RE QUELQUES THBORIES
Ainadou NOUMBISSI
INTRODUCTION
La relation “causale” entre fécondité etdéveloppement a été pendant des
décennies labasedela théorie de la transition de la fécondité ou tout
simplement la base de la théorie de la transition démographique (l),tentative
d’explication de l’évolution démographique des pays occidentaux. Cette
théorie de la fécondité dite “classique” a été très vite généralisée aux paysen
développement. Mais, avec le développement de la démographie historique
et la diversité des situations dans le tiers monde, cette théorie, qui trouve
l’origine de la baisse de fécondité dans leschangements des structures socio-
économiques, est remise en question depuis une quinzaine d’années dans
nombre de publications et dedébats.
Pour essayer d’appréhender les contradictions deces courants de pensée
et demettre en exergue les positionsidéologiques qui les sous-tendent, nous
tenterons de remonter à l’origine de la théorie désormais classique avant de
chercher une formulation qui, dans un cadre analytique, résumera peut-être
les points de vue dequelques uns de ses précurseurs. Ensuite, nous essayerons
de passer en revue les Cléments qui ont permis et favorisé la remise en
question de ladite théorie donnant ainsi lieu à de nouvelles propositions et
reformulations. Enfin, nous nous demanderons quelle approche emprunter
pour comprendre la réalitéafricaine d’aujourd’hui qui est celle des crises, de
la misère et de “l’explosion démographique”.
(1) La thiorie de la transition démographique a été avant tout une théorie de la transition
de ficondit6 (Tabutin, 1980).
321
G
Le cadre analytique de
S.E. Beaver commencepar dessiner le contour du terme “développement
socio-économique”. S’inspirant du modBle occidental, l’auteur Cnonce que
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URBANISATION FACTEURSSOCIAUX
INSTRUCTION (r81e des sexes, valeurs sociales des
enfants, syst&me familial)
INSTITUTIONS NON -
FACTEURSECONOMIQUES (valeur du
travail des enfants et de la femme, coût
NIVEAUX DE
des enfants en concurrence avec les biens
-r
CONSOMMATION
de consommation, pr&S&renceet goats en
g&n&d)
FACTEURSPSYCHOLOGIQUES
(non-fatalisme, mat&ialisme, rationalit&,
secdarit&)
1 1
Nous devons pr6ciser ici qu’il s’agit d’une thBorie “ta& 6vollutionniste”
quis’inscrit dans la PignBe des th6ories de la modernisation, ou de la
convergence des sod6k6s industrielles des annees 50. &mme le dit D.Tabutin
(1984) dans une analyse critique de cette vision, c61essoci6tk.s allaient se
ressembler de plus en plus et le monde deversir de plus en plus komog2nc ;
ily aurait em que e sorte une &vohtimcommunej dans une rn
d ’ m point de &part (la tradition) h un point d’arrivke (la modernifi), avec
une rationalite! et WQ eficacitk) expbicitement ou non) de iype occide132tat9.
Dans cette vision, les variables culturelles sont considCrêes comme secon-
daires et chaque sociCt6 se trouve B une 6tape particuli$re, B une certaine
phase de la transition.
Bien avant la formalisation de S.E. Beaver, les Nations h i e s (1963)
avaient déjja quelque peu nuancé ]la trop grande gknéralisation de la thBorie
classique aux pays ja revenus faibles. A partir d’une étude sur 125 pays, les
auteurs ont confirmé l’hypothi5se selon laquelle la féeondit6 baisse avec le
développementsocio-économique.Mais, en cequiconcerneplus
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differentes au moment où la fkonditb entrait dans la phase de declin.
. la fCconditCa commene6 1 dCcliner dans la France rurale 3 partir de
dans la Hongrie rurale et pauvre du debut du sii?.de, ce avant l’Angleterre
d6jh trbs industrialide 2 la mCmeCpoque. C mples suffisent amplement
pourinfirmer la th6orie classique et l’antêriorit6 des changements des
structures socio-Cconomiques sur la baisse de la fCcondit6. Ces exemples
contredisent également l’id& d’une antCrioritC de la baisse de la
le d&collageCconomique et industriel. A c
que les pays de l’Europe occidentale - au
la m8nc &volutionscient$que, bchniqu
sur le plan de la population. Mais, contrairement 5 toute attente,au plan r
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a%des structures familiales et le dCclin da la f6csndit6 apparaît alors comme
une “partie d’un large processus d’bmancipatiow socide” ou une partie du
changement social ou encore ce que %. Roussel (1987) appelle la “d6sirmsti-
tutiomalisation”. C’est ce qui a probablement amen6 R. ksthaeghe et
lson (1982) B dire “qu’ilfaut nuancer l’analyse en termes de facteurs
&conorniqueset introduire des variables telles que la religioz et la politique”.
Les auteurs se rCclamant du courant marxiste participent Cgalement B cette
holution dela th6orie. On enregistre chez ces derniersune certaine 6volution
dansleurfason de conceptualiser la relationexistantentrefbconditbet
d6velopgement : du courant matCridiste qui Cnongait une dependance uni-
voque et irr6versibledes phCnom&nes d&nographiques aux ph$nom&nes
6conomiques (“‘chaque m0de historique de production psssdde sa loi
sp&c$que e ~ ~ ~ 0 ~ selon ~ l aD.D. ~ ~ z et~Pr’. Pich$, 199S), on en est
~ iCordell
maintenant B lier la compr6hension des changements dCmographiques aux
transformationsdanslesstructuresdeproduction.Danscettedernière
approche, on insiste sur la nêcessitC de concevoir toute intervention elCrno-
graphiqucdans une vision systemique.
La situation d6mo-êconomique de la grande majorit6 des pays du tiers-
monde (absence de dCveloppernent socio-Cconomique et explosion dCrno-
graphique)fournit glusque jamais des argumentsauxcourants nCo-
malthusiens. Postulant qu’une forte croissance de %a population entrave tout
effort de d6veloppement, des organisations internationaleset des gsuverne-
ments encouragent et implantent des politiques de planification familiale. 11
convient de remarquer qu’B l’exception es politiques coercitives (commeen
Chine par exemple), la plupart des pro ammes bien conps ont connu des
essoufflements et des Cchees retentissants.
3
L’engouement pour la baisse dela fécondit6 dans le Tiers-Monde repose
sur ce qu’il convient d’appeler “l’id6ologiedu planning familia’l’”.
actue%lement
Pour comprendre les vbritables fondements d’une telle idCologie, il nous
semble nbcessaire de remonter jusqu’h ses origines.
Ayant fait siennela pensCe de‘Malthus selon laquelle la mis&re trouve son
origine dansle principe de population, certains contemporains et disciplesdu
c6lbbre pasteur trouvent que les solutions preventives (mariage tardif, cêlibat
vertueux, abstinence, ...) ne sont pas suffisantes pour faire obstacle à la
croissance exponentielle de la population. Ils s’engagent dans la diffusion
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ils viendront perturber la tranquillite du “banquet des riches”. Remarquons
ici que, dans tous cespays, malgrd la tenacite de ses militants, cette doctrine
n’a jamais fait partie integrante d’une politique Ctatique ou nationale en
matibredepopulation.Elle est rest6e l’oeuvredesorganismes privCs
aujourd’hui devenus non gouvernementaux. 11en sera different dans le Tiers-
monde.
La r6v6lafion du phCnom8ne de la croissance dernographique dans les
pays en dCveloppement a introduit une nouvelle dimension dans la problb
matique du planning familial. La question de la croissance elhographique
est dCsormais pergue i 1’Cchelle mondiale et les clivagesentre pays riches et
pays pauvres alimentent la controverseautour du planning familial. La
montCe en nombre des populations pauvresdu tiers-monde face aux popula-
tions riches du nord au rythme de croissance de plus en plus faible suscite
dans les pays dCveloppCs des phobies de l’invasion et de la deterioration du
niveau de vie. Cette dCtQioration risulterait d’une trop grande domination
numerique, politique et culturelle des populationsdes pays du sud (3).
Pour se faire entendre, les id6ologues du planning familial tirent leurs
arguments de la relation qui existerait entre croissance dernographique et
d6veloppement. Leurs principaleshypo%k&ses sont qu’une forte croissance de
la population :
- entrave les investissements en faveur du d6veloppement 6conomique et
social ;
. . - occasionne une trop forte pression sur les ressources naturelles disponibles
et sur l’environnement, occasionnant h long terne une dCt6rioration des
conditions de vie ;
- entraine des problbmes sociaux telle que la montie du chdmage.
En marge des arguments teonomiques,il y a lieu de signaler 19exp%oitation
des “droitsde 1’homme’’ pour lkgitimer la diffusion du planning familial.Les
apologistes du planning familiall’6rigent en droit del’homme et soutiennent
leur position jusque dansles forums internationaux. De nouveaux ClCments
sont actuellement ajoutes ii la liste des arguments : les prCoccupations de
sant6 de la m&reet d’6quiiibre familial sont de plus en plus affiches. Ces
nouveauxobjectifspermettent de justifier les appellations donnCes aux
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synonyme de dynamisme (Sauvy, 1986), garant du progrbs. D’autres ont
affirm6 qua la pression dCmographique favorise I’innovation technologique
rendant possible la crêation de nouvelles ressources (Boserup, 1975-1976). Il
y a lieu da se demander pourquoi ces hypothbses, que semblent confimer le
passe des pays occidentaux,ne se vêrifient pas dans le cadre du tiers-monde
d’aujourd’hui et en particulier dans le contexte africain.
La revue des diffêrentes “th6o~ies’~ et hypothbses effectnee ci-dessusnous
m$ne 2 considerer la f6condit6 comme un ph6nom&nedont 1’6volution
s’inscrit dans un processus global de changement social complexe. Il nous
semble plus intêressant de placer la relation ~êconditb-dCveloppement(ou
plus g&n$ralementpopulatiasn-dCveloppemen~~ dans ]le cadre du processus de
changement socialqui conduit 19homme ii une meilleuremaîtrise de la
nature, en tant qu’environnement physique etBcologiqua (sol, sous-sol,
climat, vêgbtation, etc.), afin de disposer des meilleures conditions d’exis-
tence. Pour sa vie, sa survie et son plein Bpanouissement,l’homme est
~0ndamn6i une lutte peqbtuelle d’adaptation et de transformation. Dans
cette lutte,la Econdit6 apparaît tour B tour, au miveau individuel, comme une
strategie ou un moyen de survie (donc nêcessaire), ou comme un simple
besoin de r6alisation sociale pouvant entrer en csmpCtition avec les autres.
Dans cette optique, la population cesse d’Ctre un simple param&tremacro-
6conomiquequeleplanificateur ou le “dBcide~r’~ intbgre ou cherche h
intCgrer dans “ses g6n6reux” objectifs de ““dveloppeur” ; elle retrouve sa
veritable place de moteur mQmeda tout changement. Et on peut penser que,
derribre foute r6volution industrielle et $conornique, tout comme derriCre
tout changement naturel de feconditC, il y a une ~Cvolution culturelle,une
rêvolution des mentalitCs, On trouve 1%une cause produisant deux effets et
l’hypoth@seB analyser etB tester devient alors la suivante : l’apparition d’une
volonte tenace d’un groupe ou d’une population 5 maitriser la nature dans
laquelle il vit et B amdliorer par ses propres efforts son bien-gtre (aussi bien
matbriel qu’affectif) am&neaussi l’homme ii maîtriser la procrCation lorsque
cette dernibe cesse d’Ctre un moyen et entre en compCtition avec les autres
besoins de xdalisation sociale. Notons que cette volsnt6 endoghe d’am6liorer
les conditions de vie est indispensable a tout progrbs (y compris le progrCs
technique, outil du développement). C’est certainement la non prise en
compte de cette volont6 endog&ne(qui se trouve aussi en amont de toute
innovation), qui a donne tort au Pasteur T.R. althus. Ce dernier pr6disait la
catastrophe aux pays occidentaux : une augmentation effrBn6e et incontrhlêe
de la population entraînant famine et missre plongeant le monde dans un
cercle vicieux. Force est de constater que dans cette partie du monde nous
assistons plut3 B un phénomhe inverse : surproductionalimentaire et
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Phénomhes
démographiques
A
.r
Systhmes de valeurs
et croyances
A A
- Crkativitk
de la population
ÉTAT
333
Bien que n’ayant pas fait le tour complet de la question, il nous semble
que beaucoup reste .3 faire si on veut comprendre aveccertitude les conditions
d’une baisse de la f6conditC. En outre9 il n’existe aucun fait historique
permettant de dire que pour6viter la mis&red’une nation, il suffit d’inflechir
le rythme de la f6conditC. Dans le contexte africain aux prises avec tous les
maux et menaces lies parfois i la survie m&m, il nous sembla que les efforts
devraient Ctre consentis 2 la recherche des voies et moyens par lesquels on
pourrait susciter et encourager la creativitk (9) au sein de la population (au
lieu de considCm cette demi&reuniquementcomme un agrCgat macro-
6conomique). Il s’agit lb d 9 u mmentalit6 promouvoir & travers le systbme
Cducatif “revu et corrig6” et tout au long du processus de socialisation. Elle
appara3t comme %aseul moyenqui peut encourager lescomportements
capables de soutenir un dbveloppement endogène 3 travers la volontê de
maitriser le progrbs technique n6cessaire a la satisfaction des besoins
croissants. En outre, cette mentalit6 aura des effets sur les phinomènes
.d6mographiques (la f6conditB en particulier) A travers les nouveaux
comportements et surtout g r k e B la mutation des valeurs et stratCgies : au
niveau individuel, la ficondit6 entrera en cornpitition avec les nouve%les
valeurs et strategies de rtalisation. De par l’espoir dont elle est porteuse, nous
pensons qu’il s’agit ici d’une piste h explorer rapidement avant que l’Afrique
ne sombre dans une misBre totale, en dCpik de toutes les campagnes de
planning familial et de bien-$tre familial actuellement en cours.
(5) Par crEstivit6, “nous entendons la capacite! de penser par soi-mgme, de r&fl$ehirsur
sesproblehes et d’y trouver des solutions ea comptantprinciaalemet sur ses propres
forces au lieu d’imiter mkaniquemenfl’ext&rieur”(LêThanh WIÔi, 1984).
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BIBLIOGRAPHIE
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F&condit&ee d & v e k y q x ~ ~ ~ n t
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