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Séquence Juste la fin du monde

Professeur : Mme Muller

Cours DE REDACTION PERSONNELLE qui est soumis au code de propriété


intellectuelle et d’œuvres de l’esprit selon l’article 122-2-5 et l’article L111-1
et qui s’il est distribué gratuitement ici est passible de droits d’auteur à
l’extérieur de l’enceinte de ce lycée. Toute reproduction, tout détournement
à des fins malveillantes sont passibles de poursuites pénales.

Crise familiale, crise personnelle

Séance 1
Explication du titre

1) Vision apocalyptique ; la fin du monde est en rapport avec le thème de la


mort. Fin de la terre, mais aussi de l’existence terrestre. Qu’y a-t-il après la fin
du monde ? Le néant ? La renaissance ?
En même temps, l’apocalypse est révélatrice : de quoi dans l’œuvre ?

2) C’est la fin d’un monde : lequel ? Celui du principal protagoniste : un monde


extérieur, social ; le monde familial // un monde intérieur aussi. En effet le
personnage principal, Louis, sait qu’il va mourir, condamné par le Sida. C’est la
fin de son propre monde, signifiée par sa disparition de ce monde.

3) Cette vision tragique est atténuée par l’adverbe “juste”. Titre elliptique = ce
n’est pas grave. C’est une litote qui semble atténuer l’horreur de la situation. Il
y aura d’autres mondes après, donc... Lesquels ? Titre ironique = antiphrase
évoquée par l’adverbe “juste”. La fin du monde est, par définition, grave. Or,
l’ironie de ce titre signifie tout le contraire. Pourquoi ?
Le personnage principal veut montrer la vanité, le caractère dérisoire des liens
familiaux où règne l’incompréhension. Face à sa propre mort inéluctable, il ne
peut être compris par sa famille car l’incompréhension est si ancienne qu’il ne
peut avouer à ses proches qu’il va mourir d’une maladie taboue dans les
années quatre-vingt-dix. “C’est juste la fin du monde” = Louis disparaîtra dans
la nuit, comme il était venu.

4) “Juste” signifie en même temps “précisément” = ce qui est conforme à la


justice. On peut encore une fois y détecter une ironie : est-ce véritablement
juste que le personnage principal, atteint du sida, soit exclu de sa famille et de
tout dialogue avec elle ? Pourquoi ne peut-il avouer ce drame à la fois intime
et tellement universel que la conscience de sa propre mort ? En fait, les non-
dits, tabous et rancunes secrètes gangrènent les liens de cette famille depuis
très longtemps. Pièce de théâtre qui évoque le thème de l’exclusion, de la
marginalité par la maladie du Sida et, de ce fait, la solitude sociale et
psychique.

Film à voir sur Netflix

Juste la fin du monde (2016)

Jouée par l’acteur récemment décédé sur une piste de ski, Gaspard Ulliel, qui
joue le personnage principal : Louis.

Séance 2

Le genre de la pièce

Caractéristiques Tragédie classique Tragédie de l’oeuvre


Juste la fin du monde
Décor Caractéristique d’une Celui de la vie
lointaine noblesse : le quotidienne, la maison,
palais la salle à manger

Unité de lieu Unité de lieu


Temps Journée tragique = 24 Cette tragédie moderne
heures : la tragédie dure également une
commence à l’aube journée, le dimanche,
pour s’achever au soir jour des retrouvailles
funèbre avec la mort ou familiales. Louis arrive
la folie des le matin et en fin
personnages. d’après-midi, avec le
poids funèbre de son
non-dit.
Unité de temps
Unité de temps
Action Unité d’action : un Unité d’action :
dilemne tragique, obéir Dilemne particulier car
à son cœur ou à la Louis est venu avec une
raison, à l’amour ou au décision, annoncer sa
devoir, à ses sentiments mort prochaine et il se
ou à l’honneur ravise. Sa famille le
comprend si mal, si peu
qu’il se trouve dans
l’impossibilité d’avouer
ce drame personnel.

Personnages D’un rang social élevé Classe moyenne ; petite


(noblesse, aristocratie) bourgeoisie
Discours Sublime (avec Registre de langue
hyperboles, marques courant avec sous-
lyriques, registre de entendus, rupture de
langue soutenu) communication,
épanorthose : figure qui
consiste à corriger
systématiquement une
parole que l’on vient
d’émettre pour la
rendre plus frappante,
plus évocatrice.
Bilan : La pièce Juste la fin du monde reprend certaines caractéristiques de la
tragédie classique mais en les détournant, c’est-à-dire qu’elle réutilise ces
codes déjà détournés par le Théâtre de l’Absurde (dont les chefs de file sont
Beckett, Ionesco) en les réadaptant.

Reprise de la règle d’unité de temps, de lieu et d’action propres à la tragédie


classique. La pièce JFM ne déstructure pas complètement le temps et le lieu
comme dans le théâtre de l’Absurde. On y trouve un dilemme comme dans la
tragédie classique : dire ou ne pas dire ?

Mais la pièce JFM reprend aussi certaines caractéristiques tragiques du Théâtre


de l’Absurde qui a déjà détourné les règles de la tragédie classique : le thème
de l’attente vaine, dérisoire, de l’incommunicabilité entre les personnages.
Cette pièce montre le caractère dérisoire des liens familiaux. Les individus ne
parviennent pas à se comprendre.

Séance 3 : Lecture linéaire du Prologue

PROLOGUE

LOUIS. – Plus tard‚ l’année d’après 1


– j’allais mourir à mon tour –
j’ai près de trente-quatre ans maintenant et c’est à cet âge que
je mourrai‚
l’année d’après‚ 5
de nombreux mois déjà que j’attendais à ne rien faire‚ à tricher‚ à ne
plus savoir‚
de nombreux mois que j’attendais d’en avoir fini‚
l’année d’après‚
comme on ose bouger parfois‚ 10
à peine‚
devant un danger extrême‚ imperceptiblement‚ sans vouloir faire de
bruit ou commettre un geste trop violent qui réveillerait l’ennemi et
vous détruirait aussitôt‚
l’année d’après‚
malgré tout‚
la peur‚
prenant ce risque et sans espoir jamais de survivre‚
malgré tout‚
l’année d’après‚ 15
je décidai de retourner les voir‚ revenir sur mes pas‚ aller sur mes
traces et faire le voyage‚
pour annoncer‚ lentement‚ avec soin‚ avec soin et précision
– ce que je crois –
lentement‚ calmement‚ d’une manière posée 20
– et n’ai-je pas toujours été pour les autres et eux‚ tout
précisément‚ n’ai-je pas toujours été un homme posé ?‚
pour annoncer‚
dire‚
seulement dire‚ 25
ma mort prochaine et irrémédiable‚
l’annoncer moi-même‚ en être l’unique messager‚
et paraître
– peut-être ce que j’ai toujours voulu‚ voulu et décidé‚ en toutes
circonstances et depuis le plus loin que j’ose me souvenir – 30
et paraître pouvoir là encore décider‚
me donner et donner aux autres‚ et à eux‚ tout
précisément‚ toi‚ vous‚ elle‚ ceux-là encore que je ne connais pas
(trop tard et tant pis)‚
me donner et donner aux autres une dernière fois l’illusion d’être
responsable de moi-même et d’être‚ jusqu’à cette extrémité‚ mon 35
propre maître.
Jean-Luc LAGARCE
Juste la fin du monde

Présentation de l’œuvre :

Cette pièce représente une nouvelle étape dans la carrière de Jean-


Luc Lagarce : après avoir mis en scène des classiques, il écrit ce
drame en 1990. Mais la pièce ne plaît à aucun éditeur et ne sera
découverte et montée par Joël Joanneau, en 1999. Au moment où il
a composé Juste la fin du monde, Lagarce se savait séropositif. Il
raconte le retour de Louis qui revient dans sa famille pour annoncer
qu’il va mourir car il se sait condamné. A partir de la première scène,
Louis rencontrera, après sa longue absence, Suzanne, sa sœur,
Antoine, son frère, Catherine sa belle-sœur, ainsi que sa mère qui n’a
pas de prénom dans la pièce.
Présentation de l’extrait :
Il s’agit du prologue, moment où la pièce n’est pas encore
commencée. La didascalie initiale indique, outre les prénoms, l’âge
des personnages et le lien familial qui les unit : « Cela se passe dans
la maison de la Mère et de Suzanne, un dimanche évidemment, ou
bien encore durant près d’une année entière.» sans précision de
décors, d’accessoires, de costumes. On notera que ce monologue est
composé d’une seule et unique phrase disposée de sorte à faire
ressembler cette scène à un texte poétique.

Problématique : En quoi ce Prologue s’inscrit-il dans une nouvelle tragédie ?


Premier mouvement : 1 à 4 / “Plus tard “ à “je mourrai”

La prise de parole d’un chœur tragique moderne  : le narrateur/héros a


conscience qu’il va mourir.

1) Prologue équivalent du chœur tragique. Annonce de la mort inéluctable


avec le verbe “mourir” inscrit comme certitude au futur simple de l’indicatif :
“je mourrai”. Mais, à la différence de la voix collective du chœur tragique, le
prologue est relayé par une voix individuelle “je”. Une seule phrase compose
ce prologue qui évoque la ligne de la destinée.
2) Il s’agit d’une voix d’outre-tombe avec la prosopopée qui consiste à faire
parler un défunt : temps à l’imparfait + marqueurs temporels (“plus tard”,
“l’année d’après”) qui montrent que le narrateur a la connaissance a-posteriori
de sa destinée.

3) Indication de l’âge “ près de trente-quatre ans”. Il s’agit d’une mort précoce.


Le registre pathétique s’inscrit dans cette tragédie. Le narrateur va être fauché,
jeune, par la mort comme un héros de tragédie grecque.

Deuxième mouvement : l 5 à 13/ “L’année d’après” jusqu’à “survivre”

“Memento mori” = “Souviens-toi que tu vas mourir”

1) Répétition de l’indice temporel “l’année d’après” : la mort est lancinante,


obsédante comme un refrain. Elle se rappelle au narrateur et lui montre son
caractère éphémère dans le temps qui s’écoule. Échéance inéluctable,
rétrécissement temporel qui évoque le temps tragique. L’expression “l’année
d’après” scande le texte comme un poème, lui donne un rythme poétique =
réflexion lyrique introduite par le “je” du narrateur sur la mort.
2) Thème de l’attente angoissante : reprise anaphorique “de nombreux mois
que j’attendais”. La mort abolit toute action. La vie n’est plus que l’attente de
la mort. Attente à “ne rien faire”, “à ne plus tricher”, “à ne rien savoir” :
énumération de verbes à l’infinitif sur un rythme ternaire : dépouillement
psychologique du narrateur mis devant le fait accompli : il sait qu’il va
disparaître.
3) L’attente de cette mort animalise le narrateur : “on ose bouger, parfois à
peine” ; métaphore de l’animal tapi, caché dans un coin “devant un danger
extrême”, peur de réveiller l’ennemi donc il ne faut pas faire le moindre geste
le moindre bruit pour ne pas attirer son attention. Cette échéance de la mort
rend le narrateur et l’être humain vulnérable. Emploi du pronom indéfini “on” :
cette fatalité, qui concerne Louis, concerne également toute l’humanité.
Lyrisme universel de cette méditation sur la mort.

Troisième mouvement : l 14 à 26

De “Malgré tout” jusqu’à “ma mort prochaine, irrémédiable”  : Le désir de


revenir sur son passé pour le réparer

1) “Malgré tout” : connecteur logique qui marque l’opposition. Louis est bel et
bien un héros tragique qui décide d’agir malgré la fatalité. “Je décidai” : temps
du passé-simple ; Louis prend son destin en mains, même s’il sait qu’il ne peut
le modifier. Décision unique, marquée par ce passé-simple.

2) Évocation du voyage à dimension polysémique (plusieurs sens) :


Voyage familial : “aller les voir”
Voyage temporel ; retour vers le passé : “revenir sur mes pas”, “aller sur mes
traces”
Voyage introspectif que permet le monologue ; Louis se parle à lui-même. Ce
retour vers le passé permet de faire un bilan de vie au seuil de la mort.
Voyage vers un futur qui se limite à l’annonce du message funèbre :
“Annoncer, dire, seulement dire ma mort prochaine et irrémédiable.”
Voyage dans le langage qui se limite à l’annonce de cette mort marquée par la
figure de l’épanorthose : “dire, seulement dire”.
3) Répliques qui s’apparentent au vers libre ; vers tantôt plus longs, tantôt plus
courts et qui se poursuivent au vers suivant : rythme poétique qui s’apparente
à une déambulation à la fois psychique, temporelle et spatiale.

Quatrième mouvement : de “l’annoncer moi-même” jusqu’à “mon propre


maître” : Louis, comme tout héros tragique, veut se donner l’illusion qu’il a
un pouvoir sur son propre destin tout en sachant qu’il va mourir.
L 26 à 36

1) Louis est un nouveau héros tragique. En effet, dans la tragédie antique, la


mort était annoncée par le messager des dieux, Hermès, fils de Zeus. Ici, c’est
Louis qui annonce sa propre mort. Il est le symbole de la conscience de tout
homme face à sa propre mortalité “l’annoncer moi-même, en être l’unique
messager”.
2) Comme le héros tragique, Louis fait preuve de volonté, de dernières
volontés “ (celles du défunt) bien qu’il sache que cette tentative est vaine : “j’ai
voulu”, “voulu et décidé”, “décider”. Louis inscrit son libre-arbitre dans la
fatalité tragique de sa propre fin.

3) Il a conscience toutefois que c’est une illusion : “l’illusion d’être responsable


de moi-même et d’être jusqu’à cette extrémité mon propre maître”. Cette
illusion le rend lucide sur son propre sort, marqué par l’échéance temporelle :
“jusqu’à cette extrémité”. Cette illusion, comme tout héros tragique, le rend
digne face à cette fatalité qu’il se prépare à affronter.

Conclusion :

Ce prologue inscrit la pièce dans une unité d’action tragique : Louis annonce
en tant que chœur tragique sa mort au spectateur. Sa voix singulière, si
intime dans ce monologue, se fait universelle car elle nous annonce
également notre temps limité sur cette terre. Louis se fait le messager de sa
disparition en se rendant une dernière fois dans sa famille. Son ultime
présence se fait le signe de son absence définitive, ce qui donne à la pièce un
caractère poignant, pathétique.

Prochaine lecture linéaire

Partie 1 ; scène 8

Quand Louis arrive dans la maison occupée par sa mère et sa sœur, il tente de renouer le lien rompu avec
chaque membre de la famille, fait la connaissance de Catherine, sa belle-soeur. Antoine et de Catherine
se querellent, tandis que la Mère et Suzanne reviennent sur le passé et sur les années d’absence de Louis.
Pas de didascalie, à l’exception de la didascalie initiale : « Cela se passe dans la maison de la Mère et de
Suzanne, un dimanche, évidemment, ou bien encore durant près d’une année entière. »

LA MÈRE. - Cela ne me regarde pas,


je me mêle souvent de ce qui ne me regarde pas, je ne change pas, j'ai toujours été ainsi.
Ils veulent te parler, tout ça,
je les ai entendus
mais aussi je les connais,
je sais,
comment est-ce que je ne saurais pas ?
Je n'aurais pas entendu, je pourrais plus simplement encore deviner,
je devinerais de moi-même, cela reviendrait au même.
Ils veulent te parler,
ils ont su que tu revenais et ils ont pensé qu'ils pourraient te parler,
un certain nombre de choses à te dire depuis longtemps et la possibilité enfin.

Ils voudront t'expliquer mais ils t'expliqueront mal,


car ils ne te connaissent pas, ou mal.
Suzanne ne sait pas qui tu es,
ce n'est pas connaître, cela, c'est imaginer,
toujours elle imagine et ne sait rien de la réalité,
et lui, Antoine,
Antoine, c'est différent,
il te connaît mais à sa manière comme tout et tout le monde,
comme il connaît chaque chose ou comme il veut la connaître,
s'en faisant une idée et ne voulant plus en démordre.
Ils voudront t'expliquer
et il est probable qu'ils le feront
et maladroitement,
ce que je veux dire,
car ils auront peur du peu de temps que tu leur donnes,
du peu de temps que vous passerez ensemble
– moi non plus, je ne me fais pas d'illusion, moi aussi je me doute que tu ne vas pas
traîner très longtemps auprès de nous, dans ce coin-ci.

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