L’Evolution du vestiaire
liturgique papal et cardinalice
(1789-1914)
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Couverture : Jean Auguste Dominique Ingres, Le pape Pie VII dans la chapelle Sixtine,
1814, huile sur toile, National Gallery of Art, Washington DC, Etats-Unis.
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Introduction
Si la question de la place du Vatican au sein d’une société au contrat social déchiré
par la Révolution française a été traitée sous les angles phares de l’historiographie
occidentale, où l’on retrouve une histoire politique, sociale et économique d’une Italie en
plein Risorgimento dans lequel s’inscrit le Vatican, il n’en reste pas moins qu’au sein de
l’Etat le plus codifié au monde, le traitement historiographique a éludé et, force est de
constater, élude toujours la place que tient le vêtement au sein de la Curie Romaine et
plus globalement au sein de la société occidentale. Comme le déplorait déjà Roland
Barthes en 1957 dans son excellent article « Histoire et sociologie du Vêtement »1 il n’a
pas existé à proprement parler d’Histoire du Costume jusqu’au début du XIXe siècle. Pire,
son statut à part au sein de l’Histoire de l’art fait du vêtement un rebut, un hybride entre
objet d’art et haillon sans intérêt. Plus significatif encore, les oeuvres phares du pan que
représente l’historiographie du vêtement se concentrent, de sa fondation à très
récemment, sur les vêtements élitaires. Il transparaît alors dans les premières études sur
le sujet2 que le vêtement n’est pas considéré comme la finalité d’un système complexe
(fruit d’un système de pensée propre à l’époque), mais comme une pièce de tissu dont
l’important est d’en dater l’origine, et les circonstances de sa création.
Il en ressort dès lors que l’intérêt grandissant du grand public ainsi que la
fascination de certains pour l’émergence de la « mode », terme aujourd’hui qui renvoie
plus à la définition d’une esthétique vestimentaire proche de l’éphémère que d’un aspect
caractéristique d’un vêtement à une période bien définie3 , pose problème. En effet, cet
attrait pour le caractère esthétique du vêtement éclipse partiellement, voir totalement, les
autres engrenages qui font du vêtement un système complexe : confection, artisanat,
matières premières, circuit de diffusion, interdits religieux ou moraux; la liste est longue et
4Gammarelli, maison romaine fondé en 1790, habille depuis 1798 les Papes et plusieurs de leurs
cardinaux.
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Tiare de Pie IX offerte par la Belgique. La tiare de style néogothique porte l’inscription :
REGNUM ATQUE POPULORUM PATRI; ORBIS SUPREMO IN TERRA RECTORI ; IESU
CHRISTI VICARIO INFALLIBILI, répartie sur les trois couronnes sur un fond d’émail bleu,
vert, rouge, correspondant aux trois vertus théologales. Drap d’argent, argent, gemmes,
J.Bethune, Gand, 1877. Sacristie pontificale.
Il est finalement difficile de répondre à cette question, qui rejoint le premier point de
cette introduction : l’histoire de l’art y a longtemps vu le firmament de savoirs-faire au
service des cours européennes, s’attardant sur le saphir parfaitement taillé d’un anneau, le
diamant incrusté sur une l’orbe crucigère ou sur les mois de labeur que représente un
manteau brodé. Bien que cette fois, la pièce étudiée soit remise dans son contexte de
marché textile et ornemental, l’objet se trouve être séparé de son temps. En effet,
l’absence de contextualisation politique et sociale de ces objets ne donne pas toutes les
clés de lecture pour comprendre le système artisanal de l’époque, que l’historiographie de
l’art s’attache pourtant à décrire. Comment peut-on expliquer le renouveau prolifique du
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trésor pontifical au XIXème siècle, sans parler des jubilés des 25 ans de pontificat et de la
foule de dons qu’ils engendrent ? Sans parler de la diplomatie vaticane et des échos du
consalvisme ? Sans parler des bouleversements qui traversent toute notre période
étudiée, de la Révolution française à la première guerre mondiale ? Sans parler de la
perte des Etats pontificaux et de l’avènement de Victor-Emmanuel II ? Point souvent éludé
par ailleurs : le facteur humain, chaque pontife ayant une sensibilité particulière à la
politique des arts au sein du territoire romain. On pensera alors à la phrase de Stendhal
qui en 1829, dans ses Promenades dans Rome, affirme que « Rome a grand besoin d’un
pape ami des arts, autrement on n’y viendra plus. »5 . Cette vindicte contre la politique
culturelle de la papauté vis-à-vis de Rome dans le 1er tiers du siècle n’est pas anodine et
insiste sur l’importance d’une politique culturelle et artistique dans le coeur des fidèles.
7 On pense par exemple aux travaux d’Anne Jusseaume travaillant actuellement sur l’habit
religieux, la fabrique et le signe d’une identité (XIXe-XXe siècles).
8G. Demay, Le costume au Moyen-Age d’après les sceaux, Paris 1880; J. Quicherat, Histoire du
costume en France, 1875.
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Exemple de Galero à pompons
utilisé en héraldique
L’histoire religieuse a pourtant fourni des études où, bien qu’il soit en second plan,
l’habit liturgique a sa place. On pense ici à l’étude des différents rites et cérémonies
particulières qui accompagnent la vie du pontife9 . On notera alors l’importance de
l’analyse des derniers possessi de Pie VI et Pie VII, du traitement de la mort du pontife
évoluant selon les années, ou tout simplement de la cérémonie du couronnement. Il en
ressort néanmoins qu’aucune agrégation de toutes ces informations sur l’habit liturgique
ne s’est, à ma connaissance, jamais faite. Pourtant des thématiques, parfois mitoyennes
de la nôtre, ont été traitées par le passé et se posent aujourd’hui en référence dans le
domaine. L’étude autour du traitement du corps du pape, de sa dissociation entre
incarnation du messager de Dieu et simple corps mortel à la période médiévale, rédigée
par Agostino Paravicini Bagliani10 est encore aujourd’hui de nombreuses fois citées dans
de nombreux ouvrages actuels.
N’oublions pas le traitement plus profond que reçoit depuis quelques années le
vestiaire du clergé régulier et des différents ordres religieux. On peut ici citer comme
9M.A Visceglia (Dir.), C.Brice (Dir.), Cérémonial et rituel à Rome (XVIe-XIXe siècle), Rome, École
Française de Rome, 1997.
10 A. Paravicini Bagliani; Le Corps du Pape, Paris, Seuil, 1997.
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précédemment, A.Jusseaume11 pour le traitement d’un groupe institutionnalisé (ici celui
des religieuses) ou encore tout récemment N.Pellegrin12, qui traite, elle, de l’évolution
d’une pièce spécifique, le voile, à travers les époques.
11A. Jusseaume, « S’habiller comme des pauvres, revendiquer une identité religieuse : le
costume des sœurs de charité au XIXe siècle »,pour le colloque « Vêtements, Costumes et
Religions », Université de Lorraine, Nancy, 28-29 septembre 2017.
12 N. Pellegrin, Voiles. Une histoire du Moyen Âge à Vatican II, Paris, CNRS Éditions, 2017.
A.Bolton (Dir.) Heavenly Bodies: Fashion and the Catholic Imagination, The Metropolitan
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Se déclinant en trois parties, notre étude abordera dans un premier temps la
construction de l’imagerie révolutionnaire, en se penchant sur la question d’un éventuel
transfert de sacralité, mis en parallèle avec les derniers possessi des Papes Pie VI et Pie
VII jusqu’à la politique culturelle du pontificat de Léon XII. La deuxième partie s’intéressera
principalement au pontificat de Pie IX, de sa réforme de l’habit cardinalice jusqu’à la perte
des États pontificaux. Enfin, la dernière partie se penchera, elle, sur les conséquences de
la Question Italienne sur la liturgique vaticane, avec la construction de l’imagerie royale
italienne, pour se conclure sur le pontificat de Pie X et le début de la première guerre
mondiale.
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Plan du mémoire
Première partie
Il sera ici question de voir en quoi les premières transformations stylistiques des
hommes des Lumières ont inspiré l’esthétique révolutionnaire…
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2) ..Mais qui peine à faire communauté
M.EDELMAN, From art to politics. How artistic creations shape political conceptions, Chicago,
University of Chicago Press, 1995.
M.EDELMAN, From art to politics. How artistic creations shape political conceptions, Chicago,
University of Chicago Press, 1995.
MICHEL VOVELLE, 1793, la Révolution contre l'Église : de la raison à l'être suprême, Paris,
Complexe, 1988.
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2) Robespierre et l’habit céleste
JONATHAN SMYTH, Robespierre and the Festival of the Supreme Being. The search for a
republican morality, Manchester, Manchester University Press, Studies in Modern French History,
2016.
MICHEL VOVELLE, 1793, la Révolution contre l'Église : de la raison à l'être suprême, Paris,
Complexe, 1988.
Ce nouveau culte civique voit ses nouvelles traditions et ses nouveaux codes appliqués
dans les différentes fêtes révolutionnaires (Fédération, Être Suprême, Raison…). Cette
liturgie civile et civique, fantasmé dans des plans de fêtes préparés à l’avance, est
représentatif d’une volonté de graver dans le marbre les valeurs et idées fondatrices de la
Révolution, quitte à éluder les violences de la Terreur.
MICHEL VOVELLE, 1793, la Révolution contre l'Église : de la raison à l'être suprême, Paris,
Complexe, 1988.
Il sera question de voir dans cette section les éléments mis en place pour la
constitution d’un nouveau sacré révolutionnaire.
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b) Faire de la rue une église
2) L’éducation à la République
Bien que dictée par des valeurs gravées dans le marbre, la réalité du terrain montre
que le culte civique se construit différemment selon les lieux. Dans un monde où un
concile de Trente ayant la volonté d’imposer une unité chrétienne à eu lieu, le culte
civique se voit confrontés aux mêmes problèmes que la chrétienté médiévale a dû
affronter : l’inégale application de son culte selon où ce dernier est pratiqué.
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M. VOVELLE, La mentalité révolutionnaire : société et mentalités sous la révolution française,
Paris, Éditions sociales, 1985.
MICHEL VOVELLE, 1793, la Révolution contre l'Église : de la raison à l'être suprême, Paris,
Complexe, 1988.
MICHEL VOVELLE, 1793, la Révolution contre l'Église : de la raison à l'être suprême, Paris,
Complexe, 1988.
M. CAFFIERO, « Un santo per le donne. B.G. Labre e la femminilizzazione del cattolicesimo tra
Settecento e Ottocento », Memoria. Rivista di Storia délie Donne, 3/1990, p. 89-106.
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Chapitre II - Les derniers possessi ou l’entrée du pape dans
le XIXe siècle
Le vestiaire chrétien, fruit d’une adaptation lente à son époque, dans le respect de
ses traditions, permet de prendre du recul sur l’événement révolutionnaire. Le
bouleversement idéologique qu’il produit en Europe peut-il bousculer des traditions
presque millénaires ? C’est ce sur quoi nous allons nous pencher dans ce point.
1) Un vestiaire éternel ?
A. BOLTON (Dir.) Heavenly Bodies: Fashion and the Catholic Imagination, New York, The
Metropolitan Museum of Art, 2018.
A. BOLTON (Dir.) Heavenly Bodies: Fashion and the Catholic Imagination, New York, The
Metropolitan Museum of Art, 2018.
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b) Le rouge : la fin d’un monopole élitaire
A. BOLTON (Dir.) Heavenly Bodies: Fashion and the Catholic Imagination, New York, The
Metropolitan Museum of Art, 2018.
Le possesso, rite d’introduction du nouveau pontife datant du moyen âge est un moment
capital dans la vie du Pape. Traversée symbolique de la ville, cette prise de possession
affirme le caractère temporel du Pape devenant dès lors le roi de Rome par cet
événement. Longtemps associée à la cavalcade, la pratique du possesso perd peu à peu
de sa superbe dès le XVIIe siècle, avant d’être mise en concurrence avec des possessi
républicains il perdra de son faste, comme nous le prouve la cérémonie de Pie VII. Il sera
question ici de s’interroger sur la symbolique de cet événement, son importance, et les
raisons de sa disparition.
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1) Un rite participant à l’intronisation du Pape
M BOITEUX, Parcours rituels romains à l'époque moderne. In: Cérémonial et rituel à Rome (XVIe-
XIXe siècle), Rome, École Française de Rome, 1997.
M. CAFFIERO, La nuova era. Miti e profezie dell'Italia in rivoluzione, Gênes, Marietti, 1991.
M.A VISCEGLIA. II cerimoniale come linguaggio politico. In: Cérémonial et rituel à Rome (XVIe-XIXe
siècle), Rome, École Française de Rome, 1997.
M BOITEUX, Parcours rituels romains à l'époque moderne. In: Cérémonial et rituel à Rome (XVIe-
XIXe siècle), Rome, École Française de Rome, 1997.
M. CAFFIERO, La nuova era. Miti e profezie dell'Italia in rivoluzione, Gênes, Marietti, 1991.
M.A VISCEGLIA. II cerimoniale come linguaggio politico. In: Cérémonial et rituel à Rome (XVIe-XIXe
siècle), Rome : École Française de Rome, 1997.
M CATALDI GALLO, Il papa e le sue vesti. Da Paolo VI a Giovanni Paolo II (1600-2000), Città del
Vaticano, Edizioni Musei Vaticani, 2016.
M.A VISCEGLIA. II cerimoniale come linguaggio politico. In: Cérémonial et rituel à Rome (XVIe-XIXe
siècle), Rome : École Française de Rome, 1997.
b) « La république au village »
M. CAFFIERO, La nuova era. Miti e profezie dell'Italia in rivoluzione, Gênes, Marietti, 1991.
A. CRETONI. Roma giacobina : storia della Repubblica Romana del 1798-99, Napoli, Edizioni
scientifiche italiane, 1971.
A. DUFOURCQ, Le régime jacobin en Italie. Études sur la République romaine, 1798-1799, Paris,
Didier, Perrin et Cie, 1900.
M.A VISCEGLIA. II cerimoniale come linguaggio politico. In: Cérémonial et rituel à Rome (XVIe-XIXe
siècle), Rome, École Française de Rome, 1997.
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2) Une lutte idéologique autour des monuments romains
M. CAFFIERO, La nuova era. Miti e profezie dell'Italia in rivoluzione, Gênes, Marietti, 1991.
A. CRETONI. Roma giacobina : storia della Repubblica Romana del 1798-99, Napoli, Edizioni
scientifiche italiane, 1971.
M.A VISCEGLIA. II cerimoniale come linguaggio politico. In: Cérémonial et rituel à Rome (XVIe-XIXe
siècle), Rome, École Française de Rome, 1997.
Les critiques de plus en plus fortes de la noblesse face au rite du possesso, alliées
au traumatisme que représente la prise de la ville de Rome par Napoléon, poussent la
Saint-Siège à abandonner ce rite, mais cet abandon permet d’amorcer une transition
idéologique et visuelle de la curie romaine.
M. CAFFIERO, La nuova era. Miti e profezie dell'Italia in rivoluzione, Gênes, Marietti, 1991.
M. CAFFIERO. La maestà del papa. In: Cérémonial et rituel à Rome (XVIe-XIXe siècle), Rome, École
Française de Rome,1997. pp. 281-316.
M.A VISCEGLIA. II cerimoniale come linguaggio politico. In: Cérémonial et rituel à Rome (XVIe-XIXe
siècle), Rome, École Française de Rome, 1997.
M. CAFFIERO, La nuova era. Miti e profezie dell'Italia in rivoluzione, Gênes, Marietti, 1991.
M. CAFFIERO. La maestà del papa. In: Cérémonial et rituel à Rome (XVIe-XIXe siècle), Rome, École
Française de Rome,1997. pp. 281-316.
M.A VISCEGLIA. II cerimoniale come linguaggio politico. In: Cérémonial et rituel à Rome (XVIe-XIXe
siècle), Rome : École Française de Rome, 1997.
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Chapitre III - Ville éternelle, ville musée : l’échec de la
politique artistique romaine
A) L’Urbs altérée
Rome a-t-elle loupé le coche de la transition entre XVIIIe et XIXe siècle ? Comme vu dans
le chapitre précédent, la concurrence entre une république sœur éphémère et un
universalisme pontifical en construction, rend fragile un Saint-Siège en mutation dont les
symboles chrétiens se voient être effacés de la capitale. Les critiques qui se dressent au
début du siècle face au conservatisme et paradoxalement, au manque de stature et de
faste de la figure vaticane, font perdre à Rome son statut d’éternel, ou tout du moins, la
fige dans un écrin d’un autre temps qui la fait être reconsidérée par ses fidèles et par les
notables d’Europe occidentale.
Si l’on se penche une nouvelle fois sur la période républicaine, le traumatisme que
représente la prise de Rome peut être vu par les fidèles comme une punition divine, la
République s’attache alors à déchristianiser la ville par l’effacement presque
systématique de tout symbole chrétien.
M. CAFFIERO, La nuova era. Miti e profezie dell'Italia in rivoluzione, Gênes, Marietti, 1991.
A. CRETONI. Roma giacobina : storia della Repubblica Romana del 1798-99, Napoli, Edizioni
scientifiche italiane, 1971.
M. FORMICA, La città e la rivoluzione. Roma, 1798-1799, Rome, Istituto per la Storia del
RisorgimentoItaliano, 1994.
M. CAFFIERO, La nuova era. Miti e profezie dell'Italia in rivoluzione, Gênes, Marietti, 1991.
A. CRETONI. Roma giacobina : storia della Repubblica Romana del 1798-99, Napoli, Edizioni
scientifiche italiane, 1971.
M. FORMICA, La città e la rivoluzione. Roma, 1798-1799, Rome, Istituto per la Storia del
RisorgimentoItaliano, 1994.
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3) Une figure républicaine qui s’impose
M. CAFFIERO, La nuova era. Miti e profezie dell'Italia in rivoluzione, Gênes, Marietti, 1991.
A. CRETONI. Roma giacobina : storia della Repubblica Romana del 1798-99, Napoli, Edizioni
scientifiche italiane, 1971.
M. FORMICA, La città e la rivoluzione. Roma, 1798-1799, Rome, Istituto per la Storia del
RisorgimentoItaliano, 1994.
R. REGOLI, I. FIUMI SERMATTEI, M.R. DI SIMONE, Governo della Chiesa, governo dello Stato. Il
tempo di Leone XII, Ancona, 2019.
F. FERRARI, Costumi ecclesiastici civili et militari della corte di Roma disegneti all’acquafortte,
Roma, L. Nicoletti, 1823.
a) Un retour au médiéval
Pour redorer le blason romain, la politique vaticane se concentre sur un retour aux
pratiques médiévales, il sera ici question de se pencher sur ce retour à des pratiques
anciennes.
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1) Le jubilé de 1825
R. REGOLI, I. FIUMI SERMATTEI, La corte papale nell'età di Leone XII, Ancona, 2015.
La figure de Léon XII concentre souvent les critiques quand à sa politique des arts
et au manque de stature et de faste qu’il représente pour certains. Les témoignages des
auteurs romantiques ou encore des guides touristiques sous son pontificat sont des
témoins précieux de ce constat.
1) La critique romantique
2) Un abandon du beau
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Deuxième Partie
Le mouvement Dandy, porté par le britannique George Brummell puis repris très
fortement par le mouvement romantique en France, pose les bases pour un renouveau de
la consommation du vêtement individuel. On cherche dans la première moitié du siècle à
se démarquer par son élégance, ses manières et ses habits.
K. BECKER, Le Dandysme littéraire en France au XIXe siècle, Éditions Paradigme, 2010, 196
pages.
H. LEVILLAIN, L'Esprit dandy : De Brummell à Baudelaire, José Corti, 1991, 269 pages.
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C. FOHIEN, La concentration dans l'industrie textile française au milieu du XIXe siècle. In: Revue
d’histoire moderne et contemporaine, tome 2 N°1, Janvier-mars 1955. pp. 46-58.
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Chapitre V : Pie IX le bienheureux réformateur
Si Pie IX réalise très tôt l’enjeu d’une politique culturelle avisée, il comprend par
ailleurs comment cette dernière peut jouer politiquement en sa faveur. Il sera ici
question de revenir sur ses réformes et sur leurs conséquences.
G. PERUGINI, Album ou collection complète et historique des costumes de la cour de Rome. Des
ordres monastiques, religieux et militaires et des Congrégations séculières des deux Sexes. Paris,
Sylvestre, 1862.
J-A NAINFA, Costume of prelates of the catholic church, according to roman etiquette, 1909.
Par l’accord aux laïcs d’un costume particulier, Pie IX fait d’une pierre, deux coups.
Tout en accordant un honneur aux laïcs par ce costume, il les différencie de la Curie
romaine, geste que cette dernière appréciera.
A. BOLTON (Dir.) Heavenly Bodies: Fashion and the Catholic Imagination, New York, The
Metropolitan Museum of Art, 2018.
M CATALDI GALLO, Il papa e le sue vesti. Da Paolo VI a Giovanni Paolo II (1600-2000), Città del
Vaticano, Edizioni Musei Vaticani, 2016.
b) L’habit Piano
La refonte du costume de tous les prélats en 1851 par l’habit Piano, littéralement,
l’habit de Pie témoigne de la volonté papale de s’adapter à son temps. Il sera ici question
d’étudier ce costume d’étiquette et de ville, à mi chemin entre romantisme et tradition.
A. BOLTON (Dir.) Heavenly Bodies: Fashion and the Catholic Imagination, New-York, The
Metropolitan Museum of Art, 2018.
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M CATALDI GALLO, Il papa e le sue vesti. Da Paolo VI a Giovanni Paolo II (1600-2000), Città del
Vaticano, Edizioni Musei Vaticani, 2016.
A. BOLTON (Dir.) Heavenly Bodies: Fashion and the Catholic Imagination, New York, The
Metropolitan Museum of Art, 2018.
M CATALDI GALLO, Il papa e le sue vesti. Da Paolo VI a Giovanni Paolo II (1600-2000), Città del
Vaticano, Edizioni Musei Vaticani, 2016.
a) La distinction vaticane
Il sera ici question d’étudier les réformes de Pie IX et leur volonté de renforcer le
pouvoir et l’aura de la Curie romaine par rapport au reste de la chrétienté.
M. CAFFIERO. La maestà del papa. In: Cérémonial et rituel à Rome (XVIe-XIXe siècle), Rome, École
Française de Rome, 1997.
M CATALDI GALLO, Il papa e le sue vesti. Da Paolo VI a Giovanni Paolo II (1600-2000), Città del
Vaticano, Edizioni Musei Vaticani, 2016.
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b) La création du jubilé papal
M. CAFFIERO. La maestà del papa. In: Cérémonial et rituel à Rome (XVIe-XIXe siècle), Rome, École
Française de Rome, 1997.
M CATALDI GALLO, Il papa e le sue vesti. Da Paolo VI a Giovanni Paolo II (1600-2000), Città del
Vaticano, Edizioni Musei Vaticani, 2016.
Cette distinction une fois affirmée, les ambitions politiques du pontife vont dans le sens
d’un renforcement spirituel du pouvoir papal, qui voit son pouvoir temporel de plus en
plus menacé, jusqu’à disparaître totalement. Ce renforcement, appuyé par les réformes
hiérarchique et liturgique, amène à la proclamation de l’infaillibilité pontificale en 1870.
On observera ici que les effets des réformes de Pie IX, appuyé par Vatican I, se
matérialisent en un nouveau souffle de l’ultramontanisme qui avait connu ses grandes
heures sous la Restauration française. Plaçant le Pape en unique guide, les fidèles
s’attachent grandement à la figure de Pie IX. On observera ici les liens que
possède le mouvement avec le vestiaire papal.
M. CAFFIERO. La maestà del papa. In: Cérémonial et rituel à Rome (XVIe-XIXe siècle), Rome, École
Française de Rome, 1997.
M.C GALLO, Il papa e le sue vesti. Da Paolo VI a Giovanni Paolo II (1600-2000), Città del Vaticano,
Edizioni Musei Vaticani, 2016.
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b) Une refonte de l’image papale
Il sera ici question de voir toutes les modifications qu’apporte le Pape à son propre
costume (qui jusque là changeait très peu selon les pontifes) pour s’aligner avec son
projet politique.
M. CAFFIERO. La maestà del papa. In: Cérémonial et rituel à Rome (XVIe-XIXe siècle), Rome, École
Française de Rome, 1997.
M CATALDI GALLO, Il papa e le sue vesti. Da Paolo VI a Giovanni Paolo II (1600-2000), Città del
Vaticano, Edizioni Musei Vaticani, 2016.
M. CAFFIERO. La maestà del papa. In: Cérémonial et rituel à Rome (XVIe-XIXe siècle), Rome, École
Française de Rome, 1997. pp. 281-316.
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Troisième Partie
On verra ici que la construction des vestiaires du Nord et du Sud de l’Italie s’est
faite sur une opposition de la vision du costume.
E. PAULICELLI, Writing Fashion in Early Modern Italy: From Sprezzatura to Satire, Routledge,
Visual Culture in Early Modernity, 2014.
R. PISETZKY LEVI, Storia del costume in Italia, Milano, Istituto Editoriale Italiano, 1964.
E. PAULICELLI, Writing Fashion in Early Modern Italy: From Sprezzatura to Satire, Routledge,
Visual Culture in Early Modernity, 2014.
R. PISETZKY LEVI, Storia del costume in Italia, Milano, Istituto Editoriale Italiano, 1964.
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B) Des emprunts multiples
Il n'est plus temps, au milieu du XIXe, de créer de toutes pièces une imagerie qui n’est
inspirée que par elle même, sans faire d’emprunts à la mode de l’époque et aux
monarchies passées ou contemporaines de Victor-Emmanuel II. On se penchera ici sur
ces emprunts multiples. On utilisera dans cette partie les estampes disponibles de Victor
Emmanuel II.
Les rares portraits du nouveau roi d’Italie en civil permettent d’observer sa presque
normalité stylistique. L’analyse de ces portraits nous démontrera que Victor-Emmanuel II
s’habille comme un homme de son temps.
R. PISETZKY LEVI, Storia del costume in Italia, Milano, Istituto Editoriale Italiano, 1964.
Créer de toute pièce une imagerie nouvelle de monarque au XIXe siècle ne peut se
faire sans emprunts et inspirations en provenance des voisins européens, on verra ici
de quoi s’est inspiré Victor-Emmanuel II.
Y. LIGNEREUX, Les rois imaginaires. Une histoire visuelle de la monarchie de Charles VIII à Louis
XIV, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016, 370 p.
c) Au milieu militaire
Tout roi qu’il est, il ne faut pas oublier que le royaume d’Italie s’est construit par la
guerre, ce qui ressort le plus des portraits et estampes de Victor-Emmanuel II c’est
l’inspiration militaire de ses costumes.
O. ROYNETTE, « L’uniforme militaire au XIXe siècle : une fabrique du masculin », Clio. Femmes,
Genre, Histoire [Online], 36 | 2012, 36 | 2012, 109-128.
C.H. DE QUÉNETAIN, Les Styles Consulat et Empire, Collection des styles, Paris, Les Éditions de
l’Amateur, 2006.
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Chapitre VII : Porter l’habit dans un Etat pris en otage
La perte du pouvoir temporel papal est un bouleversement majeur pour le Saint-Siège qui
doit réagir. Il en découle dès lors une politique centrée sur la figure du Pape,
accompagnée d’une réforme de plusieurs costumes au sein de la Curie.
On montrera ici que les différents pontifes peuvent se délester de certaines pièces
avec lesquelles ils ont moins d’affection, rompant parfois avec une tradition vieille de
plusieurs siècles.
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B) Le long pontificat : une obligation pour l’universel ?
Dans cette nouvelle politique, la place du pontife est centrale et l’attache qu’il doit
développer avec les fidèles est importante pour la prospérité et l’aura du Vatican. Le long
pontificat, ses avantages et ses questions idéologiques qu’il soulève par rapport à Saint-
Pierre seront ici au coeur de ce point.
a) Le rôle du Jubilé
c) Un nouvel affect
Comme annoncé dans le titre de notre sous partie, la longévité des papes Pie IX et
Léon XIII soulève des problématiques nouvelles (reconsidération du pontificat de Saint-
Pierre, explication théologique des pontificats courts) mais accorde par ailleurs des
avantages non négligeables comme l’affect qu’il suscite chez les fidèles.
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F. JANKOWIAK, La Curie romaine de Pie IX à Pie X : Le gouvernement central de l'Eglise et la fin
des Etats pontificaux (1846-1914), Ecole Française de Rome, Bibliothèque des Ecoles Françaises
d'Athènes et de Rome, 2007.
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Chapitre II - Les derniers possessi ou l’entrée du pape dans
le XIXe siècle
1) Un vestiaire éternel ?
Si l’apparition du vêtement dans la Bible est très précoce (on le voit ici avec la
Genèse), les références nombreuses à ce dernier témoignent de sa place capitale et de
l’importance qu’il prend très vite au sein de la liturgie. Porteur d’un lien entre sacré et
péché, c’est cette double perception du vêtement, cette interprétation bi-polaire entre
entité crée par Dieu, pour les hommes, à son image mais ternie par le péché originel qui a
façonné, et qui façonne encore aujourd’hui la pensée catholique vis-à-vis de l’habit
liturgique. Cette ambivalence est d’autant plus forte que l’Ancien et le Nouveau Testament
ne s’accordent pas sur une vision uniforme de ce dernier. S’il est d’un côté une preuve
d’amour de Jacob à son fils Joseph lorsqu’il lui offre un manteau « Il aimait Joseph plus
que tous ses autres fils, parce qu'il l'avait eu dans sa vieillesse; et il lui fit une tunique de
plusieurs couleurs. »17, le vêtement et l’abandon de ce dernier est aussi un symbole de
piété et de dévotion pour le Christ, comme nous le prouve Saint-François d’Assise.
Dans l’Exode, les vêtements liturgiques et les premières règles d’encadrement sont
ici donnés pour insuffler dans le vêtement une majesté au prêtre :
« Tu feras à Aaron, ton frère, des vêtements sacrés, pour marquer sa dignité et pour lui
servir de parure »18.
Matières, couleurs, accessoires, l’adresse de Dieu à Aaron pose les premières bases de
ce qui constituera le vestiaire liturgique chrétien. Cette dualité de vision s’impose aussi
entre clergé régulier et séculier au cours du Moyen-Âge. Effectivement, la critique de
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l’opulence de la figure romaine (mais aussi plus localement de la figure ecclésiastique)
n’est pas nouvelle. La réforme protestante constitue aussi une remise en cause du
privilège que représente le port du vêtement sacré par le clergé séculier.
Si l’on se penche sur le vêtement romain à l’aube du XIXe siècle, il est intéressant
de comparer les changements d’usage, de coutume, mais aussi les changements
matériels qui ont pu se fixer sur le vêtement romain. Comme annoncé précédemment,
l’analyse du vestiaire papal et cardinalice dans une logique des origines, peut se révéler
pertinente. Le Saint-Siège ayant une volonté assumée d’inscrire ses traditions
vestimentaires dans une lignée antique (point de notre prochaine section) et médiévale, de
les fixer dans quelque chose qui relève de l’éternel.
Pie VII assis au trône en costume d'audience. Eau-forte aquarellée. Ferrari, Rome, 1823.
Coll. Francesco Pacelli.
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L’analyse de ce portrait et sa mise en parallèle avec des portraits de pontifes
médiévaux permet de se rendre compte de ce qu’on s’est attaché à décrire plus haut.
Sur ce portrait, Pie VII porte un habit d’audience qu’il est ici justicieux d’expliciter :
• Une calotte en moire de soie blanche. La calotte est un couvre-chef arrondi, apparu au
Moyen-Âge. Si celle-ci est portée par l’ensemble du clergé jusqu’au XXe siècle, sa
variante en moire de soie de couleur blanche est réservée au pape.19
• Une mozette d’hiver en velours de soie rouge bordée de duvet d’eider. La mozette est
une pèlerine boutonnée à l’avant, couvrant le haut du corps jusqu’aux bras. Elle
remplace depuis le XIVe siècle la chape prélatice, d’où la présence d’un petit capuchon
à l’arrière inutilisable, ce dernier étant un reliquat de la chape prélatice. Portée par les
hautes instances du clergé (pape, cardinaux, évêques, abbés..) sa composition et sa
couleur sont différentes selon le rang dans la hiérarchie. Le pape et les cardinaux en
portent cinq selon les différentes fêtes et saisons du calendrier liturgique.20
• Un rochet, qui est un surplis de lin dont les origines remontent au XIIIe siècle. Les
dentelles présentes aux poignets (mais aussi parfois aux épaules pour laisser voir la
couleur de la soutane) permettent de le distinguer. Réservé aux papes, cardinaux et
évêques, les pronotaires acquièrent finalement le privilège de son port en 1586. Le
rochet papal n’a pas de distinction de couleur ou de matière, contrairement aux pièces
vues plus haut.21
Ce portrait de Sixte IV (1471-1484) peint par Le Titien nous offre lui une représentation du
pontife assis, où l’on distingue ainsi la soutane plus explicitement. Il est intéressant de
souligner que la quasi-totalité des portraits de papes se font, depuis Sixte IV et jusqu’à Pie
IX (soit sur plus de 400 ans), dans cette tenue composée du triptyque camauro/calotte,
mozette et soutane, le rochet s’incorporant un peu plus tard dans les portraits officiels.
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2) La continuité antique du vêtement romain
« La Bible étant soucieuse des choses religieuses, l'appareil sacré du temple en voyage
est mis en valeur, et avec lui le domaine pourpre-rouge, statistiquement très majoritaire.
Ainsi, le rouge domine et est valorisé ; le blanc suit loin derrière est n'est pas bon ; le noir
est à peine mentionné, mais n'est pas mauvais. »25 .
Fait intéressant à souligner, le rouge n’est ici pas tant le rival du noir, mais plutôt du blanc.
Si, sous l’Empire Romain, l’association du rouge et du blanc est antinomique, c’est entre le
Ve et le XIe siècle que ce que M. Pastoureau définit comme les « Pères de l'Église »,
façonnent la symbolique liturgique autour des trois couleurs rouge blanche et noire.
Symbolique qui influencera les pratiques vestimentaires nobiliaire et curiale pendant plus
de mille ans.26
Cette association entre un rouge à la figure partagée en pouvoir et pêché27 , et un
blanc historiquement rival du rouge se retrouve dans les textes au début du XIIe siècle
avec Rupert de Deutz28, ou plus tard avec Jean Beleth29 . Le traité du Cardinal Lothar de
« Le pontife apparait toujours dans un manteau rouge, mais est en dessous habillé en
blanc, signifiant innocence et charité, et le rouge la compassion. S’il est blanc par sa
nature, son manteau se teint en rouge pour nous »30
Il faut attendre le Concile de Trente pour que cette association devienne obligatoire,
soulignant ainsi le statut du pape comme chef spirituel de l’Eglise, le concile a pour
volonté de fixer les règles du vestiaire papal et cardinalice en même temps que de créer
une messe unifiée dans le monde romain. Ainsi, la palette colorimétrique restreinte de
l’uniforme papal renvoie à son statut sacré. Nous l’avons vu, la connotation du blanc est
évidente, elle renvoie au monde céleste, aux ailes des anges (qui, dans la tradition juive,
sont habillés aussi en blanc.) ou tout simplement à la couleur blanche de la robe de Jésus.
L’association avec la couleur rouge est habile par le fait qu’elle est depuis l’Empire Romain
symbole de pouvoir et de prestige (cette représentation est perpétuée par les empereurs
du Saint-Empire Romain Germanique qui portent un long manteau rouge comme signe de
leur pouvoir.)31 et incarnation de son pouvoir temporel, mais aussi parce qu’elle fait le lien
entre la vie du Christ, habillé en blanc, et sa mort avec le sang versé lors de la Passion32 .
Soulignons enfin qu’à l’époque moderne les différentes nuances de rouge de l’habit
liturgique sont l’incarnation matérielle de la hiérarchie au sein de l’église. Le pape a le
rouge le plus éclatant et les matières premières les plus nobles, suivi de près par les
cardinaux, et pour finir, par les évêques avec le violet.
Nous l’avons donc vu, la forte attache de l'Eglise envers la couleur rouge s’étale
dans le temps long et s’inscrit dans une logique double de glorification (la pourpre
romaine), et de rappel au martyr originel (Passion de Jésus-Christ). Pourtant, l’équilibre
trouvé dans le vestiaire papal entre rouge et blanc se voit être perturbé par la Réforme. En
effet, on constate une raréfaction du vêtement rouge devant le vêtement blanc33 , le rochet
s’inscrivant de plus en plus dans le quotidien papal. Dès lors, le pape ne porte plus que
quotidiennement le camauro, remplacé progressivement par la calotte, les mules papales
et la mozette en intérieur. Les portraits des papes de l’époque que nous étudions en sont
la preuve : mis à part la mozette, seule l’étole papale est de couleur rouge. L’étole est un
tissu couvrant les épaules du pape lors de ses apparitions publiques, elle est décorée par
des fresques d’or et reliée à la poitrine par une cordelette et descend jusqu'aux genoux.34
La couleur rouge se rattache peu à peu sur le vêtement cérémoniel ou d’extérieur, comme
la chape :
« grand manteau fermé en forme de cloche et à capuchon, se terminant par une traîne, en
laine ou soie porté à l’extérieur puis au chœur par l’ensemble du clergé depuis le Moyen-
Âge. La chape est portée lorsque le prélat se rend solennellement à un office, lorsqu’il y
assiste au chœur et lors des chapelles papales, la traîne est un signe de juridiction, seul le
pape la porte déployée, »35,
le mantum papal :
« Ample pluvial que prend le pape pour présider les cérémonies liturgiques autre que la
messe papale, par exemple les chapelles papales auxquelles il assiste au trône, prise de
possession, ouverture et fermeture de porte sainte, consistoires, Urbi et Orbi. Il apparait
dans l’Ordo de Grégoire X vers 1272. »36
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Il est alors logique de s’interroger sur les raisons de ce retrait progressif du rouge
au sein du vestiaire papal. La couleur rouge est dans le fait, l’incarnation de l’opulence du
Saint-Siège. Au même titre que le vert et le jaune, elle s’inscrit dans la polychromie du rite
chrétien, et participe à la théâtralité de la messe.38
Les grands penseurs du protestantisme voient alors en l’utilisation de ces couleurs
au sein des églises et du vestiaire religieux un acte relevant du péché. M. Pastoureau
prend pour témoin de ce chromoclasme protestant Calvin, Luther ou encore Melanchthon :
« La couleur rouge - la plus vive pour la Bible et pour toute la théologie médiévale –
est à leurs yeux celle qui symbolise au plus haut point le luxe, le péché et la « folie
des hommes ». Luther y voit la couleur emblématique de la Rome papiste,
scandaleusement fardée de rouge comme la grande prostituée de Babylone »41
Cette attitude protestante engendre une réaction catholique qui va certes, comme
nous l’avons vu précédemment, réduire la part de rouge au sein du vestiaire papal, mais
va paradoxalement renforcer sa chromophilie au sein de ses églises avec l’art baroque.
L’Eglise redevient alors cette image du ciel sur Terre. Si Luther y voyait la grande
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2) .. Et par la Révolution
«Le rouge est présent sous les termes de rubeus, ruber,scarlattus, scarlattinus, scarlattinus
minutus, vermilius, ainsi qu'afiamatus (flamboyant ou enflammé, ardent), sanguinus,
cardinalescus, porporus et porporinus, violatus, pagonazus (violet foncé),colore rossicio,
incarnatus, pili leonis (poil de lion, roussâtre : et proche donc de rubeus), rossellinus (id.),
rancius (orange). »45
Chargé de l’aura du martyr, il est l’emblème du peuple opprimé et est dressé tout
au long du XIXe siècle comme un symbole de ralliement à la Révolution française,
symbole du peuple qui se dresse face aux puissants. On le retrouve à plusieurs moments
de la Monarchie de Juillet, notamment lors des Trois-Glorieuses et de la Révolution de
184847 , se retrouvant même en concurrence avec le drapeau tricolore pour devenir
l’emblème de la Deuxième République, emblème qu’il incarne sous la Commune.48
D’abord jacobin, porteur d’une volonté de renversement de l’ordre social en place, le
rouge politique se mêle peu à peu au mouvement ouvrier européen. L’émergence des
partis socialistes dans les années 1850 accélère sa diffusion dans les mouvements
ouvriers et syndicaux. Le choix du premier mai comme fête internationale des travailleurs
en 1889 peut être considérée comme l’apogée du rouge politique : implanté globalement,
il monopolise l’espace visuel mondial, au moins le temps d’une journée.49 Si l’on se
projette hors de notre période d’étude, la Révolution russe et l’affiliation du rouge au
communisme est un point de plus à rajouter à ce mélange entre rouge et Révolution(s).
Ce court historique du rouge politique nous démontre deux choses : le rouge se
charge depuis la Révolution Française jusqu’à la Révolution russe, d’un symbolisme
politique nouveau. C’est en effet la première fois qu’une couleur est rattachée non pas à
un mouvement esthétique, mais à un courant de pensée politique étalé sur plus de deux
siècles. Plus fort encore, cette nouvelle connotation politique éclipse partiellement voire
totalement les autres valeurs attribuées au rouge. Plus de passion, de luxuriance, plus
d’amour, le « rouge » rentre dans le langage commun comme un révolutionnaire à part
entière, teinté du sang de ses martyrs fondateurs.
46J. Cornette (dir.), M. Biard, P. Bourdin, S. Marzagalli, Révolution, Consulat, Empire (1789-1815),
Paris, Belin, 2009, pp. 90-91.
47 M. Pastoureau, op. cit. p. 167.
48 Ibid. p. 170.
49Maurice Dommanget, Histoire du drapeau rouge des origines à la guerre de 1939, Marseille,
Editions Le Mot et le reste, 2006, 551 p.
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B) Du Pape conquérant au Pape sédentaire : la fin du
possesso à Rome.
« Parler de rite d'institution, c’est indiquer que tout rite tend à consacrer ou à légitimer,
c'est-à-dire à faire méconnaître en tant qu'arbitraire et reconnaître en tant que légitime,
naturelle, une limite arbitraire ; ou, ce qui revient au même, à opérer solennellement, c'est-
à-dire de manière licite et extra-ordinaire, une transgression des limites constitutives de
l'ordre social et de l’ordre mental qu'il s'agit de sauvegarder à tout prix. En marquant
solennellement le passage d'une ligne qui instaure une division fondamentale de l'ordre
social, le rite attire l'attention de l'observateur vers le passage (d'où l’expression rite de
passage), alors que l'important est la ligne. »50
50P. Bourdieu, Les rites comme actes d'institution, dans Actes de la recherche
en sciences sociales, 43, 1982, pp. 58-63.
51 I. Fosi, «Parcere subiectis, debellare superbos». In: Cérémonial et rituel à Rome (XVIe-XIXe
siècle), Rome, École Française de Rome, 1997, p. 104.
52B.Gruet, La Rue à Rome, miroir de la ville. Entre l'émotion et la norme, PU Paris-Sorbonne,
2006, p. 257.
53M Boiteux, « Parcours rituels romains à l'époque moderne ». In: Cérémonial et rituel à Rome
(XVIe-XIXe siècle), Rome, École Française de Rome, 1997, p. 45.
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Les sources précieuses que représentent les Diarii, journaux des maîtres de
cérémonies, nous renseignent grandement sur le déroulement des possessi tout au long
de l’époque moderne. Rite à caractère communautaire (le roi prend la ville sous les yeux
de son nouveau peuple) et urbain, il représente la fusion entre l’Église et le peuple de
Rome autour de son nouveau roi, qui se situe justement entre ces deux groupes distincts
dans le cortège54. Si le concile de Trente et sa volonté de centralisation monarchique
donne au possesso un fort rôle politique, en témoigne le possesso d’Innocent X en 164455 ,
cette fibre politique du cérémonial s’efface dans un XVIIe et XVIIIe siècles, où le pouvoir
spirituel supplante peu à peu le politique.56 Comprendre les mutations qui s’opèrent au
sein du rite tout au long de cette époque permet d’expliciter les raisons de son
dépouillement progressif, le possesso de Pie VII étant sûrement le plus flagrant marqueur
de la réduction du rite à un minimum syndical.
Ainsi, malgré ce que l’on pourrait penser sur l’immobilisme et le conservatisme des
maîtres de cérémonies papales, l’époque moderne se voit le théâtre de changements
importants pour le déroulé de la procession, ces changements nous renseignant sur « les
transitions politiques et des structures de puissance entre les différents pontificats »57. Le
XVIe siècle voit l’hommage à la communauté juive supprimé, témoin du durcissement de la
politique anti-juive, ces derniers restent néanmoins présents lors de la cérémonie, alors
qu’un segment au sein de la ville leur est réservé. Nous pouvons également avancer que
la multiplication d’événements liturgiques importants, centrés autour de la personne du
pontife où, en plus du couronnement, s’ajoutaient le possesso, les processions funéraires,
la fête du Corpus Christi, mais aussi et surtout l’augmentation considérable des triomphes
papaux, est une des raisons de la perte d’importance du possesso.58 Si l’on s’intéresse au
possesso de Pie VII en 1801, marqué par l’écart qu’il présente avec son couronnement du
21 mars 1800, ce dernier est moment de rupture pour le rite. De par la réduction drastique
54Pour l’ordre des différents groupes au sein du possesso, voir la liste en annexe tirée de F.
Sestini da Bibbiena, Il maestro di camera, pp. 153-165.
55Sur l’utilisation du possesso par Innocent X à des fins personnelles et politique par le détour du
cortège vers la Piazza Navona et non à Saint-Jean-de-Latran, voir J. Gadeyne, Perspectives on
Public Space in Rome, from Antiquity to the Present Day, Taylor and Francis, 2016, p. 223.
56 M Boiteux, op. cit. p 29.
57M. Caffiero, « La maestà del papa » In: Cérémonial et rituel à Rome (XVIe-XIXe siècle), Rome,
École Française de Rome, 1997, p. 304.
58 Ibid, p. 286.
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des participants au sein du cortège, le trajet est lui aussi modifié : le pontife ne part plus de
Saint-Pierre mais du palais du Quirinal, supprimant ainsi une majeure partie du trajet et
des rituels intermédiaires observés lors des formes antérieures du possesso. On pense ici
à l’hommage rendu par le pape au sénateur, donné au nom de la ville, sur le Capitole. On
observe dès lors, par la suppression de ces deux hommages, une réduction du caractère
pluriel du pontife. On note enfin que le possesso de Pie VII va rompre avec la tradition de
la cavalcade. Le pape montait jusqu’alors un cheval lors de la procession, moyen simple
mais efficace de faire le lien entre antique et contemporain tout en permettant d’appuyer
son potestas. À la monture, il préfère un carrosse tiré par les chevaux de l’écurie
pontificale : le lien visuel entre le peuple de Rome et le pape se trouve alors rompu.59
63 Ibid. p.40.
64P. Bourdieu, « Sur le pouvoir symbolique » In: Annales. Economies, sociétés, civilisations. 32ᵉ
année, N. 3, 1977, pp. 405-411.
65 M. Boiteux. op. cit. p. 43.
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traditionnelle et la réduction au strict minimum du rite démontre du bouleversement causé
par la prise de Rome par les français sur le Saint-Siège, point de notre prochaine sous
partie.
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3) Vêtir le nouveau roi de Rome
Revenons sur les éléments qui composent la tenue du pontife nouvellement élu :
• Le Fanon papal : Vêtement liturgique propre au pape, c’est une pèlerine double en soie
rayée de blanc et d’or, elle est cousue par le col. La pèlerine face extérieure est
marquée d’une croix brodée en or et se retrouve posée sur le chasuble, la face
intérieure restant sous le tunicelle. Présent depuis le XIIIe siècle, le pape porte le fanon
papal en « première couche » lorsqu’il porte le mantum, c’est le cas lors du
couronnement. 67
• Le Pallium : Bande de tissu en laine blanche de 5cm de large ornée de croix de soie
noire, le pallium remis par le cardinal protodiacre lors du couronnement se pose par
dessus le chasuble blanc en recouvrant le chasuble, tandis que deux bandes cousues
se rejoignent sur la poitrine et dans le dos. Le pallium possède des plaques de plomb
aux deux extrémités, ces dernières étant recouvertes de toile noire. Les croix sont
• La tiare papale est mise sur la tête du nouveau pontife et ce, en dernier, complétant le
rituel de création qu’est le couronnement. Le pape dispose alors des trois signes de sa
royauté : le trône sur lequel on l’a assis, le dais suspendu au dessus de lui et sa
couronne.69
71Sur le rôle de la polychromie dans les fêtes et célébrations publiques voir T.F Ruiz, « Festivités,
couleurs et symboles du pouvoir en Castille au XVe siècle. Les célébrations de mai 1428 ». In:
Annales. Economies, sociétés, civilisations. 46ᵉ année, N. 3, 1991, pp. 521-546.
72 Ibid. p. 160.
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Pallium de Jean XIII, Musée de
l'archidiocèse de Gniezno, porté pendant
la liturgie par le futur pape Jean XXIII
avant son élection (1958) comme évêque
de Rome.
Le soin apporté aux décorations urbaines n’est pas anodin. À la luxuriance des
costumes, harnachements, et des armoiries, s’ajoutent la splendeur des ornementations
urbaines. Nous avons déjà souligné l’implication plurielle des forces en présence dans la
ville, mais l’organisation par les maîtres de cérémonie rend homogène l’espace urbain par
l’érection de poteaux où peuvent se fixer les tissus rouges pour ne pas couper le couloir
cérémoniel.73 La rue se trouve être un réceptacle à l’esthétique papale où toutes les
catégories sociales se retrouvent participantes du rite, aux décors prévus par
l’organisation, la rue se voit embellie par le peuple de Rome qui de maison à maison étend
des tapisseries aux couleurs du cortège.74
Cette mise en avant papale appuyée par sa tenue et par l’ordre choisi du cortège
est tant une volonté de sublimer le nouveau pontife que de signifier la supériorité de
73Le Diaro Romano de l’historien Giacinto Gigli (1594-1671) est un témoignage précieux de la vie
quotidienne au sein de Rome notamment sa description méticuleuse des rues de Rome en temps
de possesso.
74 B. Gruet, La rue à Rome, miroir de la ville - Entre l’émotion et la norme, Paris, Presses de
l’Université Paris-Sorbonne, 2006, p. 260.
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l’Eglise sur les représentants de la magistrature capitoline et finalement sur ces sujets.
Des témoignages (notamment celui de Buchard sur la composition du cortège ou de
Renazzi, majordome de Pie VI, sur l’exaltation de la figure papale)75 démontrent de cette
volonté précoce de se distinguer du peuple de Rome, par la magnificence de la figure
papale mais aussi par la différence de prestige de vestiaire entre le roi et ses sujets,
différence qui se constate au sein même du cortège, alors même que les participants se
retrouvent privilégiés. On le verra plus tard, cette différenciation progressive et graduelle
de la figure papale depuis Pie VI démontre de la volonté du Saint-Siège de reconstruire
une liturgie chrétienne autour de la figure du pontife, projet politique et liturgique qui se
développe tout au long du XIXe siècle.
75 Voir M. Caffiero op. cit. pp. 289-90 et I. Fosi, op. cit. p. 95.
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b) « La république au village »
76M. Caffiero, La nuova era : miti e profezie dell'Italia in rivoluzione, Marietti, Genova, 1991, p.
137.
77 Ibid. pp. 137-138.
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exemple, la statue de l’Archange Michel a été recouverte par un bonnet phrygien et du
drapeau tricolore78 (idée que l’on abordera dans notre prochain point). la république prend
à son compte les rues de Rome et leur histoire. Ce changement de nom, qui peut paraître
anodin, peut être vu à son échelle comme une sorte de table rase au sein de la ville :
régénérée par l’idéal jacobin, délivré du joug du Saint-Siège, il faut rebaptiser les rues,
effacer les traces de l’ancien geôlier du peuple romain. Notons que ces changements de
nom de la part des deux camps répondent tous les deux à un axiome commun que décrit
B.Gruet dans sa thèse sur la rue et son utilisation à Rome :
« Ce sont des entités [les rues] qui existent par le trajet qu’elles supposent. Elles incarnent
donc une régularité davantage sociale que spatiale, car c’est bien le déplacement dans des
rues très différentes (et, de surcroît changeantes), qui instaure et fait exister ces viae, qui,
en fait, n’existent que dans esprit de ceux qui les parcourent ou dans celui des spectateurs
[…] c’est bien le parcours qui dessine la régularité de la ville par ses rues, même si celles-
ci sont tortueuses ou étroites, qu’importe puisqu’elles permettent le passage et font comme
confirmer cette régularité, cet ordre social visible de tous et accepté de tous, au moins
momentanément. »79
On a donc une reprise des carcans de la fête religieuse adaptés au sacré républicain,
associée à un processus de neutralisation de certains points clés de la ville (la lutte pour
s’approprier l’aura des monuments antiques est au coeur de notre prochain point). Il est
intéressant de souligner que malgré la volonté d'effacement du symbolisme chrétien au
sein de la fête, comme pour certaines célébrations en France, des mécanismes liturgiques
religieux sont repris, le Te Deum se retrouve même entonné pendant le cortège, et la
basilique Saint-Pierre se retrouve être malgré elle un passage obligatoire de la cérémonie.
78 Ibid. pp.137-140.
79 B. Gruet, La rue à Rome, miroir de la ville - Entre l’émotion et la norme, Paris, Presses de
l’Université Paris-Sorbonne, 2006, p. 263.
80 M. Caffiero, op. cit. pp.138-140.
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Romaine, que la Révolution perpétue à travers la centralité de la place au sein du cortège.
Ainsi, si le possesso chrétien n’assume qu’un lien visuel et symbolique avec l’antique (à
travers le rouge cardinalice, des tapisseries et dais suspendues le long de la via papale),
sa volonté d’éclipser petit à petit l’image de la via sacra pour la remplacer par la via papale
démontre de son détachement vis à vis de l’histoire des temps antiques. La Révolution
prend le contrepied de cette vision, certes elle rebaptise le nom des rues pour coller à son
idéal, mais par la centralisation de la fête autour d’une place aussi forte que celle où la
République Romaine est née, elle s’inscrit non comme le successeur (place revendiquée
par l’Église de Rome) mais comme l’héritière légitime du modèle classique romain.81
81 Sur le rôle de la rue dans triomphe et les entrées à Rome voir B. Gruet, op. cit. pp. 251-263.
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2) Une lutte idéologique autour des monuments romains
Les années 1798-99 nous permettent d’observer l’entrée dans une lutte
visuelle et esthétique au sein de la ville. En effet, on observe une confrontation entre la
paramentique vaticane qui lie le rouge du cortège cardinalice et de ses rues remplies de
dais pourpres, au blanc pur pontifical face à une esthétique révolutionnaire plus libre dans
sa composition vestimentaire et esthétique. Cette dernière centrée autour du triptyque
bleu blanc rouge, pare la ville de cette association de couleur. Le rappel à l’antique est
assumé par différentes composantes dans chaque camp, la pourpre vaticane d’un côté, le
bonnet phrygien de l’autre. C’est donc sur autre chose que le simple symbole que la lutte
va s’engager. L’horizontalité des cortèges respectifs se confronte à la verticalité des
monuments traversés par les deux camps82 . Les estampes vues plus haut sont un
révélateur flagrant de cette opposition entre le figé et le mouvant. Qu’ils soient artificiels
comme les arcs éphémères que nous avons étudiés plus haut ou hérités de l’Antiquité,
ces monuments se voient être au coeur d’une lutte idéologique entre les deux camps,
républicain et chrétien. Si on a déjà analysé les itinéraires des différents pontifes,
comparer le chemin emprunté par les républicains permet de faire émerger les lieux
uniques à chaque camp, les lieux de luttes idéologiques, et les lieux évités par chacun. Il
sera question d’étudier ces lieux et de voir en quoi il corresponde à l’esthétique des
différents cortèges.
84A. Cretoni, Roma giacobina: Storia della Repubblica romana del 1798-99, Napoli : Edizioni
scientifiche italiane, 1971, pp. 140-148.
85 M. OZOUF, La Fête révolutionnaire 1789–1799, Paris, Gallimard, 1976.
86 M Caffiero, op. cit. p. 148.
87 A. Boureau, Les cérémonies royales françaises entre performance juridique et compétence
liturgique, dans Annales ESC, 46, 1991, p. 1256.
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Malgré les entrées triomphales, les suppressions des signes religieux, malgré les
changements de noms imposés aux rues, malgré la ferveur populaire perceptible derrière
ce renouveau antique, malgré le fait que le rouge révolutionnaire fasse irruption au sein de
Rome, force est de constater qu’on ne peut composer sans emprunter au ritualisme de
l’Église romaine. A la libération romaine que reste t-il du souvenir révolutionnaire ?
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c) De la temporalité à l’universalité : les raisons de la
disparition
Le bouleversement que représente la prise de la ville par les troupes françaises est
un choc majeur pour une Rome à l’aube du XIXe siècle : comment le vicaire du Christ, le
messager de Dieu sur Terre, régnant sur Rome peut-il laisser sa ville se faire prendre par
l’ennemi qui les exècre ? L’épisode républicain, aussi court qu’il soit, représente une crise
du pouvoir temporel papal, crise renforcée par l’occupation de Rome par les troupes
napoléoniennes en février 1808, cette première invasion représente un ébranlement
majeur pour le pouvoir temporel du pape, on constate, dans le possesso et dans les
différents événements rythmant la vie liturgique de Rome, un basculement idéologique du
projet politique du Saint-Siège.
88M. Caffiero, « La maestà del papa » In: Cérémonial et rituel à Rome (XVIe-XIXe siècle), Rome,
École Française de Rome, 1997, p. 293.
89P. Boutry, « Un théologie de la visibilité : Le projet Zelante de resacralisation de Rome et son
échec (1823-29) » In: Cérémonial et rituel à Rome (XVIe-XIXe siècle), Rome, École Française de
Rome, 1997, pp. 317-367.
90EH Kantorowicz, Les deux corps du roi. Une étude Théologie politique médiévale, Princeton,
1957, p. 14.
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Cette priorité au spirituel forcée par les événements s’ajoute à la transformation
progressive de la vision du corps du pape (au cœur de notre prochain point) et de son
affiliation progressive au rôle de vicaire du Christ. La transformation de la cérémonie, dont
les tensions internes n’ont été que crescendo entre les familles nobles romaines durant le
XVIIIe siècle (notamment entre les familles Orsini et Colonna)91, couplées au risque de
désordre lors du cortège de la part des curiaux qui terniraient l’image papale et à méfiance
progressive des maîtres de cérémonie envers le peuple de Rome92 pousse Pie VII à la
réduire, en effectif mais aussi en pompe. Les critiques grandissantes contre la politique
monarchique de l'Église (qui trouvent leur apogée à la période révolutionnaire)93 et sur sa
légitimité à être un acteur politique influent européen se font de plus en plus vives et
donnent naissance à une littérature très critique vis-à-vis de la politique papale94 où la
chute de Rome aux mains des français est la preuve matérielle pour les cercles
réformistes de l’illégitimité politique du pontife.95 Revenons sur un point intéressant du
possesso de Pie VII et en quoi ce dernier qui pourtant pourrait paraître comme une
débâcle pour le pontife va dans les faits participer à sa grandeur, la mise sous écrit de
l’histoire de ce rite par F. Cancellieri en 180296 va dans le sens de l’abandon politique :
raconter le fait historique, raconter le faste d’antan, raconter l’action devient plus important
que de l’entreprendre, l’abandon de l’aspect spatial et esthétique de la cérémonie est
compensé par l’historisation du fait qui dresse le possesso comme dépassé et plus en
phase avec la chrétienté du XIXe siècle97. Si elle se calque sur le triomphe romain, la
Le vatican s’engage tout au long du XIXe siècle dans une politique qui vise à se
rapprocher petit à petit de l’infaillibilité, par la transformation progressive des cérémonies
autour de la figure pontificale, où le vêtement a toute son importance. Dans ce chapitre,
nous avons parlé de la raréfaction du rouge au sein du vestiaire papal, depuis la Réforme.
Néanmoins, l’engagement du Saint-Siège dans cette transition d’image du pontife tend à
accentuer l’importance accordée au binôme blanc/rouge au sein du vestiaire papal et à la
minimiser chez les cardinaux et évêques (les plus grandes évolutions, nous le verrons,
seront faites sous l’impulsion de Pie IX). L’engagement avec la maison romaine
Gammarelli en 1798 pour la confection des habits pontificaux et cardinalices, rentre dans
une logique d’unicité et de standardisation du vêtement au sein de la Curie. Ce contrat, en
plus de s’assurer d’une qualité uniforme dans le temps, évite toute déconvenue ou
différence qui pourrait sauter aux yeux de la cour et qui pourrait instaurer implicitement
une hiérarchie des étoffes entre différents cardinaux. S’il peut paraître comme anodin, cet
engagement participe grandement à la transformation de la vision du corps du pape.
L’assurance d’une garde-robe constante dans ses matières, ses visuels, sa qualité permet
d’inscrire le vêtement dans le temps long : si la robe de Jésus ne possède pas de nuances
dans son blanc, le vêtement du pontife, Vicaire du Christ, ne devrait pas en présenter non
plus.
Un exemple de la transformation et du sens des cérémonies rattachées au pontife
réside dans le rite du baiser du pied. La ré-ouverture des discussions autour du baiser du
pied, à l’aube du XIXe siècle, rite observé lors des audiences et des grandes occasions de
la vie du pontife, de son couronnement à ses funérailles, témoigne du changement qu’on
s’attache ici à décrire. Déjà décrié par les protestants à la Renaissance qui le qualifie de
rite païen100, il est vu par les réformateurs comme un signe d’arrogance malgré la tradition
remontant au Moyen-Âge de coudre sur les mules papales des croix en or101. Certaines
critiques sont plus délicates à traiter car elles viennent des évêques eux mêmes qui
revendiquent ce droit au baiser de pied en affirmant que ce rite était un acte commun non
réservé à la figure du pontife. C’est finalement cette croix d’or symbolique qui sauvera au
XIXe siècle cette révérence pontificale : par le détournement d’un hommage fait au corps
100
M. Caffiero, « La maestà del papa » In: Cérémonial et rituel à Rome (XVIe-XIXe siècle), Rome,
École Française de Rome, 1997, p. 295.
101« Mules papales. » In : B. Berthod et P. Blancahrd, Les Trésors inconnus du Vatican, Paris,
Editions de l’Amateur, 2000, p. 258-59.
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du pontife, c’est à la croix, et par extension à Jésus que l’on rend hommage en
embrassant les mules du pape, cette défense a pour double avantage de nier l’héritage
païen tout en réservant ce droit au pontife102 . Nous le voyons donc ici, c’est le pape qui est
au coeur de ce renouveau du rituel du baiser du pied, la réserve de cet acte à la seule
figure du pontife est une des nombreuses transformations liturgiques qui s’opèrent dans la
fin XVIIIe- début XIXe . Cette lutte pour l’exclusivité du rite est à relier à celle de l’attribution
du terme Vicaire du Christ (véhiculant une certaine primauté papale en affirmant son statut
de monarque spirituel) que nous avons souvent employé dans notre étude. Il a fallu
conquérir l’exclusivité de l’emploi de ce terme pour la figure unique du pontife à la fin du
XVIIIe siècle alors que de nombreux écrivains défendaient le droit des évêques à porter ce
nom.103 Le rituel du baiser du pied (ou si l’on voulait être plus exact, de la mule papale)
ayant été décrété comme privilège pontifical a permis de désamorcer cette polémique : s’il
est exclusif au chef de l’Eglise, il est la preuve évidente que seul le pontife peut se placer
comme le messager sur terre du Christ, se plaçant au dessus des évêques mais aussi au
dessus des autres princes et souverains, preuve s’il fallait encore la démontrer, de
l’importance du vestiaire pontifical au sein de la construction de son image visuelle et
politique.
Ainsi, dans ce chapitre, nous avons étudié, à travers le prisme du possesso, les
changements profonds qui s’amorcent dans la politique du Saint-Siège à l’aube du XIXe
siècle. La construction progressive de la sacralité du corps du pontife à travers les deux
figures du pape martyr, Pie VI, et du pape héroïque, Pie VII, se déroule en parallèle à
l’exaltation de son rôle universel et supérieur par rapport aux souverains temporels. La
volonté progressive de refonder Rome en une nouvelle Jérusalem par le retour à certaines
pratiques héritées de la chrétienté médiévale (et l’échec de son application sous Léon XII)
sera le point de notre prochain chapitre.
Ouvrages généraux
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Y. BRULEY, Histoire de la papauté : Rome et le monde depuis deux mille ans, Paris,
Perrin, 2011
Y-M. HILAIRE (dir)., O. CHALINE, M-Y. PERRIN, Histoire de la papauté : 2000 ans de
missions et de tribulations, Seuil, 2003
A. PARAVICINI BAGLIANI, Le Corps du Pape, Paris, Seuil, 1997.
N. PELLEGRIN, Voiles. Une histoire du Moyen Âge à Vatican II, Paris, CNRS Éditions,
2017.
T. TANASE, Histoire de la papauté en Occident, Paris, Gallimard, 2019.
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Ouvrages spécialisés
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Ouvrages spécialisés sur la religion
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Ouvrages spécialisés sur la Révolution
A. CRETONI. Roma giacobina : storia della Repubblica Romana del 1798-99, Napoli,
Edizioni scientifiche italiane, 1971.
M-P. DONATO, J. BOUTIER « La République romaine de 1798-1799. Panorama des
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G. GIGLI, Diario Romano (1608-1670), a cura di Giuseppe Ricciotti, Roma, Tumminelli,
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F. SESTINI DA BIBBIENA, Il maestro di camera, Per il Diotalleui, 1639.
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Autres disciplines
Sociologie de la norme
Œuvres littéraires
Catalogues d’expositions
A. BOLTON (Dir.) Heavenly Bodies: Fashion and the Catholic Imagination, New York The
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Travaux universitaires
Introduction…….……………………………………………………………………p.4.
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b) « La république au village »..………………………………….p.60.
Bibliographie………………………………………………………………………p.71.
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