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RTM 212 0137
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POUR DEMAIN
Kako Nubukpo
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Kako Nubukpo*
Plus de quinze ans après la création de l’Union économique et monétaire ouest africaine
(UEMOA) et à l’occasion du cinquantenaire de l’Union monétaire ouest africaine (UMOA), il
convient d’effectuer un bilan de l’articulation entre la politique monétaire commune, dont la
mise en œuvre est du ressort de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) en
charge de la gestion du franc CFA, et les politiques budgétaires nationales, dont la coordination
est confiée à la Commission de l’UEMOA. À l’examen, il apparaît que l’objectif de croissance
économique a été sacrifié sur l’autel de la lutte contre l’inflation. À cet égard, il serait utile
d’améliorer le Policy Mix de l’UEMOA, dans le sens d’un régime de changes CFA/euro plus
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1. Le traité instituant l’Union monétaire ouest africaine (UMOA) date de mai 1962, alors que celui instituant l’UEMOA ne date que de
janvier 1994. Le traité de l’UEMOA n’a pas remplacé celui de l’UMOA.
mécanisme dit du « compte d’opérations »2 créé en 1921 dans le cadre des accords
entre la France et le Maroc. Ce mécanisme, dont le principe a été progressivement
généralisé à l’ensemble de la Zone franc, contribue à garantir une parité fixe
entre le franc CFA et le franc français, puis l’euro à partir de 1999. En 1962, la
naissance de l’Union monétaire ouest africaine (UMOA) consacre la reconnaissance
officielle, par des États nouvellement indépendants, du franc CFA (franc des colonies
françaises d’Afrique) qui s’intitulera désormais « franc de la communauté financière
africaine », comme monnaie ayant cours légal et vertu libératoire sur toute l’étendue
du territoire des États signataires.
Sur la période 1962-2000, quatre grandes périodes peuvent être mises en
évidence du point de vue de l’évolution des variables fondamentales de l’Union
et des orientations de la politique économique au sein de la zone.
La décennie 1960 fut marquée par un espace économique peu structuré,
avec une administration en voie de construction et une prédominance de
l’économie de rente (activités minières, cultures d’exportation : cacao, café,
coton, arachides). Les liens économiques entre les pays sont demeurés faibles,
du fait de la spécialisation des États dans l’exportation des matières premières
vers les pays industrialisés. La forte disparité de réglementation et de législation,
de manière générale restrictive en matière de mobilité de la main-d’œuvre, a
également contribué à la faible intégration des marchés du travail.
La décennie 1970 fut marquée par la mise en œuvre de politiques volontaristes
de développement du secteur industriel, dans une optique d’import-substitution.
Cette période vit la mise en œuvre d’investissements massifs des États souvent
financés par l’endettement extérieur dans un contexte de recyclage des pétro-
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2. Pour cerner les tenants et les aboutissants du fonctionnement du « compte d’opérations », se référer aux ouvrages de P. Hugon
(1999, p. 19) et de B. Claveranne (2005, p. 50).
3. La BCEAO se veut ainsi plus vertueuse et / ou plus prudente que la Commission, laquelle a retenu une cible d’inflation de 3 %
dans le cadre des critères de convergence macroéconomique.
4. Mundell explique que dans un régime de taux de changes fixes avec une liberté de circulation des capitaux, une banque
centrale d’un pays ou d’une zone qui arrime sa monnaie à celle d’une zone plus puissante économiquement perd sa liberté de
fixation des taux d’intérêt directeurs et est obligée de suivre l’évolution des taux de la zone ancre, notamment à la hausse. En effet,
si tel n’était pas le cas, elle perdrait ses réserves de change du fait des capitaux qui partiraient vers la zone ancre et risquerait
ainsi de ne plus pouvoir disposer de suffisamment de réserves de change pour soutenir son taux de changes fixes. Il s’ensuivrait
une dévaluation de sa monnaie. Pour en savoir plus, voir R. A. Mundell (1960).
5. La courbe de Phillips rend compte de l’arbitrage existant entre inflation et chômage : en effet, elle suggère qu’il est possible
d’obtenir un supplément de croissance économique, devant se traduire par une baisse du chômage, par le biais d’une politique
monétaire expansionniste. La hausse du taux d’inflation, conséquence de la politique monétaire expansionniste, serait le prix
à payer pour obtenir la croissance. Un tel enchaînement des mécanismes a été remis en cause par Phelps et Friedman, puis
Sargent et Wallace, qui montrèrent, grâce à l’introduction des anticipations dites adaptatives, puis rationnelles dans les modèles
keynésiens, l’absence d’arbitrage entre inflation et chômage. La réponse des nouveaux keynésiens fut de réhabiliter la courbe de
Phillips en passant par l’hypothèse d’imparfaite flexibilité des prix.
6. Toute politique monétaire a une vocation « contra cyclique », c’est-à-dire contre le cycle « naturel » de l’économie. Ainsi,
lorsque la croissance économique est en berne, la banque centrale doit diminuer ses taux directeurs pour réduire le coût du crédit.
De fait, les agents sont incités à s’endetter pour consommer ou investir, ce qui permet de relancer la machine économique et vice
versa. Or, du fait des spécificités de la zone UEMOA, en particulier du fait de l’origine non monétaire de l’inflation, une mauvaise
pluviométrie se traduisant par une flambée des prix alimentaires induit de suite un durcissement de l’octroi de crédit du système
bancaire du fait de la hantise de l’inflation. Ainsi, alors même que les agents économiques sont pénalisés par des prix alimentaires
élevés, la BCEAO les empêche d’accéder au crédit pouvant desserrer leur contrainte budgétaire, accentuant par ce biais le risque
de déprime économique. Cette politique procyclique contribue à éloigner les économies de l’UEMOA de leur trajectoire normale de
croissance économique et illustre les effets pervers d’une lutte à courte vue contre l’inflation.
7. Les résultats de cette étude ont été validés par les autorités monétaires de la zone et publiés dans le Rapport Annuel de la
BCEAO (2002, pp. 20-21).
pris une nouvelle dimension au sein de l’Union, avec un accent mis sur la nécessité
de parvenir à la convergence des taux d’inflation, des taux de croissance et des
structures économiques des pays membres. Ces orientations, qui ont inspiré le Traité
de l’UEMOA, se sont traduites par la mise en place d’un dispositif institutionnel
approprié et d’un mécanisme de surveillance multilatérale fondé sur la recherche
de la stabilité des prix et l’assainissement budgétaire.
Ce dispositif a été renforcé par l’adoption d’un Pacte de convergence, de stabilité,
de croissance et de solidarité, entré en vigueur en 2000, et dont l’originalité est
de mettre un accent particulier sur l’assainissement des finances publiques et le
maintien de la stabilité monétaire au sein de l’Union (voire infra, encadré).
La mise en œuvre du dispositif de surveillance multilatérale dans l’UEMOA a
permis d’améliorer l’assainissement budgétaire des États, ainsi que la convergence
recherchée à travers les critères définis.
Le Pacte de convergence, de stabilité, de croissance et de solidarité prévoit
deux phases distinctes : une phase de convergence et une phase de stabilité.
La phase de convergence, durant laquelle les économies des États membres
devaient évoluer progressivement vers le respect des normes communautaires,
postulait un processus graduel de convergence, chaque État disposant de trois
années pour parvenir, à son rythme, aux objectifs fixés. Les performances des
États membres dans l’évolution vers le respect des normes arrêtées ne devaient
connaître aucune dégradation, sauf circonstances exceptionnelles.
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représenteront au moins 20 % des recettes fiscales, le déficit extérieur courant, hors dons rapportés
au PIB nominal, n’excède pas 5 %, et les recettes fiscales sont supérieures ou égales à 17 % du PIB
nominal. Ces critères sont traités comme des repères structurels indicatifs permettant de mieux apprécier
la qualité de la convergence. Par conséquent, ils peuvent servir dans la formulation des recommandations
de politique économique visant à assurer le respect des conditions de convergence.
Les scénarios pour l’avenir : quel Policy Mix pour la zone UEMOA ?
La stratégie actuelle : Régime de changes fixes
et coordination budgétaire
Le Policy Mix actuel de la zone UEMOA traduit une séparation entre le
pouvoir monétaire et les pouvoirs budgétaires. La politique monétaire est du
ressort de la BCEAO avec comme principal objectif la recherche de la stabilité
des prix (voire supra, première partie) dans un contexte de taux de changes fixes
avec l’euro. Les politiques budgétaires sont spécifiques à chaque État membre
de l’Union mais elles sont coordonnées par la Commission de l’UEMOA via les
critères de convergence, de stabilité, de croissance et de solidarité.
L’avantage de cette configuration réside dans le fait qu’elle a permis à la zone
de maîtriser l’inflation et d’assurer progressivement une convergence nominale
des économies de l’Union. Cependant, elle induit : (i) un coût manifeste en
termes de croissance économique, du fait notamment d’une réduction des
marges de manœuvre de l’instrument monétaire compte tenu de l’ancrage rigide
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