Estevez Clerambault

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Exo! Peychiatr 2001 66 240.9 , 12001 tons seientiiqus et médicales Elsevier Sas. Lacan aurait cent ans "Tous dot sears Le premier moment de la psychose chez de Clérambault et chez Lacan F. Estévez * Résumé ~ La question du phénoméne élé- Summary ~ The first moment of psychosis rmeniaire en tant que primum movens de ia according to de Clérambault and Lacan. psychose est un themerécurentde'hisoire The question of elementary phenomena as dela psychiatrie. Nombreux sontles auteurs, the primum movens od psychosis is a recur- spécialement quelques classiques des XIX? ringtheme inthe history of psychiatry. Many EEXXTsecles,qulontintrodut des nouveau- _authors,especially te cassial authors ofthe 1&s sur le premier moment de la maladie nineteenth. and twentieth centuries, have Esquirol est celui qui, le premier, dlimite le introduced new idess about the first moment phénoméne hallucinaoire st fixe co défini of theillneve Eequrol wae the fret to delimit fion.Jusquela(1838)," hallucination aitun the hallucinatory phenomenon and fix a defi- ferme labile aux acceptions top vagues. Son nition. Unt that time (1838), hallucination disciple, Jean-PiereFalet,donnaparéeritla was a labile. vaguely accepted term. His ‘défintion du maitre, D'avires auteurs occu- follower, Jean-Piere Fale, gave a writen pent une place fondamentale dans 'étude de description from his mast. Other authors ‘ephénoméne,Pourtant parmitouslesauteurs, play a fundamental role inthe study of this ‘deux d'ente eut se detachentremarquable’ phenomenon. “Out of all. these. authors, ‘ment: Ga8ian Gatian de Clérambault(1872- though, two stood out noticeably: Gaetan 1934) et Jacques Lacan (1901-1981), lepre- Gatian'de Clérambault (1872-1934) and rice avec son automatisme mental, Tautze IacquesLocan(10011981),the first with his fveesonphénomene élémentaire.L'automa- “mental automatism’ and the second because lismementaldeClérambauitetlephénomene of his ‘elementary phenomenon’. Cléram- ‘Aémentaire de Lacan sont un seul ct méme ault's mental auiomatism and Lacan's ele- jhénoméne. En effet, tous deux reconnais- mentary phenomenon are one andthe same Sent dans la paychose un premier moment, phenomenon. Infact, both recognize in psy- {Qu n'est pas encore celui de hallucination, _chosisafist moment, not yet hallucination, ‘ais celui dela suspension de le pensée. Ce utather suspension of thought. 1s nial ‘mouvement initial $e met en marche quand movernent ses in when aheterogencous ele- tun élément hétérogéne (un corps étanger) _ment(aforeignbody) disturbs the subject. De vient perturber le sujet, De Clérambasle Clerarbault called this element the iit appelle cet éicment trouble initial ou Per? disturbance or ‘small meatal automatism’; Francisco Estver, docteuren psychologic een psychologic clinique, peychologuecinicen, psychana- lyse emponsable deneignemen. membre ctrespondant de Evolution pvchariue, Cento de Sad nia de EI Coto, A. lez Malad fn, 23208 Gijon, Espgne Tel." 03498336 61 22x: 0034 98'533 67 87; email: esteverores@nicines Regu e 10 jul 2000; accept e 18 janvier 2001. Le premier mement de la psychase chee de Cisrambaut et chez Lacan 2 Automatisme Mental et Lacan signifint ‘Nom-du-Pore. hallucination est a pre- Imlere réponse que consiuit le sujet pour remplire vide produit dans sa symbolisation par cet élément 'intrusion, Pour de Cléram- Fults ea forme a plus fréquente est calle di ‘bruit, pour Lacan c'est Vinsule, que Yon remarque partculigement sous la forme de injure de carectze sexuel, méme si le ‘malade le dssimule quand oa Tui en pare Lacan called it the ‘name of the Father’. Hallucinationisthesubject’sistresponse to fll nthe empriness produced in is symboli- zation by this intrusive element. For de CClérambault, its most frequent form is ‘noize, for Lacan, “inl, which one notices particulary in the form of an injury of a Sexual nature, even ifthe patient conceals it ‘when spoken to about it 2001 Editions Scientfiques et médicales Elsevier SAS © 2001 Editions scientifiques et médicales Elsevier SAS ‘automaton / deirum / elementary phenome. ‘how’/ foreign body 7 hallucination 7 mental ‘toomatisn fname of the Father / personal ‘meaning sorpemston of thought ickd Le corps étranger Dans "histoire de la psychiatric, la question du phénoméne élémentaire, en tant qu’ élément déclencheur de la psychose est un théme récurrent. On le trouve dans le tableau : La extraccién de la piedra de la locura' de Hyeronnymus Bosch (1450-1516), qui se trouve au musée du Prado de Madrid. On y voit une des premi¢res représentations d'un corps étranger qui se situe & V’origine de la foi du sujet. Ce qu’il y a de remarquable dans ce tableau, c'est qu'on y voit qu'il existe depuis plusieurs siécles une croyance tendant & prouver que la folie est produite par I'intrusion d'un corps étranger dans le malade ~ dans ce cas une pierre ~ et qu'il est la cause de sa vésauie. Méme s'il s'agit d'une eeprésentation fantastique, elle constitue une excellente métaphore de la cause déterminante du premier moment de la psychose, Sa nature sera organique ou psychique, selon les écoles, mais dés le XV* siécle cette hypothése a été faite. Pourtant, parmi tous les auteurs qui ont tenté d°étre plus précis, deux se détachent particuligrement il s'agit de Gaétan Gatian de Cléramhantt (1872 1934) et de Jacques Lacan (1901-1981). Le premier intitule cette premiéreflorai- son psychotique automatisme mental, l'autre — qui était aussi son disciple —’inti- tule phénoméne élémentaire. Il existe d'autres auteurs, en particulier certains classiques frangais et allemands des XIX® et XX° siécles qui, étudiant l’entrée dans la psychose, ont introduit des nouveautés, transformant ainsi les conceptions sur la premiére poussée. Mais on ne peut pas dire que tous les classiques ont dirigé leurs recherches dans cette direction, Kraepelin, par exemple, ne centre pas son étude sur ce point mais sur I’évolution terminale vers la démence. Seuls * Lextraton del piewe de fli. 22 F, Estver certains auteurs ont réalisé quelques apports épistémologiques déterminants & "étude de Ihallucination, Esquirol a été le premier a délimiter le phénomene hallucinatoire. Jusque-la, hallucination était dans 'histoire de la médecine un terme labile aux acceptions trop vagues. Il fut le premier & le fixer. Son disciple, Jean-Pierre Falret, n'est pas moins important puisqu’il donna par écrit la définition du maitre. D’autres auteurs comme Jules Baillarger, Theodor Meynert, Valentin Magnan, Philippe Chaslin, Jules Seglas, Siguiund Freud et Clemens Neisser, uvcupent une place fondamentale dans I'étude de ce phénoméne et ont apporté des modifications importantes & la défintion. Bien que hallucination soit la premiére dénomina- tion du phénoméne élémentaire, elle ne le recouvre pas entiérement. Elle s’en approche, mais elle n’est pas identique. Ce n'est pas réellement le mouvement initial de Ia pychose Esquirol, en 1838, dans un texte célébre et connu de tous, Des maladies mentales considérées sous le rapport médical, hygiénique et médico-légal, va définit hallucination comme une perception sans objet, en la situant dans le champ de erreur perceptive [1] . I! s'agit li de la premigre definition épistémique et bien qu'elle at été trés controversée, elle s'est maintenue jusqu’a la moitié du XX*siécle, Henri Ey, collégue et ami de Lacan, a maintenu cette définition esquirolienne, mais ila précisée en ajoutant que hallucination est une perception sans objet & percevoir Fondamentalement, ils'agit de la méme chose. C'est une conception qui a traversé 150 ans de psychiatrie, Trés vite, Baillarger, et surtout Séglas un peu plus tard, ont ouvert une autre voie qui a permis de s'approcher du phénomene. Il s’agit de I'approche linguis- tique. Le débat s‘organise autour de 1850 quand & la définition dominante de Esquirol, s'oppose celle qui veut que ce soit I’halluciné lui-méme qui articule les voix qu’il dit entendre. Cette ligne de recherches, comme Ia précédente, s'est poursuivie au XX° siécle et Lacan s’en est accommodé. Bien évidemment, le sujet a connu d'autres approche. L’une d’entre elles est celle de Theodor Meynert, le célébre neuropathologue autrichien, maitre de Freud, & qui il avait offert d’hériter de sa chaire de neuropathologie & Vienne. Comme on le sai, Freud déclina I'invitation en se soustrayant a la séduction d'un homme aussi particulier et continua son propre chemin. Ainsi donc, Meynert conforme une troisieme voie, basée sur les théories des localisations cérébrales, selon laquelle hallucination répondrait a lexcitation d’une zone cérébrale précise: les zones de Broca et Wernicke. Pourtant, cette hypothése défendue par d’autres auteurs, ne résiste pas a U'analyse, comme l'ont démontré quelques uns de ses premiers adeptes, Séglas en particulier. Séglas, qui était au début de sa carriére un défenseur ardent des localisations, cconclut qu'il n'y @ pas de correspondance bi-univoque entre I'excitation de zones ‘eérébrales déterminées et la production de phénoménes hallucinatoires. C’est ce moment qu'il abandonne cette théorie [2], critique sa validité et met en évidence que ce sont les propres malades eux-mémes interés & La Salpetriére qui arti- ‘culent les voix qu’ils disent entendre. Le premier moment de la psychose chez de Ciérambaut et chez Lacan 243 Hallucination et automatisme La découverte de Séglas nous conduit directement la question de Vauto- ‘matisme, Hallucination et automatisme sont deux signifiants d'un méme proces- sus. Le second terme est d'une grande importance dans la conception de la psychose il procéde de la philosophie et de la mécanique. Les auteurs classiques parlent de deux types d’automatisme : I'un qui ordonne le fonctionnement de organisme et qui permet de maintenir la vie, sous le régne de certaines régles, et Pautre que Gatian de Clérambault qualifie de mental (d’autres auteurs le quali- fient d’inférieur). Ce deuxiéme type s’oppose au premier en ce qu'il emballe et ‘dérégle I'automatisme supérieur. On pourrait croire qu'il s'ayit la dune contra- diction, mais on ne peut comprendre le terme que siI’on tient compte du fait qu'il existe deux modalités asymétriques du concept. Il est fondamental de comprendre que Phallucination apparait au moment od quelque chose s’emballe ~c"est-i-dire se dérégle — et ce contre la volonté du sujet. A partir de ce moment li le malade sourffce les effets de quelque chose qui lui échappe. Cette double articulation de I’automatisme a un sens trés précis en médecine ot Von distingue 'automatisme régulateur du systeme neurovégétatif de l'auto- tmatisme pathologique. La logique de cette différence provient de V'origine éty- ‘mologique bipolaire du terme : I’une de ses branches nous vient d’Aristote, autre de Descartes; elle provient aussi de sa double inscription conceptuelle : la premiere étant de type philosophique, la seconde étant de type mécanique et Physique. Lacan s'approche de cette asymétrie & ’aide de deux concepts aristotéliciens : ‘autématon et tiché. Autématon est le nom de l’automatisme régulateur qui permet le fonctionnement de la vie et fonctionnerait d'une manire plus ou moins naturelle. Tiiché, au contraire, rend compte de I'émergence de la rencontre avec autre. En d’autres mots, l'autdmaton habituel d'un étre humain peut se voir altéré lorsque le sujet affronte un interlocuteur (I'Autre, pour reprendre la termi- nologic lacanieune). Ces euttelacs déclenchent une modification de I"homéostase précaire subjective (puisqu’il peut s’agird’une bonne ou dune mauvaise rencontre). Le rendez-vous amoureux appartiendrait — convenons-en ainsi~ a la premiére condition ; la rencontre avec le réel (Unheimdich, chez, Freud) appartiendrait a la seconde étant donné qu’il défait I'ordre régulier de la vie. Le mot, corps étranger De cette maniére, dans extraction de la pierre de la foie, e corps étranger qui perturbait le sujet pourrait étre compris comme un objet linguistique, un mot réifié? qui soudainement découvert, bouleverserat son équilibre interne. Ils'agit 2 Cate expression et sus utilise par Joteph Gabel ~ ami et dve de Minkowski ~ dans sa thse de dre ct sr cuit el ison. Wir ure point La fouse conscience: Paro + Minuit; 1962, 1963, 1969. 28 F Estever dun mot qui trouve son origine dans le champ de I’Autre et qui démonte son hhoméostase subjective a ’état précaire. Des trois manigres ci-dessus mentionnées et qui congoivent le phénoméne hallucinatoire, celle-ci s’avére étre la plus consistante : I'étrange pour le sujet peychotiqne est un effet du langage extérieur Il nous faut rappeler que le langage nous habite de ’extérieur. Quand un étre nait, le langage ne lui est pas incorporé, ille trouve a I'extérieur. Le monde est découpé en mots. Cet étre vivant peut avoir accés au langage, mais cela ne lui est pas garanti a priori parce qu'il a besoin, & des moments primordiaux de sa vie, de certaines opérations qui le font acoder & ce monde symbolique. L’absence de ces opérations provoque des effets iméver- sibles. Lautisme est un exemple conmu d’échec opératoire. La psychose est une seconde variante. Lex sujets affectés par ces exceptions accédent au discours d'une maniére particuliére, C’est pour cette raison que décompensés, ils produi- sent d’étranges phénoménes langagiers : voila Phypothése. IL pout paraitre paradoxal d’étayer cette hypothése sur deux auteurs ~ de Clérambault et Lacan ~ qui adoptent, en principe, une position antithétique en relation au phénoméne initial de la psychose. De Clérambault est un organiciste aachamé, tandis que Lacan s'msent dans fa découverte freudienne ; sa conception de la psychose est strictement psychogénétique. Le paradoxe s’estompe si l’on considére, comme d'autres auteurs, que de Clérambault est un organiciste méta- phorique. Sa clinique est d'une grande finesse descriptive et cdtoie fréquemment la linguistique (3}. En ce qui concerne étiologie, il s’en tient & Porganicité. Pour- tant, quand il easaic de delimiter cette cauzalité, il la définit en employant des termes purement métaphoriques. Il n'y a pas de topos, aucun point dans V’orga- ‘nisme oi il parvienne & situerl'origine du tableau. Dans ses textes, l’organique ne figure que comme axiome : {..-1 Le noyau est donde histologique, tandis que ideation est ordre psychologique, ‘in pls, dans la majorite des cas (4) . 482). Le maitre de I'Infirmerie spéciale était trés enclin au dogmatisme et avec ce vvocable il dénomme sa principale découverte. Il érit sa terminologie de base en rmajuscules, comme si ses concepts appartenaient a la liturgie ‘Tai affimé que ces phénoménes sont au conrate, le plus souvent, LES SIGNES LES TOUT PREMIERS EN DATE DE LA PSYCHOSE ([3,p. 493). Voici son axiome Les intuitions, la pensée devancée,I'écho de la pensée et le non-sens sont les phéno~ ‘mes intiaux de AUtomatisme Mental (6, p. 467) Tel est son leitmotiv. Sa maniére de développer est presque toujours la méme, ily incorpore quelques éléments supplémentaires. It divise les phénoménes en Le premier mom de la psychose cher de Clerambaut et chez Lacan 2s phénoménes subtils et en phénomenes grossiers. Les premiers se caractérisent par Pétrangeté et le vide de la pensée ; ils peuvent étre accompagnés de jeux de mots. Les phénomenes posits sont I'écho et le vol de la pensée. Le délire apparalt dans tun moment secondaire. C’est pour cela qu’il soutient que le délire n’est pas la maladie — phrase de résonance freudienne - mais bien le produit que ta partie saine du sujet construit & partir de son propre savoir, de sa culture, de ses souve- nirs, pour donner une réponse a I'intrusion de ce phénoméne étrange. Le travail interprétatf et 'agencement systématique des conceptions ne sont que des épiphéooménes; is eésuhent d’un tava conscient et en Iui-méme non morbide ou & eine morbid, sur une matiére qui est imposée par 'inconseient. On peut dire qu'au ‘moment ole délire appari, a psychose est dja ancienne, Le Délire n'est qu'une Superstrctue (7) . 46). C'est dans cette articulation que Lacan trouve le bouillon de culture qui favo- rise le développement de sa propre théorie, parce que dans ces quelques petites phrases se trouve toute la structure du processus. Dans la séquence clérambal- tienne, on voit que les premiers phénoménes de I’Automatisme mental sont Métrangeté et le vide de la pensée. L’hallucination n'apparait pas dés le début. Crest un phénoméne de I’Automatisme mental, mais ce n'est pas le premier entre eux. Voici la nouveauté. Le premier phénoméne est consttué par le vide de la pensée et la perplexité. Hallucination et phénoméne élémentaire sont des termes qui, bien que s'alimentant de la méme logique, ne sont pas exactement synanymes. Sil est vrai qu’tme hallucination est tanjonrs un phénoméne élémen- taire, un phénoméne élémentaire n'est pas toujours une hallucination. Elle peut avoir d'autres caractéristiques, qui se profilent sous le signifiant vide : une sus- pension, une non-production, une absence de signification’, Ce n’est que plus tard qu’apparaissent les phénoménes positifs dont 'halluci nation est le sommet. spécialement I’auditive. Ce n'est pas la seule. mais son paradigme. Les patients disent entendre des voix, généralement injurieuses et insultantes. Les voix les plus fréquentes sont de caractére injurieux et sexue, bien qu'en clinique il puisse y avoir d'autres modalités (syndrome d’influenee, par exemple). Les hommes entendent des mots qui mettent en doute leur virilité: les femmes regoivent des allusions quant leur honnéteté sexuelle. Le délire apparait finalement, Cette question est fondamentale pour comprendre la contribution de Clemens Neisser et sa notion de « signification personnelle » (Krankhafte Eigen- beziehung). C’est-i-dire que le premier mouvement du psychotique aprés la > Francois Leuet noma «incbtrets»quelaues sujet qui soutent dun manque de frce dan es asso- ciation de spent, les sparan des ae, es « aangeurs», di produinent un monde nouvens Gira Lure applique ce défut socio des aléns au contate de Locke qi dali ce mangue de mouve- ment dans les faculé inelletweles comme condition essentele des imbecles (8), p. #). David F. Allen ‘Jaoques Pot! viennent de publi un trval trl non de ieciation, dans eel Ferre de Leet, ‘st fondamentale 9} 246 F Esttvee suspension de Ia pensée consiste a connoter le vide en clé personnelle intro- duisant une nouvelle signification bizarre : « ga me concemne » [10] ‘Suspension de la pensée, hallucination et délire Pour de Clérambault le délire est une construction saine. Il est assez curieux de constater que sans avoir Iu son contemporain Freud, il concoit le déie de cette facon, méme s'il s’agit d’un point de vue assez particulier. De Clérambault dit que lorsque le sujet psychotique se trouve en présence de I’ Automatisme mental corps étranger &l'intérieur de son corps ~ il est pratiquement paralysé. Aprés la petplexité - premiére réponse ~ se produit la scission du Moi ; puis hallucina- tion émerge. Plus tard encore, et devant l’absence de logique qui le domine et qui rompt son €quilibre vital, le sujet fait appel, dans un effort de texompositioa, aux éléments de base de sa culture, de son éducation, afin d’en extraie le matériel avec lequel il construit le délie. Celui-ci ne consiste plus en une suspension de la pensée, ni en injures isolées mais bien en une veritable composition narrative, certes particuliére (par exemple mégalomaniaque). A ce stade, le dlire n’est plus qu'une histoire, pour extravagante qu’elle soit. C'est sur cette logique que Lacan va s’appuyer. Il exposera sa différence de pensée concernant I’étiologie. La oii de Clérambault établit qu’elle est d’origine ‘organique, Lacan défendra le principe qu'elle est d’origine psychogenétique. Plus tard, il nuancera sa pensée, le terme psychogénétique lui paraissant imprécis La seconde différence réside dans la connexion entre phénoméne élémentaire et délire. De Clérambault congoit le délire comme une construction explicative secondaire que le sujet se donne pour comprendre l'incompréhensible. Lacan affirme, an contraire, que articulation entre délire et phénoméne élémentaire est primaire, de sorte que la logique du délire est dja inscrite dans le phénoméne lémentaire {1}, p. 28). L'exemple d'une femme érotomane qui entend linjure ‘putain comme prcmicrsignifiant aprés la suspension dela penste, illustre bien ce cas de figure. Cette injure ne sera pas étrangére au développement de son délire amoureux. L’insulte se référant& la femme qui fait 'amour avec un homme pour de l'argent, se nuance en des termes plus convenables en développant un délire ot elle apparait comme étant aimée par tous les hommes. Cette brusque injure marque le commencement, de fagon hallucinatoire, du délire naissant et qui commence a se constituer’ Il faudrait expliquer pourquoi certains sujets décompensent quand ils ren- contrent ce corps étranger — qui n'est pas dans ce cas une pierre mais un mot au poids similaire —tandis que la majorité des personnes sortent indemnes de l'expé- rience. La proposition de Lacan est en consonance avec ce que nous avons “Porter ne adn ot rie dination depron Sens ily aun er get Anaae sven eco! Fran Savage [12] Dan ln teedton nnn cn ade vet que question da pe oméne fms fut mise Jour par Meyerson et Querey ave idee des « inerpétations fates (13) Le premier moment de la psychose chez de Clérambauit et chez Lacan ear formulé supra. Quand un étre humain nait au monde des choses, son avénement ‘au monde des mots ne lui est pas garanti pour autant. I! lui faut réaliser une opé- ration symbolique qui lui permette son incorporation au langage de la majorité Certains étres n'y parviennent pas et demeurent extérieurs au langage. Ils s'en approchent mais se trouvent devant un empéchement irréductible. Llopération manquée La thése de Lacan est connue : il existe une opération subjective dans laquelle Autre maternel joue un cle Central et par laquelle, la mre et le pre, quuique de fagon différente,facilitent & ’enfant son incorporation au langage [14]. Mais cette opération peut échouer. Cela arrive quand !’Autre mater! vit Iarrivée du nouveau né comme un objet qui n’est pas encore séparé de son propre corps (n’oublions pas qu’il en est ainsi au début). Si la mére n’arrive pas a se séparer du bébé ot Tui facilter le passage d’objet & sujet c'est A dire si elle Ie retient, au dela de la naissance, comme un objet collé 4 sa propre jouissance — on peut penser qu'il deviendra peut-etre psychotique. Le probleme du psychotique est qu’il ne se constitue pas comme sujet a part entiére étant donné que la cause du desir ‘omnipotent de la mére et I’abandon de la fonction paternelle le retiennent comme objet de jouissance, fixé au corps maternel : pas tout fait séparé, ou au contraire, absolument séparé. ‘Voici donc les deux variantes de I’échec de l'opération. La premiére est de ces psychoses appelécs symbiotiques od la relation mére~cnfant est strictement d'adhérence ; il manque une séparation suffisante pour que celui-ci se constitue en sujet autonome, Dans la seconde, l'enfant n’est pas regu comme objet de jouis- sance symbiotique, mais on le laisse tomber comme s'il s'agissait dun objet quelconque, séparé de I’Autre maternel, & la grice de Dieu. Ce sont les deux facons d'expliquer comment létre vivant n’est pas parvern au statut de sujet et est resté& celui d’objet. Par excés de proximité a la mére ou par abandon radical de celle-ci, operation symbolique se trouve impossible a réaliser. Le pére participe a l'opération avec une autre fonction & partir d’une position asymétrique : celle du troisiéme. Une logique le soutient. Un troisiéme est néces- saire entre la mere et le fils -c’est done le pére — pour que l’opération d’entrée dans le monde symbolique se fasse. Bien que relativement simple, lopération, dans certains cas, devient pratiquement impossible, le sujet n’accédant au lan- ‘age que de maniére mimétique. C'est le cas dans la psychose. Toutefois, ce sujet exclu peut compenser, bien que de fagon instable. Les modes de compensation possibles peuvent étre par exemple : informatique, la religion, les mathéma- fiques, ou les sciences. il nous amive quelquetois de rencontrer des sujets un peu étranges, qui maintiennent une relation précaire avec les autres, mais qui se sont centrés sur un seul théme od ils peuvent étre de véritables experts. Nombreux sont ceux qui vivent dans le monde informatique. Ce sont souvent des psychotiques 248 F. sover bien adaptés & cette nouvelle technologie et qui s’en trouvent stabilisés. Hors de ‘ce monde, le danger augmente pour eux. Les modes de compensation dépendent de chaque sujet. Ils constiruent I°éq bre instable par lequel le psychotique peut vivre avec une certaine tranquil bien que précaire, le reste de sa vie, sauf s'il rencontre quelque chose d’étrange qu'il ne pourra pas supporter. Dans cette perspective ce serait le mot que Lacan nomme signifiant Nom-du-Pére : point d'ancrage fondamental qui manquait & Fopération intersubjective que nous avons expliquée. Parce que le langage, pour un sujet, est ancré dans ce premier signifiant, son manque le situe dans une insta- bilité croissante, origine de sa future décompensation (celle-ci n'est jamais arbi- traire). Quand il se trouve, & un moment biographique précis, en présence de ce signifiant qui lui manque, il se place aux portes du déclenchement . On trouve au quotidien des exemples en clinique de I'adolescence. A cette époque de leur vie, beaucoup de jeunes subissent un déséquilibre. Pourquoi ? Parce qu’ils se trouvent alors en contact avec l'autre sexe, c’est-i-dire, avec le signifiant é1re-homme/ étre-femme (équivalences du signifiant Nom-du-Pere) qu’ils n’ont pas encore insert. Entre autres exemples : la premiére relation amoureuse, le mariage, la paternité, la rencontre avec l'autorité —au service militaire ou au travail -, mais il ¥en a encore d'autres. Les psychotiques décompensent pour la premiére fois & 4des moments cruciaux de leur vie. Il peut y avoir d’autres crises, mais la premigre est toujours lige & une fonction cruciale : tre convoqué a la patemité, a la virilité, la féminité, la perte de quelqu‘un d'simé. Quand la décompensation # eu lieu, ilest facile de suivre a la trace ce qui est arrivé dans cet ordre, Ce sont les signi fiants fondamemtaux de P’étre humain : patemité, sexualité et mort. Conclusion La psychose est un phénoméne du langage. Les tentatives de fonder sa causalité dans Vorgenique ont &¢ historiquement vaines, pour le moins depuis Esquiro, Jjusqu’a Henry Ey et Lacan, Le modéle causal organique du XIX* siécle n'a pas pu étre démontré. II n'y a pas de passage possible entre l'organique et le subjectif parce qu’il n’existe pas de point d’articulation entre les deux registres*. En fait, C'est plutat le contraire qui arrive : le sujet pénétre, sans en étre conscient, le corps, tant donné que I'un et l'autre sont inserits dans une structure commune qui est celle du langage. La différence entre corps et organisme, c’est que le premier est traversé par le langage, ce qui arrive aussi au sujet, qui est I’étre vivant affecté par la structure symbolique de la langue. Cest pour eela que nous pouvons dire qu'il existe une articulation entre sujet et corps, mais pas entre sujet et organisme. II n'y a pas de conjugaison possible entre sujet et organisme parce 5 Telle ext positon de Manted euler, fils €'Eugin, quand i ertique Vide que la Schizoprénie est came, MR ena fi phn dee trolec ment orgie orenigue Me "onde pas Ia phésoménologe d'une pychosescizoprenique» [15] Le premier moment de la psychose chez do Clérambauit et chez Lacan 249 u'ils appartiennent tous deux a des champs logiques différents. On peut illustrer cela par un exemple : un cancer, méme avancé, ne produit aucun effet psycho- pathologique tant que la personne n'est pas aveitie de sou mal. LYorganisire est affecté, mais pas le sujet. Ce n’est que lorsque le sujet le prend en charge, c’est & dire que le sujet se rend compte de ce qui se joue dans son comps et quril le fait passer par sa subjectivité, qu'il peut commencer A souffrir d’effets psychiques. ™ REFERENCES m= 1 Esquirl E. 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