Vous êtes sur la page 1sur 85

Georges Bleuhay

Quand s’égrène la vie


50 poèmes inédits
Du même auteur

Le cœur fou (Edilivre 2014)


Le cœur marigot (Edilivre 2015)
Le cœur à vau-l’eau (Edilivre 2015)
L’errance poétique (Edilivre 2016)
L’âme en révolte (Edilivre 2016)
Le miroir brisé (Edilivre 2016)
La fin du chemin (Edilivre 2017)
Le crépuscule du poète (Le livre en papier 2017)
L’âme en flamme (Le livre en papier 2017)
Le rêve en tête (Le livre en papier 2018)
Esneux au fil de l’Ourthe (Le livre en papier 2018)
En mémoire
d’Odette Vandaele ma
fidèle compagne que
j’ai tant aimée

« Il est trop certain que la vie


n'a pas de but et que l'homme pourtant a
besoin de poursuivre un rêve. »
Maurice Barrés

« Je n'attends plus rien de la vie qu'une suite


de papiers à barbouiller de noir.
Il me semble que je traverse une solitude
sans fin, pour aller je ne sais où,
et c'est moi qui suis tout à la fois
le désert, le voyageur et le chameau. »

Gustave Flaubert
Souvenir de Vendome

Je me souviens des jours heureux


Où nous campions au bord du Loir
En vacanciers toujours joyeux
Et profitant de ses terroirs

Nous n’avions pas beaucoup d’argent


Mais comme toujours en France
L’on y trouve des restaurants
Où l’on peut faire bombance

Je me souviens d’un coq au vin


Délicieusement mijoté
Le repas fut vraiment divin
À nos estomacs affamés

Profitant de nos vacances


Loin de notre pauvre logis
Nous profitions de la chance
D’être bien loin de nos soucis

Lorsqu’on est jeune et amoureux


Visiter les nombreux châteaux
Du Val de Loire est merveilleux
En été sous un ciel tout bleu

C’est un endroit privilégié


Aux parcs et aux jardins fleuris
Où il fait bon se promener
En ses villages si jolis

Je garderai souvenance
Jalousement au fond du cœur
De ces premières vacances
Et de ses moments de bonheur

1
La lune moqueuse

La lune est complice


Des amants éplorés
Elle joue de malice
Avec leur cœur brisé

Elle les a fait rêver


De l’amour absolu
Elle les fait pleurer
Quand il a disparu

Elle luit toute la nuit


En lumignon moqueur
Quand le sommeil s’enfuit
Par perte du bonheur

Dans la désolation
De se sentir trahis
Dans leur folle passion
Ils hurlent leur dépit

L’astre est indifférent


Aux reproches vengeurs
Loin dans le firmament
Il rit de leur douleur

Le poète le sait
Et il se garde bien
La nuit de l’implorer
Cela ne sert à rien

2
Le retour du printemps

Quand change la saison


De l’hiver au printemps
J’écoute la chanson
Que m’apporte le vent

C’est le chœur des oiseaux


Qui appellent à l’amour
Et leur chant est si beau
Qu’il m’inspire à mon tour

Je regarde ébloui
Les bourgeons éclater
Le bonheur m’envahit
Le gel va nous quitter

La chaleur du soleil
Tiédit l’eau de l’étang
La nature en éveil
Éclate dans les champs

Car les premières fleurs


Leurs donnent maintenant
De jolies couleurs
Qui charment le passant

Et j’ai le cœur battant


Devant ce renouveau
Brusquement j’ai vingt ans
Et la joie en cadeau

Moment béni des dieux


Pour lequel je priais
Miracle merveilleux
De l’espoir qui renaît

3
Le muguet cruel

Revoici le beau mois de mai


Et laisse-moi prendre ta main
Pour aller cueillir le muguet
À l’orée du bois voisin

Il fait si doux sous le bosquet


Le soleil est tellement chaud
Viens donc te reposer au frais
Tu peux t’allonger sur le dos

Si je te serre dans mes bras


Et pose un baiser dans ton cou
C’est l’amitié qui veut cela
Tu sais que je t’aime beaucoup

Je ne suis pas mauvais garçon


Comme tu pourrais le penser
Si je soulève ton jupon
C’est pour ne pas le chiffonner

Pourquoi te relever soudain


Les joues rouges de colère
Car ce n’était qu’un jeu taquin
N’en fais pas toute une affaire

Je voulais t’offrir le muguet


Et tu me traites de vaurien
Cela m’apprendra désormais
À vouloir être trop câlin

4
Une perte obsédante

Une petite fleur


Avec tous mes regrets
Le cœur encore en pleurs
Sur un triste décès

Sur la tombe où tu gis


Je vois toujours ton nom
Qui toujours me poursuit
Au fond de ma prison

Inscrit en lettres d’or


Il fait mon désespoir
La nuit quand je m’endors
Il brille dans le noir

Je t’ai tellement aimé


Tu me rendais vivant
Depuis tu m’as quitté
En me laissant mourant

Du fond de mon malheur


Je répète ton nom
Tu t’appelais bonheur
Je suis dans l’abandon

5
Le bonheur de donner

Il n’est rien de meilleur


Que de pouvoir donner
Simplement du bonheur
Aux gens désespérés

C’est d’un peu de chaleur


Qu’ils ont besoin souvent
Leur offrir du bonheur
Vous en procure autant

Si leurs soucis sont lourds


Ils peuvent les oublier
Dans un moment trop court

Il serait inhumain
De ne pas alléger
Leur pénible destin

6
Le loup-garou

Un loup sommeille en moi


Et il va s’éveiller
À mon grand désarroi
Quand la nuit va tomber

Je sens le cri primal


Monter vers l’astre mort
Et comme un animal
Je hurle sur mon sort

En ce monde cruel
Où j’ai connu le jour
J’entends monter l’appel
De la haine à mon tour

À ressentir la peur
De devenir gibier
J’éprouve de l’horreur
Devant les meurtriers

La nuit comme un linceul


S’étend sur l’horizon
C’est triste d’être seul
Privé de compagnons

Mais je veux rejoindre


Une meute à aimer
Voir l’aurore poindre
En étant rassuré

Redevenir l’humain
À la lumière du jour
Je le veux pour destin
Consacré à l’amour

7
C’est la fatalité
De l’ange et du démon
Ensemble ils vont chanter
La fin de la Raison

8
Le temps meurtrier

Quand l’on se sent vieillir


On devient impatient
À voir le temps courir
Aussi rapidement

L’on voudrait ralentir


La cadence des jours
Freiner le devenir
De la fin des amours

Hélas le poids des ans


Sans aucune pitié
Accable les amants
De regrets du passé

Alors l’on se presse


L’on cherche au fond de soi
Un peu de jeunesse
Qu’on avait autrefois

Et l’on veut profiter


De ces quelques instants
Où un feu allumé
Se meurt rapidement

L’angoisse de vieillir
Qui abrège le temps
Par perte d’avenir
Se transforme en tourment

9
Le baiser volé

Ma mie c’était rappelez-vous


À notre premier rendez-vous
Émus nous avons échangé
Le plus timide des baisers

Votre bouche avait la saveur


Du fruit cueilli dans sa fraîcheur
Mon cœur battait la chamade
Étonné par ma bravade

Je sentis vos lèvres s’ouvrir


Pour mieux répondre à mon désir
Ce fut ma plus belle émotion
La plus tendre des sensations

Je rêve toujours aujourd’hui


À ce doux larcin si joli
Qu’un beau jour je vous ai volé
Et que je ne puis oublier

10
Le cancre

Il était beau à voir


Et je l’ai poursuivi
Oublieux du devoir
Auquel j’étais soumis

Conduit de fleur en fleur


J’oubliais les leçons
J’admirais leurs couleurs
En parfait sauvageon

Mon cœur était joyeux


À me sentir vivant
Loin du monde ennuyeux
Qui cache le printemps

Il est dur d’étudier


La multiplication
Lorsque tant de beauté
Détourne l’attention

Le cancre a eu zéro
Et une punition
Mais ce n’est pas idiot
D’aimer les papillons

11
Yseult pleure Tristan

Il est perdu le temps


Lorsque les troubadours
Magnifiaient les amants
Et chantaient leur amour

Allant de villages en bourgs


De châteaux en manoirs
Ils fréquentaient les cours
Le cœur empli d’espoir

D’une demoiselle
Honorer la beauté
Lui être fidèle
Jusqu’à l’éternité

Tout comme un chevalier


Porter haut ses couleurs
Être son bouclier
Contre le déshonneur

Telle était le désir


Des poètes d’alors
D’arriver à ravir
Ce merveilleux trésor

Le délicieux émoi
Empli d’adoration
C’était l’amour courtois
Loin des basses passions

Aujourd’hui rimailleurs
Leurs pauvres héritiers
Écrivent sans pudeur
Leurs mots sont meurtriers

12
Leurs serments sont d’un jour
Souvent vite oubliés
Le temps est bien trop court
Dans la modernité

Oui le monde a changé


Et les grands sentiments
Appartiennent au passé
Yseult pleure Tristan

13
Alzheimer maudit

Mon amour tu ne m’aimes plus


Pourtant moi je t’aime toujours
Si tu ne me reconnais plus
Je te donne encore mon amour

Et tout ce bonheur partagé


Que nous avons connu longtemps
Dans ton esprit s’est effacé
Petit à petit lentement

Ton anniversaire aujourd’hui


Ne t’apporte plus le bonheur
Car son souvenir s’est enfui
Dans ta conscience qui se meurt

Pourtant je serai près de toi


Comme chaque jour le cœur en pleurs
Dissimulant mal mon émoi
Devant cette fin de malheur

Comment accepter cet oubli


De tout ce que tu as été
T’enfonçant dans ce monde gris
Ou tu as cessé d’exister

Depuis je vis dans le malheur


Je ne peux pas t’abandonner
Et c’est ma vie qui se meurt
À te regarder décliner

Mon amour tu ne m’aimes plus


Pourtant moi je t’aime toujours
Si tu ne me reconnais plus
Je te donne encore mon amour

14
Le cadeau des Dieux

Il n’est jamais trop tard


Pour aimer la forêt
Et comme le renard
Découvrir ses secrets

Loin des sentiers battus


Ignorés des passants
C’est un monde perdu
Où le plaisir t’attend

Le vol lourd d’un bourdon


Égaré dans le bois
Semble donner le ton
À ton premier émoi

Le murmure léger
Venu d’un ruisselet
Ne peut que te charmer
Par son glouglou discret

La fougère penche
Sa fronde vers le sol
Cachant la pervenche
Sous son vert parasol

Et si la frondaison
Dissimule les cieux
Du soleil les rayons
La percent de leurs feux

15
C’est la cathédrale
Offerte par les dieux
Bien que végétale
Elle touche au merveilleux

Et tu comprends soudain
Que pour être sauvé
Et survivre demain
Tu dois la respecter

C’est un rêve insensé


Qui nous a fait croire
Pouvoir la maîtriser
C’était illusoire

16
Quand le lilas refleurira

Mon indicible tristesse


Un jour de mai disparaîtra
Dans une folle jeunesse
Quand le lilas refleurira

Car ce sera un beau printemps


Je sais que tu me reviendras
Nous serons à nouveau amants
Quand le lilas refleurira

Mon cœur débordera d’amour


Et ma douleur s’envolera
Dans l’ivresse de ton retour
Quand le lilas refleurira

Je retrouverai le bonheur
D’enfin te serrer dans mes bras
Je perdrai toutes mes langueurs
Quand le lilas refleurira

Et je me morfonds sans cesse


À ton départ tout s’arrêta
Elle finira ma détresse
Quand le lilas refleurira

Si je rate ce rendez-vous
Mon fol espoir s’arrêtera
Je n’existerai plus sans vous
Et le lilas se fanera

17
Le prénom d’un ange

Oui notre monde est effrayant


Peuplé de violeurs assassins
Amateurs d’enfants innocents
Qu’ils martyrisent de leurs mains

Ils prennent un plaisir pervers


À souiller et martyriser
Ces gosses voués à l’enfer
De leurs désirs exacerbés

Pauvre petite Angélique


Tu ne pouvais imaginer
Que ton voisin sympathique
Serait un bourreau acharné

Tu avais treize ans à peine


Tu ignorais la méfiance
Mais une bête malsaine
Se moquait de ta souffrance

Pour ton malheur tu as rejoint


Les nombreux gosses torturés
Nous sommes devenus témoins
Des crimes de ces désaxés

Je crie tout mon ressentiment


Il n’y a rien à comprendre
À part la douleur des parents
Ces criminels sont à pendre

18
Le bruit et la fureur

Cinq années dans la douleur


Et tous ces jours de souffrance
Alliant le bruit à la fureur
Espérant la délivrance

La guerre débuta en mai


Par l’apparition des stukas
Leurs vols meurtriers annonçaient
La victoire du svastika

La campagne dura dix-huit jours


Avant la capitulation
Notre pays aux mains des vautours
Dut se plier à l’oppression

Nos soldats en captivité


Pleuraient leur femme et leurs enfants
Mais aussi sur leurs frères tués
Par l’envahisseur allemand

Chacun rêvait de liberté


Mais leur espoir était amer
Ils étaient si loin les alliés
De l’autre côté de la mer

Et malgré les bombardements


Pleuvant sur nos villages et cités
Il y eut le débarquement
Les combats pour les libérer

C’est aussi lors d’un mois de mai


Que s’arrêta le bain de sang
Et que revint enfin la paix
Que nous connaissons maintenant

19
Le huit-mai nous nous souviendrons
De tous ceux qui furent fauchés
En une sanglante moisson
Pour nous rendre la liberté

20
Le dernier voyage

Il arrive le moment fatal


Où la vie s’en va
Vers un silence glacial
Lentement pas à pas

C’est la joie qui se meurt


Et le cœur devient las
Et sournoise la peur
Annonce le trépas

C’est l’incertitude
Qui érode l’esprit
Dans la solitude
De tous les matins gris

Le corps est douloureux


Un peu plus chaque jour
L’on se sent malheureux
Privé de tout secours

Car rien ne peut lutter


Contre le grand âge
Il faut se résigner
A l’ultime outrage

L’on ne peut savoir quand


La Dame en noir viendra
Vous conduire au néant
Voilà bien le tracas

Voir sombrer le soleil


Pour la dernière fois
Sans espoir de réveil
Me plonge dans l’effroi

21
L’amour prisonnier

Belle comme une fleur


Ma pensée va vers vous
Je rêve du bonheur
D’avoir un rendez-vous

Sa couleur est rose


Tendre comme mon cœur
Mais hélas je n’ose
Sortir de ma torpeur

Son parfum délicat


Doit inspirer l’amour
Hélas je ne peux pas
J’hésite chaque jour

Son goût est délicieux


Il est plein de saveur
L’on ne peut faire mieux
Un dessert de douceur

Mais la timidité
Qui s’empare de moi
L’empêche de voler
Tragiquement vers toi

Je suis désemparé
Cupidon est méchant
Il se plaît à jouer
De mon âme d’enfant

22
Promesses électorales

Si la colère gronde en mon cœur


C’est de voir tous ces malheureux
Connaissant l’horrible douleur
De se sentir l’estomac creux

Si leurs mains se tendent vers nous


En une triste prière
C’est qu’ils espèrent encore en nous
Pour soulager leur misère

Nos gouvernants ferment les yeux


Mais jouent les bons apôtres
Ils sont nos frères ces miséreux
Et surtout ils sont des nôtres

Comment peut-on les oublier


Alors qu’ils meurent à petit feu
Mis au ban de la société
Et leur survie est un enjeu

Alors que cesse le discours


Promettant l’avenir meilleur
Leurs yeux implorent le secours
Qui ne viendra pas j’en ai peur

23
Le seul choix possible

Quand le cœur vous dit oui


Et l’esprit vous dit non
S’éveille le souci
À qui donner raison

Suivre la prudence
Ou bien la déraison
C’est là l’importance
De votre décision

Mais à trop hésiter


À prendre du retard
Votre sort est scellé
C’est la chance qui part

Soyez donc passionné


Et suivez vos désirs
La peur ne peut bloquer
Ce qui est l’avenir

La raison est souvent


Un obstacle au bonheur
Un triste reniement
Qui condamne au malheur

Car vivre c’est oser


Et s’engager à fond
En toute liberté
Partir vers l’horizon

Celui de l’inconnu
Et qui nous attend
Il serait malvenu
De le fuir lâchement

24
Angoisse nocturne

Quand le soleil disparaîtra


En ensanglantant l’horizon
La nature s’endormira
Dans un silence moribond

L’oiseau regagnera son nid


Et les ombres disparaîtront
Dans la profondeur de la nuit
Tout paraîtra à l’abandon

Mais quand la lune surgira


Dans une lumière blafarde
Une folle angoisse viendra
De la peur de la Camarde

Car c’est le moment du sabbat


Où s’agitent les sorcières
Satan dirigeant leurs ébats
Dans la lointaine clairière

Et la nuit nous remémore


Toutes ces légendes d’antan
Craintif l’on attend l’aurore
Comme quand l’on était enfant

Mais c’est surtout en vieillissant


Que l’obscurité nous fait peur
En se peuplant d’esprits méchants
Nous jetant des sorts de malheur

25
La quête inutile

Il rêvait de partir très loin


Bien au-delà de l’horizon
Il en éprouvait le besoin
Son hameau était sa prison

Un beau jour il se décida


De partir à l’aventure
Avec le hasard pour compas
Et son désir comme armure

Partout il chercha le bonheur


Là où le conduisaient ses pas
Voulant connaître la chaleur
De l’amour dans tout son éclat

Il cherchait la fraternité
Il trouva l’indifférence
Car il n’était qu’un étranger
Rejeté dans son errance

Ayant perdu ses illusions


Il revint vers le sol natal
Avec l’intime conviction
D’avoir perdu son idéal

À quoi bon chercher un ailleurs


Un introuvable paradis
Il faut savoir que le bonheur
C’est d’être là où l’on naquit

26
L’amour menteur

Il m’arrive souvent de penser qu’un amour


Qui enflamme le cœur devrait être éternel
Un bonheur permanent jusqu’à la fin des jours
Hélas il fait souffrir car c’est un jeu cruel

Quand l’on prend dans les bras sa folle maîtresse


L’on ne peut pas croire qu’elle peut vous quitter
Pour une autre passion pour une autre ivresse
Aujourd’hui ou demain sans aucune pitié

Mais c’est la triste loi des amours humaines


Quand une passion nait elle se nourrit d’espoir
Et envahit l’esprit telle une rengaine

Mais quand s’arrête l’air quand finit la chanson


Dans le cœur de l’amant il se met à pleuvoir
Tant et tant de larmes qu’il en perd la raison

27
Chateaubriand avait raison

Je m’en vais seul sur ma route


Qui me conduit vers l’inconnu
L’âme et le cœur en déroute
Dans ce monde où je suis perdu

Pourtant j’étais vraiment confiant


Dans l‘avenir qui m’attendait
Quand j’étais jeune encore enfant
L’innocence me protégeait

Le doute s’empara de moi


À mesure que je grandissais
Et j’étais dans le désarroi
Je ne connaissais plus la paix

Car ce beau monde imaginé


Parmi mes songes enfantins
Empli de paix et d’amitié
Se révélait bien peu humain

J’ai connu l’animosité


Et la colère des jaloux
Cela ne m’a jamais blessé
Car du combat j’avais le goût

Hélas l’âge m’a désarmé


L’espoir me quitte peu à peu
En me laissant désemparé
L’on est faible quand l’on est vieux

Et honteux je cherche une main


Pour m’aider dans les derniers pas
Que me réserve ce chemin
Vers l’inconnu où il s’en va

28
La vieillesse est un naufrage
A déclaré Chateaubriand
C’était les dires d’un sage
Je le confirme à présent

29
Un jeu cruel

Comme un papillon s’envole


En voyant l’ombre d’une main
Approcher de la corolle
Tu t’écartes de mon chemin

Je me suis comme un chien égaré


Qui cherche l’amour d’un maître
Qui accepte de l’adopter
Pour voir son bonheur renaître

Méchante tu ne veux pas voir


Cette passion qui me brûle
Tu ne me laisses aucun espoir
Tu joues les incrédules

Souvent tu t‘échappes en riant


Lorsque je prends un air sérieux
Tu te moques de mes serments
Niant que je sois amoureux

Et je reste comme un idiot


Figé tel un pantin brisé
Et je ne trouve plus les mots
Pour te convaincre de m’aimer

Et j’en suis à me demander


Si ce n’est pas un nouveau jeu
Pour garder mon cœur prisonnier
À ton seul désir capricieux

30
Les quatre saisons de l’amour

C’est par un beau jour du printemps


Qu’heureux ils se sont rencontrés
Ils partageaient leurs jeux d’enfants
Ils ne pouvaient plus se quitter

C’est dans la chaleur de l’été


Que leur vint la révélation
Leur amour s’était transformé
Dans la plus ardente passion

Un bel automne a consacré


La sagesse de leur union
Et les enfants sont arrivés
La plus jolie des moissons

Puis vint l’hiver et ses frimas


La neige couvrit leurs cheveux
Et lorsque l’un deux s’en alla
Il ne resta qu’un malheureux

31
Les processions d’antan

Comme il est loin le temps


Celui des processions
Que je suivais enfant
Le cœur plein d’émotion

C’était au mois de mai


À Spa dans ses quartiers
Je n’oublierai jamais
Toute cette piété

Les cantiques s’élevaient


Vers un ciel enchanté
Et des anges suivaient
Le sacrement sacré

C’étaient les élèves


De l’institut chrétien
Dieu était un rêve
Pour moi déjà païen

La ferveur me troublait
Devant la communion
De ces gens qui priaient
Leur dieu à l’unisson

Aujourd’hui les chrétiens


N’ont plus droit de cité
Comme dans les temps anciens
Ils doivent se cacher

La rue n’est plus à eux


Cela gêne certains
Devenant fous furieux
À voir ces « calotins »

32
J’aimais leurs processions
Bien que refusant dieu
J’en garde la vision
Comme d’un moment heureux

Perdre les traditions Et notre identité


C’est perdre la raison
Et nier le passé

J’ai du vague à l’âme


De ces rites abolis
Et ce que je blâme
C’est notre triste oubli

33
L’amour du Liégeois

Sur un banc au parc d’Avroy


Il a pris sa main en tremblant
Ne pouvant cacher son émoi
Le Liégeois a le cœur ardent

Elle s’appelait Liberté


Il en devint amoureux fou
Il ne pouvait plus s’en passer
Au point d’en devenir jaloux

Très orgueilleux de son amour


Il le clamait à tous les vents
Elle sera mienne pour toujours
Sur mon honneur j’en fais serment

Ce fut une révolution


Chaque fois qu’on lui enlevait
L’unique objet de sa passion
Privé d’elle il en mourrait

Mais s’il continue à errer


Dans les rues et les venelles
En fantôme de la Cité
C’est pour retrouver la belle

Et un beau jour elle reviendra


Dans sa magnifique beauté
Lui ouvrir à nouveau ses bras
Qu’il n’avait jamais oublié

34
La quête du rêve

À quoi bon tant rêver


D’un bonheur permanent
Car il ne peut durer
Toute une vie durant

Quand il vient de naître


On le croit éternel
Le temps de connaître
Une fin au scalpel

L’on arrose de pleurs


Le rêve disparu
L’on trouve le malheur
Et l’on se sent perdu

Comment vivre sans lui


L’esprit mort pour toujours
Et connaître l’ennui
De vivre sans amour

Mais l’on a beau lutter


Sans trêve l’on aura
Le besoin de rêver
La vie est comme cela

35
Je n’ai pas su te dire

J’ai souvent le regret


De n’avoir pas montré
À quel point je t’aimais
En pensant au passé

Les mots sont impuissants


Pour dire l’émotion
Qui rend le cœur battant
Et ivre de passion

Bien sûr je te parlais


Et je t’offrais des fleurs
Pour dire mon souhait
De faire ton bonheur

Toujours tu m’as donné


Tout ce que j’attendais
Mais pour te l’exprimer
J’étais un grand dadais

Et j’aurais tout donné


Pour que tu saches enfin
Que malgré ma fierté
Sans toi je n’étais rien

Hélas il est trop tard


Je suis désemparé
Car depuis ton départ
Je ne sais plus aimer

J’ai toujours le regret


De n’avoir su montrer
À quel point je t’aimais
Lorsque tu m’as aimé

36
Le poème et ma muse

Qu’il est lourd à porter


Le poids de tous ces ans
Que j’ai accumulés
Toute ma vie durant

Et son bilan fait peur


Chaque jour qui passe
S'ajoute une douleur
Qui laisse une trace

Si le corps dépérit
L’esprit est toujours là
Et voit avec ennui
Augmenter les dégâts

Mais je veux vivre encor


Ma muse me fait rêver
Et j’en oublie mon sort
Quand elle veut m’inspirer

Elle est le seul plaisir


Qui me garde vivant
J’éprouve les désirs
Que j’avais à vingt ans

J’en oublie le malheur


Que mon esprit pressent
Je n’ai que du bonheur
Poème en t’écrivant

37
L’oisillon impatient

L’oiseau tombé du nid


Pépie tristement
Il était trop petit
Pour voler comme un grand

Le ciel était tentant


Pour un premier essai
Et dans un grand élan
Il pensa qu’il pouvait

Il connut le bonheur
L’espace d’un instant
Hélas pour son malheur
Il chuta brusquement

L’oisillon hors du nid


Est l’oiseau pour le chat
À moins qu’un geste ami
N’empêche son trépas

L’enfant est comme lui


Désireux d’essayer
Le pas qui le conduit
Vers plus de liberté

Les conseils des parents


Lui semblant trop sages
Le laissent indifférent
Jusqu’à un naufrage

C’est la triste leçon


Que Dame nature
Peut donner au garçon
Cherchant l’aventure

38
Liège meurtrie

Il pleure sur Liège


Ma cité ardente
Tombant dans le piège
De l’horreur sanglante

La mort des innocents


Frappés au cri d’Allah
Par l’acte d’un dément
Ne se pardonne pas

L’assassin est tombé


Sous un tir justicier
Mais ne peut effacer
Ce geste meurtrier

La douleur intense
Qui envahit nos cœurs
Crée une souffrance
En ces jours de malheur

Et je verse aujourd’hui
Une larme de sang
Sur ce peuple meurtri
Aussi cruellement

39
Les demoiselles d’autrefois

J’ai la souvenance
Des filles d’autrefois
e leur innocence
Et de leur frais minois

Leurs robes légères


Et leurs rires en éclat
Ne pouvaient que plaire
À mon regard déjà

Pouvoir les admirer


En jeune adolescent
Découvrant la beauté
De leur charme naissant

Point de maquillage
Ne venait modifier
Leur tendre visage
Sous le soleil d’été

Et si leur corsage
Laissait imaginer
Leurs petits seins sages
Défense d’y toucher

C’était un temps béni


Ou le moindre baiser
Ouvrait le paradis
Dont on avait rêvé

Mais il a disparu
L’on ne sait plus rêver
Le respect s’est perdu
Pour la féminité

40
Et les « jeans » délavés
Déchirés aux genoux
Ne peuvent m’inspirer
Ce n’est pas de mon goût

J’ai la souvenance
Des filles d’autrefois
De leur élégance
Inspirant mes émois

41
Le désir impossible

Lorsque l’on devient vieux


Tout devient dérisoire
Mais l’on devient furieux
Au moindre déboire

Un acte habituel
Tant de fois répété
Est d’autant plus cruel
Quand il vient à manquer

Mais l’âge est sans pitié


La douleur vous saisit
Au moindre effort tenté
Au plus petit souci

Et l’on ne comprend plus


Le monde autour de soi
Mais qu’est-il advenu
Du bonheur d’autrefois

Toi le jeune insouciant


Plein de vitalité
Jouis de ce moment
De pleine liberté

La vie est si courte


Qu’il faut en profiter
Car le temps est fourbe
On ne le voit passer

J’aimerais retrouver
Un instant seulement
Un peu de ce passé
Où j’étais un enfant

42
Espoir déçu

Je me suis rendu au jardin


Choisir la plus belle rose
Pour toi mon amour

Je l’ai cueillie de ma main


Elle était à peine éclose
Pour toi mon amour

J’ai voulu écrire un quatrain


Et n’ai fait que de la prose
Pour toi mon amour

J’espérais être l’écrivain


D’une passion qui s’impose
Pour toi mon amour

Pouvoir utiliser enfin


Les atouts dont je dispose
Pour toi mon amour

J’ai couru le long du chemin


Pour trouver la porte close
Chez toi mon amour

Mais reviendrais-je encore demain


Elle sera morte ma rose
Chez toi mon amour

Tu m’as rendu le cœur chagrin


Le jour s’achève morose
Pour moi mon amour

43
La poésie ne connait pas les barreaux

Si le poète est enchaîné


Par les censeurs à l’unisson
Ses vers chantent la liberté
Et s’évadent vers l’horizon

Car aucune condamnation


Ne saura arrêter les mots
De ses profondes indignations
Sur les injustices et ses maux

Et ils deviendront clandestins


Témoins d’une résistance
Refusant le sombre destin
D’oppression et de souffrance

Ces mots incarneront l’espoir


Au-delà des murs de prison
Messagers que l’on ne peut voir
Annonçant la libération

Vous ferez des autodafés


Des tribunaux d’inquisition
Mais vous ne pourrez supprimer
Le grand retour des émotions

Le peuple enfin éveillé


Affirmera sa colère
Le poète s’est révélé
Être un porteur de lumière

44
L’horloge du destin

Un jour j’emprunterai le chemin si ardu


Qui mène à l’horizon et conduit au néant
Il est détestable car toujours malvenu
Alors que l’on se sent encore bien vivant

Pourtant les jours passent heureux ou


malheureux
Et nous laissent sans voix devant notre destin
L’on tente d’oublier le moment douloureux
Où un auteur cruel inscrira le mot fin

Alors il faut chanter le plaisir de vivre


Goûter aux sentiments qui font battre le cœur
Aimer la liberté au point d’être ivre

J’oublierai un instant le sort qui nous attend


Pour profiter vraiment des moments de bonheur
Car le temps s’égrène inexorablement

45
La folie de l’absolu

Pourquoi nous faut-il sans cesse


Cette recherche d’absolu
Cette divine maitresse
Qui nous laisse le cœur à nu

L’idéal est le mirage


Qui nourrit l’imagination
Mais il n’est jamais très sage
De s’y livrer avec passion

Dans la vie rien n’est parfait


Chaque bonheur a sa faille
Soudainement il disparaît
Sous le doute qui l’assaille

Dans cette quête fiévreuse


L’être humain s’épuise en vain
Et son âme est malheureuse
Dans l’attente du lendemain

Hélas c’est en vain qu’il attend


Le plein bonheur en son état
Qu’il ne connaîtra pas pourtant
Car l’absolu n’existe pas

46
La Meuse et Liège

La Meuse aux mille diamants


Portés par les vaguelettes
Que les chalands laissent en passant
Prend une courbe parfaite
En traversant notre cité

Qu’ils sont agréables ses quais


À suivre d’un pas paresseux
Quand le soleil du mois de mai
Est une invitation des cieux
Au cœur de l’ardente cité

Liège ton nom est éclatant


Que serais-tu sans ton fleuve
C’est un commerce florissant
Que tes eaux puissantes abreuvent
Au sein de la belle cité

Au cours des siècles la Meuse


À travers malheurs et bonheurs
Fut toujours ton amoureuse
T’aidant à faire la grandeur
Et la fierté de ta cité

47
La beauté d’une demeure

Dans la belle lumière d’été


La vieille maison resplendit
Ses murs par le temps patinés
Jouent les variations de gris

Les volets d’un blanc éclatant


Sur les côtés des fenêtres
Présente un contraste étonnant
Avec les tons de salpêtre

Des rideaux de lierre et de fleurs


Colonisent sa muraille
C’est un mélange de couleurs
S’opposant à sa grisaille

Ses parterres viennent compléter


L’élégance de ce tableau
Il doit être doux d’habiter
À Ham ce merveilleux hameau

Et cette ancienne demeure


Éblouissante de beauté
Arrête le cours des heures
Dans un moment d’éternité

48
Peur nocturne

C’est quand la lumière s’éteint


Qu’une grande angoisse t’étreint
L’obscurité c’est le néant
Tout disparaît en un instant

Quand la nuit se fait profonde


Une peur d’enfant t’inonde
Car tu perds tous tes repères
Le réel vire au mystère

En vain tu tentes de trouver


Tâtonnant dans le noir complet
Tout ce qui t’était familier

Le monde devient hostile


Tout semble inconnu et secret
À tes mains si malhabiles

49
Censure à la Tartuffe

Pour illustrer un poème d’amour


J’eus le malheur de joindre une photo
D’une femme à la poitrine trop glamour
Et « Face Book » le censura aussitôt

Couvrez ce sein que je ne saurais voir


S’écriait le Tartuffe de Molière
De la tentation il a le pouvoir
A décidé le censeur en colère

Pauvre siècle pour notre société


Où la nudité devient honteuse
Où nous menace l’ombre du passé

Faudra-t-il un jour vanter la burqa


Pour rendre la beauté silencieuse
Et ne plus succomber à ses appâts

50
Inquiétude amoureuse

Une goutte de pluie sur ton bonheur


Une grosse larme perle en mon cœur
Car je ne puis supporter qu’un chagrin
Vienne ternir ton petit air mutin

Je n’aime pas ton visage boudeur


Il m’angoisse et me fait tellement peur
Que je me demande quel est le péché
Que j’ai commis pour tant te contrarier

Car je ne survis que de ton amour


Je cesserais de vivre et d’exister
Si par malheur je te perdais un jour

Et je veux t’entendre rire à nouveau


De ma terreur de ne plus être aimé
Je n’y puis rien car je t’ai dans la peau

51
L’envol du poète

Le poète est libre comme l’oiseau


Son inspiration il la tient des dieux
Et les mots qu’il dit s’envolent aussitôt
Rejoindre les nuages dans les cieux

Quelquefois ils se changent en orage


S’abattant violemment sur le lecteur
Mais souvent ils offrent un azur sage
Qui plaît à l’âme et la porte au bonheur

Ils sont les notes d’une musique


Que le poète ressent au fond de lui
Parfois heureuse ou dramatique
Traduisant les sentiments d’aujourd’hui

Et les mots et les maux se confondent


Trop souvent dans le cruel mélange
De son imagination féconde
Le poète n’est jamais un ange

Car c’est un humain qui hurle ses peurs


Devant ce monde déshumanisé
Mais qui sait aussi chanter la chaleur
Des moments heureux qu’il a rencontrés

Si le poète est semblable à l’oiseau


Il a besoin d’espace pour voler
Il ne saurait être heureux que là-haut
À goûter le vent de la liberté

52
Interrogation sur un désespoir

Pourquoi cette langueur


Qui te saisit le cœur
Tu étais si vivant
Quand venait le printemps

Pourquoi faut-il toujours


Pleurer sur un amour
Perdu depuis longtemps
Dans la brume des ans

Pourquoi verser un pleur


Quand se meurt une fleur
Oublie le passé
Que tu as adoré

Pourquoi cette douleur


À la triste saveur
Qui semble te nourrir
D’un triste souvenir

Pourquoi t’abreuves-tu
De regrets malvenus
Quand le bonheur sourit
À ceux qui ont l’oubli

Je ne puis l’oublier
Et pour l’éternité
Je devrai chaque jour
Survivre en désamour

53
La liberté sous condition

Qui peut croire en la liberté


Quand il subit la contrainte
De ne pas pouvoir s’exprimer
Sous la menace d’une plainte

Or il s’agit de penser droit


Comme le veut la société
L’on ne peut élever la voix
Pour exprimer sa vérité

Car des sujets sont interdits


Même enfermés au fond de soi
À trop penser l’on est maudit
Et la censure fait son choix

Nombreux sont les imprécateurs


Qui désignent à la vindicte
Les penseurs qui ont le malheur
De nier les lois qu’ils dictent

Ils décident de la vertu


Qui doit inspirer les humains
Ils pourchassent l’individu
Qui s’écarte de leur chemin

Qui peut croire en la liberté


Celle du siècle des Lumières
Lorsqu’il est en captivité
Au milieu de ces barrières

54
Le retour de l’été

Voici venir l’été


Au champ resplendissant
De la couleur des blés
Au soleil mûrissants

À l’or de leurs épis


C’est un coquelicot
Bien rouge qui surgit
Et se mêle au tableau

Aux abords des bleuets


Soulignent le chemin
Et l’air est si épais
Que l’on sent leur parfum

Lorsque sonne midi


À un clocher lointain
Tout semble être endormi
En un sommeil serein

J’aime cette saison


Et sa belle langueur
Quand son apparition
Annonce mon bonheur

Redevenir vivant
Et pouvoir savourer
La vision de ces champs
Dans la sérénité

Dans le cœur de l’été


Rien n’est jamais pareil
Car tout est magnifié
Quand surgit le soleil

55
Un orage d’été

Des nuages gris couvrent l’horizon


Le soleil s’enfuit pauvre vagabond
Car l’été se meurt privé de clarté
Ravivant la peur de l’obscurité

Le passant inquiet se met à l’abri


Et l’oiseau muet regagne son nid
Il perd sa beauté le vert feuillage
Lorsqu’il est frappé par un orage

La pluie inonde les bois et les champs


Les têtes blondes des blés se couchant
Offrent la vision d’un vrai carnage

La faible lueur qui règne à présent


Déteint la couleur venant de l’Orient
Dans la dilution du paysage

56
Supplément – Quand le poète se livre

Après de longues années où j’ai erré l’âme vide et


le cœur en pleurs, j’ai décidé de confier à ma
plume les moments les plus atroces, les plus
cruels, les plus destructeurs que j’ai connus dans
la vie. Non pas sous la forme de poèmes me
rappelant la grande tristesse qui m’envahit parfois.
J’avais commencé à écrire dans le mois qui a suivi
la mort de ma femme sous forme d’une épitaphe
placée sur sa tombe pour clamer mon malheur.
Elle a éveillé une sensibilité poétique que je ne me
connaissais pas.

« La destinée d’un ange est de rejoindre les cieux


Et de quitter cette terre de malheur
Où le temps assassine la plus belle fleur
Où la Mort contraint au pénible adieu

Ce fut le cas de mon aimée de ma tendre maîtresse


Apparition féerique à mon regard d’adolescent
De celle qui deviendrait l’esclave et la déesse
De mon amour et de mes désirs incandescents

Fou je devins fou de ses yeux où j’aimais me noyer


De sa voix aux inflexions qui me faisaient trembler de désir
Du parfum dégagé par sa nuque à la fois si prenant et si léger
Du goût de sa peau de son corps où j’aimais m’engloutir

Près de cinquante ans, je ne respirais que grâce à elle


Elle était mon sang mon oxygène, ma graine d’éternité
Celle qui me rendait bon lorsque je me sentais cruel
Celle qui apaisait mes colères lorsque je sentais son cœur
blessé

Elle m’a quitté me laissant comme un orphelin abandonné


Au fond d’une forêt lugubre où la nature se révèle hostile
Sanglotant de peur et de désespoir dans une nuit sans clarté
Dieu que la vie sait être vaine et inutile »

Le temps a passé, mais la blessure est restée


béante et quand reviennent à ma mémoire ces
jours maudits, leurs souvenirs me taraudent le
cœur et m’obligent à quitter la douceur de la

57
poésie pour une prose moins lyrique, plus
humaine, dans un cri non réfléchi me sortant des
tripes.

Enfin, je me délivre l’esprit en couchant sur le


papier l’horreur que j’ai connue lors des jours qui
ont précédé la fin de mon grand amour. La fin ?
Le mot n’est pas juste, car je l’aime toujours autant
et chaque heure qui passe atteste de son absence
définitive ce qui m'est insupportable.

Je rédigerai donc ma relation des événements


sous forme d’un journal intime, d’un agenda
fatidique que je fermerai quand il n’aura plus lieu
d’être.

Aussi, relater l’agonie dont j’ai été le témoin à


défaut de me consoler pourrait, peut-être, devenir
une thérapie me permettant d’aborder les mois ou
années qui me restent à vivre plus sereinement,
une sorte d’aveu de la faiblesse que je tentais de
cacher dans la solitude. Aujourd’hui je me confie
aux lecteurs, ceux qui ont connu ou ceux qui vont
connaître les affres de la peur, de l’angoisse, de
l’impuissance, face à l’horrible mégère, la dame à
la faux ravageuse, venue les visiter et emporter
avec elle ce trésor dont on a toujours ignoré sa
grande valeur tant qu’on ne l’a pas perdu. Je sais
qu’ils me comprendront, car le langage du cœur
est un langage universel qui n’a pas besoin de
traducteur, l’émotion et la compassion suffit !

58
Dimanche 30 janvier 2011

Une bien triste semaine se termine aujourd’hui et


j’ai l’angoisse et la peur qui me taraudent le ventre.
Ce vendredi, le médecin après l’auscultation de
ma femme m’a pris à l’écart pour me dire que
c’était la fin. À ce moment, j’ai revu le film de sa
vie, et de la mienne, depuis le moment où l’on
avait diagnostiqué un cancer du sein, au retour de
merveilleuses vacances passées en Provence
chez mes amis vignerons en août 2000. Une
pâleur soudaine avait frappé son visage.
Courageuse, elle avait accepté l’ablation complète
du sein et de sa chaîne ganglionnaire. Cette
opération avait changé ma femme, elle vivait dans
une crainte continuelle d’une récidive et a dû un
traitement anti hormonal qui lui donnait des
nausées continuelles, des maux de tête et cela
pendant 5 longues années. Ce fut une délivrance
quand le cancérologue interrompit ce lors
traitement journalier en lui disant que le danger
était passé. Bien qu’elle fût rassurée, elle avait
perdu mentalement sa féminité et se sentait
physiquement amputée.

Et la vie reprit, presque comme avant pour moi et


pour elle, deux années de paix, moi plongé dans
mes occupations sociales et elle profitant de
longues promenades dans les bois environnants
avec notre chienne malinoise Frida qui veillait
avec amour sur elle.

En mai 2007, elle se plaignit brusquement de


douleurs dans les côtes. Après une série
d’examens, l’on constata qu’elle avait des
métastases dans les os. Et là commença le
calvaire dont j’entrevois la fin aujourd’hui. D’abord
de longues séances de chimiothérapie deux fois
la semaine en hôpital de jour l’épuisant

59
physiquement et moralement. Je la voyais dépérir
comme une fleur privée de sève. Étant à la
retraite, je pouvais désormais l’accompagner dans
sa vie de souffrance et plus elle était mal et plus
je l’aimais. Je la conduisais à ces séances de
torture, car à force de lui faire des prises de sang
et de lui injecter lentement, longuement le contenu
des baxters, ses veines se durcissaient et devenu
difficile à trouver, surtout que l’on ne pouvait pas
lui faire cela dans le bras droit du fait de l’ablation
de la chaîne ganglionnaire et du risque d’attraper
le « gros bras ».

Dans un premier temps, je la soutenais pour


marcher péniblement dans ces longs couloirs
d’usine hospitalière, puis vint le temps du fauteuil
roulant. Il fallait d’abord arrêter ma voiture devant
l’entrée de l’hôpital, chercher un fauteuil pas
toujours facile à trouver, abandonner ma femme
dans un couloir plein de courant d’air pour aller
garer mon véhicule, revenir en courant, la
conduire à la salle de soins et passer
pratiquement toute la journée à ses côtés. Le soir,
c’était le même trajet dans les mêmes conditions,
mais à l’envers.

En août 2010, l’oncologue décela des métastases


dans la moelle épinière et ma femme décida
d’arrêter le traitement encore plus lourd et
n’offrant pratiquement de chance de stopper la
maladie.

Nous prîmes alors deux semaines de vacances,


les dernières que nous allions connaître
ensemble. Nous allâmes jusqu’à Sarlat en
Dordogne par petites étapes et rien que par des
routes départementales pour ménager ses forces.
Il me semble aujourd’hui que le ciel nous a offert
un dernier cadeau, elle riait, mangeait en petites

60
quantité certes avec plaisir. L’on aurait dit que la
vie lui revenait.

Hélas ! la trêve fut de courte durée, dès la rentrée


l’on dut lui faire des transfusions sanguines et de
plaquettes deux fois par semaine.

Puis vint le terrible Noël avec des amoncellements


de neige et beaucoup de routes inaccessibles.
Quand la veille, je la conduisis à l’hôpital pour ses
soins, j’accidentai ma voiture en glissant dans la
rue en pente en quittant la maison. Il me fut
impossible de la ramener chez nous. Aussi je
rentrai seul et nous passâmes ce dernier Noël
séparé, elle en salle d’oncologie et moi seul dans
ce nid d’amour pour la première fois.

J’ai un souvenir qui me met les larmes aux yeux,


c’est la compassion et la gentillesse d’un voisin et
de sa compagne de m’inviter ce soir-là à partager
leur repas de fête en compagnie de ses parents.
Mais comment accepter une telle invitation ?
Comme je l’ai refusée, une demi-heure après, la
voisine venait frapper à ma porte pour m’apporter
le repas prévu.

Deux jours après, je tentai de rapatrier ma femme,


mais un seul service ambulancier accepta cette
mission. Malheureusement, l’ambulance ne put
monter le raidillon qui conduit à la maison et je vis
ma femme faire les cinquante derniers mètres à
pied, en pantoufles soutenues par les deux
brancardiers. À peine installée dans le fauteuil,
elle m’a dit vouloir mourir et me fit jurer que je ne
la laisserai plus partir pour l’hôpital, urgence ou
non.

Ce que je fis et me voici ce dimanche avec


l’horrible attente d’une mort certaine. Qu’allons-

61
nous faire ? Elle pleure depuis hier et moi aussi.
Est-il possible de vivre des moments pareils ? Je
regrette presque d’être athée. Je ne sais prier
personne et ne peux croire aux miracles. Ah si elle
pouvait encore rester près de moi quelques
semaines. Mais c’est un sentiment égoïste, elle
souffre et je ne pense qu’au bonheur d’être encore
à ses côtés. Dieu que je l’ai aimée cette femme et
comme je l’aime encore. Ce n’est pas possible de
la perdre.

62
Lundi 31 janvier 2011

Triste réveil après une nuit agitée. Odette


gémissait à mes côtés dans le lit et ma chienne
malinoise Kitty se levait sans arrêt de sa couche
pour venir mettre son museau sur mon oreiller
comme pour me demander de soulager ma
femme. Quelle difficulté pour descendre l’escalier
qui mène à la salle à manger. Elle tient à peine sur
ses jambes et titube sur chaque marche. Je la
soutiens comme je peux et suis soulagé
d’atteindre le rez-de-chaussée. Je la trouve de
plus en plus confuse dans ses paroles. Pourtant
elle est lucide, mais elle est terriblement fatiguée
et les « patchs » de morphine l’affaiblissent
vraisemblablement.

Le médecin vient de passer. Il la trouve trop faible


et me fait commander un lit médicalisé à installer
au rez-de-chaussée. Je téléphone à notre
mutuelle qui possède un service de prêt de
matériel qui me promet la livraison pour demain.

Quelle journée ! Elle pleure sans arrêt dans le


fauteuil et moi à ses genoux, je pleure aussi. Ses
beaux yeux, ceux que j’ai tellement aimés,
contiennent tout le désespoir du monde. J’ai posé
le téléphone à côté d’elle pour qu’elle puisse
parler à notre voisine d’en face, car elle ne veut
plus voir personne, mais quand celle-ci l’appelle,
je vois qu’elle n’a même plus envie de parler.

Mais à la regarder, je me rends compte d’une


vérité dont je ne m’étais pas aperçu même dans
les pires moments subis jusqu’à là. C’est effrayant
comme elle a maigri, comme elle a vieilli et quand
l’infirmière lui fait sa toilette, j’ai devant moi une
image qui m’avait horrifiée dans ma jeunesse,

63
celle d’une femme, squelette vivant, sortant d’un
camp d’extermination nazi à la libération.

Comment au cours de ces années n’ai-je pas vu


ce qui a dû être une lente transformation et qui
m’avait totalement échappé. Bien sûr, elle ne
montrait plus sa nudité depuis longtemps et me
faisait sortir lors des soins qu’on lui prodiguait.
Mais ne pas voir la réalité à ce point ! Un vieil
adage dit que l’amour rend aveugle et
brusquement je me rends compte combien il est
vrai. Ces dernières années, toute mon attention se
portait sur tout ce qui l’entourait, la menaçait, lui
faisait mal et elle je la voyais comme je l’avais
toujours vue. Oh, je me rendais bien compte
qu’elle vieillissait, mais l’image qu’elle me
renvoyait était toujours celle que j’aimais certes
marquée par la douleur, ce qui me semblait
logique et normal.

Ma journée a été misérable, malgré mes brèves


sorties pour satisfaire les besoins de notre
chienne, pour faire quelques courses au
supermarché voisin et à la pharmacie, évitant de
rencontrer des voisins. Je n’ai pas envie de parler.
Je suis comme un vieil immeuble tenant encore
debout, mais dont l’intérieur s’effondre peu à peu.
Mais je dois tenir le coup pour elle. Ce n’est pas le
moment de craquer. Il est l’heure de monter
dormir, mais quelle nuit va-t-on encore passer !

64
Mardi 1er février 2011

Quelle nuit ! Odette s’est plainte une bonne partie


de la nuit à chaque mouvement qu’elle faisait. Je
n’osais plus bouger du coup et pour éviter de la
déranger, j’ai été m’allonger près de ma chienne
sur le matelas en mousse posé à même le sol au
pied du lit servant de couche à ma chienne
habituellement. C’était dur pour mon dos, mais
quel réconfort d’avoir son corps chaud et poilu et
de recevoir de grandes lèches sur mon visage.
Du coup, j’ai pu m’assoupir un peu !

Tôt le matin, j’ai aidé ma femme à se lever


péniblement. La pauvre, elle tient à peine debout.
Descendre l’escalier nous semble une opération
insurmontable. Marche par marche, elle se tenant
à la rampe et moi devant elle, en marche arrière,
pour lui faire face et mieux l’aider. Cela me
semble une éternité. Cela sera la dernière fois que
nous utiliserons ensemble cet escalier que nous
avons pratiqué tant de fois durant les vingt-cinq
ans passés dans notre nid d’amour.

Dix heures, la tâche de faire de la place dans la


salle de séjour pour le lit à installer m’a épuisé.
Pousser la lourde table en chêne contre le buffet,
le divan contre la commode, et le fauteuil dans un
coin entre le grand meuble et la petite fenêtre. Le
camion de livraison de la mutuelle est arrivé et les
deux livreurs ont installé le lit médicalisé. Mais
qu’est-ce qu’il prend comme place ! Il barre l’accès
à mon balcon et laisse juste un petit passage entre
la cuisine et les escaliers. Le lit fait, j’y ai installé
Odette. Magnifique, le dos peut se relever et il y a
un crochet pour y suspendre les baxters et un
perroquet, barre avec un étrier au-dessus d’elle
qui l’aidera à changer de position. Elle fait face à
la grande fenêtre vitrée qui donne une vue sur la

65
rue et sur la télévision. Malgré l’inquiétude qui me
ronge, je me sens satisfait. Elle restera à la
maison jusqu’au bout près de moi et de notre
chienne. Je lui ai juré de ne pas appeler les
secours quoiqu’il arrive pour qu’elle ne soit pas
embarquée à nouveau dans la froideur du service
des urgences de l’hôpital !

Quinze heures, le médecin vient de passer et a


prescrit un baxter pour la réhydrater me dit-il me
précisant que l’infirmière qui nous est accordée
pour soins palliatifs, viendra suivre régulièrement.
Lors de sa première visite, elle m’apprend qu’elle
habite ma localité, me donne son numéro de
téléphone et m’affirme être à son service même si
nécessaire la nuit et autant de fois que
nécessaire. Cela me rassure. Enfin je me sens
soutenu dans le dur combat qui s’annonce pour
elle et pour moi. Mais le docteur m’a
profondément alarmé en me disant qu’elle était
épuisée, qu’elle avait le cœur fatigué et que je
devais être courageux. Comme s’il fallait du
courage pour vivre cela. L’on ne sait rien faire et
je n’ai pas de courage.

Elle a de plus en plus mal et je vois sur son pauvre


visage, non seulement les tourments physiques
qu’elle subit, mais aussi la peur confuse de ce que
seront les jours à venir. Je me réfugie dans la
cuisine pour pleurer en fermant la porte pour
qu’elle n’entende pas les gros sanglots que je ne
peux étouffer.

J’ai pris une décision. Désormais, je dormirai sur


le divan pour rester à son écoute. Trop petit pour
moi, je dormirai ou essaierai de dormir en chien
de fusil. Qu’importe. Comment me soucier de mon
confort dans ces moments tragiques. J’attends
demain avec appréhension. Comment va évoluer

66
la situation, mais je sais au fond de moi qu’elle ne
peut qu’empirer !
Mercredi 2 février 2011

Après une nuit de demi-sommeil, aux aguets de


moindre gémissement de ma femme, je retourne
sans cesse dans mon esprit une terrible
interrogation, que vais-je devenir quand elle ne
sera plus là ? Souvent, l’idée de l’inutilité de vivre
sans sa présence m’est venue à l’esprit. Cette
nuit, elle ne m’a pas quittée.

Mais voilà qu’elle se réveille, mais a-t-elle


seulement dormi ? Je l’embrasse sur le front avec
tendresse et lui demande comment elle se sent.
Question idiote, je connais, je sais déjà sa
réponse. Elle me répond qu’elle a de plus en plus
mal, à chaque mouvement, à chaque respiration
et que le « patch » de morphine n’atténue plus ses
douleurs. Elle a les larmes aux yeux et moi aussi.

Odette a toujours été très sensible et réactive.


Brusquement, elle me demande de m’asseoir sur
le bord de son lit et de lui prendre la main. Ce que
je fais. D’une voix faible, avec un regard suppliant,
elle me dit, je vais bientôt partir et je te demande
de me jurer deux choses. Je l’assure que je
respecterai ses souhaits. Elle me répond avec des
sanglots dans la voix « jure-moi que tu resteras
dans notre maison et que tu prendras soin de
notre chienne jusqu’à sa fin ».

Elle a compris la fine mouche les pensées qui


s’agitent dans ma tête et comme elle sait que j’ai
toujours respecté mes promesses, elle
m’enchaîne au devoir de survivre après son
départ. Elle répète ses propos. Je ne sais que
répondre, mais je suis bien contraint de lui
répondre que je le jure, la gorge nouée.

67
Le médecin vient de passer. La douleur étant trop
forte, il a décidé de lui administrer la morphine par
« baxter » et après un passage à la pharmacie,
l’infirmière arrive pour lui poser. Je prie le ciel pour
que ce traitement agisse.

Mais voilà que l’on frappe à la porte d’entrée. Je


vais ouvrir et me trouve face à une dame qui me
déclare appartenir à un service d’aide morale aux
malades en traitement palliatif et qui veut parler à
ma femme. Je l’invite à entrer et elle se présente
à ma femme qui éclate en pleurs, sa présence
étant la confirmation à nouveau affirmée de sa fin
prochaine. Le comble, elle me met à la porte de la
pièce pour s’entretenir librement avec elle. Croit-
elle qu’elle a des secrets à dévoiler ? Se prend-
elle pour un confesseur ? Je rage et la vois partir
en m’affirmant qu’elle ou une de ses collègues
reviendra au début de la semaine prochaine.

La porte fermée, je retrouve ma femme dans un


désespoir profond. Sa peur est multipliée par cent.
Mais que puis-je lui dire pour l’apaiser un peu.
Rien, il n’y a rien à lui dire. Lui parler de courage,
d’espoir, c’est impossible !

Le soir venu, il me semble que la morphine fait de


l’effet. Cela me rassure et, après avoir fermé la
lumière et laissé seulement la lampe de chevet qui
donne à mes yeux un éclairage funèbre, je
regagne mon divan pour tenter de dormir un peu,
mais malgré ma fatigue le sommeil ne vient pas !

68
Jeudi 3 février 2011

J’ai dormi par à coup, Odette poussant de cris


de douleur en plus de ses gémissements, toute
la nuit, nerfs à vif. Je téléphone au médecin
pour lui demander de venir au plus tôt. Odette
gît sur le lit comme une poupée brisée. Je dois
l’aider à prendre la position assise, car elle n’a
même plus la force de se redresser avec l’aide
du perroquet. Elle ne veut même plus manger
la petite tartine que je lui ai préparée et refuse
même malgré le somnifère pris en plus. J’ai les
la tasse de lait chaud.

L’infirmière est passée pour les soins


journaliers. Elle prend beaucoup de
précautions en la manipulant lors de sa toilette.
Odette proteste d’une voix faible, car elle ne
supporte plus qu’on la manipule. Je vois ses
bras et ses jambes. L’on voit les os sous la
peau comme s’il n’y avait plus de chair.

Onze heures, le médecin vient de passer. Il


renouvelle le baxter de morphine et me dit que
cela devrait calmer ses douleurs, la mettant
dans un état de somnolence. Je ne dois pas la
forcer à manger, juste lui faire boire de l’eau.
J’hésite à la quitter pour sortir le chien de peur
de ne pas être auprès d’elle au cas où elle
aurait besoin de moi. Ce qui me fait beaucoup
de peine, c’est son apparente indifférence vis-
à-vis de moi. Sans doute une perte d’intérêt et
de lucidité due à l’influence de la morphine. Ses
yeux ne me demandent plus mon aide, mais
contiennent toute la douleur du monde.

Avec l’avancée de la soirée, elle sombre dans


une somnolence, mais continue à émettre une
plainte d’animal blessé qui n’en finit pas. Je me

69
couche dans le divan et coupe la lumière. C’est
une atmosphère étrange qui s’installe dans la
semi-obscurité. J’ai des idées de suicide qui
hantent mon cerveau. En finir avec cette peur,
cette angoisse, cette attente de la fin de sa vie
qui est aussi la fin de la mienne. Mais je ne peux
pas, elle a besoin de moi et je ne peux
l’abandonner. C’est le comble, je me sens
agoniser alors que c’est elle qui est en train de
mourir. J’en arrive à me dire qu’aimer est une
malédiction !

70
Vendredi 4 février 2011

Je n’ai pas dormi du tout cette nuit. Je m’étais


assoupi quand j’ai entendu cri violent qui m’a
précipité sur l’interrupteur pour éclairer la pièce.
Je vois Odette assise sur le bord du lit, les yeux
grand ouverts. Elle me regarde d’un air fou et
me demande où elle est. J’essaie de la rassurer
en lui expliquant qu’elle est chez nous, mais elle
ne veut pas me croire. J’ai toutes les peines du
monde à la recoucher. Quelques minutes
après, elle tente d’arracher le cathéter de son
bras. Je dois pratiquement me battre pour l’en
empêcher, mais heureusement sa faiblesse me
permet de dominer ses mouvements, de plus
en plus désordonnés.

Une heure du matin, je téléphone et réveille


notre médecin. Il me dit de me calmer, de lui
faire avaler deux somnifères et qu’il passera en
début de matinée. J’essaie de lui ouvrir la
bouche, mais elle serre tellement fort les dents
que je n’arrive pas à les introduire. Elle se fâche
sur moi me reprochant de l’empêcher de sortir
de l’hôpital. Cela devient une lutte épuisante
entre moments d’accalmie et retours de son
agitation. Désespéré, plusieurs fois je décroche
le téléphone pour appeler les secours et à
chaque fois, je m’arrête me rappelant la
promesse faite de la laisser mourir dans sa
maison.

Dieu que c’est dur ! Je cherche le réconfort


auprès de ma chienne, mais elle n’est plus là.
Apeurée, elle s’est réfugiée dans la cuisine, ne
comprenant probablement pas ce qui se passe.
Je suis terriblement seul.

71
Neuf heures du matin, le médecin est là. Elle
est calme probablement épuisée par cette nuit
d’horreur. Il me dit que le moment fatal
approche, que la morphine lui donne de la
confusion mentale et qu’il repassera en fin
d’après-midi pour éventuellement augmenter
un peu la dose.

Je passe ma journée à la couver du regard et


frémit à chacune de ses plaintes ou
gémissements. Bien que le docteur m’ait
affirmé qu’elle ne pouvait plus souffrir sous
l’influence de la morphine, j’ai peine à le croire.
J’ai placé une chaise à proximité de son lit et lui
tiens sa pauvre main dans la mienne. Je la sens
régulièrement se crisper et chaque fois j’ai un
coup au cœur.

Vingt heures, le médecin l’examine et me


confirme que la fin est proche. Il me signale qu’il
sera absent la nuit, car il va veiller un ami
mourant à Bruxelles, mais me promet de venir
au matin dès son retour, bien qu'il n'exerce pas
le samedi.

La soirée est plus calme et je la vois enfin


dormir paisiblement. Son visage s’est détendu
et me semble paisible, sa respiration s’est faite
légère et régulière. Je vais la veiller toute la nuit
dans l’attente de son dernier soupir. Je ne
pleure plus, j’ai les yeux trop secs et je suis
dans une lassitude extrême !

72
Samedi 5 janvier 2011

Je n’ai pas dormi de la nuit à l’écoute de sa


respiration. À certains moments, je me suis levé
inquiet du divan pour m’approcher de son lit et
m’assurer qu’elle vivait toujours. Sa respiration
était faible, mais régulière et son visage
détendu. La souffrance semble l’avoir quittée
pour lui offrir un sommeil réparateur. Est-ce la
fatigue accumulée ou un espoir chimérique,
mais me revient à l’esprit le conte de la Belle au
bois dormant. J’ai la folle impression qu’un
chaste baiser pourrait me la rendre pour
quelque temps encore. Et puis se met à tourner
en boucle dans mon esprit tourne en boucle la
chanson d’Édith Piaf « Mon Dieu ! Mon Dieu !
Mon Dieu ! Laissez-la-moi encore un peu mon
amoureuse ! Un jour, deux jours, huit jours,
laissez-la-moi encore un peu, à moi ». Je ne
suis plus moi-même, je navigue entre l’espoir
que je sais vain et le désespoir de notre
séparation inéluctable.

Vers huit heures, le téléphone sonne. C’est mon


médecin qui m’appelle pour me dire qu’il venait
juste de rentrer. Le temps de prendre une
douche et il sera là. Dès son arrivée, il se rend
au chevet de ma femme et me chuchote,
comme pour ne pas la réveiller, qu’elle ne
souffre pas, mais qu’elle est au bout du chemin.

Il vient s’asseoir à mes côtés dans le vieux


divan défoncé et attend avec moi. De temps à
autre il se lève, se penche vers elle et revient
près de moi. La matinée se passe ainsi dans un
silence assourdissant et aux environs de midi,
c’est moi qui lui dis, je crois qu’elle est morte,
qu’elle ne respire plus.

73
Il se lève, l’ausculte et me confirme qu’elle nous
a quittés. Au secours ! je ne sais plus que faire,
le monde s’effondre, ma raison n’existe plus. Je
suis partagé entre une joie intense de la savoir
délivrée de tous les tourments endurés et d’un
chagrin, d’une détresse tellement profonde que
je n’arrive plus à respirer.

Heureusement ce médecin pour qui j’ai de la


reconnaissance me porte assistance en
m’interrogeant si je sais ce que je dois faire. En
vérité, je n’en sais rien, je suis comme un
homme perdu dans le désert et incapable de
réfléchir sur l’action à mener. Ce docteur, ce
bon Samaritain qui, je le rappelle, ne travaille
pas le samedi téléphone pour moi à un
entrepreneur de pompes funèbres ainsi qu’à
l’infirmière pour venir procéder à la toilette
mortuaire.

Une heure plus tard, c’est l’employé de


l’entreprise qui vient prendre les mesures puis
il me sort un catalogue de cercueils dont il
feuillette les pages, me demandant mon avis
comme s’agissait d’acheter un meuble.
Complètement indécis, je prends un cercueil de
prix moyen et il énumère une série que
questions auxquelles je réponds tant bien que
mal. Une croix sur le cercueil ? Non, elle n’était
pas croyante. Voulez-vous la disposer dans un
funérarium ? Oui. Que doit-on faire paraître
dans la rubrique nécrologique ? Prévoyez-vous
un lieu de réunion après l’enfouissement ? Que
va-t-on y servir ? J’explose en disant que je ne
veux rien de tout cela. Je veux rester seul, sans
personne sauf mon pauvre chien qui ne sais
quoi faire et se terre dans tous les coins. Je
sens monter en moi la nausée me rappelant ce
genre de réunion où après l’évocation de

74
quelques souvenirs sur le défunt, l’on
commence à parler de tout et de rien, de la
famille ou des voisins.

Quinze heures, le fourgon mortuaire est là. A la


demande de l’infirmière, j’ai choisi dans
l’armoire un petit chemisier blanc que j’adorais
lui voir porter et une jupe foncée. Le cercueil
entré dans la pièce, je me réfugie à la cuisine.
La mise en bière faite (encore une expression
atroce), l’employé me demande s’il faut laisser
le couvercle ouvert ou s’il faut le fermer. Je
choisis la deuxième option. Il me demande
voulez-vous la voir une dernière fois ? C’en est
trop. Non, je ne saurais pas, cela m’est
impossible, j’ai le cœur qui se déchire, j’ai
l’estomac qui se noue et la tête qui explose.

C’est quand le fourgon funéraire s’en va que je


reste là, plus mort que vivant, serrant contre
moi avec force mon chien, son chien qu’elle
avait tant aimé. J’ai brusquement l’impression
d’être dans une caverne, car la maison est vide
comme elle ne l’a jamais été et résonne au
moindre bruit.

Ma vie est terminée, mais il faudra bien que


j’aille après dix-sept heures au funérarium avec
un portrait d’elle et des fleurs. Ainsi, je pourrai
rester seul avec elle selon mes vœux. Les
voisins ayant vu le fourgon funéraire sont venus
aux nouvelles et m’ont demandé où elle
reposait. Les visites seront le dimanche et le
lundi après-midi. Je sais qu’ils viendront pleins
de compassion, c’est tellement gentil et
empathique, mais cela ne pourra rien changer
à mon désespoir !

75
Table des matières
Souvenir de Vendome................................. 1
La lune moqueuse ....................................... 2
Le retour du printemps ............................... 3
Le muguet cruel .......................................... 4
Une perte obsédante .................................. 5
Le bonheur de donner ................................ 6
Le loup-garou .............................................. 7
Le temps meurtrier ..................................... 9
Le baiser volé ............................................ 10
Le cancre ................................................... 11
Yseult pleure Tristan ................................. 12
Alzheimer maudit...................................... 14
Le cadeau des Dieux ................................. 15
Quand le lilas refleurira ............................ 17
Le prénom d’un ange ................................ 18
Le bruit et la fureur ................................... 19
Le dernier voyage...................................... 21
L’amour prisonnier.................................... 22
Promesses électorales .............................. 23
Le seul choix possible ................................ 24
Angoisse nocturne .................................... 25

76
La quête inutile ......................................... 26
L’amour menteur ...................................... 27
Chateaubriand avait raison ....................... 28
Un jeu cruel ............................................... 30
Les quatre saisons de l’amour .................. 31
Les processions d’antan ............................ 32
L’amour du Liégeois .................................. 34
La quête du rêve ....................................... 35
Je n’ai pas su te dire .................................. 36
Le poème et ma muse............................... 37
L’oisillon impatient ................................... 38
Liège meurtrie ........................................... 39
Les demoiselles d’autrefois....................... 40
Le désir impossible.................................... 42
Espoir déçu................................................ 43
La poésie ne connait pas les barreaux ...... 44
L’horloge du destin ................................... 45
La folie de l’absolu .................................... 46
La Meuse et Liège ..................................... 47
La beauté d’une demeure ......................... 48
Peur nocturne ........................................... 49
Censure à la Tartuffe ................................. 50

77
Inquiétude amoureuse ............................. 51
L’envol du poète ....................................... 52
Interrogation sur un désespoir ................. 53
La liberté sous condition ........................... 54
Le retour de l’été ...................................... 55
Supplément – Quand le poète se livre...... 57

78

Vous aimerez peut-être aussi