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Matière

: MANAGEMENT STRATÉGIQUE Année universitaire : 2022 – 2023


Équipe pédagogique : Pr. S. OULFARSI / Pr. H. SAKALLI /Pr. A. EL AMRI
Cas 1 : Airbnb, l’apparition d’une licorne
En référence à l’animal mythique décrit depuis l’Antiquité, réputé aussi rare que difficile à
dompter, une licorne, dans le jargon de l’industrie américaine du capital-risque, était une start-
up dont la valorisation dépassait le milliard de dollars. Airbnb était une de ces licornes : fin
2016, seulement neuf ans après sa création, sa valorisation dépassait les 30 milliards de
dollars, soit autant que celles de Hilton et de Hyatt réunies. Comment expliquer un tel succès
?

Les origines

Les fondateurs d’Airbnb, Joe Gebbia et Brian Chesky, se rencontrèrent à l’école de design du
Rhode Island. Cinq ans plus tard, alors âgés de 27 ans, ils avaient du mal à payer leur loyer à
San Francisco. En 2007, à l’occasion d’une conférence sur le design, pour laquelle tous les
hôtels de la ville affichaient complet, ils créèrent un site Internet très simple, présentant des
photos de leur logement, avec trois matelas gonflables à même le sol et la promesse d’un petit
déjeuner maison au réveil. Ils attirèrent ainsi leurs trois premiers clients, qui payèrent chacun
80 dollars. Ils comprirent alors le potentiel de leur idée. Tous les deux voulaient être
entrepreneurs. Brian avait déjà une expérience en la matière : il avait élaboré un coussin
contre le mal de dos pour lequel il avait construit un site Internet1. Dès le lendemain, ils
créèrent le site www.airbedandbreakfast.com.

Ils décidèrent de cibler les conférences et les festivals à travers les États-Unis, en
convainquant des propriétaires locaux de proposer leurs chambres sur un site créé par un de
leurs anciens colocataires, par ailleurs programmeur, Nathan Blecharczyk. À l’été 2008,
Barack Obama devait donner un discours lors de la convention nationale du parti démocrate
qui se tenait à Denver. Plus de 80 000 personnes étaient attendues. Joe et Brian estimèrent
qu’il n’y aurait pas assez de chambres d’hôtel pour les accueillir toutes. Ils se précipitèrent
pour terminer leur site Internet à temps et réussirent à enregistrer 800 réservations en une
semaine. En revanche, ils ne gagnèrent rien car l’argent était intégralement versé aux
propriétaires des logements. Ils ajoutèrent donc rapidement une solution de paiement sur le
site, ce qui leur permit de prélever jusqu’à 15 % du montant de la location (l’hôte payait 3 %
et le voyageur entre 6 et 12 %). Dès avril 2009, ils étaient à l’équilibre financier.

La croissance

Il ne leur était pas facile d’attirer des investisseurs, qui les considéraient comme des designers
et non comme des entrepreneurs classiques. De plus, le marché potentiel pour des chambres le
plus souvent équipées de matelas gonflables semblait limité.

Pourtant, en 2009, le site reçut un premier apport de 20 000 dollars de Paul Graham, le co-
fondateur de Y Combinator, un programme d’accompagnement de start-up. Cet investisseur
providentiel avait été impressionné par leur inventivité et leur ténacité. L’entreprise fut
renommée Airbnb. Sur son site et sur son application mobile, elle mettait en relation des
personnes cherchant un hébergement avec des propriétaires qui proposaient à la location leur
maison, leur appartement ou leur chambre. En novembre 2010, Airbnb leva 7,2 millions de
dollars, ce qui lui permit d’étendre son service à 8 000 villes dans le monde, d’accroître le
nombre de ses salariés à 800 et de déménager de l’appartement de ses fondateurs – où les

1
équipes participaient à des réunions téléphoniques depuis les toilettes et tenaient des
conférence dans la cuisine – à des bureaux situés dans un quartier branché de San Francisco.
Le tableau 1 illustre les premiers épisodes de l’histoire d’Airbnb.

Cependant, en 2010, la croissance d’Airbnb semblait marquer le pas à New York. Joe et Brian
louèrent directement des logements auprès de 24 hôtes et se rendirent sur place pour
comprendre le problème. Ils comprirent rapidement que les hôtes présentaient très mal leur
logement. Ils louèrent donc un appareil photo à 5 000 dollars et prirent le plus de photos
possible des appartements de New York. Les demandes doublèrent immédiatement. À partir
de ce moment, les hôtes eurent la possibilité de faire appel à un photographe professionnel.
En 2012, Airbnb faisait ainsi appel à 20 000 photographes indépendants de par le monde. Les
photos permettaient aussi de créer de la confiance pour les locataires car elles certifiaient les
adresses. L’entreprise introduisit aussi Airbnb Social Connections, un système qui s’appuyait
sur les relations Facebook de ses utilisateurs : un voyageur pouvait voir si ses amis avaient
déjà loué un logement ou s’ils connaissaient son propriétaire. Il était également possible de
sélectionner un propriétaire en fonction d’autres caractéristiques, comme l’université où il
avait fait ses études. Toutes ces informations permettaient de rassurer les utilisateurs
potentiels.

En juillet 2011, Airbnb leva de nouveau 112 millions de dollars, et put ainsi racheter deux de
ses concurrents en Allemagne et au Royaume-Uni, juste à temps pour les jeux olympiques de
Londres. Des bureaux furent ouverts à Paris, à Barcelone et à Milan. La croissance d’Airbnb
devint explosive, avec une valorisation supérieure à celle des groupes hôteliers AccorHotels,

2
Hyatt et Wyndham en 2014 et plus de nuits réservées que dans tout le groupe Hilton (voir la
figure 1). Début 2016, avec un montant de 25 milliards de dollars, la valorisation d’Airbnb
dépassait celle de tous les groupes hôteliers. L’entreprise justifiait ce chiffre en expliquant
qu’en divisant le rapport entre sa valorisation de 25 milliards et ses ventes de 900 millions –
soit 27,8 – par son taux de croissance annuel – soit 113 % –, on obtenait une valorisation
habituelle dans son industrie2. Airbnb prévoyait un chiffre d’affaires de 10 milliards de dollars
en 2020, avec un résultat net de 3 milliards.

Airbnb était particulièrement attractif pour les voyageurs et pour les hôtes car ses annonces
étaient de meilleure qualité que celles qui étaient disponibles sur d’autres sites comme
Craiglist ou Homelidays. Elles étaient plus personnelles, avec de meilleures descriptions, et
de plus belles photos qui les rendaient plus attirantes. Les chambres proposées sur Airbnb
étaient aussi moins chères que leurs équivalents dans des hôtels et elles étaient plus
personnalisées. Lors d’un séjour à Paris, un utilisateur avait ainsi remarqué que l’hôte avait
laissé une sélection d’aliments dans le réfrigérateur, une bouteille de vin sur la table de la
cuisine et une liste des meilleurs endroits pour dîner et faire des achats aux alentours. Louer
dans l’appartement d’une autre personne donnait beaucoup plus l’impression d’être chez soi
que dans une chambre d’hôtel anonyme. Pour beaucoup de jeunes utilisateurs, Airbnb était en
phase avec la culture du partage et l’économie collaborative. Pour les hôtes, les locations
constituaient une source de revenus complémentaire qui aidait à payer leur logement, dont le
coût est toujours plus élevé dans beaucoup de grandes villes.

La gestion de la croissance

En 2013, le fondateur et directeur général d’Airbnb, Brian Chesky, adressa le message suivant
à son équipe de direction3 :

« Chère équipe,

Notre prochaine réunion est consacrée aux valeurs fondamentales, qui sont essentielles pour
construire notre culture. J’ai eu le sentiment qu’avant cette réunion, je devais vous écrire ce
court message pour expliquer pourquoi la culture est si importante pour Joe, Nate et moi [les
co-fondateurs].

3
[...] En 2012, nous avons invité Peter Thiel [co-fondateur de PayPal et premier investisseur de
Facebook] dans nos bureaux. C’était l’année dernière et nous étions dans la salle Berlin en
train de lui montrer toute une série de chiffres. Au milieu de la conversation, je lui ai demandé
quel était le conseil le plus important qu’il pouvait nous donner.

Il a répondu : “Ne bousillez pas votre culture”.

Ce n’est pas ce que nous attendions de quelqu’un qui venait juste de nous donner 150
millions. Je lui ai donc demandé de préciser sa pensée. Il a dit qu’une des raisons pour
lesquelles il avait investi sur nous était notre culture. Mais selon lui, dès qu’une entreprise
atteignait une certaine taille, elle finissait inévitablement par “bousiller” sa culture. »

Suite à ce message, Airbnb commença à gérer sa culture de manière plus délibérée. Par
exemple, Joe Gebbia s’inquiétait du fait qu’avec la croissance, l’entreprise était moins ouverte
au dialogue. Afin d’encourager les échanges, il inventa trois notions : les éléphants, les
poissons morts et la bile. Selon lui4 : « Les éléphants sont les gros problèmes dont personne
ne parle, les poissons morts sont les choses qui se sont passées il y a plusieurs années mais
que les gens ne parviennent pas à surmonter et la bile est le fait que de temps à autre les gens
ont besoin de dire le fond de leur pensée, et qu’il faut que quelqu’un soit là pour les écouter.
» Ces trois problèmes devaient être résolus. L’entreprise établit alors une série de réunions
annuelles appelées « One Airbnb », consistant à faire venir des salariés du monde entier à San
Francisco pour des conférences de quatre jours au cours desquelles chacun pouvait rencontrer
les fondateurs, discuter de la stratégie et parler tout aussi bien de son travail que de ses
passions personnelles. Les salariés étaient surnommés « la famille Airbnb » ou « Airfam » et
chaque bureau dans le monde incluait une équipe appelée « contrôle au sol », chargée de
raviver la culture en organisant des fêtes d’anniversaire ou des célébrations de naissances.
Dans ses processus de recrutement, Airbnb insistait sur le fait qu’elle embauchait « des
missionnaires, pas des mercenaires. »

Dans le même temps, les trois fondateurs – Joe Gebbia, Brian Chesky et Nathan Blecharczyk
– s’étaient interrogés sur la mission d’Airbnb et sur la grande idée qui définissait réellement
l’entreprise. Comme ils le soulignaient eux-mêmes5 : « la réponse était juste devant nos yeux.
Pendant si longtemps, les gens ont pensé qu’Airbnb servait à louer des logements, alors qu’en
fait, il s’agit de maisons. Vous voyez, un logement c’est juste des mètres-carrés, alors qu’une
maison c’est chez vous. Ce qui fait que cette communauté globale est si spéciale, c’est que
pour la toute première fois, vous pouvez être chez vous n’importe où. C’est cette idée qui est
au cœur de notre entreprise. »

Airbnb en 2016

En 2016, Airbnb proposait plus de 1,5 million d’offres dans 34 000 villes et dans 192 pays,
avec un total de 60 millions d’utilisateurs. N’importe qui, n’importe où dans le monde,
pouvait proposer un espace à louer, d’une chambre de bonne à une maison dans les arbres,
d’un château à une île dans l’archipel des Fidji, à des prix allant de 50 à 2 000 dollars pour la
nuit. Les pages du site étaient consultés 30 millions de fois par mois. Les murs du siège de
San Francisco étaient couverts de cartes du monde où chaque location était figurée par une
épingle colorée. Sur Airbnb, une location était conclue toutes les deux secondes6.

L’entreprise s’intéressait désormais à l’ensemble du voyage, avec la volonté de proposer des


expériences locales. Cela passait non seulement par le lieu de résidence, mais aussi par les

4
activités sur place, et les personnes avec qui les vivre. Pour cela, Airbnb avait conclu des
partenariats avec des cafés qui proposaient le wifi gratuit, des fauteuils confortables et des
guides touristiques, et racheté une start-up qui mettait en relation les utilisateurs avec des
habitants pouvant répondre à leurs questions. Un service de nettoyages des logements était
aussi proposé.

Airbnb posait un sérieux problème aux hôtels, avec des prix de 30 à 80 % inférieurs. Les
hôtels de San Francisco avaient ainsi été forcés de réduire leurs prix pour maintenir leur taux
d’occupation. De fait, les hôteliers avaient réagi en affirmant que les chambres proposées sur
Airbnb ne respectaient pas les normes de sécurité, et ils avaient réussi à faire voter des
réglementations contraignantes. Alors qu’il fallait désormais un permis pour louer un
logement pendant moins de 30 jours, certains propriétaires de San Francisco continuaient
pourtant à louer illégalement. A New York, une nouvelle loi permettant de lutter contre les «
hôtels illégaux » interdisait de louer un appartement pour moins de 29 jours. À Berlin, à
Barcelone et à Paris, les élus locaux s’inquiétaient de voir le succès d’Airbnb faire flamber les
prix du marché locatif : un nombre croissant de propriétaires préféraient louer sur Airbnb, ce
qui provoquait une raréfaction des offres pour les habitants. De fait, les réglementations
étaient de plus en plus drastiques, les contrôles de plus en plus fréquents et les amendes de
plus en plus sévères, notamment pour les hôtes qui ne déclaraient pas les revenus de leurs
locations.

Après avoir adopté un nouveau logo en 2014, Airbnb repensa son site Internet et ses
applications en 2016, afin de signaler sa nouvelle ambition : aller au-delà d’un service
d’hébergement. Airbnb voulait que son logo apparaisse sur toute une variété de produits, de
lieux et de partenaires partageant ses valeurs, désormais centrées autour des notions
d’expérience et d’appartenance.

Dans le même temps, la concurrence était en effervescence, avec notamment HomeAway


(une filiale d’Expedia), Wimdu (une filiale de Rocket Internet), OneFineStay (une filiale
d’AccorHotels), Roomorama, HouseTrip, Flipkey ou Travel Advisor. De même, plusieurs
sites Internet, comme airbnbhell.com, recensaient les utilisateurs indélicats. Pour autant,
l’introduction en Bourse d’Airbnb était envisagée pour 2017, et elle promettait d’être une des
plus importantes de tous les temps.

Sources

1. J. Salter, « Airbnb: The story behind the $1.3bn room-letting website », The Telegraph, 7 septembre 2012 ; A. Lee, «
Welcome to The Unicorn Club: learning from billion-dollar startups », TechCrunch, 2 novembre 2013. 


2. Le ratio prix/ventes sur croissance annuelle est de 24,6 pour Airbnb, de 19,2 pour Marriott, de 34,1 pour Wyndham et de
12,2 pour Expedia (« Why that crazy-high AirBnB valuation is fair », www.valuewalk.com, 1er janvier 2016). 


3. medium.com. 


4. B. Clune, « How Airbnb is building its culture through belonging », Culture Zine. 


5. http://blog.airbnb.com/belong-anywhere/. 


6. Zacks.com, « Investing in resting: Is Airbnb a top 2016 IPO candidate? », 11 décembre 2015.

7. Stratégique


5
Questions

1. Expliquez le caractère stratégique de la situation d’Airbnb. Trouvez des exemples de


chacun des éléments du modèle VIP (valeur, imitation, périmètre). Déduisez-en une
formulation de la stratégie d’Airbnb en moins de 35 mots


2. Menez une analyse des trois horizons pour Airbnb, à la fois en termes d’activités existantes
et de développements possibles. Comment cette analyse peut-elle affecter les
orientations stratégiques d’Airbnb ? 


3. Dressez la liste des éléments du diagnostic stratégique d’Airbnb qui relèvent


respectivement de l’environnement, de la capacité stratégique, de l’intention
stratégique et des influences culturelles. À votre avis, quels sont les aspects les plus
importants ? 


4. À partir de votre réponse à la question précédente, quels autres choix stratégiques


proposeriez-vous à Airbnb ? 


5. Convertir une stratégie en actions peut se révéler difficile. Montrez comment Airbnb a
mené ce déploiement. 


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