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Annales Pharmaceutiques Françaises (2018) 76, 273—285

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REVUE GÉNÉRALE

Mécanismes d’action indirects et mixtes mis


en jeu dans les myopathies toxiques
Indirect and mixed mechanisms of action in toxic myopathies

A. Khelfi a,b,∗, M. Azzouz c, R. Abtroun a, M. Reggabi c,


B. Alamir a,b

a
Service de toxicologie, CHU Bab-El-Oued, rue Mohamed Lamine Debaghine, 16009 Alger,
Algérie
b
Centre national de toxicologie, route du petit Staouali Delly Brahim, 16062 Alger, Algérie
c
Laboratoire central de biologie et de toxicologie, EHS Ait-Idir, rue Abderrezak Hahad
Casbah, 16017 Alger, Algérie

Reçu le 25 mars 2017 ; accepté le 5 mars 2018


Disponible sur Internet le 24 mai 2018

MOTS CLÉS Résumé Les myopathies toxiques sont un ensemble de pathologies dont l’origine est une per-
Myopathies ; turbation structurale et/ou fonctionnelle des muscles induite par un agent exogène. Les plus
Toxiques ; fréquentes sont celles induites par les médicaments utilisés en pratique clinique. Les drogues
Muscles ; illicites, les pesticides, les solvants, les métaux et même les agents physiques et gazeux peuvent
Mécanismes ; provoquer ce genre de pathologies et exercer une toxicité sur les tissus musculaires. Certaines
Indirecte toxines d’origine animale, végétale ou produites par des micro-organismes sont de puissants
agents myotoxiques, à l’origine de complications pouvant être fatales. L’arrêt respiratoire
et la rhabdomyolyse sont souvent évoqués comme les complications ultimes de ces patholo-
gies. Plusieurs mécanismes d’action peuvent être déclenchés. Les muscles peuvent représenter
une cible directe pour les agents exogènes par action sur les composants myocytaires ou une
cible indirecte par l’induction de troubles fonctionnels. Ces derniers sont déclenchés par des
interférences neuromusculaires (organophosphorés, neuroleptiques, curares, etc.) et des dys-
fonctionnements du système endocrinien (glucocorticoïdes et alcool éthylique), immunitaire
(d-pénicillamine et statines) et hydroélectrolytique (diurétiques, laxatifs et toluène). Des effets
directs et indirects peuvent être induits par un seul et même toxique comme l’exemple du
monoxyde de carbone, des glucocorticoïdes, de l’alcool éthylique et de certaines toxines de
venins de serpent.
© 2018 Académie Nationale de Pharmacie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits
réservés.

∗ Auteur correspondant. 27, rue Youcfi Abdelkader, Blida, Algérie.


Adresse e-mail : khelfi ar@hotmail.com (A. Khelfi).

https://doi.org/10.1016/j.pharma.2018.03.004
0003-4509/© 2018 Académie Nationale de Pharmacie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
274 A. Khelfi et al.

KEYWORDS Summary Toxic myopathies are a group of pathologies characterized by a structural and/or
Toxic; functional disturbance of muscles induced by an exogenous agent. The most frequent are those
Myopathies; induced by drugs used in clinical practice. Illegal drugs, pesticides, solvents, metals and even
Muscles; physical and gaseous agents can cause this kind of disease and exert toxicity on muscle tissues.
Mechanisms; Some toxins from animals, plants or micro-organisms are potent myotoxic agents, which can
Indirect lead to fatal complications. Respiratory arrest and rhabdomyolysis are often referred to as the
ultimate complications of these pathologies. Several mechanisms of action can be triggered.
Muscles may represent a direct target for exogenous agents by acting on the myocyte com-
ponents or indirect target by inducing functional disorders. These disorders are triggered by
neuromuscular interferences (organophosphates, antipsychotics, curares, etc.) and endocrine
(glucocorticoids and ethyl alcohol), immune (d-penicillamine and statins) and hydroelectroly-
tic system dysfunctions (diuretics, laxatives and toluene). Direct and indirect effects can be
induced by the same toxic agent, such as carbon monoxide, glucocorticoids, ethyl alcohol and
some toxins from snake venoms.
© 2018 Académie Nationale de Pharmacie. Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Introduction le contexte physiopathologique pour circonscrire le cadre


thérapeutique.
Le corps humain comporte une multitude de muscles aux C’est dans ce contexte que s’inscrit cette revue qui four-
fonctions bien distinctes. Parmi eux les muscles striés res- nit une mise à jour documentée sur les mécanismes indirects
ponsables des mouvements volontaires et du maintien de la mis en jeu dans les myopathies toxiques. Elle comporte
posture. Ils sont richement vascularisés et métaboliquement l’ensemble des données concernant les voies mécanistiques
très actifs. Leur exposition aux molécules exogènes circu- déclenchées en précisant les agents inducteurs et les per-
lantes est importante ce qui les prédispose à leurs effets, turbations fonctionnelles et lésionnelles engendrées. Les
évoluant parfois vers des myopathies dites « toxiques ». similitudes et les différences entre certains troubles sont
Ces dernières sont un groupe hétérogène de pathologies indiquées et les atteintes exceptionnelles mettant en jeu
en termes d’agents inducteurs, d’atteintes tissulaires et de le terrain génétique sont traitées. Une attention toute
manifestations cliniques. particulière a été portée à la myofasciite à macrophages
Le muscle est une structure hautement spécialisée, (MFM), une myopathie dont la susceptibilité individuelle
contrôlée par le système nerveux central. Il est en cons- serait l’élément clé pour son déclenchement.
tante interaction avec d’autres systèmes de l’organisme Le travail couvre également les observations épidémio-
et échange plusieurs médiateurs avec les milieux physiolo- logiques faites sur des myopathies particulières d’origine
giques. C’est un organe particulièrement sensible aux effets alimentaire. Il s’étale aux myopathies, souvent sévères, qui
des molécules exogènes en raison de ses spécificités qui mettent en jeu des mécanismes mixtes par le déclenche-
augmentent son exposition et le prédisposent à leurs effets ment de processus atteignant directement et indirectement
toxiques. les muscles.
La myotoxicité désigne l’ensemble des altérations
lésionnelles et/ou fonctionnelles des muscles, induites
directement ou indirectement par des agents exogènes
quelle que soit leur voie de pénétration. Plusieurs médica- Mécanismes d’action indirects
ments appartenant à différentes classes thérapeutiques se
sont révélés inducteurs de ce genre de désordres. Seuls ou Action sur le système nerveux
en association, ils peuvent provoquer des troubles muscu-
laires inattendus qui se manifestent par des symptômes de Action sur les neurotransmetteurs
sévérité variable. Les drogues illicites, les toxines d’origine Action sur le système cholinergique
animale, végétale ou produites par les micro-organismes L’acétylcholine (Ach) est l’un des neuromédiateurs les
ainsi que les produits chimiques utilisés au quotidien repré- plus importants de l’organisme. Il assure les connexions
sentent une part non négligeable des agents inducteurs de inter-neuronales et permet la transmission du potentiel
ces atteintes. d’action du système nerveux vers les tissus musculaires.
Les myopathies toxiques résultent d’une perturbation Entre ces deux entités, existe une structure importante
directe du fonctionnement des fibres musculaires et/ou appelée la jonction neuromusculaire où l’Ach exerce ses
d’une action indirecte mettant en jeu des systèmes en fonctions de neurotransmetteur. Elle est hautement régu-
étroite relation avec les tissus musculaires. Le terrain lée et extrêmement dynamique sur le plan métabolique.
génétique des patients peut favoriser leur apparition et aug- Plusieurs xénobiotiques peuvent modifier le fonctionnement
menter leur sévérité. Qu’elles soient provoquées par des de la jonction neuromusculaire (Tableau 1). Leurs actions se
agents chimiques ou physiques, il est important de cerner résument à :
Mécanismes d’action indirects et mixtes mis en jeu dans les myopathies toxiques 275

• l’augmentation de la biodisponibilité de l’Ach et/ou Elapidés ou « neurotoxines-␤ » en sont l’exemple parfait.


la potentialisation de ses effets produisant une dépo- Elles sont subdivisées en deux classes sur le plan structural.
larisation membranaire et une contraction des fibres Elles inhibent la régénération de l’Ach dans les vésicules
musculaires. Si l’action est prolongée dans le temps, synaptiques en induisant leur exocytose et en inhibant leur
les canaux sodiques voltage-dépendants participant à la endocytose ce qui provoque, avec une certaine latence, une
transmission post-jonctionnelle du potentiel d’action se paralysie. Les neurotoxines non PLA2 facilitatrices génèrent
retrouvent dans un état inactif avec une conformation un bloc neuromusculaire par une dépolarisation membra-
dite « fermée ». Cet état produit un arrêt de la trans- naire excessive. Ces toxines favorisent la libération de l’Ach
mission neuromusculaire. Sur le plan clinique, on assiste par les terminaisons pré-synaptiques en bloquant le fonc-
dans un premier temps à des fasciculations et des trem- tionnement des canaux potassiques voltage-dépendants.
blements suivis d’une paralysie musculaire ; Cette libération entraîne une dépolarisation importante
• la diminution de la biodisponibilité de l’Ach et/ou la de la membrane post-synaptique. Les neurotoxines non
réduction de ses effets produisant une inhibition de la PLA2 post-synaptiques ou « neurotoxines-␣ » se fixent de
transmission synaptique de l’influx nerveux qui se tra- manière quasi-irréversible sur les récepteurs nicotiniques.
duit sur le plan clinique par une paralysie musculaire sans Cette fixation est à l’origine d’un blocage de la transmis-
période de latence. sion de l’influx nerveux au niveau de la plaque motrice ce
qui entraîne une paralysie musculaire. Les neurotoxines-␣
L’un des exemples classiques des xénobiotiques per- longues se lient et se dissocient plus lentement par rapport
turbant le système cholinergique est celui des pesticides aux neurotoxines-␣ courtes, ce qui leur confère une action
organophosphorés et carbamates. Ces derniers inhibent prolongée.
la cholinestérase et entraînent de ce fait l’accumulation L’action pharmacologique de certains agents médica-
de l’Ach au niveau synaptique, notamment dans la jonc- menteux utilisés en anesthésie met en jeu le système
tion neuromusculaire, provoquant d’abord une activité cholinergique. Il s’agit des curares qui en cas de sur-
musculaire continue avec des tremblements et des fascicu- dosage peuvent entraîner une myopathie aiguë sévère.
lations puis une paralysie, touchant entre autres les muscles Les curares non dépolarisants sont des antagonistes post-
respiratoires, connue sous le nom du syndrome nicotinique. synaptiques des récepteurs de l’Ach. Cet antagonisme se
Par ailleurs, les neurotoxines botuliques A, B, C, D, E, F et traduit en cas de surdosage par une paralysie des muscles de
G produites par une espèce bactérienne Clostridium botuli- l’organisme, y compris les muscles respiratoires. Ils inhibent
num sont de puissants perturbateurs neuromusculaires. Elles également les récepteurs cholinergiques pré-synaptiques et
sont à l’origine d’une toxi-infection alimentaire redoutable produisent de ce fait une réduction de la libération de
appelée le botulisme. Cette maladie est caractérisée par l’Ach. Le suxaméthonium, un curare dépolarisant, provoque
une paralysie flasque des muscles striés squelettiques et une dépolarisation continue et permanente de la membrane
diaphragmatiques. Les neurotoxines botuliques sont des pro- post-synaptique au niveau de la jonction neuromusculaire.
téases d’une spécificité remarquable. Leurs substrats sont Il reste au voisinage de son site d’action suffisamment long-
les protéines SNAREs. Ces dernières comprennent la VAMP temps pour rendre la membrane myocytaire inexcitable. Le
(vesicle associated membrane protein) ou synaptobrévine, bloc neuromusculaire engendré par cet agent se traduit par
la SNAP25 et la syntaxine, qui permettent l’assemblage des une phase de fasciculations suivie d’une phase de paralysie
vésicules synaptiques avec la membrane pré-synaptique et musculaire.
la libération des neuromédiateurs (neurotoxines botuliques
A et E clivent la SNAP25, neurotoxines botuliques B, D, F Action sur le système sérotoninergique
et G clivent la protéine VAMP et la neurotoxine botulique La sérotonine (5-HT) est une monoamine intervenant dans
C clive la syntaxine et la SNAP25). Le botulisme résulte de la neurotransmission au niveau du système nerveux central.
l’inhibition persistante de la transmission synaptique cho- Elle est impliquée dans la régulation de plusieurs fonctions
linergique au niveau de la jonction neuromusculaire. Cet physiologiques comme le cycle du sommeil, la thermorégu-
effet est variable selon la toxine mise en cause. En effet, lation, la douleur, la motricité, etc. L’hyperstimulation des
les toxines botuliques A et C génèrent une paralysie prolon- récepteurs 5-HT1A/2A par la sérotonine dans les noyaux gris
gée (plusieurs mois), alors que les toxines B, E et F exercent centraux et la moelle épinière peut provoquer un syndrome
un effet relativement court (quelques semaines). Cela est sérotoninergique associant sur le plan neuromusculaire des
dû à la persistance plus ou moins longue des neurotoxines myoclonies, des tremblements, une rigidité musculaire et
dans les neurones. une hyperréflexie [1,2]. Les voies impliquées dans ce syn-
Le venin de certaines espèces animales (araignées et ser- drome prennent naissance à partir des noyaux du raphé qui
pents) comporte également des neurotoxines qui affectent sont à l’origine des neurones sérotoninergiques impliqués
le fonctionnement de la jonction neuromusculaire. L’␣- dans la régulation du tonus moteur [3,4]. En cas d’un sur-
latrotoxine produite par la veuve noire active l’exocytose dosage, plusieurs molécules médicamenteuses provoquent
des vésicules contenant les neurotransmetteurs comme une hyperstimulation de ces récepteurs et leurs associa-
l’Ach pouvant être à l’origine de spasmes et de paraly- tions, souvent en cas d’une polymédication, augmentent
sies musculaires. Quant au venin des espèces ophidiennes, le risque du syndrome sérotoninergique. Une surexposition
il comporte un mélange complexe de biomolécules très à certaines drogues (amphétamines, cocaïne et LSD) peut
actives à l’origine de dommages tissulaires considérables. déclencher également un syndrome sérotoninergique qui
D’innombrables toxines ont été extraites et identifiées en associe des troubles neuropsychiatriques, neurovégétatifs
tant qu’agents neurotoxiques. Les myotoxines phospholi- et neuromusculaires et parfois une rhabdomyolyse mettant
pase A2 (PLA2 ) neurotoxiques pré-synaptiques des venins des en jeu le pronostic vital des patients (Tableau 1). Certains
276 A. Khelfi et al.

Tableau 1 Action des agents myotoxiques sur le système des neurotransmetteurs.


Action of myotoxic agents on neurotransmitter systems.
Système Mécanisme d’action Agents
Système Inhibition de la dégradation par la Organophosphorés, carbamates, pyridostigmine,
cholinergique cholinestérase prostigmine, néostigmine, ambénonium, edrophonium
et neurotoxine non PLA2 des venins de serpents :
fasciculines
Inhibition de la recapture de l’Ach Myotoxines PLA2 neurotoxiques pré-synaptiques des
venins de serpents : notexine, pseudexine,
agkistrodotoxine, caudoxine, ammodytoxine,
daboiatoxine, ␤-bungarotoxine, crotoxine et
crotoxine-like
Augmentation de la libération de l’Ach Myotoxines PLA2 neurotoxiques des venins de serpents
Neurotoxines non PLA2 facilitatrices des venins de
serpents : dendrotoxines
␣-latrotoxine
Diminution de la libération de l’Ach Curares non dépolarisants : d-tubocurarine,
pancuronium, vécuronium, atracurium, pipécuronium,
rocuronium, mivacurium, gallamine
Certains antibiotiques à forte dose : aminoglycosides,
polymyxine B, lincomycine, clindamycine et tétracycline
Toxines botuliques
Agoniste des récepteurs nicotiniques Nicotine et curare dépolarisants : suxaméthonium
Antagoniste des récepteurs Curares non dépolarisants
nicotiniques post-synaptiques Neurotoxines non PLA2 post-synaptiques des venins de
serpents : ␣ bungarotoxine et érubutoxines a et b
Histrionicotoxine
␣-cônotoxines
Antagoniste des récepteurs Curares non dépolarisants
nicotiniques pré-synaptiques
Système du Augmentation de la libération du Toxine ␧ produite par Clostridium perfringens
glutamate glutamate
Hypersensibilité des récepteurs du Alcool éthylique en chronique
glutamate
Antagoniste des récepteurs du Alcool éthylique en aiguë
glutamate
Agoniste des récepteurs du glutamate Kaïnate
Système Inhibition de la dégradation par la Non sélectifs : nialamide, iproniazide
sérotoninergique MAO Sélectifs A : moclobenide, toloxatone
Sélectifs B : sélégiline, rasagiline
Inhibition de la recapture de la Antidépresseurs tricycliques : imipramine, amitryptiline
sérotonine ISRS : fluvoxamine, fluoxetine, paroxetine, sertraline et
citalopram
ISRSNA : milnacipran et venlafaxine
Cocaïne et ecstasy
Augmentation de la libération de la Amphétamines, ecstasy et cocaïne
sérotonine
Activation des récepteurs Buspirone (5-HT1A) et LSD (5-HT2A)
sérotoninergiques
Antagoniste des 5-HT2A Cyclobenzaprine
Hypersensibilité des récepteurs Lithium
post-synaptiques
Système Diminution de la libération de la Molécules à l’origine du syndrome sérotoninergique et
dopaminergique dopamine tétrabénazine
Augmentation de la libération de la Toxine ␧ produite par Clostridium perfringens
dopamine
Agoniste des récepteurs Ropinirole, rotigotine et pramipexole
dopaminergiques D2/3
Mécanismes d’action indirects et mixtes mis en jeu dans les myopathies toxiques 277

Tableau 1 (Continued)
Système Mécanisme d’action Agents
Antagoniste des récepteurs Neuroleptiques
dopaminergiques D2
Système Agonistes des récepteurs Benzodiazépine : diazépam et tétrazépam,
GABAergique GABAergiques-A barbituriques : phénobarbital et alcool éthylique en
aiguë
Agonistes des récepteurs Baclofène
GABAergiques-B
Antagoniste des récepteurs Thiocolchicoside
GABAergiques-A
Désensibilisation des récepteurs Alcool éthylique en chronique
GABAergiques-A
Diminution de la libération du GABA Toxine tétanique
Système Diminution de la libération de la Toxine tétanique
glycinergique glycine
Antagoniste des récepteurs Thiocolchicoside
glycinergiques Strychnine

auteurs pensent que l’augmentation de la sérotonine au réactions à caractère idiosyncrasique chez les sujets suscep-
niveau central provoquerait une inhibition du relargage de tibles.
la dopamine ce qui expliquerait, au moins en partie, les Par ailleurs, l’administration des neuroleptiques à long
similitudes cliniques qui existent entre le syndrome séroto- terme génère une hypersensibilité des récepteurs D2 pou-
ninergique et le syndrome malin des neuroleptiques [5,6]. vant conduire à l’apparition de dyskinésies tardives. Ces
dernières sont caractérisées par des mouvements invo-
lontaires choréo-athétosiques notamment de la sphère
Action sur le système dopaminergique bucco-linguo-faciale. Ces effets sont des manifestations
La dopamine est un neurotransmetteur appartenant à la à la fois fréquentes et très gênantes des neuroleptiques
famille des catécholamines. Elle joue un rôle important dans de première génération. Les mêmes effets sont rencon-
la régulation des voies extrapyramidales au niveau du sys- trés avec le ropinirole, la rotigotine et le pramipexole qui
tème nerveux central. Bien que la dopamine se trouve à sont des agonistes des récepteurs D2 /D3 [9]. En revanche,
des concentrations faibles dans le cerveau, elle constitue les neuroleptiques de seconde génération se lient, en plus
un modulateur final essentiel des sorties motrices. Plusieurs des récepteurs D2 , aux récepteurs 5-HT2 , ce qui génère
molécules médicamenteuses ont pour cible le système dopa- une libération de la dopamine et une diminution du taux
minergique dont les plus importantes et les mieux connues d’occupation des récepteurs D2 par les neuroleptiques au
sont celles appartenant à la famille des neuroleptiques niveau nigrostrié. Ces effets font des neuroleptiques de
(Tableau 1). L’activité antidopaminergique centrale des neu- seconde génération des inducteurs faibles des symptômes
roleptiques est la traduction du blocage des récepteurs extrapyramidaux.
D2 pré-synaptiques et post-synaptiques de la voie nigros-
triée. À forte dose, le putamen et le noyau caudé sont libérés Action sur le système GABAergique
de l’inhibition de la voie nigrostriée, ce qui stimulerait L’acide ␥-aminobutyrique ou GABA est un neurotransmet-
le système cholinergique strio-pallidal et induirait un syn- teur inhibiteur du système nerveux central. En plus de ses
drome extrapyramidal qui se présente par une clinique assez actions inhibitrices sur le système végétatif, le GABA agit sur
particulière réalisant des tremblements et des dyskiné- les mouvements volontaires et automatiques des muscles
sies aiguës à prédominance bucco-linguo-oculo-faciale. Une striés. En effet, les neurones GABAergiques modulent le
thermogenèse accrue peut se présenter suite à l’activité fonctionnement des neurones chargés des mouvements
musculaire importante. Les neuroleptiques peuvent, dans volontaires et automatiques, situés dans les ganglions de la
de rares cas, induire un syndrome malin potentiellement base et la moelle épinière. De ce fait, pas tous les xénobio-
fatal (hyperthermie, troubles neurovégétatifs, hypertonie tiques agissant sur le système GABAergique sont capables de
extrapyramidale voire rhabdomyolyse), qui serait selon cer- modifier le fonctionnement des muscles striés (Tableau 1).
tains auteurs la conséquence d’une hyperstimulation des La potentialisation des effets du GABA au niveau des gan-
récepteurs D1 par la dopamine en excès [7]. Cependant, glions de la base se traduit par une hypotonie musculaire,
l’hypothèse impliquant la dopamine demeure insuffisante du alors que la diminution de ses effets est à l’origine d’une
moment qu’il existe un faible pourcentage de patients pré- hypertonie musculaire, voire un spasme [10]. L’action poten-
sentant la symptomatologie correspondante (0,07 à 0,15 %) tialisatrice des effets du GABA dans la moelle épinière
alors que le blocage des voies dopaminergiques par les neu- quelle soit monosynaptique ou polysynaptique entraîne une
roleptiques est constant pour tous les individus [3,8]. Ainsi, hyporéflexie, voire une aréflexie associée à une hypotonie
l’hypothèse du terrain génétique s’impose pour expliquer les musculaire.
278 A. Khelfi et al.

La toxine la plus dangereuse et la plus évoquée dans de la moelle épinière produisant une relaxation musculaire
la perturbation du système GABAergique est la tétanos- pouvant être considérable en cas de surdosage.
pasmine. Cette dernière est synthétisée par une espèce
bactérienne Clostridium tetani qui provoque le tétanos. Action sur les canaux
Cette maladie est caractérisée par une paralysie spasmo- Canaux sodiques voltage-dépendants
dicotonique d’origine centrale qui se manifeste aux stades
Contrairement aux canaux perméables aux cations
ultimes par un opisthotonos. La tétanospasmine ne traverse
(récepteurs-canaux nicotiniques), les canaux sodiques
pas la barrière hémato-encéphalique. Elle pénètre dans les
voltage-dépendants sont spécifiques aux ions sodium. Leur
terminaisons neuromotrices sans affecter la biodisponibilité
ouverture produit une dépolarisation membranaire per-
des neurotransmetteurs. Elle gagne ensuite le système ner-
mettant la propagation du potentiel d’action. Ce sont des
veux central via le transport axonal rétrograde en direction
hétérotrimères ␣␤1 ␤2 dont la sous-unité ␣ est indispensable
des corps cellulaires des neurones. Une fois arrivée, elle
à l’ouverture du canal et les sous-unités ␤ jouent un rôle
est libérée dans les milieux interstitiels où elle bloque pré-
de stabilisateurs structuraux. L’activation de ces canaux
férentiellement la transmission synaptique GABAergique et
se traduit par des effets excitateurs et leur inactivation
glycinergique qui modulent le fonctionnement des motoneu-
conduit à des effets inhibiteurs sur le fonctionnement des
rones. De plus, cette toxine est une protéase dont la cible
fibres musculaires. Ce canal possède 7 sites de fixation pour
est la protéine VAMP. Il en résulte une désinhibition avec
les toxines et les molécules médicamenteuses [11] :
décharge incontrôlée des motoneurones. L’hyperactivité de • site 1 : la saxitoxine, la tétrodotoxine et la ␮-cônotoxines
ces derniers se traduit cliniquement par des spasmes mus-
entraînent le blocage du canal ;
culaires plus ou moins généralisés. • site 2 : l’aconitine, la grayanotoxine, la vératridine et la
batrachotoxine entraînent une activation permanente du
Action sur le système du glutamate
canal ;
Le glutamate est un neurotransmetteur excitateur du sys- • site 3 : les toxines ␣ des scorpions et les toxines
tème nerveux central. Il exerce ses effets sur les neurones d’anémones de mer entraînent un ralentissement de la
pyramidaux dans les connexions corticostriatales et cor- repolarisation ;
ticothalamiques. Tout comme le système GABAergique, • site 4 : les toxines ␤ des scorpions à l’origine d’une acti-
quelques agents agissent sur le système glutamatergique au vation du canal ;
niveau des ganglions de la base. Certains d’entre eux sont • site 5 : la ciguatoxine et la brévétoxines qui sont des
portés dans le Tableau 1. activateurs du canal ;
• site 6 : les ␦-cônotoxines produisent un effet identique à
Action sur le système glycinergique celui des toxines ␣ des scorpions ;
La glycine, appelée également glycocolle, est un acide • site LA : il est le site récepteur des anesthésiques locaux
aminé jouant le rôle d’un neurotransmetteur inhibiteur au (système nerveux périphérique).
niveau de la moelle épinière et du cerveau. Elle agit sur
deux types de récepteurs : Les perturbations physiopathologiques induites par cer-
• les récepteurs-canaux perméables aux ions chlorures. La taines toxines méritent d’être citées. La tétrodotoxine est
glycine favorise leur ouverture produisant un effet hyper- une substance isolée à partir de certaines espèces de pois-
polarisant ; son appelées les tétrodons (poisson globe ou Fugu). Leur
• les récepteurs NMDA dont l’agoniste est le glutamate. La ingestion est responsable du tétrodotoxisme qui mène au
glycine agit comme un co-agoniste de ces récepteurs don- Japon, où leur consommation est importante, à de nombreux
nant un effet dépolarisant qui s’oppose à ses effets sur les décès. La tétrodotoxine bloque les canaux sodiques voltage-
canaux chlorures. dépendants, empêchant le passage des influx nerveux. On
distingue quatre grades de sévérité des signes cliniques. Glo-
La réduction des effets du système glycinergique par balement, on peut assister à des paresthésies buccales avec
certains xénobiotiques (Tableau 1) se traduit par une exci- ou sans troubles digestifs, des paralysies motrices, une apho-
tation importante des fibres musculaires. L’un d’entre eux nie et dans les stades ultimes une détresse respiratoire. La
est la strychnine utilisée actuellement comme un roden- mort survient par arrêt respiratoire ou cardiaque.
ticide et dont l’origine est un arbre originaire d’Afrique Les ␮-cônotoxines sont contenues dans le venin de cer-
(Strychnos nux-vomica). Les signes cliniques survenant suite tains mollusques appartenant au genre Conus dont les plus
à son ingestion sont liés à l’hyperexcitabilité sensorielle et connus sont Conus geographus et Conus magus. Ces toxines
musculaire qu’elle génère. En effet, la strychnine est un sont des inhibiteurs spécifiques des canaux sodiques voltage-
antagoniste compétitif des récepteurs glycinergiques du sys- dépendants. En général, l’envenimation par ces espèces est
tème nerveux central (cerveau et moelle épinière). Dans le localisée au niveau des mains des récolteurs imprudents qui
contexte d’une toxicité aiguë, elle provoque une hypertonie ressentent suite à leur piqûre une douleur intense puis une
musculaire voire un opisthotonos. La détresse respiratoire paralysie progressive pouvant entraîner la mort par insuffi-
et le spasme laryngé conséquents peuvent entraîner la mort sance respiratoire aiguë.
des victimes. Les batrachotoxines sont des toxines secrétées par des
amphibiens d’Amérique du Sud appartenant au genre Phyl-
Action sur le système adrénergique lobates. Les chasseurs-cueilleurs les utilisent en frottant
L’exemple typique d’une telle action est celui de la tiza- la pointe des fléchettes sur leurs sécrétions cutanées. Les
nidine qui est un agoniste ␣2 adrénergique central dont batrachotoxines maintiennent les canaux sodiques voltage-
l’action se résume au blocage des voies polysynaptiques dépendants ouverts empêchant ainsi la transmission des
Mécanismes d’action indirects et mixtes mis en jeu dans les myopathies toxiques 279

impulsions électriques. Les muscles seront donc dans un état • le plomb : en cas d’un saturnisme, on peut observer des
de relâchement, ce qui entraîne des difficultés de locomo- troubles de la motricité fine, délirium trémens, neuropa-
tion et du maintien de l’équilibre et un arrêt cardiaque à thie périphérique (paralysies s’étendant aux extenseurs
forte dose. et aux doigts : mains en griffe) voire des convulsions ;
Enfin, les grayanotoxines sont issues de plantes appar- • l’aluminium : dans le contexte d’une encéphalopathie des
tenant à la famille des Ericaceae telles que Rhododendron dialysés, on peut rencontrer des troubles d’équilibre, des
ponticum, Pieris japonica et Kalmia spp. Ces toxines incoordinations motrices, des troubles du langage avec
neurotropes augmentent la perméabilité des membranes lenteur de l’élocution, une dysnomie et une dyspraxie,
aux ions sodium en maintenant les canaux sodiques puis apparaissent des trémulations, des myoclonies mul-
voltage-dépendants ouverts. Depuis quelques décennies, tifocales voire des convulsions ;
des observations animales et humaines ont été rapportées • le mercure : en cas d’une exposition chronique, on
suite à la consommation de miels contaminés par ces toxines peut assister à une atteinte périphérique avec une poly-
[12]. En général, on assiste à des troubles digestifs et cardio- neuropathie sensitivomotrice distale, un tremblement
vasculaires, une paresthésie des extrémités, une faiblesse mercuriel et rarement un syndrome extrapyramidal.
musculaire, des troubles visuels, des convulsions et éven-
tuellement la mort des victimes. Action sur le système endocrinien
Canaux potassiques voltage-dépendants
Le muscle squelettique est constitué d’un ensemble de
Les canaux potassiques voltage-dépendants ou Kv sont pré-
fibres, ayant chacune des propriétés métaboliques et
sents dans toutes les membranes excitables. Ils permettent
contractiles distinctes. Elles sont caractérisées par une
la repolarisation, voire l’hyperpolarisation membranaire qui
sensibilité et une réactivité différentes aux hormones cir-
met fin à la phase d’excitation cellulaire. Certaines molé-
culantes. La régulation du métabolisme énergétique et
cules comme les dendrotoxines et les kaliotoxines ainsi que
protéique des fibres musculaires est assurée par plusieurs
l’amifampridine bloquent les canaux potassiques voltage-
médiateurs et hormones agissant soit sur des récepteurs
dépendants pré-synaptiques, ce qui est à l’origine d’une
exprimés à leur surface (récepteurs de l’hormone de crois-
forte dépolarisation de la membrane myocytaire [13—15].
sance (GH), de l’insuline et des somatomédines (IGF)), soit
La perturbation de la perméabilité membranaire au
en induisant la production d’autres hormones et facteurs de
sodium et au potassium induite par les molécules citées
croissance qui eux vont agir sur les fibres musculaires.
ci-dessus, influence l’activité de la pompe électrogénique
Au niveau tissulaire, la GH exerce des effets anabolisants.
Na+ /K+ , responsable de la propagation du potentiel d’action.
Elle induit la protéosynthèse en agissant directement sur des
La modification de son activité conduit à des changements
récepteurs spécifiques et en stimulant la sécrétion hépa-
dans l’excitabilité cellulaire et la contractilité musculaire.
tique des IGFs (insulin-like growth factors). Ces derniers
Canaux calciques voltage-dépendants de type P sont impliqués dans le métabolisme protéique des fibres
En se propageant dans les terminaisons axonales, le poten- musculaires (induction de la protéosynthèse et inhibition de
tiel d’action produit la libération des neurotransmetteurs la protéolyse ubiquitine-protéasome dépendante) en agis-
par exocytose. Ce processus est déclenché par une élé- sant sur des récepteurs spécifiques, IGF-1R et IGF-2R. Leurs
vation du calcium intracellulaire résultant de l’ouverture effets sont atténués par les IGFBPs (insulin-like growth fac-
des canaux calciques voltage-dépendants de type P. L’␻- tor binding proteins) qui diminuent leur biodisponibilité.
agatoxine IVA, une biomolécule isolée à partir du venin des L’insuline est une hormone peptidique produite par les
araignées du genre Agelenopsis, est un inhibiteur de ces cellules ␤ des îlots de Langerhans pancréatiques. En plus de
canaux réduisant de ce fait la libération des vésicules conte- ses effets dans la régulation de la glycémie, elle exerce une
nant l’Ach et ainsi la transmission du potentiel d’action aux action anabolisante sur les fibres musculaires (inhibition des
fibres musculaires [16]. De rares cas d’envenimation par les voies protéolytiques ubiquitine-dépendantes) ainsi qu’une
espèces productrices de cette toxine ont été rapportés. Les fonction modulatrice sur les protéines de transport de l’IGF-
signes cliniques présentés par l’un des patients étaient une 1.
rigidité au niveau de la nuque et une tuméfaction du pharynx Certains xénobiotiques agissent sur les muscles striés par
suivies par des myalgies et des troubles digestifs [17]. l’intermédiaire de ces facteurs et hormones anabolisants.
Les glucocorticoïdes (GCs) et l’alcool éthylique inhibent
Actions lésionnelles sur le système nerveux la production de l’IGF-1 par le foie et les muscles. L’IGF-
1 étant un stimulateur du développement musculaire par
central et périphérique la synthèse protéique et la myogenèse. L’alcool éthylique
Certains toxiques provoquent des dommages au niveau du peut agir indirectement sur l’IGF-1 en diminuant les concen-
système nerveux central et périphérique affectant plusieurs trations plasmatiques de la GH. De plus, il augmente la
types de neurones notamment ceux de la voie pyramidale concentration plasmatique de l’IGFBP limitant ainsi sa bio-
et extrapyramidale à l’origine de signes neuromusculaires disponibilité. Une autre cible pour l’alcool éthylique a été
assez particuliers. Les agents les plus représentatifs sont : identifiée. Il s’agit des acides aminés branchés et plus préci-
• le monoxyde de carbone (CO) : en cas d’une exposition sément de la leucine impliquée dans la synthèse protéique.
importante à l’origine de lésions cérébrales, on peut ren- La leucine et l’IGF stimulent les capacités de phosphory-
contrer une akinésie, une aphasie et une apraxie ; lation de la mTOR. La phosphorylation exercée par cette
• l’arsenic : en cas d’une exposition chronique, on peut dernière sur la protéine de transport de l’eIF4E (4E-BP1) et la
observer une polynévrite sensitivomotrice douloureuse kinase ribosomique S6 (S6K-1) se retrouve ainsi diminuée par
symétrique et ascendante et des paralysies flasques ; l’action des GCs sur l’IGF-1 et l’action de l’alcool éthylique
280 A. Khelfi et al.

sur la GH, l’IGFBP et la leucine. Il s’ensuit une diminution production d’auto-anticorps anti-composants musculaires.
de la phosphorylation de la protéine ribosomique S6, un des L’un des exemples les plus cités est celui de la
composants de la sous-unité 40S du ribosome. d-pénicillamine qui est un immuno-modulateur antirhuma-
Comme la forme déphosphorylée de la 4E-BP1 est un tismal, utilisé également en cas d’intoxication aux métaux
répresseur de la traduction, elle entraîne la transformation lourds. Chez certains patients traités par cette molécule,
du complexe actif de l’eIF4E « eIF4E-eIF4G » en un complexe des anticorps anti-Jo-1 spécifiques des polymyosites idiopa-
inactif eIF4E-4EBP1. La diminution de la disponibilité de thiques (anticorps dirigés contre l’histidyl-t-RNA synthétase)
l’eIF4E produit une altération de la fonction de l’eIF4F. Ce ont été mis en évidence [23]. En outre, une myasthénie à
dernier étant un médiateur important dans la fixation de composante auto-immune a été décrite suite à son utilisa-
l’extrémité 5’ de l’ARNm sur le complexe de pré-initiation tion et des anticorps anti-récepteurs cholinergiques ont été
de la 43S, il en résulte un blocage de la traduction des pro- retrouvés chez certains patients [24—26].
téines par les GCs et l’alcool éthylique au niveau des fibres Enfin, des cas de myasthénie gravis avec la présence
musculaires. d’anticorps anti-récepteur d’Ach ont été décrits suite à un
Par ailleurs, l’étude de Blanco et al. a montré que traitement à base d’interféron-␣ [27—30].
l’exposition des fœtus de babouins aux GCs altère la voie de
signalisation de l’insuline dans les muscles d’une manière Mécanisme immuno-allergique
dépendante du stade de gestation [18].
L’exemple le plus cité dans les myopathies à caractère
L’activation de l’axe hypothalamo-surrénalien augmen-
immuno-allergique est celui de la myofasciite à macro-
tant la sécrétion des GCs catabolisants et l’induction d’un
phages (MFM). C’est une maladie chronique dont l’origine
état insulino-résistant conduisant à la diminution de la
serait l’administration de vaccins contenant l’hydroxyde
synthèse protéique constituent d’autres mécanismes par
d’aluminium, un adjuvant améliorant la réponse immuni-
lesquels l’alcool éthylique peut agir sur les muscles sque-
taire aux antigènes et aux allergènes. Toutes les personnes
lettiques.
vaccinées ne développent pas la MFM et la prédisposition
D’autres agents physiques (radiations) et chimiques
individuelle est souvent évoquée comme étant le facteur
(propylthiouracil et carbimazole) peuvent induire une myo-
jouant le rôle majeur dans l’apparition de cette pathologie.
toxicité en générant un état d’hypothyroïdie à l’origine
Cette hypothèse est soulignée par plusieurs observations :
d’une myopathie dite hypothyroïdienne. La physiopatho- • une MFM familiale : fils-mère et jumeaux homozygotes ;
logie de cette maladie n’est pas complètement élucidée • un contexte auto-immun et des associations patholo-
mais semble impliquée l’expression du proto-oncogène c-
giques ;
erb-A qui n’est autre que le gène codant pour le récepteur • un haplotype HLA II particulier (HLA-DRB1*01).
nucléaire de l’HT3.
Les patients atteints par la MFM se plaignent de myal-
Action sur le système immunitaire gies diffuses associées à une arthralgie et une fatigabilité
au moindre effort. Chez certains d’entre eux, les bilans bio-
C’est un mécanisme qui, dans la plupart des cas, met logiques ont révélé des taux élevés en CK sériques. Le délai
en jeu la notion de terrain et s’accompagne parfois par entre la vaccination et l’apparition des premiers signes cli-
des réactions d’hypersensibilité. Contrairement aux autres niques et biologiques serait d’environ 1 mois à 6 ans [31,32].
effets toxiques, les réactions immunitaires peuvent persis- Cette pathologie est caractérisée par des modifications tis-
ter même après l’arrêt de l’exposition à l’agent inducteur sulaires typiques au niveau des sites de vaccination. Il s’agit
et un traitement immunosuppresseur est souvent nécessaire de la présence de macrophages à contenu granulaire, PAS
dans la prise en charge des patients. (Periodic Acid Schiff) positifs dans l’épimysium, le périmy-
sium et l’endomysium périfasciculaire alors que les fibres
musculaires demeurent relativement intactes. Ces macro-
Mécanisme auto-immun phages contiennent de nombreuses inclusions spiculaires
Le mécanisme auto-immun est rarement évoqué dans les et éparses, cytoplasmiques ou intralysosomales, correspon-
myopathies toxiques et la relation cause à effet est souvent dant aux cristaux d’hydroxyde d’aluminium [31]. À côté des
insuffisante pour parler d’une auto-immunité induite par macrophages, des lymphocytes, majoritairement CD8+ , sont
les xénobiotiques et dirigée contre les tissus musculaires. présents en quantités variables formant parfois des folli-
À titre d’exemple, des myopathies auto-immunes avec la cules lymphoïdes [33].
présence d’anticorps anti-HMG-CoA réductase ont été mises Des études se sont intéressées au devenir et à la ciné-
en évidence chez quelques patients entamant un traite- tique de l’aluminium d’origine vaccinale dans les modèles
ment à base de statines [19]. Des études ont montré que animaux et sa translocation via les macrophages du muscle
ces molécules sont des régulateurs positifs de l’expression vers les organes les plus éloignés comme le cerveau [34—37].
du CMH-I et de la présentation antigénique par les cellules Certains auteurs suggèrent que les particules d’aluminium
musculaires [20,21]. Néanmoins, la première cohorte euro- sont rapidement absorbées par phagocytose dans le muscle
péenne portant sur ces pathologies a précisé le fait que ces et se disséminent ensuite dans l’ensemble du corps y compris
auto-anticorps sont également retrouvés chez des sujets non le cerveau. Leur accumulation progressive serait à l’origine
exposés aux statines [22]. d’une neurotoxicité tardive avec des répercussions sur les
Pour d’autres molécules, le nombre faible des études fonctions motrices. La biopersistance de ces particules
portant sur leur capacité à induire des myopathies auto- serait liée à leurs effets perturbateurs sur la fonction lyso-
immunes et les observations faites sur des cas isolés font somale, dus probablement à la rupture des membranes
qu’il est difficile de juger leur pouvoir inducteur dans la phagolysosomales [38].
Mécanismes d’action indirects et mixtes mis en jeu dans les myopathies toxiques 281

Selon certains auteurs, les sels d’aluminium, par leur syndrome de l’huile toxique. Les examens histopatholo-
capacité à stimuler l’immunité en absence d’antigène et à giques ont révélé chez les victimes des périmyosites, des
agir comme des antigènes à part entière, peuvent engen- périvascularites et des fibroses musculaires [39].
drer cette pathologie. Les mêmes auteurs pensent que
les vaccins aluminiques peuvent sensibiliser l’organisme Syndrome éosinophilie-myalgie
à de futures expositions à l’aluminium. Les manifesta- Le syndrome éosinophilie-myalgie a été décrit pour la pre-
tions pouvant surgir suite à cette sensibilité seraient aussi mière fois en 1989 chez trois patientes américaines qui
diverses que les multiples façons dont les sujets prédispo- ont présenté des signes cliniques inexpliqués de type fai-
sés sont exposés à l’aluminium au quotidien. Une nouvelle blesse musculaire proximale, myalgies sévères ainsi qu’une
exposition à l’adjuvent aluminique va non seulement amé- induration et une contracture du fascia. Les bilans bio-
liorer l’antigénicité de l’aluminium, mais aussi stimuler logiques ont révélé des taux normaux en CK sériques
encore plus la réponse immunitaire contre toutes les alors que ceux de l’aldolase sérique étaient élevés. Une
réserves d’aluminium dans l’organisme. En plus, l’exposition éosinophilie sanguine a été constatée et c’est à par-
quotidienne et répétée à ce métal va amplifier cette tir de là que la pathologie a été appelée « syndrome
réponse immunitaire et aggraver les lésions tissulaires éosinophilie-myalgie ». Les biopsies musculaires ont révélé
préexistantes. L’une des solutions proposée afin de lut- des infiltrats inflammatoires interstitiels et périvasculaires
ter contre les complications de cette pathologie est de avec une prédominance des éosinophiles [40—42]. Par la
réduire l’exposition quotidienne aux sources contenant suite, de nombreuses personnes ont présenté les mêmes
l’aluminium [33]. traits cliniques et biologiques de ce syndrome. L’origine
était la consommation du L-tryptophane comme complé-
Mécanismes inconnus impliquant le système ment alimentaire produit par les laboratoires japonais
immunitaire Showa Denko [43]. Quelques hypothèses ont été avan-
cées mettant en exergue l’implication du L-tryptophane
Certaines myopathies décrites en littérature sont restées un et ses impuretés aldéhydiques dans l’induction de cette
mystère à cause du retrait des produits mis en cause et de la myopathie [44,45].
disparition des cas d’intoxication. L’implication du système
immunitaire dans ces pathologies a été évoquée suite à la
réalisation des bilans biologiques et des analyses histopatho- Action sur l’équilibre hydroélectrolytique
logiques qui relevaient la présence notable des éosinophiles
au niveau sanguin et tissulaire. Les exemples témoignant Les troubles de l’équilibre hydroélectrolytique font partie
d’une telle situation sont le syndrome de l’huile toxique des anomalies qui peuvent être générées par un certain
et le syndrome éosinophilie-myalgie. Ils sont d’origine nombre de xénobiotiques au cours des myopathies toxiques.
alimentaire et représentent des exemples classiques des Certes leur installation est insidieuse et leur progression est
myopathies endémiques. lente mais quand elles sont profondes, elles engendrent de
lourdes conséquences. Les troubles hydroélectrolytiques à
Syndrome de l’huile toxique l’origine des myopathies toxiques concernent essentielle-
En 1981, le scandale de l’huile frelatée a fait en Espagne ment le potassium, les phosphates et le calcium.
plus de 20 000 victimes et environ 300 morts peu de temps Presque la totalité du potassium corporel est locali-
après une intoxication alimentaire massive. L’origine de sée dans les cellules musculaires. Il intervient dans tous
cette catastrophe était la consommation de l’huile de colza les phénomènes électriques qui se déroulent au niveau
dénaturée vendue frauduleusement comme étant de l’huile des membranes myocytaires. Par conséquent, les états
d’olive. L’ensemble des signes présentés par les patients d’hypokaliémie se manifestent essentiellement au niveau
portait le nom du « syndrome de l’huile toxique ». Ce syn- musculaire. Les signes les plus évoqués sont des myalgies
drome évolue en trois phases [39] : et des faiblesses musculaires qui peuvent aller, en cas d’une
• une phase initiale avec pneumopathie fébrile, troubles hypokaliémie profonde, vers une paralysie des muscles res-
digestifs, rash et hyperéosinophilie pouvant entraîner la piratoires. Certains xénobiotiques peuvent générer des états
mort ; d’hypokaliémie plus ou moins profonds suite à des exposi-
• un à trois mois plus tard, une phase intermédiaire tions à moyen ou à long terme :
apparaît, caractérisée par des myalgies intenses, une • les diurétiques thiazidiques, par leur action inhibitrice
hyperéosinophilie persistante et des complications throm- sur les co-transporteurs Na+ /Cl− situés au niveau du
boemboliques ; tube contourné distal, augmentent l’excrétion urinaire
• une phase tardive qui commence à partir du troi- du sodium et des chlorures et, par un mécanisme équi-
sième mois. Une phase chronique s’installe chez certains librant les charges, augmentent l’excrétion du potassium
patients et se manifeste par une sclérose cutanée asso- qui peut engendrer un état d’hypokaliémie avec une myal-
ciée à un syndrome neuromusculaire (faiblesse musculaire gie et une faiblesse musculaire profonde ;
et paralysie voire quadriplégie), une atrophie musculaire • l’utilisation prolongée des laxatifs peut engendrer une
et des myalgies persistantes. hypokaliémie et une faiblesse musculaire consécutive
dues à une perte importante du potassium dans les fèces.
Toutefois, l’agent étiologique n’a jamais été identifié. La Ces signes se rétablissent en cas d’une restitution du
toxicité de l’aniline et ses dérivés, incriminés à l’époque potassium sanguin ;
et considérés comme agents dénaturants, se manifeste • l’intoxication chronique au toluène est souvent associée à
par des signes cliniques différents de ceux décrits dans le une hypokaliémie et une hypophosphatémie secondaires
282 A. Khelfi et al.

à une acidose tubulaire rénale se manifestant par une Action sur les vitamines
myasthénie et des tremblements ;
• l’acide glycyrrhizique est un hétéroside extrait de la Action sur la vitamine D
réglisse. Il exerce un effet inhibiteur sur la 11␤-
La vitamine D est l’un des métabolites les plus importants du
hydroxystéroïde déshydrogénase surrénalienne. Cette
cholestérol. Elle est produite au niveau de la peau lorsque le
enzyme transforme le cortisol en cortisone afin de
7-déhydrocholestérol est converti par les rayons ultraviolets
libérer l’action régulatrice de l’aldostérone sur son récep-
en vitamine D3. Cliniquement, la déficience en vitamine D
teur dans la réabsorption du sodium (récepteur des
provoque des faiblesses et des douleurs musculaires géné-
minéralocorticoïdes). L’intoxication chronique par l’acide
ralisées avec une diminution de la force musculaire [49].
glycyrrhizique conduit à un excès de cortisol produisant,
L’effet des agents exogènes sur le métabolisme de la
de ce fait, un effet minéralocorticoïde avec une hypoka-
vitamine D et ses conséquences sur les fonctions muscu-
liémie et une toxicité musculaire conséquente ;
laires n’ont pas fait l’objet de plusieurs travaux. Une étude
• certains GCs sont capables de baisser la kaliémie et de
transversale faite sur des patients traités par les statines
provoquer une faiblesse musculaire proximale consécu-
a montré que les faibles niveaux en vitamine D circulante
tive. De telles perturbations ne sont observées qu’avec
notés chez certains d’entre eux sont associés à une augmen-
les GCs dotés d’une activité minéralocorticoïde élevée.
tation des plaintes impliquant les muscles squelettiques et
Néanmoins, la déplétion du potassium corporel n’est pas
en particulier les myalgies. Ces observations suggèrent un
la perturbation majeure dans le déclenchement des myo-
lien de cause à effet entre l’exposition aux statines et la
pathies cortisoniques.
déficience en vitamine D qui aurait des répercussions sur le
Par ailleurs, l’ingestion excessive d’antiacides et les per- fonctionnement des muscles squelettiques [50]. Toutefois,
fusions de solutions glucosées isotoniques à long terme le rôle de la vitamine D dans l’apparition des signes mus-
peuvent provoquer une hypophosphatémie sévère se mani- culaires durant un traitement à base de statines n’est pas
festant par une neuromyopathie douloureuse. encore étudié et d’autres travaux sur de plus grandes popu-
La perturbation de l’homéostasie calcique systé- lations sont nécessaires afin d’expliquer les observations
mique constitue un autre mécanisme par lequel certains cliniques.
toxiques, comme le fluor, agissent indirectement sur
les fibres musculaires (liaison du fluor avec le calcium Action sur la vitamine B1
sanguin). En effet, en cas d’une exposition chronique La vitamine B1 (thiamine) est une substance d’origine
au fluor, ce dernier réalise une hypocalcémie qui alimentaire jouant plusieurs fonctions importantes dans
déclenche des perturbations neuromusculaires se tradui- l’organisme. Une fois assimilée, elle est transformée dans
sant cliniquement par des tremblements et même des le foie, les muscles et le système nerveux en thiamine
crises de tétanie. Dans les cas avancés, une libération pyrophosphate, une coenzyme importante pour certaines
secondaire du calcium osseux se produit et entraîne, déshydrogénases du cycle de Krebs. Du fait de son rôle
lorsqu’elle est importante, une calcification des tissus majeur dans la production de l’énergie à partir des sucres,
mous [46]. elle est indispensable au bon fonctionnement du système
Enfin, les injections intraveineuses de doses très élevées nerveux et des muscles. Elle participe également à la dégra-
en sels de potassium, de sodium ou de calcium provoquent dation métabolique de l’alcool éthylique. La consommation
des dysfonctionnements musculaires qui se manifestent chronique et excessive de l’alcool éthylique peut engendrer
essentiellement au niveau cardiaque. une déficience en cette vitamine par la demande métabo-
lique importante (utilisation importante de cette vitamine
Action sur l’oxygène sanguin dans la biotransformation de l’alcool éthylique et son recru-
tement dans le cycle de Krebs à cause de la surproduction
Les besoins des muscles en oxygène sont importants des acétates d’origine alcoolique) et la perturbation de
(1,1—3,5 ml d’O2 /litre de tissu/min) [47]. Ils représentent l’absorption gastro-intestinale de cette vitamine (diminu-
l’un des facteurs de vulnérabilité de cet organe vis- tion de l’expression de deux transporteurs de la vitamine
à-vis de certains toxiques gazeux. L’exemple typique B1 liée à la consommation de l’alcool éthylique). Suite
est celui du CO qui a une affinité importante pour à cette déficience, des lésions cérébrales s’installent à
les sites biologiques contenant le fer et le cuivre. l’origine du syndrome de Wernicke-Korsakoff. Ce dernier
Parmi eux figure l’hémoglobine qui constitue le site comporte des signes neuropsychiques associés à des troubles
de fixation majeur pour cet oxyde organique. Elle neuromusculaires de types ataxie, ophtalmoplégie, paraly-
présente une affinité 250 fois plus importante pour sie oculaire, diplopie, nystagmus et dysarthrie [51].
le CO par rapport à l’oxygène. Le CO forme avec
l’hémoglobine la carboxyhémoglobine incapable de trans- Action ischémique
porter l’oxygène vers les tissus, ce qui est à l’origine
d’une hypoxie musculaire. De plus, la fixation du CO Les atteintes par ischémie musculaire résultent de
sur l’une des sous-unités de l’hémoglobine augmente l’ensemble des mécanismes produisant une diminution de
l’affinité de cette dernière pour l’oxygène et diminue, l’apport sanguin aux muscles. L’ischémie crée essentielle-
par conséquent, sa capacité à le libérer vers les tis- ment une hypoxie tissulaire et une perturbation voire un
sus, ce qui aggrave l’hypoxie musculaire et crée un arrêt des fonctions musculaires. Lorsqu’elle est profonde,
environnement anaérobique à l’origine d’une souffrance elle peut engendrer une rhabdomyolyse avec une nécrose
cellulaire [48]. musculaire extensive. Les étiologies sont multiples mais
Mécanismes d’action indirects et mixtes mis en jeu dans les myopathies toxiques 283

celles induites par les xénobiotiques sont les plus sévères. musculaires multiples et sévères rendant la prise en charge
Les agents inducteurs sont de différentes origines mais les des personnes atteintes difficile. Les exemples typiques sont
plus évoqués sont les toxines des venins de vipère et certains ceux :
médicaments comme l’acide ␧ aminocaproïque. • du CO qui, en plus de ces effets indirects sur le muscle,
Les envenimations vipérines associent une forte action agit directement sur la cytochrome C oxydase et de la
locale, inflammatoire et nécrosante, et une symptomatolo- myoglobine, deux composants importants pour le fonc-
gie hématologique complexe se traduisant par un syndrome tionnement des myocytes ;
hémorragique à l’origine d’une ischémie locale mettant • des GCs qui sont connus pour leurs effets endocriniens
en jeu le pronostic vital des victimes. Ce syndrome est et hydroélectrolytiques ainsi que leurs effets directs
principalement lié à la défibrination, associée ou non aux sur les muscles et à différentes échelles (inhibition de
troubles induits par les hémorragines du venin et les toxines la protéosynthèse, activation de la protéolyse, induc-
à tropisme plaquettaire. Ces perturbations traduisent une tion de dysfonctionnements mitochondriaux, inhibition de
coagulopathie profonde avec des taux de fibrinogène qui la myogenèse, perturbation de l’homéostasie lipidique
s’effondrent rapidement et parfois, un abaissement pro- intramyocytaire, augmentation du nombre des adipocytes
gressif des autres facteurs de coagulation. Les SVMPs et de la masse graisseuse dans les tissus musculaires) ;
(snake venom metalloproteases) présentent en quantités • de l’alcool éthylique qui affecte non seulement les
importantes dans le venin de certaines vipères détruisent systèmes contrôlant et alimentant les muscles, mais
rapidement la matrice extracellulaire en contact avec la aussi déclenche un certain nombre de perturbations
paroi vasculaire, ce qui aggrave les hémorragies observées au sein même de la fibre musculaire. Les troubles
[52]. Quand l’hémorragie est importante, elle empêche le d’équilibre oxydatif, d’homéostasie calcique, les per-
muscle d’être correctement alimenté en nutriments et en turbations de signalisation, de protéosynthèse et de
oxygène et entraîne sa nécrose. protéolyse et l’induction de l’apoptose et de l’autophagie
L’acide ␧ aminocaproïque est une substance dont des fibres musculaires sont les principaux processus évo-
l’utilisation est souvent limitée aux hémorragies difficiles qués, menant aux lésions musculaires observées.
à juguler, notamment subarachnoïdiennes. Elle s’oppose
à la fibrinolyse en inhibant l’activation du plasminogène. Par ailleurs, il existe des circonstances particulières
Son administration peut provoquer une myopathie qui peut qui font que l’organisme soit exposé à plusieurs agents
s’avérer extrêmement grave. Les mécanismes d’action pro- myotoxiques en même temps. Les envenimations vipérines
posés sont liés aux conditions ischémiques qui s’installent témoignent d’une telle situation. En effet, le venin des
suite à l’accumulation de la fibrine dans la circulation san- vipères contient un mélange complexe de myotoxines agis-
guine et à l’occlusion consécutive des capillaires sanguins. sant par différents mécanismes et réalisant de multiples
Enfin, certains médicaments injectés par voie intramus- atteintes musculaires qui engagent le pronostic vital des vic-
culaire (pénicillines, antihistaminiques, GCs et diclofénac) times. Sans oublier le fait que certaines toxines du venin,
peuvent provoquer un vasospame ou un embolisme qui se comme les PLA2 , peuvent exercer des effets directs et indi-
présentent sous forme d’une nécrose cutanée et musculaire rects simultanément [54].
ischémique portant le nom du syndrome de Nicolau.

Action sur les structures adjacentes


Conclusion
Les tendons sont des structures anatomiques liées aux
muscles et fixées sur des parties du squelette. Ils présentent Les myopathies toxiques regroupent un ensemble de patho-
une forte résistance due à leur structure en faisceaux à base logies de sévérités différentes. Elles comptent parmi les
de fibres de collagène. Avec les muscles, ils forment une causes fréquentes des atteintes musculaires. Elles sont très
composante dynamique qui permet l’exécution des mouve- hétérogènes quant à la diversité des agents inducteurs, les
ments du corps humain. Certains antibiotiques, notamment mécanismes d’action mis en jeu et les altérations mus-
les fluoroquinolones, peuvent être à l’origine d’une alté- culaires engendrées. Le nombre de substances supposées
ration de l’organisation structurale des tendons. La rupture induire les myopathies toxiques augmente au fil des années
des tendons, provoquée par la ciprofloxacine, serait la résul- et par conséquent, une attention toute particulière doit être
tante d’une induction des MMPs (métalloprotéinases de accordée aux sources d’exposition qui peuvent être alimen-
la matrice extracellulaire) qui détruiraient la microstruc- taires, professionnelles, domestiques ou iatrogènes. Outre
ture protéique des tendons. Ces structures représentent les substances thérapeutiques, plusieurs agents environne-
également une cible pour les radiations. En effet, ces der- mentaux provoquent des myopathies d’évolution rapide.
nières peuvent induire chez certains patients une fibrose Certaines formes sont extrêmement sévères, notamment
des tendons et des ligaments conduisant à la perte de leur celles qui évoluent vers une rhabdomyolyse ou une paralysie
élasticité, ce qui a pour conséquence une difficulté dans des muscles respiratoires.
l’exécution des mouvements musculaires [53]. Bien que le potentiel de certaines molécules à provoquer
des atteintes musculaires soit bien établi, d’autres sub-
stances ont été signalées dans des cas isolés de littérature.
Mécanismes d’action mixtes Par conséquent, des études approfondies sont nécessaires
afin d’élucider les processus physiopathologiques qu’elles
Certains toxiques agissent à la fois par des mécanismes induisent et d’en savoir les moyens thérapeutiques qui
directs et indirects. Une telle action produit des lésions peuvent être employés.
284 A. Khelfi et al.

Globalement, les agents myotoxiques exercent leurs [2] Isbister GK, Buckley NA, Whyte IM. Serotonin toxicity: a
effets à travers différents mécanismes en agissant direc- practical approach to diagnosis and treatment. Med J Aust
tement sur les fibres musculaires et/ou en perturbant les 2007;187(6):361—5.
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Il est évident, d’après les données présentées ici, que les consciousness. Princ Neural Sci 2000;4:896.
agents myotoxiques peuvent déclencher des mécanismes [5] Beasley Jr CM, Masica DN, Heiligenstein JH, Wheadon DE, Zerbe
remarquablement similaires et inversement, un même agent RL. Possible monoamine oxidase inhibitor-serotonin uptake
peut donner lieu à plus d’un type d’effets. inhibitor interaction: fluoxetine clinical data and preclinical
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dans les myopathies toxiques serait d’un grand apport dans [8] Buckley PF, Hutchinson M. Neuroleptic malignant syndrome. J
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• différentes perturbations structurales et fonction- for the treatment of Lambert-Eaton myasthenic syndrome.
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• différents médiateurs sont impliqués (neurotrans- [18] Blanco CL, Moreira AG, McGill-Vargas LL, Anzueto DG, Natha-
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