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Culture / ՄՇԱԿՈՅԹ

Le Studio Boissière,
une histoire de famille
A l’occasion des 70 ans du Studio Boissière, une exposition retrace, du 18 au 28
septembre, l’histoire de ce lieu – le plus ancien studio photo de Montreuil (Seine-
Saint-Denis) – où l’art de la photographie s’est transmis entre quatre générations
de la famille Kasparian. Une histoire de famille qui est aussi celle de l’immigration
arménienne.  
■  PAR HÉLÈNE TERZIAN

“ Notre intégration s’est faite


par le savoir-faire de mon
grand-père ”
Rescapé du Génocide arménien, Varastade Kasparian fait
partie des centaines d’orphelins recueillis près de Blois par la
Fondation Karagheusian. Dans un château du Loir-et-Cher, on
tient à faire de ces enfants des citoyens français accomplis : le
jeune Varastade est alors envoyé comme apprenti auprès du
photographe de la ville, avant de poursuivre sa formation au
célèbre Studio Harcourt. Le jeune artiste s’installe ensuite à
Montreuil pour créer le Studio Boissière. Avec sa femme Has-
mig qui tient la caisse et assiste son mari, il transmet la pra-
tique de la photo à ses fils : Jacques et Roger Kasparian. Ce

La facade du studio vers 1955


 Dès qu’on entre dans le studio, on est dans un autre
monde ”. Derrière les vitrines du Studio Boissière, Mac-
cha Kasparian fait tourner « la boutique ». Dans ce qui
est devenu aujourd’hui un Laboratoire d’art, tout le matériel et
les équipements de son grand-père Varastade sont quasiment
restés intacts : il y a les agrandisseurs, les négatifs, la chambre
noire, les rampes à projecteurs… Et des caisses entières rem-
plies de dizaines de milliers de photos prises à l’argentique.
Des clichés d’habitants de ce quartier populaire de Montreuil
dont l’un des membres de la famille Kasparian a tiré le por-
trait le jour d’un mariage, d’un baptême ou pour une simple
photo d’identité. Ce trésor, cela fait quelques années que la
famille de photographes se l’est réapproprié. “ Un jour, mon
père m’appelle pour me dire qu’il souhaite que l’on s’inscrive
aux portes ouvertes des ateliers d’artistes de la ville de Mon-
treuil ”, explique Maccha Kasparian, fille de Roger Kasparian,
le photographe des Sixties. “ A ce moment-là, le studio était
complètement fermé, les vitrines placardées… Je lui réponds
que pour faire des portes ouvertes, encore faut-il que nos
portes s’ouvrent ! ”, ironise-t-elle. Celle qui est encore archi-
tecte décide alors, avec sa fille Nelta, de rouvrir le studio pour
faire revivre le plus ancien studio photo de Montreuil, créé 70
ans auparavant par son grand-père. Varastade fondateur de la dynastie des photographes Kasparian

48 France Arménie / Septembre 2021


© Sylvie Gillot

Roger et Maccha Kasparian au Studio boissière

dernier deviendra l’œil des icônes des Sixties : il immortalise à


l’argentique Johnny Hallyday, Sheila, Eddy Mitchell mais aussi
Charles Aznavour… et développe ses bobines au Studio Bois-
sière. Le fonctionnement du studio est ensuite assuré par sa
femme, puis ses filles, Lydia et Maccha. Et c’est donc cette der- Vernissage de l'expo Map Danse Anba Lapli à la Boisssière 2020
nière qui, depuis 2019, a transformé le Studio en un « Labora-
toire d’art pour la promotion d’artistes issus de l’immigration ». artistique est un moyen ouvert à tout le monde ” confie-t-elle,
Et ce nouveau nom n’est pas anodin. A l’initiative de l’exposi- ravie d’exposer à cette occasion, aux côtés des clichés pris par
tion – inscrite aux Journées européennes du Patrimoine 2021 sa famille, les œuvres de trois autres artistes : Pascal Manou-
qui débutent le 18 septembre – Maccha tient non seulement à kian (écrivain et reporter de guerre, qui y exposera ses cli-
faire connaître ce lieu chargé d’histoire, mais aussi à mettre en chés pris en Afghanistan en 1979), Yulia Grigoryantz (jeune
valeur le parcours de sa famille qui symbolise l’intégration des photographe qui s’est immergée dans le quotidien intime des
Arméniens en France : “ Ce qu’a fait mon grand-père, c’est familles touchées par le conflit en Artsakh) et Apo Baroudjian
miraculeux  ! ”, s’exclame Maccha. “ Quand il est arrivé, il a (jeune plasticien aux œuvres très contemporaines, inspirées de
travaillé, et c’est ce qui lui a permis d’être à sa place, d’offrir la spiritualité arménienne). Une exposition, conclue-t-elle, qui
un avenir à sa famille… Notre intégration s’est faite par le a vocation à se projeter vers l’avenir : “ On veut montrer d’où
savoir-faire de mon grand-père ”. C’est précisément cette phi- l’on est partis et où l’on va ”. ■
losophie que Maccha Kasparian veut mettre en avant à travers
le Labo d’art : “ Pour les étrangers qui arrivent aujourd’hui à
Montreuil, c’est important pour eux de voir que peu importe
d’où l’on vient, ça peut marcher. Nous, on n’avait rien du tout
et on a réussi à faire ce studio. C’est admirable ! ”. Au fil des
ans, le Studio est même devenu une véritable institution à
Montreuil, à tel point que la Mairie fait tout pour que le bâti-
ment soit protégé.  

Une exposition collective


Aujourd’hui, Maccha espère même en faire un lieu d’Eco-
nomie sociale et solidaire, en proposant des ateliers photo aux
habitants, pour perpétuer l’esprit du Studio : “ La pratique

Ateliers photo cyanotype animés par Maccha Kasparian


au CPA juillet 2021

Infos pratiques : Studio Boissière, 268 bd Aristide Briand 93100


Montreuil. Contact : 06 98 66 52 67. Informations, programma-
tion sur le site studioboissiere.com et sur la page Facebook : Stu-
dio Boissière. Ateliers et master class sur inscription par courriel
à : studioboissiere.montreuil@gmail.com
Un interlude musical sera donné par le Collectif Medz Bazar le
19 septembre à 17h. A noter que cette exposition fait suite à
la rétrospective en cours au Centre du patrimoine arménien de
Exposition Aznavour 2019, collaboration d'un groupe de jeunes
Valence : « L’aventure photographique des Kasparian », à voir
musiciens de Montreuil qui ont réadapté Aznavour, façon rap. Une jusqu’au 19 septembre. 
actualisation réussie qui aurait beaucoup plus à l'auteur-compositeur

France Arménie / Septembre 2021 49

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