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Sujet : La dette publique constitue-t-elle un obstacle ou un atout pour le développement

économique d’un pays comme le Cameroun ? (ENAM 2020, cycle A division


administrative)

Par
Fabrice ASSOUMOU ZAMBO
Inspecteur des Prix Poids et Mesures
Diplômé de l’ENAM
Doctorant en Economie, FSEG-UY II
Tél : 694352906

Dans la plupart des pays et notamment les pays en développement comme le


Cameroun, les recettes de l’Etat (recettes fiscales et non fiscales) sont structurellement
insuffisantes pour permettre une réalisation optimale de toutes les dépenses inscrites dans le
budget (dépenses de fonctionnement et d’investissement). Compte tenu de cette insuffisance
structurelle, la plupart des gouvernements des pays en développement sont obligés de prendre
des engagements financiers sous forme d’emprunts soit auprès des non-résidents (dette
publique extérieure), soit auprès de leurs résidents (dette publique intérieure) afin de réaliser
leurs différents objectifs de développement économique. Par dette publique, il faut entendre le
montant cumulé de ce que l’Etat a emprunté pour financer ses déficits passés. Dans le
domaine des finances publiques, elle renvoie à l’ensemble des engagements financiers pris
sous forme d’emprunts par l’Etat auprès de ses créanciers. Celui-ci est généralement le fait
d’une accumulation des déficits budgétaires traduisant la volonté d’un Etat de dépenser au-
delà du niveau courant des recettes publiques propres. Le développement économique, quant à
lui, désigne l’ensemble des transformations des structures mentales et institutionnelles, les
modifications dans les habitudes sociales et l’organisation d’ensemble des activités
économiques. Elle repose sur la croissance et traduit les changements qui se produisent au
sein de la société (élévation du niveau d’éducation, accès aux loisirs, etc.) et qui
accompagnent les transformations économiques (diminution du chômage, tertiarisation des
emplois, urbanisation, etc.).
Dès lors, parler de la dette publique en contexte camerounais est une invite à analyser
l’impact que celle-ci peut avoir sur le processus de développement économique du pays. En
clair, la dette publique constitue-t-elle un catalyseur ou un danger potentiel au développement
économique du Cameroun ? Il nous semble intéressant de répondre à cette question pour au
moins deux raisons. D’une part sur le plan théorique, la problématique de la dette publique n'a
jamais fait l'unanimité chez les économistes car sa perception varie selon les écoles de pensée.
Pour l’économiste britannique John Maynard Keynes, la dette peut être nécessaire et même
efficace pour le développement économique d'un pays alors que les économistes classiques à

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l’instar d’Adam Smith, de David Ricardo et de Jean Baptiste Say, rejettent systématiquement
l'emprunt public et pensent que l’endettement de l’Etat ne peut qu'être nuisible pour les agents
économiques. D’autre part sur le plan pratique, estimée au 31 mai 2020 à 9073 milliards de
FCFA soit 39.5% du PIB selon les chiffres de la caisse autonome d’amortissement, les
préoccupations sur le rythme et le niveau d’endettement du Cameroun se posent avec acuité.
Ainsi, pour apporter des éléments de réponse à notre préoccupation principale, il
convient de mentionner que si la dette publique peut constituer un atout potentiel pour le
développement économique du Cameroun (I), celle-ci mérite néanmoins d’être accompagnée
par des mesures adéquates au regard des effets pervers qu’elle peut engendrer (II).

I. La dette publique comme un atout potentiel au développement


économique du Cameroun
Malgré les différentes formes qu’elle revêt (A), la dette publique peut présenter des
avantages réels pour le développement économique d’un pays comme le Cameroun (B).
A. Les caractéristiques de la dette publique au Cameroun
La dette publique du Cameroun est constituée de de la dette externe (1) et de celle
interne (2).
1. La dette publique externe
La dette publique externe représente l'ensemble des emprunts contractés par les
pouvoirs publics auprès des créanciers extérieurs et non-résidents (personnes privées
extérieures, autres Etats ou auprès des institutions financières internationales). C’est la
principale composante de la dette publique des pays pauvres comme le Cameroun et celle-ci
résulte d’une insuffisance de l’épargne interne. Cette dette est contractée auprès des bailleurs
de fond internationaux, des banques privées internationales, des marchés financiers
internationaux et auprès de certains Etats partenaires. Dans ce cadre, elle peut être
multilatérale, bilatérale ou commerciale. Au Cameroun, elle représente, selon les statistiques
du Ministère des Finances du 31 décembre 2019, 77.1% de la dette publique totale soit un
montant de 6650 milliards de Franc CFA.

2. La dette publique interne


La dette publique intérieure désigne l'ensemble des engagements contractés par
l’Etat auprès d'acteurs résidents dans le pays et exprimés en monnaie locale. Concrètement,
celle-ci est contractée auprès des agents économiques intérieures à capacité de financement
(ménages, entreprises, institutions financières). Dans la plupart des pays pauvres, cette dette
demeure faible comparativement à celle externe. Au Cameroun, les statistiques du Ministère
des Finances datant du 31 décembre 2019 révèlent que cette dette représente 22.9% de la dette
publique totale soit un montant de 1804 milliards de Franc CFA.

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B. Les avantages possibles de la dette publique dans le processus de
développement économique du Cameroun
Il s’agit à ce niveau d’évoquer les canaux par lesquels la dette publique peut contribuer
au développement économique du Cameroun. Pour ce faire, nous démontrons d’abord que
celle-ci peut permettre d’investir dans les secteurs productifs ou d’appui à la production et de
stimuler la croissance du pays (1) puis, qu’elle peut permettre de réduire la pauvreté et
d’améliorer le bien-être des populations (2).
1. La dette publique peut stimuler la croissance économique
Une dette publique justifiée et maîtrisée peut être un facteur de relance économique
et de lutte contre le chômage car elle stimule la demande globale d’un pays. Or, selon John
Maynard Keynes, les performances d’une économie reposent sur cette demande. Celle-ci peut
provenir soit des ménages à travers la consommation, soit des entreprises à travers les
investissements, soit de l’extérieur via les exportations, soit enfin des administrations
publiques par le biais des dépenses publiques. Ainsi en s’endettant, un pays peut utiliser les
fonds empruntés pour financer ses différents projets d’investissement. L’augmentation des
investissements publics qui va en découler va accroitre la demande globale de ce pays. C’est
justement ce que démontre le mécanisme du multiplicateur keynésien. En effet, à travers le
phénomène du multiplicateur, Keynes montre qu’une augmentation de l’investissement
entraine une augmentation plus que proportionnelle du revenu. L’augmentation des revenus
qui en résulte va à son tour stimuler la demande qui provoque, quant à elle, une hausse de la
production (et, donc, la croissance) permettant ainsi de créer les emplois et de lutter contre la
pauvreté. Au Cameroun par exemple, la plupart des projets structurants sont financés par des
fonds de la dette (infrastructures telle que routes, énergies, ports, aéroports,
télécommunications). En outre, l’endettement public peut permettre au Gouvernement de
mobiliser des ressources au-delà des capacités de son système fiscal et de procéder à une
modernisation de son appareil de production dans les secteurs moteurs de la croissance tels
que l’agriculture, l’industrie et les services.
2. La dette publique peut contribuer à la réduction de la pauvreté et à
l’amélioration du bien-être des populations
La croissance économique impulsée par l’augmentation des investissements publics
(financés par la dette publique), est susceptible d’entrainer la création de nombreux emplois
directs et indirects et donc des revenus aux populations. Par conséquent, si une bonne
politique de redistribution est mise en place, cette croissance pourra se traduire par une
augmentation effective du revenu par habitant et donc une régression de la pauvreté
monétaire. Bien plus, la construction des différentes infrastructures de base financées par la
dette publique (les hôpitaux, les écoles, les centres de santé, les barrages, les logements
sociaux, etc.), peut permettre aux populations d’avoir facilement accès aux services sociaux
de base (éducation, soins de santé, logement, électricité, eau, etc.), toute chose qui peut
accroître les taux de scolarisation, favoriser la lutte contre certaines maladies endémiques,
promouvoir l’égalité des genres et partant, améliorer le cadre de vie en milieu urbain et rural.
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En guise d’illustration, le prêt de 100 millions de dollars de la banque mondiale accordé au
gouvernement camerounais en mai 2016, a permis le financement de la santé ceci en vue
d’accroître le recours aux services de santé et améliorer la qualité de ces services au
Cameroun, en particulier les services de santé de la procréation, de la mère, du nouveau-né, de
l’enfant et de l’adolescent et les services de nutrition. Il en va de même, du prêt de la Chine
pour financer les hôpitaux modernes au pays (Hôpital Gynéco-Obstétrique, Hôpital de
référence de Sangmélima, etc.).
Dès lors s’il apparait, au regard de ce qui précède, que la dette publique peut constituer
un avantage au processus de développement économique du Cameroun. Cependant, convient-
il de noter que celle-ci mérite d’être accompagnée par des mesures adéquates au regard des
effets pervers qu’elle peut engendrer.
II. La nécessité de renforcer le rôle de la dette publique dans le processus de
développement économique du Cameroun au regard de ses potentiels
effets pervers
La dette publique peut engendrer des effets pervers susceptibles de constituer un
obstacle au développement économique du Cameroun (A), toute chose qui nécessite que
celle-ci soit accompagnée par des mesures précises à l’effet de renforcer sa contribution au
développement économique de ce pays (B).

A. Les effets pervers de la dette publique susceptibles de ralentir le


développement économique au Cameroun
Ces effets pervers sont liés à un niveau d’endettement élevé (1) et à une mauvaise
gestion de la dette (2).
1. Les effets pervers liés à un niveau d’endettement élevé
La dette publique peut affecter négativement le développement économique du
Cameroun par le biais des effets pervers qu’elle engendre du fait de son niveau élevé. En
effet, une dette publique élevée entraine une réduction de la capacité de la puissance publique
en réduisant le potentiel et la marge de manœuvre de la politique budgétaire. Bien plus, celle-
ci peut entrainer un effet d’éviction qui renvoie à l’idée selon laquelle lorsque l’Etat s’endette
sur le marché monétaire pour financer son déficit budgétaire, il diminue le montant des
ressources disponibles pour les investissements du secteur privé (éviction en quantité). On dit
dans ce sens que l’investissement public évince l’investissement privé ; il renchérit les taux
d’intérêt (éviction par les prix). En outre, une dette forte augmente les taux d’intérêts et peut
nuire à la capacité d’emprunt des ménages et des entreprises. La hausse de l’endettement
public provoque ainsi une hausse des taux d’intérêts qui se répercutent dans les capacités
d’emprunt des agents économiques, ce qui nuit à leur consommation et leur investissement.
Enfin pour David Ricardo et Robert Barro, lorsque les administrations publiques financent
leurs investissements par l’emprunt, les anticipations des agents économiques peuvent être
modifiées. En effet, les agents savent que les emprunts finançant la politique budgétaire

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devront être remboursés. Ils anticipent de ce fait une hausse des prélèvements obligatoires et
augmentent par conséquent leur épargne (équivalence ricardienne).

2. Les effets pervers liés à une mauvaise gestion de la dette


A ce niveau, nous pouvons évoquer trois idées : d’abord, la dette publique peut être
affectée aux besoins de consommation et non à des projets d’investissements et dans ce cas,
celle-ci ne saurait créer de la richesse ; ensuite, les ressources issues de la dette peuvent être
détournées et bénéficier non pas à toute la population, mais à un individu ou à un groupe
d’individus ; enfin, les créanciers peuvent influencer l’affectation des ressources de la dette
dans les secteurs non prioritaires et non porteurs en termes de création de richesse.

B. Les mesures d’accompagnement de la dette publique pour faire de celle-ci un


levier du développement économique au Cameroun
Il s’agit ici, de proposer les différentes mesures à mettre en œuvre par le
Gouvernement afin de renforcer la contribution de la dette publique au développement
économique du pays. Parmi ces mesures, nous pouvons citer : la promotion d’une bonne
gestion des fonds empruntés (1) et le financement des projets créateurs d'emplois et
générateurs de richesses (2).
1. Promouvoir une bonne gestion des fonds empruntés
Il s’agit, en d’autres termes, d’améliorer la qualité de la gouvernance. Ceci peut être
rendu possible par une gestion rigoureuse des fonds empruntés pour financer les différents
projets de développement et une lutte acharnée contre les détournements de deniers publics.

2. Financer des projets créateurs d'emplois et générateurs de richesses


Ici, nous voulons dire que les investissements publics réalisés par le biais des fonds
empruntés doivent par exemple être orientés vers les secteurs spécifiques, les plus porteurs en
termes de croissance économique (infrastructures, agriculture, industrie, éducation, santé, etc.)
et des parties du territoire, zones rurales notamment où se concentre la pauvreté. De plus, la
priorité doit être accordée aux projets à haute intensité de main œuvre (HIMO) susceptibles de
créer plus d’emplois et de faire régresser la courbe du chômage. Par ailleurs, si les fonds issus
de la dette doivent être tournés vers la consommation, il serait intéressant pour le
Gouvernement d’encourager la consommation des produits locaux et non importés. Cela
favorisera la croissance du pays.

En définitive, il ressort que la dette publique est un outil à la disposition d’un pays
pour faire face au déficit de son budget. Lorsque son évolution est contrôlée et que les fonds
qu’elle apporte sont investis dans des projets rentables qui contribuent à la transformation

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structurelle du pays, la dette publique peut être un important outil de développement.
Cependant, un endettement incontrôlé de l’Etat, ou une gestion non transparente des
ressources provenant de la dette publique, peuvent entrainer la nation toute entière dans un
cercle vicieux de la dette qui est de nature à compromettre tous ses objectifs de
développement. Il convient donc d’observer les principes de bonne gouvernance dans la
gestion des ressources issues de la dette par la mise sur pied des mécanismes rigoureux de
contrôle et de gestion des finances publiques en général et de la dette publique en particulier.
Pour une meilleure contribution des ressources de la dette au développement, il faut une
bonne gestion des fonds de la dette, fonds tournés vers l’investissement d’infrastructure et de
capital humain. Et si les fonds devraient être tournés vers la consommation, encourager la
consommation des produits locaux et non importés. Toutefois, les pays pauvres en quête de
développement doivent intégrer le fait qu’aucun pays développé n’a atteint ce statut en
comptant uniquement sur la dette, mais aussi et surtout, sur des efforts propres.

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