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2009/6 n° 26 | pages 52 à 73
ISSN 1768-5958
DOI 10.3917/mav.026.0052
Article disponible en ligne à l'adresse :
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Résumé
Au travers d’une vaste analyse tant théorique qu’empirique, cet article porte
un regard neuf sur l’activité de fusion-acquisition en Europe. Phénomène
ancien aux Etats-Unis, les fusions-acquisitions sont apparues récemment
en Europe et ont présenté essentiellement une dimension stratégique. Il
apparaît que les principales caractéristiques des opérations européennes
se renforcent dans le temps.
Abstract
This paper proposes a new approach of the European mergers and
acquisitions activity using a thorough empirical and theoretical analysis.
Whereas it is fairly old in the United Stated, this activity has appeared quite
recently in Europe and showed essentially a strategic dimension. We point
out that the main characteristics of the European deals tend to grow stronger
in time.
Nous avons donc mené une vaste étude de l’ensemble des traits communs et
des différences caractérisant les opérations de fusions-acquisitions aux Etats-
Unis et en Europe, tant sur les répartitions sectorielle et géographique, le
mode de financement, le caractère amical ou hostile et la nature économique
(horizontale ou de diversification) des opérations enregistrées au cours des
vagues identifiées depuis la fin du XIXème siècle et jusqu’à la fin du XXème siècle.
En analysant le contexte économique dans lequel ces opérations ont eu lieu ainsi
que leurs principales caractéristiques, notre étude tente de mettre en évidence
les principales raisons des opérations de fusions-acquisitions ainsi que les
différentes types de stratégies que les entreprises ont adoptées afin d’anticiper
ou répondre aux changements de leur environnement.
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les 3000 opérations réalisées entre 1895 et 1904, 75% concernent au moins cinq
firmes (Scherer et Ross, 1990).
Ces opérations ont, par ailleurs, été dans leur grande majorité domestiques et
se sont, d’une manière générale, traduites par un important accroissement des
parts de marché au niveau national. En effet, sur les 92 plus grandes opérations,
78 ont permis aux entreprises fusionnantes d’accéder à une part de marché
national supérieure à 50% (Capron, 1996). Dans cette même perspective,
l’étude de Markham (1955)7 montre que 71 secteurs, qui étaient oligopolistiques
ou presque concurrentiels avant la première vague de fusions-acquisitions, sont
devenus quasi-monopolistiques à son terme8.
En observant que ces opérations ont touché les secteurs de l’acier, de l’emballage,
de l’équipement électrique, du papier, des pneumatiques, des produits chimiques,
des machines agricoles, du sucre, du tabac, du textile et de la chaussure,
plusieurs auteurs (Capron, 1996 ; Coutinet et Sagot-Duvauroux, 2003) notent
que la deuxième vague de fusions-acquisitions a eu lieu à une période où le
développement des transports ferroviaires et des moyens de communication a
favorisé une large circulation des marchandises et a élargi la taille du marché
potentiel d’un produit. De nombreuses opérations de fusions-acquisitions ont
également eu lieu dans des secteurs où des technologies de production de
masse ont été développées en réponse à l’émergence d’un marché national plus
large.
D’autres auteurs (Du Boff et Herman, 1989) remarquent que la première vague
de fusions-acquisitions aux Etats-Unis a, par ailleurs, coïncidé avec l’existence
d’un marché financier en croissance mais aussi avec une intervention forte, dans
le domaine de la concurrence entre les entreprises, des autorités publiques.
Ces dernières ont en effet interdit, à partir de 1890, l’existence des trusts par le
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environnements dans lesquels elle s’est produite, on a souvent suggéré que les
firmes ont recherché à travers ces opérations l’obtention d’un pouvoir de marché
et/ou des économies d’échelle. Des explications fondées sur la recherche de
plus-values ou l’exploitation des situations d’asymétrie d’information, telles
l’exploitation du différentiel de PER (Price Earning Ratio) entre firme acquéreuse
et firme cible ou la surévaluation des firmes acquéreuses, ont aussi été avancées
(Du Boff et Herman, 1989).
1.1.2. La deuxième vague (années 20) : émergence d’opérations
verticales et d’acquisitions liées aux services
La diminution des opportunités de réalisation d’opérations horizontales dans
certains secteurs et le renforcement de la législation anti-trust aux Etats-Unis11
ont permis l’émergence de nouveaux types d’opérations lors de la deuxième
vague. Ainsi, de nombreuses fusions-acquisitions verticales12 se sont produites
dans les secteurs de l’industrie primaire (matières premières : cuivre, pétrole…)
et dans certains secteurs manufacturiers (chimie, ciment,…), les opérations
horizontales restant toutefois majoritaires tant en nombre qu’en valeur13. En
fait, les rachats de firmes, produisant des biens similaires sur des marchés
géographiquement différents, étaient devenus très importants dans des secteurs
comme l’alimentaire, le commerce de détail et la grande distribution, secteurs pour
la plupart fragmentés. Par ailleurs, des opérations d’extension de la gamme de
produits14 sont également apparues dans l’industrie manufacturière (alimentaire,
chimie…) et dans les services (Capron, 1996 ; Coutinet et Sagot-Duvauroux,
2003).
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16. Voir ainsi Stigler (1950), Scherer et Ross (1990), Capron (1996).
17. Les opérations conglomérales associent des firmes appartenant à des secteurs différents sans lien entre eux.
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Tableau 1. Part des types d’opérations aux Etats-Unis dans les secteurs manufacturiers
et d’extraction (1948-1971)
Pourcentage du total des actifs acquis (%)
Type de l’opération
1948-1955 1956-1963 1964-1971
Horizontal 39 18,7 12
Vertical 12,7 20 6,6
Expansion
36,1 36,9 38,9
géographique*
Extension de gamme
2,1 6,7 7,7
(ou diversification liée)
Congloméral (pur) 10,1 17,7 34,8
TOTAL 100 100 100
* : Ce type d’opération est très semblable à une opération horizontale. Capron (1996) considère que la distinction
faite par les études sur la deuxième vague, entre opérations horizontales et celles d’expansion géographique,
conduit à une sous-estimation des opérations horizontales des années 20. Voir aussi Scherer et Ross (1990).
Les principaux secteurs sujets à de telles opérations ont été les secteurs où l’on a
enregistré des fluctuations conjoncturelles de la demande et une évolution rapide
des produits (cycle de vie court) : les secteurs liés aux ressources naturelles, les
secteurs d’équipement industriel, l’aéronautique, ainsi que d’autres secteurs de
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Etant donné les caractéristiques des opérations qui ont eu lieu dans les années
60 lors de la troisième vague, de nombreux observateurs ont suggéré qu’elle
s’expliquerait par des motivations à caractère financier telles la réduction du risque
financier, des coûts d’agence, la recherche des économies financières et fiscales
ou encore par des motivations liées à l’inefficience des marchés financiers18.
Capron (1996) considère par ailleurs, qu’au-delà des motivations financières, de
nombreuses opérations s’expliqueraient par les motivations personnelles des
dirigeants, avides d’étendre leur pouvoir et leur prestige à travers la constitution
de groupes de grande taille19.
1.2.2. En Europe
A la même époque, en Europe, le temps est aux fusions-acquisitions horizontales
(Scherer et Ross, 1990 ; Coutinet et Sagot-Duvauroux, 2003). Ainsi, Capron
(1996) constate, dans une étude des fusions-acquisitions initiées par des firmes
britanniques, allemandes, françaises et néerlandaises au cours de la période
1958-1970, que 60 à 70% des opérations ont été de type horizontal, 10 à 12% de
type vertical et 20% ont correspondu à des opérations de diversification.
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(1995, 1996) constate aussi, dans le cas de la France, que seulement 12% des
opérations enregistrées entre 1966 et 1972 impliquent des firmes étrangères.
Enfin, Prot et de Rosen (1990) observent qu’à la différence des Etats-Unis et
à l’exception de la Grande-Bretagne, la plupart des opérations en Europe
continentale ont été réalisées hors marché.
En résumé, même si les principaux pays européens et les Etats-Unis ont connu
pratiquement à la même époque une vague de fusions-acquisitions, l’examen
des principales caractéristiques des opérations réalisées, au cours des années
60, aux Etats-Unis et en Europe met en évidence d’importantes différences.
Les opérations européennes ont ainsi présenté un caractère plus industriel
ou stratégique (recherche d’économies d’échelle, de pouvoir de marché, de
nouvelles ressources, …), alors que les opérations américaines ont davantage
relevé de la diversification financière sous l’influence de la modification du cadre
réglementaire.
Bien que l’Europe et les Etats-Unis aient connu après 1980, presque aux mêmes
périodes, deux vagues de fusions-acquisitions (Briciu, 2006), nous analysons
d’abord les caractéristiques des vagues américaines puis celles des vagues
européennes.
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Toujours à l’opposé de la vague des années 60, il faut aussi noter l’importance
des opérations internationales durant les années 80. Muldur (1989) parle de
la « boulimie » des acquisitions internationales. Les acquisitions des firmes
américaines par des étrangers ont dépassé en 1987 les 40 milliards de
dollars. Les Etats-Unis ont en effet été, durant les années 80, le principal pays
d’accueil d’investissements directs venant de l’étranger sous forme de fusions-
acquisitions23. La faiblesse du dollar a encouragé, selon certains auteurs (Scherer
et Ross, 1990 ; Weston et al., 1990), les acquisitions aux Etats-Unis par les firmes
étrangères, notamment européennes. Par ailleurs, la valeur des acquisitions
américaines à l’étranger a doublé de 1983 à 1987, passant de 5,154 milliards de
dollars à 10,962 milliards de dollars. Dans le même sens, plusieurs rapports de la
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Bien que l’activité de fusions-acquisitions ait touché durant ces années tous
les secteurs de l’économie américaine, une grande partie des opérations
s’est concentrée dans les secteurs les plus affectés par les déréglementions
et l’accroissement de la concurrence internationale, tels la banque, les
télécommunications, le pétrole, le gaz, le textile, l’alimentaire, les transports
aérien et routier (Muldur, 1989 ; Mitchell et Mulherin, 1996).
22. L’étude des opérations domestiques des firmes américaines réalisée par Andrade et al. (2001) montre aussi que les opérations
horizontales ont représenté 40% du total des fusions-acquisitions réalisées par des firmes cotées au cours de la période 1980-1989.
23. Voir CNUCED (1996), OCDE (2001) et Pryor (2001).
24. Voir CNUCED (1991, 1993, 1996, 1998, 2000).
25. Il faut cependant noter que la part des investissements américains durant les années 80 s’est réduite en faveur des investissements
des firmes européennes et japonaises. Voir aussi OCDE (2001).
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Une autre caractéristique des fusions-acquisitions qui ont eu lieu au cours des
années 80, mise en avant par certains auteurs (Jensen, 1986, 1988, 1993 ; de
Bodt, 2001), est l’hostilité d’un certain nombre d’opérations. Toutefois, la part
de ces opérations dans la valeur totale des fusions-acquisitions n’a jamais été
majoritaire26. Andrade et al. (2001) constatent ainsi que seulement 14% des
opérations enregistrées entre 1980 et 1989 comportèrent un caractère hostile.
Cette situation pourrait néanmoins s’expliquer par le fait qu’une partie des
opérations hostiles ont eu pour cible des firmes de taille importante, les opérations
de taille élevée représentant une des caractéristiques de la vague des années 80
(Shleifer et Vishny, 1991).
Une large fraction des fusions-acquisitions a par ailleurs été financée par des
liquidités. Andrade et al. (2001) notent ainsi que 45,3% des 1427 opérations
enregistrées entre 1980 et 1989 ont été financées par des liquidités. D’autres
auteurs (Jensen, 1986, 1988 ; Holmstrom et Kaplan, 2001), qui notent l’importance
du financement par des liquidités, considèrent qu’il est dû au développement de
l’endettement à la suite de l’apparition des junk bonds. Muldur (1989) observe
cependant que ceux-ci n’ont financé qu’une faible partie (près de 3%) de la valeur
totale des opérations enregistrées en 1984.
Par ailleurs, Du Boff et Herman (1989) ainsi que Shleifer et Vishny (2003) ont
soutenu que la vague de fusions-acquisitions des années 80 s’expliquerait plutôt
à partir des inefficiences du marché financier. Dans un contexte d’importants
changements économiques, tels que la déréglementation et l’accroissement
de la concurrence internationale, les innovations financières, qui ont contribué
au développement du marché boursier, ont permis aux spéculateurs de mieux
profiter des asymétries d’information. La sous-évaluation d’une partie importante
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D’autres auteurs mettent en avant le rôle important joué par le marché boursier
qui a facilité, en raison de son niveau élevé, le développement de l’activité de
fusions-acquisitions. Shleifer et Vishny (2003) ont ainsi soutenu qu’en raison de
leur surévaluation, de nombreuses firmes ont procédé à des acquisitions leur
permettant de se protéger d’une baisse rapide de leurs cours. Une explication
en termes de surévaluation ou de différentiel de PER semble ainsi possible mais
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Européenne, 1994). Les données dont nous disposons vont dans le même
sens. En fait, les fusions-acquisitions horizontales représentent, tant en nombre
qu’en valeur, et en regardant l’activité de fusions-acquisitions soit du côté des
cibles soit du côté des acquéreurs, près de 45% du volume total des opérations
enregistrées durant la première vague. Il faut cependant observer qu’en fonction
de la codification sectorielle choisie, la part des opérations horizontales peut
varier selon le niveau de décomposition des secteurs. En effet, plus le degré
d’agrégation est élevé plus la part des opérations horizontales est importante.
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dans les secteurs les plus ouverts à la concurrence, il faut néanmoins noter que
l’activité de fusions-acquisitions s’est intensifiée dans tous les secteurs.
Que l’on prenne en compte le nombre ou la valeur, nos calculs montrent que les
opérations de fusions-acquisitions réalisées au cours de la période 1997-2000
ont concerné principalement les secteurs de services (plus de 60%), plutôt que
l’industrie (moins de 40%). Il s’agit d’une tendance amorcée dès 1993-1994 et qui
n’a fait que s’amplifier durant la deuxième vague.
Conclusion
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Bibliographie
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