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Dissertation : les limites des lois du service public.

Mélodie Roure

Le 18 mars 1992, lors de la signature de la Chatre des services publics, fut reconnue l’existence
de « principes d'action », qui sont des lois de nouvelle génération régissant le service public et
qui viennent moderniser son régime de fonctionnement. En effet, le service public est une
notion assez ancienne dégagée depuis la fin du XIXe siècle par l’arrêt Blanco du 8 février 1873,
il s’agit du critère de compétence pour déterminer la compétence du juge administratif.
Seulement cela va sans définir la notion que constitue le service public. En ce sens, René
Chapus énonce alors qu’ « une activité constitue un service public quand elle est assurée ou
assumée par une personne publique en vue d’un intérêt public ». Une activité de service public
est une activité d’intérêt général maîtrisée par une personne publique. Cependant il faut savoir
que la personne publique n’est pas libre de gérer l’activité de service public comme elle
l’entend. Bien qu’elle soit libre de gérer l’activité par ses propres moyens ou par le biais de la
délégation à une personne privée, l’exercice de son activité est restreint en ce que les services
publics sont soumis à des règles strictes qui encadrent leur fonctionnement. Ce qui nous
intéresse ce sont les lois qui régissent l’activité du service public en elle-même, c’est-à-dire les
règles auxquelles l’administration ne peut pas déroger, qu’elle doit nécessairement appliquer
dans l’exercice de sa mission d’intérêt général. En effet, les lois du service public sont des
règles applicables au service public qu’il soit administratif ou industriel ou commercial, ou qu’il
soit géré par une personne publique ou une personne privée délégataire. Mais quelles sont
concrètement ces lois ? Aussi connues sous le nom de « lois de Rolland », ces lois désignent
l’ensemble des principes fondamentaux applicables à tous les services publics. C’est un socle
commun qui encadre leur fonctionnement et qui garantissent que l’institution mise en œuvre
soit bien un service public. A l’origine il s’agit d’une trilogie de principes dégagés par le juriste
Louis Rolland dans les années 1930, qui imposent à l’administration le respect de la continuité
du service public, la mutabilité de ce dernier, ainsi que l’égalité de son fonctionnement. Elles
permettent ainsi une gestion uniforme et homogène de tous les services publics. Mais depuis
les années 1930 le fonctionnement du service public a évolué, car en effet la gestion n’est plus
la même, les demandes des usagers et l’objectif d’intérêt général remettent en question ce socle
traditionnel et questionnent la nécessité d’intégrer de nouveaux principes. C’est pour cela que
la chartre des services publics a adopté en 1992 des « principes d’action » du service public,
adaptant alors le mode de fonctionnement de l’administration et la gestion du service public
aux besoins d’aujourd’hui. Figurent alors parmi ces nouveaux principes la neutralité du service
public, la transparence, la participation ou encore la qualité de ce dernier. Sont-ils intégrés aux
lois du service public ou sont-ils une limite à ces dernières ? Ainsi, s’interroger sur les limites
externes revient à se demander quel régime ne leur est pas applicable, mais aussi quelles
instances peuvent restreinte l’application de ces règles. S’interroger sur les limites internes
revient à se demander quelles restrictions ces lois rencontrent, et comment elles leur définissent
un régime. Comment les limites interne et externe des limites posées aux lois du service public
permet-elle d’en dégager un régime ? On cherche également à savoir si ces lois sont à l’aube
de leurs limites, en ce qu’elles sont désormais inadaptées et obsolètes pour la règlementation
du service public.

Dans un premier temps, il s’agira d’analyser les limites internes dégagées par les lois elles-
mêmes, en ce qu’elles restreignent à elles-seules l’activité de l’administration (I), puis il s’agira
d’observer les limites externes dégagées par l’Union européenne, ce qui vient restreindre le
champ d’application de ces lois et leur définir un régime propre (II).

I/ Les limites internes constitutives du régime délimité des lois du service public
Les limites internes posées par les lois de Rolland sont de deux types : celles qui sont
intrinsèques à l’administration (A), pesant sur la manière de gérer le fonctionnement interne de
sa mission et ses personnels, puis celles lui étant extrinsèques, concernant sa manière de traiter
les usagers (B).

A) Les lois de mutabilité et de continuité comme limite intrinsèque à l’administration

Parmi les principes originaires depuis 1930, il faut premièrement retenir les principes de
mutabilité et de continuité qui sont indissociables, en ce que le premier est nécessaire à la
garantie du second. Tous deux constituent une limite intrinsèque aux lois du service public.

Le principe de continuité est celui qui impose un fonctionnement continu et régulier à


l’administration, sans interruption autres que celles légalement définies. Ce principe lutte contre
un « état à éclipses » selon la formule de François Gazier, c’est-à-dire donc une mission de
service publique mal assumée et peu régulière dans son exercice. Louis Rolland lui-même
assurait que les services publics « doivent fonctionner sans heurts, sans à-coups, sans arrêts ».
C’est un principe qui fut dégagé par la jurisprudence du Conseil d’Etat en date de 1979 en tant
que principe général du droit, dans un arrêt Secrétariat d’Etat aux universités. Seulement ce
principe présente des limites, il pose des interdictions justifiées par le besoin de continuité du
service public. En effet, le droit de grève a été longtemps refusé aux fonctionnaires du service
public car il ne permettait pas le maintien continu de ce dernier. C’était une limite intrinsèque
posée aux lois du service. L’arrêt Winkell de 1909 du Conseil d’Etat admettait cette
impossibilité, et c’est seulement en 1950 par l’arrêt Dehaene que ce droit ne sera plus une limite
au service public. Mais cette limite interne du droit de grève est toujours d’actualité pour
certaines professions de certains services publics : les policiers, magistrats et militaires car ce
sont des fonctionnaires qui exercent des fonctions indispensables à la sécurité et l’intérêt
général. Cela justifie le caractère continue de leur exercice et la limite posée à leur droit.
Cependant le Conseil d’Etat veille à l’équilibre du droit de grève et à celui de la loi de la
continuité, il a par exemple en 2008 dans un arrêt Syndicat Sud-RATP censuré des dispositions
de la RATP qui ne respectaient pas le respect du droit de grève. Mais ce principe ne peut
fonctionner sans le principe de mutabilité, aussi fréquemment désigné comme « loi de
changement » selon Louis Rolland. C’est la condition nécessaire pour suivre l’évolution des
besoins d’intérêt général, c’est pour cela que le service public souvent se transforme. Dégagé
par l’arrêt de 1902 dit Compagnie nouvelle de gaz de Déville-les-Rouen, ce principe affirme
que rien ne peut entraver l’adaptation du service public aux besoins de la société. Il s’adapte à
la demande des usagers. Cela justifie aussi la puissance unilatérale accordée à l’administration,
pour qu’elle puisse toujours modifier ses actes et ses contrats pour garantir une exécution selon
les attentes des usagers. L’arrêt Vannier du Conseil d’Etat rendu en 1961 assure que les usagers
n’ont aucun droit au maintien du service public, ils sont soumis aux changements de ce dernier.
Mais c’est encore par l’application de ce principe que l’administration peut supprimer des
services publics, toujours dans un objectif d’intérêt général. Seulement une limite vient
restreindre l’application de ce principe : les modifications doivent toujours se faire selon
l’exigence de sécurité juridique, c’est-à-dire que l’administration qui effectue l’action
d’adaptation du service public doit prendre des mesures transitoires pour laisser le temps aux
personnels et usagers de s’adapter à ces nouvelles dispositions. La sécurité juridique est une
limite intrinsèque à l’administration quant à son exercice du principe de mutabilité.

Dorénavant il faut regarder quelles limites viennent restreindre l’activité de l’administration


envers les usagers.
B) Les principes d’égalité et d’équité extrinsèques à l’administration
Secondement, il faut retenir les principes d’égalité et de neutralité qui sont inséparables.
Ils constituent ensemble une limite extrinsèque à l’administration, qui compte pour les usagers.

Le principe d’égalité est un principe traditionnel, désormais reconnu en tant que principe
général du droit « régit le fonctionnement des services publics ». Il fut dégagé par le Conseil
d’Etat dans l’arrêt de 1951 nommé Société des concerts du conservatoire. Il s’inspire très
largement des articles 1 et 6 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen
de 1789 qui assurent l’égalité du citoyen devant la loi. Plus précisément, il admet une égalité
pour tous les usagers du service public devant ce dernier, chaque situation identique étant traitée
également. Par exemple, l’accès aux emplois publics doit être géré de manière égale dans tous
les services publics. Pour des raisons d'intérêt général et dans le respect de la loi, les différences
de traitement sont possibles et permettent de déroger à ce principe, mais elles ne doivent, en
aucun cas, être arbitraires ou discriminatoires. Elles doivent, selon la jurisprudence de 1997
Denoyez et Chorques, résulter soit de la loi, soit être justifiées par des différences appréciables
et objectives de situations, ou par des motifs d’intérêt général. Dans cet arrêt le Conseil d’Etat
avait accepté l’instauration de tarifs différenciés pour les habitants de l’Ile de Ré et pour les
vacanciers, et ce par le motif de l’intérêt général. On convient donc que limites imposées par le
principe d’égalité sont relatives à toute interdiction d’inégalité ou discrimination. Mais cette loi
d’égalité imposée au service public ne peut réellement s’ordonner que par l’articulation d’une
autre loi, celle de la neutralité. Pour assurer une égalité de traitement de ses demandes, et ainsi
le respect de l’intérêt général, le service public ne doit pas être partial ou influencé dans ses
décisions. Donc de la loi de la neutralité découle le principe d’égalité. Ainsi toutes les décisions
administratives doivent être neutres pour assurer le respect de l’intérêt général : elles ne peuvent
faire de favoritisme, elles ne peuvent être partiales. L’administration ne peut pas défendre des
intérêts autres que ceux de l’intérêt général, elle ne peut être partiale ou influencée. Mais cela
fait aussi référence à la laïcité telle qu’affirmée dans le premier article de la Constitution, qui
impose la liberté de conscience et des cultes. Le Conseil d’Etat a qualifié le principe de laïcité
en tant que Principe fondamental reconnu par les lois de la république dans un arrêt de 2001,
Syndicat national des enseignants du second degré. Cette obligation de neutralité incombe à
l’administration d’un service public de rester tant neutre dans ses actions que dans ses
expressions. Alors une autre limite est posée : les agents du service public ne peuvent exprimer
leurs opinions politiques ou religieuses dans l’exercice de la mission qui leur incombe. Les
fonctionnaires de l’administrations qui ne peuvent pas montrer de manière ostentatoire ou
ostensible leurs croyances religieuses et politiques.

Les limites internes sont relatives à la seule action de l’administration, mais qu’en est-il des
limites externes qui obligent aussi un exercice restreint de ces principes limités ?

II/ Les limites externes du droit communautaire inhérentes à ces lois restrictives

Il s’agira d’observer comment le régime propre aux principes de l’administration s’est raffermi
en excluant les principes de bonne gestion, limite externe à ces lois (A), puis d’analyser
comment le droit européen limite le juge administratif dans l’exercice de ces lois (B).

A) Les principes de bonne gestion comme limite externe des lois du service public

L’introduction en droit interne du droit communautaire a permis la modernisation du service


public, ce qui a créé la nécessité d’adapter les lois à l’évolution du service public.
Il existe d’autres principes qui ont été adoptés avec la Charte des services publics du 18 mars
1992, ainsi les « principes d'action du service public » viennent s’ajouter à ces « principes
fondamentaux ». Il ne s’agit pas d’un élargissement des principes fondamentaux, car ils en sont
distingués, c’est simplement une suggestion de considération plus large. Parmi ces principes,
celui de la transparence du service public, de la responsabilité, de l’accessibilité et la simplicité
ont été dégagés. Puis une circulaire en date du 26 juillet 1995 a complété cette liste et a donné
vie aux nouveaux principes de qualité du service public, accessibilité, simplicité, rapidité,
transparence, médiation et participation. Seulement cette complexification du droit commun
des services publics ne sont pas reconnues unanimement par la doctrine dont une partie continue
de distinguer les lois traditionnelles du service public et les nouvelles règles de fonctionnement.
Seule la neutralité semble avoir été reçue par la doctrine comme un nouveau principe, les autres
lois restent fortement critiquées. Par exemple, Stéphane Braconnier distingue les lois réelles du
service public, soit les trois lois originaires, et les principes virtuels nouvellement apposés.
Pierre-Laurent Frier affirme que ces nouvelles règles ne peuvent pas être considérées comme
des lois du service public, ce sont des « règles de bonne gestion ». Or d’autres juristes pensent,
à l’instar de Lucie Cluzel, qu’ils sont potentiellement des « principes en puissance » qui
pourraient se dévoiler nécessaires à une étape supérieure du développement du service public.
D’autres, comme Virginie Donier, pensent que ces principes ne sont pas voués à devenir des
lois du service public, ayant encore un avenir incertain, il ne faut pas chercher à agrandir le
cercle limité des lois du service public car sinon il perdrait de sa force contraignante, « de sa
cohérence et de son intérêt ». Mais qu’est-ce qui différencie concrètement ces règles des lois
de Rolland ? Comme l’énonce Virginie Donier, ces principes sont de simples lignes de
conduite, partie intégrante du droit non-contraignant, fruits de circulaires, ils ne disposent alors
d’aucune force en ce qu’ils font partie du droit souple. Ils ne sont pas voués à devenir des lois
du service public mais des objectifs toujours plus concrets dans le fonctionnement de ce dernier.
Les lois du service public sont intangibles et sont obligatoires, elles ont une réelle force
contraignante. Ils ne bénéficient pas d’une force juridique suffisante pour être désignés comme
lois du service public. Ces principes de bonne gestion sont donc une limite externe aux lois du
service public : ils ne font pas partie de leur régime, et restreint donc leur régime aux trois lois
précitées.

Dès lors il faut s’intéresser plus généralement à l’impulsion limitative du droit européen quant
à l’application de ces principes, dont il préconise une considération bien moins restreinte.

B) Le droit européen comme limite externe des lois du service public

Désormais il est temps d’observer quelle influence a eu le droit communautaire sur les lois du
service public, et quelles limites ce droit est venu consacrer. En effet, le droit de l’Union
européenne encourage à l’affirmation réelle de ces nouvelles lois consacrées depuis l’adoption
de la charte des services publics en 1992 et donc des nouvelles lois qui ne sont pas encore
érigées en principe à même titre que les traditionnelles.

Concernant le principe d’égalité, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne est
venue apposer une règle qui limite le champ d’application des états quant à l’utilisation de ce
principe : son article 21 précise que « Toute discrimination exercée en fonction de la nationalité
est interdite. » Ainsi le Conseil d’Etat peut instaurer des mesures discriminatoires pour faire
régner le principe d’égalité mais toujours dans la limite de la discrimination, qui est contraire
au principe d’égalité. Par exemple, le Conseil d’Etat avait refusé lors de l’arrêt Denoyez et
Chorques d’instaurer une différence tarifaire pour les personnes vivant au sein du département
de Charentes Maritime mais ailleurs que sur l’île de Ré, au motif que cela créerait une
discrimination géographique aussi importante qu’une discrimination en fonction de la
nationalité. A même titre, la jurisprudence européenne réfute l’application par le juge
administratif du principe d’égalité : elle n’approuve pas les discriminations qu’il autorise par
rapport au lieu de résidence des usagers. Dans un arrêt de la Cour Européenne des Droits de
l’Homme en date de février 2003, nommé Commission contre République italienne, elle est
venue affirmer que les tarifs préférentiels aux résidents locaux pour un service public culturel
portent atteinte au principe de non-discrimination, soit au principe d’égalité, en ce que cette
discrimination est pareil à celle du fait de la nationalité. L’interprétation du principe d’égalité
est donc une limite à l’application par le juge administratif de ce principe, en ce qu’il est soumis
au droit de l’Union européenne et à ses propres interprétations de son droit. Cela pousse alors
le juge français à revoir l’application en droit interne du principe d’égalité. De même, le
principe de transparence est aussi régi directement par le droit communautaire, en l’article 42
de la charte précédemment citée, qui consacre un droit d’accès aux documents administratifs
détenus par les services publics à toute personne physique ou morale le demandant. Cette limite
apposée à l’administration tend à faire tendre le principe de transparence vers un réel principe
affirmé à même tire que les lois de Rolland. Peut-être est-ce un début de remise en cause des
limites internes de notre première partie, de par un agrandissement sous l’impulsion de l’Union
de ces principes limités ? L’Union européenne semble aussi imposer le principe de qualité en
tant que loi du service public, depuis son introduction en droit communautaire. Le droit
européen parle d’un service universel comme un service de qualité. Cela s’apparente donc
comme une future limite à laquelle sera peut-être soumise l’administration qui devra respecter
cette loi une fois ultérieurement intégrée. Car le droit communautaire tend à adapter les progrès
des services publics aux besoins des consommateurs. Finalement, on peut dire que les limites
posées par le nombre quantitatif restreint des lois de Rolland sont en péril du fait de l’intégration
importante du droit communautaire, et de sa position quant au service public. C’est la raison
pour laquelle la doctrine se montre hostile à un tel agrandissement par l’intégration des
« principes de bonne gestion », sollicités par l’Union européenne. A ce sujet, dans son rapport
public de 1994, le Conseil d’Etat énonçait le danger de l’influence grandissante du droit
communautaire « L’avenir de la notion de service public est, si l’on n’y prend garde, compté. »

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