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Théorie Générale Du Droit Cours 2021 en Présentiel
Théorie Générale Du Droit Cours 2021 en Présentiel
Le juriste ne peut être un simple automate, condamné à l’application servile d’une réglementation
tatillonne, ni un apprenti-sorcier déchaînant des conséquences désordonnées et imprévues pour avoir
ignoré la dépendance et l’insertion de la règle de droit dans son contexte.
En droit, comme en tout, les connaissances ne sont rien, sans curiosité, intelligence, réflexion et
imagination. Il s’agit donc ici, dans une perspective méthodologique, de dégager les éléments
essentiels qui dominent l’élaboration du droit et d’exhumer les instruments et les raisonnements
indispensables à sa mise en œuvre.
On ne saurait alors prétendre innover, ni atteindre des vérités définitives, ni mêmes être exhaustif. Une
vie n’y suffirait pas. D’autres, bien plus qualifiés, s’y sont essayés sans y parvenir ? Mais, quitte à
paraitre téméraire, ne vaut-il pas mieux d’affronter une tâche difficile que de s’y dérober de crainte
d’être trop imparfait ? Avec cette conviction de son importance primordiale pour tous les juristes,
étudiants, praticiens et universitaires, et de l’intérêt qu’elle présente aussi pour les non-juristes, il faut,
avant tout, définir le droit (Section 1) puis l’objet de la théorie générale du droit (Section 2) et souligner
sa nécessité (Section 3).
Définir le droit d’une manière homogène et définitive parait impossible. Le terme « droit » est entendu
par les moralistes, les religieux et certains philosophes, au sens de « juste » et de « justice » alors que,
pour les juristes, il signifie « règle de droit ». Pour les uns, c’est un idéal, pour les autres, il est une
norme positive. Certains n’y voient qu’une « discipline d’action destinée à instituer ou préserver un
certain état de la société » donc une simple discipline sociale ; d’autres y recherchent un ensemble de
règles de bonne conduite pour certains, le droit n’est qu’un aspect des phénomènes sociaux, comme la
sociologie ou l’histoire. Pour d’autres, c’est un « système de représentations intellectuelles s’édifiant
suivant des principes propres, de façon tout à fait indépendantes des phénomènes sociologiques et
historiques ». Certains pensent que ce n’est jamais que « le résultat provisoire de la lutte séculaire
livrée par les forces sociales et des rapprochements d’intérêts qui peuvent, à certains moments,
s’opérer entre elles ». D’autres rejettent l’idée que le droit ne procède que d’une évolution historique et
d’un déterminisme matériel et soutiennent que le droit ne résulte que de la volonté de et de l’activité
humaine1.
On peut provisoirement admettre cependant que le droit est une discipline sociales constituée par
l’ensemble des règles de conduites qui, dans une société plus ou moins organisée, régissent les
rapports sociaux et dont le respect est assuré, au besoin, par la contrainte publique. Ces règles de
conduite que les règles de droit prescrivent et expriment sous des formes et avec des effets spécifiques
peuvent cependant capter toutes les valeurs et tous les phénomènes de la vie et de la société. La règle
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La recherche d’une définition ne peut que s’appuyer sur les diverses thèses ainsi soutenues, même si l’on ne peut
en faire ici qu’une évocation très sommaires. Or, cette recherche est forcément difficile et incertaine en raison de
l’hétérogénéité des ordres juridiques, selon les époques, et selon les pays, et des aléas de la détermination des
limites du droit par rapport à d’autres règles sociales.
- JUSTICE OU UTILITE
Dans le sillage de philosophes anglais tels que Bentham puis J. Stuart Mill (1806-1873) et selon un
important courant actuel de la pensée américaine, « l’utile » est le principe de toutes les valeurs dans le
domaine de la connaissance, comme dans celui de l’action. Il s’agit, en général, de parvenir à la
« maximisation du plaisir » du plus grand nombre de gens possible dans un groupe social et d’éviter la
douleur et la souffrance. Le droit a alors pour objet d’établir les règles capables de conduire « au plus
grand bonheur du plus grand nombre ». Pour conjuguer le bonheur personnel et le bonheur général,
l’utilitarisme se nourrit d’un critère moral consistant à apprécier la qualité d’une action en fonction de ces
conséquences sur la vie individuelle et sociale. Bien qu’individualiste et libéral, J. Stuart Mill prôna
l’intervention de l’Etat en faveur de la classe déshéritée, une modification du droit de propriété, les
coopératives, la libération politique de la femme… L’utilitarisme valorise l’esprit d’entreprise, la
compétition, la croissance, de même qu’il cherche des correctifs aux abus individuels ou collectifs. On
lui reproche souvent d’ignorer les fins qu’il faut poursuivre et à quoi il faut être utile : pourquoi la
production, pourquoi le progrès ? seraient, selon M. Villey, des questions que les utilitaristes omettent
de poser.
On oppose aux utilitaristes ceux qui pensent que le droit n’est pas « une usine à produire l’ordre social »
mais un art caractérisé par la fin qu’il poursuit et que, dans les traces d’Aristote ou de Saint Thomas,
« la fin du droit, c’est le juste » ; on a dit que la fonction du droit consiste alors « à déterminer la
proportion la plus juste entre des intérêts ».
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Le droit, en soi, est alors, probablement, à la fois le produit des faits sociaux et de la volonté de l’homme, un
phénomène matériel et un ensemble de valeurs morales et sociales, un idéal et une réalité, un phénomène
historique et un ordre normatif, un ensemble d’actes de volonté et d’actes d’autorités, de liberté et de contrainte…
Ce sont ses diverses expressions qui sont partielles et expriment plus ou moins, selon les systèmes juridiques et
selon les matières, tantôt l’ordre social ou les valeurs morales, l’individualisme ou le collectivisme, l’autorité ou la
liberté…
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La confrontation de l’individualisme et du collectivisme équivaut à l’antagonisme traditionnel du capitalisme et
du socialisme ou du libéralisme et du dirigisme. Il s’agit alors, avant tout, d’analyses politiques. Mais cela se traduit
directement dans le domaine juridique car on ne peut méconnaître les liens qui unissent le droit et la politique.
Certains, comme G. Burdeau, soulignent que la politique cherche à se justifier par le droit, comme l’Etat lui-même
et crée des règles de droit pour servir son but, si bien qu’il existe des tensions constantes entre le droit et la
politique avec un développement constant de l’empire du droit. On hésite alors à analyser le droit comme un
instrument au service de la politique ou, au contraire, à subordonner la politique au droit. Mais le droit peut, peut-
être, se définir comme « la dialectique entre la politique et l’éthique » et apparaître comme une « médiation »
entre la politique et la morale.
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Cela ne veut pas dire que le droit est neutre, ni que le juriste soit neutre. In doit « envisager les diverses solutions
possibles, avec leurs enjeux et leurs conséquences probables », mais faire un choix entre elles et, pour ce faire, en
définitive, prendre parti. Un problème peut se poser à des juristes en termes convergents et le conduire à des
solutions divergentes car face à des arguments sérieux qui militent en des sens différents mais s’équilibrent à peu
près, ils ne peuvent s’abstraire de présupposés idéologiques, voire métaphysiques. Il s’ensuit que la théorie
générale du droit doit ouvrir des perspectives globales qui n’ignorent ni les considérations objectives, ni les
alternatives idéologiques et embrasser tout un éventail de démarches et d’options possibles, sans exclusive a
priori, mais sans s’interdire des choix.
La théorie générale du droit est doublement générale. Elle l’est d’abord en ce qu’elle s’attache à la signification de
la norme juridique par une analyse de sa finalité et de sa fonction et par une réflexion sur la structure, les
procédés et la méthode de la pensée juridique. Elle est également générale en ce sens qu’elle étudie le droit dans
son ensemble et non pas simplement un système juridique particulier ou une branche spéciale du droit, même si
le droit national et la spécialité de chaque auteur l’incite inévitablement à y puiser une grande part de son
inspiration et de ses références.
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Autrement dit, si en théorie générale du droit, comme en philosophie du droit, on tente de comprendre « ce
qu’est le droit, à quoi il se reconnaît, quels sont ses buts et ses fondements », la théorie générale du droit le fait
davantage à partir droit pour en dominer l’application, tandis que la philosophie du droit est souvent une
philosophie sur le droit, partant de la philosophie pour sublimer le juridique en métaphysique.
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Le « pourquoi » du droit permet d’en détecter la finalité et l’esprit dont le respect s’impose pour l’interprétation,
l’évolution et l’application des normes afin qu’elles ne soient pas détournées de leur objet et que la cohérence du
système ne soit pas mise à mal. La question « quand ? » détermine le domaine d’application et les limites d’un
système, d’une institution ou d’une règle. La réponse qu’on y apporte définit un domaine limitatif, subordonné à
la réunion de conditions strictes ou résiduelles, toujours susceptibles d’extension. Elle exprime le caractère général
ou spécial de droit commun ou dérogatoire d’un régime ou d’une norme donnée. A la « comment ? » répond le
caractère impératif ou supplétif des dispositions ou des statuts considérés, la possibilité d’y déroger, leur force
obligatoire, le type de sanctions applicables…
Sur le plan pratique, pour l’élaboration et, plus souvent, pour l’application concrète du droit, les juristes
doivent avoir impérativement recours à la théorie générale pour découvrir, interpréter, mettre en œuvre
les diverses solutions possibles ; même si le droit ne peut se réduire à des théories générales.
Pour établir une relation juridique, défendre des intérêts, régler un litige, comme pour régir une série de
situations de droit, il faut recenser les normes et les intérêts en cause, les articuler, mettre en œuvre
diverses institutions, des instruments juridiques, rapprocher les faits et le droit, peser les résultats
possibles, les intégrer dans le système juridique, économique, politique, social… Il faut qualifier les
situations juridiques, découvrir leurs divers aspects, rechercher les textes et la jurisprudence
applicables et, par distinction ou assimilation, en faire de nouvelles application, résorber les
contradictions éventuelles entre les normes, comparer leur portée, fixer leur domaine d’application…
Tout cela exige que l’on se réfère à la théorie générale du droit, à l’esprit des textes, au langage
juridique, à la définition des concepts, aux catégories juridiques, à la hiérarchie des textes, aux diverses
méthodes de raisonnement, aux principes d’interprétation de la loi, aux mécanismes de la preuve, de
l’organisation judiciaire, du procès…
Comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, le juriste fait à tout moment de la théorie
générale sans y prendre garde. Mais il a dès lors besoin de discipliner sa pensée en confrontant les
éléments de faits et les données du système juridique.
Cette nécessité est devenue encore plus impérieuse aujourd’hui. Dans la plupart des systèmes de droit,
semble-t-il, l’intervention croissante des pouvoirs publics dans tous les secteurs d’activités, au nom
d’une tendance générale à plus de dirigisme, aboutit à multiplier des textes qui deviennent de plus en
plus pointilleux et techniques. La réglementation de détail, si poussée soit-elle, ne peut cependant tout
prévoir, alors que des principes généraux peuvent abriter de multiples situations nouvelles et
imprévues. Elle conduit à des carences juridiques ou inversement, à des contradictions entre trop de
textes qui se superposent. Il faut, pour combler ces lacunes et résorber ces contradictions, comme pour
faire face aux multiples situations nouvelles que crées l’évolution sociale et technique ou la
multiplication des échanges, recourir encore plus que jadis aux principes généraux, aux grands
concepts, aux diverses méthodes de raisonnements… Le juriste ne peut pas, comme lorsqu’il n’a qu’à
appliquer des règles générales à des situations particulières, se contenter de lire et d’interpréter la loi.
De tout temps, des efforts ont été faits vers une théorie générale consistant au moins en un
recensement des principes fondamentaux.
Tout un titre du Digeste formulait des principes et maximes du droit. La doctrine de l’Ancien droit, plus
spécialement chez Loysel et Domat, s’est attachée à recenser « les maximes et instituts coutumières »
et à présenter « les lois civiles dans leur ordre naturel », autrement dit dans un ordre logique.
De même, en Angleterre, quand la « Common law » a paru trop désordonné et inadéquate, aux XVe et
XVe siècles, on eut recours à « l’equity » pour dégager les principes du droit. La doctrine allemande
moderne, dans la tradition aristotélicienne et dans celle des « topiques juridiques » de jadis, s’est
efforcée d’approfondir le raisonnement spécifique des juristes.
Par « sources du droit », on désigne à la fois les sources substantielles et les sources formelles du
droit7.
Les sources du droit s’entendent aussi « des modes de formation des normes juridiques, c’est-à-dire
des procédés et des actes par lesquels ces normes accèdent à l’existence « juridique », s’insèrent dans
le droit positif et acquièrent validité ». Ce sont alors les sources formelles du droit dont « le petit nombre
implique qu’elles se retrouvent dans tous les ordres juridiques et se prêtent à la systématisation ». C’est
de ces sources formelles qu’il s’agit uniquement dans ce chapitre. Bien que leur importance et leur
autorité respectives varient selon les systèmes juridiques, les époques et les pays, on peut regrouper
parmi ces sources, la loi, la coutume, la jurisprudence et la doctrine. On oppose généralement les
« sources écrites » comme la loi et les « sources non écrites » comme la coutume, ou les « sources
directes », comme la loi et la coutume et « indirectes », comme la doctrine et la jurisprudence qui ne
seraient même, selon d’éminents auteurs, que des autorités et non des sources du droit français, ou
encore les « sources officielles » engendrant des règles formelles que sont la loi et la jurisprudence et
les « sources non officielles » qui ne secrètent que des règles non formelles, telles la coutume et la
doctrine.
Sans s’attarder ici sur ces différentes classifications, il faut souligner que la reconnaissance des sources
formelles du droit et du caractère obligatoire des règles qui en sont issues suppose un « Etat de droit ».
Cela devrait impliquer que les pouvoirs publics respectent honnêtement les règles établies sans songer
à s’en servir de paravent à l’arbitraire. La théorie des sources du droit est dès lors subordonnée à ce
que l’on a appelé le « due process of low » pour que le droit puissent remplir sa fonction de soumission
« de la conduite humaine au gouvernement des règles ».On constate alors que l’hétérogénéité des
sources de droit (Section I) n’exclut pas entre elles des rapports de complémentarité (Section II).
Si l’on admet que le droit n’est que l’expression de la volonté collective d’une société, cette volonté
collective, quels que soient ses modes d’expression, est la seule véritable source du droit. Dans cette
conception sociologique, l’origine des règles de droit et les modalités de leur manifestation ne sont que
des procédés techniques de production du droit. En distinguant classiquement les quatre sources
formelles du droit que sont la coutume, la loi, la jurisprudence et la doctrine, on observe qu’elles
correspondent à des modes de formation directe du droit.
On remarque alors que la loi et la jurisprudence émanent d’organes officiels et spécialisés tandis que la
coutume et même la doctrine ne sont pas issues normalement d’institutions dotées d’un pouvoir
créateur de droit. On admet qu’il faut que la règle à suivre soit conne de tous ; la loi pouvant être
publiée, sa publication permet d’informer tous les intéressés, si bien que nul n’est censé l’ignorer ni
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Les règles de droit ne sont pas arbitraires et sans cause et procède d’un certain nombre de données profondes.
Ce sont les principes moraux, religieux, philosophiques, politiques, sociaux, idéologiques…les plus divers qui
dirigent et inspirent les droits positifs et qui relèvent de la philosophie du droit.
C’est avec le développement de la vie sociale que, pour limiter les effets de ces monopoles oppressifs,
le besoin se fit sentir de connaître par avance ce qu’était le droit et que les règles juridiques furent
publiées et connues, qu’elles soient spontanées ou ordonnées (A). Or, avec le développement de l’Etat,
les sources officielles sont devenues prédominantes, leur origine légale ou prétorienne (B) étant liée à
des problèmes techniques.
Dans la première hypothèse, la règle de droit provient de la coutume : elle est issue d’un usage général
et prolongé et de précédents qui reflètent une pratique constante acquise avec le consensus de tout le
groupe social et ressentie généralement comme conforme au droit. Ainsi, la coutume est un mode
populaire et impersonnel de formation du droit. C’est une source objective et inorganisée du droit qui
s’appuie sur une tradition consciente ou inconsciente du groupe social et non sur un acte volontaire
d’une autorité. Elle est ainsi intuitive et spontanée, ce qui explique qu’elle ne soit pas expressément et
précisément formulée sous forme de commandements et de règles. On observe cependant que les
coutumes finissent souvent par être rédigées et répertoriées afin d’être divulguées et appliquées. En
France, Charles VII ordonna, en 1453, par l’ordonnance de Montil-lés-Tours, que les coutumes fussent
rédigées par écrit. Il existe des recueils de coutumes locales qui ont été rédigés sur ordre du ministère
de l’Intérieur au cours de la seconde moitié du XIXe siècle.
On perçoit dès lors les avantages et les inconvénients respectifs de la coutume et de la loi.
La loi, étant explicitement formulée, comporte une sécurité que ne peut atteindre la coutume, plus
diffuse, plus mouvante et plus incertaine. Ses modes d’élaboration, souvent complexes, procèdent
d’une technique très élaborée, d’inspirations diverses d’ordre historique, idéologique, scientifique,
social, économique… confrontées dans des débats organisés selon des procédures démocratiques,
tout au long du processus législatif. Cela permet à la loi d’offrir des garanties particulières, tant sur le
fond que du point de vue formel, en dépit de ses fréquentes imperfections. Ainsi, la loi peut traverser le
temps et les événements sans être modifiée, encore que son interprétation évolue parfois beaucoup.
Dès lors, la loi est aisément publiée et connue de tous. Mais elle peut aussi être abrogée du jour au
lendemain parce que cette modification est nécessaire ou parce que le législateur est atteint par des
tensions sociales qui risquent d’engendrer des effets nocifs. Ainsi les sources écrites, par la rigidité de
leur expression, sont en principe des facteurs de sécurité et de stabilité du droit mais peuvent permettre
aussi des ruptures brutales de l’ordre établi, si de brusques changements affectent les pouvoirs publics.
De plus, la fixité de la loi constitue un frein à son adaptation à l’évolution sociale. Elle risque de susciter
un divorce du droit et des faits. Dès sa promulgation, la loi commence à vieillir et risque de se périmer.
La jurisprudence tente alors d’en maintenir l’actualité, parfois par des acrobaties ou des artifices.
La coutume, au contraire, qui s’élabore au gré du nombre et de la constance des précédents de la vie
sociale et juridique et qui repose sur un consensus général, épouse la plasticité des faits et absorbe la
fluidité des rapports sociaux. La valeur du précédent ne dépend pas en principe d’une volonté des
pouvoirs publics. La coutume apparaît donc comme un mode de création continue du droit. Elle se
maintient qu’autant que les faits en expriment la réalité. Chaque nouvelle application est un nouveau
précédent et chaque forme nouvelle en modèle la substance. Si elle cesse d’être appliquée, elle tombe
en désuétude. En contrepartie de cette plasticité, la coutume a l’inconvénient d’être incertaine, difficile à
connaître et à énoncer. Son contenu se dégage par induction des faits concrets mais souvent
impalpables. Le droit coutumier peut cependant être recensé et rédigé, voire regroupé dans des
La primauté de la loi dans le droit positif implique que le juge s’y soumette. Mais, dans la plupart des
systèmes de droit écrit, la loi ne constitue plus tout le droit et le rôle du juge ne se limite pas « à celui
d’une bouche par laquelle parle la loi ». Il possède le pouvoir complémentaire d’application,
d’interprétation et d’adaptation des textes qui s’assimile à un certain pouvoir normatif, même quand il
n’est pas, comme dans les pays de « Common law », le créateur principal du droit. Les règles formelles
imposées par les autorités publiques, conformément à leurs attributions sont toujours insuffisantes
parce que les autorités publiques ne peuvent prévoir à l’avance toutes les règles nécessaires. Il faut,
dès lors, faire appel à des règles non formelles qui ne sont pas des commandements exprès des
pouvoirs publics mais qui s’appuient sur l’autorité de l’expérience », comme la coutume, ou sur
Leur consécration est cependant assez récente. Certains d’entre eux sont apparus en droit international
public, au temps de la Société des Nations ; l’article 38 du Statut de la Cour International de Justice,
annexé à la Charte des Nations Unies, reconnaît comme source de droit « les principes généraux du
droit reconnus par les nations civilisées ». On peut donc penser qu’il s’agit là de principes en vigueur
dans tous les systèmes juridiques, même si la doctrine soviétique estimait jadis que la division
idéologique de la société internationale exclut toute possibilité de principes généraux communs aux
divers systèmes juridiques. De nombreux principes généraux figurant dans les chartes ou conventions
internationales, sont consacrés par la plupart des pays.
Même si on en trouve déjà quelques traces dans la jurisprudence antérieure, il semble bien que les
événements de l’époque du Nazisme et la méconnaissance de principes fondamentaux sous le régime
de Vichy, puis à Libération, aient conduit la jurisprudence française à affirmer l’existence de « principes
généraux du droit applicables même en l’absence d’un texte ». Mais les principes fondamentaux et les
principes généraux du droit sont-ils la même chose ? Cela pose le problème de la définition et de la
place des principes généraux dans la hiérarchie des normes (Section I). L’application des principes
généraux du droit en toutes matières et leur utilisation dans les divers systèmes de droit conduisent
aussi à s’interroger sur leur importance dans la multiplicité des normes juridiques (Section II).
Les normes qui régissent une société doivent, pour constituer un système cohérent, être organisées
entre elles, selon un ordre déterminé qui assigne à chacune sa place parmi les autres. Il semble, malgré
la diversité de structure des différents systèmes de droit, qu’il y ait toujours une hiérarchie entre les
différentes règles qu’ils composent. Cette hiérarchie est parfois présentée comme la pièce maîtresse de
la construction juridique.
Kelsen a ainsi décrit l’ordre juridique comme une pyramide de règles hiérarchisées dont chacune tire sa
force de sa seule conformité à la norme immédiatement supérieure. Au sommet de cette pyramide,
après une mystérieuse norme fondamentale, i y a, selon lui, la Constitution, puis, en descendant les
échelons successifs, on trouve la loi et la coutume, les règlements, les actes juridiques infra-législatifs…
La hiérarchie des normes n’est alors envisagée que par rapport à des problèmes de validité.
La question se pose donc pour les principes généraux du droit de savoir si la loi et le règlement doivent
leur être conformes ou s’ils peuvent y déroger. Il faut, faut, pour y répondre, définir les principes
généraux (Paragraphe I) et en déterminer la force (Paragraphe II).
Depuis que la Constitution de 1958 a institué en France le Conseil constitutionnel, le Conseil d’Etat ne
maîtrise plus seul la théorie des principes généraux du droit. Cette théorie est en effet utilisée
maintenant aussi bien pour le contrôle de la constitutionnalité des lois que pour celui de la légalité des
actes administratifs. Il faut dès lors s’interroger sur la distinction des principes généraux, des principes
et règles à valeur constitutionnelle e des principes fondamentaux du droit (A) avant de déterminer leur
valeur dans l’échelle des normes (B).
A. PRINCIPES GENERAUX ET PRINCIPES FONDAMENTAUX DU DROIT
Jusqu’à ce que fût institué en France, par la Constitution de 1958, le Conseil constitutionnel, savoir si
les principes généraux du droit ou certains d’entre eux avaient valeur constitutionnelle avait moins
d’intérêt, bien que la Constitution de 1946 ait déjà consacré des « principes fondamentaux reconnus par
les lois de la République » et que le Conseil d’Etat ait déjà qualifié ainsi la liberté d’association. La loi,
fût-elle contraire à la Constitution, ne pouvait être remise en cause, faute de système de contrôle a
posteriori de sa constitutionnalité. Tel n’est plus le cas depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet
208 par laquelle a été ajouté à la Constitution un nouvel article 61-1 et la loi organique n°2009-1523 du
10 décembre 2009 qui a institué la « Question prioritaire de constitutionnalité » (QPC), applicable
depuis le 1er mars 2010. L’article 61-1 de la constitution dispose que « lorsque, à l’occasion d’une
instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux
droits et libertés que la Constitutions garantit, le Conseil constitutionnel peut-être saisi de cette question
Toute appréciation de l’importance matérielle des principes généraux comporte une part d’arbitraire. Il
est difficile de distinguer les principes généraux de simples règles de droit, de propositions purement
techniques, de divers instruments matériels du droit : la règle « actori incumbit probatio » est-elle un
principe général ou une règle technique ? Le formalisme peut-il constituer un véritable principe général
ou n’est-il jamais qu’un instrument ? Même si l’on parvenait à bien circonscrire les principes généraux,
en application des critères retenus ci-dessus, on ne saurait en dresser une liste exhaustive ou définitive
car la matière est en constante évolution. On peut néanmoins en constater la diversité (A) et tenter de
les classer (B).
A. DIVERSITE DES PRINCIPES GENERAUX
Les principes généraux sont très hétérogènes quant à la forme et quant au fond. Certains prennent la
forme de maximes, souvent de locutions latines ? Certains adages ont été expressément transcrits
dans les textes. L’article 2276 du Code civil énonce ainsi « qu’en fait de meubles, possession vaut
titre ». Certains principes sont exprimés dans les textes ; d’autres sont formellement consacrés par la
jurisprudence ; d’autres enfin sont implicites, mais reconnus. Quant au fond, certains principes
généraux paraissent empruntés à la morale, à l’équité ou au droit naturel : le principe de bonne foi,
l’adage « fraus omnia corrumpit » sont, à l’évidence, d’inspiration morale. D’autres principes généraux,
tels que le principe « nul n’est censé ignoré la loi » ou les principes qui gouvernent la combinaison ou
l’interprétation des textes ou encore le droit de la preuve ont seulement une finalité technique et sont
S’agissant de définir la règle de droit par opposition aux autres règles sociales non juridiques, Jean
Carbonnier retient en dernière analyse « qu’est juridique ce qui est propre à provoquer un jugement, ce
qui est susceptible de procès, justiciable de cette activité très particulière d’un tiers personnage que l’on
appelle arbitre ou juge ».
Mais l’acte juridictionnel suppose un contrôle préalable de la situation de fait et de droit qui le justifie.
Sans méconnaître l’importance de l’arbitrage privé, c’est le pouvoir judiciaire qui est investi de la
fonction de juger, autrement dit d’assurer la répression des violations du droit et de trancher, sur la base
du droit, avec force de vérité légale, les contestations qui s’élèvent à propos de l’existence ou de
l’application des règles juridiques.
L’action en justice est le pouvoir reconnu aux personnes juridiques de s’adresser à la justice pour
obtenir le respect de leurs droits et de leurs intérêts légitimes. Il est maintenant acquis que l’action ne se
confond pas, comme on l’a soutenu jadis, avec le droit subjectif qu’elle tend à protéger, car cette action
et ce droit ne vont pas nécessairement de pair. Mais le contentieux n’a pas toujours pour objet d’assurer
la protection des droits individuels des particuliers. A côté de ce contentieux subjectif, il existe un
contentieux objectif qui n’a pour but que d’assurer le respect de la légalité abstraite pour sanctionner
pénalement des infractions, faire annuler un acte administratif illégal ou obtenir la défense des intérêts
collectifs des personnes morales… Il est alors difficile d’analyser l’action en justice en un droit subjectif
autonome et préférable de la qualifier de pouvoir légal reconnu à toutes les personnes physique ou
morales, publiques ou privées, françaises ou étrangères, de s’adresser à une juridiction pour obtenir le
respect de ses droits ou de ses intérêts légitimes ou la réparation de leur violation. L’article 30 du Code
de procédure civile définit l’action comme « le droit, pour l’auteur d’une prétention, d’être entendu sur le
fond de celle-ci afin que le juge la dise bien ou mal fondée » et « pour l’adversaire… de discuter le
bien-fondé de cette prétention ».
L’action en justice a dès lors pour but de provoquer une décision de justice. Mais il faut observer que le
demandeur n’a pas nécessairement d’adversaire : le juge peut être saisi « en l’absence de litige »
d’une « demande dont la loi exige… qu’elle soit soumise à son contrôle » (C. pr. Civ. art. 25 et s.), pour
une adoption, par exemple. Dès lors la décision de justice peut intervenir en matière non seulement
contentieuse, mais aussi gracieuse, la question étant alors de savoir si elle a ou non un caractère
juridictionnel. En tout état de cause, l’action est le moyen de s’adresser au juge (Section I) pour obtenir
une décision de justice à l’issue d’un procès (Section 2).
Mais la sécurité et la qualité de la décision de justice dépendent des garanties données au justiciable ;
tant en ce qui concerne ses juges que quant au déroulement de son procès. Indépendamment des
règles techniques qui régissent l’organisation judiciaire ou les diverses procédures et qui sont hors de
propos, ici, il convient de dégager les grands principes dont procèdent ces garanties.
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Dans certains cas, les juridictions fédérales ne se trouvent qu’au sommet de la hiérarchie. Dans d’autres, comme
aux Etats-Unis, si le principe est celui de la compétence des juridictions d’Etats qui jugent environ 95 % des
affaires, les juridictions fédérales sont parfois compétentes dès la première instance, en raison de la nature du
litige ou de la personne des plaideurs, lorsque la Constitution ou une loi du Congrès leur attribue cette
compétence.
En droit français, seuls les cours et tribunaux institués par l’Etat ont le pouvoir de rendre des décisions ayant
autorité de la chose jugée et force exécutoire. Si les parties peuvent convenir de soumettre leur différend à un ou
plusieurs arbitres, elles restent cependant soumises au contrôle de l’Etat car les sentences arbitrales n’acquièrent
force obligatoire que par « l’exequatur » d’un juge d’Etat et sont normalement susceptibles d’appel devant les
juridictions judiciaires.
Au-delà même des particularismes des différents systèmes de droits quant au statut des juges, élus ici,
comme aux Etats-Unis (dans quarante Etat), fonctionnaires là, comme en France, recrutés parmi les
avocats ou autres juristes confirmés ailleurs (Grande-Bretagne, pays du Commonwealth, juges
fédéraux et juridictions de certains Etats aux Etats-Unis), presque tous les pays cherchent par leur
organisation juridictionnelle à concilier l’impartialité et l’aptitude technique des juges avec la sécurité , la
rapidité, l’économie et la commodité de la procédure pour le justiciable. A cet égard, chaque ordre
juridique national établit son propre point d’équilibre « en fonction de ses traditions historiques, du
tempérament de son peuple, de son idéologie politique et… des contraintes de son budget ». Mais,
dans tous les pays, la qualité de la justice, recherchée à travers l’organisation juridictionnelle, se
cristallise autour de trois grands problèmes : la compétence des juridictions (A), leur hiérarchie et les
voies de recours (B), la question de la collégialité ou du juge unique (C).
A. LA COMPETENCE DES JURIDICTIONS
La compétence d’une juridiction peut se définir comme l’étendue du pouvoir de juger qui lui est attribué.
La fonction juridictionnelle est en effet répartie en une multitude d’organes dont
La compétence des juridictions dépend de deux paramètres correspondant à leur compétence
d’attribution et à leur compétence territoriale (a). Mais la compétence d’attribution des juridictions est
dominée par le problème de l’unité ou de la dualité des juridictions judiciaires et administratives (b) et
par celui du contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois (c).
a) Compétence d’attribution et compétence territoriale
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En France, par exemple, s’agissant d’une affaire relevant de la compétence du tribunal de grande instance, le
demandeur doit déterminer, parmi les 160 tribunaux de grande instance existants, lequel est compétent pour
juger son affaire. La règle générale est alors, sauf dispositions contraires propres à des types d’affaires
déterminées, que c’est le tribunal du lieu où demeure le défendeur qui est territorialement compétent.
Mais la dispersion géographique des tribunaux est plus ou moins importante selon leur nature et leur degré. Le
principe est que l’on passe de la multiplicité à l’unité et de la déconcentration à la concentration au fur et à
mesure que l’on s’élève dans la hiérarchie des juridictions. Ainsi, en France, il existe, depuis la réforme de la « carte
judiciaire » achevée en 2010, 305 tribunaux d’instance, mais seulement 160 tribunaux de grande instance, puis 35
cours d’appel conduisant à une juridiction suprême unique dans l’ordre judiciaire, la Cour de cassation. Dans
l’ordre administratif, pour 42 tribunaux administratifs et 8 cours administratives d’appel et 26 chambres régionales
des comptes, il n’existe, au niveau supérieur, qu’une seule juridiction administrative, le Conseil d’Etat, et une seule
juridiction financière, elle-même soumise au contrôle de cassation du Conseil d’Etat, la Cour des comptes.
L’organisation judiciaire anglaise est caractérisée au contraire par sa concentration à Londres, que traduit
l’existence d’une seule juridiction supérieure la « Supreme Court of judicature » comportant trois formations (la
« High Court of justice », la « Crown Court » et la « Court of appeal ») et sur laquelle s’exerce le contrôle très
exceptionnel de la Chambre des Lords. Or, la « Supreme court of judicature » qui peut, en principe et dans tous
les cas, être saisie directement par les plaideurs, se dessaisit alors, en pratique, au profit d’une cour inférieure. Elle
peut, inversement, évoquer tout litige dont une autre cour est saisie. Mais, au-delà de cette concentration de
principe, 90 % des affaires civiles sont jugées par les cours de comté, 95 % des infractions pénales majeures sont
soumises aux « Magistrates’courts » ou aux « Crown courts » ; la grande majorité des litiges administratifs est
réglée par diverses commissions. La déconcentration, en matière d’« equity » s’opère grâce à deux cours situées à
Durham et Machester ; en matière de « Common law », elle est réalisée par des tournées « d’assises » en province
des juges de la Cour suprême (« Queen’s bench division » ou « family division » de la « High court of justice ») ; en
matière de divorce, des « comissioners » exercent en permanence dans 53 villes les fonctions réservées aux juges
de la Cour suprême.
Aux Etats-Unis, à l’image de la structure institutionnelle, l’organisation judiciaire est dominée par la distinction des
juridictions fédérales et des juridictions des Etats fédérés. Mais parmi les cours fédérales, on distingue, au niveau
inférieur, une centaine de cours de district, tandis qu’il existe 15 « US Courts of Appeals ». En outre, leurs
audiences sont déconcentrées dans les subdivisions des districts et dans les principales villes de leur ressort.
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On retrouve, à l’étranger, des phénomènes identiques. En Angleterre, il existe une grande variété de juridiction
inférieures ayant une compétence matérielle particulière : les « County courts » ont une très large compétence ; en
matière pénale, ce sont les « Magistrates’courts » et les « Crown courts » qui statuent le plus souvent ; en matière
administrative, il existe des organes divers : « Boards », « Commissions » ou « tribunals ». Mais, seuls les juges de
la « Supreme court of judicature » et de la « Chambre des Lords » sont véritablement dépositaires du pouvoir
judiciaire et, seule, la Cour suprême détient une compétence générale pour toutes les affaires. Or la Cour suprême
est juge en appel des cours inférieures et des organes compétents en matière administrative. Elle a plénitude de
juridiction pour toutes les affaires. Aux Etats-Unis, il existe, outre les cours fédérales de droit commun, des cours
fédérales spéciales ayant compétence dans des matières particulières, mais contre les décisions desquelles un
appel est toujours possible devant les cours fédérales de droit commun. Quant aux juridictions des Etats, dont
l’organisation est variable, elles comportent, à côté des Cours suprêmes ou juridictions analogues, des juridictions
d’exception très variées.
SECTION II : LE PROCES
Il faut réduire le coût et la durée du procès pour favoriser l’accès à la justice, pallier l’actuelle
désaffection des justiciables envers la justice et rendre à la sanction judiciaire toute son efficacité. Si
des progrès notables ont été réalisés en France vers la gratuité de la justice, la lenteur des procédures
y est inquiétante du fait de l’encombrement des juridictions. Mais on ne peut accélérer la procédure
sans risquer d’y compromettre certaines garanties fondamentales, nécessaires à l’équilibre des rapports
entre les plaideurs et de ceux qui s’établissent entre les plaideurs et le juge.
Or, les solutions techniques varient dans le temps et dans l’espace, selon la conception que l’on retient
de la fonction judiciaire. « Le procès est situé au carrefour du droit public et du droit privé. Pour les
parties, le procès est instrument de satisfaction des droits privés. Mais pour l’Etat, c’est une forme de
réalisation du droit ». Tout dépend de savoir si l’accent est mis davantage sur la satisfaction des intérêts
des parties, conception individualiste et libérale, ou sur la souveraineté du droit et de la justice,
conception plus objective. L’orientation retenue détermine à la fois les caractères du procès
(Paragraphe I) et les principes généraux qui le régissent (Paragraphe II).
Mais la loyauté du procès est surtout garantie par le principe du contradictoire (A) et les formes de la
procédure (B).
A. LE PRINCIPE DU CONTRADICTOIRE