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ISSN: 2658-8455

Volume 3, Issue 4-3 (2022), pp.693-715.


© Authors: CC BY-NC-ND

Les facteurs discursifs de la qualité d’audit d’une mission du


commissariat aux comptes : Cas du cabinet d’audit de petite taille

The discursives factors of the audit quality of statutory audit:


Case of the small audit firm

Hafsa EL KADIRI, (Doctorante)


Laboratoire de recherche en gestion des organisations, LAREGO
Ecole Nationale de Commerce et de Gestion de Marrakech
Université Cadi ayyad de Marrakech-Maroc

Hassan CHRAIBI, (Professeur habilité)


Laboratoire de recherche en gestion des organisations, LAREGO
Ecole Nationale de Commerce et de Gestion de Marrakech
Université Cadi ayyad de Marrakech-Maroc

Ecole Nationale de Commerce et de Gestion de Marrakech


Adresse : Av. Allal El Fassi BP 3748 Amerchich –
Marrakech, Maroc
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Tél : : (+212) 5 24 30 46 92
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Les auteurs n'ont pas connaissance de quelconque financement
Déclaration de divulgation :
qui pourrait affecter l'objectivité de cette étude.
Conflit d’intérêts : Les auteurs ne signalent aucun conflit d'intérêts.
EL KADIRI, H., & CHRAIBI, H. (2022). Les facteurs
discursifs de la qualité d’audit d’une mission du commissariat
aux comptes : Cas du cabinet d’audit de petite taille.
Citer cet article
International Journal of Accounting, Finance, Auditing,
Management and Economics, 3(4-3), 693-715.
https://doi.org/10.5281/zenodo.6990618
Cet article est publié en open Access sous licence
Licence
CC BY-NC-ND

Received: June 15, 2022 Published online: August 14, 2022

International Journal of Accounting, Finance, Auditing, Management and Economics - IJAFAME


ISSN: 2658-8455
Volume 3, Issue 4-3 (2022)
Hafsa EL KADIRI & Hassan CHRAIBI. Les facteurs discursifs de la qualité d’audit d’une mission du commissariat aux
comptes : Cas du cabinet d’audit de petite taille

Les facteurs discursifs de la qualité d’audit d’une mission du commissariat


aux comptes : Cas du cabinet d’audit de petite taille

Résumé :
L’importance de l’audit légal en vue de la certification des comptes explique l’intérêt d’étudier ses processus et
les interactions entre les audités et les auditeurs susceptibles de déterminer sa qualité. L’objectif de cet article est
la compréhension du phénomène de production d’assurance des conditions de la qualité d’audit légal à travers les
interactions entre les différents acteurs du processus d’audit et leurs comportements.
Néanmoins, la qualité d’audit légal est un concept complexe, abstrait et multidimensionnel, difficile à cerner. Ses
définitions sont objets de controverses en raison de son caractère ambigu.
Pour cerner cette complexité, en dehors de toute approche normative, notre recherche s’inscrit dans une démarche
inductive ouverte à une phénoménologie du concept de la qualité d’audit dans le cadre d’une approche de type
ethnographique. La méthode adoptée est par conséquent, celle de l’observation participante dans le cadre d’une
mission d’audit légal pour le compte d’un établissement hôtelier accompli par des entretiens d’explicitations.
Les principaux résultats de cette recherche contribuent à déterminer la qualité de l’audit à travers les
caractéristiques de l’auditeur, les caractéristiques de l’audité, les caractéristiques de l’équipe d’audit et les
caractéristiques de la mission d’audit.

Mots-clés : Gouvernance, Processus d’audit, Qualité d’audit, Comportements, Auditeurs, Audités.


JEL Classification : M42, M48, M49
Type de papier : Recherche appliquée.

Abstract:

The importance of the legal audit for the purpose of certifying the accounts explains the interest of studying its
processes and the interactions between the audited and the auditors likely to determine its quality. The objective
of this paper is to understand the phenomenon of producing assurance of the conditions of the legal audit quality
through the interactions between the different actors of the audit process and their behaviors.
Legal audit quality is a complex, abstract and multi-dimensional concept that is difficult to define. Its definitions
are controversial because of its ambiguity. To identify this complexity, outside of any normative approach, our
research is part of an inductive approach open to a phenomenology of the concept of audit quality within the
framework of an ethnographic approach. The method adopted is therefore that of participating observation in the
context of a legal audit mission on behalf of a hotel establishment carried out by explicit interviews.
The main results of this research contribute to determining the quality of the audit through the characteristics of
the auditor, the characteristics of the auditee, the characteristics of the audit team and the characteristics of the
audit engagement.

Keywords: Governance, Audit Process, Audit quality, behavior, Auditors, Auditees.


JEL Classification : M42, M48, M49
Paper type : Empirical research.

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1. Introduction :

L’étude des déterminants de la qualité d’audit légal et du processus qui y aboutit représente un
axe de recherche relativement récent, mais qui devient au cœur des préoccupations des
chercheurs. Son actualité s’est imposée après les scandales financiers à répétition de ces
dernières années qui ont secoué le monde des affaires. La capacité de l’auditeur à émettre une
opinion, à laquelle les parties prenantes puissent faire confiance, a été ébranlée. Les écrits
scientifiques nous enseignent que la qualité des données comptables et financières publiées
(Velury, Reisch, & O'reilly, 2003) et le degré de confiance que les parties prenantes accordent
à l’opinion d’audit (Christensen, Glover, Omer, & Shelley, 2016) sont intimement liés à la
qualité de l’audit qui est l’un des pivots de la gouvernance (O’Sullivan & Diacon,1999). Toute
relation d’enquête implique des liens, des rapports entre les différents acteurs. Mais ces rapports
ne sont pas toujours neutres, même s’il s’agit là d’une exigence normative largement partagée
dans les discours convenus de toutes les parties prenantes. Ces rapports sont en effet entaché
des enjeux sociaux des différents acteurs agissant dans et autour de la relation auditeur-audité.
Le maintien d’une relation professionnelle entre les deux parties prenantes principales est une
base primordiale de tout travail afin d’effectuer un audit respectant les normes professionnelles
du métier et conformes aux standards universels et règles internes relatifs à chaque firme
d’audit.
D’une part, le client se doit de coopérer avec l’auditeur en fournissant à temps les informations
comptables, financières et juridiques nécessaires et d’éviter toutes manœuvres visant à
restreindre ses travaux. D’autre part, l’auditeur doit, tout en maintenant son degré de
scepticisme professionnel, veiller à instaurer un climat de confiance à l’égard de son client.
Cependant, cette qualité présente un caractère ambigu notamment dans la gestion des paradoxes
issue de la double nature du contrat qui gère d’un côté une relation de prestation et de l’autre
une relation de contrôle. C’est ce qui rend la qualité de l’audit légal particulièrement sensible
aux comportements des acteurs exécutant les missions d’audit. L’étude de l’articulation entre
processus et qualité de l’audit nous amène à appréhender la relation auditeurs-audités dans le
cadre de la dynamique organisationnelle et sociale devant assurer la qualité d’audit. Notre
recherche, qui s’inscrit dans un travail de thèse doctorale, se positionne alors à la croisée de
trois champs d’études, celui de l’audit légal, de la sociologie des organisations et de la corporate
governance.
La problématique de cet article se présente comme suit : Comment interagissent les
caractéristiques de l’auditeur et de l’audité dans une mission d’audit et comment influent-
elles la qualité d’audit ?
Pour y répondre, la recherche s’inscrit dans une démarche inductive à travers une observation
participante du chercheur (Lalonde, 2013). Le design de recherche adopté est basé sur une étude
de cas (Yin, 2006), celle d’une mission de commissariat aux comptes d’un établissement
hôtelier réalisée par un cabinet d’audit de petite taille.
Le corpus de données recueilli repose notamment sur :
- Une observation participante qui tend à désigner le travail de terrain dans son ensemble,
depuis notre négociation d’accès, l'arrivée et l’observation sur le terrain, jusqu’au
moment où nous le quittons après un séjour qui a englobé toutes les phases de la mission.
Une immersion prolongée dans la vie quotidienne et dans les situations concrètes de
travail a été effectuée. Elle consiste à accompagner les auditeurs et les audités dans une
mission d’audit légal afin d’accéder à la réalité des sujets observés.
- Des entretiens ethnographiques, des conversations occasionnelles du terrain et des récits
de vie auprès des auditeurs et leurs clients s’intégrant dans la mission d’audit.

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Dans cet article, le chercheur commence par présenter une revue de littérature, la méthodologie
de recherche. Ensuite il présente les différentes approches mobilisées pour sa recherche qui se
matérialisent par un accès direct au terrain par la méthode de cas et l'observation participante
suivant une démarche ethnographique. Dans la dernière partie, il présente les thèmes induits de
la recherche avec leurs discussions théoriques.

2. Revue de littérature :

Les premières recherches empiriques qui ont traité le sujet de la qualité d’audit sont Watt
(1977), Amett et Danos (1979), Watts et Zimmerman (1979), et DeAngelo (1981). Certains
chercheurs ont avancé que la qualité d’audit est influencée par certains facteurs
environnementaux, sociaux, politiques et économiques (Arnett et Danos 1979).
En appréhendant le processus d’audit, la majorité des recherches empiriques ont tenté
d’appréhender cette qualité à travers des variables exogènes à cette dernière (des proxies)
Manita 2008. Deangelo (1981) était la première à proposer une définition de la qualité de l’audit
à travers ses deux composantes : « compétences » et « indépendance » de l’auditeur. Selon
DeAngelo (1981), la qualité de l’audit se définit comme la perception conjointe de la capacité
de l’auditeur à détecter une anomalie dans les états financiers du client, ce qui relève de la
compétence de l’auditeur et de pouvoir divulguer cette anomalie, ce qui relève de son
indépendance. En se basant sur cette définition, plusieurs indicateurs de la qualité de l’audit ont
été identifiés par la littérature. Il s’agit notamment de la taille du cabinet, des honoraires, de la
réputation (Wilson et grimlund 199012, Moizer 1997, Lennox 199913).
En effet, les recherches semblent considérer, d’une manière assez générale, que la principale
source de mise en danger de l’indépendance des auditeurs provient de la relation entre ces
derniers et les audités.
Par ailleurs, la complexité de la relation entre les auditeurs et les audités s’explique par la
divergence de leurs intérêts, entraînant de ce fait la naissance de divers conflits (Jensen et
Meckling, 1976 ; Sakka et Manita, 2011). De ce fait, la supériorité de l’audité sur l’auditeur le
conduit à faire recours à de manœuvres et tentatives visant à limiter la portée des travaux d’audit
tout en empêchant à l’expert d’exprimer son opinion avec objectivité et indépendance en
l’occurrence : la rétention d’information, les comportements non coopératifs, la remise tardive
des documents ainsi que la tentative d’influencer le rapport d’audit via le chantage et
l’intimidation (Colasse, 2003).
En effet, les recherches en audit ont démontré plus d’une fois que, le type de relation entre
l’auditeur et l’audité n’est pas sans conséquences sur la qualité de certification (Sakka,2010),
et par conséquent sur l’indépendance de l’auditeur. Koubaa et Jarboui (2010) estiment à cet
effet que le jugement des CAC peut être affecté par les relations qu’entretiennent ces experts
avec leurs clients. Son étude signale une relation significative et positive, entre la relation
audité-auditeur et l’indépendance des auditeurs.
En plus de ces cas, les indicateurs suscités ont été remis en cause par nombreux chercheurs, et
cette notion complexe a fait l’objet de nombreuses études. C’est ainsi que des études ont
consisté a analysé l’influence du comportement de l’auditeur, d’une part, et de l’audité d’autre
part sur la qualité de l’audit (Carassus et Gardes, 2005 ; Herrbach, 2000 ; Chekkar et Zoukoua,
2010 ; Alexia, 2012 ; Djoutsa et Foka, 2014) sur la qualité de la mission. Une autre recherche
a consisté à étudier le processus d’audit (Manita, 2008). Sakka (2010) et Habbit (2012),
renvoient au-devant de la scène la relation entre auditeurs et audités. Cette relation étant
vraisemblablement un fort déterminant de la qualité de l’audit.
Sous un sous-bassement comportemental qui fait l’objet de notre recherche, d’autres recherches
ont porté sur les comportements réducteurs de la qualité de l’audit en se focalisant sur l’auditeur.

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Qui expliquent la mauvaise qualité de l’audit par un manque d’expérience de l’auditeur


(Bazerman et al 1997), ou par une inadaptation des méthodes et procédures d’audit (Sikka et al
1998).
A cet égard certaines recherches ont relié ces comportements de réduction de la qualité d’audit
avec les caractéristiques de la personnalité de l’auditeur (Kelly et Margheim, 1987), aux
caractéristiques professionnelles (Kelly et margheim, 1990), au contrôle de la qualité d’audit et
des procédures de révision (Margheim et Panny, 1986), à la structure de la firme d’audit
(Malone et Robert, 1996) et à la pression du temps et du budget (Malone et Robert 1996).
Considérant l’audit légal comme étant un processus réunissant un contexte règlementaire et des
relations sociales (entre auditeurs, avec les administrateurs, les gestionnaires etc). Les relations
qu’entretient l’auditeur avec ces acteurs agissent directement ou indirectement sur sa capacité
à exprimer sa compétence et son indépendance (compernolle 2009), La relation auditeur-audité
ne semble pas manquer à cette règle (Beattie et al 2000, richard 2000, Gibbins et al 2001).
Les recherches ayant abordé cette relation sont peu nombreuses ; Celle-ci a été appréhendé à
travers la relation de l’associé avec le directeur financier de l’entreprise à auditer. Dans cette
perspective, Richard (2003) avait démontré que cette relation était une relation de pairs, d’autres
chercheurs ont laissé entendre que celle-ci était susceptible de passer par des conflits
(Goodwin2002, Bame Aldred et Kida 2007). Pour Beattie et al (2004), l’attitude générale du
client et sa volonté́ à suivre les règles font partie des facteurs les plus influents sur le résultat de
l’interaction auditeur-audité.
D’autres recherches ont avancé qu’il existe certains profils de l’audité avec lesquels le
relationnel est difficile, il s’agit principalement de l’audité dominant, rancunier et de l’audité
non coopératif, trois profils rencontrés par les auteurs dans le cadre des études de ce cas réalisées
(Beattie et al 2000,2005).

3. Posture épistémologique et méthodologie de recherche :

Cette recherche s’inscrit dans une posture interprétativiste et inductive qui se justifie par son
ambition discursive des théories normatives et prétendument universelles qui proposent des
déterminants de la qualité de l’audit légal. L’expérience pratique des chercheurs1 dans le
domaine de l’audit en général et de l’audit légal en particulier leur a inspiré cette voie de la
pensée critique par rapport à ce sujet. Ils font le pari que la problématique traitée reste ouverte
à l’induction d’autres déterminants de la qualité de l’audit légal qui répondraient à des
contingences organisationnelles, sociales et culturelles diverses. C’est pour cela que le choix
est fait en faveur d’une approche d’observation participante qui mobilise les outils de
l’ethnographie qui ont acquis de plus en plus de légitimité dans la recherche en sciences de
gestion durant ces trente dernières années. Nous en rappelons dans ce qui suit les fondements,
les garanties et les phases méthodologiques, avant de présenter le protocole de collecte des
données.
3.1. Fondements méthodologiques de l’ethnographie :
Si la recherche dans les sciences de gestion s’est tournée vers les méthodes et outils de
l’ethnographie, c’est par besoin d’accéder et d’analyser le comportement organisationnel
autrement que par le discours, à savoir par le faire. Celui-ci ne pouvant être cerné que s’il est
d’abord observé et décrit. Justement, la particularité de l’ethnographie réside dans son caractère
visuel. À ce titre, Laplantine (2006) précise que « l’ethnographie est d’abord une activité
visuelle ou, comme le disait Marcel Duchamp de la peinture, une activité “rétinienne” » (p. 9).

1
L’un des auteurs étant un auditeur certifié et l’autre ayant déjà pratiqué le métier d’auditeur dans un cabinet
de commissariat aux comptes.

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Cette particularité visuelle de la méthode ethnographique vient notamment des travaux de


Malinowski (1963, 1985), imposant l’observation directe de la « vie réelle » (Malinowski, 1963,
p. 74) comme l’un des principes fondateurs de toute recherche ethnographique. Dans les années
1970, Geertz conçoit l’ethnographie comme une technique permettant de lire la culture comme
un texte (Geertz, 1998). C'est une méthode d’enquête basée sur la compréhension d’un corps
étranger au chercheur (Mauss, 1926) que ce dernier tente de déchiffrer afin d’en faire ressortir
l’essence.
Le chercheur, doté de son journal de bord et usant d’autres moyens techniques (photographie,
enregistrement vidéo, audio, …), enregistre sans filtre le maximum, si ce n’est tous les
événements auxquels il participe et/ou dont il est témoin. Cela implique donc une immersion
de longue durée sur le terrain auquel il s'intéresse, qui est conditionnée par l’instauration d’une
relation de confiance avec les acteurs du phénomène observé. Cette durabilité est d’autant plus
nécessaire qu’elle permet de faire oublier aux acteurs sa présence de manière à ce que leurs
habitus comportementaux puissent se révéler sans l’influence des biais de l’observation.
La présence du chercheur thésard au cabinet ECM était continue et participante dans la mesure
où il est intégré dans la vie quotidienne du groupe étudié. À côté de sa contribution à la
réalisation de la mission d’audit légal objet de cet article, il a participé à des formations
transversales, à des réunions avec des clients qui souhaitent transmettre leur dossier comptable
au cabinet et à des débriefings de missions. L’épaisseur des descriptions que le chercheur a
réalisée sur certaines situations observées tient en grande partie à la qualité de la relation qu’il
a pu nouer avec l’équipe des auditeurs au sein du cabinet.
3.2. Garantie méthodologie :
L’ethnographe est au centre de la recherche ethnographique. Il doit ainsi être en éveil constant
afin d’affiner sa perception de l’objet. « Le jeune ethnographe qui part sur le terrain doit savoir
ce qu’il sait déjà, afin d’amener à la surface ce qu’on ne sait pas encore », nous dit Mauss (1926,
p. 6). Bien entendu, cela n’est pas sans risques de subjectivité que le chercheur doit
conscientiser, en faire l’objet d’une observation consciente à son tour dans le cadre d’une
réflexivité de son propre itinéraire d’ethnographe. C’est ce qui lui permet de protéger son terrain
de recherche des effets subjectifs (souvent inconscient) de sa présence sur les comportements
des acteurs.
Si Mauss (1926) et Malinowski (1963) ont été les premiers à proposer un protocole précis de la
démarche ethnographique dans lequel l’observation et la participation du chercheur
représentent les piliers, Van Maanen (1979) a milité en faveur d’une ethnographie
organisationnelle. Pour ce faire, il précise que tout chercheur pratiquant l’ethnographie doit être
en mesure de distinguer les concepts de premier ordre (représentant les faits) et les concepts de
second ordre (désignant l’interprétation du chercheur et les théories mobilisées afin d’organiser
et d’expliquer les faits).
Afin d’appliquer la démarche ethnographique dans un contexte de marché, Arnould et
Wallendorf (1994) distinguent quatre caractéristiques qui différencient une recherche
ethnographique d’une autre, mais qui assoient également la légitimité et la scientificité de cette
démarche :
- « La collecte de données dans leur cadre naturel » (Arnould et Wallendorf, 1994), ce
que nous avons cherché à assurer à travers la négociation d’un protocole d’observation
participante du chercheur thésard avec un cabinet d’audit pour sa contribution à la
réalisation d’une mission d’audit légal auprès d’une entreprise hôtelière ;
- « La participation expérientielle longue de la part du chercheur, notamment à partir
d’observations participantes » (Arnould et Wallendorf, 1994). En effet, le chercheur
thésard a assuré une participation à toutes les étapes de la mission d’audit depuis

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l’élaboration de la lettre de mandat jusqu’à la production du rapport d’audit, sa


validation et la clôture du projet ;
- « Les interprétations issues du travail ethnographique doivent être crédibles aux yeux
des personnes étudiées et de l’audience » (Arnould et Wallendorf, 1994). Cette
crédibilité est appuyée par le profil des chercheurs qui sont, en plus de leurs statuts
académiques, des auditeurs professionnels avec un background expérientiel ;
- « L’ethnographie suppose un recours à des sources de données qui sont multiples et un
intérêt porté à d’autres domaines de recherche en sciences sociales afin de générer des
perspectives variées sur les comportements et le contexte » (Arnould et Wallendorf,
1994). En effet, cette recherche s’inscrit au carrefour de différentes disciplines de
sciences de gestion : audit, et sociologie des organisations, corporate governance. Par
ailleurs, il existe un intérêt managérial dans l’orientation des comportements des parties
prenantes d’une mission d’audit légal en faveur des déterminants de sa qualité.
Ainsi, l’ethnographie se différencie des autres outils qualitatifs par une mise en exergue de
l’intérêt de la participation du chercheur dans le phénomène qu’il cherche à comprendre. Il doit
apporter une valeur ajoutée par l’accès à des données, dites intimes, que d’autres formes
d’enquêtes (entretiens ou questionnaires) n’auraient pas réussi à atteindre. La compétence de
l’ethnographe doit lui permettre de saisir, de décrypter et d’analyser ces données. Elle doit lui
permettre également d’ouvrir des perspectives théoriques et managériales pour le sujet étudié.
3.3. Le phasage méthodologique de l’observation :
Le chercheur est une partie intégrante de toute recherche ethnographique. Comme le soulignent
Arnould et Wallendorf (1994, p. 485), « la recherche ethnographique implique la participation
expérientielle étendue de la part du chercheur dans un contexte culturel spécifique ». Le
chercheur a pour objectif de comprendre ce qu’il étudie en s’y investissant personnellement.
Lorsque le chercheur a identifié le groupe social, la (sous-)culture ou le territoire qu’il souhaite
étudier, il se prépare à s’y immerger, de façon plus ou moins profonde, dans le quotidien des
individus qui y vivent, tel un plongeur s’apprêtant à découvrir des fonds marins.
Compte tenu du processus d’une mission de l’audit légal et les interactions entre les parties
prenantes qui en découlent, la démarche ethnographique a pour particularité de se baser sur la
participation dans le phénomène étudié. C’est l’objet du contrat de recherche établi entre le
chercheur thésard appuyé par le LAREGO2 et le cabinet d’audit. Ainsi, moyennant sa
participation à la production dans le cadre d’une mission d’audit légal, il peut utiliser les
données recueillies dans le cadre de sa recherche doctorale et de ses publications et
communications scientifiques.
C’est un contrat qui a duré dix semaines, où le chercheur thésard a participé pleinement à une
mission du commissariat aux comptes au profit d’un groupe hôtelier. Conformément aux termes
de ce contrat, les noms du cabinet et de l’entreprise ne sont pas divulgués. Nous appelons le
premier ECM et la seconde « le client ».
Le chercheur suit un protocole ethnographique qui se structure en 3 temps :
1. La phase d’observation qui a duré de Janvier 2021 au Mars 2021 où le chercheur souhaite au
préalable ouvrir la « boîte noire » des cabinets d’audit et en découvrir la diversité d’acteurs et
des façons de faire. L’objectif est d'effectuer des entretiens ethnographiques avec les
collaborateurs, d’observer leur comportement, travail, interaction entre eux, et les accompagner
durant une mission d’audit légal qui fait l’objet de la recherche.
2. La phase d’analyse des données collectées : par la triangulation des journaux de bord du
chercheur, de l’analyse de contenu des entretiens et de l’analyse des mouvements gestuels et
internes des acteurs et de leurs interactions visibles pendant notre observation (Humpich& Bois,

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2006). Elles peuvent se dérouler en même temps ou en décaler par rapport à l’observation. Elles
présentent l’intérêt de questionner les acteurs à partir des faits observés, « muets » pour ainsi
dire, afin d’appréhender leurs propres significations et interprétations.
3. La phase d’explicitation des thèmes induits et exploitations théoriques dont l’issue a donné
lieu au présent article.
3.4. Le protocole de collecte et traitement des données :
Le chercheur fait le choix de conjuguer deux méthodes : l’observation participante et les
entretiens d’explicitation. Selon Arborio et Fournier (2010), l'observation participante consiste
à aller sur son terrain, « à être physiquement présent dans la situation » pour observer et rendre
compte de manière minutieuse des pratiques « se déroulant en temps réel » des acteurs.
Le dispositif d’observation est basé sur une méthode de triangulation : Journal de bord,
enregistrement magnétique des entretiens effectués et les notes descriptives qui concernent les
données de recherche, les observations sur l’endroit (que ce soit le terrain des auditeurs ou des
audités), l’aspect temporel des faits. Il en est ainsi des ingrédients constituant le contexte local.
Le chercheur veille à prendre en compte les attitudes, les réactions et les impressions du
chercheur lors des interactions avec les acteurs, les difficultés rencontrées, les idées émergentes
et tout changement senti ou observé durant ces rencontres (sous forme de mémos).
Cette triangulation des méthodes permet de vérifier la cohérence entre les discours et les actions
évoquées durant l’observation participante ; de même que la cohérence entre les rencontres
formelles et informelles et les entretiens compréhensifs effectués avec les acteurs de la mission
en tant que chercheur. Ces outils permettent de retracer le cheminement méthodologique et de
matérialiser les faits avec le moins de déperditions possible. Tout au long de ce processus, le
chercheur veille à faire un état des questions, des liens avec ses lectures et ses réflexions.

4. Récit de l’observation de la mission d’audit légal :

Dans le cadre d’une posture d’observation participante, le chercheur thésard a conclu un contrat
avec le cabinet d’audit de petite taille nommé ECM. Il a expliqué l’objet de la recherche, et
l’objectif de son immersion, en négociant la possibilité de participer aux missions de
commissariats aux comptes. À cet égard, le chercheur est tenu de respecter les normes de
confidentialité qu’elles soient à l’intérieur ou à l’extérieur de l’organisation.
Bien que son observation soit déclarée, il reste soucieux et prudent du consentement des acteurs
et de l’engagement de confidentialité tout au long du processus de recherche. Il fait le pari que
cela va lui garantir une discussion plus libre de ses interprétations, et de recueillir des données
discursives permettant de saisir des éléments de compréhension des modes de comportements
conscients ou inconscients des acteurs (Baumard et al. 1999).
4.1. Profils des acteurs :
4.1.1 Profils du cabinet d’audit, de son associé et de ses auditeurs :
Fondé il y a une douzaine d’années, le cabinet ECM est une structure spécialisée en expertise
comptable, commissariat aux comptes, conseil juridique et fiscal, organisation et formation à
associé unique. À son démarrage, il avait le statut d’un fiduciaire de petite taille orienté vers la
création des entreprises en assurant leurs tenues de comptabilité. Rapidement, le cabinet s’ouvre
de nouvelles perspectives après l’obtention par l’associé du diplôme d’expertise comptable
(ISCAE Tunisie) en 2012.
ECM se transforme alors d’un fiduciaire avec un petit portefeuille de clients, en un cabinet
d’expertise situé au cœur de la ville de Marrakech. Il est resté certes de petite taille comptant
deux auditeurs permanents et deux à trois stagiaires selon le besoin, mais habilité à exécuter et

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certifier des missions de commissariat aux comptes au service de grandes entreprises


appartenant à divers secteurs.
L'associée du cabinet, la Boss est née à Rabat il y a 36 ans. Après son obtention du baccalauréat,
elle est partie en Tunisie et y a obtenu un master de l’école supérieure de commerce (ISCAE),
en accomplissant son parcours d’expertise comptable dans le même établissement. Elle a débuté
sa carrière en tant qu’auditeur junior dans des cabinets d’expertise de petite taille, avant qu’elle
ne soit recrutée en tant qu’auditeur senior dans l’un des Big Four présents au Maroc. « Après
avoir eu une large expérience en audit, j’ai travaillé en tant qu’auditeur junior, senior, je me
déplaçais souvent chez les clients dans différentes villes, j’ai tissé plusieurs relations… ». Au
sein de ce même cabinet, elle sera nommée Directrice Administrative et Financière. Quoique le
poste l’ait motivée au début, elle avait l’ambition de créer son propre cabinet de commissariat
aux comptes, ce qu’elle fait en 2009 en créant ECM avant d’obtenir son diplôme d’expertise
comptable trois ans plus tard. La Boss est une personne dynamique et technique, elle choisit
minutieusement ses missions et veilles à la planification de chacune depuis l’appel d’offres
jusqu’à l’achèvement de son exécution.
À l'issue de la présence quotidienne du chercheur au cabinet durant les dix semaines
d’observation participante, la Boss semble être une personne rigoureuse, bosseuse et à l’écoute.
C’est une personne très ponctuelle qui arrive en premier au cabinet à 8h30 et en sort en dernier.
C’est une dame qui dégage une humeur sympathique et au contact facile avec tous les membres
de son équipe. Ces attitudes contribuent à créer un bon climat de collaboration au sein du
cabinet. Elle a le souci de l’organisation et fait de la planification et de la programmation des
missions, des activités et autres tâches quotidiennes, des moyens principaux de conduite de son
équipe et de pilotage de son cabinet, avec une attention primordiale accordée aux délais.
Elle exige de son équipe qu’elle soit organisée à son image : « Il faut que chacun de vous
établisse une checklist au début de sa journée qui contient les tâches et les travaux à accomplir…
Pour acquérir les réflexes d’un bon auditeur, il faut acquérir le sens de l’organisation ».
Ce souci de la programmation et des délais la met continuellement sous pression et la rend
parfois stressée et stressante pour son équipe. Devant de telles situations, elle réagit par un suivi
et un contrôle du travail de ses auditeurs de très près qui ne se limite plus à la vérification de
l’atteinte des objectifs pour aller jusqu’à l’accompagnement de la réalisation des travaux.
La Boss a de réelles compétences commerciales qu’elle sait mobiliser dans le sens de la
prospection, de la gestion de la relation client et de la fidélisation de son portefeuille.
Cependant, elle n’utilise pas pleinement ce potentiel compte tenu d’un souci fort d’équilibre
entre vie personnelle et vie professionnelle. « Compte tenu de mes responsabilités familiales,
je me limite à prospecter dans la zone de Marrakech et alentour ». Il est effectivement souvent
arrivé que la Boss amène avec elle au cabinet ses enfants quand elle a des contraintes de garde.
Durant la planification des missions d’audit externe, elle donne des conseils à son équipe et ses
stagiaires en premier lieu sur leur comportement professionnel avec le client, en insistant sur le
respect des délais, l’image de l’auditeur et l’obligation de réserve qui doit caractériser son
comportement vis-à-vis du personnel de l’entreprise cliente.
L’équipe d’audit du cabinet se compose de deux auditeurs. La nomination des grades (Auditeur
Junior, Auditeur Senior, Manager) y est absente. Le chercheur remarque que toute l’équipe
coopère ensemble durant la mission, toutefois les tâches peuvent être divisées entre les auditeurs
et la Boss qui accompagne son équipe dans chaque mission.
L’auditeur n°1 (A1) est diplômé d’une école nationale de commerce et de gestion en 2013. Elle
a entamé sa carrière en tant que comptable dans une entreprise agroalimentaire pour ensuite
rejoindre le cabinet ECM en 2016. « Mon expérience dans le monde de l’entreprise m’a permis
de forger mes connaissances en comptabilité ; mon contact à chaque fois avec les auditeurs
externes durant les missions m’a aidée en tant qu’auditeur. Je connais les zones de risques au
préalable à détecter, j’ai une cartographie claire du système comptable de chaque entreprise »

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dit-elle. A1 est une personne minutieuse dans son travail, son bureau est rempli de notes où elle
marque chaque tâche accomplie ou non encore achevée, un rappel des dates importantes des
déclarations d’impôt à déposer, des rendez-vous importants avec des clients …etc. Elle dispose
de réelles capacités de conceptualisation et d’analyse grâce à de larges connaissances théoriques
qu’elle continue à développer par ses efforts de recherche. Pour autant c’est une femme très
réservée voir fragile émotionnellement. « Lors d’une précédente mission d’audit, A1 a subi le
comportement agressif d’une comptable sans réagir en préférant aller pleurer dans son coin »,
affirme la Boss. C’est pour cette raison que cette dernière protège son auditrice en la remplaçant
elle-même dans le processus de recueil des données et des dossiers.
L’auditeur n°2 (A 2) est diplômé d’une école de commerce appartenant à une université privée
en 2017. Il a débuté sa carrière en tant qu’auditeur stagiaire durant son projet de fin d’études
chez ECM, et a été recruté en 2019. A2 est une personne dynamique et engagée, assoiffée
d’apprendre. C’est pour cette raison qu’il est toujours volontaire pour effectuer lui-même des
démarches administratives auprès des partenaires externes (client, banque, etc…) ou publics
(administration fiscale, CNSS, etc…). Extraverti, il entre facilement en contact avec ses
interlocuteurs. Cependant, le nombre de missions d’audit limité auquel il a participé ne lui a pas
permis encore d’atteindre ses objectifs de développement de compétences.
4.1.2 Profil de l’entreprise audité et de son directeur financier :
Luxus est un établissement hôtelier 5 étoiles crée en 2012 qui dispose de 55 chambres et suites
ainsi que 5 villas privées. Il jouit à la fois de la proximité de la ville et des espaces paisibles
des alentours de Marrakech tout en offrant des vues imprenables sur les contreforts de l’Atlas.
C’est une entreprise familiale dont la gouvernance et la gestion sont assurées par les membres
d’une même famille. Le cabinet considère que c’est un client important et récurrent avec qui il
travaille depuis 6 ans.
Son organisation comptable se compose de plusieurs services qui s’occupent de
l’enregistrement de toutes les opérations d’achat, de vente, fournisseurs, banque, débiteurs,
quotidiennement et chronologiquement : Comptabilité fournisseurs, comptabilité débitrice, la
gestion de trésorerie, le service recouvrement, le service contrôle, le service achat et
l’économat.
Son directeur financier est né à Rabat en 1965. Après son obtention du baccalauréat, il a obtenu
un DUT en gestion des entreprises et des administrations et une licence en économie en France.
De retour au Maroc, il a débuté sa carrière en tant qu’auditeur dans l’un des Big Four en
1990. Ensuite il a orienté sa carrière vers le secteur de l’hôtellerie dans plusieurs
établissements, où il a occupé depuis 1993 différents postes de responsabilité y compris des
fonctions d’audit interne. Depuis 2013, il est directeur administratif et financier chez Luxus.
Grâce à sa longue expérience, le directeur financier a une bonne connaissance en audit. « J’ai
participé à l’audit de grandes entreprises publiques et privées ; donc je respecte les auditeurs
et je vous laisse faire votre travail ». Le DAF cherche à produire l’image d’un audité coopérant.
Il commençait quotidiennement sa journée par rendre visite à l’équipe d’audit pour leur
demander s’ils avaient besoin de nouvelles informations.
4.2. Récit de la mission d’audit légal :
Le cabinet ECM réalise son troisième mandat d’audit légal consécutif chez Luxus. Cela semble
justifier, auprès des auditeurs et audités, que la phase préliminaire de prise de connaissance
n’ait pas lieu. D’autant plus que la même équipe qui avait audité le groupe dans les précédentes
missions d’intérim a été maintenue (la Boss et les deux auditeurs A1 et A2) avec la même
répartition de tâches.
Avant d’entamer la mission et de se déplacer chez le client, une réunion entre le chercheur et la
Boss a eu lieu. L’objectif est de partager les informations sur les travaux des années précédentes
et le programme de travail. “Généralement on va trouver les mêmes problèmes, les mêmes
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remarques se répètent chaque année, on ne va pas s’attarder dans la mission, nous connaissons
déjà les zones de risques …” (Boss). Elle a décrit également le profil des collaborateurs à
auditer, en précisant ceux qui collaborent et ceux qui entravent le bon déroulement de la
mission.
En tant qu’observateur participant, ces affirmations ont influencé le travail et le réflexe du
chercheur-thésard qui s’est senti « spolié ». Il aurait préféré que son travail d’observation
participante ne soit pas influencé par ces informations. Ce qui lui aurait permis de détecter de
nouvelles zones de risque. Pour autant il a considéré en même temps qu’il s’agissait là d’une
configuration intéressante à étudier dans le cadre de la dynamique de la relation auditeur-audité
quand elle est conditionnée par le confort de la répétition des mêmes vérifications et la
prédominance des préjugés.
La mission débute par l’envoi d’un email par la Boss au DAF3 comprenant une liste exhaustive
des documents à préparer ; et ce, une semaine avant l’arrivée de l’équipe des auditeurs chez le
client. Cette liste englobe toutes les liasses, documents, balances et déclarations comptables
nécessaires à la certification.
Une fois arrivée, l’équipe des auditeurs est installée dans une salle de réunion. Ils étaient bien
accueillis par le DAF qui a interrogé la Boss sur la présence du chercheur. Celle-ci dévoile
l’identité du chercheur et son objet de participation dans le cadre de sa recherche.

Extrait d’un échange entre la Big Boss et le stratège (DAF)

DAF : ...Vous avez recruté un nouvel auditeur ?...


La Boss : C’est une nouvelle auditrice avec nous, qui a le statut d’une doctorante, elle va
participer avec nous à la mission et elle aura besoin d’effectuer des entretiens avec le personnel
audité à la fin de la mission...
DAF : Elle est la bienvenue, nous sommes à votre disposition tout au long de la mission…alors
vous connaissez déjà les cycles à auditer, ça demande moins de temps par rapport aux premiers
mandats…
La Boss : ...Oui nous avons une connaissance parfaite de votre établissement, ce qui nous a
permis d'effectuer notre mission en moins de temps, mais ça ne nous empêche pas de
décortiquer la balance comptable en entier (Sourire)
DAF : Si vous avez besoin des renseignements, je suis à votre disposition, j’ai lancé au
personnel de mettre tous les documents nécessaires à votre disposition, je vous souhaite bon
courage.

Pendant cette séance d'accueil, le DAF avait un sourire sarcastique qui accompagnait des
remarques d’empressement : il souhaitait ouvertement que les délais de ce mandat soient plus
courts que ceux des deux mandats précédents et exprimait aussi une certaine insatisfaction de
la vérification systématique de données qui lui semblaient évidentes et sans risque. L’équipe
des auditeurs fait face à un retard de préparation de la liste demandée au préalable. La Boss ne
semblait pas surprise, arguant qu’il s’agissait d’un comportement répétitif chez ce client.
Le travail de l’équipe commence par une division des tâches entre la boss, A1, A2 et le
chercheur-thésard. Cette dernière remarque que les auditeurs continuent à effectuer les mêmes
tâches et vérifications d’une intervention à une autre ; et ce en se référant au dossier du travail
qui retrace la répartition des travaux par auditeurs. Ce qui a été confirmé par la Boss. « On va
travailler sur les mêmes cycles comme la dernière fois, je prends le cycle chiffre d’affaires et

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Le directeur administratif et financier de Luxus

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stock, A1 se charge des charges du personnel et impôts et taxe, A2 tu travailles sur le cycle
d’achat comme d’habitude et le cycle d’immobilisation ». La Boss a divisé son travail avec le
chercheur.
Pour chaque poste des états financiers, il y a un risque que le montant enregistré soit non correct.
L'auditeur applique des procédures d'audit aux cycles de l'entreprise pour accumuler des
preuves qui permettent de considérer que le risque est maîtrisé ou non. Le choix et
l’interprétation des procédures d'audit utilisées lors du contrôle d'un cycle donné se font en
fonction du seuil de matérialité retenu. Sur la base des preuves d’audit accumulées sur chaque
cycle, ainsi que d’une analyse de cohérence générale, l’auditeur peut alors émettre son opinion.
Bien qu’il y eût un esprit d’équipe, une souplesse dans le travail parce que les auditeurs
maîtrisent bien les comptes, ces derniers survolent rapidement les sections et les cycles à
auditer. Ce qui inscrit l’auditeur dans une perspective de routine formaliste de conformité.
En tant que nouvel intervenant, n’étant pas conditionné par l’expérience des interventions
précédentes et en refusant de subir les effets de la « spoliation » citée précédemment, le
chercheur-thésard a pu détecter d’autres zones de risques et remarques que le reste de l’équipe
a négligées. Quand il a partagé ses découvertes le vendredi de la première semaine en fin de
journée, il a été félicité par la Boss. Un débat court a été engagé sur les avantages et les
inconvénients à affecter aux auditeurs les mêmes vérifications. Il est vrai que d’un côté cela
permet d’avancer vite et de respecter les délais, mais de l’autre cela empêche souvent
d’identifier de nouvelles zones de risques. La Boss semblait être convaincue de la nécessité de
redéfinir la répartition des tâches en conséquence.
Pendant la deuxième semaine de la mission, les tâches ont été redéfinies entre les membres de
l’équipe. A1 y a résisté, car elle a une préférence à travailler sur les cycles qu’elle a l’habitude
d’auditer. « Je maîtrise ce cycle plus que les autres…ce changement pourra entraîner un retard
et nous n’avons pas assez de temps… ». C’est ainsi qu’elle a gardé la section des charges tout
en effectuant les travaux du cycle des immobilisations. Tandis qu'A2 a accepté volontiers la
prise en charge de nouveaux cycles y voyant une opportunité d’apprentissage. À la fin de la
deuxième semaine, les deux audités malgré des configurations différentes ont fini par identifier
de nouvelles zones de risques : A1 en approfondissant ses vérifications sur ses cycles habituels
et A2 en découvrant de nouveaux cycles. Le point commun entre les deux est de réagir à la
proposition « provocatrice » du chercheur-thésard, relayée par la Boss et qui consistait à répartir
les tâches de manière à ne pas se retrouver en charge des mêmes cycles habituels.
La tâche affectée au chercheur-thésard faisait qu’il était en relation directe avec le chef
comptable et le contrôleur général, qui ont remarqué la présence d’un nouvel auditeur. C’est la
raison pour laquelle ils répondent à chaque fois qu’il demande une explication au sujet d’une
anomalie : « Nous avons déjà évoqué ça avec les autres membres de l’équipe l’année
dernière ». Ainsi, il est remarquable que les gestionnaires de l’entreprise ne traitent pas le
cabinet comme un bloc et varient leur comportement en fonction du statut, de l'ancienneté et de
la légitimité qu’ils reconnaissent à chaque auditeur. Ils en profitent parfois pour fuire certaines
investigations. C’est un comportement devant lequel les auditeurs sont souvent obligés de
recourir à l’intervention directe du DAF et/ou de la Boss.
Par ailleurs, le chercheur remarque qu’il y a une relation d’amitié entre la Boss et la responsable
des ressources humaines. Elles discutaient fréquemment dans les couloirs pendant une longue
durée tout au long de la mission. Cette relation de proximité a rendu le processus d’audit des
charges du personnel beaucoup plus fluide que les autres. L’accès aux documents s'obtient plus
facilement grâce à la célérité exceptionnelle des membres de son équipe. À la troisième et
dernière semaine de la mission, la Boss semblait plus stressée, car elle subissait la pression
quotidienne du DAF qui rendait plus fréquemment visite à l’équipe pour rappeler la sacralité
des délais. Il était curieux de savoir s’il y avait de nouvelles remarques par rapport à l’année

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précédente en termes de risques et d’anomalies avant même la remise du rapport. Ce que


refusait délicatement la Boss, l’invitant à attendre la tenue de la réunion de clôture.
À la fin de la mission, cette réunion de clôture a réuni le DAF et la Boss. Son objectif est de
faire le point sur toutes les remarques et anomalies soulevées par l’équipe lors du contrôle des
comptes de l'établissement, ainsi que les réserves attachées aux cycles audités. Le DAF négocie
la suppression d’une réserve attachée au cycle de chiffre d'affaires en expliquant les origines de
toutes les fluctuations concernant le résultat net de l’un des points de vente de l’établissement.
Étant donné que ces explications n’étaient pas suffisantes pour la Boss, cette dernière refuse de
retirer la réservation.
Le chercheur a pris l’accord d’effectuer un entretien d’explicitation avec le DAF à la fin de la
mission qui a eu lieu après la réunion de clôture.
Extraits de l’entretien d’explicitation entre le chercheur et le DAF :
« La relation entre l’auditeur et l'audité dépend du comportement de chacun , tout d’abord
auditer c’est écouter donc l’auditeur il doit bien m’écouter pour assurer un bon déroulement
de la mission, d’autre part l’audité doit être assez compétent et avoir confiance dans ce qu’il
fait pour pouvoir confronter les remarques des auditeurs… dans mon cas je vous laisse faire
ce que vous voulez, je ne vous interrompe pas, je demande à toute l’équipe de collaborer avec
vous parce que je connais mes comptes, je connais ma comptabilité et ma fiscalité et j’ai de
l’expérience dans le domaine que ça soit en tant qu’auditeur, j’ai participé à l’audit de la RAM
de la CIH de la SAMIR ou bien en tant que DAF, donc je respecte les auditeurs et je vous laisse
faire votre travail ».
« En tant que financier en fin de carrière, je gère mon image et j’ai des pressions supérieures.
Si le rapport du CAC contient des réserves qui relèvent de ma compétence, cela va me nuire
vis-à-vis de ma hiérarchie. Donc j’ai intérêt à collaborer avec vous parce que nous n’avons
rien à cacher. Puis je considère une mission du CAC bénéfique pour nous aussi. Vous devez
nous aider, nous corriger et on a intérêt à mettre en place toutes vos recommandations ».
« Je n’aime pas les auditeurs qui travaillent en cachette, et qui veulent à tout prix faire ressortir
des anomalies pour sortir à la fin de la mission avec un rapport bien chargé … Attention
l’auditeur lui-même a une pression de sa hiérarchie, ils essayent de l'esquiver c’est pour cela
j’insiste de faire des réunions de fin de mission pour faire le point sur vos remarques, je vous
donne des explications que peut être vous n’avez pas eu obtenir auprès du chef comptable ou
tout autre employé. Je suis là pour vous éclaircir les points noirs, mais j’accepte toute sorte de
remarques. Je n’influence pas votre travail, et je pense que je m'inscris dans la déontologie de
l’audit, n’est-ce pas ? ».
« Votre cabinet intervient depuis plusieurs années, vous avez bien évidemment développé des
relations avec les employés. Ces relations peuvent être nuisibles à vous et à nous-mêmes, vous
allez commencer à mettre des gants de velours face à des gens qui ont sympathisé avec vous
durant ces années et ça peut conduire à une complicité. Certes ce n’est pas une complicité
voulue ou déclarée, mais ça peut être une complicité latente ».
« Mais à mon sens, je préfère être audité par la même équipe, parce que vous maitrisez le
dossier, mais ne tombez pas dans la routine. Il y’a un certain nombre de contrôles que vous
avez effectué pendant plusieurs années donc vous pouvez réaliser votre mandat en moins de
temps ».

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La phase d’élaboration du rapport d’audit a eu lieu après le retour de l’équipe au cabinet durant
la quatrième semaine. Les travaux de fin de missions se matérialisent par l’impression de tous
les tests d’audit réalisés en joignant tous les documents justificatifs et en les classant dans un
dossier spécifique à la mission d’audit. Ensuite, l’équipe procède à la rédaction du rapport
d’audit, appelé note de synthèse qui officialise les résultats de la mission. « La note de synthèse
devrait faire une bonne impression de telle sorte qu’il est essentiel de commencer par une
couverture de qualité. Ce sera le premier point de contact du conseil d’administration avec les
résultats de la vérification », explique la patronne. La note de synthèse contient une
présentation de l’établissement audité et de son activité, une description de la mission, un rappel
de son objet et des travaux effectués, avant de présenter les états de synthèse arrêtés à la date
de clôture de l’année comptable qui englobent les notes et les résultats pour chaque cycle. La
présente note a été rédigée par toute l’équipe (A1, A2, le chercheur-thésard et la patronne),
chacun a transcrit les travaux qu’il a effectués. La révision, la validation et la consolidation ont
été réalisées par la patronne qui sera chargée de présenter seule les résultats au conseil
d’administration par la suite.

5. Thèmes induits et discussion :

La compréhension des faits et des comportements des acteurs, ainsi que l'établissement des
chaînes de causalité se basent sur le terrain et des indices qu’il offre (Robert-Demontrond et al,
2018), dans le but de générer inductivement une « théorisation au sujet d’un phénomène
culturel, social ou psychologique » (Paillé, 1996, p. 184).
La phase d’observation et de collecte de données et la phase d’analyse croisant les informations
et les données recueillies, en se basant sur l’observation, les entretiens, les journaux de bord,
l’ethnographie visuelle menée selon la méthode des itinéraires proposée par Desjeux (2006) ont
permis d’induire des thèmes axiaux qui seront confrontés à la littérature dans le cadre d’une
discussion théorique.
5.1. Les thèmes induits (TI) :
L’analyse ethnographique a permis d’étudier la qualité d’audit à travers les caractéristiques de
l’auditeur, de l’audité, de l’équipe de l’audit et de la mission d’audit. Il en ressort les cinq
thèmes induits suivants :
- L’ambivalence des relations entre compétences du manager de la mission
d’audit et la qualité d’audit ;
- Les compétences des auditeurs, tout en fiabilisant les vérifications, ne
garantissent pas leur pertinence ;
- L’indépendance de la mission d’audit est éprouvée par les pressions de l’audité
et du cabinet d’audit ;
- Le rapport de la mission d’audit au temps n’est pas neutre et conditionne sa
qualité ;
- La petite taille du cabinet d’audit risque de le fragiliser et de le mettre en
situation de dépendance objective qui ne peut être dépassée que par un
engagement éthique subjectif.
5.1.1. L’ambivalence des relations entre compétences du manager de la mission
d’audit et la qualité d’audit (T1) :
Les compétences du Manager se composent de plusieurs strates qui interagissent pour lui
permettre de mener la mission d’audit, manager son équipe et gérer ses relations avec son client.
La première strate est constituée des connaissances et savoir-faire qui lui permettent de déceler
les anomalies et qui prouvent sa technicité et son savoir-faire professionnel en tant qu’auditeur.

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Elle est constituée de connaissances générales comme celles des normes comptables, de
connaissances spécifiques des secteurs d’activités des clients et de connaissances en techniques
d’audit. Ces connaissances techniques se constituent par des formations académiques, mais
aussi par la capitalisation de l’expérience du Manager. Toutes ces connaissances peuvent
interagir. Ainsi, la capacité du Manager à apprécier des procédures est favorisée par ses savoirs
théoriques en matière d’audit et par la multiplicité de missions d’audit réalisées dans le secteur.
D’un autre côté, sa compétence managériale se révèle à travers sa capacité à orienter, à planifier
la mission et à organiser les travaux en s’appuyant principalement sur la supervision, la
délégation, la communication et la motivation des membres de l’équipe des auditeurs.
Dans le même sens, l’expérience et l’expertise du manager de la mission d’audit peuvent aussi
bien fiabiliser l’encadrement et le pilotage d’une mission d’audit que provoquer des causes de
non-qualité par la routinisation excessive, l’influence des préjugés et la reproduction des
vérifications à l’identique. Tout se passe comme si le Manager se trouvait piégé par ses zones
de certitudes produites par un effet d’apprentissage qui se révèle finalement illusoire.
Pour s’en détacher, le manager fait appel à des softs skills qui trouvent leur expression dans son
objectivité, son intégrité et son scepticisme professionnel. De même, son intuition lui permet
d’orienter les auditeurs de l’équipe vers la découverte d’anomalies et d’irrégularités non
inscrites dans le programme de travail courant de la mission.
Sur la même trame se trouve la capacité du manager à protéger sa liberté de collecte et
d’évaluation des données jugées significatives par lui-même sans aucune interférence.
Cependant, cette même capacité peut être à l’origine d’un comportement apprécié comme
hautaine, voire franchement non collaborative, remettant ainsi en cause la confiance devant
régner entre auditeur et audité. En outre, les atouts communicationnels entre le manager et
l’audité permettent de construire des relations de confiance qui facilitent l’accès aux données,
tout autant qu’ils pourraient être interprétés comme étant à l’origine de comportements
insuffisamment distanciés entre les deux.
Finalement, le manager est appelé à définir quasi-arbitrairement le niveau où placer le curseur
pour assurer le bon équilibre entre les exigences de fluidité dans la collaboration entre audités
et auditeurs et la distance qui doit les séparer pour assurer les conditions d’une appréciation
objective et détachée de la mission d’audit. Cette aptitude du manager à respecter et faire
respecter les standards d’éthique de l’audit constitue, compte tenu des épreuves que lui
imposent les aléas de la collaboration entre auditeurs et audités sur le terrain, la garantie
subjective pour la conformité objective aux exigences de qualité des audits.
5.1.2. Les compétences des auditeurs, tout en fiabilisant les vérifications, ne
garantissent pas leur pertinence :
La répartition répétitive des tâches et des cycles à auditer entre les membres de l’équipe de
l’audit permet de réaliser plus rapidement les vérifications et réduit de manière significative les
risques d’erreurs. Elle augmente la capacité à obtenir des éléments probants définis par le
programme général de travail. Cependant, cela limite la possibilité de détecter de nouvelles
zones de risques et finit par discréditer la répétition des mandats y compris chez les audités qui
finissent par avoir l’impression que les résultats du mandat d’un CAC sont entièrement
prévisibles à l’avance. En conséquence, la mobilisation des audités, en particulier aux échelons
inférieurs de la hiérarchie, devient nonchalante et la mission perd de son autorité.
Inversement, l’inexpérience de l’auditeur peut parfois être porteuse de découvertes pertinentes,
de dysfonctionnements et zones de risques grâce à la curiosité dont il peut faire preuve ; surtout
quand celle-ci est motivée par son désir d’apprentissage. Ce qui est encore plus probable dans
un cabinet de petite taille où toutes les procédures de vérification ne sont pas nécessairement
formalisées et où l’auditeur dispose d’une marge d’interprétation plus grande sur la meilleure
voie à suivre pour réaliser ses vérifications. Là aussi, les qualités d’intuition et de capacité

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d’interprétation de l’auditeur sont déterminantes pour le guider dans ce processus


d’apprentissage. À condition que le Manager de la mission lui accorde cette marge de
tâtonnement nonobstant les contraintes de délais et les impatiences, voir les irritations de
l’audité.
Finalement, il semble que les compétences de l’auditeur soient favorables à la qualité de l’audit
jusqu’à l’atteinte d’un seuil où sa maitrise devient porteuse de risques de prédictibilité de ses
conclusions. À l’inverse, l’inexpérience de l’auditeur devient un rempart contre ces risques
ouvrant la voie à de nouvelles non-conformités et/ou recommandations perspicaces.
Par ailleurs, les valeurs culturelles et sociales influencent l’indépendance de l’auditeur.
L’éthique professionnelle y afférente a donc un effet sur le jugement professionnel porté par
l’auditeur. Il doit apprendre à la mobiliser en faveur de la réunion des conditions nécessaires de
collaboration et d’assimilation de ses conclusions chez les audités. Quelle que soit son adresse
dans la conduite de ses vérifications, le résultat ne dépendra pas que de lui, mais aussi du niveau
d’adhésion ou de résistance des audités.
5.1.3. L’indépendance de la mission d’audit est éprouvée par les pressions de
l’audité et du cabinet d’audit :
L’auditeur compte sur l’audité pour lui préparer et délivrer les états de synthèses à auditer,
apporter des éclaircissements à ses incompréhensions et répondre à ses interrogations. Mais ce
dernier peut se montrer indisponible et difficilement joignable. De même, l’indisponibilité peut
se manifester par l’octroi d’un temps très limité pour répondre aux questions. Ce manque de
coopération peut être une manœuvre consciente pour éviter l’auditeur.
L’audité peut être tenté d’adopter un comportement provocateur et irritant visant à exaspérer
l’auditeur ; et ce en mettant en œuvre des tactiques élaborées à son encontre. Ces tactiques
risquent de se poursuivre tout au long de la mission quand il ne répond plus au téléphone ou
n’envoie pas les documents dans les temps convenus. Il tente parfois de convaincre l’auditeur
de l’inadéquation de sa position avec la spécificité de l’activité de l’entreprise. Le tout
s’inscrivant dans un processus calculé de délégitimation.
Ces contraintes posées par l’audité peuvent être pesantes sur l’auditeur. Outre le fait qu’elles
lui font perdre du temps, elles risquent de le dissuader de s’orienter vers l’audité et par
conséquent de bâcler une partie de son travail. C’est pour cette raison que la responsabilité et
l’efficacité sont associées à la capacité de l’auditeur à résister aux différentes pressions exercées
sur lui par l’audité.
Le rôle du manager peut à ce niveau s’affirmer dans le sens de la protection des auditeurs de
son équipe des pressions exercées par l’audité. Néanmoins, il peut être lui-même porteur
d’autres pressions, notamment celles liées à l’optimisation de la durée des vérifications pour
des raisons économiques. Ce qui peut entrainer une insuffisance dans l’approfondissement des
cycles audités. Il arrive que ces exigences économiques plus ou moins explicites, mais présentes
dans tous les esprits et nécessaires à la rentabilisation d’une intervention qui reste une prestation
facturée dissuadent l’auditeur à approfondir les vérifications. L’indépendance d’un cabinet
repose sur des mécanismes concrets de contrôle qualité. Alors que, dans les petits cabinets
d’audit, le contrôle qualité est assuré par les associés ; et par conséquent, il revêt une dimension
personnelle très affirmée.
5.1.4. Le rapport de la mission d’audit au temps n’est pas neutre et conditionne sa
qualité :
La rémunération classique d’une mission d’audit prend la forme de la facturation d’un temps
de mobilisation des auditeurs du cabinet dans le cadre d’un délai bien déterminé. Plus le cabinet
est grand et reconnu, plus il peut se détacher de ce schéma traditionnel, vendant davantage son
image et la réputation de sa signature. Si au contraire, sa taille est réduite, le prix de l’audit est
tributaire des efforts accordés à l’audit et de l’organisation temporelle du cabinet.
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L’organisation d’un cabinet d’audit en référence à sa gestion du temps et des tâches va


distinguer un temps qui permet la réalisation des investigations, des vérifications et de la
production du rapport d’audit par l’auditeur ; et un autre temps de découverte, de tâtonnement
et d’hésitations par l’auditeur. Le premier temps est prévisible, correspond à un cadre plus ou
moins normatif et va être respecté si l’auditeur rencontre des vérifications qu’il maitrise et qu’il
est en train de reproduire. C’est ce temps qui est prévu dans le devis du cabinet et qui lie
contractuellement l’entreprise auditée au cabinet d’audit. Le second temps est perçu comme
synonyme d’hésitations, voire de déficit de compétence et n’est donc jamais prévu dans le devis
ou le contrat qui lie les deux parties. Dans ce cadre, il représente une perte, en particulier pour
le cabinet d’audit qui le fait correspondre à un temps de mobilisation de l’auditeur non facturé,
donc non valorisée à court terme. Il existe deux manières de réduire ce temps : 1. affecter les
auditeurs à des cycles qu’ils connaissent où ils pourront optimiser leur temps d’intervention ;
ou 2. empêcher sciemment ou non, les auditeurs à approfondir leurs investigations jusqu’au
seuil qui rendrait le cycle qu’ils auditent plus énigmatiques qu’il ne l’était initialement. Les
deux voies sont de nature à limiter la qualité de l’audit et l’indépendance de son jugement.
Le recours au changement des postes et attributions entre auditeurs que le manager de la mission
peut concéder s’inscrit alors dans une logique de réaffirmation des règles d’éthique sur un plan
opérationnel et effectif. C’est une rotation de postes qui est plus ou moins acceptée par un
auditeur qui peut y résister dans une logique d’optimisation de son temps d’intervention. Elle
peut par contre être recherchée par un autre auditeur dans une perspective d’apprentissage par
la découverte de nouveaux cycles. Le manager de la mission en décidera en faisant un arbitrage
entre les exigences d’indépendance de la mission et celles de sa rentabilisation.
Le souci d’indépendance est lié aussi à l’intérêt objectif du cabinet dans la mesure où un déficit
d’indépendance est de nature à remettre en cause la crédibilité du cabinet d’audit dans toutes
ses missions au sein de l’entreprise et à terme sur tout le marché.
5.1.5. La petite taille du cabinet d’audit risque de le fragiliser et de le mettre en
situation de dépendance objective qui ne peut être dépassée que par un engagement
éthique subjectif :
L’acceptation d’une mission d’audit peut être considérée comme un investissement qui sera
rentabilisé sur les années ultérieures sous la forme de rentes, c’est-à-dire de différences
positives entre le montant des honoraires facturés et le coût ultérieur de réalisation des
prestations. Chaque cabinet d’audit a naturellement tendance à vouloir figer ses entreprises
clientes afin d’économiser sur ses coûts d’apprentissage et, par conséquent, dégager un
excédent de ses rentes sur son investissement initial.
Par ailleurs, la fixation d’une durée longue pour le mandat d’audit permet de sécuriser les
revenus des auditeurs, mais, en même temps, elle contribue à figer le marché. Étant donné qu’un
cabinet d’audit doté d’une petite taille est plus exposé aux pressions d’un mandat d’audit vu sa
dépendance vis-à-vis de son portefeuille minime de clients, la perte dudit mandat se révélerait
dévastatrice. Cette dépendance économique est porteuse de risques réels de perte
d’indépendance professionnelle de l’auditeur, face à laquelle une seule protection existe :
l’éthique professionnelle de ce dernier. Ce qui est un facteur, certes efficace, mais subjectif et
arbitraire.
Si la réputation de l’auditeur représente une mesure subjective de la qualité, puisqu’elle se base
sur une appréciation personnalisée des individus ; la petite taille du cabinet est un attribut de
dépendance objectif qui ne peut être dépassé que par un engagement éthique subjectif du
manager et de ses audités.

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5.2. Discussions :
Suivant le processus analytique de Spiggle (1994), cette partie sera consacrée à une discussion
théorique des cinq thèmes induits de l’observation et des analyses énoncées dans la section
précédente de cette recherche.
a) En s’appuyant sur les travaux pionniers de Coase (1937) et Alchian et Demsetz (1972),
Jensen et Meckling (1976) élaborent la théorie de l’agence, qui met en relief plusieurs relations
contractuelles dans l’entreprise, les divergences d’intérêts entre les différents co-contractants et
les conflits qui en découlent. Cette théorie est utilisée dans la modélisation de la relation
auditeurs-audités. Elle repose sur l’idée selon laquelle, l’auditeur certificateur des comptes est
le contrôleur des dirigeants producteurs. Il réduit l’asymétrie de l’information entre ce dernier
et les autres parties prenantes de l’entreprise. Il constitue de ce fait l’un des leviers du contre-
pouvoir du dirigeant.
Toutefois, l’incomplétude contractuelle qui caractérise la collaboration auditeur-audité conduit
chaque acteur dans la propension d’une maximisation de la fonction d’utilité personnelle. C’est
ainsi que l’auditeur peut s’engager dans une situation controversée : la réduction de l’effort
d’audit et la quête d’une maximisation de sa rémunération, au détriment de l’élargissement et
l’approfondissement des vérifications.
b) Selon DeAngelo (1981), « La qualité de l’audit est définie comme l’appréciation par le
marché de la probabilité jointe qu’un auditeur donné aille simultanément découvrir une
anomalie significative dans le système comptable de l’entreprise cliente et mentionner cette
anomalie ».
La probabilité de découverte d’une anomalie dépend de la compétence de l’auditeur. Il s’agit
en effet de la compétence des personnes qui composent l’équipe d’audit, de la capacité du
Manager à assister son équipe durant la mission, et de la compétence du cabinet en matière
technologique, autrement dit sa capacité à disposer des ressources pour appréhender et contrôler
le système d’information de l’entreprise auditée. La probabilité conditionnelle que l’anomalie
découverte soit mentionnée est une mesure du niveau d’indépendance de l’auditeur par rapport
à son audité qui peut être perçue individuellement au niveau de chaque collaborateur ou associé,
ou elle peut être perçue au niveau de la structure, le cabinet ou le réseau d’audit en tant
qu’entreprise ou en tant que groupe d’entreprise.
Les variables liées à la compétence et l’indépendance de l’auditeur se vérifient dans notre
présent cas.
c) La contribution de la théorie des conflits réels (TCR) développée par Shérif et al. (1961), a
été plus tard reprise et approfondie par Levine et Campbell (1972). La présente théorie avance
que les interactions entre acteurs de groupes variables, pendant une période donnée, laissent
rarement du point de vue sentimental, les uns indifférents des autres. Elle est pertinente pour
expliquer la relation auditeur-audité. Dans le cadre du contrôle des comptes, il existe une dualité
d’intervenante : les auditeurs (La Boss, A1, A2) et les audités (Luxus). Ces deux groupes
d’acteurs se côtoient, et interagissent alors même qu’ils ont des objectifs divergents. Ainsi, la
divergence de leurs objectifs et intérêts sera couronnée d’un conflit. Dans notre recherche, les
interactions entre les auditeurs et l’audité et plus précisément entre le DAF et la Boss peut être
est entachée d’un certain conflit maitrisé de la part de l’équipe d’audit dans la mesure où ils
font le nécessaire pour ne pas aller jusqu’à l’arrêt de la collaboration.
En outre, les relations humaines et personnelles développées entre les CAC et leurs clients
peuvent prendre différents aspects : de l’empathie, amitié et confiance à la pression, menace,
intimidation et autres formes de comportements. Ces différents aspects peuvent affecter d’une
manière ou d’une autre l’indépendance de l’auditeur (Habbih, 2012 ; Dogui et Boiral, 2013). A
contrario, notre présent cas monte qu’il y a une relation de proximité entre la Boss et la
responsable des ressources humaines. Cette proximité à mener davantage à la facilitation de
l’accès aux données, et de la souplesse dans le travail d’audit du cycle des ressources humaines

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de la part de l’équipe sans que cela ne remette en cause l’indépendance du jugement de


l’auditeur.
d) L’exécution d’une mission d’audit repose sur l’intervention de niveaux hiérarchiques
différents. Chaque membre de l’équipe a une part bien déterminée du travail à réaliser et la
qualité de la certification repose sur la préparation et la coordination du travail de chacun.
(McNair 1991 ; Raghunathan 1991 ; Kaplan 1995). Ce qui est vérifié dans notre recherche, il
s’agit d’un petit cabinet d’où la nomination des grades est absente. La Boss agit en tant que
commissaire aux comptes qui certifie les comptes, et responsable de la conduite de la mission
sur le terrain en assurant l’affectation des tâches, suivi du travail, et la gestion de la mission sur
le terrain.
e) Le rôle joué par l’auditeur peut susciter une certaine réticence de la part de l’audité qui peut
être comprise à travers la théorie de la réactance psychologique, énoncée par Brehm (1966) et
reprise en psychologie sociale par Doise et al. (1978). La réactance psychologique est à la fois
une théorie qui explique le comportement des individus face aux restrictions à leur liberté, mais
aussi un concept qui qualifie la réaction émotionnelle qu’ils éprouvent dans une telle situation.
Selon cette théorie, toute menace ressentie par l’audité à l’encontre de sa liberté éveille en elle
une émotion négative qui l’incite à essayer de recouvrir cette liberté menacée ou perdue. Ce qui
s’explique dans notre recherche, par le retard éprouvé par les audités quant à la communication
des documents à auditer. Le rôle joué par les auditeurs face aux dirigeants de Luxus peut être à
l’origine d’une pareille réticence de l’audité. Ce dernier s’empresse de réagir en faisant preuve
d’un comportement non coopératif, et récalcitrant à l’encontre du certificateur. Ces
comportements entravent la bonne conduite de la mission et peut par conséquent nuire à sa
qualité.
f) L’étude de Sakka (2010) montre que l’audité est toujours considéré comme en position de
supériorité par rapport à l’auditeur. La réalité étant que d’une part, c’est l’audité qui détient
l’information dont les auditeurs ont besoin pour accomplir ses diligences, il se charge de sa
rémunération et donc la survie et la prospérité économique est fonction de son portefeuille
client.
De ce fait, la supériorité de l’audité sur l’auditeur le conduit à faire recours à de manœuvres et
tentatives visant à limiter la portée des travaux d’audit tout en empêchant à l’expert d’exprimer
son opinion avec objectivité et indépendance en l’occurrence. Ce qui ne se vérifie pas dans
notre recherche, la Boss a refusé de retirer sa réserve vis-à-vis à la non-fiabilité et la conformité
du résultat net de Luxus.
j) L’étude de DeAngelo (1981) indique une corrélation positive entre la taille du cabinet d’audit
et la réputation ou la qualité offerte. Plusieurs autres recherches trouvent le même résultat
(Mautz et Sharaf, 1961, Schulte, 1965 cités dans Shockley R.-A., 1981, Titard, 1971, Hartley
et Ross, 1972, Palmrose, 1986). Les auteurs argumentent que plus le cabinet est de grande taille,
moins il dépend d’un client, donc plus l’indépendance de l’auditeur est assurée. Cette théorie
se vérifie, mais de manière mitigée dans notre recherche, dans la mesure où le cabinet qui fait
l’objet de notre recherche est de petite taille, ce qui le met dans une situation continue de
dépendance vis-à-vis de ses clients. En même temps, l’engagement éthique, certes subjectif,
mais qui peut être efficace, est de nature à garantir le niveau de qualité nécessaire à la crédibilité
de la mission d’audit.
h) Les travaux de recherche ayant étudié l’impact du mandat d’audit sur la qualité d’audit
peuvent être classés en trois groupes en fonction des conclusions tirées : Un premier groupe qui
défend la corrélation positive entre la durée du mandat et la qualité d’audit, un deuxième groupe
qui sous-tend l’inverse et un troisième groupe qui se positionne entre les deux premiers.
i) Les chercheurs du premier groupe considèrent que (i) la connaissance de l’entreprise se
développe avec l’avancement des travaux (Knapp, 1991 cité dans (Chihi, 2014)), (ii) que les
auditeurs mandatés pour une longue durée sont plus susceptibles d’émettre des rapports d’audit

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fiables (Geiger & Raghunandan, 2002), (iii) que les mandats de courte durée (2 à 3 ans) sont
associés à une qualité d’information financière inférieure à celle qui correspond aux mandats
de durée moyenne (4 à 8 ans) (Johnson et al., 2002) et (iv) que la durée du mandat est
positivement associée à la fiabilité perçue des états financiers (Ghosh & Moon, 2005). Ce qui
se vérifie dans notre recherche, en effet il existe une relation d’ambivalence entre le
renouvellement du mandat et la qualité d’audit. Dans la mesure où le renouvellement du mandat
permet aux auditeurs d’avoir une bonne connaissance des cycles à auditer d’une part, mais cette
connaissance aboutit à une routinisation des taches qui mènent à la non-découverte de nouvelles
anomalies.
L’ancienneté du commissariat aux comptes peut être perçue comme un avantage en termes
d’expertise (Dogui et Boiral, 2013 ; Chihi, 2014). Dans la même logique, Slimene (2016)
soutient que deux forces contradictoires déterminent conjointement l’impact de la durée du
mandat sur la qualité de l’audit : un effet d’apprentissage qui domine les premières années et
l’effet de collusion ensuite. Ces études se confirment dans notre recherche, et plus
particulièrement trouvent son origine dans le thème induit (T1) qui stipule l’existence d’une
relation ambivalente entre la capacité de la boss et la qualité d’audit.
j) Le deuxième groupe, partisan du principe de rotation (Geiger & Raghunandan, 2002),
invoque des arguments antagonistes qui tiennent au fait que (i) la fiabilité de l’opinion émise
par l’auditeur diminue au fur et à mesure que la durée de son mandat augmente (Donald R. Deis
& Gary, 1992), (ii) que l’auditeur est moins susceptible d’employer des procédures d'audit
innovantes et maintenir une attitude de scepticisme professionnel après une relation durable
avec son client (Mautz & Sharaf, 1961; Shockley, 1982, cités dans Deis et Gary, 1992) (iii) que
l’indépendance perçue de l’auditeur est compromise à compter de la cinquième année du
mandat (Teoh & Lim, 1996) et (iv) qu’une relation d’affaires durable avec un auditeur diminue
son objectivité et augmente la probabilité qu’il émette une opinion sans réserves (Vanstraelen,
2000).
Dans notre présente recherche, le renouvellement continu du mandat a un impact sur la
compétence des auditeurs qui ne sont plus en mesure de détecter des nouvelles zones de risque
et anomalies suite aux tâches routinières qu’ils exécutaient depuis le début du mandat.
k) Enfin, le dernier groupe (i) n’a relevé aucune association significative entre « durabilité de
la relation auditeur-audité » et « qualité insuffisante » (Nagy & Cenker, 2002), (ii) estime que
les auditeurs ne deviennent pas moins indépendants au fil du temps et ne deviennent pas
meilleurs dans la prévention du risque de continuité d’exploitation (Knechel & Vanstraelen,
2007) et (iii) qu’il est « difficile d’arbitrer entre la perte d’indépendance que peut entraîner une
longue durée de collaboration entre l’auditeur et son client et le gain de compétence associé à
une relation durable » (Janin & Piot, 2008). Ce que nous pouvons confirmer aussi à travers
notre cas, puisque si le manager le décide, il peut reconsidérer la répartition des cycles à auditer
entre les auditeurs de manière à empêcher la routinisation.

6. Conclusion :

L’objectif de cet article est de comprendre, les dynamiques de la relation auditeur-audité à


l'issue d’une observation participante complétée par des entretiens ethnographiques lors d’une
mission de commissariat aux comptes d’un établissement hôtelier. Elle a permis d’étudier les
praxis d’audit dans un contexte circonscrit, permettant une analyse des interactions entre les
acteurs de constitution de la qualité d’une mission d’audit, ainsi que des ressources qu’ils
mobilisent. L’observation participante nous a permis un accès privilégié aux interactions des
acteurs d’une mission d’audit et ainsi de « résister aux constructions discursives » (Arborio et
Fournier, 2010, p. 8) des mêmes acteurs si nous les avions uniquement interviewés. Les résultats
du cas observé dans cette recherche a permis d’induire l’ambivalence des relations entre

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compétences du manager de la mission d’audit et celle des auditeurs d’une part et la qualité
d’audit d’autre part, mitigeant ainsi les théories dominantes de la toute-puissance de la
compétence comme facteur déterminant de la qualité d’audit. Il a montré également la
complexité de question de l’indépendance de la mission d’audit qui toute en étant un attribut
objectif, n’en dépend pas moins de qualités et d’engagement subjectifs (voire arbitraires) des
acteurs engagés dans le processus d’audit.
Enfin, le cas insiste sur l’importance de la relation au temps dans une mission d’audit et qui
prend une dimension économique contraignante dans un petit cabinet d’audit. Cette recherche
n’est pas exempte de limites, ouvrant ainsi la voie pour des recherches ultérieures. Dans de
prochaines études, nous enrichirons nos inductions par l’étude de cas présentant davantage de
variété, notamment par rapport à la taille du cabinet d’audit.

Références :
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Annexes
Annexe 1
Tableau 1 : Statut et expériences des interviewés

Auditeurs interviewés Audité interviewés

Nombre Expérience Nombre


Statut de Nombre des Statut de
d’années moyenne des
l’auditeur interviewés l’audité
d’expérience dans le poste interviewés

Junior (A1) Entre 2 et 4 1 Comptable 6 ans 2


ans

Junior (A2) Supérieur à 4 1 Responsable Supérieur à 1


ans ressource 10 ans
humaine

Associé du Supérieur à 10 1 DAF 8 ans 1


cabinet ans

TOTAL 3 TOTAL 4
Source : Auteurs

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