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23/1/23, 22:39 Culture enfantine et règles de vie

Terrain
Anthropologie & sciences humaines

40 | 2003
Enfant et apprentissage
Enfant et apprentissage

Culture enfantine et règles de vie


Jeux et enjeux de la cour de récréation

Julie Delalande
p. 99-114
https://doi.org/10.4000/terrain.1555

Résumés
Français English
Apprendre est une nécessité pour devenir un adulte compétent. Au jour le jour, chaque enfant doit
acquérir et maîtriser un savoir enfantin pour s’intégrer au groupe de ses pairs. L’observation de
cours de récréation, à l’école maternelle et élémentaire, laisse apparaître une culture enfantine,
ensemble de savoirs et savoir-faire, qui s’apprend au sein du groupe d’âge grâce à une complicité
permettant l’initiation.Cet apprentissage de savoirs ludiques et de règles entre pairs est vécu dans
une égalité de statut, loin de toute intention éducative, fournissant aux enfants l’occasion de
s’approprier les enjeux sociaux et culturels propres à toute vie collective.

Children’s culture and the rules of life: Learning the rules on the school playground
Learning is necessary in order to become a competent adult. From day to day, each child has to
acquire and control knowledge so as to become part of the peer group. Observing playgrounds in
kindergartens and primary schools gives us a glimpse of a “children’s culture”, a set of knowledge
and know-how learned within the age-group via an initiation based on mutual understanding. The
experience of learning play and rules among age-mates is grounded in an equality of status, far from
any intention to educate. It provides children with the opportunity to appropriate what is socially
and culturally important for participation in a group.

Entrées d’index
Thème : culture, enfance
Mot-clé : apprentissage, cours de récréation, culture enfantine, savoirs ludiques
Keyword: children’s culture, France, knowledge of play, learning, playground

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23/1/23, 22:39 Culture enfantine et règles de vie

Texte intégral
1 Apprendre  : voilà bien le mot que nous associons spontanément à celui d’enfance.
L’activité d’apprendre serait au centre de son quotidien et de ses préoccupations. Le plus
souvent, le fait d’apprentissage est envisagé du point de vue de l’adulte  : comment
enseigne-t-on aux enfants  ? Pourtant, l’autre approche est également objet d’intérêt  :
comment les enfants apprennent-ils  ? Dans les deux cas, on pense d’abord aux
enseignements donnés par les adultes, les maîtres et par la famille. Mais qu’en est-il des
apprentissages entre enfants  ? Quels sont les savoirs enfantins qui méritent d’être
transmis de leur point de vue et comment se fait leur apprentissage  ? Cet article veut
montrer le lien intime existant entre ces savoirs et les compétences sociales nécessaires à
leur valorisation et à leur diffusion. Il présente non seulement les modes d’apprentissage
des jeux, mais aussi ceux des règles sociales insufflées par les adultes et que les enfants
s’approprient entre pairs. Ainsi apparaît le rôle primordial des relations entre enfants dans
le processus éducatif.
2 La réflexion qui suit s’ajoute à sept années de recherche et d’observation dans les cours
de récréation, pendant lesquelles j’ai exploré le large champ des dimensions sociales et
culturelles des relations entre enfants 1. Cette étude m’amène à considérer le savoir moins
comme un moyen de devenir un adulte compétent que comme une nécessité pour
s’intégrer au groupe de pairs. De l’un à l’autre, ce qui change est bien le point de vue  :
s’intéresser à l’apprentissage non pas de notre point de vue, voyant en l’enfant l’adulte en
devenir, mais de celui de l’enfant qui vit la maîtrise d’un savoir au présent, et comprend à
chaque instant ce qu’elle lui apporte techniquement et socialement, auprès des adultes et
des pairs.

Les enfants détenteurs d’un savoir


3 L’idée d’un savoir enfantin est largement admise par les anthropologues. Et pour cause :
dès le xixe siècle, les folkloristes français se sont appliqués à fixer celui-ci pour en
conserver la mémoire. En 1883, le folkloriste Eugène Rolland publiait Rimes et Jeux de
l’enfance qui, mis à part un court avant-propos, se compose de formulettes 2 recueillies en
diverses régions de France. Bien qu’il ne constitue qu’un inventaire, cet ouvrage témoigne
de l’existence d’un savoir enfantin qui se transmet d’une génération à l’autre, certaines
formulettes comme «  une poule sur un mur…  » étant toujours d’usage aujourd’hui. En
1931, Jean Baucomont, alors inspecteur de l’enseignement primaire, débute une enquête
auprès des instituteurs sur le «  folklore enfantin tout en entier  », souhaitant faire
connaître « plus intimement la vie profonde et le caractère des enfants ». Son travail n’est
malheureusement pas publié, mais on peut le consulter aux archives des ATP (Arts et
Traditions populaires) à Paris. Le souhait de Baucomont se trouve encore plus abouti dans
le travail d’Arnold Van Gennep (1943) qui dépasse l’approche habituelle des folkloristes.
Sa description de la société enfantine replace en effet les éléments de folklore dans les
enjeux sociaux qui les organisent, proposant une véritable étude ethnographique. Il écrit :
«  L’éducation de l’enfant, son instruction verbale et agie, se fait surtout par les autres
enfants, et sans qu’il s’en doute, par une contrainte morale et imitative. Il doit faire comme
les autres  : s’abstenir de “ce qui ne se fait pas”, se soumettre à un code d’honneur qui
oppose la société enfantine à celle des adultes, de la famille d’abord, puis des professeurs
de toute sorte » (1943 : 167). Son analyse pointe l’importance de l’entre-enfants dans les
apprentissages culturels et sociaux, ouvrant la voie à une anthropologie de l’enfance qui
malheureusement ne suivit pas.

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4 Du côté des Britanniques, les premiers écrits remarquables sur le savoir enfantin sont le
fait de I. & P. Opie, qui ont recueilli une importante somme de données sur les traditions
et langages des enfants à l’école (1959), et sur leurs jeux dans la rue et dans la cour de
récréation (1969). Après eux, une sociologie de l’enfance beaucoup mieux instituée qu’en
France a pu se développer.
5 Malgré ce travail des scientifiques, l’opinion commune considère le plus souvent que les
enfants ne savent que ce que les adultes leur ont appris. Les enfants eux-mêmes
connaissent bien la différence de statut entre eux et les adultes. Ils les perçoivent comme
ceux qui détiennent l’autorité et le savoir, ceux qui décident et enseignent. Par conséquent,
quand une ethnologue arrive dans la cour pour apprendre d’eux ce qu’ils y font, leur
étonnement prend parfois la forme d’une réticence  : «  Pourquoi tu fais ça  ? C’est pas la
peine.  » Mais, devant mes visites quotidiennes et mon obstination à noter toutes leurs
activités, ils finissent par accepter cette situation nouvelle.
6 Après plusieurs semaines d’observation, quand je demande en entretien à des enfants
de grande section de maternelle s’ils savent des choses que les adultes ne savent pas,
certains pensent à me citer les jeux. Le savoir ludique apparaît donc comme la partie la
plus évidente, et sans doute la plus reconnue des adultes, des savoirs enfantins. Ceux-ci
sont constitués des connaissances propres aux enfants ainsi que de celles transmises par
les adultes et qu’ils se réapproprient en les mettant à l’épreuve entre pairs. La suite
montrera comment. On peut énumérer les caractéristiques principales de ces savoirs
enfantins : il s’agit de savoirs oraux qui appartiennent à une classe d’âge et se transmettent
à l’intérieur de celle-ci – chaque jeu étant souvent associé à une période donnée de
l’enfance, jouer au papa et à la maman devient quand on grandit un jeu de bébé. Ces
savoirs n’ont guère d’utilité sans les savoir-faire qui les accompagnent, c’est-à-dire sans
l’expérience et les compétences techniques et souvent sociales qui permettent de les
valoriser auprès des pairs. Le lien entre apprentissages culturels et sociaux, tel qu’il sera
décrit ci-après, apparaît donc d’emblée.
7 Tous ces savoirs et les savoir-faire qui les accompagnent font partie d’une culture
enfantine, c’est-à-dire d’un ensemble de pratiques, de connaissances, de compétences et
de comportements qu’un enfant doit connaître et maîtriser pour intégrer le groupe de
pairs. Par exemple, les jeux de corde à sauter exigent une pratique et la maîtrise d’une
technique, de règles, d’un vocabulaire. La notion de culture enfantine, si elle peut paraître
excessive pour désigner les pratiques ludiques enfantines, s’inscrit dans une démarche
heuristique pour nommer ce que les enfants construisent à partir de ce que les adultes
mettent en place pour eux. Les jeux de corde ou ceux du sable débutent par un objet donné
aux enfants, par un marché du jouet, un aménagement de la cour. Puis les enfants se
saisissent de ces objets et élaborent des règles, donnent une dimension symbolique à leurs
jeux. Ils se constituent un savoir commun qu’ils se transmettent au fil des jours. De leur
point de vue, cette culture apparaît surtout comme une compétence. Mais elle participe
aussi à la construction d’une identité commune. C’est pourquoi elle peut se penser aussi
bien à l’échelle du groupe de pairs, tel que le proposent les sociologues américains William
A. Corsaro et Donna Eder 3, qu’à l’échelle d’un pays. En effet, l’idée d’un même patrimoine
ludique s’observe quand, dans un square ou dans un camping, des enfants qui ne se
connaissent pas se mettent à jouer ensemble, en ayant à peine besoin de s’accorder sur les
règles. Leur culture partagée passe également par des références aux programmes
télévisés, alimentant leurs discussions sur des vedettes admirées, de même que leurs jeux
impliquent le renvoi à des héros d’un dessin animé.
8 La culture enfantine se construit en étroite relation avec un état de maturité physique et
intellectuelle commun. Elle est, à l’échelle individuelle, évolutive, puisqu’elle change au fur
et à mesure qu’un enfant grandit  : il pratique d’autres jeux, il est mû par de nouvelles
préoccupations, il nourrit des représentations différentes de son environnement. On peut
encore lui associer le qualificatif de culture de passage, car en grandissant l’enfant la

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délaisse pour entrer dans l’adolescence puis dans l’âge adulte. Elle est une étape l’aidant à
passer dans le monde des adultes en assimilant entre pairs les structures de notre culture.
9 A l’échelle d’un pays, la culture enfantine se construit encore par le partage d’un même
statut d’enfant face à celui de l’adulte, qui les rend égaux face aux interdits, face au rôle de
l’adulte qui décide pour eux. Ensemble, ils partagent aussi le plaisir de se plonger dans ce
rôle de l’adulte, grâce à des jeux tels que celui de « papa et maman » qui, par l’imitation
d’une situation familiale dont ils s’inspirent, et dont ils construisent souvent un
stéréotype, leur permet de s’imprégner des rôles familiaux et des normes sociales qui
caractérisent notre culture. Ce jeu donne parfois l’occasion à des enfants originaires de
pays étrangers de s’approprier les normes culturelles de la famille française, en se
projetant dans le rôle du père classique ou de la mère modèle. L’observation montre en
effet que les familles étrangères, tout comme les familles monoparentales ou en état de
conflit, sont rarement mises en scène dans les jeux enfantins. Plus couramment, le jeu
amène ces enfants à s’accorder sur un portrait commun des rôles parentaux, bâti à partir
de leur environnement culturel : livres de classe et explications de l’enseignant, publicités
et films présentent un modèle à imiter de la famille française, voire occidentale. Parce
qu’ils produisent leur culture avec comme référence le monde des adultes, réel et
mythique, les enfants participent à sa reproduction.
10 On le voit, le concept de culture enfantine est central pour penser une anthropologie de
l’enfance, puisqu’il met le doigt sur la capacité des enfants à produire des éléments
culturels et de ce fait à participer à la culture globale. En ce sens, la culture enfantine n’est
en rien séparée de cette dernière. Mais elle n’apparaît au chercheur que s’il accepte de
s’intéresser aux enfants en dehors de leur relation aux adultes qui les éduquent, et s’il
considère l’enculturation et la socialisation qui s’opèrent entre enfants 4.
11 Au cours de mon terrain, j’ai pu fixer mon attention sur quelques activités que j’ai
retrouvées d’une école à l’autre, autour desquelles s’élaborent un vocabulaire et des
techniques spécifiques, empruntés aux générations précédentes et renouvelés par le
groupe de joueurs. Je prendrai par la suite pour exemple les jeux de sable à l’école
maternelle, le préjeu du plouf-plouf 5, qui à l’école élémentaire prend des formes
nouvelles, et les jeux de corde à sauter chez les filles de cette deuxième école.
12 Entre enfants, la maîtrise de techniques et de règles ludiques se révèle chaque jour
comme un des enjeux fondamentaux, permettant de se faire une place dans la cour. On
entend par exemple un enfant dire à un autre : « Toi tu joues pas, tu sais pas faire. » Ou,
en entretien en grande section de maternelle, une fille me dira à propos des jeux de sable :
« Les garçons y savent pas faire. » L’incompétence apparaît donc comme un obstacle pour
jouer avec d’autres.
13 Par conséquent, les savoirs enfantins et leur transmission au sein d’une classe d’âge ne
peuvent se comprendre sans présenter dans un premier temps le cadre social dont ils sont
intimement dépendants.

Apprendre pour faire partie des siens


14 La cour d’école n’est pas un lieu comme un autre et y être isolé est rapidement mal vécu.
Les enfants le comprennent dès la maternelle et mettent beaucoup d’énergie à s’intégrer
parmi leurs pairs. Ils expérimentent également le fait qu’en montrant leurs compétences
dans les jeux ils pourront espérer se faire accepter et conquérir une place dans un groupe
de copains. L’enjeu est donc de taille et la motivation pour apprendre est grande. Mais les
groupes constitués sont délicats à pénétrer et le manque de tact d’un camarade sert aussi
de prétexte pour l’empêcher de participer au jeu. Exclure un enfant est un moyen de
valoriser ceux qui ont le privilège d’en faire partie et de rendre le jeu plus attrayant encore
car difficile à maîtriser. Un enfant apprendra donc à user de différentes stratégies pour se

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faire accepter, telles qu’offrir un bien précieux au leader du groupe (une pelle pour un jeu
de sable, un bonbon en toute circonstance) ou se rendre utile dans un rôle un peu ingrat et
se plier aux exigences du chef, en attendant de pouvoir se valoriser davantage par ses
compétences sociales. L’apprentissage nécessaire à l’acceptation parmi les siens ne relève
pas que du domaine du ludique, il inclut aussi l’acquisition des règles élémentaires de
savoir-vivre reconnues par le groupe, que l’on décrira plus loin.
15 Le savoir et la maîtrise d’une technique permettent aux enfants de se différencier entre
eux, voire de se créer une hiérarchie. Au sein d’une bande, c’est le chef qui sait et décide à
quoi l’on joue et comment on y joue. Il possède en effet un savoir-faire sur lequel on
reviendra : l’habileté à diriger un groupe et à conduire un jeu, l’imagination nécessaire à la
dynamique du jeu et l’autorité permettant de donner à chacun son rôle et de le soumettre à
la règle commune qu’il a mise en place. S’il sait ne pas abuser de son pouvoir, il est
maintenu comme leader par ses acolytes qui profitent de son aura, de la paix qu’il instaure
et du plaisir ludique qu’il permet.
16 A l’échelle de la cour, ce sont les grands qui connaissent les règles des jeux tels que les
billes ou qui maîtrisent l’art de la baston. Pour éviter le danger qu’ils représentent par leur
supériorité physique, les plus jeunes doivent apprendre à leur abandonner les territoires
qu’ils occupent et à ne pas les gêner dans leurs jeux. Les plus habiles savent se faire des
alliés parmi leurs aînés, surtout quand ils y ont un frère ou un cousin, et servent ainsi de
relais entre le monde des grands et celui des petits, transmettant à leur groupe d’âge des
informations précieuses sur la règle d’un jeu, sur la façon de se comporter pour se faire
respecter.
17 Le savoir assure également une différenciation entre filles et garçons, puisque des jeux
tels que la corde à sauter sont désignés comme féminins et se pratiquent surtout entre
filles, alors que les jeux de billes ou de ballon se déroulent principalement entre garçons.
Des enfants du sexe opposé peuvent pourtant s’immiscer dans l’autre groupe, mais ils
doivent alors accepter d’être des participants de deuxième rang et d’être utilisés pour
occuper les moins bonnes places, sauf s’ils font preuve d’une maîtrise remarquable de la
technique mobilisée dans le jeu. Dans la bouche des enfants, la séparation des savoirs est
évidente.
18 En grande section de maternelle, je demande à Aurélia : « Est-ce que vous jouez avec les
garçons ? – Oui des fois y nous regardent à faire l’équilibre. »
19 Cindy, au CE2, me raconte les points d’avance que leur laissent les garçons quand elles
jouent avec eux au football : « Y sont chiants parce qu’à chaque fois y disent c’est nous qui
ont le plus de points. Parce que y a des équipes qui sont pas équilibrées, alors ceux qui
sont pas équilibrés y ont trois points de plus. Nous on sait même pas jouer alors… »
20 L’identité d’un groupe, et par conséquent de chaque enfant, se construit en partie autour
d’un savoir qu’il maîtrise et valorise, et qui lui permet de se différencier des autres. En
dernier lieu, le savoir enfantin – et plus largement la culture enfantine – donne une
identité commune à l’ensemble des enfants, puisqu’il apparaît comme un élément de
séparation entre eux et les adultes. Mais, alors que les premiers sont contraints de
posséder pour être reconnus comme membres de la communauté enfantine, les seconds
en sont exclus sans même chercher à la connaître.

Le savoir comme pouvoir : transmettre et


créer un lien
21 L’apprentissage d’un jeu commence souvent par l’observation. Il nécessite ensuite d’être
continué et renforcé par une pratique commune avec celui qui sait. Mais comment jouer
avec l’autre quand faire partie du groupe suppose déjà de posséder le savoir ? Ce dilemme

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se résout souvent en apprenant de nouveaux jeux avec ceux dont on est déjà l’ami ou avec
qui la relation est engagée. Le jeu commun permet ensuite d’approfondir le lien.
22 Au CE2, Yoan m’explique comment il apprend de nouveaux jeux  : «  En regardant les
autres, comme cache-cache, j’ai demandé “C’est quoi vot’jeu ?” et après j’ai demandé “Est-
ce que je peux jouer avec eux ?”, et y m’a dit oui. C’était des copains à moi dans l’école. » Je
pose la question à Marine, également au CE2, à propos de jeux de corde à sauter : « Je sais
pas. Par exemple y a quelqu’un qui nous avait montré en premier “Coca-cola” et après j’ai
vu et à force que je le vois faire et ba je sais maintenant. “La queue du chat” par exemple. »
23 Par l’imitation, on acquiert le geste et la technique, on assimile les règles ainsi que les
habitudes particulières du groupe qui joue. En acceptant le débutant, le groupe sait qu’il
s’engage à lui transmettre ses connaissances. C’est pourquoi l’initiation est d’autant plus
chaleureuse que ce don peut se faire entièrement. Ainsi, à propos des jeux de gymnastique
qui plus que d’autres appellent la solidarité pour s’encourager et s’aider dans un exercice
périlleux, Aurélia (au CE2) me raconte  : «  Parce que des fois ma copine Cindy elle m’a
appris à faire l’équilibre mieux, et puis après j’ai essayé sans le mur et puis j’y arrivais. »
24 Entre ami(e)s, la transmission devient un moment de complicité, semblable aux scènes
de confidences et de secrets partagés.
25 Dans les cours d’écoles maternelles se manifeste le rôle de l’imitation dans
l’apprentissage d’un jeu. On observe par exemple des scènes où un enfant commence à en
suivre un autre en train de marcher sur une bordure. Celui-ci le remarque et soit il le
repousse, soit il profite de ce pouvoir d’attraction et construit un circuit, transformant son
imitateur en suiveur docile et en compagnon de jeu. Connaître un jeu ou savoir en inventer
un et l’apprendre à l’autre participe donc d’une même dynamique dans laquelle un enfant
initie un pair qui, de ce fait, doit accepter ses conditions et suivre ses règles. Du moins
dans un premier temps, car si la relation se poursuit, les deux joueurs contribueront sans
doute l’un et l’autre à nourrir le jeu de nouvelles variantes, à la recherche d’un plus grand
plaisir ludique. Ainsi se transforme un jeu qui se perpétue parce qu’il se régénère.

La classe d’âge, espace de transmission


et d’appropriation
26 Si la transmission évoque un passage de savoir des aînés aux cadets, l’apprentissage des
jeux dans une cour d’école se fait pourtant en priorité entre enfants du même âge, puisque
les affinités qui permettent la relation d’apprentissage se développent entre ceux de la
même classe ou du même niveau.
27 Mais bien que les connaissances s’acquièrent et se diffusent dans la classe d’âge, l’idée
de pratiquer un jeu vient de l’observation des aînés. Cette transmission passive s’opère du
fait d’un espace partagé et d’une attirance des plus jeunes pour leurs aînés qu’ils regardent
et imitent, à l’école et ailleurs.
28 On remarque pourtant qu’à chaque âge correspond un jeu, comme si les enfants
attendaient d’entrer dans la classe supérieure pour s’approprier le jeu de leurs aînés. Ainsi,
dans un établissement où se côtoyaient les élèves de maternelle et ceux de l’école
élémentaire, les plus jeunes ne commençaient à jouer aux billes qu’en entrant au CP, alors
qu’ils voyaient depuis trois ans les plus grands le faire. Plusieurs éléments expliquent ce
phénomène. D’abord, la pression du collectif veut que l’on pratique les mêmes activités
que ses pairs les plus proches, par contagion mais aussi à cause d’un processus
d’engouement des enfants pour un jeu pendant une période donnée. Ainsi des camarades
de jeu vont-ils souvent pratiquer d’un jour à l’autre la même activité jusqu’à en devenir
« spécialistes », et, quand ils l’auront explorée sous tous ses angles et qu’ils la maîtriseront
au maximum de leurs capacités, ils l’abandonneront parce qu’elle sera dénuée de toute

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surprise, et ils se focaliseront sur une autre. Quelques mois plus tard, ils la reprendront
avec des idées neuves et des possibilités nouvelles, car ils auront grandi.
29 A l’échelle de la cour, on observe aussi des phénomènes de mode communs à toute une
cour, où pendant un mois les enfants de maternelle passeront beaucoup de leur temps à
des jeux de sable et de papa et maman, pendant que la cour d’école élémentaire sera
envahie de billes. Comme à l’intérieur du groupe de copains, l’explication tient en partie à
l’influence des leaders qui lancent l’activité, avant que la passion ne gagne toute la cour.
Mais les adultes jouent aussi leur rôle dans le processus  : les jeux de sable démarrent à
l’école maternelle quand, à l’arrivée du printemps, les enseignants décident de sortir le
matériel de plage. La période des jeux de billes qui s’installe peu après la rentrée des
classes est plus énigmatique, et d’autres chercheurs comme l’anthropologue Georges
Augustins (1988 et 2000) se sont déjà penchés sur ce mystère 6. Motivée en partie par des
raisons climatiques excluant certaines périodes du calendrier – l’hiver n’est pas propice à
l’immobilité dans une posture accroupie – elle s’explique parfois par l’arrivée dans les
magasins d’un nouveau type de bille qui relance la pratique. De même, la sortie des cordes
à sauter en plastique fluorescent avait-elle donné une nouvelle jeunesse à ce jeu ancestral.
Je m’entretiens avec Cindy, au CE2 : « C’est quand les Pogs ? – Ba, quand tout le monde
emmène des Pogs j’en emmène. – C’est à quelle saison ? – Ba c’est déjà passé. C’est quand
ça sort. Par exemple les billes quand c’est sorti y en avait plein. »
30 Comme l’écrit le sociologue Patrick Rayou (1999  : 91-92), les modes suivent ainsi les
opérations de marketing, et perdent de leur ampleur quand la pression publicitaire
décroît. Les jeux de la cour sont donc alimentés par de multiples sources extérieures : les
parents, les enseignants qui apprennent des comptines et des jeux sportifs à leurs élèves,
la télévision et les producteurs de jouets et produits dérivés, qui vont jusqu’à distribuer
des échantillons dans les écoles. L’influence des personnages issus des séries télévisées est
visible dans les cours de récréation, introduisant par exemple le héros du moment dans
l’ancien jeu de gendarmes et voleurs. Mais le travail de construction du jeu autour des
personnages reste à la charge des joueurs. Le sociologue Gilles Brougère (2000) explique
bien comment les figurines issues des séries télévisées comme les Power Rangers
enrichissent la culture ludique des enfants par des références communes, même s’il reste
aux joueurs à se débrouiller pour atteindre leur but, celui de mener un jeu collectif.
31 En plus de ces périodes, les enfants passent d’un jeu à un autre, guidés par l’association
traditionnelle d’un jeu à un âge. Celle-ci est autant leur propre fait que celui des parents ou
des marchands de jeux qui définissent l’âge approprié à leur pratique. Si les enfants
délaissent une activité en grandissant du fait de leurs préoccupations et de leurs capacités
nouvelles, ils subissent aussi l’image du jeu associé à un âge. Ils se doivent de l’abandonner
parce qu’il représente cet âge.
32 Au CE2, je demande à Latifa  : «  Est-ce que vous jouez au papa et à la maman  ? – Ça
c’était quand j’étais petite en CP. Mais maintenant ça me plaît plus.  » Dans la même
classe, Abdel me dit : « Aux voitures, c’est pour les bébés. »
33 Du fait de cette association entre âge et savoir, un enfant apprend davantage avec ses
camarades qu’au contact des grands qui ont déjà abandonné l’activité quand lui-même
parvient à l’âge d’y jouer.
34 Les entretiens menés avec les enfants de 5 à 6 ans et de 8 à 9 ans montrent qu’un
dénominateur commun les motive à suivre une mode, à respecter la saison à laquelle on
pratique un jeu, ou à abandonner une pratique qualifiée de jeu pour petits. Sur ces trois
phénomènes, le groupe exerce une pression sur l’individu et lui apprend à se soumettre à
la norme collective.
35 Je demande à Latifa (CE2) quand a lieu la période des billes : « C’est pas moi qui sais,
c’est les autres qui savent et je les vois jouer. Y a des grands qui savent quand c’est la
saison, y jouent et ensuite un autre, un autre, ça regroupe, et tout le monde joue. »

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36 Si le phénomène des saisons s’explique parfois par des raisons climatiques, et si le


développement neurophysiologique de l’enfant motive son abandon de certains jeux en
grandissant, les raisons invoquées par les enfants relèvent davantage de la règle sociale.
Ces comportements sont des faits institués dans les cours de récréation, respectés par les
élèves et connus des enseignants. Ils font partie de la culture enfantine. Celui qui joue à un
jeu qui n’est pas de son âge, ou qui pratique une activité hors saison ou démodée, est
considéré par les autres comme déviant. Tout autant qu’ils se transmettent un savoir
ludique, les enfants diffusent une idéologie du jeu qui concourt à asseoir un ordre social et
à leur construire une identité collective. Mais si cette idéologie est un aspect de la culture
enfantine, elle est largement empreinte de celle des adultes qui, avant même la
vulgarisation d’une psychologie du développement, a toujours diffusé l’idée qu’à chaque
âge correspondent des capacités ainsi qu’un type de comportement. De même, le
phénomène de mode est la conséquence évidente d’un matraquage publicitaire.
L’observation d’une cour permet donc de voir comment, à partir de leur environnement
culturel global, les enfants composent leurs propres normes sociales et culturelles.
37 Le rôle des pairs de même âge dans la transmission d’un patrimoine ludique se révèle
encore dans la manière dont chaque groupe de joueurs incorpore les règles et les modifie.
Ainsi le moment d’apprentissage des composantes et des règles d’un jeu n’est-il qu’une
étape préliminaire dans l’incorporation d’une pratique. C’est par cette dernière que les
enfants s’approprient le jeu en l’adaptant à leurs envies et à leurs idées, participant ainsi à
sa transformation au fil des générations. A la corde par exemple, j’ai entendu une
formulette qui accompagne l’exercice prendre une touche personnelle au groupe, et une
autre subir une transformation apparemment plus courante  : le jeu de corde SVP a été
transformé en SVPT par Julien (CE1), qui, en plus de faire un jeu de mots (péter), ajoutait
une épreuve, chaque lettre correspondant à un exercice lié à un mouvement de corde  :
serpent, vague, poteau et tempête.
38 La formulette «  Mon drapeau a trois couleurs  : bleu, blanc, rouge  » devenait d’un
groupe à l’autre mon chapeau ou mon bateau, déformant la phrase originelle désignant le
drapeau français et lui associant une autre image.
39 Les jeux de sable sont encore plus révélateurs de l’appropriation du patrimoine ludique
car peu d’éléments sont fixés par la tradition. On aurait même pu imaginer qu’aucun
savoir ne se transmette autour du sable qui, plus qu’un jeu, est un simple matériau ouvert
à l’imagination des enfants. Pourtant, à l’échelle de mes quatre écoles et à l’écoute de
souvenirs d’adultes, quelques constantes apparaissent comme le terme de sable doux et la
manière de l’obtenir en raclant le sol avec ses talons, assis sur ses fesses. C’est également
toute la référence au domaine du culinaire qui demeure d’une école à l’autre, les jeux de
sable consistant fréquemment à fabriquer un gâteau ou tout autre mets. Mais, à partir de
ces données communes, chaque groupe de joueurs dispose d’une large marge de liberté
dans l’appropriation du jeu. Il utilise la variété des qualités de sable, attribuant à chacune
d’elles une correspondance culinaire (le sable blanc, noir, mouillé ou sec devenant sel,
poivre, chocolat, vanille, etc.), développe une technique pour les extraire et répertorie les
lieux où l’on peut les trouver – derrière un buisson, près d’un arbre, en surface ou en
creusant. Chaque fois qu’il joue, il invente une fiction, souvent construite autour du
quotidien d’une famille, qui valorise la diversité des sables et le savoir-faire élaboré autour
d’elle.
40 L’apprentissage d’un jeu dans la classe d’âge n’est pas un processus fini mais continu,
qui se transforme avec la maturité enfantine. Dans l’une des écoles visitées, les exercices
de gymnastique, simples roulades dans un premier temps, deviennent au CE2 un
ensemble de figures se réalisant seul ou à deux, et procurant un véritable spectacle visuel.
Au plouf-plouf, les enfants de maternelle font de ce préjeu un jeu à force d’en discuter les
règles en cours de processus, et mettent beaucoup d’intérêt à montrer leur attention à la
règle, afin d’apporter du sérieux à leur pratique par le cadre qu’ils leur donnent. De plus,

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ils en font un moment où se joue un rapport de force entre participants, chacun cherchant
à ne pas être désigné comme chat. Au contraire, au CE2, le plouf-plouf devient un outil
opérationnel qui permet rapidement de jouer au jeu choisi. La transformation de la
pratique, de la maîtrise de la règle et des compétences enfantines entraîne une
modification de l’intérêt du jeu, ainsi qu’un nouveau rapport au savoir. L’envie de se
construire un cadre ludique chez les plus jeunes devient parfois le but du jeu, alors qu’il en
est un moyen par la suite. Le savoir est souvent une façon de se mettre en valeur (on
entend des échanges tels que « Non, moi je sais, toi tu sais pas »), il est jeu avant de servir
le jeu. Si l’apprentissage est moins précis chez les enfants de maternelle et si la maîtrise de
la règle est imparfaite, leur importance ludique et sociale n’en est que plus grande.
41 On comprend comment un même jeu, tel que les billes, la corde ou le sable, peut
passionner des générations les unes après les autres. C’est que la pratique n’est pas figée,
elle s’adapte à chaque groupe et à chaque époque, en fonction des préoccupations de ceux
qui, par les variantes qu’ils y incorporent et par la symbolique qu’ils y projettent,
interprètent le jeu et en font leur jeu. L’idée souvent véhiculée d’une culture enfantine,
conservatoire de pratiques anciennes, est donc en partie erronée puisque les jeux évoluent
ainsi que la perception que les enfants en ont. De leur point de vue, ils sont neufs quand ils
les découvrent et deviennent vieux quand ils les abandonnent à leurs cadets. De nombreux
auteurs comme Brian Sutton-Smith (1972) et Gary Alan Fine (1980 : 179-183) ont soulevé
cette confrontation dans les pratiques enfantines entre habitude et ritualisme, d’une part,
fantaisie et innovation 7, d’autre part. Si la stabilité des pratiques et des règles des jeux
peut être attribuée, comme Sutton-Smith en fait l’hypothèse (1972 : 45-46), à un besoin de
relations sociales structurées (notamment chez les enfants de 6 à 9 ans), les variantes et
innovations trouvent leur origine dans un état d’esprit enfantin qui ne ressemble pas à
celui d’un adulte possédant un savoir traditionnel et souhaitant le transmettre. Le souci
d’un enfant n’est pas de transmettre à ses cadets un jeu toujours pratiqué par ses aînés,
mais de suivre ses camarades dans une activité collective et de trouver un plaisir dans son
jeu favori du moment. Pour ce faire, un jeu a autant besoin du savoir qui s’y rapporte que
de règles de vie permettant l’action commune.

L’apprentissage des règles de vie


42 Apprendre à bien se comporter avec autrui est l’un des objectifs de l’éducation parentale
et scolaire. A priori, le groupe de pairs n’est pas conçu comme participant à cette
éducation, d’abord parce que les enfants n’ont pas entre eux d’intention éducative, et
ensuite parce que l’on pense plus couramment à l’entre-enfants comme un lieu de contre-
pouvoir, ou tout au moins de « défouloir », face aux contraintes imposées par les adultes.
L’observation des cours de récréation contredit largement cette idée. Il s’y révèle au
contraire que les enfants, loin d’être réticents à toute forme d’autorité et de règles, mettent
beaucoup d’énergie à s’y soumettre entre eux. Ils reprennent ainsi quelques-unes des
valeurs introduites par l’éducation. Pour autant, les règles qui en découlent sont vécues
comme celles du groupe et non comme des normes imposées par l’adulte. De même que
pour le patrimoine ludique, on assiste en fait à une appropriation des règles de savoir-
vivre.
43 Comment s’explique leur volonté de s’imposer des règles  ? Le contexte y concourt  :
d’une part l’école est un espace contrôlé qui – normalement – ne permet pas de
débordement, d’autre part la récréation est un moment de jeu et le jeu collectif impose de
se soumettre à des règles communes. La recherche du plaisir ludique se révèle donc à
l’origine de la mise en place de groupes de joueurs, de petites structures sociales qui
permettent le jeu commun. Mais leur existence dépasse ce simple moment et, dès la
maternelle, le groupe se charge d’organiser les relations sociales.

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44 Un enfant doit d’abord apprendre, comme on l’a vu, à se faire accepter d’un groupe. A
l’école maternelle, celui-ci se structure hiérarchiquement autour du leader qui a autorité
sur les autres. Il est là «  pour commander une bande  » (François, lui-même leader).
L’enfant doit donc accepter de s’y soumettre pour se faire une place. Les enfants parlent
du chef en des termes clairs  : «  On doit lui obéir, c’est qu’le chef qu’a l’droit de dire  »
(Jean-Louis). Pour autant, le vrai leader n’est pas un despote. Il tient son pouvoir de sa
capacité à faire fonctionner un jeu, il est respecté pour son savoir-vivre. Il fait adopter au
groupe des valeurs telles que le respect et la politesse.
45 Anaïs en moyenne section de maternelle me dit : « C’est Suzanne la chef parce que tout
le monde l’a choisie pour qu’elle soit la chef. Parce qu’elle est gentille et aussi polie. » Au
CE2, Yoan me dit apprécier ses copains parce qu’ils sont «  sympas et y sont gentils  ».
Cédric m’explique que Mathieu est son meilleur copain «  parce que y me prête plein de
trucs, y joue toujours avec moi ».
46 La gentillesse est donc une valeur largement reconnue entre enfants, qui se manifeste
par une attention à l’autre, un soutien dans les moments difficiles et une fidélité dans le
jeu. Les affinités qui se forment chaque jour sont basées sur ces qualités humaines. Elles
se bâtissent également sur des critères esthétiques, qui amènent au rejet de ceux qui ne
sont pas appréciés. J’ai pu rencontrer un garçon qui, à la maternelle, était mis à l’écart par
ses pairs parce qu’il était gros, mais qui était plus facilement accepté dans les jeux de filles.
La force et la vaillance font partie des qualités recherchées, parce qu’elles permettent de
défendre la bande contre des groupes adverses.
47 Ainsi le groupe intègre-t-il les individus et les soutient-il, s’il acceptent de se soumettre à
sa norme. Le leader protège le jeu des élans individualistes des enfants, mais se garde le
meilleur rôle du fait de sa domination. L’enjeu de cet apprentissage des rapports de force
et des règles de vie est une expérience différente de celle qu’ils vivent avec les adultes.
Alors que cette dernière situation les place dans une inégalité de statut qui les oblige à se
soumettre, entre pairs ils deviennent seuls acteurs de ce rapport de force dans une égalité
de statut. Ils peuvent alors découvrir l’intérêt constructif des règles qui permettent l’action
partagée (faire ensemble).

Les rapports de sexes


48 Comme les autres règles de savoir-vivre, celles qui concernent les relations entre filles et
garçons se vivent, dans la cour, loin des adultes. L’apprentissage de la différence des sexes
commence pour tout individu dès la naissance, en observant le rôle qui revient à chacun
d’eux 8. A l’école, les élèves ont le loisir d’expérimenter ce que provoque en eux la
confrontation à l’autre sexe (désir ou rejet, image de soi) et apprennent à le gérer
socialement, à travers le jeu. Si, à la maternelle, ils partagent assez couramment leurs
activités, à l’école élémentaire l’évitement est plus systématique. Mais, tout au long de la
scolarité, les rapports de sexes sont le centre d’une dynamique sociale qui stimule le jeu.
49 Il en résulte une affinité plus grande entre enfants du même sexe et un regroupement
selon cette distinction. Mais, à partir de cette donnée générale, on n’observe pas une unité
des comportements mais plutôt deux stratégies opposées qui conduisent à un
apprentissage des rapports de sexes  : l’évitement et le rapprochement. Si chaque enfant
change de stratégie d’un moment à l’autre, mon observation d’un même groupe d’élèves de
la maternelle au CE2 me permet de dresser deux «  types  » d’enfants qui privilégient
chacun l’un des deux comportements. L’évitement conduit à construire un groupe entre
enfants du même sexe et à bâtir son identité par opposition à l’autre sexe, en le rejetant ou
en travaillant à s’en distinguer par des jeux typiquement féminins (la corde, l’élastique) ou
masculins (les billes, le ballon). En insistant sur la différence entre les sexes, on soude du
même coup les relations au sein du groupe.

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50 D’autres enfants recherchent au contraire le rapprochement et construisent des jeux


mixtes entre deux bandes ou, même, forment des groupes où se retrouvent filles et
garçons. Leurs jeux deviennent alors un espace où se vit la confrontation des sexes, celui
de papa et maman en étant le modèle idéal. Ils expérimentent la complexité des relations
sexuées, la séduction, l’amour, la gêne. Au CE2 où les relations mixtes sont plus délicates,
les sentiments qu’ils éprouvent les amènent souvent à nouer une relation confidentielle
entre enfants de même sexe afin de se soutenir dans les démarches effectuées en direction
de l’autre sexe. Au contraire, à la maternelle, les rapprochements entre filles et garçons
s’exposent aux yeux de tous et s’affichent clairement comme relations amoureuses. Celles-
ci justifient même le jeu commun. Alice m’explique à propos des jeux qu’elle partage avec
les garçons : « Moi j’ai l’droit de jouer un peu avec eux parce que je suis l’amoureuse de
Gaël. »
51 A tout âge, avoir des amoureux(euses) est valorisant et les leaders excellent souvent
dans l’art de se faire désirer par l’autre sexe, étendant ainsi leur sphère d’influence.
52 En grandissant, le tabou de la mixité suppose que l’on trouve des justifications plus
anodines pour jouer ensemble. A la maternelle, certains jeux s’y prêtaient plus que
d’autres, comme celui de papa et maman où la mise en scène permet de se laisser aller à
des rapprochements osés. Au CE2, le jeu de chat, plus pudique, est facilement mixte parce
qu’il est construit sur un modèle proche de l’activité de base entre garçons et filles, celle
qui consiste à embêter ceux ou celles de l’autre sexe, à les attaquer, à les attraper. Ces
pratiques dépassent largement les cours d’école de mon terrain, puisque je les ai
retrouvées dans les travaux de sociologues français et américains (Rayou 1999, Zaidman
1996 et Thorne 1992), en littérature et dans les souvenirs d’amis. Elles réunissent parfois
une vingtaine d’enfants formés en grandes équipes, et oscillent entre bagarres, jeux et
pratiques de séduction. Dans une cour d’école maternelle, des enfants jouent sur une
structure ludique formant une petite maison avec toboggan. Un garçon s’adresse aux
filles  : «  Laissez passer les garçons sinon ils attaquent  !  » L’une d’elles répond  : «  Viens
nous attaquer ! » Elle m’explique ensuite qu’ils attaquent « parce qu’ils aiment les filles ».
53 Au CE2, Mathieu me décrit les jeux mixtes : « On joue à chat, à l’équilibre sur le mur. –
Comment vous jouez à chat ? – Y a une équipe de gars, une équipe de filles. – Comment ça
commence ? – On demande, si y veulent pas qu’on les touche, on dit “touchée” et y veulent
bien comme ça.  » Ces activités constituent une technique d’approche plus ou moins
dévoilée et sont des moments où se vivent autant la rencontre avec l’autre sexe que la
construction de la différence. Yoan, au CE2, me dit : « On joue à emmerder les filles ; des
fois on les chope, paf ! Des p’tits coups de poing, parce que les filles c’est faible. » Dans la
même classe, Anthony me raconte : « Les filles de la classe de l’autre CE2, on les embête
parce qu’y nous embêtent. Y viennent et y disent : “Hou ! les garçons vous êtes nuls, vous
savez même pas faire l’équilibre !” »
54 A partir de l’ensemble de ces échanges et confrontations, il s’opère une représentation
de l’autre et, par opposition, une image de soi qui vient compléter, contredire ou affiner la
construction des genres insérée dans le processus éducatif. Non seulement les relations
entre pairs leur permettent d’être acteurs de cette différenciation sociale des sexes, mais
elles leur donnent par le jeu l’occasion d’en tester les limites et les enjeux. Elles amènent
aussi bien à entretenir les stéréotypes, comme celui de filles faibles et peureuses, qu’à les
bousculer par l’importance donnée au savoir : de par leur maîtrise du jeu de l’équilibre liée
à une plus grande pratique, les filles exercent leur pouvoir sur les garçons. Elles peuvent
choisir de garder leur avantage pour mieux les exclure ou accepter de les initier tout en
gardant une supériorité technique. Anthony, qui se plaignait, dans la citation précédente,
du rejet des filles d’autres classes de CE2, exprime assez bien ce rapport de force amical
qui l’unit aux filles de sa classe, confirmé par Aurélia : « On joue avec les filles à apprendre
à faire l’équilibre. » Je demande à Aurélia si elles jouent avec les garçons : « Oui, des fois y
nous regardent à faire l’équilibre. »

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55 Mais dans certaines figures comme le saute-mouton, les garçons retrouvent l’avantage.
La différenciation sociale des sexes, donnant à penser aux enfants qu’ils doivent s’opposer
comme deux camps ennemis, prend des formes plus sereines dans ces jeux de
gymnastique partagés, qui proposent une trêve dans leur conflit et permettent la
rencontre.

Quel lien avec l’action éducative des


adultes ?
56 La question de l’apprentissage du point de vue de l’enfant n’est pas en premier lieu une
question d’enrichissement personnel, ni même celle d’une transmission d’un savoir par un
camarade. Elle se pose plutôt dans les termes d’un rapport au collectif parce que liée au
processus d’intégration d’un pair parmi les siens. Cette intégration suppose
l’appropriation d’un patrimoine ludique, élément central d’une identité enfantine telle
qu’elle apparaît dans une cour d’école.
57 La motivation d’un enfant à apprendre est d’abord la participation au jeu collectif. S’il
recherche de manière visible le plaisir ludique, il ne l’atteint qu’après avoir trouvé sa place
dans le groupe. Il passe alors du statut de spectateur du jeu à celui d’acteur, de détenteur
d’une richesse, et devient à son tour possesseur d’un pouvoir sur ceux qui ne savent pas.
Dans les jeux de compétition comme celui de la corde à sauter, l’enfant cherche à
développer ses compétences dans un esprit de concurrence avec ses camarades, afin de se
faire une place honorable parmi eux. Au-delà du jeu, son incorporation dans le groupe est
nécessaire à sa reconnaissance sociale. Elle lui donne un statut – de chef ou de membre
d’une bande – qui est son premier espace de vie entre copains à l’école, au sein duquel il se
met en valeur, trouve des alliés et se fait sanctionner pour un mauvais comportement par
un «  Ch’suis plus ta copine/ton copain  » qui l’exclut temporairement. Grâce à cette
appartenance au groupe, il n’est pas seul face à tous dans la cour, il obtient protection et
reconnaissance.
58 L’apprentissage des règles sociales se fait par l’intermédiaire du groupe dont l’utilité est
appréhendée quotidiennement, puisqu’il permet à chacun d’exister dans le groupe et
d’être représenté à l’extérieur de celui-ci.
59 L’importance des apprentissages culturels et sociaux entre enfants nous oblige à élargir
notre point de vue sur l’attitude des enfants face au savoir qu’ils reçoivent des adultes,
parents et enseignants. On découvre, en effet, que les enfants sont loin d’être de simples
récepteurs d’un savoir et d’un ordre qui leur viennent du dehors et qu’il leur faudrait
respecter. L’action éducative des adultes s’insère dans un contexte actif où les enfants ont
eux aussi l’initiative de l’instauration d’une morale et d’un contrôle social qui se mettent
en place dans le jeu. Il nous reste à leur laisser les moyens de s’approprier davantage le
savoir proposé par les adultes.

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Notes
1 Ce terrain a fait l’objet de plusieurs publications (1995, 2000, 2001a et b). Il a été mené dans
quatre écoles maternelles auprès des enfants de moyenne et grande sections, et dans une école
élémentaire auprès des élèves de CP et CE2 afin de suivre un même groupe de la maternelle au CE2.
Les écoles (trois urbaines, une rurale) ont été choisies dans des milieux sociaux hétérogènes.
2 Jean Baucomont définit la formulette comme un terme générique employé depuis «  une
cinquantaine d’années par les folkloristes pour désigner les petits poèmes oraux traditionnels, le
plus souvent rimés et assonancés, toujours rythmés et mélodiques, utilisés communément par les
enfants au cours de leurs jeux » (Baucomont et al. 1961 : 7).
3 En voici leur définition  : «  Par culture de pairs, nous voulons dire un ensemble d’activités ou
d’occupations habituelles, de valeurs, artefacts et de relations que les enfants produisent et
partagent pendant leurs interactions entre pairs » (1990 : 197, notre traduction).
4 Parmi les publications s’inscrivant dans cette démarche et posant les bases d’un nouveau courant
de recherche sur l’enfance, on notera les ouvrages collectifs suivants  : Sutton-Smith et al. 1995  ;

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Sirota 1998 et 1999 ; Saadi-Mokrane 2000.
5 Le plouf-plouf consiste à désigner par élimination celui qui, dans le jeu qui suit, sera par exemple
le chat. Le geste qui pointe un à un chaque pied des participants est accompagné d’une formulette ou
chansonnette.
6 Selon l’auteur, «  pour des raisons mystérieuses, il s’agit d’un jeu saisonnier commençant dès la
rentrée scolaire et s’achevant irrémédiablement à Noël » (Augustins 2000 : 101).
7 En 1883, l’Américain William Wells Newell consacrait déjà, dans son ouvrage, un chapitre à
l’inventivité des enfants et un autre à leur conservatisme. Sur le sujet, voir également Sutton-Smith
et al. 1995.
8 Voir notamment S. Lallemand (1997 : 51).

Pour citer cet article


Référence papier
Julie Delalande, « Culture enfantine et règles de vie », Terrain, 40 | 2003, 99-114.

Référence électronique
Julie Delalande, « Culture enfantine et règles de vie », Terrain [En ligne], 40 | 2003, mis en ligne le
12 septembre 2008, consulté le 24 janvier 2023. URL : http://journals.openedition.org/terrain/1555 ;
DOI : https://doi.org/10.4000/terrain.1555

Cet article est cité par


Delalande, Julie. (2010) Enfants et jeunes dans les espaces du quotidien. DOI:
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Auteur
Julie Delalande
Université Rennes 2 Haute Bretagne, Laboratoire d’analyse du développement, des espaces et des
changements sociaux - jdelalande@atol.fr

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Droits d’auteur

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