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LE POLICY MIX DE LA ZONE UEMOA : LEÇONS D'HIER, RÉFLEXIONS

POUR DEMAIN

Kako Nubukpo

Armand Colin | « Revue Tiers Monde »

2012/4 n°212 | pages 137 à 152


ISSN 1293-8882
ISBN 9782200928087
DOI 10.3917/rtm.212.0137
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-tiers-monde-2012-4-page-137.htm
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VARIA

LE POLICY MIX DE LA ZONE UEMOA :


LEÇONS D’HIER, RÉFLEXIONS POUR DEMAIN

Kako Nubukpo*

Plus de quinze ans après la création de l’Union économique et monétaire ouest africaine
(UEMOA) et à l’occasion du cinquantenaire de l’Union monétaire ouest africaine (UMOA), il
convient d’effectuer un bilan de l’articulation entre la politique monétaire commune, dont la
mise en œuvre est du ressort de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) en
charge de la gestion du franc CFA, et les politiques budgétaires nationales, dont la coordination
est confiée à la Commission de l’UEMOA. À l’examen, il apparaît que l’objectif de croissance
économique a été sacrifié sur l’autel de la lutte contre l’inflation. À cet égard, il serait utile
d’améliorer le Policy Mix de l’UEMOA, dans le sens d’un régime de changes CFA/euro plus
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flexible et d’un gouvernement économique fondé sur un fédéralisme budgétaire à promouvoir.
Mots clés : Union économique et monétaire, coordination des politiques, développement.
Classification JEL : E52, E63, O11.

L’entrée en vigueur le 1er avril 2010 du nouveau traité de l’Union monétaire


ouest africaine (UMOA) et de la réforme des statuts de la Banque centrale des
États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), qui consacre notamment l’indépendance
organique de cette dernière, met en évidence la nécessité de reposer la question
de la coordination des politiques macroéconomiques au sein de la zone UEMOA.
En effet, cette question paraît cruciale, plus de quinze ans après la création
de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA), justifiée, dans
le contexte de la dévaluation du franc CFA de janvier 1994, par l’impératif
d’asseoir la monnaie commune (CFA) sur des bases économiques solides, et
en cette année anniversaire du cinquantenaire de la création de l’UMOA. La
persistance de la coexistence de deux traités, celui de l’UEMOA et celui de

* Université de Lomé (Togo) et Commission de l’UEMOA, knubukpo@uemoa.int

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l’UMOA, nonobstant les dispositions de l’article 112 du traité de l’UEMOA, qui


prévoit à terme une fusion des deux traités, apparaît comme un signal pour
le moins ambigu quant à la vision sur le long terme des autorités de l’Union
sur cette dernière, et surtout sur leur volonté effective d’en faire un espace de
stabilité institutionnelle et de bonne performance économique.
Dans ce contexte, la question spécifique de la coordination entre la politique
monétaire, dont la responsabilité incombe désormais entièrement à la BCEAO,
et les politiques budgétaires, lesquelles sont du ressort des 8 États de l’Union,
c’est-à-dire le Policy Mix, se pose avec acuité dans la zone UEMOA, sur fond de
recherche du positionnement optimal de la Commission de l’UEMOA. Cette
dernière se veut-elle simplement une instance de coordination des politiques
budgétaires, une sorte de vigie budgétaire de l’Union, dont le rôle consisterait à
optimiser l’instrument budgétaire des États sous contrainte des orientations de
la politique monétaire de la BCEAO ? Ou, au contraire, caresse-t-elle l’ambition
d’être à la fois un interlocuteur privilégié de la BCEAO dans la définition et la
conduite de la politique monétaire, en même temps qu’un acteur essentiel de
la politique budgétaire de l’Union (via notamment le fédéralisme budgétaire) ?
Telles sont, parmi d’autres, les questions dont la Commission de l’UEMOA
(ci-après désignée Commission) ne pourra faire l’économie, sous peine de
passer à côté de son rôle de pivot du système institutionnel de l’Union.
L’objectif du présent article est de contribuer à alimenter la réflexion sur
le Policy Mix de la zone UEMOA et d’en inférer quelques enseignements
pour la Commission. Cet exercice débute par un historique de l’évolution de
l’UMOA et un exposé des faits stylisés récents relatifs aux économies de l’Union
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(première section), avant d’examiner l’efficacité et la coordination des politiques
macroéconomiques en cours et à venir dans la zone (seconde section).

ÉVOLUTION DE L’UMOA ET FAITS STYLISÉS RELATIFS


AUX ÉCONOMIES DE L’UNION
L’UMOA, une expérience d’intégration monétaire atypique
L’expérience de l’intégration monétaire dans la zone UMOA/UEMOA1 est
atypique, dans la mesure où l’instauration d’une monnaie commune, le franc CFA
(franc des colonies françaises d’Afrique, créé le 26 décembre 1945), a précédé la mise
en place des conditions économiques de sa pérennité, en particulier l’effectivité de
règles édictées en matière de convergence et de bonne gestion macroéconomiques.
La coopération monétaire existant avec la France est illustrée par l’instauration d’un

1. Le traité instituant l’Union monétaire ouest africaine (UMOA) date de mai 1962, alors que celui instituant l’UEMOA ne date que de
janvier 1994. Le traité de l’UEMOA n’a pas remplacé celui de l’UMOA.

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mécanisme dit du « compte d’opérations »2 créé en 1921 dans le cadre des accords
entre la France et le Maroc. Ce mécanisme, dont le principe a été progressivement
généralisé à l’ensemble de la Zone franc, contribue à garantir une parité fixe
entre le franc CFA et le franc français, puis l’euro à partir de 1999. En 1962, la
naissance de l’Union monétaire ouest africaine (UMOA) consacre la reconnaissance
officielle, par des États nouvellement indépendants, du franc CFA (franc des colonies
françaises d’Afrique) qui s’intitulera désormais « franc de la communauté financière
africaine », comme monnaie ayant cours légal et vertu libératoire sur toute l’étendue
du territoire des États signataires.
Sur la période 1962-2000, quatre grandes périodes peuvent être mises en
évidence du point de vue de l’évolution des variables fondamentales de l’Union
et des orientations de la politique économique au sein de la zone.
La décennie 1960 fut marquée par un espace économique peu structuré,
avec une administration en voie de construction et une prédominance de
l’économie de rente (activités minières, cultures d’exportation : cacao, café,
coton, arachides). Les liens économiques entre les pays sont demeurés faibles,
du fait de la spécialisation des États dans l’exportation des matières premières
vers les pays industrialisés. La forte disparité de réglementation et de législation,
de manière générale restrictive en matière de mobilité de la main-d’œuvre, a
également contribué à la faible intégration des marchés du travail.
La décennie 1970 fut marquée par la mise en œuvre de politiques volontaristes
de développement du secteur industriel, dans une optique d’import-substitution.
Cette période vit la mise en œuvre d’investissements massifs des États souvent
financés par l’endettement extérieur dans un contexte de recyclage des pétro-
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dollars. Le taux d’investissement de l’UMOA fut supérieur à 24 % (BCEAO,
2000). Ce fut une période d’orientation sectorielle du crédit, de forte expansion
du champ d’activité de l’État, avec notamment l’instauration de nombreux
monopoles publics (ciment, riz, lait, sucre, transports urbains...).
La décennie 1980, encore appelée période d’ajustement « réel », a connu
deux sous-périodes notables, 1980-1985 et 1985-1993.
Dans la sous-période 1980-1985, le constat d’une forte vulnérabilité des
économies de l’UMOA aux chocs exogènes fut patent. Ces chocs exogènes
étaient au nombre de quatre : forte dégradation des termes de l’échange de 1978
à 1983 (café et cacao : -62,6 %, coton : -33 %) (BCEAO, 2000), récurrence
d’aléas climatiques (sécheresse au Sahel entre 1982 et 1984), forte hausse
des taux d’intérêt sur les marchés internationaux des capitaux à l’origine
de l’insoutenabilité de la dette publique et de la mise en place des programmes

2. Pour cerner les tenants et les aboutissants du fonctionnement du « compte d’opérations », se référer aux ouvrages de P. Hugon
(1999, p. 19) et de B. Claveranne (2005, p. 50).

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d’ajustement structurel (PAS), et enfin dépréciation sensible du taux de change


réel des monnaies des pays voisins (Nigeria, Ghana) affectant la compétitivité des
productions de l’UMOA (industries manufacturières), contribuant à aggraver
les déficits courants extérieurs des pays de l’Union.
La sous-période 1986-1993 fut caractérisée par l’ampleur croissante des
déséquilibres financiers, avec des conséquences désastreuses sur l’endettement
des États, la croissance économique et, plus globalement, sur la viabilité
économique et financière des États de l’Union. Ces évolutions justifient la mise
en place des mesures de stabilisation économique et les réformes financières
engagées au milieu des années 1980.
Au terme de cette série de réformes, les États constatèrent que les per-
formances économiques restaient largement en deçà des attentes, dans un
environnement extérieur demeuré défavorable.
La période 1994-2000, post-dévaluation du franc CFA, s’est traduite par
l’adoption d’une nouvelle stratégie à moyen terme d’ajustement et de crois-
sance dans le prolongement des mesures d’assainissement internes entreprises
depuis 1985. Ces programmes ont été largement financés par les partenaires au
développement et comportent deux axes, l’assainissement du cadre macroéco-
nomique et l’intensification des réformes structurelles. La création, le 10 janvier
1994, de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA) fut une
illustration de l’impératif de doter la monnaie commune CFA de fondements
économiques solides basés sur une convergence accrue des performances des
différentes économies de l’Union.
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Le schéma d’intégration au sein de l’espace UEMOA témoigne donc de
la part de ses promoteurs de la volonté d’asseoir une nouvelle génération de
politiques d’intégration mettant l’accent sur la convergence des politiques et
des performances macroéconomiques, la coordination régionale des politiques
sectorielles et l’appui à la création d’un espace économique unifié (liberté de
circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes).

Une brève histoire du dispositif de gestion monétaire de l’UMOA


Au cours des quinze premières années qui ont suivi les indépendances (1960),
la politique monétaire de l’UMOA fut marquée par la présence d’une direction
française prudente. Sans être particulièrement restrictive (les plafonds de crédits
n’ont pas été entièrement utilisés par les banques et les Trésors nationaux), cette
politique monétaire exerça un effet modérateur sur la croissance monétaire.
En effet, le principe de la politique monétaire était la régulation directe de la
liquidité, par le biais du rationnement administratif du crédit.
Des plafonds de crédit étaient déterminés par pays, et l’exercice consistant
à calculer les montants alloués a été intitulé « programme monétaire ». Sur la

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base des prévisions de croissance économique et eu égard à l’objectif souhaitable


d’inflation, le taux de croissance de la masse monétaire et le montant idoine
des crédits à l’économie étaient déterminés et transmis officiellement à chaque
direction nationale de la BCEAO.
Pour l’ensemble de l’Union, la masse monétaire a augmenté de 13,6 % en
moyenne par an de 1960 à 1974, puis est passée à 22,2 % dans la deuxième
moitié des années 1970 (BCEAO, 2000). Sous l’effet de la crise économique des
années 1980 et de la restructuration de près du quart des banques, le taux de
croissance de la masse monétaire s’est ralenti pour tomber à 7,6 % par an et est
même devenu négatif (-0,6 %) entre 1990 et 1993 (idem).
Après la dévaluation du franc CFA de 1994, la masse monétaire s’est accrue
de 23 % sur la période 1995-2000 et s’est maintenue à ce rythme au cours de la
décennie 2000 (20 %), suite à la réforme du dispositif de gestion monétaire de
l’UMOA. En effet, dans le contexte de l’ajustement structurel des années 1980 et
de l’orientation libérale des politiques économiques, la politique monétaire de
l’Union est passée d’une régulation directe de la liquidité à une régulation dite
indirecte, marquée par l’utilisation des taux d’intérêt directeurs (octobre 1989)
et la suppression de l’encadrement administratif du crédit (janvier 1994).
Suite aux décisions prises au mois de juillet 1996 dans le cadre de l’approfon-
dissement du marché monétaire, le dispositif de gestion monétaire de la BCEAO
comprend trois volets essentiels :
– le marché monétaire par voie d’appel d’offres, utilisant le guichet d’appel
d’offres avec le système d’adjudications (injection ou reprise de liquidités), et
le marché interbancaire ;
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– les procédures permanentes de refinancement, avec le taux de prêt marginal,
mises en œuvre à l’initiative des établissements de crédit ;
– le système des réserves obligatoires, comprenant trois champs d’intervention,
à savoir, le champ d’application des réserves, l’assiette de calcul et le coefficient
des réserves obligatoires.
La mise en œuvre de ce dispositif de gestion monétaire a permis aux États
membres de l’UMOA de connaître la stabilité monétaire au cours des cinquante
dernières années. Il suffit, pour s’en convaincre, d’observer dans la sous-région
les performances réalisées par les pays voisins ayant fait le choix de gérer en
propre leur monnaie. Des pays comme le Ghana, le Nigeria, la Sierra Leone, la
Gambie, le Liberia, la Guinée Conakry... ont connu, au cours de leur histoire
récente, des désordres monétaires qui se sont manifestés par une inflation élevée
et une forte volatilité du taux de change de leur monnaie. Pour leur part, les États
membres de l’UMOA ont été épargnés par ces désordres grâce à la discipline
monétaire imposée par le dispositif institutionnel actuel.

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Cependant, ce dispositif fait apparaître un certain nombre de difficultés,


au titre desquelles il convient de mentionner la persistance de liquidités
bancaires excédentaires, l’existence de circuits exceptionnels de refinancement,
la prévalence d’une hiérarchie peu opérationnelle entre les guichets de la pension
et des appels d’offres, illustrée notamment par un écart peu significatif entre le
taux du marché monétaire (taux moyen mensuel) et le taux de pension (0,05 %),
ce qui n’incite pas les banques à effectuer des opérations sur le marché monétaire
et, enfin, l’étroitesse du marché interbancaire et du marché des titres de l’Union.

Quelques faits stylisés récents : 2000-2010


Fortement dépendante des chocs d’offre exogènes (aléas climatiques, varia-
tion erratique des cours des matières premières...), la zone UEMOA a dû faire
face à des fluctuations diverses asymétriques auxquelles les politiques écono-
miques ont eu à répondre. Au titre des facteurs pouvant favoriser l’occurrence
dans l’UEMOA de chocs asymétriques, il convient de citer la forte spécialisation
agricole déterminée par la géographie. En effet, les économies sahéliennes sont
relativement proches les unes des autres, mais se distinguent des économies des
pays « côtiers ». D’autre part, deux économies, le Sénégal et la Côte d’Ivoire,
sont plus industrialisées que les autres.
La période 1997-2005 : une croissance irrégulière
L’après-dévaluation du FCFA a connu une accélération de la croissance
économique de l’UEMOA qui culmina à 5 % en 1997 (UEMOA, 2012). Cette
croissance a connu des fluctuations fortes au cours de la période 1997-2000
avec une baisse du PIB réel en 2000. Au cours de la période, la croissance du
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PIB réel a été en moyenne de 3,2 % avec une tendance baissière (idem). Cette
période a été notamment marquée par des croissances négatives enregistrées
en Côte d’Ivoire, en Guinée-Bissau et au Togo, pays qui ont connu des crises
sociopolitiques majeures au début des années 2000.
La période 2006-2010 : une croissance plombée
par la crise financière mondiale
Malgré une situation internationale incertaine, où le monde connaît une
récession forte, l’Union a réalisé un taux de croissance annuel moyen du PIB réel
de 3,4 %, moyenne en hausse de 0,2 point par rapport à la période précédente.
Néanmoins, la croissance n’a pas atteint le niveau de 1997 (ibid.). La croissance
de la période a été plus stable et positive pour l’ensemble des pays de l’Union.
Cependant, elle a été moins forte que pour l’ensemble des pays en développement,
notamment ceux d’Asie.

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EFFICACITÉ ET COORDINATION DE LA POLITIQUE MONÉTAIRE ET DES


POLITIQUES BUDGÉTAIRES DANS LA ZONE UEMOA : ÉTAT DES LIEUX
ET PERSPECTIVES
La politique monétaire conduite par la BCEAO
Pour une appréhension pertinente des défis du Policy Mix de la zone, il
convient de noter que la BCEAO a opté pour une cible d’inflation de 2 %
comme principal objectif de la politique monétaire de l’UEMOA3 . Un tel choix
provient de l’arrimage du franc CFA à l’euro car cette cible est celle retenue par
la Banque centrale européenne (BCE). Or, dans un régime de changes fixes avec
une libre circulation des capitaux, il est impossible pour la BCEAO d’avoir une
politique monétaire durablement différente de la zone ancre, c’est-à-dire la zone
euro, conformément aux enseignements du « triangle des incompatibilités de
Mundell »4 . Ce rattachement institutionnel, hérité des accords de coopération
entre la France et l’UMOA, contraint donc la BCEAO dans sa capacité de
choix de son objectif de politique monétaire. Dans un régime de changes fixes,
l’inflation contribue, du fait de la perte de compétitivité qu’elle engendre, à la
détérioration progressive des comptes extérieurs. En effet, la hausse durable des
prix domestiques par rapport aux prix étrangers a tendance à provoquer une
appréciation du taux de change effectif réel, ce qui est préjudiciable au maintien
d’une dynamique d’exportation soutenue.
Dans les faits, la cible d’inflation retenue par la BCEAO (2 %) peut sembler
exagérément restrictive pour des économies qui ont besoin de 7 % de croissance du
PIB réel par an pour atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement
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(OMD), notamment la réduction de moitié de la pauvreté à l’horizon 2015.
La poursuite simultanée de ces deux objectifs (forte croissance et faible
inflation) a nourri le débat relatif à l’existence de la courbe de Phillips5 , c’est-
à-dire de la nécessité d’effectuer un arbitrage entre l’inflation et la croissance

3. La BCEAO se veut ainsi plus vertueuse et / ou plus prudente que la Commission, laquelle a retenu une cible d’inflation de 3 %
dans le cadre des critères de convergence macroéconomique.
4. Mundell explique que dans un régime de taux de changes fixes avec une liberté de circulation des capitaux, une banque
centrale d’un pays ou d’une zone qui arrime sa monnaie à celle d’une zone plus puissante économiquement perd sa liberté de
fixation des taux d’intérêt directeurs et est obligée de suivre l’évolution des taux de la zone ancre, notamment à la hausse. En effet,
si tel n’était pas le cas, elle perdrait ses réserves de change du fait des capitaux qui partiraient vers la zone ancre et risquerait
ainsi de ne plus pouvoir disposer de suffisamment de réserves de change pour soutenir son taux de changes fixes. Il s’ensuivrait
une dévaluation de sa monnaie. Pour en savoir plus, voir R. A. Mundell (1960).
5. La courbe de Phillips rend compte de l’arbitrage existant entre inflation et chômage : en effet, elle suggère qu’il est possible
d’obtenir un supplément de croissance économique, devant se traduire par une baisse du chômage, par le biais d’une politique
monétaire expansionniste. La hausse du taux d’inflation, conséquence de la politique monétaire expansionniste, serait le prix
à payer pour obtenir la croissance. Un tel enchaînement des mécanismes a été remis en cause par Phelps et Friedman, puis
Sargent et Wallace, qui montrèrent, grâce à l’introduction des anticipations dites adaptatives, puis rationnelles dans les modèles
keynésiens, l’absence d’arbitrage entre inflation et chômage. La réponse des nouveaux keynésiens fut de réhabiliter la courbe de
Phillips en passant par l’hypothèse d’imparfaite flexibilité des prix.

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économique. La préoccupation vis-à-vis de la croissance est d’autant plus


légitime que cette dernière semble reliée à l’investissement dans la zone UEMOA.
En effet, les études empiriques ont généralement mis en évidence à court terme,
outre les facteurs climatiques, le rôle majeur joué par l’investissement réel et
l’évolution des termes de l’échange. À long terme, le capital humain, le taux
d’investissement et la croissance des exportations sont les variables qui influent
significativement sur la croissance par tête dans les pays de l’UEMOA.
L’investissement est donc le principal moteur de court et de long terme de la
croissance des économies de l’UEMOA. Ses principaux déterminants sont : la
stabilité du cadre macroéconomique, la qualité de l’environnement juridique,
judiciaire et fiscal, les perspectives de profit réel des entreprises, l’efficacité de
l’intermédiation financière, l’assainissement des finances publiques et la qualité
de la dépense publique.
On ne peut cependant passer sous silence le rôle crucial des crédits à l’économie
comme moteur de l’investissement. Or, la croissance du crédit intérieur des banques
de l’Union a connu un ralentissement après une croissance de plus de 16 % en
2008. Cette tendance baissière a atteint 7 % en 2009 (BCEAO, 2011). Depuis lors,
une accélération du crédit à l’économie a été observée portée par un accroissement
des concours à court terme qui ont contribué à une croissance de 10,6 % en 2010.
Les crédits sont généralement offerts à des taux d’intérêt élevés sur toute la période,
dépassant 10 % en moyenne pour les crédits à la consommation et 8 % pour
les crédits d’équipement et d’habitation (idem). En outre, la composante « court
terme » de ces crédits est la plus offerte, réduisant ainsi les investissements des
entreprises et des ménages qui ont besoin de crédits de long terme. Les coûts de
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financement demeurent donc élevés dans la zone UEMOA.
En particulier, par une politique monétaire à tendance procyclique6 du fait
de l’origine non monétaire de l’inflation dans la zone UEMOA (l’inflation
y provient plus des aléas climatiques que d’une offre de monnaie excessive,
Doe, Diallo, 1997) et d’orientation excessivement restrictive, la BCEAO ne peut
s’exonérer de toute responsabilité dans la faible performance enregistrée par les
économies de l’UEMOA en termes de croissance économique.
Au final, la BCEAO semble privilégier l’objectif de change au détriment de
celui de la croissance économique. En cela, elle est plus une caisse d’émission

6. Toute politique monétaire a une vocation « contra cyclique », c’est-à-dire contre le cycle « naturel » de l’économie. Ainsi,
lorsque la croissance économique est en berne, la banque centrale doit diminuer ses taux directeurs pour réduire le coût du crédit.
De fait, les agents sont incités à s’endetter pour consommer ou investir, ce qui permet de relancer la machine économique et vice
versa. Or, du fait des spécificités de la zone UEMOA, en particulier du fait de l’origine non monétaire de l’inflation, une mauvaise
pluviométrie se traduisant par une flambée des prix alimentaires induit de suite un durcissement de l’octroi de crédit du système
bancaire du fait de la hantise de l’inflation. Ainsi, alors même que les agents économiques sont pénalisés par des prix alimentaires
élevés, la BCEAO les empêche d’accéder au crédit pouvant desserrer leur contrainte budgétaire, accentuant par ce biais le risque
de déprime économique. Cette politique procyclique contribue à éloigner les économies de l’UEMOA de leur trajectoire normale de
croissance économique et illustre les effets pervers d’une lutte à courte vue contre l’inflation.

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qu’une véritable banque centrale puisqu’elle n’a plus la maîtrise de sa politique


monétaire. De ce fait, l’inefficacité de cette dernière, eu égard à la situation
économique propre à la zone UEMOA (Nubukpo, 2002, pp. 20-21)7 , s’explique
en partie par le primat accordé au respect de la contrainte externe au détriment
de la conjoncture interne.
Cependant, une dévaluation brutale, à l’instar de celle de 1994, ne saurait
résoudre durablement les problèmes structurels que pose le rattachement du
franc CFA à l’euro. En outre, elle serait difficile à justifier au regard du niveau
élevé des réserves de changes de la BCEAO auprès du Trésor français. Il convient
plutôt de se poser la question plus globale de la pertinence du régime de change
et du coût d’une gestion monétaire extravertie pour les populations de l’Union.
D’un point de vue strictement économique en effet, il semblerait plus
raisonnable d’envisager un régime de parité ajustable, arrimé à un panier de
devises, donnant lieu à un franc CFA fluctuant à l’intérieur d’une bande à
définir entre les autorités de la zone UEMOA. Ce système aurait alors l’avantage
d’assurer aux autorités de la BCEAO un apprentissage progressif de la gestion
monétaire et d’envoyer, par le biais d’un taux de change moins rigide, des
signaux réguliers aux populations de la zone sur l’état de leurs économies. Il
cesserait également de privilégier les populations urbaines, qui bénéficient à
l’heure actuelle pour leur consommation de produits importés, d’une monnaie
forte et convertible, alors même que le principal défi des économies de l’UEMOA
est de rendre compétitifs et autosuffisants les millions de petits producteurs qui
se battent quotidiennement pour leur survie. Pour qu’une telle évolution soit
envisageable, une réflexion sur la nature, le contenu et l’opportunité des accords
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de coopération monétaire qui lient la France et les pays de la zone franc doit
être menée. Dans ce contexte, il importe de savoir comment se positionne la
Commission et surtout si, à terme, le Policy Mix de la zone UEMOA est tenable.

Les politiques budgétaires coordonnées par la Commission de l’UEMOA


Le premier mécanisme formel de suivi de la mise en œuvre de la convergence
macroéconomique dans l’Union a été développé en 1993 avec la création du
Conseil de convergence, composé des ministres des Finances des États membres
et du Gouverneur de la BCEAO. Sa mission était de renforcer la cohérence
et la convergence entre les politiques budgétaires nationales et la politique
monétaire commune, en vue d’améliorer l’efficacité d’ensemble des politiques
économiques au sein de la zone.
Avec l’entrée en vigueur du Traité de l’UEMOA en 1994 et la mise en place de la
Commission de l’UEMOA, le suivi de la coordination des politiques économiques a

7. Les résultats de cette étude ont été validés par les autorités monétaires de la zone et publiés dans le Rapport Annuel de la
BCEAO (2002, pp. 20-21).

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Kako Nubukpo

pris une nouvelle dimension au sein de l’Union, avec un accent mis sur la nécessité
de parvenir à la convergence des taux d’inflation, des taux de croissance et des
structures économiques des pays membres. Ces orientations, qui ont inspiré le Traité
de l’UEMOA, se sont traduites par la mise en place d’un dispositif institutionnel
approprié et d’un mécanisme de surveillance multilatérale fondé sur la recherche
de la stabilité des prix et l’assainissement budgétaire.
Ce dispositif a été renforcé par l’adoption d’un Pacte de convergence, de stabilité,
de croissance et de solidarité, entré en vigueur en 2000, et dont l’originalité est
de mettre un accent particulier sur l’assainissement des finances publiques et le
maintien de la stabilité monétaire au sein de l’Union (voire infra, encadré).
La mise en œuvre du dispositif de surveillance multilatérale dans l’UEMOA a
permis d’améliorer l’assainissement budgétaire des États, ainsi que la convergence
recherchée à travers les critères définis.
Le Pacte de convergence, de stabilité, de croissance et de solidarité prévoit
deux phases distinctes : une phase de convergence et une phase de stabilité.
La phase de convergence, durant laquelle les économies des États membres
devaient évoluer progressivement vers le respect des normes communautaires,
postulait un processus graduel de convergence, chaque État disposant de trois
années pour parvenir, à son rythme, aux objectifs fixés. Les performances des
États membres dans l’évolution vers le respect des normes arrêtées ne devaient
connaître aucune dégradation, sauf circonstances exceptionnelles.

LES CRITÈRES DE CONVERGENCE ET LEURS SANCTIONS


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L’adoption du Pacte a entraîné la mise en œuvre de nouveaux critères de convergence permettant
une meilleure appréciation de la maîtrise des finances publiques et de la convergence des politiques
budgétaires. Une hiérarchisation est introduite entre des critères de premier rang, dont un critère-clé, et
des critères de second rang.
Le critère-clé est le solde budgétaire de base rapporté au PIB nominal. Le solde budgétaire de base permet
de mesurer la capacité de l’État à couvrir ses dépenses courantes, y compris les charges d’intérêt et ses
dépenses en capital sur ressources internes avec ses recettes budgétaires, à savoir les recettes fiscales
et les recettes non fiscales. À l’horizon de la convergence, ce solde devra être supérieur ou égal à 0 %. Le
non-respect de ce critère pourra alors faire l’objet de sanctions. Dans le cadre des récents changements
apportés au Pacte, le mode de calcul de ce critère a été revu de manière à prendre en considération les
dons budgétaires et les ressources PPTE. Les autres critères de premier rang comportent une norme
en matière de taux d’inflation, lequel doit demeurer inférieur à 3 % par an, l’interdiction d’accumulation
d’arriérés intérieurs et extérieurs en cours d’exercice, et un ratio d’endettement limitant l’encours de
la dette intérieure et extérieure rapportée au PIB nominal à 70 % à l’horizon de la convergence. L’État
membre qui ne satisfait pas à l’un de ces critères doit élaborer, en concertation avec la Commission, un
programme de mesures rectificatives dans un délai de trente jours. En phase de convergence comme en
phase de stabilité, toute dégradation d’un critère de premier rang, aboutissant au non-respect de la norme,
appelle la mise en œuvre de mesures rectificatives. Toutefois, lorsque le critère est déjà respecté, comme
c’est forcément le cas en phase de stabilité, toute dégradation susceptible de conduire au non-respect de
la norme a pour conséquence la formulation d’une recommandation par le Conseil des ministres.
Les critères de second rang qui sont des contraintes, comportent quatre éléments : la masse salariale ne
doit pas excéder 35 % des recettes fiscales, les investissements publics financés sur ressources internes

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Le Policy Mix de la Zone UEMOA : leçons d’hier, réflexions pour demain


représenteront au moins 20 % des recettes fiscales, le déficit extérieur courant, hors dons rapportés
au PIB nominal, n’excède pas 5 %, et les recettes fiscales sont supérieures ou égales à 17 % du PIB
nominal. Ces critères sont traités comme des repères structurels indicatifs permettant de mieux apprécier
la qualité de la convergence. Par conséquent, ils peuvent servir dans la formulation des recommandations
de politique économique visant à assurer le respect des conditions de convergence.

La phase de stabilité était prévue, à l’origine, pour débuter le 1er janvier


2003. À cette date, tous les États membres devaient avoir satisfait aux critères
de convergence et continuer à respecter les normes fixées, afin de garantir
et de consolider les performances acquises. Tel ne fut pas le cas. L’échéance
de la convergence a été repoussée d’abord à fin décembre 2005, puis à fin
décembre 2008 et, récemment, au 31 décembre 2013.
Face aux difficultés de la convergence, telle que définie à travers les critères
nominaux présentés dans l’encadré ci-dessus, une réflexion a été engagée par
la Commission afin d’identifier, en plus des facteurs structurels propres aux
économies des États membres, les instruments d’une meilleure perception de
l’impact des efforts consentis à travers l’exercice de la surveillance multilatérale.
D’autres réflexions ont été aussi engagées afin de parvenir à une meilleure
appréciation de la convergence des économies de l’Union, notamment à travers
des critères structurels faisant appel, au besoin, à une appréciation de la croissance
structurelle, hors aléas, donc hors événements indépendants des efforts des États
membres. Cette réflexion, encore inachevée au sein de l’Union, revêt désormais
un intérêt nouveau en raison des leçons apprises à la faveur de la crise économique
internationale, en particulier l’impératif de flexibilité en matière de politique
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économique et monétaire pour un développement pérenne.

Les scénarios pour l’avenir : quel Policy Mix pour la zone UEMOA ?
La stratégie actuelle : Régime de changes fixes
et coordination budgétaire
Le Policy Mix actuel de la zone UEMOA traduit une séparation entre le
pouvoir monétaire et les pouvoirs budgétaires. La politique monétaire est du
ressort de la BCEAO avec comme principal objectif la recherche de la stabilité
des prix (voire supra, première partie) dans un contexte de taux de changes fixes
avec l’euro. Les politiques budgétaires sont spécifiques à chaque État membre
de l’Union mais elles sont coordonnées par la Commission de l’UEMOA via les
critères de convergence, de stabilité, de croissance et de solidarité.
L’avantage de cette configuration réside dans le fait qu’elle a permis à la zone
de maîtriser l’inflation et d’assurer progressivement une convergence nominale
des économies de l’Union. Cependant, elle induit : (i) un coût manifeste en
termes de croissance économique, du fait notamment d’une réduction des
marges de manœuvre de l’instrument monétaire compte tenu de l’ancrage rigide

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Kako Nubukpo

du FCFA à l’euro ; (ii) une perte de compétitivité prix en cas d’appréciation de


l’ancre (euro) ; (iii) des difficultés d’utilisation contra cyclique de l’instrument
budgétaire, notamment en cas de survenance de chocs asymétriques.
Pour une zone économiquement faible comme l’UEMOA, soumise à de
fréquents chocs symétriques et asymétriques (crise économique internationale,
alimentaire, énergétique, politique, écologique, etc.) recelant en son sein une
pluralité d’États « fragiles », cette structure du Policy Mix pose un certain
nombre de problèmes : la rigueur de la gestion au sein d’une union économique
et monétaire se confond-elle forcément avec l’application d’une politique de
désinflation compétitive ? Existe-il des marges de manœuvres conceptuelles
et réelles permettant d’envisager une voie de croissance endogène à l’Union ?
Si oui, quel serait le Policy Mix optimal de la zone UEMOA ? Est-il possible
d’envisager la création, à l’instar de la zone euro, d’un Fond de stabilisation
financière afin d’aider les États en délicatesse avec leurs finances publiques et,
pourquoi pas, d’insuffler une dynamique nouvelle de financement régional de
la croissance ?
Quel Policy Mix optimal pour la zone UEMOA ?
Trois faits stylisés importants sont à noter en ce qui concerne la gestion du
Policy Mix de la zone UEMOA :
– l’instauration du pacte de convergence, de stabilité, de croissance et de
solidarité a engendré une convergence nominale et réelle, mais avec une
vitesse faible ;
– l’existence d’une perte notable de compétitivité depuis la dévaluation du
FCFA de 1994 (Zoumbara, 2010) ;
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– la politique monétaire conduite par la BCEAO apparaît restrictive, le niveau
d’inflation visé semble très bas (2 %) au regard du seuil optimal d’inflation
(8,1 %) issu de l’arbitrage inflation / croissance dans la zone UEMOA. En
effet, à l’aide d’un modèle de panel non dynamique à effets de seuil (inspiré
de Drukker, Gomis-Porqueras, Hernandez-Verme, 2005) et d’une procédure
d’identification du seuil endogène à la Hansen, Combey et Nubukpo (2010)
ont mis en évidence l’existence d’une relation non linéaire entre le taux
d’inflation et le taux de croissance économique au sein de l’UEMOA et ont
déterminé le seuil d’inflation (8,1 %) à partir duquel un arbitrage entre
inflation et croissance est effectif.
Ces constats conduisent à envisager des scénarios alternatifs en termes de
conduite du Policy Mix de la zone UEMOA, dont le plus ambitieux est sans
doute l’articulation d’un régime de changes flexibles avec une dose prononcée
de fédéralisme budgétaire (Barbier-Gauchard, 2008). Cette stratégie diffère
de l’actuelle par la constitution d’un véritable budget d’intervention de la
Commission, pouvant par exemple prendre la forme de fonds de soutien
aux pays de l’UEMOA. Ces fonds, gérés par la Commission, devraient en

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Le Policy Mix de la Zone UEMOA : leçons d’hier, réflexions pour demain

particulier permettre d’aider de manière substantielle les pays en difficulté,


notamment en cas de survenance de chocs asymétriques, mais également pour
le financement d’investissements structurants. Leur fonctionnement suggère
l’idée du fédéralisme budgétaire, c’est-à-dire de la capacité de la Commission à
répondre de manière optimale et supranationale aux trois objectifs de la politique
budgétaire (allocation des ressources, stabilisation conjoncturelle, redistribution
des richesses) et ouvrirait de fait la voie à un véritable Gouvernement économique
de la zone UEMOA.
En pratique, ceci conduirait à la mise en place de fonds d’intervention et
d’investissement :
– l’Union ne dispose pas de manière permanente de tous les instruments qui lui
permettent de faire face aux cycles conjoncturels et aux calamités naturelles,
d’une part, au financement à long terme des investissements structurels pour
la croissance, d’autre part ;
– la faculté reconnue à la Commission d’émettre des obligations dans la limite
de ses fonds propres n’est pas à la mesure de ces questions ;
– les investissements pour construire de grandes infrastructures régionales
ou financer des programmes de développement humain représentent des
montants très supérieurs aux marges de manœuvre budgétaire annuelles
des États. Or, sans investissement, il est peu probable qu’une croissance
pérenne supérieure à 7 % puisse s’enclencher. Pour franchir ce palier de
croissance (passer de 3 % à 7 %), il faut mettre au point des véhicules
spéciaux d’investissement ;
– de même, les chocs externes rendent légitime la protection des équilibres des
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finances publiques par des mécanismes de levées de fonds. C’est le rôle du
Fonds monétaire international ; ce pourrait être le rôle d’une banque centrale
régionale dès lors que le taux de couverture de son émission monétaire reste
satisfaisant et que la durée des cycles conjoncturels permet d’en envisager le
remboursement rapide ;
– et, une facilité destinée à faire face aux catastrophes naturelles pourrait être
constituée sur le même principe.
Le système existant peut évoluer sur la base de ses très importants acquis en
affirmant deux priorités dans l’élaboration de la politique macroéconomique :
(i) la primauté de la croissance et de l’investissement à des fins de réduction
de la pauvreté ; et (ii) la cohérence globale des politiques et des instruments
financiers avec ces objectifs.

CONCLUSION : QUELS ENSEIGNEMENTS POUR DEMAIN ?


Les éléments qui précèdent interrogent la Commission sur la nature de son
intervention dans l’Union et, donc, du type d’Union pour lequel les chefs d’États ont

N° 212 • octobre-décembre 2012 • Revue Tiers Monde 149


Kako Nubukpo

opté. En effet, sur une échelle de responsabilités croissantes confiées à la Commission,


cette dernière peut être une simple instance de coordination des politiques publiques
nationales ou au contraire, à l’autre extrême, endosser le rôle d’un Gouvernement
quasi-fédéral des États de l’Union. Dans le premier cas, son rôle se bornerait à
construire un cadre de concertation idoine des décideurs et des politiques au plan
national, avec comme principal avantage comparatif la vue synoptique qu’elle peut
avoir du fait de sa position supranationale sur les économies de l’Union et, donc, sa
capacité à jouer le rôle « d’observatoire des bonnes pratiques » et d’impulsion de la
convergence nominale des économies de l’UEMOA.
Dans le second cas, la Commission est censée avoir une implication plus forte
dans la définition et l’exécution des politiques publiques, notamment du fait de
sa capacité à mobiliser des volumes financiers susceptibles de couvrir les dépenses
en infrastructure, et effectuer des transferts financiers importants en cas de
survenance de chocs asymétriques. Une telle démarche s’ancrerait donc dans une
vision fédéraliste de l’Union, privilégiant un volontarisme économique, d’autant
plus bienvenu que les États ne semblent pas disposer de marges de manœuvre
consistantes pour impulser des politiques ambitieuses d’infrastructure au plan
national. Ici, le véritable enjeu de l’intégration est la réalisation de la convergence
réelle (et non plus simplement nominale) des économies, c’est-à-dire de la
convergence des PIB des différents pays de l’Union, par le biais notamment de
la mise en place et de l’utilisation de fonds structurels servant à développer les
pays et / ou les régions les plus pauvres de l’Union.
À l’heure actuelle, la Commission ne semble pas avoir clairement opté pour
l’une ou l’autre de ces visions, coordination ou fédéralisme, et n’a donc pas
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encore tiré toutes les implications du choix à faire.
Le Traité qui a établi l’Union représentait une avancée considérable au
moment de son adoption, et l’UEMOA constitue aujourd’hui une des expériences
les plus avancées et les plus complètes en Afrique en matière d’intégration
régionale. Mais, dans un monde qui a changé depuis et dont l’évolution s’accélère,
et au vu de l’expérience des 17 dernières années, il convient d’améliorer encore
l’efficacité des institutions qui ont permis ces progrès.
Pour des raisons d’efficacité, il convient d’opérer rapidement une clarification
des compétences et surtout de la structuration institutionnelle de l’UEMOA,
des deux institutions spécialisées (BCEAO et BOAD) et du Conseil régional de
l’épargne publique et des marchés financiers.
Dans ce contexte, il devient urgent de procéder à la relecture et à la fusion des
deux traités (UMOA et UEMOA), conformément à la conception initiale, pour
assurer une meilleure synergie des institutions de l’Union. Cela est d’autant
plus urgent que le traité de l’UMOA vient d’être révisé et que le nouveau
traité, entré en vigueur le 1er avril 2010, confère désormais à la BCEAO son

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Le Policy Mix de la Zone UEMOA : leçons d’hier, réflexions pour demain

indépendance vis-à-vis des États. Cependant, au sein du Comité de politique


monétaire désormais créé, et en charge de la définition et de la conduite de la
politique monétaire de la zone, le Président de la Commission de l’UEMOA n’a
qu’une voix consultative.
Au final, le Policy Mix de la zone UEMOA devrait faire l’objet d’une concer-
tation et d’une coordination encore plus étroite avec des aspects institutionnels
(rôles respectifs des institutions spécialisées) et des options claires dans l’orien-
tation des politiques.
– La batterie actuelle d’indicateurs de convergence correspondait à la sortie
d’ajustement structurel et monétaire. En considérant que l’Union doit
rapidement négocier avec succès et sans nouveaux délais l’échéance de
convergence de 2013, il est peut-être envisagé de nouvelles pistes pour l’avenir,
en particulier l’adoption de nouveaux critères de convergence.
Ces nouveaux critères de convergence devraient être corrélés dans chaque pays
à des objectifs de croissance équilibrée et durable, une fois atteinte la phase de
stabilité. Dans la structure des dépenses publiques, une importance particulière
doit être donnée aux investissements publics structurants et au développement
des ressources humaines.
De même, au plan de la politique monétaire :
– la stabilité institutionnelle du système monétaire, l’exercice effectif de la
solidarité entre les États, sa contribution à la compétitivité de l’économie
restent essentiels. À ce titre il convient de prévoir des mécanismes effectifs de
coordination entre la Commission et la Banque centrale ;
– et, sur le plan technique, le rôle pivot de la centralisation des réserves de change
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est plus que jamais nécessaire. Toutefois, des propositions d’amélioration
du système pour plus de souplesse et de flexibilité devront faire l’objet de
réflexions approfondies.

BIBLIOGRAPHIE

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