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Balé Politica e Diplomacia - Opera de Paris
Balé Politica e Diplomacia - Opera de Paris
Stéphanie Gonçalves
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1. Yale Richmond, Cultural exchange and the Cold War, Raising the iron curtain, College Park, The
Pennsylvania State University, 2003, p. 10.
2. Jessica Zeller, Shapes of American Ballet, Teachers and Training Before Balanchine, Oxford, Oxford
University Press, 2016 ; Karen Eliot, Albion’s dance: British ballet during the Second World War, New York,
Oxford University Press, 2016.
3. L’Opéra de Paris n’a pas fermé pendant la guerre et Lifar a continué à y développer ses activités
de ballet, en collaborant avec les Allemands. Il accueille Goebbels à l’Opéra le 1er juillet 1940, organise
des tournées avec les Allemands, fait partie du Groupement corporatif de la danse de la Propaganda
Staffel et participe aux évènements mondains parisiens organisés par les nazis. Pour plus de préci-
sions sur ces activités : Mark Franko, « Serge Lifar et la question de la Collaboration, 1940-1949 »,
Vingtième Siècle. Revue d’histoire, n° 132, octobre-décembre 2016, pp. 27-41. Lors de son procès pour
collaboration le 26 octobre 1946 devant le Comité national d’épuration, il est condamné à passer un
an loin de l’Opéra. Il part à Monaco où il participe, comme danseur et chorégraphe, au Nouveau
Ballet de Monte-Carlo. Patrizia Veroli, « Serge Lifar historien et le mythe de la danse russe dans la
Zarubezhnaja Rossija (Russie en émigration) 1930-1940 », in Daniela Rizzi et Patrizia Veroli (dir.),
Omaggio a Sergej Djagilev. I Ballets Russes (1909-1929) cent’anni dopo, Avellino, Vereja, 2012 ; Patrizia
Veroli, « La dernière étoile de Diaghilev dans la Russie en émigration. Serge Lifar de 1929 à 1939 »,
Recherches en danse, n° 5, 2016, http://danse.revues.org/1419, site consulté en mars 2017.
Relations internationales, no 170/2017
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4. Dans sa biographie de Lifar, Florence Poudru, Serge Lifar. La danse pour patrie, Paris, Hermann
éditeurs, 2007, p. 145, affirme que celui-ci n’aurait pas participé à la tournée américaine. Les sources
diplomatiques, la presse américaine et française ainsi que les autobiographies des danseurs nous
indiquent le contraire.
5. Jean-Baptiste Jeener, « Le corps de ballet de l’Opéra séduit par les voyages », Le Figaro, 29-30 août
1948, p. 4 ; Le Monde, 15 octobre 1948, p. 6.
6. John Martin, « Paris Opera Ballet gets city’s greeting », The New York Times, 21 septembre
1948, p. 31 ; Jean-Baptiste Jeener, op. cit.
7. Archives du ministère des Affaires Étrangères, La Courneuve (ci-après : AMAE-La Courneuve),
DGRCST, Échanges culturels 1948-1955, 554INVA185/3, lettre de Joxe au Directeur d’Air France,
16 juillet 1948.
8. Pour le contexte : Serge Berstein et Pierre Milza (dir.), L’Année 1947, Paris, Presses de la
Fondation nationale des sciences politiques, 2000. Lifar réintègre officiellement l’Opéra le 24 septem-
bre 1947, ce qui déclenche une grève des machinistes (1er-18 octobre) : « Nouveaux incidents hier soir
à l’Opéra où les machinistes croisent les bras devant S. Lifar », Franc-Tireur, 2 octobre 1947 ; « Moscou
a encore interdit hier la représentation à l’Opéra », L’Aurore, 2 octobre 1947. À la suite de ces grèves,
Le retour de Lifar à l’Opéra est contesté par les techniciens mais souhaité
par une grande partie du corps de ballet, dont les étoiles comme Yvette
Chauviré9. La tension sociale n’empêche pourtant pas Lifar de faire des
projets et d’accepter, avec l’administrateur Georges Hirsch, l’invitation
de New York pour fêter son Jubilé d’or (Golden Jubilee) à l’été 194810.
Sa présence – comme on le verra – monopolisa l’attention de la presse
américaine.
Préparer la tournée
Aller à New York : voilà bien un rêve que partagent nombre de dan-
seurs et danseuses de l’Opéra de Paris au début de l’année 1948, « un
voyage au long cours au parfum de grandes vacances11 ». Claude Bessy se
rappelle avec nostalgie cette époque de liberté et « d’abondance » :
[…] à bord de paquebots semblables à des villes flottantes où nous nous
amusons beaucoup, que ce soit à l’aller l’Empress of Canada, ou au retour le De
Grasse, à bord duquel je fêterai mon seizième anniversaire. […] La liberté est à
moi. Après des années de privations, je découvre l’abondance, les boutiques, les
nourritures appétissantes et copieuses, les parades et les fêtes de rue, la mythique
Amérique12.
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un compromis est trouvé entre partisans et détracteurs de Lifar : il revient seulement en tant que maître
de ballet et ne peut plus apparaître sur scène jusqu’en 1949. Henry Rousso, Le Syndrôme de Vichy, de
1944 à nos jours, Paris, Seuil, 1990.
9. Archives Nationales de France (ci-après : AN), 19900035/81, Opéra national de Paris
Administration du personnel – dossier individuel de Yvette Chauviré (extraits), lettre de Chauviré à
l’Administrateur, 27 juillet 1947.
10. Le Jubilé commémore le regroupement en 1898, cinquante ans auparavant, de cinq quartiers
de New York (Manhattan, Bronx, Queens, Brooklyn, Richmond) en une seule entité.
11. Yvette Chauviré, Gérard Mannoni, Autobiographie, Strasbourg, Le Quai, 1997, p. 80 ; Claude
Bessy, La Danse pour passion, Paris, Jean-Claude Lattès, 2004, p. 42.
12. Claude Bessy, ibid.
13. Sophie Jacotot, Danser à Paris dans l’entre-deux-guerres, Lieux, pratiques et imaginaires des danses
de société des Amériques (1919-1939), Paris, Nouveau Monde, 2013, p. 14.
14. AMAE-La Courneuve, DGRCST, Échanges culturels 1948-1955, 554INVA185/3, lettre de
Seydoux au Ministre des Finances, 2e bureau, 18 juin 1948.
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15. Le diplomate François Seydoux Fornier de Clausonne (1905-1981), en 1948, est le directeur
des Affaires d’Europe au MAE. Catherine Lanneau, L’Inconnue française : la France et les Belges franco-
phones, 1944-1945, Bruxelles, P.I.E. Peter Lang, 2008, p. 282. Philippe Erlanger est le directeur de
l’Association française d’action artistique entre 1938 et 1968 (abstraction faite des années 1940-1944 où
il est exclu de la fonction publique par le statut des juifs de 1940) ; il est l’une des chevilles ouvrières des
échanges artistiques français à l’étranger. C’est à lui que revient l’idée du Festival de Cannes en 1939.
16. AMAE-La Courneuve, DGRCST, Échanges culturels 1948-1955, 554INVA547,
« Participation du corps de ballet de l’Opéra au festival de Zurich », 1944-1949, rapport sur la prépara-
tion de la tournée à Zurich d’un corps de ballet de l’Opéra, juin 1944.
17. Ibid., 554INVA185/3, lettre de Seydoux au Consul général de France à New York, 16 janvier
1948. Les Ballets des Champs-Élysées (1945-1951) sont dirigés par Roland Petit et Janine Charrat.
La compagnie est très créative, développant des ballets qui ont compté, comme Le Jeune Homme et la
Mort en 1946 et révèle des danseurs comme Jean Babilée. Gérard Manonni, « Les ballets des Champs-
Élysées », in Dictionnaire de la danse 2008, pp. 32-33.
18. Ibid., lettre (la date, illisible, est placée entre les lettres du 15 janvier et du 28 février 1948) et
lettre du 23 février 1948.
19. Ibid., lettre du 28 avril 1948.
20. Ibid., 554INVA18, lettre d’Erlanger à Eudes, directeur des Ballets des Champs-Élysées,
23 juillet 1948.
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28. S.H., « Art show covers 360 years in Paris », The New York Times, 21 septembre 1948, p. 25.
29. AMAE-La Courneuve, DGRCST, Échanges culturels 1948-1955, 554INVA185/3, lettre
d’Armand Bérard, chargé d’Affaires aux États-Unis, à la Direction générale des relations culturelles,
27 septembre 1948.
30. Ibid., lettre d’Erlanger, Direction générale des relations culturelles, à Georges Hirsch,
Administrateur de la Réunion des théâtres lyriques nationaux (RTLN), 26 avril 1948.
31. « Notables to attend bow of Paris troupe », The New York Times, 19 septembre 1948, p. 75.
32. AMAE-La Courneuve, DGRCST, Échanges culturels 1948-1955, 554INVA185/3, lettre de
Seydoux au Consul général de France à New York, 28 avril 1948.
33. John Martin, « Ballet Russe list contains old and new names », The New York Times, 5 sep-
tembre 1948, p. 159.
34. Le Monde, 2 septembre 1948, p. 6.
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L’itinéraire
43. Idem.
44. « Les Spectacles », Le Monde, 27 août 1948, en ligne : www.lemonde.fr, site consulté en
avril 2014.
45. Yvette Chauviré, Gérard Mannoni, op. cit., p. 80.
46. Ibid., p. 43.
47. Le Figaro, 16 septembre, p. 4 ; « La première représentation de l’Opéra de Paris à Montréal a
été un triomphe », Le Figaro, 16 septembre, p. 4.
44 Stéphanie Gonçalves
57. Sol Hurok, Impresario, New York, Random House, 1946, p. 210.
58. John Martin, « Paris Opera gives ballet by Lifar », The New York Times, 24 septembre 1948,
p. 30, et « New works given by dance groups », The New York Times, 27 septembre 1948, p. 26.
59. Idem.
60. Le premier soir, le maire de New York, O’Dwyer, reçoit la croix de la Légion d’honneur par
le consul général de France, M. Chancel. John Martin, « Paris Ballet bows at city center », The New
York Times, 22 septembre 1948, p. 38.
61. John Martin, « Paris Ballet bows… », ibid, p. 38.
62. Yvette Chauviré, Gérard Mannoni, op. cit., p. 80.
63. Pour un portrait de Lifar en collaborationniste doublé d’un traître : Sol Hurok, op. cit., p. 215.
64. Claude Bessy, op. cit., p. 43 ; John Martin, « Paris Ballet bows… », op. cit., p. 38.
65. Nathalie Lecomte, « Basil, colonel Wassili de », in Dictionnaire de la danse 2008, pp. 38-39.
66. Florence Poudru, op. cit., pp. 35, 135 ; « Ballet russes australian tours (1936-1940) », dis-
ponible en ligne sur les archives de la National Library of Australia (www.nla.gov.au), site consulté en
septembre 2015.
67. Florence Poudru, op. cit., pp. 47, 171. Lifar est touché à l’avant-bras et le duel se termine dans
des embrassades. L’un des témoins de Cuevas n’est autre que Jean-Marie Le Pen, bandeau sur l’œil.
L’épisode a été très commenté par la presse et la télévision nationale et internationale de l’époque. « Le
différend Lifar-Cuevas », Le Monde, 28 mars 1958, consultable dans les archives en ligne du quotidien,
consulté le 17 septembre 2014 ; W. Granger Blair, « Marquis Pinks dancer in a ballet with swords on
the field of honor », The New York Times, 31 mars 1958, p. 1 ; vidéo en ligne sur les archives Pathé,
« Cuevas-Lifar duel », British Pathé (www.britishpathe.com), site consulté en septembre 2014.
68. « Ballet of Paris Opera draws big New York crowd », New York Herald Tribune, 23 septembre
1948, p. 5.
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son bilan réel69. Les notes diplomatiques sont centrées sur son triomphe,
sans omettre tout de même « l’épisode Lifar ». Mais les diplomates pré-
fèrent passer sous silence la question politique de la collaboration et mettre
en avant la rivalité artistique entre le ballet de l’Opéra et les compagnies
locales, se réfugiant derrière le thème d’une « cabale » contre Lifar, comme
le font une partie des danseurs qui soutiennent le maître de ballet70. La cri-
tique américaine, considérée comme « partiale », n’est pas avalisée par les
diplomates. Il n’est cependant pas aisé de « mesurer » l’efficacité réelle du
ballet en tournée, même si tous les billets ont été vendus71.
Cette tournée de 1948, bien qu’exceptionnelle à plusieurs titres, l’a
aussi été sur le plan financier : le déficit final s’élève à 21 502 000 francs,
soit quatre fois plus que la somme qu’avait accordée l’AFAA dans un pre-
mier temps72. Mais, lors du bilan de la saison, la tournée occupe une place
essentielle dans la valorisation de la troupe en France et à l’étranger. Bien
plus qu’une troupe de ballet en tournée, c’est l’identité française tout
entière et la volonté de conquête culturelle « et civilisatrice », qui sont en
jeu73. Se comparer aux autres troupes de ballet est une évidence : le Royal
Ballet anglais n’est pas encore allé aux États-Unis et l’Amérique apparaît,
après l’accueil réservé à la troupe de l’Opéra par Balanchine et les autres
compagnies, comme une concurrente dont il faut se méfier.
Il n’y a pourtant pas de repos pour la troupe du ballet de l’Opéra. Dès
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Stéphanie Gonçalves
Fonds national de la recherche scientifique
Université libre de Bruxelles
69. Danielle Fosler-Lussier, Music in America’s Cold War Diplomacy, Berkeley, University of
California Press, 2015.
70. AMAE-La Courneuve, DGRCST, Échanges culturels 1948-1955, 554INVA185/3, tél.
n° 257, Consulat de France à New York à MAE, 27 septembre 1948.
71. Ibid., lettre d’Armand Bérard, chargé d’affaire de France aux États-Unis, à la Direction
générale des affaires culturelles, 17 septembre 1948.
72. BMO, OPERA.ARCH 20/120, Admin. Référés de la Cour des Comptes n° 9939, 9941,
9943, 9947, au Ministre de l’Éducation nationale, 30 mai 1952. Selon le convertisseur de l’INSEE,
cela correspondrait aujourd’hui à environ 458 000 euros : « Calcul du pouvoir d’achat » consultable sur
le site de l’Institut national de la statistique et des études Economiques (www.insee.fr), site consulté
en juin 2014.
73. AN, 19930357/1, note/bilan 1947-1948, p. 7.
74. Cet article est issu d’un chapitre de notre thèse, ici raccourci et remanié. Pour des précisions
sur cet épisode, se référer à : Stéphanie Gonçalves, La Guerre des étoiles, Danser pendant la guerre froide
(1945-1968), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017 (sous presse).