La spiritualité comme enjeu sociétal : la revalorisation du soufisme au Maroc
dans le contexte de la globalisation (résumé)
Par Ruggero Vimercati Sanseverino (chercheur en islamologie associé à l’IREMAM, Aix-en-Provence, spécialisé dans l’histoire de la religiosité et de la spiritualité musulmanes, notamment au Maroc ; titre de la thèse : Fès et sainteté : hagiographie, tradition spirituelle et héritage prophétique ; projet postdoctoral : Les « droits du Prophète » : la sacralité de la personne prophétique en islam d’après le Kitâb al-shifâ du Qâdî ‘Iyâd (m. 544/1149))
Le soufisme, tradition initiatique et spirituelle de l’islam sunnite, a joué un rôle
crucial dans l’histoire politique, culturelle et religieuse du Maroc du pré-protectorat. Accusé, par les éléments réformistes du mouvement nationaliste, de collaborer avec les Français (l’affaire Kattânî-Glaoui), de diffuser des pratiques obscurantistes et de freiner la modernisation de la société, il est écarté, dans la Maroc indépendant, de l’espace public. Cependant, depuis la fin des années 80 le soufisme fait l’objet d’une véritable revalorisation laquelle, encouragée par l’État, se traduit par une présence renouvelée dans l’espace médiatique, culturel, universitaire et politique. Dans cette intervention il s’agit de porter sur ce phénomène un regard d’islamologue et d’historien de la spiritualité musulmane et de s’interroger sur le comment et le pourquoi de cette revalorisation en l’inscrivant dans l’étude de la « nouvelle religiosité » comme produit de la globalisation (O. Roy, 2009). Dans cette optique, nous analyserons d’une part les stratégies adoptées par le soufisme pour se réapproprier le champ religieux dans une société marocaine modernisée (l’utilisation de formes modernes de communication, d’organisation et de représentation). D’autre part, nous nous interrogerons sur les diverses modalités de revalorisation du soufisme (le soufisme comme « islam tolérant » et universaliste, comme moyen de bien-être et d’épanouissement individuel, comme patrimoine sacré national, comme éducation morale favorisant la cohésion nationale) par rapport aux des défis que pose la globalisation à l’État et à la société marocains (l’individualisation ou l’idéologisation du religieux, le tourisme, la crise de l’autorité traditionnelle ou de l’identité, etc.). Il sera ainsi possible de montrer que la revalorisation du soufisme participe à l’un des enjeux majeurs de la société marocaine contemporaine, à savoir la définition de son identité religieuse dans le contexte de la globalisation.