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Explication linéaire
Baudelaire, Les Fleurs du Mal, « Parfum exotique »,
In « Spleen et Idéal », poème XXII.
Deux parties peuvent être distinguées dans ce texte, correspondant aux deux
phrases. On remarque la reprise au vers 9 et 10 des mots « odeur » et « je vois » employés
au vers 2 et 3, répétition qui structure le sonnet, de même que la construction en miroir :
d’abord, dans les quatrains, une proposition subordonnée conjonctive de temps suivie de
« je vois » dans la proposition principale et, dans les tercets, la reprise de « je vois » dans
la deuxième proposition principale suivie d’une autre proposition subordonnée conjonctive
de temps.
1. Les quatrains évoquent un premier départ du poète vers un ailleurs (un lieu rêvé)
à partir du parfum de la femme aimée.
Les vers 5 et 6, reliés par l'enjambement, sont un tableau d’un lieu idéal, d’un Eden.
Cet ailleurs est « une île » comme le laissaient supposer les « rivages » du vers 3.
La personnification « île paresseuse » qui s'ajoute à celle des « rivages heureux »
invite à rapprocher cette île du corps de la femme aimée (peut-être son sein).
Ce paysage est caractérisé par l'abondance, comme le montre le verbe à la rime
« donne » et les pluriels des substantifs qui suivent « des arbres », « des fruits ».
L'adjectif « savoureux », relativement long, fait entrer en scène un quatrième sens,
celui du goût. On peut s'interroger, dans ce vers 6, sur le deuxième adjectif « singuliers »
qui crée une part d'étrangeté [le mot signifiant « unique » ou « étrange »] mais la douceur domine
avec l'allitération en « s ».
Les vers 7 et 8 placent des personnages dans ce paysage insulaire. Les hommes et
les femmes sont décrits tour à tour dans deux vers, distingués par un parallélisme
syntaxique. Les hommes sont caractérisés par leur corps « mince et vigoureux ». Les deux
adjectifs connotent à la fois une forme de beauté et de santé. Des hommes
« vigoureux » ne peuvent être accablés par le spleen. Les femmes, quant à elle, sont
caractérisées par leur « œil ». L'œil est traditionnellement vu comme le miroir de l'âme et il
donne ici accès à un trait de caractère : la « franchise ». L'emploi du singulier « œil »
surprend autant que le verbe placé à la rime « étonne ». Si la « franchise » des femmes
« étonne » c'est qu'elle n'est pas ordinaire. Certes on retrouve le cliché habituel sur les
femmes pleines de duplicité en arrière-plan, mais ici c’est de caractère inhabituel de l’île qui
est mis en avant.
Cette île « exotique » apparaît comme un Eden d'avant la chute, une sorte de
paradis perdu. La nature généreuse offre aux hommes et aux femmes l'oisiveté
(« paresseuse »), les arbres sont « singuliers », les hommes semblent nus, et les femmes
innocentes n'ont pas encore tenté Adam pour goûter aux « fruits savoureux ».
2. Le premier tercet relance la magie olfactive vers un autre ailleurs, développé aussi
dans le tercet suivant.
Nous avons déjà mentionné la forme de parallélisme entre les quatrains et les tercets.
Notons que le vers 9 réécrit le vers 2 : « je respire l'odeur » devient « guidé par ton odeur ».
Le vers 10 réécrit le vers 3 : « je vois se dérouler les rivages heureux » devient « je vois un
port ». L'opération est la même, mais la vision a changé. Au vers 9, la personnification des
climats « charmants » confirme l'analogie entre la femme et le paysage.
Au vers 10 et 11, l'image du port développe sans doute une métaphore amoureuse.
En effet, les « mâts » et les « voiles » sont fréquemment des métaphores sexuelles (le mât
devient un symbole phallique, la voile un symbole féminin). La personnification qui suit
confirme cette lecture les voiles et les mâts sont « encor tout fatigués par la vague marine ».
Le poème est très évocateur de l'intimité des amants.
L'odeur de la femme conduit le poète vers un deuxième paysage, sans doute
plus connoté érotiquement. L'ailleurs « exotique » est aussi « érotique ».
CONCLUSION
Ce sonnet peut avant tout se lire comme un des rares poèmes du recueil
radicalement heureux où le poète atteint l'Idéal. Le poème décrit d'abord un moment intime
entre les amants : par son odeur, la femme aimée est une invitation au voyage. Elle éveille
les sens du poète et le conduit vers une île paradisiaque ou un port sensuel. Elle devient
une île sur laquelle voyage le poète. Grâce à son odeur, elle transforme, à la manière d ‘un
alchimiste, la boue en or, recouvre le monde de couleurs et de la chaleur des soleils de
l'automne. Son parfum érotique a une puissance évocatrice magique.
Dans les derniers vers du poème, la femme est totalement éclipsée et apparaît un
autre parfum, un parfum exotique cette fois, celui des tamariniers. Et c'est cet autre parfum
qui monte jusqu’à l'âme du poète et lui fait atteindre un autre Idéal, où les sens et l'âme sont
en correspondance. Tout au bout de ce dernier envol, il y a un chant, peut-être un poème.
Il y a bien un deuxième alchimiste : le poète lui-même qui arrive à se transporter ailleurs, à
élever son âme et à créer.
Le poème suivant « La Chevelure » est aussi dédié à Jeanne Duval et reprend
certains motifs du « Parfum exotique » en intensifiant leur érotisme : c’est en respirant cette
fois la chevelure (sic) de son amante, que le poète s’envole vers une île exotique et
paradisiaque.