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N ° 4 O C T O B R E - D É C E M B R E 2 0 1 5 T R I M E S T R I E L L E P P.

4 8 5 - 6 2 4

Revue historique
de droit
français
et étranger
Revue soutenue par l’Institut
des Sciences Humaines et Sociales
du CNRS
SOMMAIRE DU N° 4-2015

AVIS AU LECTEUR................................................................................................ 485

ARTICLES :
Luigi-Alberto Sanchi. – Guillaume Budé et la langue juridique ................ 487
Enrique Álvarez Cora. – La clasificación de los delitos en el siglo XVI ...... 503
Xavier Martin. – Vie et destinée des coutumes françaises. 1454-1804.
Essai de synthèse ............................................................................... 529
VARIÉTÉS :
Francesca Barone. – La peine dans l’Église orientale du IVe siècle.......... 559
William Goetzmann. – La traduction américaine de la thèse de G. Sicard,
Aux origines des sociétés anonymes. Les moulins de Toulouse au
Moyen Âge........................................................................................... 569
NOUVELLES DIVERSES :
In memoriam Fritz Sturm (Jean-François Gerkens).................................. 573
In memoriam Germain Sicard (Philippe Nélidoff)...................................... 575
COMPTES RENDUS :
Frédéric Audren et Jean-Louis Halpérin. – La culture juridique française.
Entre mythes et réalités. XIXe-XXe siècles (Jean-Paul Andrieux).......... 579
Pierre-Louis Boyer. – Un cercle intellectuel au cœur de l’évolution de la
doctrine juridique. L’Académie de législation de Toulouse (1851-
1958) (André Cabanis) ........................................................................ 586
Robert Chanaud (dir.). – Une histoire des circulations en Limousin.
Hommes, idées et marchandises en mouvement de la Préhistoire à
nos jours (André Cabanis)................................................................... 587
Bernard Durand, Mamadou Badji, Samba Thiam et Sandra Gérard-Loi-
seau (dir.) – Le juge et l’outre-mer, tome 7 : Le retour d’Orphée ;
Martine Fabre et Dominique Mouret (dir.), tome 8 : Décolonisations :
le repli de l’Etat. La mort d’Eurydice ; Martine Fabre (dir.), tome 9 :
Décolonisations : le juge et les rapatriés. Revenir en Thessalie (André
Cabanis) .............................................................................................. 588
Jean-Marie Carbasse. – Histoire du droit pénal et de la justice criminelle
(Marie-Yvonne Crepin) ........................................................................ 589
Sergio Castagnetti. – Le leges libitinariae flegree : edizione e commento
(Françoise Van Haeperen) .................................................................. 592
Sébastien Évrard. – Réformer l’administration et réformer l’État : jalons
historiques et juridiques (Norbert Olszak) ........................................... 593
Michele Faraguna (éd). – Archives and archival documents in ancient
societies, Trieste, 30 sept.-1er oct. 2011 (Lorenzo Gagliardi).............. 595
Antoine Astaing, François Lormant (éds.). – Le juriste et la coutume du
Moyen Âge au Code civil (Jean Hilaire) .............................................. 601
Arrigo D. Manfredini. – Rimetti a noi i nostri debiti. Forma delle remissione
del debito dall’antichità all’esperienza europea contemporanea (Jean
Andreau) .............................................................................................. 603
Mathieu Altbuch. – Le divin, l’État et le droit international. Essai sur l’ap-
port de la pensée biblique et du religieux dans la construction du droit
international contemporain (Brigitte Basdevant-Gaudemet)............... 605
Claude Andrault-Schmitt et Philippe Depreux. – Les chapitres séculiers
et leur culture ; vie canoniale, art et musique à Saint Yrieix (VIe-XIIIe s.)
(Brigitte Basdevant-Gaudemet)........................................................... 606
Marie Bassano, Esther Dehoux, Catherine Vincent (éds), Le Pèlerinage
de l’âme de Guillaume de Digulleville (1355-1358). Regards croisés
(Brigitte Basdevant-Gaudemet)........................................................... 608
Xavier Prévost. – Jacques Cujas (1522-1590). Jurisconsulte humaniste
(Brigitte Basdevant-Gaudemet)........................................................... 610
REVUES :
Revue d'histoire ecclésiastique, vol. 110. 1-2, janv.-juin 2015 (Brigitte
Basdevant-Gaudemet) ........................................................................ 613
Revue d'histoire ecclésiastique, vol. 110. 3-4, juill.-déc. 2015 (Brigitte
Basdevant-Gaudemet) ........................................................................ 614
OUVRAGES envoyés à la Direction de la Revue ................................................. 617
TABLES de l’année 2015 ....................................................................................... 619

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VARIÉTÉS

La peine dans l’Église orientale


du IVe siècle

L’étude que nous présentons ici vise à esquisser la notion de peine et ses
principes fondamentaux dans l’Église Orientale du IVe siècle ainsi qu’ils résul-
tent des canons conciliaires. La paix dont l’Église jouit à partir de Constantin
donna aux hiérarchies ecclésiastiques la possibilité de mener une réflexion épa-
nouie tant sur la discipline que sur les dogmes chrétiens. Assez rapidement des
collections canoniques commencèrent à circuler, recueillant les canons des
conciles les plus importants. Elles s’enrichirent au cours du Ve siècle des
Canons des Pères, brefs écrits disciplinaires attribués à des évêques célèbres 1.
Dans une première partie de notre étude, nous présenterons les caractères et les
fonctions attribuées à la peine dans l’Église Orientale du IVe siècle. Puis, nous déga-
gerons les principes fondamentaux du droit de la peine canonique à cette époque.

I. – LES CARACTÈRES DE LA PEINE

Deux éléments caractérisent la peine par rapport aux autres sanctions : sa


nature et sa gravité.
L’arsenal répressif de l’Église au IVe siècle est composé de plusieurs
mesures : le rappel à l’ordre, le blâme ou d’autres sanctions légères pour des
fautes non graves ; la pénitence ; la peine. Il faut préciser que les peines cano-

(1) L’édition des canons disciplinaires ici utilisée est celle de Périclès P. JOANNOU, Fonti. Fas-
cicolo IX. Discipline générale antique (IIe–IXe siècles), I, 1 : Les canons des conciles
œcuméniques ; I, 2 : Les canons des conciles particuliers ; II, Les canons des Pères Grecs, Grot-
taferrata (Roma), 1962-1964.

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560 Francesca P. Barone

niques ne sont que des sanctions de nature religieuse 2. Si nos textes ne contien-
nent pas de référence à l’amende ou à la prison, les peines corporelles sont
écartées de façon explicite car Jésus, même frappé, n’a pas rendu les coups 3.
Les peines attestées pour les clercs sont la suspense, temporaire ou définitive,
de l’intégralité ou d’une partie des fonctions sacrées (suspensio a diviniis) ou
des honneurs et des privilèges réservés à l’état clérical (suspensio a dignitate) ;
le retrait définitif du ministère (depositio, kathairesis) ; la réduction à l’état laïc
sans exclusion de la communion eucharistique. La peine utilisée pour les clercs
et pour les laïcs est l’excommunication (excommunicatio, aphorismos), exclu-
sion de la communauté, qui peut être temporaire ou définitive ; l’anathema,
qui est la peine la plus grave car elle comporte l’exclusion du groupe des chré-
tiens, la déposition le cas écheant et en conséquence la damnation éternelle.
Cette peine n’est généralement donnée qu’aux hérétiques et à ceux qui sont en
communion avec eux 4.
Quant à leur nature, les peines que nous venons d’évoquer consistent, toutes,
en des mesures d’exclusion de la communauté locale ou de la communauté des
chrétiens. Quant à la gravité, parmi les sanctions prévues en cas de faute, la
peine est la sanction la plus grave, car elle sépare du groupe de façon tempo-
raire ou définitive. Pour cette raison, la peine est en général le dernier recours,
la voie à prendre quand toute autre solution a échoué. L’évêque est souvent
encouragé par les textes canoniques à rappeler à l’ordre, avant de punir 5.
La gravité de la peine en tant que sanction explique le fait qu’elle puisse être
ordonnée jusqu’à la cessation de la situation de péché pour être ensuite rem-
placée par une sanction moins lourde, généralement l’une des mesures prévues
dans le cadre de la pénitence publique 6.
La peine, outre par ses caractères, est définie par les fonctions qui lui sont
reconnues.

(2) J. GAUDEMET, Histoire du droit et des institutions de l’Église en Occident, t. III, L’Église
dans l’Empire Romain (IVe-Ve siècles), Paris, 1958, p. 217-8 : « C’est que les peines s’appliquent
à l’intérieur d’un groupe encore relativement fermé, pour qui le châtiment suprême et d’ailleurs
presque exclusif consiste dans l’expulsion du coupable ».
(3) Cf. Canons Apostoliques (infra Ap.), can. 27, qui interdit aux clercs de battre les pêcheurs,
fidèles ou infidèles.
(4) Les peines peuvent être assorties d’une pénitence publique : cf. Basile, can. 4, qui condamne
à une peine de cinq ans d’excommunication les bigames (ceux qui ont contracté un deuxième
mariage à la mort du premier conjoint). Pendant ce temps, les pécheurs seront admis aux différents
degrés de pénitence publique, afin qu’ils puissent montrer leur repentir. Cf. également, le can. 2
du concile d’Antioche (infra Ant.), qui exclut de l’Église ceux qui ne veulent pas participer à la
sainte Cène, et ce jusqu’à l’accomplissement de la pénitence.
(5) Ainsi, un prêtre qui célèbre séparément la messe par mépris de son propre évêque, dont la
conduite est par ailleurs irréprochable, ne sera frappé de la déposition qu’après un troisième rap-
pel à l’ordre resté sans écoute (Ap., can. 310). Également, un clerc qui s’installe dans un autre
territoire contre l’avis de son évêque sera suspendu de ses fonctions liturgiques seulement s’il
persiste dans son indiscipline et refuse d’obéir aux rappels à l’ordre (Ap., can. 15).
(6) Cf. Bas., can. 75, interdisant l’accès à l’église à ceux qui s’unissent à une sœur issue du
même père ou de la même mère. Cependant, s’ils mettent fin à la situation infractionnelle, ils
seront admis aux différents degrés de la pénitence publique. La même norme s’applique à ceux
qui s’unissent à leurs brus (Bas., can. 76).

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La peine dans l’Église orientale du IVe siècle 561

II. – LES FONCTIONS DE LA PEINE

La finalité première de la peine est la protection de la communauté, qui se réa-


lise par l’exclusion temporaire ou définitive du coupable du groupe religieux.
Les textes considérés ne semblent pas reconnaitre d’autres fonctions à la peine.
La peine a pour but de protéger la société à plusieurs niveaux : en premier
lieu, la punition du coupable vise à protéger la société de la colère divine, dans
la mesure où Dieu oblige ses fidèles à prendre leurs distances du péché 7. Si
l’évêque, à qui incombe la répression du mal, le laisse impuni, il n’obtiendra
comme conséquence que de voir s’accumuler la colère de Dieu sur ses minis-
tres et sur tout le peuple. Cette conception de la nécessité de la peine pour éviter
la colère divine est cohérente avec le système pénal biblique, selon lequel la
réponse au péché est nécessaire : le coupable doit être puni 8. Ce n’est pas dans
cette phase du parcours du pécheur que peuvent trouver leur place le pardon et
la miséricorde, qui, quant à eux, ont besoin du repentir pour opérer.
En deuxième lieu, la punition du coupable sert à éviter la diffusion du com-
portement reproché et donc la contamination des autres membres de la
communauté. Le contact avec le péché constitue un danger pour les autres fidèles,
qui risquent de se faire pervertir : « Un peu de levain fait lever toute la pâte », dit
Paul dans sa Première Lettre aux Corinthiens 9. Les Pères expriment souvent la
peur que l’impie n’entraîne le juste dans sa perte 10 et rappellent l’enseignement
de l’Apôtre qui, à plusieurs reprises, exhorte dans ses lettres à se tenir loin des
pécheurs et à ne pas avoir aucune part avec eux 11. Dieu même ordonne, devant un
peuple désobéissant, de tâcher de sauver son âme en s’éloignant des autres 12. Si les
fidèles sains trouvent des difficultés à sauver les frères fautifs, ils doivent se préoc-
cuper en premier lieu de sauver leur propre âme de l’éternelle condamnation 13.
La finalité de la peine que nous venons de présenter est parfaitement cohé-
rente avec la nature des peines canoniques qui constituent des mesures
d’exclusion. Les Pères attribuent à la peine une fonction de prévention générale
qui se réalise par l’éloignement. L’importance de cette finalité de prévention
générale de la peine est attestée en outre par le fait que, selon les canons, cer-
tains comportements sont punissables, non pas parce que fautifs en eux-mêmes,
mais parce qu’ils causent un trouble dans la communauté 14.

(7) Dans son canon 2, Grégoire le Thaumaturge (infra Grég.) explique avoir décidé d’exclure de
l’église tous ceux qui ont volé profitant des incursions des barbares « de peur que la colère divine
ne tombe sur tout le peuple et en premier lieu sur les pasteurs qui se seraient abstenus de les punir ».
(8) Cf. P. BOVATI, « Pena e perdono nelle procedure giuridiche dell’Antico Testamento », dans
A. ACERBI et L. EUSEBI (éd.), Colpa e pena ? La teologia di fronte alla question criminale, Milano,
1998, p. 31-56, 38.
(9) 1 Cor. 5 : 6.
(10) Grég., can. 2.
(11) Cf. Éph. 5 : 4-7.
(12) Bas., can. 84.
(13) Bas., can. 85.
(14) Ainsi, sera puni d’excommunication le clerc qui refuse de communier sans une raison légi-
time car il se rend « coupable de la ruine » du peuple dans la mesure où il fait suspecter le
célébrant d’avoir célébré irrégulièrement (Ap., can. 8). Dans le même sens, les clercs qui célè-

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562 Francesca P. Barone

La prévention générale comme finalité première de la peine permet de com-


prendre certains arrangements à la punition du coupable : interrogé pour savoir
si un prêtre antiochien pourra être maintenu dans le clergé malgré son serment
de ne plus excercer ses fonctions, Basile 15 préconise comme solution que le clerc
se tienne à l’écart des assemblées officielles, tout en continuant à exercer son
sacerdoce dans le privé. Ce qui compte, c’est qu’il ne produise pas de scandale,
en montrant aux fidèles que, selon les circonstances, l’on peut ne pas être tenu
par un serment. Selon ce même principe, rien n’empêche que le prêtre exerce
ses fonctions dans une ville autre que la sienne. Il est évident que l’interdiction
de l’exercice des fonctions liturgiques prononcée à l’encontre de ce clerc trouve
son sens non pas dans la nécessité de punir le coupable, mais plutôt dans la
volonté d’éviter un scandale qui provoquerait le trouble chez les fidèles.
Il faut noter enfin que la peine canonique ne présente pas de fonction médi-
cinale, lui permettant de soigner le pécheur et de réintégrer, une fois guéri, la
communauté des fidèles. En effet, la correction du coupable et sa réinsertion
dans le tissu social appartiennent, selon les Pères, à une autre forme de sanc-
tion : la pénitence.

III. – PEINE ET PÉNITENCE

Même si, à l’époque considérée dans le cadre de notre étude, la notion de péché
englobe celle de faute juridique, les textes conciliaires et les canons des Pères
témoignent de l’existence de différences précises entre la peine et la pénitence 16.
Tout d’abord, la pénitence ne s’impose pas, impliquant plutôt l’adhésion du
condamné à la mesure prononcée : la pénitence doit être acceptée.
Ensuite, les fonctions des deux types de sanction ne coïncident pas : si la
peine sert essentiellement à protéger la collectivité de la propagation du mal
par l’exclusion du coupable, la pénitence, quant à elle, vise la guérison (thera-
peia) 17 du fautif, pour lui permettre la réinsertion dans la communauté.

brent la fête de Pâques autrement que selon Nicée, doivent être déposés non seulement parce
qu’ils commettent une faute mais aussi parce qu’ils deviennent pour les autres une cause de trou-
ble et de perdition (Ant., can. 1).
(15) Can. 17.
(16) Les catégories de « crime » et de « péché » ne se dissocient qu’au cours du XIIe siècle : si
tout crime est bien évidemment un péché, la faute juridique se distingue de la faute morale car elle
se matérialise dans un acte externe, pouvant faire l’objet d’une preuve judiciaire et représentant un
scandale pour l’Église. La distinction entre le « crime » et le « péché mortel » se fait à partir de l’ex-
tériorité de l’acte commis, mais aussi en fonction du « scandale » que cet acte suscite. À la suite de
cette évolution théorique l’Église sera à même de distinguer le juge du confesseur, le for judiciaire
du for pénitentiel, la peine judiciaire de la pénitence. Cf. C. NEMO-PEKELMAN, « Scandale et vérité
dans la doctrine canonique médiévale (XIIe-XIIIe siècles) », RD, 85-4 (2007), p. 491-504 ; A. V. FOS-
SIER, « Propter vitandum scandalum. Histoire d’une catégorie juridique (XIIe-XVe siècle) », MEFRM,
121-2 (2009), p. 317-48 ; R. ECKERT, « Peine judiciaire, pénitence et salut entre droit canonique et
théologie (XIIe s. – début du XIIIe s.) », RHR 4 (2011), p. 483-508.
(17) Cf., e.g., Bas., can. 2 ou encore le prologue de la lettre à Letoïus de Grégoire de Nysse
(infra Nyss.). Le canon 5 de Pierre d’Alexandrie énonce clairement que la pénitence sert pour la
rémission des pêchés.

Rev. hist. droit, 93 (4) oct.-déc. 2015 F. P. BARONE [p. 559-568]


La peine dans l’Église orientale du IVe siècle 563

Par ailleurs, au cours du IVe siècle, l’Église précise les stades de ce parcours
de rédemption, en organisant un vrai système pénitentiel 18 pour la rémission
des péchés.
Une fois les caractères de la peine précisés, nous allons étudier les principes
fondamentaux du droit de la peine canonique au IVe siècle.

IV. – LES SOURCES DE LA SANCTION PÉNALE

Dans les communautés chrétiennes orientales du IVe siècle, les sources de la


sanction canonique sont au nombre de trois : la loi ecclésiastique, c’est-à-dire
les canons des conciles ; la coutume ; l’évêque. Les trois sources ne sont pas
équivalentes mais se trouvent dans une relation hiérarchique qui impose de res-
pecter tout d’abord les canons des conciles et, de façon subsidiaire, si l’espèce
le nécessite, la coutume. En cas de vide juridique et coutumier, l’évêque pourra
proposer des solutions inédites qui feront jurisprudence, du moins au niveau
local.
La première source de la sanction pénale est constituée par les canons édic-
tés à l’occasion des conciles. La sphère d’application territoriale des canons
édictés par chaque concile dépend du nombre d’évêques participant au concile
même et de leur provenance 19. La règle édictée par les canons constitue une
norme sûre à laquelle tout chrétien peut et doit se conformer 20.
Si les conciles indiquent les comportements qui doivent être sanctionnés par
les chrétiens, leurs dispositions ne sont pas régulièrement assorties de sanc-
tion : le juge ecclésiastique déterminera alors la peine à appliquer.
Cependant, pour bien de sujets, il n’y a pas de solution commune : dans les
situations pour lesquelles aucun canon n’a été édicté, la source définissant l’in-
fraction, et éventuellement la peine, sera alors la coutume 21. Elle aura force de

(18) Les textes canoniques révèlent l’existence en Orient de catégories diverses de pénitents
et indiquent pour chaque faute le temps imparti pour chaque station pénitentielle. Selon le témoi-
gnage de Basile de Césarée on distingue quatre phases successives de pénitence : 1. La prosklausis
ou ploratio ; 2. L’akroasis ou auditio ; 3. La hypoptosis ou prostratio ; 4. La systasis ou assis-
tentia. Les canons de Grégoire de Nysse témoignent d’un usage simplifié : Grégoire semble
ignorer le quatrième degré de pénitence et donne à chaque stade la même durée de temps, alors
que Basile prévoit des durées variées dans chaque degré. Selon Joannou, Basile témoigne de la
discipline ancienne, alors que Grégoire reproduit la discipline de son temps. Cf. JOANNOU II,
p. 202.
(19) Sur l’autorité législative des conciles, cf. GAUDEMET, p. 215-218.
(20) Dans son canon 47, Basile traite de l’admission de certaines catégories d’hérétiques dans
la communauté. La question se pose de savoir si leur baptême est valable ou si, bien au contraire,
il faudra les rebaptiser. Basile sait que chez une partie des chrétiens, notamment chez les Romains,
le baptême ne peut pas être répété. En Cappadoce, en revanche, les hérétiques sont systémati-
quement rebaptisés, et Basile revendique la valeur de ce comportement, malgré les usages
différents consolidés dans d’autres régions de la chrétienté. Cependant, il souhaite qu’un concile
soit convoqué, pour qu’une décision soit prise et pour que tous les chrétiens puissent se confor-
mer au même comportement.
(21) Par exemple, dans son can. 4, Basile reconnait avoir la coutume (synetheian) d’imposer
aux trigames 5 ans d’excommunication (il n’est évidemment pas question ici d’une trigamie syn-

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564 Francesca P. Barone

loi (nomou dynamin), car transmise par les saints Pères prédécesseurs 22, et elle
devra être suivie, même si elle est parfois incompréhensible 23.
Dans le cas des situations jamais discutées par les conciles ou non prévues
par la coutume, l’évêque va retrouver sa liberté, pouvant proposer des solu-
tions 24. Les décisions des évêques n’ont pas une force équivalente à celle de la
loi ecclésiastique ni à celle de la coutume. Par ailleurs, un évêque voulant éta-
blir des règles par lui-même risque de susciter la méfiance de ses confrères 25.
Cependant, les décisions des évêques peuvent faire jurisprudence, du moins au
niveau local : la solution s’imposera dans les cas semblables, venant à consti-
tuer « une sorte de loi »26.

V. – LA NON-RÉTROACTIVITÉ DE LA LOI PÉNALE ECCLÉSIASTIQUE

Les textes canoniques semblent indiquer que les sanctions édictées en forme
écrite dans les textes conciliaires ne peuvent être applicables qu’après leur publi-
cation. L’Église se conformerait donc à un principe de non-rétroactivité de la loi
pénale ecclésiastique, permettant aux fidèles de connaître les dispositions avant
d’être frappés d’une peine en cas de méconnaissance. Ainsi, plusieurs textes
conciliaires précisent que la sanction qu’ils viennent d’édicter ne sera appliquée
qu’à ceux qui transgresseront la règle par la suite 27. Le même principe semble
être respecté quand la règle se trouve dans une lettre canonique 28.

chronique : les chrétiens considèrent trigames ceux qui ont contracté trois fois mariage dans leur
vie, après veuvage). Il précise que, n’ayant pas reçu à ce sujet de règle écrite (kanonx), il suit la
pratique de ses prédécesseurs. De la même manière, à propos de ceux qui épousent successive-
ment deux frères ou deux sœurs, selon l’usage juif du lévirat, le Père cappadocien précise que
c’est bien la coutume (ethos) en vigueur dans sa région qui définit le mariage comme illégitime
et détermine la sanction à prévoir, c’est-à-dire l’exclusion de l’assemblée jusqu’à ce que les époux
ne se séparent (can. 87).
(22) Bas., can. 87.
(23) C’est le cas de l’adultère de l’homme, qui selon l’usage, n’est pas puni de la même façon
que l’adultère de la femme, cette dernière ne pouvant pas renvoyer le mari adultère, alors que
l’homme est obligé de renvoyer l’épouse qui l’a déshonoré. Face à une telle situation, Basile
admet que « la raison de tout cela n’est pas facile à comprendre, mais tel est l’usage (synetheia)
qui a prévalu » (can. 21).
(24) Par exemple, au sujet des ravisseurs de jeunes filles, Basile admet de ne pas posséder de
règle ancienne, et d’avoir donc décidé selon ses propres critères (can. 30). De la même façon, il
revendique la paternité de la sanction à appliquer au prêtre engagé à son insu dans un mariage
illicite (can. 27), précisant que c’est bien lui qui a fixé la peine (horisa).
(25) Cf. Nyss., can. 6 : « Or, vu que nous inspirerions peu de confiance, si nous voulions éta-
blir des règles par nous-mêmes, nous ne ferons qu’ajouter à ce qui précède les décisions
canoniques traditionnelles sur les actes généralement reconnus comme interdits ».
(26) Ainsi, à propos du baptême des encratites, Basile estime que, rien n’ayant été décidé de
façon claire par un concile, il conviendrait de ne pas l’admettre. Cependant, le Père cappadocien
avait auparavant reconnu à certains frères encratites leur rang d’évêques, sans demander un nou-
veau baptême : « c’est pourquoi nous ne pouvons plus refuser l’appartenance à l’église à ceux
qui sont dans les mêmes rangs, ayant établi une sorte de règle (kanona) pour la communion avec
eux, en reconnaissant leurs évêques » (can. 1).
(27) Le canon 17 du concile de Nicée, qui interdit l’usure, frappe de peine les clercs qui conti-
nueront à prêter à intérêt après la publication de ce texte. Le canon 18 du même concile interdit

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La peine dans l’Église orientale du IVe siècle 565

VI. – LES CRITÈRES POUR LA DÉTERMINATION DE LA PEINE

Les critères qui dirigent le choix de la peine par le législateur ecclésiastique


ou par l’évêque confronté à un cas non prévu par les canons, sont au nombre de
deux : la proportionnalité de la peine par rapport à la faute commise ; la varia-
tion de la peine pro qualitate personae.
En ce qui concerne la proportionnalité, il existe une sorte d’échelle des
peines, dont l’anathème est la forme la plus grave, ainsi qu’une possibilité de
gradation à l’intérieur d’un même type de peine, selon la gravité du péché à
punir. La durée de l’excommunication, par exemple, peut aller de quelques
jours à toute la vie 29. Selon ce même principe de proportionnalité, un pécheur
qui ne parvient pas à la résipiscence, verra sa peine s’aggraver, proportionnel-
lement à la gravité toujours grandissante de ses fautes 30.
Le deuxième principe qui dirige la fixation de la sanction pénale pour un
comportement donné est la variation de la peine pro qualitate personae : l’idéal
de justice propre des communautés chrétiennes prévoit l’inégalité des justicia-
bles devant la loi ecclésiastique, dans la mesure où leur status interfère dans le
choix d’une peine. En effet, les Pères estiment que la faute est plus lourde si
elle est commise par les clercs, et surtout par des hauts clercs 31. À rendre plus
grave leur responsabilité intervient la prise en compte de la valeur exemplaire
de leur comportement 32 : le clerc qui pèche, « non seulement commet une faute,
mais il devient pour beaucoup une cause de trouble et de perdition » 33.

aux diacres de distribuer l’eucharistie aux prêtres, sans respect de la hiérarchie : « Si quelqu’un
refuse d’obéir même après les présentes prescriptions, il sera exclu du diaconat ». Cf. encore Nic.,
can. 15, ou Ant., can. 1.
(28) Ainsi, dans la lettre envoyée à ses évêques suffragants, Basile parle d’une rumeur arrivée
à ses oreilles, les accusant de recevoir de l’argent de la part de ceux qu’ils ordonnent. Or, le Métro-
polite interdit ce genre de commerce et assortit la règle d’une sanction, qui sera dès lors
applicable : « Si quelqu’un après la lettre présente fait rien de tel, il quittera les autels de ce lieu
et en cherchera un autre où il pourra acheter le don de dieu et le revendre » (can. 90).
(29) Les fidèles qui se rendent dans les cimetières des hérétiques pour y célébrer le service divin
ne seront excommuniés que pendant quelque temps (Laodicée, can. 9) ; ceux qui se sont mutilés
volontairement, seront excommuniés plus longuement, pendant 3 ans (Ap., can. 24) ; les trigames
seront excommuniés pendant cinq ans, alors que pour les apostats la peine durera toute leur vie.
(30) Ce mécanisme est illustré par les peines dont Basile menace le prêtre Paregorios dans son
canon 88. Ce dernier, âgé de 70 ans, vit avec une femme et ne souhaite pas interrompre cette coha-
bitation du fait qu’étant libre de toute affection charnelle, il ne se reconnaît aucune faute. Basile,
qui consent bien à le croire, précise que ce comportement pourrait tout de même être cause de
péché pour d’autres. L’évêque lui ordonne donc de se séparer de cette femme, sous peine d’être
suspendu de ses fonctions. Et s’il osera désobéir et exercer le sacerdoce sans se corriger, alors il
sera anathème. Au fur et à mesure que la faute devient plus grave, la peine se fait plus lourde.
(31) C’est ainsi que les canons apostoliques édictent à l’encontre des laïques qui se sont muti-
lés 3 ans d’excommunication (Ap., can. 24), ce qui constitue une peine relativement faible ; les
clercs qui ont commis la même faute, en revanche, seront frappés de la déposition, qui est une
peine grave et définitive (Ap., can. 23).
(32) Si le droit romain connaissait déjà la variation de la peine par rapport au status de la per-
sonne qui en est frappée, la perspective chrétienne est aux antipodes de celle des Romains : « La
législation laïque est dominée par le respect des hautes classes par la naissance ou la fortune, qui
dans les conseils de l’empereur préparent les lois. Les Pères donnent le pas à l’analyse psycho-

[p. 559-568] F. P. BARONE Rev. hist. droit, 93 (4) oct.-déc. 2015


566 Francesca P. Barone

VII. – L’INDIVIDUALISATION DE LA SANCTION PÉNALE


ET LA SUBSIDIARITÉ DE LA PEINE

Si à présent nous envisageons le moment du prononcé de la sanction, le cor-


pus des textes canoniques montre que l’Église ancienne reconnaît généralement
au juge ecclésiastique le pouvoir de choisir la mesure adaptée au cas d’espèce
parmi celles prévues par la loi canonique, puis, dans certains cas et à certaines
conditions, de la moduler.
Les évêques, auxquels est reconnu le droit à juger dans le cadre de l’epi-
scopalis audientia 34, doivent déterminer la sanction en application d’un
principe d’individualisation, selon lequel la peine doit être adaptée à celui qui
la subit. En particulier, le critère qui permet à l’évêque d’établir le type de sanc-
tion à prononcer à l’encontre du coupable est le repentir de ce dernier : si le
pécheur ne s’est pas repenti, l’évêque choisira une peine ; il donnera en
revanche une pénitence si le coupable montre son regret et veut pouvoir accom-
plir un parcours qui lui permette de rejoindre la communauté. Il s’ensuit que
la peine dans l’Église de cette époque a un caractère subsidiaire : elle ne s’ap-
pliquera que si le recours à la pénitence n’est pas possible en raison du manque
de repentir ou si cette dernière ne donne pas ses fruits 35.
Les développements que nous venons de présenter montrent que toute sanc-
tion pénale (frappant les laïcs) est individualisée, du moins dans le sens que sa
nature – peine ou pénitence – dépend non pas de la faute mais du repentir,
témoigné (ou pas) par l’agent. Cependant, une fois la nature de la sanction
déterminée, la possibilité de l’individualisation ne s’appliquera qu’à la péni-
tence, la peine étant, quant à elle, certes subsidiaire, mais fixe. En effet, la peine
ne peut pas être modulée, ni quant à sa durée, ni quant à son régime : soit elle
s’applique dans sa rigidité, soit elle laisse place à la pénitence publique. S’agis-
sant de pénitence en revanche, l’évêque retrouve une large marge de manœuvre
car, au stade du prononcé de la sanction, il peut en choisir la durée et les

logique. Ils tiennent la responsabilité pour d’autant plus lourde que la place du coupable dans le
groupe social est plus élevée. Le pouvoir implique des devoirs plus stricts. Il expose à des peines
plus sévères ». Cf. GAUDEMET, p. 280. Sur ce sujet, cf. F. DE ROBERTIS, La variazione della pena
nel diritto romano. I. Problemi di fondo e concetti giuridici fondamentali. II. La variazione della
pena pro qualitate personarum, Bari, 1954.
(33) Ant., can. 1.
(34) Sur la pratique de l’episcopalis audientia dans l’Église orientale du IVe siècle, cf. mon
étude « La justice privée chez les chrétiens au IVe siècle d’après la correspondance de Basile de
Césarée », Revue de philologie, de littérature et d’histoire anciennes, 86 (2012/2), p. 25-39, avec
bibliographie.
(35) C’est ainsi que Basile, dans son canon 75, condamne à l’exclusion de la communauté ceux
qui forniquent avec une sœur de même père ou mère ou avec leur bru tant qu’ils n’auront pas
renoncé à ce commerce illicite, montrant par là leur repentir. Ce n’est qu’une fois qu’ils auront mis
un terme à la situation de péché que les coupables pourront accéder aux différents degrés de la
pénitence publique. De la même façon, le Père cappadocien interdit de recevoir dans la commu-
nauté des fidèles ceux qui ont enlevé des jeunes filles, avant qu’ils ne les aient rendues à leurs
fiancés (cf. can. 22). De la même façon, le canon 2 du concile d’Antioche prévoit que ceux qui se
détournent de l’eucharistie doivent être exclus de l’Église jusqu’à qu’ils aient reconnu leur faute.

Rev. hist. droit, 93 (4) oct.-déc. 2015 F. P. BARONE [p. 559-568]


La peine dans l’Église orientale du IVe siècle 567

formes, qu’il pourra modifier en cours d’accomplissement 36. Comme le rap-


pelle Basile à Amphiloque : « il appartient à votre prudence de renforcer ou
diminuer les pénitences, selon la particularité de chaque cas » 37.

VIII. – LES LIMITES DES POUVOIRS DE L’ÉVÊQUE :


LES PEINES AUTOMATIQUES ET LE PRINCIPE DE NON BIS IN IDEM

Si le pécheur est un clerc, la liberté de l’évêque dans le choix de la sanction


à prononcer se trouve doublement limitée : dans le sens de la sévérité, par
l’existence de peines automatiques ; dans le sens de la clémence, par la recon-
naissance du principe de non bis in idem. Dans le premier cas, l’évêque ne
pourra pas user de sa miséricorde, même s’il le voulait ; dans le second, en
revanche, il sera obligé à la miséricorde.
En effet, à la différence des laïcs, pour les membres du clergé le repentir est
inefficace car, une fois le péché commis, il ne pourra pas changer la nature de
la sanction : la suspension du ministère sera inévitable. Autrement dit, les
peines entraînant une suspension des fonctions sacrées sont automatiques, la
souillure que le péché détermine étant incompatible avec le service divin 38.
Pour limiter la dureté de la répression pénale à l’encontre des clercs, les
textes canoniques invitent les juges ecclésiastiques à observer le principe de
non bis in idem. Ce principe, du moins dans l’interprétation de certains auteurs
chrétiens, se trouve déjà exprimé dans la Septante, où il est dit : « Tu ne puni-
ras pas deux fois la même faute » (Nah. I : 9) 39. Les textes canoniques s’y
réfèrent à plusieurs reprises pour souligner la nécessité de fixer des limites au
pouvoir de l’évêque 40. Ainsi, le diacre qui a commis la fornication après son
ordination, se verra révoqué de sa fonction de diacre mais ne sera pas privé de
communion 41. En effet, comme l’explique Basile, « ceux de l’état laïc, s’ils
sont exclus des rangs des fidèles, peuvent y être à nouveau admis, tandis que le

(36) Au moment du prononcé de la pénitence, l’évêque devra prendre en compte plusieurs élé-
ments : la faute commise ; le fait que le coupable se soit accusé par lui-même de son péché (Nyss.,
can. 4) ; sa vie antérieure (Grég., can. 1) et celle d’après le péché (Ancyre, can. 5 ; infra Anc.) ;
sa contrition (Nic., can. 12) ; la sincérité du repentir (Bas., can. 74). Une fois la sanction établie,
l’évêque pourra à tout moment « mesurer la miséricorde » (Anc., can. 5). Si le temps de péni-
tence pour chaque faute est généralement connu, une bonne conduite peut abréger ce temps
(Neoc., can. 3) en proportion du repentir (Grég., can. 5. Cf. Nic., can. 12).
(37) Bas., can. 54.
(38) Ainsi, les prêtres qui ont sacrifié aux idoles païennes dans le cadre des persécutions, mais
qui ensuite ont montré leur repentir sincère, s’ils pourront garder les honneurs de leur charge, ne
pourront plus ni offrir le sacrifice, ni prêcher, ni remplir aucune autre fonction sacerdotale (Anc.,
can. 2). Le juge ecclésiastique ne pourra pas leur épargner cette peine.
(39) Cf. mon étude « La réception d’un principe de Non bis in idem dans le christianisme des
premiers siècles entre rhétorique et exégèse », à paraitre dans le volume S. TZITZIS et B. MELKE-
VIK (dir.), Rhétorique et justice.
(40) Les canons apostoliques, par exemple, condamnent le clerc convaincu d’adultère, de par-
jure ou de vol à la déposition mais ce dernier ne doit pas être excommunié en raison du passage
biblique que nous venons de citer. Ap., can. 25.
(41) Bas., can. 51.

[p. 559-568] F. P. BARONE Rev. hist. droit, 93 (4) oct.-déc. 2015


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diacre est condamné une fois pour toutes à la déposition perpétuelle ; vu donc
que la fonction de diacre ne lui est plus rendue, on s’arrêta à ce seul châti-
ment » 42. La punition des clercs étant nécessaire et définitive, les Pères ont
estimé opportun de mitiger leur traitement pénal par un usage propre de la
miséricorde.

IX. – L’EFFICACITÉ DE LA PEINE :


LES MOYENS DE CONTRAINTE DE L’ÉGLISE ET SES INSUFFISANCES

À la fin de notre étude, la question se pose de savoir si la répression pénale


ecclésiastique est efficace et donc réelle : autrement dit, l’Église est-elle capa-
ble de faire réellement exécuter les peines qu’elle a édictées ? La réponse est
nuancée car, certes, l’Église cherche à se doter des instruments qui lui permet-
tent de garantir l’exécution de ses sanctions ; cependant, le résultat est, à cette
époque, encore imparfait.
Pour garantir le respect des peines prononcées, les Pères ont recours à plu-
sieurs procédés : en premier lieu, la peine ne peut être enlevée que par l’évêque
qui l’a prononcée 43 ; ensuite, la peine est de plus en plus grave en cas d’insu-
bordination 44 ; troisièmement, la peine du coupable est généralement étendue
à tous ceux qui, ignorant sa condamnation, restent en communion avec lui 45.
En dernier recours, dans les cas les plus graves, il est parfois prévu l’appel à
l’aide de l’autorité séculière 46.
Cependant, les Pères dénoncent régulièrement leur difficulté à connaître les
péchés commis par les fidèles, et l’impossibilité de garantir le respect des
sanctions 47.
Francesca P. BARONE
(CNRS – IRHT,
Section Grecque, Paris)

(42) Bas., can. 3. Cf. encore Bas., can. 32.


(43) Cf. Ant., can. 6 ou encore Nic., can. 5. En particulier, pour éviter que les clercs excom-
muniés pour des faits d’hérésie se réinstallent ailleurs, aucun étranger ne doit être reçu sans lettres
de paix. Cf. Ant., can. 7.
(44) Cf. Ant., can. 4, disposant que si un évêque, un prêtre ou un diacre déposés, osent conti-
nuer quelques-unes de leurs fonctions, ils seront privés de la possibilité de se faire réintégrer par
un autre synode et même de la faculté de se défendre.
(45) Cf., e.g., Ant., can. 1 et 2 ; Ap., can. 10 et 11.
(46) Cf. Ant., can. 5 : si un prêtre ou un diacre se sépare de l’Église, il doit être déposé. Mais
si, malgré la condamnation, ils continuent de troubler l’Église et de créer des séditions, « ils doi-
vent être traités en factieux par le pouvoir séculier ».
(47) Basile exprime son désarroi dans la lettre 289, à la fin de laquelle il avoue : « nous ne
sommes d’aucune utilité, parce qu’il n’y a personne qui obéisse » (Ep. CCLXXXIX, l. 57-58).

Rev. hist. droit, 93 (4) oct.-déc. 2015 F. P. BARONE [p. 559-568]

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