poids avaient étiré mon épiderme et laissé, comme
je l’ai déjà mentionné, de grosses vergetures, semblables à des crevasses
peu esthétiques. Pour retendre ma peau qui était très relâchée, j’avais
entrepris de pratiquer la musculation en salle. Mais j’avais beau m’épuiser,
mon corps restait mon corps et ne ressemblait pas à ce que je voulais. Loin
de là, d’ailleurs. Les séances de tortures d’abdominaux ou pectoraux ? Du
vent ! Aucun effet visible sur moi. Je m’épuisais aussi aux activités de
cardiotraining, tapis de course, escaliers, etc. Je me forçais, bien entendu,
parce que ça ne me plaisait pas. Et je forçais jusqu’à mes limites. D’ailleurs,
une séance manquée déclenchait en moi une vague de panique, car
j’imaginais les kilos revenir en force. Jusqu’à ce qu’en dépit des alertes de
mon organisme, je dépasse la mesure et que je doive me faire opérer d’un
genou. Vous imaginez mon désarroi. Pas seulement en raison de
l’intervention chirurgicale qui me terrorisait, mais aussi en raison de la
longue convalescence qui a suivi, avec interdiction d’efforts musculaires
intenses. J’ai alors repris du poids. Puis j’en ai reperdu. Et j’en ai repris.
Puis je me suis lancé dans un travail d’acceptation et j’ai réappris à
m’aimer et à m’écouter. Je me suis rendu compte que mes vergetures
n’étaient rien d’autres que les hiéroglyphes narrant mon histoire, mon mal-
être et mes complexes. Je les ai acceptées pour ce qu’elles sont : une partie
de moi-même. J’ai accepté aussi le fait que ma peau soit relâchée et j’ai
réappris à me regarder dans le miroir, sans baisser les yeux ni me couvrir
immédiatement pour ne pas apercevoir mon corps bien en chair. En
m’acceptant tel que je suis, j’ai pu faire la paix avec moi-même et, surtout,
j’ai pu concentrer mon attention et réserver mon énergie à des choses qui en
valaient la peine. Je ne me tue plus la santé dans une salle de sport tapissée
de miroirs, je fais du vélo en plein air depuis plusieurs années, ce qui me
procure un plaisir immense. Je ne m’affame plus, je mange ce qui me fait
envie en essayant d’être raisonnable, ce que je ne suis pas toujours et ce que
j’assume totalement. Avec du recul, je me dis : que de temps perdu et de
larmes inutiles versées ! Puis je me raisonne, parce qu’en réalité, peu
importe, ce qui compte vraiment, c’est d’être bien avec moi-même
aujourd’hui. Avec mon embonpoint, mes vergetures… et mon sourire.

La tribune est à vous !


Avez-vous connu des périodes de yoyo dans la gestion de vos complexes ?
Des moments où vous vous sentiez mieux et d’autres moins bien ? Quelle en
était la raison ? Vous êtes-vous déjà mis en danger à cause de vos
complexes ? Comprenez-vous à quel point l’acceptation et l’amour de soi-
même sont importants et comment ils peuvent inverser la tendance ?

À chacun ses joujoux


Lorsque nous affrontons le regard désobligeant de l’autre sur nos
particularités depuis un certain temps ou pas, il est parfois tentant de lui en
vouloir. Mais si nous cédons à cette forme de ressentiment, voire de haine,
c’est plutôt nous que nous desservons, pas l’autre. Pardonner, c’est renoncer
à juger et à punir, ce n’est pas oublier. C’est décider que l’on ne veut plus
s’encombrer ni dépendre de la haine et du ressentiment envers ceux qui
nous ont blessés. C’est décider de se libérer d’eux. Et toute forme de
libération œuvre à notre mieux-être. L’idée est de laisser à l’autre ce qui lui
appartient et de se recentrer sur soi-même. De toute manière, en s’acceptant
et en s’aimant soi-même, on retrouve un état d’apaisement et de sérénité
peu propice au ressentiment. Cela signifie qu’on est passé à autre chose.
Tout le monde y gagne.
13
Enfin libre !
Être libre, c’est ne pas être en captivité, c’est ne pas être soumis à des
contraintes, c’est ne pas être entravé, c’est avoir la possibilité de penser,
d’agir et de s’exprimer selon ses propres choix. Une personne complexée
n’est pas libre, puisque ses réactions, ses pensées et ses sentiments sont liés
à l’autre. Mais à mesure qu’elle accepte ses particularités, qu’elle renoue
avec elle-même et qu’elle réapprend à s’aimer, les verrous vont sauter et les
portes de la cage vont s’ouvrir. En grand.

Les thérapies comportementales et cognitives


Comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, tout au long
de cet ouvrage, nous avons utilisé des méthodes empruntées aux thérapies
comportementales et cognitives sans nous en rendre compte. Les thérapies
comportementales et cognitives, abrégées par l’acronyme TCC, expliquent
un comportement inadapté (par exemple, nos réactions face au regard de
l’autre) comme la résultante d’apprentissages liés à des expériences
antérieures survenues dans des situations analogues et maintenues par
l’environnement. Nous en avons parlé, ce sont notamment les pensées
automatiques et les raisonnements toxiques qui agissent comme des
réflexes.
Les TCC proposent de déconditionner les croyances et comportements
erronés et de leur opposer un questionnement systématique, de manière à
reprendre pied avec la réalité et soi-même. C’est ce que nous faisons ici en
réécrivant nos réactions, en démystifiant nos croyances et en redonnant du
sens à nos interprétations. Les TCC présentent plusieurs avantages :
d’abord, elles donnent d’excellents résultats (leur efficacité, testée
cliniquement depuis plusieurs dizaines d’années, est reconnue par la
communauté scientifique internationale), ensuite, elles sont simples à
mettre en place, et de surcroit, elles sont brèves.
Les techniques des TCC varient en fonction des pathologies et peuvent
faire appel à la désensibilisation systématique, l’exposition en situation, la
relaxation, le travail sur les habiletés sociales, etc. Tout au long de
l’ouvrage, nous avons utilisé ces mêmes méthodes, accessibles et efficaces.
L’autre avantage des TCC est de miser sur le présent et la pratique. En effet,
elles cherchent avant tout à soulager le patient aussi rapidement et
concrètement que possible, sans s’attarder sur ses expériences passées. Par
ailleurs, les TCC ciblent la problématique, le point qui pose un problème, et
non pas le patient lui-même. En cela, elles se démarquent des
psychothérapies analytiques traditionnelles qui invitent à se pencher sur soi-
même et son passé, quitte à ouvrir la boite de Pandore. Bien entendu, il
n’est pas question de confronter les deux méthodes, différentes, certes, mais
loin d’être incompatibles. L’une n’empêche pas l’autre.
Grâce aux exercices proposés dans l’ouvrage, nous pouvons évaluer nos
progrès et vérifier les premiers résultats assez rapidement. Et lorsqu’on voit
que quelque chose fonctionne, on est d’autant plus motivé à poursuivre le
travail. Mais on se rappelle bien que la perfection n’existe pas, on se félicite
de nos efforts et l’on fait preuve de patience et de bienveillance envers soi.
Par ailleurs, les TCC ciblant les problématiques, une fois que l’on maitrise
un sujet, on peut progressivement réduire la fréquence des exercices,
jusqu’à leur arrêt complet. Toutefois, si les troubles ressurgissent, il suffit
de reprendre ces exercices et de les pratiquer à un rythme modéré, jusqu’à
atténuation et disparition des symptômes.

Le mot et l’idée
On a besoin de patience avec tout le monde, mais particulièrement avec soi-même.
SAINT FRANÇOIS DE SALES, PRÉLAT, SAINT PATRON DES JOURNALISTES ET DES ÉCRIVAINS

Tiens-toi droit !
Nous avons principalement axé notre travail sur la pensée, la parole et les
émotions, parce qu’elles sont à la base de nos complexes, mais accordons
quelques instants à tout ce qui est non verbal, vous savez, les signes que
notre corps émet, qui peuvent paraitre anodins, alors qu’au contraire, ils
sont très importants, car des outils de communication capables de nous
« trahir » si l’on n’y prend pas garde. La communication dite non verbale,
puisqu’indépendante de nos paroles, correspond à l’expression du visage,
aux contacts visuels, à la gestuelle et aux postures du corps. Ainsi, le corps
peut émettre et transmettre un message très efficacement, sans que l’on ait
besoin de parler, mais parfois, son message n’est pas du tout en accord avec
notre discours. À notre insu, le corps s’exprime et envoie de nombreuses
informations à l’autre. Un exemple que chacun connait : une personne qui
affirme qu’elle a entière confiance en vous et qui se tient les bras croisés sur
la poitrine n’a sans doute pas autant confiance en vous qu’elle le prétend,
puisque sa posture est défensive.
À présent, rapportons la communication non verbale aux complexes.
D’après vous, qu’est-ce que le corps d’une personne complexée envoie
subrepticement à l’autre et comment s’y prend-il ? Sans s’en rendre compte,
notamment parce que c’est devenu une habitude, la personne complexée se
tient par exemple souvent voûtée, la tête un peu baissée, le regard parfois
fuyant, le geste et le sourire nerveux, ou alors son corps sera en grande
tension, comme prêt à s’enfuir à toute vitesse (conséquence de l’alerte
émise par l’émotion). Et même si la personne affirme verbalement qu’elle
va bien et qu’elle se sent à l’aise avec ses particularités, son corps, lui, dit
tout le contraire. En fait, c’est comme si elle voulait disparaitre, s’excuser
d’exister ou d’être comme elle est. Le message n’est pas seulement envoyé
à l’autre, il est aussi envoyé à soi-même.
Heureusement, à mesure que nous allons mieux et que nous faisons la
paix avec nous-mêmes, la communication non verbale s’adapte peu à peu.
Mais comme il est des automatismes qui refusent de céder du terrain, à nous
de les y aider. Très simplement. Il suffit de vérifier quelques points chaque
fois que nous rencontrons l’autre. Cette vérification, un peu comme on
vérifie les freins et la hauteur d’une selle de vélo, deviendra à son tour un
automatisme qui prendra le relais des anciens mécanismes. Donc
dorénavant :

Je vérifie que je me tiens le plus droit possible, quelle que soit la


circonstance ou quel que soit l’interlocuteur, mais sans me contracter.
Au besoin, je m’entraine devant un miroir. En plus, j’ai tout à gagner,
car je ressentirai beaucoup moins de tension au niveau des cervicales
et une plus grande aisance vertébrale. Quand je me tiens droit et que
je redresse les épaules, j’affirme mon existence et ma légitimité à
être ici et maintenant. J’assume aussi l’intégralité de mon être,
particularités comprises.
Même si le rouge me monte aux joues pour une raison ou une autre,
je souris et je regarde mon interlocuteur dans les yeux. Je m’entraine
devant un miroir avec moi-même ou avec des amis. Quand je regarde
l’autre dans les yeux, je montre que je suis heureux de le voir ou que
je le respecte, et aussi que je suis heureux d’être moi et que je me
respecte. Je dis aussi que je n’ai rien à cacher et que je n’ai aucune
honte à propos de quoi que ce soit.
Quel que soit l’émotion, la pensée ou le sentiment du moment, je
relève la tête. Je ne porte pas un bonnet d’âne, je ne suis pas un
enfant de six ans qui a fait une grosse bêtise et qui vient de se faire
gronder, je ne suis pas au Japon où l’on incline la tête pour saluer son
interlocuteur, je suis moi et c’est très bien ainsi. En relevant la tête, je
respire mieux, et mon regard peut embrasser tout mon
environnement. Je m’affirme et je prends confiance. J’œuvre donc
dans le bon sens.
Si ce que l’on me dit me blesse ou fait naitre une émotion en moi, je
me rappelle que je ne suis pas un pauvre être démuni et sans défense,
et que j’ai toutes les capacités pour tout gérer parfaitement. Par
conséquent, je ne croise pas les bras sur ma poitrine et je ne gesticule
pas dans tous les sens, je reste calme et aussi immobile que lorsqu’un
bus accordéon passe à mes côtés à vélo. Je sais que si je m’affole, je
risque d’avoir un accident. Donc j’attends que le bus m’ait dépassé
pour envisager quoi que ce soit.

Autre avantage de la démarche, et non des moindres, comme le cerveau


ne sait pas traiter plusieurs pensées simultanées (il les traite l’une après
l’autre), s’il est occupé au contrôle technique de ma communication non
verbale, il ne peut pas en même temps envoyer de pensées paniquantes ou
erronées. En d’autres termes, quand je pense à ma posture, je court-circuite
tout le reste, si bien que je m’aide sur tous les plans !

À vous de jouer !
Sur votre cahier, notez les quatre vérifications de l’expression non
verbale : posture, regard, port de tête et gestuelle. Puis, chaque fois que
vous vous trouverez face à un interlocuteur, vérifiez automatiquement et
systématiquement ces quatre points et, bien entendu, corrigez-les au besoin.
Vous serez étonné de l’impact de ces modifications corporelles. Au fur et à
mesure, vous le ferez d’ailleurs sans y penser. Au besoin, observez-vous
régulièrement, par exemple dans le reflet d’une vitrine, d’un miroir ou
d’une voiture. Au début, il peut être utile de lister par écrit les corrections
que vous apportez à votre communication non verbale et de tenir une sorte
de journal. Par exemple : « Mardi, j’ai rencontré Machin ou Bidule au café,
et je me suis redressé et j’ai décroisé les bras. »

L’arc de Gallien
Dans la Rome antique, pour célébrer et honorer le retour des vainqueurs
de quelque conquête, on érigeait des arcs de triomphe sous lesquels
passaient les vaillants guerriers, acclamés par une foule en liesse. Comme
l’arc de Gallien, élevé en l’honneur de l’empereur du même nom en 260
apr. J.-C. Eh bien, à notre tour de nous élever un arc de triomphe pour fêter
nos progrès et nos réussites. Hélas, nous risquons d’avoir quelques
difficultés à convaincre notre mairie locale de nous délivrer un permis de
construire. Aussi, faisons chic et cheap, chaque soir, nous allons nous
envoyer un SMS ou un mail pour nous féliciter de trois accomplissements
liés à nos complexes. Il est également possible de s’écrire un petit billet
papier et de le ranger ensuite dans une grande enveloppe ou une petite boite
(dans ce cas, il faut bien dater le billet). Par exemple, je pourrais m’envoyer
le message suivant : « Cher Olivier, bravo pour avoir gardé le sourire
malgré la réflexion désobligeante de Martine. Bravo pour avoir résisté au
découragement après la pesée chez le médecin. Bravo pour avoir identifié le
mécanisme toxique et erroné qui revient chaque fois que tu vois Patrick. Tu
peux être fier de toi ! À demain pour de nouvelles aventures ! »
L’objectif est clair et très simple : renforcer notre estime, notre confiance
et notre affirmation de soi, souligner nos progrès et accomplissements, et
encourager nos efforts.

Le mot et l’idée
Ce qui importe, c’est de connaitre son propre talon d’Achille, vivre avec et surtout ne pas
le combattre.
MARLENE DIETRICH, ARTISTE

Le jeu du miroir
De nombreuses personnes complexées ont une sorte d’aversion pour le
miroir, qui reflète ce qu’elles souhaitent dissimuler ou changer.
Contrairement aux narcissiques, qui pourraient se perdre dedans, les
complexés redoutent le passage devant le miroir et privilégient la stratégie
de l’évitement, qui leur parait plus simple pour échapper à leur propre
regard. Mais lorsque l’on évite quelque chose, ce quelque chose prend une
signification de plus en plus importante, démesurée… et illusoire. Savez-
vous que certaines personnes ont même banni tout miroir de leur domicile ?
Pour diverses raisons, mais toujours avec les mêmes objectifs : refuser
consciemment son reflet dans la glace (et ailleurs) et entretenir
inconsciemment les complexes (et le mal-être). Dans notre intérêt, nous
allons donc tourner la page et entamer une nouvelle histoire d’amitié avec
le miroir et d’amour avec notre reflet.
Si quelqu’un a une phobie des manèges de foire, bien évidemment, on ne
va pas l’inciter à débuter par un tour de Grand Huit ! On va plutôt l’inviter
au toboggan et au tourniquet pour débuter son initiation. Pour le jeu des
miroirs, c’est la même chose. Deux aspects sont à considérer : l’exposition
et la durée de cette exposition.
Par la force des choses, nous avons tous au moins un miroir dans la salle
de bain, au-dessus du lavabo. Ce miroir, nous pouvons le détester et, une
fois devant, nous accabler de réflexions et de pensées épouvantails (voir
chapitre 11). Alors, à partir de maintenant, vous allez tuer dans l’œuf toute
pensée ou parole épouvantail, de manière à adopter une approche neutre. Ce
que le miroir vous reflète n’est ni bien ni mal, il est, du verbe être. Pas de
jugement, pas d’interprétation.
Pour le moment, l’initiation commence avec un miroir de poche, vous
savez, ces petits miroirs ronds ou carrés qui permettent de se maquiller ou
de placer correctement ses lentilles de contact. Choisissez le modèle qui
vous plait. Puis, chaque jour, de préférence le soir, promenez ce miroir sur
votre visage et votre corps. Complimentez-vous sur ce que vous voyez : le
grain de la peau, des lèvres bien dessinées, de jolis ongles… N’évitez pas
les particularités qui vous gênent, mais ne vous y attardez pas non plus.
Tout doit avoir été passé devant le miroir, corps et visage. Bien entendu,
aucune réflexion désobligeante. Vous bloquez le mental. Effectuez ceci
pendant une dizaine de jours.
Il est alors temps d’acquérir un miroir de rasage. C’est un miroir
rectangulaire ou rond d’une bonne vingtaine de centimètres. Vous allez
répéter l’opération du miroir de poche avec ce miroir de rasage. Cette fois,
vous allez explorer votre enveloppe physique en caressant délicatement,
sans insister, chaque centimètre de votre épiderme (corps et visage) passé
devant le miroir. Lâchez prise, résistez à toute pensée polluante et tout autre
mécanisme automatique, et vivez en pleine conscience le moment présent.
Vous devez être dans l’ici et le maintenant et apprécier l’expérience
sensitive, c’est-à-dire relative aux cinq sens. Il s’agit de redécouvrir le
toucher et de refaire connaissance avec son corps et son visage. Répétez
l’opération chaque soir pendant une dizaine de jours.
Au terme de ces vingt jours, devant le miroir de la salle de bain, vous
allez apprendre à vous sourire. Chaque fois que vous serez devant ce miroir
ou un autre miroir, quel qu’il soit (ascenseur, boutique, toilettes
publiques…), vous offrirez un sourire à votre reflet. Par ailleurs, vous ferez
en sorte de passer aussi souvent que possible devant des vitrines de
boutiques et/ou des portes vitrées d’immeubles ou de maisons, et/ou vitres
de voitures. Qu’importe le support, tant que le matériau permet de réfléchir
la silhouette ou le visage. Attention quand-même où vous mettez les pieds.
Toujours aucune pensée polluante ni aucun jugement de valeur. Cette phase
dure une semaine dans le programme, mais elle sera à poursuivre tout le
temps.
Si vous n’en possédez pas un chez vous, faites l’acquisition d’un miroir
sur pied (il en existe de très abordables dans les magasins de bricolage,
moins d’une vingtaine d’euros). Peu importe ses dimensions exactes, mais
vous devez pouvoir vous voir dedans des pieds à la tête à une distance
raisonnable. Installez le miroir, même temporairement, simplement posé
contre un pan de mur, dans un endroit où vous passez régulièrement.
Chaque fois que vous passez devant, attardez-vous pendant au minimum
cinq secondes et souriez à votre reflet. Tout en poursuivant la manœuvre
pendant une semaine, répétez la phase du miroir de rasage.
Puis installez le miroir sur pied dans un endroit intime, par exemple votre
chambre à coucher ou une pièce dont la porte ferme à clé. Vous vous
posterez alors devant ce miroir et vous vous déshabillerez puis vous
rhabillerez. À aucun moment, vous ne fuirez votre reflet. Si vous ne vous
regardez pas pendant quelques secondes, c’est pour ne pas perdre
l’équilibre, mais c’est tout. Et n’oubliez pas de vous sourire. Cet exercice
est à effectuer pendant une semaine.
La dernière étape consiste à se déshabiller devant le miroir et s’y attarder.
En souriant avec bienveillance, observez-vous. Tournez sur vous-même,
admirez-vous, contemplez vos particularités. Réfrénez toute pensée
négative ou désobligeante. L’expérience reste axée sur le ressenti, pas le
mental. Comptez cinq minutes devant le miroir, chronomètre ou réveil à
portée de main. Tout en vous regardant dans le miroir, dites-vous : « Je me
plais tel que je suis. Je suis parfait tel que je suis. » Répétez cette étape
pendant une quinzaine de jours.
Au terme de ce programme, vous aurez fait à nouveau connaissance avec
vous-même et votre enveloppe corporelle. Comme tout processus
d’adaptation et de réappropriation, vous pouvez vous sentir un peu remué.
C’est tout à fait normal et la preuve que quelque chose d’important est en
train de se passer. Si les larmes vous viennent, ne les intellectualisez surtout
pas et laissez-les couler. Soyez toujours dans la bienveillance et la douceur
envers vous-même et votre corps. Et aussi dans l’humour. Un indice
imparable de succès serait par exemple de se regarder dans le miroir et de
s’écrier : « Hum, mais qu’est-ce que je suis appétissant, moi, alors ! » ou
« Ah, je ris de me voir si belle ! » puis d’éclater d’un rire joyeux et
complice.
Ce programme cible tous les complexes physiques visibles en inertie.
Pour d’autres complexes, comme une particularité d’élocution, on peut
adapter le programme en utilisant un enregistreur. On enregistre sa voix,
puis on l’écoute peu à peu. D’abord avec de simples mots puisés au hasard
dans le dictionnaire, puis un texte littéraire ou un extrait de journal. Puis on
parle librement de ce que l’on ressent et on conclut toujours par une phrase
comme : « Ma voix et mon élocution sont parfaites comme elles sont. Je me
plais beaucoup tel que je suis. »
Le jeu du miroir est aussi particulièrement efficace et nécessaire pour
apprivoiser le complexe de l’âge. Parce que plus que n’importe quel autre
complexe physique, le complexe de l’âge est intimement lié à l’apparence, à
la superficialité et au refus de l’acceptation de la réalité (et aussi à la peur
exacerbée de la mort, mais ça, c’est un autre sujet). Lorsque je travaillais en
entreprise, une de mes collègues était très complexée par son âge et avait
décrété, par exemple, ne plus accepter de se faire photographier sans ses
lunettes de soleil, afin de masquer ses ridules autour des yeux qui, selon
elle, « trahissaient » sa date anniversaire. Un matin, elle était arrivée avec
des espèces de brûlures sur tout le visage et avait annoncé à la ronde, avant
que personne n’émette la moindre question : « Ce n’est pas de la chirurgie
esthétique, c’est un problème de couperose. » Personne n’a fait de
commentaire. Il est essentiel pour une personne complexée par son âge de
réapprendre à se regarder avec bienveillance dans un miroir. Mais les TCC
peuvent ne pas suffire, car il faut aussi identifier la cause de ce refus de
vieillir. Ici, le complexe se complexifie et touche au trouble phobique. Une
phobie est une peur excessive et irrationnelle qui dépend d’un ressenti,
d’une croyance, d’un objet ou d’une situation précise. Nous sommes dans le
subconscient, avec la phobie, et non dans le conscient, d’où la nécessité
d’un travail de parole annexe avec un thérapeute.
Pour les complexes identitaires, le jeu du miroir fonctionne aussi très
bien, parce que l’on s’y livre sans artifice. Devant le miroir, il s’agira aussi
de répéter une affirmation en rapport avec la particularité identitaire : « Je
suis homosexuel, j’ai un nom byzantin, j’ai la peau rouge… et je suis parfait
tel que je suis. Je me plais et je suis fier de moi. » En complément, il faudra
prévoir de rappeler sa particularité dès qu’on le pourra et que ça ne tombe
pas comme un cheveu sur la soupe, évidemment. Par exemple, il ne s’agit
pas de répéter à qui veut l’entendre son orientation sexuelle quand on fait
ses courses alimentaires. D’abord, ça n’intéresserait pas grand monde, et ce
serait hors sujet et hors contexte. En revanche, il s’agit de ne plus éluder les
questions et être suffisamment bien avec soi-même pour ne plus se laisser
polluer par ses pensées automatiques et autres raisonnements toxiques.
Quelqu’un vous demande l’origine de votre nom de famille ? Vous le dites
et vous passez à autre chose. C’est juste un détail et donc il faut le prendre
pour ce que c’est, une information, rien de plus.
Ce qui est valable pour les complexes identitaires est valable et applicable
aux complexes socioculturels. Ce n’est pas votre nom que vous accepterez
de dévoiler, c’est votre profession ou votre niveau d’études. Là encore, il
s’agit d’une simple information. Les interprétations et jugements de valeur,
on les laisse à l’autre. On ne les accueille pas, puisqu’ils ne nous
appartiennent pas. Et l’on passe à autre chose.
Comme vous pouvez le deviner, l’idée générale est de favoriser
l’exposition des particularités. D’abord à son propre regard puis au regard
de l’autre. Car si l’on s’accepte tel que l’on est, en tête à tête avec soi-
même, on finira nécessairement et facilement par s’accepter tel que l’on est
en face de l’autre. C’est une question d’assiduité et d’entrainement, rien de
plus. En suivant le programme, vous ressentirez comme une sorte de
libération et de mieux-être.
NB : la durée des différentes étapes est indicative. N’hésitez pas à écouter
vos besoins et vos ressentis, et le cas échéant, à réduire ou augmenter la
durée de certaines phases. L’idée première est d’enregistrer des progrès et
un mieux-être.

Et l’amour, dans tout ça ?


Savez-vous ce qui arrive quand on se sent mieux avec soi-même ? Eh
bien, on se sent également mieux avec l’autre. Et par conséquent, à notre
grande surprise, sans que nous n’ayons grand-chose à faire, les contacts et
les rencontres sont facilités et se multiplient. En s’acceptant tel que l’on est,
on envoie de nouveaux signaux à l’autre. Nous ne lui signifions plus qu’il
serait bien bête d’envisager une relation avec nous parce que nous n’en
valons pas la peine. Nous lui signifions, au contraire, que nous sommes
alignés avec nous-mêmes et prêts à vivre une belle histoire. Plusieurs
personnes de mon entourage l’ont expérimenté, et je l’ai personnellement
vécu, une fois en paix avec nous-mêmes et nos particularités, nous irradions
une belle lumière et émettons des vibrations très positives. Invariablement,
nous attirons donc l’autre. Et surtout, nous attirons un autre qui est bien
avec lui-même aussi. C’est un peu la loi de l’attraction : j’attire ce que je
suis. Si je me sens mal avec moi-même, j’ai tendance à attirer des personnes
mal avec elles-mêmes ; si je me sens bien et en phase avec moi-même, j’ai
tendance à attirer des personnes bien et en phase avec elles-mêmes. C’est
l’effet bonus du travail sur les complexes.

Recréer du lien
Le jeu du miroir est primordial, parce qu’il permet de se redécouvrir en
toute intimité, loin des regards extérieurs. Il existe d’autres méthodes
d’exposition, toutes valides et valables, qui aident à accueillir et rencontrer
le regard de l’autre. Vous remarquerez que je n’ai pas dit « affronter » le
regard de l’autre, parce que dans le terme affronter, il y a une sorte de
combat, voire de rapport de forces. Ce n’est pas l’objectif, puisque de toute
manière, lorsque l’on est bien avec soi-même, on n’a pas besoin de se
mesurer à qui que ce soit. L’objectif est de retrouver du lien social sain, à
présent que nous sommes plus en phase avec nous-mêmes. Voici donc
quelques suggestions d’exercices d’exposition que vous pouvez compléter
avec tous ceux que vous pourrez imaginer :

Nous avons tous dans nos placards un pantalon à pattes d’éléphant


avec des fleurs brodées sur le bas (voir chapitre 1). Si ce n’est pas un
pantalon, c’est un chapeau, un pull, une salopette, des escarpins, un
boa (en plumes, évidemment) que nous n’osons pas porter, par
crainte du regard de l’autre. Pourtant, nous gardons cet objet dans
nos placards parce que nous l’aimons et qu’il nous plait, mais aussi
parce que, quelque part, il symbolise la liberté. La liberté d’être soi-
même. Donc vous devinez la suite ? On sort notre pantalon du
placard, on l’aère pour lui ôter son parfum de naphtaline… et on
l’enfile pour sortir ! N’importe où, juste dehors. Au début, ça peut
être pour descendre au bac de recyclage, puis au supermarché, puis
au café, puis au restaurant… Nous prenons la responsabilité d’être et
rester nous-mêmes, de nous faire plaisir et de rencontrer le regard de
l’autre avec un sourire.
Une personne complexée a souvent tendance à se laisser marcher sur
les pieds, au propre comme au figuré. C’est logique, puisqu’elle a un
déficit d’estime, de confiance et d’affirmation de soi. Mais de petits
exercices de mise en situation peuvent grandement améliorer le
quotidien. Par exemple, nous pouvons entrer dans des boutiques juste
pour regarder. Pas parce que nous avons besoin de quelque chose,
mais simplement pour nous exposer à l’autre et surtout apprendre à
répondre à la vendeuse qui nous demande ce que l’on veut : « Merci,
je regarde. » J’apprends aussi à essayer des articles, même si je ne les
achète pas. Je me fais fort aussi de refuser d’acheter quelque chose
qui ne me plait pas ou ne va pas, et même si le charmant vendeur a
plus d’un argument dans la poche. Et l’on multiplie ces expériences
autant que possible. On se félicite ensuite et l’on note soigneusement
ces réussites dans son cahier.
Variante de l’exercice précédent : oser exprimer à l’autre ce que l’on
veut et ce que l’on ne veut pas. Bien entendu, la démarche est
universelle, mais pour commencer, mieux vaut s’entrainer avec des
personnes neutres ou avec lesquelles nous n’avons pas de liens forts.
Par exemple, à la boulangerie, on demande gentiment que l’on
saisisse notre baguette avec une pince ou un papier ; au bistrot, on
commande un café allongé avec un petit verre d’eau en plus et/ou des
sucrettes ; au marché, on refuse d’accepter des fruits trop mûrs ou
tachés, et l’on demande au primeur de les remplacer par des plus
frais, etc. Ce sont de petits pas qui finissent par mener très loin et qui
revitalisent notre propre image. Il faut ensuite que cet entrainement
devienne une habitude et ne soit plus exceptionnel.
Une fois plus à l’aise avec soi-même et ses particularités, il est temps
de recréer du lien. Nous sommes toujours la même personne, mais
autrement, plus détendue, plus libre et mieux dans sa (jolie) peau. Le
rapport à l’autre s’en trouve ipso facto modifié, et pour nous en
convaincre, nous allons recréer du lien en multipliant les échanges,
que ce soit avec nos proches ou d’illustres inconnus. Tous les
prétextes sont bons pour engager la conversation : à l’arrêt du bus,
dans une file d’attente au supermarché, dans le train… De brefs
échanges suffisent. Vous pouvez également, comme je l’ai fait moi-
même il y a de nombreuses années, vous obliger à demander l’heure
ou votre chemin à des passants (alors que j’avais une montre et que
je savais pertinemment où je me trouvais). L’idée est de se
rapprocher de l’autre et de le démystifier, et en même temps, de
sortir de sa zone de confort, chose souvent inconfortable pour
quiconque est complexé. Bon, bien sûr, si vous arrêtez un passant
pour lui parler des soucis gastriques de Coco, votre cochon d’Inde,
pas sûr que la conversation s’éternise… quoi que, on ne sait jamais,
après tout !

Confidences en aparté
Le chemin vers l’acceptation de soi et la renaissance prend du temps et
demande implication et efforts, et j’en sais quelque chose. Parfois, quand je
pensais avoir « tout compris », badaboum, je replongeais et je me sentais
plus Sisyphe que jamais, vous savez, le très astucieux fondateur de Corinthe
qui fut condamné par Zeus à rouler un gros rocher au sommet d’une
montagne qui dévalait la pente une fois en haut (supplice d’éternité). Puis
j’ai enfin compris que mon poids n’était pas le véritable problème, c’étaient
mon estime, ma confiance et mon affirmation de soi. Et l’amour que je me
portais, ou plus exactement, que je ne me portais pas suffisamment, toujours
trop occupé à plaire et faire plaisir aux autres (à mon grand détriment, dois-
je le préciser ?).
J’ai alors cessé tous les régimes aberrants, les frustrations, la quête
d’approbation dans le regard de l’autre, la recherche de séduction à tout
prix… pour me recentrer sur moi et mon authenticité. Pour m’accepter
enfin tel que j’étais, en l’état, avec tous mes signes distinctifs. J’ai
commencé par apprendre à être bien avec moi-même, sans fioritures. Parce
qu’il faut d’abord être à l’aise avec soi-même avant de pouvoir l’être avec
l’autre. Accepter la nudité du haut de mon corps et son reflet dans un miroir
a été le plus difficile pour moi, parce que je me trouvais difforme, dans le
sens dénué de toutes formes ou toutes formes esthétiques établies et
acceptées. Pas seulement à cause des vergetures, ça, j’en avais fait le deuil,
mais en raison de bourrelets et de chair flasque. En fait, je n’aime pas ce
mot de « flasque », parce que je trouve qu’il y a un jugement derrière.
Disons que ma peau, très fine et douce au demeurant, n’était pas tendue (et
elle ne l’est toujours pas, et ça me convient bien). Je me suis donc obligé à
me regarder tel que j’étais dans le miroir. Je peux vous affirmer que ce fut
laborieux, parce que mon premier réflexe était de saisir un tee-shirt pour
l’enfiler et « couvrir ce sein que je ne saurais voir, car par de pareils objets,
les âmes sont blessées » (Molière). J’ai résisté. Mon objectif était d’abord
de ne plus ressentir d’aversion envers mon corps (et moi-même, car je
prenais la partie pour le tout), puis d’obtenir un ressenti neutre et, enfin, de
me trouver à mon goût, ou devrais-je dire « appétissant ».
Parallèlement, j’ai aussi travaillé à ne plus m’escrimer à prendre des
vêtements une taille au-dessous pour flatter mon ego et martyriser mon
corps et mon esprit. Effectivement, j’arrivais tant bien que mal à fermer la
ceinture du pantalon trop petit (il suffisait de retenir mon souffle et de
prévoir une pommade antalgique lorsque la sciatique se déclencherait), ce
qui me renvoyait l’image de moi engoncé et mal à l’aise dans des vêtements
qui ne m’allaient pas et perpétuaient le complexe en accentuant
visuellement mes particularités (bouée autour de la taille, pectoraux
épais…). Donc j’ai décidé d’acheter des tenues à ma taille. Ensuite, j’ai
travaillé à ne plus chercher à dissimuler le haut de mon corps. Je
m’explique. Si je portais un polo ou un tee-shirt près du corps, je me sentais
un peu mis à nu, puisque mes formes étaient dessinées et j’avais tendance
soit à rentrer le ventre, quitte à déclencher un syndrome d’hyperventilation,
soit à le recouvrir, par exemple avec un sweater ample ou même avec mes
bras croisés.
Tout cela, c’était en solo, avec moi-même. Puis j’ai commencé à
m’exposer au regard de l’autre. Bon, alors, évidemment, ce n’était pas du
pole dancing, mais pour vous donner une idée, je m’exerçais à ne plus
détourner le regard lorsque je passais devant un miroir ou une vitrine. En
public, par exemple dans le train, je n’ai plus cherché à camoufler mon
ventre en posant ma besace sur mes genoux. Et j’ai également réappris à
manger en public, ce qui était un véritable sujet pour moi. J’ai parlé de
processus au début de l’ouvrage et c’est bien cela. Comme un panel
d’actions qui paraissent indépendantes les unes des autres, mais qui sont en
réalité interconnectées. Chaque action apporte sa pierre à l’édifice. Et même
si les TCC sont très efficaces, un travail simultané sur les pensées, les
émotions, l’affirmation de soi, les raisonnements toxiques renforce
nettement leurs performances.
Aujourd’hui, quand je pense à toutes les misères que j’ai fait subir à mon
corps et que je me suis fait subir à moi tout entier, l’embarras me monte aux
joues. Mais un sourire amusé l’accompagne, parce que tout ça, c’est du
passé, et il m’a fallu transiter par toutes ces étapes avant d’être celui que je
suis aujourd’hui. Avec ses failles, ses particularités, ses atouts, ses doutes,
ses questions, ses hésitations…
Bref, avant d’être celui qui est moi-même.
À vous de jouer à présent ! La tribune est à vous !
Conclusion
Vous disposez à présent des outils et des méthodes pour faire la paix avec
vos particularités et réapprendre à vous aimer. Avant de nous quitter, voici
les recommandations d’un ami qui vous veut du bien :

Prenez votre temps et rappelez-vous que l’impatience est une forme


de résistance au changement.
Félicitez-vous d’avoir amorcé le changement et d’avoir fait le
premier pas vers la sérénité et le mieux-être.
Complimentez-vous régulièrement.
Ce n’est pas la perfection qui prime, surtout qu’elle n’existe pas,
c’est la progression.
Les coups de blues existent et sont à accueillir avec neutralité.
Autorisez-vous quelques instants de laisser-aller, puis reprenez-vous
et retrouvez un raisonnement rationnel.
En cas de découragement, ne vous mettez pas martel en tête, lâchez
prise et recommencez calmement les exercices.
Tout travail de développement personnel est un processus et chacune
de ses étapes est une avancée.
Ciblez des objectifs réalistes et quantifiables, qui ne dépendent que
de vous-même.
Souriez le plus souvent possible et développez votre sens de
l’humour.
Ayez foi en vos capacités et vos compétences.

Un dernier mot : gardez à l’esprit que nos particularités font de nous ce


que nous sommes et participent à nous rendre uniques. Par conséquent, nos
particularités sont finalement peut-être bel et bien une chance et un cadeau
de la vie. À nous de rétorquer alors à quiconque nous en fait le reproche :
« Me permettez-vous de rire un peu, rien qu’un peu, de ce désir que vous exprimez sans
cesse de me voir semblable à tout le monde ? »
CHARLES BAUDELAIRE, POÈTE

Chaleureusement vôtre,
Olivier Cechman
Ressources
Marie Andersen, L’Emprise familiale, Paris, Marabout, 2015.
Christophe André, Imparfaits, libres et heureux, Paris, Odile Jacob,
2009.
Christophe André et François Lelord, Comment gérer les
personnalités difficiles, Paris, Odile Jacob, 2000.
Christophe André et François Lelord, L’Estime de soi, Paris,
Odile Jacob, 2008.
Catherine Bensaid, La Musique des anges, Paris, Le Grand livre du
mois, 2003.
Lise Bourbeau, Les Cinq Blessures qui empêchent d’être soi-même,
Paris, Pocket, 2013.
David D Burns, Feeling good, New-York, Harper Collins, 1980.
Barbara Fredrickson, Vivre heureux grâce à la pensée positive, Paris,
Larousse, 2015.
Susan Jeffers, Feel the fear and do it anyway, New York, Ballantine
Books, 1987.
Elisabeth Kubler-Ross, La mort est une question vitale, Paris,
Albin Michel, 2010.
Susanna McMahon, Le Psy de poche, Paris, Marabout, 2019.
Thomas Moore, Le Soin de l’âme, Montréal, Éditions du club
Québec Loisirs inc., 1992
Christel Petitcollin, Victime, bourreau ou sauveur : comment sortir
du piège ?, Saint-Julien-en-Genevois, Éditions Jouvence, 2011.
Kay Pollak, Aucune rencontre n’arrive par hasard, Saint-Julien-en-
Genevois, Éditions Jouvence, 1998.
Matthieu Ricard, L’Art de la méditation, Paris, Pocket, 2010.
Martine Simon-Le Luron, La vie est si courte, après tout, Paris,
Éditions Jean-Claude Lattès, 2013.
http://www.psychomedia.qc.ca/psychologie/2015-01-12/10-valeurs-
schwartz
Sommaire
1. Introduction
2. Première partie
3. 1
4. 2
5. 3
6. 4
7. 5
8. 6
9. 7
10. Seconde partie
11. 8
12. 9
13. 10
14. 11
15. 12
16. 13
17. Conclusion
18. Ressources

Landmarks
1. Cover

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