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« ORGIES ! ORGIES ! NOUS VOULONS DES ORGIES !

» ASTÉRIX, UNE
ÉPOPÉE DU PROCESSUS DE CIVILISATION

Heinz-Peter Preußer, Traduit de l’allemand par Roland Crastes

Association pour la connaissance de l'Allemagne d'aujourd'hui | « Allemagne


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d'aujourd'hui »

2016/3 N° 217 | pages 33 à 49


ISSN 0002-5712
ISBN 9782757413654
DOI 10.3917/all.217.0033
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-allemagne-d-aujourd-hui-2016-3-page-33.htm
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« Orgies ! Orgies ! Nous voulons
des orgies ! » Astérix, une épopée
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du processus de civilisation1
Heinz-Peter Preußer*

1. Les Gaulois : anti-occidentaux, ennemis du progrès et « petits sauvages »1


Astérix pourrait être une invention allemande tant les habitants antimodernes du
petit village d’Armorique y apparaissent clairement comme des opposants à la pierre
et la chair faite civilisation, à Rome et aux Romains. Les Gaulois semblent être des anti-
occidentaux et des ennemis du progrès, potentiellement xénophobes2 et débordant de
ressentiments (21 : p. 16 et 17). On peut parfaitement leur reprocher leur « manque
de contrôle des affects » (Elias 1989), ils se battent à la moindre occasion, et ce sans
plan de bataille géométrique (15  : p.  42), bien sûr, dans la fureur d’une anarchie
totale. Là, les petits, les sans-grade et les défavorisés ont le droit de vaincre encore
une fois la toute-puissance : tout comme des enfants (ces « petits sauvages » dont parle
Freud (1986 : p. 287, p. 309 et 310, p. 412 à 415)) le feraient avec leurs parents,
ou le monde des adultes en général. Et c’est ce qu’ils font dans leur imagination : avec
Obélix, ce géant puissant mais simplet, qui a gardé une âme d’enfant, d’une part,3 et
Astérix, d’autre part, petit homme futé et débrouillard au nom ironiquement à double
sens, Astérix qui, par son gabarit, s’apparente à un enfant d’au plus dix ans.
Bref, il est question de désinhibition. Celle-ci toutefois n’est pas sans but mais
ancrée dans la sécurité de l’enfance protégée. On vit à fond l’omnipotence des super-
héros anti-héros sans avoir à quitter réellement le havre sûr de la protection parentale.
* Professeur à la Faculté de linguistique et de science de la littérature de l’Université de Bielefeld. Dernière publi-
cation : Pathische Ästhetik. Ludwig Klages und die Urgeschichte der Postmoderne, Neue Bremer Beiträge, Vol.
17, Heidelberg 2015.
1. Cet article est la version française d’un texte original allemand en cours de publication sous le titre « Orgien,
Orgien, wir wollen Orgien!  » Asterix als Epopöe des Zivilisationsprozesses, in  : Verjüngte Antike im
Mediendialog: Transformationen griechisch-römischer Mythologie und Historie in Kinder- und Jugendmedien
der Moderne und Gegenwartskultur. Hg. von Markus Janka, Bettina Kümmerling-Meibauer und Michael
Stierstorfer, Heidelberg (hiver 2016). Il a servi également à une conférence, agrémentée de planches extraites
des albums d’Astérix, à l’Institut français de Bonn. Nous le publions volontiers parce qu’il est un élément impor-
tant de la réception allemande d’Astérix, nous aurions également apprécié de pouvoir illustrer ce texte pour le
rendre plus parlant aux lecteurs et nous aurions aimé pouvoir remercier les Éditions Albert René pour l’autorisa-
tion gracieuse de reproduction que nous avons sollicitée. Vu les conditions qui nous ont été faites, nous avons
préféré renoncer à toute illustration et laisser à chaque lecteur le soin de retrouver par lui-même les originaux
qui sous-tendent l’argumentation de l’auteur (Note du rédacteur en chef).
2. Agecanonix le montre très clairement, par une interruption ironique, dans Le Cadeau de César.
3. Ce trait de caractère est le thème central de La Galère d’Obélix (30 : p. 21-43).
34 Heinz-Peter Preußer

C’était déjà la recette imbattable de Fifi Brindacier (Lindgren 1949). Il n’y est pas
non plus question de l’acte de violence en tant que tel (qui est presque sans consé-
quence dans Astérix aussi) mais de la puissance dans laquelle se projettent en rêve
les enfants car ils sont bien souvent livrés aux autres (ou du moins pourraient l’être).
Ils veulent triompher par leur propre force – tout en sachant que seuls leurs parents
leur offrent protection, que la lecture reste donc une pure évasion, comme le font
d’ailleurs Tommy et Annika, les amis de Fifi dans la villa Drôlederepos. La première
identification opérée par la sympathie est donc classiquement celle du dépassement
enfantin, selon le modèle de David contre Goliath, et non celle des traits chauvins des
guerriers païens, ni celle des constructions historiques de l’Antiquité, ni celle de la IIIe
ou Ve  République française, ni celle de la Résistance, ni celle des traits des person-
nages autour d’Astérix (modernes et critiquant notre époque)… toutes ces catégories
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sont établies maintes fois et ont déjà été identifiées – depuis les premiers travaux sur
ce point dans les années 1970 avec André Stoll (1974/75) et Manfred Fuhrmann
(1974/76).

2. Rome : ordre et raison, système fiscal et flux monétaires


Comparée aux anars et aux « petits sauvages » de la Gaule, Rome est un ordre
pur, pour ainsi dire sans pitié : autorité, discipline, raison fonctionnelle, système fiscal,
flux monétaires et économie marchande mondialisée – cette société antique cherche
tout au moins, dans sa représentation en bande dessinée, naturellement, à se faire
à elle-même et à faire à tous les autres cette impression précisément. La ville et l’État
manifestent le côté dur du monde adulte ainsi qu’une forme de surmenage que l’âme
enfantine refuse : une société d’un froid polaire. Or, cette rigueur, Rome elle-même ne
la supporte pas. Dès qu’on lâche la bride, on se la coule douce, même dans l’armée.
Les soldats nettoient, jardinent, jouent aux dés, se laissent pousser la barbe et se
négligent (23 : p. 5 ; cf. 25 : p. 18 et 19 ; 5 : p. 5). Ce n’est cependant que lorsqu’ils
peuvent être maltraités à tous moments par les inflexibles Gaulois, par exemple dans
les camps retranchés autour de notre village ou à l’occasion d’une confrontation
directe, si les Romains ont entendu parler avant de la potion magique qui donne aux
villageois des forces surnaturelles et règle d’avance l’issue des opérations militaires.
Dans les matières militaires, l’abstraction, exprimée ici par une puissance purement
quantitative, compte aussi  ; l’unité est interchangeable. Cette façon de voir (fonda-
mentalement) désenchantée des adultes, les Gaulois l’ignorent avec superbe. Chacun
passe devant pour chercher – par pur plaisir – la castagne avec les Romains. Les plans
de batailles de ces derniers ne servent plus quand surgit la nette anarchie gauloise
(à base de potion magique). La fameuse tortue (2 : p. 39 ; 10 : p. 44) regroupe tous
les individus en une machine de guerre (Fuhrmann : 1976 : p. 119) – représentation
archétypale dans le film Astérix aux jeux olympiques – mais elle n’est d’aucun secours
face à ce modèle de vitalité. En principe, chaque plan de bataille est dévasté de façon
grotesque, livré au ridicule. Triangles et cercles sont des parodies des formes de la
raison géométrique militaire (8 : p. 46 ; 24 : p. 43 ; cf. Royen/Vegt 1998 : p. 114
et 115 ; 2001 : p. 42 et 43) : ainsi de l’invention de la tortue au sens zoologique –
une idée de Brutus dans le film Astérix aux jeux olympiques.
« Orgies ! Orgies ! Nous voulons des orgies ! » Astérix, une épopée du processus de civilisation 35

Un camp romain obéit naturellement au même ordonnancement. Tous sont égaux


– sauf ceux qui sont plus égaux que les égaux, comme Orwell (1945 : p. 192)4 l’a
si justement dit : les dirigeants autrement dit. Cela se voit aussi dans le plan du camp
(10  : p.  36  ; cf. 27  : p.  24). La tente ronde et rouge bien placée est réservée au
général Caius Julius Caesar qui devise avec ses officiers à Thapsus (Berner 1999 :
p.  131 et  132  ; Pauly 1975, 2  : p.  1493  ; 3  : p.  1265) sur les futures batailles
africaines contre Scipion5, Juba 1er,6 Afranius et les partisans du parti pompéien7. Les
nouveaux légionnaires qui le dérangent, lui, l’homme de raison, adoptent derechef
la position de l’enfant qui ne comprend pas la gravité de la situation – et produit ce
faisant un effet comique –, comme lorsque l’Égyptien joliment dénommé Courdeténis
prend César pour l’animateur d’un camp de vacances (10 : p. 37).
Si l’on examine de plus près la bureaucratie romaine, qui est elle aussi une compo-
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sante importante de la rationalité instrumentale, elle prend tout de suite une allure
grotesque. Sa forme raisonnable bascule dans la déraison. On appelle cela commu-
nément Dialectique des Lumières (Horkheimer/Adorno 1986 : p. 9 à 87). Pour donner
un exemple, la démarche administrative (10 : p. 16) faite par les deux protagonistes
d’Astérix Légionnaire pour rendre à Tragicomix la belle Falbala est une sorte de
satire du monde réel. Un monde comme le nôtre, caricaturé ici à la mode antique, ne
devrait pas du tout pouvoir exister, tant la logique (juste apparente en fait) des dérou-
lements est construite de manière insensée. Astérix et Obélix errent dans un bâtiment
à plusieurs étages, passant d’un guichet incompétent à un autre, qui l’est tout autant
et indique une fois de plus où obtenir le renseignement ou le formulaire – pour au
final revenir au guichet questionné la première fois et y obtenir exactement ce que l’on
voulait – mais que peut-être on n’avait pas su correctement demander. Dans le film
Les douze travaux d’Astérix, qui n’était pas basé sur un album mais sur une adapta-
tion assez libre des douze travaux d’Hercule, la mise en scène devient une farce qui
conduit directement à la névrose (maladie de la civilisation par excellence) tous ceux
qui vont dans « la maison qui rend fou ». À la recherche du coupe-file A38, nos héros
sombrent presque dans la folie. Tels des enfants innocents tombés dans l’univers de
la fonctionnalité abstraite, ils sont immédiatement atteints de modernisation. Obélix
endommage au passage une statue qui, du coup, sans ses bras, rappelle la Vénus de
Milo. Mais Astérix, qui peut encore s’appuyer sur son « bon sens intact » a finalement
l’idée qui les sauvera : comprenant qu’il faut battre la civilisation avec ses propres
armes, il réclame le coupe-file A39 (qui n’existe pas), conformément à la nouvelle
circulaire B35 (également inventée), et du coup toute la cité administrative bouge,
s’excite et, finalement, elle est prise de psychose.
Ou le collecteur d’impôt (13 : p. 43 et 44) d’Astérix et le chaudron : les enfants (en
tout cas ceux qui ne sont pas français) ne verront pas que Valéry Giscard d’Estaing,
alors ministre des Finances, est ici caricaturé (Stoll 1975 : p. 170). Mais en s’expri-
mant uniquement par des questionnaires, le fonctionnaire romain provoque immédia-
tement l’hilarité. C’est la vie qui s’adapte aux exigences administratives et non le
contraire. Pas étonnant que le personnage paraisse si pincé et se tienne accroupi sur

4. « All animals are equal, but some are more equal than others ».
5. Plus exactement Quintus Caecilius Metellus Pius Scipio. cf. Hans Georg Gundel : Metellus. In : Pauly 1975,
3, p. 1265.
6. Roi des Numides. Cf. W. Spoerri : Juba 1er. In : Pauly 1975, 2, p. 1493.
7. Berner 1999 : p. 131. Lemmata zu Afranius, Afrika und Cäsar, Julius.
36 Heinz-Peter Preußer

son coffre : un caractère anal au sens de Freud (1955), qui ramasse, accumule – et
qui en fin de compte veut seulement tout garder pour lui et ne sait pas donner. Il se
tient donc sur le coffre comme s’il était assis sur le trône de faïence. Il se cramponne
en outre à sa serviette de cuir pour que l’image soit plus nette encore. La saleté et l’or,
la psychanalyse le sait bien, entretiennent d’étroites relations (ibid.).

3. Des Gaulois séduits par l’éclat de la civilisation


Les Gaulois eux n’ont que faire de l’argent – si la civilisation ne les envoûte pas
dans ce sens. Dans notre village de résistants, le commerce est basiquement assuré
par l’échange des produits de la terre. L’argent à tout le moins ne joue aucun rôle ;
des notions telles que l’honneur, la communauté (Stoll 1975  : p.  72), une relation
autosuffisante avec la nature leur paraissent bien plus importantes. Finalement, la
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forêt, et quelques champs et pâturages donnent à profusion aux villageois (11 : p. 5)
tout ce dont ils ont besoin pour vivre sans souci. La plus grande ville du monde a beau
être le centre de l’univers (18  : p.  5), les Gaulois préfèrent vivre dans la nature et
avec elle. À Rome on peut vivre dans la représentation (3 : p. 22 et 23 ; Royen/Vegt
2001 : p. 102 et 103 ; 18 : p. 18 et 19) – mais on se sent chez soi là où chacun
connaît l’autre, avec toutes les querelles qu’une telle proximité implique. Rome paraît
elle-même aussi organisée que ses citoyens. Une géométrie stricte, l’angle droit, le
carré, le parallélépipède et le triangle règnent en maître à côté de formes arrondies
calculées, de colonnes, d’effets de symétries en miroir (cf. 4  : p.  8  ; Royen/Vegt
1998 : p. 70 à 80). C’est aussi pour cette raison que ceux qui collaborent avec Rome
imitent le style de vie de leurs conquérants, comme Aplusbégalix – « Bienvenue à nos
envahisseurs bien-aimés » – qui deviendra un traître dans Le combat des chefs (4 :
p. 8 ; Stoll 1975 : p. 74 et 75).
Mais même dans le village des irréductibles, plus d’un est déjà contaminé par
l’économie monétaire, l’éclat de la métropole et de la civilisation. C’est par exemple le
cas d’Ordralfabétix, le marchand de poissons. Pourquoi sinon se vanterait-il de faire
venir son poisson de Lutèce (10 : p. 6 ; 22 : p. 6 ; 8) alors qu’il pourrait le pêcher
lui-même dans l’océan atlantique, qui est à quelques mètres seulement du village ?8
Astérix et Obélix s’y entendent si peu en argent. On le constate à nouveau dans
le Chaudron qui, déposé dans la maison de notre héros par Moralélastix (le bien
nommé) pour, soi-disant, soustraire les pièces qu’il contient à une prise de possession
romaine, sera dérobé par Moralélastix lui-même. Il pourra ainsi acquitter son impôt,
tout en demandant la restitution de l’argent à Astérix. Mais le héros est étranger au
monde de la finance, et ses efforts, en tant par exemple que maquignon, pour remplir
le chaudron de sesterces, échouent les uns après les autres : il ignore ce que sont des
grandeurs courantes et des indications de quantité, ce qu’est un prix réel ou comment
on l’obtient. Mais un peuple civilisé justement n’a pas besoin de cela. L’argent, cet
équivalent général, repose sur une abstraction, des rapports purement conceptuels qui
certes expriment des relations dans le réel mais ne peuvent les représenter convena-
blement, ou de façon palpable. Rome en revanche, la civilisation par excellence, est,
elle, basée là-dessus.

8. Dans La Grande Traversée p.  8, Ordralfabétix dit à Astérix  : «  La mer  ? Quel rapport entre la mer et mes
poissons ? […] Je vends du poisson de Lutèce, moi, Môssieur ! J’ai le respect du client ! Je me fournis chez les
meilleurs grossistes ! Je ne vais pas vendre du poisson sorti de l’eau sans garantie de qualité ! Si vous voulez
du poisson frais, vous attendrez ! »
« Orgies ! Orgies ! Nous voulons des orgies ! » Astérix, une épopée du processus de civilisation 37

La ruse d’Anglaigus dans Le domaine des Dieux consiste à exposer les Gaulois au
potentiel de séduction de l’argent, qui peut être le moyen de bien des fins. Il suffit pour
cela d’un contact avec des citadins romains qui, grâce à un concours (17 : p. 30)
échouent sur la côte bretonne – et partent faire un peu de shopping dans le pittoresque
petit village à deux pas de chez eux (eux, habitent dans une résidence à étages qui
offre tout le confort « moderne », 17 : p. 31, 38 et 45). La critique de la division du
travail, du caractère fétichiste de la marchandise et de la primauté du travail salarié
apparaît plus clairement encore avec le personnage d’Obélix qui croit que l’accroisse-
ment de sa réputation dépend uniquement de la quantité d’argent qu’il gagne. Le jeu
réciproque de l’offre et de la demande le place dans l’obligation de jouer – jusqu’au
surmenage. Plus tard on a appelé cela syndrome de stress ou burn-out. À son ami
Astérix qui, inquiet, le questionne, Obélix, entrepreneur et non plus artisan, réagit
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excédé : « Je ne suis pas malade ! J’ai du travail ! J’ai un menhir à faire ! Je n’ai pas
le temps de rigoler, moi ! » (23 : p. 16 et 19). Et le voilà qui recrute des chasseurs
de sangliers, alors qu’il aimait tant chasser, chasseurs qu’il rémunère avec les gains
de ses ventes de menhirs au Romain Caius Saugrenus. Anglaigus, Saugrenus, ces
noms ne sont pas choisis par hasard. Dans Obélix et compagnie, Obélix ne perce
pas à jour la perfide stratégie et les mystères de l’économie monétarisée qui l’éloigne
d’Astérix, de toutes les relations sociales de proximité et même de son fidèle Idéfix
(Jehne 2001 : p. 64).

4. La fin de Rome anticipée : la décadence


Ces claires distinctions posées, on remarque avec surprise que les principes précé-
demment établis sont très souvent mis à mal : César peut faire montre de clémence
(Fuhrmann 1976 : p. 120) – comme après sa victoire sur Scipion : les Gaulois l’ayant
bien aidé, il affranchit Tragicomix (10 : p. 46) ; il reconnaît aussi de temps en temps
une défaite (11 : p. 47). Le centurion n’est souvent qu’un pauvre diable (11 : p. 40
et 41 ; 10 : p. 32 et 33) qui n’inspire guère la crainte. En règle générale, il rampe
devant l’autorité : le caractère autoritaire classique (cf. Adorno 1998, 9.1 : p. 149
et 150, 474 et 475, 486 et 487, 489). Mais derrière tous ces motifs simples, il y a
fondamentalement l’idée du déclin, inscrite dans le destin de l’ambitieuse et expan-
sionniste puissance mondiale. Dans Astérix et Cléopâtre, c’est César lui-même qui
tient le peuple égyptien pour décadent (2 : p. 5). Il pourrait, en tant que personnage
de BD bien sûr, avoir trouvé ses arguments chez Spengler qui avec dédain considérait
les Égyptiens d’aujourd’hui comme des fellahs (1990 : p. 760 ; cf. p. 681, 762, 772,
781, 947-948, 969 et 1005-1006). Même rétrospectivement, on peut à peine les
créditer de leur grandeur passée. Ils vivent dans des maisons en pisé, pratiquent l’agri-
culture – comme il y a des millénaires mais à l’ombre des pyramides – et attendent,
comme le dit César avec délectation, « la crue du Nil » (2 : p. 5).
Rome elle-même anticipe la décadence – avant même l’époque impériale  ; seul
l’ascétique César paraît être immunisé. Cela vient de l’hypothèse cardinale de la
théorie de la culture selon laquelle l’urbanisation a fait se détacher l’être humain de
sa relation organique à la vie, de laquelle sont pourtant nées toutes les premières
réalisations culturelles. Cultura ne veut d’abord rien dire de plus que « agriculture »
(cf. Plaum 1967). Mais livré à la ville tentaculaire, l’homme obéit à la notion (propre-
ment capitaliste) de maximisation du profit. Les penseurs socialistes ou conservateurs y
voient un véritable « déluge d’apparences » qui s’abat sur le citadin déraciné « car il
38 Heinz-Peter Preußer

est pauvre intérieurement, non soutenu et non réchauffé par des attaches », dit Othmar
Spann (1938 : p. 67 ; cf. Greiffenhagen 1986 : p. 127). En se détachant de son
entente organique avec la nature, l’homme passe de la culture à la civilisation. Cette
dernière il est vrai scintille et sait envoûter de prime abord, mais est au fond vouée à
la mort et attend sa propre chute. Spengler (1990 : p. 43-44) voit lui aussi les choses
ainsi. La civilisation est synonyme de déclin – et est en même temps le stade terminal
de la culture. La ville offre à présent un tableau effrayant auquel on peut opposer le
tableau idéal de la campagne (cf. Rehm 2015 : p. 39-53 ; Preußer 2015 : p. 47-54).
Une métropole est caractérisée par la «  dissolution des […] corps populaires dans
des masses informes » (Spengler 1990 : fin du tableau 3 avant p. 71). Elle repose
sur la technique. Mais celle-ci ne fonctionne qu’en exploitant et violant la nature, ce
qui rompt le « rapport entre la création de l’homme et la terre » et détruit « pour des
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siècles, voire pour toujours, le chant originel du paysage  », comme l’écrit Ludwig
Klages (1959  : p.  10)  : «  chez nous comme ailleurs, les prairies sont «  reliées  »,
c’est-à-dire découpées en morceaux à angles droits et carrés, les fossés sont comblés,
les haies fleuries rasées, les étangs entourés de roseaux, asséchés ; […] des lits des
rivières […] on fait des canaux tracés au cordeau […]  ; des forêts de cheminées
s’élèvent sur leurs rives ».
Quand l’architecte Anglaigus tente d’exploiter l’opposition ville – campagne (ce
lieu commun de la critique de la civilisation), il part précisément de cette hypothèse
du déclin qui est la marque du pessimisme culturel. Il construit simplement autour du
village une zone d’habitation (urbaine), Le Domaine des Dieux, qui transforme notre
village gaulois en vulgaire faubourg. Séduits par les sirènes de la civilisation romaine,
les villageois en perdent presque les relations qu’ils ont entre eux, se vendent avec
leurs valeurs à la frivolité d’une vie en apparence plus facile – et bradent leurs biens,
transformés en attrape-touristes aux nouveaux-venus romains (17 : p. 32-36). Le film
Astérix – Le Domaine des Dieux (qui est le premier film d’animation sur Astérix) va
encore plus loin car il dresse une critique de la consommation comme on pourrait
aussi la trouver chez quelqu’un comme Hans Freyer (1955  : p.  91)  ; «  le système
secondaire » fait que l’homme « devient étranger à ses conditions de vie originelles »
(Greiffenhagen 1986 : p. 127-128).
Les Romains pourtant ne sont pas seulement les (néo petits citadins) raseurs de
service, comme dans Le Domaine des Dieux (17 : p. 37-38). Comparés aux Suisses
toujours propres (16 : p. 19-21), aux Bretons, corrects mais quelque peu amorphes
(7  : p.  18 et  33), aux Grecs fiers (12  : p.  41) ou aux Espagnols (14  : p.  7-8),
ils représentent aussi la décadence du Bas-Empire. Naturellement, nous sommes
depuis longtemps à l’époque impériale, celle des Caligula, Néron, mieux encore
Héliogabale – celles des « mauvais maîtres » et de leurs très grandes turpitudes, en
tout cas celles que leur attribue l’historiographie (de Dion Cassius par exemple)9.
Même si des personnages comme Marc Aurèle (l’empereur stoïcien et philosophe)
obligent à considérer cela d’une manière toute différente, on associe non sans raison
l’idée d’un déclin (provoqués par les Romains eux-mêmes) à la période du Bas-Empire.
Les Romains décadents, comme le veut du moins le cliché, détruisent l’ordre qu’ils
ont eux-mêmes érigé. Il n’en résulte aucun renouvellement (ce qui donne des raisons
9. Extrait des livres 79 et 80 ; 11.1 ; 13.2-3. Dans les albums d’Astérix, l’Antiquité romaine est comme recouverte
par un plan d’ensemble, également au niveau de l’architecture : le palais de César ressemble ainsi au Domus
Aurea de Néron, décrit par Suétone : Nero, 31.1-2. Cf. Royen/Vegt 2001 : p. 117-118.
« Orgies ! Orgies ! Nous voulons des orgies ! » Astérix, une épopée du processus de civilisation 39

d’espérer aux Grecs des jeux olympiques – 12 : p. 29). Rien de tel avec nos Gaulois :
leur folie païenne est productive parce que pleine de vie, et elle est victorieuse parce
qu’elle est non dissimulée. C’est démontré une fois de plus par Obélix, le plus grand
des naïfs, « l’incarnation véritable de l’anti-logos » (Stoll 1975 : p. 88), notre héritier
du Gargantua de Rabelais (Stoll 1975 : p. 132-133) :
Devant le préfet et tous les dirigeants de Condate, Eléonoradus improvise sur scène
avec sa troupe de théâtre avant-gardiste – tel l’esprit d’Antonin Artaud, l’auteur du
Théâtre de la cruauté. Quand on montre aux spectateurs leur propre médiocrité, tout
en criant « Orgies ! Orgies ! Nous voulons des orgies ! », le public racé se réjouit
– et se sent brillamment diverti. Lorsque le chef de la troupe déclame : « Vous êtes
laids ! » (13 : p. 31), une Romaine, ravie par cet Outrage au public pré-Handkien
(1966), glousse « C’est insupportable de vérité !… » tandis que d’autres, poussés par
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un acteur assis au milieu du public, insultent à gorges déployées les « idiots » sur les
planches (13 : p. 31). Est-ce là déjà un signe de décadence ? Ce qui est frappant
dans les Astérix à tout le moins, c’est, tant pour l’image que la mise en scène, la
vraisemblance des « vrais » orgies, qui prennent elles-mêmes pour modèle le Satyricon
de Fellini, lui-même inspiré de Pétrone. Mais Obélix avec son improvisation va faire
voler en éclats l’autosatisfaction romaine : la seule chose qui lui vienne à l’esprit dans
l’urgence d’un trac terrible, c’est une petite phrase qu’il a déjà prononcée bien des
fois, mais qui, dans ce contexte, développe sa vraie force explosive : « Ils sont fous
ces Romains ! » murmure-t-il, à peine audible, sur le rebord de la scène, juste devant la
fosse. Notre préfet est stande pede tiré de sa béatitude – et il fait ce que font de vrais
Romains, s’ils ne sont pas déjà décadents : il fait intervenir l’armée (et des spectateurs
croient à nouveau que c’est une trouvaille du metteur en scène) : « Embarquez-moi ces
imbéciles qui osent se moquer de l’autorité ! », clame-t-il (13 : p. 32). Obélix a une
nouvelle fois parlé comme un gosse, comme le plus grand « petit sauvage » : « Le roi
est nu », a-t-il dit (comme dans ce conte d’Andersen où le petit enfant dit : « Mais il n’a
rien sur lui ! ») ; et par cette simple phrase, le pouvoir est démasqué.
L’anarchie des Gaulois est différente de celle des Romains décadents. Les deux
brisent la rigidité du concept de civilisation, font fi de toute idée d’ordre, se livrent
uniquement au « principe de plaisir » (Lustprinzip) et ignorent le « principe de résul-
tat  » (Leistungsprinzip), pour parler comme Freud (1986  : p.  417  ; p.  144-145  ;
p.  252-258  ; p.  262-263). Mais les petits anarchistes d’Armorique font cela dans
l’innocence enfantine de leur osmose avec la nature, tandis que les Romains ne
peuvent précisément pas y arriver – et pourtant ils veulent compulsivement revenir en
arrière. Ils représentent, en d’autres termes, les adultes qui ne sont plus de taille devant
la pression de l’état adulte que doit endosser un César. Ils trouvent refuge dans les
excès orgiaques car le plaisir prégénital des Gaulois leur est fermé (36 : p. 9). Cela
vaut même dans la Suisse bien ordonnée, où Diplodocus a trouvé une manière à lui,
et décadente, de se divertir – avec des recettes sado-masochistes (16 : p. 19 et 20).

5. Images de la femme en mutation ?


Nous avons évoqué ci-dessus à plusieurs reprises l’état prégénital des héros
gaulois. Il faut impérativement ajouter que cet état présente cependant des différences
entre les sexes. L’anarchie de la BD constitue un monde pour garçons  ; les filles
n’y participent pas ou très peu. Les rixes au sein du village, les bagarres jouissives
40 Heinz-Peter Preußer

avec les Romains, les naufrages à répétition du bateau des pirates, les chasses au
sanglier sont autant de plaisirs masculins. Les femmes, elles, potinent en buvant du
lait de chèvre (15 : p. 18 et 19) et bâtissent un ordre hiérarchique calqué sur celui
des hommes, par exemple quand Bonemine faisant la queue chez Ordralfabétix, le
marchand de poissons, demande à passer la première parce qu’elle est la femme du
chef Abraracourcix (15 : p. 46 ; cf. 32 : p. 28-29).
L’idéal féminin, du point de vue des hommes, est la «  belle adorée  », Falbala
qui envoûte Obélix, et même un peu Astérix, dans Astérix Légionnaire (10 : p. 7-8,
p. 11-12, p. 47-48; cf. 31 : p. 21, p. 27-28; 34 : p. 27-28). Coriza en revanche
est superbement ignorée par nos deux compères (21 : p. 31-32), enfin pas tout à fait
par Obélix (21 : p. 15-16, p. 24-25, p. 35, p. 48 ; 34 : p. 27-28). Mais ils sont tous
deux arrachés malicieusement à leurs fixations prégénitales, ils sont « non véritables »
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au sens existentiel (Heidegger 1986) quand ils ressentent de l’amour. Ils balbutient
alors des mots sans queue ni tête (10 : p. 7, p. 11 : « Wkrstksft ! » « Wghstrfg ! »),
rougissent, perdent leurs repères, foncent dans des arbres, qu’ils déracinent comme si
de rien n’était (10 : p. 8). Bref, ils ne sont plus eux-mêmes.
Comment expliquer ce curieux comportement  ? Par, je crois, le modèle vu plus
haut de la théorie de la civilisation. Les héros gaulois sont eux-mêmes quand ils
peuvent laisser agir, sans les interrompre, leurs impulsions, en anarchistes ou petits
sauvages. Or, le discours amoureux représente tout le contraire. Éros s’émancipe du
sexe (Klages 1988 : p. 55, 66, 86, 99 ; 1956 : p. 132) en projetant la pulsion sur
l’autre. Transfiguré en un idéal de beauté, le désir gagne un but qui laisse croire que
l’ajournement vaut la peine. Oui, avec l’amour, l’ajournement de la pulsion participe
lui-même du processus de raffinement qui débouche à son tour sur un plaisir supplé-
mentaire, plus grand ! Jean-Jacques Annaud, dans son film La Guerre du feu (France
1981), a placé cette conquête au début du processus d’hominisation. C’est pour
cette raison que le discours amoureux n’est pas uniquement celui du renoncement
mais aussi et surtout celui du contrôle des affects (Elias 1989), de l’ajournement, du
languissement (Barthes 1988). Il est en d’autres termes un véritable travail culturel,
« une activité organisée » (Bataille 1957 : p. 104). Obélix doit d’abord apprendre
cela. Encouragé par son ami, il va dans la forêt cueillir des fleurs pour son aimée.
Quand il voit que des Romains, qui ne faisaient pourtant que se cacher, les piétinent, il
s’emporte, leur donne une bonne correction et, comme à l’accoutumée, rassemble les
casques comme autant de trophées. Puis il cueille une à une les fleurs bleues et les sent
avec ravissement en disant : « L’ennui avec vous, les Romains, c’est que vous n’êtes
ni délicats, ni poétiques… et l’ennui avec moi, c’est que je suis timide » (10 : p. 10).
Mais son ami doit à nouveau lui expliquer qu’il ne doit pas présenter les fleurs dans
un casque. Quand Astérix pourtant, à la fin de l’histoire, imite son ami amoureux,
s’exclut lui-même de la communauté villageoise en fête et, perché sur un arbre, rêve
de l’aimée, il paraît tout à la fois absent et heureux (10 : p. 48). Donc pas du tout
comme Assurancetourix, ce professionnel de la culture, perpétuellement mis au ban,
qui assiste au banquet ligoté et bâillonné (16 : p. 48 ; 20 : p. 48 ; 24 : p. 48 ; 31 :
p. 48 toujours ; etc. etc.), et parfois accroché à un arbre10. Seules quelques exceptions
viennent confirmer la règle (9 : p. 48 ; 21 : p. 48 ; 33 : p. 47 ; 36 : p. 48).
10. Le caractère paradigmatique de cette scène d’exclusion apparaît déjà dans son ancrage rétrospectif, avec
une histoire précédant les aventures d’Astérix : Comment Obélix est tombé dans la marmite du druide quand
il était petit (sans pagination / p. 31 – cet album ne porte pas de n°).
« Orgies ! Orgies ! Nous voulons des orgies ! » Astérix, une épopée du processus de civilisation 41

Reste que la caractéristique de nos héros est qu’ils n’aiment qu’en étant malheu-
reux. Ils capitulent devant le stade adulte, alors même qu’ils tentent le premier pas
pour le rejoindre. C’est ainsi qu’Astérix, comme on l’a vu, conseille à son ami de
rendre visite à la belle Falbala avec un bouquet de fleurs – au lieu de chasser pour
elle des sangliers ou de lui offrir un menhir (10 : p. 9). Il doit apprendre à penser selon
les critères du beau. Mais il échoue, naturellement. Quiconque défonce une porte
en voulant la toquer a manifestement des difficultés à utiliser de façon appropriée et
dosée les forces qui lui ont été données. Il lui manque la force motrice de précision.
Et il échoue également à canaliser par des mots ad hoc les pulsions tapies derrière le
sentiment amoureux. Faire la cour, sans même parler de l’amour courtois du moyen-
âge, c’est pour lui comme de l’hébreu. C’est probablement la raison pour laquelle
Assurancetourix, malgré ses capacités, est si peu apprécié : le village en général ne
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maîtrise pas, et du coup ne peut apprécier ce progrès dans l’articulation du désir. Le
barde sait trouver les mots justes, le « petit sauvage » non – et il réagit donc avec
de l’embarras lors de la scène de la rencontre avec Falbala. Dans le “sens dessus
dessous” où il se trouve au plan émotionnel, le grand timide ne parvient même pas à
engager la conversation la plus courante.
Latraviata ne fonctionne pas pour cette raison – pas même en tant que personnage
qui fait la doublure de Falbala dans l’album éponyme (31 : p. 19, 21, 23, 27, 47)
et tire son nom de l’opéra de Giuseppe Verdi : Les parents d’Astérix et Obélix veulent
que leurs fils entre-temps d’âge mûr se marient (31 : p. 9,12, 15-16, 44) – mais rien
que l’idée de généalogie, d’ascendance s’accorde mal à nos héros sans attache.
Comment pourraient-ils faire leurs preuves en tant qu’époux ? Et à bien regarder les
couples de la série complète, cet état paraît en fait à peine enviable. Les femmes y
sont querelleuses avec leurs maris, jalouses les unes des autres, comme Ielosubmarine,
la femme d’Ordralfabétix. D’autres, comme la femme du forgeron Cétautomatix, n’ont
même pas de nom. La femme d’Agecanonix, qui a tout de même pour modèle Brigitte
Bardot, n’est pas non plus assez autonome pour gagner un nom à elle (cf. Berner
1999 : 180 ; 150, 200, 221, 241). Ce que peut devenir Bonemine dépend de son
mari. C’est pour cela qu’elle lui reproche continuellement de ne pas réussir aussi bien
que son frère de Lutèce (18 : p. 7 ; 19 : p. 14). C’est pour cela également qu’elle
croit inconditionnellement Le Devin : il l’a fait participer en rêve au vaste monde qui
lui manque tant dans le village (19 : p. 14, 17, 24-25). Seule, en tant que femme, elle
ne pourrait atteindre cette position.
On pourrait dire que ces restrictions tracent exactement le périmètre de la femme
au foyer de l’Antiquité : l’oikos. Là, elle tient les rênes (24 : p. 11 ; 25 : p. 10 ; 35 :
p.  13). Prenons Agecanonix, qui plastronne avec ses hauts faits passés lors de la
bataille de Gergovie (12 : p. 35) : à la maison, il se fait tout petit (23 : p. 28) et se
charge de faire la lessive (15 : p. 19 ; 34 : p. 6 ; cf. Berner 1999 : p. 260). Dans
les derniers numéros de la série, et surtout dans le tout dernier, Le Papyrus de César,
ce rapport établi entre les sexes se renverse même : Abraracourcix est ouvertement
méprisé par sa femme, qui se met à porter la culotte (36 : p. 14 et 17) et ressemble
un peu à Maestria, cette femme très émancipée qui, le temps d’une aventure, peut
chambouler l’univers masculin des Astérix : après le départ (temporaire) d’Assuran-
cetourix, cette caricature d’Édith Cresson assure l’éducation des enfants du village (à
nouveau une mission culturelle confiée aux femmes ; 29 : p. 17). Maestria manigance
une révolte féministe, où l’on voit même Bonemine s’opposer à son mari Abraracourcix
42 Heinz-Peter Preußer

pour obtenir le poste de chef (29 : p. 20-21, 32). Dans ce même album (La Rose et
le glaive), les premières amazones, des combattantes romaines, entrent en scène,
les Romains prétendant que les Gaulois ne frappent pas les femmes (29 : p. 29 mais
aussi p. 23). Et, dans le dernier numéro de la série, Agecanonix, paradant avec ses
nouvelles conquêtes (entendant par-là ses centres d’intérêt amoureux, cf. aussi 12 :
p. 25) est très vertement rabroué par son épouse intolérante (36 : p. 7, 12, 17, 19,
45, 48 [!]). Et ainsi de suite.
Mais au bout du compte, le modèle reste inchangé : dans Astérix, les femmes sont
des personnages de second plan, elles viennent décorer un univers masculin, au lieu
d’y être actives. On le voit nettement avec le personnage de Cléopâtre qui, en tant
que souveraine, a tout de même choisi l’option « pouvoir » : elle est une copie de
l’Elisabeth Taylor du film éponyme (Gundermann 2009 : p. 124) et des clichés sur la
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femme des années 60. Elle apparaît, un peu agaçante, nerveuse et remontée contre
César, qui l’ignore ironiquement (2 : p. 5 ; cf. 27 : p. 43-44) mais devient pourtant
son amant. Dans un album ultérieur, dans lequel la physionomie des personnages
est plus enfantine (27 : p. 47-48 ; 34 : p. 50), elle fait croire à Astérix qu’elle a un
fils de lui. Ce dernier devient du coup la risée du village (27 : p. 8) : un célibataire
qui ignorait jusqu’à présent les femmes et dont l’amitié avec Obélix était de ce fait
quelque peu suspectée (Royen/Vegt 1998 : p. 148-149). Si Le Fils d’Astérix abolit en
apparence la fixation prégénitale, c’est en fin de compte pour la confirmer : le bébé
n’est pas le fils d’Astérix mais celui du célèbre couple princier (27 : p. 46-47). Le petit
village d’Armorique refuse donc en permanence le monde des adultes. Même quand
une parentalité est plausible (d’Ordralfabétix et de Cétautomatix), le thème reste en
pointillé. Les enfants ne font que répéter le rôle des pères (20 : p. 5 ; 32 : p. 10-13).
Quant à la généalogie des deux héros, d’Astérix et Obélix, elle reste une curiosité,
comme par exemple dans l’album Comment Obélix est tombé dans la marmite du
druide quand il était petit (1989 ; cf. aussi 32 : p. 52 ; 34 : p. 5-8 ; 31 : p. 7-14,
24, 26, 44, 47-48).

6. Les Goths, de nouveaux Romains, en plus méchant


Au modèle de la «  culturalisation  », du raffinement et du déclin est nécessaire-
ment rattachée l’idée de peuples jeunes qui un jour prendront la relève, repousseront
les grands empires décadents et établiront de nouveaux règnes. Rien de tel pour
les Gaulois car, nous l’avons vu à maintes reprises, ils refusent de devenir adultes.
Aidés en cela en plus par le seul personnage qui soit vraiment adulte, un personnage
aux allures de grand-père qui, dans son ironique sérénité, dispose en même temps
des moyens permettant d’empêcher, précisément, la venue de la maturité. Le druide
Panoramix en fait est comme extérieur à ce monde de personnages de BD (Stoll
1975 : p. 50-54). Lui seul peut concocter la potion magique – et la recette n’est trans-
mise que de druide à druide (1 : p. 8). Panoramix veille à ce qu’elle soit exclusivement
utilisée à des fins défensives et pas pour des conquêtes.
Or, les Goths, qui ont précisément ce projet, enlèvent le druide (7 : p. 13) dès le
troisième album de la série, le premier qui nous conduit hors de Gaule (en Allemagne,
cet album porte, avec retard, le n° 7, pour des raisons évidentes). Les Goths entre-
tiennent avec le mythe un rapport fonctionnel. Ce qui pourrait les rendre eux-mêmes
supérieurs aux Romains. Ils portent un casque qui fait tout de suite penser au casque
« Orgies ! Orgies ! Nous voulons des orgies ! » Astérix, une épopée du processus de civilisation 43

à pointe, leur sport favori consiste à marcher au pas de l’oie, leur forme primaire de
communication est l’ordre, donné en général dans un aboiement tonitruant, et leur
langage est toujours saccadé, afin que l’on remarque à quel point ils sont cassants.
Cela vaut même aussi pour les symboles des jurons, dans lesquels vont jusqu’à figurer
des croix gammées – et des têtes de mort affublées de casque à pointe –, alors que
les jurons gaulois ont des formes plus arrondies (7 : p. 23). Et puis surtout : ils sont
horribles, ces Goths, antipathiques, de vrais barbares. Dans cet album d’ailleurs ils se
font traiter de barbares à plusieurs reprises (7 : p. 39, 42).
C’est du reste une nouveauté dans la série des Astérix qui présente, autrement, des
terriens foncièrement sympas des quatre coins de l’Antiquité (30 : p. 7). On a sans
cesse reproché à Astérix ses raccourcis stéréotypés, voire ses clichés xénophobes. Je
ne partage pas cet avis. Le penchant pour le cliché est bien présent, il est vrai, mais
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la façon de dessiner les Espagnols (14) ou les Portugais (17 ; 30), les Bretons (8),
les Belges (24), les Suisses (16), les Égyptiens (2), les Numides (17), les Corses (20),
enfin tous ces peuples rattachés à l’Empire romain (et qui s’y opposent), est portée
par une affectueuse reconnaissance de l’altérité, même si celle-ci doit d’abord triom-
pher de l’ironie. Les Grecs (12), ancêtres directs de Rome selon Oswald Spengler,
forment ici une exception encombrante et peu claire. Mais même les Normands (9)
– appelés Vikings dans le film – sont reconnus, ironiquement, avec leur côté « ours »
(22 : p. 33-45) : un peuple étrange, qui boit dans des crânes (22 : p. 44)11, mais qui
sinon peut être marrant, anticipe Hamlet (« Il y å quelque chøse de pøurri dåns møn
røyåume », déclame son chef Øbsen) et découvre tout de même le Nouveau Monde
(après les Gaulois bien sûr ; 22 : p. 36, p. 17). Rien de tel avec les Goths : ils incarnent
un peuple neuf qui veut endosser la position des adultes, des seigneurs – et cela par
le glaive. Chez les Romains aussi, on trouve déjà une image effrayante des Germains
qui ici, sous les traits des Goths, se trouve décuplée. Tacite les décrit ainsi (Germania
4) : « des yeux bleus à l’éclat sauvage, des cheveux roux, de grands gabarits qui,
assurément, ne sont bons que pour l’attaque » (cf. Wiechers 1999 : p. 25). Au plan
de l’iconographie, il y a ici un mélange de « prussianité » et d’emblèmes du natio-
nal-socialisme. Alors que les Romains paraissent drôles en général, les Goths sont,
eux, vicelards. Leur désir de pouvoir paraît plus méprisable encore que l’exercice
concret du pouvoir de Rome. Virgile, ce contemporain d’Auguste, en fait la marque
distinctive de la puissance mondiale : « Toi, Romain, souviens-t-en, tu gouverneras les
nations sous ta loi – ce seront tes arts à toi –, et tu imposeras la coutume de la paix : tu
épargneras les soumis et par les armes tu réduiras les superbes »12. Ce sens de la juste
mesure, cette retenue quand le vaincu se rend – un réflexe anthropologique d’après
Canetti (1981 : p. 248) – échappe à la cruauté des Goths.
On peut concevoir Astérix comme une allégorie de la Résistance (Fuhrmann  :
1976  : p.  122). Par cette façon de lire, assez justifiée, on comprend rapidement
pourquoi le proche déclin de la Rome décadente ne peut être salué par les Goths. Les
Allemands ont tout simplement renversé la dichotomie, réclamé pour eux la culture et
la profondeur de l’âme et laissé aux Français, ces ennemis héréditaires, la civilisa-
tion, dernier degré d’une culture passée. Même Thomas Mann a propagé ce schéma

11. Dans cet album, seul le chef, Øbsen le terrifiånt, boit de cette façon.
12. Ce passage de l’Énéide (livre 6) correspond au moment où Énée rencontre Anchise, son père décédé, dans le
monde souterrain. Anchise parle à son fils. Il s’agit donc ici d’un récit explicatif mythique présentant à Énée,
personnage fondateur, ce que les empereurs à venir, au premier rang desquels Auguste, devront réaliser.
44 Heinz-Peter Preußer

simplificateur dans ses Considérations d’un apolitique (1918, traduction française en


1975). Et Spengler croit que le jeune peuple allemand conquérant balaie en fait les
vrais héritiers de Rome. Napoléon n’est pas bien entendu tenu à l’écart du schéma
– et la représaille pour l’occupation subie par toute l’Allemagne furent trois guerres :
1870/71, 1914-1918, 1939-1945, les dernières qui virent une nouvelle fois la
France conquise et occupée.
«  Depuis 1789  », année de la Révolution française, «  banques et bourses  » se
sont développées au point de former une « puissance individualisée ». La « dictature
de l’argent et son bras armé politique, la démocratie  » doivent être brisées, selon
Spengler (1990 : p. 1193). « L’argent » veut « comme dans toutes les civilisations être
la seule puissance » (ibid. p. 1992). Pourtant, « l’argent [est] au bout de ses succès et
le dernier combat commence, qui donnera à la civilisation sa forme finale : le combat
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entre l’argent et le sang » (ibid. p. 1193).
Il est question, en histoire, de la vie, et toujours uniquement de la vie, de la race,
du triomphe de la volonté de puissance, et non de la victoire d’idées, d’inventions,
ou de l’argent. L’histoire du monde est le tribunal du monde : elle a toujours donné
raison à la vie la plus forte, la plus complète, la plus sûre d’elle-même, en lui
donnant le droit de se poursuivre […], et elle a toujours sacrifié la vérité et la
justice à la puissance et la race, et condamné à mort les hommes et les peuples qui
plaçaient la vérité plus haut que les actes, et la justice plus haut que la puissance
(ibid. p. 1194).

7. Petit aperçu des entreprises actuelles


Nous pourrions encore parler ici de la division, car la devise divide et impera ne
vaut pas que pour les Goths (7 : p. 42 et 44-45). Dans la série des Astérix, semer la
discorde est surtout une ruse romaine, par exemple dans La Zizanie, avec le person-
nage de Tullius Détritus (15 : p. 7 et 8), ou dans Le Devin, avec Prolix qui pourrait
incarner le juif errant (19 : p. 14 ; Stoll 1975 : p. 156-159). La différenciation sociale
est un autre moyen. Comment devient-on « l’homme le plus important du village » ?
Grâce à l’argent (voir Obélix et compagnie : 23 : p. 15) ; grâce à la charge de chef
(voir Orthopédix dans Le Cadeau de César : 21 : p. 20 et 42). Abraracourcix n’en
est pas affecté parce qu’il ruine lui-même sa réputation (cf. Le Bouclier arverne), qu’il
est remis à sa place par Bonemine (11 : p. 6-8) et Maestria (24 : p. 20), ou qu’il est
en permanence rabaissé par ses propres porteurs (par ex. 14 : p. 19 ; 25 : p. 16).
Seules des formes subversives de civilisation désunissent les habitants du village.
Naturellement, vouloir expliquer le côté anti-occidental d’Astérix en ayant recours
à Spengler, ce grand cacique goth de la philosophie de l’histoire du monde, a
quelque chose d’une blague. Seulement voilà : le matériau lui-même pousse à cette
interprétation-là, aussi désagréable qu’elle puisse d’abord paraître. L’idéologie des
discours et les mentalités stéréotypées ne devraient toutefois pas nous faire oublier
l’esprit facétieux de la série, qui rend presque tout supportable. Les contradictions
mises à part, même dans les hypothèses fondamentales, il y a aussi la volonté de
restituer l’Antiquité : bien des choses ont été reconstruites avec patience et sensibilité,
alors même que les auteurs de cette époque ne pouvaient pas toujours garantir les
déroulements de l’action (cf. Royen/Vegt 1998, 2001). Du coup, ce sont nos Gaulois
qui introduisent le thé en Angleterre (8 : p. 10 et 45) ou inventent les frites en Belgique
« Orgies ! Orgies ! Nous voulons des orgies ! » Astérix, une épopée du processus de civilisation 45

avant l’ère chrétienne (24 : p. 25 ; voir aussi 7 : p. 12). De telles « fautes » paraissent
bénignes comparées aux allusions ironiques : celles par exemple d’un des esclaves de
Tifus (18 : p. 16) imitant tour à tour Le Laocoon, L’Apollon du Belvédère, Le Discobole
(Stoll 1975 : p. 116) mais aussi Le Penseur de Rodin, celle encore d’une statue de
la déesse Artémis écrasant de tout son poids la biche qui l’accompagne partout (8 :
p. 25). Autre exemple, celui des pirates évoquant dans leur naufrage Le radeau de la
Méduse de Géricault (cf. Stoll 1975 : p. 115 ; Royen/Vegt 2001 : p. 110 et 111).
Des entorses à l’historiographie (Obélix cassant le nez du Sphinx de Gizeh en tentant
de grimper dessus (2 : p. 21 et 22)) augmentent le plaisir de la lecture, mais présup-
posent aussi une connaissance (enfantine) du contexte historique.
Cette mine d’allusions (ironiques) est précisément la marque de fabrique d’Asté-
rix, également par rapport à l’histoire et ses constructions chaque fois différentes –
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surtout dans les films en général. On apprend au passage quelques citations latines
qui, comme l’a bien vu Fuhrmann, et comme en ont convenu aussi les créateurs de
la série, proviennent toutes des pages centrales roses du Petit Larousse (Fuhrmann
1976 : p. 115, p. 126 rem. 6 ; Berner 1999 : p. 91). Les BD plus récentes (et leur
adaptation cinématographique) ainsi que les romans et les films ayant pour toile de
fond l’antiquité s’orientent en revanche de plus en plus vers la fantasy (comme 300
ou The Clash of the Titans pour ne citer que deux exemples) – et poussent l’éclectisme,
déjà très présent dans la série des Astérix, dans une vacuité sans lien avec le passé
(Preußer 2013 : p. 324, p. 327, p. 338-413). Parfois en effet il n’y a pratiquement
plus d’évocation du passé mais seulement des emprunts de noms pour un récit complè-
tement nouveau.
En 2009, la série des Astérix a fêté ses 50 ans (34). En 2013, un nouveau départ
a été tenté (35) – sans le grand Albert Uderzo, le dessinateur de la première heure
(qui ne put jamais égaler toutefois le raffinement des textes et la dramaturgie sophisti-
quée du regretté René Goscinny). La « réinitialisation » marchera-t-elle ? Gundermann
en avait douté (2009 : p. 128) au vu de l’album Le ciel lui tombe sur la tête (33). Les
deux premiers ouvrages de Jean-Yves Ferri (texte) et Didier Conrad (dessin) donnent en
revanche des raisons d’espérer pour ce classique de la culture populaire, ce passeur
de culture antique, destiné d’abord aux jeunes lecteurs, mais pas qu’eux.

Traduit de l’allemand par Roland Crastes.

Bibliographie
Astérix / 36 volumes [Paris : Dargaud / Les Éditions Albert René]
volumes 1 à 24 : texte : René Goscinny ; dessin : Albert Uderzo
volumes 25 à 34 : texte et dessin : Albert Uderzo
volumes 35 et 36 : texte : Jean-Yves Ferri ; dessin : Didier Conrad
(pour les premiers albums, les dates de parution en France puis en Allemagne sont
différentes. Donc, pour ne pas bouleverser le système de renvoi de notes, l’ordre ci-dessous
n’est pas chronologique)
1 – Astérix le Gaulois 1961
2 – Astérix et Cléopâtre 1965
46 Heinz-Peter Preußer

3 – Astérix gladiateur 1964


4 – Le Combat des chefs 1966
5 – La Serpe d’or 1962
6 – Le Tour de Gaule d’Astérix 1965
7 – Astérix et les Goths 1963
8 – Astérix chez les Bretons 1966
9 – Astérix et les Normands 1967
10 – Astérix légionnaire 1967
11 – Le Bouclier arverne 1968
12 – Astérix aux jeux Olympiques 1968
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13 – Astérix et le chaudron 1969
14 – Astérix en Hispanie 1969
15 – La Zizanie 1970
16 – Astérix chez les Helvètes 1970
17 – Le Domaine des dieux 1971
18 – Les Lauriers de César 1972
19 – Le Devin 1972
20 – Astérix en Corse 1973
21 – Le Cadeau de César 1974
22 – La Grande Traversée 1975
23 – Obélix et Compagnie 1976
24 – Astérix chez les Belges 1979
25 – Le Grand Fossé 1980
26 – L’Odyssée d’Astérix 1981
27 – Le Fils d’Astérix 1983
28 – Astérix chez Rahàzade 1987
Comment Obélix est tombé dans la marmite du druide quand il était petit 1989
Le Coup du Menhir 1989
29 – La Rose et le glaive 1991
30 – La Galère d’Obélix 1996
31 – Astérix et Latraviata 2001
32 – Astérix et la rentrée gauloise 2003
33 – Le Ciel lui tombe sur la tête 2005
Astérix et ses amis. Hommage à Albert Uderzo 2007
34 – L’Anniversaire d’Astérix et Obélix – Le livre d’or 2009
35 – Astérix chez les Pictes 2013
36 – Le Papyrus de César 2015
Autres sources
Andersen, Hans Christian : Contes (dont Les habits neufs de l’empereur [1837]).
« Orgies ! Orgies ! Nous voulons des orgies ! » Astérix, une épopée du processus de civilisation 47

Artaud, Antonin : Le Théâtre et son Double [1938]. Le Théâtre de Séraphin.


Handke, Peter. 1979 : Publikumsbeschimpfung [1966]. In : Stücke 1 [1972]. 5e édition,
Francfort : Suhrkamp, p. 9-47.
Lindgren, Astrid : Fifi Brindacier [le premier volume de Pippi Långstrump paraît en Suède
en 1945].
Mann, Thomas. 1918 : Betrachtungen eines Unpolitischen. Berlin : Fischer.
Marc Aurèle : Pensées pour moi-même.
Orwell, George. 1987 : Animal Farm. A Fairy Story [1945]. Boston, MA, New York, NY :
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Pétrone : Satyricon.
Rabelais, François : Gargantua et Pantagruel
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Virgile : l’Énéide.
Sources secondaires
Brodersen, Kai (Éd.). 2001 : Asterix und seine Zeit. Die große Welt des kleinen Galliers.
Munich : Beck.
Berner, Horst. 1999 : Das große Asterix-Lexikon. Stuttgart : Ehapa.
Billard, Pierre : Astérix & Obélix contre César, l’histoire d’un film, Paris, Plon, 1999
Isenberg, Gabriele (Éd.). 1999 : « Die spinnen, die… » Mit Asterix durch die Welt der
Römer. Westfälisches Museum Haltern. Stuttgart : Ehapa.
Fuhrmann, ManfrÉd. 1976 : « Asterix der Gallier und die “römische Welt”. Betrachtungen
über einen geheimen Miterzieher im Lateinunterricht » [1974]. In : Manfred Fuhrmann :
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Gundermann, Christine. 2009  : «  50 Jahre Widerstand: Das Phänomen Asterix  ». In  :
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Royen, René van/van der Vegt, Sunnyva. 2001  : Asterix auf großer Fahrt. Traduit du
hollandais par Annette Löffelholz. Munich : Beck.
Stoll, André. 1975  : Asterix – Das Trivialepos Frankreichs. Die Bild- und Sprachartistik
eines Bestseller-Comics [1974]. 2e édition, Cologne : DuMont.
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Autres ouvrages scientifiques
Adorno, Theodor W. 1998  : Studies in the Authoritarian Personality. In  : Gesammelte
Schriften. Éd. Rolf Tiedemann et autres, Vol. 9.1. Darmstadt  : Wissenschaftliche
Buchgesellschaft, p. 143-509.
Barthes, Roland : 1977 : Fragments d’un discours amoureux.
Bataille, Georges : 1957 : L’Érotisme.
Canetti, Elias : 1981 : Masse und Macht [1960]. 2e édition, Francfort : Fischer.
César, Jules : La Guerre des Gaules.
Dion Cassius : Histoires romaines.
48 Heinz-Peter Preußer

Elias, Norbert. 1989  : Über den Prozeß der Zivilisation. Soziogenetische und
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Freud, Sigmund. 1955  : Charakter und Analerotik [1908], In Gesammelte Werke,
chronologisch geordnet. Éd. Anna Freud, Vol. 7 : Werke aus den Jahren 1906-1909.
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Freud, Sigmund. 1986 : Studienausgabe. Éd. Alexander Mitscherlich, Angela Richards et
James Strachey. Francfort : Fischer 1974, Vol. 9, Fragen der Gesellschaft / Ursprünge
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p. 191-270.
Freyer, Hans. 1955 : Theorie des gegenwärtigen Zeitalters. Stuttgart : Deutsche Verlags-
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Greiffenhagen, Martin. 1986 : Das Dilemma des Konservatismus in Deutschland [1971]. Mit
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Francfort : Suhrkamp.
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Horkheimer, Max et Theodor W[iesengrund] Adorno. 1986  : Dialektik der Aufklärung.
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Rehm, Stefan. 2015  : Stadt – Land  : eine Raumkonfiguration in Literatur und Film der
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« Orgies ! Orgies ! Nous voulons des orgies ! » Astérix, une épopée du processus de civilisation 49

Spengler, Oswald. 1990 : Der Untergang des Abendlandes. Umrisse einer Morphologie
der Weltgeschichte [Neubearbeitung 1923]. Texte intégral en un volume. Munich  :
Beck.
Suétone : Vie de César.
Tacite : La Germanie.
Films
300. États-Unis 2006, réalisation : Zack Snyder, scénario : Zack Snyder, Kurt Johnstad et
Michael Gordon.
Les films d’Astérix ci-dessous sont classés chronologiquement.
Astérix le Gaulois (dessin animé). France 1967, réalisation  : Ray Goossens, scénario  :
Willy Lateste, Jos Marissen et László Molnár.
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Astérix et Cléopâtre (dessin animé). France et Belgique 1968, réalisation : René Goscinny,
Lee Payant et Albert Uderzo.
Les Douze Travaux d’Astérix (dessin animé). France 1975, réalisation : René Goscinny,
Albert Uderzo et Pierre Watrin. Scénario  : Pierre Tchernia, René Goscinny et Albert
Uderzo.
Astérix et la Surprise de César (dessin animé). France 1985, réalisation : Gaëtan Brizzi et
Paul Brizzi, scénario : Pierre Tchernia.
Astérix chez les Bretons (dessin animé). France 1986, réalisation : Pino Van Lamsweerde,
scénario : Pierre Tchernia.
Astérix et le Coup du Menhir (dessin animé). France 1989, réalisation : Philippe Grimond,
scénario : Adolf Kabatek, Yannik Voight et George Roubicek.
Asterix in America (dessin animé). Allemagne 1994, réalisation : Gerhard Hahn, scénario :
Gerhard Hahn, Christa Kistner et Jürgen Wohlrabe.
Astérix et Obélix contre César, France, Allemagne, Italie 1999, réalisation et scénario :
Claude Zidi.
Astérix & Obélix : Mission Cléopâtre, France Allemagne 2002, réalisation et scénario :
Alain Chabat.
Astérix et les Vikings (dessin animé). France, Danemark 2006, réalisation : Stefan Fjeldmark
et Jesper Møller, scénario : Jean-Luc Goossens et Stefan Fjeldmark.
Astérix aux Jeux Olympiques. France, Allemagne, Italie, Espagne, Belgique 2008,
réalisation  : Thomas Langmann et Frédéric Forestier, scénario  : Thomas Langmann,
Alexandre Charlot, Franck Magnier et Olivier Dazat.
Astérix et Obélix  : Au Service de Sa Majesté. France, Espagne, Italie, Hongrie 2012,
réalisation : Laurent Tirard, scénario : Grégoire Vigneron et Laurent Tirard.
Astérix : Le Domaine des dieux (film d’animation). France 2014, réalisation : Alexandre
Astier et Louis Clichy, scénario : Alexandre Astier.
Fellini – Satyricon. Italie France 1969, scénario et réalisation : Federico Fellini, d’après le
roman de Pétrone.
La Guerre du feu. Canada, France, États-Unis 1981, réalisation : Jean-Jacques Annaud.
Scénario : J.-H. Rosny aîné et Gérard Brach.
The Clash of the Titans, États-Unis 2010, réalisation  : Louis Leterrier, scénario  : Travis
Beacham, Phil Hay et Matt Manfredi.

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