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: INDIVIDU ET POUVOIR 3e
LE THÉÂTRE DU XVIIe AU XXIe SIÈCLE lycée
avec Ahmed Madani le temps d’un échange privilégié son père, Gus est envoyé pour trois aux évolutions de l’écriture théâtrale.
© F
Mise en œuvre
pas, l’arrière-plan évolue (planche 2, une jeune femme apparaît dans l’em-
brasure de la porte, avec la salle à manger derrière elle ; planche 3, des
hommes faisant penser à des militaires surgissent ; planche 4, on voit un
Séance 1 paysage extérieur et un homme armé ; planche 5, des hommes avancent
Découvrir l’œuvre 1 h 1 bras en l’air, menacés par une arme). Le seuil de la maison apparaît donc
comme une porte ouverte sur les pensées de plus en plus sombres du
Supports Objectifs activités personnage, ce que confirment ses larmes, à la planche 5.
Le jeune homme est représenté dans un cadre végétal. Il est en mouvement
– « Sur le seuil » : planches de BD – Susciter la curiosité pour – Analyse
et paraît à l’affût, en quête de quelque chose. Ce qui s’offre à son regard est
qui ouvrent l’édition, p. 5-12 l’œuvre avant l’étude des planches
– « L’atelier de lecture » : – Formuler des hypothèses de BD d’abord connoté négativement : il s’agit d’un pneu, de cartons, de bidons et
« Aborder par la BD » , p. 94 sur les thèmes et le sens – Analyse autres bouteilles abandonnées, ainsi que d’une scène de bagarre. À la fin
– Titre de l’œuvre, dédicace et de l’œuvre du paratexte des planches, il fait une trouvaille : une pomme, qu’il donne au vieil homme.
citations placées en exergue Ce geste signale un lien entre les personnages : au rapprochement spatial
s’ajoute un échange. Une communication s’établit entre eux.
1. Toutes les durées mentionnées sont indicatives.
3 • © « Les Ateliers d’Actes Sud », 2021. Ahmed Madani, Je marche dans la nuit par un chemin mauvais, 3 e -lycée • 4
3. Interpréter les contrastes et le silence. Les planches mettent en place Schützenberger évoque de façon explicite les liens familiaux et développe
de forts contrastes. Les personnages sont des silhouettes blanches évo- l’idée qu’il convient de se réapproprier l’histoire familiale pour se libérer
luant sur un fond le plus souvent noir, qui fait penser à un cadre nocturne. de ses entraves et se construire. Le thème de la transmission et celui de la
L’absence de bulles accentue l’isolement des personnages (ils ne se résurgence du passé semblent être aussi au centre de la pièce : la citation
parlent pas), et par contraste, l’importance de leur rencontre finale : le de saint Augustin suggère que le passé n’est jamais révolu et se rappelle
dialogue s’installe par le regard. Ce traitement peut suggérer la difficulté souvent à nous ; la transmission d’Ahmed Madani à ses fils s’enrichit d’un
de dire, de parler et d’échanger. récit dont il a hérité (celui de Pierre Orma, sur la « guerre ») et qui trouve
4. Formuler des hypothèses de lecture. Cette bande dessinée réunit deux des échos dans l’histoire d’autres personnes (Joël Tronquoy, son « frère
personnages de générations différentes dans un cadre contemporain, en de larmes »). Au-delà de l’histoire familiale, c’est l’histoire collective qui
proie chacun à un élément envahissant (la végétation et la quête pour l’un ; semble devoir être partagée, reformulée, pour être comprise et dépassée.
des pensées – des souvenirs ? – pour l’autre). Ce sont ces personnages Pour terminer la séance, on pourra projeter l’affiche de la pièce lors de sa
qu’on s’attend à retrouver dans la pièce, laquelle semble raconter leur ren- création au théâtre de La Tempête (la-tempete.fr/saison/2013-2014/spec-
contre, voire le réconfort apporté par le jeune homme au vieux monsieur. tacles/je-marche-dans-la-nuit-par-un-chemin-mauvais-464) : l’arbre et
La nuit paraît être un élément important et il pourra être intéressant de ses racines (symbolique très souvent exploitée pour la représentation des
s’interroger sur sa symbolique dans l’œuvre. liens familiaux) accréditent les interprétations faites des citations et de la
dédicace (la nécessité d’interroger ses origines). Enfin, l’arbre représenté
ANALYSER LE TITRE DE L’ŒUVRE, LA DÉDICACE ET LES CITATIONS PLACÉES EN EXERGUE sur l’affiche a ceci d’intéressant que, retourné, il ne figure plus des racines
L’originalité du titre de la pièce tient à sa longueur et à sa forme verbale : mais des branchages. La réversibilité du dessin semble suggérer qu’on ne
il s’écarte de la tradition théâtrale qui adopte le plus souvent le nom de peut grandir qu’avec des racines.
son héros ou celui de l’événement qu’il met en scène. Il tient aussi à son
mystère (qui est ce « je » qui parle ? Quel est ce chemin mauvais ?) et à ses DEVOIRS POUR LA SÉANCE SUIVANTE
connotations négatives (« la nuit » associée à la marche et à un « chemin Préparer les questions proposées dans le premier parcours de lecture
mauvais », qui suggère des difficultés, des embûches et des entraves). (section « L’atelier de lecture », rubrique « Questionner au fil du texte » :
On expliquera que ce titre est une citation de vers du poète romantique « Parler et se taire »).
Lamartine (« Cependant, accablé sous le poids de ma chaîne, / Du néant
au tombeau l’adversité m’entraîne ; / Je marche dans la nuit par un chemin Séance 2
mauvais, / Ignorant d’où je viens, incertain où je vais / Et je rappelle en vain Parler et se taire 1 h 30
ma jeunesse écoulée, / Comme l’eau du torrent dans sa source troublée »)
dans lesquels dominent une impression de malheur, un sentiment de fai-
Supports Objectifs activités
blesse mais aussi une grande mélancolie face au temps, assortie d’une
interrogation sur les origines ou le passé, et sur l’avenir. Le titre corrobore – Tableau 2, « Côte à côte », – Identifier les enjeux – Analyse de texte
l’idée, suggérée par les planches de bande dessinée, d’une progression du début à « dans la brousse », de l’exposition – Impressions de lecture
difficile des personnages. l. 1-71, p. 18-20 théâtrale – Écritures
Les dédicaces et les citations qui précèdent la pièce se font écho : le thème – « L’atelier de lecture » : premier – Analyser les relations d’appropriation
parcours dans l’œuvre entre les personnages – Analyse de la mise
de la famille y est omniprésent. Tout d’abord parce qu’Ahmed Madani
(« Parler et se taire », p. 96-97) de la pièce en scène
offre cette œuvre à ses fils. Ensuite, parce que la citation d’Anne Ancelin
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Centrée sur l’étude du début de la pièce, cette séance entend faire d’em- et le conflit avec son père). Mais ces éléments classiques contrastent avec
blée comprendre aux élèves la spécificité de l’écriture théâtrale d’Ahmed d’autres, qui signalent la modernité du texte (absence de mention d’acte
Madani et leur permettre d’entrer dans une intrigue qui confronte deux et de ponctuation, niveau de langue courant, voire familier, titre donné au
personnages aux caractères affirmés. Les questions d’analyse s’ap- tableau) [Q3] .
puient sur le premier parcours dans l’œuvre (dans « L’atelier de lecture »,
rubrique « Questionner au fil du texte »). Pierre et Gus : un duo ?
Si le tableau commence par l’évocation de l’amour passé qui a uni Pierre
et Marie, il se poursuit par celle des relations conflictuelles de Gus et des
ENTRER DANS LE TEXTE PAR SES CONNAISSANCES
siens. L’adolescent répète que sa sœur et ses parents le « saoul[ent] »,
Avant d’étudier précisément le texte, on remobilisera les connaissances que ces derniers « s’engueulent », raconte l’affrontement violent qui l’a
des élèves sur le genre théâtral. Ils repéreront le découpage de l’œuvre en opposé à son père et présente son séjour chez son grand-père comme
plusieurs sections numérotées (la pièce contient vingt et un « tableaux » ; une punition. La famille de Pierre et de Gus apparaît donc peu unie :
c’est le nom que l’auteur donne aux différentes parties de son texte) et les l’amour appartient au passé et le conflit domine le présent [Q4] . Pierre
didascalies (en italiques, elles servent d’indications de mise en scène). Ils exprime sa tristesse et sa solitude : il formule d’emblée le souhait de
reconnaîtront également la forme dialoguée et le nom des intervenants. ne plus parler, mentionne son amour perdu et exprime son aspiration à
On pourra faire préciser les caractéristiques de certaines répliques, par l’oubli. De son côté, Gus affirme son rejet des autres, de sa famille et du
exemple : monologue, tirade et stichomythie. monde. Alors qu’ils ne se parlent pas, les deux personnages expriment
donc un mal-être identique, se rejoignent dans la solitude et la volonté
ANALYSER
de ne plus échanger. Cette communion des sentiments se traduit par des
Une scène d’exposition enlevée et originale répliques en écho [Q5] . La locution adverbiale qui sert de titre au tableau,
On apprend que Pierre, dont la mémoire est aujourd’hui vacillante, a aimé « côte à côte », a deux sens. Elle peut signifier la proximité physique : « l’un
Marie et qu’elle lui manque. Il accueille chez lui, à Argentan, Gus, son à côté de l’autre », les deux personnages sont ensemble sur scène et la
petit-fils, un lycéen qui apprécie les jeux vidéo. C’est à la suite d’une vio- didascalie initiale précise leur position « debout, côte à côte ». Elle peut
lente dispute avec son père qu’il a été envoyé chez Pierre [Q1] . L’écriture aussi indiquer l’éloignement : être « côte à côte » n’est pas être face à
théâtrale d’Ahmed Madani se caractérise par sa rapidité : la brièveté face et échanger. Pierre et Gus ne dialoguent pas : chacun exprime ses
des répliques, leur juxtaposition et le jeu de répétitions (anaphore ou épi- sentiments, ses désirs, son histoire à côté de l’autre, en alternance avec
phore) créent un rythme enlevé. Mais, dans ce tableau, les personnages l’autre [Q6] .
ne dialoguent pas : ils parlent d’eux-mêmes, ils se présentent par le biais
d’une répartition alternée de la parole, qui construit simultanément leurs Les effets d’annonce
deux portraits. Cette composition originale intrigue le lecteur / spectateur La gravité domine cet extrait, tant par les thèmes qu’il aborde (la mort ou la
et capte son attention, en l’obligeant à reconstituer l’identité et la per- séparation, le conflit et la violence familiale) que par les sentiments de tris-
sonnalité des protagonistes [Q2] . Le tableau recourt aux stichomythies. tesse et de dégoût du monde qui y sont exprimés. Néanmoins, le lecteur /
Cette forme de dialogue héritée de la tragédie antique mime l’opposition spectateur sourit grâce à Gus : ses tournures répétitives dessinent un
entre les personnages. L’extrait contient aussi des répliques plus lon- adolescent révolté presque caricatural (tout le « saoul[e] »). L’énumération
gues. Par sa dimension, la dernière intervention de Gus s’apparente à de ses occupations (« fume[r] », « joue[r] », « fume[r] […] joue[r] ») s’achève
une tirade (permettant au personnage de préciser sa situation familiale par une allusion saugrenue et enfantine (« boir[e] du lait »). Enfin, les
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Séance 3
dernières paroles de Gus sont amusantes par l’antiphrase et l’image La cuisine du souvenir 1 h 30
assez moqueuse qu’elles contiennent (« ma mère a une idée géniale / tu
vas chez papi à Argentan / dans la brousse ») [Q7] . « Maintenant les sou-
venirs oubliés je m’en souviens », affirme Pierre. Cette phrase repose sur Supports Objectifs activités
une antithèse qui oppose l’oubli au souvenir. D’abord étonnante parce que
– Tableau 12, « Dans – Mesurer l’évolution des – Analyse de texte
paradoxale, elle annonce en réalité l’enjeu de la pièce : un événement la bouche », du début relations entre les deux – Impressions de lecture
passé très douloureux, jusque-là occulté, se rappelle à Pierre, qui perd à « C’est bon tu sais bien personnages principaux – Écritures d’appropriation
pourtant la mémoire [Q8] . cuisiner », l. 1-51, p. 40-42 – Repérer différents
– « L’atelier de lecture » : registres
BILAN deuxième parcours dans – Analyser le symbole
l’œuvre (« La cuisine du de deux objets liés
On soulignera la fonction informative de l’exposition qui présente les souvenir », p. 98-100) au souvenir
personnages, l’époque, les thèmes et le ton de la pièce. Cet extrait a la
forme d’un dialogue théâtral. Toutefois, les personnages n’échangent pas Cette séance propose l’analyse d’un nouvel extrait, qui permet de saisir
véritablement, même si leurs répliques expriment une communauté de l’alternance des tons à l’œuvre dans la pièce et de travailler sur l’un
sentiments [Q9] . de ses principaux enjeux : le thème du souvenir. Elle s’appuie sur le
deuxième parcours de lecture figurant dans « L’atelier de lecture ».
PROLONGEMENTS
À la fin de la séance, pour prolonger l’étude de cet extrait, on pourra s’ap- ENTRER DANS LE TEXTE PAR LA RÉFLEXION ET LA DOCUMENTATION
puyer sur la rubrique « Tisser des liens personnels avec le texte », qui suit
Dès l’arrivée de Gus chez Pierre, les relations sont tendues : l’adolescent
le parcours dans l’édition, et demander aux élèves :
n’aime pas les plats que lui propose son grand-père (tableaux 2 et 9),
– de réaliser, en groupes, les activités d’appropriation réunies sous le titre
rechigne à lui rendre service (débroussailler le jardin à l’abandon depuis
« Conflit réel et apaisement virtuel » et « Familles, je vous hais » ; les élé-
au « minimum trois ans », tableau 4), est furieux que Pierre lui confisque
ments de réponse seront mis en commun ;
son téléphone portable (tableau 4) et cherche à s’enfuir (tableaux 8 et 10).
– ou de rédiger dans leur carnet de lecture leurs impressions de lecture (ils
Souvent violentes, les disputes s’enchaînent (tableaux 4, 6 et 10) malgré
pourront choisir l’une ou l’autre piste de réflexion proposée).
une semaine de trêve (tableau 10) occasionnée par l’obéissance de Gus,
On pourra également se reporter à la section « Vers la mise en scène »
qui s’est occupé du jardin. Un changement s’opère à partir du tableau 11,
de « L’atelier de lecture », qui propose l’analyse de la mise en scène de cet
lorsque Pierre offre une débroussailleuse à Gus et l’emmène pêcher : le
extrait (voir séance 10).
grand-père et le petit-fils se rapprochent.
DEVOIRS POUR LA SÉANCE SUIVANTE
On pourra rapidement resituer la guerre d’Algérie et expliciter en particu-
lier le rôle des appelés du contingent dans ce conflit : entre 1954 et 1962,
Préparer les questions proposées dans le deuxième parcours de lecture
plus d’un million de jeunes Français appelés au service militaire furent
(section « L’atelier de lecture », rubrique « Questionner au fil du texte » : « La
envoyés en Algérie. Ils y restèrent souvent de longs mois (le service obli-
cuisine du souvenir »).
gatoire passant rapidement de douze à dix-huit puis vingt-huit mois) pour
assurer ce que la France qualifia d’opérations de « maintien de l’ordre » ou
de « pacification » pour endiguer la rébellion indépendantiste algérienne.
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ANALYSER entières / ça y est la salade est coupée »). La juxtaposition de deux réalités
antithétiques crée la surprise [Q4] . C’est l’évocation de la « sauce améri-
La complicité de Pierre et de Gus
caine » censée agrémenter les burgers qui fait basculer la conversation :
Si la didascalie initiale souligne ce qui oppose encore les personnages
l’adjectif « américaine » entraîne Pierre vers un tout autre sujet. Ce der-
(occupations et placements), la suite du tableau révèle une complicité nou-
nier évoque alors la Seconde Guerre mondiale et la situation d’Argentan
velle. Parmi les éléments qui signalent ce rapprochement, on citera : le
(entièrement détruite au moment de sa libération en 1944), puis sa parti-
touchant renversement des rôles entre Gus et Pierre (le premier prépare
cipation à la guerre d’Algérie lorsqu’il était jeune homme [Q5] . Le discours
le repas, le second lui témoigne sa confiance et finit par le féliciter) ; la sol-
de Pierre s’oppose à l’opinion commune qui voit dans les alliés américains
licitude respective des personnages (le premier accepte de faire la cuisine
les vainqueurs qui ont combattu pour libérer la France. De même, quand il
et le second lui propose son aide), l’affectueuse familiarité de l’adolescent
corrige Gus en rappelant que l’intervention française en Algérie n’était pas
à l’égard de son grand-père (le premier répond « Yes man » au second qui
une « guerre » mais consistait en un « maintien de l’ordre », Pierre refuse
répète « À vos ordres mon capitaine ») et les plaisanteries de Pierre sur
la lecture historique et politique de l’événement (reconnu officiellement
les références de son petit-fils (il évoque la possibilité d’un « gratin de
comme une guerre depuis 1999). La suite de la pièce éclairera l’attitude du
Miels Poste ») [Q1] . Alors que, dans les tableaux précédents, la nourriture
grand-père : témoin et coupable d’atrocités pendant la guerre d’Algérie, il
était objet de conflit (Gus n’aimant ni la soupe ni le poisson proposés par
en nie les réalités et semble transférer sa culpabilité sur d’autres forces
son grand-père, s’insurgeant contre l’absence de nuggets et de Miel Pops,
armées engagées dans un autre conflit [Q6] .
et dévorant égoïstement les madeleines et le chocolat de Pierre), cette
scène établit la cuisine comme lieu de convivialité et de complicité : s’at-
Le surgissement de l’intime
teler à la satisfaction de besoins essentiels occasionne un moment de dia-
Dans ce passage, Pierre évoque ses échanges avec Marie lorsqu’il était
logue sincère et authentique [Q2] . Le début de ce tableau – par opposition
appelé du contingent en Algérie : les six cent quarante-deux lettres qu’il lui
à d’autres, dominés par la violence et la gravité – est marqué par l’humour.
a écrites et les petits gâteaux – des madeleines – qu’elle lui a envoyés. Ces
Le comique de caractère (Gus « en train de préparer le repas ses écou-
éléments ont une connotation méliorative : ils sont la preuve de l’amour qui
teurs sur les oreilles [et chantant] à tue-tête » une chanson à la mode), le
liait Pierre et Marie et du réconfort qu’ils ont essayé de s’apporter récipro-
comique de mots (l’utilisation de l’anglais, l’erreur – récurrente dans la
quement pendant la séparation [Q7] . La madeleine suscite toutefois chez
pièce – de Pierre sur le nom des céréales préférées de Gus) et le comique
Pierre des réactions contradictoires : elle est associée au souvenir sensuel
de situation (Pierre se soumettant aux « ordres [de son] capitaine » de cui-
de la jeune femme aimée et aimante mais aussi à un événement qu’il a
sine) amusent autant les personnages (Pierre jubile de son bon mot sur les
tenté d’oublier en se privant de ce gâteau (« lorsque je suis rentré c’était
Miel Pops, et Gus en rit) que le lecteur / spectateur [Q3] .
fini / impossible d’en manger une seule / ça ne passait plus »). On comprend
que le dégoût de Pierre pour la madeleine est le signe d’un rejet de ce qui
De la cuisine à la guerre
s’est passé en Algérie. La suite de la pièce éclairera cette répulsion [Q8] .
Alors que Pierre et Gus sont dans la cuisine et que la conversation tourne
autour de leur repas, le dialogue évolue : il est question de « sauvages » BILAN
qui auraient « tout détruit », de « guerre », de « villes entières [rasées] ».
Dans ce passage, la conversation banale et quotidienne sur la préparation
L’échange mêle soudain trivialité et gravité en particulier dans deux
d’un repas laisse progressivement place à l’évocation de faits historiques
répliques : celle de Gus (« Tu coupes trois feuilles de salade / toi aussi t’as
puis de souvenirs personnels conduisant à la formulation de sentiments
fait la guerre ») et celle de Pierre (« En tout cas on n’a pas rasé des villes
intimes : Pierre parle de son amour pour Marie et de sa participation
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douloureuse au conflit algérien [Q9] . À l’image de la pièce qui alterne épi- du corpus, on répondra à l’oral aux questions qui s’y rapportent (situées
sodes graves et tableaux plus légers, cet extrait repose sur une esthétique à la suite du dernier texte). À la fin de la séance, on demandera aux
du contraste caractéristique de la figure de l’antithèse, qui dote la pièce élèves de rédiger la synthèse de ce qu’ils auront remarqué.
d’une grande sensibilité [Q10] . La suite du tableau s’articule autour d’effets
de contrastes. Pierre défend le caractère sacré de l’amour quand Gus le Dans les trois textes, l’auteur, le narrateur et le personnage mis en scène
ramène à des jeux sexuels légers (on apprendra plus tard que les propos de renvoient à la même personne qui dit « je ». L’évocation de l’enfance et
l’adolescent ne sont que fanfaronnades). L’opposition de ces deux concep- des figures paternelle ou maternelle, constituants essentiels du récit de
tions est redoublée par l’évocation brutale de réalités très crues et violentes : soi, confirment l’appartenance de ces trois textes au genre autobiogra-
l’impuissance suggérée de Pierre à son retour d’Algérie et les mutilations phique [Q1] . Marcel Proust convoque le sens du goût : la madeleine suscite
sexuelles infligées par les rebelles algériens à leurs prisonniers [Q11] . chez lui un plaisir sans pareil, « extraordinaire », « délicieux », « puissan[t] »,
qu’il associe à un épisode particulier de son enfance et à un membre de
PROLONGEMENTS sa famille : le dimanche matin à Combray, dans la chambre de sa tante
À la fin de la séance, pour prolonger l’étude de cet extrait, on pourra Léonie. Le texte de Mathias Malzieu mobilise tous les sens : l’odorat, le
demander aux élèves pour la séance suivante : goût, l’ouïe, le toucher et la vue lui permettent de faire le portrait de sa
– soit de lire le groupement de textes intitulé « Les sens de la mémoire » mère ; sonore et très rythmée, sa description la restitue dans la cui-
(dans la section « Résonances et rebonds » du dossier de l’édition) et de sine puis dans sa chambre à coucher. Valentine Goby présente son père
répondre aux questions qui s’y rapportent ; à travers les effluves qui le précèdent et l’accompagnent : le caractère
– soit de s’appuyer sur la rubrique « Tisser des liens personnels avec le envahissant de cette « odeur d’usine », « solide et dense », trahit à la fois
texte » qui suit le parcours de lecture pour, au choix : rédiger leurs impres- la personnalité et la place du père dans la famille de la narratrice [Q2] .
sions de lecture ou réaliser une des deux activités réunies sous le titre « Se Dans la dernière phrase de l’extrait reproduit de Du côté de chez Swann,
raconter par le souvenir ». Proust affirme que les sensations olfactives et gustatives permettent de
raviver le passé, de faire revivre les souvenirs et empêchent l’oubli. C’est
Séance 4 la toute-puissance de ces deux sens qu’illustre ce célèbre épisode : goû-
Les sens de la mémoire (groupement de textes 1) 1 h tant une madeleine, envahi par « un plaisir délicieux » mais mystérieux, il
est soudainement plongé dans un souvenir précis de son enfance. Plus
Support Objectifs activités évocatrices que la vue, « l’odeur et la saveur » sont, pour Proust, capables
de sortir de l’oubli « l’immense édifice du souvenir ». Dans l’extrait du texte
« Résonances – Repérer les marques de – Lecture d’un corpus de Mathias Malzieu, le dernier paragraphe apparaît comme une supplique :
et rebonds » : l’autobiographie dans des récits de textes
groupement de – Mettre au jour un mécanisme – Questions associé à sa mère, le bruit est souhaité, désiré, pour permettre de res-
textes 1 (« Les sens singulier de la mémoire de compréhension et susciter celle qui a disparu. Si Marcel Proust fait involontairement l’ex-
de la mémoire », – Enrichir la culture littéraire d’analyse sur les textes périence de cette mémoire sensorielle, Mathias Malzieu l’appelle de ses
p. 110-116) des élèves vœux pour faire revivre le passé [Q3] . Intitulé « Photos », le tableau 17 de la
pièce d’Ahmed Madani signale lui aussi le pouvoir des images et notam-
Cette séance s’appuie sur le premier groupement de textes du dossier ment des photographies qui permettent de fixer les souvenirs et de les
de l’édition (section « Résonances et rebonds ») et permet d’approfondir faire ressurgir : Pierre ressort des photos anciennes pour « vérifier [des
les thèmes du souvenir et de la mémoire. Après la lecture à voix haute choses] » (le souvenir de son capitaine et de sa violence) [Q4] .
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Séance 5
La torture de la mémoire 1 h 30
ANALYSER
Du cauchemar…
Pour plonger le lecteur / spectateur dans le cauchemar de Pierre, Ahmed
Supports Objectifs activités
Madani joue sur les lumières, juxtapose ou mêle des « voix enregistrées
– Tableau 18, « Cauchemar », – Analyser – Analyse de texte et transformées », et ajoute des sons qui suscitent la peur. Il transforme
dans son intégralité, p. 61-64 la représentation – Impression de lecture aussi Gus en lui donnant une représentation très différente de celle qu’il
– « L’atelier de lecture » : d’un cauchemar – Écritures d’appropriation a par ailleurs dans la pièce. L’adolescent apparaît en « crucifié », au « rire
troisième parcours – Mettre au jour
satanique », dans une vision lointaine [Q1] . Le cauchemar de Pierre consiste
dans l’œuvre (« La torture de les mécanismes
la mémoire », p. 101-102) de l’aveu en une scène de torture physique (« la gégène la baignoire ou l’entonnoir »)
pratiquée sur un jeune garçon sous les yeux et les ordres du capitaine. Le
Mettre en scène un cauchemar : c’est sur ce choix que reposent l’origina- rôle de Pierre dans cet épisode terrifiant vécu sur le mode du rêve évolue :
lité et l’intérêt du tableau 18. On en réalisera l’étude en s’appuyant sur le il torture au début du cauchemar (« je m’en occupe », « Tu sais nous on
troisième parcours de lecture de l’édition, « La torture de la mémoire », ira jusqu’au bout ») puis il exprime son refus (« Non »), et enfin s’oppose
par petits groupes. On procédera à une mise en commun des éléments à son capitaine et s’insurge contre cette violence cruelle qui tue un inno-
de réponse à l’oral. cent [Q2] . La scène possède la confusion d’un cauchemar. Elle est difficile
à comprendre parce que les personnages sont dédoublés : Gus est tantôt
ENTRER DANS LE TEXTE PAR LE REPÉRAGE présenté comme le petit-fils de Pierre et tantôt comme la victime de cette
séance de torture ; Pierre est d’abord celui qui inflige la mort puis il est celui
Le cauchemar de Pierre au tableau 18, dans lequel ressurgit son passé,
que s’y oppose. Les voix se mêlent étrangement. Enfin, les propos sont sou-
est précédé par une série de signes annonciateurs : le tableau 14 réunit
vent incohérents : l’enchaînement des répliques ne répond pas toujours à
les personnages devant une « série américaine mettant en scène des vam-
une suite logique (par exemple, « Je parlerai je te dirai toute la vérité » / « Tu
pires ». Ce film donne lieu à un rapprochement du capitaine et de la figure
sais ce que j’éprouve quand je mange ma madeleine ») et certaines paroles
du « monstre », du « buveur de sang » au tableau 17.
recourent à des exagérations singulières (« Des tonnes de chocolats des
Le tableau 15 indique que Pierre commence à perdre la tête : c’est donc au
tonnes de madeleines ») [Q3] . Dans ce contexte de violence physique et ver-
moment où la mémoire immédiate lui échappe que le souvenir du passé
bale, l’évocation des madeleines et du chocolat surprend. Ces deux élé-
refait surface (en témoigne l’apparition confuse de Lakhdar). Les cara-
ments ont une double signification : ils représentent des valeurs – le plaisir
paces que se sont construites les personnages se fissurent : aux confi-
et l’amour – auxquelles les personnages tentent de se raccrocher [Q4] .
dences de Pierre répondent les aveux de Gus qui avoue son mensonge et
ses amours malheureuses. … à la réalité et à la vérité
Le cauchemar ouvre directement le tableau et se poursuit jusqu’à la sup- Gus réveille Pierre, le rappelle à la réalité et l’apaise, ce qui permet à
plication de Pierre, implorant Gus de partir « Sauve-toi Gus sauve-toi Gus / ce dernier d’exprimer la violence et la réalité de son cauchemar : Gus
Gusssssssss »). Avec celle-ci coïncide l’arrivée de Gus, signalée dans la devient le confident de son grand-père, le dépositaire d’un souvenir tu
didascalie, qui interrompt les visions nocturnes de Pierre. L’épisode du jusque-là [Q5] . La vision cauchemardesque et le récit éveillé de Pierre
cauchemar comme celui du réveil mentionnent les mêmes personnages révèlent la violence de la guerre d’Algérie : les détails sur la torture
– Gus, un enfant, Pierre et le capitaine – et évoquent le même thème, celui employée pour faire parler les prisonniers et la nature de la victime – un
de la violence physique utilisée pour faire parler.
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Séance 6
enfant innocent – contredisent l’idée d’une action limitée au seul « maintien Comment raconter la guerre d’Algérie ? 1 h
de l’ordre » [Q6] . Dans ce passage, Pierre avoue à Gus qu’il a été témoin
(groupement de textes 2)
d’une scène de torture pendant qu’il était sous les ordres de son capi-
taine en Algérie. Son hésitation lorsqu’il relate le calvaire du jeune berger
peut traduire son émotion mais elle exprime en réalité sa culpabilité : on Support Objectifs activités
apprendra à la fin de la pièce que c’est lui qui a torturé Lakhdar. Ce pas-
« Résonances et – Découvrir le regard que porte – Lecture d’un corpus
sage du « je » à « Caldoz et Lapouge » masque sa responsabilité et souligne rebonds » : groupement la littérature sur un conflit de textes
l’incapacité de Pierre à avouer la vérité complète à Gus. Cette vérité est de textes 2 (« Comment récent et douloureux – Questions
plus transparente pour le lecteur / spectateur qui a accès à la vision cau- raconter la guerre – Identifier les choix des écrivains de compréhension
chemardesque de Pierre. Elle sera confirmée par la suite de la pièce [Q7] . d’Algérie ? », p. 117-123) pour écrire cette histoire et d’analyse
– Souligner les ressemblances sur les textes
BILAN entre les textes du corpus et
la pièce d’Ahmed Madani
Ce passage est construit sur une opposition : la première partie relate un
long cauchemar dominé par la violence et dont le sens est difficile à saisir ; Cette séance s’appuie sur le second groupement de textes du dossier de
la seconde est constituée d’un récit bref et précis (l’ancien appelé livre des l’édition (section « Résonances et rebonds ») et offre d’autres exemples
noms et des détails). Se dessine un jeu de miroirs : une scène de torture du traitement de la guerre d’Algérie en littérature. On répondra à l’oral
pour faire parler un jeune prisonnier se rappelle à l’esprit de Pierre qui aux questions situées à la suite du corpus, que les élèves auront prépa-
est lui-même torturé par son cauchemar ; contrairement au jeune berger rées à la maison. À la fin de la séance, on leur demandera de proposer
qui ne dit rien dans son cauchemar, Pierre parle, avouant à demi-mot sa une lecture expressive des textes, la situation d’énonciation des trois
culpabilité [Q8] . La vision nocturne permet de faire la lumière sur une réa- extraits s’y prêtant particulièrement.
lité historique et sur des événements que Pierre peine à avouer [Q9] .
L’extrait de Ça t’apprendra à vivre mentionne un cadre spatio-temporel
PROLONGEMENTS
précis : la région des Aurès (située dans le nord-est de l’Algérie), en
À la fin de la séance, pour prolonger l’étude de cet extrait, on demandera 1958, au cours du conflit qui oppose depuis 1954 les forces françaises et
aux élèves : le FLN. L’écrivaine mentionne la présence de l’armée (le commandant de
– soit de s’appuyer sur la rubrique « Tisser des liens personnels avec le la légion et ses hommes) et le climat de terreur qui règne dans la prison
texte » qui suit le parcours de lecture pour rédiger leurs impressions de que dirige son père (insulte raciste, horreur des exécutions sommaires
lecture ; et des convictions de ceux qui « deviendront plus tard l’OAS »). Jérôme
– soit d’analyser les représentations picturales de la nuit figurant dans le Ferrari évoque des soldats français dans la guerre d’Algérie ; leur mis-
cahier photos à l’aide des questions regroupées dans « Le coin des arts ». sion est de capturer et de faire parler les rebelles algériens. À l’opposé
de ces deux récits qui font directement référence à la guerre d’Algérie,
DEVOIRS POUR LA SÉANCE SUIVANTE
celui de Leïla Sebbar s’intéresse à Amel, une jeune femme qui appartient
Lire le groupement de textes intitulé « Comment raconter la guerre à la deuxième génération d’émigration algérienne en France. Amel inter-
d’Algérie ? » (dans la section « Résonances et rebonds » du dossier de l’édi- roge sa mère et sa grand-mère sur le passé qu’elles s’emploient à taire.
tion) et répondre aux questions qui s’y rapportent. À travers des bribes de paroles, elle perçoit les souffrances endurées
17 • © « Les Ateliers d’Actes Sud », 2021. Ahmed Madani, Je marche dans la nuit par un chemin mauvais, 3 e -lycée • 18
Séance 7
pendant la guerre et l’exil qui a suivi. Les trois textes évoquent donc la Se rappeler pour se réconcilier 1 h 30
guerre et permettent de s’interroger sur la transmission de sa mémoire
par les générations suivantes [Q1] . Dans son roman largement autobio-
graphique, Jeanne Benameur choisit de raconter les événements vécus Supports Objectifs activités
à hauteur d’enfant. L’utilisation de la première personne du singulier et
– Tableau 21, « Valise et cercueil », de – Analyser le – Analyse de texte
du présent donnent au lecteur l’impression de vivre les événements « ton grand-père est un salaud » à dénouement de la pièce – Impression
en même temps que la fillette et de partager les angoisses de celle-ci. la fin de la pièce, l. 34-113, p. 70-72 – Mettre au jour le sens de lecture
Jérôme Ferrari offre la parole à Andreani, qui a servi la France pendant – « L’atelier de lecture » : quatrième de la pièce et l’évolution – Écritures
la guerre d’Algérie. L’écrivain imagine les mots qu’il adresse à son capi- parcours dans l’œuvre des personnages d’appropriation
(« Se rappeler pour se réconcilier »,
taine, un homme dur et méprisable, et permet au lecteur de pénétrer
p. 102-103)
dans la psychologie de ce dernier. Enfin, Leïla Sebbar livre la voix de deux
femmes, Lalla et sa petite-fille Amel. Mais la vivacité de leurs échanges
Centrée sur le dénouement, cette séance permet de mettre au jour la
ne permet pas de percer le silence que la première oppose à la seconde.
leçon individuelle et collective qu’il porte.
L’auteur souligne ainsi la difficulté à formuler des souvenirs affreux [Q2] .
Comme la pièce d’Ahmed Madani, les trois extraits sont des témoignages
ENTRER DANS LE TEXTE PAR LE TITRE DU TABLEAU
sur la guerre d’Algérie. Jeanne Benameur et Jérôme Ferrari relatent
les arrestations et les crimes, comme le fait Ahmed Madani à travers La nuit est propice à la confidence. Dans le tableau 19, en écho aux révéla-
l’histoire de Pierre et de Lakhdar, et suggèrent les rapports d’obéissance tions de Pierre, Gus se livre sur ses relations avec son père dans un long et
hiérarchique qui règnent dans l’armée. Leïla Sebbar met en lumière les émouvant monologue. Le ciel étoilé du tableau 20 semble annoncer la fin
répercussions du conflit sur plusieurs générations : comme Pierre hanté de la pièce : le dialogue prend une dimension spirituelle et la dégradation
par le conflit dans la pièce d’Ahmed Madani, la famille d’Amel cache le de l’état psychique de Pierre laisse présager le pire.
passé et sa réalité. Par ailleurs, le couple mixte formé par les parents de A priori sans liens entre eux, les termes qui forment le titre du tableau 21
la narratrice dans Ça t’apprendra à vivre fait penser à celui que forment connotent tous les deux la clôture, le départ et, par conséquent, sur le plan
les parents de Gus (Muriel et Brahim) dans la pièce ; le trio Andreani, le dramaturgique, le dénouement. La valise est celle de Pierre qui, au début du
capitaine et le prisonnier Tahar dans Où j’ai laissé mon âme rappelle celui tableau (avant l’extrait qui servira de support à l’étude), se prépare à aller
composé par Pierre, son capitaine et Lakhdar [Q3] . dans une maison de retraite et se ravise ; c’est celle de Gus qui a « décidé de
retourner au lycée et de passer [s]on bac » après trois mois en compagnie
DEVOIRS POUR LA SÉANCE SUIVANTE de Pierre à Argentan. Elle fait aussi écho au voyage de Gus vers l’Algérie et
Préparer les questions proposées dans le dernier parcours de lecture au départ définitif de Pierre vers l’autre monde. Le cercueil annonce cette
(section « L’atelier de lecture », rubrique « Questionner au fil du texte » : mort mais renvoie également à la tombe de Lakhdar que Gus ira fleurir.
« Se rappeler pour se réconcilier »).
ANALYSER
Un aveu terrible
Pierre révèle à Gus qu’il lui a menti et qu’il a torturé et tué Lakhdar. Cet aveu
qui ouvre le passage est mis en valeur par des répétitions (« Ton grand-père
est un salaud » et « Lakhdar c’est moi qui l’ai tué), par le recours au terme
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très péjoratif et familier « salaud » et par l’utilisation du pronom réfléchi sa position l’indique (il est « allongé dans le jardin » désormais débrous-
tonique « moi ». Pierre évoque son crime en parlant de lui d’abord à la troi- saillé, « les yeux grands ouverts », et sourit aux étoiles) [Q6] . Après la mort
sième personne puis à la première personne : en même temps qu’il précise de Pierre, lorsque le père de Gus arrive, l’adolescent lui offre une moitié
son crime, il reconnaît et assume sa responsabilité [Q1] . Le grand-père de de pomme. Ce geste est symbole de partage. Il rappelle le geste du père à
Gus affirme à deux reprises qu’il aimait bien le berger, auquel il avait appris l’issue d’une séance de foot, quand Gus était enfant (tableau 19). Mais cette
à lire. Ce lien explique qu’il se porte volontaire pour interroger Lakhdar : par fois c’est Gus qui coupe la pomme en deux, signifiant la maturité qu’il a
la confiance établie entre eux, il pense obtenir des aveux du garçon et éviter gagnée et le rôle essentiel qu’il tient désormais dans la famille (il est celui
à ce dernier d’être questionné brutalement. Le rappel de cette relation fami- qui transmettra, en l’occurrence, le passé familial que Pierre lui a laissé
lière et affective rend le crime de Pierre encore plus insoutenable [Q2] . La en héritage) [Q7] . Ainsi, la fin du tableau marque la réparation de plusieurs
situation échappe au jeune appelé. Lorsqu’il tente d’impressionner Lakhdar, liens : entre Pierre et Marie dans la mort d’une part ; entre Gus et son père et,
ce dernier implore à plusieurs reprises « [s]on ami Pierrot ». Ce refrain plus largement, entre Gus et ses parents d’autre part (le « on » répété traduit
emporte Pierre : il ne maîtrise plus son geste, qu’il répète lui aussi et pro- leur unité recouvrée). La dernière volonté de Pierre restaure également
longe (« de plus en plus »). L’emballement de l’action et l’absence de contrôle une continuité entre le passé et le présent (jusque-là brisée par la mémoire
de soi de Pierre se manifestent par les répétitions (« ça m’excitait ça m’ex- défaillante car traumatisée de Pierre) et relie dans la mort Pierre et le jeune
citait / je versais je versais ») et la reprise du nom « Pierrot », à la fois par la berger. Plus symboliquement, elle est le signe d’une réconciliation néces-
victime et par les bourreaux, faisant de Pierre le jouet d’injonctions contra- saire entre la France et l’Algérie. Enfin, ce passé retrouvé permet à Gus,
dictoires [Q3] . Alors même que Pierre le tue, Lakhdar, en le suppliant (« mon issu d’une mère française et d’un père algérien, de se réapproprier l’histoire
ami Pierrot, mon ami Pierrot »), rappelle à son tortionnaire la chanson qu’il dont il est porteur, de comprendre ses origines pour mieux s’épanouir : le
lui a apprise. Au moment où Lakhdar succombe, c’est la comptine qui se bonheur qu’il ressent à la descente de l’avion en témoigne, suggérant aussi
substitue au récit de Pierre. Par ce biais, le texte dit le choc de Pierre : que l’oubli empêche de grandir et de jouir de la beauté du monde [Q8] .
la réalité est exprimée par le prisme d’une version imagée (la « chandelle
[…] morte » renvoie au petit berger qui succombe sous la torture du jeune BILAN
appelé) qui, loin d’atténuer l’horreur du meurtre, l’accentue [Q4] . Le dénouement de la pièce de Madani est marqué par l’aveu terrible de
Pierre et par sa mort. Mais les retrouvailles familiales, l’apaisement et le
Réconciliations bonheur qui suivent ces péripéties offrent une fin optimiste et heureuse [Q9] .
Gus évoque la tristesse qui les gagne, Pierre et lui. Leurs larmes traduisent
leur désespoir et la répétition du verbe « chialer » insiste sur l’ampleur de PROLONGEMENTS
leur souffrance, muette et solitaire. Pierre est certainement envahi par la À la fin de la séance, pour prolonger l’étude de cet extrait, on pourra
honte et la souffrance de ce souvenir criminel ; Gus par un sentiment de demander aux élèves :
trahison, mêlé de stupéfaction et de déception. L’aveu est doublement trau- – soit d’étudier les arbres généalogiques réunis dans le cahier photos et de
matisant pour l’adolescent, que Pierre n’a cessé d’associer à Lakhdar depuis répondre aux questions qui s’y rapportent dans la section « Résonances et
l’épisode du cauchemar [Q5] . Trois jours après, Gus semble avoir compris ce rebonds » du dossier de l’édition ;
que Pierre a vécu et paraît pardonner à son grand-père en le prenant dans – soit de s’appuyer sur la rubrique « Tisser des liens personnels avec le
ses bras. Le partage d’un ultime « café-goutte », symbole de la complicité texte » qui suit le parcours de lecture pour, au choix : rédiger leurs impres-
établie entre les personnages, est le signe de la réconciliation. La pièce sions de lecture ou réaliser l’activité de recherche proposée (« Mémoires
souligne l’importance de l’aveu, libérateur et salvateur. Pierre meurt apaisé : de la guerre d’Algérie »).
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On pourra également se reporter à l’analyse de la mise en scène de ce en petite fille. La représentation de l’ascendance est faite à travers le ruban
tableau (voir « Vers la mise en scène », infra). qui relie les personnages et que tient fermement la fillette : il symbolise la
filiation et le lien affectif entre les personnages. Sa couleur renvoie direc-
tement au sang qui coule dans les veines de chacun des membres de la
Séance 8 famille. Par son biais, la peintre renouvelle le motif de la branche qu’on
L’arbre généalogique (Histoire des arts) 1 h trouve traditionnellement représenté sur les arbres généalogiques [Q2] .
La peintre ne se contente pas de représenter les trois générations de sa
Supports Objectif activités famille, elle suggère aussi ses origines à travers les décors qui figurent
en arrière-plan. À gauche, les cactus et le paysage aride renvoient aux
– Cahier photos de l’édition : Frida Kahlo, Analyser – Analyse
origines mexicaines de sa famille maternelle ; à droite, sous les grands-pa-
Mes Grands-parents, mes parents et moi une représentation d’une œuvre
– « Résonances et rebonds » : le coin originale de la famille – Réalisation rents paternels d’origine allemande, la mer évoque l’éloignement du conti-
des arts (« Les liens complexes graphique nent européen situé au-delà de l’océan [Q3] . Ce tableau a une dimension
qui se sont tissés dans notre famille », narrative : il figure les différentes étapes de la jeune vie de la peintre. Il
p. 124-125) raconte l’histoire de sa naissance : le mariage de ses parents (au centre du
tableau, car à l’origine de tout) ; sa conception (l’ovule et le spermatozoïde,
Parce qu’elle explore les liens familiaux et générationnels, et met en sous le fœtus, figurent la fécondation, tout comme le pistil de la fleur de
scène les difficultés de l’entreprise qui consiste à se raconter, la pièce cactus rouge recevant le pollen) ; la grossesse de sa mère et sa naissance
d’Ahmed Madani peut être rapprochée d’un motif métaphorique utilisé (suggérées par le fœtus et le cordon ombilical) ; enfin, son enfance (avec
depuis des siècles pour représenter l’histoire familiale : l’arbre généa- la petite fille, entourée et protégée par les murs de sa maison natale). On
logique. Le cahier photos de l’édition offre un aperçu de sa fécondité pourra faire remarquer aux élèves que Frida Kahlo glisse dans ce portrait
picturale, réunissant des œuvres du Moyen Âge à nos jours. Si elle est de famille des allusions aux épreuves que la vie lui réserva : son infertilité
la plus contemporaine, celle de Frida Kahlo est aussi la plus originale : (la représentation de la conception et celle du fœtus font aussi écho à ce
elle renouvelle les éléments que la tradition associe à ce motif. À des thème omniprésent dans son œuvre) et sa maladie (avec le buisson qui
informations sur la filiation, l’artiste mêle le récit des épisodes de sa vie. dissimule sa jambe droite plus maigre, séquelle de la poliomyélite qu’elle
contracta à l’âge de six ans) [Q4] . Mes Grands-parents, mes parents et moi
est à la fois un portrait familial dans lequel la peintre figure les différents
ANALYSER
membres de sa famille, un autoportrait dans lequel Frida Kahlo se repré-
Les œuvres du cahier photos représentent la filiation à travers la méta- sente enfant au centre du tableau et un récit de vie en images dans lequel
phore de l’arbre : les branches sont les symboles des liens familiaux ou spi- elle évoque les « moments fondateurs » de son existence : son enfance,
rituels, et la personne dont on veut représenter la lignée est figurée comme que l’on perçoit heureuse, car entourée et protégée, et innocente (c’est ce
un fruit (arbre de Jessé) ou comme une source au pied ou à la racine de que suggère sa nudité) et ses traumatismes (sa maladie, son infertilité)
l’arbre (peinture de Frida Kahlo) [Q1] . Le titre du tableau Mes Grands-parents, auxquels on peut associer une forme de solitude (seul enfant représenté,
mes parents et moi évoque la lignée familiale et l’énumération qui le com- Frida Kahlo n’était pourtant pas enfant unique : elle est la troisième de
pose structure la toile : les grands-parents de Frida Kahlo (maternels à quatre filles) et de nostalgie de l’enfance. Si ce tableau relève de l’arbre
gauche, paternels à droite) sont représentés en haut de la toile, au centre généalogique, il est proche de la démarche autobiographique : la vie de
sont peints ses parents en tenue de mariés et au premier plan figure Frida Frida Kahlo est au centre de sa peinture [Q5] .
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Séance 9
Vers la mise en scène 1 h 1
classique (pantalon de velours, chemise, bretelles, tricot sans manches
troué, ou pyjama et maillot de corps). Ces choix renforcent les identités
respectives que leur donne la pièce et soulignent leurs différences [Q2] .
Supports Objectifs activités
ANALYSE DES CHOIX SCÉNIQUES DANS DES TABLEAUX-CLÉS
– Captation de la mise en scène – Analyser les choix – Visionner la pièce
d’Ahmed Madani de mise en scène – Répondre à Une exposition originale (tableaux 1 et 2, du début à 00:05:40)
– « L’atelier de lecture » : « Vers – Donner son avis des questions La musique et la lumière sont les deux éléments-clés de la mise en scène du
la mise en scène », p. 107-108 sur une mise en scène premier tableau. Les personnages sont plongés dans le noir ; la découverte
de la mort de Pierre par Gus s’accompagne d’un changement musical : à la
Cette séance permet de souligner que le théâtre est un art de la repré- douce mélodie jouée au piano qui ouvre la pièce succède une musique plus
sentation et que le travail de mise en scène éclaire le sens d’un texte. brutale, dominée par les percussions et les violons. Celle-ci traduit l’inquié-
Le professeur pourra choisir de projeter l’intégralité de la captation de tude de Gus qui s’agite en tous sens. Par son cadrage et son montage, la
la mise en scène à ce moment de la séquence (en s’appuyant sur la captation accentue l’effet de ces partis pris ; par ses plans serrés, elle invite
vidéo de qualité proposée parmi les ressources enseignants de la pièce à saisir au plus près l’émotion de Gus [Q1] . Dans le deuxième tableau, Pierre
sur lesateliersactessud.fr) et, s’il ne l’a pas fait jusque-là, demander aux et Gus sont filmés en gros plan : un spot lumineux éclaire leurs visages qui
élèves de répondre aux questions du dossier de l’édition se rapportant se détachent du fond noir. Ce choix permet de les séparer alors qu’ils sont
aux moments-clés de la pièce (section « L’atelier de lecture », rubrique réunis dans le même espace et, dans ce tableau qui vise à les présenter, de
« Vers la mise en scène »). Il pourra également en suggérer le visionnage souligner leur singularité. La captation renforce les partis pris du texte : la
intégral à la maison puisque la captation de la pièce est aussi disponible caméra ne saisit qu’un personnage à la fois [Q2] . Les personnages sont face
en accès libre sur YouTube. au public (et face à la caméra) et ne semblent donc pas dialoguer, sauf à la
fin du tableau. Ces gros plans sollicitent l’attention du spectateur et font de
Nous donnons ici des éléments de réponse aux questions du dossier. lui le témoin privilégié de confidences intimes [Q3] .
ANALYSE DES CHOIX SCÉNIQUES POUR LA PIÈCE ENTIÈRE : DÉCOR ET COSTUMES La colère de Gus (tableau 8, de 00:14:06 à 00:15:34)
Le décor (voir cahier photos) est fait d’une maison dont on n’a conservé que Les déplacements du personnage miment son agitation intérieure : ses
la dalle et la charpente (le motif des broussailles figurant dans le projet va-et-vient sur scène, sa position (debout puis assise) et sa gestuelle (il
n’a pas été repris dans le décor du théâtre de La Tempête). Cette maison frappe son tee-shirt par terre) traduisent sa nervosité et sa révolte [Q1] .
représente un lieu réel, celui d’un foyer familial avec la cuisine et la salle Vincent Dedienne incarne un Gus en colère avec beaucoup de naturel et
à manger. Elle est aussi une figuration métaphorique : celle de l’espace d’émotion : la vivacité de ses déplacements et les modulations de sa voix
intime, mis au jour, découvert et dévoilé (la maison est ouverte aux regards rendent son jeu émouvant et fort. Il passe avec aisance du calme à la colère
comme la mémoire de Pierre, qui se révèle progressivement pour lui, pour et de la révolte à l’amusement : ce mélange des tons et cette alternance
Gus et pour les spectateurs) [Q1] . Si Gus porte une tenue jeune et très décon- entre le récit et l’action sont difficiles à jouer et révèlent la virtuosité du
tractée (sweat-shirt à capuche de marque, tee-shirt à motifs, jogging, jean comédien [Q2] . On entend les spectateurs rire. Pourtant, cette scène n’est
ou short, baskets ou claquettes), Pierre est habillé de façon beaucoup plus pas drôle puisque Gus exprime son mal-être. Mais la naïveté et l’excès
avec lesquels il en fait part prêtent à sourire, rendant plus supportable la
1. Pour les réponses aux questions. représentation de la violente souffrance de Gus pour les spectateurs [Q3] .
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Dénouement et vérités (tableau 21, de 01:21:00 à la fin) MODERNITÉ THÉÂTRALE
Pierre et Gus sont placés de part et d’autre de la scène et Gus, qui se lève, ne Construite en tableaux, écrite en vers et sans ponctuation, dans une langue
semble pas pouvoir franchir la ligne symbolique matérialisée par la poutre vive et moderne, la pièce repose sur un duo – un grand-père et son petit-
de la maison. Cette distance et cette séparation traduisent le rapport des fils – et son intrigue se situe de nos jours. Toutes ces caractéristiques
personnages à ce moment de la pièce : ils sont en partance et près de se éloignent la pièce du théâtre classique, tout comme sa temporalité, ses
quitter [Q1] . Lorsque Pierre avoue avoir tué Lakhdar, Gus est en dehors de thèmes et l’étendue des registres qu’elle déploie [Q1] . La pièce alterne
la maison et tourne le dos au public et à son grand-père : il laisse Pierre comique et tragique. La complicité qui s’établit entre Pierre et Gus offre
seul avec le poids de son crime. Le jeu du comédien qui interprète Pierre des scènes drôles et légères (celle de la pêche à la torche par exemple)
indique que le personnage se plonge dans son passé et ses souvenirs : il est qui contrastent avec des tableaux sombres et graves, de colère (tableau 8),
assis, le regard dans le vide, comme rentré en lui-même et comme s’il avait de cauchemar (tableau 18), et de mort (tableaux 1 et 21). Cette alternance
honte [Q2] . La scène est plongée dans le noir : seuls les visages de Pierre de tonalités, qui s’exprime parfois au sein d’un même tableau, donne une
et de Gus sont éclairés. Comme au début de la pièce, ce jeu de lumières grande force à la pièce : le lecteur / spectateur est tour à tour surpris, ému,
accompagne un moment dans lequel les personnages disent qui ils sont, effrayé, amusé [Q2] .
mais il s’agit cette fois d’un moment de vérité, dans lequel chacun exprime
qui il est vraiment (un ancien appelé qui a tué pour Pierre ; un jeune homme DES PERSONNAGES COMPLÉMENTAIRES
réconcilié avec sa famille et avec lui-même pour Gus) [Q3] .
Le duo Pierre et Gus. Pierre et Gus sont de deux générations différentes
PROLONGEMENT et tout les oppose : leur âge (l’un est un retraité de soixante-dix-huit ans,
l’autre un lycéen de dix-sept ans), leur façon de parler (celle de Gus est
Pour prolonger ce travail sur la mise en scène, on pourra demander aux
souvent familière ; celle de Pierre moins grossière), leur univers (Gus est
élèves de donner leur avis sur la captation de la pièce dans leur carnet de lec-
un adolescent urbain, amateur de Miel Pops, de nuggets et de rap, rivé à
ture ; ou de rechercher des arguments susceptibles de nourrir les réponses
son téléphone portable, tandis que Pierre habite à la campagne, se nourrit
à la question suivante : vaut-il mieux lire une pièce ou la voir représentée ?
de soupe et de café-goutte, mange un hamburger à la fourchette, aime
pêcher à la torche et apprécie Brel) et leurs valeurs (Pierre déplore l’édu-
Séance 10 cation de Gus, la vision que son petit-fils a de l’amour ; Gus choisit le monde
Synthèse : une pièce originale sur la transmission 1 h virtuel des jeux vidéo et des séries de vampires, et rejette sa famille) [Q1] .
Jusqu’au tableau 10, les relations entre les deux personnages sont extrê-
Supports Objectif activité mement conflictuelles : par le silence qu’il impose, le tableau 6 traduit
l’incompréhension et l’incommunicabilité entre Pierre et Gus. Ensuite vient
– L’ensemble de l’œuvre, p. 17-72 Faire le point sur l’œuvre Réponses le temps de l’échange : partage des repas (tableau 12), de moments de
– L’ensemble de l’étude réalisée et ses grands enjeux à un questionnaire
détente (pêche illégale à la torche, tableau 11), de confidences (sur l’amour
en classe
– « L’atelier de lecture » : et le passé de Pierre, tableaux 12 et 16). Enfin, la réconciliation intervient
« Synthétiser », p. 104-106 à partir du tableau 19, dans lequel Gus affirme son attachement à son
grand-père [Q2] .
Cette séance de synthèse s’appuie sur le questionnaire figurant dans Pierre, entre oubli et mémoire. Pierre est atteint d’une maladie qui
« L’atelier de lecture ». altère sa mémoire immédiate et perturbe son quotidien : il ne sait plus
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où il a mis les clés de sa maison, sort acheter des céréales en pyjama, histoire familiale. La bande dessinée liminaire montre bien l’importance de
laisse le lait déborder… Oublieuse du passé immédiat, la mémoire de cette végétation qui envahit l’intimité de Pierre et dans laquelle Gus évolue,
Pierre semble soudain trouver l’espace nécessaire au surgissement à la recherche de réponses [Q1] .
d’événements plus anciens, qui se manifestent dans une précision Nuit. Dans la pièce, la nuit peut être « mauvaise » (tableau 18), associée
horrifiante [Q3] . à la mort (tableau 1), à des apparitions inquiétantes (tableaux 14 et 18) et
Gus, l’élément perturbateur. Gus joue un double rôle. Il est celui qui à une lune funeste (comptine des tableaux 20 et 21). Mais elle peut aussi
dérange Pierre dans sa solitude, qui lui rappelle le jeune berger qu’il a tué, être « paisible » (tableau 20), moment de partage de repas (tableau 10),
et qui ravive ainsi des souvenirs douloureux occultés. Mais la présence de de confidences (tableaux 12 et 19) et de complicité (tableau 11). À la fin de
Gus a un effet positif sur son grand-père : l’adolescent permet à Pierre la pièce, la nuit est chargée de connotations mélioratives : au tableau 20,
d’exprimer ce qui le hante et de trouver une forme d’apaisement. On peut « le ciel dégagé » (à l’image du jardin débroussaillé) laisse apparaître les
dire que Gus sauve Pierre : il l’empêche de sombrer dans l’oubli et de som- étoiles : ces « lumières qui viennent du passé / et qui éclairent le pré-
brer à cause de l’oubli [Q4] . sent » sont la métaphore des souvenirs recouvrés de Pierre qui peut alors
mourir « allongé dans le jardin [les] yeux […] grands ouverts / [regardant]
UNE CONSTRUCTION COMPLEXE les étoiles et […] souri[ant] » (tableau 21) [Q2] .
La pièce se présente comme un long retour en arrière. Elle commence par
la mort de Pierre (les tableaux 1 et 21 se font écho) et, dès le tableau 2,
situe le lecteur / spectateur trois mois plus tôt, lors de l’arrivée de Gus Séance 11
chez Pierre à Argentan. La suite de la pièce raconte ce moment partagé Évaluation 1 h
entre le petit-fils et le grand-père jusqu’à la mort de ce dernier [Q1] . Les
tableaux 8 et 9 entremêlent, dans les paroles des personnages, des épi- Supports Objectifs activités
sodes antérieurs rapportés au passé composé et à l’imparfait sous la
forme d’un récit et des éléments de dialogue relatifs à ces épisodes inter- – L’ensemble de l’œuvre, – Faire le point sur l’œuvre – Répondre à des sujets
prétés au présent. De même, dans les tableaux 10 et 15, la dispute entre p. 17-72 et ses grands enjeux d’invention ou
– L’ensemble de l’étude – S’entraîner aux épreuves de réflexion (en 3e)
les deux personnages et la fuite de Pierre en pyjama sont à la fois jouées
réalisée en classe d’examen – S’entraîner à l’oral du bac
au présent et rapportées comme un souvenir. Ces partis pris sont cohé- de français (en 2de)
rents avec le retour en arrière sur lequel est fondée la pièce. Ils entre-
tiennent la connivence et la complicité des personnages qui rappellent Selon ses objectifs, le professeur proposera les sujets d’invention ou de
ces moments partagés. Pour les comédiens, ils représentent une diffi- réflexion suivants et / ou l’exercice d’entraînement à l’oral.
culté de jeu supplémentaire [Q2] .
Débroussaillage. Gus doit débroussailler l’hectare laissé à l’abandon par Dans Un merveilleux malheur (2002), le psychiatre et psychanalyste fran-
Pierre pendant les trois années où il s’est occupé de Marie. Ahmed Madani çais Boris Cyrulnik théorise la notion de résilience, c’est-à-dire la capacité
joue sur les différents sens du verbe « débroussailler » : au sens propre, de certaines personnes à triompher des traumatismes qu’ils ont subis
Gus débarrasse le jardin de ses broussailles ; au sens figuré, il aide son par un certain nombre de mécanismes : « Le récit de soi […] est un pro-
grand-père à y voir clair dans son passé et met de l’ordre dans sa propre cessus qui soigne et qui est nécessaire à la construction de toute identité
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individuelle ou collective. Je sais qui je suis, comment je réagis, ce que aux élèves de s’entraîner avec Je marche dans la nuit par un chemin mau-
j’aime et ce dont je suis capable, en faisant le récit de mon histoire intime. vais. On les invitera à justifier ce qu’ils ont aimé dans cette œuvre (les
Nous savons qui nous sommes, ce qui caractérise notre groupe ou notre personnages, l’intrigue, les thèmes, le style de l’auteur, le message…), à
nation, en faisant le récit des hommes que nous admirons, en racontant sélectionner un passage qui les a particulièrement marqués et à exprimer
nos merveilleuses victoires et nos douloureuses revanches. » l’émotion qu’ils ont ressentie à la découverte de l’œuvre.
En quoi la fin de la pièce d’Ahmed Madani confirme-t-elle la thèse exposée
par Boris Cyrulnik ? Selon vous, faut-il se souvenir du passé ou ne regarder
que vers l’avenir ?
Tableau synoptique
SUJET D’IMAGINATION : ÉCRITURES DE SOI
Gus parle à plusieurs reprises de lui, formulant à la fois ses refus et ses Ce tableau figure parmi les ressources enseignants de Je marche dans
aspirations, ses haines et ses désirs. Ces énumérations permettent de la nuit par un chemin mauvais, sur le site de la collection, où il peut être
dessiner progressivement le portrait d’un adolescent révolté en quête téléchargé.
de reconnaissance. Cette manière de se dire rappelle à certains égards
celle adoptée par Roland Barthes, philosophe et critique littéraire, dans
SÉQUENCE RÉDIGÉE PAR LAURE SERMAGE.
son écrit autobiographique Roland Barthes par Roland Barthes (Le Seuil,
1975) : « J’aime : la salade, la cannelle, le fromage, les piments, la pâte
d’amandes, l’odeur du foin coupé (j’aimerais qu’un “nez” fabriquât un tel
parfum), les roses, les pivoines, la lavande, le champagne, des positions
légères en politique, Glenn Gould, la bière excessivement glacée, les
oreillers plats, […], avoir la monnaie […], etc. Je n’aime pas : les loulous
blancs, les femmes en pantalon, les géraniums, les fraises, le clavecin,
Miró, les tautologies, les dessins animés, Arthur Rubinstein, les villas, les
après-midi, Satie, Bartók, Vivaldi, téléphoner, les chœurs d’enfants, […],
les scènes, les initiatives, la fidélité, la spontanéité, les soirées avec des
gens que je ne connais pas, etc. »
À votre tour, à la manière de Roland Barthes, énumérez ce que vous aimez
et ce que vous n’aimez pas, en mélangeant des noms de lieux, de per-
sonnalités, des titres de films, des noms d’aliments, d’objets, d’êtres, de
sentiments, etc. Pour que votre liste soit réussie, elle doit être hétéroclite
et pittoresque.
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