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Pierre-Yves Beaurepaire - Silvia Marzagalli

Pierre-Yves Beaurepaire
Silvia Marzagalli

Atlas de la
Révolution française
Atlas de la Révolution française
Un basculement mondial – 1770-1804

Yves Beaurepaire sité de Nice


ance.
zagalli sité de Nice Sophia-
ance.

Guillaume Balavoine aphe indépendant.

Deuxième édition
Atlas de la Révolution française
Auteurs
Pierre-Yves Beaurepaire est professeur d’histoire moderne à
l’université de Nice Sophia-Antipolis, membre honoraire de
l’Institut universitaire de France. Ses recherches portent sur la
sociabilité, les réseaux et les circulations au siècle des Lumières.
Il est l’auteur de nombreux ouvrages, notamment l’Europe des
Lumières (« Que sais-je  », PUF, 2e éd. 2013), La France des
Lumières 1715-1789 (collection « Histoire de France », Belin,
2011), La Communication en Europe de l’âge classique au siècle
des Lumières (Belin, 2014).

Silvia Marzagalli est professeur d’histoire moderne à l’université


de Nice Sophia-Antipolis et membre de l’Institut universitaire de
France. Elle s’intéresse aux réseaux marchands et au commerce
maritime aux XVIIIe et XIXe siècles. Elle est l’auteur de nombreux
ouvrages, dont Révolution, Consulat et Empire (Belin, 2009)
et Bordeaux et les États-Unis, 1776-1815 : politique et stratégies
négociantes dans la genèse d’un réseau commercial
(Droz, 2015).

Cartographe
Guillaume Balavoine est cartographe indépendant.

Maquette : Agence Twapimoa


Lecture – correction : Carol Rouchès
Coordination éditoriale : Marie-Pierre Lajot
Presse : Camille Paulian

ISBN : 978-2-7467-4296-3
© 2016, Éditions Autrement.
17, rue de l’Université – 75007 Paris
Tél. : 01 44 73 80 00 / Fax : 01 44 73 00 12

Dépôt légal : juin 2016


Imprimé et relié en mai 2016 par l’imprimerie Pollina, France.

Tous droits réservés. Aucun élément de cet ouvrage ne peut être


reproduit, sous quelque forme que ce soit, sans l’autorisation
expresse de l’éditeur et du propriétaire, les Éditions Autrement.
Atlas de la Révolution française
Un basculement mondial
1776-1815

Pierre-Yves Beaurepaire et Silvia Marzagalli


Cartographie de Guillaume Balavoine

Deuxième édition
Editions Autrement
Collection Atlas/Mémoire
4

Atlas de la Révolution
française

Introduction 31 Entrer en Révolution


6 Un monde en effervescence 32 Des cahiers de doléances à l’été 1789
34 L’entrée en politique (1789-1791)
36 La réorganisation du territoire
11 Un vent de liberté
38 La régénération nationale
12 Échanges et circulations dans l’Atlantique
nord du XVIIIe siècle 40 Les colonies à l’épreuve de la
régénération nationale
14 La Révolution américaine
42 Circulations et mobilité en Révolution
16 Frémissements révolutionnaires en Europe
(1770-1789) 44 L’échec de la monarchie constitutionnelle
18 La crise financière de la monarchie
20 Administrer et moderniser le territoire 47 La radicalisation révolutionnaire
22 L’impact des Lumières 48 La France en guerre : 1792
24 Puissance démographique et attraction 50 Divisions et déchirures
urbaine en France
52 La Terreur
26 La France en 1789 :
une économie prospère ? 54 Les sans-culottes
28 La France en crise 56 La déchristianisation
58 Une politique de guerre
60 L’Europe des patriotes
62 Les républiques sœurs
SOMMAIRE • 5

64 Les modifications du commerce atlantique Conclusion


66 Bilan de la vente des biens nationaux 88 Le legs de la Révolution

90 Annexes
69 La France de Bonaparte : 92 Chronologie
une consolidation de la Révolution ?
94 Bibliographie et sitographie
70 La fin de la Révolution
72 Surveillance de la société civile et
musellement des oppositions
74 Réconciliation nationale et recomposition
des élites
76 Révolutionnaires et anciennes élites
au service de l’État
78 Bonaparte, général de la paix ?
80 Un espace allemand reconfiguré
82 L’échec de la reprise en main coloniale
française aux Amériques
84 L’éducation, un enjeu majeur
de la période révolutionnaire
86 Circulation des savoirs et des informations
6

INTRODUCTION

Un monde en effervescence

« Voyant le joug si pesant qui nous opprime, la tyrannie le temps de la « transition révolutionnaire » des années
de ceux qui nous imposent cette charge et ne consi- 1770-1830 qui verrait la fin de l’Ancien Régime et la nais-
dèrent nullement l’indignité à laquelle ils nous ont sance du monde contemporain. Aux polémiques histo-
réduits, poussé à bout par ladite indignité et l’impiété riographiques, qui trop souvent nuisent à la recherche
de ceux qui nous y ont conduits, je me suis déterminé sur la Révolution, cet atlas préfère explorer les possi-
à secouer ce joug insupportable et à m’opposer au bilités offertes par la cartographie actuelle. Alors que
mauvais gouvernement que nous subissons de la part la problématique des révolutions atlantiques dévelop-
des chefs de l’administration. » Ces mots sont extraits pée par Robert Roswell Palmer (1909-2002) et Jacques
d’un édit de décembre 1780 signé José Gabriel Túpac Godechot (1907-1989) dans un contexte d’opposi-
Amaru, ancien élève des jésuites au collège de Saint- tion idéologique entre les deux blocs nés de la guerre
François-Borgia de Cuzco, en révolte contre l’auto- froide fait aujourd’hui l’objet d’un réexamen fécond,
rité coloniale espagnole dans les Andes. Celui qui il est possible d’intégrer et de croiser les apports des
dénonce « l’oppression de la tyrannie des Européens » recherches en cours en histoire économique, culturelle,
et se présente comme descendant direct du dernier sociale, religieuse et politique, pour mettre en évidence
Inca, Túpac Amaru, précise qu’il a fait exécuter publi- les circulations qui parcourent, déstabilisent et réor-
quement le corregidor, le représentant royal local. ganisent l’espace européen et américain des révolu-
Penser la Révolution française, pour reprendre tions. L’attention à la rive américaine ne se réduit pas
le titre d’un essai provocateur de François Furet, ici aux prémices du vent de la liberté, à la traversée de
suppose de sortir de la trame événementielle de la La Fayette ou à la victoire de Yorktown, prélude atlan-
décennie 1789-1799, de décentrer le regard et de varier tique à l’étude de la véritable Révolution, la française,
les échelles d’observation des oscillations révolution- et au défi qu’elle pose aux anciens régimes européens,
naires. Certains auteurs ont insisté sur le temps inter- contre lesquels elle partirait en guerre à partir de 1792.
médiaire, par opposition à l’événement ou au temps Les circulations économiques transatlantiques béné-
long cher à Fernand Braudel et à l’école des Annales, ficient d’une attention toute particulière. De la même
INTRODUCTION • 7

manière, la Révolution batave et la proclamation des ne s’écrit plus vue de la tribune de la Convention natio-
«  États belgiques unis » permettent d’interroger l’au- nale ou du club des Jacobins, même si la place qui leur
tonomie et les interactions des processus révolution- est réservée dans l’atlas témoigne de l’importance
naires à l’œuvre sur la rive européenne de l’Atlantique. de l’impulsion parisienne. Mais dans tous les cas, les
L’onde de choc de la Révolution française, enfin, a été cartes proposées permettent de jauger son impact réel
envisagée sur l’ensemble de l’espace européen et atlan- sur le quotidien des contemporains de la Révolution,
tique, où elle interagit avec des dynamiques locales de tester l’efficacité des vecteurs et des relais et de
spécifiques. pointer le rôle des générations. Nous avons donc choisi
de varier le type de cartes proposées au lecteur.
Cet atlas met délibérément l’accent sur ces circulations, Des cartes de synthèse scandent la lecture de chacune
en individualisant les parcours et les trajectoires des des parties de l’ouvrage. Mais les cartes permettent
acteurs sociaux, culturels et politiques, comme il met en aussi de proposer des effets de zoom et de rendre
évidence les flux commerciaux qui les recoupent. Il per- au local toute sa signification lorsqu’il est articulé au
met de suivre les grandes figures comme Thomas Paine régional, au national en formation, voire aux enjeux
ou La Fayette comme les moins connues, tel Agustín de globaux. Si des représentations attendues, comme la
Bétancourt. Des portraits de groupes sont également célèbre carte de Georges Lefebvre sur la Grande Peur
esquissés au fil des pages. L’ambition de cet ouvrage de l’été 1789 ou la carte des sections parisiennes,
est donc clairement de restituer la décennie révolu- ont toute leur place dans cet atlas, sa réalisation était
tionnaire classique dans une perspective européenne l’occasion de croiser des données jusqu’ici dispersées
et coloniale. Varier les échelles d’observation conduira au gré des travaux universitaires français et étrangers,
le lecteur à découvrir dans chaque partie le processus ou oubliées dans les archives pour faire naître des cartes
révolutionnaire à l’œuvre dans les colonies, en province, inédites, comme celle du réseau postal sous le Consulat.
dans la sphère éducative comme au cœur du négoce Au fil des pages, la Révolution, plurielle et polyphonique,
ou du monde des bureaux. L’histoire de la Révolution est ainsi restituée dans toute son intensité.
8

L’ATLANTIQUE EN ÉBULLITION (1770-1830)

Bas-Canada
Québec
1803 vente de la Louisiane Haut-
par la France aux États-Unis Canada
après sa rétrocession
par l’Espagne Boston
San Francisco New York
Saint Louis Philadelphie
Californie
1776-1783 guerre
Santa Fe d’indépendance

La
Fa
Charleston yet
te ( OCÉAN
17 7
7 - 17 81
VICE-ROYAUME La Nouvelle- )
DE NOUVELLE-ESPAGNE Orléans Floride
ATL ANTIQUE

1810-1811 révolte d’Hidalgo


1811-1815 révolte de Morelos La Havane
1791-1804 révolution haïtienne
1821 indépendance
1804 indépendance d’Haïti
Cuba
Mexico
Jamaïque Porto Rico
OCÉAN Honduras Port-au-
Guatemala Prince Guadeloupe
PAC I F I Q U E Côte des Miranda Martinique
(1806)
1790-1799 révoltes
1822-1823 sécession
puis Mosquitos dans les Antilles
indépendance Coro Caracas
des Provinces-Unies Carthagène
Trinité
Situation géopolitique d’Amérique centrale Panamà Bolivar (1813)
en 1799 Angostura
VICE-ROYAUME Bolivar
République française DE NOUVELLE-GRENADE (1819) Venezuela Cayenne
et ses colonies Bolivar Santa Fe de Bogota Guyanes
1810-1822 guerre d’indépendance
Républiques sœurs ou de la Grande-Colombie (1822)
1830 indépendance de l’Équateur 1781 révolte
territoires occupés par des comuneros
et du Venezuela Quito
les Français
Royaume-Uni Guayaquil
et ses colonies ainsi que Bolivar (1823-1824)
San Martin A m a z o n i e
les territoires qu’il occupe
(1822) 1780-1781 révolte
États-Unis d’Amérique (colonies de Tupac Amaru
britanniques jusqu’en 1783)
Espagne et ses colonies Lima Salvador
VICE-ROYAUME DU PÉROU 1809 insurrection
Bolivar 1814 révolte indienne BRÉSIL
Portugal et ses colonies 1821-1824 guerre
(1825) 1825 indépendance 1822 indépendance
d’indépendance
Prusse et autres États allemands La Paz Haut-Pérou
La Plata 1811 indépendance
Empire ottoman et ses vassaux (Chuquisaca)
San Martin Paraguay
Autriche Russie Rio de Janeiro
(1820-1821) VICE-ROYAUME Asunción
Révolutions et interactions entre DE LA PLATA
les différentes révoltes et révolutions 1810 révolution de Mai
1810-1814 Vieille Patrie 1816 indépendance
Révolutions ou guerres et 1818-1826 guerre M ti Banda indépendance
Chili San M 8)ti (1814-1818)
S Martin (1814 1818) 1828
déclarations d’indépendance d’indépendance Oriental
Mendoza Montevideo
Interventions militaires Valparaiso
Santiago Buenos
Aires
Déplacements de personnalités
INTRODUCTION • 9

République :
1. batave (1795)
2. helvétique (1798)
3. ligurienne (1797)
4. cisalpine (1797) Islande
(Dan.)
5. romaine (1798)
6. parthénopéenne (1799)

OCÉAN Finlande
Norvège
(Dan.)
ATL ANTIQUE SUÈDE
Saint-Pétersbourg
Mer Stockholm
1825 révolte
du Nord des décabristes

ue
1798 révolte des Irlandais

tiq
Fr a n
klin en 1811-1812 luddisme Moscou
(175 Ang leterr DANEMARK
al
7-1762
et 1764 e Dublin Copenhague
A da -1775) B
r
ms en
Holland Liverpool 1781-1787 révolte Me 1773-1774 révolte
e et en Ang des Patriotes
(1780-
1788) l. 1797 mutineries dans Hambourg de Pougatchev
la Royal Navy Londres Amsterdam dans l’Oural
Fr a n 1 Berlin Varsovie
klin en 1791-1794 révoltes
Jef f Fr a n c e (1 1830 révolution et Bruxelles
erson 776-1785) polonaises (Kósciuszko)
e n Fr a n c indépendance belge Rhénanie
e (1785-1789) Francfort
Paris Prague Cracovie
805) Nantes
(1785-1 1789 révolution
E uro pe 1792 république Vienne
a en 3 et 1804-
1807)
and 99-180
Mir uro pe (17 Genève 2 Buda Moldavie
ar en E 1784-1785 soulèvement des
Lyon Milan
B oliv Bordeaux
Piémont Roumains de Transylvanie 1821 soulèvement des
Venise
4 principautés roumaines
1820 révolte libérale 3 Belgrade Valachie
Marseille TOSC.
Mer Noire
Lisbonne Madrid 5
1804, 1813, 1815
révoltes serbes
1820-1823 guerre
1796-1799 et 1820 Rome
révolutions italiennes
civile (Riego)
6 Constantinople
ROY. DE Naples
pagn e
tin en Es Cadix SARDAIGNE
1821-1830 guerre
Mar d’indépendance grecque
San 85-1
811) Palerme
(17 Athènes
Alger ROY. DE
Tunis SICILE Morée
MAROC
Malte

Mer Méditerranée
Jérusalem
Tripoli
Alexandrie

Le Caire

Égypte
Source : J. Godechot, Les Révolutions, PUF, Paris, 1970.
10
11

Un vent
de liberté
Dès la Révolution française, acteurs politiques et observateurs
se sont interrogés sur les origines de ce séisme dont les effets
ont créé à travers tout l’espace européen et ses colonies
un avant-1789, qualifié d’Ancien Régime, et un après-1789.
Les historiens leur ont emboîté le pas. En 1933, Daniel Mornet
interrogeait Les Origines intellectuelles de la Révolution
française 1715-1787, quand au lendemain du bicentenaire
de 1789, Roger Chartier proposait lui d’étudier Les Origines
culturelles de la Révolution française. Dans une perspective
marxiste de lutte des classes, d’autres historiens ont eux mis
l’accent sur les contradictions économiques et sociales de la
France des Lumières qui précipitent l’effondrement de l’Ancien
Régime, les tentatives de réformes ne faisant qu’accélérer
le processus d’implosion. Aujourd’hui, les travaux autour
des circulations des hommes, des idées, des biens, des
dynamiques et des tensions qu’elles provoquent permettent
de s’affranchir des postures idéologiques pour comprendre
les logiques de ce basculement majeur dans l’histoire
du monde.
12

Échanges et circulations dans


l’Atlantique nord au XVIIIe siècle
Les colonies établies au XVIIe siècle par la France et la Grande-Bretagne aux Antilles et en
Amérique du Nord connaissent au XVIIIe siècle une expansion démographique et productive
considérable. Les circulations d’hommes, de biens, de modèles administratifs et culturels
à travers l’Atlantique et l’interconnexion croissante entre l’Europe, l’Afrique et l’Amérique
affectent en profondeur les sociétés des trois continents.

LA RUÉE VERS L’AMÉRIQUE Africains et Européens


en Amérique du Nord
D’abord limités aux rivages et aux
fleuves, les établissements européens
L’EXPANSION VERS L’OUEST ÉVOLUTION DE LA POPULATION se sont progressivement étendus
DES TREIZE COLONIES
en milliers d’habitants vers l’intérieur du continent, non sans
1 400 engendrer des tensions entre Français
EUROPE
Nouvelle-Angleterre
et Anglais.
États du Centre 1 200
Province Les treize colonies britanniques ont
de Québec Québec Nouvelle- États du Sud 1 000
Écosse profité de vagues migratoires succes-
Montréal Noirs
2
Blancs 800 sives, au fur et à mesure du dévelop-
1 Portsmouth 600 pement de l’économie coloniale. La
5
2 Boston moitié des migrants sont des captifs
3 400
4 Newport déportés depuis l’Afrique. La majo-
7 New York 200
Philadelphie 6 rité des Européens arrivent dans une
0
Baltimore 9 EUROPE 1700 1760 1780
condition de servitude dans le cadre
8
Source : J. McCusker et R. Menard, The Economy of British America, du système des engagés, qui attire
Territoires 10 Norfolk OCÉAN University of North Carolina Press, Chapel Hill, 1985.
indiens des volontaires d’Europe centrale et
11 ATL ANTIQUE L’ORIGINE DES MIGRANTS des îles Britanniques : en échange
VERS LES TREIZE COLONIES
Wilmington en milliers d’habitants
de la traversée, le migrant s’engage à
12
Charleston Africains travailler pendant plusieurs années au
278,4
13
Allemands
service de celui qui a payé son trans-
Savannah Les 13 colonies 84,5 port. Hormis les départs des minorités
Irlandais d’Ulster
1. New Hampshire 66,1 religieuses persécutées, la majorité
Floride 2. Massachusetts Anglais
3. Rhode Island 44,1 des migrants africains et européens
AFRIQUE Irlandais (hors Ulster)
300 km 4. Connecticut
42,5
sont des hommes, mais la forte nata-
5. New York Écossais lité de la population d’origine euro-
Colonisation 6. New Jersey 35,3
7. Pennsylvanie Gallois péenne, favorisée par l’abondance des
Avant 1700 Vers 1773 8. Maryland 29
Autres Européens ressources, et l’absence d’épidémies
9. Delaware
Limite de la Proclamation 10. Virginie 5,9 fréquentes permettent dès le début du
de 1763
XVIIIe siècle de réduire le déséquilibre
11. Caroline du Nord Source : A. Fogleman, «Migrations to the Thirteen
British North American Colonies, 1700-1775 :
Mouvements 12. Caroline du Sud New Estimates », Journal of Interdisciplinary
migratoires 13. Géorgie History, vol. 22, n° 4, printemps, 1992. entre les sexes.
Source : E. Marienstras et N. Wulf, Révoltes et révolutions 40
en Amérique, Atlande, Neuilly-sur-Seine, 2005.
35
Un commerce transatlantique
LA POPULATION URBAINE EN AMÉRIQUE DU NORD 30
florissant
en milliers d’habitants
25
Au cours du XVIIIe  siècle, le com-
Fin du XVII s. e
1760 (colonies françaises) merce entre l’Europe, l’Afrique et les
20
1775 (colonies britanniques) 15
Amériques connaît une progression
10 sans précédent. Dans le cadre des
5 relations imposées par les métropoles
0 européennes, ces échanges contri-
Montréal Québec Baltimore Newport Charleston Boston New York Philadelphie
Sources : J. Mathieu, La Nouvelle-France, Belin, Paris, 1991 et
buent à l’intégration des continents
J.-P. Poussou et al., Espaces coloniaux et espaces matitimes au XVIIIe siècle, Sedes, Paris, 1998. bordant l’Atlantique. C’est autour du
UN VENT DE LIBERTÉ • 13

UN COMMERCE EN PLEINE EXPANSION

Glasgow
Liverpool
Bristol Londres
Q u é be c Terre-Neuve Le Havre Rouen
Nantes
Nouvelle- Mo Farine,
Nouvelle- rue
Angleterre Écosse s vin Bordeaux
c
Pennsylvanie New York Taba
Lo u i si a n e Marseille
Maryland
Virginie nufact urés Lisbonne
Produits ma és
Carolines r
ctu

l
Madère Cadix

o
Riz fa

alco
Géorgie nu
ma
Morues, bois, bétail
Farines

Vin

cturés,
Canaries
Floride its
Riz

du
Pro
Rhu

Produits manufa
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e, ca
ucr

Cuba
, sucr
e

Jamaïque Rhum
St-Domingue
Nou ve lle - Petites Cap-Vert
E sp a g n e Sénégal
Antilles Esclav
es
Trinité Sierra
No u ve lle - Leone Côte
G re n ade de l’Or

Gu yan e s Golfe du
Esclaves Bénin

OCÉAN ATL ANTIQUE

Pérou
Les empires coloniaux vers 1770
France et ses colonies
B ré sil
Grande-Bretagne et ses colonies

OCÉAN Espagne et ses colonies

PAC I F I Q U E Portugal et ses colonies

Río de Le commerce transatlantique


la Plata
Principaux ports

Principales routes commerciales


1 000 km Tabac Nature du commerce

sucre, du café, du tabac et de la morue des produits alimentaires et manufac- et des dizaines de milliers de marins
de Terre-Neuve que se structurent les turés dont la production est interdite assurent ces liaisons. Un va-et-vient
flux commerciaux en Atlantique nord aux colonies. Des échanges complé- constant d’hommes et de correspon-
et aux Antilles. La traite négrière leur mentaires existent au sein des empires dances permet le fonctionnement de
livre au cours du siècle 4 millions de coloniaux, et une contrebande active cet ensemble, qu’administrateurs et
captifs africains, soit deux fois plus relie entre eux les colons placés sous négociants façonnent quotidienne-
qu’au Brésil. Les négociants métro- des souverainetés diverses et sou- ment dans leurs interactions avec les
politains fournissent aussi aux colons vent rivales. Des milliers de navires sociétés coloniales.
14

La Révolution américaine
La première guerre d’indépendance coloniale naît des divergences croissantes entre une majorité
des colons des treize colonies nord-américaines et le gouvernement britannique. Précédée et
accompagnée par une abondante production écrite et par une importante circulation d’hommes
et des idées qu’ils véhiculent à travers l’Atlantique, la Révolution américaine ouvre une période
de fermentation politique qui transforme radicalement le monde américain et l’Europe.

Passeurs de rives intérêts des colons en Angleterre. la structuration d’un espace atlan-
L’Atlantique des années 1770-1780 Avec la Révolution américaine, il est tique de contestation politique. Enfin,
est un espace parcouru par d’in- accueilli triomphalement à Paris où Thomas Paine inscrit son opposi-
tenses circulations intellectuelles et il négocie le soutien français aux tion au nouveau pharaon, George III
politiques. Les débats sur l’esclavage «  Insurgents  ». En retour, les trajec- d’Angleterre, qui refuse d’entendre les
et les droits des colons trouvent écho toires d’Étienne Clavière, banquier plaintes légitimes de ses sujets amé-
en Europe. Ils participent de l’émer- d’origine genevoise et futur ministre ricains dans une dynamique d’éman-
gence d’un espace public autonome. de la Révolution française, et de cipation globale : sujet britannique, il
Benjamin Franklin fait figure de pion- Jacques Pierre Brissot de Warville, s’engage en faveur de la Révolution
nier parmi ces passeurs de rives, du polygraphe, futur chef de file des américaine, avant de devenir citoyen
Nouveau Monde vers l’Ancien. Savant Girondins, connectent l’Ancien Monde français. Les initiatives sont égale-
internationalement reconnu dans le au Nouveau. Leurs voyages d’en- ment collectives à travers la création
monde des Lumières, entrepreneur quête aux États-Unis donnent lieu de la Société des amis des Noirs ou
accompli, il représente d’abord les à des publications qui contribuent à de la Société gallo-américaine.

DU NOUVEAU MONDE À L’ANCIEN

Étienne Clavière (1735-1793) et Thomas Paine (1737-1809) Benjamin Franklin (1706-1790)


Jacques Pierre Brissot (1754-1793)
1778-1780 1774 1757-1762 et 1765
Brissot à Londres Rencontre Franklin à Londres Départ de Philadelphie pour Londres afin
1782 1774-1787 de défendre les intérêts des colons
Genève, Clavière participe à la révolution Voyage en Amérique 1776
1787 1776 Philadelphie, Déclaration d’indépendance
Paris, Société gallo-américaine Le Sens commun Montréal, afin de défendre l’idée d’indépendance
De la France et des États-Unis ou De l’importance 1787 1776-1778
de la révolution de l’Amérique pour le bonheur Rentre à Londres Négocie à Paris l’alliance française
de la France 1791-1792 1783
1788 The Rights of Man Versailles, traité de paix
Paris, Société des amis des Noirs 1792 1785
Voyage d’enquête aux États-Unis Député de la Convention à Paris Retour à Philadelphie, président du Comité
1791 exécutif provisoire
Brissot, Nouveau voyage dans les États-Unis 1787
de l’Amérique septentrionale, fait en 1788 Philadelphie, Constitution des États-Unis

Montréal Londres
OCÉAN
ATL ANTIQUE
Boston Versailles Paris
Philadelphie New York
Baltimore Genève

Premières sociétés antiesclavagistes


UN VENT DE LIBERTÉ • 15

LA GUERRE D’INDÉPENDANCE AMÉRICAINE l’élaboration de leur déclaration d’indé-


Ligne de la Proclamation pendance (1776).
royale de 1763
NOUVELLE- Une Révolution atlantique ?
ÉCOSSE La Révolution américaine entraîne
Québec
Halifax d’importants déplacements au sein
Q UÉB EC
2 du monde atlantique. Il y a ceux
Lac Montréal qui traversent l’Atlantique : volon-
Supérieur t taires qui, à l’instar de La Fayette,
en Bennington

r
accourent depuis l’Europe en aide

au
Concord

S t -L
Lac 1 Bunker Hill aux rebelles américains ; soldats et
Saratoga
Huron Lac Ontario
Lac Michigan

2 Boston marins envoyés par l’Angleterre et,


Oriskany Albany Lexington
3Newport après 1778, par Louis XVI, lorsque
5 4
Newton Rochambeau
Lac White Plains la défaite anglaise à Saratoga (1777)
Wyoming New York (1780)
Détroit Érie permet d’envisager une victoire amé-
7
Fort Pitt Philadelphie ricaine et une revanche française sur
Brandywine Monmouth
c
6
Princeton la Grande-Bretagne, qui avait vaincu
8
Baltimore la France lors de la guerre de Sept Ans
a

9
m
Poto

Yorktown (1756-1763). Il y a ensuite les mouve-


10
Baie de Chesapeake ments internes à l’espace américain,
St Louis Ohio
Vincennes Norfolk avec notamment l’enrôlement par les
11 rebelles comme par l’armée britan-
Kaskaskia Territoires réservés
aux Indiens
Guilford Courthouse nique de milliers d’esclaves auxquels
De Grasse
(1781)
on promet la liberté. Certains furent
Cowpens
i

Wilmington
sipp

12 en réalité rendus à leur propriétaire ou


Camden
ssis

Georgetown vendus en Floride, d’autres, affranchis,


Te n n e s s e e
Mi

Eutaw Springs embarqués pour la Nouvelle-Écosse


Charleston Les 13 colonies
ou Londres. Les esclaves furent mobi-
13 Savannah 1. New Hampshire
2. Massachusetts lisés aussi au sein de l’empire français
OCÉAN 3. Rhode Island pour la défense des îles notamment.
F LO R IDE
ATL ANTIQUE 4. Connecticut Enfin, la guerre d’indépendance a
O C C IDEN TA L E
5. New York
Mobile St. Augustine 6. New Jersey aussi été une guerre civile, entre un
7. Pennsylvanie sixième et un tiers de colons étant
La Nouvelle-Orléans F LORI D E 8. Maryland
9. Delaware
restés favorables au maintien de la
ORI EN TAL E
10. Virginie dépendance coloniale : un Américain
11. Caroline du Nord sur dix quitte les colonies à la fin de la
Golfe du Mexique 12. Caroline du Sud
13. Géorgie guerre en 1783, soit un nombre d’émi-
250 km grés bien supérieur, en proportion, à
celui des émigrés de la Révolution
L’Amérique du Nord britannique Mouvements des armées
Principales française. Ces brassages d’hommes,
Les treize colonies en 1775 Américains et leurs alliés
batailles la circulation des mots d’ordre et l’ex-
Britanniques
Autres colonies périence des armes constituent de
1775-1778 1779-1781
puissants facteurs de politisation au
sein du monde atlantique, au point
que les historiens Robert Palmer et
Guerre d’indépendance La série de conflits ponctuels qui Jacques Godechot ont développé
et identités atlantiques mène à l’indépendance des treize la thèse d’une «  Révolution atlan-
Les sociétés coloniales américaines colonies (alors que d’autres, comme la tique  » dont la Révolution française
gardent plusieurs éléments euro- Nouvelle-Écosse ou Québec, refusent ne serait qu’une manifestation. Si la
péens : ordre social, langue, pratiques de se joindre au mouvement) naît du notion a été critiquée depuis – d’une
religieuses et culturelles, système juri- sentiment qu’ont les colons de ne pas part parce que plusieurs phénomènes
dique. La mise en place de plantations être considérés par leur roi comme des insurrectionnels en Europe centrale et
esclavagistes, les contacts avec les sujets à part entière. C’est dans l’oppo- en Amérique du Sud n’ont pas de lien
Amérindiens, la moindre complexité et sition aux mesures fiscales imposées évident avec l’Atlantique, d’autre part
richesse de leur vie contribuent toute- par Londres au lendemain de la fin de parce que le modèle ne prenait pas
fois à l’émergence d’une société créole, la guerre de Sept Ans (1763) que les en compte les spécificités de la révolte
bien que ses membres continuent colons élaborent progressivement une de Saint-Domingue –, elle a été très
à se penser comme des Européens. idéologie qui les porte d’une révolte à stimulante pour la recherche.
16

Frémissements révolutionnaires
en Europe (1770-1789)
L’Europe des années 1770-1780 est parcourue par de nombreuses secousses sociales. Les
difficultés économiques, les tensions sur les marchés des céréales, la pression des prélèvements
seigneuriaux et fiscaux, la concentration des terres déchirent le tissu social et les solidarités
traditionnelles. En milieu urbain, la mécanisation et la crise économique fragilisent le petit peuple
et menacent la petite bourgeoisie d’un déclassement économique et social.

Jacqueries paysannes 200 manoirs sont pillés et incendiés. transformations profondes du monde
et émeutes urbaines En Russie, la révolte de Pougatchev rural et des cadres de production
Dans les zones où le servage se ren- (1772-1774) est un vrai séisme qui agricole ont largement paupérisé
force, les jacqueries se multiplient et conduit l’impératrice Catherine II à la paysannerie. Les règles de l’éco-
peuvent être très violentes comme mener une politique de répression nomie morale sont fortement mises
en Bohême (1775), où plusieurs mil- féroce, de renforcement de l’auto- à mal par la recherche du profit et
liers de paysans marchent sur Prague, rité centrale et des privilèges de la de la rente foncière. En Angleterre, les
ou en Transylvanie (1784), où plus de noblesse. En Europe occidentale, les paysans ne possèdent plus que 15 %

RÉVOLTES ET ÉMOTIONS POPULAIRES EN EUROPE (1770-1780)


Troubles urbains

Troubles agraires

Dispositifs Glasgow
répressifs SUÈDE
1782 Irlande ROYAUME-UNI RUSSIE
Royaume-Uni Newcastle
Riot Act (1715) Dublin DANEMARK
Manchester
France Liverpool
Sheffield 1787 Union des couturiers
Livret ouvrier (1781) 1775 Marins
Nottingham
Bristol Birmingham
PROVINCES- PRUSSE
Exeter Londres UNIES
1768-1782 Wilkite Riots 1780 Gordon Riots Lille POLOGNE
Douai Valenciennes SAXE
Beauvais Cambrai
Paris
Rennes
1785 Maçons Nancy 1775 jacquerie
en Bohême
FRANCE BAVIÈRE
Neuchâtel
1775 guerre Zurich
Genève
des Farines Fribourg AUTRICHE
Lyon 1781-1782 Suisse 1784 jacquerie
1786 Canuts en Transylvanie
Grenoble
Aix
PORTUGAL
Toulon

ESPAGNE EMPIRE OTTOMAN


ROY. DE
NAPLES

300 km
Frontières de 1789
UN VENT DE LIBERTÉ • 17

LE LABORATOIRE DES ANCIENS PAYS-BAS le manifeste des révolutionnaires


patriotes (la noblesse libérale ainsi que
Principale section de la Société pour le bien public les petite et moyenne bourgeoisies
urbaines de plus en plus exclues des
Bastion de la pensée catholique traditionnelle
fonctions civiques par les « régents »,
Important foyer des Lumières la grande bourgeoisie calviniste).
GRONINGUE
Province à majorité patriote Les patriotes accusent la famille
Leeuwarden Groningue
Province à majorité orangiste
d’Orange et ses partisans de vouloir
FRISE Assen transformer le stathoudérat (le com-
Principales zones d’affrontement
DRENTHE mandement militaire) en levier pour éta-
Intervention des armées prussienne blir la monarchie. Les patriotes créent
et autrichienne Alkmaar des milices civiques, les corps francs.
Fuite des patriotes bataves Zwolle
et belges en France Haarlem
En juin 1785, ces derniers réclament une
Amsterdam OVERIJSSEL véritable république. Le 4  septembre,
Émeutes dans
les Pays-Bas Guillaume V HOLLANDE Guillaume V d’Orange doit quitter
autrichiens d’Orange Leyde UTRECHT
GUELDRE La Haye. Le pays se divise alors entre
est chassé le La Haye
Libération Utrecht Arnhem zones patriotes et zones orangistes
4 sept. 1785
des Pays-Bas Rotterdam
autrichiens par et les affrontements sont de plus
l’« armée nationale » Dordrecht
Nimègue Armée en plus violents ; la guerre civile menace.
(oct.-déc. 1789) prussienne Les Britanniques soutiennent financiè-
ZÉLANDE Bréda sept. 1787
Middelbourg rement le parti orangiste, mais l’inter-
BRABANT
DES ÉTATS vention décisive est celle de l’armée
Venlo
FLANDRE de Frédéric-Guillaume II de Prusse, qui
DES ÉTATS
1787 SAINT EMPIRE
Bruges Anvers envahit sans difficulté les Provinces-
Gand BRABANT Armée Unies. Guillaume V rentre à La Haye,
Malines
FLANDRE autrichienne
1790-1791 le mouvement patriote s’effondre,
Louvain Maastricht
1789
et 40 000 personnes quittent le pays,
Bruxelles
Lille Liège LIMBOURG une moitié s’installant dans le nord de
HAINAUT 1789 Limbourg la France.
Mons Namur
Valenciennes NAMUR Stavelot Armée La Révolution brabançonne
autrichienne
Proclamation des déc. 1790 (1787-1790)
«États-Unis belgiques » Dans les Pays-Bas autrichiens (actuelle
ROYAUME le 11 janvier 1790
Belgique), les vagues de réformes
DE FRANCE LUXEMBOURG
de l’empereur Joseph II rencontrent
Bouillon une incompréhension quasi générale.
République des Provinces-Unies
Luxembourg Le clergé belge est notamment indis-
Pays-Bas autrichiens posé par la création d’un séminaire
Principauté de Liège général (1786) destiné à former un
Autres principautés ecclésiastiques 50 km clergé soumis, relayant l’État dans sa
volonté réformatrice. L’année suivante,
l’empereur rationalise la carte adminis-
trative et judiciaire. Les États de Brabant
des terres, alors que quelques centaines Le chômage se développe, et l’assis- refusent d’appliquer les édits au nom
de propriétaires se partagent le reste. tance traditionnelle est dépassée. des droits de la «  Nation Belgique  ».
La philanthropie pointe du doigt ces En 1789, les troupes autrichiennes
injustices mais se révèle souvent inca- La Révolution patriote aux tirent sur la foule. Une société secrète
pable d’y remédier. En ville, avec le Provinces-Unies (1780-1787) prépare des soulèvements populaires.
retournement de la conjoncture écono- La république des Provinces-Unies Le 11 janvier 1790, sont proclamés les
mique, les conflits liés à l’artisanat se (actuels Pays-Bas) est en pleine « États belgiques unis ». Les divisions
multiplient. En France, ils dépassent déconfiture au début des années 1780. intestines des révolutionnaires belges,
les 2 800 affaires pour les années La guerre anglo-hollandaise (1780- le changement de contexte interna-
1770-1790, illustrant ce que l’histo- 1784) est marquée par une succes- tional avec le début de la Révolution
rien Jean Nicolas nomme « la rébellion sion de défaites et un mécontente- française, la mort de Joseph II
française ». La mécanisation et la crise ment croissant. Dans ce contexte, débouchent toutefois sur l’intervention
économique fragilisent le petit peuple L’Appel au peuple des Pays-Bas d’une armée de 30 000 hommes qui
et menacent la petite bourgeoisie d’un (26 septembre 1781) du baron Van rétablit le pouvoir autrichien à Bruxelles
déclassement économique et social. der Capellen (1741-1784) devient le 2 décembre 1790.
18

La crise financière
de la monarchie
L’État monarchique est gangréné par une situation financière dramatique, que chaque guerre
creuse un peu plus. Toute réforme fiscale visant à élargir l’assiette de l’impôt se révèle impossible,
car la société française repose sur le privilège, dont les parlements se font les défenseurs.
La remise en cause des privilèges fiscaux par le souverain ne peut que saper la légitimité
de son autorité auprès des élites, garantes autoproclamées des équilibres sociaux.

Des impositions et redevances gratuit  » pour l’Église) aux recettes qui s’occupent également de la per-
inéquitables de la monarchie, elles reçoivent éga- ception de la plupart des impôts indi-
Le système fiscal et financier français lement, en retour, une partie des rects, dont ils gardent une partie à
se caractérise par une multitude de sommes dépensées par l’État sous leur profit, sont au cœur des circuits
prélèvements et de redevances qui forme de gratifications, pensions, d’argent qui irriguent la monarchie.
pèsent, pour l’essentiel, sur la pay- gages de services. Mais surtout, les Grâce à leurs réseaux, ils drainent les
sannerie, qui représente plus de trois- plus aisés profitent des difficultés ressources des nantis, et les font fruc-
quarts de la population française. Ces financières de la monarchie – qui est tifier. L’on comprend, dès lors, que les
sommes sont dirigées vers les caisses en déficit même dans les années de catégories privilégiées, exemptées au
de l’État, mais aussi de l’Église et de paix  – pour lui prêter de l’argent et demeurant de la taille et relativement
tout détenteur de seigneurie, noble, s’assurer ainsi un placement intéres- épargnées des autres impôts directs,
ecclésiastiques ou bourgeois. Si ces sant. Le taux d’intérêt évolue en effet ont tout intérêt à ce que les difficul-
catégories contribuent elles aussi au fil des besoins, particulièrement tés financières de la monarchie ne
par les impôts indirects et des contri- pressants lorsque la France s’engage trouvent pas une solution durable.
butions négociées (comme le «  don dans un conflit armé. Les financiers, Dans ces conditions, toute tentative
FISCALITÉ, EMPRUNTS, RENTES
Gratifications, pensions,...
Tailles

Soldes, fortifications,...
É TAT Impôts indirects
Gages, appointements,...

Service de la dette,...
gratuit

Emprunts
FINANCIERS
Bénéfice de la ferme
Don

Paulette
ARMÉE

CLERGÉ
NOBLESSE OFFICIERS BOURGEOIS PAYSANS
Commende

Rente
Rente et Logement Rente
Rente et dîmes
droits seigneuriaux des gens de guerre

Trois circuits Source : G. Durand,


Fiscalité seigneuriale, ecclésiastique États et institutions, XVIe-XVIIIe s.,
Fiscalité et emprunts royaux Dépenses budgétaires A. Colin (U), Paris, 1969.
et rente seigneuriale
UN VENT DE LIBERTÉ • 19

de réforme du système d’imposition REMONTRANCES PARLEMENTAIRES (1716-1789)


se heurte à de violentes oppositions,
dont les Parlements se font les princi- Parlement
paux, mais pas les seuls porte-parole. Artois
Conseil supérieur Arras Douai
Une plus grande équité fiscale affecte- Siège de parlement
rait directement les privilégiés en tant ou de conseil Rouen
supérieur
que contribuables, et les priverait aussi Metz

ce
des gains qu’ils tirent du service de Paris

Alsa
la dette. Nancy
Rennes Colmar
L’opposition parlementaire
Si le roi est la seule source de loi du Dijon Besançon
royaume, les parlements, cours supé-
rieures de justice, avaient traditionnel-
lement, par le droit de remontrance, la
faculté de refuser l’enregistrement des
lois, retardant ainsi leur application Colonies
Grenoble
dans le ressort du parlement. Ce droit,
Remontrances et Bordeaux
source potentielle de contestation de représentations des cours
la politique du souverain, avait été sup- supérieures de justice
des provinces françaises
primé par Louis XIV, mais rétabli à sa au XVIIIe siècle
mort (1715) par Philippe d’Orléans, qui 136 Toulouse Aix
Pau
avait besoin de l’appui du Parlement 50
de Paris pour obtenir la régence. Par 20 Perpignan Bastia
Roussillon
leurs remontrances et représenta- 2
Corse
tions, les parlementaires expriment les 100 km
raisons de leur opposition aux nou- Sources : J. Boutier, Atlas de l’histoire de France. La France moderne XVIe-XIXe siècle, Autrement, Paris, 2006 ;
Remontrances du parlement de Paris au XVIIIe siècle, publ. par Jules Flammermont, Imprimerie nationale, Paris, 1888-1898 ;
velles mesures législatives, surtout M. Antoine, « Les Remontrances des cours supérieures au XVIIIe siècle. Essai de problématique et d’inventaire »,
Bulletin de la section d’histoire moderne et contemporaine, 8 (1971).
en matière fiscale. Théoriquement
destinés au roi et à son Conseil, ces
textes, souvent imprimés, circulent
BUDGET DE L’ÉTAT ET FINANCES ROYALES AU XVIIIe SIÈCLE
largement et constituent ainsi un foyer
d’opposition politique. Le nombre de Revenus ordinaires en 1788
remontrances est multiplié par dix
471,6

entre les années 1730 et la décen-


nie 1763-1772, rendant impossible Domaine Dons Impôts directs Impôts indirects Autres
toute mesure s’attaquant aux privi- gratuits ressources
lèges fiscaux dont bénéficie aussi la Dépenses budgétaires en 1788
noblesse parlementaire. Face à cette
633,1

opposition systématique à sa poli-


tique, Louis XV réforme radicalement les Charges, frais Service Gages, pensions, Guerre, marine Maison
parlements à la fin de son règne (réforme et divers de la dette charité et subventions Travaux et affaires du roi
publics étrangères
Maupeou, 1771). Rétablis à l’avènement
de Louis XVI (1774), les parlements 0 50 100 150 200 250 300 350 400 450 500 550 600 650
en millions de
multiplient à nouveau leurs remontrances Source : M. Morineau, livres tournois
« Budget de l’État et gestion des finances royales au XVIIIe siècle», Revue historique, n° 536, 1980.
dans la décennie 1780, mais libelles
et brochures politiques plus ou moins
séditieux concurrencent désormais cette désormais considérable et la dette qu’une partie marginale des dépenses.
littérature. Le débat investit désormais accablante : presque la moitié des La pression fiscale atteint des niveaux
l’espace public. recettes de l’État servent à payer inégalés et accable le petit peuple et
les intérêts sur la dette contractée, les paysans, soumis aussi aux rede-
Le gouffre financier qui constituent le premier poste de vances seigneuriales et à la dîme. Les
Les guerres de Louis XIV ont légué dépense, devant les frais liés au posi- ordres privilégiés ne contribuent pas
au royaume un lourd héritage, alourdi tionnement international de la France aux dépenses de l’État à la hauteur
par les conflits du XVIIIe  siècle. Les (guerre, marine, affaires étrangères). de leurs revenus. Face à l’impossibi-
recettes sont par ailleurs presque tou- Contrairement aux discours entrete- lité de leur faire accepter une réforme
jours inférieures aux dépenses. À la nus par les contemporains, la cour fiscale, le roi doit se résoudre en 1788
veille de la Révolution, le déficit est («  Maison du roi  ») ne représente à convoquer les États généraux.
20

Administrer et moderniser
le territoire
Théâtre du roi en majesté sous Louis XIV, la place royale est au XVIIIe siècle un manifeste en faveur
de l’organisation rationnelle de l’espace urbain et du projet modernisateur des Lumières. Le roi,
père de la nation et protecteur des arts et des manufactures, s’y affiche de manière plus humaine.
Dans le même temps, les agents du roi s’efforcent d’améliorer la gestion de l’espace et
l’administration du territoire.

Les intendants au cœur connaissance précise des ressources complaisantes relations d’inauguration
du dispositif monarchique dont disposent les contribuables afin et des publications ambitieuses comme
Les intendants de justice, police et d’éviter que les prélèvements soient celle des Monuments érigés en France
finances, sont des commissaires perçus comme confiscatoires. Des à la gloire de Louis XV par Pierre Patte
du roi, nommés et révocables par généralités-test comme celles de (1765), dédiée au marquis de Marigny,
lui. Dans leurs généralités d’affec- Paris sont retenues pour expérimen- directeur des Bâtiments, arts et manu-
tation, ces magistrats de formation ter la levée de cadastres qui pourront factures participent à la communication
sont présentés comme l’œil du roi servir de base fiable et actualisée aux monarchique autour de ces entreprises
et comptent désormais plus que impositions. monumentales. Les statues sont en
les gouverneurs des provinces, qui effet au cœur de l’édification de places
appartiennent à la haute noblesse Une autre image du roi royales, dites places à programme, en
d’épée, mais sont des protecteurs Sous Louis XV et également sous raison du programme architectural qui
le plus souvent éloignés. Sur le ter- Louis XVI, même si les réalisations sont leur sert d’écrin. Si à Nancy, capitale de
rain, les intendants sont en charge moins nombreuses, le roi et ses agents la Lorraine ducale récemment annexée
de très nombreux dossiers, pour les- sont soucieux de présenter une autre au royaume à la mort du beau-père de
quels ils ont besoin du concours des image que celle du «  roi de guerre  ». Louis XV (1766), Stanislas Leszczynski,
élites locales et, lorsqu’ils existent, De très nombreuses gravures, de roi déchu de Pologne, la statue montre
des bureaux permanents des États
INVESTIR L’ESPACE
provinciaux. Des ministres réforma-
teurs de Louis XVI comme Turgot au Lille

Les généralités sont représentées dans les limites du royaume de France en 1789.
début du règne et Calonne à la fin, ont Dieppe Valenciennes
(1765)
ainsi fait leurs armes dans les géné-
ralités du Limousin et de Flandre. Les Québec Le Havre Rouen Reims
intendants cherchent à améliorer les
infrastructures de transport, à stimu- Caen
Paris Nancy
ler le commerce et les manufactures. Brest Strasbourg
Avec l’essor de l’agronomie et des Rennes
thèses physiocratiques, et en raison Nantes
de la croissance de la population du Projets de Dijon Besançon
royaume, ils doivent aussi mener des place royale
sous La Rochelle
politiques « d’encouragement » agri- (1762) Poitiers
Louis XIV
cole et de lutte contre les épidémies.
Pendant les dernières décennies de Louis XV Rochefort Lyon
Issoire
l’Ancien Régime, la question de la Louis XVI
(1762)
Grenoble
refonte de l’impôt agite les milieux Place Bordeaux
ministériels et éclairés. Elle est direc- effectivement (1758-1759)
réalisée
tement liée à la connaissance et à la
Bayonne Antibes
maîtrise du territoire et de ses res- Itinéraire (1760-1761) Toulouse
Montpellier (1756)
sources par l’État monarchique. En de Vernet Aix
Port peint par Pau Sète
effet, les administrateurs ont bien Claude Joseph (1756-1757) Toulon
Marseille (1755-1756)
compris que l’enjeu majeur est celui du Vernet (date) (1754)
Bandol
nécessaire consentement des popula- Sources : musee-marine.fr et (1754)
R. L. Cleary, The Place Royale and Urban Port-Vendres
tions à l’impôt. L’obtenir passe par une Design in the Ancien Régime, Cambridge UP, Cambridge, 1999. 100 km
UN VENT DE LIBERTÉ • 21

LES TRANSFORMATIONS URBAINES À BORDEAUX ressources. Comme le roi ne va pas à


la mer (Louis XV s’est seulement rendu
Bordeaux avant 1715*
au Havre et Louis XVI à Cherbourg),

lic
Pub
Bordeaux avant la Révolution c’est la mer qui va au roi.
Ru
*Les textes entre parenthèses sont e

in
Jard
les anciennes dénominations de 1715
n’existant plus en 1789
Ba
rre
La ville des Lumières
R. yr Si la France reste essentiellement rurale,
An e
gé les villes sont perçues comme les foyers
liq

du
ue
R. T
des Lumières qui doivent irradier jusque
R. R.
rav du dans les campagnes. Intendants, archi-
Rue
e rsiè St- Bo
re Esp rie
FAUB OURG rit tectes du roi et ingénieurs des Ponts-
D ES CHA RT RON S et-Chaussées sont donc mobilisés
lo uet Dufau
Rue C Rue Ru
Corne pour mener à bien d’ambitieux projets

e
nn
ac Ru
la Te de d’aménagement de l’espace urbain.

ro
our
Jardin Lorsque les villes ne sont plus mena-

Ga
Ru Pav
e royal Cha é de
Fo rtro s
ns
cées par les guerres étrangères, les
nda
Palais Gallien ud emprises militaires sont réduites, per-
èg
e mettant à de juteux projets de spécu-
(Château Trompette)
FAU B O U RG Place Place Louis XVI lation foncière et immobilière de voir le
)
derie

St-Germain projetée jour. Dans les chefs-lieux d’intendance,


(Porte St-Germain) L A BA S T ID E
Cor

St-Seurin S T - S EU R IN les intendants favorisent un nouvel


e la

Porte Grand- urbanisme qui prévoit l’ouverture de


(Porte Théâtre
(R. d

Dauphine (Porte du Chapeau Rouge)


R. S

Médoc) places, la création de promenades et de


Se Judaïque Hôtel de la Bourse
urin R. des Fossés
t-

Fossés jardins, la rationalisation de la circulation


herine

R. des R.
Place
de l’Inten dance du Chapeau Place Royale
ng Dauphine Rouge avec l’ouverture de nouvelles rues et
R. Pont-Lo Porte Hôtel des Fermes du Roy
Rue Ste-Cat
Rue n

Dijaux l’alignement des maisons, l’édification


rti

St-Pierre
St-Ma

Remplacement de
de lieux publics comme les bourses de
Marc

l’ancienne muraille
Cathédrale
par un alignement commerce et les théâtres.
Rue nde

St-André
ha

St-Projet de nouveaux bâtiments


Architectes, ingénieurs du roi et admi-
é de
Cabernan

Porte Bourgogne
Fossgogne s) nistrateurs s’efforcent d’utiliser ces
Rue du
Foss neurs

r (des Salinières)
Bou alinière
Tan

S chantiers monumentaux comme des


é de

Fort (des
du Hâ vecteurs de modernisation de l’es-
s

Fossé
C des Fossé de St-Michel pace urbain en accord avec les idées
Porte armes l’Hôtel-de-Ville
de Berry des Lumières  : favoriser la circulation
R. Bouhaut

(Ste-Eulalie) Porte de la Monnaie


de l’air, faciliter les déplacements des
Porte
d’Aquitaine Porte personnes et des biens, assurer la pro-
(St-Julien) des Capucins Ste-Croix
tection des populations et favoriser l’ac-
Place
d’Aquitaine Marché tivité économique. Les autorités munici-
aux bœufs
Fort Louis
pales doivent non seulement prévoir le
200 m
financement des opérations, dont elles
Source : M Figeac (dir.), Histoire des Bordelais.
La modernité triomphante (1715-1815), escomptent en retour des avantages
Mollat, Bordeaux, 2002.
sous forme d’allègements fiscaux, mais
aussi s’approprier l’espace urbain dans
un roi qui désigne et protège la fron- risque de critiques de la part d’une opi- une perspective de progrès général et
tière orientale, à Reims, le souverain nion publique en cours de formation, de prospérité partagée.
est présenté en citoyen romain. Sous et de celle d’hommes des Lumières Lorsque ces projets rencontrent,
Louis XVI, Paris, Nancy, Brest et Nantes comme Diderot qui glisse de la critique comme à Bordeaux, les attentes des
envisagent de construire des places d’art naissante aux réflexions poli- bourgeoisies locales, la métamorphose
royales pour célébrer le nouveau roi, tiques dans « Le monument de la place est réussie. Le château Trompette sou-
mais seule Nantes commence les tra- de Reims ». venir de la méfiance que Louis XIV
vaux. La Révolution s’attaque en 1792 De grandes commandes royales éprouvait pour la ville frondeuse dispa-
avec violence aux statues royales, dont comme celle des 24 tableaux de ports raît, une place royale est projetée, et la
beaucoup disparaissent. de France passée au peintre Joseph ville s’ouvre sur le fleuve, son poumon
Cependant, le coût d’un monument Vernet en 1753 (il en réalisa quinze économique. Le quai des Chartrons
royal est élevé. Celui de Reims aurait avant 1765) permettent également devient ainsi le symbole du dynamisme
ainsi coûté 400 000 livres, ainsi qu’une non seulement d’exalter la grandeur du négoce et le Grand Théâtre le sym-
rente viagère pour Pigalle de 4  000 du royaume mais aussi d’embras- bole des ambitions d’une métropole
livres par an. C’est donc prendre le ser symboliquement l’étendue de ses provinciale.
22

L’impact des Lumières


Pour le philosophe Emmanuel Kant, Sapere Aude !, « Ose Savoir ! », traduit l’esprit des Lumières,
cette floraison d’idées nouvelles et critiques qui parcourent l’Europe. En cherchant à régénérer le
lien social, en plaidant pour un libre usage de la raison, en contestant le principe d’autorité fondé
sur la tradition, elles participent à l’ébranlement de l’Ancien Régime. La soif d’informations
augmente tandis qu’émergent de nouvelles formes de sociabilité.

L’essor de la presse LE MARCHÉ DU LIVRE CLANDESTIN


et du livre clandestin
L’espace public en cours de formation a
Ostende
besoin d’une information abondante pour Dunkerque
provoquer les débats et les réactions. De Bruxelles (grossiste)
nombreux périodiques francophones
imprimés hors du royaume, souvent par Contrebandiers
Caen SAINT EMPIRE
d’anciens réfugiés protestants, accèdent
ainsi au marché français, illégalement ou (grossiste
détaillant)
avec l’autorisation des autorités qui en
tirent de juteux bénéfices. La révolution
postale des années 1760 et la pratique 5 livres
Paris Metz
des abonnements groupés font chuter le Colporteurs
coût de l’information. La presse provin- FRANCE
6 livres
ciale explose littéralement à la veille de la
Révolution. Sur les marges du royaume Lecteurs
se développe également une industrie 7-9 livres
Neuchâtel (imprimeur)
du livre qui alimente le marché français SUISSE
Prix du livre à différentes 1 livre 6 sous
en contrefaçons et en livres interdits. X étapes de son parcours
Les risques sont réels, notamment pour Source : R. Darnton, Gens de lettres, gens du livre, O. Jacob, Paris, 1992. Genève
les intermédiaires, mais la perspective
de gros bénéfices est attractive. Ces
ouvrages, tel le Système de la nature du
baron d’Holbach, corrodent l’idéologie charitables, cénacles littéraires et mon- à l’élection des officiers. On y travaille
monarchique et ses piliers par l’usage dains, académies des lettres, sciences à la régénération du lien social, à trans-
de la dérision, de la raison critique, de et arts munies de patentes royales – former la bienfaisance en philanthropie,
la pornographie, de l’irréligion et viennent s’ajouter de nouvelles socié- à porter un autre regard sur l’homme et
du matérialisme. Des administrateurs tés qui touchent un public plus large à devenir citoyen de la république uni-
éclairés et même des ministres favorisent et n’ont pas de reconnaissance offi- verselle des francs-maçons. Les strates
la diffusion des Lumières et permettent cielle. Introduite en France depuis les supérieures du tiers état s’y pressent
à des ouvrages interdits, comme îles Britanniques à partir des années aux côtés de l’aristocratie de robe et
l’Encyclopédie de Diderot – lorsque son 1720, la franc-maçonnerie réunit plus d’épée, mais le nombre élevé des loges
privilège royal est révoqué – de conti- de 900 loges et 40 à 50 000 membres permet aussi à la petite et moyenne
nuer à être diffusés. Signe des temps, à la veille de la Révolution. D’abord bourgeoisie d’entrer dans l’espace
la censure, qu’on nomme alors surveillée et même interdite, elle est fraternel du temple. Dans le même
«  Librairie  », est elle-même obligée de ensuite largement tolérée. Diffusée à temps, suivant la mode anglaise, des
composer. C’est la pratique de la permis- travers tout le royaume, son succès est clubs se créent. Les sociétés de lec-
sion tacite : l’ouvrage n’a pas de privilège sans équivalent. Elle ne fomente aucun ture et les bibliothèques publiques se
royal mais n’est pas interdit. complot révolutionnaire, mais multiplie développent tandis que les « musées »
les démonstrations de fidélité sincère à élargissent et renouvellent l’offre de
Une sociabilité nouvelle la monarchie qui la tolère. Cependant, sociabilité culturelle des académies en
Aux formes traditionnelles de la sociabilité elle habitue ses membres à la pratique proposant des cours gratuits consacrés
d’Ancien Régime – confréries pieuses et de la prise de parole en public, au vote, à la diffusion des « sciences utiles ».
UN VENT DE LIBERTÉ • 23

L’ESPACE PUBLIC DES LUMIÈRES


Lille
Arras Valenciennes
LA PRESSE PROVINCIALE
Date de la première création Amiens
Durée de vie Compiègne
Rouen Metz
Avant 1770 22 à 59 ans Caen Senlis Reims
16 à 20 ans Meaux Strasbourg
1770-1773
Chartres
1774-1782 6 à 15 ans Sens Troyes
Rennes Le Mans Montargis Colmar
1783-1789 1 à 5 ans Auxerre
Orléans
Source : G. Feyel, « La presse provinciale française dans la seconde
moitié du XVIIIe siècle : géographie d’une nouvelle fonction urbaine», Nantes Angers Tours Besançon
in La Ville et l’innovation (...), B. Lepetit et J. Hoock (dir.), EHESS, Paris, 1987. Bourges Dijon
Poitiers Moulins
La Rochelle
Saintes Limoges Lyon
Clermont-
Ferrand
Périgueux Grenoble
Bordeaux

Montauban
Nîmes
Toulouse Montpellier Aix

Marseille
Perpignan

LES LOGES MAÇONNIQUES


Nombre d’ateliers connus par ville*
dans la seconde moitié du XVIIIe siècle
33
15
7
1 *Hors Paris

Date de création de la première loge


Avant 1760
Entre 1760 et 1780
Après 1780
Absence de date

Arras
Amiens
D’après J. Boutier, Atlas de l’histoire de France.
Cherbourg Soissons
La France moderne XVIe-XIXe siècle, Autrement, Paris, 2006. Rouen
Caen Châlons Metz

Brest Nancy
Troyes
Orléans
Auxerre
Angers Dijon Besançon
ACADÉMIES ET SOCIÉTÉS LITTÉRAIRES
Académie Bourg
La Rochelle
Chambre de lecture et société littéraire Villefranche
Clermont- Lyon
Dates de création Ferrand
Avant 1715 Grenoble
Bordeaux Valence
De 1715 à 1750 Montauban
De 1751 à 1789 Agen
Nîmes
Montpellier
Absence de date Toulouse Arles
Sources : D. Roche, Le Siècle des Lumières en province, tome II, Pau
Éditions de l’EHESS, Paris, 1994 ; H. Drévillon, Introduction à l’histoire Castres Béziers Marseille
culturelle de l’Ancien Régime XVIe-XVIIIe siècles, Sedes, Paris, 1997.

Les généralités sont représentées dans les limites du royaume de France en 1789. 100 km
24

Puissance démographique
et attraction urbaine en France
Avec ses 28 millions d’habitants, soit un gain de 25 % sur un siècle, la France est toujours en 1789
le pays le plus peuplé d’Europe. Cette croissance démographique accentue la pression sur
les ressources et alimente la croissance urbaine. La légère diminution de la mortalité infantile
et l’absence de crises de mortalité dramatiques font en sorte que la population française à la veille
de la Révolution est relativement jeune.

Un territoire de plus la hausse démographique surtout différences substantielles séparent


en plus plein en agissant sur l’âge au mariage, des villages à l’agriculture traditionnelle
La France connaît au XVIIIe siècle une qui ne cesse d’augmenter depuis de ceux où se pratiquent des activités
croissance démographique soutenue, le XVIe siècle et qui constitue le seul proto-industrielles. En fournissant des
même si le taux est inférieur à celui moyen relativement efficace de contrô- ressources complémentaires aux
d’autres pays européens. Sa popula- ler une natalité encore largement jeunes ménages, l’activité industrielle à
tion passe de 22 à 28 millions d’habi- contenue au sein du mariage. domicile en milieu rural contribue à son
tants entre 1715 et 1789, mais surtout, La croissance de la population tour à accentuer la croissance démo-
la croissance n’est plus, contrairement française sur le territoire n’est pas graphique, car elle assure la viabilité
aux siècles précédents, interrom- homogène : elle est particulièrement de nouveaux couples que l’agriculture
pue par des épidémies de peste qui intense dans les provinces de l’Est, traditionnelle ne peut pas assurer.
effacent d’un trait le surplus cumulé dépeuplées par les guerres de Louis Pour les jeunes gens qui arrivent plus
au fil des décennies. Dans ce monde XIV, ou encore dans le Massif central, nombreux à l’âge adulte, il ne reste
de plus en plus plein, sur fond de res- véritable désert humain au début du le plus souvent qu’à partir en ville à
sources limitées, les Français freinent siècle. À une échelle plus fine, des la recherche de travail.

LE ROYAUME LE PLUS PEUPLÉ D’EUROPE Comment expliquer la hausse


La France en 1778-1787 démographique ?
Superficie : 541 869 km2 Lille Une hausse démographique peut s’ex-
Population : 26 109 000 hab. Valenciennes
Densité : 48,2 hab./km2
pliquer soit par une augmentation des
Amiens naissances, soit par une baisse de la
Rouen mortalité. Or, la natalité en France, de
Soissons
Caen Metz l’ordre de 35 à 38 pour 1 000, a plu-
Paris Châlons Strasbourg
Alençon Nancy tôt légèrement baissé. La mortalité
Rennes
ordinaire demeure tout aussi élevée.
Orléans
Elle frappe surtout les enfants en bas
Tours âge : presque un Français sur deux
Dijon
Évolution de Besançon ne survit pas à son enfance. De
Bourges
la population légères améliorations sont toutefois
Poitiers
par généralité Moulins perceptibles et la peste fait sa dernière
entre 1700 et La Rochelle
apparition à Marseille en 1720. Ceci
1778-1787, en % Riom Lyon
Limoges suffit à enclencher une hausse qui
Plus de 100
Grenoble
se révèle durable. Si des crises de
De 50 à 100 Bordeaux surmortalité existent dans les années
de 40 à 50 de mauvaises récoltes, elles n’enrayent
de 20 à 40 Montauban plus la croissance.
Montpellier L’amélioration climatique, de
de 10 à20 Auch Toulouse Aix
de 0 à 10
modestes gains dans la productivité
agricole et la diversification partielle
Moins de 0 Perpignan Bastia des cultures ont permis aux Français
Absence de données (les généralités de mieux résister face à la mort, alors
de Nancy et de Bastia ne sont pas françaises
en 1700, celle de Auch est créée en 1716) que seules les villes portuaires ou flu-
Source : J. Dupâquier, Histoire de la population francaise, PUF, Paris, 1991. 100 km viales bénéficient des importations
UN VENT DE LIBERTÉ • 25

L’URBANISATION EN FRANCE croissance. Paris domine, mais ce


Dunkerque n’est pas la ville française qui connaît
Lille
St-Omer la hausse la plus spectaculaire  :
Douai Valenciennes le primat revient aux ports insérés
Arras
Abbeville Cambrai dans un commerce de long cours en
Dieppe Amiens
Rouen Beauvais Sedan pleine expansion. Au cours du siècle,
Le Havre Reims Verdun Metz Bordeaux passe ainsi de 45 000 habi-
Caen tants à plus de 100  000 (absorbant
St-Germain Châlons
Brest
St-Malo Lisieux Versailles Paris Strasbourg
la croissance démographique de
Alençon Bar-le-Duc
Morlaix Nancy Lunéville
Vitré Troyes sa généralité), Marseille récupère rapi-
Rennes Chartres
Laval dement les 50 000 morts de la peste
Lorient Orléans Auxerre Colmar
Vannes Angers Tours de 1720 et double sa population.
Blois
Nantes Bourges Dijon Besançon Le tissu urbain français est large-
Saumur Issoudun
Nevers ment hérité du passé, à l’exception
Poitiers Chalon
Châteauroux Moulins du Havre, de Lorient et de Rochefort
La Rochelle Niort qui ont été fondés à l’époque
Limoges Riom
Population des villes Rochefort Thiers Lyon moderne. Si elles dépendent pour
Clermont-
françaises de plus Ferrand leur survie et pour leur approvisionne-
Angoulême
de 10 000 habitants St-Étienne Vienne Grenoble ment des campagnes, les villes conti-
vers 1780,
en milliers Bordeaux Le Puy nuent à encadrer et dominer celles-ci.
600 Elles sont le siège de toutes les
AgenMontauban Alès administrations royales, provinciales
150 Nîmes
50 Montpellier Grasse et ecclésiastiques, et c’est vers elles
20 Arles
10 Bayonne Toulouse Aix que s’achemine l’essentiel de la
Castres
Carcassonne rente foncière et seigneuriale. Elles
ToursVilles de plus Béziers
de 20 000 hab. Marseille Toulon sont aussi le lieu par excellence de
Perpignan
Agen Villes de moins l’instruction et de la culture savante.
de 20 000 hab.
D’après J. Boutier, Atlas de l’histoire de France. La France moderne XVIe-XIXe siècle, Autrement, Paris, 2006. 100 km
L’attraction urbaine
Hormis dans quelques petites villes
L’ATTRACTION DES MÉTROPOLES au solde naturel positif, les villes
L’ATTRACTION L’ATTRACTION françaises sont peuplées en géné-
PARISIENNE BORDELAISE
ral par des individus venus d’ailleurs.
La majorité des migrants provient des
alentours. Par leur importance et le
marché du travail qu’elles offrent, les
grandes villes attirent toutefois sur un
rayon plus vaste. L’attraction borde-
laise s’exerce sur tout le quart sud-
ouest de la France, alors que Paris
recrute ses habitants essentiellement
Nombre
d’immigrants selon Immigration au mariage, 1782-1791* au nord d’une ligne reliant Saint-Malo
le département d’origine en 1793, en ‰ 2 114 à Genève. Des immigrations spéci-
*pour les départements
438 fournissant plus de 0,5 % fiques existent toutefois, comme celle
5,5 12,5 17,5 22,5 27,5 29 des époux bordelais qui amène les maçons auvergnats vers
Sources : J. Boutier, Atlas de l’histoire de France. La France moderne XVIe-XIXe siècle, Autrement, Paris, 2006 ;
J-P. Poussou, Bordeaux et le Sud-Ouest au XVIIIe siècle, Éditions de l'EHESS, Paris, 1983. 200 km une capitale en perpétuel chantier.
Ces mouvements migratoires ne sont
depuis l’étranger en temps de crise, rural : quatre Français sur cinq vivent pas tous définitifs, ainsi les sources
dont le coût de transport par voie dans des agglomérations de moins ne traduisent qu’imparfaitement la
terrestre est prohibitif. En dépit des de 2 000 habitants, et trois sur quatre circulation réelle des hommes : outre
tentatives de réforme, la libre circu- sont des paysans. Le XVIIIe  siècle les métiers saisonniers, liés à un calen-
lation des grains est freinée par les voit pourtant une croissance urbaine drier agricole dominant, beaucoup
difficultés liées à leur circulation, plus significative  – mais guère révolu- de jeunes filles se rendent en ville
encore que par les prohibitions légales. tionnaire – soutenue par la hausse comme servantes le temps nécessaire
démographique générale  : le « trop- à constituer une dot.
L’essor des villes plein  » des campagnes se déverse
À la veille de la Révolution française, dans les villes. Ce n’est que l’afflux
la France demeure un pays largement constant de migrants qui permet leur
26

La France en 1789 :
une économie prospère ?
Dans les années 1780, l’agriculture nourrit tant bien que mal six millions de Français de plus qu’au
début du siècle ; la production industrielle et le commerce extérieur ont également augmenté.
L’économie française est-elle pour autant prospère ? La crise économique de la fin des années
1780 ne montre-t-elle pas plutôt sa fragilité ? La réponse, complexe, dépend aussi de l’échelle
spatiale adoptée : les Français n’évoluent pas dans un espace national uniforme.

Vrais progrès ou faux- LES COMMERCES EXTÉRIEURS FRANÇAIS ET BRITANNIQUE


semblants ? Structure du commerce français, 1787
La production industrielle et le com- Importations
merce extérieur français connaissent
Biens industriels Autres biens Matières Denrées
au XVIIIe siècle une forte croissance. et alcools agricoles premières coloniales
La perte de vitesse des corporations
Exportations
urbaines, contestées et peu réac-
tives aux marchés, contraste avec le Structure du commerce britannique, 1784-86
dynamisme de certains complexes Importations
industriels et de la proto-industrie, qui Biens Autres biens Matières Denrées
approvisionnent les marchés intérieur, industriels agricoles et divers premières coloniales
colonial et européen. Les toiles fran- Exportations
çaises se retrouvent ainsi en Amérique 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 %
du Sud, après avoir transité par Cadix Source : G. Daudin, Commerce et prospérités. La France au XVIIIe siècle, Presses de l’université Paris-Sorbonne, Paris, 2005.
via Saint-Malo. Si en valeur absolue la
France est un très grand producteur
textile et métallurgique, et si la qualité LE TISSU INDUSTRIEL FRANÇAIS AU XVIIIe SIÈCLE
de ses manufactures la place en posi- Dunkerque 1. Rouen
2. Elbeuf
tion concurrentielle dans les marchés DRAPS Lille
3. Romilly
Anzin
ET TOILES
du luxe, la production par tête reste 4. Louviers
Aniche
Abbeville
inférieure à la britannique dans plu- Bolbec Charleville 5. Les Andelys
Amiens
sieurs secteurs clés. De plus, alors que 1 TAPISSERIES St-Gobain Sedan
Le Havre 3 Hombourg
2 Beauvais
la Grande-Bretagne exporte surtout Littry Caen 5 Hayange
St-Malo 4 Reims
des produits industriels, les exporta- DRAPS Jouy Paris Niederbronn
tions françaises se concentrent sur les TOILES
DENTELLES
Alençon
Troyes
produits agricoles (en particulier vin, Rennes Orléans
Laval
Source : G. Richard, La Noblesse d’affaires au XVIIIe siècle, Armand Colin, Paris, 1997.

sucre et café). Les colonies occupent Lorient Montargis


en effet une part croissante dans la Indret Tours Amboise
structure du commerce français, mais Nantes Cholet SOIERIES Nevers
elles n’ont qu’un faible effet d’entraî- Le Creusot

nement sur l’ensemble de l’économie, Sidérurgie


traditionnelle
dans la mesure où les produits colo- (fourneaux et La Rochelle Limoges Aubusson Roanne
Lyon
niaux sont le plus souvent réexportés forges à bois)
TAPISSERIES SOIERIES
Industrie textile Ruelle St-Étienne
tels quels. En revanche, les colonies dispersée (paysans Tulle
contribuent à enrichir le négoce por- travaillant à domicile)

tuaire, à redresser la balance commer- Bassins houillers Bordeaux


ciale française, à fournir des débou- Usines
métallurgiques Alès
Carmaux
chés à l’agriculture française (vin, modernes Albi Nîmes
farine) et à son industrie, et à soutenir Industrie Toulouse DRAPS
du coton Castres Montpellier
ainsi des milliers d’emplois. DRAPS
Grands ports Marseille
Si le commerce extérieur n’a cessé
de croître au cours du siècle, l’accès Villes textiles
des Français à ses produits demeure Verrerie Céramique Sucreries 100 km
UN VENT DE LIBERTÉ • 27

inégal, bien que les réseaux du colpor- LA CRISE CÉRÉALIÈRE DE LA FIN DU XVIIIe SIÈCLE
tage maillent le territoire et permettent
Prix du froment au setier de Paris dans les généralités (en livres tournois)
d’atteindre les populations rurales. 35
De fortes disparités existent d’une
Franche-Comté
province à l’autre et la majorité des 30

Français ne peuvent pas accéder à la 25


plupart de ces biens.
20

Une économie céréalière 15


fragile Hainaut
L’économie de la France repose sur 5

l’agriculture. Source principale de 0


richesse – la rente foncière, seigneu- 1756 1760 1770 1780 1790
riale et ecclésiastique en dépend –, Source : E. Labrousse, La Crise de l’économie française à la fin de l’Ancien Régime, PUF, Paris, rééd. 1990.

elle est aussi fondamentale pour la


survie de la population. La producti-
vité étant faible, seul un Français sur
quatre échappe au travail agricole.
CULTURES ET RESSOURCES À PEAUGRES (ARDÈCHE)
Puisque le coût de transport par voie
À LA FIN DU XVIIIe SIÈCLE
de terre des pondéreux est prohibitif,
les prix entre deux généralités peuvent
varier de un à trois. La majorité
des Français produisent localement
l’essentiel des céréales nécessaires
à leur alimentation. Cette nécessité
vitale influence depuis des siècles
l’organisation sociale et productive
des villages et explique les limites
imposées à la circulation des grains.
Les contraintes collectives portant
sur la terre visent à assurer la survie
de la communauté : les cultures des
labours, l’usage des terrains incultes
(pâturages, foin) et des biens commu-
naux qui fournissent des apports indis- Jardin
pensables (bois, baies, champignons) Verger
sont déterminés par l’assemblée villa- Pré entretenu
geoise, permettant aux plus démunis Terres
labourables
de disposer gratuitement de bois de
Rochers Vigne
chauffage et de quelques ressources
Ruisseau Châtaigneraie
alimentaires. Selon le terroir et le cli-
mat, vignes et châtaigneraies offrent Principal chemin Bois
500 m Incultures
des compléments alimentaires non Village, hameau (landes, pâtis,
D’après A. Molinier, Stagnation et croissance.
négligeables, alors que jardins, vergers Le Vivarais aux XVe-XVIIIe siècles, Éditions de l’EHESS et Jean Touzot, Paris, 1985. herbages)

et basses-cours permettent de diver-


sifier le régime alimentaire. L’équilibre Bien que la pression seigneuriale, les pour la consommation du paysan
est toutefois fragile, d’autant plus que atteintes portées aux biens commu- producteur peut se réduire au-
la hausse démographique accen- naux ou des décisions politiques (libé- dessous d’un seuil perçu comme
tue la pression sur les ressources. ralisation du commerce des grains) minimal. La diversification des
Si les besoins d’une population plus aggravent la précarité, les crises agri- cultures, l’introduction plus soute-
nombreuse ont stimulé des améliora- coles sont provoquées par le climat. nue de nouvelles plantes (pomme
tions agricoles, les Français ne sont Des gelées au printemps, des pluies de terre, maïs) permettent d’évi-
pourtant pas à l’abri d’une mauvaise intenses à l’été, réduisent les quanti- ter de véritables famines, mais pas
récolte, qui accentue les difficultés tés produites. Une fois payés l’Église les difficultés économiques liées
des journaliers agricoles sans terre, (dîme), les droits seigneuriaux, la taille aux mauvaises récoltes. Celles
des petits exploitants et des salariés et les autres impôts directs, et une de 1787-1789 contribuent à expli-
urbains, incapables d’acheter des fois mises de côté les semences pour quer le climat d’insatisfaction et les
céréales dont les prix flambent. l’année suivante, la part disponible tensions qui précèdent la Révolution.
28

La France en crise
Les difficultés financières et industrielles des années 1780, et plusieurs années de récoltes
médiocres ou franchement mauvaises ont fragilisé non seulement les couches les plus pauvres
de la société française, mais aussi la petite bourgeoisie des métiers qui redoute de se retrouver
déclassée – elle formera souvent l’ossature du mouvement sans-culotte. Dans les campagnes,
les tensions et rébellions se multiplient.

Crise économique et pauvreté ces chômeurs s’attroupent lors des philanthropiques témoigne de ce que
Depuis 1778, les fluctuations des prix grandes périodes de travaux agri- les élites éclairées ont conscience de
agricoles fragilisent les petits produc- coles. Les débordements violents ne la fragilité du tissu social.
teurs. La sécheresse et les épizooties sont pas rares. Les «  bacchanales  »
frappent les élevages. Avec la baisse désignent ces mouvements de grève Cherté des grains et agitations
du profit agricole dans les grandes pour empêcher le travail et forcer le sociales
plaines céréalières comme le pays fermier à accepter des salaires justes. Le souvenir de la guerre des Farines
chartrain, le chômage augmente en Lorsque la pauvreté explose, la solida- (1775) et de ses troubles – les émeu-
flèche parmi les ouvriers agricoles rité villageoise ne peut plus faire face et tiers se sont rendus jusqu’au château
et les salaires diminuent. Certaines des bandes de mendiants se forment, de Versailles – est encore très vif au
branches textiles sont durement affec- errant sur les routes. La peur du bri- milieu des années 1780. L’absence
tées par le traité de libre-échange gandage se développe alors, notam- ou la faiblesse de l’intervention de la
franco-britannique de 1786. Pour faire ment dans les villes mieux ravitail- monarchie et de ses représentants
pression sur le marché de l’embauche, lées. Le développement des sociétés ont largement véhiculé la thématique

L’EXPLOSION DE LA MENDICITÉ DANS LA BEAUCE


Étrangers Nombre
de mendiants
selon leur
e origine
e Ois
Sein 1
Paris
2
Versailles voir zoom 3
SEINE- SEINE
ET-OISE 5à8
Eur
e 10 à 11
ge
Chartres Or 34

EURE-
ET-LOIR
Loir
nne RÉPARTITION DE LA PROPRIÉTÉ
Esso FONCIÈRE EN BEAUCE
(ANNÉES 1774-1790)

LOIRET Officiers royaux................................... 26,96 %


Lo

Commerce............................................. 19,77 %
ing

Orléans Nobles.................................................... 18,68 %


Professions libérales........................... 17,54 %
« Bourgeois »............................................ 5,93 %
Loir Ruraux*................................................... 5,03 %
e Artisanat.................................................. 3,44 %
Petits rentiers............................................ 1,53 %
Cadres inférieurs..................................... 0,33 %
Salariat.................................................... 0,17 %
20 km Indéterminés.......................................... 0,62 %
Source : M. Vovelle, Villes et campagnes au XVIIIe siècle (Chartres et Beauce), Éditions sociales, Paris, 1988. *Laboureurs 3,29 % et vignerons 1,73 %
UN VENT DE LIBERTÉ • 29

du « complot de famines  » et enta-


LES ÉMEUTES DE SUBSISTANCE
ché la figure de père nourricier du
monarque. À la liberté du commerce

Les généralités sont représentées dans les limites du royaume de France en 1789.
des grains prônée par les libéraux et
les réformateurs de l’Ancien Régime,
les partisans de l’économie morale
opposent la thèse de la singularité du
marché des céréales. Il ne s’agit pas
de productions ordinaires, mais d’un
« bien d’intérêt commun » qui ne peut
être abandonné à la spéculation et
aux aléas du marché. La hausse des
prix du grain consécutive aux mau- Mouvements
ruraux pour
vaises récoltes provoque des pillages les subsistances
de boulangerie et des phénomènes de Émeutes
« taxation » (les émeutiers imposent le urbaines pour
prix qu’ils estiment équitable) sur les les subsistances
marchés. Ces « pré-émeutes » (Steven Mouvements
ruraux contre
L. Kaplan) peuvent à tout moment les droits féodaux
dégénérer. Elles peuvent associer aux Émeutes
antiféodales
soucis de subsistance une contesta-
isolées
tion des droits féodaux. Émeutes provençales
combinant lutte contre
la vie chère et lutte antiféodale
La « réaction féodale » Source :
100 km
et ses conséquences A. Ado, Paysans en Révolution. Terre, pouvoir et jacquerie, 1789-1794, Société des Études Robespierristes, Paris, 1996.

Soucieux de conforter leur rente


foncière, les propriétaires terriens rené-
gocient à la hausse les baux des terres
qu’ils donnent à ferme aux exploitants L’ENVOLÉE DES DROITS SEIGNEURIAUX
agricoles. Le poids pour les exploitants % des prélèvements par rapport au profit
est d’autant plus lourd que la majo- 50
Dîme et droits Aides
rité des terres ne leur appartient pas. seigneuriaux
Dans le même temps, pour accroître 40 Propriétaire à stock moyen
leurs revenus, les seigneurs laïques et Propriétaire sans stock
ecclésiastiques détenteurs de droits
30
féodaux (champarts, lods et ventes,
banalités ou dîmes) remettent de
l’ordre dans leurs archives (terriers), 20

en engageant des feudistes (spécia-


listes des droits féodaux) qui exhu- 10
1770 1775 1780 1785 1790
ment d’anciens droits et exigent le
Source : E. Labrousse, La Crise de l’économie française à la fin de l’Ancien Régime, PUF, Paris, rééd. 1990.
paiement des arriérés. L’un d’eux
en Picardie maritime n’est autre que
Gracchus Babeuf qui, par la suite,
sera à l’origine de la conjuration des LES TROUBLES ANTIFÉODAUX
Égaux et d’une forme de communisme MARS-AVRIL JUILLET
agraire. À cette «  réaction féodale  », 1789 1789
les paysans réagissent non seule-
ment par la violence active ou par la
résistance passive, mais aussi sur le
terrain juridique. Partout, ils exigent la Chaque point figure
production des titres de propriété esti- un foyer de troubles.
Les surfaces représentent
mant que la terre appartient à celui qui une aire de troubles
la travaille. Lorsque la Révolution aura généralisés.
commencé, la mise à feu des châteaux
permettra de détruire les archives
seigneuriales et les preuves de rede-
D’après M. Vovelle, La Découverte de la politique, La Découverte, Paris, 1993. 150 km
vances dues.
30
31

Entrer en
Révolution
La convocation des États généraux inaugure avec l’élection
des députés des trois ordres et la rédaction des cahiers de
doléances une ère nouvelle sans que les 28 millions de Français
n’aient encore conscience de rompre avec « l’Ancien Régime ».
Comme l’écrivent les rédacteurs du cahier de doléances
d’une paroisse du futur département de la Sarthe, il s’agit alors
surtout de « rouvrir la communication directe et si désirée entre
ses peuples fidèles et leur roi ». Les appels à une régénération
nationale ne datent pas de 1788-1789, et ils se poursuivent
bien après l’adoption de la Constitution de 1791. De même,
des appels à terminer la Révolution pour en sauvegarder les
acquis sans précipiter le pays dans le chaos scandent toute
la décennie révolutionnaire. C’est donc l’apprentissage
d’un processus inédit de transformation radicale que font
des hommes et des femmes qui sont tous nés sous
l’Ancien Régime.
32

Des cahiers de doléances


à l’été 1789
En 1787, l’échec des tentatives de réformes est manifeste. La nécessité de convoquer les États
généraux – une première fois depuis 1614 – s’impose chaque jour davantage. À Vizille, le 21 juillet
1788, les représentants du Dauphiné réclament des États généraux et le doublement du nombre
de représentants du tiers état. En janvier 1789, l’abbé Sieyès publie un pamphlet retentissant :
Qu’est-ce que le tiers état ?

Une consultation À la base de la pyramide d’assemblées sont eux convoqués au niveau supé-
sans précédent électorales, constituée par les assem- rieur, celui des baillages.
Sous la pression, Louis XVI finit par blées primaires à raison d’une par
accepter la convocation des États paroisse dans les campagnes, et d’une Les cahiers de doléances
généraux et consent au doublement par paroisse ou par communauté de À côté du processus électoral, la rédac-
des représentants du tiers état, mais métier dans les villes, sont convoqués tion des cahiers de doléances est
le vote par ordre donne deux voix aux « tous les habitants [de sexe masculin, l’autre enjeu majeur des mois qui pré-
ordres privilégiés (clergé et noblesse), mais des veuves sont admises comme cèdent la réunion des États généraux.
contre une au tiers état. Seul le vote chef de famille, et les métiers féminins Les trois ordres sont en effet invités à
par tête équilibrerait donc le rapport ont rédigé leurs cahiers à l’instar des présenter au roi leurs doléances. On
de force, or le roi se garde bien d’abor- communautés masculines] composant dénombre 45 000 cahiers. Pour le tiers
der l’épineuse question de la déli- le tiers état, nés français ou naturalisés, état, à chaque étape des opérations
bération. Le règlement électoral du âgés de vingt-cinq-ans, domiciliés, et électorales de désignation des députés
24 janvier 1789 fixe les conditions d’élec- compris au rôle des impositions ». Les correspond la rédaction d’un cahier : à
tion des députés aux États généraux. membres du clergé et de la noblesse la base, les cahiers des communautés

COMMENT S’ADRESSER AU ROI DANS LES CAHIERS DE DOLÉANCES


TYPES D’HOMMAGES RENDUS AU SOUVERAIN L’ART DE DEMANDER
DANS LES CAHIERS DE DOLÉANCES DANS LES CAHIERS DE DOLÉANCES
(SUR 661 CAHIERS ÉTUDIÉS) (SUR 574 CAHIERS ÉTUDIÉS)

Normandie Normandie
Île-de-
Île-de- France
France

Champagne Champagne

Quercy
Quercy
Languedoc Languedoc

Nombre Nombre
d’hommages : de demandes :
66 1 780
27
487
Roussillon Roussillon

121 hommages en tant que roi «père » 640 suppliques 1 489 demandes

161 hommages en tant que roi «citoyen» 1 123 désirs 3 903 demandes impératives
Source : P. Grateau, Les Cahiers de doléances, une relecture culturelle, PUR, Rennes, 2001.
100 km
ENTRER EN RÉVOLUTION • 33

LA CIRCULATION DE MODÈLES GRANDE PEUR ET RÉVOLUTION MUNICIPALE


DE CAHIERS DE DOLÉANCES
Charges
d’un bon Lille
citoyen de Manche
Instructions Délibérations campagne Amiens
du duc du tiers de Rennes Rouen Estrées Metz
d’Orléans 22-27 déc. 1788 Caen Reims
Romilly
Brest Paris Strasbourg
Nancy
La Ferté Troyes
Rennes Orléans
St-Florentin
Tours
Nantes Angers Dijon Besançon
Baguer-
Morvan Poitiers Louhans
1 avril 1789
er
Clermont-
OCÉAN Limoges Ferrand Lyon

ATLANTIQUE Ruffec
Grenoble
Bordeaux

Lanvallay Montauban Nîmes


1er avril 1789 Toulouse Montpellier
Marseille Toulon
100 km Mer Méditerranée

La Grande Peur La révolution municipale


Saint-Judoce Région Épicentres des Comités substitués aux Pouvoir
1er avril 1789 non touchée principales paniques anciennes municipalités partagé
Troubles Anciennes municipalités
Courant de la peur
antérieurs restées en place
Sources : M. Vovelle, La Chute de la monarchie, Le Seuil, Paris, 1972 et
L. Hunt, Revolution and Urban Politics in Provincial France, Stanford University Press, Stanford, 1978.

Sens de circulation entre nobles et paysans au cours des


Un article... des idées La Grande Peur et la révolution troubles de l’été 1789. La Grande Peur
... inspiré ... original
municipale fait craindre à l’assemblée réunie à
des Instructions de Baguer- Alors que les représentants convoqués Versailles un désordre généralisé. Les
du duc d’Orléans Morvan à Versailles initient une révolution poli- députés débattent des moyens de
... inspiré ... original de tique, au cours de l’été 1789, la peur réprimer les désordres avant de s’orien-
des délibérations Lanvallay
de la ville de Rennes des bandes de vagabonds se répand ter vers une réponse à la hauteur de
sur les marchés et dans les cam- l’événement  : l’abolition solennelle et
... inspiré des ... original de
Charges d’un bon Saint-Judoce pagnes. La rumeur enfle : les bandits symbolique – la plupart des droits étant
citoyen de campagne et les brigands menacent d’égorger rachetables – des privilèges et de la
D’après P. Grateau, Les Cahiers de doléances, les paysans, de brûler les villages et société d’ordres. C’est la fameuse nuit
une relecture culturelle, PUR, Rennes, 2001.
de piller les récoltes. Le souvenir de du 4 août.
rurales et de métiers ou des paroisses, la « guerre des Farines » (1775) est en Pendant la même période, le territoire
puis un cahier du tiers état par bailliage ; effet très prégnant et les mauvaises est secoué par la « révolution munici-
au sommet, le cahier de l’assemblée récoltes des années précédentes sont pale ». À Dijon, le 15 juillet, le gouver-
du tiers état remis au roi. Le filtre se fait propices au développement de peurs neur est arrêté. La veille, au Havre, les
aux différents degrés de la pyramide des collectives. L’historien Timothy Tackett «  patriotes  » en armes ont interdit le
assemblées électorales. Les doléances conteste cependant la thèse classique départ d’un convoi de grains pour Paris.
recueillies dans les cahiers des commu- selon laquelle la Grande Peur serait née La bourgeoisie patriote s’organise en
nautés rurales sont alors diluées dans les d’une croyance en un complot aristo- comités locaux qui prennent le pouvoir,
cahiers de bailliage pour laisser la place cratique dont les brigands seraient l’ins- tantôt sans violences (Nantes), tantôt
à de véritables programmes de réformes. trument. Pour lui, l’origine principale de par un coup de force (Rouen). Parfois,
La participation est inégale. Des modèles la Grande Peur est l’inquiétude face au le pouvoir patriote coexiste avec les
nationaux de cahiers circulent, mais ils vide du pouvoir et au désordre, après autorités municipales ou fusionne avec
ne confisquent pas la rédaction locale la crise de juillet 1789. Dans beaucoup elles (Lille, Orléans). Certaines villes
des cahiers, car ils sont l’objet d’em- de provinces, l’obsession d’un complot demeurent cependant aux mains des
prunts partiels plutôt que de copie aristocratique ne serait ainsi apparue autorités en place (Aix-en-Provence,
passive. Les modèles proposés par les que plus tard. Tackett insiste même sur Toulouse) ou ne deviennent « patriotes »
nobles et les élites bourgeoises rivalisent. les témoignages de solidarité verticale qu’au début 1790 (Lyon, Marseille).
34

L’entrée en politique
(1789-1791)
Sous l’Ancien Régime, la vie associative était organisée autour de sociétés qui s’interdisaient
de discuter de politique. Or, la Révolution voit en quelques semaines l’irruption du politique dans
le champ de la sociabilité organisée. Fin 1789, on compte une vingtaine de clubs, réunions ou
sociétés patriotiques. Un an plus tard, leur nombre dépasse 300, et 1100 et à la fin de l’année 1791.

La révolution de la presse ne nous paraissent grands que parce sociabilité  : la plupart d’entre elles
La presse parisienne et provinciale a que nous sommes à genoux : levons- se mettent en sommeil, ou ne se réu-
connu une forte croissance dans les nous ! » Les opposants à la Révolution nissent plus qu’épisodiquement.
dernières années de l’Ancien Régime, se saisissent également de la presse Les réseaux de correspondance, les
mais on assiste à une véritable explo- comme d’une arme. La Gazette de adresses et les pétitions que l’on
sion dès les premiers mois de la Paris, monarchiste, a une diffusion qui communique aux différentes socié-
Révolution, avec autant de titres créés déborde largement l’Île-de-France. tés et à l’Assemblée, l’impression
que pendant les dix années précé- Ils peuvent compter sur des plumes des comptes rendus de séances
dentes. Le phénomène s’accélère talentueuses comme celle de Rivarol permettent aux patriotes d’intercon-
encore avec l’adoption de l’article 11 de qui excelle dans le genre pamphlé- necter l’espace politique au niveau
la Déclaration des droits de l’homme et taire et satirique qu’incarne Les Actes régional et national. Leurs adversaires
du citoyen qui garantit la liberté d’opi- des Apôtres (1789-1791). politiques comprennent le danger
nion et d’expression. On compte plus et l’enjeu des sociétés politiques et
de 189 créations de titres pour l’année Le maillage des territoires créent leurs propres réseaux. C’est
1789 dont 140 à Paris  ! On totalise par les sociétés politiques le cas notamment des « monar-
400 titres en 1790 sur l’ensemble du La correspondance est l’un des prin- chiens  » réunis autour du comte
territoire. cipaux vecteurs de communication Stanislas de Clermont-Tonnerre. À
La presse parisienne part à la conquête des formes de sociabilité du XVIIIe Aix-en-Provence, la Société des amis
du territoire national grâce à la pratique siècle. Les sociétés patriotiques de la religion, de la paix et du roi, à
des abonnements. La Chronique de héritent de cette pratique épistolaire Strasbourg la Société des amis du
Paris traduit l’euphorie ambiante, en en réseaux. La Société des amis de la roi, à Paris la Société des amis de la
estimant que la presse est le meil- Constitution de Paris, futur club des Constitution monarchique affichent
leur rempart contre les ennemis de Jacobins, se donne pour but de « tra- clairement leur sensibilité politique.
la Révolution : « Il n’y a pas de petits vailler à l’établissement et à l’affermis- Mais elles rencontrent l’hostilité
villages en France où l’on ne reçoive sement de la Constitution ». Née de des municipalités patriotes et des
quelques-uns de nos papiers publics, la réunion des députés patriotes de Jacobins qui poussent à leur inter-
et où l’on ne se réunisse pour en faire Bretagne (le Club breton), elle s’ouvre diction. Les divisions politiques des
des lectures. Qui pourrait ravir la liberté aux citoyens capables de payer une révolutionnaires sont, elles, à l’origine
à un peuple chez qui la presse est cotisation. À son imitation, les créa- de la création de clubs rivaux comme
devenue libre ? » tions de sociétés se multiplient, soit la Société de 1789 autour de La
De nouveaux types de journaux de manière autonome, soit comme Fayette ou le club des Cordeliers
apparaissent, traduisant l’entrée filiales de sociétés mères. Dès février auquel appartient Danton. Sur tout
accélérée du pays et des citoyens 1790, Paris entend «  correspondre le spectre politique, des orateurs
en politique. Si Le Moniteur universel avec les autres sociétés du même brillants – les avocats ont un avan-
rend compte des débats de l’Assem- genre qui pourront se former dans tage initial qu’ils mettent à profit dès
blée nationale, les journaux ne se le royaume ». En juillet 1790, à Paris, la convocation des États généraux –
contentent plus d’informer la popula- le club des Jacobins compte 1 200 se distinguent, dont on vient écouter
tion des décisions prises par les gou- adhérents, 152 filiales en août 1790 et les discours enflammés avant d’en
vernants, ils manifestent aussi publi- plus d’un millier en septembre 1791. lire leur retranscription. Grâce à l’im-
quement les exigences « d’en bas », Les formes de sociabilité apolitiques primé, les députés peuvent maintenir
transformant le rapport au politique. comme les loges maçonniques font le lien avec leurs électeurs et rendre
Créé en août 1789, Les Révolutions de largement les frais de cette irrup- compte des actions entreprises à
Paris prend pour devise : « Les grands tion du politique dans le champ de l’Assemblée constituante.
ENTRER EN RÉVOLUTION • 35

LA POLITISATION

Londres CORRESPONDANCES DES SOCIÉTÉS POLITIQUES

BAYONNE, LETTRES ENVOYÉES GRENOBLE, LETTRES REÇUES


(JUILLET 1790-JUILLET 1792) (JANVIER 1790-AVRIL 1791)

Nombre
de lettres
Grenoble
1
10

Bayonne 30

100 km

D’après J. Boutier, P. Boutry, Atlas de la Révolution française. Les sociétés politiques, tome VI, Éditions de l’EHESS, Paris, 1992.

LA PRESSE : LES SOCIÉTÉS POLITIQUES


UN PHÉNOMÈNE NATIONAL EN 1791

Nombre
de titres
de la presse Pourcentage
provinciale dans de communes
les départements dotées de
Plus de 10 sociétés
Plus de 10
de 5 à 10
de 5 à 10
de 2 à 5
de 2 à 5
de 1 à 2
de 1 à 2
Zones non traitées dans les sources originales
D’après J. Boutier, P. Boutry, Atlas de la Révolution française.
D’après M. Vovelle, La Découverte de la politique, La Découverte, Paris, 1993. Les sociétés politiques, tome VI, Éditions de l’EHESS, Paris, 1992.

L’EXPLOSION QUANTITATIVE DES JOURNAUX


Nombre de journaux créés en 1789 Nombre de journaux créés à Paris
35 350

30 300
Total des créations
25 250
de journaux
20 200
Journaux
15 à faible durée 150
de vie
10 100

5 50
Journaux à durée de vie longue
0 0
janv. fév. mars avril mai juin juil. août sept. oct. nov. déc. mai à déc. 1790 an V
1789
Sources : R. Reichardt et E. Schmitt, Die Französischen Revolution, Oldenburg Verlag, Munich, 1988 et P. Rétat in L’État de la France pendant la Révolution (1789-1799), La Découverte, Paris, 1988.
36

La réorganisation du territoire
Le 15 février 1790, la Constituante décide de créer 83 départements qui se substituent à l’armature
territoriale de l’Ancien Régime dans les domaines administratif, judiciaire, fiscal et religieux.
Provinces, généralités, parlements, bailliages, subdélégations disparaissent. Cette refondation
de l’espace national transforme en profondeur les cadres de vie des citoyens et d’exercice
des fonctions sociales et politiques.

Quel découpage ? la conservation des identités territo- frontières : Jura, Hautes-Alpes, Basses-
Les 14 et 22 décembre 1789, l’Assem- riales, et ceux qui leur préfèrent des Alpes, Pyrénées-Orientales, Basses-
blée adopte le principe du découpage références géographiques, plus des- Pyrénées, Hautes-Pyrénées. Enfin, aux
du territoire du royaume en départe- criptives, plus neutres, et donc sus- extrémités occidentale et septentrio-
ments, districts et cantons, et consacre ceptibles de faire table rase des réfé- nale du royaume, le Finistère et le Nord
également l’existence des municipali- rences de l’Ancien Régime. Les noms achèvent la régénération du territoire.
tés. L’accord se fait sur la recherche de fleuves sont très souvent retenus,
d’un système uniforme et rationnel, notamment  aux extrémités de leur
élaboré à partir d’une circonscription cour : Haut-Rhin, Bas-Rhin  ; Loire, Nouveaux équilibres territoriaux
de base, le département, plus petite Loire-inférieure ; Rhône, Bouches-du- La mise en place par le décret du
que la généralité et permettant à tout Rhône, ou aux confluences  : Rhône- 16 février 1790 du découpage de
habitant de se rendre au chef-lieu et et-Loire, Seine-et-Marne. Autres réfé- chaque département en districts (initia-
d’en revenir en une journée de che- rences géographiques, les massifs lement au nombre de six, puis de trois
val. Pour le découpage, plusieurs montagneux sont aussi choisis aux à neuf en fonction de la population et
projets s’affrontent, notamment celui
de l’abbé Sieyès, qui propose de déli- DE LA PROVINCE AUX DÉPARTEMENTS : L’EXEMPLE PROVENÇAL
miter 81 (9 x 9) départements sous la Joyeuse DRÔME Serres Joyeuse DRÔME Serres
forme de carrés emboîtés de 18 lieues ARDÈCHE Nyons HAUTES- ARDÈCHE Nyons HAUTES-
ALPES ALPES
de côté, et celui soutenu par Mirabeau, Pont-St-Esprit ÉTATS RÉUNIS
Pont-St-Esprit Comtat Sisteron Sisteron
qui entend tenir compte de l’héritage GARD Carpentras GARD Orange
D’AVIGNON ET
Orange BASSES-ALPES Carpentras BASSES-ALPES
historique résultant des limites des Uzès Venaissin Uzès DU COMTAT
anciennes provinces et des équilibres Avignon Forcalquier Avignon Forcalquier
Nîmes Nîmes
Apt VENAISSIN Apt
locaux. Sous l’impulsion de Thouret, Beaucaire
Tarascon
Beaucaire
Tarascon

aidé par le géographe Cassini, l’As- Arles Salon


Barjols
Arles Salon
Barjols
semblée adopte le décret du 15 jan- Aix Aix
BOUCHES-DU-RHÔNE BOUCHES-DU-RHÔNE
St-Maximin VAR St-Maximin VAR
vier 1790 qui divise la France en 83
Brignoles Brignoles
départements et donne pour chaque Marseille Marseille
ancienne province le nombre de dépar- 25 km 25 km
4 MARS 1790 14 SEPTEMBRE 1791
tements qu’elle forme (ou contribue à
former), et le décret du 16 février 1790 ARDÈCHE HAUTES-ALPES ARDÈCHE DRÔME HAUTES-ALPES
qui établit la liste des départements, Joyeuse DRÔME Joyeuse
celle des districts qui les composent Serres Serres
Nyons Nyons
et, dans certains cas, les sièges des Pont-St-Esprit
Pont-St-Esprit
Sisteron Sisteron
tribunaux. Le 10 avril 1790, la carte Orange Orange
GARD Carpentras GARD Carpentras
de la France des 83 départements BASSES-ALPES BASSES-ALPES
Uzès Uzès VAUCLUSE
est présentée à l’Assemblée. Pour le Nîmes
Avignon Forcalquier
Nîmes
Avignon Forcalquier
Apt Apt
député Thouret, elle traduit « l’idée de Beaucaire
Tarascon
Beaucaire
Tarascon
BOUCHES-DU-RHÔNE
partage égal, fraternel et jamais celle Arles Arles Salon
Salon Barjols Barjols
de dislocation du corps politique  ». Aix BOUCHES-DU-RHÔNE
Aix
VAR St-Maximin VAR
Le choix des noms de département St-Maximin
Brignoles Brignoles
est également l’enjeu de nombreux Marseille Marseille
débats entre ceux qui sont attachés
à l’affirmation des petites patries et à 28 MARS 1792 25 km 12 AOÛT 1793 25 km
ENTRER EN RÉVOLUTION • 37

des conditions locales) et le choix des division témoignent de l’importance Face aux difficultés et aux crispations,
villes où siègent les administrateurs d’un bouleversement géographique on retient parfois le principe de l’alter-
des départements et des districts sont sans précédent. nance. Ainsi pour l’Ardèche : « La pre-
à l’origine de nombreux conflits, de Le nouveau découpage vise à rééqui- mière assemblée de ce département
marchandages et de luttes d’influence. librer l’espace national et à corriger les se tiendra à Privas et pourra alterner
Dans le Puy-de-Dôme, la vieille capi- inégalités. Dans le sud, où les évêchés dans les villes d’Annonay, Tournon,
tale parlementaire, Riom perd face à pullulaient, ils ne sont parfois même Aubenas, Privas et Le Bourg ». Ce prin-
l’ancien siège de l’intendance et de pas repris dans la liste des nouveaux cipe est finalement supprimé par une
l’évêque, Clermont-Ferrand, mais dans districts. En Bretagne, dans le Lyonnais loi du 12 septembre 1791. Au total, les
les Bouches-du-Rhône, c’est l’inverse : et en Provence, où les subdélégations districts sont nombreux dans l’Ouest
le chef-lieu du département est fixé à étaient nombreuses, plusieurs chefs- breton densément peuplé, en Lorraine
Aix, et non à Marseille. Dans tous les lieux ne sont pas retenus. À l’inverse, ou dans des départements méri-
cas, les délégations envoyées à l’As- dans les zones peu urbanisées où la dionaux de vaste étendue (Aveyron,
semblée par les anciens chefs-lieux rivalité est moindre, la transition est Dordogne). Le maillage est moins serré
inquiets de leur survie et les échanges plus facile et de nouveaux chefs-lieux au cœur du Massif central, des Landes
de correspondances avec le comité de sont promus. aux Pyrénées et dans les Alpes.

LA FRANCE DES 83 DÉPARTEMENTS

PAS-DE-CALAIS
Douai
Arras
Manche NORD
SOMME
SEINE- Amiens Mézières
INFÉRIEURE Laon
Rouen Beauvais ARDENNES
AISNE MOSELLE
OISE Châlons-sur-
MANCHE Caen EURE
Coutances Marne MEUSE Metz
CALVADOS Évreux SEINE- SEINE
Bar-le-DucNancy BAS-
Versailles MARNE
ORNE Paris SEINE- RHIN
St-Brieuc ET-MARNE MEURTHE Strasbourg
Alençon Chartres ET-OISE
FINISTÈRE CÔTES-DU-NORD ILLE-ET- Melun AUBE
VILAINE MAYENNE
Épinal
EURE-ET-LOIR Troyes Chaumont
Quimper Le Mans VOSGES Colmar
Rennes Laval Orléans HAUTE-
MORBIHAN Auxerre HAUT-
SARTHE LOIR-ET- LOIRET MARNE HAUTE- RHIN
Vannes
Angers YONNE SAÔNE
LOIRE- Blois
CÔTE-D’OR Gray
INFÉRIEURE Tours CHER
MAINE-ET- Dijon Besançon
LOIRE INDRE- CHER
Nantes ET-LOIRE NIÈVRE DOUBS
Bourges Nevers
Châteauroux JURA
SAÔNE-ET-
VENDÉE DEUX- Poitiers INDRE LOIRE Lons-
Fontenay-le-Comte SÈVRES Moulins
VIENNE Mâcon le-Saulnier
Niort ALLIER
Guéret
HAUTE-
Bourg- AIN
OCÉAN CHARENTE- CREUSE Clermont- en-Bresse
INFÉRIEURE VIENNE Ferrand
CHARENTE RHÔNE- Lyon
ATL ANTIQUE Saintes
Limoges ET-LOIRE
PUY-DE-DÔME
Angoulême
CORRÈZE ISÈRE
Périgueux Grenoble
Tulle St-Flour HAUTE-LOIRE
DORDOGNE CANTAL Chabeuil
Bordeaux Le Puy
Privas HAUTES-
DRÔME
GIRONDE
Cahors Mende ARDÈCHE Gap ALPES
LOT-ET- Rodez
GARONNE LOZÈRE Digne
LOT
LANDES Agen AVEYRON
GARD BASSES-ALPES
Mont-de-Marsan TARN Nîmes
GERS Toulouse Castres
Montpellier BOUCHES- Aix
Navarrenx Auch HAUTE- HÉRAULT
VAR
DU-RHÔNE
BASSES- Tarbes GARONNE Carcassonne Toulon
PYRÉNÉES HAUTES- AUDE
Foix Bastia
PYRÉNÉES
ARIÈGE
PYRÉNÉES- Perpignan Mer
Département dont plus de 45 % des chefs-lieux ORIENTALES CORSE
d’Ancien Régime ont été supprimés en 1790
Méditerranée
Les limites départementales et les chefs-lieux de département sont ceux du décret
du 22 décembre 1789 et mis en place le 4 mars 1790.
Source : M. Vovelle, La Découverte de la politique, La Découverte, Paris, 1993.
100 km
38

La régénération nationale
Député patriote, le chartreux dom Gerle, immortalisé par David dans Le Serment du
Jeu de paume, propose le 12 avril 1790 à l’Assemblée de déclarer la religion catholique
religion d’État. Après des débats vifs, sa proposition est finalement rejetée mais un
mouvement d’opinion s’emploie à soutenir la motion de dom Gerle, notamment dans
le Midi toulousain et languedocien. La question religieuse revient en force quelques mois
plus tard à l’Assemblée.

« L’Église est dans l’État » L’ÉPREUVE DU SERMENT CONSTITUTIONNEL


(député Camus)
Le 12 juillet 1790, soit deux jours avant
la fête de la Fédération, les députés
votent la Constitution civile du clergé.
La carte des diocèses est désormais
calquée sur la carte administrative
et politique des 83 départements.
Le clergé est salarié par l’État (le curé
d’une paroisse de moins de 1 000 habi-
tants reçoit 1 200 livres par an) et doit
se soumettre à ses obligations. Partant,
les curés sont élus par les assemblées
électorales de district et les évêques
par celles de département. La mesure
Les prêtres
est proprement révolutionnaire. La assermentés
Constitution civile du clergé rend le en 1791
concordat de Bologne entre la France en %
et le Saint-Siège caduc. Le roi approuve Plus de 75
le texte le 24 août et les évêques se
De 55 à 75
montrent plutôt conciliants, soumet-
De 35 à 55
tant seulement leur acceptation à l’au-
torisation du pape. Mais devant la len- Moins de 35
teur d’application de la loi, l’Assemblée Absence de données
adopte le 27 novembre 1790 un décret D’après M. Vovelle, La Découverte de la politique, La Découverte, Paris, 1993.
100 km
qui radicalise la question en renforçant
l’obligation du serment civique pour tous ANTICIPATION DE LA CONSTITUTION CIVILE
les ecclésiastiques. Comme l’affirme le DU CLERGÉ DANS LES CAHIERS DE DOLÉANCES
curé de Vangues, dans le département CAHIERS CAHIERS
du Cher : « Je suis chrétien catholique. DU CLERGÉ DU TIERS ÉTAT
Je suis prêtre. Je suis citoyen français :
trois qualités chères à mon âme. J’ai
consacré les deux premières par des
serments solennels ; je vais consacrer
la troisième par un serment qui ne doit
point porter préjudice aux deux autres ».
En effet, le serment touche directement
au sacré ; il implique « une insubordi- 150 km
nation virtuelle par rapport au pape  »
(J.-P. Jessenne) qui finit logiquement
Présence dans les cahiers de doléances d’une requête
par condamner la Constitution civile mentionnant une révision du statut du clergé
(classement par rangs, en 5 classes hiérarchisées du foncé Les zones en gris
du clergé le 10 mars 1791. Le schisme au clair en fonction de la présence de ces doléances). sont non traitées dans
est inévitable. Dans leur déclaration, D’après M. Vovelle, La Découverte de la politique, La Découverte, Paris, 1993. les sources originales.
ENTRER EN RÉVOLUTION • 39

LES CONTINGENTS PROVINCIAUX À LA FÊTE DE LA FÉDÉRATION départements défilent sous un arc de


triomphe et La Fayette prête serment :
« Nous jurons de rester fidèles à la
Nation, à la Loi et au Roi, de mainte-
nir […] la Constitution décrétée par
l’Assemblée nationale et acceptée par
le roi, de protéger […] la libre circula-
tion des grains et des subsistances
[…] et de demeurer unis à tous les
Français par les liens indissolubles de
la fraternité. » La foule répond : « Nous
le jurons.  » Désormais, la Nation est
souveraine et le roi, roi des Français.
Nombre
de participants par Chef d’orchestre de cette grande célé-
département à la fête bration, chef de la garde nationale, La
de la Fédération Fayette apparaît comme l’homme fort
le 14 juillet 1790 de la Révolution. Certains craignent
à Paris
d’ailleurs ses ambitions politiques, et
Plus de 200 dénoncent en lui un nouveau César.
De 150 à 200 Cette fête révolutionnaire a égale-
De 100 à 150
ment une dimension pédagogique.
Bien ordonnée, elle doit montrer l’im-
Moins de 100
portance centrale de la bourgeoisie
Absence de données patriote réunie dans la garde natio-
100 km
D’après M. Vovelle, La Découverte de la politique, La Découverte, Paris, 1993. nale et faire comprendre aux citoyens
passifs quelle est leur place dans
LA PARTICIPATION ÉLECTORALE majoritaires dans l’Ouest, le Nord, le sud le nouveau corps civique.
(1790-1791) du Massif central, en Franche-Comté et
D’après M. Vovelle, La Découverte de la politique, La Découverte, Paris, 1993.

en Alsace. Mais une analyse plus fine Citoyens actifs, citoyens


montre que, dans de nombreux districts, passifs
aucun des deux groupes ne l’emporte Dès le 20 octobre 1789, l’Assemblée
véritablement. Le schisme est d’inter- constituante a en effet adopté le suf-
prétation complexe, car nombre de frage censitaire. Au terme des travaux
paramètres et de « tempéraments  » des constituants, le corps civique se
(M. Vovelle) locaux entrent en ligne de compose des citoyens actifs (hommes
compte. Des départements majoritaire- de plus de 25 ans payant un impôt
ment jureurs ne sont pas définitivement au moins égal à trois journées de
Taux de acquis à la Révolution et vice-versa. travail, ceux qui paient un impôt au
participation aux moins égal à dix journées de travail
élections cantonales de 1790, en % Fédérer la nation sont déclarés éligibles) et citoyens
De nombreux rassemblements passifs : femmes, mineurs, domes-
60 50 40 30 20 départementaux de gardes natio- tiques, faillis, résidents depuis moins
Zones non traitées d’un an, hommes qui n’atteignent pas
dans les sources originales. 150 km naux, comme celui de Valence le 29
novembre 1789, manifestent la nais- le seuil censitaire. Le corps électoral
les docteurs de la Sorbonne sont caté- sance d’une France nouvelle. Les est donc limité à 4 500  000 citoyens
goriques  : «  le serment exigé de fidé- constituants fixent au 14 juillet 1790 la dès les assemblées primaires. Enfin,
lité à la Constitution est manifestement fête nationale de la Fédération, mais ils pour être éligible comme député à
hérétique, schismatique, et visiblement entendent canaliser le mouvement et l’Assemblée nationale, il faut payer
opposé à l’esprit du christianisme. Loin célébrer la régénération nationale dans un impôt égal au moins au marc
de nous, un tel serment qui ne serait à l’ordre. La Fayette orchestre cette célé- d’argent, soit 50 livres. La décision
nos yeux qu’un affreux parjure et une bration civique qui doit clore le pro- suscite un vif débat, Robespierre esti-
véritable apostasie ». cessus révolutionnaire. Sur le Champ- mant notamment que Jean-Jacques
L’Église de France se divise alors pro- de-Mars, un tertre a été élevé grâce Rousseau n’aurait pas pu être élu :
fondément autour de la question du à la terre venue de tous les départe- «  Il ne lui eût pas été possible de
serment. D’après T. Tackett, 52 à 55 % ments, afin de symboliser l’émergence trouver accès dans une assemblée élec-
du clergé paroissial le prêtent (jureurs d’une France nouvelle. Dessus s’élève torale ! Cependant, il a éclairé l’huma-
ou constitutionnels) début 1791, et l’autel de la Patrie, en face du trône nité, et son génie puissant et vertueux
6 % se rétractent. Les réfractaires sont royal. Les gardes nationaux venus des a préparé vos travaux » (11 août 1791).
40

Les colonies à l’épreuve


de la régénération nationale
La Révolution de Saint-Domingue doit sa réussite à la détermination des esclaves insurgés mais
aussi à la déstabilisation provoquée par la Révolution française sur les capacités répressives de
la minorité de libres. En moins de trois ans, les révoltés poussent la République à abolir l’esclavage
dans l’ensemble des colonies françaises (1794) : c’est l’un des actes les plus radicaux de la
Révolution française, aux vastes répercussions dans l’espace atlantique.

La révolte de Saint-Domingue, de celle de Saint-Domingue tient à la des milliers d’esclaves aux Amériques,
un tournant décisif fois à la forte concentration d’esclaves encourageant leur résistance. Alors que
De nombreuses révoltes ont lieu aux sur un territoire réduit, au fait que vers l’Europe éclairée s’interrogeait timide-
Amériques durant l’époque moderne. 1790 la majorité d’entre eux sont nés en ment sur l’opportunité d’abolir la traite
Alors que celles des colons mani- Afrique et sont donc moins bien intégrés et à terme l’esclavage, la Révolution
festent une volonté de plus grande à l’ordre colonial et, enfin, à la remar- haïtienne en affirme l’urgence.
autonomie vis-à-vis de la métropole, quable organisation des rebelles, dont
ou revendiquent une meilleure prise en les chefs, souvent issus de « l’élite » des De la révolte des esclaves
compte des intérêts coloniaux, celles esclaves, s’approprient parfois, en les à l’abolition de l’esclavage
des esclaves ou des libres de couleur réinterprétant, les concepts clés affir- Saint-Domingue représente en 1790 le
expriment la contestation de l’ordre més lors des révolutions américaine et joyau de l’empire français : l’île produit
colonial raciste. Souvent d’envergure française (droit naturel, liberté). La diffu- 85 % du sucre et la quasi-totalité du
limitée, les révoltes d’esclaves sont sion de la nouvelle de la révolte de Saint- café que la France réexporte ensuite en
toutes vouées à l’échec. La réussite Domingue donne un formidable espoir à Europe. Son développement productif

LES RÉVOLTES DANS LES ANTILLES (1789-1802)

Insurrection d’esclaves
Bahamas
(R.-U.) Révolte des libres de couleur
700
La Havane États-Unis Occupation anglaise
(dont 90 % environ dans
les États du Sud) Estimation du nombre
Gr d’esclaves vers 1790,
an
Cuba des en milliers
Antill
(Esp.) es
1795
1791
OCÉAN ATL ANTIQUE
1790
Porto Rico
1797 Port-au-Prince 480
0
St-Domingue (Esp.) Leeward Islands*
Jamaïque 1789
Pe

250 (R.-U.)
(R.-U.) 1793- 1790-
ti

Kingston 1798 1791


te

(Esp.) 1790-1793
s A

(Fr.)
1794 Guadeloupe (Fr.)
St-Domingue
nti

1789 Dominique (R.-U.)


lles

1790
Martinique (Fr.)
1794-1802
VICE-ROYAUTÉ DE Mer des Antilles Ste-Lucie (Fr.)
NOUVELLE-ESPAGNE 1790 St-Vincent 64
(Espagne)
*Antigua, Montserrat, Îles Vierges

1794-1795 et 1796-1802 (R.-U.) 1795


Barbade
Grenade (R.-U.) (R.-U.)
1799 1795 1796
Coro Tobago (Esp.)
Maracaibo
Carthagène Caracas Trinité (Esp.)

Panamá VICE-ROYAUTÉ DE Guyane (Fr.)


NOUVELLE-GRENADE 1790
200 km
(Espagne)

Sources : P. Curtin, The Atlantic Slave Trade: A Census, University of Wisconsin Press, Madison, 1969 et M. Dorigny et B. Gainot, Atlas historique de l’esclavage, Autrement, Paris, 2006.
ENTRER EN RÉVOLUTION • 41

LES TROUBLES DE SAINT-DOMINGUE 1791-1793


29 août 1793 18 sept. 1792
Principales zones OCÉAN Proclamation par Sonthonax Arrivée des commissaires civils Sonthonax
de soulèvements de l’abolition de l’esclavage et Polverel avec 4 000 volontaires
des libres ATL ANTIQUE dans l’île dans le but de faire appliquer le décret
de couleur du 4 avril sur l’égalité des droits
Épicentre du des libres et des blancs
CUBA Île de la Tortue
soulèvement (Esp.)
d’août 1791 nt Cap- Ogé et Chavannes
Français

Ve
Principales zones Port-de-Paix février 1791

u
ld
de soulèvements Môle-St-Nicolas Limbé et Acul Limonade Fort-Dauphin

na
d’esclaves Gros-Morne Grande-Rivière

Ca
Ouanaminthe
Localités sous Dondon Vallières
le contrôle des Gonaïves
petits Blancs Fort de la Tannerie Déc. 1792

Offensives janvier 1793 PARTIE


Golfe
du corps Petite-Rivière ESPAGNOLE
expéditionnaire de la Gon âve St-Marc Verrettes
français dans
PARTIE
le nord
Île de la Gonâve FRANÇAISE Mirebalais
Principales L’Arcahaie
batailles Croix des Bouquets
Grande sept. 1791
Intervention Cayemite Port-au-Prince
espagnole Jérémie
Anse-à-Veau Léogâne
(mai 1792)
Grand-Goave
Bataille des Platons Miragoâne Plaine du Cul-de-Sac
Intervention août 1792
britannique St-Louis mars 1792
Jacmel
(sept. 1793) Tiburon
Les Cayes Bainet
Île à Vache

Mer des Antilles


Source : M. Dorigny et B. Gainot, Atlas historique de l’esclavage, Autrement, Paris, 2006. 25 km

après 1763 a été fulgurant ; il repose LE COMMERCE D’ESCLAVES


ici comme ailleurs sur la déportation
Nombre d’esclaves débarqués, en milliers
massive de captifs africains desti- 120
nés à fournir la main-d’œuvre des Total des esclaves
100
plantations esclavagistes. La révolte débarqués
qui éclate en août 1791 dans la par- en Amérique
80
tie nord de l’île gagne rapidement du
terrain, aussi parce que les capacités 60

répressives des colons sont affaiblies 40


par le conflit qui oppose, ici comme Total des esclaves
dans l’ensemble des colonies fran- 20 débarqués
à Saint-Domingue
çaises postrévolutionnaires, les colons
0
blancs aux libres de couleur autour de 1776 1780 1785 1790 1795 1800 02
la question des droits politiques. Alors Source : www.slavevoyages.org

que la révolte met l’île à feu et à sang,


les colons se tournent vers l’Angle-
terre, inquiets de la tournure radicale (août-septembre 1793), même si dans les marchés mondiaux, dans
prise par la Révolution et conscients les Anglais occupent une partie de les Antilles britanniques et au Brésil :
que le conflit maritime contre la l’île. Lorsque la nouvelle parvient en ainsi, alors que le principal marché aux
Grande-Bretagne (1793) empêche- métropole, l’émotion, les principes et esclaves a disparu, la traite négrière se
rait de toute façon l’envoi de l’armée la Realpolitik concourent au décret du maintient partout ailleurs : si la guerre
pour réprimer la révolte. La trahison 4 février 1794 qui proclame l’abolition maritime marque un ralentissement,
des élites coloniales pousse les com- de l’esclavage dans l’ensemble des celui-ci est moins marqué que lors
missaires de la République envoyés colonies françaises. de la guerre d’Indépendance améri-
sur place pour faire appliquer l’éga- caine. La présence militaire accrue en
lité des droits des libres de couleur à Des conséquences temps de guerre permet par ailleurs
s’appuyer sur les esclaves révoltés  : systémiques une répression plus efficace des tenta-
une fois réprimée la fronde des colons, L’effondrement productif de Saint- tives de révolte des esclaves dans les
ils finissent par octroyer la liberté à Domingue stimule la production de colonies britanniques et espagnoles de
tous les esclaves de Saint-Domingue sucre à Cuba, jusqu’alors marginale l’espace antillais.
42

Circulations et mobilité
en Révolution
La fuite de Louis XVI et de sa famille illustre l’importance des relais de poste. Partis des Tuileries
en berline dans la nuit du 20-21 juin 1791, les fugitifs vont de relais en relais jusqu’à Clermont-en-
Argonne. Des cavaliers sont censés les escorter et sécuriser les étapes. Parti à cheval, le maître
de poste de Sainte-Menehould, Drouet, qui a reconnu le roi mais n’a pas réagi sur-le-champ,
prend de vitesse le convoi royal et permet son interception à Varennes le 22 juin.

Une information inégale LES INÉGALITÉS DE LA DESSERTE POSTALE.


et fragmentée L’EXEMPLE DE LA RÉGION LYONNAISE
La cartographie des réseaux pos-
Villefranche-sur-Saône
taux permet de comprendre l’inégalité Banlieue desservie

e
des territoires devant l’information, Tous les jours

ôn
Sa
Theizé Trévoux
la complexité du gouvernement de Trois jours
Anse par semaine
l’espace français, les limites des poli- Lachassagne
Le Bois- Quincieux Genay
tiques d’uniformisation des normes
Tarare d’Oingt AIN
et des pratiques politiques comme Sarcey Az Morancé
erg Neuville-
administratives. ues sur-Saône Montluel
Une lettre postée à Paris arrive dans Limonest Beynost
L’Arbresle Sathonay
les deux jours dans le Bassin parisien, Thil
atteint les départements du Finistère
ne

Bibost e
et du Bas-Rhin en cinq jours, mais ôn
ven

LYON Rh
Bré

ne parvient à Perpignan ou à Aix-en- Écully


Meyzieu
Villeurbanne
Provence qu’au bout de neuf jours. RHÔNE-ET-LOIRE
Routes et communications, tome I, Éditions de l’EHESS, Paris, 1987.
D’après G. Arbellot et B. Lepetit, Atlas de la Révolution française.

Les temps de parcours varient en outre St-Laurent- Chassieu


fortement en fonction du moyen de de-Chamousset Vaugneray
Oullins St-Laurent-
Vénissieux
transport employé. Ces inégalités sont de-Mure
St-Genis-Laval St-Priest
essentielles pour comprendre à la fois Duerne Feyzin
les délais de réaction des départements
aux décisions prises à l’Assemblée St-Symphorien- St-Pierre-
Rhône

sur-Coise St-Symphorien-
nationale à Paris, et le temps néces- d'Ozon de-Chandieu
Mornant
saire pour qu’une information capitale Larajasse
parvienne aux extrémités du territoire.
Lorsque la fuite du roi est découverte, St-Romain- St-Romain- Givors ISÈRE
en-Jarez en-Gier Loire-sur-Rhône
l’Assemblée nationale prévient par
er
exemple immédiatement l’ensemble Gi Vienne 5 km

des chefs-lieux de département. Lyon


ou Strasbourg sont informés en deux
LE TEMPS DE TRAJET PARIS-LYON
jours, Bordeaux ou Grenoble en trois,
Temps de parcours entre Paris et Lyon en fonction du mode de transport
Perpignan ou Toulon en quatre. Les
départements les plus éloignés sont Courrier des comités (an II) Avec relayage
prévenus en cinq jours. En revanche, Sans relayage
Courrier postal ordinaire
la nouvelle de l’arrestation est relayée
par des correspondances privées avant Diligence
que l’Assemblée se décide à en infor-
Voyageur à cheval
mer officiellement le pays. En consé-
quence, dans certains chefs-lieux Guimbarde (voiture de charge)
comme à Grenoble ou Strasbourg, la
Piéton
nouvelle de la fuite et celle de l’arresta-
tion parviennent en même temps. 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14
jours
À partir du 1er janvier 1792, un nouveau Source : G. Arbellot et B. Lepetit, Atlas de la Révolution française. Routes et communications, tome I, Éditions de l’EHESS, Paris, 1987.
ENTRER EN RÉVOLUTION • 43

DES VOYAGEURS ÉTRANGERS DANS LA FRANCE DE LA RÉVOLUTION FAIRE CONNAÎTRE LA LOI


Douvres 1. La Ferté-sous-Jouarre PUY-DE-
Paris

All
Calais 2. Château-Thierry DÔME Clermont-Fer.

ier
Boulogne-sur-Mer
Mauriac Brioude
Manche Abbeville Massiac
Amiens CANTAL
on HAUTE-

gn
LOIRE

Ala
Reims Verdun Metz
Chantilly 1 Murat
2
Paris Nangis Châlons- Strasbourg
sur-Marne Nancy
Aurillac St-Flour
Sens Colmar Tanavelle Ruynes
Auxerre re
Briare Bâle


Avallon

Tru
Dijon
Besançon
Autun Pierrefort
Nevers
Chalon-sur-Saône Saint-Chély-
Moulins Chaudes- d’Apcher
Mâcon Genève Aigues

O CÉA N Clermont-Ferrand Lyon Chambéry AVEYRON LOZÈRE


Mont-Cenis
ATL A N T IQU E
Le Puy 10 km

Loriol-sur-Drôme
Courrier rapide de Paris apportant
les lois à St-Flour par la route de poste
Fontaine-
Avignon de-Vaucluse Messagers spéciaux et « commandités »
Arthur Young Nice acheminant les lois de St-Flour
(1789) Aix
aux chefs-lieux de canton du district
Nikolaï Karamzine Marseille Courriers habituels de St-Flour
(1789-1790) Toulon
se chargeant des lois destinées
Georg Forster aux 3 autres districts du Cantal
(1790) M e r M é di terrané e
D’après G. Arbellot et B. Lepetit, Atlas de la Révolution
D’après G. Arbellot et B. Lepetit, Atlas de la Révolution française. française. Routes et communications, tome I,
Routes et communications, tome I, Éditions de l’EHESS, Paris, 1987. 100 km
Éditions de l’EHESS, Paris, 1987.

tarif postal est appliqué. On crée ficti- de la Révolution. Arthur Young est bri- ou l’on voit un arbre de la liberté
vement un point central pour chacun tannique, Nicolas Karamzine russe et avec en exergue : « Passans, cette
des 83 départements, la lettre est Georg Forster allemand. Ils prennent terre est libre. »
tarifée selon la distance, calculée à des notes, tiennent un journal, per-
vol d’oiseau de point central en point mettant de publier, une fois rentrés au Pour que nul n’ignore la loi
central. La taxe est la même pour pays, des récits de voyage, fréquem- Dans un pays très majoritairement
tous les bureaux postaux du dépar- ment illustrés. Les Voyages en France rural, où le désenclavement routier est
tement. Des postes locales, héritées pendant les années 1787-1788-1789 inachevé, et dans un contexte de régé-
de l’Ancien Régime, sont actives au de Young rencontrent un réel succès nération politique, il est impératif pour
début de la Révolution. C’est le cas tout comme les Lettres d’un voya- l’Assemblée nationale constituante
de la petite poste de Lyon créée en geur russe de Karamzine. Ces sources puis pour l’Assemblée législative
1778 sur le modèle de la petite poste permettent de restituer leurs itiné- de diffuser les décisions des repré-
de Paris (1759). Elle rayonne d’ailleurs raires. Ils entrent en France par la liai- sentants de la nation en direction de
plus loin que celle de Paris. Le service son Douvres-Calais et la quittent par l’ensemble des citoyens et des can-
de la poste se développe tout au long Strasbourg ou par le comté de Nice. tons du territoire.
de la Révolution, indépendamment des Les voyages privilégient la traversée Par exemple, dans le département du
aléas politiques : 1 466 bureaux des- nord-sud du territoire par la vallée du Cantal, les autorités révolutionnaires
servent le territoire en l’an III contre Rhône ou par le Massif central. Avec du district de Saint-Flour ne disposent
1 320 en 1789. les débuts de la Révolution, Paris que de deux bureaux de poste pour
accueille de nombreux patriotes euro- 80 communes. Les lois parviennent de
Du Grand Tour aristocratique péens qui viennent assister à l’his- Paris à Saint-Flour par voitures. Elles
à la découverte de la France toire en marche. C’est le cas de Georg sont communiquées aux cantons de
en révolution Forster qui accompagne le noble prus- Massiac, Chaudes-Aigues et Pierrefort,
Dans la tradition des voyages des sien Alexander von Humboldt, futur accompagnées des décisions locales,
élites européennes des Lumières, qui grand explorateur et savant, dans son par des messagers à pied. Les
associent voyage de formation (Grand tour de formation. Il s’enthousiasme cantons de Tanavelle et Ruynes
Tour) et d’agrément, des étrangers pour les débuts de la Révolution fran- prennent connaissance de la loi par
visitent la France dans les dernières çaise tout comme Goethe qui peint des « commodités », c’est-à-dire des
années de l’Ancien Régime et au début en 1792 sur la Moselle une aquarelle marchands ou des voyageurs connus.
44

L’échec de la monarchie
constitutionnelle
Si 1790 fait figure d’année heureuse de la Révolution, la réalité est plus nuancée. Les problèmes
sociaux et économiques n’ont pas été réglés ; la suppression de nombreux cadres de l’Ancien
Régime a désorganisé la vie quotidienne. Pour les modérés au pouvoir, sincèrement attachés aux
principes de 1789, révolution politique ne rime pas avec révolution sociale. Il faut affermir l’autorité
et sanctuariser la propriété, pour conjurer les risques d’anarchie.

Un séisme politique : du territoire. Pourtant, les modérés fusillade du Champ-de-Mars, lieu sym-
la fuite du roi tentent contre toute évidence d’accrédi- bolique, le 17 juillet 1791, où s’étaient
En quittant les Tuileries, la nuit du 20 au ter la thèse de l’enlèvement, pour sauver réunis 5 000 manifestants. La loi martiale
21 juin 1791, le roi a laissé une déclara- non seulement les apparences mais aussi est décrétée, la garde nationale ouvre le
tion à l’intention de l’Assemblée consti- l’équilibre politique et institutionnel auquel feu dans des conditions confuses. Des
tuante qui ne laisse aucun doute sur son ils espèrent encore parvenir. Par la suite, membres des Cordeliers sont arrêtés,
hostilité à la monarchie constitutionnelle. ils insistent sur les pressions dont Louis XVI L’Ami du peuple de Marat interdit. Le
La Fayette, commandant de la garde aurait été l’objet. Leur construction poli- club des Jacobins implose, La Fayette
nationale, et les députés modérés voient tique a en effet besoin d’un roi, si pos- et les triumvirs (Barnave, Duport,
leurs efforts pour stabiliser le nouveau sible docile. L’image du roi est cependant Lameth) fondent, au centre du spectre
régime s’écrouler. La radicalisation poli- définitivement altérée. Ses opposants politique, le club des Feuillants.
tique est très rapide, les sociétés poli- le présentent désormais sous les traits
tiques plus « démocratiques » ont le vent de Janus bifrons – à deux visages – afin Terminer la Révolution ?
en poupe. Les Cordeliers réclament la de souligner son double jeu. Pour le triumvirat, il est temps de
proclamation de la République, position Les tensions politiques et sociales terminer la Révolution pour garan-
encore largement minoritaire à l’échelle prennent un tour dramatique lors de la tir les acquis de 1789, en évitant une

UN SÉISME POLITIQUE ET SES RÉPLIQUES


DIFFUSION DE LA NOUVELLE
DE LA FUITE DU ROI Lille
Valenciennes

21 juin 22 juin 23 juin 24 juin 25 juin 26 juin Varennes


D’après G. Arbellot et B. Lepetit, Atlas de la Révolution française. Rouen
Caen Senlis Metz
Routes et communications, tome I, Éditions de l’EHESS, Paris, 1987. Saint-Lô
Évreux
St-Malo Paris Bar-le-Duc
Brest Alençon Versailles Strasbourg
SE RÉJOUIR DE Fuite du roi
St-Brieuc le 21 juin
LA CAPTURE Rennes
Quimper Le Mans à minuit 10 Épinal
DU ROI
Tours
Nantes Angers Bourges Besançon
Dijon
Nevers
Lons-le-Saunier
Fontenay-le-Comte Poitiers
Moulins
Guéret
Lyon
Clermont-
Tulle Ferrand Grenoble
Bordeaux Le Puy Valence

Cahors
Digne
Albi Montpellier
Auch
150 km Toulouse
Tarbes Marseille Toulon
Adresses de félicitations
à la municipalité de Varennes Perpignan
Les zones en gris sont non traitées dans les sources originales.
100 km
D’après M. Vovelle, La Découverte de la politique, La Découverte, Paris, 1993.
ENTRER EN RÉVOLUTION • 45

radicalisation politique et sociale dont UNE FRANCE DIVISÉE


les modérés au pouvoir ne veulent
UN ESPACE L’HOSTILITÉ AU ROI
pas. Duport déclare  : « la Révolution FRACTURÉ (20 JUIN-10 AOÛT 1792)
est finie. Il faut la fixer et la préserver
en combattant les excès. Il faut res-
treindre l’égalité, réduire la liberté et
fixer l’opinion. Le gouvernement doit
Les zones en gris
être fort, solide et stable. » Pour limi- sont non traitées dans
ter les risques de désordres sociaux, les sources originales.
le décret Le Chapelier, qui interdit les
coalitions ouvrières, est voté le 14 juin
1791. Plus généralement, la liberté
d’association est remise en cause de
même que le droit de pétition collec- Sociétés monarchiennes et Majorité Majorité
contre le roi Partagé
tive. Mais les démocrates poussent les contre-révolutionnaires 1790-1791 pour le roi
Sources : M. Vovelle, La Découverte de la politique, La Découverte, Paris, 1993 et
modérés dans leurs retranchements J. Boutier, P. Boutry, Atlas de la Révolution française. Les sociétés politiques, tome VI, Éditions de l’EHESS, Paris, 1992. 150 km
et obtiennent la majorité sur deux
sujets importants : le droit de vote pour
les mulâtres libres ainsi que la non-
reconduction des constituants dans la
future Assemblée législative. Les cartes QUITTER LA FRANCE
politiques seront donc profondément
rebattues aux prochaines élections.
Pourtant, les modérés pensent avoir
atteint leur but, lorsque la Constitution
est officiellement votée le 3 septembre
1791 et acceptée par le roi le 13.

Tensions et désillusions
Malgré la démonstration d’unani-
misme que met en scène la fête
de la Fédération (14 juillet 1790), les
tensions se multiplient en 1790-1791.
La mutinerie des régimes suisses de Répartition
Châteauvieux à Nancy qui avaient des émigrés
formé un conseil de soldats et s’étaient par département
mis en relation avec les sociétés poli- d’origine
tiques locales est réprimée dans le sang Plus de 2 000
par l’Assemblée et La Fayette. Dans les De 1 000 à 2 000
campagnes, la lenteur de la liquidation
De 500 à 1 000
du système seigneurial et le refus de
racheter les droits réels sont à l’origine Moins de 500
de désillusions et de troubles, au cours Absence de données
100 km
desquels des châteaux sont incendiés Source : M. Vovelle, La Découverte de la politique, La Découverte, Paris, 1993.

(« illuminations ») et des symboles des


anciens privilèges détruits. Les difficultés
d’approvisionnement en grains suscitent
des troubles frumentaires dans les villes radicalisation politique et religieuse. d’Antraigues – soulèvements intérieurs
et des séditions ouvrières. Les ouvriers Frère du roi, le comte d’Artois (futur et intervention extérieure d’une armée
sont en effet touchés de plein fouet par Charles X) émigre dès le 17 juillet 1789 et des émigrés pour reconquérir le pou-
la hausse des prix des produits alimen- s’établit à Turin avec ses partisans, puis voir. Mais en août 1790 et en février
taires et la désorganisation du tissu éco- en juin 1791 à Coblence, où il arrive avec 1791, la réunion au « camp de Jalès »,
nomique qu’a provoquée la suppression son frère aîné, le comte de Provence aux confins des départements de
des corporations. (futur Louis XVIII), qui a attendu l’Ardèche et du Gard, de gardes natio-
Varennes pour quitter la France. La naux catholiques se solde par un échec
Émigration et Contre-Révolution Contre-Révolution se structure et tente en raison de dissensions internes et
L’émigration débute avec la Révolution d’articuler non sans difficulté réseaux de l’intervention des gardes nationaux
mais elle s’accentue avec la de renseignement – tel celui du comte patriotes.
46
47

La radicalisation
révolutionnaire
La radicalisation révolutionnaire déchire les Français comme
elle divise les historiens. Polémiquant avec l’historiographie
marxiste, François Furet a évoqué un « dérapage ». D’autres
chercheurs estiment que la radicalisation est consubstantielle
au principe-même de révolution. De fait, on a sans doute tort
d’opposer la modération des débuts, notamment de 1790
considérée comme l’« année heureuse » au durcissement
de l’après-1791, a fortiori de l’après-1792. Lorsque certains
groupes d’intérêts et sensibilités politiques estiment que leurs
objectifs d’émancipation et de libéralisation sont atteints, il
est logique qu’ils cherchent à ralentir le processus. À l’inverse,
ceux qui estiment nécessaire une révolution sociale qui rebatte
profondément les cartes et ne cantonne pas les plus modestes
dans un rôle de citoyen passif, revendiquent avec véhémence
une relance révolutionnaire. Faute d’être entendus, pire parce
qu’ils s’estiment injustement muselés, ils alimentent de leurs
frustrations une phase de radicalisation de la Révolution.
48

La France en guerre : 1792


Le 20 avril 1792, l’Assemblée législative déclare la guerre au « roi de Bohême et de Hongrie ».
Sur le front du Nord, les premiers accrochages tournent à la débandade. La psychose de la
trahison contre-révolutionnaire s’empare de l’opinion. Les désertions d’officiers d’Ancien Régime,
comme Rochambeau, le vainqueur de Yorktown, se multiplient. La reine est suspectée à juste
titre de livrer les plans français à l’ennemi. Le 11 juillet, la patrie est proclamée en danger.

La patrie en danger De leur côté, les forces coalisées Quand on apprend que l’armée ennemie
La défense de la patrie est de plus en austro-prussiennes passent à l’offen- marche sur Paris, la panique s’empare
plus associée à la déchéance du roi. Le sive, prennent Longwy et assiègent de l’Assemblée législative. Danton pro-
10 août 1792, les Tuileries sont prises Verdun. Leur chef, le duc de Brunswick, nonce alors un discours qui passera à la
d’assaut par les sections parisiennes menace Paris d’une « exécution mili- postérité : « Pour les vaincre, messieurs,
et les gardes qui assuraient la protec- taire et une subversion totale » s’il est il nous faut de l’audace, encore de l’au-
tion du roi et de sa famille sont massa- fait « la moindre violence au roi et à la dace, toujours de l’audace, et la France
crés. Le roi est alors « suspendu » par reine  ». Il déclenche la fureur popu- est sauvée  ». Mais l’essentiel tient
l’Assemblée législative qui annonce la laire. L’annonce de la chute de Verdun, surtout dans l’idée d’une mobilisation
convocation d’une Convention natio- qui ouvre la route de Paris aux de toutes les forces vives de la nation :
nale. Les élections sont organisées Prussiens, et la peur du complot contre- « Tout s’émeut, tout s’ébranle, tout brûle
au cours de l’été. Tout homme âgé de révolutionnaire provoquent dans les de combattre […]. Une partie du peuple
plus de 21 ans, domicilié depuis un an, prisons parisiennes les massacres dits de va se porter aux frontières, une autre
vivant de son revenu ou du produit de septembre. On y tue plusieurs centaines va creuser des retranchements, et la
son travail et qui n’est pas domestique, d’aristocrates, de prisonniers de droits troisième, avec des piques, défendra
a le droit de vote. communs et de prêtres réfractaires. l’intérieur de nos villes. »

LES VOLONTAIRES AU COMBAT


Rotterdam
Emmerich
France en 1792 Nimègue
Marche du volontaire Mer du Nord se
Meu Till
Rhi
Aymez n

Du 14 sept. 1792 Verdingen


au 18 mars 1793 Venlo
Anvers Düsseldorf
Du 19 mars 1793
Dunkerque Ru
au 26 juin 1794 Malines r
Escaut
Du 27 juin 1794 Nieppe Neuve-Église Louvain Roleduc Juliers
Bruxelles Maastricht Cologne
au 22 juillet 1795 Cassel Warneton
Tongres
Bailleul Armentières Ath Aix-la-Chapelle
Tirlemont Visé
Batailles Lys Aire Lille
Condé St-Saulve
Cantonnement Béthune Anzin Liège
Fleurus
entre 2 et 5 mois Bellonne Aubry Jemmapes euse
Charleroi M Coblence
Arras Valenciennes
Clermont
Aubencheul Cambrai Dinant
Ou

Manche Maubeuge r the


Le Quesnoy Walcourt
So Mayence
e

Landrecies St-Hubert
sell

mm La Capelle
Péronne
e
Mo

St-Quentin Guise Chilly Charleville Hablay-la-Neuve


La Francheville Sedan Arlon
se
Oi Laon Luxembourg
Rouen Longwy
Soissons Aisne
Fresnois- Sarrelouis
Villers-Cotterêts Savigny la-Montagne Thionville
Reims
La Ferté-Milon Sarrebruck
Virginy
Les Petites-Loges
Se

Valmy Metz
in

Marne
e

Moselle

Meaux
M
eu

Châlons-
in
Rh
se

Paris sur-Marne
S a r re

50 km
Strasbourg
Source : J.-P. Bertaud et D. Reichel, Atlas de la Révolution française. L’armée et la guerre, tome III, Éditions de l’EHESS, Paris, 1989.
LA RADICALISATION RÉVOLUTIONNAIRE • 49

LA RÉVOLUTION EN DANGER

Helder
France en avril 1792 Mer du
Nord Amsterdam
Guerre extérieure La Haye PROVINCES-UNIES
Intervention des armées Hollandais Nimègue
de la première coalition
Anvers Prussiens
Offensives des armées Britanniques
françaises Cologne
Dunkerque Bruxelles
Principaux sièges et batailles Hondschoote 1 Neerwinden Autrichiens
Lille 4 Liège Coblence
Conquêtes et annexions Fleurus
2 RHÉNANIE
(1792-1795) 3
Manche BELGIQUE
6 Mayence
1. Tourcoing 4. Jemmapes Amiens 5
2. Wattignies 5. Le Quesnoy
3. Valenciennes 6. Maubeuge Rouen Le Bon
Caen Verdun Metz Landau
Brune Valmy
NORMANDIE Pacy- Geisberg
Granville Paris SAARWERDEN
Brest sur-Eure Strasbourg
Ouessant Dol
BRETAGNE Rennes
Le Mans SALM
Quimper Hoche Laval
Vannes
Britanniques Groix ANJOU
Savenay Montbéliard Bâle
Quiberon Angers
Nantes Dijon MONT-TERRIBLE

Machecoul Bourges
Cholet
Kléber,
VENDÉE Carrier Kellermann
Fouché Genève
Niort
OCÉAN SAVOIE
Lyon Chambéry Autrichiens
ATL ANTIQUE
Sardes
Turin
Tallien Valence
Bordeaux
Gênes
GIRONDE
Carteaux COMTÉ
Bonaparte Cap Noli
Guerre intérieure Montauban DE NICE
Nîmes Avignon
Principaux bastions et zones Nice
d’insurrection fédéraliste Toulouse Montpellier PROVENCE
Bayonne
Mouvement indépendantiste Toulon
Marseille Calvi
Révolte de la Vendée Îles d’Hyères
Espagnols Perpignan
ROYAUME
«Virée de Galerne » Le Boulou ANGLO-
Britanniques CORSE
Révolte des chouans Ajaccio
Répression par les armées
Espagnols Mer Méditerranée
républicaines
Principaux sièges et batailles
100 km

Révolution, patrie, République d’où la décision de Brunswick de déclare «  qu’il ne peut y avoir de
Sur le front du Nord, Dumouriez se replier ; les volontaires français Constitution que celle qui est acceptée
remplace La Fayette qui a déserté, étaient commandés par des officiers par le Peuple » et « que les personnes
et a été aussitôt décrété d’arresta- d’Ancien Régime. Il n’empêche, le sym- et les propriétés sont sous la sauve-
tion. La Commune de Paris appelle bole est important. Ce sont des sol- garde de la Nation ». À l’unanimité, elle
les citoyens aux armes, convoque dats de la Révolution, galvanisés par décrète que la royauté est abolie en
les volontaires au Champ-de-Mars La Marseillaise, qui se sont portés au France. La République est proclamée.
et fait sonner le tocsin. Le 20 sep- front pour défendre la patrie en danger. Le 25 septembre 1792, elle est décla-
tembre, Dumouriez remporte, contre Ils vont parcourir dans les années qui rée «  une et indivisible  ». Apocryphe
les Prussiens, la bataille de Valmy, suivent des milliers de kilomètres au fil ou non, le mot attribué à Goethe à
en Argonne, sur la route de Paris. On des marches et des contremarches et propos de Valmy est donc fondamen-
a pu discuter la portée de cette vic- s’aguerrir au feu pour former le noyau talement exact : « D’ici et d’aujourd’hui
toire : les troupes prussiennes étaient des armées de la Révolution. Au lende- débute une nouvelle époque de
avant tout victimes de dysenterie, main de Valmy, la Convention nationale l’histoire du monde ».
50

Divisions et déchirures
Élus par les assemblées départementales, les députés officialisent l’abolition de la monarchie.
Le lendemain, le 22 septembre 1792, constitue le premier jour de l’an I de la République. Mais
les débats sur la guerre, la déchéance de la monarchie et l’attitude à adopter par rapport à
la commune insurrectionnelle de Paris ont profondément divisé les Jacobins. Les Girondins
et les Montagnards s’opposent violemment, tandis que la Révolution se radicalise.

Girondins et Montagnards plusieurs d’entre eux –, et Montagnards, mène les Français en Belgique, en
Lors des élections à la Convention, par référence à leur emplacement dans Rhénanie, à la réunion de la Savoie
les Jacobins renforcent leurs l’assemblée, l’emporte. Il faut ajouter et de Nice. Les questions intérieures
positions autour de Paris, dans le les députés dits « à l’écart  » (Alison divisent également. Les Girondins
nord-est, en Bourgogne, sur l’axe Patrick), qui n’appartiennent à aucun sont attachés au libéralisme écono-
Paris-Lyon, sur le littoral atlantique de des deux partis et qu’on nommera « la mique. Contre l’avis des Montagnards,
la Vendée à Bordeaux, en Provence Plaine » ou « le Marais ». Trois questions ils refusent de taxer les grains, malgré
et dans le Languedoc. Mais la réfé- majeures divisent les députés. D’abord les troubles frumentaires. La question
rence au club est moins pertinente que la guerre : pour Danton, « la nation fran- du sort du roi, enfin, est l’objet de vifs
sous la Législative. Le clivage entre çaise a créé un grand courant d’insur- débats. Reconnu coupable le 15 janvier
« Brissotins » – du nom de l’un des chefs rection des peuples contre les rois » ; 1793, Louis XVI est condamné à mort à
de file du groupe, Jean-Pierre Brissot –, c’est la guerre d’expansion révolu- une voix de majorité (361 contre 360), la
qu’on nomme désormais Girondins – en tionnaire, soutenue par les Girondins, plupart des Girondins ayant voté pour
référence au département d’origine de à laquelle Robespierre s’oppose. Elle l’emprisonnement suivi éventuellement
du bannissement. Il est exécuté le
LE TEMPS DES TROUBLES EN BEAUCE 21 janvier.
Épicentre des troubles de EURE
subsistance (15 nov. 1792) SEINE-ET-OISE
Propagation des troubles Dreux L’échec des Girondins
Avre
Une semaine plus tard Brezolles Rambouillet D’abord au pouvoir, les Girondins ne
Eu

(du 16 au 22 nov.)
re

Deux semaines plus tard Châteauneuf maîtrisent pas la situation économique.


Senonches
(du 23 au 30 nov.)
ORNE L’assignat s’effondre et les mouve-
Trois semaines plus tard La Loupe
(du 1er au 7 déc.) Chartres
ments pour obtenir la taxation des prix
Bellême Rémalard Courville
s’amplifient. À l’extrême gauche, les
Mamers Nogent-
le-Rotrou Illiers « enragés » excitent le peuple. Après
MAYENNE René La Ferté- EURE-ET-LOIR
Bernard Authon la mort du roi, l’Angleterre entre en
Ballon Brou
guerre. Le 23 février 1793, une levée de
Bonnétable La Bazoche
e
Erv

SARTHE e 300 000 hommes, qui ne suscite pas


isn Châteaudun
Loué Hu Courtalain grand enthousiasme dans le pays,
Le Mans Vibraye
Vibraye
Cloyes
LOIRET
Vallon Mondoubleau est décidée. Afin d’en surveiller le
e St-Calais Orléans
rth ir bon déroulement, la Convention décide
Sa Lo ire
Malicorne Écommoy
ye

Oucques Lo l’envoi dans les départements de


Sablé
Bra

La Chartre Montoire Vendôme Beaugency commissaires, disposant des pleins


La Flèche Château-du-Loir St-Amand Mer Cosso
n
pouvoirs, et crée le Tribunal révolution-
r St-Cyr Ménars
Loi naire. Or, les commissaires sont majo-
St-Christophe Château- Blois n
Herbault vro
MAINE-ET-LOIRE Renault Beu ritairement montagnards. Le pays est
Amboise Onzain LOIR-ET-CHER en butte à la centralisation parisienne.
re
Tours uld
Pontlevoy Sa Les soulèvements ruraux se multi-
Lo Aut Cher Romorantin
ire hion Bleré Montrichard plient tandis que, battu à Neerwinden
Ch
Saumur
re
Ind St-Aignan Selles er par les Autrichiens, Dumouriez
Vierzon
Chinon INDRE-ET-LOIRE prépare son passage à l’ennemi. Ses
Vien
ne Valençay
CHER
20 km
Loches liens avec les Girondins ont un effet
INDRE
Source : M. Vovelle, Villes et campagnes au XVIII siècle (Chartres et Beauce), Éditions sociales, Paris, 1988.
e
dévastateur sur ces derniers. Au club
LA RADICALISATION RÉVOLUTIONNAIRE • 51

LA FRANCE DÉCHIRÉE
SOCIÉTÉS GIRONDINES ET MONTAGNARDES LES CRÉATIONS DE SOCIÉTÉS POPULAIRES
MAI 1793 1793 ET AN II

Nombre
100 km de sociétés créées
par département :
Nombre de sociétés 242
par département :
15 70
5
Montagnards 1
1 Girondins Source : J. Boutier, P. Boutry, Atlas de la Révolution française. Les sociétés politiques, tome VI, Éditions de l’EHESS, Paris, 1992.

ADRESSES FÉDÉRALISTES LA CONVENTION DIVISÉE

269 à 354

Adresses 258 à 302


reçues à
la Convention 137 à 178
(mai-déc. 1793) 749
Plus de 10 députés
De 4 à 10 La Convention au printemps 1793
Moins de 4 Montagnards «Marais» ou «Plaine» Girondins
Zones non traitées dans
les sources originales
D’après J.-C. Martin,
D’après M. Vovelle, La Découverte de la politique, La Découverte, Paris, 1993. 150 km La Révolution française, 1789-1799, une histoire sociopolitique, Belin, Paris, 2004.

des Jacobins comme à la Convention, taxe tout mouvement violent au sud de sans-culottes qui préparent l’insurrec-
Robespierre dénonce les complices de la Loire de « guerre de Vendée ». Les tion. Entre le 31 mai et le 2 juin 1793,
Dumouriez, « et notamment Brissot », enragés dénoncent la collusion de la le bras de fer tourne au désavantage
et demande qu’ils soient décré- Gironde et des contre-révolutionnaires des Girondins. La Convention est
tés d’arrestation, pour l’heure sans qu’ils amalgament. encerclée et les députés empêchés
succès. Pendant ce temps, les mani- Les Girondins décident de faire arrêter de sortir de l’Assemblée. Sous la
festations de refus de la levée s’ampli- Marat qui est acquitté par le Tribunal pression de la foule en armes, plu-
fient. La Convention décrète la peine révolutionnaire : c’est un véritable sieurs dizaines de députés girondins
capitale pour tout individu pris les camouflet. Ils décident aussi d’éli- sont décrétés d’arrestation. Détenus
armes à la main. La Gironde est isolée, miner la pression sans-culotte sur la à leur domicile, plusieurs d’entre
tandis qu’en Vendée la défaite d’une Convention en arrêtant les leaders. eux s’échappent et regagnent leurs
colonne militaire partie de La Rochelle C’est une erreur, car la force armée départements. Ils y favorisent des sou-
devient un événement fondateur. parisienne est aux mains de la muni- lèvements contre le centre parisien.
De véritables armées contre- cipalité et des sections, pas de la Mais, repris, la plupart seront exécu-
révolutionnaires se structurent et Paris Convention. La Montagne se rallie aux tés le 31 octobre 1793.
52

La Terreur
Après l’assassinat de Marat par Charlotte Corday, la psychose du complot contre-révolutionnaire
se renforce. Pour lutter contre les coalisés et les ennemis de l’intérieur, la Convention décrète la
levée en masse. La Terreur est mise à l’ordre du jour. L’état de guerre est perceptible partout.
Cinquante-six armées révolutionnaires vont parcourir les deux tiers du territoire. Le 10 octobre 1793,
la Convention décrète que le gouvernement sera révolutionnaire jusqu’à la paix.

Lyon, « Ville-Affranchie » et se trouvent coincés entre des forces la Convention desserrent l’étau ennemi
Le 2 juin 1793, lorsque les sans-culottes royalistes hostiles et la Convention sur les frontières. Il s’agit aussi de mener
parisiens éliminent les Girondins à la montagnarde. Taxés de «  fédéra- une guerre sans pitié aux ennemis de
Convention, le hasard veut que les sans- lisme », ils sont dénoncés comme partie l’intérieur. Le Comité de salut public et le
culottes lyonnais soient arrêtés et exé- intégrante du complot contre- Comité de sûreté générale tiennent un rôle
cutés par les autorités municipales, qui révolutionnaire. La Convention décide majeur dans le gouvernement révolution-
sont révolutionnaires, mais légalistes et de faire un exemple en détruisant Lyon. naire. Le Comité de salut public prend le
hostiles aux « anarchistes ». Ce mouve- Le 12 juillet, les Lyonnais sont décré- contrôle de toutes les institutions civiles
ment de refus des sans-culottes se mani- tés traîtres et hors la loi ; le 9 août la ville et militaires. Les représentants en mis-
feste à travers tout le pays. Ces révolu- est assiégée. Elle est débaptisée et ses sion remplacent tous les autres envoyés.
tionnaires locaux, souvent de sensibilité habitants épurés. On compte près de La loi des suspects est adoptée le
girondine, s’opposent aux envoyés de 2 000 exécutions. 17 septembre. Elle vise les parents
la Convention et entendent garder leur d’émigrés, les personnes auxquelles on
autonomie par rapport à Paris. Ils ne De la Terreur à la Grande Terreur a refusé un certificat de civisme, ceux
forment pas un mouvement homogène À partir de l’automne 1793, les armées de qui ne peuvent justifier de leurs moyens

LES VICTIMES DES MASSACRES DE SEPTEMBRE ET LES EXÉCUTIONS CAPITALES

LES MASSACRES DE SEPTEMBRE LES EXÉCUTIONS CAPITALES


1792 1793-1794

Nombre de membres
du clergé exécutés
15
5
Lieux de : Nombre d’exécutions :
1 moins plus
naissance résidence (Paris : 155) de 10 à 50 de 50 à 100
de 10 de 100
Sources : M. Vovelle, La Mentalité révolutionnaire, Messidor Éditions sociales, Paris, 1985 et
D. Greer, The Incidence of the Terror during the French Revolution, Harvard University Press, Cambridge, 1935. 100 km
LA RADICALISATION RÉVOLUTIONNAIRE • 53

LA RÉPRESSION À BORDEAUX UN IMPÔT SUR LES RICHES


9 MARS 1793
Suspects 2 081
28
3 7 20
Aristocrates 21
877 22
Propos inciviques 5
441 2 6 13 14
12 23
Fanatiques 4 15 27
1 16
316 1011
9 17 29 30
Autres catégories 8 18 24
39
303
38
19 31 33
Négociants 40 37
36
32
279 41
35 34 25
Sort des accusés 42 44
Fédéralistes 45
227 Incarcérations 47
Étrangers 43 26
Comparutions
194 devant la
Prêtres et religieuses 46
Commission 48
190 militaire
Terroristes Condamnations Rôle de l’emprunt par section,
105 à mort en millions de livres
0 250 500 750 1 000 2 000 Moins de 1 De 1 à 2 Plus de 2 Rôles perdus 1 km
Source : F.-G. Pariset (dir.), Bordeaux au XVIIIe siècle, D’après G. Béaur, P. Minard, Atlas de la Révolution française. Économie, tome X, Éditions de l’EHESS, Paris, 1997.
Fédération historique du Sud-Ouest, Bordeaux, 1968.

LA GUERRE DE VENDÉE (1793)


d’existence. Tous doivent être arrêtés et Manch e MANCHE
CALVADOS
Principaux foyers 14-15 nov.
sont passibles du Tribunal révolutionnaire. insurrectionnels (mars 1793) Granville
La Terreur est aussi économique : il faut La «Vendée militaire» St-Malo
Avranches
mobiliser les énergies pour la guerre et Zone contrôlée par les Dol ORNE
nourrir la population. Le maximum géné- «Blancs » (mars à octobre) CÔTES-
Zone de combat DU-NORD Alençon
ral des prix est donc décrété. Les villes (mars à septembre)
Fougères Mayenne
«  fédéralistes  » tombent entre octobre Points de résistance
et décembre 1793. Marie-Antoinette des républicains Rennes
Laval
mais aussi le duc d’Orléans (Philippe Principales victoires ILLE-ET-VILAINE
vendéennes, des « Blancs» Le Mans
Égalité) et 21 Girondins sont exé- MORBIHAN MAYENNE 12-13 déc.
Principales victoires
cutés. La loi du 22 prairial an II républicaines, des « Bleus» SARTHE
Segré La
LOIRE-INFÉRIEURE
(10 juin 1794) renforce le disposi- Contre-attaque des « Bleus» Blain MAINE- Flèche
tif répressif. Les accusés perdent ET-LOIRE
Trajet aller-retour de Savenay 17 mars
23 déc. 19 juin 3-4 déc.
la possibilité de se défendre. La l’armée vendéenne, Ancenis Angers
4 Saumur
Grande Terreur se concentre alors «virée de Galerne » 29 juin
(du 18 oct. au 23 déc.) Paimbœuf 5 Vihiers
Nantes
à Paris, où 1 400 personnes sont exé- 3 18 juil. 9 juin
1
cutées en six semaines. Au total, sur 2 Cholet 17 oct.
Torfou 19 sept. 6 Thouars
500  000 suspects, on peut estimer OCÉA N AT L A N T I Q UE 7 5 mai
St-Vincent-Sterlanges Bressuire
le total des exécutions à envi- 19 mars 8
ron 40 000 (17 000 condamnations VENDÉE Fontenay- Parthenay
1. Machecoul Les Sables-d’Olonne le-Comte 10 mai
par les tribunaux et plus de 20 000
2. Montaigu Poitiers
exécutions sommaires). 3. Clisson Luçon 25 mai VIENNE
13 août Niort
4. St-Florent
5. Beaupréau La Rochelle DEUX-SÈVRES
La répression en Vendée
6. Mortagne CHARENTE-
L’armée vendéenne n’a pas réussi à 7. Les Herbiers INFÉRIEURE
prendre Nantes, mais elle tient le sud de 8. Chantonnay
Source : J. Boutier, Atlas de l’histoire de France. La France moderne XVIe-XIXe siècle, Autrement, Paris, 2006. 30 km
la Loire. À partir d’octobre, les armées
républicaines, soutenues par les régi-
ments de Kléber et Marceau, mènent une un échec. Les « Bleus » infligent ensuite Vendéens. La répression est terrible. Ce
véritable guerre contre les Vendéens. Ces défaite sur défaite aux «  Blancs  », les sont les colonnes incendiaires de Turreau
derniers, vaincus à Cholet, entreprennent Vendéens. Chaque camp honore ses et à Nantes les massacres orchestrés
alors la « virée de Galerne » qui doit leur martyrs : Joseph Bara, âgé de 14 ans, par le représentant en mission Carrier.
permettre de gagner le Cotentin, prendre égorgé pour avoir refusé de crier « Vive le La guerre de Vendée a causé au total
un port (Granville) pour rejoindre les roi » pour les républicains, Bonchamps, dans les deux camps quelque 200 000
troupes anglaises et les émigrés. C’est chef vendéen tué devant Cholet pour les morts.
54

Les sans-culottes
Encouragés par les harangues et pamphlets des « enragés », Jacques Roux ou Varlet, les sans-
culottes parisiens ont attaqué boulangeries et épiceries pour obtenir des mesures de salut public,
et envahi la Convention pour éliminer la Gironde. Ils sont au cœur du processus de radicalisation
révolutionnaire, permettant la consolidation du gouvernement et l’organisation de la dictature de
salut public.

Qui sont les sans-culottes ? nous ont délivrés du clergé et de la coiffés du bonnet phrygien. Pour le
Une adresse de la société des sans- noblesse, de la féodalité, de la dîme, Père Duchesne, le journal d’Hébert,
culottes de Beaucaire à la Convention de la royauté et de tous les fléaux qui « Comme [le sans-culotte] travaille, on
nationale datée de septembre 1793 composent son cortège ». est sûr de ne rencontrer sa figure ni au
décrit la manière dont ses membres se Sur le plan vestimentaire, les sans- café ni dans les tripots où l’on conspire,
perçoivent : « Nous sommes des sans- culottes portent le pantalon rayé ni au théâtre. Le soir, il se présente à
culottes […] pauvres et vertueux, nous qui les distingue de l’aristocrate et sa section, non pas poudré, musqué,
avons formé une société d’artistes de l’ensemble des strates sociales botté, dans l’espoir d’être remarqué
– au sens d’artisans – et paysans […] supérieures. Les représentations de toutes les citoyennes des tribunes,
nous connaissons nos amis : ceux qui les montrent armés d’une pique et mais pour appuyer de toute sa force

LES 48 SECTIONS PARISIENNES


Généraux
Fermiers Clubs
te des
Encein
Emplacements
successifs de
28 l’Assemblée nationale
3 7 20 St-Lazare puis de la convention
21 Principales prisons
(plus de 500 prisonniers)
22 Emplacements
5 successifs de
6 la guillotine
2 Jacobins 13 14
23
Place de 12
la Révolution 1 4 15 27 Temple
Salle du Place du 11 16
Manège Carroussel 10
e

17 29 30
in

Salle des Louvre 9 18


Se

39 Machines 8 24
Champ (Tuileries) 33
Conciergerie 19 31
de Réunion Hôtel des Grande Force
38 Invalides Cordeliers 37 Pl. de Grève
40 36 32
École 41 Notre- 34 25
Militaire Dame 35 Place de
42 45 la Bastille
44
Luxembourg Plessis
Place
47 du Trône
1. Tuileries Renversé
26
2. Champs-Élysées 43
Se

3. Roule
ine

4. Palais-Royal 14. Bonne-Nouvelle Salpêtrière


5. Pl. Vendôme 46 600 m
15. Ponceau
Port-Libre 48
6. Bibliothèque 16. Mauconseil
7. Grange-Batelière 17. Marché-des- 41. Théâtre-Français
8. Louvre Innocents 42. Croix-Rouge
9. Oratoire 18. Lombard Bicêtre 43. Luxembourg
10. Halle-au-Blé 19. Arcis 24. Popincourt 37. Henri IV 44. Thermes-de-Julien
11. Poste 20. Fbg-Montmartre 25. Montreuil 29. Beaubourg 33. Pl. Royale 38. Invalides 45. Ste-Geneviève
12. Pl. Louis XIV 21. Poissonnière 26. Quinze-Vingts 30. Enfants-Rouges 34. Arsenal 39. Fontaine-de 46. Observatoire
13. Fontaine- 22. Bondy 27. Gravilliers 31. Roi-de-Sicile 35. Île-St-Louis -Grenelle 47. Jardin-des-Plantes
Montmorency 23. Temple 28. Fbg-St-Denis 32. Hôtel-de-Ville 36. Notre-Dame 40. Quatre-Nations 48. Gobelins
Source : É. Ducoudray, R. Monnier et D. Roche, Atlas de la Révolution française. Paris, tome XI, Éditions de l’EHESS, Paris, 2000.
LA RADICALISATION RÉVOLUTIONNAIRE • 55
SOCIOLOGIE DES SANS-CULOTTES
PARISIENS les bonnes motions. Au reste, un sans- comités révolutionnaires, et seulement
0,8 %
culotte a toujours son sabre pour fendre 0,8 % des comités civils.
9,9 % les oreilles à tous les malveillants. »
Les sans-culottes marseillais
20,1 %
Le personnel politique des Michel Vovelle a étudié 5 000 sans-
sections parisiennes en l’an II culottes marseillais, pour une popu-
58,5 % La diversité sociale de la sans-culotterie lation adulte masculine qu’il estime
se manifeste dans la composition du à 25 000 individus et une population
personnel politique des sections. Les totale à 100 000 habitants. Il évalue
63,8 % membres des comités civils constituent entre 12 000 et 15 000 le nombre total
57,3 % le groupe le plus ancien, le plus aisé ; ils de sans-culottes à Marseille, ce qui
appartiennent à la moyenne bourgeoisie représente un effectif important. Le
de l’échoppe ou du commerce. Peuplés profil du sans-culotte marseillais est le
12,2 % initialement de citoyens censitaires, suivant : 85 % sont mariés, avec un âge
2,3 % ces comités ont été renouvelés après moyen assez élevé (44 ans). La mobi-
le 10 août 1792, mais plus d’un quart lisation professionnelle est variable  :
vivent encore de leurs biens en l’an II. les franges inférieures du salariat sont
15,3 % D’origine plus populaire, le personnel sous-représentées à la différence des
26,2 %
15,5 %
0,7 % 2,8 % des comités révolutionnaires est quant à strates intermédiaires de l’artisanat et
1,9 % 4,5 % lui indemnisé, puis très vite salarié. Des des producteurs indépendants. Si le
Militants Commissaires Commissaires boutiquiers et artisans ruinés par la perte sans-culotte est victime de la paupéri-
révolutionnaires civils
de leur clientèle y trouvent des moyens sation économique et redoute la fin de
Vivent de leurs biens
de subsister ; on y rencontre des son indépendance, il ne constitue pas
Rentiers ou propriétaires
compagnons et des anciens domes- un prolétariat. À propos des cadres
Exercent une profession en plus
tiques. Parmi les simples militants, arti- du mouvement, on a même pu parler
Professions
Chefs d’entreprise sans et boutiquiers l’emportent ; les à Marseille comme à Paris d’embour-
libérales
Artisans et salariés représentent plus de 20 % du geoisement. En effet, l’artisanat et le
Salariés
boutiquiers
Source : A. Soboul, Les Sans-Culottes parisiens
groupe contre 9,9 % des membres des commerce fournissent respective-
en l’an II, Clavreuil, Paris, 1962. ment 40 et 30 % des sans-culottes
COMPOSITION SOCIALE ET ORIENTATION POLITIQUE marseillais, et respectivement 28 et
DES SECTIONS MARSEILLAISES 39 % des cadres du mouvement.
DENSITÉ DE POPULATION EN 1793 COULEUR POLITIQUE DES SECTIONS Les périodes juin-juillet 1792 et
janvier-février 1793 correspondent
à des pics de mobilisation. En mars
1793, les patriotes radicaux affirment
leur volonté de provoquer une nou-
velle insurrection où «  Marseille la
Républicaine » s’identifierait au « mou-
Port Port
vement révolutionnaire » en devenant
la «  Montagne de la République  »
aux côtés de la Montagne de la
Convention (Jacques Guilhaumou)  :
«  Frères et amis, saisissons nos
25 50 75 100 milliers d’hab./km2 Jacobines Fédéralistes Divisées armes ! Levons-nous ! Que le peuple
PART DES MAÇONS PART DES NÉGOCIANTS souverain se montre dans toute sa
force et dans toute sa majesté. Et nous
aussi, nous sommes de la Montagne.
Les sans-culottes, vrais républicains
de Marseille, se sont levés. Levez-
vous, armez-vous. C’est au peuple
de se sauver lui-même, comme il le fit
Port Port dans les crises mémorables de notre
révolution. Aujourd’hui, c’est à nous,
frères et amis, qu’il appartient d’impri-
mer à la France le dernier mouvement
200 m
révolutionnaire et de sauver, à notre
2 6 % Les zones en gris
D‘après R. Reichardt, E. Schmitt, Die französische Revolution, sont non traitées dans tour, Paris, qui tant de fois nous a
Oldenburg Verlag, Munich, 1988. (pour les 4 cartes) 10 15 % les sources originales. sauvés tous. »
56

La déchristianisation
La déchristianisation de l’an II est le fait d’initiatives ponctuelles, qui se déploient entre vendémiaire
et brumaire an II, pour détruire les églises et même les religions établies. Œuvre d’activistes,
elle traumatise les populations. La Convention et le gouvernement révolutionnaire ne la reprennent
pas à leur compte. Danton puis Robespierre ont dénoncé la vague déchristianisatrice.

La vague déchristianisatrice LES ADRESSES SUR LE CULTE À L’ÊTRE SUPRÊME


La déchristianisation de l’an II prend Nombre d’adresses
des formes variées. Elle vise à éradi- 150
quer tout ce qui tient au fanatisme et Fête de l’Être suprême
à la superstition : fermeture d’églises, 20 prairial de l‘an II
(8 juin 1794)
descentes de cloches, autodafés de 100
livres saints, abdications (entre 17 000
et 20  000) et mariages de prêtres. À
Reims, la sainte ampoule des sacres 50

royaux est brisée ; des cortèges gro-


tesques sont organisés avec des per-
0
sonnages déguisés en clercs et juchés Floréal Prairial Messidor Thermidor Fruct.
D’après C. Langlois, T. Tackett et M. Vovelle, Atlas de la Révolution française. Religion, tome IX, Éditions de l’EHESS, Paris, 1996.
sur des ânes. La déchristianisation
ouvre aussi sur le culte de la Raison
et des martyrs de la liberté. Le mou- LES RÉSISTANCES À LA DÉCHRISTIANISATION
ET LE CULTE DES MARTYRS DE LA RÉVOLUTION
vement est particulièrement sensible
dans le Bassin parisien, la France du RÉSISTANCES CULTE DES MARTYRS
Nord et dans le Centre. Il se diffuse à
travers la Bourgogne le long de l’axe
Saône-Rhône. Le quart nord-ouest et
le Sud-Ouest sont moins touchés. Les
Nombre Nombre
adresses à la Convention permettent d’adresses de communes*
de distinguer plusieurs Frances. Dans 1 1
le Midi, l’initiative revient aux sociétés 2 2
3 3
populaires, en particulier en Provence
4 4
et dans la basse vallée du Rhône, 5 6
tandis que les municipalités sont à la 6 9
commande dans les villages du Bassin Zones non traitées *Ayant adopté un nom faisant référence
parisien. Sur le pourtour du territoire, dans les sources originales à un martyr de la liberté (Marat, Le Peletier, Chalier, Bara)
Sources : M. Vovelle, La Mentalité révolutionnaire, Messidor Éditions sociales, Paris, 1985
150 km
où la déchristianisation, minoritaire, et La Révolution contre l’Église. De la raison à l’Être suprême, Éditions Complexe, Bruxelles, 1988.

rencontre de fortes oppositions, elle


est significativement lancée par les religieux dans le processus de politisa- violemment des femmes réclamant
administrations de département et tion dont la Révolution française a été le retour de la religion. Les partisans
de district. Lorsque la déchristianisa- le lieu ».  de Jacques-René Hébert, qui publie
tion est la plus minoritaire, comme en Le Père Duchesne marqué par sa
Bretagne, en Lorraine ou dans le sud du Du traumatisme à la résistance vulgarité et ses appels au meurtre,
Massif central, le mariage des prêtres, Les commissions militaires promeuvent, pour combler le vide
mesure radicale par excellence, consti- condamnent à mort plusieurs mil- laissé par la vague déchristianisa-
tue véritablement la rupture. Quelques liers de femmes pour avoir suivi la trice, le culte des trois martyrs de
années après le bicentenaire de 1789, messe d’un prêtre réfractaire. Certains la liberté : Marat, Le Peletier et Chalier.
l’historien Michel Vovelle pouvait affir- représentants en mission sont par- En Alsace, l’opposition des ruraux
mer : « on assiste aujourd’hui à une réé- ticulièrement actifs, comme Fouché se traduit par « la grande fuite » de plu-
valuation sensible du poids du facteur dans la Nièvre, auquel s’opposent sieurs milliers d’entre eux en Allemagne.
LA RADICALISATION RÉVOLUTIONNAIRE • 57

5 000 ADRESSES DÉCHRISTIANISATRICES De nombreux prêtres émigrent, notam-


34 %
ment en Angleterre et en Espagne,
30 % 32 % 33 %
25 % 24 % souvent dans des conditions difficiles.
Certains réussissent à maintenir le lien
avec leurs fidèles qui s’organisent pour
NORD-OUEST NORD-EST résister et continuer à pratiquer leur foi.

Le culte de l’Être suprême


Le 21 novembre 1793, Robespierre,
conscient que la déchristianisation
aliène l’opinion à la Convention, s’op-
pose aux hébertistes qui soufflent sur
l’incendie : « Le fanatisme est un animal
41 %
46 % féroce et capricieux […], l’athéisme est
27 % aristocratique, l’idée d’un grand être
21 %
25 % qui veille sur l’innocence opprimée
18 %
et qui punit le crime triomphant est
SUD-OUEST toute populaire. » Six jours plus tard le
Origines SUD-EST 7 frimaire an II, la Convention proclame
des adresses la liberté et le respect des cultes, mais
Voix du pouvoir* sans réussir à désamorcer le mouve-
ment. Hébert est contraint d’assurer
Municipalités
Sociétés son attachement à Jésus, « fondateur
populaires des sociétés sans-culottes ». Alors que
*Adresses émanant de représentants en mission. s’affrontent les «  indulgents  » autour
100
Nombre d’adresses 50
de Danton et de Desmoulins avec
de déchristianisation 10 son journal Le Vieux Cordelier, et les
Paris : 177, Seine-et-Oise : 271 100 km
envoyées à la Convention
« enragés » dont Hébert est le porte-
Sources : J.-P. Jessenne, Histoire de la France : Révolution et Empire 1783-1815, Hachette, Paris, 1993 et
C. Langlois, T. Tackett et M. Vovelle, Atlas de la Révolution française. Religion, tome IX, Éditions de l’EHESS, Paris, 1996. parole avec Père Duchesne, le gouver-
nement révolutionnaire, pris entre deux
L’ÉMIGRATION DU CLERGÉ VERS L’ANGLETERRE ET L’ESPAGNE (1792-1795) feux, décide d’éliminer les deux « fac-
tions ». L’appel à l’insurrection d’Hébert
Nombre de prêtres Liverpool
le 14 ventôse an II (14 mars 1794)
Londres
Winchester précipite sa chute. Le 24 mars, il est
2 10 100 200 810 guillotiné avec ses partisans ; le 5 avril,
Jersey : 1 860 c’est le tour des dantonistes et des
Vers le Royaume-Uni Indulgents.
Jersey
Départements de départ
par les ports normands
Face au culte de la Raison et des
Lieux de résidence martyrs de la liberté, Robespierre
en 1795 favorise le culte de l’Être suprême. Le
Vers l’Espagne 18 floréal an II (7 mai 1794), dans son
Zone de départ rapport sur les principes de morale poli-
Lieux de résidence tique qui doivent guider la Convention
en 1794
dans l’administration intérieure de
la République, il souligne que « l’Idée
Bilbao
de l’Être suprême et de l’Immorta-
lité de l’âme est un rapport continu
à la justice. Elle est donc sociale et répu-
blicaine ». La Convention décrète que le
peuple français « reconnaît l’existence
de l’Être suprême et de l’immortalité
de l’âme ». Mise en scène par David,
Tolède Valence la plus importante des fêtes en l’hon-
neur du « Grand Ordonnateur » a lieu
à Paris le 20 prairial (8 juin).
Robespierre, élu président de la
150 km Convention la veille, embrase une allé-
D’après C. Langlois, T. Tackett et M. Vovelle, Atlas de la Révolution française. Religion, tome IX, Éditions de l’EHESS, Paris, 1996. gorie de l’athéisme.
58

Une politique de guerre


La politique de guerre est centrale pour comprendre la radicalisation politique, la dictature du
Comité de salut public et la centralisation administrative en faveur des comités de gouvernement
mis en place par la Convention. Lorsque l’étreinte ennemie se desserre avec les succès
des armées de la République, la politique de guerre ne se relâche pas. La pression exercée
par les fronts intérieurs et la psychose née des complots contre-révolutionnaires légitiment
un régime d’exception.

Une mobilisation générale qui est l’objet des calomnies des fédé- LES COMBATS (MARS 1793-JUIN 1794)
Les levées massives d’hommes décré- ralistes, de la haine des aristocrates et
tées par la Convention changent la de la colère des tyrans ; il faut proté-
donne de la guerre et du rapport que ger le centre des communications, la Combats
les Français entretiennent avec elle. résidence de la première des autorités 1
L’impôt du sang est inégalement réparti publiques, le foyer de la révolution, le 2
3
avec un fort tropisme nord-est, de la réservoir de la fortune publique et le lieu 4
Haute-Normandie à la Franche-Comté. de tous les établissements nationaux. » 5
En revanche, le refus des levées est La mobilisation est également inté- 6
nettement marqué dans l’Ouest, le rieure ; les armées révolutionnaires
Centre – à l’exception d’une zone cou- deviennent alors « l’instrument de
vrant le Berry et le Limousin –, le Midi, la Terreur dans les départements  », 250 km

sauf certains districts aquitains. Il s’agit selon l’historien anglais Richard Cobb. D’après J.-P. Bertaud et D. Reichel,
Atlas de la Révolution française. L’armée et la guerre,
d’équiper et d’approvisionner une L’armée révolutionnaire parisienne est tome III, Éditions de l’EHESS, Paris, 1989.

armée de quelque 600 000 hommes,


ce qui nécessite une logistique com- FLEURUS : LA RÉPUBLIQUE À L’OFFENSIVE
plexe et efficace. Les savants sont mis Bruxelles Ligny
Piéton Tirlemont
XXX
à contribution dans le domaine des PRINCE DE
XXXX
QUASDANOVITCH
XXX
armes techniques : artillerie, génie, bal- SAXE-COBOURG Mellet KAUNITZ
(50 000 hommes)
lons d’observation. L’impulsion déci- XX
Pont-à-Migneloux
LATOUR
sive est donnée par le Comité de salut ORANGE XX
Heppignies Fleurus
XX
public. Pour des raisons d’efficacité WARTENSLEBEN MORLOT Velaine
XX

XX
XX BEAULIEU
XX

et de discipline, Carnot s’oppose aux Gosselies Ransart CHAMPIONNET LEFEBVRE


X

Trazegnies Le Campinaire
Hébertistes qui poussent leurs repré- XX HATRY
X X
XX
Lambusart
sentants en quelques jours au « géné-
XX XX

KLÉBER MARCEAU
ralat  », destituent ou exécutent des XX
DUBOIS
MAYER
MONTAIGU
officiers de métier, et procèdent sans III

nuance à l’amalgame entre troupes


III

Fontaine-l’Évêque
aguerries et volontaires. Avec le soutien Charleroi
Châtelet
III

de Robespierre, Carnot maintient le Marchienne- MARESCOT


Mons au-Pont
professionnalisme et protège certains m b re Namur
Sa

officiers. La discipline est imposée et Montignies XXXX

Saint-Just « jacobinise » l’armée pour


s’en assurer le contrôle. Pour Barrère JOURDAN
(70 000 hommes)
qui rapporte devant la Convention
Représentant en mission :
au nom du Comité de salut public le Saint-Just
1er août 1793, il est essentiel de proté- Thuin Philippeville 2 km
ger Paris : « Des troupes réglées consi-
dérables et des forces de réquisition Unités militaires Troupes
XXXX XX
Repositionnement
vont former des camps entre Paris et Armée Division Cavalerie Françaises des troupes
l’armée du Nord. Il faut couvrir une cité XXX
Corps III françaises après
d’armée Régiment Austro-hollandaises la reddition de
qui a tant fait pour la liberté dont elle Charleroi (25 juin)
est le théâtre ; il faut défendre une cité D’après J.-P. Bertaud et D. Reichel, Atlas de la Révolution française. L’armée et la guerre, tome III, Éditions de l’EHESS, Paris, 1989.
LA RADICALISATION RÉVOLUTIONNAIRE • 59

DES LEVÉES DE 1791-1792 À LA RÉQUISITION DE 1793

1791 1792 AOÛT 1793

Bataillons Bataillons Bataillons


de 300 à 700 hommes de 400 à 800 hommes de 400 à 800 hommes
(le plus souvent 570)
Bataillons levés ou requis 1 4 8 12 24
D’après J.-P. Bertaud et D. Reichel, Atlas de la Révolution française. L’armée et la guerre, tome III, Éditions de l’EHESS, Paris, 1989. 150 km

de loin la plus nombreuse. Elle inter- pertes deux fois inférieures à celles des l’environnement proche de la capitale
vient sur 28 départements, bien au- Français. Un mois plus tard, les armées (Picardie, Nord) et de pousser jusque
delà du Bassin parisien. Localement, de la République sont à Anvers. dans les départements de l’Ouest qu’il
les armées révolutionnaires peuvent faut reprendre.
compter de 1 000 à 2 000 hommes, Le front intérieur
mais parfois quelques dizaines de Les cartes des départements concer-
LES ORIGINES SOCIALES
volontaires seulement. Elles sont nés par les déplacements des armées DES REQUIS À PARIS
issues des initiatives prises par des révolutionnaires et des lieux de combat
représentants en mission, des socié- montrent que, si le Nord et l’Est sont Bourgeois d’affaires
tés populaires et des autorités locales. directement au contact de la guerre
Bourgeois à talent
Ces armées et leurs déplacements étrangère, il en va aussi de l’ensemble
témoignent de l’ampleur d’une poli- des frontières, y compris à l’Ouest avec Artisans et boutiquiers
tique de guerre et de la généralisa- les opérations de la marine britannique
Commis et garçons
tion de ces impacts sur le territoire de et des forces contre-révolutionnaires.
la République. Front intérieur et front extérieur se Compagnons et ouvriers
rejoignent alors. Le rapport de Barrère
Petits métiers urbains
La victoire de Fleurus à la Convention fait expressément le
(26 juin 1794) lien entre les deux menaces : « Nous Domestiques
Les armées de la République rem- aurons la paix le jour que l’intérieur sera
Paysans
portent une victoire décisive à Fleurus paisible, que les rebelles seront sou-
le 8 messidor an II (26 juin 1794), qui mis, que les brigands seront extermi- Sans profession
marque un tournant dans la guerre nés. Les conquêtes et les perfidies des
0 10 20 30 40 %
contre la coalition. À cette occasion, puissances étrangères seront nulles le
D’après J.-P. Bertaud et D. Reichel,
un aérostat est utilisé pour la première jour que le département de la Vendée Atlas de la Révolution française. L’armée et la guerre,
tome III, Éditions de l’EHESS, Paris, 1989.
fois à des fins d’observation militaire. aura perdu son infâme dénomination
À la tête de 89 000 soldats français et sa population parricide et coupable.
LES ARMÉES RÉVOLUTIONNAIRES
(dont 8 000 ne sont pas engagés), Plus de Vendée, plus de royauté ; plus
Jourdan et Kléber affrontent 52  000 de Vendée, plus d’aristocratie ; plus de
Autrichiens et Hollandais. Le duc de Vendée, et les ennemis de la république
Saxe-Cobourg qui commande ces ont disparu. »
derniers attaque les Français pour pro- L’idée d’une République acculée sur
téger ses arrières menacés par le siège ses frontières et menacée de l’inté-
puis la prise de Charleroi par Jourdan, rieur par des ennemis mortels légitime
le 25 juin. Ignorant la chute de la ville, les mesures répressives et des levées
les cinq colonnes d’attaque de Saxe- d’hommes qui mobilisent l’ensemble
Coburg infligent de très lourdes pertes du territoire cette fois. Le dévelop-
150 km
aux lignes françaises. Mais l’armée pement des missions des agents du
française, plus nombreuse, parvient Comité de sûreté générale hors de
Départements touchés par les opérations
à résister et à contre-attaquer. Saxe- Paris est particulièrement significatif : d’une armée «révolutionnaire»
Cobourg bat en retraite de l’autre côté il s’agit de s’assurer du contrôle (volontaires sans-culottes)
Source : R. Cobb, The People’s Armies,
de la Meuse le lendemain, malgré des de l’axe Paris-Lyon, de maîtriser Yale University Press, New Haven and London, 1987.
60

L’Europe des patriotes


Si 1789 a suscité dans toute l’Europe une curiosité et un intérêt non dissimulés, la radicalisation
révolutionnaire met à l’épreuve les patriotes. Il en va de même aux États-Unis où Thomas Jefferson
qui cherche à justifier la politique de la Convention est largement critiqué. Restent seuls en course
les patriotes et radicaux, comme Cloots, Forster ou Paine qui abandonnent le cosmopolitisme
d’Ancien Régime pour un universalisme militant, et se font élire à la Convention.

Jacobins ou patriotes ? Fox est systématiquement coiffé du sociétés secrètes et une censure ren-
Avec le développement des théories bonnet rouge des sans-culottes. Si les forcée. À Londres, le Parlement discute
de la subversion révolutionnaire, il ne sociétés patriotiques radicales sont d’une loi contre les sociétés illégales en
fait pas bon être taxé de jacobin. Pour largement implantées hors de France, 1799. Le « comité secret » de la Chambre
Catherine II, impératrice de Russie, qui patriotes et radicaux se définissent des communes prétend détenir les «
a largement abandonné son soutien rarement comme jacobins. Ils tiennent preuves irréfutables d’une entreprise
aux idées des Lumières, la Pologne est à l’autonomie de leur engagement et systématique, mûrie de longue date et
devenue une « jacobinière ». En réalité, de leur projet politique et ne reçoivent orchestrée depuis la France en relation
à la psychose du complot contre- pas passivement les idées révolution- avec des traîtres en Grande-Bretagne, de
révolutionnaire largement répandue en naires françaises, mais les empruntent destruction des lois, de la constitution, du
France correspond en creux celle du de manière sélective. Il n’empêche, la gouvernement, et de toute forme d’ordre
complot révolutionnaire. En Angleterre, radicalisation révolutionnaire et son civil ou religieux tant dans le royaume
la caricature politique se déchaîne audience justifient aux yeux des auto- de Grande-Bretagne que dans celui
contre les radicaux. Le député James rités des lois d’exception contre les d’Irlande, et de dissolution de l’union

LES SOCIÉTÉS PATRIOTIQUES, RADICALES, ET RÉPUBLICAINES DANS L’EUROPE DU NORD-OUEST


Localité ayant une ou plusieurs
sociétés politiques créées en
Glasgow Société « radicale » 1792-1793
Édimbourg Société « radicale »
en relation avec an III-an IV
la Corresponding
an VI-an VII
Society de Londres
en 1797
France France République
en 1789 en 1799 batave

Hambourg
Liverpool Sheffield
Manchester

Norwich
Birmingham
Haarlem Amsterdam

Bristol
Londres

Bruxelles Cologne

Mayence
Luxembourg

100 km D’après J. Boutier, P. Boutry, Atlas de la Révolution française. Les sociétés politiques, tome VI, Éditions de l’EHESS, Paris, 1992.
LA RADICALISATION RÉVOLUTIONNAIRE • 61

CORRESPONDANCES FRANÇAISES DES SOCIÉTÉS DE LONDRES COMPOSITION SOCIALE


ET DE MAYENCE DES « JACOBINS » RHÉNANS

LONDRES MAYENCE 1%
NOV. 1789-DÉC. 1790 OCT. 1792-MARS 1793
5% 8%
1%
11 % 24 %
12 %
5%
3%
Nombre
de lettres 8%
reçues 32 %
34 %
1
10
30 %
150 km

14 % 18 %
D’après J. Boutier, P. Boutry, Atlas de la Révolution française. Les sociétés politiques, tome VI, Éditions de l’EHESS, Paris, 1992.

2% 13 %
entre les deux royaumes  ». La loi est se proclame ambassadeur puis ora-
14 % 8%
adoptée en juillet, certaines dispositions teur du genre humain. Citoyen français
s’appliqueront jusqu’en 1967. en août 1792, il est élu à la Convention 10 %
7%
et préside même un temps le club des 17 % 3%
À l’Est, un recrutement original Jacobins. Mais Robespierre lui reproche 7% 8%
Les mouvements « jacobins » sont très sa volonté d’exporter la Révolution par 2% 1%
Spire Coblence Cologne
divers par leur intensité, leur recrute- les armes, qui l’avait un temps rappro- 44 241 203
ment social et numérique, leurs objectifs ché des Girondins, et son activisme Effectifs
et leurs actions réellement entreprises. déchristianisateur. La Convention l’ex- Clergé Artisans
Ainsi, dans les États des Habsbourg, les clut au motif « qu’aucun individu né en Fonctionnaires
Juristes et militaires
« jacobins » viennois, malgré leur carac- pays étranger ne peut représenter le Professions
libérales Paysans
tère attachant et leur envergure indivi- peuple français ». Cloots est condamné Étrangers
Négociants
duelle, sont très isolés, sans base popu- à mort par le Tribunal révolutionnaire (Français)
laire – ils se recrutent dans la noblesse, avec les Hébertistes et exécuté le Commerçants Indéterminés
Source : M. Vovelle, Les Jacobins de Robespierre à
les administrations et les cadres intel- 24 mars 1794. Chevènement, La Découverte, Paris, 1999.
lectuels –, tout comme à Prague. En
Hongrie, le mouvement, un peu plus Des Lumières au jacobinisme Bonn, ces universitaires et administra-
étoffé, recrute dans la petite noblesse La révolution qui donne naissance à la teurs animent des sociétés de lecture
ou parmi les serviteurs « intellectuels » république de Mayence n’est pas un (Lesegesellschaften). Ils forment le cœur
de l’aristocratie : précepteurs et secré- produit d’importation française, comme du club des Jacobins et les cadres de la
taires. Il prend très vite une dimension un survol chronologique trop rapide peut république de Mayence en 1792-1793.
d’affirmation nationale que l’on retrouve le laisser croire, la fondation du club Citons Franz Konrad Macke (1756-1844),
au cours des révolutions du XIXe siècle. des Jacobins, la Société des amis de la commissaire de police devenu procu-
Dans tous les cas, ceux qui se consi- Liberté et de l’Égalité, le 23 octobre 1792, reur de la Commune puis maire de la
dèrent fondamentalement comme des survenant deux jours seulement après la ville fin 1792, partisan de l’annexion de
patriotes se sont éveillés aux enjeux reddition de la ville au général Custine. la Rhénanie et commissaire du gouver-
réformateurs des Lumières au sein Les discours des clubistes témoignent nement près l’administration municipale
des loges maçonniques et des sociétés en effet de l’appropriation des mes- en 1798, ou Johann Heinrich Rudolf
de lecture. sages révolutionnaires français et de leur Eickemeyer (1753-1825), professeur
adaptation au contexte rhénan. Surtout, de mathématiques à Mayence en
Anacharsis Cloots et Mayence est, dès le début des années 1784, doyen de la Faculté en science
la République universelle 1780, un centre actif des Lumières radi- camérale en 1792, officier d’artillerie et
La trajectoire de Jean-Baptiste cales grâce à l’attitude tolérante du ingénieur militaire, devenu en 1793
«  Anacharsis  » Cloots illustre le carac- prince-Électeur. Les Aufklärer (hommes général de brigade de l’armée française.
tère tragique de la radicalisation révo- des Lumières) se retrouvent dans les L’envergure des individus considérés
lutionnaire et le formidable espoir loges maçonniques, puis dans les rangs a indiscutablement donné de la consis-
qu’elle a représenté pour ceux des par- des Illuminaten (les célèbres Illuminés tance aux accusations lancées contre
tisans des Lumières radicales qui ont de Bavière stigmatisés par l’abbé la franc-maçonnerie d’avoir nourri en
prolongé leur engagement jusqu’au Barruel dans ses Mémoires pour écrire son sein les germes révolutionnaires, et
jacobinisme. Gallophile assumé, installé l’histoire du jacobinisme), partisans d’une aux Lumières d’être, plus globalement,
en France dès 1780, puis à nouveau transformation radicale de la société, responsables de la corrosion accélérée
en 1789, devenu Anacharsis, Cloots mais par en haut. À Mayence comme à de l’ordre ancien.
62

Les républiques sœurs


Après Fleurus, l’invasion de la Hollande et l’avancée de Bonaparte en Italie changent les
perspectives de la guerre : d’une défense de la République et de ses extensions « naturelles »
face à l’Europe coalisée, la France passe à une guerre de conquête. La création de « républiques
sœurs » permet de s’entourer d’États tampons qui protègent les frontières françaises tout en
alimentant les caisses de la République et de ses agents.

Exporter la Révolution ? LES RÉPUBLIQUES SŒURS


Désormais à l’offensive sur le plan mili- Mer du
France en 1790
Territoires annexés
Nord de 1794 à 1799*
taire, la France du Directoire semble Territoires annexés
Amsterdam Territoires occupés**
envisager une sortie de la Révolution 1
de 1791 à 1793
La Haye
par un repositionnement fort du pays au France en 1793 Républiques sœurs
sein de l’Europe. Entre 1796 et 1799, la Bruxelles Cologne République
2 (date d’instauration) :
France s’entoure de républiques sœurs, Manche BELGIQUE
1. batave (1795)
RHÉNANIE
qui remplacent les souverains d’Ancien 2. cisrhénane (1797)
Régime et les anciennes oligarchies SAARWERDEN 3. helvétique (1798)
Paris SALM 4. cisalpine (1797)
aristocratiques. Leur création, dépen- Mulhouse 5. ligurienne (1797)
dante de l’intervention militaire française, Montbéliard Lucerne 6. romaine (1798)
repose sur la convergence momentanée 7. parthénopéenne
3
Genève Berne (1799)
d’intérêts entre la République française, OCÉAN Venise
SAVOIE Milan France en 1799
désireuse avant tout de protéger ses ATLANTIQUE Chambéry PIÉMONT 4
Turin PARME Bologne
frontières et, après la paix de Bâle (1795), COMTAT
VENAISSIN Gênes 5 Florence
de mieux négocier la paix avec les puis- LUCQUES Ancône
Avignon Nice Mer
sances encore en guerre, et les patriotes Livourne TOSCANE
Adriatique
locaux, souhaitant réformer leurs institu- PRÉSIDES
6
Rome 7
tions sans faire appel aux masses et en
s’épargnant les excès de la Terreur. Naples

Le coût de l’aide française pour « libérer » ROYAUME


Mer
ces territoires est partout élevé : réquisi- DE SARDAIGNE Tyrrhénienne
tions, contributions en nature, en argent, Cagliari
Palerme
en hommes, « douceurs » versées sous ROYAUME
le manteau pour alléger le poids de l’oc- Mer Méditerranée DE SICILE
*plus les îles Ioniennes en 1797
cupation alourdissent la facture et exas- **plus Malte en 1798 150 km

pèrent les populations. Le masque d’une


guerre de libération menée par la France des réformes passant outre les résis- matérielles, morales et religieuses,
tombe lors du traité de Campoformio tances et oppositions qui les avaient et les modérés qui, tout en redoutant
(1797), par lequel Bonaparte négo- empêchées pendant des décennies. les « excès », ne sont pas hostiles aux
cie la reconnaissance autrichienne de projets constitutionnels du tiers état. Si
l’annexion de la Belgique contre la ces- La péninsule italienne face le tournant de 1792-1793 éloigne, ici
sion de la Vénétie à l’Autriche, renouant à la Révolution (1789-1795) comme ailleurs en Europe, nombre de
ainsi avec les pratiques de marchan- La Révolution française bloque le pro- sympathisants, une minorité de bour-
dage d’Ancien Régime et mettant le cessus réformiste qui avait été enclen- geois et d’aristocrates passe à l’action :
Directoire devant le fait accompli. Les ché dans plusieurs États de la péninsule ce sont les « jacobins » ou « patriotes ».
patriotes italiens, qui espéraient l’appui dans la seconde moitié du XVIIIe siècle : Ces groupes dédaignent tout lien avec
français pour créer un État unitaire, les souverains redoutent la contagion les masses populaires ; leurs complots
crient à la trahison. Il reste que l’expé- des masses populaires, potentiellement (Bologne et Naples en 1794, Palerme
rience, même courte, des républiques sensibles aux messages antiseigneu- en 1795) sont facilement déjoués par la
sœurs a permis de sensibiliser et for- riaux. La Révolution divise les élites ita- police. Désormais, l’espoir des jacobins
mer un embryon de classe dirigeante liennes entre adversaires farouches, qui de subvertir les institutions repose sur
locale, et de mener en peu de temps dénoncent la menace contre les valeurs l’intervention des armées françaises.
LA RADICALISATION RÉVOLUTIONNAIRE • 63

La campagne d’Italie LES CAMPAGNES ITALIENNES


et le Triennio (1796-1799) vers Vienne LA CAMPAGNE
L’invasion de l’Italie par l’armée fran- Col de
Savoie Tarvis DE 1796-1797
çaise de Bonaparte au printemps Chambéry Trente Trajet des
MILANAIS
1796 est avant tout une diversion Milan 9 Campoformio armées
PIÉMONT 10 Trévise françaises
pour alléger le front du Rhin. Son 5 7 Vérone Trieste
8 Venise Batailles
Turin
succès ouvre toutefois rapidement de Cherasco Traités et
3 Gênes Plaisance
6


UB
nouvelles perspectives. Les objectifs

P
PARME L Istrie armistices
4
2 Bologne IQU
militaires et les ambitions poli- 1 RÉP. DE MODÈNE E
GÊNES DE
tiques françaises évoluent sans Nice MONACO RÉP. DE LUCQUES ST-MARIN VEN
ISE
plan préconçu, en fonction du Livourne
Florence
Mer Ancône Dalmatie
sort des armes. Si certains terri- TOSCANE
Mé dite rran é e PIOMBINO ÉTATS DE
toires demeurent occupés, dans Elbe L’ÉGLISE
l’attente des négociations de paix, PRÉSIDES Mer
Corse Adriatique
l’appui français et l’activisme des Ajaccio
«  patriotes  » locaux aboutissent ail- Rome Cattaro
leurs à la création des républiques Pontecorvo
sœurs. En trois ans, la carte politique ROYAUME
et les institutions de la péninsule Bénévent Bari
ROYAUME DE Naples
sont bouleversées. Cette expérience, DE NAPLES
SARDAIGNE
avec ses élans constitutionnels, ses
réformes et ses acquis démocra- Cagliari Mer Tyrrh énienne
tiques, et la participation au gouver-
nement d’hommes jusque-là exclus 1. Montenotte 6. Mantoue
de la chose publique, est fondamen- 2. Millesimo 7. Castiglione
3. Dego 8. Arcole Me r
tale pour comprendre la manière dont 4. Mondovi 9. Bassano Palerme Messine I onienne
le Triennio influence les attitudes 5. Lodi 10. Rivoli
des élites et des masses populaires Les États italiens sont représentés ROYAUME DE SICILE
dans leurs frontières de 1792 100 km
pendant et après l’ère napoléonienne.
RÉPUBLIQUE
L’ITALIE EN 1797 RHODANIENNE L’ITALIE EN 1802
La chute des républiques Milan Milan
sœurs italiennes (1799) Piémont RÉPUBLIQUE Venise Turin RÉPUBLIQUE Venise
Turin
L’expansion française vers le Nord, Parme
CISALPINE Gênes
Gênes ITALIENNE
en Italie et en Méditerranée (Malte, RÉP. RÉP. Florence
Nice Nice
Égypte) provoque la formation LIGURIENNE Florence LIGURIENNE

de la seconde coalition en 1798. Livourne TOSCANE ROY. D'ÉTRURIE


ÉTATS DE
ÉTATS DE
Dépendantes de la présence des L’ÉGLISE L’ÉGLISE
Corse ROYAUME Corse ROYAUME
armées françaises, les républiques Rome Rome
DE NAPLES DE NAPLES
sœurs italiennes s’effondrent dès le
printemps 1799 face aux succès des Naples Naples
armées austro-russes et des mouve- ROY. DE ROY. DE
ments armés des masses paysannes, SARDAIGNE SARDAIGNE
guidées par le clergé et exaspérées 100 km 100 km
par les exactions françaises. Naples
cède en juin 1799, la répression y est LA RÉPRESSION NAPOLITAINE
La France en Italie
féroce  : « Tout ce qu’elle renfermait de République française Sur 8 000
citoyens remarquables par leurs prin- Annexions françaises arrestations RÉP. PARTHÉNOPÉENNE
cipes, leur courage et leurs talents, fut de 1792-1793 à Naples (ROY. DE NAPLES)
sacrifié », constate Vincenzo Cuoco, Occupation française Condamnation
à mort Naples (13-21 juin 1799)
l’un des rescapés, qui attribuera Républiques sœurs
105*
l’échec napolitain à la transposition
États vassaux Prison à perpétuité
de principes français abstraits à la
222
réalité italienne («  révolution pas- Italie en 1792 Déportation
sive  »). L’image d’une populace Possessions 288
des Habsbourg
superstitieuse et violente légitimera la Exil
Possessions Palerme
mainmise des élites sur les structures des Bourbons 67
ROY. DE SICILE
de gouvernement avant et après Autres petits États *dont 6 graciés
100 km
l’unité.
64

Les modifications du commerce


atlantique
La révolte des esclaves à Saint-Domingue, la guerre maritime, et l’abolition de l’esclavage dans
les colonies françaises modifient radicalement les circuits du commerce transatlantique, source
de richesse des ports français avant la Révolution. Alors que d’autres colonies prennent la relève
de la production sucrière, les marchés européens se passent, grâce aux neutres, de l’intermédiation
de la France, ce qui affecte en profondeur sa position dans le commerce international.

Un commerce colonial métropolitains réexportent ensuite de l’exclusif. La période révolution-


bouleversé une large partie de ces produits vers naire ajoute toutefois une dimension
À la veille de la Révolution, la France le reste de l’Europe et se réservent singulière, car la révolte des esclaves
est, grâce à Saint-Domingue et aux ainsi l’essentiel des bénéfices. Ces de Saint-Domingue et l’abolition de
autres îles antillaises, le principal pro- échanges sont régulièrement boule- l’esclavage dans les colonies fran-
ducteur de sucre et de café au monde. versés à l’occasion des conflits, qui çaises affectent en profondeur le
Ces denrées coloniales parviennent empêchent les négociants français de cadre productif, et pas uniquement
obligatoirement en France, en vertu commercer en toute sécurité avec les les circuits du commerce. Alors que
du régime de l’exclusif, qui interdit colons. Se mettent alors en place des les Antilles britanniques, Cuba et le
tout commerce direct entre les colo- circuits détournés, avant que le retour Brésil accroissent progressivement
nies et les pays étrangers. Les ports à la paix permette de rétablir le régime leur production, l’approvisionnement
du continent européen est largement
LA RÉORGANISATION DES ÉCHANGES MARITIMES assuré par les négociants et les navires
CARGAISONS DES NAVIRES NAVIRES ENTRÉS EN DROITURE neutres. Les États-Unis, en particulier,
AMÉRICAINS À BORDEAUX DEPUIS LES ÉTATS-UNIS voient leur commerce extérieur explo-
Tabac 250
en nombre de navires ser à partir de 1793 : cette croissance
Bordeaux Hambourg repose largement sur la réexporta-
Riz 200 tion des produits antillais, asiatiques
et européens, préalablement impor-
Bois 150 tés aux États-Unis pour se mettre en
règle vis-à-vis des législations contrai-
Farine 100 gnantes des belligérants, qui inter-
disent toute liaison directe entre deux
Coton 50 ports ennemis. Les changements dans
la nature des cargaisons des navires
Sucre
0 américains qui parviennent à Bordeaux
Café 1792 1794 1796 1798 1800 1802 avant et après 1793 illustrent claire-
Source : S. Marzagalli, «Hambourg, Bordeaux et les États-Unis
Bois de teinture dans les années 1790 : quelques remarques à propos ment ces mécanismes de substitution.
des circuits commerciaux en temps de guerre», in B. Schmidt
et B. Lachaise (dir.), Bordeaux- Hambourg. Deux villes Les navires américains sillonnent à
Indigo dans l’histoire, DOBU Verlag, Hambourg, 2007. cette époque toutes les mers de la pla-
Cacao ORIGINE DES IMPORTATIONS nète, mais sont tout particulièrement
DE CAFÉ À HAMBOURG nombreux en Europe. Entre 1800 et
Poivre
France Royaume-Uni Autres 1810, Bordeaux constitue la seconde
Boisson Importations de café, en tonnes principale destination européenne au
Huile de poisson 1790 départ de New York.

Cire % de navires 6 949 2 800


ayant le produit à bord La réorganisation
Savon 439 des échanges maritimes
Avant 1793 1795 vue de Bordeaux
Navires sur lest
Entre 1793 et 1815 8 972 11 276 Principal port colonial français dans
0 20 40 60 80 100 la seconde moitié du XVIIIe  siècle,
121
Source : S. Marzagalli, Bordeaux et les États-Unis, 1776–1815 : Source : Bordeaux maintient son commerce
politique et stratégies négociantes dans la genèse d’un réseau S. Marzagalli, « Négoce maritime et guerres révolutionnaires
commercial, Droz, Genève, 2015. (1793-1802) », in Revue d’histoire maritime, n°4, 2005. transatlantique après 1793 grâce aux
LA RADICALISATION RÉVOLUTIONNAIRE • 65

L’ITINÉRAIRE DES NAVIRES AMÉRICAINS ARRIVÉS À BORDEAUX EN 1791 ET 1795

Bordeaux

1791
1795
Nombre de navires :
1
5
OCÉAN ATL ANTIQUE 20
42
77
229

Sources : ADG, 6B281 et NA, RG84, Bordeaux Consulate. Cartographie d’après S. Marzagalli et M. Perronnet, UMR Temiber, CNRS-université de Bordeaux III, 2003.

LE COMMERCE EXTÉRIEUR DES ÉTATS-UNIS (1790-1807) que les bénéfices du commerce de


en millions de dollars réexportation des denrées coloniales
150
et de la traite négrière échappent désor-
Importations mais largement au négoce français.
125
Exportations dont...
... réexportations La perte des marchés français
100
de réexportation
En 1789, Bordeaux expédiait les trois
quarts du sucre et du café impor-
75
tés depuis les Antilles vers les ports
d’Europe du Nord : Hambourg absor-
50
bait 21 % du sucre et 46 % du café
exportés par la ville girondine. Ces
marchés sont perdus après 1793 : si
25 le port de Bordeaux continue à être
approvisionné par les navires neutres,
il perd les marchés des réexportations
0 coloniales. Entre 1790 et 1795, les
1790 1795 1800 1805
Source : D. C. North, négociants de Hambourg ont changé
«The United States Balance of Payments, 1790-1860», in Trends in American Economy in the Nineteenth Century, 1960.
de fournisseurs et s’approvisionnent
navires neutres, scandinaves et amé- l’asphyxie économique. Nominalement directement aux Antilles, à Londres ou
ricains pour l’essentiel. Alors qu’une neutres, navires et cargaisons sont en aux États-Unis, comme en témoigne
quarantaine de navires nord-améri- fait souvent la propriété de négociants la croissance du nombre de navires
cains arrivent à Bordeaux en 1791, en bordelais. Plusieurs négociants borde- entrés en droiture à Hambourg depuis
général chargés de tabac, leur nombre lais s’installent par ailleurs aux États- les États-Unis. Port neutre – quoiqu’en
dépasse 350 en 1795. Ils transportent Unis, soit en fuyant Saint-Domingue, position délicate en raison de son
alors des céréales et du riz – la France soit dans le cadre d’une stratégie de appartenance au Saint Empire Romain
souffrant d’une grave disette en 1794 –, redéploiement familial à partir du port Germanique –, Hambourg accroît forte-
mais aussi et surtout des denrées girondin. Les Américains continueront ment son commerce dans les années
coloniales. En quittant Bordeaux, les à desservir massivement Bordeaux 1790 et s’affirme comme le principal
navires américains assurent l’expor- jusqu’en 1808, lorsque l’évolution entrepôt commercial du nord, favorisé
tation du vin vers les marchés euro- du contexte international limitera par le déclin d’Amsterdam occupé par
péens et coloniaux, évitant à la ville fortement la navigation neutre. Reste les Français en 1795.
66

Bilan de la vente
des biens nationaux
La nationalisation des biens appartenant au clergé, puis de ceux des émigrés permet une
redistribution massive, quoique inégale, de la propriété foncière, fondement de la richesse
et source de prestige dans la France d’Ancien Régime. Ce choix permet d’absorber largement
la dette écrasante léguée par les Bourbons à la France révolutionnaire sans avoir recours aux
impôts, et attache à jamais à la cause de la Révolution tous les acquéreurs de biens nationaux.

Un choix politique majeur politiques, liant à la Révolution les acqué- d’émigrés. De même, la possibilité de
Pour faire face à la crise financière avant reurs, mais éloignant les catholiques payer les achats en assignats, dont la
la refonte du système fiscal, les gouver- jusqu’au Concordat de 1801. valeur est théoriquement garantie par
nements révolutionnaires sont contraints les biens nationaux, rend vaine toute vel-
d’adopter des solutions d’urgence, Un phénomène d’ampleur léité de chiffrer ce que l’opération a réel-
dont la vente des biens nationaux et inégale lement rapporté à l’État sur le plan finan-
le recours aux assignats, qui ont des L’importance de la vente des biens du cier, car les paiements s’échelonnent
conséquences énormes. La mise sur le clergé et des émigrés ne doit pas faire dans le temps, avec des assignats en
marché des biens de l’Église, décidée en oublier que la multiplicité des situations chute libre dès 1792. En revanche, le
novembre 1789, puis des biens des émi- rend peu significative toute moyenne bilan politique est indéniablement posi-
grés (1792), affecte la structure sociale nationale : d’un district à un autre, voire tif pour la Révolution, car l’opération
et économique de la France (« l’événe- entre deux communes limitrophes, les attache à celle-ci les acquéreurs qui, en
ment le plus important de la Révolution », surfaces mises en vente et leur valeur France comme dans les départements
Bernard Bodinier et Éric Teyssier) mais varient énormément, en fonction de la annexés, ont tout à craindre d’un retour
conditionne également les équilibres richesse de l’Église et de la présence de l’Ancien Régime.

L’AMPLEUR DES VENTES


VENTE DES BIENS DE PREMIÈRE ORIGINE VALEUR TOTALE DES ALIÉNATIONS
PAR DISTRICT PAR DÉPARTEMENT EN 1795

*
100 km

* Département créé en 1808


** Deux départements depuis 1793 **
Montant total des aliénations,
% de la superficie du district* en millions de livres en prix réel
District non étudié (non inflationné)
1 3 7,5 10 20
*Moyenne pour les Côtes-du Nord et le Tarn-et-Garonne moins de 5 5 à 10 10 à 15 15 à 20 20 à 30 30 à 42 Paris : 58
Source : B. Bodinier, E. Teyssier, La Vente des biens nationaux. L’événement le plus important de la Révolution 1790-1867, Comité des travaux historiques et scientifiques, Paris, 2000.
LA RADICALISATION RÉVOLUTIONNAIRE • 67

LES SURFACES VENDUES DANS LE DISTRICT DE GRASSE LES VENTES DANS LES
DÉPARTEMENTS ANNEXÉS
Amirat Collongues
ALPES-MARITIMES
BASSES-ALPES Sallagriffon
Les Mujouls
Gars Roquestéron Les Ferres
Briançonnet Bruxelles
Aiglun
Le Mas Conségudes
St-Auban
District de
Gréolières
Valderoure St-Paul
Andon

Cipières
Caille Namur
Séranon
Caussols Vence
Escragnolles Gourdon Surface vendue
par district, en %
Le Bar Le Rouret 30 km
St-Vallier Roquefort 10 15 20 25 30 37
District de Châteauneuf D’après B. Bodinier, E. Teyssier, La Vente des biens nationaux.
Draguignan St-Cézaire Opio L’événement le plus important de la Révolution 1790-1867,
Spéracèdes GRASSE
Comité des travaux historiques et scientifiques, Paris, 2000.
Cabris Valbonne
Mouans Biot
Le Tignet Auribeau
Sartoux Mougins
Antibes
District de La Roquette
Fréjus Le Cannet Vallauris
Pégomas À qui profitent les ventes ?
Mandelieu Cannes La vente de biens nationaux a mis sur
Absence de données
le marché 10 % du territoire français
Surfaces minimales vendues par commune
et de nombreux immeubles urbains :
Superficie en hectares
12  % des biens parisiens ont ainsi
Moins de 10 de 10 à 50 de 50 à 100 de 100 à 400 1 161
changé de propriétaire. 600 000
En pourcentage de la superficie de la commune
Français en ont profité. Un tiers des
Moins de 1 de 1 à 5 de 5 à 10 de 10 à 21 36,5 4 km
biens – surtout de petites parcelles – a
été acquis par des paysans : le nombre
des propriétaires exploitants s’accroît
LES BÉNÉFICIAIRES DANS LA GIRONDE ainsi de 10 %. Mais ce sont les bour-
geoisies urbaines qui accaparent l’es-
36,8 % 38 % sentiel. La propriété foncière devient
34,6 % 61,9 % au même moment la base du principal
24,7 % 26,6 %
16,1 % impôt direct et, de ce fait, la clé d’ac-
9,1 %
L’événement le plus important de la Révolution 1790-1867, Comité des travaux historiques et scientifiques, Paris, 2000.

14,1 %
cès aux droits politiques sur la base
BOURG 26 % censitaire bientôt introduite. Une partie
LESPARRE Lesparre
8,1 %
des anciens couvents est reconvertie
4%
95,7 % en bâtiments industriels, facilitant ainsi
LIBOURNE
Bourg de nouvelles entreprises ou l’agran-
dissement d’établissements existants.
Libourne 60,1 %
Au-delà des mesures globales, la situa-
Bordeaux tion sur le terrain varie énormément
26,2 %
en fonction de la puissance des bour-
Cadillac geoisies urbaines et de l’intérêt qu’elles
13,7 %
La Réole
4,2 % portent aux biens plus rentables. Dans le
Source : B. Bodinier, E. Teyssier, La Vente des biens nationaux.

0,1 %
BORDEAUX LA RÉOLE département de la Gironde, les Bordelais
VILLE Bazas acquièrent sans surprise la quasi-totalité
61,3 %
des lots dans la commune de Bordeaux,
61,3 % 59,4 %
et plus de la moitié de ceux du district.
36,4 %
Sans être majoritaires, leurs achats sont
32,1 %
également importants dans les districts
16 %
11,6 % 13 %
limitrophes et viticoles de Lesparre,
2,3 % 5,4 % Bourg et Cadillac, mais moins sensibles
1,2 %
BORDEAUX CADILLAC BAZAS ailleurs, où les ruraux et les habitants
CAMPAGNE
des autres villes du département ont une
Origines des acquéreurs, en % des prix d’estimation chance réelle d’accéder à la propriété ou
Bordeaux Chef-lieu du district Autres villes Ruraux 20 km de conforter leur assise foncière.
68
69

La France de
Bonaparte : une
consolidation
de la Révolution ?
Le coup d’État de brumaire marque un tournant dans l’histoire
de la Révolution et ouvre sur une période marquée par un
exécutif fort, qui ferme tout débat public et réduit singulièrement
les formes d’expression de la volonté nationale introduites par
la Révolution. À ce prix, la pacification de la société française,
clivée par le schisme religieux et les violents conflits politiques
de la décennie révolutionnaire, devient possible. Elle passe par
la recomposition des élites autour de la propriété foncière, et
permet de faire collaborer, au sein de l’État, anciens émigrés
et révolutionnaires. D’importants chantiers de réformes sont
ainsi achevés. Après une tentative pour aboutir à un nouvel
équilibre européen qui ramènerait la paix, et permettrait la
reprise en main des colonies et le rétablissement de l’esclavage,
la France napoléonienne reprend une politique expansionniste
qui transforme durablement la carte politique de l’Europe,
tout en affectant aussi le monde américain.
70

La fin de la Révolution
Après le coup d’État de brumaire en 1799, le pouvoir est exercé fermement par Bonaparte,
qui limite tout débat politique et prétend incarner la volonté générale. Si le suffrage est universel,
l’élection directe des représentants du peuple disparaît : le corps législatif est formé sur une base
censitaire par le régime, à partir des noms proposés par les électeurs. Au bout de quatre ans,
la République a à sa tête un empereur qui réintroduit une logique dynastique.

Constitutions et plébiscites par département dans le Sud-Ouest, République à un empereur : Napoléon.


Après le coup d’État, la Constitution 13 000 dans le Sud-Est. Les résultats Le texte prévoit que la dignité impé-
instaurant le Consulat est soumise truqués donnent 3 011 007 d’électeurs riale se transmet de manière hérédi-
à l’approbation des Français par favorables et 1 562 voix contraires. En taire, de mâle en mâle, mais sur cette
plébiscite. Sur près de 8 millions l’an X, un nouveau plébiscite a lieu : question – et non sur la transformation
d’électeurs potentiels, plus de 80 % insatisfait du sénatus-consulte du du Consulat en Empire – l’article 142
s’abstiennent : il n’y a que 1,5 million 8 mai 1802 qui prolonge son man- prévoit un plébiscite. Les résultats offi-
de votes favorables. Une gigantesque dat de dix ans, Bonaparte se tourne ciels donnent 3,5 millions d’électeurs
manipulation de chiffres est alors vers les Français pour leur demander favorables et 2 568 voix contraires.
orchestrée par Lucien Bonaparte, de lui attribuer le titre de consul à vie.
ministre de l’Intérieur  : on ajoute un Le résultat, favorable, est entériné par Un pouvoir législatif bridé
demi-million de « oui  » de l’armée le sénatus-consulte du 16 thermidor La constitution de l’an VIII est un texte
de terre (qui n’a pas voté) et de la an X (4 août 1802). Enfin, le sénatus- court, sans préambule, et dépourvu
Marine, et 900 000 votes répartis sur consulte du 28 floréal an XII (18 mai de toute déclaration des droits. Si
tous les départements : 7 000 votes 1804) confie le gouvernement de la le système représentatif est main-
tenu, le pouvoir exécutif, confié
LES MANIPULATIONS ÉLECTORALES DU PLÉBISCITE DE L’AN VIII à trois consuls nommés pour dix
Deux-Nèthes Nombre de votes ans et rééligibles, repose tout
positifs, en milliers entier entre les mains du Premier
50
Consul, Napoléon Bonaparte.
15
Meuse-Inférieure 2 L’initiative des lois lui revient.
Ardennes Le pouvoir législatif est réparti entre
Résultats :
réels plusieurs assemblées, aux compé-
Eure Bas-Rhin
Seine tences réduites. Les projets de loi,
truqués
préparés par le Conseil d’État, sont
Ille-et-Vilaine
Meuse discutés au Tribunat qui exprime son
Loir-et-Cher avis à bulletin secret, sans pouvoir
Morbihan Mont-Terrible les modifier. Après avoir entendu les
Cher Jura
avis du Tribunat et du Conseil d’État,
Vendée
le Corps législatif adopte ou rejette
la loi, sans pouvoir la discuter. Ces
corps ne sont pas pour autant entiè-
Charente-Inférieure Allier
Ain rement soumis à Bonaparte et aux
Cantal ministres, que celui-ci nomme et
Gironde révoque librement, comme le montre
Haute-Loire Basses-Alpes
le refus essuyé par le premier projet
Hérault
Lot-et-Garonne de Code civil, ou l’opposition vivace
Alpes-Maritimes à la création de la Légion d’honneur.
Bouches- Dans les années qui suivent, leur pou-
Hautes-Pyrénées du-Rhône voir est limité, et en 1807 le Tribunat
100 km est supprimé. Napoléon gouverne
Source : C. Langlois, « Le plébiscite de l’an VIII, en manière croissante par décret,
ou le coup d’État du 18 pluviôse an VIII», Annales historiques de la Révolution française, 1972.
et en s’appuyant sur le Sénat.
LA FRANCE DE BONAPARTE : UNE CONSOLIDATION DE LA RÉVOLUTION ? • 71

Les sénateurs, serviteurs fidèles UNE PRÉBENDE SANS RÉELLE IMPLANTATION RÉGIONALE
D’après la Constitution de l’an VIII, il
Titulaire de la sénatorerie en 1804
revient au Sénat de vérifier les lois et (dotation en francs par département)
Fouché Berthollet Bruxelles
les actes du pouvoir exécutif et de pro- Liège Bonn
(23 750 F) (24 305 F) Overijse
céder à la nomination des membres du Kellermann Ducos Seraing
(24 994 F) (25 088 F) Arras
Corps législatif et du Tribunat à partir Douai
Eu Amiens
des listes de candidats proposés par Trèves
Rouen Soissons
les collèges électoraux. Toutefois, face Metz
St-Pol-de-Léon Caen Verdun
aux lacunes de la Constitution, le Sénat * Paris 855 F
Alençon 19 918 F 4 522 F Nancy
acquiert progressivement un véritable *
pouvoir législatif et constitutionnel via Rennes 6 855 F * Pont-sur-Seine
Colmar
Orléans 4 221 F
les sénatus-consultes, décisions ayant Angers
Mazé 18 453 F
Dijon Montbéliard
Amboise
valeur de loi dont la Constitution de 6 635 F Besançon
Bourges
l’an X attribue l’initiative exclusive au Thouars
Premier Consul. Pour récompenser ces Poitiers
serviteurs fidèles, cette même consti- Guéret Riom
Chasseneuil Lyon
tution crée une sénatorerie dans le res- Limoges Clermont- Chambéry
Ferrand
sort de chaque tribunal d’appel. Il s’agit Grenoble Turin
Bordeaux
d’un domaine comprenant bâtiments
Agen Viviers
et terres et rapportant entre 20 000 et 641 F
25 000 francs de rente par an, ce qui Nîmes
Castres Montpellier 8 466 F
Auch
double les revenus du sénateur ainsi Toulouse
8 180 F 15 284 F Aix-en-Provence
Pau Béziers
distingué. Les domaines, pris sur les Sénatorerie 1 615 F Bastia
Narbonne
biens nationaux, sont octroyés par le Limite 2 492 F
Premier Consul à l’un des trois candi- Chef-lieu Ajaccio
dats proposés par le Sénat. Pour éviter *Département hors sénatorerie 100 km
Résidence
de donner un pouvoir local réel aux titu- donnant lieu à une dotation
laires, les domaines peuvent se com- Source : V. Azimi, Les Premiers Sénateurs français. Consulat et premier Empire, 1800-1814, Picard, Paris, 2000.

poser de biens situés dans des dépar-


tements différents. L’établissement L’ITINÉRAIRE DU SACRE DU 2 DÉCEMBRE 1804
des sénatoreries s’accompagne de s Porte
La Madeleine ulevard St-Denis Trajet aller
marques de prestige – comme l’entrée Les Bo
solennelle avec les honneurs militaires Trajet retour
nis

Place
t-De

dans le palais résidentiel de la séna- Place de Vendôme


Le Temple
S

la Concorde Palais-
torerie – qui rappellent les honneurs
Rue

Royal
dus aux anciens gouverneurs, et réin- Rue
St- Hon
troduisent l’inégalité au sein du corps Les Tuileries oré
social. Mais la sénatorerie lie surtout Vieux Marché des
Sein Louvre Innocents
e
distinction sociale et propriété fon-
cière, accompagnant la reconstitution Hôtel
Invalides Conciergerie
de Ville
des élites autour de la propriété.
La Bastille
Source : T. Lentz, Le Sacre de Napoléon - Notre-Dame
Le retour d’un souverain sacré 2 décembre 1804, Nouveau Monde Éditions, Paris, 2004. 500 m

Si le sénatus-consulte qui proclame


l’Empire est adopté le 18 mai 1804,
après une campagne de presse alors que le serment constitutionnel quitte le palais des Tuileries, emprunte
savamment orchestrée, le chan- prêté par Napoléon marque la volonté la rue Saint-Honoré et le Pont-Neuf
gement constitutionnel et le retour de s’inscrire dans la continuité de avant d’arriver à Notre-Dame. Au
dans le fait au principe monarchique la Révolution  : « Je jure […] de res- retour, l’itinéraire est plus long :
sont mis en scène lors du sacre, le pecter et faire respecter l’égalité des le cortège se dirige vers la place du
4 décembre suivant. Le sacre doit droits, la liberté politique et civile.  » Châtelet, emprunte la rue Saint-Denis
permettre la « récupération par la Le choix de Paris pour le sacre, et les boulevards populaires, atteint
nation de l’intégrité de sa mémoire » par ailleurs, marque la rupture par la place de la Concorde, siège du
(L. Mascilli-Migliorini). La cérémonie rapport à la dynastie des Bourbons, Corps législatif et de l’École militaire,
illustre symboliquement la récon- rupture que la récente exécution du duc et revient aux Tuileries. Le lendemain,
ciliation entre la France catholique d’Enghien a soulignée à nouveau. le serment au Champ-de-Mars, lors
(choix de Notre-Dame, présence À l’aller, le cortège impérial, escorté de la distribution des aigles, rappelle
négociée du pape) et la République, par de nombreux corps militaires, la gloire militaire de l’Empereur.
72

Surveillance de la société civile


et musellement des oppositions
Après l’instabilité politique du Directoire, le Premier Consul réduit au silence les foyers royalistes
et jacobins et élimine ainsi toute menace potentielle contre son régime. Conscient du potentiel
subversif d’un débat libre au sein de la société civile, Bonaparte renforce la surveillance policière et
impose une censure rigide à la presse, à l’imprimerie et au théâtre. Tous les acquis de la Révolution
ne sont pas pour autant remis en question.

Un État sous surveillance LES DIVISIONS DE POLICE EN 1805


policière
Le ministère de la Police, créé sous 1er arrond. (Réal)
Deux-
le Directoire, revêt après 1799 une 2e arrond. (Miot) Nèthes
Lys Escaut Meuse- Roer
Boulogne Dyle Inférieure
importance cruciale, avec le minis- 3e arrond. (Pelet de la Lozère)
Jemmapes Ourthe
Pas-de-Calais
tère de l’Intérieur, pour la surveillance 4e arrond., Paris (Dubois) Nord
Sambre- Rhin-et-
et-Meuse Moselle
des Français. Les propos tenus dans Seine- Somme Forêts Sarre
Aisne Ardennes Mont-
les cercles de sociabilité ou dans les Inférieure Tonnerre
Oise
Moselle
tavernes, les réactions du public au Manche Calvados
Eure Seine- Marne
Meuse
Bas-
Brest et- Seine
théâtre, le contenu des affiches ano- Côtes-du- Orne Oise Seine-
Meurthe Rhin
Nord Eure- et-Marne
nymes placardées sur les places Finistère Ille-et- Mayenne et-Loir Aube
Haute- Vosges
Vilaine Sarthe Marne
publiques, sont recueillis et trans- Morbihan
Loir-et-
Loiret
Yonne Haute-
Haut-
Rhin
Loire- Saône
mis, au centre par diverses instances. Inférieure Maine-et-
Loire
Indre-
Cher
Côte-d’Or
et-Loire Doubs
La police joue un rôle majeur dans la Nantes Cher Nièvre
Indre Saône-et- Jura
collecte d’informations qui permet d’in- Vendée Deux-
Sèvres Vienne Loire
Allier
tervenir, mais aussi d’adapter la politique Léman
Charente- Haute- Creuse Rhône Ain
et d’organiser la propagande du régime Inférieure
Charente
Vienne Puy-de-
Dôme Loire
Lyon
Mont-
Doire
Sésia
en conséquence. Après quelques ter- Corrèze Haute- Isère
Blanc Turin
Dordogne Cantal Loire Marengo Pô
Taro
giversations portant sur sa structure, Bordeaux Hautes- Gênes
Ardèche
Drôme Stura Alpes
la police est réorganisée au lendemain Gironde
Lot-et-
Lot Lozère Montenotte
Apennins
Garonne Aveyron
de la proclamation de l’Empire en 1804. Basses- Alpes-
Landes Gard Vaucluse Alpes Maritimes
Le territoire est alors découpé en quatre Gers Haute-
Tarn Bouches-
Hérault du-Rhône Var
arrondissements, à la tête desquels un Basses-
Pyrénées Hautes-
Garonne
Marseille
Aude
conseiller d’État pilote les commissaires Pyrénées Ariège Toulon
Pyrénées- Golo
de police dans les départements de son Orientales
Commissaires généraux
ressort. De par son importance, Paris Source : R. Lavalle, Des mouches à l’Abeille. La circulation des informations collectées
Liamone

constitue à lui seul un arrondissement. par la police dans les Alpes-Maritimes sous le premier Empire, master 1, université de Nice, 2007. 100 km

Dans les principales villes portuaires


et frontalières, le commissaire général Des oppositions jugulées mise à mort de nombreux royalistes.
correspond directement avec le minis- Cet encadrement policier est d’au- Il entraîne aussi la désignation du duc
tère, étant affranchi de la tutelle du pré- tant plus efficace que les oppositions d’Enghien comme commanditaire, son
fet à laquelle sont soumis les autres ont été jugulées. Les attentats contre enlèvement sur un territoire neutre et
commissaires de police. L’information Bonaparte sous le Consulat ont servi sa mise à mort après un procès som-
qui remonte par l’administration de de prétexte pour éliminer les opposi- maire. Après avoir rassuré les modé-
police à Paris fait l’objet d’un bulletin tions de droite et de gauche. Commis rés en éloignant les jacobins, il s’agit
quotidien adressé à Napoléon. Outre en réalité par les royalistes, l’attentat « à de réaffirmer, par l’exécution d’un
cette source principale, l’Empereur ne la machine infernale » de 1800, auquel Bourbon, que le nouveau régime s’ins-
se prive pas d’autres sources d’infor- Bonaparte échappe de justesse, per- crit dans la continuité révolutionnaire en
mation, dont les rapports des préfets. met au Premier Consul de faire dépor- assumant l’héritage de l’exécution de
Le « cabinet noir », sorte de bureau de ter par sénatus-consulte hors d’Europe Louis XVI. La fragilité d’un régime qui
police politique, contrôle les courriers 130 jacobins accusés sans preuves. En repose sur la personne du Consul,
transitant par l’hôtel des postes à Paris 1803-1804, le complot de Cadoudal et objet de plusieurs tentatives d’as-
et lui remet des rapports quotidiens. du général Pichegru se termine par la sassinat, est par ailleurs exploitée
LA FRANCE DE BONAPARTE : UNE CONSOLIDATION DE LA RÉVOLUTION ? • 73

LA PÉRIODICITÉ DE LA PRESSE LOCALE EN 1811-1812 LA PRESSE PARISIENNE EN DÉCLIN

A. 6 numéros par semaine NOMBRE DE JOURNAUX


pour la Roer, l’Ourthe et PARISIENS PUBLIANT
la Meuse-Inférieure DES NOUVELLES POLITIQUES
B. 4 numéros par semaine Directoire (1799, avant le coup d’État)
pour le Rhin-et-Moselle
73
A
A

Source : A. Cabanis, La Presse sous le Consulat et l’Empire, Société des études robespierristes, Paris, 1975.
A Après l’arrêté du 27 nivôse an VIII (déc. 1799)
B
13

1814

ENVOIS DE JOURNAUX
PARISIENS VERS
LES ABONNÉS EN PROVINCE
(en milliers d’exemplaires)
Germinal an VIII (mars-avril 1800)

49

Floréal an IX (avril-mai 1801)

34

Germinal an XI (mars-avril 1803)

Parution d’un journal politique tous les 25


A jours
(quotidien) 4 à 5 jours 10 jours ou plus
Sources : G. Feyel, La Presse en France des origines à 1944.
B
7 jours Histoire politique et matérielle, Ellipses, Paris, 1999 et
2 à 3 jours (hebdomadaire) Absence de données
150 km A. Cabanis, La Presse sous le Consulat et l’Empire,
Société des études robespierristes, Paris, 1975.

politiquement par des campagnes de à la fin du Directoire. En 1805, des allusion critique, tout signe de désaf-
presse, qui préparent le passage à un censeurs sont rattachés à chaque fection (désertion), toute nouvelle
Empire héréditaire. journal parisien, où ils vérifient les pouvant suggérer l’existence indi-
épreuves avant le tirage. Muselée, viduelle ou collective des difficultés
La surveillance de la presse la presse devient un puissant instru- (suicides, hausse des prix des den-
Tout particulièrement sensible au rôle ment de propagande. Des messages rées agricoles).
de la presse, qu’il avait magistrale- peuvent être insérés sans l’avis des Si la liberté de la presse, dont le prin-
ment manipulée à son avantage lors rédacteurs, alors que des campagnes cipe est acquis par l’article XI de
de la première campagne d’Italie, de presse savamment orchestrées la Déclaration des droits de l’homme
Bonaparte s’attache, après sa prise préparent des changements ou des de 1789 («  La libre communication
de pouvoir, à en faire un instrument à décisions importantes (passage à des pensées et des opinions est
son service. Le ralliement au Consulat l’Empire, changement de dynastie en un des droits les plus précieux de
de journalistes de gauche et de droite Espagne). Le contenu insipide de la l’homme. Tout citoyen peut donc par-
permet de faire valoir aux lecteurs presse entraîne la désaffection des ler, écrire, imprimer librement sauf à
les arguments auxquels ceux-ci sont lecteurs, comme le montre la chute répondre de l’abus de cette liberté
sensibles. Le nombre des journaux du nombre de journaux parisiens dans les cas prévus par la loi »), avait
parisiens autorisés à publier des nou- expédiés en province. Partout, la déjà fait l’objet, sous la Terreur et sous
velles politiques est réduit d’office au presse est constamment menacée le Directoire, de mesures législatives
lendemain du coup d’État. Trois autres par une situation financière précaire, restrictives, le contrôle exercé sur les
sont supprimés au cours de l’année que toute hausse du droit de timbre journaux sous le Consulat et l’Empire
suivante, en raison des idées expri- imposée par le régime peut accen- équivaut à sa suppression. C’est
mées ou de leur réticence à accepter tuer. Si la plupart des départements que, dans le projet de réconcilia-
le contrôle des agents du gouverne- bénéficient de parutions régulières, tion nationale, la nation est censée
ment. Le nombre de titres s’amenuise avec une fréquence au moins hebdo- se recomposer autour du chef, qui
encore par la suite, au point qu’il ne madaire d’un journal politique local, prétend l’incarner. Tout véritable
reste, à la fin de l’Empire, que quatre leur contenu est étroitement sur- débat public devient dès lors non seu-
journaux politiques à Paris, contre 77 veillé par le préfet, qui censure toute lement inutile, mais aussi dangereux.
74

Réconciliation nationale
et recomposition des élites
Le projet politique de Bonaparte vise à recomposer la société française post-révolutionnaire,
atomisée après l’abolition des ordres d’Ancien Régime et déchirée par une décennie de luttes
politiques entre factions opposées. Le Concordat réconcilie les catholiques avec la République.
Anciennes et nouvelles élites, réunies autour de la propriété foncière, trouvent dès lors leur place
au sein des nouvelles institutions.

LES PLUS IMPOSÉS EN GIRONDE Propriété foncière et notabilité s’appuie ainsi sur une société hiérar-
(AN XI) Par des marques honorifiques, des chiquement ordonnée, dans laquelle
LIEUX DE RÉSIDENCE
postes et un positionnement sur les il a favorisé l’émergence d’une élite
listes d’éligibilité, le régime napoléonien sociale recomposée, après les fractures
Paris distingue au sein du corps social les révolutionnaires, autour de son rapport
Bruxelles éléments qu’il considère aptes à enca- à la propriété foncière. Sa cohésion
drer et discipliner le reste de la société. momentanée est dès lors assurée par
St-André-de-Cubzac
Labarde Il délimite ainsi une élite – les notables – le partage d’intérêts économiques et
Bassens qui se démarque du peuple par son sociaux communs.
Bordeaux Cadaujac niveau de culture et de fortune, même C’est aux notables que sont dévolus
La Réole lorsque ses revenus sont modestes. La les postes supérieurs dans l’adminis-
Brouqueyran notabilité napoléonienne, définie à par- tration et dans les instances censées
St-Pardon
tir de critères censitaires, se compose représenter la nation. La Constitution
1 imposé de quelque 70 000 à 80 000 individus – de l’an X prévoit en effet la confection
21 imposés à Bordeaux pour l’essentiel quadragénaires, mariés de listes des six cents les plus impo-
et pères de famille. Elle représente près sés dans chaque département, au sein
POIDS RESPECTIF d’un Français adulte sur cent : une base desquelles les électeurs du canton
DES TROIS IMPOSITIONS* trop exiguë pour que le régime puisse doivent choisir les membres du collège
Foncier
se priver, pour des raisons politiques, électoral du département, à qui revient
d’une partie consistante de celui-ci. de proposer le nom des personnes de
93,94 % La réconciliation des anciennes et des confiance parmi lesquels seront choisis
nouvelles élites est de ce fait, avant tout, les membres du Corps législatif.
une nécessité politique. Le Concordat, Sans être ouvertement censitaires, les
le retour des émigrés, la garantie de l’ir- modalités d’éligibilité consacrent ainsi
révocabilité de la vente des biens natio- la richesse et la propriété foncière,
Patente 2,94 % naux, le rétablissement des marques de dans la mesure où l’imposition frappe
Personnelle 3,12 % distinction sociale, sont autant d’élé- essentiellement celle-ci. Ainsi, dans
*sur le total des 30 plus imposés de Gironde
ments qui concourent à souder les un département tel que celui de la
TROIS EXEMPLES détenteurs de savoirs, de talents et de Gironde, on retrouve en l’an XI, parmi
D’IMPOSITION DE NÉGOCIANTS
richesses au sein d’une nouvelle élite les trente plus imposés, une dizaine
8 605
que le régime aide à prendre forme. de noms du négoce bordelais. Les
fortunes commerciales, en effet, se
Les notables, « masse consolidaient traditionnellement dans
4 654 de granit » du régime la pierre et dans la terre.
3 160 Les notables, qui doivent au régime la
reconnaissance publique de leur posi- La fin d’une déchirure religieuse
tionnement social, constituent des élé- La Constitution civile du clergé et la
172 400 540 461
100 ments de stabilisation sur le plan poli- déchristianisation avaient ouvert une
Bonnaffé Cabarrus Gradis tique. Lors de la création de la Légion fracture entre la Révolution et les
Montant des impôts, en francs d’honneur, Bonaparte ne se trompe pas nombreux Français restés attachés
Foncier Personnelle Patente en les désignant comme les « masses au culte catholique. En exigeant un ser-
Source : Archives départementales de granit  » censées asseoir la stabi- ment de fidélité, elle avait produit un
de la Gironde, 3 M 18 et 3 M 19.
lité et la pérennité du régime. Celui-ci schisme, auquel le Concordat signé
LA FRANCE DE BONAPARTE : UNE CONSOLIDATION DE LA RÉVOLUTION ? • 75

LE HAUT CLERGÉ POST-CONCORDATAIRE

*N’émigre pas mais combat en Vendée


Le concordat de 1802 ** Pas astreint au serment
et l’organisation mais appartient à
ecclésiastique l’Église réfractaire
Gand
Siège d’archevêché Malines Aix-la-Chapelle
Limite de province Liège
ecclésiastique Tournai
Namur
Siège d’évêché Arras
Cambrai Mayence
Limite de diocèse Trèves
Amiens
Rouen
Bayeux Soissons
Coutances Metz
Évreux
Meaux
Versailles Nancy
Paris Strasbourg
Sées
St-Brieuc
Troyes
Quimper Rennes**
Le Mans Orléans*
Vannes
Angers
Tours Dijon
Nantes
Besançon
Bourges Autun
Poitiers

La Rochelle
Origine sociale
de l’évêque avant Limoges Lyon
la Révolution Clermont- Chambéry
Angoulême Ferrand
Noble (28)
Grenoble
Roturier (30) St-Flour
Valence
Bordeaux
Carrière épiscopale
Cahors Mende
Évêque
Digne
avant 1789 (18) Agen
Avignon
Évêque Nice
après 1791 (8) Montpellier
Bayonne Toulouse Aix-en-provence
Parcours entre
1789 et 1802 Carcassonne

Réfractaire (35)
Émigré (24)
Ajaccio
Parcours après
1802
Assiste au sacre (45)

Source : J.-O. Boudon, Les Élites religieuses à l’époque de Napoléon.


Dictionnaire des évêques et vicaires généraux du premier Empire, Nouveau Monde Éditions, Fondation Napoléon, Paris, 2002. 100 km

le 26 messidor an IX (15 juillet 1801), le Concordat sape l’un des principaux destituer d’office ceux qui refuseraient.
après d’âpres discussions, met fin. Le arguments des royalistes. Désormais, L’épiscopat de 1802 marque la rupture
Concordat entérine quelques acquis tout bon catholique peut se rallier au d’avec l’Ancien Régime : la moitié des
fondamentaux de la Révolution : liberté Consulat. Au prix de ces importantes évêques sont des roturiers, situation
de culte, nationalisation des biens de concessions, le Saint-Siège obtient à impensable auparavant. Il illustre aussi,
l’Église, nouveau découpage des dio- nouveau, comme sous l’Ancien Régime, dans sa composition, la réconciliation
cèses. Le Saint-Siège reconnaît implici- l’investiture canonique des évêques, qu’il est censé représenter : un quart
tement la légitimité du nouveau pouvoir nommés par le Premier Consul. Pour environ avait prêté le serment constitu-
en France : les évêques devront prêter faciliter la transition, une mesure inédite tionnel, plus de la moitié l’avaient refusé.
serment de fidélité au gouvernement est prise  : tous les évêques français, Le ralliement au régime les réunit enfin :
de la République. Pour Bonaparte, réfractaires et constitutionnels, doivent trois évêques sur quatre assistent au
c’est un indéniable succès politique : démissionner, le pape acceptant de sacre en 1804.
76

Révolutionnaires et anciennes
élites au service de l’État
Outre la réconciliation religieuse et le retour de la paix extérieure, la stabilisation qui s’opère sous le
Consulat passe par la reconstitution d’un vivier d’administrateurs et de fonctionnaires recrutés sur
la base de leurs compétences, de leur expérience et de leur fidélité au nouveau régime, quel qu’ait
pu être leur positionnement par rapport à la Révolution. Cette administration mène à bien une série
de réformes dont les chantiers remontent aux années 1790.

L’amalgame, une nécessité LE PARCOURS DE QUATRE PRÉFETS


politique
Dans une société où les fortunes Départements en 1812
Limites du grand-duché
grandes et moyennes, voire modestes,
et du royaume en 1808
ne sont le fait que d’un pourcentage
Grand-
infime de la population, et que celle-ci Département de naissance
Deux- duché Royaume de
est majoritairement analphabète, aucun Lieu d’élection Nèthes de Berg Westphalie
1805 1808* 1807*
régime ne peut prétendre avoir une Carrière de préfet
assise solide en écartant une partie de (année de nomination) Roer J.-C. Beugnot
Nord 1806
• roturier
ces élites pour des raisons politiques. 1813 Rhin-et- 1805 • emprisonné
Sous le Consulat, la recomposition et Moselle sous la Terreur
Seine-Inférieure Gouvernement A. C. Thibaudeau
la réconciliation du corps social autour 1815 1800 de Péronne
• roturier
de la propriété permettent de rallier la Seine
• régicide
plus grande partie des détenteurs de A. de Lameth
Aube
fortune, culture et talents, au sein des- • noble
• émigré
quels sont recrutés les cadres adminis- Deux- C. Cochon
Vendée Sèvres 1800
tratifs. La fin de tout débat politique au Vienne de Lapparent
sein des instances du pouvoir législatif, Sénéchaussée de Poitiers • noble
• régicide
la chape de la censure et la répression • déporté à Oléron

qui s’abattent sur la sphère publique 1809
contribuent à éliminer les terrains sur Gironde
1800 Basses-Alpes
lesquels ces notables auraient pu éven- 1802
Hérault
tuellement exprimer leurs divergences. 1815 Bouches-
*J.-C. Beugnot est envoyé du-Rhône
Cette haute administration recompo- 1803
dans le royaume de Westphalie et
sée, où régicides et anciens émigrés le grand-duché de Berg en tant qu’administrateur
se côtoient, poursuit l’effort révolution- Source : J. Tulard (dir.), Dictionnaire Napoléon, Fayard, Paris, 1989. 150 km

naire de modernisation et de rationa-


lisation des appareils de l’État, per- le pouvoir exécutif. Il est secondé par les fonctions qu’on leur assigne dans
mettant d’achever plusieurs chantiers deux conseils qui n’ôtent aucune par- les États vassaux de l’Empire, contri-
ouverts sous le Directoire (codes et celle de son autorité. Les préfets cor- buent de manière efficace à l’uniformi-
réforme judiciaire, administration des respondent avec le ministre de l’Inté- sation des pratiques administratives, en
finances, fiscalité, réforme de l’ensei- rieur, qui propose leur nomination même temps qu’elles empêchent tout
gnement, administration du territoire). à Napoléon. Leurs compétences sont, à ancrage des fonctionnaires dans le
l’échelle du département, aussi vastes tissu local. Ces hommes proviennent
Les préfets que celles du ministère de l’Intérieur. d’horizons différents : parmi les quatre
L’administration du territoire, réorga- Outre l’administration générale (popula- exemples choisis, deux sont nobles,
nisée par la loi du 28 pluviôse an VIII tion, conscription) et communale, elles deux roturiers. Deux sont députés aux
(17 février 1800), conserve la subdi- s’étendent à l’assistance publique, aux États généraux, l’un du tiers (Cochon
vision en départements héritée de la prisons, aux travaux publics, à l’ins- de Lapparent), l’autre de la noblesse
Révolution, mais modifie radicalement truction, à la surveillance des activi- (Lameth). Trois ont été députés à
leur fonctionnement, avec le retour à tés économiques et aux mouvements l’Assemblée législative ou à la
une très forte centralisation. À la tête de personnes. La circulation des Constituante (dont deux régicides,
du département, le préfet représente préfets d’un département à un autre, ou qui deviennent membres du Comité
LA FRANCE DE BONAPARTE : UNE CONSOLIDATION DE LA RÉVOLUTION ? • 77

de salut public), le quatrième, le mili- LES ORIGINES VARIÉES DU PERSONNEL NAPOLÉONIEN


taire Lameth, étant quant à lui passé ORIGINES DES MINISTRES DE NAPOLÉON
à l’ennemi en 1792 et émigré. Tous
Origine géographique Origine sociale et
acquièrent des titres de noblesse sous
participation politique
l’Empire. Deux d’entre eux seront Schondorf
pairs de France sous la Restauration, (Wurtemberg)
Rouen
les deux régicides étant, quant à eux 14
Beaumont-en-Auge St-Denis Metz
contraints à l’exil. Versailles St-Maur-des-F.
Paris Blâmont
Roturiers
4
Châteauvillain
L’amalgame au sein Le Pellerin Dijon Nobles
des institutions les plus Nolay
prestigieuses Participent aux
Le régime napoléonien ne se prive pas Annonay assemblées 7
législatives
des hommes ayant acquis une expé- Nojaret révolutionnaires 11
rience politique grâce à la Révolution,
Montpellier
sans récuser pour autant les apports Castelnaudary N’y participent pas
des élites d’Ancien Régime. Presque
quatre ministres sur dix, et six séna- Ajaccio Source : T. Lentz, Dictionnaire des ministres
de Napoléon, Christian/JAS, Paris, 1999.
teurs sur dix ont siégé dans au moins
une assemblée dans la décennie
révolutionnaire. ORIGINES DES PRÉFETS DE L’AN VIII
Parmi les membres du Sénat, six Origine sociale Participation politique
régicides (dont Roger Ducos, Sieyès,
Roturiers Participent aux
Fouché) siègent à côté d’un Roederer 77 % 39 %
assemblées
qui avait nié le droit de la Convention législatives
révolutionnaires 61 %
à juger le roi ; anciens feuillants, giron- 23 %
dins et jacobins côtoient monarchiens N’y participent pas
et émigrés ralliés (Garnier). Au-delà Nobles
des clivages politiques, les institutions Source : E. Whitcomb, « Napoleon’s Prefects », American Historical Review, 79 : 4, 1979.
napoléoniennes passent au-dessus
les origines sociales, à la condition ORIGINES DES SÉNATEURS ET SECRÉTAIRES D’ÉTAT DU CONSULAT
d’un talent ou d’une fidélité au régime
Frontière de
particuliers. Parmi les 63 sénateurs de la République
l’an VIII, la mixité des origines est déjà française
Hondschoote en 1800
évidente : à côté des deux Bonaparte, St-Trond
de la noblesse ancienne d’un Choiseul-
Praslin, d’une dizaine d’autres indi- Mesnières
vidus descendant de familles de la Canteleu Rouen Laon
Beaumont-en-Auge Naives-
ci-devant haute aristocratie – aucun Cambremer devant-Bar
Granville Rocquencourt
émigré, toutefois – et de quelques Paris Saffais Strasbourg
Versailles Vitry-le-Fr.
membres de l’élite du négoce (Journu-
Rennes Longchamp-sur-A.
Auber), ou de la banque (Lecouteulx), Craon Rouffach
Auxerre
la majorité est issue de la moyenne Montbard
Nantes Pouilly-sur-L.
bourgeoisie révolutionnaire. Les nomi- Beaune Pontarlier
Châtellerault Neuchâtel
nations successives comportent une Origine Lons-
La Châtre le-Saulnier
moitié environ de ci-devant nobles. géographique St-Maixent Le Blanc
Villefranche-sur-Saône
Ce phénomène marque, au sein des Lieu de Crocq
naissance Saintes Talloire
anciennes frontières françaises, le
Goncelin
ralliement croissant d’une partie de Origine sociale Mussidan Grenoble
Cosnac Turin
l’ancienne aristocratie, et dans les Noble (13)
Bordeaux
départements annexés, la volonté de Roturier (50) Agen
Terre-
Montfort-
Napoléon de s’appuyer sur les élites en-Ch. Mézin Clapier
Participation Montpellier
sociales en place sans remettre en politique sous
Doazit Aubagne Fréjus
Bayonne
cause les équilibres sociaux préexis- la Révolution* Marseille
Arcizac-Adour
tants. Toutefois, la bourgeoisie reste Oui (38) Vescovato
St-Jean-Pied-de-Port
majoritaire au Sénat, prouvant ainsi Non (25)
que l’ère des privilèges de sang est *Participent aux assemblées législatives révolutionnaires 100 km
entièrement révolue. Source : V. Azimi, Les Premiers Sénateurs français. Consulat et premier Empire, 1800-1814, Picard, Paris, 2000.
78

Bonaparte,
général de la paix ?
Les paix conclues à Lunéville avec l’Autriche (9 février 1801), qui accepte la perte des territoires
belges et rhénans, et à Amiens avec l’Angleterre (25 mars 1802) laissent espérer le retour d’un
équilibre entre les puissances européennes. Elles sont rendues possibles non seulement par
les victoires de Bonaparte en Italie, attestant la position de la France dans le concert européen,
mais aussi par la fin de la Révolution, proclamée dès sa prise du pouvoir.

L’Europe en 1802 principe d’une restitution réciproque devient permanent, et les victoires sur
Les paix de Lunéville et d’Amiens des colonies et territoires occupés, le champ de bataille sont censées
consacrent la position de force de la mais les inquiétudes croissantes quant apporter la preuve de la légitimité d’un
France en Europe, position que les à la volonté hégémonique française pouvoir dont le sacre n’avait pas entiè-
guerres de la Révolution, puis les vic- la poussent à retarder la restitution de rement effacé la tache d’origine du
toires de Bonaparte en Italie, avaient l’île de Malte aux chevaliers de l’ordre coup d’État.
permis d’imposer. La reconnaissance de Saint-Jean, fournissant ainsi un
de l’annexion des Pays-Bas autrichiens prétexte à la rupture. Les coalitions L’Italie du Nord et du Centre
et de la rive gauche du Rhin donne anti-françaises, toutefois, ne sont Après le Triennio révolutionnaire (1796-
satisfaction à la France quant à ses plus dirigées contre la République 1799), la carte politique de la pénin-
prétendues frontières naturelles, alors et la Révolution, mais contre le des- sule italienne est à nouveau redessi-
que ses principaux adversaires sur le sein hégémonique de Napoléon. née par la France au lendemain de la
continent trouvent des compensations Même si celui-ci ne répond pas à un seconde campagne d’Italie, qui s’ouvre
ailleurs. L’Autriche, la Prusse et la plan préconçu et s’il évolue au fil des en 1800. La France annexe ainsi le
Russie se sont agrandies en achevant circonstances, l’état de guerre Piémont (décision effective en 1802),
le partage de la Pologne, jadis proté-
gée par la France. L’Autriche gagne L’ITALIE DU NORD SOUS L’EMPIRE
également l’essentiel des territoires de RÉP. HELVÉTIQUE
Genève RÉP.
l’ancienne république de Venise, mais BAVIÈRE AUTRICHE
RHODANIENNE
perd en revanche la Toscane, qui passe
ROYAUME
sous influence espagnole. Un nouvel Milan DE HONGRIE
Vénétie
ROYAUME
équilibre européen satisfaisant semble Turin Lombardie Vérone Trieste
Venise
ainsi pour un instant atteint. Piémont D’ITALIE
Parme Guastalla Istrie
Outre la reconnaissance des terri-
Gênes Modène
toires gagnés dans la décennie 1790, Bologne Romagne
la France renforce aussi sa position Nice
PRINCIPAUTÉ ST-MARIN Zara EMPIRE
en s’entourant de républiques sœurs. DE LUCQUES ET Florence
PIOMBINO ROYAUME OTTOMAN
La deuxième campagne d’Italie a en Me r Ancône
Mé dite rran é e D’ÉTRURIE Dalmatie
effet permis le rétablissement des Piombino ÉTATS DE Mer
républiques italienne et ligurienne. Adriatique
Elbe L’ÉGLISE
Ce renforcement français en direc- Corse
Pescara RAGUSE
tion de la Méditerranée, où la mis- Ajaccio
Cattaro
sion diplomatique en Orient confiée Rome
ROYAUME
en septembre 1802 à Sébastiani Pontecorvo
(Tunis, Tripoli, Constantinople, Égypte)
ROYAUME DE Mer Bénévent Bari
ravive les craintes britanniques, mais Tyrrh énienne Naples
SARDAIGNE DE NAPLES
aussi en Europe du Nord, associé à Brindisi
la reprise d’une politique coloniale Garnisons
Empire français en 1805
affichée, rompt toutefois dès le mois françaises
États satellites de la France Territoires cédés
de mai 1803 le délicat équilibre de la
par l’Autriche au Me r
paix négociée à Amiens. L’Angleterre Possessions des Habsbourg
royaume d’Italie Ionienne
avait accepté le retour à la situation Limites du Saint Empire en 1805
100 km
d’avant le début des hostilités, et le
LA FRANCE DE BONAPARTE : UNE CONSOLIDATION DE LA RÉVOLUTION ? • 79

puis la république de Gênes (1805). une Constitution élaborée à Paris, cal- vice-roi Eugène ensuite est étroite,
Le sort de la Toscane et du duché de quée sur celle du Consulat. Bonaparte l’œuvre politique de ces années abou-
Parme est réglé entre l’Espagne et la est désigné président, avec quelques tit à la création d’un État moderne et
France en 1800-1801. La Toscane difficultés. La transformation de la à des réformes majeures dans l’ad-
est cédée à l’héritier de Parme et éri- République italienne en royaume en ministration, la justice et l’armée.
gée en royaume. En 1808, le duché 1805 découle de la proclamation de L’expérience napoléonienne, commune
de Parme, passé sous la coupe fran- l’Empire en France. Napoléon devient à toute la péninsule italienne – les États
çaise dès 1802, est intégré à l’Empire, alors roi d’Italie et nomme vice-roi de l’Église sont annexés en 1809, le
tout comme la Toscane. Au nord, la Eugène de Beauharnais, fils du pre- royaume de Naples entre dans le giron
seconde République cisalpine, réta- mier lit de son épouse Joséphine. Le français dès 1806 –, contribue à for-
blie après la bataille de Marengo et royaume d’Italie s’élargit au fil des mer politiquement les élites italiennes.
agrandie lors la paix de Lunéville, cède conquêtes napoléoniennes : Vénétie et Elle leur donne un cadre institutionnel
la place à la République italienne en Istrie (1805), Marches (1808) et Tyrol du et juridique commun, ainsi que des
1802. Cette décision est annoncée Sud (1810). Si la marge de manœuvre pratiques administratives uniformes,
à Lyon, où Bonaparte convoque une du vice-président de la République qui rendront finalement envisageable
représentation à laquelle il impose italienne Melzi D’Eril, d’abord, et du la perspective unitaire.

L’EUROPE APRÈS LA PAIX D’AMIENS


République française
et territoires occupés
États satellites de la France
Autres États allemands
Finlande
Possessions des Habsbourg
Norvège
Empire ottoman et ses vassaux SUÈDE
Christiana
Limites du Saint Empire
Stockholm Saint-Pétersbourg

Mer ue
ltiq

Irlande
du No rd
Dublin DANEMARK
Ba

Liverpool Copenhague r Moscou


Me
ROYAUME-UNI

Londres Amsterdam HANOVRE


RÉP. BATAVE Hanovre
Berlin PRUSSE RUSSIE
Ma n ch e Bruxelles Varsovie
SAXE
OCÉAN Cologne Dresde Pologne
Mayence
ATL A NTIQUE Paris Prague
Nantes Bohême
BAVIÈRE
FRANCE AUTRICHE
RÉP. Munich Vienne
Genève HELVÉTIQUE Buda
Bordeaux 1
HONGRIE Moldavie
Lyon Milan
Vénétie Transylvanie
Turin RÉP.
Venise
2
3 ITALIENNE
4
Belgrade Valachie
Florence ST-MARIN
ANDORRE Marseille
PORTUGAL 5
ÉTATS DE
Serbie Mer Noire
Madrid Corse 6
L’ÉGLISE MONTÉNÉGRO
Rome RAGUSE
Lisbonne
ESPAGNE Minorque EMPIRE
ROY. DE Naples ROY. DE Constantinople
SARDAIGNE NAPLES
Majorque
OTTOMAN
Républ

Cagliari
Palerme
Gibraltar
ique

ROY. DE Athènes
Alger Morée
Tunis SICILE
de

Algérie Se
s

p t-
MAROC Malte Îles
Tunisie Chypre
Crète
1. Valais M e r M é d it e rran é e
2. DUCHÉ DE PARME ET GUASTALLA
Tripoli
3. RÉPUBLIQUE LIGURIENNE
4. RÉPUBLIQUE DE LUCQUES Tripolitaine Alexandrie
5. ROYAUME D’ÉTRURIE
6. Île d’Elbe Égypte 200 km
80

Un espace allemand
reconfiguré
L’onde de choc provoquée par la Révolution française bouleverse la carte politique de l’espace
allemand. Les tentations expansionnistes des principaux États allemands reçoivent une formidable
impulsion sous le Consulat et l’Empire. Ce processus, qui s’effectue aux dépens de la Pologne
et de centaines d’entités politiques allemandes rayées de la carte, aboutit à la dissolution du Saint
Empire et à l’accroissement considérable de quelques États, notamment la Prusse.

La médiatisation allemande Le recès profite en revanche à la la bonne entente entre la France


En 1789, le Saint Empire Romain Bavière, à la Prusse, qui avait déjà et ses alliés allemands. Le fils de
Germanique, issu de la disparition agrandi son territoire lors des trois Joséphine, Eugène de Beauharnais,
de l’Empire carolingien, se compose partitions de la Pologne, et au pays convole avec la fille du roi de
d’environ 300 entités politiques relati- de Bade, qui gagne quatre fois plus de Bavière ; une cousine de Joséphine
vement autonomes, reconnaissant la surface et huit fois plus de sujets que avec le prince héritier de Bade ; et le
suzeraineté de l’empereur élu. Il est les territoires cédés sur la rive gauche frère de Napoléon, Jérôme, avec la
composé de quelques royaumes et du Rhin. En promouvant l’agrandis- fille du roi de Wurtemberg. Ces chan-
de centaines de principautés laïques sement d’États allemands rivaux de gements, précédés par la proclama-
et ecclésiastiques, comtés, prélatures la maison de Habsbourg, Bonaparte tion de l’Empire en France, et suivis
ecclésiastiques et villes impériales. renforce les divisions au sein du Saint par la création à Paris (12 juillet 1806)
La plupart de ces territoires ont une Empire. de la Confédération du Rhin, alliance
étendue très modeste, mais les plus militaire profrançaise réunissant seize
puissants (Autriche, Prusse, Bavière, La fin du Saint Empire Romain États allemands, poussent François II
Saxe) nourrissent des ambitions ter- Germanique à déposer la couronne du Saint
ritoriales dont saura jouer Napoléon. L’Autriche, dont le souverain est tra- Empire le 6 août suivant. Le congrès
En 1803, la carte politique de l’espace ditionnellement élu empereur du Saint de Vienne intégrera une partie des
allemand est modifiée en profondeur, Empire, sort fortement affaiblie de la modifications imposées par Napoléon
aux frais des plus petits territoires. Le paix de Presbourg (26 décembre 1805) à l’Europe, notamment la réduction
traité de Lunéville (9 février 1801) avait que la France lui impose au lendemain radicale du nombre d’entités poli-
prévu de dédommager les souverains d’Austerlitz  : elle perd un sixième de tiques en Europe centrale, devenues
allemands de la rive gauche du Rhin, ses possessions et quatre millions de des États de type moderne, déliés de
en leur attribuant les territoires ecclé- sujets. La Bavière et le Wurtemberg, tout lien féodal avec un quelconque
siastiques, et une Diète – l’institu- agrandis, augmentent leur prestige suzerain. Si la Prusse perd le Hanovre
tion chargée de régler les différends par leur élévation au rang de royaume. et une partie de la Pologne, sa posi-
au sein du Saint Empire – est réunie Une série de mariages consacre tion est globalement renforcée.
à cet effet. Les modifications territo-
riales élaborées sous la pression fran-
çaise et votées le 25 février 1803 par
L’EXEMPLE DE LA PRUSSE
la Diète vont toutefois bien au-delà
Mer du Nord Mer Baltique
de ce projet de sécularisation. Suite
à ses décisions, des dizaines d’enti- Königsberg
Frise Dantzig
tés politiques disparaissent. Outre les or.
Hanovre Poméranie Prusse
princes ecclésiastiques, les prélats et Stettin
les villes impériales – dont 6 seule- Osnabrück Hanovre Brandebourg
Berlin
ment sur 51 subsistent –, la noblesse Magdebourg
« immédiate  », c’est-à-dire placée Posnanie Varsovie
Halle
sous l’autorité directe de l’empereur,
est la grande perdante du recès impé- Prusse en 1789 Silésie
rial de 1803. Le terme de « médiatisa- Territoires
perdus entre Bayreuth
tion » est ainsi employé pour désigner
1789 et 1806 Ansbach
le processus d’absorption de leurs 100 km
Prusse en 1806
territoires par des entités plus vastes.
LA FRANCE DE BONAPARTE : UNE CONSOLIDATION DE LA RÉVOLUTION ? • 81

L’ESPACE ALLEMAND À LA FIN DU XVIIIe SIÈCLE


Mer ROY. DE
ROY. DE DANEMARK SUÈDE
du Nord Mer Baltique

Holstein Poméranie
Frise Lübeck (SUÈDE)
orientale Hambourg Dantzig
DUCHÉ DUCHÉ DE
D’OLDENBOURG
PROVINCES- Brême MECKLEMBOURG
Poméranie
UNIES ÉLECTORAT ROYAUME DE PRUSSE
DE HANOVRE
Osnabrück Hanovre ÉLECTORAT DE BRANDEBOURG
Clèves Münster DUCHÉ Berlin
DE BRUNSWICK
Paderborn
La Mark ANHALT
Westphalie Varsovie
Berg
LANDGRAVIAT
Juliers Cologne DE HESSE-CASSEL ÉLECTORAT
PRINCIPAUTÉ DE SAXE ROYAUME DE POLOGNE
LANDG.
DE DE HESSE- DUCHÉS Dresde
Trèves DARMSTADT SAXONS
NASSAU Silés ie
Mayence Francfort
Wurtzbourg Bayreuth
Palatinat Bamberg Prague Limite du Saint Empire
Nuremberg Possessions des Habsbourg
MARGRAVIAT Ansbach B ohê me
ROY. DE DE BADE
Possessions des Hohenzollern
DUCHÉ DE
Strasbourg WURTEMBERG
ÉLECTORAT Possessions des Wittelsbach
FRANCE DE BAVIÈRE Passau
Augsbourg Principautés ecclésiastiques
Brisgau Au trich e
Villes libres
Munich Vienne
CONFÉDÉRATION 100 km
Autres États allemands
SUISSE Salzbourg

L’ESPACE ALLEMAND EN 1806

Mer ROY. DE
ROY. DE DANEMARK SUÈDE EMPIRE
du Nord Mer Baltique DE RUSSIE
Jever
(RUSSIE) Holste in
Pomé ran ie
Frise Lübeck (SUÈDE)
orientale Dantzig
Hambourg
DUCHÉ DE
ROY. DE Prus s e
MECKLEMBOURG
HOLLANDE 1 DUCHÉ
Brême
D’OLDENBOURG
Han ovre

Hanovre ROYAUME DE PRUSSE


4 B ran de bou rg
2
3 5 DUCHÉ
Berlin
GRAND- 1 DE BRUNSWICK Pos nanie
8 8
ANHALT
DUCHÉ Varsovie
5
Cologne GRAND-
DUCHÉ
DE BERG ÉLECTORAT
DE HESSE-CASSEL DE SAXE
DUCHÉ
DE DUCHÉ DUCHÉS
Dresde
8 SAXONS
NASSAU
6 Silés ie
9
Mayence Francfort
G alicie
6
7
DE HESSE
EMPIRE Prague
FRANÇAIS 100 km
Nuremberg B ohê me
7
Autres États allemands Villes libres
Strasbourg ROY. DE 1. Duché d’Arenberg
WURTEMBERG ROYAUME 7
2. Principauté de Salm Confédération
EMPIRE D’AUTRICHE du Rhin en
DE BAVIÈRE 3. Principauté de Lippe-Detmold
GRAND- 4. Comté de Schaumbourg-Lippe juillet 1806
DUCHÉ Augsbourg 5. Principauté de Waldeck
DE BADE 6. Principauté d’Isenbourg
Munich Vienne 7. Principauté d’Aschaffenbourg
8. Principauté de Nassau-Orange-Fulda
RÉP.
Ty rol 9. Grand-duché de Wurtzbourg
HELVÉTIQUE
82

L’échec de la reprise en main


coloniale française aux Amériques
Alors que se déroulent les pourparlers de paix, Bonaparte envoie deux expéditions militaires
aux Antilles pour reprendre en main les colonies et y rétablir l’esclavage, que la Révolution
avait aboli en 1794. L’expédition de Saint-Domingue provoque une révolte générale qui mène
à la proclamation de l’indépendance d’Haïti (1804), mais l’esclavage est rétabli à la Guadeloupe,
massacres et déportations à l’appui.

Le retour des ambitions militaires sont alors envisagées vers L’échec du rêve américain
coloniales l’Amérique. Le rêve de reconstituer un empire colo-
Après avoir cédé ses colonies du conti- Aux Antilles, elles sont destinées à nial français en Amérique se brise face
nent américain en 1763, la France rétablir l’esclavage, aboli en 1794, sur aux résistances rencontrées à Saint-
a perdu dans la décennie 1790 la maî- lequel reposait l’économie de planta- Domingue, à l’opposition des États-
trise de l’espace antillais. Le retour de tion. Dès que la perspective de la paix Unis qui craignent la présence fran-
la paix permet à Bonaparte d’envisa- avec la Grande-Bretagne se profile, et çaise à leurs frontières, et à la reprise
ger la relance de l’économie de plan- avant même le rétablissement de l’es- de la guerre contre la Grande-Bretagne
tation esclavagiste antillaise et de clavage par Bonaparte, les négociants en 1803.
développer la Louisiane, rétrocédée français commencent à réarmer à la Pour recouvrer le contrôle de Saint-
par l’Espagne à la France en 1800, en traite. Bordeaux s’affirme alors comme Domingue, gouvernée de manière de
échange de la création d’un royaume le principal port négrier français et plus en plus autonome par Toussaint
d’Étrurie pour l’héritier du duché dépasse Nantes, poursuivant l’élan des Louverture, Bonaparte confie une
de Parme. Une série d’expéditions années 1780 (38 expéditions en 1789). imposante expédition au général
Leclerc. Le général noir est arrêté et
LES EXPÉDITIONS MILITAIRES VERS L’AMÉRIQUE SOUS LE CONSULAT déporté en France, où il meurt quelques
1800 : l’Espagne rétrocède Baie
mois après. La nouvelle du rétablisse-
ce territoire à la France d‘Hudson ment de l’esclavage à la Guadeloupe
1803 : la France le vend relance toutefois la volonté de résis-
aux États-Unis OCÉAN
tance des noirs : décimés par la fièvre
ATLANTIQUE
CANADA Flessingue jaune, les Français capitulent et l’île
Montréal Brest proclame son indépendance en 1804,
om m e s) Lorient
LOUISIANE 0h sous le nom d’Haïti.
Boston 3 00 Rochefort
New York r(
Saint-Louis to
Washington Vic
ÉTATS-UNIS
D’AMÉRIQUE Cadix LES ARMEMENTS NÉGRIERS
La Nouvelle-Orléans 3 0 0 0 ho m m
es) PARTIS DE FRANCE (1800-1804)
NOUVELLE- L ecl e r c (2
e
s)

ESPAGNE m
La Havane om Armements négriers
00h
Cuba 6 Dunkerque (2)
St-Domingue e (3 Le Havre (10)
ans
Mexico Richep Dieppe (2)
Guadeloupe Cherbourg
Martinique (occupation britannique) (1)
Panamá M. Honfleur (4)
NOUVELLE-
St-Malo (1)
GRENADE Cayenne
L. Nantes (14)
Santa Fe
de Bogotá Marans (1)
Métropoles européennes Rochefort (1)
et leurs colonies
France Bordeaux (21)
PÉROU
Lima Salvador Bayonne (2)
Royaume-Uni
OCÉAN BRÉSIL
Espagne Marseille
M. Morlaix (1) (5)
PACIFIQUE Rio de Janeiro Portugal L. Lorient (3)
Cayenne (2)
LA PLATA 200 km
Expéditions françaises Inconnu (3)
Source : E. Saugera, «La traite des Noirs sous Bonaparte.
Expédition inachevée Répertoire des armements négriers français (1800-1804)»,
texte dactylographié.
LA FRANCE DE BONAPARTE : UNE CONSOLIDATION DE LA RÉVOLUTION ? • 83

L’EXPÉDITION DE SAINT-DOMINGUE

CUBA Corps expéditionnaire


(Espagne)
La Tortue OCÉAN ATL ANTIQUE du général Leclerc
Cap- Monte Cristi
Port-de-Paix Français Zone d’insurrection
Môle-St-Nicolas PARTIE
FRANÇAISE Fort-Dauphin
Puerto Plata dès l’été 1802
Gonaïves Ravine-à-Couleuvre
Santiago de Réduits français
los Caballeros Cap Samaná
Crête-à-Pierrot en 1803
Go lf e d e HAÏTI
St-Marc
l a G o n â ve (proclamation de PARTIE ESPAGNOLE
Gonâve l’indépendance (annexée depuis
Jérémie L’Arcahaie le 1er janvier 1804) déc. 1800)
Léogâne Port-au-Prince Azua San Pedro
San Saint- PORTO RICO
Tiburon Cristóbal (Espagne)
Les Cayes Barahona Domingue
Jacmel

Mer des Antilles


50 km Source : M. Dorigny et B. Gainot, Atlas historique de l’esclavage, Autrement, Paris, 2006.

LES DÉPORTATIONS D’HOMMES DE COULEUR DEPUIS LA GUADELOUPE, 1802-1803

Débarqués en Nouvelle-Angleterre Décembre 1802 :


180 ramenés des États-Unis vers les Saintes 905 envoyés à Brest
1803 :
OCÉAN ATL ANTIQUE environ 500 déportés
en France
SAINT-DOMINGUE
Porto Rico LE SORT DES DÉPORTÉS
ARRIVÉS À BREST
Déportés à (DÉCEMBRE 1802)
Saint-Domingue
Les 905 déportés noirs arrivés à Brest
Guadeloupe
en décembre 1802, sont répartis en
quatre catégories
hommes à punir
(travaux publics en Corse)
Les Saintes Martinique 144
hommes propres aux travaux du port
Sainte-Lucie
Mer des Antilles (caserne de Brest)
Saint-Vincent 85
Barbade
marins à embarquer
sur des bâtiments de cabotage
Grenade 62
hommes aptes au service militaire
Vendus dans colonies Tobago
(bataillon d’Africains)
anglaises (Trinidad)
Trinidad 614
100 km Source : F. Régent, Esclavage, métissage, liberté. La Révolution française en Guadeloupe, 1789-1802, Grasset, Paris, 2004.

La reprise du conflit avec la Grande- s’affirment dans l’armée, et les de l’armée, ne suit pas. Durant l’été
Bretagne et la déroute militaire à métisses acquièrent, grâce à l’émi- 1802, le travail salarié disparaît, les
Saint-Domingue poussent Bonaparte gration des Blancs, un poids signi- ventes de Noirs reprennent, le pré-
à vendre la Louisiane aux États-Unis ficatif dans la société et l’adminis- jugé de couleur s’impose. L’arrêté
pour 80 millions de francs. L’esclavage tration coloniale. Après le départ de Napoléon rétablissant l’esclavage
est en revanche réintroduit à la d’Hugues en 1798, la métropole (16 juillet 1802) n’est proclamé à la
Guadeloupe. manifeste toutefois sa volonté de Guadeloupe qu’en mai 1803, après
rétablir l’ordre colonial ancien, provo- la fin des combats qui font au moins
Le rétablissement de quant le mécontentement d’une partie 3  000 morts parmi les rebelles. Les
l’esclavage à la Guadeloupe des officiers de couleur et des Blancs soldats de couleur qui se sont battus à
Après la reprise de la Guadeloupe aux chargés de la gestion des plantations, côté de Richepanse sont déportés par
Anglais par Victor Hugues en 1794, les qui craignent le retour des proprié- centaines pour éviter toute menace.
anciennes catégories juridiques (esclaves, taires. L’expédition de Richepanse, Ils sont débarqués aux États-Unis ou
libres de couleur, Blancs) disparaissent. qui arrive en mai 1802, provoque la à Saint-Domingue, vendus aux Anglais
Si le travail forcé – salarié – s’impose révolte d’une minorité d’officiers, dont comme esclaves, ou acheminés vers
sur les plantations, l’ordre raciste Delgrès et Ignace, mais la masse des la France pour servir dans l’armée ou
s’estompe  : d’anciens esclaves cultivateurs noirs, méfiants vis-à-vis les travaux publics.
84

L’éducation, un enjeu majeur


de la période révolutionnaire
Les révolutionnaires estimant que l’instruction est l’une des clés de la régénération de la nation,
avaient affirmé en 1793 le principe de l’école élémentaire gratuite et obligatoire pour tous les
enfants, mais les considérations budgétaires en avaient limité la portée. Réticent face à l’instruction
des masses, Napoléon met l’accent sur l’instruction secondaire, réformée en profondeur. Il reste
qu’en une génération, l’alphabétisation progresse.

Les progrès de l’alphabétisation la plupart des départements français. La création des lycées
À la veille de la Révolution, la majo- L’alphabétisation féminine a égale- Le régime napoléonien réforme en
rité des Français adultes ne maîtrisent ment progressé. De grandes dispa- profondeur l’enseignement du second
pas l’écrit. L’instruction primaire est rités régionales subsistent toutefois  : degré, afin de former les futurs fonc-
essentiellement dispensée dans le la ligne Saint-Malo-Genève oppose tionnaires, administrateurs et membres
cadre des écoles de la paroisse, sou- un quart nord-est plus alphabétisé à des professions libérales. La loi du
vent réservées aux seuls garçons une France du centre-ouest et du sud 11 floréal an X (1er mai 1802) crée
et placées sous la coupe du clergé. nettement moins développée, hormis 45 lycées. Sur les 6 400 élèves pré-
L’État se désintéresse de l’instruc- dans les anciens bastions protestants vus – tous boursiers – l’État réserve
tion, hormis pour imposer la scolarisa- où l’effort de scolarisation avait été 2 400 places aux fils de fonction-
tion des enfants de protestants dans plus fort au XVIIIe siècle. naires, administrateurs et militaires :
des écoles catholiques. Les parents
rétribuent le maître en fonction de l’en-
seignement demandé (lecture, puis
écriture, puis éventuellement calcul). L’ALPHABÉTISATION
Dans ces conditions, une large partie 1786-1790
de la population est analphabète. Les HOMMES FEMMES
historiens ont comptabilisé la signature
des actes de mariage comme indice
d’une maîtrise rudimentaire de l’écri-
ture. L’analphabétisme est plus marqué
dans les campagnes – où vivent 80 %
des Français – que dans les villes  ;
dans le centre, l’ouest et le sud plus
que dans le quart nord-est du pays ;
et chez les femmes plus que chez les
hommes. Dans une très large partie
du pays, à la veille de la Révolution, Nombre de conjoints ayant signé leur acte de mariage, en %
moins d’une femme sur cinq sait signer Absence de données
80 60 40 20
son acte de mariage. La situation des Les limites départementales sont représentées dans le cadre des limites du royaume de France en 1815.
années 1780 marque pourtant déjà un 1816-1820
progrès remarquable par rapport au HOMMES FEMMES
siècle précédent. Sous la Révolution,
l’alphabétisation continue à progres-
ser. Les révolutionnaires font de l’ins-
truction des enfants une priorité pour
l’État, même si les moyens financiers
pour la rendre gratuite font défaut.
À partir du Directoire, l’État se préoc-
cupe surtout de l’instruction secon-
daire et de la formation des élites. Au
début des années 1820, la majorité
Source : F. Furet et J. Ozouf, Lire et écrire. L’alphabétisation des Français
200 km
des hommes sait toutefois signer dans de Calvin à Jules Ferry, tome I, Les Éditions de Minuit, Paris, 1977.
LA FRANCE DE BONAPARTE : UNE CONSOLIDATION DE LA RÉVOLUTION ? • 85

les autres entrent par concours. Les RÉFORMER L’ÉDUCATION


études classiques sont prédominantes LA CRÉATION DES LYCÉES (1802-1804)
de la sixième à la terminale, mais se
Bruges Bruxelles
doublent d’une formation en mathé- Gand Bonn
matiques pouvant déboucher sur l’ad- Douai Liège
Amiens Mayence
mission à l’École polytechnique. Après Rouen
Reims Metz
Caen
1808, le recrutement des professeurs Versailles Paris
Nancy Strasbourg
se fait par concours (agrégation). Les Pontivy Rennes Orléans
Dijon Dates de création
écoles secondaires municipales, moins Nantes
Angers Bourges
Besançon
Moulins 1802
prestigieuses, et les écoles secondaires Poitiers
Lyon
privées, dont les élèves fréquentent en Limoges 1803
Grenoble
partie les lycées comme externes, com- Clermont-F.
1804
Bordeaux Alexandrie
plètent le maillage scolaire. Au total, Cahors Rodez Turin
Source : Almanach impérial
Nîmes Avignon
quelque 80 000 enfants et adolescents pour l’année XIII, Testu,
200 km Pau Toulouse Nice Paris, 1805.
fréquentent l’un de ces établissements Montpellier
Marseille
sous l’Empire.
LA CARTE SCOLAIRE DE LA LORRAINE DU XVIIIE SIÈCLE À 1812

L’exemple de la Lorraine Stenay Montmédy


Avant la Révolution, l’éducation secon- Thionville
Dun
daire, réservée pour l’essentiel à la
Varennes MOSELLE
noblesse et aux bourgeoisies urbaines, Étain Metz
est assurée par plusieurs structures. Bitche
Verdun
Outre les maîtres particuliers réunis-
sant des élèves hors de tout cadre MEUSE Pont-à-Mousson
St-Mihiel
légalement institué, le tissu de l’ensei- Bar-le-Duc Vic
gnement secondaire se compose de Nancy MEURTHE
Toul Serres
régences latines (initiation aux rudi- Ligny
ments du latin), collèges d’humanités Vaucouleurs Domèvre
St-Nicolas Lunéville
(grammaire, humanités, rhétorique) et Gondrecourt
St-Pierremont
collèges de plein exercice (humanités et Rambervillers Les établissements
Neufchâteau
philosophie). En Lorraine, ces derniers Mirecourt St-Dié scolaires lorrains
Épinal au XVIIIe siècle
sont aux mains des jésuites jusqu’à la Chaumousey Bruyères Collège
suppression de l’ordre en 1763-1764. Damblain VOSGES de plein exercice
La Révolution bouleverse en profondeur Collège d’humanité
Remiremont
les cadres de l’enseignement et confie Régence latine
à l’État la tâche d’organiser l’instruc-
Les départements lorrains sont représentés dans leur limites de 1812
tion publique, en récupérant souvent
les bâtiments nationalisés des anciens
couvents. Les comités d’instruction Stenay
publique, au sein de l’Assemblée légis- Thionville Sarrelouis
lative, puis de la Convention, sont char- Étain MOSELLE
gés de la refonte du système éducatif. Verdun
Metz Sarreguemines
L’instruction secondaire trouve en 1802
MEUSE Sarralbe
sa configuration définitive. L’exemple
St-Mihiel
lorrain montre que toutes les villes pour-
Pont- Dieuze
vues d’un collège d’humanités ou de Bar-le-Duc Commercy à-Mousson Phalsboug
plein exercice au XVIIIe  siècle abritent MEURTHE
Toul
un collège ou un lycée sous l’Empire, Ligny Nancy Lunéville
à l’exception de Rambervillers. En
revanche, le tissu de régences latines,
qui offraient une formation sur place Neufchâteau
St-Dié
dans les plus petites villes, est balayé : Les établissements
VOSGES Épinal scolaires lorrains
sur dix-sept villes ayant une régence
en 1812
latine au XVIIIe  siècle, seules quatre Sources : Remiremont Lycée
conservent un collège. L’est de la F. de Dainville, « Effectifs des
collèges et scolarité aux XVIIe et
Collège
Lorraine accroît toutefois son maillage XVIIIe siècles dans le nord-est de
la France» in Population, 10e année, juil.-sept. 1955, n° 3, 20 km
scolaire. et D. Julia, Atlas de la Révolution française. L’enseignement 1760-1815, tome II, Éditions de l’EHESS, Paris, 1987.
86

Circulation des savoirs


et des informations
L’essentiel des progrès, en matière de vitesse de circulation postale, avait été réalisé entre
1760 et 1780. L’amélioration de la viabilité des routes avait alors permis de diviser par deux le
temps nécessaire pour relier Paris au reste du royaume. Les hommes de la Révolution s’efforcent
de maintenir l’efficacité du système postal. En 1802, quelque 1 500 bureaux de poste assurent
le départ du courrier au moins trois fois par semaine.

Circulations administratives Un quadrillage postal dense contrôle de l’information politique, de


et savantes Sous Louis XV et Louis XVI, l’amé- Paris vers les départements et retour.
L’intensité des circulations savantes lioration de la viabilité des routes, Sous le Consulat, presque toutes les
témoigne de la persistance de la confiée aux ingénieurs des Ponts et villes françaises de plus de 5 000 habi-
culture de la mobilité des élites aca- Chaussées, ainsi que leur classement tants ont un bureau de poste assurant
démiques et administratives par-delà dans un ensemble cohérent et hié- le départ du courrier au moins tous les
1789. Considéré comme un enfant rarchisé de voies avaient permis de deux jours. Des bureaux desservent
prodige, François de Neufchâteau diminuer par deux le temps néces- également les villes plus petites,
a d’abord été pédagogue, poète, saire pour relier Paris au reste du comme le montre l’exemple du Sud-
traducteur, agronome, magistrat à royaume. À l’instar des Lumières tech- Est, où le jour de départ laisse deviner
Saint-Domingue, avant d’être député niciennes, les révolutionnaires sont très les isochrones des routes secondaires.
des Vosges, administrateur hors pair, conscients des enjeux liés au maillage Seuls les départements frontaliers,
ministre de l’Intérieur convaincu de du territoire, et à la circulation rationa- récemment annexés, ont un quadril-
l’utilité de la « science statistique  », lisée de l’information. Ils y ajoutent le lage postal moins dense.
acteur majeur de l’institutionnalisation
du patrimoine et des archives sous le LES ITINÉRAIRES DE TROIS SAVANTS
Directoire puis sénateur. Dessinateur,
célèbre pour sa participation au volet Saint-Pétersbourg
savant de la campagne d’Égypte,
d’où il tire son Voyage dans la Basse
SUÈDE RUSSIE
et Haute Égypte, et son action à la
tête du musée du Louvre, Vivant ROYAUME-UNI DANEMARK
Denon a d’abord été un diplomate,
Londres PROVINCES-
que les affectations ont conduit à UNIES
PRUSSE
Cap-Français
Saint-Pétersbourg comme à Naples. Berlin POLOGNE
(St-Domingue)
Figure espagnole des Lumières tech- Paris
niciennes, Agustín de Betancourt Saffais
quitte lui Tenerife pour faire ses Vosges Vienne
Givry SUISSE AUTRICHE
études à Madrid. En 1784, il pour-
FRANCE
suit sa formation à Paris à l’École des Venise
PORTUGAL
Ponts et Chaussées, puis à Londres
Madrid Saragosse
en 1788 où il rencontre James Watt,
pionnier des machines à vapeur. ESPAGNE ROY. DE
L’« intelligence » technologique, l’envoi En provenance de NAPLES
Puerto de la Cruz Naples EMPIRE OTTOMAN
de machines en Espagne, la publi- (Canaries)
cation de nombreux essais sont les
marques de fabrique des voyages de Algérie
MAROC Tunisie
Betancourt. En 1797, il est nommé
inspecteur en chef des ports et com- Vivant Denon
(1747-1825)
munications du royaume d’Espagne.
Agustín de Betancourt
Son intérêt pour l’industrie navale (1758-1824)
Égypte
l’oriente enfin vers la Russie, où il François de Neufchâteau Libye
(1750-1828) 300 km Frontières de 1789
s’établit en 1808.
LA FRANCE DE BONAPARTE : UNE CONSOLIDATION DE LA RÉVOLUTION ? • 87
LA FRÉQUENCE POSTALE SOUS LE CONSULAT
1. Ypres
St-Nicolas 2. Tourcoing
Lokeren 3. Courtrai
Anvers
Ostende Bruges 4. Tournai
Dunkerque Maastricht
5 8
Cologne 5. Gand
1
2
3 6. Alost
4 6 7 9
Boulogne-sur-Mer 10 Aix-la-Chapelle 7. Bruxelles
11
St-Omer 12
Mons NamurVerviers 8. Malines
Arras Valenciennes Coblence 9. Louvain
Abbeville Mayence 10. Liège
Amiens Cambrai
Cherbourg Dieppe 11. Lille
St-Quentin Sedan
Le Havre Yvetot Beauvais 12. Douai
Caen Rouen 13. Villeneuve-
Reims d’Agenais
Lisieux Metz
Châlons-
Falaise Paris sur-M. Nancy
Brest Strasbourg
Alençon Versailles Lunéville
Sens Troyes
Rennes Le Mans Chartres Colmar
Orléans
Laval
Auxerre
Lorient Blois
Angers Tours
Dijon Besançon
Bourges
Nevers
Nantes Issoudun
Chalon-
Poitiers sur-S.
Moulins Mâcon Genève
La Rochelle Niort
Limoges Thiers
Rochefort Clermont- Lyon
Ferrand Chambéry
Saintes Vienne
Angoulême Casal
St-Étienne Grenoble Turin
Chieri
Voghera
Aurillac Pignerolle
Le Puy Carmagnole Alexandrie
Bordeaux Asti
Départ du courrier Cahors
Fossano Cherasco
pour les villes qui Coni
13
Moissac Avignon Mondovi
disposent d’un Agen
bureau de poste Nîmes Grasse
au 23 sept. 1802 : Montauban
Castres Montpellier Tarascon Nice
Bayonne Arles Aix
tous les jours Toulouse
Carcassonne Béziers
Marseille
les jours pairs
Toulon Bastia
les jours impairs Perpignan
Villes de plus de
10 000 habitants
Villes de 5 000 à voir zoom ci-dessous
10 000 habitants 100 km Source : Almanach impérial an XI

DRÔME TEMPS D’ACHEMINEMENT DU COURRIER


Barjac
Pont-St-Esprit Buis Sisteron
St-Ambroix
Orange VAUCLUSE
Bagnols
GARD BASSES-ALPES
Roquemaure Carpentras
Uzès
Forcalquier
Villeneuve-d’Avignon Paris
La Foux Avignon
Apt Manosque Riez
Nîmes Tarascon
Beaucaire St-Rémy
Cadenet Pertuis
Lédignan Arles Salon
Lambesc Barjols
St-Gilles
BOUCHES-DU-RHÔNE
Aix
Aigues- St-Maximin VAR
Mortes Martigues Roquevaire Brignoles
Aubagne
Marseille
Le Beausset
Cassis Cuers
Départ du courrier : La Ciotat
tous les jours Ollioules Toulon
les jours pairs Depuis Paris, en 1795
les jours impairs 25 km 0à3 4à5 6à7 8 à 11 jours 150 km
88

CONCLUSION

Le legs de la Révolution
LES SUITES DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE L’effondrement des empires
AUX AMÉRIQUES ibériques
L’indépendance des colonies espa-
Bas-Canada gnoles et portugaises, plus qu’une
Haut- rébellion contre la métropole, est
Canada
Territoire du Missouri le résultat d’un effondrement de la
(ex-Louisiane)
monarchie, qui affecte simultanément
Californie
ÉTATS-UNIS territoires américains et européens et
conduit, entre autres conséquences,
Texas OCÉAN à la désagrégation des empires. Ces
AT L A N T I Q U E derniers étaient composés de territoires
VICE-ROYAUME Floride
largement autonomes. Ils tenaient
DE NOUVELLE-ESPAGNE
parce que leurs élites convergeaient
Cuba vers le roi, qu’elles érigeaient en arbitre
St-Domingue
Jamaïque de leurs différends. En 1808, la fuite au
Porto Rico
Honduras HAÏTI Brésil de la famille royale portugaise et
Guadeloupe
Côte des Mer des Antilles Martinique la capture par Napoléon de la famille
Mosquitos
Trinité royale espagnole détruisent brutale-
ment ce lien. Privés de souverain, les
OCÉAN Venezuela
territoires espagnols assument pro-
Guyanes
PA C I F I Q U E VICE-ROYAUME gressivement les attributs, puis la réa-
DE NOUVELLE-
GRENADE lité de la souveraineté vacante. Son
exercice est revendiqué non seulement
Les empires coloniaux A m a z o n i e
par les capitales de province, mais
Espagnol aussi par un grand nombre de micro-
VICE-ROYAUME
Portugais DU PÉROU sociétés locales. Le territoire se frac-
Haut-Pérou BRÉSIL
Britannique tionne de fait à l’extrême. Des guerres
Néerlandais acharnées se livrent, plus souvent pour
VICE-ROYAUME le partage des dépouilles de la souve-
Français Paraguay
Les frontières retenues sont celles de 1815
raineté espagnole que pour sa des-
truction. Seuls les segments les plus
Date de la prise d’indépendance DE LA PLATA
fortement structurés (Mexique, Pérou)
Banda
effective ville à ville oriental
Chili échappent à l’atomisation. Ailleurs,
En 1804
l’indépendance se produit en ordre dis-
Entre 1810 et 1811
persé, ville à ville. Dérivée de conflits
Entre 1812 et 1814 locaux plus que revendication préala-
Entre 1817 et 1820 blement affirmée, elle n’est proclamée
Entre 1821 et 1825 que plusieurs années après s’être pro-
NB : Les pays étant en grande partie une construction duite de fait. Les campagnes militaires,
postérieure à l’indépendance, la carte a été réalisée plus que des guerres contre la métro-
sur la base des villes, ces dernières étant l’unité
politique la plus cohérente à l’époque. pole, sont des tentatives pour recons-
Source : J.-P. Dedieu, CNRS/LARHRA/Université de Lyon. 1 000 km tituer des ensembles politiques viables.
Celles-ci échoueront souvent. Partout
CONCLUSION • 89

LIEUX DE MÉMOIRE DE LA RÉVOLUTION ET DE LA CONTRE-RÉVOLUTION

Étables

Villamée
Plémy Lassay
Rimou Laignelet
Quimper
Lababan Andouillé
St-Barthélemy Pluméliau St-Martin-de-Connée
St-Ouën-des-Toits
Quistinic Locminé
Boistrudan Laval
Camors St-Jean-Brévelay St-Jean-sur-Erve
Le Theil La Guerche
Pluvigner Plumergat Missiriac
Locoal-Mendon Plescop Teillay Araize St-Saturnin-du-Limet
Ste-Anne-d’Auray Vannes Ruffigné
St-Julien-de-Vouvantes La Prévière
Baden
Moisdon Juigné
Surzur Péaule
Petit-Auverné Candé
Maumusson Avrillé
Oudon Le Louroux-Béconnais
Le Cellier Ingrandes
Lieux de mémoire Basse-Indre
aux XIXe et XXe siècles La Chapelle-Heulin
Dédié à un « Blanc »
Dédié à un « Bleu»
Les Lucs-sur-Boulogne
Indéterminé
Source : C. Langlois, T. Tackett et M. Vovelle, Atlas de la Révolution française. Religion, tome IX, Éditions de l’EHESS, Paris, 1996. 25 km

en revanche les sociétés resteront cette décision, Georges Clemenceau, communiste, du succès des thèses
durablement marquées par les consé- originaire de Vendée, prend la parole défendues par François Furet dans
quences d’un traumatisme où elles à l’Assemblée nationale le 29 janvier : Penser la Révolution française, qui
faillirent sombrer corps et bien. La pré- « Messieurs, il a été joué à la Comédie- vise à démolir la prétendue vulgate
sence du souverain garantit le maintien Française une pièce évidemment marxiste dominante. Les affronte-
de la paix civile au Brésil, dont il fait la dirigée contre la Révolution française ments concernent l’interprétation de
véritable métropole. Les tentatives du […]. Messieurs, que nous le voulions ou la Révolution mais aussi l’héritage
Portugal pour reconquérir la primauté non, que cela nous plaise ou que cela de la Révolution et de la Contre-
conduiront à la séparation des deux nous choque, la Révolution française Révolution. L’Assemblée nationale en
territoires, décidée par le roi devant est un bloc […], un bloc dont on ne peut est encore le théâtre. Régulièrement,
leur évidente incapacité à cohabiter. rien distraire, parce que la vérité histo- la question de la répression de l’in-
L’originalité de ces développements rique ne le permet pas. » Le discours est surrection vendéenne revient en effet
et leur forte composante endogène entrecoupé d’interventions virulentes à l’ordre du jour. Neuf députés ont
autorisent à parler d’une modalité his- de députés de droite. Clemenceau leur signé la proposition de loi déposée
panique autonome de la « Révolution répond notamment : «  Ah ! vous ne par Lionnel Luca le 21 février 2007
atlantique  ». La Révolution française voulez pas du Tribunal révolutionnaire ? portant comme article unique : « La
est le moteur du processus dans le Vous savez cependant dans quelles cir- République française reconnaît le
sens où l’expansion de la France révo- constances il a été fait. Est-ce que vous génocide vendéen de 1793-1794.  »
lutionnaire anéantit l’ancien système de ne savez pas où étaient les ancêtres de Hervé de Charette, député du Maine-
circulation atlantique et oblige à créer ces messieurs de la droite ? […] Ils mar- et-Loire et ancien ministre, est du
du neuf. Son idéologie en revanche chaient contre la patrie, la main dans la nombre. Le projet de loi insiste sur
n’est pas centrale. La création des main de l’ennemi et ceux qui n’étaient les décrets de la Convention visant
nouveaux États repose sur le déve- pas avec les armées étrangères, ceux à exterminer les bandits vendéens,
loppement autonome d’une pensée qui n’étaient pas avec Brunswick, où et se termine ainsi : « La République
politique proprement espagnole. étaient-ils ? Ils étaient dans l’insurrec- sera d’autant plus forte qu’elle saura
tion vendéenne... » Ce débat est symp- reconnaître ses faiblesses, ses erreurs
tomatique du rapport passionnel des et ses fautes. Elle ne peut continuer
L’héritage de la Révolution Français à la Révolution. de taire ce qui est une tache dans
à l’Assemblée nationale On se souvient également lors du son histoire. Elle doit, pour cela,
En 1891, une pièce de théâtre, bicentenaire de 1789, et dans un reconnaître le génocide vendéen de
Thermidor, est interdite. Pour justifier contexte d’effondrement du modèle 1793-1794 (…). »
ANNEXES
Calendrier révolutionnaire
AN II AN III AN IV AN V AN VI AN VII
1 22 sept. 93 22 sept.94 23 sept. 95 22 sept. 96 22 sept. 97 22 sept. 98
VENDÉMIAIRE 10 1er oct. 93 1er oct. 94 2 oct. 95 1er oct. 96 1er oct. 97 1er oct. 98
20 11 oct. 93 11 oct. 94 12 oct. 95 11 oct. 96 11 oct. 97 11 oct. 98
1 22 oct. 93 22 oct. 94 23 oct. 95 22 oct. 96 22 oct. 97 22 oct. 98
er
BRUMAIRE 10 31 oct. 93 31 oct. 94 1 nov. 95 31 oct. 96 31 oct. 97 31 oct. 98
20 10 nov. 93 10 nov. 94 11 nov. 95 10 nov. 96 10 nov. 97 10 nov. 98
1 21 nov. 93 21 nov. 94 22 nov. 95 21 nov. 96 21 nov. 97 21 nov. 98
FRIMAIRE 10 30 nov. 93 30 nov. 94 1er déc. 95 30 nov. 96 30 nov. 97 30 nov. 98
20 10 déc. 93 10 déc. 94 11 déc. 95 10 déc. 96 10 déc. 97 10 déc. 98
1 21 déc. 93 21 déc. 94 22 déc. 95 21 déc. 96 21 déc. 97 21 déc. 98
NIVÔSE 10 30 déc. 93 30 déc. 94 31 déc. 95 30 déc. 96 30 déc. 97 30 déc. 98
20 9 janv. 94 9 janv. 95 10 janv. 96 9 janv. 97 9 janv. 98 9 janv. 99
1 20 janv. 94 20 janv. 95 21 janv. 96 20 janv. 97 20 janv. 98 20 janv. 99
PLUVIÔSE 10 29 janv. 94 29 janv. 95 30 janv. 96 29 janv. 97 29 janv. 98 29 janv. 99
20 8 févr. 94 8 févr. 95 9 févr. 96 8 févr. 97 8 févr. 98 8 févr. 99
1 19 févr. 94 19 févr. 95 20 févr. 96 19 févr. 97 19 févr. 98 19 févr. 99
VENTÔSE 10 28 févr. 94 28 févr. 95 29 févr. 96 28 févr. 97 28 févr. 98 28 févr. 99
20 10 mars 94 10 mars 95 10 mars 96 10 mars 97 10 mars 98 10 mars 99
1 21 mars 94 21 mars 95 21 mars 96 21 mars 97 21 mars 98 21 mars 99
GERMINAL 10 30 mars 94 30 mars 95 30 mars 96 30 mars 97 30 mars 98 30 mars 99
20 9 avr. 94 9 avr. 95 9 avr. 96 9 avr. 97 9 avr. 98 9 avr. 99
1 20 avr. 94 20 avr. 95 20 avr. 96 20 avr. 97 20 avr. 98 20 avr. 99
FLORÉAL 10 29 avr. 94 29 avr. 95 29 avr. 96 29 avr. 97 29 avr. 98 29 avr. 99
20 9 mai 94 9 mai 95 9 mai 96 9 mai 97 9 mai 98 9 mai 99
1 20 mai 94 20 mai 95 20 mai 96 20 mai 97 20 mai 98 20 mai 99
PRAIRIAL 10 29 mai 94 29 mai 95 29 mai 96 29 mai 97 29 mai 98 29 mai 99
20 8 juin 94 8 juin 95 8 juin 96 8 juin 97 8 juin 98 8 juin 99
1 19 juin 94 19 juin 95 19 juin 96 19 juin 97 19 juin 98 19 juin 99
MESSIDOR 10 28 juin 94 28 juin 95 28 juin 96 28 juin 97 28 juin 98 28 juin 99
20 8 juil. 94 8 juil. 95 8 juil. 96 8 juil. 97 8 juil. 98 8 juil. 99
1 19 juil. 94 19 juil. 95 19 juil. 96 19 juil. 97 19 juil. 98 19 juil. 99
THERMIDOR 10 28 juil. 94 28 juil. 95 28 juil. 96 28 juil. 97 28 juil. 98 28 juil. 99
20 7 août 94 7 août 95 7 août 96 7 août 97 7 août 98 7 août 99
1 18 août 94 18 août 95 18 août 96 18 août 97 18 août 98 18 août 99
FRUCTIDOR 10 27 août 94 27 août 95 27 août 96 27 août 97 27 août 98 27 août 99
20 6 sept. 94 6 sept. 95 6 sept. 96 6 sept. 97 6 sept. 98 6 sept. 99
1er 17 sept. 94 17 sept. 95 17 sept. 96 17 sept. 97 17 sept. 98 17 sept. 99
JOURS
COMPLÉMEN- 5e 21 sept. 94 21 sept. 95 21 sept. 96 21 sept. 97 21 sept. 98 21 sept. 99
TAIRES
6e 22 sept. 95 22 sept. 99
ANNEXES • 91

AN VIII AN IX AN X AN XI AN XII AN XIII AN XIV


23 sept. 1799 23 sept. 1800 23 sept. 01 23 sept. 02 24 sept. 03 23 sept. 04 23 sept. 05
2 oct. 1799 2 oct. 1800 2 oct. 01 2 oct. 02 3 oct. 03 2 oct. 04 2 oct. 05
12 oct. 1799 12 oct. 1800 12 oct. 01 12 oct. 02 13 oct. 03 12 oct. 04 12 oct. 05
23 oct. 1799 23 oct. 1800 23 oct. 01 23 oct. 02 24 oct. 03 23 oct. 04 23 oct. 05
er er er er er
1 nov. 1799 1 nov. 1800 1 nov. 01 1 nov. 02 2 nov. 03 1 nov. 04 1er nov. 05
11 nov. 1799 11 nov. 1800 11 nov. 01 11 nov. 02 12 nov. 03 11 nov. 04 11 nov. 05
22 nov. 1799 22 nov. 1800 22 nov. 01 22 nov. 02 23 nov. 03 22 nov. 04 22 nov. 05
er er er er er
1 déc. 1799 1 déc. 1800 1 déc. 01 1 déc. 02 2 déc. 03 1 déc. 04 1er déc. 05
11 déc. 1799 11 déc. 1800 11 déc. 01 11 déc. 02 12 déc. 03 11 déc. 04 11 déc. 05
22 déc. 1799 22 déc. 1800 22 déc. 01 22 déc. 02 23 déc. 03 22 déc. 04 22 déc. 05
31 déc. 1799 31 déc. 1800 31 déc. 01 31 déc. 02 1er janv. 04 31 déc. 04 31 déc. 05
10 janv. 1800 10 janv. 1801 10 janv. 02 10 janv. 03 11 janv. 04 10 janv. 05
21 janv. 1800 21 janv. 1801 21 janv. 02 21 janv. 03 22 janv. 04 21 janv. 05
30 janv. 1800 30 janv. 1801 30 janv. 02 30 janv. 03 31 janv. 04 30 janv. 05

Le calendrier républicain a cessé d’être en vigueur le 10 nivôse an XIV-31 décembre 1805


94 9 févr. 1800 9 févr. 1801 9 févr. 02 9 févr. 03 10 févr. 04 9 févr. 05
20 févr. 1800 20 févr. 1801 20 févr. 02 20 févr. 03 21 févr. 04 20 févr. 05
er er er er er
1 mars 1800 1 mars 1801 1 mars 02 1 mars 03 1 mars 04 1er mars 05
11 mars 1800 11 mars 1801 11 mars 02 11 mars 03 11 mars 04 11 mars 05
22 mars 1800 22 mars 1801 22 mars 02 22 mars 03 22 mars 04 22 mars 05
31 mars 1800 31 mars 1801 31 mars 02 31 mars 03 31 mars 04 31 mars 05
10 avr. 1800 10 avr. 1801 10 avr. 02 10 avr. 03 10 avr. 04 10 avr. 05
21 avr. 1800 21 avr. 1801 21 avr. 02 21 avr. 03 21 avr. 04 21 avr. 05
30 avr. 1800 30 avr. 1801 30 avr. 02 30 avr. 03 30 avr. 04 30 avr. 05
10 mai 1800 10 mai 1801 10 mai 02 10 mai 03 10 mai 04 10 mai 05
21 mai 1800 21 mai 1801 21 mai 02 21 mai 03 21 mai 04 21 mai 05
30 mai 1800 30 mai 1801 30 mai 02 30 mai 03 30 mai 04 30 mai 05
9 juin 1800 9 juin 1801 9 juin 02 9 juin 03 9 juin 04 9 juin 05
20 juin 1800 20 juin 1801 20 juin 02 20 juin 03 20 juin 04 20 juin 05
29 juin 1800 29 juin 1801 29 juin 02 29 juin 03 29 juin 04 29 juin 05
9 juil. 1800 9 juil. 1801 9 juil. 02 9 juil. 03 9 juil. 04 9 juil. 05
20 juil. 1800 20 juil. 1801 20 juil. 02 20 juil. 03 20 juil. 04 20 juil. 05
29 juil. 1800 29 juil. 1801 29 juil. 02 29 juil. 03 29 juil. 04 29 juil. 05
8 août 1800 8 août 1801 8 août 02 8 août 03 8 août 04 8 août 05
19 août 1800 19 août 1801 19 août 02 19 août 03 19 août 04 19 août 05
28 août 1800 28 août 1801 28 août 02 28 août 03 28 août 04 28 août 05
7 sept. 1800 7 sept. 1801 7 sept. 02 7 sept. 03 7 sept. 04 7 sept. 05
18 sept. 1800 18 sept. 1801 18 sept. 02 18 sept. 03 18 sept. 04 18 sept. 05
22 sept. 1800 22 sept. 1801 22 sept. 02 22 sept. 03 22 sept. 04 22 sept. 05
23 sept. 03
92

Chronologie

1773 1789 Mai : levée de bataillons de volontaires


Oct. : révolte de Pougatchev en Russie Févr.-avril : assemblées pour élire Juil. : la Patrie est proclamée en danger
16 déc. : Boston Tea Party les députés et rédiger les cahiers (11) ; manifeste du duc de Brunswick (25)
de doléances 10 août : assaut des fédérés et
26-28 avril : émeute Réveillon à Paris des Parisiens contre les Tuileries
1774
5 mai : ouverture des États généraux Sept. : élection des représentants à la
31 mars-2 juin : dans les 13 colonies Convention nationale ; chute de Verdun
britanniques d’Amérique du Nord, 20 juin : serment du Jeu de paume
(2) ; massacres dans les prisons
« lois intolérables » Juil. : début de la révolution municipale ;
parisiennes (2-5) ; victoire française
5 sept.-26 oct. : premier congrès l’Assemblée nationale se proclame
à Valmy (20) ; la Convention abolit
continental à Philadelphie constituante (9) ; prise de la
la monarchie (21) ; premier jour
Bastille (14) ; début de la Grande Peur de la République (22)
(20)
1775 Août : abolition des privilèges (4-11) ;
6 nov. : victoire française à Jemmapes
Avril-mai : guerre des Farines en France Déclaration des droits de l’homme
19 avril : accrochages entre les troupes et du citoyen (26) 1793
britanniques et les miliciens américains 5-6 oct. : marche sur Versailles 21 janv. : exécution de Louis XVI à Paris
2 nov. : les biens du clergé sont mis Févr. : émeutes taxatrices à Paris ;
1776 à disposition de la nation la France déclare la guerre à l’Angleterre
Janv. : suppression des corporations et à la Hollande (1er) ; la Convention
en France (5) ; Common Sense décrète la levée de 300 000 « volontaires »
1790 (24)
de Thomas Paine (10)
11-12 janv. : proclamation des États Mars : envoi de représentants du peuple
4 juil. : déclaration d’indépendance belgiques unis
des États-Unis en mission pour recruter (9) ;
15 févr. : création des départements création du Tribunal révolutionnaire (10) ;
Juil. : Constitution civile du clergé (12) ; défaite française à Neerwinden (18) ;
1777 fête de la Fédération (14) création des comités de surveillance (21)
26 avril : La Fayette s’embarque 29 oct. : soulèvement des mulâtres 6 avril : création du Comité de salut
pour l’Amérique à Saint-Domingue public
2 déc. : l’armée autrichienne met fin 29 mai : début du soulèvement lyonnais
1778 aux États belgiques unis contre les Jacobins
10 févr. : traités d’alliance et de commerce Juin : arrestation des chefs girondins (2) ;
entre la France et les États-Unis 1791 début du mouvement fédéraliste ;
Constitution et Déclaration des droits
Mars : loi d’Allarde qui supprime
de 1793 (24)
1781 les corporations (2) ; le pape condamne
la Constitution civile du clergé (10) 13 juillet : assassinat de Marat à Paris
19 oct. : reddition britannique à Yorktown
15 mai : l’Assemblée donne le droit de Août : la Convention décrète la levée en
vote aux hommes de couleur et aux Noirs masse (23) ; Sonthonax, commissaire de
1783 libres nés de parents libres la Convention à Sain-Domingue, y abolit
Mars : début de l’insurrection batave l’esclavage (29)
Juin : levée de volontaires nationaux
3 sept. : paix de Paris et de Versailles (13) ; la loi Le Chapelier interdit les Sept. : la Terreur est « mise à l’ordre du
« coalitions » (14) ; fuite du roi avortée jour » (4-5) ; vote de la loi des suspects
à Varennes (20-21) (17)
1787 Oct. : adoption du calendrier républicain
17 janv. : fondation du Comité pour Juil. : création du club des Feuillants
(16) ; fusillade du Champ-de-Mars (17) (5) ; reprise de Lyon (9) ; le gouvernement
l’abolition de la traite des Noirs à Londres est déclaré « révolutionnaire jusqu’à la
22 févr. : réunion de l’assemblée Août : début de l’insurrection des
paix » (10) ; exécution de Marie-
des notables esclaves à Saint-Domingue (22) ;
Antoinette (16) ; victoire républicaine
déclaration de Pillnitz (27)
Sept. : fin de la Révolution batave contre les Vendéens à Cholet (15-17) ;
3 sept. : adoption de la Constitution exécution à Paris de 21 Girondins (31)
1788 10 nov. : fête de la Raison à Paris
1792 Déc. : décret du 14 frimaire an II qui
7 juin : « journée des Tuiles » à Grenoble
24 mars : loi donnant aux libres de organise le « gouvernement
21 juil. : assemblée des états couleur les mêmes droits politiques révolutionnaire » (4) ; reprise de Toulon
du Dauphiné à Vizille qu’aux Blancs (19)
8 août : convocation des États généraux 20 avril : la France déclare la guerre
26 août : rappel de Necker au roi de Bohême et de Hongrie
ANNEXES • 93

1794 1797 1801


4 févr. : décret du 16 pluviôse an II qui 27 mars : promulgation 5 janv. : ordre de déportation contre
abolit l’esclavage dans les colonies de la Constitution cispadane 130 néo-Jacobins
françaises Avril : succès des royalistes aux élections 9 févr. : paix de Lunéville entre la France
24 mars : exécution des Hébertistes 9 juillet : proclamation de la République et l’Autriche
5 avril : exécution des indulgents cisalpine 15-16 juil. : signature du Concordat
7 mai : instauration du culte de 4 sept. : coup d’État du 18 fructidor an V
l’Être suprême contre les royalistes 1802
Juin : « loi de Grande Terreur » (10) ; 17 oct. : traité de paix de Campoformio 24 janv. : Bonaparte président
victoire française à Fleurus (26) avec l’Autriche de la République cisalpine
Juil. : coup de force à la Convention 5 févr. : Leclerc débarque à Saint-
contre Robespierre le 9 thermidor (27) ; 1798 Domingue
exécution à Paris de Robespierre (28)
15 févr. : les « Jacobins » romains 25 mars : paix d’Amiens entre la France,
23 oct. : les troupes françaises entrent proclament la République l’Angleterre, l’Espagne et la Hollande
à Coblence
11 mai : coup d’État contre 26 avril : amnistie en faveur des émigrés
12 nov. : fermeture du club des Jacobins les néo-Jacobins 20 mai : la France rétablit l’esclavage
de Paris
Juil. : les troupes françaises débarquent dans ses colonies
24 déc. : abolition du Maximum en Égypte (1er) ; victoire de Bonaparte 7 juin : Toussaint Louverture est fait
à la bataille des Pyramides (21) prisonnier à Saint-Domingue
1795 1er août : la flotte française détruite 2 août : par plébiscite, Bonaparte est
1795 : troisième partage et disparition par les Anglais à Aboukir nommé consul à vie
de la Pologne 5 sept. : loi Jourdan-Delbrel qui instaure
Févr. : début de la Terreur blanche la conscription
1803
Avril : émeutes populaires à Paris (1er) ; 29 déc. : seconde coalition
25 fév. : recès d’Empire qui réorganise
traité de Bâle et paix entre la France l’espace germanique
et la Prusse (5) 1799 3 mai : vente de la Louisiane
Juil. : le rassemblement des émigrés Janv. : création de la République aux États-Unis
à Quiberon est anéanti parthénopéenne 16 mai : rupture de la paix d’Amiens
(21) ; paix à Bâle entre la France 28 avril : assassinat des plénipotentiaires par les Anglais
et l’Espagne (22) français à Rastadt Juin : début de la formation du camp
22 août : Constitution dite « de l’an III » 5 mai : en Toscane, massacre des de Boulogne
adoptée par la Convention « Jacobins » ; les troupes françaises 19 nov. : les troupes françaises capitulent
Oct. : émeute royaliste à Paris (5) ; évacuent Naples à Saint-Domingue
séparation de la Convention nationale 18 juin : « coup d’État » du 30 prairial
(26) qui vote une amnistie pour les an VII
« faits » de Révolution ; début du
1804
Août : insurrections royalistes 1er janv. : proclamation de la République
Directoire (27-28)
8 oct. : Bonaparte débarque en France d’Haïti
16 nov. : d’anciens Jacobins ouvrent
le club du Panthéon à Paris 10-11 nov. : coup d’État des 18-19 18 mai : création de l’Empire en France
brumaire an VIII 2 décembre : sacre de Napoléon Ier

1796
Févr. : interdiction du club du Panthéon
1800
Févr. : la Constitution de l’an VIII
2 mars : Bonaparte est nommé à la tête
approuvée par plébiscite (7) ;
de l’armée d’Italie
création des préfets (17)
10 mai : arrestation des Babouvistes
14 mars : élection du pape Pie VII
à Paris et victoire de Bonaparte à Lodi
20 mai : Bonaparte franchit le col
du Saint-Bernard
14 juin : victoire française de Marengo
24 déc. : attentat de la rue Saint-Nicaise
contre Bonaparte
94

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Paris, CNRS Brépols, 1988.

RAO A.-M., Esuli, l’emigrazione politica italiana in Francia


(1792-1802), Naples, Guida Eitori, 1992.
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Pierre-Yves Beaurepaire est professeur d’histoire moderne à l’université de Nice


Sophia-Antipolis, membre honoraire de l’Institut universitaire de France.
Silvia Marzagalli est professeur d’histoire moderne à l’université de Nice Sophia-
Antipolis et membre de l’Institut universitaire de France.

Guillaume Balavoine est cartographe indépendant.

Illustration de couverture :
© RMN.
Imprimé et broché en France –
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24 € – ISSN : 1272-0151 www.autrement.com
ISBN : 978-2-7467-4295-6 et rejoignez-nous sur Facebook

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