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Jacques, qui vient d‘être plaqué par sa ridicule. Une cérémonie richissime où, la boue.

Avec La Petite Apocalypse,

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femme, sort de son marasme : grâce à sous l‘égide du pape, toutes les nations c‘est la droite qui se réjouit de voir la
Stan, il retrouve un peu de l‘exaltation sont conviées à célébrer... les pauvres. gauche mise en accusation. Elle a tort,
de sa jeunesse, au temps de Mai 68. A Qui, bien sûr, resteront pauvres. On car, pour une fois, ce ne sont pas les

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défaut du bonheur de l‘humanité, il va rit — jaune — ou on sourit, en dépit de abus ou les errements d‘une idéologie
faire celui de Stan. Pour lui rendre goût quelques lourdeurs. que dénonce Costa—Gavras. Mais les
à la vie, il va faire publier ses œuvres. Et puis, il y a cette drôle de façon abus et les errements de quelques irres—
Escorté d‘Henri — autre soixante— qu‘ont les personnages de se demander ponsables. Le livre était un brûlot poli—
huitard embourgeoisé —, il va trouver à tout bout de champ : « Au fait, avez— tique daté et ancré dans la réalité polo—
Arnold (succulent Maurice Bénichou), vous lu La Petite Apocalypse, de Konwi— naise. Le film est une fable intemporelle
un ancien copain des barricades devenu cki ? » Et, si on l‘a lu, on comprend sur l‘absurdité de vouloir faire le bon—
un magnat de l‘édition. Mais le capi— ce qui a pu séduire Costa—Gavras : ce heur d‘un homme malgré lui — par
taliste a pris résolument le pas sur le ré— scandale qu‘est la mise à mort d‘un exemple, en le tuant pour le rendre
volutionnaire. Arnold n‘éditera les homme pour le triomphe d‘une cause. immortel... e Claude—Marie Trémois
œuvres de Stan que s‘il est sûr de les Car, si l‘on y regarde de près, c‘est le su— (1) Press Pocket n° 4663.
vendre. Pour cela, il faut réussir un jet de tous ses films. De L‘Aveu à Music Français (1 h 50). Réalisation : Costa—Gavras.
Scénario : Jean—Paul Grumberg et Costa—Gavras.
coup médiatique. Puisque Stan est sui— Box, de Missing à La Main droite du Dialogues : Jean—Claude Grumberg. Image : Patrick
cidaire, pourquoi ne pas lui proposer diable, il n‘a jamais dit autre chose. Blossier. Son : Pierre Gamet, Claude Villand. Décors :
de s‘immoler en public ? Et nos deux Philippe Chiffre. Montage : Joële Van Effenterre.
Costa—Gavras est un humaniste, un
Musique : Philippe Sarde. Avec : Jiri Menzel (Stan),
benêts d‘accepter. Et Stan aussi, ma vrai, pour qui la vie d‘un homme a plus André Dussollier (Jacques), Pierre Arditi (Henri),
foi, de peur de décevoir Barbara, dont de prix que toutes les idéologies. Ce Anna Romantowska (Barbara), Maurice Bénichou
(Arnold). Production : K& Productions (France),
il est toujours amoureux... qui a permis tour à tour à la droite Nickelodeon (ltalie), Heritage Films (Pologne).
Un chat noir maléfique. Un jogger comme à la gauche de le traîner dans Distribution : AFMD—K.G. Distribution.

Costa—Gavras
EŒ Ligne : toujours dire ce qu‘on pense.
Quitte à décevoir la gauche et plaire à la droite.

Les aveux
d‘un militant
l a toujours pris des coups. Ceux la droite, voilà qui serait tragique. Ce
de la droite pour Z. Ceux de la serait revenir au temps des commu—
gauche pour L‘Aveu. Ceux des deux nistes qui défendaient à fond le stali—
pour Section spéciale ou Hannah nisme, sous prétexte qu‘il allait rendre
K. Avec La Petite Apocalypse, c‘est à le monde meilleur...
nouveau la droite qui pavoise... Mise
au point. TRA : Tout de même, sortir un film
pareil à quelques semaines des élections
TELERAMA : Soyons clairs : votre film ne législatives, c‘est de l‘inconscience ou
fait—il pas le jeu de la droite ? de la maladresse !
COSTA—GAVRAS : Ecoutez, quand je suis C.—G. : Ni l‘un ni l‘autre. D‘abord, nous
arrivé en France, j‘ai rencontré, par une avons commencé à écrire le scénario
chance extraordinaire, des gens comme il y a plus de trois ans...
Signoret, Montand, Semprun ; un peu
plus tard, Foucault et Glucksmann... Et TRA : Oui, mais le film sort aujourd‘hui.
tous ces intellectuels, à l‘époque, m‘ont Ne va—t—on pas vous accuser de traîtrise...
appris qu‘il fallait toujours dire ce que C.—G. : Ecoutez, pour en finir avec ça,
l‘on pense. Sur n‘importe quel sujet, n‘im— laissez—moi vous raconter ce que m‘a
porte quel parti, n‘importe quelle idéolo— dit Simone Signoret, un jour : « Quand
gie. Car une idéologie, parfois, ça prend je fais quelque chose, je regarde trois
l‘eau, ou ça ressemble à la coque d‘un ou quatre personnes autour de moi. Et
bateau encombrée de mollusques qui le c‘est dans leur regard que je devine si
paralysent. Et, parfois, le font couler. j‘ai eu raison ou pas. » C‘est dommage
qu‘elle ne soit plus là, je lui aurais mon—
$ TRA : Pour vous, la gauche a pris l‘eau ? tré La Petite Apocalypse et, sûrement,
il se prête à un coup médiatique... C.—G. : Forcément. Mais le laisser dire à nous aurions discuté... it—

Télérama N°2248 — 10 février 1993


®— TRA : Mais que vouliez—vous faire pas « l‘Eglise—caviar » !), qui continue C.—G. : Henri s‘est lové dans la vie
avec ce film ? depuis des années à tenir les mêmes comme il se love dans les bras de sa
C.—G. : Chausser les souliers de la droite discours inutiles. Des mots, rien que femme. Mais il lui reste la nostalgie de
pour mieux décrire, à l‘aide d‘une méta— des mots... son passé. Jacques, lui, est suicidaire
phore, une certaine gauche, chez qui mais ne veut pas l‘avouer. Il décide que
le spectaculaire l‘emporte. Et le cha— TRA : La grande tare de notre société, Stan le sera à sa place.
cun pour soi. c‘est le spectaculaire ? Et ça correspond bien à l‘idée fixe
C.—G. : Ah oui, vraiment ! Prenez la Jus— que nous entretenons, Occidentaux,
TRA : Le spectaculaire l‘emporte aussi tice. Vous avez un juge qui, à la suite avec les gens de l‘Est. On veut croire
chez les intellos de droite... de l‘action qu‘il a entreprise, pose pour qu‘ils sont suicidaires, qu‘ils veulent en
C.—G. : Mais où sont—ils ? Que disent—ils ? des photos dans un hebdomadaire à finir : ce n‘est pas vrai du tout ! Mais
Depuis Raymond Aron, leur discours grand tirage. Et Dieu sait ce que ça Henri et Jacques croient que leur pro—
est le même. Certains — pas tous, il y veut dire : aller dans un studio avec sa pre mode de vie est le meilleur. Que
a des intellectuels de droite brillants — robe, son code sous le bras, supporter Stan, même revenu de tout, puisse vivre
continuent même à vouloir défendre le photographe qui dit : « Plus haut, heureux, en haut, dans sa chambre de
Vichy. Tout comme l‘Église (on parle de les lumières » ou « Regardez par là ». Il bonne, ne leur vient pas à l‘esprit. Pour
la « gauche—caviar », mais n‘oublions consacre donc deux ou trois heures à être heureux, selon eux, il faudrait que
des photos. C‘est tragique... Quand un Stan vive en bas, dans ce grand appar—
juge décide aujourd‘hui d‘une perquisi— tement de 200 m°.
tion au siège d‘un parti — et c‘est son
droit et même son devoir —, la. télévi— TRA : £t, donc, leur raisonnement per—
sion est là ! Il pourrait le faire dans le vers consiste à dire : qu‘il meure, mais
secret. Non... qu‘il meure utile !
C.—G. : Oui. Qu‘il devienne un héros ! Il
TRA : Beaucoup ne font plus de diffé— nous faut des héros. Du spectacle et
rence entre la gauche et la droite... des héros. Ecoutez, au moment du
C.—G. : Ecoutez, pour moi, la gauche conflit Tchad—Libye, je connais des in—
c‘est quelqu‘un qui se lève chaque ma— tellectuels — très proches — qui pous—
tin, se plante devant sa fenêtre et se saient Mitterrand à cogner sur Kadhafi.
dit : « On va essayer d‘aider les autres Heureusement, et c‘est là que se révèle
à devenir plus forts pour vivre mieux. » sa conscience de gauche, Mitterrand a
Tandis que la droite, c‘est quelqu‘un négocié, négocié, négocié. Et le pire a
qui se lève, qui se plante devant sa été évité.
fenêtre et se dit, très pragmatique : Aujourd‘hui, on vit la même chose
« Où sont les difficultés à vaincre ? avec la Bosnie—Herzégovine. C‘est outra—
Qu‘est—ce que je vais faire pour proté— geant, ce qui se passe là—bas ! Et le pre—
ger mes acquis ? » Aucune générosité mier réflexe — y compris le mien —, c‘est
dans son discours. Aucune exaltation. de dire : « Faut cogner fort pour arrê—
ter tout ça ! » Et on a tort ! Le grand
TRA : Et c‘est plus difficile de faire pas— fantasme, aujourd‘hui, c‘est la guerre
ser un message généreux ? propre. La guerre sans morts. Sans
C.—G. : Oui. Et puis certaines promesses morts de notre côté, s‘entend... Mais les
non tenues péèsent plus que certaines intellectuels que j‘ai rencontrés quand
actions réussies. . je suis venu en France étaient tous
contre la guerre. Ils savaient, eux, que
TRA : En fait, vous préfèrez quand la la guerre, c‘est la pire des horreurs.
gauche est dans l‘opposition.
C.—G. : La gauche, non, mais les intel— TRA : Vous dites toujours ce que vous
mvoreux/mens

lectuels, oui ! Un intellectuel de gauche pensez ; vous filme: ce que vous vou—

se doit d‘être dans l‘opposition. Quand lez, au risque de déplaire. Mais déplaire,
Costa—Gavras. Il a toujours pris le président Mitterrand a accepté de re— en fait, doit vous plaire beaucoup...
des coups. De la droite, pour « Z ». cevoir Jaruzelski, le petit groupe auquel C.—G. : Si on essaie d‘être artiste, il faut
De la gauche, pour « L‘Aveu ». j‘appartiendrai jusqu‘au bout a protesté. déplaire. Ou alors on tourne Rambo,
On s‘est fait engueuler comme du pois— qui fait plaisir à tout le monde, dont
son pourri par les gens au pouvoir. Et on sort en se disant « Oui, c‘était bien »
la droite en a fait des gorges chaudes. et qu‘on oublie aussitôt après l‘avoir
Seulement, il fallait le faire... En re— vu. Tout art dérange. Ce qui peut donc
vanche, quand la gauche agit bien — et arriver de mieux à un film, c‘est de sus—
elle l‘a fait souvent —, on est là pour le citer la discussion e
dire. Et parce qu‘on sait critiquer quand Propos recueillis par
il faut, on reste — peut—être — un peu Pierre Murat
plus crédibles.
Avez—vous
TRA : Comment voyez—vous le duo vau— aimé ce film ? 615
devillesque que forment Henri (Pierre
Arditi) et Jacques (André Dussollier) ?
D‘accord, pas
d‘accord ? élérama
28 Télérama N°2248 — 10 février 1993

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