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Pierre-Yves Beaurepaire
Silvia Marzagalli
Atlas de la
Révolution française
Atlas de la Révolution française
Un basculement mondial – 1770-1804
Deuxième édition
Atlas de la Révolution française
Auteurs
Pierre-Yves Beaurepaire est professeur d’histoire moderne à
l’université de Nice Sophia-Antipolis, membre honoraire de
l’Institut universitaire de France. Ses recherches portent sur la
sociabilité, les réseaux et les circulations au siècle des Lumières.
Il est l’auteur de nombreux ouvrages, notamment l’Europe des
Lumières (« Que sais-je », PUF, 2e éd. 2013), La France des
Lumières 1715-1789 (collection « Histoire de France », Belin,
2011), La Communication en Europe de l’âge classique au siècle
des Lumières (Belin, 2014).
Cartographe
Guillaume Balavoine est cartographe indépendant.
ISBN : 978-2-7467-4296-3
© 2016, Éditions Autrement.
17, rue de l’Université – 75007 Paris
Tél. : 01 44 73 80 00 / Fax : 01 44 73 00 12
Deuxième édition
Editions Autrement
Collection Atlas/Mémoire
4
Atlas de la Révolution
française
90 Annexes
69 La France de Bonaparte : 92 Chronologie
une consolidation de la Révolution ?
94 Bibliographie et sitographie
70 La fin de la Révolution
72 Surveillance de la société civile et
musellement des oppositions
74 Réconciliation nationale et recomposition
des élites
76 Révolutionnaires et anciennes élites
au service de l’État
78 Bonaparte, général de la paix ?
80 Un espace allemand reconfiguré
82 L’échec de la reprise en main coloniale
française aux Amériques
84 L’éducation, un enjeu majeur
de la période révolutionnaire
86 Circulation des savoirs et des informations
6
INTRODUCTION
Un monde en effervescence
« Voyant le joug si pesant qui nous opprime, la tyrannie le temps de la « transition révolutionnaire » des années
de ceux qui nous imposent cette charge et ne consi- 1770-1830 qui verrait la fin de l’Ancien Régime et la nais-
dèrent nullement l’indignité à laquelle ils nous ont sance du monde contemporain. Aux polémiques histo-
réduits, poussé à bout par ladite indignité et l’impiété riographiques, qui trop souvent nuisent à la recherche
de ceux qui nous y ont conduits, je me suis déterminé sur la Révolution, cet atlas préfère explorer les possi-
à secouer ce joug insupportable et à m’opposer au bilités offertes par la cartographie actuelle. Alors que
mauvais gouvernement que nous subissons de la part la problématique des révolutions atlantiques dévelop-
des chefs de l’administration. » Ces mots sont extraits pée par Robert Roswell Palmer (1909-2002) et Jacques
d’un édit de décembre 1780 signé José Gabriel Túpac Godechot (1907-1989) dans un contexte d’opposi-
Amaru, ancien élève des jésuites au collège de Saint- tion idéologique entre les deux blocs nés de la guerre
François-Borgia de Cuzco, en révolte contre l’auto- froide fait aujourd’hui l’objet d’un réexamen fécond,
rité coloniale espagnole dans les Andes. Celui qui il est possible d’intégrer et de croiser les apports des
dénonce « l’oppression de la tyrannie des Européens » recherches en cours en histoire économique, culturelle,
et se présente comme descendant direct du dernier sociale, religieuse et politique, pour mettre en évidence
Inca, Túpac Amaru, précise qu’il a fait exécuter publi- les circulations qui parcourent, déstabilisent et réor-
quement le corregidor, le représentant royal local. ganisent l’espace européen et américain des révolu-
Penser la Révolution française, pour reprendre tions. L’attention à la rive américaine ne se réduit pas
le titre d’un essai provocateur de François Furet, ici aux prémices du vent de la liberté, à la traversée de
suppose de sortir de la trame événementielle de la La Fayette ou à la victoire de Yorktown, prélude atlan-
décennie 1789-1799, de décentrer le regard et de varier tique à l’étude de la véritable Révolution, la française,
les échelles d’observation des oscillations révolution- et au défi qu’elle pose aux anciens régimes européens,
naires. Certains auteurs ont insisté sur le temps inter- contre lesquels elle partirait en guerre à partir de 1792.
médiaire, par opposition à l’événement ou au temps Les circulations économiques transatlantiques béné-
long cher à Fernand Braudel et à l’école des Annales, ficient d’une attention toute particulière. De la même
INTRODUCTION • 7
manière, la Révolution batave et la proclamation des ne s’écrit plus vue de la tribune de la Convention natio-
« États belgiques unis » permettent d’interroger l’au- nale ou du club des Jacobins, même si la place qui leur
tonomie et les interactions des processus révolution- est réservée dans l’atlas témoigne de l’importance
naires à l’œuvre sur la rive européenne de l’Atlantique. de l’impulsion parisienne. Mais dans tous les cas, les
L’onde de choc de la Révolution française, enfin, a été cartes proposées permettent de jauger son impact réel
envisagée sur l’ensemble de l’espace européen et atlan- sur le quotidien des contemporains de la Révolution,
tique, où elle interagit avec des dynamiques locales de tester l’efficacité des vecteurs et des relais et de
spécifiques. pointer le rôle des générations. Nous avons donc choisi
de varier le type de cartes proposées au lecteur.
Cet atlas met délibérément l’accent sur ces circulations, Des cartes de synthèse scandent la lecture de chacune
en individualisant les parcours et les trajectoires des des parties de l’ouvrage. Mais les cartes permettent
acteurs sociaux, culturels et politiques, comme il met en aussi de proposer des effets de zoom et de rendre
évidence les flux commerciaux qui les recoupent. Il per- au local toute sa signification lorsqu’il est articulé au
met de suivre les grandes figures comme Thomas Paine régional, au national en formation, voire aux enjeux
ou La Fayette comme les moins connues, tel Agustín de globaux. Si des représentations attendues, comme la
Bétancourt. Des portraits de groupes sont également célèbre carte de Georges Lefebvre sur la Grande Peur
esquissés au fil des pages. L’ambition de cet ouvrage de l’été 1789 ou la carte des sections parisiennes,
est donc clairement de restituer la décennie révolu- ont toute leur place dans cet atlas, sa réalisation était
tionnaire classique dans une perspective européenne l’occasion de croiser des données jusqu’ici dispersées
et coloniale. Varier les échelles d’observation conduira au gré des travaux universitaires français et étrangers,
le lecteur à découvrir dans chaque partie le processus ou oubliées dans les archives pour faire naître des cartes
révolutionnaire à l’œuvre dans les colonies, en province, inédites, comme celle du réseau postal sous le Consulat.
dans la sphère éducative comme au cœur du négoce Au fil des pages, la Révolution, plurielle et polyphonique,
ou du monde des bureaux. L’histoire de la Révolution est ainsi restituée dans toute son intensité.
8
Bas-Canada
Québec
1803 vente de la Louisiane Haut-
par la France aux États-Unis Canada
après sa rétrocession
par l’Espagne Boston
San Francisco New York
Saint Louis Philadelphie
Californie
1776-1783 guerre
Santa Fe d’indépendance
La
Fa
Charleston yet
te ( OCÉAN
17 7
7 - 17 81
VICE-ROYAUME La Nouvelle- )
DE NOUVELLE-ESPAGNE Orléans Floride
ATL ANTIQUE
République :
1. batave (1795)
2. helvétique (1798)
3. ligurienne (1797)
4. cisalpine (1797) Islande
(Dan.)
5. romaine (1798)
6. parthénopéenne (1799)
OCÉAN Finlande
Norvège
(Dan.)
ATL ANTIQUE SUÈDE
Saint-Pétersbourg
Mer Stockholm
1825 révolte
du Nord des décabristes
ue
1798 révolte des Irlandais
tiq
Fr a n
klin en 1811-1812 luddisme Moscou
(175 Ang leterr DANEMARK
al
7-1762
et 1764 e Dublin Copenhague
A da -1775) B
r
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Holland Liverpool 1781-1787 révolte Me 1773-1774 révolte
e et en Ang des Patriotes
(1780-
1788) l. 1797 mutineries dans Hambourg de Pougatchev
la Royal Navy Londres Amsterdam dans l’Oural
Fr a n 1 Berlin Varsovie
klin en 1791-1794 révoltes
Jef f Fr a n c e (1 1830 révolution et Bruxelles
erson 776-1785) polonaises (Kósciuszko)
e n Fr a n c indépendance belge Rhénanie
e (1785-1789) Francfort
Paris Prague Cracovie
805) Nantes
(1785-1 1789 révolution
E uro pe 1792 république Vienne
a en 3 et 1804-
1807)
and 99-180
Mir uro pe (17 Genève 2 Buda Moldavie
ar en E 1784-1785 soulèvement des
Lyon Milan
B oliv Bordeaux
Piémont Roumains de Transylvanie 1821 soulèvement des
Venise
4 principautés roumaines
1820 révolte libérale 3 Belgrade Valachie
Marseille TOSC.
Mer Noire
Lisbonne Madrid 5
1804, 1813, 1815
révoltes serbes
1820-1823 guerre
1796-1799 et 1820 Rome
révolutions italiennes
civile (Riego)
6 Constantinople
ROY. DE Naples
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tin en Es Cadix SARDAIGNE
1821-1830 guerre
Mar d’indépendance grecque
San 85-1
811) Palerme
(17 Athènes
Alger ROY. DE
Tunis SICILE Morée
MAROC
Malte
Mer Méditerranée
Jérusalem
Tripoli
Alexandrie
Le Caire
Égypte
Source : J. Godechot, Les Révolutions, PUF, Paris, 1970.
10
11
Un vent
de liberté
Dès la Révolution française, acteurs politiques et observateurs
se sont interrogés sur les origines de ce séisme dont les effets
ont créé à travers tout l’espace européen et ses colonies
un avant-1789, qualifié d’Ancien Régime, et un après-1789.
Les historiens leur ont emboîté le pas. En 1933, Daniel Mornet
interrogeait Les Origines intellectuelles de la Révolution
française 1715-1787, quand au lendemain du bicentenaire
de 1789, Roger Chartier proposait lui d’étudier Les Origines
culturelles de la Révolution française. Dans une perspective
marxiste de lutte des classes, d’autres historiens ont eux mis
l’accent sur les contradictions économiques et sociales de la
France des Lumières qui précipitent l’effondrement de l’Ancien
Régime, les tentatives de réformes ne faisant qu’accélérer
le processus d’implosion. Aujourd’hui, les travaux autour
des circulations des hommes, des idées, des biens, des
dynamiques et des tensions qu’elles provoquent permettent
de s’affranchir des postures idéologiques pour comprendre
les logiques de ce basculement majeur dans l’histoire
du monde.
12
Glasgow
Liverpool
Bristol Londres
Q u é be c Terre-Neuve Le Havre Rouen
Nantes
Nouvelle- Mo Farine,
Nouvelle- rue
Angleterre Écosse s vin Bordeaux
c
Pennsylvanie New York Taba
Lo u i si a n e Marseille
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Virginie nufact urés Lisbonne
Produits ma és
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Géorgie nu
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Morues, bois, bétail
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Jamaïque Rhum
St-Domingue
Nou ve lle - Petites Cap-Vert
E sp a g n e Sénégal
Antilles Esclav
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Trinité Sierra
No u ve lle - Leone Côte
G re n ade de l’Or
Gu yan e s Golfe du
Esclaves Bénin
Pérou
Les empires coloniaux vers 1770
France et ses colonies
B ré sil
Grande-Bretagne et ses colonies
sucre, du café, du tabac et de la morue des produits alimentaires et manufac- et des dizaines de milliers de marins
de Terre-Neuve que se structurent les turés dont la production est interdite assurent ces liaisons. Un va-et-vient
flux commerciaux en Atlantique nord aux colonies. Des échanges complé- constant d’hommes et de correspon-
et aux Antilles. La traite négrière leur mentaires existent au sein des empires dances permet le fonctionnement de
livre au cours du siècle 4 millions de coloniaux, et une contrebande active cet ensemble, qu’administrateurs et
captifs africains, soit deux fois plus relie entre eux les colons placés sous négociants façonnent quotidienne-
qu’au Brésil. Les négociants métro- des souverainetés diverses et sou- ment dans leurs interactions avec les
politains fournissent aussi aux colons vent rivales. Des milliers de navires sociétés coloniales.
14
La Révolution américaine
La première guerre d’indépendance coloniale naît des divergences croissantes entre une majorité
des colons des treize colonies nord-américaines et le gouvernement britannique. Précédée et
accompagnée par une abondante production écrite et par une importante circulation d’hommes
et des idées qu’ils véhiculent à travers l’Atlantique, la Révolution américaine ouvre une période
de fermentation politique qui transforme radicalement le monde américain et l’Europe.
Passeurs de rives intérêts des colons en Angleterre. la structuration d’un espace atlan-
L’Atlantique des années 1770-1780 Avec la Révolution américaine, il est tique de contestation politique. Enfin,
est un espace parcouru par d’in- accueilli triomphalement à Paris où Thomas Paine inscrit son opposi-
tenses circulations intellectuelles et il négocie le soutien français aux tion au nouveau pharaon, George III
politiques. Les débats sur l’esclavage « Insurgents ». En retour, les trajec- d’Angleterre, qui refuse d’entendre les
et les droits des colons trouvent écho toires d’Étienne Clavière, banquier plaintes légitimes de ses sujets amé-
en Europe. Ils participent de l’émer- d’origine genevoise et futur ministre ricains dans une dynamique d’éman-
gence d’un espace public autonome. de la Révolution française, et de cipation globale : sujet britannique, il
Benjamin Franklin fait figure de pion- Jacques Pierre Brissot de Warville, s’engage en faveur de la Révolution
nier parmi ces passeurs de rives, du polygraphe, futur chef de file des américaine, avant de devenir citoyen
Nouveau Monde vers l’Ancien. Savant Girondins, connectent l’Ancien Monde français. Les initiatives sont égale-
internationalement reconnu dans le au Nouveau. Leurs voyages d’en- ment collectives à travers la création
monde des Lumières, entrepreneur quête aux États-Unis donnent lieu de la Société des amis des Noirs ou
accompli, il représente d’abord les à des publications qui contribuent à de la Société gallo-américaine.
Montréal Londres
OCÉAN
ATL ANTIQUE
Boston Versailles Paris
Philadelphie New York
Baltimore Genève
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accourent depuis l’Europe en aide
au
Concord
S t -L
Lac 1 Bunker Hill aux rebelles américains ; soldats et
Saratoga
Huron Lac Ontario
Lac Michigan
9
m
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Wilmington
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Frémissements révolutionnaires
en Europe (1770-1789)
L’Europe des années 1770-1780 est parcourue par de nombreuses secousses sociales. Les
difficultés économiques, les tensions sur les marchés des céréales, la pression des prélèvements
seigneuriaux et fiscaux, la concentration des terres déchirent le tissu social et les solidarités
traditionnelles. En milieu urbain, la mécanisation et la crise économique fragilisent le petit peuple
et menacent la petite bourgeoisie d’un déclassement économique et social.
Jacqueries paysannes 200 manoirs sont pillés et incendiés. transformations profondes du monde
et émeutes urbaines En Russie, la révolte de Pougatchev rural et des cadres de production
Dans les zones où le servage se ren- (1772-1774) est un vrai séisme qui agricole ont largement paupérisé
force, les jacqueries se multiplient et conduit l’impératrice Catherine II à la paysannerie. Les règles de l’éco-
peuvent être très violentes comme mener une politique de répression nomie morale sont fortement mises
en Bohême (1775), où plusieurs mil- féroce, de renforcement de l’auto- à mal par la recherche du profit et
liers de paysans marchent sur Prague, rité centrale et des privilèges de la de la rente foncière. En Angleterre, les
ou en Transylvanie (1784), où plus de noblesse. En Europe occidentale, les paysans ne possèdent plus que 15 %
Troubles agraires
Dispositifs Glasgow
répressifs SUÈDE
1782 Irlande ROYAUME-UNI RUSSIE
Royaume-Uni Newcastle
Riot Act (1715) Dublin DANEMARK
Manchester
France Liverpool
Sheffield 1787 Union des couturiers
Livret ouvrier (1781) 1775 Marins
Nottingham
Bristol Birmingham
PROVINCES- PRUSSE
Exeter Londres UNIES
1768-1782 Wilkite Riots 1780 Gordon Riots Lille POLOGNE
Douai Valenciennes SAXE
Beauvais Cambrai
Paris
Rennes
1785 Maçons Nancy 1775 jacquerie
en Bohême
FRANCE BAVIÈRE
Neuchâtel
1775 guerre Zurich
Genève
des Farines Fribourg AUTRICHE
Lyon 1781-1782 Suisse 1784 jacquerie
1786 Canuts en Transylvanie
Grenoble
Aix
PORTUGAL
Toulon
300 km
Frontières de 1789
UN VENT DE LIBERTÉ • 17
La crise financière
de la monarchie
L’État monarchique est gangréné par une situation financière dramatique, que chaque guerre
creuse un peu plus. Toute réforme fiscale visant à élargir l’assiette de l’impôt se révèle impossible,
car la société française repose sur le privilège, dont les parlements se font les défenseurs.
La remise en cause des privilèges fiscaux par le souverain ne peut que saper la légitimité
de son autorité auprès des élites, garantes autoproclamées des équilibres sociaux.
Des impositions et redevances gratuit » pour l’Église) aux recettes qui s’occupent également de la per-
inéquitables de la monarchie, elles reçoivent éga- ception de la plupart des impôts indi-
Le système fiscal et financier français lement, en retour, une partie des rects, dont ils gardent une partie à
se caractérise par une multitude de sommes dépensées par l’État sous leur profit, sont au cœur des circuits
prélèvements et de redevances qui forme de gratifications, pensions, d’argent qui irriguent la monarchie.
pèsent, pour l’essentiel, sur la pay- gages de services. Mais surtout, les Grâce à leurs réseaux, ils drainent les
sannerie, qui représente plus de trois- plus aisés profitent des difficultés ressources des nantis, et les font fruc-
quarts de la population française. Ces financières de la monarchie – qui est tifier. L’on comprend, dès lors, que les
sommes sont dirigées vers les caisses en déficit même dans les années de catégories privilégiées, exemptées au
de l’État, mais aussi de l’Église et de paix – pour lui prêter de l’argent et demeurant de la taille et relativement
tout détenteur de seigneurie, noble, s’assurer ainsi un placement intéres- épargnées des autres impôts directs,
ecclésiastiques ou bourgeois. Si ces sant. Le taux d’intérêt évolue en effet ont tout intérêt à ce que les difficul-
catégories contribuent elles aussi au fil des besoins, particulièrement tés financières de la monarchie ne
par les impôts indirects et des contri- pressants lorsque la France s’engage trouvent pas une solution durable.
butions négociées (comme le « don dans un conflit armé. Les financiers, Dans ces conditions, toute tentative
FISCALITÉ, EMPRUNTS, RENTES
Gratifications, pensions,...
Tailles
Soldes, fortifications,...
É TAT Impôts indirects
Gages, appointements,...
Service de la dette,...
gratuit
Emprunts
FINANCIERS
Bénéfice de la ferme
Don
Paulette
ARMÉE
CLERGÉ
NOBLESSE OFFICIERS BOURGEOIS PAYSANS
Commende
Rente
Rente et Logement Rente
Rente et dîmes
droits seigneuriaux des gens de guerre
ce
des gains qu’ils tirent du service de Paris
Alsa
la dette. Nancy
Rennes Colmar
L’opposition parlementaire
Si le roi est la seule source de loi du Dijon Besançon
royaume, les parlements, cours supé-
rieures de justice, avaient traditionnel-
lement, par le droit de remontrance, la
faculté de refuser l’enregistrement des
lois, retardant ainsi leur application Colonies
Grenoble
dans le ressort du parlement. Ce droit,
Remontrances et Bordeaux
source potentielle de contestation de représentations des cours
la politique du souverain, avait été sup- supérieures de justice
des provinces françaises
primé par Louis XIV, mais rétabli à sa au XVIIIe siècle
mort (1715) par Philippe d’Orléans, qui 136 Toulouse Aix
Pau
avait besoin de l’appui du Parlement 50
de Paris pour obtenir la régence. Par 20 Perpignan Bastia
Roussillon
leurs remontrances et représenta- 2
Corse
tions, les parlementaires expriment les 100 km
raisons de leur opposition aux nou- Sources : J. Boutier, Atlas de l’histoire de France. La France moderne XVIe-XIXe siècle, Autrement, Paris, 2006 ;
Remontrances du parlement de Paris au XVIIIe siècle, publ. par Jules Flammermont, Imprimerie nationale, Paris, 1888-1898 ;
velles mesures législatives, surtout M. Antoine, « Les Remontrances des cours supérieures au XVIIIe siècle. Essai de problématique et d’inventaire »,
Bulletin de la section d’histoire moderne et contemporaine, 8 (1971).
en matière fiscale. Théoriquement
destinés au roi et à son Conseil, ces
textes, souvent imprimés, circulent
BUDGET DE L’ÉTAT ET FINANCES ROYALES AU XVIIIe SIÈCLE
largement et constituent ainsi un foyer
d’opposition politique. Le nombre de Revenus ordinaires en 1788
remontrances est multiplié par dix
471,6
Administrer et moderniser
le territoire
Théâtre du roi en majesté sous Louis XIV, la place royale est au XVIIIe siècle un manifeste en faveur
de l’organisation rationnelle de l’espace urbain et du projet modernisateur des Lumières. Le roi,
père de la nation et protecteur des arts et des manufactures, s’y affiche de manière plus humaine.
Dans le même temps, les agents du roi s’efforcent d’améliorer la gestion de l’espace et
l’administration du territoire.
Les intendants au cœur connaissance précise des ressources complaisantes relations d’inauguration
du dispositif monarchique dont disposent les contribuables afin et des publications ambitieuses comme
Les intendants de justice, police et d’éviter que les prélèvements soient celle des Monuments érigés en France
finances, sont des commissaires perçus comme confiscatoires. Des à la gloire de Louis XV par Pierre Patte
du roi, nommés et révocables par généralités-test comme celles de (1765), dédiée au marquis de Marigny,
lui. Dans leurs généralités d’affec- Paris sont retenues pour expérimen- directeur des Bâtiments, arts et manu-
tation, ces magistrats de formation ter la levée de cadastres qui pourront factures participent à la communication
sont présentés comme l’œil du roi servir de base fiable et actualisée aux monarchique autour de ces entreprises
et comptent désormais plus que impositions. monumentales. Les statues sont en
les gouverneurs des provinces, qui effet au cœur de l’édification de places
appartiennent à la haute noblesse Une autre image du roi royales, dites places à programme, en
d’épée, mais sont des protecteurs Sous Louis XV et également sous raison du programme architectural qui
le plus souvent éloignés. Sur le ter- Louis XVI, même si les réalisations sont leur sert d’écrin. Si à Nancy, capitale de
rain, les intendants sont en charge moins nombreuses, le roi et ses agents la Lorraine ducale récemment annexée
de très nombreux dossiers, pour les- sont soucieux de présenter une autre au royaume à la mort du beau-père de
quels ils ont besoin du concours des image que celle du « roi de guerre ». Louis XV (1766), Stanislas Leszczynski,
élites locales et, lorsqu’ils existent, De très nombreuses gravures, de roi déchu de Pologne, la statue montre
des bureaux permanents des États
INVESTIR L’ESPACE
provinciaux. Des ministres réforma-
teurs de Louis XVI comme Turgot au Lille
Les généralités sont représentées dans les limites du royaume de France en 1789.
début du règne et Calonne à la fin, ont Dieppe Valenciennes
(1765)
ainsi fait leurs armes dans les géné-
ralités du Limousin et de Flandre. Les Québec Le Havre Rouen Reims
intendants cherchent à améliorer les
infrastructures de transport, à stimu- Caen
Paris Nancy
ler le commerce et les manufactures. Brest Strasbourg
Avec l’essor de l’agronomie et des Rennes
thèses physiocratiques, et en raison Nantes
de la croissance de la population du Projets de Dijon Besançon
royaume, ils doivent aussi mener des place royale
sous La Rochelle
politiques « d’encouragement » agri- (1762) Poitiers
Louis XIV
cole et de lutte contre les épidémies.
Pendant les dernières décennies de Louis XV Rochefort Lyon
Issoire
l’Ancien Régime, la question de la Louis XVI
(1762)
Grenoble
refonte de l’impôt agite les milieux Place Bordeaux
ministériels et éclairés. Elle est direc- effectivement (1758-1759)
réalisée
tement liée à la connaissance et à la
Bayonne Antibes
maîtrise du territoire et de ses res- Itinéraire (1760-1761) Toulouse
Montpellier (1756)
sources par l’État monarchique. En de Vernet Aix
Port peint par Pau Sète
effet, les administrateurs ont bien Claude Joseph (1756-1757) Toulon
Marseille (1755-1756)
compris que l’enjeu majeur est celui du Vernet (date) (1754)
Bandol
nécessaire consentement des popula- Sources : musee-marine.fr et (1754)
R. L. Cleary, The Place Royale and Urban Port-Vendres
tions à l’impôt. L’obtenir passe par une Design in the Ancien Régime, Cambridge UP, Cambridge, 1999. 100 km
UN VENT DE LIBERTÉ • 21
lic
Pub
Bordeaux avant la Révolution c’est la mer qui va au roi.
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*Les textes entre parenthèses sont e
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les anciennes dénominations de 1715
n’existant plus en 1789
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La ville des Lumières
R. yr Si la France reste essentiellement rurale,
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des Lumières qui doivent irradier jusque
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Palais Gallien ud emprises militaires sont réduites, per-
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(Château Trompette)
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R. Pont-Lo Porte Hôtel des Fermes du Roy
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de lieux publics comme les bourses de
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l’ancienne muraille
Cathédrale
par un alignement commerce et les théâtres.
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Porte armes l’Hôtel-de-Ville
de Berry des Lumières : favoriser la circulation
R. Bouhaut
Montauban
Nîmes
Toulouse Montpellier Aix
Marseille
Perpignan
Arras
Amiens
D’après J. Boutier, Atlas de l’histoire de France.
Cherbourg Soissons
La France moderne XVIe-XIXe siècle, Autrement, Paris, 2006. Rouen
Caen Châlons Metz
Brest Nancy
Troyes
Orléans
Auxerre
Angers Dijon Besançon
ACADÉMIES ET SOCIÉTÉS LITTÉRAIRES
Académie Bourg
La Rochelle
Chambre de lecture et société littéraire Villefranche
Clermont- Lyon
Dates de création Ferrand
Avant 1715 Grenoble
Bordeaux Valence
De 1715 à 1750 Montauban
De 1751 à 1789 Agen
Nîmes
Montpellier
Absence de date Toulouse Arles
Sources : D. Roche, Le Siècle des Lumières en province, tome II, Pau
Éditions de l’EHESS, Paris, 1994 ; H. Drévillon, Introduction à l’histoire Castres Béziers Marseille
culturelle de l’Ancien Régime XVIe-XVIIIe siècles, Sedes, Paris, 1997.
Les généralités sont représentées dans les limites du royaume de France en 1789. 100 km
24
Puissance démographique
et attraction urbaine en France
Avec ses 28 millions d’habitants, soit un gain de 25 % sur un siècle, la France est toujours en 1789
le pays le plus peuplé d’Europe. Cette croissance démographique accentue la pression sur
les ressources et alimente la croissance urbaine. La légère diminution de la mortalité infantile
et l’absence de crises de mortalité dramatiques font en sorte que la population française à la veille
de la Révolution est relativement jeune.
La France en 1789 :
une économie prospère ?
Dans les années 1780, l’agriculture nourrit tant bien que mal six millions de Français de plus qu’au
début du siècle ; la production industrielle et le commerce extérieur ont également augmenté.
L’économie française est-elle pour autant prospère ? La crise économique de la fin des années
1780 ne montre-t-elle pas plutôt sa fragilité ? La réponse, complexe, dépend aussi de l’échelle
spatiale adoptée : les Français n’évoluent pas dans un espace national uniforme.
inégal, bien que les réseaux du colpor- LA CRISE CÉRÉALIÈRE DE LA FIN DU XVIIIe SIÈCLE
tage maillent le territoire et permettent
Prix du froment au setier de Paris dans les généralités (en livres tournois)
d’atteindre les populations rurales. 35
De fortes disparités existent d’une
Franche-Comté
province à l’autre et la majorité des 30
La France en crise
Les difficultés financières et industrielles des années 1780, et plusieurs années de récoltes
médiocres ou franchement mauvaises ont fragilisé non seulement les couches les plus pauvres
de la société française, mais aussi la petite bourgeoisie des métiers qui redoute de se retrouver
déclassée – elle formera souvent l’ossature du mouvement sans-culotte. Dans les campagnes,
les tensions et rébellions se multiplient.
Crise économique et pauvreté ces chômeurs s’attroupent lors des philanthropiques témoigne de ce que
Depuis 1778, les fluctuations des prix grandes périodes de travaux agri- les élites éclairées ont conscience de
agricoles fragilisent les petits produc- coles. Les débordements violents ne la fragilité du tissu social.
teurs. La sécheresse et les épizooties sont pas rares. Les « bacchanales »
frappent les élevages. Avec la baisse désignent ces mouvements de grève Cherté des grains et agitations
du profit agricole dans les grandes pour empêcher le travail et forcer le sociales
plaines céréalières comme le pays fermier à accepter des salaires justes. Le souvenir de la guerre des Farines
chartrain, le chômage augmente en Lorsque la pauvreté explose, la solida- (1775) et de ses troubles – les émeu-
flèche parmi les ouvriers agricoles rité villageoise ne peut plus faire face et tiers se sont rendus jusqu’au château
et les salaires diminuent. Certaines des bandes de mendiants se forment, de Versailles – est encore très vif au
branches textiles sont durement affec- errant sur les routes. La peur du bri- milieu des années 1780. L’absence
tées par le traité de libre-échange gandage se développe alors, notam- ou la faiblesse de l’intervention de la
franco-britannique de 1786. Pour faire ment dans les villes mieux ravitail- monarchie et de ses représentants
pression sur le marché de l’embauche, lées. Le développement des sociétés ont largement véhiculé la thématique
EURE-
ET-LOIR
Loir
nne RÉPARTITION DE LA PROPRIÉTÉ
Esso FONCIÈRE EN BEAUCE
(ANNÉES 1774-1790)
Commerce............................................. 19,77 %
ing
Les généralités sont représentées dans les limites du royaume de France en 1789.
des grains prônée par les libéraux et
les réformateurs de l’Ancien Régime,
les partisans de l’économie morale
opposent la thèse de la singularité du
marché des céréales. Il ne s’agit pas
de productions ordinaires, mais d’un
« bien d’intérêt commun » qui ne peut
être abandonné à la spéculation et
aux aléas du marché. La hausse des
prix du grain consécutive aux mau- Mouvements
ruraux pour
vaises récoltes provoque des pillages les subsistances
de boulangerie et des phénomènes de Émeutes
« taxation » (les émeutiers imposent le urbaines pour
prix qu’ils estiment équitable) sur les les subsistances
marchés. Ces « pré-émeutes » (Steven Mouvements
ruraux contre
L. Kaplan) peuvent à tout moment les droits féodaux
dégénérer. Elles peuvent associer aux Émeutes
antiféodales
soucis de subsistance une contesta-
isolées
tion des droits féodaux. Émeutes provençales
combinant lutte contre
la vie chère et lutte antiféodale
La « réaction féodale » Source :
100 km
et ses conséquences A. Ado, Paysans en Révolution. Terre, pouvoir et jacquerie, 1789-1794, Société des Études Robespierristes, Paris, 1996.
Entrer en
Révolution
La convocation des États généraux inaugure avec l’élection
des députés des trois ordres et la rédaction des cahiers de
doléances une ère nouvelle sans que les 28 millions de Français
n’aient encore conscience de rompre avec « l’Ancien Régime ».
Comme l’écrivent les rédacteurs du cahier de doléances
d’une paroisse du futur département de la Sarthe, il s’agit alors
surtout de « rouvrir la communication directe et si désirée entre
ses peuples fidèles et leur roi ». Les appels à une régénération
nationale ne datent pas de 1788-1789, et ils se poursuivent
bien après l’adoption de la Constitution de 1791. De même,
des appels à terminer la Révolution pour en sauvegarder les
acquis sans précipiter le pays dans le chaos scandent toute
la décennie révolutionnaire. C’est donc l’apprentissage
d’un processus inédit de transformation radicale que font
des hommes et des femmes qui sont tous nés sous
l’Ancien Régime.
32
Une consultation À la base de la pyramide d’assemblées sont eux convoqués au niveau supé-
sans précédent électorales, constituée par les assem- rieur, celui des baillages.
Sous la pression, Louis XVI finit par blées primaires à raison d’une par
accepter la convocation des États paroisse dans les campagnes, et d’une Les cahiers de doléances
généraux et consent au doublement par paroisse ou par communauté de À côté du processus électoral, la rédac-
des représentants du tiers état, mais métier dans les villes, sont convoqués tion des cahiers de doléances est
le vote par ordre donne deux voix aux « tous les habitants [de sexe masculin, l’autre enjeu majeur des mois qui pré-
ordres privilégiés (clergé et noblesse), mais des veuves sont admises comme cèdent la réunion des États généraux.
contre une au tiers état. Seul le vote chef de famille, et les métiers féminins Les trois ordres sont en effet invités à
par tête équilibrerait donc le rapport ont rédigé leurs cahiers à l’instar des présenter au roi leurs doléances. On
de force, or le roi se garde bien d’abor- communautés masculines] composant dénombre 45 000 cahiers. Pour le tiers
der l’épineuse question de la déli- le tiers état, nés français ou naturalisés, état, à chaque étape des opérations
bération. Le règlement électoral du âgés de vingt-cinq-ans, domiciliés, et électorales de désignation des députés
24 janvier 1789 fixe les conditions d’élec- compris au rôle des impositions ». Les correspond la rédaction d’un cahier : à
tion des députés aux États généraux. membres du clergé et de la noblesse la base, les cahiers des communautés
Normandie Normandie
Île-de-
Île-de- France
France
Champagne Champagne
Quercy
Quercy
Languedoc Languedoc
Nombre Nombre
d’hommages : de demandes :
66 1 780
27
487
Roussillon Roussillon
121 hommages en tant que roi «père » 640 suppliques 1 489 demandes
161 hommages en tant que roi «citoyen» 1 123 désirs 3 903 demandes impératives
Source : P. Grateau, Les Cahiers de doléances, une relecture culturelle, PUR, Rennes, 2001.
100 km
ENTRER EN RÉVOLUTION • 33
ATLANTIQUE Ruffec
Grenoble
Bordeaux
L’entrée en politique
(1789-1791)
Sous l’Ancien Régime, la vie associative était organisée autour de sociétés qui s’interdisaient
de discuter de politique. Or, la Révolution voit en quelques semaines l’irruption du politique dans
le champ de la sociabilité organisée. Fin 1789, on compte une vingtaine de clubs, réunions ou
sociétés patriotiques. Un an plus tard, leur nombre dépasse 300, et 1100 et à la fin de l’année 1791.
La révolution de la presse ne nous paraissent grands que parce sociabilité : la plupart d’entre elles
La presse parisienne et provinciale a que nous sommes à genoux : levons- se mettent en sommeil, ou ne se réu-
connu une forte croissance dans les nous ! » Les opposants à la Révolution nissent plus qu’épisodiquement.
dernières années de l’Ancien Régime, se saisissent également de la presse Les réseaux de correspondance, les
mais on assiste à une véritable explo- comme d’une arme. La Gazette de adresses et les pétitions que l’on
sion dès les premiers mois de la Paris, monarchiste, a une diffusion qui communique aux différentes socié-
Révolution, avec autant de titres créés déborde largement l’Île-de-France. tés et à l’Assemblée, l’impression
que pendant les dix années précé- Ils peuvent compter sur des plumes des comptes rendus de séances
dentes. Le phénomène s’accélère talentueuses comme celle de Rivarol permettent aux patriotes d’intercon-
encore avec l’adoption de l’article 11 de qui excelle dans le genre pamphlé- necter l’espace politique au niveau
la Déclaration des droits de l’homme et taire et satirique qu’incarne Les Actes régional et national. Leurs adversaires
du citoyen qui garantit la liberté d’opi- des Apôtres (1789-1791). politiques comprennent le danger
nion et d’expression. On compte plus et l’enjeu des sociétés politiques et
de 189 créations de titres pour l’année Le maillage des territoires créent leurs propres réseaux. C’est
1789 dont 140 à Paris ! On totalise par les sociétés politiques le cas notamment des « monar-
400 titres en 1790 sur l’ensemble du La correspondance est l’un des prin- chiens » réunis autour du comte
territoire. cipaux vecteurs de communication Stanislas de Clermont-Tonnerre. À
La presse parisienne part à la conquête des formes de sociabilité du XVIIIe Aix-en-Provence, la Société des amis
du territoire national grâce à la pratique siècle. Les sociétés patriotiques de la religion, de la paix et du roi, à
des abonnements. La Chronique de héritent de cette pratique épistolaire Strasbourg la Société des amis du
Paris traduit l’euphorie ambiante, en en réseaux. La Société des amis de la roi, à Paris la Société des amis de la
estimant que la presse est le meil- Constitution de Paris, futur club des Constitution monarchique affichent
leur rempart contre les ennemis de Jacobins, se donne pour but de « tra- clairement leur sensibilité politique.
la Révolution : « Il n’y a pas de petits vailler à l’établissement et à l’affermis- Mais elles rencontrent l’hostilité
villages en France où l’on ne reçoive sement de la Constitution ». Née de des municipalités patriotes et des
quelques-uns de nos papiers publics, la réunion des députés patriotes de Jacobins qui poussent à leur inter-
et où l’on ne se réunisse pour en faire Bretagne (le Club breton), elle s’ouvre diction. Les divisions politiques des
des lectures. Qui pourrait ravir la liberté aux citoyens capables de payer une révolutionnaires sont, elles, à l’origine
à un peuple chez qui la presse est cotisation. À son imitation, les créa- de la création de clubs rivaux comme
devenue libre ? » tions de sociétés se multiplient, soit la Société de 1789 autour de La
De nouveaux types de journaux de manière autonome, soit comme Fayette ou le club des Cordeliers
apparaissent, traduisant l’entrée filiales de sociétés mères. Dès février auquel appartient Danton. Sur tout
accélérée du pays et des citoyens 1790, Paris entend « correspondre le spectre politique, des orateurs
en politique. Si Le Moniteur universel avec les autres sociétés du même brillants – les avocats ont un avan-
rend compte des débats de l’Assem- genre qui pourront se former dans tage initial qu’ils mettent à profit dès
blée nationale, les journaux ne se le royaume ». En juillet 1790, à Paris, la convocation des États généraux –
contentent plus d’informer la popula- le club des Jacobins compte 1 200 se distinguent, dont on vient écouter
tion des décisions prises par les gou- adhérents, 152 filiales en août 1790 et les discours enflammés avant d’en
vernants, ils manifestent aussi publi- plus d’un millier en septembre 1791. lire leur retranscription. Grâce à l’im-
quement les exigences « d’en bas », Les formes de sociabilité apolitiques primé, les députés peuvent maintenir
transformant le rapport au politique. comme les loges maçonniques font le lien avec leurs électeurs et rendre
Créé en août 1789, Les Révolutions de largement les frais de cette irrup- compte des actions entreprises à
Paris prend pour devise : « Les grands tion du politique dans le champ de l’Assemblée constituante.
ENTRER EN RÉVOLUTION • 35
LA POLITISATION
Nombre
de lettres
Grenoble
1
10
Bayonne 30
100 km
D’après J. Boutier, P. Boutry, Atlas de la Révolution française. Les sociétés politiques, tome VI, Éditions de l’EHESS, Paris, 1992.
Nombre
de titres
de la presse Pourcentage
provinciale dans de communes
les départements dotées de
Plus de 10 sociétés
Plus de 10
de 5 à 10
de 5 à 10
de 2 à 5
de 2 à 5
de 1 à 2
de 1 à 2
Zones non traitées dans les sources originales
D’après J. Boutier, P. Boutry, Atlas de la Révolution française.
D’après M. Vovelle, La Découverte de la politique, La Découverte, Paris, 1993. Les sociétés politiques, tome VI, Éditions de l’EHESS, Paris, 1992.
30 300
Total des créations
25 250
de journaux
20 200
Journaux
15 à faible durée 150
de vie
10 100
5 50
Journaux à durée de vie longue
0 0
janv. fév. mars avril mai juin juil. août sept. oct. nov. déc. mai à déc. 1790 an V
1789
Sources : R. Reichardt et E. Schmitt, Die Französischen Revolution, Oldenburg Verlag, Munich, 1988 et P. Rétat in L’État de la France pendant la Révolution (1789-1799), La Découverte, Paris, 1988.
36
La réorganisation du territoire
Le 15 février 1790, la Constituante décide de créer 83 départements qui se substituent à l’armature
territoriale de l’Ancien Régime dans les domaines administratif, judiciaire, fiscal et religieux.
Provinces, généralités, parlements, bailliages, subdélégations disparaissent. Cette refondation
de l’espace national transforme en profondeur les cadres de vie des citoyens et d’exercice
des fonctions sociales et politiques.
Quel découpage ? la conservation des identités territo- frontières : Jura, Hautes-Alpes, Basses-
Les 14 et 22 décembre 1789, l’Assem- riales, et ceux qui leur préfèrent des Alpes, Pyrénées-Orientales, Basses-
blée adopte le principe du découpage références géographiques, plus des- Pyrénées, Hautes-Pyrénées. Enfin, aux
du territoire du royaume en départe- criptives, plus neutres, et donc sus- extrémités occidentale et septentrio-
ments, districts et cantons, et consacre ceptibles de faire table rase des réfé- nale du royaume, le Finistère et le Nord
également l’existence des municipali- rences de l’Ancien Régime. Les noms achèvent la régénération du territoire.
tés. L’accord se fait sur la recherche de fleuves sont très souvent retenus,
d’un système uniforme et rationnel, notamment aux extrémités de leur
élaboré à partir d’une circonscription cour : Haut-Rhin, Bas-Rhin ; Loire, Nouveaux équilibres territoriaux
de base, le département, plus petite Loire-inférieure ; Rhône, Bouches-du- La mise en place par le décret du
que la généralité et permettant à tout Rhône, ou aux confluences : Rhône- 16 février 1790 du découpage de
habitant de se rendre au chef-lieu et et-Loire, Seine-et-Marne. Autres réfé- chaque département en districts (initia-
d’en revenir en une journée de che- rences géographiques, les massifs lement au nombre de six, puis de trois
val. Pour le découpage, plusieurs montagneux sont aussi choisis aux à neuf en fonction de la population et
projets s’affrontent, notamment celui
de l’abbé Sieyès, qui propose de déli- DE LA PROVINCE AUX DÉPARTEMENTS : L’EXEMPLE PROVENÇAL
miter 81 (9 x 9) départements sous la Joyeuse DRÔME Serres Joyeuse DRÔME Serres
forme de carrés emboîtés de 18 lieues ARDÈCHE Nyons HAUTES- ARDÈCHE Nyons HAUTES-
ALPES ALPES
de côté, et celui soutenu par Mirabeau, Pont-St-Esprit ÉTATS RÉUNIS
Pont-St-Esprit Comtat Sisteron Sisteron
qui entend tenir compte de l’héritage GARD Carpentras GARD Orange
D’AVIGNON ET
Orange BASSES-ALPES Carpentras BASSES-ALPES
historique résultant des limites des Uzès Venaissin Uzès DU COMTAT
anciennes provinces et des équilibres Avignon Forcalquier Avignon Forcalquier
Nîmes Nîmes
Apt VENAISSIN Apt
locaux. Sous l’impulsion de Thouret, Beaucaire
Tarascon
Beaucaire
Tarascon
des conditions locales) et le choix des division témoignent de l’importance Face aux difficultés et aux crispations,
villes où siègent les administrateurs d’un bouleversement géographique on retient parfois le principe de l’alter-
des départements et des districts sont sans précédent. nance. Ainsi pour l’Ardèche : « La pre-
à l’origine de nombreux conflits, de Le nouveau découpage vise à rééqui- mière assemblée de ce département
marchandages et de luttes d’influence. librer l’espace national et à corriger les se tiendra à Privas et pourra alterner
Dans le Puy-de-Dôme, la vieille capi- inégalités. Dans le sud, où les évêchés dans les villes d’Annonay, Tournon,
tale parlementaire, Riom perd face à pullulaient, ils ne sont parfois même Aubenas, Privas et Le Bourg ». Ce prin-
l’ancien siège de l’intendance et de pas repris dans la liste des nouveaux cipe est finalement supprimé par une
l’évêque, Clermont-Ferrand, mais dans districts. En Bretagne, dans le Lyonnais loi du 12 septembre 1791. Au total, les
les Bouches-du-Rhône, c’est l’inverse : et en Provence, où les subdélégations districts sont nombreux dans l’Ouest
le chef-lieu du département est fixé à étaient nombreuses, plusieurs chefs- breton densément peuplé, en Lorraine
Aix, et non à Marseille. Dans tous les lieux ne sont pas retenus. À l’inverse, ou dans des départements méri-
cas, les délégations envoyées à l’As- dans les zones peu urbanisées où la dionaux de vaste étendue (Aveyron,
semblée par les anciens chefs-lieux rivalité est moindre, la transition est Dordogne). Le maillage est moins serré
inquiets de leur survie et les échanges plus facile et de nouveaux chefs-lieux au cœur du Massif central, des Landes
de correspondances avec le comité de sont promus. aux Pyrénées et dans les Alpes.
PAS-DE-CALAIS
Douai
Arras
Manche NORD
SOMME
SEINE- Amiens Mézières
INFÉRIEURE Laon
Rouen Beauvais ARDENNES
AISNE MOSELLE
OISE Châlons-sur-
MANCHE Caen EURE
Coutances Marne MEUSE Metz
CALVADOS Évreux SEINE- SEINE
Bar-le-DucNancy BAS-
Versailles MARNE
ORNE Paris SEINE- RHIN
St-Brieuc ET-MARNE MEURTHE Strasbourg
Alençon Chartres ET-OISE
FINISTÈRE CÔTES-DU-NORD ILLE-ET- Melun AUBE
VILAINE MAYENNE
Épinal
EURE-ET-LOIR Troyes Chaumont
Quimper Le Mans VOSGES Colmar
Rennes Laval Orléans HAUTE-
MORBIHAN Auxerre HAUT-
SARTHE LOIR-ET- LOIRET MARNE HAUTE- RHIN
Vannes
Angers YONNE SAÔNE
LOIRE- Blois
CÔTE-D’OR Gray
INFÉRIEURE Tours CHER
MAINE-ET- Dijon Besançon
LOIRE INDRE- CHER
Nantes ET-LOIRE NIÈVRE DOUBS
Bourges Nevers
Châteauroux JURA
SAÔNE-ET-
VENDÉE DEUX- Poitiers INDRE LOIRE Lons-
Fontenay-le-Comte SÈVRES Moulins
VIENNE Mâcon le-Saulnier
Niort ALLIER
Guéret
HAUTE-
Bourg- AIN
OCÉAN CHARENTE- CREUSE Clermont- en-Bresse
INFÉRIEURE VIENNE Ferrand
CHARENTE RHÔNE- Lyon
ATL ANTIQUE Saintes
Limoges ET-LOIRE
PUY-DE-DÔME
Angoulême
CORRÈZE ISÈRE
Périgueux Grenoble
Tulle St-Flour HAUTE-LOIRE
DORDOGNE CANTAL Chabeuil
Bordeaux Le Puy
Privas HAUTES-
DRÔME
GIRONDE
Cahors Mende ARDÈCHE Gap ALPES
LOT-ET- Rodez
GARONNE LOZÈRE Digne
LOT
LANDES Agen AVEYRON
GARD BASSES-ALPES
Mont-de-Marsan TARN Nîmes
GERS Toulouse Castres
Montpellier BOUCHES- Aix
Navarrenx Auch HAUTE- HÉRAULT
VAR
DU-RHÔNE
BASSES- Tarbes GARONNE Carcassonne Toulon
PYRÉNÉES HAUTES- AUDE
Foix Bastia
PYRÉNÉES
ARIÈGE
PYRÉNÉES- Perpignan Mer
Département dont plus de 45 % des chefs-lieux ORIENTALES CORSE
d’Ancien Régime ont été supprimés en 1790
Méditerranée
Les limites départementales et les chefs-lieux de département sont ceux du décret
du 22 décembre 1789 et mis en place le 4 mars 1790.
Source : M. Vovelle, La Découverte de la politique, La Découverte, Paris, 1993.
100 km
38
La régénération nationale
Député patriote, le chartreux dom Gerle, immortalisé par David dans Le Serment du
Jeu de paume, propose le 12 avril 1790 à l’Assemblée de déclarer la religion catholique
religion d’État. Après des débats vifs, sa proposition est finalement rejetée mais un
mouvement d’opinion s’emploie à soutenir la motion de dom Gerle, notamment dans
le Midi toulousain et languedocien. La question religieuse revient en force quelques mois
plus tard à l’Assemblée.
La révolte de Saint-Domingue, de celle de Saint-Domingue tient à la des milliers d’esclaves aux Amériques,
un tournant décisif fois à la forte concentration d’esclaves encourageant leur résistance. Alors que
De nombreuses révoltes ont lieu aux sur un territoire réduit, au fait que vers l’Europe éclairée s’interrogeait timide-
Amériques durant l’époque moderne. 1790 la majorité d’entre eux sont nés en ment sur l’opportunité d’abolir la traite
Alors que celles des colons mani- Afrique et sont donc moins bien intégrés et à terme l’esclavage, la Révolution
festent une volonté de plus grande à l’ordre colonial et, enfin, à la remar- haïtienne en affirme l’urgence.
autonomie vis-à-vis de la métropole, quable organisation des rebelles, dont
ou revendiquent une meilleure prise en les chefs, souvent issus de « l’élite » des De la révolte des esclaves
compte des intérêts coloniaux, celles esclaves, s’approprient parfois, en les à l’abolition de l’esclavage
des esclaves ou des libres de couleur réinterprétant, les concepts clés affir- Saint-Domingue représente en 1790 le
expriment la contestation de l’ordre més lors des révolutions américaine et joyau de l’empire français : l’île produit
colonial raciste. Souvent d’envergure française (droit naturel, liberté). La diffu- 85 % du sucre et la quasi-totalité du
limitée, les révoltes d’esclaves sont sion de la nouvelle de la révolte de Saint- café que la France réexporte ensuite en
toutes vouées à l’échec. La réussite Domingue donne un formidable espoir à Europe. Son développement productif
Insurrection d’esclaves
Bahamas
(R.-U.) Révolte des libres de couleur
700
La Havane États-Unis Occupation anglaise
(dont 90 % environ dans
les États du Sud) Estimation du nombre
Gr d’esclaves vers 1790,
an
Cuba des en milliers
Antill
(Esp.) es
1795
1791
OCÉAN ATL ANTIQUE
1790
Porto Rico
1797 Port-au-Prince 480
0
St-Domingue (Esp.) Leeward Islands*
Jamaïque 1789
Pe
250 (R.-U.)
(R.-U.) 1793- 1790-
ti
(Esp.) 1790-1793
s A
(Fr.)
1794 Guadeloupe (Fr.)
St-Domingue
nti
1790
Martinique (Fr.)
1794-1802
VICE-ROYAUTÉ DE Mer des Antilles Ste-Lucie (Fr.)
NOUVELLE-ESPAGNE 1790 St-Vincent 64
(Espagne)
*Antigua, Montserrat, Îles Vierges
Sources : P. Curtin, The Atlantic Slave Trade: A Census, University of Wisconsin Press, Madison, 1969 et M. Dorigny et B. Gainot, Atlas historique de l’esclavage, Autrement, Paris, 2006.
ENTRER EN RÉVOLUTION • 41
Ve
Principales zones Port-de-Paix février 1791
u
ld
de soulèvements Môle-St-Nicolas Limbé et Acul Limonade Fort-Dauphin
na
d’esclaves Gros-Morne Grande-Rivière
Ca
Ouanaminthe
Localités sous Dondon Vallières
le contrôle des Gonaïves
petits Blancs Fort de la Tannerie Déc. 1792
Circulations et mobilité
en Révolution
La fuite de Louis XVI et de sa famille illustre l’importance des relais de poste. Partis des Tuileries
en berline dans la nuit du 20-21 juin 1791, les fugitifs vont de relais en relais jusqu’à Clermont-en-
Argonne. Des cavaliers sont censés les escorter et sécuriser les étapes. Parti à cheval, le maître
de poste de Sainte-Menehould, Drouet, qui a reconnu le roi mais n’a pas réagi sur-le-champ,
prend de vitesse le convoi royal et permet son interception à Varennes le 22 juin.
e
des territoires devant l’information, Tous les jours
ôn
Sa
Theizé Trévoux
la complexité du gouvernement de Trois jours
Anse par semaine
l’espace français, les limites des poli- Lachassagne
Le Bois- Quincieux Genay
tiques d’uniformisation des normes
Tarare d’Oingt AIN
et des pratiques politiques comme Sarcey Az Morancé
erg Neuville-
administratives. ues sur-Saône Montluel
Une lettre postée à Paris arrive dans Limonest Beynost
L’Arbresle Sathonay
les deux jours dans le Bassin parisien, Thil
atteint les départements du Finistère
ne
Bibost e
et du Bas-Rhin en cinq jours, mais ôn
ven
LYON Rh
Bré
sur-Coise St-Symphorien-
nationale à Paris, et le temps néces- d'Ozon de-Chandieu
Mornant
saire pour qu’une information capitale Larajasse
parvienne aux extrémités du territoire.
Lorsque la fuite du roi est découverte, St-Romain- St-Romain- Givors ISÈRE
en-Jarez en-Gier Loire-sur-Rhône
l’Assemblée nationale prévient par
er
exemple immédiatement l’ensemble Gi Vienne 5 km
All
Calais 2. Château-Thierry DÔME Clermont-Fer.
ier
Boulogne-sur-Mer
Mauriac Brioude
Manche Abbeville Massiac
Amiens CANTAL
on HAUTE-
gn
LOIRE
Ala
Reims Verdun Metz
Chantilly 1 Murat
2
Paris Nangis Châlons- Strasbourg
sur-Marne Nancy
Aurillac St-Flour
Sens Colmar Tanavelle Ruynes
Auxerre re
Briare Bâle
yè
Avallon
Tru
Dijon
Besançon
Autun Pierrefort
Nevers
Chalon-sur-Saône Saint-Chély-
Moulins Chaudes- d’Apcher
Mâcon Genève Aigues
Loriol-sur-Drôme
Courrier rapide de Paris apportant
les lois à St-Flour par la route de poste
Fontaine-
Avignon de-Vaucluse Messagers spéciaux et « commandités »
Arthur Young Nice acheminant les lois de St-Flour
(1789) Aix
aux chefs-lieux de canton du district
Nikolaï Karamzine Marseille Courriers habituels de St-Flour
(1789-1790) Toulon
se chargeant des lois destinées
Georg Forster aux 3 autres districts du Cantal
(1790) M e r M é di terrané e
D’après G. Arbellot et B. Lepetit, Atlas de la Révolution
D’après G. Arbellot et B. Lepetit, Atlas de la Révolution française. française. Routes et communications, tome I,
Routes et communications, tome I, Éditions de l’EHESS, Paris, 1987. 100 km
Éditions de l’EHESS, Paris, 1987.
tarif postal est appliqué. On crée ficti- de la Révolution. Arthur Young est bri- ou l’on voit un arbre de la liberté
vement un point central pour chacun tannique, Nicolas Karamzine russe et avec en exergue : « Passans, cette
des 83 départements, la lettre est Georg Forster allemand. Ils prennent terre est libre. »
tarifée selon la distance, calculée à des notes, tiennent un journal, per-
vol d’oiseau de point central en point mettant de publier, une fois rentrés au Pour que nul n’ignore la loi
central. La taxe est la même pour pays, des récits de voyage, fréquem- Dans un pays très majoritairement
tous les bureaux postaux du dépar- ment illustrés. Les Voyages en France rural, où le désenclavement routier est
tement. Des postes locales, héritées pendant les années 1787-1788-1789 inachevé, et dans un contexte de régé-
de l’Ancien Régime, sont actives au de Young rencontrent un réel succès nération politique, il est impératif pour
début de la Révolution. C’est le cas tout comme les Lettres d’un voya- l’Assemblée nationale constituante
de la petite poste de Lyon créée en geur russe de Karamzine. Ces sources puis pour l’Assemblée législative
1778 sur le modèle de la petite poste permettent de restituer leurs itiné- de diffuser les décisions des repré-
de Paris (1759). Elle rayonne d’ailleurs raires. Ils entrent en France par la liai- sentants de la nation en direction de
plus loin que celle de Paris. Le service son Douvres-Calais et la quittent par l’ensemble des citoyens et des can-
de la poste se développe tout au long Strasbourg ou par le comté de Nice. tons du territoire.
de la Révolution, indépendamment des Les voyages privilégient la traversée Par exemple, dans le département du
aléas politiques : 1 466 bureaux des- nord-sud du territoire par la vallée du Cantal, les autorités révolutionnaires
servent le territoire en l’an III contre Rhône ou par le Massif central. Avec du district de Saint-Flour ne disposent
1 320 en 1789. les débuts de la Révolution, Paris que de deux bureaux de poste pour
accueille de nombreux patriotes euro- 80 communes. Les lois parviennent de
Du Grand Tour aristocratique péens qui viennent assister à l’his- Paris à Saint-Flour par voitures. Elles
à la découverte de la France toire en marche. C’est le cas de Georg sont communiquées aux cantons de
en révolution Forster qui accompagne le noble prus- Massiac, Chaudes-Aigues et Pierrefort,
Dans la tradition des voyages des sien Alexander von Humboldt, futur accompagnées des décisions locales,
élites européennes des Lumières, qui grand explorateur et savant, dans son par des messagers à pied. Les
associent voyage de formation (Grand tour de formation. Il s’enthousiasme cantons de Tanavelle et Ruynes
Tour) et d’agrément, des étrangers pour les débuts de la Révolution fran- prennent connaissance de la loi par
visitent la France dans les dernières çaise tout comme Goethe qui peint des « commodités », c’est-à-dire des
années de l’Ancien Régime et au début en 1792 sur la Moselle une aquarelle marchands ou des voyageurs connus.
44
L’échec de la monarchie
constitutionnelle
Si 1790 fait figure d’année heureuse de la Révolution, la réalité est plus nuancée. Les problèmes
sociaux et économiques n’ont pas été réglés ; la suppression de nombreux cadres de l’Ancien
Régime a désorganisé la vie quotidienne. Pour les modérés au pouvoir, sincèrement attachés aux
principes de 1789, révolution politique ne rime pas avec révolution sociale. Il faut affermir l’autorité
et sanctuariser la propriété, pour conjurer les risques d’anarchie.
Un séisme politique : du territoire. Pourtant, les modérés fusillade du Champ-de-Mars, lieu sym-
la fuite du roi tentent contre toute évidence d’accrédi- bolique, le 17 juillet 1791, où s’étaient
En quittant les Tuileries, la nuit du 20 au ter la thèse de l’enlèvement, pour sauver réunis 5 000 manifestants. La loi martiale
21 juin 1791, le roi a laissé une déclara- non seulement les apparences mais aussi est décrétée, la garde nationale ouvre le
tion à l’intention de l’Assemblée consti- l’équilibre politique et institutionnel auquel feu dans des conditions confuses. Des
tuante qui ne laisse aucun doute sur son ils espèrent encore parvenir. Par la suite, membres des Cordeliers sont arrêtés,
hostilité à la monarchie constitutionnelle. ils insistent sur les pressions dont Louis XVI L’Ami du peuple de Marat interdit. Le
La Fayette, commandant de la garde aurait été l’objet. Leur construction poli- club des Jacobins implose, La Fayette
nationale, et les députés modérés voient tique a en effet besoin d’un roi, si pos- et les triumvirs (Barnave, Duport,
leurs efforts pour stabiliser le nouveau sible docile. L’image du roi est cependant Lameth) fondent, au centre du spectre
régime s’écrouler. La radicalisation poli- définitivement altérée. Ses opposants politique, le club des Feuillants.
tique est très rapide, les sociétés poli- le présentent désormais sous les traits
tiques plus « démocratiques » ont le vent de Janus bifrons – à deux visages – afin Terminer la Révolution ?
en poupe. Les Cordeliers réclament la de souligner son double jeu. Pour le triumvirat, il est temps de
proclamation de la République, position Les tensions politiques et sociales terminer la Révolution pour garan-
encore largement minoritaire à l’échelle prennent un tour dramatique lors de la tir les acquis de 1789, en évitant une
Cahors
Digne
Albi Montpellier
Auch
150 km Toulouse
Tarbes Marseille Toulon
Adresses de félicitations
à la municipalité de Varennes Perpignan
Les zones en gris sont non traitées dans les sources originales.
100 km
D’après M. Vovelle, La Découverte de la politique, La Découverte, Paris, 1993.
ENTRER EN RÉVOLUTION • 45
Tensions et désillusions
Malgré la démonstration d’unani-
misme que met en scène la fête
de la Fédération (14 juillet 1790), les
tensions se multiplient en 1790-1791.
La mutinerie des régimes suisses de Répartition
Châteauvieux à Nancy qui avaient des émigrés
formé un conseil de soldats et s’étaient par département
mis en relation avec les sociétés poli- d’origine
tiques locales est réprimée dans le sang Plus de 2 000
par l’Assemblée et La Fayette. Dans les De 1 000 à 2 000
campagnes, la lenteur de la liquidation
De 500 à 1 000
du système seigneurial et le refus de
racheter les droits réels sont à l’origine Moins de 500
de désillusions et de troubles, au cours Absence de données
100 km
desquels des châteaux sont incendiés Source : M. Vovelle, La Découverte de la politique, La Découverte, Paris, 1993.
La radicalisation
révolutionnaire
La radicalisation révolutionnaire déchire les Français comme
elle divise les historiens. Polémiquant avec l’historiographie
marxiste, François Furet a évoqué un « dérapage ». D’autres
chercheurs estiment que la radicalisation est consubstantielle
au principe-même de révolution. De fait, on a sans doute tort
d’opposer la modération des débuts, notamment de 1790
considérée comme l’« année heureuse » au durcissement
de l’après-1791, a fortiori de l’après-1792. Lorsque certains
groupes d’intérêts et sensibilités politiques estiment que leurs
objectifs d’émancipation et de libéralisation sont atteints, il
est logique qu’ils cherchent à ralentir le processus. À l’inverse,
ceux qui estiment nécessaire une révolution sociale qui rebatte
profondément les cartes et ne cantonne pas les plus modestes
dans un rôle de citoyen passif, revendiquent avec véhémence
une relance révolutionnaire. Faute d’être entendus, pire parce
qu’ils s’estiment injustement muselés, ils alimentent de leurs
frustrations une phase de radicalisation de la Révolution.
48
La patrie en danger De leur côté, les forces coalisées Quand on apprend que l’armée ennemie
La défense de la patrie est de plus en austro-prussiennes passent à l’offen- marche sur Paris, la panique s’empare
plus associée à la déchéance du roi. Le sive, prennent Longwy et assiègent de l’Assemblée législative. Danton pro-
10 août 1792, les Tuileries sont prises Verdun. Leur chef, le duc de Brunswick, nonce alors un discours qui passera à la
d’assaut par les sections parisiennes menace Paris d’une « exécution mili- postérité : « Pour les vaincre, messieurs,
et les gardes qui assuraient la protec- taire et une subversion totale » s’il est il nous faut de l’audace, encore de l’au-
tion du roi et de sa famille sont massa- fait « la moindre violence au roi et à la dace, toujours de l’audace, et la France
crés. Le roi est alors « suspendu » par reine ». Il déclenche la fureur popu- est sauvée ». Mais l’essentiel tient
l’Assemblée législative qui annonce la laire. L’annonce de la chute de Verdun, surtout dans l’idée d’une mobilisation
convocation d’une Convention natio- qui ouvre la route de Paris aux de toutes les forces vives de la nation :
nale. Les élections sont organisées Prussiens, et la peur du complot contre- « Tout s’émeut, tout s’ébranle, tout brûle
au cours de l’été. Tout homme âgé de révolutionnaire provoquent dans les de combattre […]. Une partie du peuple
plus de 21 ans, domicilié depuis un an, prisons parisiennes les massacres dits de va se porter aux frontières, une autre
vivant de son revenu ou du produit de septembre. On y tue plusieurs centaines va creuser des retranchements, et la
son travail et qui n’est pas domestique, d’aristocrates, de prisonniers de droits troisième, avec des piques, défendra
a le droit de vote. communs et de prêtres réfractaires. l’intérieur de nos villes. »
Landrecies St-Hubert
sell
mm La Capelle
Péronne
e
Mo
Valmy Metz
in
Marne
e
Moselle
Meaux
M
eu
Châlons-
in
Rh
se
Paris sur-Marne
S a r re
50 km
Strasbourg
Source : J.-P. Bertaud et D. Reichel, Atlas de la Révolution française. L’armée et la guerre, tome III, Éditions de l’EHESS, Paris, 1989.
LA RADICALISATION RÉVOLUTIONNAIRE • 49
LA RÉVOLUTION EN DANGER
Helder
France en avril 1792 Mer du
Nord Amsterdam
Guerre extérieure La Haye PROVINCES-UNIES
Intervention des armées Hollandais Nimègue
de la première coalition
Anvers Prussiens
Offensives des armées Britanniques
françaises Cologne
Dunkerque Bruxelles
Principaux sièges et batailles Hondschoote 1 Neerwinden Autrichiens
Lille 4 Liège Coblence
Conquêtes et annexions Fleurus
2 RHÉNANIE
(1792-1795) 3
Manche BELGIQUE
6 Mayence
1. Tourcoing 4. Jemmapes Amiens 5
2. Wattignies 5. Le Quesnoy
3. Valenciennes 6. Maubeuge Rouen Le Bon
Caen Verdun Metz Landau
Brune Valmy
NORMANDIE Pacy- Geisberg
Granville Paris SAARWERDEN
Brest sur-Eure Strasbourg
Ouessant Dol
BRETAGNE Rennes
Le Mans SALM
Quimper Hoche Laval
Vannes
Britanniques Groix ANJOU
Savenay Montbéliard Bâle
Quiberon Angers
Nantes Dijon MONT-TERRIBLE
Machecoul Bourges
Cholet
Kléber,
VENDÉE Carrier Kellermann
Fouché Genève
Niort
OCÉAN SAVOIE
Lyon Chambéry Autrichiens
ATL ANTIQUE
Sardes
Turin
Tallien Valence
Bordeaux
Gênes
GIRONDE
Carteaux COMTÉ
Bonaparte Cap Noli
Guerre intérieure Montauban DE NICE
Nîmes Avignon
Principaux bastions et zones Nice
d’insurrection fédéraliste Toulouse Montpellier PROVENCE
Bayonne
Mouvement indépendantiste Toulon
Marseille Calvi
Révolte de la Vendée Îles d’Hyères
Espagnols Perpignan
ROYAUME
«Virée de Galerne » Le Boulou ANGLO-
Britanniques CORSE
Révolte des chouans Ajaccio
Répression par les armées
Espagnols Mer Méditerranée
républicaines
Principaux sièges et batailles
100 km
Révolution, patrie, République d’où la décision de Brunswick de déclare « qu’il ne peut y avoir de
Sur le front du Nord, Dumouriez se replier ; les volontaires français Constitution que celle qui est acceptée
remplace La Fayette qui a déserté, étaient commandés par des officiers par le Peuple » et « que les personnes
et a été aussitôt décrété d’arresta- d’Ancien Régime. Il n’empêche, le sym- et les propriétés sont sous la sauve-
tion. La Commune de Paris appelle bole est important. Ce sont des sol- garde de la Nation ». À l’unanimité, elle
les citoyens aux armes, convoque dats de la Révolution, galvanisés par décrète que la royauté est abolie en
les volontaires au Champ-de-Mars La Marseillaise, qui se sont portés au France. La République est proclamée.
et fait sonner le tocsin. Le 20 sep- front pour défendre la patrie en danger. Le 25 septembre 1792, elle est décla-
tembre, Dumouriez remporte, contre Ils vont parcourir dans les années qui rée « une et indivisible ». Apocryphe
les Prussiens, la bataille de Valmy, suivent des milliers de kilomètres au fil ou non, le mot attribué à Goethe à
en Argonne, sur la route de Paris. On des marches et des contremarches et propos de Valmy est donc fondamen-
a pu discuter la portée de cette vic- s’aguerrir au feu pour former le noyau talement exact : « D’ici et d’aujourd’hui
toire : les troupes prussiennes étaient des armées de la Révolution. Au lende- débute une nouvelle époque de
avant tout victimes de dysenterie, main de Valmy, la Convention nationale l’histoire du monde ».
50
Divisions et déchirures
Élus par les assemblées départementales, les députés officialisent l’abolition de la monarchie.
Le lendemain, le 22 septembre 1792, constitue le premier jour de l’an I de la République. Mais
les débats sur la guerre, la déchéance de la monarchie et l’attitude à adopter par rapport à
la commune insurrectionnelle de Paris ont profondément divisé les Jacobins. Les Girondins
et les Montagnards s’opposent violemment, tandis que la Révolution se radicalise.
Girondins et Montagnards plusieurs d’entre eux –, et Montagnards, mène les Français en Belgique, en
Lors des élections à la Convention, par référence à leur emplacement dans Rhénanie, à la réunion de la Savoie
les Jacobins renforcent leurs l’assemblée, l’emporte. Il faut ajouter et de Nice. Les questions intérieures
positions autour de Paris, dans le les députés dits « à l’écart » (Alison divisent également. Les Girondins
nord-est, en Bourgogne, sur l’axe Patrick), qui n’appartiennent à aucun sont attachés au libéralisme écono-
Paris-Lyon, sur le littoral atlantique de des deux partis et qu’on nommera « la mique. Contre l’avis des Montagnards,
la Vendée à Bordeaux, en Provence Plaine » ou « le Marais ». Trois questions ils refusent de taxer les grains, malgré
et dans le Languedoc. Mais la réfé- majeures divisent les députés. D’abord les troubles frumentaires. La question
rence au club est moins pertinente que la guerre : pour Danton, « la nation fran- du sort du roi, enfin, est l’objet de vifs
sous la Législative. Le clivage entre çaise a créé un grand courant d’insur- débats. Reconnu coupable le 15 janvier
« Brissotins » – du nom de l’un des chefs rection des peuples contre les rois » ; 1793, Louis XVI est condamné à mort à
de file du groupe, Jean-Pierre Brissot –, c’est la guerre d’expansion révolu- une voix de majorité (361 contre 360), la
qu’on nomme désormais Girondins – en tionnaire, soutenue par les Girondins, plupart des Girondins ayant voté pour
référence au département d’origine de à laquelle Robespierre s’oppose. Elle l’emprisonnement suivi éventuellement
du bannissement. Il est exécuté le
LE TEMPS DES TROUBLES EN BEAUCE 21 janvier.
Épicentre des troubles de EURE
subsistance (15 nov. 1792) SEINE-ET-OISE
Propagation des troubles Dreux L’échec des Girondins
Avre
Une semaine plus tard Brezolles Rambouillet D’abord au pouvoir, les Girondins ne
Eu
(du 16 au 22 nov.)
re
LA FRANCE DÉCHIRÉE
SOCIÉTÉS GIRONDINES ET MONTAGNARDES LES CRÉATIONS DE SOCIÉTÉS POPULAIRES
MAI 1793 1793 ET AN II
Nombre
100 km de sociétés créées
par département :
Nombre de sociétés 242
par département :
15 70
5
Montagnards 1
1 Girondins Source : J. Boutier, P. Boutry, Atlas de la Révolution française. Les sociétés politiques, tome VI, Éditions de l’EHESS, Paris, 1992.
269 à 354
des Jacobins comme à la Convention, taxe tout mouvement violent au sud de sans-culottes qui préparent l’insurrec-
Robespierre dénonce les complices de la Loire de « guerre de Vendée ». Les tion. Entre le 31 mai et le 2 juin 1793,
Dumouriez, « et notamment Brissot », enragés dénoncent la collusion de la le bras de fer tourne au désavantage
et demande qu’ils soient décré- Gironde et des contre-révolutionnaires des Girondins. La Convention est
tés d’arrestation, pour l’heure sans qu’ils amalgament. encerclée et les députés empêchés
succès. Pendant ce temps, les mani- Les Girondins décident de faire arrêter de sortir de l’Assemblée. Sous la
festations de refus de la levée s’ampli- Marat qui est acquitté par le Tribunal pression de la foule en armes, plu-
fient. La Convention décrète la peine révolutionnaire : c’est un véritable sieurs dizaines de députés girondins
capitale pour tout individu pris les camouflet. Ils décident aussi d’éli- sont décrétés d’arrestation. Détenus
armes à la main. La Gironde est isolée, miner la pression sans-culotte sur la à leur domicile, plusieurs d’entre
tandis qu’en Vendée la défaite d’une Convention en arrêtant les leaders. eux s’échappent et regagnent leurs
colonne militaire partie de La Rochelle C’est une erreur, car la force armée départements. Ils y favorisent des sou-
devient un événement fondateur. parisienne est aux mains de la muni- lèvements contre le centre parisien.
De véritables armées contre- cipalité et des sections, pas de la Mais, repris, la plupart seront exécu-
révolutionnaires se structurent et Paris Convention. La Montagne se rallie aux tés le 31 octobre 1793.
52
La Terreur
Après l’assassinat de Marat par Charlotte Corday, la psychose du complot contre-révolutionnaire
se renforce. Pour lutter contre les coalisés et les ennemis de l’intérieur, la Convention décrète la
levée en masse. La Terreur est mise à l’ordre du jour. L’état de guerre est perceptible partout.
Cinquante-six armées révolutionnaires vont parcourir les deux tiers du territoire. Le 10 octobre 1793,
la Convention décrète que le gouvernement sera révolutionnaire jusqu’à la paix.
Lyon, « Ville-Affranchie » et se trouvent coincés entre des forces la Convention desserrent l’étau ennemi
Le 2 juin 1793, lorsque les sans-culottes royalistes hostiles et la Convention sur les frontières. Il s’agit aussi de mener
parisiens éliminent les Girondins à la montagnarde. Taxés de « fédéra- une guerre sans pitié aux ennemis de
Convention, le hasard veut que les sans- lisme », ils sont dénoncés comme partie l’intérieur. Le Comité de salut public et le
culottes lyonnais soient arrêtés et exé- intégrante du complot contre- Comité de sûreté générale tiennent un rôle
cutés par les autorités municipales, qui révolutionnaire. La Convention décide majeur dans le gouvernement révolution-
sont révolutionnaires, mais légalistes et de faire un exemple en détruisant Lyon. naire. Le Comité de salut public prend le
hostiles aux « anarchistes ». Ce mouve- Le 12 juillet, les Lyonnais sont décré- contrôle de toutes les institutions civiles
ment de refus des sans-culottes se mani- tés traîtres et hors la loi ; le 9 août la ville et militaires. Les représentants en mis-
feste à travers tout le pays. Ces révolu- est assiégée. Elle est débaptisée et ses sion remplacent tous les autres envoyés.
tionnaires locaux, souvent de sensibilité habitants épurés. On compte près de La loi des suspects est adoptée le
girondine, s’opposent aux envoyés de 2 000 exécutions. 17 septembre. Elle vise les parents
la Convention et entendent garder leur d’émigrés, les personnes auxquelles on
autonomie par rapport à Paris. Ils ne De la Terreur à la Grande Terreur a refusé un certificat de civisme, ceux
forment pas un mouvement homogène À partir de l’automne 1793, les armées de qui ne peuvent justifier de leurs moyens
Nombre de membres
du clergé exécutés
15
5
Lieux de : Nombre d’exécutions :
1 moins plus
naissance résidence (Paris : 155) de 10 à 50 de 50 à 100
de 10 de 100
Sources : M. Vovelle, La Mentalité révolutionnaire, Messidor Éditions sociales, Paris, 1985 et
D. Greer, The Incidence of the Terror during the French Revolution, Harvard University Press, Cambridge, 1935. 100 km
LA RADICALISATION RÉVOLUTIONNAIRE • 53
Les sans-culottes
Encouragés par les harangues et pamphlets des « enragés », Jacques Roux ou Varlet, les sans-
culottes parisiens ont attaqué boulangeries et épiceries pour obtenir des mesures de salut public,
et envahi la Convention pour éliminer la Gironde. Ils sont au cœur du processus de radicalisation
révolutionnaire, permettant la consolidation du gouvernement et l’organisation de la dictature de
salut public.
Qui sont les sans-culottes ? nous ont délivrés du clergé et de la coiffés du bonnet phrygien. Pour le
Une adresse de la société des sans- noblesse, de la féodalité, de la dîme, Père Duchesne, le journal d’Hébert,
culottes de Beaucaire à la Convention de la royauté et de tous les fléaux qui « Comme [le sans-culotte] travaille, on
nationale datée de septembre 1793 composent son cortège ». est sûr de ne rencontrer sa figure ni au
décrit la manière dont ses membres se Sur le plan vestimentaire, les sans- café ni dans les tripots où l’on conspire,
perçoivent : « Nous sommes des sans- culottes portent le pantalon rayé ni au théâtre. Le soir, il se présente à
culottes […] pauvres et vertueux, nous qui les distingue de l’aristocrate et sa section, non pas poudré, musqué,
avons formé une société d’artistes de l’ensemble des strates sociales botté, dans l’espoir d’être remarqué
– au sens d’artisans – et paysans […] supérieures. Les représentations de toutes les citoyennes des tribunes,
nous connaissons nos amis : ceux qui les montrent armés d’une pique et mais pour appuyer de toute sa force
17 29 30
in
39 Machines 8 24
Champ (Tuileries) 33
Conciergerie 19 31
de Réunion Hôtel des Grande Force
38 Invalides Cordeliers 37 Pl. de Grève
40 36 32
École 41 Notre- 34 25
Militaire Dame 35 Place de
42 45 la Bastille
44
Luxembourg Plessis
Place
47 du Trône
1. Tuileries Renversé
26
2. Champs-Élysées 43
Se
3. Roule
ine
La déchristianisation
La déchristianisation de l’an II est le fait d’initiatives ponctuelles, qui se déploient entre vendémiaire
et brumaire an II, pour détruire les églises et même les religions établies. Œuvre d’activistes,
elle traumatise les populations. La Convention et le gouvernement révolutionnaire ne la reprennent
pas à leur compte. Danton puis Robespierre ont dénoncé la vague déchristianisatrice.
Une mobilisation générale qui est l’objet des calomnies des fédé- LES COMBATS (MARS 1793-JUIN 1794)
Les levées massives d’hommes décré- ralistes, de la haine des aristocrates et
tées par la Convention changent la de la colère des tyrans ; il faut proté-
donne de la guerre et du rapport que ger le centre des communications, la Combats
les Français entretiennent avec elle. résidence de la première des autorités 1
L’impôt du sang est inégalement réparti publiques, le foyer de la révolution, le 2
3
avec un fort tropisme nord-est, de la réservoir de la fortune publique et le lieu 4
Haute-Normandie à la Franche-Comté. de tous les établissements nationaux. » 5
En revanche, le refus des levées est La mobilisation est également inté- 6
nettement marqué dans l’Ouest, le rieure ; les armées révolutionnaires
Centre – à l’exception d’une zone cou- deviennent alors « l’instrument de
vrant le Berry et le Limousin –, le Midi, la Terreur dans les départements », 250 km
sauf certains districts aquitains. Il s’agit selon l’historien anglais Richard Cobb. D’après J.-P. Bertaud et D. Reichel,
Atlas de la Révolution française. L’armée et la guerre,
d’équiper et d’approvisionner une L’armée révolutionnaire parisienne est tome III, Éditions de l’EHESS, Paris, 1989.
XX
XX BEAULIEU
XX
Trazegnies Le Campinaire
Hébertistes qui poussent leurs repré- XX HATRY
X X
XX
Lambusart
sentants en quelques jours au « géné-
XX XX
KLÉBER MARCEAU
ralat », destituent ou exécutent des XX
DUBOIS
MAYER
MONTAIGU
officiers de métier, et procèdent sans III
Fontaine-l’Évêque
aguerries et volontaires. Avec le soutien Charleroi
Châtelet
III
de loin la plus nombreuse. Elle inter- pertes deux fois inférieures à celles des l’environnement proche de la capitale
vient sur 28 départements, bien au- Français. Un mois plus tard, les armées (Picardie, Nord) et de pousser jusque
delà du Bassin parisien. Localement, de la République sont à Anvers. dans les départements de l’Ouest qu’il
les armées révolutionnaires peuvent faut reprendre.
compter de 1 000 à 2 000 hommes, Le front intérieur
mais parfois quelques dizaines de Les cartes des départements concer-
LES ORIGINES SOCIALES
volontaires seulement. Elles sont nés par les déplacements des armées DES REQUIS À PARIS
issues des initiatives prises par des révolutionnaires et des lieux de combat
représentants en mission, des socié- montrent que, si le Nord et l’Est sont Bourgeois d’affaires
tés populaires et des autorités locales. directement au contact de la guerre
Bourgeois à talent
Ces armées et leurs déplacements étrangère, il en va aussi de l’ensemble
témoignent de l’ampleur d’une poli- des frontières, y compris à l’Ouest avec Artisans et boutiquiers
tique de guerre et de la généralisa- les opérations de la marine britannique
Commis et garçons
tion de ces impacts sur le territoire de et des forces contre-révolutionnaires.
la République. Front intérieur et front extérieur se Compagnons et ouvriers
rejoignent alors. Le rapport de Barrère
Petits métiers urbains
La victoire de Fleurus à la Convention fait expressément le
(26 juin 1794) lien entre les deux menaces : « Nous Domestiques
Les armées de la République rem- aurons la paix le jour que l’intérieur sera
Paysans
portent une victoire décisive à Fleurus paisible, que les rebelles seront sou-
le 8 messidor an II (26 juin 1794), qui mis, que les brigands seront extermi- Sans profession
marque un tournant dans la guerre nés. Les conquêtes et les perfidies des
0 10 20 30 40 %
contre la coalition. À cette occasion, puissances étrangères seront nulles le
D’après J.-P. Bertaud et D. Reichel,
un aérostat est utilisé pour la première jour que le département de la Vendée Atlas de la Révolution française. L’armée et la guerre,
tome III, Éditions de l’EHESS, Paris, 1989.
fois à des fins d’observation militaire. aura perdu son infâme dénomination
À la tête de 89 000 soldats français et sa population parricide et coupable.
LES ARMÉES RÉVOLUTIONNAIRES
(dont 8 000 ne sont pas engagés), Plus de Vendée, plus de royauté ; plus
Jourdan et Kléber affrontent 52 000 de Vendée, plus d’aristocratie ; plus de
Autrichiens et Hollandais. Le duc de Vendée, et les ennemis de la république
Saxe-Cobourg qui commande ces ont disparu. »
derniers attaque les Français pour pro- L’idée d’une République acculée sur
téger ses arrières menacés par le siège ses frontières et menacée de l’inté-
puis la prise de Charleroi par Jourdan, rieur par des ennemis mortels légitime
le 25 juin. Ignorant la chute de la ville, les mesures répressives et des levées
les cinq colonnes d’attaque de Saxe- d’hommes qui mobilisent l’ensemble
Coburg infligent de très lourdes pertes du territoire cette fois. Le dévelop-
150 km
aux lignes françaises. Mais l’armée pement des missions des agents du
française, plus nombreuse, parvient Comité de sûreté générale hors de
Départements touchés par les opérations
à résister et à contre-attaquer. Saxe- Paris est particulièrement significatif : d’une armée «révolutionnaire»
Cobourg bat en retraite de l’autre côté il s’agit de s’assurer du contrôle (volontaires sans-culottes)
Source : R. Cobb, The People’s Armies,
de la Meuse le lendemain, malgré des de l’axe Paris-Lyon, de maîtriser Yale University Press, New Haven and London, 1987.
60
Jacobins ou patriotes ? Fox est systématiquement coiffé du sociétés secrètes et une censure ren-
Avec le développement des théories bonnet rouge des sans-culottes. Si les forcée. À Londres, le Parlement discute
de la subversion révolutionnaire, il ne sociétés patriotiques radicales sont d’une loi contre les sociétés illégales en
fait pas bon être taxé de jacobin. Pour largement implantées hors de France, 1799. Le « comité secret » de la Chambre
Catherine II, impératrice de Russie, qui patriotes et radicaux se définissent des communes prétend détenir les «
a largement abandonné son soutien rarement comme jacobins. Ils tiennent preuves irréfutables d’une entreprise
aux idées des Lumières, la Pologne est à l’autonomie de leur engagement et systématique, mûrie de longue date et
devenue une « jacobinière ». En réalité, de leur projet politique et ne reçoivent orchestrée depuis la France en relation
à la psychose du complot contre- pas passivement les idées révolution- avec des traîtres en Grande-Bretagne, de
révolutionnaire largement répandue en naires françaises, mais les empruntent destruction des lois, de la constitution, du
France correspond en creux celle du de manière sélective. Il n’empêche, la gouvernement, et de toute forme d’ordre
complot révolutionnaire. En Angleterre, radicalisation révolutionnaire et son civil ou religieux tant dans le royaume
la caricature politique se déchaîne audience justifient aux yeux des auto- de Grande-Bretagne que dans celui
contre les radicaux. Le député James rités des lois d’exception contre les d’Irlande, et de dissolution de l’union
Hambourg
Liverpool Sheffield
Manchester
Norwich
Birmingham
Haarlem Amsterdam
Bristol
Londres
Bruxelles Cologne
Mayence
Luxembourg
100 km D’après J. Boutier, P. Boutry, Atlas de la Révolution française. Les sociétés politiques, tome VI, Éditions de l’EHESS, Paris, 1992.
LA RADICALISATION RÉVOLUTIONNAIRE • 61
LONDRES MAYENCE 1%
NOV. 1789-DÉC. 1790 OCT. 1792-MARS 1793
5% 8%
1%
11 % 24 %
12 %
5%
3%
Nombre
de lettres 8%
reçues 32 %
34 %
1
10
30 %
150 km
14 % 18 %
D’après J. Boutier, P. Boutry, Atlas de la Révolution française. Les sociétés politiques, tome VI, Éditions de l’EHESS, Paris, 1992.
2% 13 %
entre les deux royaumes ». La loi est se proclame ambassadeur puis ora-
14 % 8%
adoptée en juillet, certaines dispositions teur du genre humain. Citoyen français
s’appliqueront jusqu’en 1967. en août 1792, il est élu à la Convention 10 %
7%
et préside même un temps le club des 17 % 3%
À l’Est, un recrutement original Jacobins. Mais Robespierre lui reproche 7% 8%
Les mouvements « jacobins » sont très sa volonté d’exporter la Révolution par 2% 1%
Spire Coblence Cologne
divers par leur intensité, leur recrute- les armes, qui l’avait un temps rappro- 44 241 203
ment social et numérique, leurs objectifs ché des Girondins, et son activisme Effectifs
et leurs actions réellement entreprises. déchristianisateur. La Convention l’ex- Clergé Artisans
Ainsi, dans les États des Habsbourg, les clut au motif « qu’aucun individu né en Fonctionnaires
Juristes et militaires
« jacobins » viennois, malgré leur carac- pays étranger ne peut représenter le Professions
libérales Paysans
tère attachant et leur envergure indivi- peuple français ». Cloots est condamné Étrangers
Négociants
duelle, sont très isolés, sans base popu- à mort par le Tribunal révolutionnaire (Français)
laire – ils se recrutent dans la noblesse, avec les Hébertistes et exécuté le Commerçants Indéterminés
Source : M. Vovelle, Les Jacobins de Robespierre à
les administrations et les cadres intel- 24 mars 1794. Chevènement, La Découverte, Paris, 1999.
lectuels –, tout comme à Prague. En
Hongrie, le mouvement, un peu plus Des Lumières au jacobinisme Bonn, ces universitaires et administra-
étoffé, recrute dans la petite noblesse La révolution qui donne naissance à la teurs animent des sociétés de lecture
ou parmi les serviteurs « intellectuels » république de Mayence n’est pas un (Lesegesellschaften). Ils forment le cœur
de l’aristocratie : précepteurs et secré- produit d’importation française, comme du club des Jacobins et les cadres de la
taires. Il prend très vite une dimension un survol chronologique trop rapide peut république de Mayence en 1792-1793.
d’affirmation nationale que l’on retrouve le laisser croire, la fondation du club Citons Franz Konrad Macke (1756-1844),
au cours des révolutions du XIXe siècle. des Jacobins, la Société des amis de la commissaire de police devenu procu-
Dans tous les cas, ceux qui se consi- Liberté et de l’Égalité, le 23 octobre 1792, reur de la Commune puis maire de la
dèrent fondamentalement comme des survenant deux jours seulement après la ville fin 1792, partisan de l’annexion de
patriotes se sont éveillés aux enjeux reddition de la ville au général Custine. la Rhénanie et commissaire du gouver-
réformateurs des Lumières au sein Les discours des clubistes témoignent nement près l’administration municipale
des loges maçonniques et des sociétés en effet de l’appropriation des mes- en 1798, ou Johann Heinrich Rudolf
de lecture. sages révolutionnaires français et de leur Eickemeyer (1753-1825), professeur
adaptation au contexte rhénan. Surtout, de mathématiques à Mayence en
Anacharsis Cloots et Mayence est, dès le début des années 1784, doyen de la Faculté en science
la République universelle 1780, un centre actif des Lumières radi- camérale en 1792, officier d’artillerie et
La trajectoire de Jean-Baptiste cales grâce à l’attitude tolérante du ingénieur militaire, devenu en 1793
« Anacharsis » Cloots illustre le carac- prince-Électeur. Les Aufklärer (hommes général de brigade de l’armée française.
tère tragique de la radicalisation révo- des Lumières) se retrouvent dans les L’envergure des individus considérés
lutionnaire et le formidable espoir loges maçonniques, puis dans les rangs a indiscutablement donné de la consis-
qu’elle a représenté pour ceux des par- des Illuminaten (les célèbres Illuminés tance aux accusations lancées contre
tisans des Lumières radicales qui ont de Bavière stigmatisés par l’abbé la franc-maçonnerie d’avoir nourri en
prolongé leur engagement jusqu’au Barruel dans ses Mémoires pour écrire son sein les germes révolutionnaires, et
jacobinisme. Gallophile assumé, installé l’histoire du jacobinisme), partisans d’une aux Lumières d’être, plus globalement,
en France dès 1780, puis à nouveau transformation radicale de la société, responsables de la corrosion accélérée
en 1789, devenu Anacharsis, Cloots mais par en haut. À Mayence comme à de l’ordre ancien.
62
RÉ
UB
nouvelles perspectives. Les objectifs
P
PARME L Istrie armistices
4
2 Bologne IQU
militaires et les ambitions poli- 1 RÉP. DE MODÈNE E
GÊNES DE
tiques françaises évoluent sans Nice MONACO RÉP. DE LUCQUES ST-MARIN VEN
ISE
plan préconçu, en fonction du Livourne
Florence
Mer Ancône Dalmatie
sort des armes. Si certains terri- TOSCANE
Mé dite rran é e PIOMBINO ÉTATS DE
toires demeurent occupés, dans Elbe L’ÉGLISE
l’attente des négociations de paix, PRÉSIDES Mer
Corse Adriatique
l’appui français et l’activisme des Ajaccio
« patriotes » locaux aboutissent ail- Rome Cattaro
leurs à la création des républiques Pontecorvo
sœurs. En trois ans, la carte politique ROYAUME
et les institutions de la péninsule Bénévent Bari
ROYAUME DE Naples
sont bouleversées. Cette expérience, DE NAPLES
SARDAIGNE
avec ses élans constitutionnels, ses
réformes et ses acquis démocra- Cagliari Mer Tyrrh énienne
tiques, et la participation au gouver-
nement d’hommes jusque-là exclus 1. Montenotte 6. Mantoue
de la chose publique, est fondamen- 2. Millesimo 7. Castiglione
3. Dego 8. Arcole Me r
tale pour comprendre la manière dont 4. Mondovi 9. Bassano Palerme Messine I onienne
le Triennio influence les attitudes 5. Lodi 10. Rivoli
des élites et des masses populaires Les États italiens sont représentés ROYAUME DE SICILE
dans leurs frontières de 1792 100 km
pendant et après l’ère napoléonienne.
RÉPUBLIQUE
L’ITALIE EN 1797 RHODANIENNE L’ITALIE EN 1802
La chute des républiques Milan Milan
sœurs italiennes (1799) Piémont RÉPUBLIQUE Venise Turin RÉPUBLIQUE Venise
Turin
L’expansion française vers le Nord, Parme
CISALPINE Gênes
Gênes ITALIENNE
en Italie et en Méditerranée (Malte, RÉP. RÉP. Florence
Nice Nice
Égypte) provoque la formation LIGURIENNE Florence LIGURIENNE
Bordeaux
1791
1795
Nombre de navires :
1
5
OCÉAN ATL ANTIQUE 20
42
77
229
Sources : ADG, 6B281 et NA, RG84, Bordeaux Consulate. Cartographie d’après S. Marzagalli et M. Perronnet, UMR Temiber, CNRS-université de Bordeaux III, 2003.
Bilan de la vente
des biens nationaux
La nationalisation des biens appartenant au clergé, puis de ceux des émigrés permet une
redistribution massive, quoique inégale, de la propriété foncière, fondement de la richesse
et source de prestige dans la France d’Ancien Régime. Ce choix permet d’absorber largement
la dette écrasante léguée par les Bourbons à la France révolutionnaire sans avoir recours aux
impôts, et attache à jamais à la cause de la Révolution tous les acquéreurs de biens nationaux.
Un choix politique majeur politiques, liant à la Révolution les acqué- d’émigrés. De même, la possibilité de
Pour faire face à la crise financière avant reurs, mais éloignant les catholiques payer les achats en assignats, dont la
la refonte du système fiscal, les gouver- jusqu’au Concordat de 1801. valeur est théoriquement garantie par
nements révolutionnaires sont contraints les biens nationaux, rend vaine toute vel-
d’adopter des solutions d’urgence, Un phénomène d’ampleur léité de chiffrer ce que l’opération a réel-
dont la vente des biens nationaux et inégale lement rapporté à l’État sur le plan finan-
le recours aux assignats, qui ont des L’importance de la vente des biens du cier, car les paiements s’échelonnent
conséquences énormes. La mise sur le clergé et des émigrés ne doit pas faire dans le temps, avec des assignats en
marché des biens de l’Église, décidée en oublier que la multiplicité des situations chute libre dès 1792. En revanche, le
novembre 1789, puis des biens des émi- rend peu significative toute moyenne bilan politique est indéniablement posi-
grés (1792), affecte la structure sociale nationale : d’un district à un autre, voire tif pour la Révolution, car l’opération
et économique de la France (« l’événe- entre deux communes limitrophes, les attache à celle-ci les acquéreurs qui, en
ment le plus important de la Révolution », surfaces mises en vente et leur valeur France comme dans les départements
Bernard Bodinier et Éric Teyssier) mais varient énormément, en fonction de la annexés, ont tout à craindre d’un retour
conditionne également les équilibres richesse de l’Église et de la présence de l’Ancien Régime.
*
100 km
LES SURFACES VENDUES DANS LE DISTRICT DE GRASSE LES VENTES DANS LES
DÉPARTEMENTS ANNEXÉS
Amirat Collongues
ALPES-MARITIMES
BASSES-ALPES Sallagriffon
Les Mujouls
Gars Roquestéron Les Ferres
Briançonnet Bruxelles
Aiglun
Le Mas Conségudes
St-Auban
District de
Gréolières
Valderoure St-Paul
Andon
Cipières
Caille Namur
Séranon
Caussols Vence
Escragnolles Gourdon Surface vendue
par district, en %
Le Bar Le Rouret 30 km
St-Vallier Roquefort 10 15 20 25 30 37
District de Châteauneuf D’après B. Bodinier, E. Teyssier, La Vente des biens nationaux.
Draguignan St-Cézaire Opio L’événement le plus important de la Révolution 1790-1867,
Spéracèdes GRASSE
Comité des travaux historiques et scientifiques, Paris, 2000.
Cabris Valbonne
Mouans Biot
Le Tignet Auribeau
Sartoux Mougins
Antibes
District de La Roquette
Fréjus Le Cannet Vallauris
Pégomas À qui profitent les ventes ?
Mandelieu Cannes La vente de biens nationaux a mis sur
Absence de données
le marché 10 % du territoire français
Surfaces minimales vendues par commune
et de nombreux immeubles urbains :
Superficie en hectares
12 % des biens parisiens ont ainsi
Moins de 10 de 10 à 50 de 50 à 100 de 100 à 400 1 161
changé de propriétaire. 600 000
En pourcentage de la superficie de la commune
Français en ont profité. Un tiers des
Moins de 1 de 1 à 5 de 5 à 10 de 10 à 21 36,5 4 km
biens – surtout de petites parcelles – a
été acquis par des paysans : le nombre
des propriétaires exploitants s’accroît
LES BÉNÉFICIAIRES DANS LA GIRONDE ainsi de 10 %. Mais ce sont les bour-
geoisies urbaines qui accaparent l’es-
36,8 % 38 % sentiel. La propriété foncière devient
34,6 % 61,9 % au même moment la base du principal
24,7 % 26,6 %
16,1 % impôt direct et, de ce fait, la clé d’ac-
9,1 %
L’événement le plus important de la Révolution 1790-1867, Comité des travaux historiques et scientifiques, Paris, 2000.
14,1 %
cès aux droits politiques sur la base
BOURG 26 % censitaire bientôt introduite. Une partie
LESPARRE Lesparre
8,1 %
des anciens couvents est reconvertie
4%
95,7 % en bâtiments industriels, facilitant ainsi
LIBOURNE
Bourg de nouvelles entreprises ou l’agran-
dissement d’établissements existants.
Libourne 60,1 %
Au-delà des mesures globales, la situa-
Bordeaux tion sur le terrain varie énormément
26,2 %
en fonction de la puissance des bour-
Cadillac geoisies urbaines et de l’intérêt qu’elles
13,7 %
La Réole
4,2 % portent aux biens plus rentables. Dans le
Source : B. Bodinier, E. Teyssier, La Vente des biens nationaux.
0,1 %
BORDEAUX LA RÉOLE département de la Gironde, les Bordelais
VILLE Bazas acquièrent sans surprise la quasi-totalité
61,3 %
des lots dans la commune de Bordeaux,
61,3 % 59,4 %
et plus de la moitié de ceux du district.
36,4 %
Sans être majoritaires, leurs achats sont
32,1 %
également importants dans les districts
16 %
11,6 % 13 %
limitrophes et viticoles de Lesparre,
2,3 % 5,4 % Bourg et Cadillac, mais moins sensibles
1,2 %
BORDEAUX CADILLAC BAZAS ailleurs, où les ruraux et les habitants
CAMPAGNE
des autres villes du département ont une
Origines des acquéreurs, en % des prix d’estimation chance réelle d’accéder à la propriété ou
Bordeaux Chef-lieu du district Autres villes Ruraux 20 km de conforter leur assise foncière.
68
69
La France de
Bonaparte : une
consolidation
de la Révolution ?
Le coup d’État de brumaire marque un tournant dans l’histoire
de la Révolution et ouvre sur une période marquée par un
exécutif fort, qui ferme tout débat public et réduit singulièrement
les formes d’expression de la volonté nationale introduites par
la Révolution. À ce prix, la pacification de la société française,
clivée par le schisme religieux et les violents conflits politiques
de la décennie révolutionnaire, devient possible. Elle passe par
la recomposition des élites autour de la propriété foncière, et
permet de faire collaborer, au sein de l’État, anciens émigrés
et révolutionnaires. D’importants chantiers de réformes sont
ainsi achevés. Après une tentative pour aboutir à un nouvel
équilibre européen qui ramènerait la paix, et permettrait la
reprise en main des colonies et le rétablissement de l’esclavage,
la France napoléonienne reprend une politique expansionniste
qui transforme durablement la carte politique de l’Europe,
tout en affectant aussi le monde américain.
70
La fin de la Révolution
Après le coup d’État de brumaire en 1799, le pouvoir est exercé fermement par Bonaparte,
qui limite tout débat politique et prétend incarner la volonté générale. Si le suffrage est universel,
l’élection directe des représentants du peuple disparaît : le corps législatif est formé sur une base
censitaire par le régime, à partir des noms proposés par les électeurs. Au bout de quatre ans,
la République a à sa tête un empereur qui réintroduit une logique dynastique.
Les sénateurs, serviteurs fidèles UNE PRÉBENDE SANS RÉELLE IMPLANTATION RÉGIONALE
D’après la Constitution de l’an VIII, il
Titulaire de la sénatorerie en 1804
revient au Sénat de vérifier les lois et (dotation en francs par département)
Fouché Berthollet Bruxelles
les actes du pouvoir exécutif et de pro- Liège Bonn
(23 750 F) (24 305 F) Overijse
céder à la nomination des membres du Kellermann Ducos Seraing
(24 994 F) (25 088 F) Arras
Corps législatif et du Tribunat à partir Douai
Eu Amiens
des listes de candidats proposés par Trèves
Rouen Soissons
les collèges électoraux. Toutefois, face Metz
St-Pol-de-Léon Caen Verdun
aux lacunes de la Constitution, le Sénat * Paris 855 F
Alençon 19 918 F 4 522 F Nancy
acquiert progressivement un véritable *
pouvoir législatif et constitutionnel via Rennes 6 855 F * Pont-sur-Seine
Colmar
Orléans 4 221 F
les sénatus-consultes, décisions ayant Angers
Mazé 18 453 F
Dijon Montbéliard
Amboise
valeur de loi dont la Constitution de 6 635 F Besançon
Bourges
l’an X attribue l’initiative exclusive au Thouars
Premier Consul. Pour récompenser ces Poitiers
serviteurs fidèles, cette même consti- Guéret Riom
Chasseneuil Lyon
tution crée une sénatorerie dans le res- Limoges Clermont- Chambéry
Ferrand
sort de chaque tribunal d’appel. Il s’agit Grenoble Turin
Bordeaux
d’un domaine comprenant bâtiments
Agen Viviers
et terres et rapportant entre 20 000 et 641 F
25 000 francs de rente par an, ce qui Nîmes
Castres Montpellier 8 466 F
Auch
double les revenus du sénateur ainsi Toulouse
8 180 F 15 284 F Aix-en-Provence
Pau Béziers
distingué. Les domaines, pris sur les Sénatorerie 1 615 F Bastia
Narbonne
biens nationaux, sont octroyés par le Limite 2 492 F
Premier Consul à l’un des trois candi- Chef-lieu Ajaccio
dats proposés par le Sénat. Pour éviter *Département hors sénatorerie 100 km
Résidence
de donner un pouvoir local réel aux titu- donnant lieu à une dotation
laires, les domaines peuvent se com- Source : V. Azimi, Les Premiers Sénateurs français. Consulat et premier Empire, 1800-1814, Picard, Paris, 2000.
Place
t-De
la Concorde Palais-
torerie – qui rappellent les honneurs
Rue
Royal
dus aux anciens gouverneurs, et réin- Rue
St- Hon
troduisent l’inégalité au sein du corps Les Tuileries oré
social. Mais la sénatorerie lie surtout Vieux Marché des
Sein Louvre Innocents
e
distinction sociale et propriété fon-
cière, accompagnant la reconstitution Hôtel
Invalides Conciergerie
de Ville
des élites autour de la propriété.
La Bastille
Source : T. Lentz, Le Sacre de Napoléon - Notre-Dame
Le retour d’un souverain sacré 2 décembre 1804, Nouveau Monde Éditions, Paris, 2004. 500 m
constitue à lui seul un arrondissement. par la police dans les Alpes-Maritimes sous le premier Empire, master 1, université de Nice, 2007. 100 km
Source : A. Cabanis, La Presse sous le Consulat et l’Empire, Société des études robespierristes, Paris, 1975.
A Après l’arrêté du 27 nivôse an VIII (déc. 1799)
B
13
1814
ENVOIS DE JOURNAUX
PARISIENS VERS
LES ABONNÉS EN PROVINCE
(en milliers d’exemplaires)
Germinal an VIII (mars-avril 1800)
49
34
politiquement par des campagnes de à la fin du Directoire. En 1805, des allusion critique, tout signe de désaf-
presse, qui préparent le passage à un censeurs sont rattachés à chaque fection (désertion), toute nouvelle
Empire héréditaire. journal parisien, où ils vérifient les pouvant suggérer l’existence indi-
épreuves avant le tirage. Muselée, viduelle ou collective des difficultés
La surveillance de la presse la presse devient un puissant instru- (suicides, hausse des prix des den-
Tout particulièrement sensible au rôle ment de propagande. Des messages rées agricoles).
de la presse, qu’il avait magistrale- peuvent être insérés sans l’avis des Si la liberté de la presse, dont le prin-
ment manipulée à son avantage lors rédacteurs, alors que des campagnes cipe est acquis par l’article XI de
de la première campagne d’Italie, de presse savamment orchestrées la Déclaration des droits de l’homme
Bonaparte s’attache, après sa prise préparent des changements ou des de 1789 (« La libre communication
de pouvoir, à en faire un instrument à décisions importantes (passage à des pensées et des opinions est
son service. Le ralliement au Consulat l’Empire, changement de dynastie en un des droits les plus précieux de
de journalistes de gauche et de droite Espagne). Le contenu insipide de la l’homme. Tout citoyen peut donc par-
permet de faire valoir aux lecteurs presse entraîne la désaffection des ler, écrire, imprimer librement sauf à
les arguments auxquels ceux-ci sont lecteurs, comme le montre la chute répondre de l’abus de cette liberté
sensibles. Le nombre des journaux du nombre de journaux parisiens dans les cas prévus par la loi »), avait
parisiens autorisés à publier des nou- expédiés en province. Partout, la déjà fait l’objet, sous la Terreur et sous
velles politiques est réduit d’office au presse est constamment menacée le Directoire, de mesures législatives
lendemain du coup d’État. Trois autres par une situation financière précaire, restrictives, le contrôle exercé sur les
sont supprimés au cours de l’année que toute hausse du droit de timbre journaux sous le Consulat et l’Empire
suivante, en raison des idées expri- imposée par le régime peut accen- équivaut à sa suppression. C’est
mées ou de leur réticence à accepter tuer. Si la plupart des départements que, dans le projet de réconcilia-
le contrôle des agents du gouverne- bénéficient de parutions régulières, tion nationale, la nation est censée
ment. Le nombre de titres s’amenuise avec une fréquence au moins hebdo- se recomposer autour du chef, qui
encore par la suite, au point qu’il ne madaire d’un journal politique local, prétend l’incarner. Tout véritable
reste, à la fin de l’Empire, que quatre leur contenu est étroitement sur- débat public devient dès lors non seu-
journaux politiques à Paris, contre 77 veillé par le préfet, qui censure toute lement inutile, mais aussi dangereux.
74
Réconciliation nationale
et recomposition des élites
Le projet politique de Bonaparte vise à recomposer la société française post-révolutionnaire,
atomisée après l’abolition des ordres d’Ancien Régime et déchirée par une décennie de luttes
politiques entre factions opposées. Le Concordat réconcilie les catholiques avec la République.
Anciennes et nouvelles élites, réunies autour de la propriété foncière, trouvent dès lors leur place
au sein des nouvelles institutions.
LES PLUS IMPOSÉS EN GIRONDE Propriété foncière et notabilité s’appuie ainsi sur une société hiérar-
(AN XI) Par des marques honorifiques, des chiquement ordonnée, dans laquelle
LIEUX DE RÉSIDENCE
postes et un positionnement sur les il a favorisé l’émergence d’une élite
listes d’éligibilité, le régime napoléonien sociale recomposée, après les fractures
Paris distingue au sein du corps social les révolutionnaires, autour de son rapport
Bruxelles éléments qu’il considère aptes à enca- à la propriété foncière. Sa cohésion
drer et discipliner le reste de la société. momentanée est dès lors assurée par
St-André-de-Cubzac
Labarde Il délimite ainsi une élite – les notables – le partage d’intérêts économiques et
Bassens qui se démarque du peuple par son sociaux communs.
Bordeaux Cadaujac niveau de culture et de fortune, même C’est aux notables que sont dévolus
La Réole lorsque ses revenus sont modestes. La les postes supérieurs dans l’adminis-
Brouqueyran notabilité napoléonienne, définie à par- tration et dans les instances censées
St-Pardon
tir de critères censitaires, se compose représenter la nation. La Constitution
1 imposé de quelque 70 000 à 80 000 individus – de l’an X prévoit en effet la confection
21 imposés à Bordeaux pour l’essentiel quadragénaires, mariés de listes des six cents les plus impo-
et pères de famille. Elle représente près sés dans chaque département, au sein
POIDS RESPECTIF d’un Français adulte sur cent : une base desquelles les électeurs du canton
DES TROIS IMPOSITIONS* trop exiguë pour que le régime puisse doivent choisir les membres du collège
Foncier
se priver, pour des raisons politiques, électoral du département, à qui revient
d’une partie consistante de celui-ci. de proposer le nom des personnes de
93,94 % La réconciliation des anciennes et des confiance parmi lesquels seront choisis
nouvelles élites est de ce fait, avant tout, les membres du Corps législatif.
une nécessité politique. Le Concordat, Sans être ouvertement censitaires, les
le retour des émigrés, la garantie de l’ir- modalités d’éligibilité consacrent ainsi
révocabilité de la vente des biens natio- la richesse et la propriété foncière,
Patente 2,94 % naux, le rétablissement des marques de dans la mesure où l’imposition frappe
Personnelle 3,12 % distinction sociale, sont autant d’élé- essentiellement celle-ci. Ainsi, dans
*sur le total des 30 plus imposés de Gironde
ments qui concourent à souder les un département tel que celui de la
TROIS EXEMPLES détenteurs de savoirs, de talents et de Gironde, on retrouve en l’an XI, parmi
D’IMPOSITION DE NÉGOCIANTS
richesses au sein d’une nouvelle élite les trente plus imposés, une dizaine
8 605
que le régime aide à prendre forme. de noms du négoce bordelais. Les
fortunes commerciales, en effet, se
Les notables, « masse consolidaient traditionnellement dans
4 654 de granit » du régime la pierre et dans la terre.
3 160 Les notables, qui doivent au régime la
reconnaissance publique de leur posi- La fin d’une déchirure religieuse
tionnement social, constituent des élé- La Constitution civile du clergé et la
172 400 540 461
100 ments de stabilisation sur le plan poli- déchristianisation avaient ouvert une
Bonnaffé Cabarrus Gradis tique. Lors de la création de la Légion fracture entre la Révolution et les
Montant des impôts, en francs d’honneur, Bonaparte ne se trompe pas nombreux Français restés attachés
Foncier Personnelle Patente en les désignant comme les « masses au culte catholique. En exigeant un ser-
Source : Archives départementales de granit » censées asseoir la stabi- ment de fidélité, elle avait produit un
de la Gironde, 3 M 18 et 3 M 19.
lité et la pérennité du régime. Celui-ci schisme, auquel le Concordat signé
LA FRANCE DE BONAPARTE : UNE CONSOLIDATION DE LA RÉVOLUTION ? • 75
La Rochelle
Origine sociale
de l’évêque avant Limoges Lyon
la Révolution Clermont- Chambéry
Angoulême Ferrand
Noble (28)
Grenoble
Roturier (30) St-Flour
Valence
Bordeaux
Carrière épiscopale
Cahors Mende
Évêque
Digne
avant 1789 (18) Agen
Avignon
Évêque Nice
après 1791 (8) Montpellier
Bayonne Toulouse Aix-en-provence
Parcours entre
1789 et 1802 Carcassonne
Réfractaire (35)
Émigré (24)
Ajaccio
Parcours après
1802
Assiste au sacre (45)
le 26 messidor an IX (15 juillet 1801), le Concordat sape l’un des principaux destituer d’office ceux qui refuseraient.
après d’âpres discussions, met fin. Le arguments des royalistes. Désormais, L’épiscopat de 1802 marque la rupture
Concordat entérine quelques acquis tout bon catholique peut se rallier au d’avec l’Ancien Régime : la moitié des
fondamentaux de la Révolution : liberté Consulat. Au prix de ces importantes évêques sont des roturiers, situation
de culte, nationalisation des biens de concessions, le Saint-Siège obtient à impensable auparavant. Il illustre aussi,
l’Église, nouveau découpage des dio- nouveau, comme sous l’Ancien Régime, dans sa composition, la réconciliation
cèses. Le Saint-Siège reconnaît implici- l’investiture canonique des évêques, qu’il est censé représenter : un quart
tement la légitimité du nouveau pouvoir nommés par le Premier Consul. Pour environ avait prêté le serment constitu-
en France : les évêques devront prêter faciliter la transition, une mesure inédite tionnel, plus de la moitié l’avaient refusé.
serment de fidélité au gouvernement est prise : tous les évêques français, Le ralliement au régime les réunit enfin :
de la République. Pour Bonaparte, réfractaires et constitutionnels, doivent trois évêques sur quatre assistent au
c’est un indéniable succès politique : démissionner, le pape acceptant de sacre en 1804.
76
Révolutionnaires et anciennes
élites au service de l’État
Outre la réconciliation religieuse et le retour de la paix extérieure, la stabilisation qui s’opère sous le
Consulat passe par la reconstitution d’un vivier d’administrateurs et de fonctionnaires recrutés sur
la base de leurs compétences, de leur expérience et de leur fidélité au nouveau régime, quel qu’ait
pu être leur positionnement par rapport à la Révolution. Cette administration mène à bien une série
de réformes dont les chantiers remontent aux années 1790.
Bonaparte,
général de la paix ?
Les paix conclues à Lunéville avec l’Autriche (9 février 1801), qui accepte la perte des territoires
belges et rhénans, et à Amiens avec l’Angleterre (25 mars 1802) laissent espérer le retour d’un
équilibre entre les puissances européennes. Elles sont rendues possibles non seulement par
les victoires de Bonaparte en Italie, attestant la position de la France dans le concert européen,
mais aussi par la fin de la Révolution, proclamée dès sa prise du pouvoir.
L’Europe en 1802 principe d’une restitution réciproque devient permanent, et les victoires sur
Les paix de Lunéville et d’Amiens des colonies et territoires occupés, le champ de bataille sont censées
consacrent la position de force de la mais les inquiétudes croissantes quant apporter la preuve de la légitimité d’un
France en Europe, position que les à la volonté hégémonique française pouvoir dont le sacre n’avait pas entiè-
guerres de la Révolution, puis les vic- la poussent à retarder la restitution de rement effacé la tache d’origine du
toires de Bonaparte en Italie, avaient l’île de Malte aux chevaliers de l’ordre coup d’État.
permis d’imposer. La reconnaissance de Saint-Jean, fournissant ainsi un
de l’annexion des Pays-Bas autrichiens prétexte à la rupture. Les coalitions L’Italie du Nord et du Centre
et de la rive gauche du Rhin donne anti-françaises, toutefois, ne sont Après le Triennio révolutionnaire (1796-
satisfaction à la France quant à ses plus dirigées contre la République 1799), la carte politique de la pénin-
prétendues frontières naturelles, alors et la Révolution, mais contre le des- sule italienne est à nouveau redessi-
que ses principaux adversaires sur le sein hégémonique de Napoléon. née par la France au lendemain de la
continent trouvent des compensations Même si celui-ci ne répond pas à un seconde campagne d’Italie, qui s’ouvre
ailleurs. L’Autriche, la Prusse et la plan préconçu et s’il évolue au fil des en 1800. La France annexe ainsi le
Russie se sont agrandies en achevant circonstances, l’état de guerre Piémont (décision effective en 1802),
le partage de la Pologne, jadis proté-
gée par la France. L’Autriche gagne L’ITALIE DU NORD SOUS L’EMPIRE
également l’essentiel des territoires de RÉP. HELVÉTIQUE
Genève RÉP.
l’ancienne république de Venise, mais BAVIÈRE AUTRICHE
RHODANIENNE
perd en revanche la Toscane, qui passe
ROYAUME
sous influence espagnole. Un nouvel Milan DE HONGRIE
Vénétie
ROYAUME
équilibre européen satisfaisant semble Turin Lombardie Vérone Trieste
Venise
ainsi pour un instant atteint. Piémont D’ITALIE
Parme Guastalla Istrie
Outre la reconnaissance des terri-
Gênes Modène
toires gagnés dans la décennie 1790, Bologne Romagne
la France renforce aussi sa position Nice
PRINCIPAUTÉ ST-MARIN Zara EMPIRE
en s’entourant de républiques sœurs. DE LUCQUES ET Florence
PIOMBINO ROYAUME OTTOMAN
La deuxième campagne d’Italie a en Me r Ancône
Mé dite rran é e D’ÉTRURIE Dalmatie
effet permis le rétablissement des Piombino ÉTATS DE Mer
républiques italienne et ligurienne. Adriatique
Elbe L’ÉGLISE
Ce renforcement français en direc- Corse
Pescara RAGUSE
tion de la Méditerranée, où la mis- Ajaccio
Cattaro
sion diplomatique en Orient confiée Rome
ROYAUME
en septembre 1802 à Sébastiani Pontecorvo
(Tunis, Tripoli, Constantinople, Égypte)
ROYAUME DE Mer Bénévent Bari
ravive les craintes britanniques, mais Tyrrh énienne Naples
SARDAIGNE DE NAPLES
aussi en Europe du Nord, associé à Brindisi
la reprise d’une politique coloniale Garnisons
Empire français en 1805
affichée, rompt toutefois dès le mois françaises
États satellites de la France Territoires cédés
de mai 1803 le délicat équilibre de la
par l’Autriche au Me r
paix négociée à Amiens. L’Angleterre Possessions des Habsbourg
royaume d’Italie Ionienne
avait accepté le retour à la situation Limites du Saint Empire en 1805
100 km
d’avant le début des hostilités, et le
LA FRANCE DE BONAPARTE : UNE CONSOLIDATION DE LA RÉVOLUTION ? • 79
puis la république de Gênes (1805). une Constitution élaborée à Paris, cal- vice-roi Eugène ensuite est étroite,
Le sort de la Toscane et du duché de quée sur celle du Consulat. Bonaparte l’œuvre politique de ces années abou-
Parme est réglé entre l’Espagne et la est désigné président, avec quelques tit à la création d’un État moderne et
France en 1800-1801. La Toscane difficultés. La transformation de la à des réformes majeures dans l’ad-
est cédée à l’héritier de Parme et éri- République italienne en royaume en ministration, la justice et l’armée.
gée en royaume. En 1808, le duché 1805 découle de la proclamation de L’expérience napoléonienne, commune
de Parme, passé sous la coupe fran- l’Empire en France. Napoléon devient à toute la péninsule italienne – les États
çaise dès 1802, est intégré à l’Empire, alors roi d’Italie et nomme vice-roi de l’Église sont annexés en 1809, le
tout comme la Toscane. Au nord, la Eugène de Beauharnais, fils du pre- royaume de Naples entre dans le giron
seconde République cisalpine, réta- mier lit de son épouse Joséphine. Le français dès 1806 –, contribue à for-
blie après la bataille de Marengo et royaume d’Italie s’élargit au fil des mer politiquement les élites italiennes.
agrandie lors la paix de Lunéville, cède conquêtes napoléoniennes : Vénétie et Elle leur donne un cadre institutionnel
la place à la République italienne en Istrie (1805), Marches (1808) et Tyrol du et juridique commun, ainsi que des
1802. Cette décision est annoncée Sud (1810). Si la marge de manœuvre pratiques administratives uniformes,
à Lyon, où Bonaparte convoque une du vice-président de la République qui rendront finalement envisageable
représentation à laquelle il impose italienne Melzi D’Eril, d’abord, et du la perspective unitaire.
Mer ue
ltiq
Irlande
du No rd
Dublin DANEMARK
Ba
Cagliari
Palerme
Gibraltar
ique
ROY. DE Athènes
Alger Morée
Tunis SICILE
de
Algérie Se
s
p t-
MAROC Malte Îles
Tunisie Chypre
Crète
1. Valais M e r M é d it e rran é e
2. DUCHÉ DE PARME ET GUASTALLA
Tripoli
3. RÉPUBLIQUE LIGURIENNE
4. RÉPUBLIQUE DE LUCQUES Tripolitaine Alexandrie
5. ROYAUME D’ÉTRURIE
6. Île d’Elbe Égypte 200 km
80
Un espace allemand
reconfiguré
L’onde de choc provoquée par la Révolution française bouleverse la carte politique de l’espace
allemand. Les tentations expansionnistes des principaux États allemands reçoivent une formidable
impulsion sous le Consulat et l’Empire. Ce processus, qui s’effectue aux dépens de la Pologne
et de centaines d’entités politiques allemandes rayées de la carte, aboutit à la dissolution du Saint
Empire et à l’accroissement considérable de quelques États, notamment la Prusse.
Holstein Poméranie
Frise Lübeck (SUÈDE)
orientale Hambourg Dantzig
DUCHÉ DUCHÉ DE
D’OLDENBOURG
PROVINCES- Brême MECKLEMBOURG
Poméranie
UNIES ÉLECTORAT ROYAUME DE PRUSSE
DE HANOVRE
Osnabrück Hanovre ÉLECTORAT DE BRANDEBOURG
Clèves Münster DUCHÉ Berlin
DE BRUNSWICK
Paderborn
La Mark ANHALT
Westphalie Varsovie
Berg
LANDGRAVIAT
Juliers Cologne DE HESSE-CASSEL ÉLECTORAT
PRINCIPAUTÉ DE SAXE ROYAUME DE POLOGNE
LANDG.
DE DE HESSE- DUCHÉS Dresde
Trèves DARMSTADT SAXONS
NASSAU Silés ie
Mayence Francfort
Wurtzbourg Bayreuth
Palatinat Bamberg Prague Limite du Saint Empire
Nuremberg Possessions des Habsbourg
MARGRAVIAT Ansbach B ohê me
ROY. DE DE BADE
Possessions des Hohenzollern
DUCHÉ DE
Strasbourg WURTEMBERG
ÉLECTORAT Possessions des Wittelsbach
FRANCE DE BAVIÈRE Passau
Augsbourg Principautés ecclésiastiques
Brisgau Au trich e
Villes libres
Munich Vienne
CONFÉDÉRATION 100 km
Autres États allemands
SUISSE Salzbourg
Mer ROY. DE
ROY. DE DANEMARK SUÈDE EMPIRE
du Nord Mer Baltique DE RUSSIE
Jever
(RUSSIE) Holste in
Pomé ran ie
Frise Lübeck (SUÈDE)
orientale Dantzig
Hambourg
DUCHÉ DE
ROY. DE Prus s e
MECKLEMBOURG
HOLLANDE 1 DUCHÉ
Brême
D’OLDENBOURG
Han ovre
Le retour des ambitions militaires sont alors envisagées vers L’échec du rêve américain
coloniales l’Amérique. Le rêve de reconstituer un empire colo-
Après avoir cédé ses colonies du conti- Aux Antilles, elles sont destinées à nial français en Amérique se brise face
nent américain en 1763, la France rétablir l’esclavage, aboli en 1794, sur aux résistances rencontrées à Saint-
a perdu dans la décennie 1790 la maî- lequel reposait l’économie de planta- Domingue, à l’opposition des États-
trise de l’espace antillais. Le retour de tion. Dès que la perspective de la paix Unis qui craignent la présence fran-
la paix permet à Bonaparte d’envisa- avec la Grande-Bretagne se profile, et çaise à leurs frontières, et à la reprise
ger la relance de l’économie de plan- avant même le rétablissement de l’es- de la guerre contre la Grande-Bretagne
tation esclavagiste antillaise et de clavage par Bonaparte, les négociants en 1803.
développer la Louisiane, rétrocédée français commencent à réarmer à la Pour recouvrer le contrôle de Saint-
par l’Espagne à la France en 1800, en traite. Bordeaux s’affirme alors comme Domingue, gouvernée de manière de
échange de la création d’un royaume le principal port négrier français et plus en plus autonome par Toussaint
d’Étrurie pour l’héritier du duché dépasse Nantes, poursuivant l’élan des Louverture, Bonaparte confie une
de Parme. Une série d’expéditions années 1780 (38 expéditions en 1789). imposante expédition au général
Leclerc. Le général noir est arrêté et
LES EXPÉDITIONS MILITAIRES VERS L’AMÉRIQUE SOUS LE CONSULAT déporté en France, où il meurt quelques
1800 : l’Espagne rétrocède Baie
mois après. La nouvelle du rétablisse-
ce territoire à la France d‘Hudson ment de l’esclavage à la Guadeloupe
1803 : la France le vend relance toutefois la volonté de résis-
aux États-Unis OCÉAN
tance des noirs : décimés par la fièvre
ATLANTIQUE
CANADA Flessingue jaune, les Français capitulent et l’île
Montréal Brest proclame son indépendance en 1804,
om m e s) Lorient
LOUISIANE 0h sous le nom d’Haïti.
Boston 3 00 Rochefort
New York r(
Saint-Louis to
Washington Vic
ÉTATS-UNIS
D’AMÉRIQUE Cadix LES ARMEMENTS NÉGRIERS
La Nouvelle-Orléans 3 0 0 0 ho m m
es) PARTIS DE FRANCE (1800-1804)
NOUVELLE- L ecl e r c (2
e
s)
ESPAGNE m
La Havane om Armements négriers
00h
Cuba 6 Dunkerque (2)
St-Domingue e (3 Le Havre (10)
ans
Mexico Richep Dieppe (2)
Guadeloupe Cherbourg
Martinique (occupation britannique) (1)
Panamá M. Honfleur (4)
NOUVELLE-
St-Malo (1)
GRENADE Cayenne
L. Nantes (14)
Santa Fe
de Bogotá Marans (1)
Métropoles européennes Rochefort (1)
et leurs colonies
France Bordeaux (21)
PÉROU
Lima Salvador Bayonne (2)
Royaume-Uni
OCÉAN BRÉSIL
Espagne Marseille
M. Morlaix (1) (5)
PACIFIQUE Rio de Janeiro Portugal L. Lorient (3)
Cayenne (2)
LA PLATA 200 km
Expéditions françaises Inconnu (3)
Source : E. Saugera, «La traite des Noirs sous Bonaparte.
Expédition inachevée Répertoire des armements négriers français (1800-1804)»,
texte dactylographié.
LA FRANCE DE BONAPARTE : UNE CONSOLIDATION DE LA RÉVOLUTION ? • 83
L’EXPÉDITION DE SAINT-DOMINGUE
La reprise du conflit avec la Grande- s’affirment dans l’armée, et les de l’armée, ne suit pas. Durant l’été
Bretagne et la déroute militaire à métisses acquièrent, grâce à l’émi- 1802, le travail salarié disparaît, les
Saint-Domingue poussent Bonaparte gration des Blancs, un poids signi- ventes de Noirs reprennent, le pré-
à vendre la Louisiane aux États-Unis ficatif dans la société et l’adminis- jugé de couleur s’impose. L’arrêté
pour 80 millions de francs. L’esclavage tration coloniale. Après le départ de Napoléon rétablissant l’esclavage
est en revanche réintroduit à la d’Hugues en 1798, la métropole (16 juillet 1802) n’est proclamé à la
Guadeloupe. manifeste toutefois sa volonté de Guadeloupe qu’en mai 1803, après
rétablir l’ordre colonial ancien, provo- la fin des combats qui font au moins
Le rétablissement de quant le mécontentement d’une partie 3 000 morts parmi les rebelles. Les
l’esclavage à la Guadeloupe des officiers de couleur et des Blancs soldats de couleur qui se sont battus à
Après la reprise de la Guadeloupe aux chargés de la gestion des plantations, côté de Richepanse sont déportés par
Anglais par Victor Hugues en 1794, les qui craignent le retour des proprié- centaines pour éviter toute menace.
anciennes catégories juridiques (esclaves, taires. L’expédition de Richepanse, Ils sont débarqués aux États-Unis ou
libres de couleur, Blancs) disparaissent. qui arrive en mai 1802, provoque la à Saint-Domingue, vendus aux Anglais
Si le travail forcé – salarié – s’impose révolte d’une minorité d’officiers, dont comme esclaves, ou acheminés vers
sur les plantations, l’ordre raciste Delgrès et Ignace, mais la masse des la France pour servir dans l’armée ou
s’estompe : d’anciens esclaves cultivateurs noirs, méfiants vis-à-vis les travaux publics.
84
Les progrès de l’alphabétisation la plupart des départements français. La création des lycées
À la veille de la Révolution, la majo- L’alphabétisation féminine a égale- Le régime napoléonien réforme en
rité des Français adultes ne maîtrisent ment progressé. De grandes dispa- profondeur l’enseignement du second
pas l’écrit. L’instruction primaire est rités régionales subsistent toutefois : degré, afin de former les futurs fonc-
essentiellement dispensée dans le la ligne Saint-Malo-Genève oppose tionnaires, administrateurs et membres
cadre des écoles de la paroisse, sou- un quart nord-est plus alphabétisé à des professions libérales. La loi du
vent réservées aux seuls garçons une France du centre-ouest et du sud 11 floréal an X (1er mai 1802) crée
et placées sous la coupe du clergé. nettement moins développée, hormis 45 lycées. Sur les 6 400 élèves pré-
L’État se désintéresse de l’instruc- dans les anciens bastions protestants vus – tous boursiers – l’État réserve
tion, hormis pour imposer la scolarisa- où l’effort de scolarisation avait été 2 400 places aux fils de fonction-
tion des enfants de protestants dans plus fort au XVIIIe siècle. naires, administrateurs et militaires :
des écoles catholiques. Les parents
rétribuent le maître en fonction de l’en-
seignement demandé (lecture, puis
écriture, puis éventuellement calcul). L’ALPHABÉTISATION
Dans ces conditions, une large partie 1786-1790
de la population est analphabète. Les HOMMES FEMMES
historiens ont comptabilisé la signature
des actes de mariage comme indice
d’une maîtrise rudimentaire de l’écri-
ture. L’analphabétisme est plus marqué
dans les campagnes – où vivent 80 %
des Français – que dans les villes ;
dans le centre, l’ouest et le sud plus
que dans le quart nord-est du pays ;
et chez les femmes plus que chez les
hommes. Dans une très large partie
du pays, à la veille de la Révolution, Nombre de conjoints ayant signé leur acte de mariage, en %
moins d’une femme sur cinq sait signer Absence de données
80 60 40 20
son acte de mariage. La situation des Les limites départementales sont représentées dans le cadre des limites du royaume de France en 1815.
années 1780 marque pourtant déjà un 1816-1820
progrès remarquable par rapport au HOMMES FEMMES
siècle précédent. Sous la Révolution,
l’alphabétisation continue à progres-
ser. Les révolutionnaires font de l’ins-
truction des enfants une priorité pour
l’État, même si les moyens financiers
pour la rendre gratuite font défaut.
À partir du Directoire, l’État se préoc-
cupe surtout de l’instruction secon-
daire et de la formation des élites. Au
début des années 1820, la majorité
Source : F. Furet et J. Ozouf, Lire et écrire. L’alphabétisation des Français
200 km
des hommes sait toutefois signer dans de Calvin à Jules Ferry, tome I, Les Éditions de Minuit, Paris, 1977.
LA FRANCE DE BONAPARTE : UNE CONSOLIDATION DE LA RÉVOLUTION ? • 85
CONCLUSION
Le legs de la Révolution
LES SUITES DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE L’effondrement des empires
AUX AMÉRIQUES ibériques
L’indépendance des colonies espa-
Bas-Canada gnoles et portugaises, plus qu’une
Haut- rébellion contre la métropole, est
Canada
Territoire du Missouri le résultat d’un effondrement de la
(ex-Louisiane)
monarchie, qui affecte simultanément
Californie
ÉTATS-UNIS territoires américains et européens et
conduit, entre autres conséquences,
Texas OCÉAN à la désagrégation des empires. Ces
AT L A N T I Q U E derniers étaient composés de territoires
VICE-ROYAUME Floride
largement autonomes. Ils tenaient
DE NOUVELLE-ESPAGNE
parce que leurs élites convergeaient
Cuba vers le roi, qu’elles érigeaient en arbitre
St-Domingue
Jamaïque de leurs différends. En 1808, la fuite au
Porto Rico
Honduras HAÏTI Brésil de la famille royale portugaise et
Guadeloupe
Côte des Mer des Antilles Martinique la capture par Napoléon de la famille
Mosquitos
Trinité royale espagnole détruisent brutale-
ment ce lien. Privés de souverain, les
OCÉAN Venezuela
territoires espagnols assument pro-
Guyanes
PA C I F I Q U E VICE-ROYAUME gressivement les attributs, puis la réa-
DE NOUVELLE-
GRENADE lité de la souveraineté vacante. Son
exercice est revendiqué non seulement
Les empires coloniaux A m a z o n i e
par les capitales de province, mais
Espagnol aussi par un grand nombre de micro-
VICE-ROYAUME
Portugais DU PÉROU sociétés locales. Le territoire se frac-
Haut-Pérou BRÉSIL
Britannique tionne de fait à l’extrême. Des guerres
Néerlandais acharnées se livrent, plus souvent pour
VICE-ROYAUME le partage des dépouilles de la souve-
Français Paraguay
Les frontières retenues sont celles de 1815
raineté espagnole que pour sa des-
truction. Seuls les segments les plus
Date de la prise d’indépendance DE LA PLATA
fortement structurés (Mexique, Pérou)
Banda
effective ville à ville oriental
Chili échappent à l’atomisation. Ailleurs,
En 1804
l’indépendance se produit en ordre dis-
Entre 1810 et 1811
persé, ville à ville. Dérivée de conflits
Entre 1812 et 1814 locaux plus que revendication préala-
Entre 1817 et 1820 blement affirmée, elle n’est proclamée
Entre 1821 et 1825 que plusieurs années après s’être pro-
NB : Les pays étant en grande partie une construction duite de fait. Les campagnes militaires,
postérieure à l’indépendance, la carte a été réalisée plus que des guerres contre la métro-
sur la base des villes, ces dernières étant l’unité
politique la plus cohérente à l’époque. pole, sont des tentatives pour recons-
Source : J.-P. Dedieu, CNRS/LARHRA/Université de Lyon. 1 000 km tituer des ensembles politiques viables.
Celles-ci échoueront souvent. Partout
CONCLUSION • 89
Étables
Villamée
Plémy Lassay
Rimou Laignelet
Quimper
Lababan Andouillé
St-Barthélemy Pluméliau St-Martin-de-Connée
St-Ouën-des-Toits
Quistinic Locminé
Boistrudan Laval
Camors St-Jean-Brévelay St-Jean-sur-Erve
Le Theil La Guerche
Pluvigner Plumergat Missiriac
Locoal-Mendon Plescop Teillay Araize St-Saturnin-du-Limet
Ste-Anne-d’Auray Vannes Ruffigné
St-Julien-de-Vouvantes La Prévière
Baden
Moisdon Juigné
Surzur Péaule
Petit-Auverné Candé
Maumusson Avrillé
Oudon Le Louroux-Béconnais
Le Cellier Ingrandes
Lieux de mémoire Basse-Indre
aux XIXe et XXe siècles La Chapelle-Heulin
Dédié à un « Blanc »
Dédié à un « Bleu»
Les Lucs-sur-Boulogne
Indéterminé
Source : C. Langlois, T. Tackett et M. Vovelle, Atlas de la Révolution française. Religion, tome IX, Éditions de l’EHESS, Paris, 1996. 25 km
en revanche les sociétés resteront cette décision, Georges Clemenceau, communiste, du succès des thèses
durablement marquées par les consé- originaire de Vendée, prend la parole défendues par François Furet dans
quences d’un traumatisme où elles à l’Assemblée nationale le 29 janvier : Penser la Révolution française, qui
faillirent sombrer corps et bien. La pré- « Messieurs, il a été joué à la Comédie- vise à démolir la prétendue vulgate
sence du souverain garantit le maintien Française une pièce évidemment marxiste dominante. Les affronte-
de la paix civile au Brésil, dont il fait la dirigée contre la Révolution française ments concernent l’interprétation de
véritable métropole. Les tentatives du […]. Messieurs, que nous le voulions ou la Révolution mais aussi l’héritage
Portugal pour reconquérir la primauté non, que cela nous plaise ou que cela de la Révolution et de la Contre-
conduiront à la séparation des deux nous choque, la Révolution française Révolution. L’Assemblée nationale en
territoires, décidée par le roi devant est un bloc […], un bloc dont on ne peut est encore le théâtre. Régulièrement,
leur évidente incapacité à cohabiter. rien distraire, parce que la vérité histo- la question de la répression de l’in-
L’originalité de ces développements rique ne le permet pas. » Le discours est surrection vendéenne revient en effet
et leur forte composante endogène entrecoupé d’interventions virulentes à l’ordre du jour. Neuf députés ont
autorisent à parler d’une modalité his- de députés de droite. Clemenceau leur signé la proposition de loi déposée
panique autonome de la « Révolution répond notamment : « Ah ! vous ne par Lionnel Luca le 21 février 2007
atlantique ». La Révolution française voulez pas du Tribunal révolutionnaire ? portant comme article unique : « La
est le moteur du processus dans le Vous savez cependant dans quelles cir- République française reconnaît le
sens où l’expansion de la France révo- constances il a été fait. Est-ce que vous génocide vendéen de 1793-1794. »
lutionnaire anéantit l’ancien système de ne savez pas où étaient les ancêtres de Hervé de Charette, député du Maine-
circulation atlantique et oblige à créer ces messieurs de la droite ? […] Ils mar- et-Loire et ancien ministre, est du
du neuf. Son idéologie en revanche chaient contre la patrie, la main dans la nombre. Le projet de loi insiste sur
n’est pas centrale. La création des main de l’ennemi et ceux qui n’étaient les décrets de la Convention visant
nouveaux États repose sur le déve- pas avec les armées étrangères, ceux à exterminer les bandits vendéens,
loppement autonome d’une pensée qui n’étaient pas avec Brunswick, où et se termine ainsi : « La République
politique proprement espagnole. étaient-ils ? Ils étaient dans l’insurrec- sera d’autant plus forte qu’elle saura
tion vendéenne... » Ce débat est symp- reconnaître ses faiblesses, ses erreurs
tomatique du rapport passionnel des et ses fautes. Elle ne peut continuer
L’héritage de la Révolution Français à la Révolution. de taire ce qui est une tache dans
à l’Assemblée nationale On se souvient également lors du son histoire. Elle doit, pour cela,
En 1891, une pièce de théâtre, bicentenaire de 1789, et dans un reconnaître le génocide vendéen de
Thermidor, est interdite. Pour justifier contexte d’effondrement du modèle 1793-1794 (…). »
ANNEXES
Calendrier révolutionnaire
AN II AN III AN IV AN V AN VI AN VII
1 22 sept. 93 22 sept.94 23 sept. 95 22 sept. 96 22 sept. 97 22 sept. 98
VENDÉMIAIRE 10 1er oct. 93 1er oct. 94 2 oct. 95 1er oct. 96 1er oct. 97 1er oct. 98
20 11 oct. 93 11 oct. 94 12 oct. 95 11 oct. 96 11 oct. 97 11 oct. 98
1 22 oct. 93 22 oct. 94 23 oct. 95 22 oct. 96 22 oct. 97 22 oct. 98
er
BRUMAIRE 10 31 oct. 93 31 oct. 94 1 nov. 95 31 oct. 96 31 oct. 97 31 oct. 98
20 10 nov. 93 10 nov. 94 11 nov. 95 10 nov. 96 10 nov. 97 10 nov. 98
1 21 nov. 93 21 nov. 94 22 nov. 95 21 nov. 96 21 nov. 97 21 nov. 98
FRIMAIRE 10 30 nov. 93 30 nov. 94 1er déc. 95 30 nov. 96 30 nov. 97 30 nov. 98
20 10 déc. 93 10 déc. 94 11 déc. 95 10 déc. 96 10 déc. 97 10 déc. 98
1 21 déc. 93 21 déc. 94 22 déc. 95 21 déc. 96 21 déc. 97 21 déc. 98
NIVÔSE 10 30 déc. 93 30 déc. 94 31 déc. 95 30 déc. 96 30 déc. 97 30 déc. 98
20 9 janv. 94 9 janv. 95 10 janv. 96 9 janv. 97 9 janv. 98 9 janv. 99
1 20 janv. 94 20 janv. 95 21 janv. 96 20 janv. 97 20 janv. 98 20 janv. 99
PLUVIÔSE 10 29 janv. 94 29 janv. 95 30 janv. 96 29 janv. 97 29 janv. 98 29 janv. 99
20 8 févr. 94 8 févr. 95 9 févr. 96 8 févr. 97 8 févr. 98 8 févr. 99
1 19 févr. 94 19 févr. 95 20 févr. 96 19 févr. 97 19 févr. 98 19 févr. 99
VENTÔSE 10 28 févr. 94 28 févr. 95 29 févr. 96 28 févr. 97 28 févr. 98 28 févr. 99
20 10 mars 94 10 mars 95 10 mars 96 10 mars 97 10 mars 98 10 mars 99
1 21 mars 94 21 mars 95 21 mars 96 21 mars 97 21 mars 98 21 mars 99
GERMINAL 10 30 mars 94 30 mars 95 30 mars 96 30 mars 97 30 mars 98 30 mars 99
20 9 avr. 94 9 avr. 95 9 avr. 96 9 avr. 97 9 avr. 98 9 avr. 99
1 20 avr. 94 20 avr. 95 20 avr. 96 20 avr. 97 20 avr. 98 20 avr. 99
FLORÉAL 10 29 avr. 94 29 avr. 95 29 avr. 96 29 avr. 97 29 avr. 98 29 avr. 99
20 9 mai 94 9 mai 95 9 mai 96 9 mai 97 9 mai 98 9 mai 99
1 20 mai 94 20 mai 95 20 mai 96 20 mai 97 20 mai 98 20 mai 99
PRAIRIAL 10 29 mai 94 29 mai 95 29 mai 96 29 mai 97 29 mai 98 29 mai 99
20 8 juin 94 8 juin 95 8 juin 96 8 juin 97 8 juin 98 8 juin 99
1 19 juin 94 19 juin 95 19 juin 96 19 juin 97 19 juin 98 19 juin 99
MESSIDOR 10 28 juin 94 28 juin 95 28 juin 96 28 juin 97 28 juin 98 28 juin 99
20 8 juil. 94 8 juil. 95 8 juil. 96 8 juil. 97 8 juil. 98 8 juil. 99
1 19 juil. 94 19 juil. 95 19 juil. 96 19 juil. 97 19 juil. 98 19 juil. 99
THERMIDOR 10 28 juil. 94 28 juil. 95 28 juil. 96 28 juil. 97 28 juil. 98 28 juil. 99
20 7 août 94 7 août 95 7 août 96 7 août 97 7 août 98 7 août 99
1 18 août 94 18 août 95 18 août 96 18 août 97 18 août 98 18 août 99
FRUCTIDOR 10 27 août 94 27 août 95 27 août 96 27 août 97 27 août 98 27 août 99
20 6 sept. 94 6 sept. 95 6 sept. 96 6 sept. 97 6 sept. 98 6 sept. 99
1er 17 sept. 94 17 sept. 95 17 sept. 96 17 sept. 97 17 sept. 98 17 sept. 99
JOURS
COMPLÉMEN- 5e 21 sept. 94 21 sept. 95 21 sept. 96 21 sept. 97 21 sept. 98 21 sept. 99
TAIRES
6e 22 sept. 95 22 sept. 99
ANNEXES • 91
Chronologie
1796
Févr. : interdiction du club du Panthéon
1800
Févr. : la Constitution de l’an VIII
2 mars : Bonaparte est nommé à la tête
approuvée par plébiscite (7) ;
de l’armée d’Italie
création des préfets (17)
10 mai : arrestation des Babouvistes
14 mars : élection du pape Pie VII
à Paris et victoire de Bonaparte à Lodi
20 mai : Bonaparte franchit le col
du Saint-Bernard
14 juin : victoire française de Marengo
24 déc. : attentat de la rue Saint-Nicaise
contre Bonaparte
94
Bibliographie
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ANNEXES • 95
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Croissance, la fin d’un cycle
Pierre Blanc
Jean-Paul Chagnollaud
Atlas du
Moyen-Orient
Aux racines de la violence
Quatrième édition
Atlas de l’Amérique Atlas des migrations Atlas des chrétiens Atlas du Moyen-Orient
latine (4e éd.) (4e éd.) Des premières communautés Aux racines de la violence
Croissance, la fin d’un cycle Un équilibre mondial aux défis contemporains Pierre Blanc
Olivier Dabène à inventer Aurélien Girard Jean-Paul Chagnollaud
Frédéric Louault Catherine Wihtol de Wenden Sylvain Parent
Laura Pettinaroli
Pascal Marchand
Atlas géopolitique de
la Russie
Le grand retour sur la scène internationale
Atlas
de la Révolution française
Un basculement mondial – 1770-1804
Illustration de couverture :
© RMN.
Imprimé et broché en France –
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24 € – ISSN : 1272-0151 www.autrement.com
ISBN : 978-2-7467-4295-6 et rejoignez-nous sur Facebook